- Speaker #0
En fait, ce que je dis souvent, c'est que la maladie, ni le M, c'est comme un changement de paradigme de sa vie, qu'on a dans la vie quand tu deviens jeune adulte, à l'adolescence, la retraite, la parentalité. Mais c'est souvent des changements de paradigme qui ne se mettent pas en place du jour au lendemain. Et la maladie, des fois, elle te tombe dessus. Et du jour au lendemain, tu as fait pendant 30, 40, 50 ans d'une manière, il faut faire à l'inverse de cette manière-là. Tu en faisais trop et d'un coup, il ne faut en faire pas assez. Tu étais souvent disponible pour les autres, près des autres, et d'un coup, il faut penser à toi. Il faut écouter ses besoins, alors que toute ta vie, tu ne l'as pas fait. Moi, je sais que dans mon cas, sûrement dans ma construction, mon profil, mon histoire, je me suis mis souvent à subir les situations. Par exemple, au travail, le comportement des autres, à ne pas savoir dire stop, ou là, ça ne me convient pas, ou à mettre en place ce qui est bon pour moi pour éviter de subir ça. Et je pense que ça a participé à cette usure, notamment au travail ou dans certaines relations. Alors j'ai appris avec le temps à m'entourer des bonnes personnes, des personnes saines qui ne musent pas en fait. Mais c'était peut-être déjà un peu trop tard.
- Speaker #1
Les invisibles. Juin 2020. Ma vie bascule du jour au lendemain dans une maladie neurologique, rare, qui n'a de poétique que le nom. Le syndrome du mal de débarquement. Les symptômes qu'elles m'amènent vivent en colocation avec moi. 7 jours sur 7. 24 heures sur 24. Et ne prennent jamais leur week-end. Je n'ai donc pas la place pour un autre combat. Du moins, c'est ce que je crois. Puis vient ce jour où je témoigne dans une émission télé, dans l'espoir de rendre visible l'invisibilité du syndrome dont je suis atteinte. A peine sortie du plateau, forte de cette expérience et encore dans mes talons rouges, une évidence s'installe. Je n'en resterai pas là. Dans le train du retour, je rejoins à la fois ma maison et mon nouveau combat. Offrir un espace de parole au travers d'un podcast, aux personnes qui composent, bien souvent en silence, avec des maladies invisibles, et avec les regards de sociétés qui ne croient que ce qu'elles voient, deux réalités plus souvent subies que choisies. Aujourd'hui, loin de mes talons rouges et au plus proche de l'engagement, l'évidence s'étend. C'est à l'invisible ou pluriel que je vous invite. Ceux qui dans la chair, l'esprit et les sociétés se vit, sans pour autant faire de bruit. Si comme le dit Antoine de Saint-Exupéry, l'essentiel est invisible pour les yeux, ici, on compte bien le faire entendre.
- Speaker #0
Bonne écoute !
- Speaker #1
Hello Pietro !
- Speaker #0
Bonjour Tamara !
- Speaker #1
Comment est-ce que tu vas aujourd'hui ?
- Speaker #0
Ça va plutôt bien, même si je ne te cache pas qu'il y a une petite appréhension de cette interview ensemble, mais je pense que d'ici une minute ça ira beaucoup mieux. Et toi, comment tu vas ?
- Speaker #1
Je suis fatiguée. J'ai peu de tolérance à l'imprévu dans mes journées. Il y a eu un imprévu ce matin qui m'a mis en état un peu de stress, et du coup de manque de contrôle, de difficultés, et ça m'a donné un bon coup de fatigue. Mais je suis extrêmement heureuse d'être avec toi, vraiment, parce que déjà, tu es une personne extraordinaire et que je me réjouis de pouvoir échanger avec toi sur des questions que je pense profondes.
- Speaker #0
Je te remercie. Sache que c'est réciproque. Je suis vraiment très, très heureux d'être en face de toi aujourd'hui.
- Speaker #1
Pietro, toi, tu es venu vers moi en envoyant un texte de, je crois, à peu près cinq pages sur ma boîte mail de l'association Les Invisibles. Et j'ai vraiment été bouleversée. J'ai été touchée tout d'abord par cette intimité que tu as livrée au travers de ton témoignage, par la justesse de ton regard et par la clarté avec laquelle tu parles de ce dont tant de personnes thèsent ou invisibilisent, mais aussi et surtout par le fait que tu es passée par l'écriture. Parce que pour moi aussi, c'est le seul média qui reste debout quand tout s'effondre. quand je suis dans les moments les plus intenses de symptômes, même à 10 sur 10, il y a quelque chose qui me permet encore de prendre un stylo et écrire sur un vieux bout de papier ce qui est en train de se passer. Je le vis presque comme un acte de militance, un acte de résistance. Il y a quelque chose de hyper fort et j'ai senti ça chez toi aussi. Alors ton texte, j'ai voulu y répondre, mais pas pour y apposer des réponses, mais vraiment pour t'offrir un espace de parole. pour que ta voix, qui est déjà très forte sur le papier, puisse résonner autrement ici. Et j'ai donc choisi de piocher des mots que tu m'as livrés dans ce texte et qui seront le fil rouge. de notre échange. C'est un peu comme une conversation entre ton texte et ta voix. Et je te remercie chaleureusement d'avoir fait le voyage en train jusqu'ici pour qu'on puisse échanger là autour. Parce que concrètement, tu t'es déplacé de Paris à Genève.
- Speaker #0
Exactement. Donc, tu m'as effectivement proposé de venir enregistrer une interview, de venir porter ma voix. Et c'est moi qui te remercie de m'avoir accueilli à Genève. Et effectivement, je viens de Paris. Du coup, ça se fait plutôt bien.
- Speaker #1
Tu ouvres ton texte avec cette phrase hyper forte. Le handicap invisible est un paradoxe cruel. Il nous prive de tant de choses, mais à l'extérieur, il ne laisse rien paraître. Qu'est-ce qui, selon toi, devrait paraître ? Et pourquoi c'est si important que ça se voit ?
