4) Céline Ripoll, de l'enfance à la femme victime de violences conjugales cover
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Les balades d'Isa

4) Céline Ripoll, de l'enfance à la femme victime de violences conjugales

4) Céline Ripoll, de l'enfance à la femme victime de violences conjugales

11min |23/02/2025|

17

Play
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4) Céline Ripoll, de l'enfance à la femme victime de violences conjugales

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11min |23/02/2025|

17

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Description

Série : Céline Ripoll, raconte la violence conjugale dans un spectacle (quatrième épisode)

Comment tenir lorsque la vie familiale est en réalité un enfer ? Céline Ripoll a fait de ces treize années de souffrance, un spectacle. Dans ce quatrième podcast, Céline explique son enfance auprès d'un père lui aussi dans une forme de violence.

Les violences intrafamiliales, touchant principalement les femmes et les enfants, représentent un fléau aux conséquences dramatiques sur les victimes. Elles engendrent des traumatismes profonds, fragilisent la santé mentale et physique des victimes, et peuvent même mener au décès.

Le récit de Céline Ripoll est glaçant, aujourd'hui elle témoigne sur scène. Son spectacle présenté le 29 mai 2025 au Festival Cap Breton se nomme "Née le 8 mars 1977". Pour mieux connaitre cette artiste, allez voir sur le site : https://celineripoll.com/

Musique libre de droits Amaski Night détective, Luca Francini solitude et glossy de Coma média.

@Isabelle Wagner créatrice et autrice de la collection Podcast "Les balades d'Isa"


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Isabelle Wagner

    Céline Ripoll, vous nous parlez de cette violence conjugale vécue sur l'île de Pâques.

  • Céline Ripoll

    Alors comment on tient ? Alors, moi j'ai été quand même à bonne école dans mon enfance. Et je pense qu'on m'a donné tous les outils pour tenir quand j'étais petite.

  • Isabelle Wagner

    C'est-à-dire ? Papa a été aussi violent ?

