Speaker #0Je suis infiniment honorée d'avoir été conviée par les organisateurs à présider ce douzième rendez-vous de l'histoire de Blois et je les en remercie du fond du cœur. J'en suis d'autant plus touchée que, comme vous le savez, vous tous ici présents, vous me faites l'honneur de venir m'écouter. Je ne fais pas partie de la grande confrérie des historiens. J'ai fait des études d'histoire, c'est vrai, mais je les ai quittées. Je suis anthropologue. Il est vrai que dans mes travaux, j'ai fait une place importante au corps. à l'observation par les humains des données biologiques et physiologiques, et plus particulièrement des substances et l'humeur corporelle, que ce soit pour mieux comprendre les règles de choix du conjoint, ou la prohibition de l'inceste, ou la violence, les rapports entre sexe et la construction du genre. Quant à mon cours au Collège de France, proprement dit, pendant 18 ans, il a été intégralement consacré à l'anthropologie symbolique du corps, c'est ce parcours intellectuel, et aussi les rencontres professionnelles que j'ai pu avoir. dans le cours de ce parcours, avec des historiens que j'ai beaucoup aimés, que j'aime toujours, comme Jean-Pierre Vernon, Nicole Goro, Michel Perrault ou Gérard Delisle, qui me donnent, je l'espère, une certaine légitimité à être ici devant vous. Alors, il est difficile désormais, et pas seulement par un effet de mode, d'envisager une étude ethnologique d'une population où l'analyse de la structure sociale serait totalement découplée de la façon dont les individus... vivent et ressentent leur corps et leurs affects, découper aussi des traitements et comportements dont le corps est l'objet et de la façon dont les systèmes cognitifs rencontrent ces liaisons. Le corps est à mes yeux le premier lieu d'observation, c'est-à-dire qu'il fut pour nos ancêtres premiers hominidés et qu'il est pour tout enfant à la fois l'observatoire Et l'objet le plus proche donné à observer par un regard intrigué pénétrant à la quête de sens. C'est cette observation attentive qui, dès l'aube de l'humanité, je dirais en gros homo sapiens au paléolithique supérieur, a permis par comparaison, interprétation, raisonnement rigoureux sur des constantes d'observation et d'éduction, la construction de l'imaginaire, des représentations mentales, de la pensée. des systèmes de relations sociales et des systèmes de relations avec la nature et le cosmos en général. Ces ensembles intégrateurs lentement élaborés se sont transmis depuis de génération en génération avec toutes les variantes qu'analysent les historiens et les anthropologues et toutes les évolutions historiques dont on a noté, mais avec deux constantes, les deux constantes que je viens d'évoquer, l'une est le caractère implicite et extraordinairement efficace d'une transmission de systèmes cognitifs. qui présente des figures variées, identifiables selon les lieux, les populations, les époques. L'autre est l'existence, en raison du socle dur commun de l'observation, au sein de ces systèmes cognitifs, de cadres conceptuels qui représentent à ce jour l'ensemble des possibles. En effet, dans certains domaines que les anthropologues étudient, on peut voir qu'un certain nombre de figures possibles n'ont jamais été réalisées. Et la seule raison qu'il est loisible de fournir à cette absence de réalisation, c'est que cette figure possible, là, n'était pas pensable à une certaine époque, ni émotionnellement concevable. Les absences sont donc souvent un point majeur pour comprendre les figures présentes, celles que l'on rencontre sur le terrain. Ainsi, en le disant très, je dirais même trop brièvement, l'impossibilité factuelle pour l'anthropologie de trouver des systèmes de parenté, c'est-à-dire des corpus d'appellation donnés par égo à ses consanguins et à ses parents par alliance, dont la logique serait fondée sur une identité perçue entre le père et le frère de la mère, ou entre la mère et la sœur du père. alors qu'au contraire la majeure partie des quelques grands types structureaux de parenté sont fondés sur une équivalence entre le père et le frère du père et entre la mère et la soeur de la mère on le devine c'est la notion de substance corporelle commune ou non qui fait toute la différence. De même que n'existent pas des systèmes de filiation et résidence qui entraîneraient pour les individus, après leur mariage, ce qu'on appelle l'amita localité, amita, tente maternelle, c'est-à-dire la résidence auprès d'une tente maternelle, alors que l'on trouve actualisé, et souvent, le régime de l'avonculocalité, à savoir la résidence auprès de l'oncle maternel. Alors sur ce point, j'ai pu montrer par la construction d'un système fictif. puisqu'en fait il n'existe pas d'exemple dans la réalité, que ce cas relevait littéralement de l'impensable, car il sous-entendrait, s'il existait, toute une série de paramètres qui impliqueraient la domination du principe féminin sur le principe masculin dans toute l'organisation sociale, donc tant dans la pensée que dans l'organisation sociale, ce qui reste encore de l'ordre de l'impensable de nos joulons. Je me hâte de dire que ces héritages conceptuels, premièrement, ne sont pas essentialistes, et deuxièmement, conséquence du premier point, ne sont pas immuables. Ce sont des constructions de l'esprit pour donner du sens, avec les seuls moyens d'observation dont nos ancêtres disposaient, à savoir leurs organes sensoriels et leur cerveau, pour donner du sens à eux-mêmes, à leur entourage, à leur nature et à leur vie. Alors rien dans ces constructions ne découle obligatoirement de la nature physique. Ce qui a été construit par la pensée peut être remplacé par de nouvelles constructions à partir de nouveaux modes d'observation et de nouveaux savoirs. Et cependant, ces héritages conceptuels si archaïques ont une très grande force de transmission et nous continuons de les transmettre parallèlement à nos savoirs scientifiques. Archaïques, fonctionnant de façon implicite, transmis par des attitudes, des comportements, des mots. toute une éducation ordinaire, il forme une culture inconnue ou presque de ses porteurs, de ses locuteurs, et qui fonctionne toujours par prétérition. J'aimerais, rendu à ce point, aborder ces héritages conceptuels sous quelques angles. L'apparition de l'idée du schéma corporel d'une part, et des effets à la fois psychologiques et sociologiques de l'observation du moi-peau selon la belle expression inventée par le psychanalyste Didier Anzieux et par l'observation du moi-peau et des humeurs du corps, non pas simplement la substance, mais ce qui de la chair et des substances corporelles exclut et se transmet. Un deuxième angle consistera à considérer à la fois la créativité dans les adaptations, ne serait-ce que temporaires, de