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Les Invisibles

L’interview #52 • Sophie-Elena, transformer la honte en fierté d'exister

L’interview #52 • Sophie-Elena, transformer la honte en fierté d'exister

1h04 |01/12/2025|

291

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1h04 |01/12/2025|

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Description

Sophie-Elena connaît les violences et les maltraitances médicales depuis sa naissance.

Née avec une hépatite B et abandonnée dans un hôpital de la Roumanie des années 90 - véritable mouroir à bébés - elle y contracte le VIH 🦠, alors qu’une seule et même seringue est utilisée pour tous les nourrissons.


À ses 1 an, Sophie-Elena est adoptée par un couple suisse 🇨🇭 qui souhaite lui offrir une fin – ou peut-être un début – de vie digne. Elle découvre alors l’amour, la chaleur d’un foyer, et d’autres paysages que les murs blancs de l’hôpital.


En grandissant, elle « vit son corps » comme un sujet de honte et de stigmate. Humiliée, trahie, mise de côté… Bien plus que le virus en lui-même, ce sont les conséquences d’en être atteinte qui lui créent les plus grandes blessures.


Ce corps, grâce à deux expériences où son choix a été remis au centre, elle finit par se le réapproprier. Elle s’adresse même à lui en disant : « C’est moi qui décide maintenant. Et toi, le virus, tu n’as pas gagné. »


Aujourd’hui, le virus de Sophie-Elena est indétectable, donc intransmissible. 🙏🏻

Elle vit en reconnaissance de celles et ceux qui ne sont plus là - en prenant ses traitements avec rigueur, en sensibilisant au VIH, et surtout en déconstruisant les mythes qui persistent encore autour de cette maladie.


Si la vie de Sophie-Elena ressemble à un labyrinthe, elle semble avoir trouvé une sortie… remplie de lumière.


𝗧𝘂 𝘃𝗲𝘂𝘅 𝘀𝗼𝘂𝘁𝗲𝗻𝗶𝗿 𝗻𝗼𝘁𝗿𝗲 𝗽𝗼𝗱𝗰𝗮𝘀𝘁 ? Abonne-toi à cette chaîne, mets-lui 5 étoiles et partage cet épisode ! Tous les épisodes de notre podcast Les Invisibles sont aussi disponibles sur Youtube : https://www.youtube.com/@les_invisibles_podcast 🎧


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https://www.lesinvisibles.ch


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je me suis déjà posé la question, mais comment est-ce que je vivrais le jour où il ne sera plus là ? Je me suis dit, si un jour on peut détruire le VIH, ce sera super, j'aurai plus à subir ces assauts. Mais d'un autre côté, ça va me faire bizarre. Est-ce que je serai la même sans mon VIH ? Est-ce que je n'ai pas donné ma raison de vivre de la lutte contre le VIH ? Si on détruit le VIH, que j'aurais encore une raison de vivre ? Alors oui, bien sûr, j'aurais encore des raisons de vivre. Quand on s'habitue, quand on vit avec une maladie toute sa vie, c'est difficile d'imaginer ne plus l'avoir. Ouais.

  • Speaker #1

    Les Invisibles. Juin 2020. Ma vie bascule du jour au lendemain dans une maladie neurologique, rare, qui n'a de poétique que le nom. Le syndrome du mal de débarquement. Les symptômes qu'elles m'amènent vivent en colocation avec moi, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, et ne prennent jamais leur week-end. Je n'ai donc pas la place pour un autre combat. Du moins, c'est ce que je crois. Puis vient ce jour où je témoigne dans une émission télé, dans l'espoir de rendre visible l'invisibilité du syndrome dont je suis atteinte. A peine sortie du plateau, forte de cette expérience et encore dans mes talons rouges, une évidence s'installe. Je n'en resterai pas là. Dans le train du retour, je rejoins à la fois ma maison et mon nouveau combat. Offrir un espace de parole au travers d'un podcast, aux personnes qui composent, bien souvent en silence, avec des maladies invisibles, et avec les regards de sociétés qui ne croient que ce qu'elles voient, deux réalités plus souvent subies que choisies. Aujourd'hui, loin de mes talons rouges et au plus proche de l'engagement, l'évidence s'étend. C'est à l'invisible ou pluriel que je vous invite. Ceux qui dans la chair, l'esprit et les sociétés se vivent, sans pour autant faire de bruit. Si comme le dit Antoine de Saint-Exupéry, l'essentiel est invisible pour les yeux, ici, on compte bien le faire entendre. Bonne écoute !

  • Speaker #0

    Hello Sophie et Léna ! Bonjour Tamara ! Comment est-ce que tu vas aujourd'hui ? Aujourd'hui je vais bien, c'est une bonne journée. Et toi, comment vas-tu Tamara ?

  • Speaker #1

    Je suis contente de l'entendre. Alors moi, on est vraiment dans tout l'inverse. Si je te dis la vraie vérité, j'ai failli annuler notre entretien ce matin.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Parce que j'ai vécu hier un événement qui a fait ressortir tous mes symptômes de stress post-traumatique. Et c'est des choses qui peuvent arriver quand je suis face à la violence masculine dans différents événements de la vie. Et puis, j'ai été mise face à ça et ça me crée beaucoup de symptômes comme à la fois une rapidité de pensée, mais un ralentissement dans le langage. Je me sens très en insécurité. Il y a pas mal d'anxiété, je me sens un peu sous un étau, c'est pas du tout confortable. Et j'ai essayé d'accompagner ça tout au long de cette journée, vraiment, et d'être dans une bienveillance avec mon ressenti. Et puis ça m'a permis d'être là avec toi presque ce soir, en tout cas il est 16h, et j'en suis contente. et je te remercie d'avance pour toute ta compréhension s'il y a des moments où je perds mes mots ou voilà, j'ai l'air un petit peu... un peu plus fragilisé parce qu'en dehors de la maladie neurologique ou intestinale ou tout ça, il y a aussi ce syndrome de stress post-traumatique complexe et je navigue aussi avec ça parfois.

  • Speaker #0

    D'accord, j'accueille ça avec toute la bienveillance que je peux te donner et vraiment je te remercie pour ta confiance, tu me confies tout ça.

  • Speaker #1

    Merci. Sophie-Hélène, ton histoire à toi, elle commence par un abandon. Alors que ce que l'on peut souhaiter de plus fort à un bébé qui vient au monde, c'est de se sentir aimé et en sécurité. Tu nais dans la Roumanie des années 90, on va même être précise, on va dire en 89 tu es né. Tes parents disparaissent et on te place à l'orphelinat, puis à l'hôpital car tu es atteinte d'une hépatite B. Ta première année de vie se vit sans peau contre peau, sans regard, sans voix. Ton corps minuscule apprend à vivre sans amour, sans aucun contact physique ni chaleureux, entouré de murs blancs. Et puis un jour, une famille suisse décide de t'adopter, alors que tout le monde te croit condamné. Tu es censé mourir du VIH, que tu as contracté à cause de seringues non désinfectées qui passent d'un bébé à l'autre dans l'hôpital. Et pourtant, tu vis. Mais derrière la vie, il y a aussi cette traversée avec les traitements, les effets secondaires, les moqueries, les regards jugeants, l'incompréhension. Tu traverses aussi l'enfance médicalisée, l'enfance en pédiatrie, où l'on pense à fêter ton anniversaire, au passage brutal à la médecine adulte, où tu n'es qu'une inconnue que l'on vous voit. À 19 ans, ton corps devient sujet de honte quand on révèle sans ton consentement le virus avec lequel tu vis. À 22 ans, il redevient territoire de liberté et tu recommences à t'aimer. Et puis un jour, tu deviens mère à ton tour. Mais même là, l'hôpital te rappelle que pour être une bonne maman, il faut d'abord être en bonne santé. Tu dis que ta vie est un labyrinthe et qu'au fond, ta survie, c'est d'être adoptée. Alors aujourd'hui, on va parler de ce labyrinthe, des cicatrices qu'on ne voit pas, c'est la thématique des invisibles ça, des traumas qu'on apprivoise et de la lumière qu'on apprend à fabriquer soi-même, parce que dans ton témoignage, c'est ce que j'ai ressenti, beaucoup de lumière. Donc, merci Sophie-Hélène d'être là. Toi, comme je l'ai dit, tu as été abandonnée à un hôpital durant ta première année de vie, sans un seul bras pour te bercer. Quand tu reconnectes à cette première année sans contact, sans amour, de quoi ton corps se souvient ?

  • Speaker #0

    Mon corps, je pense qu'il se souvient en fait des agressions, des piqûres, des... Et de la contention aussi, parce que les bébés, on les emmaillotait. Mais je pense que ça ne devait pas être très bien fait, parce que j'ai ce côté d'être contenue, en fait. C'est un ressenti que j'ai. Et en fait, on m'a confirmé qu'on emmaillotait les bébés à cette époque-là, dans ces hôpitaux-là. Et puis, c'est surtout cette notion d'être dans ma bulle. Et mon corps a tendance à choisir la fuite en avant. quand c'est trop dur.

  • Speaker #1

    Comme quoi, même si c'est des moments ou des périodes de vie où on n'a pas d'image concrète, on a toute cette mémoire implicite de ressenti et peut-être que là, aujourd'hui, à l'âge adulte, il y a des choses qui se manifestent. J'en sais rien, tu parlais de la question d'être contenu et peut-être que c'est quelque chose que tu n'aimes pas aujourd'hui ou le fait que tu aies besoin de fuir dans d'autres mondes, dans ta tête pour... Pour te sentir à l'abri et pour ne pas être face à cette brutalité et la réalité peut-être des fois d'un quotidien, il y a quand même des choses qui restent.

  • Speaker #0

    Oui, il y a des choses qui restent. Mes parents ont mis des années à me faire sortir de ma bulle, à tel point que quand j'étais petite, on avait supposé que j'avais un TSA, un trouble du spectre de l'autisme, qui ne s'est pas confirmé avec le temps, mais en tout cas, j'avais des symptômes qui faisaient franchement penser. Et puis, j'ai toujours eu besoin de fuir de la réalité difficile dans des mondes plus doux, plus cotonneux.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ce que tu me disais aussi la dernière fois quand on a échangé ensemble, c'est que tu as eu des retards à la fois au niveau du langage, même au niveau de l'alimentation. Je crois que tu me disais, tu as mangé la première fois solide, tu avais 4 ans.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Il y a vraiment des choses comme ça où le fait de ne pas avoir été dans la sécurité, l'amour, l'éducation, finalement, il y a des choses qui se sont énormément retardées à venir.

  • Speaker #0

    Oui, en fait, ça a été par priorité. C'était d'abord me reconnecter, me connecter à l'amour de quelqu'un, l'amour de mes parents. Après, ça a été me connecter au fait d'avoir du confort, C'est-à-dire d'être changé régulièrement, d'avoir... accès à des biberons régulièrement et puis qu'ils ne soient pas gavés. Parce qu'on suppose qu'on m'a gavé quand j'étais bébé parce que j'ai des tétines encore qui sont très larges, les trous sont gigantesques. Et puis j'ai refusé la cuillère très longtemps, ce qui suppose aussi qu'on m'a forcé à la cuillère. Donc toutes ces choses-là font que ça a été par des priorités. D'abord, on s'habitue à l'amour. Après, on s'habitue à manger. Après, on s'habitue à marcher. Et chaque fois, c'était des petits pas en avant. vers quelque chose qui se rapprocherait d'une idée qu'on peut se faire de la normalité. En tout cas d'une normalité acceptable pour mes parents et acceptable pour moi.

  • Speaker #1

    Donc ce que tu nommes aujourd'hui tes parents, c'est tes parents adoptifs ?

  • Speaker #0

    Exactement. Mon papa, ma maman, c'est mes parents suisses.

  • Speaker #1

    Et tu me disais que d'avoir été adoptée, c'est ce qui t'a permis de vivre. En quoi ça t'a raccroché à la vie ?

  • Speaker #0

    Il faut bien comprendre qu'à l'époque de Ceausescu, du dictateur roumain, les hôpitaux et les orphelinats, c'était des vrais mouroirs. Les enfants n'avaient pas de stimulation. Ce qui veut dire également qu'ils n'avaient pas d'amour, ils n'avaient pas de soins. Et moi, j'étais dans une chambre avec deux autres bébés. Et ma maman, ma maman suisse, m'a visitée. Elle m'a dit qu'il y avait deux autres bébés dans ma chambre. Il y en avait un qui avait à peu près le même âge que moi, qui se tapait la tête contre les murs. Et un autre qui est mort de diarrhée quelques jours plus tard. Donc, j'étais dans un contexte de violence médicale. Et j'étais dans un contexte de désespoir. Où des bébés se tapent la tête. Alors, des bébés d'une année. Mais des bébés quand même qui se tapent la tête. tape la tête contre les murs, c'est inimaginable. Je veux dire, mourir de diarrhée, c'est atroce. Et moi, j'ai survécu, je pense, en grande partie, parce que je me suis construit ma bulle. Alors, pourquoi j'ai eu cette ressource-là et pas les autres, j'en sais rien. J'essaie de ne pas y penser. Parce que sinon, j'ai la culpabilité du survivant et c'est pas sain. Et ça m'enfonce plus que ça m'élève. Donc, j'essaie plutôt de vivre en reconnaissance de ceux qui ne sont plus là, plutôt que de m'apitoyer sur ma survie.

  • Speaker #1

    Mais c'est vrai que c'est hyper dur à imaginer, toi comme moi, on est maman aussi, de pouvoir imaginer ces scènes ou même des fois d'y être confrontée. En tout cas, moi, j'ai pu voir des images d'orphelinats roumains dans ces périodes avec des centaines d'enfants qui sont vraiment laissés là au dépourvu. Et on navigue avec l'horreur en fait face à ça, vraiment.

  • Speaker #0

    ou bien te dire que quand je suis arrivée en Suisse, j'avais à peu près un an, je pesais 6 kilos. J'étais une crevette. J'étais minuscule. Donc, je ne partais pas gagnante.

  • Speaker #1

    Et tes parents t'ont amenée justement à partir gagnante dans la vie après cette première année de vie ?

  • Speaker #0

    Oui. Ils se sont dit qu'ils allaient me donner tout ce que je n'avais pas eu, de l'amour, de la considération, du respect et puis des soins. Je ne me rappelle pas. Je n'ai pas conscience de ça en tout cas. Mais ma maman, la première fois qu'elle a voulu me coiffer, elle m'a carrément coupé les cheveux parce que les nœuds que j'avais étaient tellement forts et tellement puissants que c'était impossible à coiffer. Personne ne s'était occupé de mes cheveux en Roumanie. De ma naissance à mon adoption, mes cheveux se sont juste emmêlés. Ce n'était pas des dreads, mais je ne pense pas très loin. J'ai encore dans mon album de photos... Une enveloppe dans laquelle j'ai une touffe de ses cheveux. J'ai mes tétines encore que ma mère a ramenées de Roumanie. J'ai des souvenirs tangibles qui rendent cette époque concrète dans ma tête, mais aussi dans ma réalité d'ici maintenant. Il y a un pont qui se fait entre l'époque et maintenant.

  • Speaker #1

    Ça vient signifier aussi que ça a existé en fait.

  • Speaker #0

    Oui, exactement.

  • Speaker #1

    Donc, toi, à un an, tu vis à ce moment-là avec à la fois l'hépatite B et le VIH.

  • Speaker #0

    Alors, l'hépatite B, elle a été soignée en Roumanie avec des traitements. Donc, de ce côté-là, j'avais déjà plus l'hépatite B. À ma connaissance du mois, j'avais déjà plus l'hépatite B quand je suis arrivée en Suisse. En revanche, j'étais bel et bien séropositive.

  • Speaker #1

    Et grandir avec une maladie chronique, c'est aussi grandir avec... Le regard à la fois médical et parental, constant, inquiet, derrière soi. Comment on se construit son identité et comment se passe l'enfance lorsqu'on est un enfant malade en fait ? Sachant que justement, aussi dans tes premières années de vie, il n'y avait pas de traitement pour le VIH.

  • Speaker #0

    Non, il n'y avait pas de traitement. J'avais une procédure à suivre qui était de prendre un antibiotique tous les jours. pour prévenir les maladies opportunistes et des injections de globules blancs une fois par mois. Donc c'était déjà une enfance médicalisée avant les traitements. Et puis aussi, c'est très dur parce que quand on est parent, on veut le meilleur pour son enfant. Et en tant qu'enfant, on associe les médecins aux parents parce qu'ils nous disent quoi faire, quoi prendre, comment prendre. Mais c'est rassurant. Pour moi, c'était rassurant. Et aussi avec le VIH spécifiquement, parce que je suis fille d'infirmière, j'ai été éduquée très tôt à la médicalisation. Au fait de prendre des traitements, au fait de bien désinfecter une plaie, au fait de savoir faire un bandage. J'ai eu une éducation médicale très tôt. Mais ça veut aussi dire que j'ai perdu mon innocence très tôt aussi. Je savais à quoi servaient les prostituées très tôt. Je savais qu'est-ce que ça voulait dire faire l'amour. Je savais qu'est-ce que ça voulait dire mettre un préservatif. Et quand j'ai 7 ans... et que ma maman m'a amenée à la conférence internationale de lutte contre le sida. Il y avait un bus stop sida avec un énorme préservatif gonflé dessus. J'ai dit à ma mère, mes mamans franchement, ils ne sont pas très discrets. À 7 ans, je savais déjà à quoi ça servait. Mon fils, je le préserve de ça pour qu'il puisse garder encore son innocence un petit moment. Mais je n'en veux pas à ma mère parce que ça m'a permis en fait de... de limiter les risques, parce qu'à cette époque-là, une coupure, on ne savait pas quelles étaient les conséquences, on ne savait pas comment gérer la maladie dans le sens de transmission. Et je sentais que j'avais cette responsabilité de faire attention. Même si personne ne m'a dit « fais attention de ne pas te couper » , je savais qu'il y avait un risque si je me coupais, qu'il y avait peut-être une transmission qui pouvait se faire. Et donc, je faisais attention de moi-même. J'ai été éduquée aussi aux médicaments très tôt, donc d'avoir la discipline de prendre les traitements à l'heure fixe tous les jours, même quand on n'a pas envie, même quand c'est les vacances, même quand c'est le week-end, même quand c'est Noël. Et puis de les prendre envers et contre tous.

  • Speaker #1

    Bon, c'est très bien. La maladie n'a pas de vacances, il n'y a pas de jours fériés reliés à ça. Et très souvent, j'en parle avec d'autres personnes malades. On a des fois même très peu de repères dans la semaine, à savoir quel jour on est, parce que ça ne change pas forcément grand-chose, dans le sens que notre état est toujours le même ou toujours fluctuant. Et ce qui va amener des repères dans le temps, c'est souvent la vie extérieure ou quand on a des enfants, justement, où il y a un planning qui se fait. Mais en effet. Ensuite, quand tu es préadolescente, là, il commence à y avoir des traitements pour le VIH qui sortent, si je ne me trompe pas.

  • Speaker #0

    Déjà un petit peu avant. En 96. En 96. J'avais 7 ans à ce moment-là.

  • Speaker #1

    Et si je ne me trompe pas, c'est ces traitements lourds-là qui ont modifié ton corps et créé une lipodystrophie et une lipoatrophie chez toi ? Ça,

  • Speaker #0

    c'est venu après.

  • Speaker #1

    Ça, c'est venu après.

  • Speaker #0

    Ça est venu quand j'avais 12 ans. Je vais en parler. Mais quand j'étais petite, je prenais des sirops qui étaient contraignants parce que je devais les prendre à jeun, donc hors des repas. Donc, pas de goûter avec les copains, pas de fête d'anniversaire trop souvent parce qu'il fallait préserver les traitements. Et puis sinon, c'était des sirops amers qui avaient un goût infect que je devais prendre tous les jours. Ma maman, elle me donnait un caramel à chaque fois après pour faire passer le goût, mais ça ne changeait pas grand-chose. En fait, ces médicaments, c'était du bricolage. Les scientifiques, pour les adultes, donnaient des comprimés. Donc, les malades du sida, à cette époque-là, reprenaient. 10, 20, 25 comprimés par jour. Moi, j'avais des sirops. Puis c'était quand même contraignant parce qu'il fallait les garder au frigo. C'était toute une logistique. Et effectivement, quand j'ai eu l'âge de 12 ans, j'ai changé de médicament. J'ai pris trois comprimés qui sont des comprimés à prendre une fois par jour. Mais à cette époque-là encore, les médicaments étaient très toxiques. Ça veut dire que ça tapait facilement sur les reins. Et en plus, ça provoquait de la lipodystrophie, de la lipoatrophie, qui est en fait une mauvaise répartition des graisses. Ce qui signifie que toutes les graisses que j'ingurgitais allaient dans le ventre ou dans les seins. Et nulle part ailleurs. Le ventre, les jambes, le bras, le visage était famélique. Un peu comme les caricatures d'enfants malnutris. On peut voir sur les affiches de Médecins sans frontières. Moi, j'étais cette caricature-là.

  • Speaker #1

    Et tu m'avais confié aussi qu'à ce moment-là, alors que tu es préadolescente, ta poitrine, c'est du F, quoi.

  • Speaker #0

    Oui, du F.

  • Speaker #1

    Et c'était énorme, alors que justement, tu es extrêmement maigre aussi. Donc, pour toi, dans ton développement, dans ton identité, dans ton rapport aux autres, ça a aussi été quelque chose de très compliqué, non ?

  • Speaker #0

    Ça a été infernal. Oui, oui. Ça a été infernal à vivre parce que d'une part, j'étais vue comme un bout de viande par les gens dans la rue. Les hommes principalement. J'étais vue comme une star du X par les copains à l'école. On m'affublait de surnoms en rapport avec ça. C'était difficile de me vêtir. À l'époque, il y avait des magasins comme Tallywell ou Yandy. Je ne trouvais pas grand-chose à ma taille. Pour les soutiens-gorge, je devais aller dans des enseignes spécialisées parce qu'on ne trouvait pas de vêtements et de sous-vêtements à ma taille. Et ils étaient tellement chers que l'assurance maladie payait une partie de ces sous-vêtements parce que le handicap était lié à la maladie.

  • Speaker #1

    Ok. Et comment tu as vécu toutes ces moqueries et humiliations aussi de tes camarades ? Parce qu'on sait que c'est des périodes où on peut être affreux avec ses pairs. Quand il y a des choses qui viennent nous confronter comme ça. Moi, je pense aussi, quand j'étais adolescente, où j'ai pu être mesquine avec d'autres. Et l'inverse était vrai aussi. J'ai reçu aussi beaucoup de harcèlement. Mais on est dans quelque chose qui est parfois très dur, les uns avec les autres. Et toi, tu as vécu ça comment ?

  • Speaker #0

    Moi, je l'ai mal vécu, évidemment. Et c'est surtout que ça a été difficile. Je l'ai vécu comme une trahison. Parce que j'avais parlé de mon VIH, ma meilleure amie de l'époque. Un jour, on s'est disputé, on a parlé à la pipelette de l'école. Le lendemain, tout le monde était au courant. J'étais la fille qui a le sida. Heureusement, l'école a bien réagi. Ils ont mis une punition à ceux qui avaient propagé la chose. Mais ça ne m'a pas empêchée de changer d'école parce que ça n'allait plus.

  • Speaker #1

    Et quand on sait aussi toutes les idées reçues qu'il y avait autour du VIH, et certaines persistent encore par ailleurs, mais c'était vraiment... Moi, j'ai des souvenirs quand j'étais enfant où on disait « tu ne peux pas manger dans la même assiette qu'une personne qui a le VIH » . Des choses comme ça qui sont hyper violentes, un peu des sous-entendus sur toutes les personnes gays qui sont contaminées. Des choses vraiment affreuses et qui étaient presque entretenues même dans les foyers.

  • Speaker #0

    Oui, j'ai d'ailleurs eu dans ma propre famille de la sérophobie. J'ai eu une tante qui refusait que je porte ma cousine dans les bras. qui était encore bébé, parce qu'elle avait peur que je contamine ma cousine. Donc mes parents étaient furieux, évidemment. Moi, je ne m'en rendais pas encore trop compte. C'est vrai que j'ai été, jusqu'à l'âge de la préadolescence, j'ai été préservée des moqueries, de la stigmatisation et tout ça, parce que mes parents m'avaient dit, le VIH, tu le gardes pour toi. Du petit virus, tu n'en parles pas. Ni aux copains, ni aux amis de la famille. Ça garde, ça reste entre nous. Et je ne comprenais pas pourquoi, mais je respectais ça.

  • Speaker #1

    C'est là où on voit aussi, je trouve, au travers de ton discours, et c'est ce qu'on aime mettre en lumière dans l'association, c'est que les choses vont tellement au-delà de la maladie en elle-même. Il y a vraiment le virus, mais en fait, tu as vécu tellement de traumas à d'autres niveaux, tellement de rejets, que ce soit au sein du foyer, à l'école. Finalement, ça s'étend de manière si vaste autour de la personne qui est malade, les conséquences.

  • Speaker #0

    Oui, et puis il y a une multitude, un croisement. Je sais qu'il y a un terme pour ça, mais je ne me rappelle pas. Mais il y a un croisement entre les traumatismes que j'ai, parce qu'il y a les traumatismes du VIH, il y a les traumatismes du rejet à cause du VIH, et il y a les traumatismes à cause de l'adoption. Et ça, ça fait un mix. Pendant longtemps, je ne me suis pas trop rendue compte du cause à effet entre... la Roumanie et le VIH et ma contamination bébé. Mais c'est venu plus tard où j'ai développé une colère, une colère froide entre la Roumanie. Parce que je l'estimais, à ce moment-là de ma vie, coupable de ma transmission. Là où c'est beaucoup plus subtil que ça.

  • Speaker #1

    Bien sûr, c'est subtil. Et en même temps, on voit aussi ce fil, finalement, de... La contamination parce qu'il y a de la négligence, il y a de la maltraitance médicale. Ensuite, le fait d'être contaminé, il peut y avoir du harcèlement. Il y a des traitements qui sont mal digérés ou gérés. En fait, c'est un effet boule de neige aussi, tout ça. On a la maladie à la base, mais ça prend tellement d'espace. Ça touche tous les domaines de la vie.

  • Speaker #0

    Oui, et la maladie, enfin le VIH… En plus, la particularité est d'être asymptomatique la plupart du temps. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on est traité, on n'a pas de symptômes. Donc, moi, j'ai décidé, à cause de cette poitrine survolumineuse que j'avais, un jour d'arrêter de prendre mes traitements. Je voulais prendre un jour sur deux, une fois par semaine, au petit bonheur la chance. Et puis, quand il y avait des contrôles, là, je faisais attention, mais ça ne servait à rien parce qu'on peut remonter loin dans le temps avec les prises de sang. Mais ce que je veux dire par là, c'est surtout que... Ça a eu un effet sur le fait que je ne pouvais pas anticiper le futur. Quand on est adolescent, on n'a pas l'anticipation de ce qui pourrait arriver. On n'a pas les conséquences en tête. Et le VIH, ce n'est pas comme par exemple le diabète, où si tu ne mets pas ton insuline, le lendemain, tu es à l'hôpital. Mais moi, si je ne prends pas mes médicaments aujourd'hui, je le paierais cher, mais seulement dans une année, deux ans.

  • Speaker #1

    Donc, ce n'est pas concret et palpable.

  • Speaker #0

    C'est ça.

  • Speaker #1

    Alors que les conséquences qui sont autour de la maladie, comme le fait de se faire humilier, moquer ou de souffrir des effets secondaires, ça c'est palpable à la différence de la maladie.

  • Speaker #0

    Exactement. Et c'est très difficile. Moi, quand j'étais ado, je me disais, mais à quoi ça sert prendre ces traitements ? Ça ne va pas me guérir. Je ne sens rien. Et puis surtout, je n'en vois pas le bout. Ce n'est pas comme des antibiotiques que tu prends pendant deux semaines et après on n'en parle plus. Là, c'est toute la vie. mais toute la vie quand on est ado c'est vertigineux.

  • Speaker #1

    Tu me disais même qu'il y a eu une période où tu les cachais tes traitements dans tes chaussures ou tes chaussettes.

  • Speaker #0

    Je cachais en fait mes comprimés dans un petit sac plastique que je cachais dans mes chaussettes. Et un jour, ma mère a trouvé un sac genre gros comme ça rempli de comprimés. Il y en avait pour des milliers de francs de médicaments que je n'avais pas pris. Ça aussi, c'est une chose qu'on ne se rend pas compte. Mais en Suisse, on a de la chance d'avoir des traitements, mais ces traitements sont très chers. Et je n'avais pas conscience de la valeur de mon traitement non plus à ce moment-là. Je ne parle pas seulement de la valeur médicale, mais aussi de la valeur monétaire. Et c'est vrai que quand ma mère a trouvé ces comprimés, elle m'a dit « Mais tu sais ces médicaments très chers, tu dois en prendre soin. » Alors oui, sur le papier c'est bien joli, mais dans les faits, je n'étais pas prête à faire ce pas-là. Je n'étais pas prête à considérer la valeur de mes traitements à ce moment-là. Parce que j'étais trop en colère, il y avait trop de résistance, pas de résistance médicale, mais de résistance émotionnelle à cette prise de traitement. Et j'ai même parfois été tellement mal que pour moi, prendre ces médicaments, c'était comme m'automutiler. Ça me faisait mal de les prendre. Ça me faisait physiquement, sur la langue, de les avaler, faire ce truc, c'était comme planter un poignard dans le ventre. Et par rapport à ça aussi, c'est que je mangeais mal parce que les médicaments, ils avaient comme effet à cette époque-là d'avoir une incidence sur l'alimentation. On a moins faim, on n'a plus trop faim, on mange mal. Et comme j'ai été gavée bébé à la cuillère, possiblement, et que j'ai eu pas mal de conséquences, ça fait que j'ai développé aussi des rejets au niveau alimentaire. Donc ce n'est pas de l'anorexie ou de la boulimie. C'est plus une alimentation très sélective en fonction des textures. Parce que certaines textures, j'avais l'impression de m'agresser en mangeant. Et ça, c'était aussi lié au traitement. Parce que mettre quelque chose dans la bouche pour avaler et manger, c'était quelque chose d'insurmontable par moments. Alors, je ne me suis jamais fait vomir. Mais par moments, je me suis, je pense, psychologiquement automutilée en ne mangeant pas. Et en ne prenant pas mes traitements. Je me suis fait du mal de cette façon-là.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Et ça y est. Pardon, vas-y.

  • Speaker #1

    Non, non, mais on perçoit vraiment à quel point la question des traitements était lourde dans cette période charnière de la vie, en fait.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Et ça crée aussi, ça creuse un écart aussi entre toi et les personnes de ton âge.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'on n'a pas de... À cette époque-là, je n'avais pas cette insouciance. Et en plus, je devais gérer l'information. plus tard dans mon adolescence je me suis retrouvée en internat et là aussi l'information a fuité et j'ai dû gérer ça toute seule donc c'est la première fois que j'ai fait un témoignage devant les filles de cet internat ça a été bien reçu j'ai eu une fin d'année beaucoup plus calme mais

  • Speaker #1

    c'était très stigmatisant aussi et je crois que tu as vécu aussi une autre trahison quand tu as eu ton premier rapport sexuel oui Avec la personne concernée qui a été divulguée ça aussi.

  • Speaker #0

    Oui. Et là, ça a été beaucoup plus violent parce qu'il y a des mots très durs qui sont sortis. Tumeur sur pattes, sidaïque. C'est les deux mots qui résolvent encore en moi comme étant des insultes particulièrement violentes. Et voilà, ça sous-entend aussi que j'étais sale.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Après, j'ai dû apprendre à prendre du recul avec ça. Et me dire que les personnes qui le disaient, ce n'étaient pas des personnes dignes d'intérêt. Mais sur le moment, ça fait mal.

  • Speaker #1

    C'est avec le recul que c'est plus évident de se dire ça. Et c'est une évidence, mais sur l'instant, c'est terrible. Et surtout que c'est dans des moments où tu offres une part de toi qui est vulnérable, que ce soit en te confiant à ta meilleure amie ou en ayant un rapport sexuel avec quelqu'un, il y a aussi des parts de sa propre vulnérabilité dans ces moments-là. et de l'utiliser ensuite contre la personne, c'est vraiment... Une question de trahison, en fait.

  • Speaker #0

    Oui, une question de trahison et une question d'acceptation ou de rejet. On a tous envie de faire partie d'un groupe. Parfois, on veut faire partie d'un mauvais groupe parce qu'on préfère être mal accompagné que seul.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr, surtout à certaines périodes de vie.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    Toi, tu as connu la médecine pédiatrique qui était... plus douce, plus familière, comme je le disais en introduction. On fêtait ton anniversaire, on te tutoyait. Et ensuite, tu es passée à la médecine adulte, bien plus distante, bien plus froide, où on te vouvoie, où tu es plus seule et anonyme, finalement, dans la prise en charge. Comment c'était pour toi, ce passage-là ?