- Speaker #0
Je pense qu'en fait, c'est aussi la société qui ne voit pas. C'est-à-dire qu'à un moment donné, quand tu observes, tu vois quand même des signaux faibles. de la plupart des handicaps invisibles. Et si tu écoutes aussi, vraiment, si tu demandes sincèrement comment ça va, si tu regardes les petits détails, la fatigue, c'est finalement peut-être des choses qui s'observent. Mais ce qui devrait paraître, surtout, ce n'est pas forcément l'idée que ça doit paraître, mais c'est plutôt l'idée qu'il devrait y avoir un espace pour faire en sorte que s'il y a un besoin que ça paraisse, que s'il y a un besoin d'exprimer un besoin. ils puissent être écoutés. Et aujourd'hui, dans la société, c'est compliqué. Donc, très souvent, quand on a un handicap invisible, on vit avec, souvent depuis longtemps, on adapte. Et donc, de l'extérieur, on a l'impression comme ça que tout va bien. Sauf qu'à l'intérieur, ça bouillonne. À l'intérieur, ça fait mal. À l'intérieur, c'est fatigué, compliqué. Physiquement, cognitivement, émotionnellement. Et donc, c'est presque une double punition. C'est celle de devoir répondre à la norme qui paraît tout en vivant finalement cette tempête intérieure.
- Speaker #1
Tu m'as aussi livré dans tes écrits « Certains jours, il m'est arrivé de me réveiller avec l'impression d'être déjà vaincu » . Qu'est-ce que ça veut dire de se réveiller vaincu et comment on vit une journée qui commence par une défaite ? Est-ce que la journée continue en étant une défaite ou est-ce qu'il peut y avoir... des moments, des connexions à quelque chose qui ramène de la vie, de l'espoir, de l'amour, de la bienveillance ?
- Speaker #0
Alors c'est compliqué. Ça va mieux aujourd'hui, mais pendant presque cinq ans, et surtout les deux dernières années, je me levais le matin avec une telle douleur. C'est-à-dire que ma première expérience au monde était la douleur. Mais une douleur qui te cloue au lit, si on te mettait une main comme ça au niveau du cou et qui te prend comme ça. t'imagines que ton premier rapport au monde, parce qu'il y a un peu ça le matin quand tu te réveilles, il y a une naissance finalement, un retour au monde, à l'expérience du monde. Et c'était ça. Et c'était horrible. Heureusement, souvent, ça s'atténue un peu. Moi, dans mon cas, ça s'atténuait. Je consommais de la CBD à l'époque, qui me permettait d'atténuer un peu la douleur. Donc heureusement, ce n'était pas le début d'un enfer de pierre en pierre dans la journée. Mais ce n'est pas facile, ça use. En fait, je t'avoue qu'avant d'avoir un diagnostic et quelques traitements qui puissent me soulager, j'étais arrivé presque à bout, vraiment, c'est-à-dire qu'il y a une usure. Et pour te répondre, l'espace qu'il peut y avoir, là où j'ai retrouvé finalement le plus de ressources, c'est dans la richesse que j'ai dans les relations humaines de ceux qui m'entourent, qui apportent de la bienveillance, de l'écoute, de l'aide. Et ça, c'est une richesse et une chance que j'ai eu l'occasion d'avoir dans ces moments-là. et pour laquelle je suis extrêmement reconnaissant aujourd'hui parce que j'ai vraiment une pensée pour ceux qui sont isolés, seuls ou pire, mal accompagnés et qui vivent en plus avec ça.
- Speaker #1
Donc toi, tu as un réseau soutenant ?
- Speaker #0
Tout à fait. J'ai cette chance-là d'avoir un compagnon, des amis qui sont proches de moi, qui sont soutenants et qui m'ont connu aussi bien mille de sous. que dans des moments parfois un peu de répit, et aujourd'hui qui me soutiennent encore dans ce chemin-là de guérison que j'entame, enfin de rémission plutôt, et avec du recul, quand on a l'espace pour prendre ce recul, de dire mais ils étaient là pour me soutenir, pour me donner un coup de main, autant qu'ils pouvaient, parfois avec maladresse, parfois pas, mais autant qu'ils pouvaient, en tout cas.
- Speaker #1
En tout cas, moi, ça me touche quand tu parles aussi du fait d'être déjà vaincu dès le réveil. Il y a vraiment quelque chose de lourd quand la première sensation et image... qui va avec, elle est vraiment aussi plombante. Et ça me parle beaucoup parce que, tu sais, moi, je vis avec un tangage qui ne s'arrête jamais. Et du coup, dès que j'ouvre les yeux le matin, je le sens. Et ah ! Tu sais, il y a vraiment... Ça te prive d'une légèreté, en fait. Ça te prive d'un réveil matinal de juste... Ou la première chose que tu pourrais entendre, c'est les oiseaux qui chantent ou voir la lumière qui rentre dans la chambre. J'essaye d'être attentive à toutes ces choses-là parce que je me dis, elles coexistent avec le tangage. Mais c'est quand même tellement puissant, le symptôme, c'est presque que tu ressens en premier.
- Speaker #0
Exactement, puisque à partir du moment où tu te réveilles, tu reconnectes à tes sensations. Et c'est si forte, que ce soit le tangage, la douleur ou autre. C'est la première qui te parvient. Et oui, tu es inclus. Tu te dis, mais ça ne s'arrêtera jamais. Même là, même dans ce moment où je reconnecte, où j'aimerais petit à petit reprendre conscience de mon environnement, mes sens, mon corps. T'en es privé, en fait. Et ça, c'est dur.
- Speaker #1
Tu proposes cette image puissante. Ton corps, c'est comme un vieux téléphone qui ne se recharge jamais, même si on le laisse toute la nuit sur la prise. On voit très bien de quel genre de téléphone tu parles.
- Speaker #0
Le vieux téléphone que tu prends sur le placard.
- Speaker #1
Vraiment. Et t'es là genre, il a chargé toute la nuit et il est juste à 20%. Et je crois qu'à l'époque, c'était même pas des pourcentages. Tu sais, c'était vraiment les petits bars. Il y en avait cinq. Genre, il est à deux sur cinq. Et concrètement, est-ce que la nuit ne te régénère pas ? Est-ce que tu te réveilles plus fatigué que tu ne t'es couché ? Comment ça fonctionne ?