modèles cognitifs anciens, et simultanément, à travers un exemple très particulier, de montrer concrètement la persistance de formes symboliques du corps sexué et de la procréation, de façon datée, depuis le néolithique jusqu'à nos jours. Enfin, le dernier angle, et le plus profond à mon sens, consistera à élucider les raisonnements à partir d'interrogations portant sur ce que j'appelle des butoirs pour la pensée qui ont amené nos ancêtres du paléolithique et du néolithique à construire le modèle de la valance différentielle des sexes, lequel a engendré la domination masculine, modèle primordial, qui est le fondement profond, par ailleurs, de tous les systèmes d'inégalité. Le schéma corporel et les effets psychologiques et sociologiques de l'individuation à partir de la réflexion sur la peau et les humeurs. La première des décisions de chaque être humain mis au monde, et d'accepter un jour que son corps soit distingué de celui des autres. On le connaît désormais ce moment par l'expérience du miroir auprès des enfants. Mais cette distinction fondamentale nous permet, selon le neurophysiologiste Alain Berthos, de nous constituer et reconnaître à la fois un corps physique enveloppé dans son moi-peau, et un corps mental de représentation simulant la réalité, dualité qui est l'un des fondements de la conscience. Là je cite Alain Berthod, la conscience c'est l'activité du second moi regardant le premier, dialogue interne entre le moi, d'une part, et le je. Cet être doté de conscience se regarde et se pense comme il regardera ses congénères et les autres représentants du monde du vivant animal. L'importance de la peau tient à ce qu'elle est à la fois ce contenant, ce sac, qui pourrait être plein d'ordures selon saint Augustin parlant des femmes, n'en est pas moins la forme qui contient de façon autonome des êtres séparés et ayant conscience de l'être, et qui d'ailleurs, cette forme, suscite le désir. Et simultanément, C'est aussi le lieu de contact possible. avec les autres. C'est le lieu de la différenciation, c'est le lieu du contact. S'approprier au sens propre la peau de l'autre, avoir sa peau. selon la locution ordinaire, en quelque sorte, est une manière plus différente dans son principe du cannibalisme, disons, de l'homophagie. Cette façon ultime, non pas d'éliminer, mais d'intégrer les autres en ingérant leur corps substantiel et très particulièrement convoiter le cerveau, la moelle, le sang, certains organes internes, selon les descriptions, par exemple, de Jean de Léry chez les Toubinombas. Il y a pour... fait un ordinaire barrage à cette expropriation de soi. Mais fait remarquable, il est arrivé dans des sociétés humaines que de façon non métaphorique, cette fois, la mise à mort sacrificielle ou guerrière soit accompagnée non pas de la consommation des chaires, mise à pourrir ou incinérée ou jetée, mais du dépouillement de la peau de façon à en faire un vêtement intégral que revêtait. le chef ou le prêtre. C'était le cas dans les sacrifices aztèques, où ces capes de peau humaine étaient portées par les sacrificateurs, signifiant ainsi que si le cœur arraché de la victime et leur sang avaient bien régénéré le soleil pour maintenir sa course immuable, le sacrifié n'avait pas eu d'autre existence individuelle que de servir à cela, puisque sa peau, loin d'être la sienne, était désormais... celle de son sacrificateur. La peau est à la fois, dès l'origine, cette barrière qui fait la personne dotée de conscience, elle est simultanément le moyen de l'entrer en contact avec autrui et pousser à l'extrême, comme on vient de le voir, le moyen de s'incorporer l'autre définitivement. Cette barrière est protégée de façon usuelle et pragmatique dans toutes les sociétés du monde par une sorte de norme non exprimée qui dit qu'elle est la bonne distance et qu'elle est la plus Il doit être établi entre deux personnes selon leur âge, leur statut, leur sexe, les conditions de leur rencontre, pour qu'il n'y ait nul sentiment ou nul alerte d'agression. La bonne distance de la parole et du voisinage n'est pas celle du rapport de tendresse ou du rapport amoureux. La gestion de la bonne distance de peau à peau est un des premiers acquis comportementaux de la vie en groupe selon les nécessités concrètes de l'existence. Et nous savons implicitement le gérer au quotidien. J'ajouterais que de cette disparition de l'individu et cette dépossession totale dans la mainmise sur la peau de l'autre, nous trouvons encore trace dans des usages relativement proches de nous. Je rappellerai les usages des nazis à l'égard de leurs victimes, qui en tannant parfois les peaux, en faisant des gants, des chaussures, des sacs à main ou des abat-jour, toutes choses qui, portées sur le corps ou exposées, exprimaient le même total anéantissement de l'autre par pure et simple appropriation de sa peau. Ainsi, on peut penser que notre espèce, dès ses origines, a vu se développer chez chaque individu la conscience de soi, le moi, et le sentiment de l'unicité de son être en tant qu'action, le je protégé et capable d'entrer en rapport avec les autres par cette peau qui devient le support de ces marques différentielles, bien étudiées aussi bien par des ethnologues que par les historiens. Mais dans cette séparation organique de chairs semblables dans leurs principes, Par un organe à la fois vulnérable et intensément bloquant, il s'est trouvé donc un certain nombre de peuples et de sociétés qui se sont posé la question de la suppression du moi-je de l'autre par son incorporation non pointant cannibalique que vestimentaire, en se glissant dans, en se revêtant de la peau de l'autre. Quelques-unes, du monde suméro-babylonien-acadien jusqu'aux Aztèques, à des Indiens du Brésil et même on l'a vu jusqu'aux nazis. où nous voyons sous de nouvelles formes les mêmes imaginaires que mobilisés pour se transformer en actes. Notons pour mémoire que le cannibalisme ou l'homophagie, l'incorporation de l'autre, se présente souvent sur un mode métaphorique, celui de la sorcellerie. Le sorcier, c'est celui qui dévore, dévore en double, comme le disent textuellement les expressions vocales, que ce double soit celui de la part sorcière de l'individu qui dévore ou au contraire l'une des deux parts, conscience de soi ou volition, de la personne qui est attaquée en double. L'observation d'autres constantes physiologiques a eu des effets dont nous voyons les conséquences dans des règles, des interdits, des tabous. Des croyances observables dans d'autres peuples, mais aussi bien dans la culture occidentale. Encore une fois, il ne s'agit pas de réponses uniques et universelles qui seraient dictées par la nature à une question. Parfois, la question n'est apparemment pas posée, mais quand elle l'est, les réponses