  • Speaker #0

    Très dur. Ça a été très dur parce que je n'ai pas été préparée pendant des années. J'avais vraiment justement ce côté très familial. On me tutoyait, mon nom, prénom étaient inscrits sur mon dossier. J'avais toujours les mêmes infirmières. On fêtait Noël, les anniversaires. C'était très familial. Et du jour au lendemain, je me retrouve à 16 ans. Normalement, c'est 15 ans. Mais ils m'ont gardé une année de plus, mais ils ne m'ont pas préparé pour autant. J'ai été catapultée chez les adultes. Et là, c'est un tout autre monde. Effectivement, on est en numéro. Et comme le CHUV, c'est universitaire, donc il y a un turnover de fous dans les médecins. Ça change tous les six mois. Et ça a été très, très, très difficile. On attend de toi que tu gères ta maladie. On attend de toi que tu sois au clair avec tes traitements. On attend de toi que tu sois prête à participer à des études ou à t'investir en fait dans la gestion de ton... de ta maladie et des traitements. Là où en pédiatrie, c'est plutôt les parents qui s'en occupent.

  • Speaker #1

    Et tu aurais du coup souhaité être préparé, justement, comment ils auraient pu faire différemment pour que ça se fasse un peu plus en douceur, cette transition ?

  • Speaker #0

    Alors moi, c'est marrant parce que j'ai réfléchi à cette question-là de façon très sérieuse. J'ai même fait un texte de recommandation pour le service des adultes où je sais qu'ils s'en sont inspirés de certaines façons. Mais j'avais dit que principalement, il fallait que les... Les pédiatres préparent au début de l'adolescence, vers 14, 13, 14 ans déjà, que l'enfant vienne seul au rendez-vous, que l'enfant apprenne à gérer ses traitements de plus en plus par lui-même, qu'il accepte aussi que ce ne soient pas toujours les mêmes médecins, et puis qu'il y ait des rendez-vous. de transition entre le service de pédiatrie et le service des adultes, où ils vont visiter le service, où on leur explique comment ça fonctionne, où on leur dit qu'ils vont être vouvoyés, que s'ils ne viennent pas au rendez-vous, c'est qu'ils rentrent francs pour rendre des rendez-vous manqués, qu'on attend d'eux quand même qu'ils soient un minimum investis dans leur traitement, qu'ils sachent pourquoi ils sont là, parce qu'il y a aussi, alors maintenant, moins, je l'espère, mais à mon époque, quand j'étais petite, Il y avait des patients qui ne savaient même pas pourquoi ils prenaient les médicaments. Les parents ne leur disaient pas pourquoi ils prenaient les médicaments, pourquoi ils allaient voir un pédiatre une fois par mois. Et moi, je me suis retrouvée dans une situation aussi où j'étais tellement en colère que les propositions de ma maman aussi de me soutenir là-dedans, je les ai aussi rejetées. Parce que quand on est ado, on a l'impression de gérer la terre entière, de pouvoir gérer la terre entière. Alors qu'on n'arrive même pas à gérer son réveil.

  • Speaker #1

    Et pour continuer dans ce fil aussi de la question des traitements, toi tu as vraiment traversé la colère, la lassitude, la déprime concernant tout ça. Qu'est-ce qui à un moment donné t'a fait reprendre tes traitements avec assiduité ? J'ai l'impression qu'il y a eu plusieurs déclics chez toi où tu t'es dit non mais maintenant... faut que je prenne ces traitements-là ?

  • Speaker #0

    En fait, ça a commencé déjà dans la contrainte. C'est-à-dire que j'avais entre 19 et 21 ans. Je dirais 20 ans. Je ne suis plus exactement sûre de l'année. Par contre, ce que je sais, c'est qu'un jour, un infectiologue m'a appelé. Elle m'a dit, Madame, vous prenez tellement mal vos traitements. C'était terrible parce que le VIH, il va vous traquer, il va vous tuer. C'est un serial killer. Désormais, vous allez aller tous les jours à la pharmacie. pour prendre les médicaments devant un pharmacien qui ferait une petite coche que vous les avez bien pris. Tous les jours. J'avais une dose de réserve pour les dimanches. Donc même le samedi matin, je devais aller. Et c'était très contraignant. Au début, j'y allais le moins possible. Et progressivement, j'ai dû apprendre à cohabiter avec mes médicaments. Et puis la première fois que j'ai été à la pharmacie, j'ai mis deux heures pour prendre mes médicaments avec du coca. J'avais une dizaine de comprimés. Parce que oui, ce qu'on n'a pas dit... C'est qu'à force de mal prendre mes traitements toute mon adolescence, j'ai développé des résistances médicamenteuses. Ce qui veut dire que les traitements ne fonctionnaient pas et il fallait en changer. Donc quand on a changé 5-6 fois de traitement, au bout d'un moment, il ne reste plus rien. C'est pour ça qu'elle m'a contrainte à la pharmacie. Et ça, ça a été la première étape. Une année ou deux plus tard, elle est partie et c'est un autre médecin qui l'a remplacée. Et ce médecin, lui, il a dit, on va garder ce rythme-là de prise à la pharmacie, mais on va aussi passer un contrat. Il faut savoir qu'en 2008, il y a eu une grande révolution dans la recherche sur le VIH. Les chercheurs ont découvert, un médecin suisse, Bernard Hirschel, qui a découvert avec ses équipes qu'une patiente ou un patient séropositif qui a une charge virale indétectable, c'est-à-dire moins de 20 copies par millilitre de sang, ne transmet pas le virus, même en cas de rapport sexuel à risque. Ça, ça n'a pas fait beaucoup d'écho chez moi sur le moment. Mais par contre, mon médecin, qui avait remplacé cette dame, m'a dit, si vous êtes indétectable pendant plus de six mois, au bout de six mois, vous aurez une réduction d'un mètre. Et là, ça a été déjà la première motivation pour moi de prendre mes traitements. Ça a été la première étape. Parce qu'il y avait une échéance, mais ça m'a donné une motivation.

  • Speaker #1

    Oui, et j'ai l'impression qu'il y a deux motivations là même, parce qu'il y a le côté où... Quand c'est indétectable, tu ne peux pas transmettre. Donc, c'est déjà énorme quand on y pense. Et en plus de ça, il y a la réduction mammaire. J'ai l'impression qu'il y a deux choses qui sont importantes dans son discours.

  • Speaker #0

    Oui, mais ça, je le dis maintenant. Mais à l'époque-là, j'étais encore vierge. Et à ce moment-là, je n'avais pas conscience de cette notion de liberté dans la sexualité. C'était juste avoir une réduction mammaire. C'était déjà juste ça. Et j'ai eu ma réduction mammaire avec trois mois de retard parce que je n'avais pas été indétectable aux six mois. Donc, je me dis, mais là, il faut vraiment que j'y arrive. Donc, j'ai pu être opérée quelques mois plus tard. Et puis, par la suite, j'ai eu des hauts et des bas. Il y a eu des moments où j'allais à la pharmacie pour emmener mes docs. Et puis, des fois, pendant une longue période, je pouvais les prendre à la maison. Mais il y a eu un autre épisode qui m'a marquée dans la reprise des traitements, dans cette réconciliation avec les traitements. C'est quand je suis tombée sur un article de presse que je n'ai jamais retrouvé. tout le temps j'ai cherché hum quoi qui relatait l'histoire d'un patient séropositif de la région qui refusait de prendre ses traitements par solidarité avec l'Afrique. Parce qu'en Afrique, ils n'ont pas les traitements. Pas tous. Et moi, j'avais trouvé cette démarche incongrue. Et je m'étais dit que j'allais plutôt faire un devoir de mémoire et prendre ces traitements par solidarité avec ceux qui ne sont plus là. Ceux qui voudraient en bénéficier, ne pas le faire pour moi, parce que c'était trop dur de le faire pour moi, mais que je pouvais le faire pour les autres. Et c'est une des grandes étapes où il y avait ça. Il y avait aussi des nouvelles dans les journaux parfois où on parlait de séro-contaminateurs. Donc ces fameux séro-positifs qui sont des dangers dans la mesure où ils voulaient contaminer. Le problème, c'est que toutes les mythes se sont construites sur ces cas-là. Mais moi, je n'avais pas envie d'être ces personnes-là. Je ne voulais pas être un danger pour les autres. Je ne voulais pas avoir ce pouvoir de vie ou de mort sur quelqu'un. Parce qu'à cette époque-là, c'était tout neuf, cette histoire d'indétectabilité. Et puis, je n'étais pas toujours indétectable. Je l'ai été définitivement en 2013. Mais jusqu'à cette époque-là, ça pouvait me dire, mais en fait, si je veux pourrir la vie de quelqu'un, j'ai ce pouvoir-là. Et c'est très lourd à porter. Parce que non seulement on porte la peur de l'autre, on porte une image de soi qui est parfaitement affreuse. mais en plus on a On se dit qu'on a un pouvoir de super méchant qui est de détruire la vie de quelqu'un. Maintenant, ça ne fait plus trop sens de le dire à notre époque, mais à cette époque-là, dans ce contexte-là, c'était ça.

  • Speaker #1

    Oui, puis finalement, il n'y a pas que la mort, mais on l'a vu, il y a aussi tous les contours de la maladie qui sont dans tous les cas, ce n'est pas agréable du tout. Donc, il y a quand même un pouvoir sur la vie de l'autre, même si ce n'est pas la mort.

  • Speaker #0

    Oui, et puis voilà, c'est le pouvoir. Pourrir la vie de la personne. Avec des traitements à prendre à vie, avec du rejet. Non, j'avais pas envie d'être ça.

  • Speaker #1

    Donc aujourd'hui, le VIH, il est indétectable chez toi ?

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Donc tu ne peux pas le transmettre ? Comment c'est pour toi aujourd'hui qu'il y a du coup des rapports sexuels ? Qu'est-ce que c'est aujourd'hui de te dire ça ?

  • Speaker #0

    C'est une grande victoire. C'est extrêmement agréable pour moi d'avoir des relations sexuelles épanouies où le virus n'a pas sa place. C'est une grande victoire. C'est quelque chose où je me dis que c'est quelque chose que personne n'aurait pu envisager. et et pas si longtemps que ça, parce que 2013, 2012, pardon, c'est pas si vieux. Moi, ça me paraît pas si vieux que ça. Après, j'ai eu des moments où, voilà, avant 2013, j'avais des moments où ça fluctuait la virémie, et parfois les rapports étaient un peu, pour moi, un peu difficiles, parce que je me disais si j'étais pas indétectable. Et puis, il y a aussi le truc, c'est qu'à ce moment-là, quand j'étais pas toujours indétectable, Merci. J'avais tendance à me douter des pratiques. Et si je fais ça, est-ce qu'il y a un risque ? Et si je fais ça ? Et en fait, mon infirmière psychosociale me disait « Mais en fait, vous êtes surenformée. Mais vous êtes tellement informée que des fois, des choses très simples, ça se brouille. » Et voilà, en fait.

  • Speaker #1

    Et dans toute cette histoire, tu as souhaité aussi avoir un enfant.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Comment ça a été pour toi, parce que tu étais du coup déjà malade, de projeter une maternité dans cette condition-là ?

  • Speaker #0

    En fait, ça a été assez simple. À partir de 2013, j'étais avec une viremie indétectable. Donc, quand on a décidé d'avoir un enfant avec mon conjoint, j'ai simplement informé mon infectiologue. Elle m'a confirmé que je faisais ce que je voulais parce que ma viremie était indétectable. Et je suis tombée enceinte quelques mois plus tard. Par contre, ce qui a vraiment changé, c'est que... Et que jusqu'alors, on utilisait le préservatif pour pas que je tombe enceinte. Parce qu'avec les médicaments que je prends, la contraception m'était contre-indiquée. Et les rares que j'ai pu essayer, je les ai pas supportées. Donc finalement, j'avais une sexualité plus ou moins libre. Mais dès l'instant où on a décidé ensemble d'avoir un enfant, alors là, je me suis vraiment sentie libre. Et là vraiment, ça a été incroyable toute cette période. Et la grossesse s'est très bien passée. Alors, comme j'avais des troubles du rythme cardiaque, j'ai eu des contrôles mensuels avec un cardio-halter, c'est un petit appareil avec des fils qu'on met sur le corps. 24 heures avec ça, une fois par mois, c'est un peu chiant. Mais le VIH n'a pas eu son mot à dire. Il n'a pas eu son mot à dire. Et je me rappelle une fois, quand j'ai su que j'étais enceinte, qu'on a passé les trois mois, et qu'on a annoncé publiquement que j'étais enceinte, Je me suis fait un plaisir d'écrire un post sur Facebook et de m'adresser au virus et de dire, « Non, c'est moi qui décide et toi, tu n'as pas gagné. » Et en plus, j'ai appris de mon infectiologue à la fin de ma grossesse que j'allais pouvoir allaiter. C'est-à-dire que jusqu'alors, on disait aux mères séropositives de ne pas allaiter. Il y avait trop de risques, soit de transmission, soit d'attente rénale à cause des reins du bébé. qu'on les rend du bébé à cause des médicaments. À partir de 2018, le consensus a changé. Et en fait, c'était de dire, c'est au cas par cas. C'est-à-dire que la mère peut allaiter si l'infectiologue est d'accord et si elle est dans un contexte qui lui permet l'allaitement de façon sereine. Parce qu'une mère qui vit dans un contexte hostile, où elle doit se cacher, devoir allaiter en plus de prendre des médicaments, c'est trop compliqué. C'est l'exemple qu'on m'a donné en tout cas.

  • Speaker #1

    C'est intéressant ce que tu as écrit, je trouve, sur Facebook, c'est ça ? Où tu t'adresses au virus une fois que tu es enceinte. Je trouve ça intéressant parce qu'on a eu un ressenti, je crois, commun, toi et moi. C'est que, peut-être que je vais utiliser un mot qui ne te parle pas à toi, mais moi, j'ai presque eu la sensation, en décidant de tomber enceinte, que c'était presque comme un acte de militance, en fait. Parce que je pouvais me réapproprier mon corps, corps qui, dernièrement, appartenait presque plus au monde médical qu'à moi. J'étais un peu la chose où on va aller toujours checker ce qui se passe, faire des diagnostics, récupérer des données, des analyses. Et tout d'un coup, j'étais là, non mais en fait, là, c'est moi qui décide de ce que je fais de mon corps. Et je le voyais presque comme un acte de militance. Voilà, cette réappropriation du corps a pour moi été vraiment quelque chose de beau en fait, de pouvoir décider de ça.

  • Speaker #0

    Je te rejoins totalement. Alors, je n'avais jamais réfléchi au terme militant, le terme en tant que tel, mais par contre, le mécanisme, oui, totalement. De pouvoir me réapproprier mon corps, de pouvoir porter la vie, là où j'ai eu l'impression d'avoir porté la mort toute ma vie. Ça a été... D'ailleurs, je l'avais écrit aussi, j'avais dit, pendant des années, toute ma vie, j'ai porté la mort, maintenant je porte la vie. Et ça a été pour moi... Vraiment, ma grossesse a été un moment béni. Une période vraiment où je me suis sentie... bien physiquement. Les hormones, évidemment, elles me faisaient un peu réagir. Comme toute femme enceinte, tu as parfois les hormones qui chamboulent. Mais sur le principe... Ah ! Pardon, j'ai eu un appel, je l'ai refusé. Tu me vois ?

  • Speaker #1

    Je ne te vois plus, mais je t'entends.

  • Speaker #0

    Alors attends, je m'excuse. Voilà. Je suis désolée pour cette petite imparté.

  • Speaker #1

    Il n'y a aucun problème. Essaye juste de ne pas éteindre. Voilà, parfait.

  • Speaker #0

    Ils sont éteints automatiquement.

  • Speaker #1

    Oui, parfait. Mais de ne pas éteindre la conversation, je veux dire.

  • Speaker #0

    Désolée. Voilà, donc je disais, j'avais même écrit, j'ai porté la vie et j'ai porté la mort toute ma vie et maintenant je porte la vie. Ça m'a vraiment, vraiment, vraiment fait plaisir.

  • Speaker #1

    Et donc, tu étais dans une période qui était plutôt chouette. Après, tu as eu un accouchement que tu me nommais de traumatique. Tu as été dans le coma durant une semaine après avoir accouché. Et je voulais te poser la question à ce moment-là parce que j'ai été très touchée aussi par ce que tu me racontais hors antenne, le fait que tu avais vraiment rencontré ton fils seulement une semaine après sa naissance, une fois sorti du coma. Et moi, je me suis demandé si ça n'avait pas réveillé des expériences passées, elles aussi traumatiques. Toi-même qui, à ta naissance, a été abandonnée. Tout à coup, tu portes la vie et en donnant naissance, tu ne peux pas accéder tout de suite à la relation à ton fils. Comment ça a été pour toi, ça ?

  • Speaker #0

    Alors, ça a été compliqué, effectivement. J'ai eu un coma qui a en fait duré trois jours. Mais après ces trois jours, j'ai été en soins intensifs, puis en soins continu. Ce qui fait que pendant une semaine, je n'ai pas vu mon fils. Pas à coup, mais à coup, c'est vraiment des visites. J'ai eu l'impression qu'on me volait, en fait, ma maternité. J'avais eu l'impression que je n'étais plus en possession de mon corps, que de nouveau mon corps ne m'appartenait plus, il appartenait à la médecine, qu'après avoir fait l'acte le plus beau qu'une femme puisse faire, qui est de donner la vie à mon sens, qu'on me volait à ce moment. Ce n'est pas de la faute du virus, c'est de la faute à pas de chance. Ça aurait pu tomber sur une autre maman, mais c'est tombé sur moi de faire une hémorragie. De perdre 2 litres de sang et de finir au bloc opératoire d'urgence. C'est de la faute à pas de chance, mais par contre, ça m'a vraiment marquée parce que je me suis retrouvée dans un contexte où l'hôpital, normalement, c'est un endroit où on se fait soigner parce qu'on est malade. La maternité, c'est le seul service d'un hôpital où on n'a pas le droit d'être malade. En tout cas, c'est comme ça que je l'ai ressenti, que je l'ai vécu. On attendait deux mois, je suis une maman optimum. à m'occuper de mon fils, quand bien même je sortais du coma, que je titubais, qu'il me fallait la chaise pour bouger parce que je ne marchais pas droit, que je tremblais, que j'avais peur de faire tomber mon fils.

  • Speaker #1

    Pourquoi les injonctions sur les mères sont là, quoi qu'il en soit, en fait ?

  • Speaker #0

    Oui, complètement. Et ça a été un véritable tsunami pour moi. Parce que non seulement il y avait ça, j'ai eu la chute des hormones une semaine plus tard, pile. Mais vraiment pile, j'étais dans une salle d'attente. pour attendre les examens pour mon fils. Et à 14h34, vendredi suivant, j'ai eu la chute des hormones. Elle est venue brutalement. Je me suis mise à pleurer, à trembler. J'étais au plus mal et ils m'ont ramenée en chambre. Et alors, j'avais la chance qu'à cause de la fatigue chronique qui m'est diagnostiquée à cause de l'UVH, enfin pas à cause de l'UVH, mais à cause des conséquences des traitements et les conséquences du virus qui s'appliquent à moi. j'avais pu avoir une chambre privée, même si je n'avais pas l'assurance pour. Et ça m'a beaucoup servi parce que comme ça, je n'avais pas à subir les mamans qui avaient leur propre vécu et les familles qui voulaient leur rendre visite, je pouvais m'isoler. Mais je me sentais quand même très oppressive, je me sentais observée, je me sentais mise dans un rouleau compresseur. J'avais l'impression qu'une énorme machine s'écrasait sur moi. Et qu'en même temps, on s'attendait à ce que je la soulève avec mes bras.

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, vous avez une magnifique relation avec ton fils Erwan. Qu'est-ce que lui sait aujourd'hui de la maladie et ses conséquences ? À quoi tu lui as donné accès en tant que maman ?

  • Speaker #0

    Alors en fait, étant donné que je prends des traitements depuis toujours, pour lui c'est depuis toujours, je trouvais normal qu'il soit au courant de pourquoi maman prend des médicaments. Donc j'ai inventé une petite métaphore pour lui raconter le VIH. Je lui ai imaginé un peu comme les émissions de C'est pas sorcier. J'ai vraiment imaginé dans ma tête la conception d'une maquette de château fort qui représente le corps humain, dans lequel il y a les petits soldats du corps qui défendent le château contre l'envahisseur qui est le méchant virus. Le méchant virus cache toutes les portes et fenêtres du château pour laisser rentrer tous ses copains, bronchite, pneumonie, sarcome, principalement, donc les cancers. qui peuvent détruire complètement le château et donc tuer la personne. Et grâce aux médicaments qui sont les forces alliées qui viennent aider le château tous les jours, le château reste debout. Et pourquoi le petit virus n'est pas destructible ? Parce que des fois, il va se cacher dans les passages secrets du corps, qui sont les réservoirs. Et à cause de ça, les médicaments, donc les forces alliées, n'ont pas accès à ces réservoirs, à ces passages secrets. Et tant que les médicaments viennent tous les jours, le virus y peut. il est détruit, mais il ne peut pas disparaître, mais il peut au moins être pas embêtant. C'est la métaphore que j'ai imaginée pour mon fils et je lui ai raconté ça plusieurs fois quand il était petit. Et un jour, il avait 5 ans, il me fait « Maman, tes médicaments, ils font quoi dans ton corps ? » Je lui dis « Ben écoute, ça me permet d'être en forme pour jouer avec toi. » Il me fait « Non, ça fait quoi dans ton corps ? Ça tue le méchant virus ? » Je lui dis « Ben, tu veux de la biologie ? Ok, on va trouver une vidéo sur Youtube qui explique ça. » J'ai trouvé une vidéo qui résume un petit peu certaines classes de traitement, sans parler des modes de transmission. Et puis, il a été sensibilisé comme ça. Et puis, je lui ai dit que j'ai été contaminée par une aiguille infectée. Mais il ne connaît pas les autres modes de transmission parce que j'estime qu'à son âge, il a 7 ans et demi actuellement. J'estime que c'est un peu jeune pour être sensibilisé à ces détails-là. Mais il est très fier de maman. Il me soutient, il m'encourage quand je vais faire des témoignages, des sensibilisations. Il est toujours à mes côtés.

  • Speaker #1

    Et toi qui es aujourd'hui maman, si tu pouvais parler à la petite fille dans l'hôpital roumain, que tu pouvais lui apporter un geste ou une parole ou un regard, qu'est-ce que tu lui transmettrais ? Je te pose la question parce que... Je vois que c'est tellement joli comme tu es dans la transmission avec ton fils. Il y a tellement d'imagination. On voit aussi la bulle dont tu parlais, tu sais, où tu arrives à rentrer dans un imaginaire qui est waouh. Moi, comme tu l'as décrit, j'ai un bout de dessin animé face à moi. Est-ce qu'il y aurait quelque chose que tu aurais aussi envie de dire à cette petite Sophie-Hélène ?

  • Speaker #0

    Moi, je lui dirais à cette petite Sophie-Hélène, qu'elle a raison de se cacher dans son monde quand c'est trop dur, mais qu'elle n'a pas à avoir peur de poser un pied dans la réalité, qu'elle peut marcher des deux côtés, et surtout lui dire qu'elle est aimée, qu'elle se sente aimée, parce que la petite Sophie Elena ne se sentait pas toujours aimée, même si elle était aimée. Et encore maintenant, il y a des moments où je ne me sens pas aimée, même si je suis aimée. Et pas seulement qu'on me le dit, mais on me le montre par des gestes. par des actions, par des preuves d'amour au quotidien, mais parfois, je vais douter.

  • Speaker #1

    On sait que ces traces traumatiques, ça crée des gouffres aussi. Et ça nous ramène dans tellement des parts de nous toutes petites qui ont du mal à comprendre que dans l'ici et maintenant, oui, on est aimé, oui, on est en sécurité. Et il y a ces choses-là qui nous renvoient aussi des fois dans des moments du passé.

  • Speaker #0

    Totalement. Et voilà, c'est un long cheminement que j'ai fait. Il n'est pas fini, mais je peux dire maintenant que je peux vivre avec le virus et non pas contre lui. Je l'ai vécu, je l'ai considéré toute ma vie comme un squatter, à déloger de toute urgence. Et maintenant, je le considère comme un colocataire un peu grincheux, un partenaire de voyage, un compagnon de voyage. qui est un peu grand cheveux, mais avec qui j'ai fait toute ma vie. Et je me suis déjà posé la question, mais comment est-ce que je vivrais le jour où il ne sera plus là ? Je me suis dit, mais si un jour on peut détruire le VIH, ce sera super, je n'aurai plus à subir ces assauts. Mais d'un autre côté, ça va me faire... bizarre. Est-ce que je serai la même sur mon VIH ? Est-ce que je n'ai pas donné ma raison de vivre de la lutte contre le VIH ? Si on détruit le VIH, que j'ai encore une raison de vivre ? Alors oui, bien sûr, j'ai encore des raisons de vivre, mais quand on s'habitue, quand on vit avec une maladie toute sa vie, c'est difficile d'imaginer ne plus l'avoir. Oui.

  • Speaker #1

    C'est là-dedans et dans ton identité aussi.

  • Speaker #0

    Oui. Et le VIH fait partie de moi, même si ce n'est pas quelque chose de très valorisant. Il fait partie de moi malgré tout.

  • Speaker #1

    Tu interroges aussi le fait qu'il y ait les coupables et les victimes du VIH. Tu dis justement les coupables, c'est ceux qui ont eu un rapport non protégé, par exemple. Et les victimes, c'est par exemple des personnes comme toi qui ont été contaminées à leur insu. C'est propre à l'humain de dire si on mérite ou non la souffrance, mais toi, tu as décidé d'en faire quelque chose de ce constat-là et de ton parcours. Est-ce que tu veux nous raconter ?

  • Speaker #0

    Bien sûr. Donc moi, je suis témoignante. C'est un mot que j'ai inventé parce que ce n'est pas quelque chose d'officiel, mais je témoigne presque au quotidien de mon vécu avec le VIH. Je sensibilise des auditoires différents, ça va des écoliers aux soignants. Mais je me suis pas mal spécialisée dans les témoignages aux soignants pour justement permettre une meilleure prise en charge des patients séropositifs et permettre au grand public de ressortir avec le message qu'indétectable égale intransmissible, c'est-à-dire I égale I. C'est vraiment quelque chose que je martèle parce que c'est tellement important. Et puis, de pouvoir donner un sens à tout ce que j'ai vécu. de pouvoir transmettre cette information. Et comme, justement, j'ai un mode de transmission atypique pour nos contrées, ça permet, en fait, à des gens qui ne seraient pas forcément sensibles au message de prévention classique de se poser la question. Mais au final, ça peut arriver à tout le monde. Oui, ça peut arriver à tout le monde. Et la sensibilisation, elle est là pour... que les conséquences d'une transmission n'atteignent pas ces personnes-là, qu'il n'y ait pas de transmission. Je m'adresse aussi aux patients séropositifs, notamment à certains patients qui ont des problèmes d'adhésion thérapeutique, dont une mauvaise prise de traitement, pour leur dire, je sais ce que tu vis, je suis passé par là, je vais essayer de t'accompagner pour que... ta prise de risque maintenant avec tes traitements n'occupe pas les mêmes conséquences que moi j'ai à subir maintenant. D'être une sorte de mentor, de quelqu'un qui accompagne, en tout cas de compagnon, pour pouvoir faire avancer aussi ces personnes-là dans leur gestion des traitements. Et moi, ça me donne aussi du sens à mon vécu.

  • Speaker #1

    Et quel message t'aimerais faire passer aux personnes qui vivent avec le VIH et à leur entourage ?

  • Speaker #0

    Les personnes qui vivent avec le VIH, je leur dis, sentez-vous heureuse malgré tout ? Je sais que c'est difficile, mais trouvez du bonheur dans les choses qui ne vous impactent pas. C'est-à-dire qu'on est tellement focalisé sur le virus parfois quand on vit avec, parfois on a tendance à en faire. Soit en faire notre vie entière, soit au contraire l'occulter parce que c'est trop dur ou parce qu'on ne se sent pas concerné. Je pense notamment à des personnes qui viennent de contracter le VIH et puis qui se disent maintenant avec un comprimé par jour et je suis tranquille. Mais au fond d'eux, il y a quand même ce choc-là. Et j'aimerais dire à ces personnes que la vie continue malgré tout. et puis que... que le VIH, ce n'est pas une finalité. Et aux proches, je dirais, soyez compassionnels. Soyez compassionnels avec les gens qui vivent avec le VIH. Parce que même si c'est quelque chose de chronique maintenant, comme d'autres pathologies, ça n'en reste que c'est une pathologie qui stigmatise, qui est vecteur de stigmatisation, de rejet. Donc, prenez les personnes pour ce qu'elles sont et pas pour ce qu'elles ont.

  • Speaker #1

    En parlant de stigmatisation, quels sont pour toi, par exemple, les trois grands mythes qu'on a encore autour du VIH ?

  • Speaker #0

    La première, c'est de mélanger, selon moi, le VIH avec le sida. Le VIH et le sida, ce n'est pas la même chose. On peut avoir le virus. Le VIH, c'est le virus. Le sida, c'est un syndrome, c'est un ensemble de symptômes. Et c'est le stade final du VIH. On peut très bien avoir le VIH toute sa vie et ne jamais développer un sida parce qu'on est traité et que si on est traité, on a une virée mal détectable. Ou alors, on peut avoir un sida comme moi j'ai eu avec mes... mais maladie opportuniste quand j'étais petite, et puis revenir au stade VIH après parce qu'on prend des traitements qui fonctionnent. Mais VIH ne veut pas forcément dire sida. C'est deux choses différentes. Ça, c'est la première des choses. La deuxième, c'est que les médicaments sont efficaces, bien pris, permettent d'avoir une vie la plus normale possible. Au niveau médical, je dis vraiment au niveau biologique, le virus n'a plus d'impact sur le corps. Après, on a évidemment tous nos ressentis, nos vécus qui rendent la chose plus compliquée. Mais au niveau biologique, le virus est contenu. Et ça, c'est une vérité. Bien prendre ses traitements, plutôt que de croire des charlatans qui voudraient vous vendre des produits miracles qui ne marchent pas. Parce que ça, c'est quelque chose que j'entends encore souvent. Et puis aux personnes qui ne sont pas séropositives, qui ne connaissent pas forcément grand-chose. Leur dire que si le VIH, c'est une vérité, c'est une réalité, c'est un virus qui existe vraiment, pour lequel il n'y a pas de guérison. Et que donc le meilleur moyen d'éviter d'attraper le VIH, c'est déjà de se dépister régulièrement. Et puis, il y a la PrEP, qui est le traitement de prophylaxie qu'on peut prendre pour avoir des rapports sexuels non protégés. Mais par contre, ça ne protège que du VIH. Donc moi, dans l'absolu, pour une méthyle préservative quand même. pour être protégé de la syphilis, de la gonorrhée et d'autres pathologies sexuelles. Mais le virus en lui-même, ce n'est pas celui qui tue. Ce qui tue, c'est le rejet.

  • Speaker #1

    Est-ce que, Sophie et Léna, tu aimerais rajouter quelque chose avant la dernière question de fin ?

  • Speaker #0

    Pour moi, c'est tout bon. Je voulais juste rajouter que indétectable égale intransmissible, c'est vraiment quelque chose qui doit rentrer dans les têtes des gens.

  • Speaker #1

    Et du coup, je vais venir t'embêter, ça c'est à 100% sûr ?

  • Speaker #0

    Oui, 100% sûr. Indétectable égale intransmissible, c'est une vérité scientifique, c'est quelque chose qui est reconnu dans tous les pays occidentaux. Quand bien même certains pays limitent encore les voyages des personnes séropositives, oui parce qu'il y a des pays dans lesquels je n'ai pas le droit d'aller, mais la plupart des pays occidentaux... se sont rangés à cette réalité-là. Et oui, indétectable égale à transmissible. Si tu es traité, tu prends ton traitement correctement. Tu as une virémie indétectable et donc tu ne transmets pas le virus. Point.

  • Speaker #1

    C'est magnifique. Point. Je voulais l'entendre jusqu'au bout. Quel super pouvoir la maladie invisible t'a apporté ?

  • Speaker #0

    La résilience. Pendant longtemps, j'ai douté, j'ai eu le syndrome de l'imposteur. Je me disais, mais en fait, je ne devrais pas être orgueilleuse. Et en fait, plus ça va, plus je m'assume dans le fait que j'arrive à rebondir, que ça m'a donné une élasticité émotionnelle et une élasticité mentale pour absorber les chocs de la vie. Et que c'est devenu un super pouvoir, qui peut être un peu traître parfois, parce que ça peut me demander pas mal de ressources. mais qui me permet d'avancer malgré tout.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Sophie et Léna pour ton partage.