- Speaker #0
Alors, aujourd'hui, ça va un peu mieux. Mais pendant presque 4-5 ans, en fait, je me réveillais pas reposé. C'est-à-dire aussi fatigué que la veille, voire pire, plus fatigué que la veille. Donc, avec cette sensation de... Mais je n'ai pas eu de répit. Je n'ai pas récupéré. Et donc, après, tu sors de cet état un peu léthargique du matin. Tu vas faire quelques repos qui te donnent un semblant de... d'expérience d'énergie, mais tu commences la matinée comme s'il était tard le soir, après avoir une journée de travail, t'être occupé de ta famille, avoir été faire une activité associative, bu un verre, et être sorti au cinéma jusqu'à minuit, puis tu te couches à 2h du matin. Voilà la sensation que t'as, mais il est 6 ou 7h du matin. Et ça, c'est terrible, parce que, encore une fois, pareil, tu dis, mais la journée ne peut que mal se passer, en fait, parce qu'elle t'attend. À l'époque, je travaillais, il fallait assurer le travail en tant qu'enseignant. Il faut tenir quatre heures debout devant les élèves avec une attention constante. Tu es en représentation, tu ne peux pas te permettre de t'écrouler ou de laisser paraître des signes de faiblesse. Moi, j'ai toujours eu la chance d'avoir des élèves bienveillants, des petits groupes en BTS, qui, sans en parler, comprenaient que j'avais besoin de m'asseoir, que je fatiguais vite, que c'est eux qui venaient à moi et que ce n'est pas forcément moi qui venais à eux. Ils avaient cette bienveillance-là, mais parce que... C'était un petit groupe de... On les avait en classe entière une vingtaine, on demie groupe à 10 ou 12, et qu'ils me rendaient aussi ce que je leur donnais. Mais c'était une chance, finalement. Et ouais, c'est vraiment l'image de ce téléphone. Et pire encore, c'est que quand t'envoyais trois SMS, il les déchargeait, quoi. Et encore, moi, dans mon cas, j'avais quelques SMS sous le coude, mais ça peut être pire que ça, parce que même s'il y avait beaucoup de symptômes qui apparaissaient, enfin qui étaient là, plutôt. et qui s'accentuait ou apparaissait en cas de crash, c'est-à-dire ce moment où tu as tiré sur la corde et où ton corps réagit. C'est un peu l'image qu'on peut donner, c'est quand tu as une grippe et que pendant 4-5 jours, tu es cloué aux lignes et que tu ne comprends pas ce qui t'arrive. Ton corps réagit de manière à ce que tu n'aies plus de force, plus rien. Et bien en fait, dans le cas de l'EM, Covid, on retrouve ces syndromes de crash. C'est l'idée que c'est après avoir fourni un effort cognitif, émotionnel. Physique, ça parle souvent parce qu'on voit très bien, tu as fait une séance de sport, tu marches longtemps, tu as la fatigue physique, ça, ça parle. Cognitif, ça peut, c'est quand tu as fait quatre heures de réunion et que tu n'es plus capable d'aligner deux, trois mots. Émotionnel aussi, quand tu as quelque chose qui va t'atteindre, une information, comme tu l'évoquais tout à l'heure, ça peut être aussi un imprévu qui va générer des questions, un peu de stress, et bien tout ça, ça génère une fatigue. Sauf que là, chez le commun des mortels, c'est quand tu cumules un peu tout ça, que tu es un peu fatigué le soir et le lendemain, ça va mieux. Là, le matin, tu as géré un mail, un papier, un coup de fil, deux, trois trucs. Tu es déjà dans cet état d'épuisement et encore dans le meilleur des cas, parce qu'il y en a pour certains. Déjà, c'est de brosser les dents le matin, c'est trop. Et ça génère ça.
- Speaker #1
Mais j'aime bien cette métaphore du téléphone. Elle est hyper basique. Et là, tu as rajouté aussi une image. C'était l'image d'envoyer des SMS. Et... C'est drôle avec beaucoup de guillemets, parce que j'ai l'impression, alors déjà que les crashs, ça concerne plutôt même la communauté des personnes malades chroniques. J'ai l'impression qu'on est tous un peu concernés par la question des crashs. Mais il y a vraiment ce truc où tu dois juste répondre à un message. Et c'est déjà trop. Et tu finis par être silencieux par rapport à certaines relations parce qu'il y a des urgences, par exemple. OK, il y a vraiment un message urgent. Je dois répondre à mon plombier parce qu'il doit venir gérer mon toilette. C'est déjà trop, mais je le fais parce qu'urgence. Mais du coup, je ne peux pas donner cette énergie à tout le monde,
- Speaker #0
en fait.
- Speaker #1
Et c'est ça qui est hyper dur. C'est de pouvoir comprendre que cette énergie, du coup, elle est étalée en longueur comme ça. Tu sais, je pense souvent à un truc, par exemple. Quand une personne me demande un rendez-vous pour aller boire un café, il m'arrive de dire « je te donne rendez-vous dans deux à trois mois » . La personne se dit « mais ce n'est pas possible, elle a une vie de ministre ou quoi ? En plus, elle est malade, donc genre, elle a quoi comme vie ? Elle ne travaille pas et elle me donne rendez-vous dans trois mois ? » La réalité, c'est que chaque journée, elle est vraiment réfléchie de « ok, ce jour-là, j'ai un rendez-vous médical, je ne vais pas pouvoir faire un café avec cette personne » . ce jour-là, j'ai décidé d'aller marcher dans la forêt parce que je vois que ça me fait du bien à ma santé mentale, je ne vais pas pouvoir boire un café avec cette personne. Ce jour-là, je dois m'occuper de ma fille parce qu'il n'y a pas la crèche, je ne vais pas pouvoir boire un café. Et en fait, tu cumules ça dans ton agenda au fur et à mesure. Et donc oui, la personne, tu la verras dans trois mois. Si tu y arrives le jour même, ce qui n'est même pas encore garanti, tu finis par l'annuler parce que tu es en crash de tout ce que tu as déjà fait avant. Donc elle se dit, elle a mis trois mois à me voir et en plus de ça, elle m'annule. Super sympa, la meuf ! Et en fait, c'est terrible parce qu'il y a aussi du coup un regard qui est hyper biaisé sur ce qu'on vit. On passe pour soit des ignorants, soit des personnes qui font des faux plans, alors qu'on est juste en mode survie.
- Speaker #0
Et qu'on a déjà fait par cent fois des efforts pour faire certaines choses qui sont tout simplement vitales. D'ailleurs, c'est dans le cas de l'EMSFC, de l'EM, il y a le pacing. qui est un peu l'art de gérer son enveloppe énergétique. Donc soit en prendre conscience, notamment des limites, soit tenter de regagner un peu d'énergie dans la journée en faisant des repos totaux, en organisant son environnement pour en dépenser moins. C'est donc vraiment toute la gestion de l'énergie. Et dans cette méthode, il y a prioriser et programmer en fait. Parce qu'effectivement, plus tu programmes, plus tu vas faire en sorte que ça puisse rentrer dans l'agenda. Sauf que la plupart des gens vont programmer une visio, un rendez-vous. et ça s'arrête là, un théâtre, etc. Moi, dans mon cas, c'est là, je prépare ces trois heures-là pour m'occuper d'un dossier. Ou cet après-midi-là, je bloque trois heures pour gérer, je sais que je vais avoir tel sujet à gérer. Tu te mets à tout programmer, parce qu'en fait, il n'y a plus de place pour l'imprévu. Parce que ce café dont tu parles, la plupart des gens, ils trouvent une heure dans leur agenda, ils calent ce café et basta. Pour nous, ce n'est pas possible. Parce que... Hum... Ce café, s'il est en plus de ce qui est déjà programmé, il génère un crash. Et donc ça devient un événement ce café. C'est-à-dire que ça devient l'événement de la journée que tu dois programmer, au détriment d'un temps qui est plus vital. Parce que se faire à manger, s'occuper de ses traitements, dans nos cas, gérer la vie associative, s'occuper du quotidien, de ses proches, c'est déjà deux boulots de temps plein quand tu es malade.