varient selon un vecteur qui va de la quasi insignifiance à une importance peut-être démesurée. Dans ces réponses, rien de naturaliste est obligé donc. Ce sont des constructions de l'esprit. Les ethnologues les rencontrent. devant des situations apparemment incompréhensibles et dont la réponse ne peut être donnée par les informateurs, car, comme je l'ai dit, ils fonctionnent, ces informateurs, dans leur culture, comme nous dans la nôtre, c'est-à-dire par prétérition. Je vais citer quelques exemples. Pourquoi, par exemple, en pays mossy, le fait qu'une goutte de lait tombe du sein de la mère sur le sexe de son fils, de son bébé mâle, est censé rendre impuissant cet enfant pour toujours ? Donc une des causes de l'impuissance c'est qu'une goutte de lait maternel est tombée sur le sexe de l'enfant. Pourquoi ? Pourquoi dans les pays occidentaux et en France encore, dans une bonne partie de la deuxième moitié du XXe siècle, Interdisait-on aux filles qui avaient leurs règles et aux femmes qui avaient leurs règles d'aller dans l'eau, de se baigner ? Pourquoi ne peuvent-elles pas faire couler le sang des animaux ? Pourquoi privilégions toujours notre société ? Pensait-on, cela à faire rire les plus jeunes de l'assistance, mais les plus anciens ne me contrediront pas, qu'une femme monstrueuse ne pouvait réaliser une émulsion culinaire et notamment une mayonnaise ? Ou ne pouvait parler à voix haute ? À côté d'un saloir. Alors, superstitions que tout cela, diriez-vous, mais ces superstitions nous en disent long sur notre appareil cognitif et sur les conditions de sa mise en place. Pourquoi ? Pour prendre cette fois-ci un exemple très anthropologique et très sérieux, est-il dans de nombreuses sociétés interdit aux pères et aux fils, ou à deux frères, ou tout aussi bien à la mère et à la fille et à deux sœurs, de partager de l'or vivant et parfois même au-delà de la mort. d'un des deux membres de la paire consanguine, de partager le même partenaire sexuel, considéré comme un inceste. Pour répondre à tout cela, on verra qu'interviennent certains des éléments dont j'ai fait état pour commencer. A partir de l'observation du fait récurrent de la menstruation, c'est-à-dire de la perte non voulue, subie et régulière de sang par les femmes, et compte tenu de l'observation faite par l'humain des origines, qu'il fut charognard, tasseur ou tassé, mais aussi naissant et soumis à la mort, que le sang est porteur de la vie, de la chaleur, de la mobilité et de l'individualité, puisque l'égorgement entraîne la mort, la froideur. et la raideur catavérique, il s'en suit que les femmes qui perdent du sang sont moins chaudes que ne le sont les hommes. Vous voyez la rigueur de l'argumentation. Aristote a théorisé magnifiquement sur ce point, à partir des théories locales qui avaient précédé, qui a fait l'objet de théories locales innombrables aboutissant aux mêmes conclusions. L'homme est capable, par sa chaleur, puisqu'il ne perd pas de sang, de la cuisson interne des aliments pour en faire du sang, ce qu'une femme fait également. Elle a assez de chaleur pour cela. Mais seul l'homme ne peut pas faire de la cuisson interne des Aristote est capable d'une coction, un autre terme que cuisson, d'une coction supplémentaire, qui celle-là est une coction du sang, pour le transformer en sperme, lequel devient éther et pneu mort. Les femmes ne parviennent pas, parce qu'elles ne sont pas assez chaudes à produire le sperme, elles produisent seulement un avatar du sperme, d'à peu près même nature, mais très inférieur, qui de toute façon ne procurera jamais, à savoir le lait. Et ces deux substances sont incompatibles l'une avec l'autre, parce qu'elles sont de nature identique avec des hauteurs variables. Selon les mouvements d'attraction ou de répulsion dont j'ai parlé plus haut, la rencontre d'une goutte de lait froid et des organes en devenir masculin est censée bloquer l'apparition spermatique à venir. L'humide et le froid repoussent le sec et le chaud à l'intérieur du corps du garçon en les empêchant de s'exprimer. Pour des raisons semblables, une fille qui a ces règles ne va pas dans l'eau. Elle est alors particulièrement vulnérable parce qu'elle est au climax de son statut froid et humide. Aller dans l'eau, c'est ajouter de l'humide sur de l'humide, des écoulements sur des écoulements. Et selon les occurrences, une sanction, un risque plutôt, frappe le corps de ces femmes considérées comme en danger. Tantôt parce qu'elles vont être frappées, elles risquent d'être frappées par des hémorragies continuelles. C'est là l'attirance des semblables qui joue. Dans la théorie locale, tantôt frappées par des aménorées, répulsions des semblables, hémorragiques et aménorées, qui toutes deux entraînent dans l'esprit, mais dans l'adaptation systématique, l'idée de stérilité à venir, c'est-à-dire la pire chose qui puisse advenir aux femmes dans ces systèmes conceptueux. Et c'est pour de même raison qu'une femme ne peut faire couler le sang des bêtes avec des instruments perforants. En fait... Partout les femmes peuvent mettre à mort des animaux, mais elles peuvent le faire en asphyxiant, en assommant, en étranglant, en piégeant. S'arcouler le sang, non. Car c'est là aussi la possibilité d'attirer sur elles des hémorragies permanentes par ce changement de registre entre actes, cosmos et manifestations corporelles. Je rappellerai pour mémoire qu'alors même que l'acte de tuer dans les abattoirs modernes n'applique désormais aucune force particulière. c'est un système électrique et la suspension se fait automatiquement pour le gorgement, les postes de tueurs sont toujours de nos jours occupés par des hommes, même si les femmes interviennent immédiatement avant ou immédiatement après, après le sas d'ailleurs qui interdit de voir l'acte de tuer, interviennent immédiatement avant ou après, dans la manipulation des animaux vivants avant et des carcasses après, ainsi que dans la découverte. L'exemple de la mayonnaise est particulièrement intéressant. Donnons d'abord l'explication telle qu'elle découle du rapprochement avec des théories archaïques de la conception qu'on retrouve vivantes aujourd'hui dans des sociétés primitives. La conception est vue comme une émulsion, une émulsion qui fait prendre en crumeaux deux émissions de liquide qui ne se mélangent pas mais s'émulsionnent. Le sperme qu'on appelle souvent eau de l'homme, et les sécrétions vaginales ou eau des femmes. Alors, comprenons l'analogie, une femme qui a ses règles, surtout si mariée ou non, elle a des rapports sexuels, cela signifie qu'elle n'a pas pris, elle n'a pas pris, puisque le sang est censé être la nourriture de l'embryon et qu'il sort. si elle n'a pas pris elle-même en émulsion et qu'elle coule elle fait par contagion