  • Speaker #0

    Merci Tamara de m'avoir invitée.

  • Speaker #1

    Merci de soutenir ce podcast en vous abonnant pour ne manquer aucun épisode et en lui donnant 5 étoiles sur vos plateformes d'écoute préférées. Rencontrez mes invités et découvrez tous les engagements de la communauté Les Invisibles sur le compte Instagram Les Invisibles Podcast. Ensemble, continuons à visibiliser l'invisible.

Description

Sophie-Elena connaît les violences et les maltraitances médicales depuis sa naissance.

Née avec une hépatite B et abandonnée dans un hôpital de la Roumanie des années 90 - véritable mouroir à bébés - elle y contracte le VIH 🦠, alors qu’une seule et même seringue est utilisée pour tous les nourrissons.


À ses 1 an, Sophie-Elena est adoptée par un couple suisse 🇨🇭 qui souhaite lui offrir une fin – ou peut-être un début – de vie digne. Elle découvre alors l’amour, la chaleur d’un foyer, et d’autres paysages que les murs blancs de l’hôpital.


En grandissant, elle « vit son corps » comme un sujet de honte et de stigmate. Humiliée, trahie, mise de côté… Bien plus que le virus en lui-même, ce sont les conséquences d’en être atteinte qui lui créent les plus grandes blessures.


Ce corps, grâce à deux expériences où son choix a été remis au centre, elle finit par se le réapproprier. Elle s’adresse même à lui en disant : « C’est moi qui décide maintenant. Et toi, le virus, tu n’as pas gagné. »


Aujourd’hui, le virus de Sophie-Elena est indétectable, donc intransmissible. 🙏🏻

Elle vit en reconnaissance de celles et ceux qui ne sont plus là - en prenant ses traitements avec rigueur, en sensibilisant au VIH, et surtout en déconstruisant les mythes qui persistent encore autour de cette maladie.


Si la vie de Sophie-Elena ressemble à un labyrinthe, elle semble avoir trouvé une sortie… remplie de lumière.


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Transcription

  • Speaker #0

    Je me suis déjà posé la question, mais comment est-ce que je vivrais le jour où il ne sera plus là ? Je me suis dit, si un jour on peut détruire le VIH, ce sera super, j'aurai plus à subir ces assauts. Mais d'un autre côté, ça va me faire bizarre. Est-ce que je serai la même sans mon VIH ? Est-ce que je n'ai pas donné ma raison de vivre de la lutte contre le VIH ? Si on détruit le VIH, que j'aurais encore une raison de vivre ? Alors oui, bien sûr, j'aurais encore des raisons de vivre. Quand on s'habitue, quand on vit avec une maladie toute sa vie, c'est difficile d'imaginer ne plus l'avoir. Ouais.

  • Speaker #1

    Les Invisibles. Juin 2020. Ma vie bascule du jour au lendemain dans une maladie neurologique, rare, qui n'a de poétique que le nom. Le syndrome du mal de débarquement. Les symptômes qu'elles m'amènent vivent en colocation avec moi, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, et ne prennent jamais leur week-end. Je n'ai donc pas la place pour un autre combat. Du moins, c'est ce que je crois. Puis vient ce jour où je témoigne dans une émission télé, dans l'espoir de rendre visible l'invisibilité du syndrome dont je suis atteinte. A peine sortie du plateau, forte de cette expérience et encore dans mes talons rouges, une évidence s'installe. Je n'en resterai pas là. Dans le train du retour, je rejoins à la fois ma maison et mon nouveau combat. Offrir un espace de parole au travers d'un podcast, aux personnes qui composent, bien souvent en silence, avec des maladies invisibles, et avec les regards de sociétés qui ne croient que ce qu'elles voient, deux réalités plus souvent subies que choisies. Aujourd'hui, loin de mes talons rouges et au plus proche de l'engagement, l'évidence s'étend. C'est à l'invisible ou pluriel que je vous invite. Ceux qui dans la chair, l'esprit et les sociétés se vivent, sans pour autant faire de bruit. Si comme le dit Antoine de Saint-Exupéry, l'essentiel est invisible pour les yeux, ici, on compte bien le faire entendre. Bonne écoute !

  • Speaker #0

    Hello Sophie et Léna ! Bonjour Tamara ! Comment est-ce que tu vas aujourd'hui ? Aujourd'hui je vais bien, c'est une bonne journée. Et toi, comment vas-tu Tamara ?

  • Speaker #1

    Je suis contente de l'entendre. Alors moi, on est vraiment dans tout l'inverse. Si je te dis la vraie vérité, j'ai failli annuler notre entretien ce matin.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Parce que j'ai vécu hier un événement qui a fait ressortir tous mes symptômes de stress post-traumatique. Et c'est des choses qui peuvent arriver quand je suis face à la violence masculine dans différents événements de la vie. Et puis, j'ai été mise face à ça et ça me crée beaucoup de symptômes comme à la fois une rapidité de pensée, mais un ralentissement dans le langage. Je me sens très en insécurité. Il y a pas mal d'anxiété, je me sens un peu sous un étau, c'est pas du tout confortable. Et j'ai essayé d'accompagner ça tout au long de cette journée, vraiment, et d'être dans une bienveillance avec mon ressenti. Et puis ça m'a permis d'être là avec toi presque ce soir, en tout cas il est 16h, et j'en suis contente. et je te remercie d'avance pour toute ta compréhension s'il y a des moments où je perds mes mots ou voilà, j'ai l'air un petit peu... un peu plus fragilisé parce qu'en dehors de la maladie neurologique ou intestinale ou tout ça, il y a aussi ce syndrome de stress post-traumatique complexe et je navigue aussi avec ça parfois.

  • Speaker #0

    D'accord, j'accueille ça avec toute la bienveillance que je peux te donner et vraiment je te remercie pour ta confiance, tu me confies tout ça.

  • Speaker #1

    Merci. Sophie-Hélène, ton histoire à toi, elle commence par un abandon. Alors que ce que l'on peut souhaiter de plus fort à un bébé qui vient au monde, c'est de se sentir aimé et en sécurité. Tu nais dans la Roumanie des années 90, on va même être précise, on va dire en 89 tu es né. Tes parents disparaissent et on te place à l'orphelinat, puis à l'hôpital car tu es atteinte d'une hépatite B. Ta première année de vie se vit sans peau contre peau, sans regard, sans voix. Ton corps minuscule apprend à vivre sans amour, sans aucun contact physique ni chaleureux, entouré de murs blancs. Et puis un jour, une famille suisse décide de t'adopter, alors que tout le monde te croit condamné. Tu es censé mourir du VIH, que tu as contracté à cause de seringues non désinfectées qui passent d'un bébé à l'autre dans l'hôpital. Et pourtant, tu vis. Mais derrière la vie, il y a aussi cette traversée avec les traitements, les effets secondaires, les moqueries, les regards jugeants, l'incompréhension. Tu traverses aussi l'enfance médicalisée, l'enfance en pédiatrie, où l'on pense à fêter ton anniversaire, au passage brutal à la médecine adulte, où tu n'es qu'une inconnue que l'on vous voit. À 19 ans, ton corps devient sujet de honte quand on révèle sans ton consentement le virus avec lequel tu vis. À 22 ans, il redevient territoire de liberté et tu recommences à t'aimer. Et puis un jour, tu deviens mère à ton tour. Mais même là, l'hôpital te rappelle que pour être une bonne maman, il faut d'abord être en bonne santé. Tu dis que ta vie est un labyrinthe et qu'au fond, ta survie, c'est d'être adoptée. Alors aujourd'hui, on va parler de ce labyrinthe, des cicatrices qu'on ne voit pas, c'est la thématique des invisibles ça, des traumas qu'on apprivoise et de la lumière qu'on apprend à fabriquer soi-même, parce que dans ton témoignage, c'est ce que j'ai ressenti, beaucoup de lumière. Donc, merci Sophie-Hélène d'être là. Toi, comme je l'ai dit, tu as été abandonnée à un hôpital durant ta première année de vie, sans un seul bras pour te bercer. Quand tu reconnectes à cette première année sans contact, sans amour, de quoi ton corps se souvient ?

  • Speaker #0

    Mon corps, je pense qu'il se souvient en fait des agressions, des piqûres, des... Et de la contention aussi, parce que les bébés, on les emmaillotait. Mais je pense que ça ne devait pas être très bien fait, parce que j'ai ce côté d'être contenue, en fait. C'est un ressenti que j'ai. Et en fait, on m'a confirmé qu'on emmaillotait les bébés à cette époque-là, dans ces hôpitaux-là. Et puis, c'est surtout cette notion d'être dans ma bulle. Et mon corps a tendance à choisir la fuite en avant. quand c'est trop dur.

  • Speaker #1

    Comme quoi, même si c'est des moments ou des périodes de vie où on n'a pas d'image concrète, on a toute cette mémoire implicite de ressenti et peut-être que là, aujourd'hui, à l'âge adulte, il y a des choses qui se manifestent. J'en sais rien, tu parlais de la question d'être contenu et peut-être que c'est quelque chose que tu n'aimes pas aujourd'hui ou le fait que tu aies besoin de fuir dans d'autres mondes, dans ta tête pour... Pour te sentir à l'abri et pour ne pas être face à cette brutalité et la réalité peut-être des fois d'un quotidien, il y a quand même des choses qui restent.

  • Speaker #0

    Oui, il y a des choses qui restent. Mes parents ont mis des années à me faire sortir de ma bulle, à tel point que quand j'étais petite, on avait supposé que j'avais un TSA, un trouble du spectre de l'autisme, qui ne s'est pas confirmé avec le temps, mais en tout cas, j'avais des symptômes qui faisaient franchement penser. Et puis, j'ai toujours eu besoin de fuir de la réalité difficile dans des mondes plus doux, plus cotonneux.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ce que tu me disais aussi la dernière fois quand on a échangé ensemble, c'est que tu as eu des retards à la fois au niveau du langage, même au niveau de l'alimentation. Je crois que tu me disais, tu as mangé la première fois solide, tu avais 4 ans.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Il y a vraiment des choses comme ça où le fait de ne pas avoir été dans la sécurité, l'amour, l'éducation, finalement, il y a des choses qui se sont énormément retardées à venir.

  • Speaker #0

    Oui, en fait, ça a été par priorité. C'était d'abord me reconnecter, me connecter à l'amour de quelqu'un, l'amour de mes parents. Après, ça a été me connecter au fait d'avoir du confort, C'est-à-dire d'être changé régulièrement, d'avoir... accès à des biberons régulièrement et puis qu'ils ne soient pas gavés. Parce qu'on suppose qu'on m'a gavé quand j'étais bébé parce que j'ai des tétines encore qui sont très larges, les trous sont gigantesques. Et puis j'ai refusé la cuillère très longtemps, ce qui suppose aussi qu'on m'a forcé à la cuillère. Donc toutes ces choses-là font que ça a été par des priorités. D'abord, on s'habitue à l'amour. Après, on s'habitue à manger. Après, on s'habitue à marcher. Et chaque fois, c'était des petits pas en avant. vers quelque chose qui se rapprocherait d'une idée qu'on peut se faire de la normalité. En tout cas d'une normalité acceptable pour mes parents et acceptable pour moi.

  • Speaker #1

    Donc ce que tu nommes aujourd'hui tes parents, c'est tes parents adoptifs ?

  • Speaker #0

    Exactement. Mon papa, ma maman, c'est mes parents suisses.

  • Speaker #1

    Et tu me disais que d'avoir été adoptée, c'est ce qui t'a permis de vivre. En quoi ça t'a raccroché à la vie ?

  • Speaker #0

    Il faut bien comprendre qu'à l'époque de Ceausescu, du dictateur roumain, les hôpitaux et les orphelinats, c'était des vrais mouroirs. Les enfants n'avaient pas de stimulation. Ce qui veut dire également qu'ils n'avaient pas d'amour, ils n'avaient pas de soins. Et moi, j'étais dans une chambre avec deux autres bébés. Et ma maman, ma maman suisse, m'a visitée. Elle m'a dit qu'il y avait deux autres bébés dans ma chambre. Il y en avait un qui avait à peu près le même âge que moi, qui se tapait la tête contre les murs. Et un autre qui est mort de diarrhée quelques jours plus tard. Donc, j'étais dans un contexte de violence médicale. Et j'étais dans un contexte de désespoir. Où des bébés se tapent la tête. Alors, des bébés d'une année. Mais des bébés quand même qui se tapent la tête. tape la tête contre les murs, c'est inimaginable. Je veux dire, mourir de diarrhée, c'est atroce. Et moi, j'ai survécu, je pense, en grande partie, parce que je me suis construit ma bulle. Alors, pourquoi j'ai eu cette ressource-là et pas les autres, j'en sais rien. J'essaie de ne pas y penser. Parce que sinon, j'ai la culpabilité du survivant et c'est pas sain. Et ça m'enfonce plus que ça m'élève. Donc, j'essaie plutôt de vivre en reconnaissance de ceux qui ne sont plus là, plutôt que de m'apitoyer sur ma survie.

  • Speaker #1

    Mais c'est vrai que c'est hyper dur à imaginer, toi comme moi, on est maman aussi, de pouvoir imaginer ces scènes ou même des fois d'y être confrontée. En tout cas, moi, j'ai pu voir des images d'orphelinats roumains dans ces périodes avec des centaines d'enfants qui sont vraiment laissés là au dépourvu. Et on navigue avec l'horreur en fait face à ça, vraiment.

  • Speaker #0

    ou bien te dire que quand je suis arrivée en Suisse, j'avais à peu près un an, je pesais 6 kilos. J'étais une crevette. J'étais minuscule. Donc, je ne partais pas gagnante.

  • Speaker #1

    Et tes parents t'ont amenée justement à partir gagnante dans la vie après cette première année de vie ?

  • Speaker #0

    Oui. Ils se sont dit qu'ils allaient me donner tout ce que je n'avais pas eu, de l'amour, de la considération, du respect et puis des soins. Je ne me rappelle pas. Je n'ai pas conscience de ça en tout cas. Mais ma maman, la première fois qu'elle a voulu me coiffer, elle m'a carrément coupé les cheveux parce que les nœuds que j'avais étaient tellement forts et tellement puissants que c'était impossible à coiffer. Personne ne s'était occupé de mes cheveux en Roumanie. De ma naissance à mon adoption, mes cheveux se sont juste emmêlés. Ce n'était pas des dreads, mais je ne pense pas très loin. J'ai encore dans mon album de photos... Une enveloppe dans laquelle j'ai une touffe de ses cheveux. J'ai mes tétines encore que ma mère a ramenées de Roumanie. J'ai des souvenirs tangibles qui rendent cette époque concrète dans ma tête, mais aussi dans ma réalité d'ici maintenant. Il y a un pont qui se fait entre l'époque et maintenant.

  • Speaker #1

    Ça vient signifier aussi que ça a existé en fait.

  • Speaker #0

    Oui, exactement.

  • Speaker #1

    Donc, toi, à un an, tu vis à ce moment-là avec à la fois l'hépatite B et le VIH.

  • Speaker #0

    Alors, l'hépatite B, elle a été soignée en Roumanie avec des traitements. Donc, de ce côté-là, j'avais déjà plus l'hépatite B. À ma connaissance du mois, j'avais déjà plus l'hépatite B quand je suis arrivée en Suisse. En revanche, j'étais bel et bien séropositive.

  • Speaker #1

    Et grandir avec une maladie chronique, c'est aussi grandir avec... Le regard à la fois médical et parental, constant, inquiet, derrière soi. Comment on se construit son identité et comment se passe l'enfance lorsqu'on est un enfant malade en fait ? Sachant que justement, aussi dans tes premières années de vie, il n'y avait pas de traitement pour le VIH.

  • Speaker #0

    Non, il n'y avait pas de traitement. J'avais une procédure à suivre qui était de prendre un antibiotique tous les jours. pour prévenir les maladies opportunistes et des injections de globules blancs une fois par mois. Donc c'était déjà une enfance médicalisée avant les traitements. Et puis aussi, c'est très dur parce que quand on est parent, on veut le meilleur pour son enfant. Et en tant qu'enfant, on associe les médecins aux parents parce qu'ils nous disent quoi faire, quoi prendre, comment prendre. Mais c'est rassurant. Pour moi, c'était rassurant. Et aussi avec le VIH spécifiquement, parce que je suis fille d'infirmière, j'ai été éduquée très tôt à la médicalisation. Au fait de prendre des traitements, au fait de bien désinfecter une plaie, au fait de savoir faire un bandage. J'ai eu une éducation médicale très tôt. Mais ça veut aussi dire que j'ai perdu mon innocence très tôt aussi. Je savais à quoi servaient les prostituées très tôt. Je savais qu'est-ce que ça voulait dire faire l'amour. Je savais qu'est-ce que ça voulait dire mettre un préservatif. Et quand j'ai 7 ans... et que ma maman m'a amenée à la conférence internationale de lutte contre le sida. Il y avait un bus stop sida avec un énorme préservatif gonflé dessus. J'ai dit à ma mère, mes mamans franchement, ils ne sont pas très discrets. À 7 ans, je savais déjà à quoi ça servait. Mon fils, je le préserve de ça pour qu'il puisse garder encore son innocence un petit moment. Mais je n'en veux pas à ma mère parce que ça m'a permis en fait de... de limiter les risques, parce qu'à cette époque-là, une coupure, on ne savait pas quelles étaient les conséquences, on ne savait pas comment gérer la maladie dans le sens de transmission. Et je sentais que j'avais cette responsabilité de faire attention. Même si personne ne m'a dit « fais attention de ne pas te couper » , je savais qu'il y avait un risque si je me coupais, qu'il y avait peut-être une transmission qui pouvait se faire. Et donc, je faisais attention de moi-même. J'ai été éduquée aussi aux médicaments très tôt, donc d'avoir la discipline de prendre les traitements à l'heure fixe tous les jours, même quand on n'a pas envie, même quand c'est les vacances, même quand c'est le week-end, même quand c'est Noël. Et puis de les prendre envers et contre tous.

  • Speaker #1

    Bon, c'est très bien. La maladie n'a pas de vacances, il n'y a pas de jours fériés reliés à ça. Et très souvent, j'en parle avec d'autres personnes malades. On a des fois même très peu de repères dans la semaine, à savoir quel jour on est, parce que ça ne change pas forcément grand-chose, dans le sens que notre état est toujours le même ou toujours fluctuant. Et ce qui va amener des repères dans le temps, c'est souvent la vie extérieure ou quand on a des enfants, justement, où il y a un planning qui se fait. Mais en effet. Ensuite, quand tu es préadolescente, là, il commence à y avoir des traitements pour le VIH qui sortent, si je ne me trompe pas.

  • Speaker #0

    Déjà un petit peu avant. En 96. En 96. J'avais 7 ans à ce moment-là.

  • Speaker #1

    Et si je ne me trompe pas, c'est ces traitements lourds-là qui ont modifié ton corps et créé une lipodystrophie et une lipoatrophie chez toi ? Ça,

  • Speaker #0

    c'est venu après.

  • Speaker #1

    Ça, c'est venu après.

  • Speaker #0

    Ça est venu quand j'avais 12 ans. Je vais en parler. Mais quand j'étais petite, je prenais des sirops qui étaient contraignants parce que je devais les prendre à jeun, donc hors des repas. Donc, pas de goûter avec les copains, pas de fête d'anniversaire trop souvent parce qu'il fallait préserver les traitements. Et puis sinon, c'était des sirops amers qui avaient un goût infect que je devais prendre tous les jours. Ma maman, elle me donnait un caramel à chaque fois après pour faire passer le goût, mais ça ne changeait pas grand-chose. En fait, ces médicaments, c'était du bricolage. Les scientifiques, pour les adultes, donnaient des comprimés. Donc, les malades du sida, à cette époque-là, reprenaient. 10, 20, 25 comprimés par jour. Moi, j'avais des sirops. Puis c'était quand même contraignant parce qu'il fallait les garder au frigo. C'était toute une logistique. Et effectivement, quand j'ai eu l'âge de 12 ans, j'ai changé de médicament. J'ai pris trois comprimés qui sont des comprimés à prendre une fois par jour. Mais à cette époque-là encore, les médicaments étaient très toxiques. Ça veut dire que ça tapait facilement sur les reins. Et en plus, ça provoquait de la lipodystrophie, de la lipoatrophie, qui est en fait une mauvaise répartition des graisses. Ce qui signifie que toutes les graisses que j'ingurgitais allaient dans le ventre ou dans les seins. Et nulle part ailleurs. Le ventre, les jambes, le bras, le visage était famélique. Un peu comme les caricatures d'enfants malnutris. On peut voir sur les affiches de Médecins sans frontières. Moi, j'étais cette caricature-là.

  • Speaker #1

    Et tu m'avais confié aussi qu'à ce moment-là, alors que tu es préadolescente, ta poitrine, c'est du F, quoi.

  • Speaker #0

    Oui, du F.

  • Speaker #1

    Et c'était énorme, alors que justement, tu es extrêmement maigre aussi. Donc, pour toi, dans ton développement, dans ton identité, dans ton rapport aux autres, ça a aussi été quelque chose de très compliqué, non ?

  • Speaker #0

    Ça a été infernal. Oui, oui. Ça a été infernal à vivre parce que d'une part, j'étais vue comme un bout de viande par les gens dans la rue. Les hommes principalement. J'étais vue comme une star du X par les copains à l'école. On m'affublait de surnoms en rapport avec ça. C'était difficile de me vêtir. À l'époque, il y avait des magasins comme Tallywell ou Yandy. Je ne trouvais pas grand-chose à ma taille. Pour les soutiens-gorge, je devais aller dans des enseignes spécialisées parce qu'on ne trouvait pas de vêtements et de sous-vêtements à ma taille. Et ils étaient tellement chers que l'assurance maladie payait une partie de ces sous-vêtements parce que le handicap était lié à la maladie.

  • Speaker #1

    Ok. Et comment tu as vécu toutes ces moqueries et humiliations aussi de tes camarades ? Parce qu'on sait que c'est des périodes où on peut être affreux avec ses pairs. Quand il y a des choses qui viennent nous confronter comme ça. Moi, je pense aussi, quand j'étais adolescente, où j'ai pu être mesquine avec d'autres. Et l'inverse était vrai aussi. J'ai reçu aussi beaucoup de harcèlement. Mais on est dans quelque chose qui est parfois très dur, les uns avec les autres. Et toi, tu as vécu ça comment ?

  • Speaker #0

    Moi, je l'ai mal vécu, évidemment. Et c'est surtout que ça a été difficile. Je l'ai vécu comme une trahison. Parce que j'avais parlé de mon VIH, ma meilleure amie de l'époque. Un jour, on s'est disputé, on a parlé à la pipelette de l'école. Le lendemain, tout le monde était au courant. J'étais la fille qui a le sida. Heureusement, l'école a bien réagi. Ils ont mis une punition à ceux qui avaient propagé la chose. Mais ça ne m'a pas empêchée de changer d'école parce que ça n'allait plus.

  • Speaker #1

    Et quand on sait aussi toutes les idées reçues qu'il y avait autour du VIH, et certaines persistent encore par ailleurs, mais c'était vraiment... Moi, j'ai des souvenirs quand j'étais enfant où on disait « tu ne peux pas manger dans la même assiette qu'une personne qui a le VIH » . Des choses comme ça qui sont hyper violentes, un peu des sous-entendus sur toutes les personnes gays qui sont contaminées. Des choses vraiment affreuses et qui étaient presque entretenues même dans les foyers.

  • Speaker #0

    Oui, j'ai d'ailleurs eu dans ma propre famille de la sérophobie. J'ai eu une tante qui refusait que je porte ma cousine dans les bras. qui était encore bébé, parce qu'elle avait peur que je contamine ma cousine. Donc mes parents étaient furieux, évidemment. Moi, je ne m'en rendais pas encore trop compte. C'est vrai que j'ai été, jusqu'à l'âge de la préadolescence, j'ai été préservée des moqueries, de la stigmatisation et tout ça, parce que mes parents m'avaient dit, le VIH, tu le gardes pour toi. Du petit virus, tu n'en parles pas. Ni aux copains, ni aux amis de la famille. Ça garde, ça reste entre nous. Et je ne comprenais pas pourquoi, mais je respectais ça.

  • Speaker #1

    C'est là où on voit aussi, je trouve, au travers de ton discours, et c'est ce qu'on aime mettre en lumière dans l'association, c'est que les choses vont tellement au-delà de la maladie en elle-même. Il y a vraiment le virus, mais en fait, tu as vécu tellement de traumas à d'autres niveaux, tellement de rejets, que ce soit au sein du foyer, à l'école. Finalement, ça s'étend de manière si vaste autour de la personne qui est malade, les conséquences.

  • Speaker #0

    Oui, et puis il y a une multitude, un croisement. Je sais qu'il y a un terme pour ça, mais je ne me rappelle pas. Mais il y a un croisement entre les traumatismes que j'ai, parce qu'il y a les traumatismes du VIH, il y a les traumatismes du rejet à cause du VIH, et il y a les traumatismes à cause de l'adoption. Et ça, ça fait un mix. Pendant longtemps, je ne me suis pas trop rendue compte du cause à effet entre... la Roumanie et le VIH et ma contamination bébé. Mais c'est venu plus tard où j'ai développé une colère, une colère froide entre la Roumanie. Parce que je l'estimais, à ce moment-là de ma vie, coupable de ma transmission. Là où c'est beaucoup plus subtil que ça.

  • Speaker #1

    Bien sûr, c'est subtil. Et en même temps, on voit aussi ce fil, finalement, de... La contamination parce qu'il y a de la négligence, il y a de la maltraitance médicale. Ensuite, le fait d'être contaminé, il peut y avoir du harcèlement. Il y a des traitements qui sont mal digérés ou gérés. En fait, c'est un effet boule de neige aussi, tout ça. On a la maladie à la base, mais ça prend tellement d'espace. Ça touche tous les domaines de la vie.

  • Speaker #0

    Oui, et la maladie, enfin le VIH… En plus, la particularité est d'être asymptomatique la plupart du temps. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on est traité, on n'a pas de symptômes. Donc, moi, j'ai décidé, à cause de cette poitrine survolumineuse que j'avais, un jour d'arrêter de prendre mes traitements. Je voulais prendre un jour sur deux, une fois par semaine, au petit bonheur la chance. Et puis, quand il y avait des contrôles, là, je faisais attention, mais ça ne servait à rien parce qu'on peut remonter loin dans le temps avec les prises de sang. Mais ce que je veux dire par là, c'est surtout que... Ça a eu un effet sur le fait que je ne pouvais pas anticiper le futur. Quand on est adolescent, on n'a pas l'anticipation de ce qui pourrait arriver. On n'a pas les conséquences en tête. Et le VIH, ce n'est pas comme par exemple le diabète, où si tu ne mets pas ton insuline, le lendemain, tu es à l'hôpital. Mais moi, si je ne prends pas mes médicaments aujourd'hui, je le paierais cher, mais seulement dans une année, deux ans.

  • Speaker #1

    Donc, ce n'est pas concret et palpable.

  • Speaker #0

    C'est ça.

  • Speaker #1

    Alors que les conséquences qui sont autour de la maladie, comme le fait de se faire humilier, moquer ou de souffrir des effets secondaires, ça c'est palpable à la différence de la maladie.

  • Speaker #0

    Exactement. Et c'est très difficile. Moi, quand j'étais ado, je me disais, mais à quoi ça sert prendre ces traitements ? Ça ne va pas me guérir. Je ne sens rien. Et puis surtout, je n'en vois pas le bout. Ce n'est pas comme des antibiotiques que tu prends pendant deux semaines et après on n'en parle plus. Là, c'est toute la vie. mais toute la vie quand on est ado c'est vertigineux.

  • Speaker #1

    Tu me disais même qu'il y a eu une période où tu les cachais tes traitements dans tes chaussures ou tes chaussettes.

  • Speaker #0

    Je cachais en fait mes comprimés dans un petit sac plastique que je cachais dans mes chaussettes. Et un jour, ma mère a trouvé un sac genre gros comme ça rempli de comprimés. Il y en avait pour des milliers de francs de médicaments que je n'avais pas pris. Ça aussi, c'est une chose qu'on ne se rend pas compte. Mais en Suisse, on a de la chance d'avoir des traitements, mais ces traitements sont très chers. Et je n'avais pas conscience de la valeur de mon traitement non plus à ce moment-là. Je ne parle pas seulement de la valeur médicale, mais aussi de la valeur monétaire. Et c'est vrai que quand ma mère a trouvé ces comprimés, elle m'a dit « Mais tu sais ces médicaments très chers, tu dois en prendre soin. » Alors oui, sur le papier c'est bien joli, mais dans les faits, je n'étais pas prête à faire ce pas-là. Je n'étais pas prête à considérer la valeur de mes traitements à ce moment-là. Parce que j'étais trop en colère, il y avait trop de résistance, pas de résistance médicale, mais de résistance émotionnelle à cette prise de traitement. Et j'ai même parfois été tellement mal que pour moi, prendre ces médicaments, c'était comme m'automutiler. Ça me faisait mal de les prendre. Ça me faisait physiquement, sur la langue, de les avaler, faire ce truc, c'était comme planter un poignard dans le ventre. Et par rapport à ça aussi, c'est que je mangeais mal parce que les médicaments, ils avaient comme effet à cette époque-là d'avoir une incidence sur l'alimentation. On a moins faim, on n'a plus trop faim, on mange mal. Et comme j'ai été gavée bébé à la cuillère, possiblement, et que j'ai eu pas mal de conséquences, ça fait que j'ai développé aussi des rejets au niveau alimentaire. Donc ce n'est pas de l'anorexie ou de la boulimie. C'est plus une alimentation très sélective en fonction des textures. Parce que certaines textures, j'avais l'impression de m'agresser en mangeant. Et ça, c'était aussi lié au traitement. Parce que mettre quelque chose dans la bouche pour avaler et manger, c'était quelque chose d'insurmontable par moments. Alors, je ne me suis jamais fait vomir. Mais par moments, je me suis, je pense, psychologiquement automutilée en ne mangeant pas. Et en ne prenant pas mes traitements. Je me suis fait du mal de cette façon-là.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Et ça y est. Pardon, vas-y.

  • Speaker #1

    Non, non, mais on perçoit vraiment à quel point la question des traitements était lourde dans cette période charnière de la vie, en fait.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Et ça crée aussi, ça creuse un écart aussi entre toi et les personnes de ton âge.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'on n'a pas de... À cette époque-là, je n'avais pas cette insouciance. Et en plus, je devais gérer l'information. plus tard dans mon adolescence je me suis retrouvée en internat et là aussi l'information a fuité et j'ai dû gérer ça toute seule donc c'est la première fois que j'ai fait un témoignage devant les filles de cet internat ça a été bien reçu j'ai eu une fin d'année beaucoup plus calme mais

  • Speaker #1

    c'était très stigmatisant aussi et je crois que tu as vécu aussi une autre trahison quand tu as eu ton premier rapport sexuel oui Avec la personne concernée qui a été divulguée ça aussi.

  • Speaker #0

    Oui. Et là, ça a été beaucoup plus violent parce qu'il y a des mots très durs qui sont sortis. Tumeur sur pattes, sidaïque. C'est les deux mots qui résolvent encore en moi comme étant des insultes particulièrement violentes. Et voilà, ça sous-entend aussi que j'étais sale.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Après, j'ai dû apprendre à prendre du recul avec ça. Et me dire que les personnes qui le disaient, ce n'étaient pas des personnes dignes d'intérêt. Mais sur le moment, ça fait mal.

  • Speaker #1

    C'est avec le recul que c'est plus évident de se dire ça. Et c'est une évidence, mais sur l'instant, c'est terrible. Et surtout que c'est dans des moments où tu offres une part de toi qui est vulnérable, que ce soit en te confiant à ta meilleure amie ou en ayant un rapport sexuel avec quelqu'un, il y a aussi des parts de sa propre vulnérabilité dans ces moments-là. et de l'utiliser ensuite contre la personne, c'est vraiment... Une question de trahison, en fait.

  • Speaker #0

    Oui, une question de trahison et une question d'acceptation ou de rejet. On a tous envie de faire partie d'un groupe. Parfois, on veut faire partie d'un mauvais groupe parce qu'on préfère être mal accompagné que seul.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr, surtout à certaines périodes de vie.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    Toi, tu as connu la médecine pédiatrique qui était... plus douce, plus familière, comme je le disais en introduction. On fêtait ton anniversaire, on te tutoyait. Et ensuite, tu es passée à la médecine adulte, bien plus distante, bien plus froide, où on te vouvoie, où tu es plus seule et anonyme, finalement, dans la prise en charge. Comment c'était pour toi, ce passage-là ?