  • Céline Ripoll

    Oui, mais pas physiquement. Mon père... Comment vous... Par quoi commencer ? Il y a tellement de choses. Je coche... tellement de cases. C'est terrible. Mon père était un espion français. On vivait en Allemagne. Il était dans les transmissions. Et quand on rentre en France, moi j'ai 5 ans, et ma mère divorce enfin elle part pour quelqu'un d'autre et donc mon père va rentrer dans ce qu'on appelle le contrôle coercitif c'est-à-dire il va rentrer dans mon esprit et celui de mon frère et il va nous manipuler complètement nous allons devenir son arme pour venir saboter le nouveau couple de ma mère il y a comme ça tout un système qui se met en place ce bon père de famille qui veut absolument notre garde et qui est capable de tout pour l'obtenir. D'abord, il nous fait détester ma mère et son nouveau compagnon. Puis, il y a tout un tas de choses, de violences qui se mettent en place. On apprend, avec mon frère, on est tout petit. Moi, je dois avoir 7-8 ans, j'apprends à tirer avec des pistolets. Et puis, la veine de l'enriff, on ne sait jamais, ça peut servir. Mon père, qui était dans l'armée, nous enseigne ce qu'il appelait lui à l'époque le close combat, c'est l'équivalent du Krav Maga aujourd'hui. Voilà, donc voilà, il faut taper là, il faut taper là, il faut taper là. Sauf qu'il ne nous entraîne pas à taper, lui nous fait subir les choses. Mais il ne m'apprend pas à réagir. Il nous apprend le morse, j'apprends le morse, donc j'apprends à envoyer des messages codés, etc. Il nous apprend à faire des nœuds avec des draps pour faire une fugue, tout ça. sauf que tout ça, ça va dévier ça va dériver il obtient la garde on fait des lettres au juge, on fait des lettres au président on se barricade dans la maison c'est des trucs c'est des trucs terribles et c'est un homme qui avait une belle manière de parler et donc toujours, il avait des grands discours etc, c'est toujours lui qui avait raison toujours par rapport à la justice ses petits juges, etc Il va obtenir la garde qu'il va perdre au bout de quelques mois, parce que si l'un de ses grands discours c'est « je ne paierai pas de pension alimentaire, je ne vais surtout pas payer à cette femme, d'ailleurs qu'il n'appellera plus jamais par son prénom, et dans mon spectacle je le dis. » Tous les jours quand je rentrais à la maison, il fallait que je fasse l'interrogatoire. Ils venaient nous chercher après l'école, c'était l'interrogatoire. Il fallait que je dise minutieusement tout ce que j'avais fait la veille. Pendant dix ans, je n'entendrai jamais son prénom. Tout ça, ce sont des choses, on va passer devant des psychologues, des assistantes sociales à l'époque. Les gens vont détecter, mais ne vont rien dire, ne peuvent pas agir. Ils disent que c'est plus dangereux de nous retirer à cet homme que de rester. Et d'ailleurs, quand mon père va voir la garde, c'est l'humiliation totale. Il s'en organisait partout, c'est lui qui a la garde, sauf qu'au bout de quelques mois, la garde lui est retirée. Et là, il décide, puisque c'est comme ça, il va se venger. Et donc il décide ce qu'on aura appelé à l'époque, ce qu'on va appeler à l'époque, le suicide familial. Donc, il va nous faire écrire ce qu'on appelle des lettres de condamnés. Il va nous faire écrire, donc on va écrire au juge pour lui dire que c'est sa faute, on va écrire à nos copains de classe en disant que, vous voyez, puisque le juge n'a pas donné la garde, on vous dit au revoir, on va écrire à notre mère, surtout parce qu'il fallait que ça allonge, il fallait qu'elle encre. Et on va faire comme ça la tournée des bars, des endroits qu'il connaissait, tout ça. Il va dire « aujourd'hui je vais faire une connerie, je vais faire une connerie, je vais faire une connerie » . Et puis il y a quelqu'un qui va le croire et qui va appeler la police. Et vers 6h du soir, la police va venir nous chercher et va nous sauver. Sauf que le lendemain... On retourne à l'école et on retourne chez notre père, comme si de rien n'était. Et elle est là la faille. Je vous parle de ça, on est dans les années 87-88. Personne ne nous explique. On ne sépare pas les enfants d'un père normal, un père déviant. Et moi c'est juste cet adjectif qui me manque et qui fait que moi je vais rester avec cet homme. donc le père de mes filles, parce qu'on ne sépare pas des enfants d'un père. Sauf qu'il me manque le mot déviant. Et bien sûr qu'il est déviant cet homme, mais comme moi on ne m'a pas séparé de mon père, je ne vois pas pourquoi, et l'histoire se répète. Et la vie est fantastique parce qu'elle te le resserre jusqu'à ce que tu le comprennes. Et donc c'est pour ça que je disais que j'étais à bonne école. C'est-à-dire que j'ai tenu plus de dix ans dans ce que j'appelle la secte familiale. Avec cette torture quotidienne de mon père, il fallait tenir, etc. Puis à 15 ans, je pars en internat faire mes études d'art à Bordeaux. Voilà peut-être aussi là où j'ai trouvé la force et cet espoir. Moi, j'ai vraiment un espoir. Puis j'ai un amour pour les gens et je ne vois pas le mal, puisque je n'ai pas ce mal en moi. Donc je ne pouvais pas penser qu'un jour, ils ne puissent pas revenir dans une normalité. En fait, non. Parce qu'il est déviant. Il est déviant, déjà, lui, dans son histoire, etc. Mais tout ça, je ne l'avais pas compris. Donc, il y a effectivement tout un tas de techniques qui font qu'on tient bon l'adaptation. Bien sûr, adaptation vestimentaire, on ne parle plus aux gens, on ne sort pas, etc. Je me suis énormément focalisée sur ma fille, puis sur la deuxième qui est arrivée, quatre ans après. J'avais beaucoup de travail, j'avais une maison d'édition, j'étais guide sur l'île, j'avais des maisons d'hôtes, un jardin, des poules, des Ausha, enfin, beaucoup de choses. J'ai rempli ma vie avec des journées de 18 heures. J'avais quelque part une chance, c'est qu'il rentrait tard. Il n'était à la maison que quelques heures. Donc c'était quelques heures d'angoisse extrême. Je dormais d'ailleurs extrêmement peu. Et en fait, j'avais toute une stratégie d'évitement. C'est-à-dire, j'avais appris, je me déplaçais dans la maison, je savais comment ne pas faire grincer les lattes du plancher. Par contre, je savais où il était lui, suivant comment les lattes du plancher. J'observais, j'avais des techniques pour observer, etc. Et puis, dans la journée, si jamais il revenait à la maison, qu'on se croisait, parce qu'il faut bien comprendre, on n'a pas des métiers classiques comme ici en France. Alors lui, il gardait des vaches dans un endroit qui s'appelait Poiké. Il était agriculteur, c'est pour ça que j'ai acheté un tracteur d'ailleurs. Et puis ils vivaient. Et donc, de temps en temps, ils rentraient vers 5h de l'après-midi, donc on se voyait. Bon, ben là, il y a toute une stratégie de comment on parle. On fait presque de la communication non-violente, pour être sûre que... Mais en fait, avec ces gens-là, il y a toujours un prétexte pour que ça explose. Et quand ça explose, je me défendais. Je me défendais avec des arguments. On n'en venait pas toujours aux mains. Moi, je n'étais pas frappée tous les jours. Par contre, des tensions tous les jours. Et je vivais ce qu'on appelle un hyper-alerte. C'est-à-dire que le bruit du moteur, paf ! Tous les muscles qui se contractent, une boule dans la poitrine. Quand je voyais l'heure, je savais à peu près que c'était ça, etc. Un truc qui traînait, il fallait vite le ranger. Si, ça, ça, ça. Et c'est des systèmes d'adaptation qui viennent par couches extrêmement fines. C'est comme des... des papiers calques. Et donc, vous avez un premier papier calque sur vous, puis un deuxième. Et vous finissez par disparaître derrière tous ces papiers calques, parce que tous multipliés, il n'y a plus rien qui est transparent. Il n'y a plus rien de vous qui transparaît. Vous êtes à l'image qu'il essaye de... Et le problème, c'est que j'étais trop performante. J'étais trop performante. Et finalement, il en est devenu, il est revenu plus tard dans une agressivité. Parce qu'il n'avait plus rien sur lequel me bloquer. Et là, ce n'était pas possible. Et donc, les coups ont recommencé jusqu'à cette fameuse nuit du 31 décembre 2019, c'est-à-dire sept ans après le premier coup de poing dans la figure, où là... je vais partir danser et quand je vais rentrer toute seule je danse sur la place du village avec tout le monde et là quand je vais rentrer lui il est pas parti avec ses copains il m'a attendu c'est la première fois qu'il m'attendait il est complètement fou et il me hurle dessus et je vois ses yeux je comprends je comprends que là il a la même rage qu'autrefois Il part dans le salon, moi j'attrape les clés de ma voiture, je rentre dans la voiture, et au moment où je fais ma marche arrière, où les phares éclairent le chemin, il sort, il saute le petit muret que nous avons. Au moment où il s'appuie sur le muret, il attrape deux pierres, et il remonte vers la voiture, et il va pour m'écraser les pierres sur le visage. Et moi j'accélère. Et je pars. Et là, je me dis, c'est plus possible.