sympathique et passage d'un registre corporel à un autre culinaire toutes les émissions culinaires qu'elle tenterait de faire prendre inversement sa froideur et son humidité particulièrement remarquables dans le souffle qu'elle exhale dans la parole Car le corps des femmes, rappelez-vous, est censé présenter une continuité interne qui va du sexe à la bouche, qui va aussi jusqu'au cerveau, en passant par les seins, etc. Souvenez-vous de la petite tigrée qui assise sur son traiteau, jambes écartées, pourrait traverser par des féminations. Cette humidité particulière que porte le souffle féminin risque de faire pourrir les salaisons que l'on soumet à des citations. Alors si les croyances... sur les causes des mayonnaise ratées sont intéressantes particulièrement, c'est que nous avons là un exemple formidable, daté très exactement de la façon dont des croyances antérieures, fondées sur le système d'interprétation dont je viens d'expliquer succinctement la logique rigoureuse, peuvent investir naturellement et aisément de nouveaux domaines d'application. Car si les émulsions culinaires existaient antérieurement et les interdit aussi, l'invention de cette sauce particulière qui émulsionne jaune d'œuf, huile et éventuellement moutarde, elle est datée de 1756, c'est-à-dire lors de la prise de Port-Mahon par Louis-François Armand de Plessis, duc de Richelieu, neveu du cardinal, au cours d'une expédition menée par la France contre Minot. son cuisinier n'ayant pas d'autres ingrédients sous la main a créé cette émulsion goûteuse pour accompagner sur le pouce le dîner du prince constitué par de la viande froide. Du moins, c'est ce que les livres et dictionnaires racontent. Ainsi, cette invention récente a-t-elle été ensuite accaparée et chargée de la même charge symbolique que les autres émulsions culinaires, et de la même manière qu'on en peut dater l'origine, on pourrait peut-être dater plus grossièrement la fin de ce tabou, de cette croyance, de cette superstition, selon les divers thèmes que l'on trouve employés, puisque le batteur électrique qui vient au prolongement de la main supprime le contact direct. et introduit la médiation immatérielle de l'électricité, l'un et l'autre, batteur et électricité, étant, comme vous le savez, dépourvus de menstrues et de rôles dans la procréation. Sur un socle ancien de représentation, un greffe on prend et dure plus ou moins longtemps. Alors sans doute, bien des applications systémiques de cette sorte sont-elles apparues dans des endroits divers et ont disparu pour reparaître ailleurs de façon différente sur de nouveaux supports. Les questions sont toujours les mêmes. Comment sont gardées la fréquentité féminine ? Quels rapports fondamentaux existent entre le corps sexué et le cosmos ? Mais les réponses varient. Deux mots sur l'inceste. C'est au premier chef, entre consanguins proches qui ont ensemble un rapport sexuel, le rapprochement et la mise en contact de substances identiques, totalement ou partiellement. Elles sont porteuses de la même qualité de chaleur. Aussi, cela a été vu et relevé par de nombreux ethnologues, ce rapprochement qui détruit un certain équilibre du monde, entraîne par le passage du registre du corps individuel à celui du cosmos ou du corps social, soit des hémorragies. Pour les individus... ou de grandes inondations cataclysmiques pour les régions, soit des aménorées pour les individus, ou des sécheresses, l'arrêt de la pluie, la fuite dans le sol des nappes phréatiques pour le cosmos. L'inceste entre alliés, cette fois-ci, entre alliés, dont j'ai parlé plus haut, et celui qui existe entre deux consanguins de même sexe, deux frères, deux sœurs, un père et une fille, un fils, une mère et une fille, qui partagent le même partenaire sexuel. Et là aussi, une question est posée qui n'est pas anodine. Est-ce que ce type de rapport est différent ou non des autres ? Faut-il le craindre ou le rechercher ? L'interdit s'arrête-t-il avec la mort ou perdure-t-il au-delà ? Les réponses varient selon les sociétés. Mais si la réponse est oui, ce n'est pas anodin alors que de mettre en rapport deux substances corporelles identiques Par le truchement d'un partenaire commun, alors à ce moment l'interdit prend toute sa force et il est censé avoir les mêmes effets que l'interdit direct primaire entre consanguins. Les religions révélées ont repris et renouvelé cet interdit qui existait bien antérieurement. L'interprétation donnée par la religion chrétienne est intéressante. par son mouvement cognitif créateur. C'est parce qu'il forme une seule chair, una caro disent les textes des conciles, que les époux deviennent réciproquement l'un et l'autre. Si je suis mon époux, je ne peux épouser son frère qui est mon frère. Et si je suis mon épouse, je ne peux épouser sa sœur qui est ma sœur. Mais il suffit de savoir que ces ensembles d'interdits existaient bien avant, bien avant les religions révélées, et qu'ils existent encore. dans des sociétés qui pratiquent des religions traditionnelles, pour voir qu'il s'agit là encore, là aussi, d'une manipulation interprétative créatrice et historiquement à peu près datée, à partir d'un cadre conceptuel antérieur dont on cherche à modifier le sens. Mais le sens originel pointe toujours quelque part l'oreille. Cela vaut la peine d'analyser de près les réactions populaires, par exemple, lors du mariage de Woody Allen, avec la fille adoptive de Mia Farrow, qui fut considérée un peu partout dans le monde. même aux États-Unis, les titres de journaux sont très révélateurs là-dessus, qui fut considéré comme un inceste. Alors même, comme il le soulignait lui-même, je cite, Non seulement elle n'était, ce qu'ils disaient, rapporté par les journaux, non seulement elle n'était pas sa fille, mais elle n'était que la fille adoptive, adoptive d'une femme qu'il n'avait pas épousée. Jouant habilement des deux registres du biologique. et du social légal. Mais pour le peuple, il avait couché longtemps avec la mère, cohabité longtemps sexuellement avec la mère, et il avait partagé la même nourriture avec l'enfant, et comme le disent certains textes anciens, il avait élevé cette jeune fille dans son giron, et c'était cela qui était à la base de l'inceste du deuxième type. On a une petite idée désormais, je l'espère, de la création de ces imaginaires, systèmes de représentation et réalisation concrète dans le quotidien des relations sociales, création réalisée à partir d'une observation aiguë et rigoureuse de phénomènes touchant au corps auquel il fallait donner du sens. Je voudrais insister, rendu à ce point, sur l'extraordinaire force de transmission de ces modèles cognitifs qui, pour hétérogènes qu'ils soient, en tant que réponse particulière, et bien qu'ils soient susceptibles tantôt de