- Speaker #1
Oui, carrément. Tu dis que renoncer est devenu ton quotidien.
- Speaker #0
Exact.
- Speaker #1
À quoi tu dois renoncer aujourd'hui dans une journée et est-ce qu'on s'habitue à force à tous ces renoncements ?
- Speaker #0
L'imprévu. Il n'y a plus de place pour l'imprévu. Ce n'est pas possible. Ou alors vraiment, c'est un coup de bol. Et encore, c'est au détriment de cet après-midi que tu as prévu pour te reposer. Parce que tu l'évoquais, effectivement, finalement, le repos, même le repos se programme. Parce qu'en fait, le repos, ça devient vital. Renoncer à des activités. Moi, j'étais un très grand sportif. Je pratiquais plus de 15 heures par semaine. J'avais un diplôme de coach sportif. J'ai couru des marathons, des triathlons, je dansais. J'allais à la salle. C'est fini, le sport. Alors, j'ai pu, grâce au traitement, à la mise en place de plein de choses, retrouver un petit peu d'énergie pour tenter de faire du sport, de la kiné en balnéo, sauf que j'en paye le prix. Toujours, pendant 24 heures, j'ai mal. Donc, je peux l'encaisser aujourd'hui. c'est renoncer aux soirées, c'est renoncer aux espaces bruyants, c'est renoncer à programmer des événements qui vont très bien entre eux. Moi, je sais que par exemple, à plus de 3 ou 4, à plus de 4, dans une soirée, une rencontre, c'est plus possible. Ou alors, ça se prévoit, avec du repos avant, du repos après, est-ce que ça va avoir un impact ? C'est renoncer à moi, c'est le cas aujourd'hui, je suis en arrêt, en reconversion, c'est renoncer à mon emploi. Je ne peux plus gérer le métier d'enseignant que j'ai fait pendant plus de dix ans de manière très investie, donc avec beaucoup d'énergie, beaucoup d'heures, des missions annexes, la préparation des cours, le suivi des élèves, les heures en classe où tu es debout, tu es attentif, c'est plus possible. Pendant presque un an, je rentrais du travail, je dormais deux heures, et les week-ends, je passais mon temps à dormir et à récupérer pour réattaquer la semaine. C'est pas possible. Donc tu renonces à beaucoup de choses. Tu t'y habitues. Parce qu'en fait, on s'habitue à tout. L'humain est fabuleux pour ça. Parfois même au pire. Parfois difficilement au pire, dans certains cas. C'est l'exemple qui vient en tête de personnes qui vivent dans le noir et dont la seule activité du jour est de se lever pour aller faire leurs besoins. Et encore, c'est une activité. Donc là, c'est compliqué de s'adapter. d'arriver à tout ça. Après, tu trouves d'autres choses. Tu redécouvres prendre le temps, prioriser, donner de l'importance aux vraies choses. Donc, ouais, voilà.
- Speaker #1
Il y a un moment où tu écris « Un matin, dans un moment de désespoir profond, j'ai sincèrement envisagé pour la première fois de mettre fin à cette lutte. » Ce n'était pas une envie de mourir, mais un besoin impérieux de silence, de répit, de délivrance. Peux-tu parler de cette sensation que la majorité des personnes malades vivent ? C'est-à-dire ce besoin que ça cesse et en même temps, pas forcément l'envie de mourir, mais juste que ça s'arrête tellement c'est trop pour notre organisme, notre physiologie, notre mental, tout.
- Speaker #0
Ça faisait plus de trois ans que j'avais mal, entre autres symptômes. symptômes dont j'avais du mal à prendre conscience parce qu'en fait j'étais pétri de douleur c'est comme si t'es en boîte de nuit ou dans un concert au Stade de France et qu'il y a quelqu'un qui te chuchote à l'oreille et tu l'entends pas et c'est qu'à un moment donné quand t'es en plénérance médicale ça faisait plus de 6 ans qu'on trouvait rien ou ça faisait plus d'un an plus d'un an où ça stagnait où on disait bah on a pas d'idée continuez à prendre ce que vous prenez doublez les antidépresseurs ça ira peut-être mieux Ça fait un an, ça n'avance pas. Et en pire, t'arrives à un stade où tu te dis, mais il n'y a aucune opportunité. Pas de nom sur la maladie, pas de traitement, pas de répit. Et tu te dis, mais voilà, t'as juste envie que ça ne t'en peut plus. Ça n'a plus de sens. En fait, ça n'a plus de sens. Le jour où j'en suis arrivé là, c'est que la vie n'avait plus de sens. C'est à quoi bon, en fait ? Et c'est fou parce que j'ai une mère qui est malade depuis plus de 20 ans. maladie plutôt grave, avec des complications au fil du temps. Donc j'ai vu ce que c'est la maladie, la douleur, j'ai vu ma mère en douleur, etc. Et t'as beau entendre, voir, mais le jour où tu le vis, tu comprends ce que c'est, intrinsèquement au fond de toi, en fait. Et c'est là aussi, tu vois, ça rebondit sur la question de la visibilité. C'est-à-dire que j'ai beau avoir vu intimement la maladie invisible et la douleur, ce n'est rien à côté de la réalité, de ressentir la douleur, les symptômes. dans le cadre de l'EM, il y a plein de symptômes. J'ai chaud, le cœur qui s'accélère, le brouillard mental, les maux de tête, la difficulté à finir ses mots. Je me suis retrouvé dans des moments où tu dis, t'es là et tu ne sais même plus qu'est-ce que tu fais là, limite quel est ton nom. Et c'est terrible, terrible. Autant la douleur, j'ai beaucoup fait avec, peut-être aussi avec ce passé sportif où à un moment donné, quand on fait un peu trop au niveau du sport, tu souffres et c'est ok, tu vois. Mais cognitivement, C'est ce qui m'a fait le plus de mal. Me dire, mais tu sais, ce moment, tu as l'impression de ne plus avoir accès à ton esprit, en fait. Ça, c'est dur.
