Isabelle WagnerOn va rappeler le jour de naissance de Céline Ripoll, c'est le 8 mars 1977, la date où l'ONU officialise la journée de lutte pour les droits des femmes. Et au même moment, vous naissez à Berlin, un début de vie assez téléguidé. Ça vous fait rire en plus.
Céline Ripoll : Oui, parce que c'est ça, on parle de ce qu'on appelle le déterminisme. À un moment, tout le monde dit « ah bah pourquoi moi, pourquoi moi, pourquoi moi ? » Et vas-y, cherche ! Alors moi, je les accumule. 8 mars 1977, Berlin. Il faut quand même comprendre ce que c'est Berlin. Comme ville à l'époque, en 1977, c'est la guerre froide, c'est le mur, une ville écartelée. Il faut comprendre ce que c'est Berlin en 1945, quand les soviétiques arrivent, deux millions de femmes à Berlin, toutes violées. C'est une ville où sur les murs, il y a encore ces hurlements, c'est là où on a donné les ordres les plus immondes du monde. Moi, comme je dis, Berlin, c'est une ville... à en regretter d'être un humain, cette ville-là en 1977. Bon, après, il y a d'autres choses. Moi, je suis née, je suis morte, on me réanime. Oui, oui, oui, on m'emmène. C'est de là que vient l'énergie de la survie. On m'emmène dans un hôpital militaire, je passe 15 jours à l'isolement, comme dit Boris Cyrulnik, isolement sensoriel et affectif. C'est un effroi majeur pour un bébé. Et en fait, moi, j'y survis à ça. Donc, je pense que mon programme, ma programmation, elle est là. Elle est dans ses premières 24 heures. Voilà peut-être pourquoi, quand j'arrive effectivement sur l'île de Pâques, où tout n'est que survie, où tout n'est que chaos, comme Berlin, voilà pourquoi je me sens presque chez moi. Moi, ce n'est pas un mur, c'est un continent. C'est toute l'Amérique qui vient me séparer entre ma terre. Et la terre de cet homme, comme mon père va faire un mur en moi entre l'amour que j'ai pour ma mère et l'amour que j'ai pour mon père, c'est toujours des traversées à l'extrême. Et finalement, c'est ce que je vais vivre, c'est cet extrême-là. Et pourquoi j'ai besoin de le vivre ? Parce que personne ne l'a nommé, personne ne l'a décodé. Je ne l'ai moi-même jamais décodé avant de faire cette psychothérapie. comprendre ce qui nous construit, de quoi nous sommes faits, nos héritages. Je me suis depuis formée en psychogénéalogie, donc tout ce qui est le transgénérationnel et les constellations familiales. Je fais moi-même ce genre de choses. Raconter des histoires, quand on disait passeuse d'histoire, en fait je les convoque ces histoires, comme je vais convoquer l'histoire de quelqu'un ou la mienne pour qu'elles se revivent. qu'elles atterrissent et qu'on les solutionne. Et c'est ça, pour moi, la grande problématique. C'est qu'on voyait bien qu'il n'y avait que des morceaux de ruines qui venaient fabriquer ma vie. Et moi, j'essayais, comme dans le kintsugi, de recoller tout ça avec de l'or, parce que moi, mon énergie, ma création, mon plaisir, mon amour, j'ai vraiment un amour et une foi dans la vie. C'était de l'or qui venait coller tous les morceaux de ruines qu'on me refilait. Mais personne ne m'avait rien expliqué, ce n'était pas l'époque. On n'était pas dans une époque où on parlait comme aujourd'hui. Moi, la première fois que j'ai entendu parler de psychothérapeutes spécialisés dans les traumas de guerre, j'ai dit « Oh, c'est ça qu'il me faut ! » Parce que ma vie, c'était une guerre. Je suis née dans une ville en ruine par la guerre. Je suis née avec un... père militaire et espion qui m'a fait vivre une guerre. J'ai vécu sur une île en ruine. J'ai vraiment eu l'impression de toujours avancer dans ma vie comme dans une tranchée. C'est très impressionnant cette sensation. Effectivement, on peut y arriver. Il faut bien comprendre qu'on est comme dans le château de Barbebleu. Il y a 300 portes, il y a 300 clés. Il faut toutes les ouvrir. Il faut toutes les visiter, il faut tout combattre, soigner, apaiser. C'est long, on replonge, ça fait très peur de replonger. Sauf que tout d'un coup on se dit « je reviens » . Ça a duré que trois jours. Et puis après, c'est pas possible, qu'est-ce qui m'arrive ? Je deviens folle, qu'est-ce que je fais ? Je saute par la fenêtre ? Non, ça va passer. Et c'est passé. Ça a duré qu'une journée. Et en fait, il faut apprendre aussi. Il y a des tas de techniques pour faire passer ses idées. Et puis, affronter les problèmes et les solutionner. C'est très dur. On en parle depuis très peu de temps. On est dans un pays où les choses ne sont pas simples. Trouver un logement. Un logement pour une maman avec ses gamins. Les problèmes de pension alimentaire. La réalité des salaires. Moi, en plus, en rentrant en France, je n'ai pas le père à la limite avec qui je pourrais laisser mes filles. Non, je suis toute seule. Donc, pour partir faire mes spectacles, pour s'organiser, etc. Heureusement, j'ai ma mère qui m'aide. C'est extrêmement compliqué. Et puis, il faut aussi comprendre que dans la construction psychologique, moi je me suis toujours construite dans la lutte. Ce sont aussi des mécanismes où il faut accepter de ne plus être dans la lutte. Mais alors qui je suis si je ne lutte plus ? Qui je suis si je ne suis pas la victime ? Est-ce que je me connais autrement ? Il faut vraiment comprendre que ce n'est pas parce qu'on veut On peut, bien sûr, mais il faut comprendre qu'il va falloir reprogrammer son cerveau. Et une fois que vous avez compris qu'à un moment, il y a des ponts qui se sont faits, des chemins, à force de prendre toujours les mêmes chemins, ils se sont tellement tracés dans la tête, si on veut les changer, on peut les changer. Mais il faut travailler, ça ne se fait pas tout seul. Et c'est un vrai travail au quotidien. Au quotidien. Et c'est une... Il faut de la volonté, beaucoup de volonté. Et oui, on y arrive, bien sûr. Par contre, il y a des choses de trauma qui restent, qui mettent plus ou moins de temps à disparaître. Moi, il y a des choses... Le 31 décembre est encore une date absolument impossible pour moi. Absolument impossible. Voilà, ce sont des choses qu'il faut soigner au fur et à mesure. Et puis, il faut accepter d'avoir ses failles et d'être encore mancale et d'être boiteuse. Comme me disait une copine, tu vois, le vitrail, c'est beau aussi. Quand on est cassé, ça fait plein de reflets. C'est vrai, c'est vrai. Il faut l'accepter, il faut l'accepter. Et puis, encore une dernière chose, il y en aurait plein, mais c'est aussi comprendre que la société nous a mis à nous, je parle des femmes essentiellement, dans une certaine construction et dans une image, qui par exemple pour moi, qui ai grandi dans ces années 80 et 90, une femme seule, On devait se construire quand même avec un gars, un mec, etc. Le bon, le mauvais garçon. On a été nourris et bercés par ces images-là. Le cow-boy, ces images-là de films. John Wayne.
Céline RipollAh oui, John Wayne. Et d'ailleurs, les cow-boys seront présents dans le spectacle. Oui, ils seront présents. Au jour d'aujourd'hui, il faut... Il faut absolument montrer qu'il existe d'autres manières de vivre. Être seule et véritablement heureuse et en paix, eh bien, ça existe. Ça existe. C'est pour moi une grande découverte. Je le dis, mais c'est une grande découverte. Et puis une grande joie. Toutes ces mauvaises roses offertes. Et ces filles qui vont y croire. « Ah, il m'a offert une rose ! » Et puis qui après vont se la prendre dans la figure. Mais fuyez, fuyez, fuyez. Et toute seule, c'est très compliqué. C'est comme si on avait toujours marché avec des béquilles ou un déambulateur. Et puis là, on vous dit « Allez, vas-y ! » Vas-y, tu as les jambes cassées, tu as les bras cassés, tu as la colonne vertébrale pétée, vas-y, reste tout droite, vas-y, avance toute seule. Eh bien oui, on y arrive. Mais il faut s'entourer, il faut aller voir des professionnels. Ce n'est pas la copine qui va vous sauver, c'est des professionnels qui vont vous sauver parce qu'ils comprennent les mécanismes, et psychologiques, mais aussi les mécanismes qu'on appelle notamment des neurosciences. C'est ce que j'expliquais, il faut reprogrammer le cerveau, et ça ne se fait pas tout seul. Il y a des techniques, il y a des choses, et tout ça c'est prouvé scientifiquement. Et vraiment, il faut aller voir, se faire entourer. C'est un budget, se faire soigner, c'est un budget. Mais je peux vous dire qu'on est gagnante.