Description

Série : Céline Ripoll, raconte la violence conjugale dans un spectacle (quatrième épisode)

Comment tenir lorsque la vie familiale est en réalité un enfer ? Céline Ripoll a fait de ces treize années de souffrance, un spectacle. Dans ce quatrième podcast, Céline explique son enfance auprès d'un père lui aussi dans une forme de violence.

Les violences intrafamiliales, touchant principalement les femmes et les enfants, représentent un fléau aux conséquences dramatiques sur les victimes. Elles engendrent des traumatismes profonds, fragilisent la santé mentale et physique des victimes, et peuvent même mener au décès.

Le récit de Céline Ripoll est glaçant, aujourd'hui elle témoigne sur scène. Son spectacle présenté le 29 mai 2025 au Festival Cap Breton se nomme "Née le 8 mars 1977". Pour mieux connaitre cette artiste, allez voir sur le site : https://celineripoll.com/

Musique libre de droits Amaski Night détective, Luca Francini solitude et glossy de Coma média.

@Isabelle Wagner créatrice et autrice de la collection Podcast "Les balades d'Isa"


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Isabelle Wagner

    Céline Ripoll, vous nous parlez de cette violence conjugale vécue sur l'île de Pâques.

  • Céline Ripoll

    Alors comment on tient ? Alors, moi j'ai été quand même à bonne école dans mon enfance. Et je pense qu'on m'a donné tous les outils pour tenir quand j'étais petite.

  • Isabelle Wagner

    C'est-à-dire ? Papa a été aussi violent ?