  • Speaker #0

    Très dur. Ça a été très dur parce que je n'ai pas été préparée pendant des années. J'avais vraiment justement ce côté très familial. On me tutoyait, mon nom, prénom étaient inscrits sur mon dossier. J'avais toujours les mêmes infirmières. On fêtait Noël, les anniversaires. C'était très familial. Et du jour au lendemain, je me retrouve à 16 ans. Normalement, c'est 15 ans. Mais ils m'ont gardé une année de plus, mais ils ne m'ont pas préparé pour autant. J'ai été catapultée chez les adultes. Et là, c'est un tout autre monde. Effectivement, on est en numéro. Et comme le CHUV, c'est universitaire, donc il y a un turnover de fous dans les médecins. Ça change tous les six mois. Et ça a été très, très, très difficile. On attend de toi que tu gères ta maladie. On attend de toi que tu sois au clair avec tes traitements. On attend de toi que tu sois prête à participer à des études ou à t'investir en fait dans la gestion de ton... de ta maladie et des traitements. Là où en pédiatrie, c'est plutôt les parents qui s'en occupent.

  • Speaker #1

    Et tu aurais du coup souhaité être préparé, justement, comment ils auraient pu faire différemment pour que ça se fasse un peu plus en douceur, cette transition ?

  • Speaker #0

    Alors moi, c'est marrant parce que j'ai réfléchi à cette question-là de façon très sérieuse. J'ai même fait un texte de recommandation pour le service des adultes où je sais qu'ils s'en sont inspirés de certaines façons. Mais j'avais dit que principalement, il fallait que les... Les pédiatres préparent au début de l'adolescence, vers 14, 13, 14 ans déjà, que l'enfant vienne seul au rendez-vous, que l'enfant apprenne à gérer ses traitements de plus en plus par lui-même, qu'il accepte aussi que ce ne soient pas toujours les mêmes médecins, et puis qu'il y ait des rendez-vous. de transition entre le service de pédiatrie et le service des adultes, où ils vont visiter le service, où on leur explique comment ça fonctionne, où on leur dit qu'ils vont être vouvoyés, que s'ils ne viennent pas au rendez-vous, c'est qu'ils rentrent francs pour rendre des rendez-vous manqués, qu'on attend d'eux quand même qu'ils soient un minimum investis dans leur traitement, qu'ils sachent pourquoi ils sont là, parce qu'il y a aussi, alors maintenant, moins, je l'espère, mais à mon époque, quand j'étais petite, Il y avait des patients qui ne savaient même pas pourquoi ils prenaient les médicaments. Les parents ne leur disaient pas pourquoi ils prenaient les médicaments, pourquoi ils allaient voir un pédiatre une fois par mois. Et moi, je me suis retrouvée dans une situation aussi où j'étais tellement en colère que les propositions de ma maman aussi de me soutenir là-dedans, je les ai aussi rejetées. Parce que quand on est ado, on a l'impression de gérer la terre entière, de pouvoir gérer la terre entière. Alors qu'on n'arrive même pas à gérer son réveil.

  • Speaker #1

    Et pour continuer dans ce fil aussi de la question des traitements, toi tu as vraiment traversé la colère, la lassitude, la déprime concernant tout ça. Qu'est-ce qui à un moment donné t'a fait reprendre tes traitements avec assiduité ? J'ai l'impression qu'il y a eu plusieurs déclics chez toi où tu t'es dit non mais maintenant... faut que je prenne ces traitements-là ?

  • Speaker #0

    En fait, ça a commencé déjà dans la contrainte. C'est-à-dire que j'avais entre 19 et 21 ans. Je dirais 20 ans. Je ne suis plus exactement sûre de l'année. Par contre, ce que je sais, c'est qu'un jour, un infectiologue m'a appelé. Elle m'a dit, Madame, vous prenez tellement mal vos traitements. C'était terrible parce que le VIH, il va vous traquer, il va vous tuer. C'est un serial killer. Désormais, vous allez aller tous les jours à la pharmacie. pour prendre les médicaments devant un pharmacien qui ferait une petite coche que vous les avez bien pris. Tous les jours. J'avais une dose de réserve pour les dimanches. Donc même le samedi matin, je devais aller. Et c'était très contraignant. Au début, j'y allais le moins possible. Et progressivement, j'ai dû apprendre à cohabiter avec mes médicaments. Et puis la première fois que j'ai été à la pharmacie, j'ai mis deux heures pour prendre mes médicaments avec du coca. J'avais une dizaine de comprimés. Parce que oui, ce qu'on n'a pas dit... C'est qu'à force de mal prendre mes traitements toute mon adolescence, j'ai développé des résistances médicamenteuses. Ce qui veut dire que les traitements ne fonctionnaient pas et il fallait en changer. Donc quand on a changé 5-6 fois de traitement, au bout d'un moment, il ne reste plus rien. C'est pour ça qu'elle m'a contrainte à la pharmacie. Et ça, ça a été la première étape. Une année ou deux plus tard, elle est partie et c'est un autre médecin qui l'a remplacée. Et ce médecin, lui, il a dit, on va garder ce rythme-là de prise à la pharmacie, mais on va aussi passer un contrat. Il faut savoir qu'en 2008, il y a eu une grande révolution dans la recherche sur le VIH. Les chercheurs ont découvert, un médecin suisse, Bernard Hirschel, qui a découvert avec ses équipes qu'une patiente ou un patient séropositif qui a une charge virale indétectable, c'est-à-dire moins de 20 copies par millilitre de sang, ne transmet pas le virus, même en cas de rapport sexuel à risque. Ça, ça n'a pas fait beaucoup d'écho chez moi sur le moment. Mais par contre, mon médecin, qui avait remplacé cette dame, m'a dit, si vous êtes indétectable pendant plus de six mois, au bout de six mois, vous aurez une réduction d'un mètre. Et là, ça a été déjà la première motivation pour moi de prendre mes traitements. Ça a été la première étape. Parce qu'il y avait une échéance, mais ça m'a donné une motivation.

  • Speaker #1

    Oui, et j'ai l'impression qu'il y a deux motivations là même, parce qu'il y a le côté où... Quand c'est indétectable, tu ne peux pas transmettre. Donc, c'est déjà énorme quand on y pense. Et en plus de ça, il y a la réduction mammaire. J'ai l'impression qu'il y a deux choses qui sont importantes dans son discours.

  • Speaker #0

    Oui, mais ça, je le dis maintenant. Mais à l'époque-là, j'étais encore vierge. Et à ce moment-là, je n'avais pas conscience de cette notion de liberté dans la sexualité. C'était juste avoir une réduction mammaire. C'était déjà juste ça. Et j'ai eu ma réduction mammaire avec trois mois de retard parce que je n'avais pas été indétectable aux six mois. Donc, je me dis, mais là, il faut vraiment que j'y arrive. Donc, j'ai pu être opérée quelques mois plus tard. Et puis, par la suite, j'ai eu des hauts et des bas. Il y a eu des moments où j'allais à la pharmacie pour emmener mes docs. Et puis, des fois, pendant une longue période, je pouvais les prendre à la maison. Mais il y a eu un autre épisode qui m'a marquée dans la reprise des traitements, dans cette réconciliation avec les traitements. C'est quand je suis tombée sur un article de presse que je n'ai jamais retrouvé. tout le temps j'ai cherché hum quoi qui relatait l'histoire d'un patient séropositif de la région qui refusait de prendre ses traitements par solidarité avec l'Afrique. Parce qu'en Afrique, ils n'ont pas les traitements. Pas tous. Et moi, j'avais trouvé cette démarche incongrue. Et je m'étais dit que j'allais plutôt faire un devoir de mémoire et prendre ces traitements par solidarité avec ceux qui ne sont plus là. Ceux qui voudraient en bénéficier, ne pas le faire pour moi, parce que c'était trop dur de le faire pour moi, mais que je pouvais le faire pour les autres. Et c'est une des grandes étapes où il y avait ça. Il y avait aussi des nouvelles dans les journaux parfois où on parlait de séro-contaminateurs. Donc ces fameux séro-positifs qui sont des dangers dans la mesure où ils voulaient contaminer. Le problème, c'est que toutes les mythes se sont construites sur ces cas-là. Mais moi, je n'avais pas envie d'être ces personnes-là. Je ne voulais pas être un danger pour les autres. Je ne voulais pas avoir ce pouvoir de vie ou de mort sur quelqu'un. Parce qu'à cette époque-là, c'était tout neuf, cette histoire d'indétectabilité. Et puis, je n'étais pas toujours indétectable. Je l'ai été définitivement en 2013. Mais jusqu'à cette époque-là, ça pouvait me dire, mais en fait, si je veux pourrir la vie de quelqu'un, j'ai ce pouvoir-là. Et c'est très lourd à porter. Parce que non seulement on porte la peur de l'autre, on porte une image de soi qui est parfaitement affreuse. mais en plus on a On se dit qu'on a un pouvoir de super méchant qui est de détruire la vie de quelqu'un. Maintenant, ça ne fait plus trop sens de le dire à notre époque, mais à cette époque-là, dans ce contexte-là, c'était ça.

  • Speaker #1

    Oui, puis finalement, il n'y a pas que la mort, mais on l'a vu, il y a aussi tous les contours de la maladie qui sont dans tous les cas, ce n'est pas agréable du tout. Donc, il y a quand même un pouvoir sur la vie de l'autre, même si ce n'est pas la mort.

  • Speaker #0

    Oui, et puis voilà, c'est le pouvoir. Pourrir la vie de la personne. Avec des traitements à prendre à vie, avec du rejet. Non, j'avais pas envie d'être ça.

  • Speaker #1

    Donc aujourd'hui, le VIH, il est indétectable chez toi ?

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Donc tu ne peux pas le transmettre ? Comment c'est pour toi aujourd'hui qu'il y a du coup des rapports sexuels ? Qu'est-ce que c'est aujourd'hui de te dire ça ?

  • Speaker #0

    C'est une grande victoire. C'est extrêmement agréable pour moi d'avoir des relations sexuelles épanouies où le virus n'a pas sa place. C'est une grande victoire. C'est quelque chose où je me dis que c'est quelque chose que personne n'aurait pu envisager. et et pas si longtemps que ça, parce que 2013, 2012, pardon, c'est pas si vieux. Moi, ça me paraît pas si vieux que ça. Après, j'ai eu des moments où, voilà, avant 2013, j'avais des moments où ça fluctuait la virémie, et parfois les rapports étaient un peu, pour moi, un peu difficiles, parce que je me disais si j'étais pas indétectable. Et puis, il y a aussi le truc, c'est qu'à ce moment-là, quand j'étais pas toujours indétectable, Merci. J'avais tendance à me douter des pratiques. Et si je fais ça, est-ce qu'il y a un risque ? Et si je fais ça ? Et en fait, mon infirmière psychosociale me disait « Mais en fait, vous êtes surenformée. Mais vous êtes tellement informée que des fois, des choses très simples, ça se brouille. » Et voilà, en fait.

  • Speaker #1

    Et dans toute cette histoire, tu as souhaité aussi avoir un enfant.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Comment ça a été pour toi, parce que tu étais du coup déjà malade, de projeter une maternité dans cette condition-là ?

  • Speaker #0

    En fait, ça a été assez simple. À partir de 2013, j'étais avec une viremie indétectable. Donc, quand on a décidé d'avoir un enfant avec mon conjoint, j'ai simplement informé mon infectiologue. Elle m'a confirmé que je faisais ce que je voulais parce que ma viremie était indétectable. Et je suis tombée enceinte quelques mois plus tard. Par contre, ce qui a vraiment changé, c'est que... Et que jusqu'alors, on utilisait le préservatif pour pas que je tombe enceinte. Parce qu'avec les médicaments que je prends, la contraception m'était contre-indiquée. Et les rares que j'ai pu essayer, je les ai pas supportées. Donc finalement, j'avais une sexualité plus ou moins libre. Mais dès l'instant où on a décidé ensemble d'avoir un enfant, alors là, je me suis vraiment sentie libre. Et là vraiment, ça a été incroyable toute cette période. Et la grossesse s'est très bien passée. Alors, comme j'avais des troubles du rythme cardiaque, j'ai eu des contrôles mensuels avec un cardio-halter, c'est un petit appareil avec des fils qu'on met sur le corps. 24 heures avec ça, une fois par mois, c'est un peu chiant. Mais le VIH n'a pas eu son mot à dire. Il n'a pas eu son mot à dire. Et je me rappelle une fois, quand j'ai su que j'étais enceinte, qu'on a passé les trois mois, et qu'on a annoncé publiquement que j'étais enceinte, Je me suis fait un plaisir d'écrire un post sur Facebook et de m'adresser au virus et de dire, « Non, c'est moi qui décide et toi, tu n'as pas gagné. » Et en plus, j'ai appris de mon infectiologue à la fin de ma grossesse que j'allais pouvoir allaiter. C'est-à-dire que jusqu'alors, on disait aux mères séropositives de ne pas allaiter. Il y avait trop de risques, soit de transmission, soit d'attente rénale à cause des reins du bébé. qu'on les rend du bébé à cause des médicaments. À partir de 2018, le consensus a changé. Et en fait, c'était de dire, c'est au cas par cas. C'est-à-dire que la mère peut allaiter si l'infectiologue est d'accord et si elle est dans un contexte qui lui permet l'allaitement de façon sereine. Parce qu'une mère qui vit dans un contexte hostile, où elle doit se cacher, devoir allaiter en plus de prendre des médicaments, c'est trop compliqué. C'est l'exemple qu'on m'a donné en tout cas.

  • Speaker #1

    C'est intéressant ce que tu as écrit, je trouve, sur Facebook, c'est ça ? Où tu t'adresses au virus une fois que tu es enceinte. Je trouve ça intéressant parce qu'on a eu un ressenti, je crois, commun, toi et moi. C'est que, peut-être que je vais utiliser un mot qui ne te parle pas à toi, mais moi, j'ai presque eu la sensation, en décidant de tomber enceinte, que c'était presque comme un acte de militance, en fait. Parce que je pouvais me réapproprier mon corps, corps qui, dernièrement, appartenait presque plus au monde médical qu'à moi. J'étais un peu la chose où on va aller toujours checker ce qui se passe, faire des diagnostics, récupérer des données, des analyses. Et tout d'un coup, j'étais là, non mais en fait, là, c'est moi qui décide de ce que je fais de mon corps. Et je le voyais presque comme un acte de militance. Voilà, cette réappropriation du corps a pour moi été vraiment quelque chose de beau en fait, de pouvoir décider de ça.

  • Speaker #0

    Je te rejoins totalement. Alors, je n'avais jamais réfléchi au terme militant, le terme en tant que tel, mais par contre, le mécanisme, oui, totalement. De pouvoir me réapproprier mon corps, de pouvoir porter la vie, là où j'ai eu l'impression d'avoir porté la mort toute ma vie. Ça a été... D'ailleurs, je l'avais écrit aussi, j'avais dit, pendant des années, toute ma vie, j'ai porté la mort, maintenant je porte la vie. Et ça a été pour moi... Vraiment, ma grossesse a été un moment béni. Une période vraiment où je me suis sentie... bien physiquement. Les hormones, évidemment, elles me faisaient un peu réagir. Comme toute femme enceinte, tu as parfois les hormones qui chamboulent. Mais sur le principe... Ah ! Pardon, j'ai eu un appel, je l'ai refusé. Tu me vois ?

  • Speaker #1

    Je ne te vois plus, mais je t'entends.

  • Speaker #0

    Alors attends, je m'excuse. Voilà. Je suis désolée pour cette petite imparté.

  • Speaker #1

    Il n'y a aucun problème. Essaye juste de ne pas éteindre. Voilà, parfait.

  • Speaker #0

    Ils sont éteints automatiquement.

  • Speaker #1

    Oui, parfait. Mais de ne pas éteindre la conversation, je veux dire.

  • Speaker #0

    Désolée. Voilà, donc je disais, j'avais même écrit, j'ai porté la vie et j'ai porté la mort toute ma vie et maintenant je porte la vie. Ça m'a vraiment, vraiment, vraiment fait plaisir.

  • Speaker #1

    Et donc, tu étais dans une période qui était plutôt chouette. Après, tu as eu un accouchement que tu me nommais de traumatique. Tu as été dans le coma durant une semaine après avoir accouché. Et je voulais te poser la question à ce moment-là parce que j'ai été très touchée aussi par ce que tu me racontais hors antenne, le fait que tu avais vraiment rencontré ton fils seulement une semaine après sa naissance, une fois sorti du coma. Et moi, je me suis demandé si ça n'avait pas réveillé des expériences passées, elles aussi traumatiques. Toi-même qui, à ta naissance, a été abandonnée. Tout à coup, tu portes la vie et en donnant naissance, tu ne peux pas accéder tout de suite à la relation à ton fils. Comment ça a été pour toi, ça ?

  • Speaker #0

    Alors, ça a été compliqué, effectivement. J'ai eu un coma qui a en fait duré trois jours. Mais après ces trois jours, j'ai été en soins intensifs, puis en soins continu. Ce qui fait que pendant une semaine, je n'ai pas vu mon fils. Pas à coup, mais à coup, c'est vraiment des visites. J'ai eu l'impression qu'on me volait, en fait, ma maternité. J'avais eu l'impression que je n'étais plus en possession de mon corps, que de nouveau mon corps ne m'appartenait plus, il appartenait à la médecine, qu'après avoir fait l'acte le plus beau qu'une femme puisse faire, qui est de donner la vie à mon sens, qu'on me volait à ce moment. Ce n'est pas de la faute du virus, c'est de la faute à pas de chance. Ça aurait pu tomber sur une autre maman, mais c'est tombé sur moi de faire une hémorragie. De perdre 2 litres de sang et de finir au bloc opératoire d'urgence. C'est de la faute à pas de chance, mais par contre, ça m'a vraiment marquée parce que je me suis retrouvée dans un contexte où l'hôpital, normalement, c'est un endroit où on se fait soigner parce qu'on est malade. La maternité, c'est le seul service d'un hôpital où on n'a pas le droit d'être malade. En tout cas, c'est comme ça que je l'ai ressenti, que je l'ai vécu. On attendait deux mois, je suis une maman optimum. à m'occuper de mon fils, quand bien même je sortais du coma, que je titubais, qu'il me fallait la chaise pour bouger parce que je ne marchais pas droit, que je tremblais, que j'avais peur de faire tomber mon fils.

  • Speaker #1

    Pourquoi les injonctions sur les mères sont là, quoi qu'il en soit, en fait ?

  • Speaker #0

    Oui, complètement. Et ça a été un véritable tsunami pour moi. Parce que non seulement il y avait ça, j'ai eu la chute des hormones une semaine plus tard, pile. Mais vraiment pile, j'étais dans une salle d'attente. pour attendre les examens pour mon fils. Et à 14h34, vendredi suivant, j'ai eu la chute des hormones. Elle est venue brutalement. Je me suis mise à pleurer, à trembler. J'étais au plus mal et ils m'ont ramenée en chambre. Et alors, j'avais la chance qu'à cause de la fatigue chronique qui m'est diagnostiquée à cause de l'UVH, enfin pas à cause de l'UVH, mais à cause des conséquences des traitements et les conséquences du virus qui s'appliquent à moi. j'avais pu avoir une chambre privée, même si je n'avais pas l'assurance pour. Et ça m'a beaucoup servi parce que comme ça, je n'avais pas à subir les mamans qui avaient leur propre vécu et les familles qui voulaient leur rendre visite, je pouvais m'isoler. Mais je me sentais quand même très oppressive, je me sentais observée, je me sentais mise dans un rouleau compresseur. J'avais l'impression qu'une énorme machine s'écrasait sur moi. Et qu'en même temps, on s'attendait à ce que je la soulève avec mes bras.

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, vous avez une magnifique relation avec ton fils Erwan. Qu'est-ce que lui sait aujourd'hui de la maladie et ses conséquences ? À quoi tu lui as donné accès en tant que maman ?

  • Speaker #0

    Alors en fait, étant donné que je prends des traitements depuis toujours, pour lui c'est depuis toujours, je trouvais normal qu'il soit au courant de pourquoi maman prend des médicaments. Donc j'ai inventé une petite métaphore pour lui raconter le VIH. Je lui ai imaginé un peu comme les émissions de C'est pas sorcier. J'ai vraiment imaginé dans ma tête la conception d'une maquette de château fort qui représente le corps humain, dans lequel il y a les petits soldats du corps qui défendent le château contre l'envahisseur qui est le méchant virus. Le méchant virus cache toutes les portes et fenêtres du château pour laisser rentrer tous ses copains, bronchite, pneumonie, sarcome, principalement, donc les cancers. qui peuvent détruire complètement le château et donc tuer la personne. Et grâce aux médicaments qui sont les forces alliées qui viennent aider le château tous les jours, le château reste debout. Et pourquoi le petit virus n'est pas destructible ? Parce que des fois, il va se cacher dans les passages secrets du corps, qui sont les réservoirs. Et à cause de ça, les médicaments, donc les forces alliées, n'ont pas accès à ces réservoirs, à ces passages secrets. Et tant que les médicaments viennent tous les jours, le virus y peut. il est détruit, mais il ne peut pas disparaître, mais il peut au moins être pas embêtant. C'est la métaphore que j'ai imaginée pour mon fils et je lui ai raconté ça plusieurs fois quand il était petit. Et un jour, il avait 5 ans, il me fait « Maman, tes médicaments, ils font quoi dans ton corps ? » Je lui dis « Ben écoute, ça me permet d'être en forme pour jouer avec toi. » Il me fait « Non, ça fait quoi dans ton corps ? Ça tue le méchant virus ? » Je lui dis « Ben, tu veux de la biologie ? Ok, on va trouver une vidéo sur Youtube qui explique ça. » J'ai trouvé une vidéo qui résume un petit peu certaines classes de traitement, sans parler des modes de transmission. Et puis, il a été sensibilisé comme ça. Et puis, je lui ai dit que j'ai été contaminée par une aiguille infectée. Mais il ne connaît pas les autres modes de transmission parce que j'estime qu'à son âge, il a 7 ans et demi actuellement. J'estime que c'est un peu jeune pour être sensibilisé à ces détails-là. Mais il est très fier de maman. Il me soutient, il m'encourage quand je vais faire des témoignages, des sensibilisations. Il est toujours à mes côtés.

  • Speaker #1

    Et toi qui es aujourd'hui maman, si tu pouvais parler à la petite fille dans l'hôpital roumain, que tu pouvais lui apporter un geste ou une parole ou un regard, qu'est-ce que tu lui transmettrais ? Je te pose la question parce que... Je vois que c'est tellement joli comme tu es dans la transmission avec ton fils. Il y a tellement d'imagination. On voit aussi la bulle dont tu parlais, tu sais, où tu arrives à rentrer dans un imaginaire qui est waouh. Moi, comme tu l'as décrit, j'ai un bout de dessin animé face à moi. Est-ce qu'il y aurait quelque chose que tu aurais aussi envie de dire à cette petite Sophie-Hélène ?

  • Speaker #0

    Moi, je lui dirais à cette petite Sophie-Hélène, qu'elle a raison de se cacher dans son monde quand c'est trop dur, mais qu'elle n'a pas à avoir peur de poser un pied dans la réalité, qu'elle peut marcher des deux côtés, et surtout lui dire qu'elle est aimée, qu'elle se sente aimée, parce que la petite Sophie Elena ne se sentait pas toujours aimée, même si elle était aimée. Et encore maintenant, il y a des moments où je ne me sens pas aimée, même si je suis aimée. Et pas seulement qu'on me le dit, mais on me le montre par des gestes. par des actions, par des preuves d'amour au quotidien, mais parfois, je vais douter.

  • Speaker #1

    On sait que ces traces traumatiques, ça crée des gouffres aussi. Et ça nous ramène dans tellement des parts de nous toutes petites qui ont du mal à comprendre que dans l'ici et maintenant, oui, on est aimé, oui, on est en sécurité. Et il y a ces choses-là qui nous renvoient aussi des fois dans des moments du passé.

  • Speaker #0

    Totalement. Et voilà, c'est un long cheminement que j'ai fait. Il n'est pas fini, mais je peux dire maintenant que je peux vivre avec le virus et non pas contre lui. Je l'ai vécu, je l'ai considéré toute ma vie comme un squatter, à déloger de toute urgence. Et maintenant, je le considère comme un colocataire un peu grincheux, un partenaire de voyage, un compagnon de voyage. qui est un peu grand cheveux, mais avec qui j'ai fait toute ma vie. Et je me suis déjà posé la question, mais comment est-ce que je vivrais le jour où il ne sera plus là ? Je me suis dit, mais si un jour on peut détruire le VIH, ce sera super, je n'aurai plus à subir ces assauts. Mais d'un autre côté, ça va me faire... bizarre. Est-ce que je serai la même sur mon VIH ? Est-ce que je n'ai pas donné ma raison de vivre de la lutte contre le VIH ? Si on détruit le VIH, que j'ai encore une raison de vivre ? Alors oui, bien sûr, j'ai encore des raisons de vivre, mais quand on s'habitue, quand on vit avec une maladie toute sa vie, c'est difficile d'imaginer ne plus l'avoir. Oui.

  • Speaker #1

    C'est là-dedans et dans ton identité aussi.

  • Speaker #0

    Oui. Et le VIH fait partie de moi, même si ce n'est pas quelque chose de très valorisant. Il fait partie de moi malgré tout.

  • Speaker #1

    Tu interroges aussi le fait qu'il y ait les coupables et les victimes du VIH. Tu dis justement les coupables, c'est ceux qui ont eu un rapport non protégé, par exemple. Et les victimes, c'est par exemple des personnes comme toi qui ont été contaminées à leur insu. C'est propre à l'humain de dire si on mérite ou non la souffrance, mais toi, tu as décidé d'en faire quelque chose de ce constat-là et de ton parcours. Est-ce que tu veux nous raconter ?

  • Speaker #0

    Bien sûr. Donc moi, je suis témoignante. C'est un mot que j'ai inventé parce que ce n'est pas quelque chose d'officiel, mais je témoigne presque au quotidien de mon vécu avec le VIH. Je sensibilise des auditoires différents, ça va des écoliers aux soignants. Mais je me suis pas mal spécialisée dans les témoignages aux soignants pour justement permettre une meilleure prise en charge des patients séropositifs et permettre au grand public de ressortir avec le message qu'indétectable égale intransmissible, c'est-à-dire I égale I. C'est vraiment quelque chose que je martèle parce que c'est tellement important. Et puis, de pouvoir donner un sens à tout ce que j'ai vécu. de pouvoir transmettre cette information. Et comme, justement, j'ai un mode de transmission atypique pour nos contrées, ça permet, en fait, à des gens qui ne seraient pas forcément sensibles au message de prévention classique de se poser la question. Mais au final, ça peut arriver à tout le monde. Oui, ça peut arriver à tout le monde. Et la sensibilisation, elle est là pour... que les conséquences d'une transmission n'atteignent pas ces personnes-là, qu'il n'y ait pas de transmission. Je m'adresse aussi aux patients séropositifs, notamment à certains patients qui ont des problèmes d'adhésion thérapeutique, dont une mauvaise prise de traitement, pour leur dire, je sais ce que tu vis, je suis passé par là, je vais essayer de t'accompagner pour que... ta prise de risque maintenant avec tes traitements n'occupe pas les mêmes conséquences que moi j'ai à subir maintenant. D'être une sorte de mentor, de quelqu'un qui accompagne, en tout cas de compagnon, pour pouvoir faire avancer aussi ces personnes-là dans leur gestion des traitements. Et moi, ça me donne aussi du sens à mon vécu.

  • Speaker #1

    Et quel message t'aimerais faire passer aux personnes qui vivent avec le VIH et à leur entourage ?

  • Speaker #0

    Les personnes qui vivent avec le VIH, je leur dis, sentez-vous heureuse malgré tout ? Je sais que c'est difficile, mais trouvez du bonheur dans les choses qui ne vous impactent pas. C'est-à-dire qu'on est tellement focalisé sur le virus parfois quand on vit avec, parfois on a tendance à en faire. Soit en faire notre vie entière, soit au contraire l'occulter parce que c'est trop dur ou parce qu'on ne se sent pas concerné. Je pense notamment à des personnes qui viennent de contracter le VIH et puis qui se disent maintenant avec un comprimé par jour et je suis tranquille. Mais au fond d'eux, il y a quand même ce choc-là. Et j'aimerais dire à ces personnes que la vie continue malgré tout. et puis que... que le VIH, ce n'est pas une finalité. Et aux proches, je dirais, soyez compassionnels. Soyez compassionnels avec les gens qui vivent avec le VIH. Parce que même si c'est quelque chose de chronique maintenant, comme d'autres pathologies, ça n'en reste que c'est une pathologie qui stigmatise, qui est vecteur de stigmatisation, de rejet. Donc, prenez les personnes pour ce qu'elles sont et pas pour ce qu'elles ont.

  • Speaker #1

    En parlant de stigmatisation, quels sont pour toi, par exemple, les trois grands mythes qu'on a encore autour du VIH ?

  • Speaker #0

    La première, c'est de mélanger, selon moi, le VIH avec le sida. Le VIH et le sida, ce n'est pas la même chose. On peut avoir le virus. Le VIH, c'est le virus. Le sida, c'est un syndrome, c'est un ensemble de symptômes. Et c'est le stade final du VIH. On peut très bien avoir le VIH toute sa vie et ne jamais développer un sida parce qu'on est traité et que si on est traité, on a une virée mal détectable. Ou alors, on peut avoir un sida comme moi j'ai eu avec mes... mais maladie opportuniste quand j'étais petite, et puis revenir au stade VIH après parce qu'on prend des traitements qui fonctionnent. Mais VIH ne veut pas forcément dire sida. C'est deux choses différentes. Ça, c'est la première des choses. La deuxième, c'est que les médicaments sont efficaces, bien pris, permettent d'avoir une vie la plus normale possible. Au niveau médical, je dis vraiment au niveau biologique, le virus n'a plus d'impact sur le corps. Après, on a évidemment tous nos ressentis, nos vécus qui rendent la chose plus compliquée. Mais au niveau biologique, le virus est contenu. Et ça, c'est une vérité. Bien prendre ses traitements, plutôt que de croire des charlatans qui voudraient vous vendre des produits miracles qui ne marchent pas. Parce que ça, c'est quelque chose que j'entends encore souvent. Et puis aux personnes qui ne sont pas séropositives, qui ne connaissent pas forcément grand-chose. Leur dire que si le VIH, c'est une vérité, c'est une réalité, c'est un virus qui existe vraiment, pour lequel il n'y a pas de guérison. Et que donc le meilleur moyen d'éviter d'attraper le VIH, c'est déjà de se dépister régulièrement. Et puis, il y a la PrEP, qui est le traitement de prophylaxie qu'on peut prendre pour avoir des rapports sexuels non protégés. Mais par contre, ça ne protège que du VIH. Donc moi, dans l'absolu, pour une méthyle préservative quand même. pour être protégé de la syphilis, de la gonorrhée et d'autres pathologies sexuelles. Mais le virus en lui-même, ce n'est pas celui qui tue. Ce qui tue, c'est le rejet.

  • Speaker #1

    Est-ce que, Sophie et Léna, tu aimerais rajouter quelque chose avant la dernière question de fin ?

  • Speaker #0

    Pour moi, c'est tout bon. Je voulais juste rajouter que indétectable égale intransmissible, c'est vraiment quelque chose qui doit rentrer dans les têtes des gens.

  • Speaker #1

    Et du coup, je vais venir t'embêter, ça c'est à 100% sûr ?

  • Speaker #0

    Oui, 100% sûr. Indétectable égale intransmissible, c'est une vérité scientifique, c'est quelque chose qui est reconnu dans tous les pays occidentaux. Quand bien même certains pays limitent encore les voyages des personnes séropositives, oui parce qu'il y a des pays dans lesquels je n'ai pas le droit d'aller, mais la plupart des pays occidentaux... se sont rangés à cette réalité-là. Et oui, indétectable égale à transmissible. Si tu es traité, tu prends ton traitement correctement. Tu as une virémie indétectable et donc tu ne transmets pas le virus. Point.

  • Speaker #1

    C'est magnifique. Point. Je voulais l'entendre jusqu'au bout. Quel super pouvoir la maladie invisible t'a apporté ?

  • Speaker #0

    La résilience. Pendant longtemps, j'ai douté, j'ai eu le syndrome de l'imposteur. Je me disais, mais en fait, je ne devrais pas être orgueilleuse. Et en fait, plus ça va, plus je m'assume dans le fait que j'arrive à rebondir, que ça m'a donné une élasticité émotionnelle et une élasticité mentale pour absorber les chocs de la vie. Et que c'est devenu un super pouvoir, qui peut être un peu traître parfois, parce que ça peut me demander pas mal de ressources. mais qui me permet d'avancer malgré tout.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Sophie et Léna pour ton partage.