- Speaker #1
Il y a deux choses qui me touchent beaucoup dans ce que tu racontes. Déjà, il y a la question cognitive. Parce que je pense que, voilà, quand on est des personnes qui aimons aussi le monde des idées, ça devient très difficile de se sentir amoindrie à ce niveau-là. Tu vois, j'ai un exemple encore très récent. Il y a quelques semaines... J'ai voulu écrire le prénom de ma fille sur un topo R pour la crèche. Et je ne savais plus si on écrivait Billy avec un ou deux L. Et j'étais là, mais ma fille, t'en es arrivée où, quoi ? Pour ne plus savoir comment écrire le prénom de ta fille. Dans un moment où juste tellement gros crash que pas possible de savoir ça. Alors que tu te fais des bachelors, tu te formes, du machin. Et tu te dis, mais comment c'est possible ? Et c'est quelque chose qui me touche beaucoup. Quand on perd cet aspect-là, en fait, c'est... Oui. de pouvoir encore s'enrichir ou de pouvoir échanger avec des gens sur ce monde des idées. Et un autre truc qui me touche beaucoup aussi, c'est la perte de sens. C'est vraiment quand le corps souffre tellement que tu es là, mais quel est le sens de tout ça finalement ? Alors des fois, on s'attache à des croyances. L'humain a vachement besoin de s'imaginer qu'on est dans un monde juste. Mais s'il vous plaît, expliquez-moi où elle est la justice. Quand notre corps est une prison, quand on ne va pas aller plus loin que ça, mais les guerres, elle est où la justice dans tout ça ? Et il y a vraiment quelque chose au bout d'un moment où on se dit, mais à quoi bon ? À quoi bon continuer comme ça ? Qu'est-ce que je peux faire de ça ? Et ça, c'est vraiment douloureux. Et j'ai l'impression que ça nous traverse beaucoup, ces questions-là.
- Speaker #0
L'image que j'ai, c'est vraiment le poisson qui vit dans un aquarium au milieu de l'océan. Donc, si cet aquarium, il est grand, qu'il est bien aménagé, OK, tu as accès au corot, OK, tout devient un danger à l'extérieur, mais tu es encore bien dans ton aquarium. Et là où ça devient terrible, c'est quand cet aquarium se resserre, se resserre. Au point de cette image qu'on a tous quand on était gamin du poisson rouge dans son sachet en plastique qui agonise à moitié.
- Speaker #1
Et qui finit le lendemain sur le dos.
- Speaker #0
C'est vrai que j'ai cette chance, même si la maladie reste complexe, d'avoir, je pense, toujours gardé une forme de cognitif quand même. Il y a beaucoup de gens dans la communauté qui ont du mal, par exemple, à lire, à mobiliser leurs idées très rapidement. Sûrement par le métier. il y a toujours eu un... Un entraînement, en quelque sorte, qui m'a permis même au plus mal de garder encore une activité cognitive. Et d'ailleurs, ça se traduit, c'est marrant, en fonction des profils, t'en as par exemple qui vont être très alités, qui vont garder le cognitif, d'autres pour qui le cognitif est très compliqué, mais qui vont avoir plus de facilité physique. Donc t'as un spectre, en quelque sorte. Et effectivement, quand on est au point où t'es dans ton aquarium, parce que c'est un peu ça aujourd'hui, toi je vais mieux, j'ai des limites, des restrictions, mais... Mais le monde que je me suis construit aujourd'hui, malgré les symptômes, malgré la douleur, malgré les difficultés, me permet de donner un sens à cette maladie, de donner un sens à mon quotidien. Mais le jour où tu te retrouves, et encore, moi, le jour où ça m'est arrivé, je pouvais encore me lever et me faire à manger, prendre l'air, prendre le transport, même si c'était pénible. Vraiment, quand tu me dis ça, chaque fois, ça résonne de ces témoignages qu'on peut voir de personnes qui sont dans un état tel. On ne les croit pas, on ne les écoute pas, on les traite. pas aujourd'hui en France. Et ce qui est terrible, c'est que c'est une maladie qui n'est plus considérée comme rare, on estime parce que les chiffres sont complexes, mais comme il n'y a pas de marqueur, tu vois. Plus de 400 000 cas en France, c'est pas négligeable. Mais qui est orpheline. Il n'y a aujourd'hui aucune recherche scientifique en France sur ce sujet. Il y a quelques recherches en sciences humaines et sociales, notamment avec STAPS, pour voir le lien entre les efforts et les symptômes. s'il y a moyen notamment d'améliorer ça. Là, tu vois, j'ai un bracelet, c'est une des études en cours. Mais il n'y a pas d'argent pour la recherche. Les médecins psychiatrisent la maladie. Aujourd'hui, malheureusement, les maladies psychiatriques, c'est un peu la facilité quand ils ne trouvent pas, alors qu'en plus, c'est totalement injuste pour ceux qui en souffrent. Et la prise en charge, c'est comme si un diabétique, aujourd'hui... Et je me permets de dire ça, maman est diabétique. Donc je vois très bien le sujet. Venez avec son diabète voir un médecin. En fonction de ce que je mange, en fonction de mon état, des efforts que je fais, je peux avoir des sueurs froides, des vertiges, etc. Et que la réponse que la personne obtiendrait, c'est dans votre tête, faites un peu de sport et des efforts, allez voir un psy, merci, au revoir. C'est comme si on traitait les diabétiques comme ça aujourd'hui, mais ça paraît démentiel. Ça paraît démentiel.
- Speaker #1
Donc ça veut dire quoi ? C'est qu'il y a des catégories de maladies ?
- Speaker #0
Dans la prise en charge ? Ah ben, alors, il y a... Moi, quitte à choisir une maladie, je choisirais celle qui, quand elle est diagnostiquée, tu as devant toi un chemin luxuriant, avec des fruits juteux et sucrés, il fait bon, il fait doux, etc. Parce qu'aujourd'hui, en France, il y a les prises en charge qui sont de cet ordre-là, puis tu en as d'autres où c'est la traversée du désert. C'est débrouillez-vous. Sauf que pour se débrouiller aujourd'hui, un, il faut les moyens, en termes d'énergie. Deux, il faut les moyens en termes cognitifs aussi. Il faut pouvoir faire des recherches, comprendre ce qu'on lit. Ce n'est pas facile. Il faut les moyens financiers. Parce que même s'il y a un système en France, la plupart des médicaments ne sont pas pris en charge. Les médecines alternatives, l'ostéopathie, les massages, la photobiomodulation qui aident vraiment. Les psychothérapies, tout. En fait, tout ce qui aide dans ces maladies-là à la gestion de la maladie ou à l'amélioration des symptômes n'est pas pris en charge. Donc, c'est... Et voilà.