disparaître, tantôt de se transformer, comme des anamorphoses pour s'adapter à de nouvelles données concrètes offertes par le mouvement de l'histoire, ont toutefois la particularité d'être transmis par cette forme d'osmose éducative qui rend la culture durable, avec une forte capacité de signifier, même si ce signifiant ne peut être explicité par ceux-là même qui le portent et le transmettent. J'en prendrais un exemple intéressant qui permet un minimum de datation, ou du moins de mise en valeur de la longue durée dans la transmission de formes symboliques tirées de l'observation du corps. J'ai eu cet été le bonheur et la possibilité de lire attentivement un bel ouvrage d'art consacré par un historien suisse, Bruno Barbati, au tapis berbère du Maroc, à travers les symboles qui y sont utilisés. C'est un ouvrage qui date de 2006. Il s'agit de tapis noués, tissés par les femmes, dans des tribus imazighènes, c'est-à-dire berbères, autochtones, qui ont été repoussées sur les franges et dans les montagnes. Ces berbères sont restés à l'écart des influences romaines, islamiques ou ottomanes. Ils sont restés ruraux et tribaux, et l'art de la fabrication traditionnelle des tapis n'est jamais passé à la manufacture. Si on sait qu'ils se fabriquent encore à petite échelle, c'est selon le modèle. Du travail féminin à domicile, où chaque femme crée son tapis sans jamais suivre de modèles préétablis, comme c'est le cas pour les tapis orientaux. Ces femmes travaillent sur un métier vertical dont l'ensouple base est enroulée au fur et à mesure de l'avancée du travail, et jamais déroulée, ce qui compterait malheur, ce qui fait que l'ouvrière n'a jamais d'un coup d'œil une vision d'ensemble de ce qu'elle a déjà fait. qui procède donc du bas vers le haut. Il y a donc pour chaque tapis une étonnante liberté et spontanéité de la création à partir d'un modèle intérieur. Or on observe des constantes, par ailleurs, pas d'encadrement, pas de lisière, pas d'arabesque, d'où le cartouche, aucun décor floral, aucun décor animalier, et pas de décors abstraits, encore une fois, comme des arabesques. Malheureusement, les tapis, c'est des choses de lissable. et le plus ancien tapis qui soit parvenu dans des collections, tapis intégral je veux dire, date de 1798. C'est quand même pas mal, parce qu'ils sont fragiles. Tous ces tapis racontent du point de vue de la Tiffrande son histoire, ou plutôt une histoire de la sexualité, et particulièrement du rapport sexuel et de la conception, à travers l'utilisation de formes géométriques récurrentes simples, losange, levron, triangle, carré. x, zigzag, étoile, point. Ces décors sont transmis par apprentissage direct de mère en fille. Le losange, seul ou entreillis, représenté dans le sens de la hauteur et non couché, symbolise le corps féminin ou simplement l'utérus. En effet, des séries de losanges, encastrées les uns à l'intérieur des autres, représentent par cet artifice du redoublement de l'encastrement le processus de dilatation dû à la grossesse. C'est comme des images d'un dessin animé qui ne seraient pas trop continues ou par saccades. On voit la progression du mouvement. Là, on voit la progression de la grossesse par le fait que le losange s'écarte et grossit. Un point à l'intérieur, c'est l'embryon, le foetus. Un losange ouvert vers le haut. c'est-à-dire vers le bas dans la perspective de la tisserande par rapport à son corps, avec le même point à l'extérieur, placé à l'extérieur cette fois-ci, c'est l'expulsion, c'est l'accouchement. Le X représente le corps ouvert des femmes en attente et les deux triangles isocèles réunis à leur base par un trait vertical signifient l'accouplement. Le sexe masculin est représenté par des traits ondulés, serpentins, ou des formes en trident, ou des échelles, ou des traits hachurés, des flèches, des harpons, des marteaux, des zigzags. Tout comme le redoublement encastré des losanges signifiait le développement progressif du ventre en sein, le mouvement du poïte est représenté par des hachures, des crochets, des dents, le long d'un axe. et fréquemment par des échelles. L'auteur démontre, preuve photographique à l'appui, que ces représentations de la sexualité intime, reprises par chaque ouvrière comme l'histoire de sa propre expérience, utilisent des motifs qui remontent très loin dans le temps, puisqu'on les retrouve avec une incroyable similitude sur les peintures murales de Saal ou Youch, ou les céramiques d'Asilar en Turquie. qui date des 6000 avant J.-C. La racine commune est en Asie mineure. Si le tapis noué, lui, ne date que du deuxième millénaire avant J.-C., les motifs, la décor de losange, date donc de beaucoup plus loin, d'un temps beaucoup plus loin, beaucoup plus éloigné, et le plus ancien tissu connu que l'on ait découvert jusqu'à présent, qui provient d'Israël vers 6500, est une sorte de bonnet dont le motif est parcouru de décors de losange. L'identité de certains motifs de l'âge du bronze et ceux des tapis altaïques du XXe siècle est proprement stupéfiante. Il est vraisemblable d'ailleurs que ces motifs déjà fixés au néolithique remontent en fait au chasseur-collecteur du mésolithique et du péléolithique anciens. L'auteur fait l'hypothèse d'un culte de la fécondité à partir de formes simples, formes reprises par les tisserands de Berbère pour raconter la grande histoire de la sexualité et de la transmission de la vie. Quelques-un d'entre vous. Ce symbolisme simple dérive de l'observation de formes anatomiques, de positions, de mouvements et même de sensations élémentaires. La forme symbolique simplifie la forme naturelle et résume la diversité en une seule forme abstraite. Tout part de l'observation des organes de la reproduction éducoïque, ce qui montre d'ailleurs que le rapprochement était fait dans l'esprit de nos ancêtres préhistoriques entre l'acte sexuel, la fécondation, la grossesse et la naissance. même si certains auteurs ont pu douter de cette connaissance chez les peuples primitifs, y compris pour des peuples qui vivaient au siècle dernier, c'est-à-dire au XXe siècle. Ainsi, au Mont Bégaud, Au Montbégaud, une superbe gravure rupestre analysée par le préhistorien Jean Duleyne, que vous connaissez sans doute tous, montre une figure phallique, serpentine et en échelle, c'est-à-dire représentant la chose en train de se faire, pénétrant un tréhi rectangulaire qui lui représente l'utérus séminaire envisagé comme une ruche. Cette représentation réticulaire, et non plus cette fois-ci simplement losangique, Cette représentation réticulaire accompagnée de formes serpentines ou de points multiples, symboles de l'action, sont présentes aussi à El Castillo ou à Lascaux. Elles sont présentes sur les tapis berbères. Il y a donc eu, à partir de l'observation et de la réflexion, une