  • Céline Ripoll

    Oui, mais pas physiquement. Mon père... Comment vous... Par quoi commencer ? Il y a tellement de choses. Je coche... tellement de cases. C'est terrible. Mon père était un espion français. On vivait en Allemagne. Il était dans les transmissions. Et quand on rentre en France, moi j'ai 5 ans, et ma mère divorce enfin elle part pour quelqu'un d'autre et donc mon père va rentrer dans ce qu'on appelle le contrôle coercitif c'est-à-dire il va rentrer dans mon esprit et celui de mon frère et il va nous manipuler complètement nous allons devenir son arme pour venir saboter le nouveau couple de ma mère il y a comme ça tout un système qui se met en place ce bon père de famille qui veut absolument notre garde et qui est capable de tout pour l'obtenir. D'abord, il nous fait détester ma mère et son nouveau compagnon. Puis, il y a tout un tas de choses, de violences qui se mettent en place. On apprend, avec mon frère, on est tout petit. Moi, je dois avoir 7-8 ans, j'apprends à tirer avec des pistolets. Et puis, la veine de l'enriff, on ne sait jamais, ça peut servir. Mon père, qui était dans l'armée, nous enseigne ce qu'il appelait lui à l'époque le close combat, c'est l'équivalent du Krav Maga aujourd'hui. Voilà, donc voilà, il faut taper là, il faut taper là, il faut taper là. Sauf qu'il ne nous entraîne pas à taper, lui nous fait subir les choses. Mais il ne m'apprend pas à réagir. Il nous apprend le morse, j'apprends le morse, donc j'apprends à envoyer des messages codés, etc. Il nous apprend à faire des nœuds avec des draps pour faire une fugue, tout ça. sauf que tout ça, ça va dévier ça va dériver il obtient la garde on fait des lettres au juge, on fait des lettres au président on se barricade dans la maison c'est des trucs c'est des trucs terribles et c'est un homme qui avait une belle manière de parler et donc toujours, il avait des grands discours etc, c'est toujours lui qui avait raison toujours par rapport à la justice ses petits juges, etc Il va obtenir la garde qu'il va perdre au bout de quelques mois, parce que si l'un de ses grands discours c'est « je ne paierai pas de pension alimentaire, je ne vais surtout pas payer à cette femme, d'ailleurs qu'il n'appellera plus jamais par son prénom, et dans mon spectacle je le dis. » Tous les jours quand je rentrais à la maison, il fallait que je fasse l'interrogatoire. Ils venaient nous chercher après l'école, c'était l'interrogatoire. Il fallait que je dise minutieusement tout ce que j'avais fait la veille. Pendant dix ans, je n'entendrai jamais son prénom. Tout ça, ce sont des choses, on va passer devant des psychologues, des assistantes sociales à l'époque. Les gens vont détecter, mais ne vont rien dire, ne peuvent pas agir. Ils disent que c'est plus dangereux de nous retirer à cet homme que de rester. Et d'ailleurs, quand mon père va voir la garde, c'est l'humiliation totale. Il s'en organisait partout, c'est lui qui a la garde, sauf qu'au bout de quelques mois, la garde lui est retirée. Et là, il décide, puisque c'est comme ça, il va se venger. Et donc il décide ce qu'on aura appelé à l'époque, ce qu'on va appeler à l'époque, le suicide familial. Donc, il va nous faire écrire ce qu'on appelle des lettres de condamnés. Il va nous faire écrire, donc on va écrire au juge pour lui dire que c'est sa faute, on va écrire à nos copains de classe en disant que, vous voyez, puisque le juge n'a pas donné la garde, on vous dit au revoir, on va écrire à notre mère, surtout parce qu'il fallait que ça allonge, il fallait qu'elle encre. Et on va faire comme ça la tournée des bars, des endroits qu'il connaissait, tout ça. Il va dire « aujourd'hui je vais faire une connerie, je vais faire une connerie, je vais faire une connerie » . Et puis il y a quelqu'un qui va le croire et qui va appeler la police. Et vers 6h du soir, la police va venir nous chercher et va nous sauver. Sauf que le lendemain... On retourne à l'école et on retourne chez notre père, comme si de rien n'était. Et elle est là la faille. Je vous parle de ça, on est dans les années 87-88. Personne ne nous explique. On ne sépare pas les enfants d'un père normal, un père déviant. Et moi c'est juste cet adjectif qui me manque et qui fait que moi je vais rester avec cet homme. donc le père de mes filles, parce qu'on ne sépare pas des enfants d'un père. Sauf qu'il me manque le mot déviant. Et bien sûr qu'il est déviant cet homme, mais comme moi on ne m'a pas séparé de mon père, je ne vois pas pourquoi, et l'histoire se répète. Et la vie est fantastique parce qu'elle te le resserre jusqu'à ce que tu le comprennes. Et donc c'est pour ça que je disais que j'étais à bonne école. C'est-à-dire que j'ai tenu plus de dix ans dans ce que j'appelle la secte familiale. Avec cette torture quotidienne de mon père, il fallait tenir, etc. Puis à 15 ans, je pars en internat faire mes études d'art à Bordeaux. Voilà peut-être aussi là où j'ai trouvé la force et cet espoir. Moi, j'ai vraiment un espoir. Puis j'ai un amour pour les gens et je ne vois pas le mal, puisque je n'ai pas ce mal en moi. Donc je ne pouvais pas penser qu'un jour, ils ne puissent pas revenir dans une normalité. En fait, non. Parce qu'il est déviant. Il est déviant, déjà, lui, dans son histoire, etc. Mais tout ça, je ne l'avais pas compris. Donc, il y a effectivement tout un tas de techniques qui font qu'on tient bon l'adaptation. Bien sûr, adaptation vestimentaire, on ne parle plus aux gens, on ne sort pas, etc. Je me suis énormément focalisée sur ma fille, puis sur la deuxième qui est arrivée, quatre ans après. J'avais beaucoup de travail, j'avais une maison d'édition, j'étais guide sur l'île, j'avais des maisons d'hôtes, un jardin, des poules, des Ausha, enfin, beaucoup de choses. J'ai rempli ma vie avec des journées de 18 heures. J'avais quelque part une chance, c'est qu'il rentrait tard. Il n'était à la maison que quelques heures. Donc c'était quelques heures d'angoisse extrême. Je dormais d'ailleurs extrêmement peu. Et en fait, j'avais toute une stratégie d'évitement. C'est-à-dire, j'avais appris, je me déplaçais dans la maison, je savais comment ne pas faire grincer les lattes du plancher. Par contre, je savais où il était lui, suivant comment les lattes du plancher. J'observais, j'avais des techniques pour observer, etc. Et puis, dans la journée, si jamais il revenait à la maison, qu'on se croisait, parce qu'il faut bien comprendre, on n'a pas des métiers classiques comme ici en France. Alors lui, il gardait des vaches dans un endroit qui s'appelait Poiké. Il était agriculteur, c'est pour ça que j'ai acheté un tracteur d'ailleurs. Et puis ils vivaient. Et donc, de temps en temps, ils rentraient vers 5h de l'après-midi, donc on se voyait. Bon, ben là, il y a toute une stratégie de comment on parle. On fait presque de la communication non-violente, pour être sûre que... Mais en fait, avec ces gens-là, il y a toujours un prétexte pour que ça explose. Et quand ça explose, je me défendais. Je me défendais avec des arguments. On n'en venait pas toujours aux mains. Moi, je n'étais pas frappée tous les jours. Par contre, des tensions tous les jours. Et je vivais ce qu'on appelle un hyper-alerte. C'est-à-dire que le bruit du moteur, paf ! Tous les muscles qui se contractent, une boule dans la poitrine. Quand je voyais l'heure, je savais à peu près que c'était ça, etc. Un truc qui traînait, il fallait vite le ranger. Si, ça, ça, ça. Et c'est des systèmes d'adaptation qui viennent par couches extrêmement fines. C'est comme des... des papiers calques. Et donc, vous avez un premier papier calque sur vous, puis un deuxième. Et vous finissez par disparaître derrière tous ces papiers calques, parce que tous multipliés, il n'y a plus rien qui est transparent. Il n'y a plus rien de vous qui transparaît. Vous êtes à l'image qu'il essaye de... Et le problème, c'est que j'étais trop performante. J'étais trop performante. Et finalement, il en est devenu, il est revenu plus tard dans une agressivité. Parce qu'il n'avait plus rien sur lequel me bloquer. Et là, ce n'était pas possible. Et donc, les coups ont recommencé jusqu'à cette fameuse nuit du 31 décembre 2019, c'est-à-dire sept ans après le premier coup de poing dans la figure, où là... je vais partir danser et quand je vais rentrer toute seule je danse sur la place du village avec tout le monde et là quand je vais rentrer lui il est pas parti avec ses copains il m'a attendu c'est la première fois qu'il m'attendait il est complètement fou et il me hurle dessus et je vois ses yeux je comprends je comprends que là il a la même rage qu'autrefois Il part dans le salon, moi j'attrape les clés de ma voiture, je rentre dans la voiture, et au moment où je fais ma marche arrière, où les phares éclairent le chemin, il sort, il saute le petit muret que nous avons. Au moment où il s'appuie sur le muret, il attrape deux pierres, et il remonte vers la voiture, et il va pour m'écraser les pierres sur le visage. Et moi j'accélère. Et je pars. Et là, je me dis, c'est plus possible.