  • Speaker #0

    Merci Tamara de m'avoir invitée.

  • Speaker #1

    Merci de soutenir ce podcast en vous abonnant pour ne manquer aucun épisode et en lui donnant 5 étoiles sur vos plateformes d'écoute préférées. Rencontrez mes invités et découvrez tous les engagements de la communauté Les Invisibles sur le compte Instagram Les Invisibles Podcast. Ensemble, continuons à visibiliser l'invisible.

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Description

Sophie-Elena connaît les violences et les maltraitances médicales depuis sa naissance.

Née avec une hépatite B et abandonnée dans un hôpital de la Roumanie des années 90 - véritable mouroir à bébés - elle y contracte le VIH 🦠, alors qu’une seule et même seringue est utilisée pour tous les nourrissons.


À ses 1 an, Sophie-Elena est adoptée par un couple suisse 🇨🇭 qui souhaite lui offrir une fin – ou peut-être un début – de vie digne. Elle découvre alors l’amour, la chaleur d’un foyer, et d’autres paysages que les murs blancs de l’hôpital.


En grandissant, elle « vit son corps » comme un sujet de honte et de stigmate. Humiliée, trahie, mise de côté… Bien plus que le virus en lui-même, ce sont les conséquences d’en être atteinte qui lui créent les plus grandes blessures.


Ce corps, grâce à deux expériences où son choix a été remis au centre, elle finit par se le réapproprier. Elle s’adresse même à lui en disant : « C’est moi qui décide maintenant. Et toi, le virus, tu n’as pas gagné. »


Aujourd’hui, le virus de Sophie-Elena est indétectable, donc intransmissible. 🙏🏻

Elle vit en reconnaissance de celles et ceux qui ne sont plus là - en prenant ses traitements avec rigueur, en sensibilisant au VIH, et surtout en déconstruisant les mythes qui persistent encore autour de cette maladie.


Si la vie de Sophie-Elena ressemble à un labyrinthe, elle semble avoir trouvé une sortie… remplie de lumière.


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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je me suis déjà posé la question, mais comment est-ce que je vivrais le jour où il ne sera plus là ? Je me suis dit, si un jour on peut détruire le VIH, ce sera super, j'aurai plus à subir ces assauts. Mais d'un autre côté, ça va me faire bizarre. Est-ce que je serai la même sans mon VIH ? Est-ce que je n'ai pas donné ma raison de vivre de la lutte contre le VIH ? Si on détruit le VIH, que j'aurais encore une raison de vivre ? Alors oui, bien sûr, j'aurais encore des raisons de vivre. Quand on s'habitue, quand on vit avec une maladie toute sa vie, c'est difficile d'imaginer ne plus l'avoir. Ouais.

  • Speaker #1

    Les Invisibles. Juin 2020. Ma vie bascule du jour au lendemain dans une maladie neurologique, rare, qui n'a de poétique que le nom. Le syndrome du mal de débarquement. Les symptômes qu'elles m'amènent vivent en colocation avec moi, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, et ne prennent jamais leur week-end. Je n'ai donc pas la place pour un autre combat. Du moins, c'est ce que je crois. Puis vient ce jour où je témoigne dans une émission télé, dans l'espoir de rendre visible l'invisibilité du syndrome dont je suis atteinte. A peine sortie du plateau, forte de cette expérience et encore dans mes talons rouges, une évidence s'installe. Je n'en resterai pas là. Dans le train du retour, je rejoins à la fois ma maison et mon nouveau combat. Offrir un espace de parole au travers d'un podcast, aux personnes qui composent, bien souvent en silence, avec des maladies invisibles, et avec les regards de sociétés qui ne croient que ce qu'elles voient, deux réalités plus souvent subies que choisies. Aujourd'hui, loin de mes talons rouges et au plus proche de l'engagement, l'évidence s'étend. C'est à l'invisible ou pluriel que je vous invite. Ceux qui dans la chair, l'esprit et les sociétés se vivent, sans pour autant faire de bruit. Si comme le dit Antoine de Saint-Exupéry, l'essentiel est invisible pour les yeux, ici, on compte bien le faire entendre. Bonne écoute !

  • Speaker #0

    Hello Sophie et Léna ! Bonjour Tamara ! Comment est-ce que tu vas aujourd'hui ? Aujourd'hui je vais bien, c'est une bonne journée. Et toi, comment vas-tu Tamara ?

  • Speaker #1

    Je suis contente de l'entendre. Alors moi, on est vraiment dans tout l'inverse. Si je te dis la vraie vérité, j'ai failli annuler notre entretien ce matin.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Parce que j'ai vécu hier un événement qui a fait ressortir tous mes symptômes de stress post-traumatique. Et c'est des choses qui peuvent arriver quand je suis face à la violence masculine dans différents événements de la vie. Et puis, j'ai été mise face à ça et ça me crée beaucoup de symptômes comme à la fois une rapidité de pensée, mais un ralentissement dans le langage. Je me sens très en insécurité. Il y a pas mal d'anxiété, je me sens un peu sous un étau, c'est pas du tout confortable. Et j'ai essayé d'accompagner ça tout au long de cette journée, vraiment, et d'être dans une bienveillance avec mon ressenti. Et puis ça m'a permis d'être là avec toi presque ce soir, en tout cas il est 16h, et j'en suis contente. et je te remercie d'avance pour toute ta compréhension s'il y a des moments où je perds mes mots ou voilà, j'ai l'air un petit peu... un peu plus fragilisé parce qu'en dehors de la maladie neurologique ou intestinale ou tout ça, il y a aussi ce syndrome de stress post-traumatique complexe et je navigue aussi avec ça parfois.

  • Speaker #0

    D'accord, j'accueille ça avec toute la bienveillance que je peux te donner et vraiment je te remercie pour ta confiance, tu me confies tout ça.

  • Speaker #1

    Merci. Sophie-Hélène, ton histoire à toi, elle commence par un abandon. Alors que ce que l'on peut souhaiter de plus fort à un bébé qui vient au monde, c'est de se sentir aimé et en sécurité. Tu nais dans la Roumanie des années 90, on va même être précise, on va dire en 89 tu es né. Tes parents disparaissent et on te place à l'orphelinat, puis à l'hôpital car tu es atteinte d'une hépatite B. Ta première année de vie se vit sans peau contre peau, sans regard, sans voix. Ton corps minuscule apprend à vivre sans amour, sans aucun contact physique ni chaleureux, entouré de murs blancs. Et puis un jour, une famille suisse décide de t'adopter, alors que tout le monde te croit condamné. Tu es censé mourir du VIH, que tu as contracté à cause de seringues non désinfectées qui passent d'un bébé à l'autre dans l'hôpital. Et pourtant, tu vis. Mais derrière la vie, il y a aussi cette traversée avec les traitements, les effets secondaires, les moqueries, les regards jugeants, l'incompréhension. Tu traverses aussi l'enfance médicalisée, l'enfance en pédiatrie, où l'on pense à fêter ton anniversaire, au passage brutal à la médecine adulte, où tu n'es qu'une inconnue que l'on vous voit. À 19 ans, ton corps devient sujet de honte quand on révèle sans ton consentement le virus avec lequel tu vis. À 22 ans, il redevient territoire de liberté et tu recommences à t'aimer. Et puis un jour, tu deviens mère à ton tour. Mais même là, l'hôpital te rappelle que pour être une bonne maman, il faut d'abord être en bonne santé. Tu dis que ta vie est un labyrinthe et qu'au fond, ta survie, c'est d'être adoptée. Alors aujourd'hui, on va parler de ce labyrinthe, des cicatrices qu'on ne voit pas, c'est la thématique des invisibles ça, des traumas qu'on apprivoise et de la lumière qu'on apprend à fabriquer soi-même, parce que dans ton témoignage, c'est ce que j'ai ressenti, beaucoup de lumière. Donc, merci Sophie-Hélène d'être là. Toi, comme je l'ai dit, tu as été abandonnée à un hôpital durant ta première année de vie, sans un seul bras pour te bercer. Quand tu reconnectes à cette première année sans contact, sans amour, de quoi ton corps se souvient ?

  • Speaker #0

    Mon corps, je pense qu'il se souvient en fait des agressions, des piqûres, des... Et de la contention aussi, parce que les bébés, on les emmaillotait. Mais je pense que ça ne devait pas être très bien fait, parce que j'ai ce côté d'être contenue, en fait. C'est un ressenti que j'ai. Et en fait, on m'a confirmé qu'on emmaillotait les bébés à cette époque-là, dans ces hôpitaux-là. Et puis, c'est surtout cette notion d'être dans ma bulle. Et mon corps a tendance à choisir la fuite en avant. quand c'est trop dur.

  • Speaker #1

    Comme quoi, même si c'est des moments ou des périodes de vie où on n'a pas d'image concrète, on a toute cette mémoire implicite de ressenti et peut-être que là, aujourd'hui, à l'âge adulte, il y a des choses qui se manifestent. J'en sais rien, tu parlais de la question d'être contenu et peut-être que c'est quelque chose que tu n'aimes pas aujourd'hui ou le fait que tu aies besoin de fuir dans d'autres mondes, dans ta tête pour... Pour te sentir à l'abri et pour ne pas être face à cette brutalité et la réalité peut-être des fois d'un quotidien, il y a quand même des choses qui restent.

  • Speaker #0

    Oui, il y a des choses qui restent. Mes parents ont mis des années à me faire sortir de ma bulle, à tel point que quand j'étais petite, on avait supposé que j'avais un TSA, un trouble du spectre de l'autisme, qui ne s'est pas confirmé avec le temps, mais en tout cas, j'avais des symptômes qui faisaient franchement penser. Et puis, j'ai toujours eu besoin de fuir de la réalité difficile dans des mondes plus doux, plus cotonneux.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ce que tu me disais aussi la dernière fois quand on a échangé ensemble, c'est que tu as eu des retards à la fois au niveau du langage, même au niveau de l'alimentation. Je crois que tu me disais, tu as mangé la première fois solide, tu avais 4 ans.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Il y a vraiment des choses comme ça où le fait de ne pas avoir été dans la sécurité, l'amour, l'éducation, finalement, il y a des choses qui se sont énormément retardées à venir.

  • Speaker #0

    Oui, en fait, ça a été par priorité. C'était d'abord me reconnecter, me connecter à l'amour de quelqu'un, l'amour de mes parents. Après, ça a été me connecter au fait d'avoir du confort, C'est-à-dire d'être changé régulièrement, d'avoir... accès à des biberons régulièrement et puis qu'ils ne soient pas gavés. Parce qu'on suppose qu'on m'a gavé quand j'étais bébé parce que j'ai des tétines encore qui sont très larges, les trous sont gigantesques. Et puis j'ai refusé la cuillère très longtemps, ce qui suppose aussi qu'on m'a forcé à la cuillère. Donc toutes ces choses-là font que ça a été par des priorités. D'abord, on s'habitue à l'amour. Après, on s'habitue à manger. Après, on s'habitue à marcher. Et chaque fois, c'était des petits pas en avant. vers quelque chose qui se rapprocherait d'une idée qu'on peut se faire de la normalité. En tout cas d'une normalité acceptable pour mes parents et acceptable pour moi.

  • Speaker #1

    Donc ce que tu nommes aujourd'hui tes parents, c'est tes parents adoptifs ?

  • Speaker #0

    Exactement. Mon papa, ma maman, c'est mes parents suisses.

  • Speaker #1

    Et tu me disais que d'avoir été adoptée, c'est ce qui t'a permis de vivre. En quoi ça t'a raccroché à la vie ?

  • Speaker #0

    Il faut bien comprendre qu'à l'époque de Ceausescu, du dictateur roumain, les hôpitaux et les orphelinats, c'était des vrais mouroirs. Les enfants n'avaient pas de stimulation. Ce qui veut dire également qu'ils n'avaient pas d'amour, ils n'avaient pas de soins. Et moi, j'étais dans une chambre avec deux autres bébés. Et ma maman, ma maman suisse, m'a visitée. Elle m'a dit qu'il y avait deux autres bébés dans ma chambre. Il y en avait un qui avait à peu près le même âge que moi, qui se tapait la tête contre les murs. Et un autre qui est mort de diarrhée quelques jours plus tard. Donc, j'étais dans un contexte de violence médicale. Et j'étais dans un contexte de désespoir. Où des bébés se tapent la tête. Alors, des bébés d'une année. Mais des bébés quand même qui se tapent la tête. tape la tête contre les murs, c'est inimaginable. Je veux dire, mourir de diarrhée, c'est atroce. Et moi, j'ai survécu, je pense, en grande partie, parce que je me suis construit ma bulle. Alors, pourquoi j'ai eu cette ressource-là et pas les autres, j'en sais rien. J'essaie de ne pas y penser. Parce que sinon, j'ai la culpabilité du survivant et c'est pas sain. Et ça m'enfonce plus que ça m'élève. Donc, j'essaie plutôt de vivre en reconnaissance de ceux qui ne sont plus là, plutôt que de m'apitoyer sur ma survie.

  • Speaker #1

    Mais c'est vrai que c'est hyper dur à imaginer, toi comme moi, on est maman aussi, de pouvoir imaginer ces scènes ou même des fois d'y être confrontée. En tout cas, moi, j'ai pu voir des images d'orphelinats roumains dans ces périodes avec des centaines d'enfants qui sont vraiment laissés là au dépourvu. Et on navigue avec l'horreur en fait face à ça, vraiment.

  • Speaker #0

    ou bien te dire que quand je suis arrivée en Suisse, j'avais à peu près un an, je pesais 6 kilos. J'étais une crevette. J'étais minuscule. Donc, je ne partais pas gagnante.

  • Speaker #1

    Et tes parents t'ont amenée justement à partir gagnante dans la vie après cette première année de vie ?

  • Speaker #0

    Oui. Ils se sont dit qu'ils allaient me donner tout ce que je n'avais pas eu, de l'amour, de la considération, du respect et puis des soins. Je ne me rappelle pas. Je n'ai pas conscience de ça en tout cas. Mais ma maman, la première fois qu'elle a voulu me coiffer, elle m'a carrément coupé les cheveux parce que les nœuds que j'avais étaient tellement forts et tellement puissants que c'était impossible à coiffer. Personne ne s'était occupé de mes cheveux en Roumanie. De ma naissance à mon adoption, mes cheveux se sont juste emmêlés. Ce n'était pas des dreads, mais je ne pense pas très loin. J'ai encore dans mon album de photos... Une enveloppe dans laquelle j'ai une touffe de ses cheveux. J'ai mes tétines encore que ma mère a ramenées de Roumanie. J'ai des souvenirs tangibles qui rendent cette époque concrète dans ma tête, mais aussi dans ma réalité d'ici maintenant. Il y a un pont qui se fait entre l'époque et maintenant.

  • Speaker #1

    Ça vient signifier aussi que ça a existé en fait.

  • Speaker #0

    Oui, exactement.

  • Speaker #1

    Donc, toi, à un an, tu vis à ce moment-là avec à la fois l'hépatite B et le VIH.

  • Speaker #0

    Alors, l'hépatite B, elle a été soignée en Roumanie avec des traitements. Donc, de ce côté-là, j'avais déjà plus l'hépatite B. À ma connaissance du mois, j'avais déjà plus l'hépatite B quand je suis arrivée en Suisse. En revanche, j'étais bel et bien séropositive.

  • Speaker #1

    Et grandir avec une maladie chronique, c'est aussi grandir avec... Le regard à la fois médical et parental, constant, inquiet, derrière soi. Comment on se construit son identité et comment se passe l'enfance lorsqu'on est un enfant malade en fait ? Sachant que justement, aussi dans tes premières années de vie, il n'y avait pas de traitement pour le VIH.

  • Speaker #0

    Non, il n'y avait pas de traitement. J'avais une procédure à suivre qui était de prendre un antibiotique tous les jours. pour prévenir les maladies opportunistes et des injections de globules blancs une fois par mois. Donc c'était déjà une enfance médicalisée avant les traitements. Et puis aussi, c'est très dur parce que quand on est parent, on veut le meilleur pour son enfant. Et en tant qu'enfant, on associe les médecins aux parents parce qu'ils nous disent quoi faire, quoi prendre, comment prendre. Mais c'est rassurant. Pour moi, c'était rassurant. Et aussi avec le VIH spécifiquement, parce que je suis fille d'infirmière, j'ai été éduquée très tôt à la médicalisation. Au fait de prendre des traitements, au fait de bien désinfecter une plaie, au fait de savoir faire un bandage. J'ai eu une éducation médicale très tôt. Mais ça veut aussi dire que j'ai perdu mon innocence très tôt aussi. Je savais à quoi servaient les prostituées très tôt. Je savais qu'est-ce que ça voulait dire faire l'amour. Je savais qu'est-ce que ça voulait dire mettre un préservatif. Et quand j'ai 7 ans... et que ma maman m'a amenée à la conférence internationale de lutte contre le sida. Il y avait un bus stop sida avec un énorme préservatif gonflé dessus. J'ai dit à ma mère, mes mamans franchement, ils ne sont pas très discrets. À 7 ans, je savais déjà à quoi ça servait. Mon fils, je le préserve de ça pour qu'il puisse garder encore son innocence un petit moment. Mais je n'en veux pas à ma mère parce que ça m'a permis en fait de... de limiter les risques, parce qu'à cette époque-là, une coupure, on ne savait pas quelles étaient les conséquences, on ne savait pas comment gérer la maladie dans le sens de transmission. Et je sentais que j'avais cette responsabilité de faire attention. Même si personne ne m'a dit « fais attention de ne pas te couper » , je savais qu'il y avait un risque si je me coupais, qu'il y avait peut-être une transmission qui pouvait se faire. Et donc, je faisais attention de moi-même. J'ai été éduquée aussi aux médicaments très tôt, donc d'avoir la discipline de prendre les traitements à l'heure fixe tous les jours, même quand on n'a pas envie, même quand c'est les vacances, même quand c'est le week-end, même quand c'est Noël. Et puis de les prendre envers et contre tous.

  • Speaker #1

    Bon, c'est très bien. La maladie n'a pas de vacances, il n'y a pas de jours fériés reliés à ça. Et très souvent, j'en parle avec d'autres personnes malades. On a des fois même très peu de repères dans la semaine, à savoir quel jour on est, parce que ça ne change pas forcément grand-chose, dans le sens que notre état est toujours le même ou toujours fluctuant. Et ce qui va amener des repères dans le temps, c'est souvent la vie extérieure ou quand on a des enfants, justement, où il y a un planning qui se fait. Mais en effet. Ensuite, quand tu es préadolescente, là, il commence à y avoir des traitements pour le VIH qui sortent, si je ne me trompe pas.

  • Speaker #0

    Déjà un petit peu avant. En 96. En 96. J'avais 7 ans à ce moment-là.

  • Speaker #1

    Et si je ne me trompe pas, c'est ces traitements lourds-là qui ont modifié ton corps et créé une lipodystrophie et une lipoatrophie chez toi ? Ça,

  • Speaker #0

    c'est venu après.

  • Speaker #1

    Ça, c'est venu après.

  • Speaker #0

    Ça est venu quand j'avais 12 ans. Je vais en parler. Mais quand j'étais petite, je prenais des sirops qui étaient contraignants parce que je devais les prendre à jeun, donc hors des repas. Donc, pas de goûter avec les copains, pas de fête d'anniversaire trop souvent parce qu'il fallait préserver les traitements. Et puis sinon, c'était des sirops amers qui avaient un goût infect que je devais prendre tous les jours. Ma maman, elle me donnait un caramel à chaque fois après pour faire passer le goût, mais ça ne changeait pas grand-chose. En fait, ces médicaments, c'était du bricolage. Les scientifiques, pour les adultes, donnaient des comprimés. Donc, les malades du sida, à cette époque-là, reprenaient. 10, 20, 25 comprimés par jour. Moi, j'avais des sirops. Puis c'était quand même contraignant parce qu'il fallait les garder au frigo. C'était toute une logistique. Et effectivement, quand j'ai eu l'âge de 12 ans, j'ai changé de médicament. J'ai pris trois comprimés qui sont des comprimés à prendre une fois par jour. Mais à cette époque-là encore, les médicaments étaient très toxiques. Ça veut dire que ça tapait facilement sur les reins. Et en plus, ça provoquait de la lipodystrophie, de la lipoatrophie, qui est en fait une mauvaise répartition des graisses. Ce qui signifie que toutes les graisses que j'ingurgitais allaient dans le ventre ou dans les seins. Et nulle part ailleurs. Le ventre, les jambes, le bras, le visage était famélique. Un peu comme les caricatures d'enfants malnutris. On peut voir sur les affiches de Médecins sans frontières. Moi, j'étais cette caricature-là.

  • Speaker #1

    Et tu m'avais confié aussi qu'à ce moment-là, alors que tu es préadolescente, ta poitrine, c'est du F, quoi.

  • Speaker #0

    Oui, du F.

  • Speaker #1

    Et c'était énorme, alors que justement, tu es extrêmement maigre aussi. Donc, pour toi, dans ton développement, dans ton identité, dans ton rapport aux autres, ça a aussi été quelque chose de très compliqué, non ?

  • Speaker #0

    Ça a été infernal. Oui, oui. Ça a été infernal à vivre parce que d'une part, j'étais vue comme un bout de viande par les gens dans la rue. Les hommes principalement. J'étais vue comme une star du X par les copains à l'école. On m'affublait de surnoms en rapport avec ça. C'était difficile de me vêtir. À l'époque, il y avait des magasins comme Tallywell ou Yandy. Je ne trouvais pas grand-chose à ma taille. Pour les soutiens-gorge, je devais aller dans des enseignes spécialisées parce qu'on ne trouvait pas de vêtements et de sous-vêtements à ma taille. Et ils étaient tellement chers que l'assurance maladie payait une partie de ces sous-vêtements parce que le handicap était lié à la maladie.

  • Speaker #1

    Ok. Et comment tu as vécu toutes ces moqueries et humiliations aussi de tes camarades ? Parce qu'on sait que c'est des périodes où on peut être affreux avec ses pairs. Quand il y a des choses qui viennent nous confronter comme ça. Moi, je pense aussi, quand j'étais adolescente, où j'ai pu être mesquine avec d'autres. Et l'inverse était vrai aussi. J'ai reçu aussi beaucoup de harcèlement. Mais on est dans quelque chose qui est parfois très dur, les uns avec les autres. Et toi, tu as vécu ça comment ?

  • Speaker #0

    Moi, je l'ai mal vécu, évidemment. Et c'est surtout que ça a été difficile. Je l'ai vécu comme une trahison. Parce que j'avais parlé de mon VIH, ma meilleure amie de l'époque. Un jour, on s'est disputé, on a parlé à la pipelette de l'école. Le lendemain, tout le monde était au courant. J'étais la fille qui a le sida. Heureusement, l'école a bien réagi. Ils ont mis une punition à ceux qui avaient propagé la chose. Mais ça ne m'a pas empêchée de changer d'école parce que ça n'allait plus.

  • Speaker #1

    Et quand on sait aussi toutes les idées reçues qu'il y avait autour du VIH, et certaines persistent encore par ailleurs, mais c'était vraiment... Moi, j'ai des souvenirs quand j'étais enfant où on disait « tu ne peux pas manger dans la même assiette qu'une personne qui a le VIH » . Des choses comme ça qui sont hyper violentes, un peu des sous-entendus sur toutes les personnes gays qui sont contaminées. Des choses vraiment affreuses et qui étaient presque entretenues même dans les foyers.

  • Speaker #0

    Oui, j'ai d'ailleurs eu dans ma propre famille de la sérophobie. J'ai eu une tante qui refusait que je porte ma cousine dans les bras. qui était encore bébé, parce qu'elle avait peur que je contamine ma cousine. Donc mes parents étaient furieux, évidemment. Moi, je ne m'en rendais pas encore trop compte. C'est vrai que j'ai été, jusqu'à l'âge de la préadolescence, j'ai été préservée des moqueries, de la stigmatisation et tout ça, parce que mes parents m'avaient dit, le VIH, tu le gardes pour toi. Du petit virus, tu n'en parles pas. Ni aux copains, ni aux amis de la famille. Ça garde, ça reste entre nous. Et je ne comprenais pas pourquoi, mais je respectais ça.

  • Speaker #1

    C'est là où on voit aussi, je trouve, au travers de ton discours, et c'est ce qu'on aime mettre en lumière dans l'association, c'est que les choses vont tellement au-delà de la maladie en elle-même. Il y a vraiment le virus, mais en fait, tu as vécu tellement de traumas à d'autres niveaux, tellement de rejets, que ce soit au sein du foyer, à l'école. Finalement, ça s'étend de manière si vaste autour de la personne qui est malade, les conséquences.

  • Speaker #0

    Oui, et puis il y a une multitude, un croisement. Je sais qu'il y a un terme pour ça, mais je ne me rappelle pas. Mais il y a un croisement entre les traumatismes que j'ai, parce qu'il y a les traumatismes du VIH, il y a les traumatismes du rejet à cause du VIH, et il y a les traumatismes à cause de l'adoption. Et ça, ça fait un mix. Pendant longtemps, je ne me suis pas trop rendue compte du cause à effet entre... la Roumanie et le VIH et ma contamination bébé. Mais c'est venu plus tard où j'ai développé une colère, une colère froide entre la Roumanie. Parce que je l'estimais, à ce moment-là de ma vie, coupable de ma transmission. Là où c'est beaucoup plus subtil que ça.

  • Speaker #1

    Bien sûr, c'est subtil. Et en même temps, on voit aussi ce fil, finalement, de... La contamination parce qu'il y a de la négligence, il y a de la maltraitance médicale. Ensuite, le fait d'être contaminé, il peut y avoir du harcèlement. Il y a des traitements qui sont mal digérés ou gérés. En fait, c'est un effet boule de neige aussi, tout ça. On a la maladie à la base, mais ça prend tellement d'espace. Ça touche tous les domaines de la vie.

  • Speaker #0

    Oui, et la maladie, enfin le VIH… En plus, la particularité est d'être asymptomatique la plupart du temps. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on est traité, on n'a pas de symptômes. Donc, moi, j'ai décidé, à cause de cette poitrine survolumineuse que j'avais, un jour d'arrêter de prendre mes traitements. Je voulais prendre un jour sur deux, une fois par semaine, au petit bonheur la chance. Et puis, quand il y avait des contrôles, là, je faisais attention, mais ça ne servait à rien parce qu'on peut remonter loin dans le temps avec les prises de sang. Mais ce que je veux dire par là, c'est surtout que... Ça a eu un effet sur le fait que je ne pouvais pas anticiper le futur. Quand on est adolescent, on n'a pas l'anticipation de ce qui pourrait arriver. On n'a pas les conséquences en tête. Et le VIH, ce n'est pas comme par exemple le diabète, où si tu ne mets pas ton insuline, le lendemain, tu es à l'hôpital. Mais moi, si je ne prends pas mes médicaments aujourd'hui, je le paierais cher, mais seulement dans une année, deux ans.

  • Speaker #1

    Donc, ce n'est pas concret et palpable.

  • Speaker #0

    C'est ça.

  • Speaker #1

    Alors que les conséquences qui sont autour de la maladie, comme le fait de se faire humilier, moquer ou de souffrir des effets secondaires, ça c'est palpable à la différence de la maladie.

  • Speaker #0

    Exactement. Et c'est très difficile. Moi, quand j'étais ado, je me disais, mais à quoi ça sert prendre ces traitements ? Ça ne va pas me guérir. Je ne sens rien. Et puis surtout, je n'en vois pas le bout. Ce n'est pas comme des antibiotiques que tu prends pendant deux semaines et après on n'en parle plus. Là, c'est toute la vie. mais toute la vie quand on est ado c'est vertigineux.

  • Speaker #1

    Tu me disais même qu'il y a eu une période où tu les cachais tes traitements dans tes chaussures ou tes chaussettes.

  • Speaker #0

    Je cachais en fait mes comprimés dans un petit sac plastique que je cachais dans mes chaussettes. Et un jour, ma mère a trouvé un sac genre gros comme ça rempli de comprimés. Il y en avait pour des milliers de francs de médicaments que je n'avais pas pris. Ça aussi, c'est une chose qu'on ne se rend pas compte. Mais en Suisse, on a de la chance d'avoir des traitements, mais ces traitements sont très chers. Et je n'avais pas conscience de la valeur de mon traitement non plus à ce moment-là. Je ne parle pas seulement de la valeur médicale, mais aussi de la valeur monétaire. Et c'est vrai que quand ma mère a trouvé ces comprimés, elle m'a dit « Mais tu sais ces médicaments très chers, tu dois en prendre soin. » Alors oui, sur le papier c'est bien joli, mais dans les faits, je n'étais pas prête à faire ce pas-là. Je n'étais pas prête à considérer la valeur de mes traitements à ce moment-là. Parce que j'étais trop en colère, il y avait trop de résistance, pas de résistance médicale, mais de résistance émotionnelle à cette prise de traitement. Et j'ai même parfois été tellement mal que pour moi, prendre ces médicaments, c'était comme m'automutiler. Ça me faisait mal de les prendre. Ça me faisait physiquement, sur la langue, de les avaler, faire ce truc, c'était comme planter un poignard dans le ventre. Et par rapport à ça aussi, c'est que je mangeais mal parce que les médicaments, ils avaient comme effet à cette époque-là d'avoir une incidence sur l'alimentation. On a moins faim, on n'a plus trop faim, on mange mal. Et comme j'ai été gavée bébé à la cuillère, possiblement, et que j'ai eu pas mal de conséquences, ça fait que j'ai développé aussi des rejets au niveau alimentaire. Donc ce n'est pas de l'anorexie ou de la boulimie. C'est plus une alimentation très sélective en fonction des textures. Parce que certaines textures, j'avais l'impression de m'agresser en mangeant. Et ça, c'était aussi lié au traitement. Parce que mettre quelque chose dans la bouche pour avaler et manger, c'était quelque chose d'insurmontable par moments. Alors, je ne me suis jamais fait vomir. Mais par moments, je me suis, je pense, psychologiquement automutilée en ne mangeant pas. Et en ne prenant pas mes traitements. Je me suis fait du mal de cette façon-là.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Et ça y est. Pardon, vas-y.

  • Speaker #1

    Non, non, mais on perçoit vraiment à quel point la question des traitements était lourde dans cette période charnière de la vie, en fait.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Et ça crée aussi, ça creuse un écart aussi entre toi et les personnes de ton âge.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'on n'a pas de... À cette époque-là, je n'avais pas cette insouciance. Et en plus, je devais gérer l'information. plus tard dans mon adolescence je me suis retrouvée en internat et là aussi l'information a fuité et j'ai dû gérer ça toute seule donc c'est la première fois que j'ai fait un témoignage devant les filles de cet internat ça a été bien reçu j'ai eu une fin d'année beaucoup plus calme mais

  • Speaker #1

    c'était très stigmatisant aussi et je crois que tu as vécu aussi une autre trahison quand tu as eu ton premier rapport sexuel oui Avec la personne concernée qui a été divulguée ça aussi.

  • Speaker #0

    Oui. Et là, ça a été beaucoup plus violent parce qu'il y a des mots très durs qui sont sortis. Tumeur sur pattes, sidaïque. C'est les deux mots qui résolvent encore en moi comme étant des insultes particulièrement violentes. Et voilà, ça sous-entend aussi que j'étais sale.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Après, j'ai dû apprendre à prendre du recul avec ça. Et me dire que les personnes qui le disaient, ce n'étaient pas des personnes dignes d'intérêt. Mais sur le moment, ça fait mal.

  • Speaker #1

    C'est avec le recul que c'est plus évident de se dire ça. Et c'est une évidence, mais sur l'instant, c'est terrible. Et surtout que c'est dans des moments où tu offres une part de toi qui est vulnérable, que ce soit en te confiant à ta meilleure amie ou en ayant un rapport sexuel avec quelqu'un, il y a aussi des parts de sa propre vulnérabilité dans ces moments-là. et de l'utiliser ensuite contre la personne, c'est vraiment... Une question de trahison, en fait.

  • Speaker #0

    Oui, une question de trahison et une question d'acceptation ou de rejet. On a tous envie de faire partie d'un groupe. Parfois, on veut faire partie d'un mauvais groupe parce qu'on préfère être mal accompagné que seul.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr, surtout à certaines périodes de vie.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    Toi, tu as connu la médecine pédiatrique qui était... plus douce, plus familière, comme je le disais en introduction. On fêtait ton anniversaire, on te tutoyait. Et ensuite, tu es passée à la médecine adulte, bien plus distante, bien plus froide, où on te vouvoie, où tu es plus seule et anonyme, finalement, dans la prise en charge. Comment c'était pour toi, ce passage-là ?