invention, une invention symbolique qui, pour reprendre ce que dit, ce qu'écrit Bruno Barbati, est un acte créateur sans pareil. Les humains du paléolithique supérieur ont ainsi perçu l'importance capitale de la sexualité dans la conservation de l'espèce et de la vie. Ils l'ont traduit de façon imagée, avec même la capacité remarquable de dire le mouvement, l'acte en train de se faire, et ces symboles, dont on trouve une multiplicité de témoignages néolithiques aux proches de l'Orient et dans tout l'espace méditerranéen, sont utilisés en toute simplicité par des ouvrières. qui ignorent tout de leur origine et même du détail de leur signification. Ces formes parlent d'ailleurs toujours à notre imaginaire d'hommes et de femmes contemporains, qu'il s'agisse du losange féminin ou de la forme serpentine ou du trident associé au sexe masculin. Ce sont des symboles qui sont encore utilisés. Il ne s'agit pas d'archétypes immémoriaux qui seraient inhérents à la nature humaine comme le postule Jung, mais d'une invention due au travail de la pensée qui s'attaque obstinément à la matière observée et à la question tant de l'humanité, qu'est-ce que c'est qu'être humain, que de la survie des espèces. Cette invention symbolique particulière, cette genèse, est peut-être propre à une région du monde et non à toute, démontrant par sa durabilité dans la transmission. la diversité des supports et des fonctions, le culte de la fécondité, autrefois les histoires de vie maintenant dans les tapis, démontrant à la fois son archaïsme, sa vitalité et sa capacité simultanée de persévérer et de varier. J'en reviens rapidement à mon troisième angle d'attache. On aura compris, je pense, que l'intérêt des êtres humains, dès qu'ils se mettent à penser, à fabriquer, à parler, à transmettre, à se concevoir de façon réflexive comme des entités propres, c'est porté sur l'observation du corps, le leur propre, celui de leur congénère, celui des animaux qu'on appelle vrais, les lembros, les mammifères, les vrais, qui constituent leur entourage. Et là, Et là, ils se heurtent dans leur analyse à ce que j'appelle des butoirs pour la pensée, c'est-à-dire des éléments du réel immuables, toujours là, récurrents, et qu'il n'est pas possible de contourner ni de décortiquer pour les réduire dans des composantes plus fines et dont il faut bien s'accommoder, et qu'il faut intégrer dans une perspective commune, dotée de sens. Et ils sont toujours là d'ailleurs pour nous aussi. Nous en avons vu quelques-uns au passage. L'importance du sang comme vecteur de la chaleur vitale est corollairement la moindre chaleur des femmes par rapport à celle des hommes, ou encore la nécessité du coït pour qu'il y ait conception d'un enfant. Mais il y en a d'autres. Dans le scénario que je construis, le tout premier butoir, tout premier au sens logique et non chronologique, c'est la constatation étonnante que fait l'esprit humain qu'au-delà de la variabilité individuelle dans une même espèce, et surtout de la variabilité collective, des formes des différentes espèces observables, car une antilope ne pourra jamais être confondue avec un lion, par exemple, toutes les espèces sont nécessairement et sans exception visibles partagées par la différence sexuelle. Il y a toujours des mâles et des femelles. Je dis bien la différence visible car avec leurs seuls organes sensoriels et les nécessités urgentes de la survie, ces humains préhistoriques n'ont pas eu la possibilité de s'interroger quant au sexe des escargots ou des hippocampes, qui comme on le sait est variable, ou aux variations sexuelles du corps de certains lézards en fonction de la chaleur ambiante. Nous parlons bien ici de l'observation des animaux que l'on appelle vrais. Alors cette constatation, qui n'était pas possible de ne pas faire, ainsi que celle de l'irréductible différence du jour et de la nuit et de leur succession tout autant inévitable, est à mon sens à l'origine d'un grand clivage cognitif qui ordonne le réel, selon le critère du même et du différent, fondé prioritairement en esprit sur le partage mâle-femelle. Ce clivage cognitif est au fondement même d'une pensée binaire. fonctionnant selon des catégories dualistes, alors même que ces catégories ne sont pas des essences stables, le chaud et le froid, le sec et l'humide, le haut, le bas, la droite, la gauche, l'actif, le passif, le pur, l'impur, le transcendant, l'immanent, etc. J'ai mêlé intentionnellement des qualités abstraites et des qualités contraites pour insister sur le fait que ce mode de pensée est commun au discours ordinaire et au discours savant. Nous ne pouvons nous en passer. Il m'arrive même de penser que si l'évolution n'avait pas fait apparaître la sexuation il y a environ 750 millions d'années, et que des amibes soient devenues progressivement intelligentes, et capable de se forger une conscience et de forger du tissu social, elle n'aurait pu se fonder sur la dualité des corps sexués pour créer leur modèle cognitif. Leur mode d'appréhension du réel serait donc nécessairement conçu sur une base différente. Le binarisme est donc lui aussi la création étonnante de l'esprit humain. Aucune langue n'y échappe, c'est un cadre contraignant. qu'il a fallu d'ailleurs progressivement améliorer par l'introduction d'échelles ou gradations intermédiaires et surtout par l'adjonction de tiers séparateurs ou arbitres. Il n'empêche, tout en les dépassant, nous continuons de penser en utilisant ces catégories binaires qui sont fondées sur l'expérience visuelle des différences anatomiques et physiologiques entre les sexes par nos grands-ancêtres. Il s'en est suivi que ces doublés apparemment neutres ont été affectés L'un du signe masculin, l'autre du signe féminin. Il faut peu de temps à un locuteur, même jeune, d'un groupe, pour savoir ce qui, d'actifs passifs, de haut, de bas et bas, d'externes et internes, de transcendants et de manants, est affecté chez nous du signe masculin ou féminin, pour ne pas parler bien sûr de durs et mous, rêches et lisses, velus ou imberbes, dont les affectations semblent dériver directement de l'observation par les sens. Chose plus surprenante encore, ces catégories binaires et sexuées sont en plus hiérarchisées dans une échelle de valeurs où le positif est du côté du masculin, le négatif du côté du féminin. Nous sommes là en plein dans l'arbitraire de la création par l'esprit, car pour l'essentiel, cette valeur est accordée non pas en fonction du sens des mots, mais en fonction de l'attribution sexuée. Si en Occident, par exemple, actif est masculin, et valorisé, parce qu'il signifie la maîtrise triomphante de la main masculine sur la nature et sur la technique, en Inde, passif et masculin. car il postule la capacité masculine de se contenir, de