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Série : Céline Ripoll, raconte la violence conjugale dans un spectacle (quatrième épisode)

Comment tenir lorsque la vie familiale est en réalité un enfer ? Céline Ripoll a fait de ces treize années de souffrance, un spectacle. Dans ce quatrième podcast, Céline explique son enfance auprès d'un père lui aussi dans une forme de violence.

Les violences intrafamiliales, touchant principalement les femmes et les enfants, représentent un fléau aux conséquences dramatiques sur les victimes. Elles engendrent des traumatismes profonds, fragilisent la santé mentale et physique des victimes, et peuvent même mener au décès.

Le récit de Céline Ripoll est glaçant, aujourd'hui elle témoigne sur scène. Son spectacle présenté le 29 mai 2025 au Festival Cap Breton se nomme "Née le 8 mars 1977". Pour mieux connaitre cette artiste, allez voir sur le site : https://celineripoll.com/

Musique libre de droits Amaski Night détective, Luca Francini solitude et glossy de Coma média.

@Isabelle Wagner créatrice et autrice de la collection Podcast "Les balades d'Isa"


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Isabelle Wagner

    Céline Ripoll, vous nous parlez de cette violence conjugale vécue sur l'île de Pâques.

  • Céline Ripoll

    Alors comment on tient ? Alors, moi j'ai été quand même à bonne école dans mon enfance. Et je pense qu'on m'a donné tous les outils pour tenir quand j'étais petite.

  • Isabelle Wagner

    C'est-à-dire ? Papa a été aussi violent ?