  • Speaker #0

    Très dur. Ça a été très dur parce que je n'ai pas été préparée pendant des années. J'avais vraiment justement ce côté très familial. On me tutoyait, mon nom, prénom étaient inscrits sur mon dossier. J'avais toujours les mêmes infirmières. On fêtait Noël, les anniversaires. C'était très familial. Et du jour au lendemain, je me retrouve à 16 ans. Normalement, c'est 15 ans. Mais ils m'ont gardé une année de plus, mais ils ne m'ont pas préparé pour autant. J'ai été catapultée chez les adultes. Et là, c'est un tout autre monde. Effectivement, on est en numéro. Et comme le CHUV, c'est universitaire, donc il y a un turnover de fous dans les médecins. Ça change tous les six mois. Et ça a été très, très, très difficile. On attend de toi que tu gères ta maladie. On attend de toi que tu sois au clair avec tes traitements. On attend de toi que tu sois prête à participer à des études ou à t'investir en fait dans la gestion de ton... de ta maladie et des traitements. Là où en pédiatrie, c'est plutôt les parents qui s'en occupent.

  • Speaker #1

    Et tu aurais du coup souhaité être préparé, justement, comment ils auraient pu faire différemment pour que ça se fasse un peu plus en douceur, cette transition ?

  • Speaker #0

    Alors moi, c'est marrant parce que j'ai réfléchi à cette question-là de façon très sérieuse. J'ai même fait un texte de recommandation pour le service des adultes où je sais qu'ils s'en sont inspirés de certaines façons. Mais j'avais dit que principalement, il fallait que les... Les pédiatres préparent au début de l'adolescence, vers 14, 13, 14 ans déjà, que l'enfant vienne seul au rendez-vous, que l'enfant apprenne à gérer ses traitements de plus en plus par lui-même, qu'il accepte aussi que ce ne soient pas toujours les mêmes médecins, et puis qu'il y ait des rendez-vous. de transition entre le service de pédiatrie et le service des adultes, où ils vont visiter le service, où on leur explique comment ça fonctionne, où on leur dit qu'ils vont être vouvoyés, que s'ils ne viennent pas au rendez-vous, c'est qu'ils rentrent francs pour rendre des rendez-vous manqués, qu'on attend d'eux quand même qu'ils soient un minimum investis dans leur traitement, qu'ils sachent pourquoi ils sont là, parce qu'il y a aussi, alors maintenant, moins, je l'espère, mais à mon époque, quand j'étais petite, Il y avait des patients qui ne savaient même pas pourquoi ils prenaient les médicaments. Les parents ne leur disaient pas pourquoi ils prenaient les médicaments, pourquoi ils allaient voir un pédiatre une fois par mois. Et moi, je me suis retrouvée dans une situation aussi où j'étais tellement en colère que les propositions de ma maman aussi de me soutenir là-dedans, je les ai aussi rejetées. Parce que quand on est ado, on a l'impression de gérer la terre entière, de pouvoir gérer la terre entière. Alors qu'on n'arrive même pas à gérer son réveil.

  • Speaker #1

    Et pour continuer dans ce fil aussi de la question des traitements, toi tu as vraiment traversé la colère, la lassitude, la déprime concernant tout ça. Qu'est-ce qui à un moment donné t'a fait reprendre tes traitements avec assiduité ? J'ai l'impression qu'il y a eu plusieurs déclics chez toi où tu t'es dit non mais maintenant... faut que je prenne ces traitements-là ?

  • Speaker #0

    En fait, ça a commencé déjà dans la contrainte. C'est-à-dire que j'avais entre 19 et 21 ans. Je dirais 20 ans. Je ne suis plus exactement sûre de l'année. Par contre, ce que je sais, c'est qu'un jour, un infectiologue m'a appelé. Elle m'a dit, Madame, vous prenez tellement mal vos traitements. C'était terrible parce que le VIH, il va vous traquer, il va vous tuer. C'est un serial killer. Désormais, vous allez aller tous les jours à la pharmacie. pour prendre les médicaments devant un pharmacien qui ferait une petite coche que vous les avez bien pris. Tous les jours. J'avais une dose de réserve pour les dimanches. Donc même le samedi matin, je devais aller. Et c'était très contraignant. Au début, j'y allais le moins possible. Et progressivement, j'ai dû apprendre à cohabiter avec mes médicaments. Et puis la première fois que j'ai été à la pharmacie, j'ai mis deux heures pour prendre mes médicaments avec du coca. J'avais une dizaine de comprimés. Parce que oui, ce qu'on n'a pas dit... C'est qu'à force de mal prendre mes traitements toute mon adolescence, j'ai développé des résistances médicamenteuses. Ce qui veut dire que les traitements ne fonctionnaient pas et il fallait en changer. Donc quand on a changé 5-6 fois de traitement, au bout d'un moment, il ne reste plus rien. C'est pour ça qu'elle m'a contrainte à la pharmacie. Et ça, ça a été la première étape. Une année ou deux plus tard, elle est partie et c'est un autre médecin qui l'a remplacée. Et ce médecin, lui, il a dit, on va garder ce rythme-là de prise à la pharmacie, mais on va aussi passer un contrat. Il faut savoir qu'en 2008, il y a eu une grande révolution dans la recherche sur le VIH. Les chercheurs ont découvert, un médecin suisse, Bernard Hirschel, qui a découvert avec ses équipes qu'une patiente ou un patient séropositif qui a une charge virale indétectable, c'est-à-dire moins de 20 copies par millilitre de sang, ne transmet pas le virus, même en cas de rapport sexuel à risque. Ça, ça n'a pas fait beaucoup d'écho chez moi sur le moment. Mais par contre, mon médecin, qui avait remplacé cette dame, m'a dit, si vous êtes indétectable pendant plus de six mois, au bout de six mois, vous aurez une réduction d'un mètre. Et là, ça a été déjà la première motivation pour moi de prendre mes traitements. Ça a été la première étape. Parce qu'il y avait une échéance, mais ça m'a donné une motivation.

  • Speaker #1

    Oui, et j'ai l'impression qu'il y a deux motivations là même, parce qu'il y a le côté où... Quand c'est indétectable, tu ne peux pas transmettre. Donc, c'est déjà énorme quand on y pense. Et en plus de ça, il y a la réduction mammaire. J'ai l'impression qu'il y a deux choses qui sont importantes dans son discours.

  • Speaker #0

    Oui, mais ça, je le dis maintenant. Mais à l'époque-là, j'étais encore vierge. Et à ce moment-là, je n'avais pas conscience de cette notion de liberté dans la sexualité. C'était juste avoir une réduction mammaire. C'était déjà juste ça. Et j'ai eu ma réduction mammaire avec trois mois de retard parce que je n'avais pas été indétectable aux six mois. Donc, je me dis, mais là, il faut vraiment que j'y arrive. Donc, j'ai pu être opérée quelques mois plus tard. Et puis, par la suite, j'ai eu des hauts et des bas. Il y a eu des moments où j'allais à la pharmacie pour emmener mes docs. Et puis, des fois, pendant une longue période, je pouvais les prendre à la maison. Mais il y a eu un autre épisode qui m'a marquée dans la reprise des traitements, dans cette réconciliation avec les traitements. C'est quand je suis tombée sur un article de presse que je n'ai jamais retrouvé. tout le temps j'ai cherché hum quoi qui relatait l'histoire d'un patient séropositif de la région qui refusait de prendre ses traitements par solidarité avec l'Afrique. Parce qu'en Afrique, ils n'ont pas les traitements. Pas tous. Et moi, j'avais trouvé cette démarche incongrue. Et je m'étais dit que j'allais plutôt faire un devoir de mémoire et prendre ces traitements par solidarité avec ceux qui ne sont plus là. Ceux qui voudraient en bénéficier, ne pas le faire pour moi, parce que c'était trop dur de le faire pour moi, mais que je pouvais le faire pour les autres. Et c'est une des grandes étapes où il y avait ça. Il y avait aussi des nouvelles dans les journaux parfois où on parlait de séro-contaminateurs. Donc ces fameux séro-positifs qui sont des dangers dans la mesure où ils voulaient contaminer. Le problème, c'est que toutes les mythes se sont construites sur ces cas-là. Mais moi, je n'avais pas envie d'être ces personnes-là. Je ne voulais pas être un danger pour les autres. Je ne voulais pas avoir ce pouvoir de vie ou de mort sur quelqu'un. Parce qu'à cette époque-là, c'était tout neuf, cette histoire d'indétectabilité. Et puis, je n'étais pas toujours indétectable. Je l'ai été définitivement en 2013. Mais jusqu'à cette époque-là, ça pouvait me dire, mais en fait, si je veux pourrir la vie de quelqu'un, j'ai ce pouvoir-là. Et c'est très lourd à porter. Parce que non seulement on porte la peur de l'autre, on porte une image de soi qui est parfaitement affreuse. mais en plus on a On se dit qu'on a un pouvoir de super méchant qui est de détruire la vie de quelqu'un. Maintenant, ça ne fait plus trop sens de le dire à notre époque, mais à cette époque-là, dans ce contexte-là, c'était ça.

  • Speaker #1

    Oui, puis finalement, il n'y a pas que la mort, mais on l'a vu, il y a aussi tous les contours de la maladie qui sont dans tous les cas, ce n'est pas agréable du tout. Donc, il y a quand même un pouvoir sur la vie de l'autre, même si ce n'est pas la mort.

  • Speaker #0

    Oui, et puis voilà, c'est le pouvoir. Pourrir la vie de la personne. Avec des traitements à prendre à vie, avec du rejet. Non, j'avais pas envie d'être ça.

  • Speaker #1

    Donc aujourd'hui, le VIH, il est indétectable chez toi ?

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Donc tu ne peux pas le transmettre ? Comment c'est pour toi aujourd'hui qu'il y a du coup des rapports sexuels ? Qu'est-ce que c'est aujourd'hui de te dire ça ?

  • Speaker #0

    C'est une grande victoire. C'est extrêmement agréable pour moi d'avoir des relations sexuelles épanouies où le virus n'a pas sa place. C'est une grande victoire. C'est quelque chose où je me dis que c'est quelque chose que personne n'aurait pu envisager. et et pas si longtemps que ça, parce que 2013, 2012, pardon, c'est pas si vieux. Moi, ça me paraît pas si vieux que ça. Après, j'ai eu des moments où, voilà, avant 2013, j'avais des moments où ça fluctuait la virémie, et parfois les rapports étaient un peu, pour moi, un peu difficiles, parce que je me disais si j'étais pas indétectable. Et puis, il y a aussi le truc, c'est qu'à ce moment-là, quand j'étais pas toujours indétectable, Merci. J'avais tendance à me douter des pratiques. Et si je fais ça, est-ce qu'il y a un risque ? Et si je fais ça ? Et en fait, mon infirmière psychosociale me disait « Mais en fait, vous êtes surenformée. Mais vous êtes tellement informée que des fois, des choses très simples, ça se brouille. » Et voilà, en fait.

  • Speaker #1

    Et dans toute cette histoire, tu as souhaité aussi avoir un enfant.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Comment ça a été pour toi, parce que tu étais du coup déjà malade, de projeter une maternité dans cette condition-là ?

  • Speaker #0

    En fait, ça a été assez simple. À partir de 2013, j'étais avec une viremie indétectable. Donc, quand on a décidé d'avoir un enfant avec mon conjoint, j'ai simplement informé mon infectiologue. Elle m'a confirmé que je faisais ce que je voulais parce que ma viremie était indétectable. Et je suis tombée enceinte quelques mois plus tard. Par contre, ce qui a vraiment changé, c'est que... Et que jusqu'alors, on utilisait le préservatif pour pas que je tombe enceinte. Parce qu'avec les médicaments que je prends, la contraception m'était contre-indiquée. Et les rares que j'ai pu essayer, je les ai pas supportées. Donc finalement, j'avais une sexualité plus ou moins libre. Mais dès l'instant où on a décidé ensemble d'avoir un enfant, alors là, je me suis vraiment sentie libre. Et là vraiment, ça a été incroyable toute cette période. Et la grossesse s'est très bien passée. Alors, comme j'avais des troubles du rythme cardiaque, j'ai eu des contrôles mensuels avec un cardio-halter, c'est un petit appareil avec des fils qu'on met sur le corps. 24 heures avec ça, une fois par mois, c'est un peu chiant. Mais le VIH n'a pas eu son mot à dire. Il n'a pas eu son mot à dire. Et je me rappelle une fois, quand j'ai su que j'étais enceinte, qu'on a passé les trois mois, et qu'on a annoncé publiquement que j'étais enceinte, Je me suis fait un plaisir d'écrire un post sur Facebook et de m'adresser au virus et de dire, « Non, c'est moi qui décide et toi, tu n'as pas gagné. » Et en plus, j'ai appris de mon infectiologue à la fin de ma grossesse que j'allais pouvoir allaiter. C'est-à-dire que jusqu'alors, on disait aux mères séropositives de ne pas allaiter. Il y avait trop de risques, soit de transmission, soit d'attente rénale à cause des reins du bébé. qu'on les rend du bébé à cause des médicaments. À partir de 2018, le consensus a changé. Et en fait, c'était de dire, c'est au cas par cas. C'est-à-dire que la mère peut allaiter si l'infectiologue est d'accord et si elle est dans un contexte qui lui permet l'allaitement de façon sereine. Parce qu'une mère qui vit dans un contexte hostile, où elle doit se cacher, devoir allaiter en plus de prendre des médicaments, c'est trop compliqué. C'est l'exemple qu'on m'a donné en tout cas.

  • Speaker #1

    C'est intéressant ce que tu as écrit, je trouve, sur Facebook, c'est ça ? Où tu t'adresses au virus une fois que tu es enceinte. Je trouve ça intéressant parce qu'on a eu un ressenti, je crois, commun, toi et moi. C'est que, peut-être que je vais utiliser un mot qui ne te parle pas à toi, mais moi, j'ai presque eu la sensation, en décidant de tomber enceinte, que c'était presque comme un acte de militance, en fait. Parce que je pouvais me réapproprier mon corps, corps qui, dernièrement, appartenait presque plus au monde médical qu'à moi. J'étais un peu la chose où on va aller toujours checker ce qui se passe, faire des diagnostics, récupérer des données, des analyses. Et tout d'un coup, j'étais là, non mais en fait, là, c'est moi qui décide de ce que je fais de mon corps. Et je le voyais presque comme un acte de militance. Voilà, cette réappropriation du corps a pour moi été vraiment quelque chose de beau en fait, de pouvoir décider de ça.

  • Speaker #0

    Je te rejoins totalement. Alors, je n'avais jamais réfléchi au terme militant, le terme en tant que tel, mais par contre, le mécanisme, oui, totalement. De pouvoir me réapproprier mon corps, de pouvoir porter la vie, là où j'ai eu l'impression d'avoir porté la mort toute ma vie. Ça a été... D'ailleurs, je l'avais écrit aussi, j'avais dit, pendant des années, toute ma vie, j'ai porté la mort, maintenant je porte la vie. Et ça a été pour moi... Vraiment, ma grossesse a été un moment béni. Une période vraiment où je me suis sentie... bien physiquement. Les hormones, évidemment, elles me faisaient un peu réagir. Comme toute femme enceinte, tu as parfois les hormones qui chamboulent. Mais sur le principe... Ah ! Pardon, j'ai eu un appel, je l'ai refusé. Tu me vois ?

  • Speaker #1

    Je ne te vois plus, mais je t'entends.

  • Speaker #0

    Alors attends, je m'excuse. Voilà. Je suis désolée pour cette petite imparté.

  • Speaker #1

    Il n'y a aucun problème. Essaye juste de ne pas éteindre. Voilà, parfait.

  • Speaker #0

    Ils sont éteints automatiquement.

  • Speaker #1

    Oui, parfait. Mais de ne pas éteindre la conversation, je veux dire.

  • Speaker #0

    Désolée. Voilà, donc je disais, j'avais même écrit, j'ai porté la vie et j'ai porté la mort toute ma vie et maintenant je porte la vie. Ça m'a vraiment, vraiment, vraiment fait plaisir.

  • Speaker #1

    Et donc, tu étais dans une période qui était plutôt chouette. Après, tu as eu un accouchement que tu me nommais de traumatique. Tu as été dans le coma durant une semaine après avoir accouché. Et je voulais te poser la question à ce moment-là parce que j'ai été très touchée aussi par ce que tu me racontais hors antenne, le fait que tu avais vraiment rencontré ton fils seulement une semaine après sa naissance, une fois sorti du coma. Et moi, je me suis demandé si ça n'avait pas réveillé des expériences passées, elles aussi traumatiques. Toi-même qui, à ta naissance, a été abandonnée. Tout à coup, tu portes la vie et en donnant naissance, tu ne peux pas accéder tout de suite à la relation à ton fils. Comment ça a été pour toi, ça ?

  • Speaker #0

    Alors, ça a été compliqué, effectivement. J'ai eu un coma qui a en fait duré trois jours. Mais après ces trois jours, j'ai été en soins intensifs, puis en soins continu. Ce qui fait que pendant une semaine, je n'ai pas vu mon fils. Pas à coup, mais à coup, c'est vraiment des visites. J'ai eu l'impression qu'on me volait, en fait, ma maternité. J'avais eu l'impression que je n'étais plus en possession de mon corps, que de nouveau mon corps ne m'appartenait plus, il appartenait à la médecine, qu'après avoir fait l'acte le plus beau qu'une femme puisse faire, qui est de donner la vie à mon sens, qu'on me volait à ce moment. Ce n'est pas de la faute du virus, c'est de la faute à pas de chance. Ça aurait pu tomber sur une autre maman, mais c'est tombé sur moi de faire une hémorragie. De perdre 2 litres de sang et de finir au bloc opératoire d'urgence. C'est de la faute à pas de chance, mais par contre, ça m'a vraiment marquée parce que je me suis retrouvée dans un contexte où l'hôpital, normalement, c'est un endroit où on se fait soigner parce qu'on est malade. La maternité, c'est le seul service d'un hôpital où on n'a pas le droit d'être malade. En tout cas, c'est comme ça que je l'ai ressenti, que je l'ai vécu. On attendait deux mois, je suis une maman optimum. à m'occuper de mon fils, quand bien même je sortais du coma, que je titubais, qu'il me fallait la chaise pour bouger parce que je ne marchais pas droit, que je tremblais, que j'avais peur de faire tomber mon fils.

  • Speaker #1

    Pourquoi les injonctions sur les mères sont là, quoi qu'il en soit, en fait ?

  • Speaker #0

    Oui, complètement. Et ça a été un véritable tsunami pour moi. Parce que non seulement il y avait ça, j'ai eu la chute des hormones une semaine plus tard, pile. Mais vraiment pile, j'étais dans une salle d'attente. pour attendre les examens pour mon fils. Et à 14h34, vendredi suivant, j'ai eu la chute des hormones. Elle est venue brutalement. Je me suis mise à pleurer, à trembler. J'étais au plus mal et ils m'ont ramenée en chambre. Et alors, j'avais la chance qu'à cause de la fatigue chronique qui m'est diagnostiquée à cause de l'UVH, enfin pas à cause de l'UVH, mais à cause des conséquences des traitements et les conséquences du virus qui s'appliquent à moi. j'avais pu avoir une chambre privée, même si je n'avais pas l'assurance pour. Et ça m'a beaucoup servi parce que comme ça, je n'avais pas à subir les mamans qui avaient leur propre vécu et les familles qui voulaient leur rendre visite, je pouvais m'isoler. Mais je me sentais quand même très oppressive, je me sentais observée, je me sentais mise dans un rouleau compresseur. J'avais l'impression qu'une énorme machine s'écrasait sur moi. Et qu'en même temps, on s'attendait à ce que je la soulève avec mes bras.

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, vous avez une magnifique relation avec ton fils Erwan. Qu'est-ce que lui sait aujourd'hui de la maladie et ses conséquences ? À quoi tu lui as donné accès en tant que maman ?

  • Speaker #0

    Alors en fait, étant donné que je prends des traitements depuis toujours, pour lui c'est depuis toujours, je trouvais normal qu'il soit au courant de pourquoi maman prend des médicaments. Donc j'ai inventé une petite métaphore pour lui raconter le VIH. Je lui ai imaginé un peu comme les émissions de C'est pas sorcier. J'ai vraiment imaginé dans ma tête la conception d'une maquette de château fort qui représente le corps humain, dans lequel il y a les petits soldats du corps qui défendent le château contre l'envahisseur qui est le méchant virus. Le méchant virus cache toutes les portes et fenêtres du château pour laisser rentrer tous ses copains, bronchite, pneumonie, sarcome, principalement, donc les cancers. qui peuvent détruire complètement le château et donc tuer la personne. Et grâce aux médicaments qui sont les forces alliées qui viennent aider le château tous les jours, le château reste debout. Et pourquoi le petit virus n'est pas destructible ? Parce que des fois, il va se cacher dans les passages secrets du corps, qui sont les réservoirs. Et à cause de ça, les médicaments, donc les forces alliées, n'ont pas accès à ces réservoirs, à ces passages secrets. Et tant que les médicaments viennent tous les jours, le virus y peut. il est détruit, mais il ne peut pas disparaître, mais il peut au moins être pas embêtant. C'est la métaphore que j'ai imaginée pour mon fils et je lui ai raconté ça plusieurs fois quand il était petit. Et un jour, il avait 5 ans, il me fait « Maman, tes médicaments, ils font quoi dans ton corps ? » Je lui dis « Ben écoute, ça me permet d'être en forme pour jouer avec toi. » Il me fait « Non, ça fait quoi dans ton corps ? Ça tue le méchant virus ? » Je lui dis « Ben, tu veux de la biologie ? Ok, on va trouver une vidéo sur Youtube qui explique ça. » J'ai trouvé une vidéo qui résume un petit peu certaines classes de traitement, sans parler des modes de transmission. Et puis, il a été sensibilisé comme ça. Et puis, je lui ai dit que j'ai été contaminée par une aiguille infectée. Mais il ne connaît pas les autres modes de transmission parce que j'estime qu'à son âge, il a 7 ans et demi actuellement. J'estime que c'est un peu jeune pour être sensibilisé à ces détails-là. Mais il est très fier de maman. Il me soutient, il m'encourage quand je vais faire des témoignages, des sensibilisations. Il est toujours à mes côtés.

  • Speaker #1

    Et toi qui es aujourd'hui maman, si tu pouvais parler à la petite fille dans l'hôpital roumain, que tu pouvais lui apporter un geste ou une parole ou un regard, qu'est-ce que tu lui transmettrais ? Je te pose la question parce que... Je vois que c'est tellement joli comme tu es dans la transmission avec ton fils. Il y a tellement d'imagination. On voit aussi la bulle dont tu parlais, tu sais, où tu arrives à rentrer dans un imaginaire qui est waouh. Moi, comme tu l'as décrit, j'ai un bout de dessin animé face à moi. Est-ce qu'il y aurait quelque chose que tu aurais aussi envie de dire à cette petite Sophie-Hélène ?

  • Speaker #0

    Moi, je lui dirais à cette petite Sophie-Hélène, qu'elle a raison de se cacher dans son monde quand c'est trop dur, mais qu'elle n'a pas à avoir peur de poser un pied dans la réalité, qu'elle peut marcher des deux côtés, et surtout lui dire qu'elle est aimée, qu'elle se sente aimée, parce que la petite Sophie Elena ne se sentait pas toujours aimée, même si elle était aimée. Et encore maintenant, il y a des moments où je ne me sens pas aimée, même si je suis aimée. Et pas seulement qu'on me le dit, mais on me le montre par des gestes. par des actions, par des preuves d'amour au quotidien, mais parfois, je vais douter.

  • Speaker #1

    On sait que ces traces traumatiques, ça crée des gouffres aussi. Et ça nous ramène dans tellement des parts de nous toutes petites qui ont du mal à comprendre que dans l'ici et maintenant, oui, on est aimé, oui, on est en sécurité. Et il y a ces choses-là qui nous renvoient aussi des fois dans des moments du passé.

  • Speaker #0

    Totalement. Et voilà, c'est un long cheminement que j'ai fait. Il n'est pas fini, mais je peux dire maintenant que je peux vivre avec le virus et non pas contre lui. Je l'ai vécu, je l'ai considéré toute ma vie comme un squatter, à déloger de toute urgence. Et maintenant, je le considère comme un colocataire un peu grincheux, un partenaire de voyage, un compagnon de voyage. qui est un peu grand cheveux, mais avec qui j'ai fait toute ma vie. Et je me suis déjà posé la question, mais comment est-ce que je vivrais le jour où il ne sera plus là ? Je me suis dit, mais si un jour on peut détruire le VIH, ce sera super, je n'aurai plus à subir ces assauts. Mais d'un autre côté, ça va me faire... bizarre. Est-ce que je serai la même sur mon VIH ? Est-ce que je n'ai pas donné ma raison de vivre de la lutte contre le VIH ? Si on détruit le VIH, que j'ai encore une raison de vivre ? Alors oui, bien sûr, j'ai encore des raisons de vivre, mais quand on s'habitue, quand on vit avec une maladie toute sa vie, c'est difficile d'imaginer ne plus l'avoir. Oui.

  • Speaker #1

    C'est là-dedans et dans ton identité aussi.

  • Speaker #0

    Oui. Et le VIH fait partie de moi, même si ce n'est pas quelque chose de très valorisant. Il fait partie de moi malgré tout.

  • Speaker #1

    Tu interroges aussi le fait qu'il y ait les coupables et les victimes du VIH. Tu dis justement les coupables, c'est ceux qui ont eu un rapport non protégé, par exemple. Et les victimes, c'est par exemple des personnes comme toi qui ont été contaminées à leur insu. C'est propre à l'humain de dire si on mérite ou non la souffrance, mais toi, tu as décidé d'en faire quelque chose de ce constat-là et de ton parcours. Est-ce que tu veux nous raconter ?

  • Speaker #0

    Bien sûr. Donc moi, je suis témoignante. C'est un mot que j'ai inventé parce que ce n'est pas quelque chose d'officiel, mais je témoigne presque au quotidien de mon vécu avec le VIH. Je sensibilise des auditoires différents, ça va des écoliers aux soignants. Mais je me suis pas mal spécialisée dans les témoignages aux soignants pour justement permettre une meilleure prise en charge des patients séropositifs et permettre au grand public de ressortir avec le message qu'indétectable égale intransmissible, c'est-à-dire I égale I. C'est vraiment quelque chose que je martèle parce que c'est tellement important. Et puis, de pouvoir donner un sens à tout ce que j'ai vécu. de pouvoir transmettre cette information. Et comme, justement, j'ai un mode de transmission atypique pour nos contrées, ça permet, en fait, à des gens qui ne seraient pas forcément sensibles au message de prévention classique de se poser la question. Mais au final, ça peut arriver à tout le monde. Oui, ça peut arriver à tout le monde. Et la sensibilisation, elle est là pour... que les conséquences d'une transmission n'atteignent pas ces personnes-là, qu'il n'y ait pas de transmission. Je m'adresse aussi aux patients séropositifs, notamment à certains patients qui ont des problèmes d'adhésion thérapeutique, dont une mauvaise prise de traitement, pour leur dire, je sais ce que tu vis, je suis passé par là, je vais essayer de t'accompagner pour que... ta prise de risque maintenant avec tes traitements n'occupe pas les mêmes conséquences que moi j'ai à subir maintenant. D'être une sorte de mentor, de quelqu'un qui accompagne, en tout cas de compagnon, pour pouvoir faire avancer aussi ces personnes-là dans leur gestion des traitements. Et moi, ça me donne aussi du sens à mon vécu.

  • Speaker #1

    Et quel message t'aimerais faire passer aux personnes qui vivent avec le VIH et à leur entourage ?

  • Speaker #0

    Les personnes qui vivent avec le VIH, je leur dis, sentez-vous heureuse malgré tout ? Je sais que c'est difficile, mais trouvez du bonheur dans les choses qui ne vous impactent pas. C'est-à-dire qu'on est tellement focalisé sur le virus parfois quand on vit avec, parfois on a tendance à en faire. Soit en faire notre vie entière, soit au contraire l'occulter parce que c'est trop dur ou parce qu'on ne se sent pas concerné. Je pense notamment à des personnes qui viennent de contracter le VIH et puis qui se disent maintenant avec un comprimé par jour et je suis tranquille. Mais au fond d'eux, il y a quand même ce choc-là. Et j'aimerais dire à ces personnes que la vie continue malgré tout. et puis que... que le VIH, ce n'est pas une finalité. Et aux proches, je dirais, soyez compassionnels. Soyez compassionnels avec les gens qui vivent avec le VIH. Parce que même si c'est quelque chose de chronique maintenant, comme d'autres pathologies, ça n'en reste que c'est une pathologie qui stigmatise, qui est vecteur de stigmatisation, de rejet. Donc, prenez les personnes pour ce qu'elles sont et pas pour ce qu'elles ont.

  • Speaker #1

    En parlant de stigmatisation, quels sont pour toi, par exemple, les trois grands mythes qu'on a encore autour du VIH ?

  • Speaker #0

    La première, c'est de mélanger, selon moi, le VIH avec le sida. Le VIH et le sida, ce n'est pas la même chose. On peut avoir le virus. Le VIH, c'est le virus. Le sida, c'est un syndrome, c'est un ensemble de symptômes. Et c'est le stade final du VIH. On peut très bien avoir le VIH toute sa vie et ne jamais développer un sida parce qu'on est traité et que si on est traité, on a une virée mal détectable. Ou alors, on peut avoir un sida comme moi j'ai eu avec mes... mais maladie opportuniste quand j'étais petite, et puis revenir au stade VIH après parce qu'on prend des traitements qui fonctionnent. Mais VIH ne veut pas forcément dire sida. C'est deux choses différentes. Ça, c'est la première des choses. La deuxième, c'est que les médicaments sont efficaces, bien pris, permettent d'avoir une vie la plus normale possible. Au niveau médical, je dis vraiment au niveau biologique, le virus n'a plus d'impact sur le corps. Après, on a évidemment tous nos ressentis, nos vécus qui rendent la chose plus compliquée. Mais au niveau biologique, le virus est contenu. Et ça, c'est une vérité. Bien prendre ses traitements, plutôt que de croire des charlatans qui voudraient vous vendre des produits miracles qui ne marchent pas. Parce que ça, c'est quelque chose que j'entends encore souvent. Et puis aux personnes qui ne sont pas séropositives, qui ne connaissent pas forcément grand-chose. Leur dire que si le VIH, c'est une vérité, c'est une réalité, c'est un virus qui existe vraiment, pour lequel il n'y a pas de guérison. Et que donc le meilleur moyen d'éviter d'attraper le VIH, c'est déjà de se dépister régulièrement. Et puis, il y a la PrEP, qui est le traitement de prophylaxie qu'on peut prendre pour avoir des rapports sexuels non protégés. Mais par contre, ça ne protège que du VIH. Donc moi, dans l'absolu, pour une méthyle préservative quand même. pour être protégé de la syphilis, de la gonorrhée et d'autres pathologies sexuelles. Mais le virus en lui-même, ce n'est pas celui qui tue. Ce qui tue, c'est le rejet.

  • Speaker #1

    Est-ce que, Sophie et Léna, tu aimerais rajouter quelque chose avant la dernière question de fin ?

  • Speaker #0

    Pour moi, c'est tout bon. Je voulais juste rajouter que indétectable égale intransmissible, c'est vraiment quelque chose qui doit rentrer dans les têtes des gens.

  • Speaker #1

    Et du coup, je vais venir t'embêter, ça c'est à 100% sûr ?

  • Speaker #0

    Oui, 100% sûr. Indétectable égale intransmissible, c'est une vérité scientifique, c'est quelque chose qui est reconnu dans tous les pays occidentaux. Quand bien même certains pays limitent encore les voyages des personnes séropositives, oui parce qu'il y a des pays dans lesquels je n'ai pas le droit d'aller, mais la plupart des pays occidentaux... se sont rangés à cette réalité-là. Et oui, indétectable égale à transmissible. Si tu es traité, tu prends ton traitement correctement. Tu as une virémie indétectable et donc tu ne transmets pas le virus. Point.

  • Speaker #1

    C'est magnifique. Point. Je voulais l'entendre jusqu'au bout. Quel super pouvoir la maladie invisible t'a apporté ?

  • Speaker #0

    La résilience. Pendant longtemps, j'ai douté, j'ai eu le syndrome de l'imposteur. Je me disais, mais en fait, je ne devrais pas être orgueilleuse. Et en fait, plus ça va, plus je m'assume dans le fait que j'arrive à rebondir, que ça m'a donné une élasticité émotionnelle et une élasticité mentale pour absorber les chocs de la vie. Et que c'est devenu un super pouvoir, qui peut être un peu traître parfois, parce que ça peut me demander pas mal de ressources. mais qui me permet d'avancer malgré tout.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Sophie et Léna pour ton partage.