maîtriser ses passions et ses pulsions, et surtout de maîtriser l'éjaculation. Tandis que les femmes sont censées avoir une activité considérée comme agitée et brouillonne, et dans cette société, c'est le passif qui est valorisé, parce qu'il est masculin. Des échelles de valeurs, avec des valorisations d'un côté, des dénigrements systématiques de l'autre, sont donc mises en place. Ce travail créateur de la pensée aboutit à ce que j'ai appelé la valance différentielle des sexes, qui est elle-même au fondement de ce que nous désignons maintenant par le terme de domination masculine. Pourquoi cet enclenchement et cette production idéologique ? Eh bien, à cause de l'observation, l'observation d'un deuxième grand butoir pour la pensée a été cruciale pour cela, tant sur le plan conceptuel, à savoir la création des imaginaires et des systèmes de représentation, que sur le plan social, la mise en place des institutions. Il s'agit de l'observation d'un fait évidemment incompréhensible et même scandaleux, scandaleux vraiment pour l'esprit, le fait qu'un seul des deux sexes se trouve avoir la capacité non seulement de se reproduire à l'identique, mais aussi de faire de façon inexplicable des corps différents. Alors même que le sexe masculin, lui, ne peut ni se reproduire lui-même, faire ses propres fils. ni a fortiori reproduire des différends vers des fils. C'est la prise en considération de ce mystère, ainsi que d'autres butoirs dont j'ai parlé plus haut, telles la nécessité du coït, qui a permis la création d'un modèle interprétatif complet qui s'est transmis jusqu'à nous et qui est universel, quelles que soient les variantes observables. Car les hommes veulent des fils, comme en témoigne toujours la préférence accordée à la naissance de fils, le fait que dans bien des langues, Le mot enfant désigne exclusivement les fils. On entendra par exemple une femme dire je n'ai pas d'enfant alors qu'elle a plusieurs filles, comme en témoigne par exemple une gynécologue canadienne travaillant dans les pays de l'ex-Yougoslavie. Et commenté-moi également ce désir d'avoir des fils, l'avortement sélectif des filles devrait se faire à l'heure actuelle, à partir du moment où l'échographie permet de déterminer le sexe et qu'on fait à grande échelle en Chine, en Inde, en Corée, au Vietnam, au point de déséquilibrer le sexe ratio à un point qui amène à avoir des inquiétudes pour l'avenir. Comme rien ne montrait que les femmes auraient pu des dispositifs internes. leur permettant de reproduire le différent d'elles-mêmes comme par ailleurs le coït était nécessaire pour que quelque chose se passe de l'ordre de la liaison intime nous l'avons vue la réponse qui s'est imposée aux deux sexes A cette question, vu que si les femmes sont bien un matériau ou un véhicule nécessaire, ce sont en fait les hommes qui mettent les enfants dans le corps des femmes. Ils réalisent cet exploit de leur propre fait. C'est ce que pense Aristote dans De la génération des animaux Mais aussi souvent, il se trouve être le canal obligé d'autres influences, par exemple des divinités, des esprits, des ancêtres, qui profitent de ce moment particulier du Covid. pour intervenir et se mêler à l'affaire de la reproduction. Dans un avatar chrétien, le cosmos est peuplé de fragments d'âmes errantes et la chaleur de l'ébranlement du coït aidant, une petite âme qui passait par là, est aspirée comme à travers un tuyau, c'est l'expression du texte, pour pénétrer dans le corps de la femme et s'émulsionner avec le reste. C'est cela qui est à la source du destin différent des deux formes de l'humanité. Non pas que leur corps, y compris dans cette asymétrie fonctionnelle, les contraint, ou plutôt contraint à la domination d'un principe sur l'autre, mais de l'incapacité de l'homme vire à se reproduire tout seul, et de la prééminence supposée de son rôle dans la jeunesse de l'enfant, qui ne pouvait pas être vue comme une procréation à part égale puisqu'on ignorait l'existence des gamètes, il s'en est suivi bien des conséquences sur le plan cognitif, La valance différentielle du sexe, telle que je viens de la présenter, où le féminin est mineur et dévalorisé, et sur le plan social, la création d'institutions qui assujettissent les femmes au service global de la reproduction et plus spécifiquement de la fabrication des fils, mais semblables des hommes. Car les femmes, de par cette capacité exorbitante qui était la leur et qu'il fallait solliciter, d'où ces cultes divers de la fécondité, ont été considérés. comme une ressource, pour prendre le langage moderne, une ressource terriblement précieuse que les hommes se partagent entre eux. Il n'y a pas d'exemple de société où les femmes se répartissent directement les hommes entre elles. Dans certains cas matrilinéaires extrêmes, comme les mondes de l'humour, les femmes ont un grand pouvoir de décision, mais en suivant la vie de leurs frères. Partout, ce sont les hommes qui échangent entre eux des femmes. C'est là le fondement de la théorie lévi-strussienne de l'échange, source de liens sociaux. En imposant la prohibition de l'inceste, c'est-à-dire l'interdiction du recours aux consanguins proches pour la survie du groupe, les hommes s'interdisent l'accès à leurs filles et à leurs sœurs, car c'est bien ainsi que les choses sont dites localement. Ils échangent ces filles et sœurs, ces femmes ressources, contre les filles et sœurs des hommes d'autres groupes consanguins. créant ainsi par l'échange patrimonial des liens sociaux de solidarité, d'entente et de paix, et non plus fondés sur la prédation. Mais pour pouvoir échanger sans contrainte leurs filles et leurs sœurs, il fallait bien que ce droit leur eût été reconnu et donc que simultanément existât la valance différentielle du sexe, ce que les listroses n'avaient pas vu. Alors, assigner les femmes à la reproduction veut dire aussi se les approprier physiquement. ainsi que leur pouvoir génésique. D'autres institutions viennent alors à la rescousse, comme le mariage légitime, qui consacre un lien entre deux groupes, deux lignages et non entre deux personnes, et qui engage la solidarité du groupe dans cet accord. S'en suit aussi une répartition sexuelle des tâches, qui fait aux origines de l'homme un chasseur et de la femme une collectrice, moins par manque de talent synergétique pour les... pour les unes ou de talons de cueillette pour les autres, que pour des raisons hautement idéales, puisque, nous l'avons vu, il s'agit de l'interdit majeur pour les femmes de faire couler le sang. Conformément à ce schéma, à la valorisation de l'achat et à la valorisation des produits carnés difficiles d'accès, rares et recherchés, et bien que les femmes aient fourni à plus de 80% l'alimentation quotidienne, comme on le sait, on en