- Speaker #1
C'est vraiment là une des difficultés aussi, c'est que c'est des maladies qui demandent tellement d'énergie dans le fait de pouvoir être bien prise en charge, d'avoir un diagnostic, de se déplacer pour se rendre à des rendez-vous. Cette énergie, elle manque. Et en plus de ça, il faut se battre contre un système qui met des bâtons dans les roues tout le long, alors qu'il n'y a déjà plus d'énergie, en fait. Donc, en fait, les gens finissent. complètement invisibilisé.
- Speaker #0
Pour te dire, ce qui m'a permis aujourd'hui de m'en sortir depuis 8 mois, c'est le fait que j'ai pu me mettre en arrêt, me reposer un peu, prendre du recul, et dégager du temps et de l'énergie pour me prendre en charge, prendre soin de moi, en fait. Aller démarcher les bons médecins qu'il faut trouver, trouver quelques solutions qui m'ont permis de franchir des paliers pour mettre des choses en place, etc. Donc oui, il faut cet espace-là, et en plus en France, notamment. Enfin, dans les hôpitaux publics, il n'y a pas de centre de référence de ces maladies-là. Et les quelques spécialistes qu'on compte, les vrais spécialistes, par exemple, de l'AIM, se comptent sur les doigts d'une main et partent à la retraite. Parce qu'en fait, les jeunes médecins, il y en a quelques-uns qui ont fait leur thèse de médecine dessus. Une maladie où il n'y a pas de marqueur, pas de traitement, ça n'intéresse pas les médecins, les jeunes médecins. Donc, en fait, on est abandonnés. Et c'est vraiment la communauté des patients, les associations. responsable Milieu Amnesty France, MMF, Après J'y Vins pour le Covid Long, qui offrent des pistes et des opportunités que le milieu médical peut offrir, mais à condition de tomber au bon endroit, au bon moment, avec la bonne personne.
- Speaker #1
Tout est construit par les patients.
- Speaker #0
Exactement.
- Speaker #1
Qui sont déjà à bout.
- Speaker #0
Qui sont déjà à bout.
- Speaker #1
Tu racontes ton errance médicale comme une forme de violence. Elle est où la violence quand on erre ?
- Speaker #0
Elle est dans... Fais-tu ceci, revenez dans six mois. Puis dans six mois, faites ça, revenez dans six mois. Alors que ça pourrait être dans un mois, dans deux mois, dans trois mois. Et comme ça pendant quatre, cinq ans. Elle est dans tous ces tests que tu fais qui reviennent négatifs et pour lesquels à chaque fois tu finis par t'épuiser et on finit par t'en prescrire des nouveaux que tu finis par ne pas faire. Parce que quand on est au vingtième, au trentième, devoir aller dans les hôpitaux, devoir se déplacer quand t'es déjà épuisé. J'ai fait des... Après, il y avait de l'eau dans les... poumons, c'est-à-dire qu'on te noie pour voir ce qui s'y passe. Ok, pourquoi pas ? C'est revenu négatif, au bout d'un moment t'en as marre en fait, et tu te dis à quoi bon ? Et donc il y a une forme de... Et puis, le système fait que les médecins n'ont pas la place pour écouter, et notamment entendre les signaux faibles, parce qu'aujourd'hui avec du recul, si tu regardes un peu ce qui m'est arrivé au cours de mon histoire de la maladie, tout était là. C'est-à-dire que le jour où j'ai eu un diagnostic, Tout a fait sens, d'un coup. C'est vraiment comme ça. Tout a fait sens, vraiment. Mais en fait, c'était déjà là, il y avait déjà ceci, il y avait déjà cela. Et après, la violence, elle est aussi dans, une fois que tu as un plan d'attaque, les médecins sur lesquels tu vas tomber, qui vont direct te psychiatriser, pas t'écouter, et encore, j'ai la chance d'être un homme. Je sais, aujourd'hui, pour avoir écouté de nombreux podcasts, il y a des biais sur le genre, sur les origines. sur la prise en charge des patients, où on a un nombre de témoignages, notamment de femmes, on ne va pas se le cacher, qui sont psychiatrisées pendant des années et des années, et qui finalement avaient une endométriose, des crises d'épilepsie, des choses qui en plus sont entre guillemets faciles à diagnostiquer si on fait les bonnes recherches.
- Speaker #1
On les hystérise encore.
- Speaker #0
Exactement. Alors on ne met pas un autre nom, on dirait que c'est des troubles somato-forts fonctionnels, des TNF,
- Speaker #1
C'est plus joli que l'hystérie, on est quand même en 2025. Aujourd'hui, tu as enfin un diagnostic, donc l'EM, encéphalomyélite myalgique, ou appelé syndrome de fatigue chronique de manière plus commune, même si je sais que ça dérange la communauté. Qu'est-ce que ce nom a changé pour toi ?