  • Speaker #0

    Merci Tamara de m'avoir invitée.

  • Speaker #1

    Merci de soutenir ce podcast en vous abonnant pour ne manquer aucun épisode et en lui donnant 5 étoiles sur vos plateformes d'écoute préférées. Rencontrez mes invités et découvrez tous les engagements de la communauté Les Invisibles sur le compte Instagram Les Invisibles Podcast. Ensemble, continuons à visibiliser l'invisible.

Description

Sophie-Elena connaît les violences et les maltraitances médicales depuis sa naissance.

Née avec une hépatite B et abandonnée dans un hôpital de la Roumanie des années 90 - véritable mouroir à bébés - elle y contracte le VIH 🦠, alors qu’une seule et même seringue est utilisée pour tous les nourrissons.


À ses 1 an, Sophie-Elena est adoptée par un couple suisse 🇨🇭 qui souhaite lui offrir une fin – ou peut-être un début – de vie digne. Elle découvre alors l’amour, la chaleur d’un foyer, et d’autres paysages que les murs blancs de l’hôpital.


En grandissant, elle « vit son corps » comme un sujet de honte et de stigmate. Humiliée, trahie, mise de côté… Bien plus que le virus en lui-même, ce sont les conséquences d’en être atteinte qui lui créent les plus grandes blessures.


Ce corps, grâce à deux expériences où son choix a été remis au centre, elle finit par se le réapproprier. Elle s’adresse même à lui en disant : « C’est moi qui décide maintenant. Et toi, le virus, tu n’as pas gagné. »


Aujourd’hui, le virus de Sophie-Elena est indétectable, donc intransmissible. 🙏🏻

Elle vit en reconnaissance de celles et ceux qui ne sont plus là - en prenant ses traitements avec rigueur, en sensibilisant au VIH, et surtout en déconstruisant les mythes qui persistent encore autour de cette maladie.


Si la vie de Sophie-Elena ressemble à un labyrinthe, elle semble avoir trouvé une sortie… remplie de lumière.


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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je me suis déjà posé la question, mais comment est-ce que je vivrais le jour où il ne sera plus là ? Je me suis dit, si un jour on peut détruire le VIH, ce sera super, j'aurai plus à subir ces assauts. Mais d'un autre côté, ça va me faire bizarre. Est-ce que je serai la même sans mon VIH ? Est-ce que je n'ai pas donné ma raison de vivre de la lutte contre le VIH ? Si on détruit le VIH, que j'aurais encore une raison de vivre ? Alors oui, bien sûr, j'aurais encore des raisons de vivre. Quand on s'habitue, quand on vit avec une maladie toute sa vie, c'est difficile d'imaginer ne plus l'avoir. Ouais.

  • Speaker #1

    Les Invisibles. Juin 2020. Ma vie bascule du jour au lendemain dans une maladie neurologique, rare, qui n'a de poétique que le nom. Le syndrome du mal de débarquement. Les symptômes qu'elles m'amènent vivent en colocation avec moi, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, et ne prennent jamais leur week-end. Je n'ai donc pas la place pour un autre combat. Du moins, c'est ce que je crois. Puis vient ce jour où je témoigne dans une émission télé, dans l'espoir de rendre visible l'invisibilité du syndrome dont je suis atteinte. A peine sortie du plateau, forte de cette expérience et encore dans mes talons rouges, une évidence s'installe. Je n'en resterai pas là. Dans le train du retour, je rejoins à la fois ma maison et mon nouveau combat. Offrir un espace de parole au travers d'un podcast, aux personnes qui composent, bien souvent en silence, avec des maladies invisibles, et avec les regards de sociétés qui ne croient que ce qu'elles voient, deux réalités plus souvent subies que choisies. Aujourd'hui, loin de mes talons rouges et au plus proche de l'engagement, l'évidence s'étend. C'est à l'invisible ou pluriel que je vous invite. Ceux qui dans la chair, l'esprit et les sociétés se vivent, sans pour autant faire de bruit. Si comme le dit Antoine de Saint-Exupéry, l'essentiel est invisible pour les yeux, ici, on compte bien le faire entendre. Bonne écoute !

  • Speaker #0

    Hello Sophie et Léna ! Bonjour Tamara ! Comment est-ce que tu vas aujourd'hui ? Aujourd'hui je vais bien, c'est une bonne journée. Et toi, comment vas-tu Tamara ?

  • Speaker #1

    Je suis contente de l'entendre. Alors moi, on est vraiment dans tout l'inverse. Si je te dis la vraie vérité, j'ai failli annuler notre entretien ce matin.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Parce que j'ai vécu hier un événement qui a fait ressortir tous mes symptômes de stress post-traumatique. Et c'est des choses qui peuvent arriver quand je suis face à la violence masculine dans différents événements de la vie. Et puis, j'ai été mise face à ça et ça me crée beaucoup de symptômes comme à la fois une rapidité de pensée, mais un ralentissement dans le langage. Je me sens très en insécurité. Il y a pas mal d'anxiété, je me sens un peu sous un étau, c'est pas du tout confortable. Et j'ai essayé d'accompagner ça tout au long de cette journée, vraiment, et d'être dans une bienveillance avec mon ressenti. Et puis ça m'a permis d'être là avec toi presque ce soir, en tout cas il est 16h, et j'en suis contente. et je te remercie d'avance pour toute ta compréhension s'il y a des moments où je perds mes mots ou voilà, j'ai l'air un petit peu... un peu plus fragilisé parce qu'en dehors de la maladie neurologique ou intestinale ou tout ça, il y a aussi ce syndrome de stress post-traumatique complexe et je navigue aussi avec ça parfois.

  • Speaker #0

    D'accord, j'accueille ça avec toute la bienveillance que je peux te donner et vraiment je te remercie pour ta confiance, tu me confies tout ça.

  • Speaker #1

    Merci. Sophie-Hélène, ton histoire à toi, elle commence par un abandon. Alors que ce que l'on peut souhaiter de plus fort à un bébé qui vient au monde, c'est de se sentir aimé et en sécurité. Tu nais dans la Roumanie des années 90, on va même être précise, on va dire en 89 tu es né. Tes parents disparaissent et on te place à l'orphelinat, puis à l'hôpital car tu es atteinte d'une hépatite B. Ta première année de vie se vit sans peau contre peau, sans regard, sans voix. Ton corps minuscule apprend à vivre sans amour, sans aucun contact physique ni chaleureux, entouré de murs blancs. Et puis un jour, une famille suisse décide de t'adopter, alors que tout le monde te croit condamné. Tu es censé mourir du VIH, que tu as contracté à cause de seringues non désinfectées qui passent d'un bébé à l'autre dans l'hôpital. Et pourtant, tu vis. Mais derrière la vie, il y a aussi cette traversée avec les traitements, les effets secondaires, les moqueries, les regards jugeants, l'incompréhension. Tu traverses aussi l'enfance médicalisée, l'enfance en pédiatrie, où l'on pense à fêter ton anniversaire, au passage brutal à la médecine adulte, où tu n'es qu'une inconnue que l'on vous voit. À 19 ans, ton corps devient sujet de honte quand on révèle sans ton consentement le virus avec lequel tu vis. À 22 ans, il redevient territoire de liberté et tu recommences à t'aimer. Et puis un jour, tu deviens mère à ton tour. Mais même là, l'hôpital te rappelle que pour être une bonne maman, il faut d'abord être en bonne santé. Tu dis que ta vie est un labyrinthe et qu'au fond, ta survie, c'est d'être adoptée. Alors aujourd'hui, on va parler de ce labyrinthe, des cicatrices qu'on ne voit pas, c'est la thématique des invisibles ça, des traumas qu'on apprivoise et de la lumière qu'on apprend à fabriquer soi-même, parce que dans ton témoignage, c'est ce que j'ai ressenti, beaucoup de lumière. Donc, merci Sophie-Hélène d'être là. Toi, comme je l'ai dit, tu as été abandonnée à un hôpital durant ta première année de vie, sans un seul bras pour te bercer. Quand tu reconnectes à cette première année sans contact, sans amour, de quoi ton corps se souvient ?

  • Speaker #0

    Mon corps, je pense qu'il se souvient en fait des agressions, des piqûres, des... Et de la contention aussi, parce que les bébés, on les emmaillotait. Mais je pense que ça ne devait pas être très bien fait, parce que j'ai ce côté d'être contenue, en fait. C'est un ressenti que j'ai. Et en fait, on m'a confirmé qu'on emmaillotait les bébés à cette époque-là, dans ces hôpitaux-là. Et puis, c'est surtout cette notion d'être dans ma bulle. Et mon corps a tendance à choisir la fuite en avant. quand c'est trop dur.

  • Speaker #1

    Comme quoi, même si c'est des moments ou des périodes de vie où on n'a pas d'image concrète, on a toute cette mémoire implicite de ressenti et peut-être que là, aujourd'hui, à l'âge adulte, il y a des choses qui se manifestent. J'en sais rien, tu parlais de la question d'être contenu et peut-être que c'est quelque chose que tu n'aimes pas aujourd'hui ou le fait que tu aies besoin de fuir dans d'autres mondes, dans ta tête pour... Pour te sentir à l'abri et pour ne pas être face à cette brutalité et la réalité peut-être des fois d'un quotidien, il y a quand même des choses qui restent.

  • Speaker #0

    Oui, il y a des choses qui restent. Mes parents ont mis des années à me faire sortir de ma bulle, à tel point que quand j'étais petite, on avait supposé que j'avais un TSA, un trouble du spectre de l'autisme, qui ne s'est pas confirmé avec le temps, mais en tout cas, j'avais des symptômes qui faisaient franchement penser. Et puis, j'ai toujours eu besoin de fuir de la réalité difficile dans des mondes plus doux, plus cotonneux.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ce que tu me disais aussi la dernière fois quand on a échangé ensemble, c'est que tu as eu des retards à la fois au niveau du langage, même au niveau de l'alimentation. Je crois que tu me disais, tu as mangé la première fois solide, tu avais 4 ans.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Il y a vraiment des choses comme ça où le fait de ne pas avoir été dans la sécurité, l'amour, l'éducation, finalement, il y a des choses qui se sont énormément retardées à venir.

  • Speaker #0

    Oui, en fait, ça a été par priorité. C'était d'abord me reconnecter, me connecter à l'amour de quelqu'un, l'amour de mes parents. Après, ça a été me connecter au fait d'avoir du confort, C'est-à-dire d'être changé régulièrement, d'avoir... accès à des biberons régulièrement et puis qu'ils ne soient pas gavés. Parce qu'on suppose qu'on m'a gavé quand j'étais bébé parce que j'ai des tétines encore qui sont très larges, les trous sont gigantesques. Et puis j'ai refusé la cuillère très longtemps, ce qui suppose aussi qu'on m'a forcé à la cuillère. Donc toutes ces choses-là font que ça a été par des priorités. D'abord, on s'habitue à l'amour. Après, on s'habitue à manger. Après, on s'habitue à marcher. Et chaque fois, c'était des petits pas en avant. vers quelque chose qui se rapprocherait d'une idée qu'on peut se faire de la normalité. En tout cas d'une normalité acceptable pour mes parents et acceptable pour moi.

  • Speaker #1

    Donc ce que tu nommes aujourd'hui tes parents, c'est tes parents adoptifs ?

  • Speaker #0

    Exactement. Mon papa, ma maman, c'est mes parents suisses.

  • Speaker #1

    Et tu me disais que d'avoir été adoptée, c'est ce qui t'a permis de vivre. En quoi ça t'a raccroché à la vie ?

  • Speaker #0

    Il faut bien comprendre qu'à l'époque de Ceausescu, du dictateur roumain, les hôpitaux et les orphelinats, c'était des vrais mouroirs. Les enfants n'avaient pas de stimulation. Ce qui veut dire également qu'ils n'avaient pas d'amour, ils n'avaient pas de soins. Et moi, j'étais dans une chambre avec deux autres bébés. Et ma maman, ma maman suisse, m'a visitée. Elle m'a dit qu'il y avait deux autres bébés dans ma chambre. Il y en avait un qui avait à peu près le même âge que moi, qui se tapait la tête contre les murs. Et un autre qui est mort de diarrhée quelques jours plus tard. Donc, j'étais dans un contexte de violence médicale. Et j'étais dans un contexte de désespoir. Où des bébés se tapent la tête. Alors, des bébés d'une année. Mais des bébés quand même qui se tapent la tête. tape la tête contre les murs, c'est inimaginable. Je veux dire, mourir de diarrhée, c'est atroce. Et moi, j'ai survécu, je pense, en grande partie, parce que je me suis construit ma bulle. Alors, pourquoi j'ai eu cette ressource-là et pas les autres, j'en sais rien. J'essaie de ne pas y penser. Parce que sinon, j'ai la culpabilité du survivant et c'est pas sain. Et ça m'enfonce plus que ça m'élève. Donc, j'essaie plutôt de vivre en reconnaissance de ceux qui ne sont plus là, plutôt que de m'apitoyer sur ma survie.

  • Speaker #1

    Mais c'est vrai que c'est hyper dur à imaginer, toi comme moi, on est maman aussi, de pouvoir imaginer ces scènes ou même des fois d'y être confrontée. En tout cas, moi, j'ai pu voir des images d'orphelinats roumains dans ces périodes avec des centaines d'enfants qui sont vraiment laissés là au dépourvu. Et on navigue avec l'horreur en fait face à ça, vraiment.

  • Speaker #0

    ou bien te dire que quand je suis arrivée en Suisse, j'avais à peu près un an, je pesais 6 kilos. J'étais une crevette. J'étais minuscule. Donc, je ne partais pas gagnante.

  • Speaker #1

    Et tes parents t'ont amenée justement à partir gagnante dans la vie après cette première année de vie ?

  • Speaker #0

    Oui. Ils se sont dit qu'ils allaient me donner tout ce que je n'avais pas eu, de l'amour, de la considération, du respect et puis des soins. Je ne me rappelle pas. Je n'ai pas conscience de ça en tout cas. Mais ma maman, la première fois qu'elle a voulu me coiffer, elle m'a carrément coupé les cheveux parce que les nœuds que j'avais étaient tellement forts et tellement puissants que c'était impossible à coiffer. Personne ne s'était occupé de mes cheveux en Roumanie. De ma naissance à mon adoption, mes cheveux se sont juste emmêlés. Ce n'était pas des dreads, mais je ne pense pas très loin. J'ai encore dans mon album de photos... Une enveloppe dans laquelle j'ai une touffe de ses cheveux. J'ai mes tétines encore que ma mère a ramenées de Roumanie. J'ai des souvenirs tangibles qui rendent cette époque concrète dans ma tête, mais aussi dans ma réalité d'ici maintenant. Il y a un pont qui se fait entre l'époque et maintenant.

  • Speaker #1

    Ça vient signifier aussi que ça a existé en fait.

  • Speaker #0

    Oui, exactement.

  • Speaker #1

    Donc, toi, à un an, tu vis à ce moment-là avec à la fois l'hépatite B et le VIH.

  • Speaker #0

    Alors, l'hépatite B, elle a été soignée en Roumanie avec des traitements. Donc, de ce côté-là, j'avais déjà plus l'hépatite B. À ma connaissance du mois, j'avais déjà plus l'hépatite B quand je suis arrivée en Suisse. En revanche, j'étais bel et bien séropositive.

  • Speaker #1

    Et grandir avec une maladie chronique, c'est aussi grandir avec... Le regard à la fois médical et parental, constant, inquiet, derrière soi. Comment on se construit son identité et comment se passe l'enfance lorsqu'on est un enfant malade en fait ? Sachant que justement, aussi dans tes premières années de vie, il n'y avait pas de traitement pour le VIH.

  • Speaker #0

    Non, il n'y avait pas de traitement. J'avais une procédure à suivre qui était de prendre un antibiotique tous les jours. pour prévenir les maladies opportunistes et des injections de globules blancs une fois par mois. Donc c'était déjà une enfance médicalisée avant les traitements. Et puis aussi, c'est très dur parce que quand on est parent, on veut le meilleur pour son enfant. Et en tant qu'enfant, on associe les médecins aux parents parce qu'ils nous disent quoi faire, quoi prendre, comment prendre. Mais c'est rassurant. Pour moi, c'était rassurant. Et aussi avec le VIH spécifiquement, parce que je suis fille d'infirmière, j'ai été éduquée très tôt à la médicalisation. Au fait de prendre des traitements, au fait de bien désinfecter une plaie, au fait de savoir faire un bandage. J'ai eu une éducation médicale très tôt. Mais ça veut aussi dire que j'ai perdu mon innocence très tôt aussi. Je savais à quoi servaient les prostituées très tôt. Je savais qu'est-ce que ça voulait dire faire l'amour. Je savais qu'est-ce que ça voulait dire mettre un préservatif. Et quand j'ai 7 ans... et que ma maman m'a amenée à la conférence internationale de lutte contre le sida. Il y avait un bus stop sida avec un énorme préservatif gonflé dessus. J'ai dit à ma mère, mes mamans franchement, ils ne sont pas très discrets. À 7 ans, je savais déjà à quoi ça servait. Mon fils, je le préserve de ça pour qu'il puisse garder encore son innocence un petit moment. Mais je n'en veux pas à ma mère parce que ça m'a permis en fait de... de limiter les risques, parce qu'à cette époque-là, une coupure, on ne savait pas quelles étaient les conséquences, on ne savait pas comment gérer la maladie dans le sens de transmission. Et je sentais que j'avais cette responsabilité de faire attention. Même si personne ne m'a dit « fais attention de ne pas te couper » , je savais qu'il y avait un risque si je me coupais, qu'il y avait peut-être une transmission qui pouvait se faire. Et donc, je faisais attention de moi-même. J'ai été éduquée aussi aux médicaments très tôt, donc d'avoir la discipline de prendre les traitements à l'heure fixe tous les jours, même quand on n'a pas envie, même quand c'est les vacances, même quand c'est le week-end, même quand c'est Noël. Et puis de les prendre envers et contre tous.

  • Speaker #1

    Bon, c'est très bien. La maladie n'a pas de vacances, il n'y a pas de jours fériés reliés à ça. Et très souvent, j'en parle avec d'autres personnes malades. On a des fois même très peu de repères dans la semaine, à savoir quel jour on est, parce que ça ne change pas forcément grand-chose, dans le sens que notre état est toujours le même ou toujours fluctuant. Et ce qui va amener des repères dans le temps, c'est souvent la vie extérieure ou quand on a des enfants, justement, où il y a un planning qui se fait. Mais en effet. Ensuite, quand tu es préadolescente, là, il commence à y avoir des traitements pour le VIH qui sortent, si je ne me trompe pas.

  • Speaker #0

    Déjà un petit peu avant. En 96. En 96. J'avais 7 ans à ce moment-là.

  • Speaker #1

    Et si je ne me trompe pas, c'est ces traitements lourds-là qui ont modifié ton corps et créé une lipodystrophie et une lipoatrophie chez toi ? Ça,

  • Speaker #0

    c'est venu après.

  • Speaker #1

    Ça, c'est venu après.

  • Speaker #0

    Ça est venu quand j'avais 12 ans. Je vais en parler. Mais quand j'étais petite, je prenais des sirops qui étaient contraignants parce que je devais les prendre à jeun, donc hors des repas. Donc, pas de goûter avec les copains, pas de fête d'anniversaire trop souvent parce qu'il fallait préserver les traitements. Et puis sinon, c'était des sirops amers qui avaient un goût infect que je devais prendre tous les jours. Ma maman, elle me donnait un caramel à chaque fois après pour faire passer le goût, mais ça ne changeait pas grand-chose. En fait, ces médicaments, c'était du bricolage. Les scientifiques, pour les adultes, donnaient des comprimés. Donc, les malades du sida, à cette époque-là, reprenaient. 10, 20, 25 comprimés par jour. Moi, j'avais des sirops. Puis c'était quand même contraignant parce qu'il fallait les garder au frigo. C'était toute une logistique. Et effectivement, quand j'ai eu l'âge de 12 ans, j'ai changé de médicament. J'ai pris trois comprimés qui sont des comprimés à prendre une fois par jour. Mais à cette époque-là encore, les médicaments étaient très toxiques. Ça veut dire que ça tapait facilement sur les reins. Et en plus, ça provoquait de la lipodystrophie, de la lipoatrophie, qui est en fait une mauvaise répartition des graisses. Ce qui signifie que toutes les graisses que j'ingurgitais allaient dans le ventre ou dans les seins. Et nulle part ailleurs. Le ventre, les jambes, le bras, le visage était famélique. Un peu comme les caricatures d'enfants malnutris. On peut voir sur les affiches de Médecins sans frontières. Moi, j'étais cette caricature-là.

  • Speaker #1

    Et tu m'avais confié aussi qu'à ce moment-là, alors que tu es préadolescente, ta poitrine, c'est du F, quoi.

  • Speaker #0

    Oui, du F.

  • Speaker #1

    Et c'était énorme, alors que justement, tu es extrêmement maigre aussi. Donc, pour toi, dans ton développement, dans ton identité, dans ton rapport aux autres, ça a aussi été quelque chose de très compliqué, non ?

  • Speaker #0

    Ça a été infernal. Oui, oui. Ça a été infernal à vivre parce que d'une part, j'étais vue comme un bout de viande par les gens dans la rue. Les hommes principalement. J'étais vue comme une star du X par les copains à l'école. On m'affublait de surnoms en rapport avec ça. C'était difficile de me vêtir. À l'époque, il y avait des magasins comme Tallywell ou Yandy. Je ne trouvais pas grand-chose à ma taille. Pour les soutiens-gorge, je devais aller dans des enseignes spécialisées parce qu'on ne trouvait pas de vêtements et de sous-vêtements à ma taille. Et ils étaient tellement chers que l'assurance maladie payait une partie de ces sous-vêtements parce que le handicap était lié à la maladie.

  • Speaker #1

    Ok. Et comment tu as vécu toutes ces moqueries et humiliations aussi de tes camarades ? Parce qu'on sait que c'est des périodes où on peut être affreux avec ses pairs. Quand il y a des choses qui viennent nous confronter comme ça. Moi, je pense aussi, quand j'étais adolescente, où j'ai pu être mesquine avec d'autres. Et l'inverse était vrai aussi. J'ai reçu aussi beaucoup de harcèlement. Mais on est dans quelque chose qui est parfois très dur, les uns avec les autres. Et toi, tu as vécu ça comment ?

  • Speaker #0

    Moi, je l'ai mal vécu, évidemment. Et c'est surtout que ça a été difficile. Je l'ai vécu comme une trahison. Parce que j'avais parlé de mon VIH, ma meilleure amie de l'époque. Un jour, on s'est disputé, on a parlé à la pipelette de l'école. Le lendemain, tout le monde était au courant. J'étais la fille qui a le sida. Heureusement, l'école a bien réagi. Ils ont mis une punition à ceux qui avaient propagé la chose. Mais ça ne m'a pas empêchée de changer d'école parce que ça n'allait plus.

  • Speaker #1

    Et quand on sait aussi toutes les idées reçues qu'il y avait autour du VIH, et certaines persistent encore par ailleurs, mais c'était vraiment... Moi, j'ai des souvenirs quand j'étais enfant où on disait « tu ne peux pas manger dans la même assiette qu'une personne qui a le VIH » . Des choses comme ça qui sont hyper violentes, un peu des sous-entendus sur toutes les personnes gays qui sont contaminées. Des choses vraiment affreuses et qui étaient presque entretenues même dans les foyers.

  • Speaker #0

    Oui, j'ai d'ailleurs eu dans ma propre famille de la sérophobie. J'ai eu une tante qui refusait que je porte ma cousine dans les bras. qui était encore bébé, parce qu'elle avait peur que je contamine ma cousine. Donc mes parents étaient furieux, évidemment. Moi, je ne m'en rendais pas encore trop compte. C'est vrai que j'ai été, jusqu'à l'âge de la préadolescence, j'ai été préservée des moqueries, de la stigmatisation et tout ça, parce que mes parents m'avaient dit, le VIH, tu le gardes pour toi. Du petit virus, tu n'en parles pas. Ni aux copains, ni aux amis de la famille. Ça garde, ça reste entre nous. Et je ne comprenais pas pourquoi, mais je respectais ça.

  • Speaker #1

    C'est là où on voit aussi, je trouve, au travers de ton discours, et c'est ce qu'on aime mettre en lumière dans l'association, c'est que les choses vont tellement au-delà de la maladie en elle-même. Il y a vraiment le virus, mais en fait, tu as vécu tellement de traumas à d'autres niveaux, tellement de rejets, que ce soit au sein du foyer, à l'école. Finalement, ça s'étend de manière si vaste autour de la personne qui est malade, les conséquences.

  • Speaker #0

    Oui, et puis il y a une multitude, un croisement. Je sais qu'il y a un terme pour ça, mais je ne me rappelle pas. Mais il y a un croisement entre les traumatismes que j'ai, parce qu'il y a les traumatismes du VIH, il y a les traumatismes du rejet à cause du VIH, et il y a les traumatismes à cause de l'adoption. Et ça, ça fait un mix. Pendant longtemps, je ne me suis pas trop rendue compte du cause à effet entre... la Roumanie et le VIH et ma contamination bébé. Mais c'est venu plus tard où j'ai développé une colère, une colère froide entre la Roumanie. Parce que je l'estimais, à ce moment-là de ma vie, coupable de ma transmission. Là où c'est beaucoup plus subtil que ça.

  • Speaker #1

    Bien sûr, c'est subtil. Et en même temps, on voit aussi ce fil, finalement, de... La contamination parce qu'il y a de la négligence, il y a de la maltraitance médicale. Ensuite, le fait d'être contaminé, il peut y avoir du harcèlement. Il y a des traitements qui sont mal digérés ou gérés. En fait, c'est un effet boule de neige aussi, tout ça. On a la maladie à la base, mais ça prend tellement d'espace. Ça touche tous les domaines de la vie.

  • Speaker #0

    Oui, et la maladie, enfin le VIH… En plus, la particularité est d'être asymptomatique la plupart du temps. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on est traité, on n'a pas de symptômes. Donc, moi, j'ai décidé, à cause de cette poitrine survolumineuse que j'avais, un jour d'arrêter de prendre mes traitements. Je voulais prendre un jour sur deux, une fois par semaine, au petit bonheur la chance. Et puis, quand il y avait des contrôles, là, je faisais attention, mais ça ne servait à rien parce qu'on peut remonter loin dans le temps avec les prises de sang. Mais ce que je veux dire par là, c'est surtout que... Ça a eu un effet sur le fait que je ne pouvais pas anticiper le futur. Quand on est adolescent, on n'a pas l'anticipation de ce qui pourrait arriver. On n'a pas les conséquences en tête. Et le VIH, ce n'est pas comme par exemple le diabète, où si tu ne mets pas ton insuline, le lendemain, tu es à l'hôpital. Mais moi, si je ne prends pas mes médicaments aujourd'hui, je le paierais cher, mais seulement dans une année, deux ans.

  • Speaker #1

    Donc, ce n'est pas concret et palpable.

  • Speaker #0

    C'est ça.

  • Speaker #1

    Alors que les conséquences qui sont autour de la maladie, comme le fait de se faire humilier, moquer ou de souffrir des effets secondaires, ça c'est palpable à la différence de la maladie.

  • Speaker #0

    Exactement. Et c'est très difficile. Moi, quand j'étais ado, je me disais, mais à quoi ça sert prendre ces traitements ? Ça ne va pas me guérir. Je ne sens rien. Et puis surtout, je n'en vois pas le bout. Ce n'est pas comme des antibiotiques que tu prends pendant deux semaines et après on n'en parle plus. Là, c'est toute la vie. mais toute la vie quand on est ado c'est vertigineux.

  • Speaker #1

    Tu me disais même qu'il y a eu une période où tu les cachais tes traitements dans tes chaussures ou tes chaussettes.

  • Speaker #0

    Je cachais en fait mes comprimés dans un petit sac plastique que je cachais dans mes chaussettes. Et un jour, ma mère a trouvé un sac genre gros comme ça rempli de comprimés. Il y en avait pour des milliers de francs de médicaments que je n'avais pas pris. Ça aussi, c'est une chose qu'on ne se rend pas compte. Mais en Suisse, on a de la chance d'avoir des traitements, mais ces traitements sont très chers. Et je n'avais pas conscience de la valeur de mon traitement non plus à ce moment-là. Je ne parle pas seulement de la valeur médicale, mais aussi de la valeur monétaire. Et c'est vrai que quand ma mère a trouvé ces comprimés, elle m'a dit « Mais tu sais ces médicaments très chers, tu dois en prendre soin. » Alors oui, sur le papier c'est bien joli, mais dans les faits, je n'étais pas prête à faire ce pas-là. Je n'étais pas prête à considérer la valeur de mes traitements à ce moment-là. Parce que j'étais trop en colère, il y avait trop de résistance, pas de résistance médicale, mais de résistance émotionnelle à cette prise de traitement. Et j'ai même parfois été tellement mal que pour moi, prendre ces médicaments, c'était comme m'automutiler. Ça me faisait mal de les prendre. Ça me faisait physiquement, sur la langue, de les avaler, faire ce truc, c'était comme planter un poignard dans le ventre. Et par rapport à ça aussi, c'est que je mangeais mal parce que les médicaments, ils avaient comme effet à cette époque-là d'avoir une incidence sur l'alimentation. On a moins faim, on n'a plus trop faim, on mange mal. Et comme j'ai été gavée bébé à la cuillère, possiblement, et que j'ai eu pas mal de conséquences, ça fait que j'ai développé aussi des rejets au niveau alimentaire. Donc ce n'est pas de l'anorexie ou de la boulimie. C'est plus une alimentation très sélective en fonction des textures. Parce que certaines textures, j'avais l'impression de m'agresser en mangeant. Et ça, c'était aussi lié au traitement. Parce que mettre quelque chose dans la bouche pour avaler et manger, c'était quelque chose d'insurmontable par moments. Alors, je ne me suis jamais fait vomir. Mais par moments, je me suis, je pense, psychologiquement automutilée en ne mangeant pas. Et en ne prenant pas mes traitements. Je me suis fait du mal de cette façon-là.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Et ça y est. Pardon, vas-y.

  • Speaker #1

    Non, non, mais on perçoit vraiment à quel point la question des traitements était lourde dans cette période charnière de la vie, en fait.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Et ça crée aussi, ça creuse un écart aussi entre toi et les personnes de ton âge.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'on n'a pas de... À cette époque-là, je n'avais pas cette insouciance. Et en plus, je devais gérer l'information. plus tard dans mon adolescence je me suis retrouvée en internat et là aussi l'information a fuité et j'ai dû gérer ça toute seule donc c'est la première fois que j'ai fait un témoignage devant les filles de cet internat ça a été bien reçu j'ai eu une fin d'année beaucoup plus calme mais

  • Speaker #1

    c'était très stigmatisant aussi et je crois que tu as vécu aussi une autre trahison quand tu as eu ton premier rapport sexuel oui Avec la personne concernée qui a été divulguée ça aussi.

  • Speaker #0

    Oui. Et là, ça a été beaucoup plus violent parce qu'il y a des mots très durs qui sont sortis. Tumeur sur pattes, sidaïque. C'est les deux mots qui résolvent encore en moi comme étant des insultes particulièrement violentes. Et voilà, ça sous-entend aussi que j'étais sale.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Après, j'ai dû apprendre à prendre du recul avec ça. Et me dire que les personnes qui le disaient, ce n'étaient pas des personnes dignes d'intérêt. Mais sur le moment, ça fait mal.

  • Speaker #1

    C'est avec le recul que c'est plus évident de se dire ça. Et c'est une évidence, mais sur l'instant, c'est terrible. Et surtout que c'est dans des moments où tu offres une part de toi qui est vulnérable, que ce soit en te confiant à ta meilleure amie ou en ayant un rapport sexuel avec quelqu'un, il y a aussi des parts de sa propre vulnérabilité dans ces moments-là. et de l'utiliser ensuite contre la personne, c'est vraiment... Une question de trahison, en fait.

  • Speaker #0

    Oui, une question de trahison et une question d'acceptation ou de rejet. On a tous envie de faire partie d'un groupe. Parfois, on veut faire partie d'un mauvais groupe parce qu'on préfère être mal accompagné que seul.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr, surtout à certaines périodes de vie.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    Toi, tu as connu la médecine pédiatrique qui était... plus douce, plus familière, comme je le disais en introduction. On fêtait ton anniversaire, on te tutoyait. Et ensuite, tu es passée à la médecine adulte, bien plus distante, bien plus froide, où on te vouvoie, où tu es plus seule et anonyme, finalement, dans la prise en charge. Comment c'était pour toi, ce passage-là ?