  • Céline Ripoll

    Oui, mais pas physiquement. Mon père... Comment vous... Par quoi commencer ? Il y a tellement de choses. Je coche... tellement de cases. C'est terrible. Mon père était un espion français. On vivait en Allemagne. Il était dans les transmissions. Et quand on rentre en France, moi j'ai 5 ans, et ma mère divorce enfin elle part pour quelqu'un d'autre et donc mon père va rentrer dans ce qu'on appelle le contrôle coercitif c'est-à-dire il va rentrer dans mon esprit et celui de mon frère et il va nous manipuler complètement nous allons devenir son arme pour venir saboter le nouveau couple de ma mère il y a comme ça tout un système qui se met en place ce bon père de famille qui veut absolument notre garde et qui est capable de tout pour l'obtenir. D'abord, il nous fait détester ma mère et son nouveau compagnon. Puis, il y a tout un tas de choses, de violences qui se mettent en place. On apprend, avec mon frère, on est tout petit. Moi, je dois avoir 7-8 ans, j'apprends à tirer avec des pistolets. Et puis, la veine de l'enriff, on ne sait jamais, ça peut servir. Mon père, qui était dans l'armée, nous enseigne ce qu'il appelait lui à l'époque le close combat, c'est l'équivalent du Krav Maga aujourd'hui. Voilà, donc voilà, il faut taper là, il faut taper là, il faut taper là. Sauf qu'il ne nous entraîne pas à taper, lui nous fait subir les choses. Mais il ne m'apprend pas à réagir. Il nous apprend le morse, j'apprends le morse, donc j'apprends à envoyer des messages codés, etc. Il nous apprend à faire des nœuds avec des draps pour faire une fugue, tout ça. sauf que tout ça, ça va dévier ça va dériver il obtient la garde on fait des lettres au juge, on fait des lettres au président on se barricade dans la maison c'est des trucs c'est des trucs terribles et c'est un homme qui avait une belle manière de parler et donc toujours, il avait des grands discours etc, c'est toujours lui qui avait raison toujours par rapport à la justice ses petits juges, etc Il va obtenir la garde qu'il va perdre au bout de quelques mois, parce que si l'un de ses grands discours c'est « je ne paierai pas de pension alimentaire, je ne vais surtout pas payer à cette femme, d'ailleurs qu'il n'appellera plus jamais par son prénom, et dans mon spectacle je le dis. » Tous les jours quand je rentrais à la maison, il fallait que je fasse l'interrogatoire. Ils venaient nous chercher après l'école, c'était l'interrogatoire. Il fallait que je dise minutieusement tout ce que j'avais fait la veille. Pendant dix ans, je n'entendrai jamais son prénom. Tout ça, ce sont des choses, on va passer devant des psychologues, des assistantes sociales à l'époque. Les gens vont détecter, mais ne vont rien dire, ne peuvent pas agir. Ils disent que c'est plus dangereux de nous retirer à cet homme que de rester. Et d'ailleurs, quand mon père va voir la garde, c'est l'humiliation totale. Il s'en organisait partout, c'est lui qui a la garde, sauf qu'au bout de quelques mois, la garde lui est retirée. Et là, il décide, puisque c'est comme ça, il va se venger. Et donc il décide ce qu'on aura appelé à l'époque, ce qu'on va appeler à l'époque, le suicide familial. Donc, il va nous faire écrire ce qu'on appelle des lettres de condamnés. Il va nous faire écrire, donc on va écrire au juge pour lui dire que c'est sa faute, on va écrire à nos copains de classe en disant que, vous voyez, puisque le juge n'a pas donné la garde, on vous dit au revoir, on va écrire à notre mère, surtout parce qu'il fallait que ça allonge, il fallait qu'elle encre. Et on va faire comme ça la tournée des bars, des endroits qu'il connaissait, tout ça. Il va dire « aujourd'hui je vais faire une connerie, je vais faire une connerie, je vais faire une connerie » . Et puis il y a quelqu'un qui va le croire et qui va appeler la police. Et vers 6h du soir, la police va venir nous chercher et va nous sauver. Sauf que le lendemain... On retourne à l'école et on retourne chez notre père, comme si de rien n'était. Et elle est là la faille. Je vous parle de ça, on est dans les années 87-88. Personne ne nous explique. On ne sépare pas les enfants d'un père normal, un père déviant. Et moi c'est juste cet adjectif qui me manque et qui fait que moi je vais rester avec cet homme. donc le père de mes filles, parce qu'on ne sépare pas des enfants d'un père. Sauf qu'il me manque le mot déviant. Et bien sûr qu'il est déviant cet homme, mais comme moi on ne m'a pas séparé de mon père, je ne vois pas pourquoi, et l'histoire se répète. Et la vie est fantastique parce qu'elle te le resserre jusqu'à ce que tu le comprennes. Et donc c'est pour ça que je disais que j'étais à bonne école. C'est-à-dire que j'ai tenu plus de dix ans dans ce que j'appelle la secte familiale. Avec cette torture quotidienne de mon père, il fallait tenir, etc. Puis à 15 ans, je pars en internat faire mes études d'art à Bordeaux. Voilà peut-être aussi là où j'ai trouvé la force et cet espoir. Moi, j'ai vraiment un espoir. Puis j'ai un amour pour les gens et je ne vois pas le mal, puisque je n'ai pas ce mal en moi. Donc je ne pouvais pas penser qu'un jour, ils ne puissent pas revenir dans une normalité. En fait, non. Parce qu'il est déviant. Il est déviant, déjà, lui, dans son histoire, etc. Mais tout ça, je ne l'avais pas compris. Donc, il y a effectivement tout un tas de techniques qui font qu'on tient bon l'adaptation. Bien sûr, adaptation vestimentaire, on ne parle plus aux gens, on ne sort pas, etc. Je me suis énormément focalisée sur ma fille, puis sur la deuxième qui est arrivée, quatre ans après. J'avais beaucoup de travail, j'avais une maison d'édition, j'étais guide sur l'île, j'avais des maisons d'hôtes, un jardin, des poules, des Ausha, enfin, beaucoup de choses. J'ai rempli ma vie avec des journées de 18 heures. J'avais quelque part une chance, c'est qu'il rentrait tard. Il n'était à la maison que quelques heures. Donc c'était quelques heures d'angoisse extrême. Je dormais d'ailleurs extrêmement peu. Et en fait, j'avais toute une stratégie d'évitement. C'est-à-dire, j'avais appris, je me déplaçais dans la maison, je savais comment ne pas faire grincer les lattes du plancher. Par contre, je savais où il était lui, suivant comment les lattes du plancher. J'observais, j'avais des techniques pour observer, etc. Et puis, dans la journée, si jamais il revenait à la maison, qu'on se croisait, parce qu'il faut bien comprendre, on n'a pas des métiers classiques comme ici en France. Alors lui, il gardait des vaches dans un endroit qui s'appelait Poiké. Il était agriculteur, c'est pour ça que j'ai acheté un tracteur d'ailleurs. Et puis ils vivaient. Et donc, de temps en temps, ils rentraient vers 5h de l'après-midi, donc on se voyait. Bon, ben là, il y a toute une stratégie de comment on parle. On fait presque de la communication non-violente, pour être sûre que... Mais en fait, avec ces gens-là, il y a toujours un prétexte pour que ça explose. Et quand ça explose, je me défendais. Je me défendais avec des arguments. On n'en venait pas toujours aux mains. Moi, je n'étais pas frappée tous les jours. Par contre, des tensions tous les jours. Et je vivais ce qu'on appelle un hyper-alerte. C'est-à-dire que le bruit du moteur, paf ! Tous les muscles qui se contractent, une boule dans la poitrine. Quand je voyais l'heure, je savais à peu près que c'était ça, etc. Un truc qui traînait, il fallait vite le ranger. Si, ça, ça, ça. Et c'est des systèmes d'adaptation qui viennent par couches extrêmement fines. C'est comme des... des papiers calques. Et donc, vous avez un premier papier calque sur vous, puis un deuxième. Et vous finissez par disparaître derrière tous ces papiers calques, parce que tous multipliés, il n'y a plus rien qui est transparent. Il n'y a plus rien de vous qui transparaît. Vous êtes à l'image qu'il essaye de... Et le problème, c'est que j'étais trop performante. J'étais trop performante. Et finalement, il en est devenu, il est revenu plus tard dans une agressivité. Parce qu'il n'avait plus rien sur lequel me bloquer. Et là, ce n'était pas possible. Et donc, les coups ont recommencé jusqu'à cette fameuse nuit du 31 décembre 2019, c'est-à-dire sept ans après le premier coup de poing dans la figure, où là... je vais partir danser et quand je vais rentrer toute seule je danse sur la place du village avec tout le monde et là quand je vais rentrer lui il est pas parti avec ses copains il m'a attendu c'est la première fois qu'il m'attendait il est complètement fou et il me hurle dessus et je vois ses yeux je comprends je comprends que là il a la même rage qu'autrefois Il part dans le salon, moi j'attrape les clés de ma voiture, je rentre dans la voiture, et au moment où je fais ma marche arrière, où les phares éclairent le chemin, il sort, il saute le petit muret que nous avons. Au moment où il s'appuie sur le muret, il attrape deux pierres, et il remonte vers la voiture, et il va pour m'écraser les pierres sur le visage. Et moi j'accélère. Et je pars. Et là, je me dis, c'est plus possible.