- Speaker #0
Mais faire des recherches ? Mais déjà, quand je suis sorti... En fait, j'ai fait un test scan à Montdor, à Créteil, qui est une imagerie cérébrale spécifique. Et en fait, les équipes là-bas se sont... Dans le contexte, on a eu la chance, entre guillemets, que les Covid longs forment une cohorte. Un grand nombre d'un coup, de cas inexpliqués. Donc forcément, il y avait quelque chose. Le M est... Comment dire ? L'OMS reconnaît l'OM depuis la fin des années 50. Tu vois, c'est pas nouveau. Les associations, peu après le début du Covid, ont écrit aux autorités, au ministère, pour dire « vous allez avoir des vagues d'encéphalomyélite myalgique » . Il y a une infection au SRAS-CoV, c'est un virus de la même famille que ceux qui, en grande partie, génèrent l'OM. Moi, dans mon cas, ça a été la mononucléose et le cytomégalovirus. Il y a de fortes chances. que ça arrive. C'est passé, mais totalement aux oubliettes. Et c'est arrivé, en fait. Et donc, ça a permis de relancer un peu l'écoute et la recherche autour de ça. Et en fait, ils se sont rendus compte, à cet hôpital, qu'à l'imagerie, il y avait quelque chose, au niveau de certaines zones du cerveau, qu'il y avait des hypométabolismes. Des zones qui ne fonctionnaient pas tout à fait comme elles devraient fonctionner, en termes de métabolisme. Sans chercher à comprendre forcément pourquoi, si c'est cause ou conséquence. Mais en tout cas, ils ont retrouvé ça. Et moi, j'ai fait cette imagerie-là. Et déjà, je suis sorti en larmes, parce qu'enfin, enfin, il y avait quelque chose. Et je vais te raconter une petite anecdote. On te met un produit qui s'appelle du glucose fluoré, donc un glucose radioactif. Et on te laisse une demi-heure dans une pièce à attendre. J'ai prié pour qu'on me trouve quoi que ce soit. voire même une tumeur au cerveau. Papa est décédé d'un cancer. Quand on est appris d'avoir quelque chose, voire une tumeur au cerveau, qui explique ce que tu vis, dont tu sais pertinemment qu'il y a quelque chose. Voilà où on en est. Ça a posé un diagnostic. Ça m'a soulagé. Enfin, il y a quelque chose. Ça m'a permis surtout de m'approcher d'une association qui m'a recommandé auprès d'un des spécialistes d'Île-de-France qui diagnostique et qui traite. Il n'y en a pas 40. il y en a un en Ile-de-France, j'ai pris mes traitements, en trois semaines les douleurs ont disparu. Donc je me suis arrêté, en trois semaines les douleurs ont disparu. Ça faisait cinq ans que je souffrais le martyre, tous les jours qu'on me donnait du tramadol, de la lamaline, enfin tous les antidouleurs hauts, là les douleurs ont disparu. Et là tu te dis mais en fait on aurait peut-être pu faire ça il y a deux ans, trois ans, et pas me laisser comme ça. Et puis après bah... Tu complètes, tu regagnes un peu d'énergie, tu mets en place de nouvelles méthodes, tu redéfinis ta vie, la manière de vivre et tu franchis comme ça dans certains cas, palier par palier. Mais c'est loin d'être le cas de tout le monde.
- Speaker #1
Et ton quotidien, il repose aujourd'hui sur, du coup, tu parlais avant d'une organisation rigoureuse, des soins, des dispositifs. Est-ce que tu peux nous parler de ce qui t'aide aujourd'hui, vraiment au jour le jour ? des moyens auxiliaires, mais je pense à ta chaise zéro gravité, au pacing, la cohérence cardiaque, la sophrologie, qu'est-ce qui fait partie de ta boîte à outils ?
- Speaker #0
Alors, il y a les traitements qui viennent apporter un regain d'énergie, des soulagements sur certains symptômes, clairement. notamment j'ai un syndrome postural c'est à dire que j'ai découvert que quand je me mettais debout et donc j'ai fait une étude à Toulon qui l'a montré tu vois ça aussi, ah enfin oui il y a bien quelque chose c'est pas, d'abord j'ai une montre là qu'on voit qui montrait bien comme le vent, mon coeur montait à 110 sans raison donc ça m'a mis la puce à l'oreille donc le fait de pouvoir mesurer ça et on retrouve ça souvent dans la plupart des malades m'a permis d'avoir des traitements qui m'ont permis d'abaisser un peu mon rythme cardiaque et de faire en sorte que une journée simple c'est pas une journée comme si je courais en rond pendant 12 heures. Donc ces traitements-là m'aident beaucoup. Donc ça, c'est la base. Et ensuite, il y a le pacing. Vraiment. Avec l'avantage de... C'est une façon de vivre presque, non invasive, qui va te redéfinir les tâches, apprendre à découper. Tu cuisines, ok, tu commences sur un tabouret. Avant, tu t'abstinais à te tenir debout, à te fatiguer. Mais là, sur un tabouret, à d'abord préparer tes aliments. Puis tu vas faire une pause. Puis tu reviens. Et tu vas, par exemple, les faire cuire. Tu te poses, tu découpes les activités, tu vas faire un peu de physique, un peu de cognitif, un peu etc. Prioriser, programmer, tout ça. Puis après, tu as l'adaptation de l'environnement, les thérapies type la photobiomodulation, qui est dans mon cas beaucoup, beaucoup, beaucoup. C'est une thérapie par la lumière rouge. La sophrologie, la cohérence cardiaque, pour apaiser, quand le cœur s'accélère, quand les émotions débordent, en fait. Quoi d'autre encore ? C'est déjà pas mal. Et après, c'est, oui, dans l'environnement, avoir adapté son environnement, en fait. C'est-à-dire... Et c'est un peu aussi le pacing, c'est s'économiser avant d'être fatigué. C'est un peu boire avant d'avoir soif, tu vois, et de se dire « Ok, là, je suis pas fatigué, y'a pas besoin que je m'assois, mais en fait, assis-toi, ça te permettra Peut-être de gérer un courrier à 18h ou de faire à manger ce soir.
- Speaker #1
Ouais. Tu sais, moi, par rapport à l'environnement, je suis devenue assez minimaliste. Alors pas comme dans les grandes émissions où ils n'ont plus que cinq choses dans leur chez eux. Mais en fait, je me suis rendu compte que chaque objet pouvait être une charge mentale, en fait. Ou pouvait être une charge. Il faut le déplacer, il faut le nettoyer, lui enlever la poussière, le laver. Voilà. de changer de disposition et en fait j'étais là mais j'ai pas besoin de tout ça parce que ça me rajoute tout le temps de l'énergie à donner à quelque chose et c'est vrai que de reconfigurer son environnement pour des choses qui font sens par rapport à notre maladie, c'est intéressant tu dis que chaque journée est un exercice d'équilibriste et tu ajoutes que mes limites ne me définissent pas mais elles font partie de ma construction, qu'est-ce que tu as appris sur toi justement dans cette tension entre limitation et ressource ?
- Speaker #0
J'ai déjà appris que quand j'atteignais mes limites, et on le sent, ce moment où on se dit « tu tires sur la corde » , il fallait que j'arrête de tirer sur la corde. Ça, ça a été un premier apprentissage. Redéfinir les priorités aussi. Qu'est-ce qui est important, qu'est-ce qui ne l'est pas. Lâcher prise sur plein de choses, en fait. Ça, ça a été un apprentissage. Ça m'a permis aussi de comprendre. Si tu veux, dans l'EM, Ma vision des choses, c'est qu'il y a un terrain. Et un jour, il y a un déclencheur. Un virus. On a des cas aussi d'opérations d'anesthésie. Un choc peut déclencher cet état de feu intérieur. Et il y a ce terrain. Et du coup, tu comprends avec du recul quel était ce terrain-là. Moi, j'ai toujours eu un profil un peu hyperactif, par exemple. J'ai apprécié à peut-être baisser, lever le pied, arrêter d'en faire trop. le temps à la fois. J'ai beaucoup appris et progressé grâce à ça, mais dans l'instant présent. J'ai eu l'occasion de suivre un module de méditation d'autocompassion et de pleine conscience, donc apprendre à être dans l'instant présent, à savourer ces moments que tu vis, et pas être à la fois avec les gens et à la fois dans ton travail et à la fois dans le message que tu vas recevoir et à la fois dans ce qu'il faut faire pour demain. Donc oui, on apprend des choses. La maladie apprend des choses.