  • Speaker #0

    Très dur. Ça a été très dur parce que je n'ai pas été préparée pendant des années. J'avais vraiment justement ce côté très familial. On me tutoyait, mon nom, prénom étaient inscrits sur mon dossier. J'avais toujours les mêmes infirmières. On fêtait Noël, les anniversaires. C'était très familial. Et du jour au lendemain, je me retrouve à 16 ans. Normalement, c'est 15 ans. Mais ils m'ont gardé une année de plus, mais ils ne m'ont pas préparé pour autant. J'ai été catapultée chez les adultes. Et là, c'est un tout autre monde. Effectivement, on est en numéro. Et comme le CHUV, c'est universitaire, donc il y a un turnover de fous dans les médecins. Ça change tous les six mois. Et ça a été très, très, très difficile. On attend de toi que tu gères ta maladie. On attend de toi que tu sois au clair avec tes traitements. On attend de toi que tu sois prête à participer à des études ou à t'investir en fait dans la gestion de ton... de ta maladie et des traitements. Là où en pédiatrie, c'est plutôt les parents qui s'en occupent.

  • Speaker #1

    Et tu aurais du coup souhaité être préparé, justement, comment ils auraient pu faire différemment pour que ça se fasse un peu plus en douceur, cette transition ?

  • Speaker #0

    Alors moi, c'est marrant parce que j'ai réfléchi à cette question-là de façon très sérieuse. J'ai même fait un texte de recommandation pour le service des adultes où je sais qu'ils s'en sont inspirés de certaines façons. Mais j'avais dit que principalement, il fallait que les... Les pédiatres préparent au début de l'adolescence, vers 14, 13, 14 ans déjà, que l'enfant vienne seul au rendez-vous, que l'enfant apprenne à gérer ses traitements de plus en plus par lui-même, qu'il accepte aussi que ce ne soient pas toujours les mêmes médecins, et puis qu'il y ait des rendez-vous. de transition entre le service de pédiatrie et le service des adultes, où ils vont visiter le service, où on leur explique comment ça fonctionne, où on leur dit qu'ils vont être vouvoyés, que s'ils ne viennent pas au rendez-vous, c'est qu'ils rentrent francs pour rendre des rendez-vous manqués, qu'on attend d'eux quand même qu'ils soient un minimum investis dans leur traitement, qu'ils sachent pourquoi ils sont là, parce qu'il y a aussi, alors maintenant, moins, je l'espère, mais à mon époque, quand j'étais petite, Il y avait des patients qui ne savaient même pas pourquoi ils prenaient les médicaments. Les parents ne leur disaient pas pourquoi ils prenaient les médicaments, pourquoi ils allaient voir un pédiatre une fois par mois. Et moi, je me suis retrouvée dans une situation aussi où j'étais tellement en colère que les propositions de ma maman aussi de me soutenir là-dedans, je les ai aussi rejetées. Parce que quand on est ado, on a l'impression de gérer la terre entière, de pouvoir gérer la terre entière. Alors qu'on n'arrive même pas à gérer son réveil.

  • Speaker #1

    Et pour continuer dans ce fil aussi de la question des traitements, toi tu as vraiment traversé la colère, la lassitude, la déprime concernant tout ça. Qu'est-ce qui à un moment donné t'a fait reprendre tes traitements avec assiduité ? J'ai l'impression qu'il y a eu plusieurs déclics chez toi où tu t'es dit non mais maintenant... faut que je prenne ces traitements-là ?

  • Speaker #0

    En fait, ça a commencé déjà dans la contrainte. C'est-à-dire que j'avais entre 19 et 21 ans. Je dirais 20 ans. Je ne suis plus exactement sûre de l'année. Par contre, ce que je sais, c'est qu'un jour, un infectiologue m'a appelé. Elle m'a dit, Madame, vous prenez tellement mal vos traitements. C'était terrible parce que le VIH, il va vous traquer, il va vous tuer. C'est un serial killer. Désormais, vous allez aller tous les jours à la pharmacie. pour prendre les médicaments devant un pharmacien qui ferait une petite coche que vous les avez bien pris. Tous les jours. J'avais une dose de réserve pour les dimanches. Donc même le samedi matin, je devais aller. Et c'était très contraignant. Au début, j'y allais le moins possible. Et progressivement, j'ai dû apprendre à cohabiter avec mes médicaments. Et puis la première fois que j'ai été à la pharmacie, j'ai mis deux heures pour prendre mes médicaments avec du coca. J'avais une dizaine de comprimés. Parce que oui, ce qu'on n'a pas dit... C'est qu'à force de mal prendre mes traitements toute mon adolescence, j'ai développé des résistances médicamenteuses. Ce qui veut dire que les traitements ne fonctionnaient pas et il fallait en changer. Donc quand on a changé 5-6 fois de traitement, au bout d'un moment, il ne reste plus rien. C'est pour ça qu'elle m'a contrainte à la pharmacie. Et ça, ça a été la première étape. Une année ou deux plus tard, elle est partie et c'est un autre médecin qui l'a remplacée. Et ce médecin, lui, il a dit, on va garder ce rythme-là de prise à la pharmacie, mais on va aussi passer un contrat. Il faut savoir qu'en 2008, il y a eu une grande révolution dans la recherche sur le VIH. Les chercheurs ont découvert, un médecin suisse, Bernard Hirschel, qui a découvert avec ses équipes qu'une patiente ou un patient séropositif qui a une charge virale indétectable, c'est-à-dire moins de 20 copies par millilitre de sang, ne transmet pas le virus, même en cas de rapport sexuel à risque. Ça, ça n'a pas fait beaucoup d'écho chez moi sur le moment. Mais par contre, mon médecin, qui avait remplacé cette dame, m'a dit, si vous êtes indétectable pendant plus de six mois, au bout de six mois, vous aurez une réduction d'un mètre. Et là, ça a été déjà la première motivation pour moi de prendre mes traitements. Ça a été la première étape. Parce qu'il y avait une échéance, mais ça m'a donné une motivation.

  • Speaker #1

    Oui, et j'ai l'impression qu'il y a deux motivations là même, parce qu'il y a le côté où... Quand c'est indétectable, tu ne peux pas transmettre. Donc, c'est déjà énorme quand on y pense. Et en plus de ça, il y a la réduction mammaire. J'ai l'impression qu'il y a deux choses qui sont importantes dans son discours.

  • Speaker #0

    Oui, mais ça, je le dis maintenant. Mais à l'époque-là, j'étais encore vierge. Et à ce moment-là, je n'avais pas conscience de cette notion de liberté dans la sexualité. C'était juste avoir une réduction mammaire. C'était déjà juste ça. Et j'ai eu ma réduction mammaire avec trois mois de retard parce que je n'avais pas été indétectable aux six mois. Donc, je me dis, mais là, il faut vraiment que j'y arrive. Donc, j'ai pu être opérée quelques mois plus tard. Et puis, par la suite, j'ai eu des hauts et des bas. Il y a eu des moments où j'allais à la pharmacie pour emmener mes docs. Et puis, des fois, pendant une longue période, je pouvais les prendre à la maison. Mais il y a eu un autre épisode qui m'a marquée dans la reprise des traitements, dans cette réconciliation avec les traitements. C'est quand je suis tombée sur un article de presse que je n'ai jamais retrouvé. tout le temps j'ai cherché hum quoi qui relatait l'histoire d'un patient séropositif de la région qui refusait de prendre ses traitements par solidarité avec l'Afrique. Parce qu'en Afrique, ils n'ont pas les traitements. Pas tous. Et moi, j'avais trouvé cette démarche incongrue. Et je m'étais dit que j'allais plutôt faire un devoir de mémoire et prendre ces traitements par solidarité avec ceux qui ne sont plus là. Ceux qui voudraient en bénéficier, ne pas le faire pour moi, parce que c'était trop dur de le faire pour moi, mais que je pouvais le faire pour les autres. Et c'est une des grandes étapes où il y avait ça. Il y avait aussi des nouvelles dans les journaux parfois où on parlait de séro-contaminateurs. Donc ces fameux séro-positifs qui sont des dangers dans la mesure où ils voulaient contaminer. Le problème, c'est que toutes les mythes se sont construites sur ces cas-là. Mais moi, je n'avais pas envie d'être ces personnes-là. Je ne voulais pas être un danger pour les autres. Je ne voulais pas avoir ce pouvoir de vie ou de mort sur quelqu'un. Parce qu'à cette époque-là, c'était tout neuf, cette histoire d'indétectabilité. Et puis, je n'étais pas toujours indétectable. Je l'ai été définitivement en 2013. Mais jusqu'à cette époque-là, ça pouvait me dire, mais en fait, si je veux pourrir la vie de quelqu'un, j'ai ce pouvoir-là. Et c'est très lourd à porter. Parce que non seulement on porte la peur de l'autre, on porte une image de soi qui est parfaitement affreuse. mais en plus on a On se dit qu'on a un pouvoir de super méchant qui est de détruire la vie de quelqu'un. Maintenant, ça ne fait plus trop sens de le dire à notre époque, mais à cette époque-là, dans ce contexte-là, c'était ça.

  • Speaker #1

    Oui, puis finalement, il n'y a pas que la mort, mais on l'a vu, il y a aussi tous les contours de la maladie qui sont dans tous les cas, ce n'est pas agréable du tout. Donc, il y a quand même un pouvoir sur la vie de l'autre, même si ce n'est pas la mort.

  • Speaker #0

    Oui, et puis voilà, c'est le pouvoir. Pourrir la vie de la personne. Avec des traitements à prendre à vie, avec du rejet. Non, j'avais pas envie d'être ça.

  • Speaker #1

    Donc aujourd'hui, le VIH, il est indétectable chez toi ?

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Donc tu ne peux pas le transmettre ? Comment c'est pour toi aujourd'hui qu'il y a du coup des rapports sexuels ? Qu'est-ce que c'est aujourd'hui de te dire ça ?

  • Speaker #0

    C'est une grande victoire. C'est extrêmement agréable pour moi d'avoir des relations sexuelles épanouies où le virus n'a pas sa place. C'est une grande victoire. C'est quelque chose où je me dis que c'est quelque chose que personne n'aurait pu envisager. et et pas si longtemps que ça, parce que 2013, 2012, pardon, c'est pas si vieux. Moi, ça me paraît pas si vieux que ça. Après, j'ai eu des moments où, voilà, avant 2013, j'avais des moments où ça fluctuait la virémie, et parfois les rapports étaient un peu, pour moi, un peu difficiles, parce que je me disais si j'étais pas indétectable. Et puis, il y a aussi le truc, c'est qu'à ce moment-là, quand j'étais pas toujours indétectable, Merci. J'avais tendance à me douter des pratiques. Et si je fais ça, est-ce qu'il y a un risque ? Et si je fais ça ? Et en fait, mon infirmière psychosociale me disait « Mais en fait, vous êtes surenformée. Mais vous êtes tellement informée que des fois, des choses très simples, ça se brouille. » Et voilà, en fait.

  • Speaker #1

    Et dans toute cette histoire, tu as souhaité aussi avoir un enfant.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Comment ça a été pour toi, parce que tu étais du coup déjà malade, de projeter une maternité dans cette condition-là ?

  • Speaker #0

    En fait, ça a été assez simple. À partir de 2013, j'étais avec une viremie indétectable. Donc, quand on a décidé d'avoir un enfant avec mon conjoint, j'ai simplement informé mon infectiologue. Elle m'a confirmé que je faisais ce que je voulais parce que ma viremie était indétectable. Et je suis tombée enceinte quelques mois plus tard. Par contre, ce qui a vraiment changé, c'est que... Et que jusqu'alors, on utilisait le préservatif pour pas que je tombe enceinte. Parce qu'avec les médicaments que je prends, la contraception m'était contre-indiquée. Et les rares que j'ai pu essayer, je les ai pas supportées. Donc finalement, j'avais une sexualité plus ou moins libre. Mais dès l'instant où on a décidé ensemble d'avoir un enfant, alors là, je me suis vraiment sentie libre. Et là vraiment, ça a été incroyable toute cette période. Et la grossesse s'est très bien passée. Alors, comme j'avais des troubles du rythme cardiaque, j'ai eu des contrôles mensuels avec un cardio-halter, c'est un petit appareil avec des fils qu'on met sur le corps. 24 heures avec ça, une fois par mois, c'est un peu chiant. Mais le VIH n'a pas eu son mot à dire. Il n'a pas eu son mot à dire. Et je me rappelle une fois, quand j'ai su que j'étais enceinte, qu'on a passé les trois mois, et qu'on a annoncé publiquement que j'étais enceinte, Je me suis fait un plaisir d'écrire un post sur Facebook et de m'adresser au virus et de dire, « Non, c'est moi qui décide et toi, tu n'as pas gagné. » Et en plus, j'ai appris de mon infectiologue à la fin de ma grossesse que j'allais pouvoir allaiter. C'est-à-dire que jusqu'alors, on disait aux mères séropositives de ne pas allaiter. Il y avait trop de risques, soit de transmission, soit d'attente rénale à cause des reins du bébé. qu'on les rend du bébé à cause des médicaments. À partir de 2018, le consensus a changé. Et en fait, c'était de dire, c'est au cas par cas. C'est-à-dire que la mère peut allaiter si l'infectiologue est d'accord et si elle est dans un contexte qui lui permet l'allaitement de façon sereine. Parce qu'une mère qui vit dans un contexte hostile, où elle doit se cacher, devoir allaiter en plus de prendre des médicaments, c'est trop compliqué. C'est l'exemple qu'on m'a donné en tout cas.

  • Speaker #1

    C'est intéressant ce que tu as écrit, je trouve, sur Facebook, c'est ça ? Où tu t'adresses au virus une fois que tu es enceinte. Je trouve ça intéressant parce qu'on a eu un ressenti, je crois, commun, toi et moi. C'est que, peut-être que je vais utiliser un mot qui ne te parle pas à toi, mais moi, j'ai presque eu la sensation, en décidant de tomber enceinte, que c'était presque comme un acte de militance, en fait. Parce que je pouvais me réapproprier mon corps, corps qui, dernièrement, appartenait presque plus au monde médical qu'à moi. J'étais un peu la chose où on va aller toujours checker ce qui se passe, faire des diagnostics, récupérer des données, des analyses. Et tout d'un coup, j'étais là, non mais en fait, là, c'est moi qui décide de ce que je fais de mon corps. Et je le voyais presque comme un acte de militance. Voilà, cette réappropriation du corps a pour moi été vraiment quelque chose de beau en fait, de pouvoir décider de ça.

  • Speaker #0

    Je te rejoins totalement. Alors, je n'avais jamais réfléchi au terme militant, le terme en tant que tel, mais par contre, le mécanisme, oui, totalement. De pouvoir me réapproprier mon corps, de pouvoir porter la vie, là où j'ai eu l'impression d'avoir porté la mort toute ma vie. Ça a été... D'ailleurs, je l'avais écrit aussi, j'avais dit, pendant des années, toute ma vie, j'ai porté la mort, maintenant je porte la vie. Et ça a été pour moi... Vraiment, ma grossesse a été un moment béni. Une période vraiment où je me suis sentie... bien physiquement. Les hormones, évidemment, elles me faisaient un peu réagir. Comme toute femme enceinte, tu as parfois les hormones qui chamboulent. Mais sur le principe... Ah ! Pardon, j'ai eu un appel, je l'ai refusé. Tu me vois ?

  • Speaker #1

    Je ne te vois plus, mais je t'entends.

  • Speaker #0

    Alors attends, je m'excuse. Voilà. Je suis désolée pour cette petite imparté.

  • Speaker #1

    Il n'y a aucun problème. Essaye juste de ne pas éteindre. Voilà, parfait.

  • Speaker #0

    Ils sont éteints automatiquement.

  • Speaker #1

    Oui, parfait. Mais de ne pas éteindre la conversation, je veux dire.

  • Speaker #0

    Désolée. Voilà, donc je disais, j'avais même écrit, j'ai porté la vie et j'ai porté la mort toute ma vie et maintenant je porte la vie. Ça m'a vraiment, vraiment, vraiment fait plaisir.

  • Speaker #1

    Et donc, tu étais dans une période qui était plutôt chouette. Après, tu as eu un accouchement que tu me nommais de traumatique. Tu as été dans le coma durant une semaine après avoir accouché. Et je voulais te poser la question à ce moment-là parce que j'ai été très touchée aussi par ce que tu me racontais hors antenne, le fait que tu avais vraiment rencontré ton fils seulement une semaine après sa naissance, une fois sorti du coma. Et moi, je me suis demandé si ça n'avait pas réveillé des expériences passées, elles aussi traumatiques. Toi-même qui, à ta naissance, a été abandonnée. Tout à coup, tu portes la vie et en donnant naissance, tu ne peux pas accéder tout de suite à la relation à ton fils. Comment ça a été pour toi, ça ?

  • Speaker #0

    Alors, ça a été compliqué, effectivement. J'ai eu un coma qui a en fait duré trois jours. Mais après ces trois jours, j'ai été en soins intensifs, puis en soins continu. Ce qui fait que pendant une semaine, je n'ai pas vu mon fils. Pas à coup, mais à coup, c'est vraiment des visites. J'ai eu l'impression qu'on me volait, en fait, ma maternité. J'avais eu l'impression que je n'étais plus en possession de mon corps, que de nouveau mon corps ne m'appartenait plus, il appartenait à la médecine, qu'après avoir fait l'acte le plus beau qu'une femme puisse faire, qui est de donner la vie à mon sens, qu'on me volait à ce moment. Ce n'est pas de la faute du virus, c'est de la faute à pas de chance. Ça aurait pu tomber sur une autre maman, mais c'est tombé sur moi de faire une hémorragie. De perdre 2 litres de sang et de finir au bloc opératoire d'urgence. C'est de la faute à pas de chance, mais par contre, ça m'a vraiment marquée parce que je me suis retrouvée dans un contexte où l'hôpital, normalement, c'est un endroit où on se fait soigner parce qu'on est malade. La maternité, c'est le seul service d'un hôpital où on n'a pas le droit d'être malade. En tout cas, c'est comme ça que je l'ai ressenti, que je l'ai vécu. On attendait deux mois, je suis une maman optimum. à m'occuper de mon fils, quand bien même je sortais du coma, que je titubais, qu'il me fallait la chaise pour bouger parce que je ne marchais pas droit, que je tremblais, que j'avais peur de faire tomber mon fils.

  • Speaker #1

    Pourquoi les injonctions sur les mères sont là, quoi qu'il en soit, en fait ?

  • Speaker #0

    Oui, complètement. Et ça a été un véritable tsunami pour moi. Parce que non seulement il y avait ça, j'ai eu la chute des hormones une semaine plus tard, pile. Mais vraiment pile, j'étais dans une salle d'attente. pour attendre les examens pour mon fils. Et à 14h34, vendredi suivant, j'ai eu la chute des hormones. Elle est venue brutalement. Je me suis mise à pleurer, à trembler. J'étais au plus mal et ils m'ont ramenée en chambre. Et alors, j'avais la chance qu'à cause de la fatigue chronique qui m'est diagnostiquée à cause de l'UVH, enfin pas à cause de l'UVH, mais à cause des conséquences des traitements et les conséquences du virus qui s'appliquent à moi. j'avais pu avoir une chambre privée, même si je n'avais pas l'assurance pour. Et ça m'a beaucoup servi parce que comme ça, je n'avais pas à subir les mamans qui avaient leur propre vécu et les familles qui voulaient leur rendre visite, je pouvais m'isoler. Mais je me sentais quand même très oppressive, je me sentais observée, je me sentais mise dans un rouleau compresseur. J'avais l'impression qu'une énorme machine s'écrasait sur moi. Et qu'en même temps, on s'attendait à ce que je la soulève avec mes bras.

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, vous avez une magnifique relation avec ton fils Erwan. Qu'est-ce que lui sait aujourd'hui de la maladie et ses conséquences ? À quoi tu lui as donné accès en tant que maman ?

  • Speaker #0

    Alors en fait, étant donné que je prends des traitements depuis toujours, pour lui c'est depuis toujours, je trouvais normal qu'il soit au courant de pourquoi maman prend des médicaments. Donc j'ai inventé une petite métaphore pour lui raconter le VIH. Je lui ai imaginé un peu comme les émissions de C'est pas sorcier. J'ai vraiment imaginé dans ma tête la conception d'une maquette de château fort qui représente le corps humain, dans lequel il y a les petits soldats du corps qui défendent le château contre l'envahisseur qui est le méchant virus. Le méchant virus cache toutes les portes et fenêtres du château pour laisser rentrer tous ses copains, bronchite, pneumonie, sarcome, principalement, donc les cancers. qui peuvent détruire complètement le château et donc tuer la personne. Et grâce aux médicaments qui sont les forces alliées qui viennent aider le château tous les jours, le château reste debout. Et pourquoi le petit virus n'est pas destructible ? Parce que des fois, il va se cacher dans les passages secrets du corps, qui sont les réservoirs. Et à cause de ça, les médicaments, donc les forces alliées, n'ont pas accès à ces réservoirs, à ces passages secrets. Et tant que les médicaments viennent tous les jours, le virus y peut. il est détruit, mais il ne peut pas disparaître, mais il peut au moins être pas embêtant. C'est la métaphore que j'ai imaginée pour mon fils et je lui ai raconté ça plusieurs fois quand il était petit. Et un jour, il avait 5 ans, il me fait « Maman, tes médicaments, ils font quoi dans ton corps ? » Je lui dis « Ben écoute, ça me permet d'être en forme pour jouer avec toi. » Il me fait « Non, ça fait quoi dans ton corps ? Ça tue le méchant virus ? » Je lui dis « Ben, tu veux de la biologie ? Ok, on va trouver une vidéo sur Youtube qui explique ça. » J'ai trouvé une vidéo qui résume un petit peu certaines classes de traitement, sans parler des modes de transmission. Et puis, il a été sensibilisé comme ça. Et puis, je lui ai dit que j'ai été contaminée par une aiguille infectée. Mais il ne connaît pas les autres modes de transmission parce que j'estime qu'à son âge, il a 7 ans et demi actuellement. J'estime que c'est un peu jeune pour être sensibilisé à ces détails-là. Mais il est très fier de maman. Il me soutient, il m'encourage quand je vais faire des témoignages, des sensibilisations. Il est toujours à mes côtés.

  • Speaker #1

    Et toi qui es aujourd'hui maman, si tu pouvais parler à la petite fille dans l'hôpital roumain, que tu pouvais lui apporter un geste ou une parole ou un regard, qu'est-ce que tu lui transmettrais ? Je te pose la question parce que... Je vois que c'est tellement joli comme tu es dans la transmission avec ton fils. Il y a tellement d'imagination. On voit aussi la bulle dont tu parlais, tu sais, où tu arrives à rentrer dans un imaginaire qui est waouh. Moi, comme tu l'as décrit, j'ai un bout de dessin animé face à moi. Est-ce qu'il y aurait quelque chose que tu aurais aussi envie de dire à cette petite Sophie-Hélène ?

  • Speaker #0

    Moi, je lui dirais à cette petite Sophie-Hélène, qu'elle a raison de se cacher dans son monde quand c'est trop dur, mais qu'elle n'a pas à avoir peur de poser un pied dans la réalité, qu'elle peut marcher des deux côtés, et surtout lui dire qu'elle est aimée, qu'elle se sente aimée, parce que la petite Sophie Elena ne se sentait pas toujours aimée, même si elle était aimée. Et encore maintenant, il y a des moments où je ne me sens pas aimée, même si je suis aimée. Et pas seulement qu'on me le dit, mais on me le montre par des gestes. par des actions, par des preuves d'amour au quotidien, mais parfois, je vais douter.

  • Speaker #1

    On sait que ces traces traumatiques, ça crée des gouffres aussi. Et ça nous ramène dans tellement des parts de nous toutes petites qui ont du mal à comprendre que dans l'ici et maintenant, oui, on est aimé, oui, on est en sécurité. Et il y a ces choses-là qui nous renvoient aussi des fois dans des moments du passé.

  • Speaker #0

    Totalement. Et voilà, c'est un long cheminement que j'ai fait. Il n'est pas fini, mais je peux dire maintenant que je peux vivre avec le virus et non pas contre lui. Je l'ai vécu, je l'ai considéré toute ma vie comme un squatter, à déloger de toute urgence. Et maintenant, je le considère comme un colocataire un peu grincheux, un partenaire de voyage, un compagnon de voyage. qui est un peu grand cheveux, mais avec qui j'ai fait toute ma vie. Et je me suis déjà posé la question, mais comment est-ce que je vivrais le jour où il ne sera plus là ? Je me suis dit, mais si un jour on peut détruire le VIH, ce sera super, je n'aurai plus à subir ces assauts. Mais d'un autre côté, ça va me faire... bizarre. Est-ce que je serai la même sur mon VIH ? Est-ce que je n'ai pas donné ma raison de vivre de la lutte contre le VIH ? Si on détruit le VIH, que j'ai encore une raison de vivre ? Alors oui, bien sûr, j'ai encore des raisons de vivre, mais quand on s'habitue, quand on vit avec une maladie toute sa vie, c'est difficile d'imaginer ne plus l'avoir. Oui.

  • Speaker #1

    C'est là-dedans et dans ton identité aussi.

  • Speaker #0

    Oui. Et le VIH fait partie de moi, même si ce n'est pas quelque chose de très valorisant. Il fait partie de moi malgré tout.

  • Speaker #1

    Tu interroges aussi le fait qu'il y ait les coupables et les victimes du VIH. Tu dis justement les coupables, c'est ceux qui ont eu un rapport non protégé, par exemple. Et les victimes, c'est par exemple des personnes comme toi qui ont été contaminées à leur insu. C'est propre à l'humain de dire si on mérite ou non la souffrance, mais toi, tu as décidé d'en faire quelque chose de ce constat-là et de ton parcours. Est-ce que tu veux nous raconter ?

  • Speaker #0

    Bien sûr. Donc moi, je suis témoignante. C'est un mot que j'ai inventé parce que ce n'est pas quelque chose d'officiel, mais je témoigne presque au quotidien de mon vécu avec le VIH. Je sensibilise des auditoires différents, ça va des écoliers aux soignants. Mais je me suis pas mal spécialisée dans les témoignages aux soignants pour justement permettre une meilleure prise en charge des patients séropositifs et permettre au grand public de ressortir avec le message qu'indétectable égale intransmissible, c'est-à-dire I égale I. C'est vraiment quelque chose que je martèle parce que c'est tellement important. Et puis, de pouvoir donner un sens à tout ce que j'ai vécu. de pouvoir transmettre cette information. Et comme, justement, j'ai un mode de transmission atypique pour nos contrées, ça permet, en fait, à des gens qui ne seraient pas forcément sensibles au message de prévention classique de se poser la question. Mais au final, ça peut arriver à tout le monde. Oui, ça peut arriver à tout le monde. Et la sensibilisation, elle est là pour... que les conséquences d'une transmission n'atteignent pas ces personnes-là, qu'il n'y ait pas de transmission. Je m'adresse aussi aux patients séropositifs, notamment à certains patients qui ont des problèmes d'adhésion thérapeutique, dont une mauvaise prise de traitement, pour leur dire, je sais ce que tu vis, je suis passé par là, je vais essayer de t'accompagner pour que... ta prise de risque maintenant avec tes traitements n'occupe pas les mêmes conséquences que moi j'ai à subir maintenant. D'être une sorte de mentor, de quelqu'un qui accompagne, en tout cas de compagnon, pour pouvoir faire avancer aussi ces personnes-là dans leur gestion des traitements. Et moi, ça me donne aussi du sens à mon vécu.

  • Speaker #1

    Et quel message t'aimerais faire passer aux personnes qui vivent avec le VIH et à leur entourage ?

  • Speaker #0

    Les personnes qui vivent avec le VIH, je leur dis, sentez-vous heureuse malgré tout ? Je sais que c'est difficile, mais trouvez du bonheur dans les choses qui ne vous impactent pas. C'est-à-dire qu'on est tellement focalisé sur le virus parfois quand on vit avec, parfois on a tendance à en faire. Soit en faire notre vie entière, soit au contraire l'occulter parce que c'est trop dur ou parce qu'on ne se sent pas concerné. Je pense notamment à des personnes qui viennent de contracter le VIH et puis qui se disent maintenant avec un comprimé par jour et je suis tranquille. Mais au fond d'eux, il y a quand même ce choc-là. Et j'aimerais dire à ces personnes que la vie continue malgré tout. et puis que... que le VIH, ce n'est pas une finalité. Et aux proches, je dirais, soyez compassionnels. Soyez compassionnels avec les gens qui vivent avec le VIH. Parce que même si c'est quelque chose de chronique maintenant, comme d'autres pathologies, ça n'en reste que c'est une pathologie qui stigmatise, qui est vecteur de stigmatisation, de rejet. Donc, prenez les personnes pour ce qu'elles sont et pas pour ce qu'elles ont.

  • Speaker #1

    En parlant de stigmatisation, quels sont pour toi, par exemple, les trois grands mythes qu'on a encore autour du VIH ?

  • Speaker #0

    La première, c'est de mélanger, selon moi, le VIH avec le sida. Le VIH et le sida, ce n'est pas la même chose. On peut avoir le virus. Le VIH, c'est le virus. Le sida, c'est un syndrome, c'est un ensemble de symptômes. Et c'est le stade final du VIH. On peut très bien avoir le VIH toute sa vie et ne jamais développer un sida parce qu'on est traité et que si on est traité, on a une virée mal détectable. Ou alors, on peut avoir un sida comme moi j'ai eu avec mes... mais maladie opportuniste quand j'étais petite, et puis revenir au stade VIH après parce qu'on prend des traitements qui fonctionnent. Mais VIH ne veut pas forcément dire sida. C'est deux choses différentes. Ça, c'est la première des choses. La deuxième, c'est que les médicaments sont efficaces, bien pris, permettent d'avoir une vie la plus normale possible. Au niveau médical, je dis vraiment au niveau biologique, le virus n'a plus d'impact sur le corps. Après, on a évidemment tous nos ressentis, nos vécus qui rendent la chose plus compliquée. Mais au niveau biologique, le virus est contenu. Et ça, c'est une vérité. Bien prendre ses traitements, plutôt que de croire des charlatans qui voudraient vous vendre des produits miracles qui ne marchent pas. Parce que ça, c'est quelque chose que j'entends encore souvent. Et puis aux personnes qui ne sont pas séropositives, qui ne connaissent pas forcément grand-chose. Leur dire que si le VIH, c'est une vérité, c'est une réalité, c'est un virus qui existe vraiment, pour lequel il n'y a pas de guérison. Et que donc le meilleur moyen d'éviter d'attraper le VIH, c'est déjà de se dépister régulièrement. Et puis, il y a la PrEP, qui est le traitement de prophylaxie qu'on peut prendre pour avoir des rapports sexuels non protégés. Mais par contre, ça ne protège que du VIH. Donc moi, dans l'absolu, pour une méthyle préservative quand même. pour être protégé de la syphilis, de la gonorrhée et d'autres pathologies sexuelles. Mais le virus en lui-même, ce n'est pas celui qui tue. Ce qui tue, c'est le rejet.

  • Speaker #1

    Est-ce que, Sophie et Léna, tu aimerais rajouter quelque chose avant la dernière question de fin ?

  • Speaker #0

    Pour moi, c'est tout bon. Je voulais juste rajouter que indétectable égale intransmissible, c'est vraiment quelque chose qui doit rentrer dans les têtes des gens.

  • Speaker #1

    Et du coup, je vais venir t'embêter, ça c'est à 100% sûr ?

  • Speaker #0

    Oui, 100% sûr. Indétectable égale intransmissible, c'est une vérité scientifique, c'est quelque chose qui est reconnu dans tous les pays occidentaux. Quand bien même certains pays limitent encore les voyages des personnes séropositives, oui parce qu'il y a des pays dans lesquels je n'ai pas le droit d'aller, mais la plupart des pays occidentaux... se sont rangés à cette réalité-là. Et oui, indétectable égale à transmissible. Si tu es traité, tu prends ton traitement correctement. Tu as une virémie indétectable et donc tu ne transmets pas le virus. Point.

  • Speaker #1

    C'est magnifique. Point. Je voulais l'entendre jusqu'au bout. Quel super pouvoir la maladie invisible t'a apporté ?

  • Speaker #0

    La résilience. Pendant longtemps, j'ai douté, j'ai eu le syndrome de l'imposteur. Je me disais, mais en fait, je ne devrais pas être orgueilleuse. Et en fait, plus ça va, plus je m'assume dans le fait que j'arrive à rebondir, que ça m'a donné une élasticité émotionnelle et une élasticité mentale pour absorber les chocs de la vie. Et que c'est devenu un super pouvoir, qui peut être un peu traître parfois, parce que ça peut me demander pas mal de ressources. mais qui me permet d'avancer malgré tout.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Sophie et Léna pour ton partage.

  • Speaker #0

    Merci Tamara de m'avoir invitée.

  • Speaker #1

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