Description

Série : Céline Ripoll, raconte la violence conjugale dans un spectacle (quatrième épisode)

Comment tenir lorsque la vie familiale est en réalité un enfer ? Céline Ripoll a fait de ces treize années de souffrance, un spectacle. Dans ce quatrième podcast, Céline explique son enfance auprès d'un père lui aussi dans une forme de violence.

Les violences intrafamiliales, touchant principalement les femmes et les enfants, représentent un fléau aux conséquences dramatiques sur les victimes. Elles engendrent des traumatismes profonds, fragilisent la santé mentale et physique des victimes, et peuvent même mener au décès.

Le récit de Céline Ripoll est glaçant, aujourd'hui elle témoigne sur scène. Son spectacle présenté le 29 mai 2025 au Festival Cap Breton se nomme "Née le 8 mars 1977". Pour mieux connaitre cette artiste, allez voir sur le site : https://celineripoll.com/

Musique libre de droits Amaski Night détective, Luca Francini solitude et glossy de Coma média.

@Isabelle Wagner créatrice et autrice de la collection Podcast "Les balades d'Isa"


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Isabelle Wagner

    Céline Ripoll, vous nous parlez de cette violence conjugale vécue sur l'île de Pâques.

  • Céline Ripoll

    Alors comment on tient ? Alors, moi j'ai été quand même à bonne école dans mon enfance. Et je pense qu'on m'a donné tous les outils pour tenir quand j'étais petite.

  • Isabelle Wagner

    C'est-à-dire ? Papa a été aussi violent ?