juge, parce qu'il existe encore quelques groupes ethniques, qui vivent encore exclusivement de la chasse et de la cueillette, il s'ensuit que le mâle est considéré comme le pourvoyeur essentiel en nourriture de la famille, idée qui perdure dans les sociétés avancées, où le travail domestique féminin n'est pas comptabilisé dans la production de la richesse publique et où le salaire des femmes continue, comme en Allemagne, d'être traité comme un supplément, un complément, un accroissement. Cet assujettissement à la reproduction et au domestique s'est fait au moyen de trois techniques sociales, qui ont toutes les trois été signalées déjà au XVIIe siècle par la philosophe Gabrielle Suchon. Tout d'abord, le point essentiel central majeur, la privation des femmes de décider de ce qui adviendra de leur corps. Elles sont la propriété d'un père ou d'un frère, puis celle d'un mari. Elles n'ont pas leur mot à dire sur ce transfert, ni sur le nombre des enfants qu'elles veulent mettre au monde, ni sur la temporalité de ces naissances. Elles sont souvent répudiées sans recours. Je ne parle pas nécessairement de notre monde, mais du monde en général. Naturellement, ce n'est plus le cas depuis peu dans les pays développés, mais c'est toujours vrai, toujours vrai dans la plus grande partie du monde. Deuxièmement, elles sont privées systématiquement de l'accès au savoir, autre que les savoirs naturalistes nécessaires à leur fonction, car le savoir conduit à l'esprit critique et à l'émancipation. Là aussi, c'est toujours le cas pour la plus grande partie de l'humanité, même si des biais statistiques font état d'une progression de la scolarisation des filles. Il faut savoir qu'on comptabilise la première entrée à l'école et non pas la sortie. Or bien des filles sont retirées de l'école après deux ans de cours primaire pour être mariées, et si elles ne sont pas totalement analphabètes, l'illettrisme est de toute façon leur lot. La troisième privation sur laquelle je ne m'attarderai pas, je la cite seulement, c'est la privation d'accès à la sphère du pouvoir, aux fonctions d'autorité et de pouvoir, et celle-ci opère toujours, y compris dans nos sociétés développées. Ainsi, c'est à partir de l'observation du corps, de ses fonctions, de données qui font butoir pour la pensée et constituent un socle dur qu'il fallait pouvoir comprendre tout entier dans un vaste mouvement intégrateur de la pensée, que s'est mise en place un système hiérarchique de domination, d'emprise d'un sexe sur l'autre, qui, bien que malléable, a une très grande force de perpétuation. Nos comportements, même les plus ouverts, y contribuent. Pensez spontanément que les filles ne sont pas douées. pour la physique ou les mathématiques par exemple, ou bien dire aux enfants qui veulent une explication de la procréation que le père met une graine dans le ventre de la mère, reproduit en fait l'idée. que la force génésique vitale est bien dans la graine du père, la mère n'étant, comme dans la tradition aristotélicienne, qu'un matériau analogue à un théorique. Cependant, nous l'avons dit, si ces systèmes ont eu leur nécessité à exister, fondés sur des constantes observables, mais avec des moyens d'observation extrêmement limités et réduits, ils sont comme tout système de pensée soumis à altérations, changements, nouveaux modelages, voire remplacements. Celui-ci a la vie particulièrement dure, parce qu'il touche à des matières essentielles. Pourtant, il a commencé à bouger. Dès que des choses jusqu'alors impensables sont devenues pensables, souvent grâce à la découverte scientifique, mais aussi grâce à la réflexion et à l'action de multiples acteurs, pensables par certains, puis même émotionnellement concevables pour tous, elles deviennent alors possibles. Des droits sont apparus légalement en Occident. Droits à l'éducation, au travail, à l'égalité salariale et professionnelle, même si elles ne se réalisent que fort longtemps. Droits à l'autonomie, par exemple avoir un compte personnel en banque. travailler sur l'autorisation du mari. Ça date des années 1945-1950. Le droit à la représentativité politique et au vote. Nous retiendrons surtout, pour son importance symbolique et son efficacité, le droit à la contraception et celui à l'interruption volontaire de grossesse. Car le droit à la contraception en signifie d'autres en amont et en aval, et il joue sur le lieu même qui a fait basculer le sexe féminin dans un genre. et dans l'assujettissement à la reproduction et au domicile. Le modèle archaïque s'effrite donc, même s'il a encore bien des beaux jours devant lui, mais il me paraissait important de montrer, d'une part, que rien ne découle de la biologie pure, mais tout de l'interprétation intellectuelle des faits et de la cognition, de montrer que cette représentation universelle, parce qu'elle touche à l'essentiel, et qu'il fallait bien justifier de l'existence et de la nécessité à être du sexe masculin, à quoi certifient, et que cette représentation n'est pas intangible. D'abord parce qu'elle revêt des formes diverses selon les sociétés et la prise en considération d'autres critères comme le régime de filiation, l'âge, le statut des individus, etc. Ensuite et plus profondément parce que ce qui a été une création de l'esprit de l'homme peut être remplacé par une ou plusieurs autres créations toujours de l'esprit de l'homme. Il est plus que vraisemblable que nous avons amorcé ce moment charnière pour ce modèle-ci que je viens de décrire. même s'il faudra peut-être quelques millénaires pour que les vestiges de l'ancien aient totalement disparu. Mais rappelez-vous le temps d'où nous venons quand même. Dans ce premier temps d'observation, il n'est jamais question de ce qui, à travers le corps, nous fait humain. Je ne résiste pas au plaisir, ici pour finir, de citer un auteur japonais peu connu, Natsume Soseki, qui écrivait à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, dans un fort joli livre intitulé Je suis un chat où parle à la première personne un chat d'intellectuel qui juge son monde avec un humour sans pareil. Il écrit, je cite, Toute la recherche que fait l'homme n'a que l'homme pour objet. Les cieux et la terre, les montagnes et les rivières, le soleil et la lune, les étoiles et autres corps célestes ne sont que des noms différents du moi. Personne ne peut trouver d'autres objets d'étude que son moi. Et si l'homme pouvait sortir de lui-même, son moi disparaîtrait sur le champ. Or, nous le savons, nul ne sort volontairement de son moi et le corps, au sein de sa peau, a été l'objet de contemplations et d'études dès l'origine et certains des modèles qui ont été construits au fil des temps continuent de le gouverner. À nous, historiens et anthropologues, de savoir bien les discernir. Merci.