  • Céline Ripoll

    Oui, mais pas physiquement. Mon père... Comment vous... Par quoi commencer ? Il y a tellement de choses. Je coche... tellement de cases. C'est terrible. Mon père était un espion français. On vivait en Allemagne. Il était dans les transmissions. Et quand on rentre en France, moi j'ai 5 ans, et ma mère divorce enfin elle part pour quelqu'un d'autre et donc mon père va rentrer dans ce qu'on appelle le contrôle coercitif c'est-à-dire il va rentrer dans mon esprit et celui de mon frère et il va nous manipuler complètement nous allons devenir son arme pour venir saboter le nouveau couple de ma mère il y a comme ça tout un système qui se met en place ce bon père de famille qui veut absolument notre garde et qui est capable de tout pour l'obtenir. D'abord, il nous fait détester ma mère et son nouveau compagnon. Puis, il y a tout un tas de choses, de violences qui se mettent en place. On apprend, avec mon frère, on est tout petit. Moi, je dois avoir 7-8 ans, j'apprends à tirer avec des pistolets. Et puis, la veine de l'enriff, on ne sait jamais, ça peut servir. Mon père, qui était dans l'armée, nous enseigne ce qu'il appelait lui à l'époque le close combat, c'est l'équivalent du Krav Maga aujourd'hui. Voilà, donc voilà, il faut taper là, il faut taper là, il faut taper là. Sauf qu'il ne nous entraîne pas à taper, lui nous fait subir les choses. Mais il ne m'apprend pas à réagir. Il nous apprend le morse, j'apprends le morse, donc j'apprends à envoyer des messages codés, etc. Il nous apprend à faire des nœuds avec des draps pour faire une fugue, tout ça. sauf que tout ça, ça va dévier ça va dériver il obtient la garde on fait des lettres au juge, on fait des lettres au président on se barricade dans la maison c'est des trucs c'est des trucs terribles et c'est un homme qui avait une belle manière de parler et donc toujours, il avait des grands discours etc, c'est toujours lui qui avait raison toujours par rapport à la justice ses petits juges, etc Il va obtenir la garde qu'il va perdre au bout de quelques mois, parce que si l'un de ses grands discours c'est « je ne paierai pas de pension alimentaire, je ne vais surtout pas payer à cette femme, d'ailleurs qu'il n'appellera plus jamais par son prénom, et dans mon spectacle je le dis. » Tous les jours quand je rentrais à la maison, il fallait que je fasse l'interrogatoire. Ils venaient nous chercher après l'école, c'était l'interrogatoire. Il fallait que je dise minutieusement tout ce que j'avais fait la veille. Pendant dix ans, je n'entendrai jamais son prénom. Tout ça, ce sont des choses, on va passer devant des psychologues, des assistantes sociales à l'époque. Les gens vont détecter, mais ne vont rien dire, ne peuvent pas agir. Ils disent que c'est plus dangereux de nous retirer à cet homme que de rester. Et d'ailleurs, quand mon père va voir la garde, c'est l'humiliation totale. Il s'en organisait partout, c'est lui qui a la garde, sauf qu'au bout de quelques mois, la garde lui est retirée. Et là, il décide, puisque c'est comme ça, il va se venger. Et donc il décide ce qu'on aura appelé à l'époque, ce qu'on va appeler à l'époque, le suicide familial. Donc, il va nous faire écrire ce qu'on appelle des lettres de condamnés. Il va nous faire écrire, donc on va écrire au juge pour lui dire que c'est sa faute, on va écrire à nos copains de classe en disant que, vous voyez, puisque le juge n'a pas donné la garde, on vous dit au revoir, on va écrire à notre mère, surtout parce qu'il fallait que ça allonge, il fallait qu'elle encre. Et on va faire comme ça la tournée des bars, des endroits qu'il connaissait, tout ça. Il va dire « aujourd'hui je vais faire une connerie, je vais faire une connerie, je vais faire une connerie » . Et puis il y a quelqu'un qui va le croire et qui va appeler la police. Et vers 6h du soir, la police va venir nous chercher et va nous sauver. Sauf que le lendemain... On retourne à l'école et on retourne chez notre père, comme si de rien n'était. Et elle est là la faille. Je vous parle de ça, on est dans les années 87-88. Personne ne nous explique. On ne sépare pas les enfants d'un père normal, un père déviant. Et moi c'est juste cet adjectif qui me manque et qui fait que moi je vais rester avec cet homme. donc le père de mes filles, parce qu'on ne sépare pas des enfants d'un père. Sauf qu'il me manque le mot déviant. Et bien sûr qu'il est déviant cet homme, mais comme moi on ne m'a pas séparé de mon père, je ne vois pas pourquoi, et l'histoire se répète. Et la vie est fantastique parce qu'elle te le resserre jusqu'à ce que tu le comprennes. Et donc c'est pour ça que je disais que j'étais à bonne école. C'est-à-dire que j'ai tenu plus de dix ans dans ce que j'appelle la secte familiale. Avec cette torture quotidienne de mon père, il fallait tenir, etc. Puis à 15 ans, je pars en internat faire mes études d'art à Bordeaux. Voilà peut-être aussi là où j'ai trouvé la force et cet espoir. Moi, j'ai vraiment un espoir. Puis j'ai un amour pour les gens et je ne vois pas le mal, puisque je n'ai pas ce mal en moi. Donc je ne pouvais pas penser qu'un jour, ils ne puissent pas revenir dans une normalité. En fait, non. Parce qu'il est déviant. Il est déviant, déjà, lui, dans son histoire, etc. Mais tout ça, je ne l'avais pas compris. Donc, il y a effectivement tout un tas de techniques qui font qu'on tient bon l'adaptation. Bien sûr, adaptation vestimentaire, on ne parle plus aux gens, on ne sort pas, etc. Je me suis énormément focalisée sur ma fille, puis sur la deuxième qui est arrivée, quatre ans après. J'avais beaucoup de travail, j'avais une maison d'édition, j'étais guide sur l'île, j'avais des maisons d'hôtes, un jardin, des poules, des Ausha, enfin, beaucoup de choses. J'ai rempli ma vie avec des journées de 18 heures. J'avais quelque part une chance, c'est qu'il rentrait tard. Il n'était à la maison que quelques heures. Donc c'était quelques heures d'angoisse extrême. Je dormais d'ailleurs extrêmement peu. Et en fait, j'avais toute une stratégie d'évitement. C'est-à-dire, j'avais appris, je me déplaçais dans la maison, je savais comment ne pas faire grincer les lattes du plancher. Par contre, je savais où il était lui, suivant comment les lattes du plancher. J'observais, j'avais des techniques pour observer, etc. Et puis, dans la journée, si jamais il revenait à la maison, qu'on se croisait, parce qu'il faut bien comprendre, on n'a pas des métiers classiques comme ici en France. Alors lui, il gardait des vaches dans un endroit qui s'appelait Poiké. Il était agriculteur, c'est pour ça que j'ai acheté un tracteur d'ailleurs. Et puis ils vivaient. Et donc, de temps en temps, ils rentraient vers 5h de l'après-midi, donc on se voyait. Bon, ben là, il y a toute une stratégie de comment on parle. On fait presque de la communication non-violente, pour être sûre que... Mais en fait, avec ces gens-là, il y a toujours un prétexte pour que ça explose. Et quand ça explose, je me défendais. Je me défendais avec des arguments. On n'en venait pas toujours aux mains. Moi, je n'étais pas frappée tous les jours. Par contre, des tensions tous les jours. Et je vivais ce qu'on appelle un hyper-alerte. C'est-à-dire que le bruit du moteur, paf ! Tous les muscles qui se contractent, une boule dans la poitrine. Quand je voyais l'heure, je savais à peu près que c'était ça, etc. Un truc qui traînait, il fallait vite le ranger. Si, ça, ça, ça. Et c'est des systèmes d'adaptation qui viennent par couches extrêmement fines. C'est comme des... des papiers calques. Et donc, vous avez un premier papier calque sur vous, puis un deuxième. Et vous finissez par disparaître derrière tous ces papiers calques, parce que tous multipliés, il n'y a plus rien qui est transparent. Il n'y a plus rien de vous qui transparaît. Vous êtes à l'image qu'il essaye de... Et le problème, c'est que j'étais trop performante. J'étais trop performante. Et finalement, il en est devenu, il est revenu plus tard dans une agressivité. Parce qu'il n'avait plus rien sur lequel me bloquer. Et là, ce n'était pas possible. Et donc, les coups ont recommencé jusqu'à cette fameuse nuit du 31 décembre 2019, c'est-à-dire sept ans après le premier coup de poing dans la figure, où là... je vais partir danser et quand je vais rentrer toute seule je danse sur la place du village avec tout le monde et là quand je vais rentrer lui il est pas parti avec ses copains il m'a attendu c'est la première fois qu'il m'attendait il est complètement fou et il me hurle dessus et je vois ses yeux je comprends je comprends que là il a la même rage qu'autrefois Il part dans le salon, moi j'attrape les clés de ma voiture, je rentre dans la voiture, et au moment où je fais ma marche arrière, où les phares éclairent le chemin, il sort, il saute le petit muret que nous avons. Au moment où il s'appuie sur le muret, il attrape deux pierres, et il remonte vers la voiture, et il va pour m'écraser les pierres sur le visage. Et moi j'accélère. Et je pars. Et là, je me dis, c'est plus possible.

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