- Speaker #1
La question des limites, elle est essentielle. Et en même temps, parfois, elle est hyper confrontante et dure parce qu'on n'a des fois jamais appris à en poser. Tu vois, depuis l'enfance, on n'a pas écouté nos besoins, nos émotions. On nous a dit, il faut aller à l'école parce que c'est comme ça. Il faut faire ses devoirs parce que c'est comme ça. Puis jamais on n'a écouté ce qu'il y avait à l'intérieur de genre, j'en peux plus, c'est trop pour moi. Et des fois, on s'est vraiment construit. Sans jamais écouter, avoir la sensation de j'écoute une limite. Et tout d'un coup, il faut en mettre. Et des fois, on ne sait juste pas comment ça marche.
- Speaker #0
Exactement. En fait, ce que je dis souvent, c'est que la maladie, ni le M, c'est comme un changement de paradigme de sa vie qu'on a dans la vie. Quand tu deviens jeune adulte, quand tu as l'adolescence, la retraite, la parentalité. Mais c'est souvent des changements de paradigme qui ne se mettent pas en place du jour au lendemain. Et la maladie, des fois, elle te tombe dessus. Et du jour au lendemain... t'as fait pendant 30, 40, 50 ans d'une manière, il faut faire à l'inverse de cette manière-là. T'en faisais trop et d'un coup, il faut en faire pas assez. T'étais souvent disponible pour les autres, près des autres, et d'un coup, il faut penser à toi. Il faut écouter ses besoins, alors que toute ta vie, tu ne l'as pas fait. Moi, je sais que dans mon cas, sûrement dans ma construction, mon profil, mon histoire, je me suis mis souvent à subir les situations. Par exemple, au travail, le comportement des autres, à ne pas savoir dire stop. ou là, ça ne me convient pas, ou à mettre en place ce qui est bon pour moi pour éviter de subir ça. Et je pense que ça a participé à cette usure, notamment au travail ou dans certaines relations. Alors, j'ai appris avec le temps à m'entourer des bonnes personnes, des personnes saines qui ne musent pas, en fait. Mais c'était peut-être déjà un peu trop tard. Et oui, effectivement. Et le jour où ça devient urgent de mettre en place toutes ces limites, ces écoutes, ces besoins, tu n'as plus l'énergie en fait. C'est terrible.
- Speaker #1
Oui, parce que ce changement de paradigme, il a l'air très beau comme ça, sur le papier, mais donc tu composes avec des symptômes que tu n'avais jamais eus et qui sont affreux. Tu dois apprendre à te positionner face aux autres, selon quoi tu dois changer d'alimentation, tu dois modifier ton environnement. Il y a toutes ces autres conséquences complètement invisibles, où, waouh, ça demande de la ressource pour le faire. Je veux dire, même pour apprendre à poser ses limites, ça peut demander des années de thérapie pour y arriver. Donc, tout est un travail. Tout devient un travail. On t'a dit des phrases comme « tu as l'air bien aujourd'hui » , on les a tous entendues, « pourquoi tu ne fais pas plus d'efforts ? » ou des choses comme ça. Qu'est-ce que ces phrases révèlent du fossé entre les personnes malades et les personnes valides ?
- Speaker #0
Ce qui est terrible quand on entend ça, c'est « mais en fait, vous ne vous rendez pas compte de ce que je mobilise déjà pour être là ? » Oui, cette réunion de famille où j'arrive 20 minutes en retard tout le temps, mais c'est parce qu'en fait, depuis ce matin, je me bats pour me préparer, pour être là. Oui, OK. Enfin, c'est presque injuste dans le sens où tout ce que je donne, souvent, tout ce que je vous donne, vous n'imaginez pas à quel point c'est déjà le maximum. C'est ça. Et plus que ça devrait être. Et vous, vous me dites, ce n'est pas assez. C'est injuste.
- Speaker #1
On ne fait pas semblant d'être malade, on fait semblant d'être en bonne santé.
- Speaker #0
Exactement.
- Speaker #1
et s'il y a des fossés bon il y a peut-être aussi des ponts À ton avis, qu'est-ce qu'on peut faire ensemble pour se retrouver dans cette humanité, dans laquelle on fait tous partie, malgré les différences de corps, de rythme et de capacité ?
- Speaker #0
De l'éducation, c'est peut-être l'enseignant qui parle. On voit vraiment de plus en plus en ce moment une parole qui se libère, une visibilisation du handicap invisible. Ça peut être une éducation dès le plus jeune âge. par des campagnes, ça peut être aussi tout simplement à un moment donné, en fait, écouter et exprimer ses besoins, parce que le problème aussi, c'est que moi pendant longtemps, je n'ai pas exprimé mes besoins ou quand je le faisais, on ne m'entendait pas en face. En fait, c'est peut-être aussi éduquer à ça, dans un premier temps, et puis reconnaître le handicap invisible. Ce qui est terrible aujourd'hui, c'est qu'en fait, quand tu fais le tour de ce qu'est un handicap invisible ou visible, je crois que la plupart des gens sont concernés. Et donc finalement, cette norme qu'on montre de toujours être bien, souriant, pimpant, énergisant, mais c'est une image. Parce que dans la réalité, si on devait montrer la norme, la norme, c'est le handicap.
- Speaker #1
C'est ça.
- Speaker #0
Dans un monde aujourd'hui où les gens sont usés pour diverses ou d'autres raisons, il y a toujours quelque chose qui se manifeste. Je connais de moins en moins de gens qui sont en pleine santé.
- Speaker #1
Oui, mais parce qu'on est dans un système aussi où on surcompense tout le temps.
- Speaker #0
Exactement.
- Speaker #1
Tout le monde. Tu es venu vers moi avec l'envie de visibiliser des personnes encore plus invisibles que toi. Qu'est-ce que tu portes dans cette démarche et est-ce que tu veux profiter de cet espace qu'on a là tous les deux pour rendre visible une autre voie aujourd'hui ?
- Speaker #0
Oui. Alors qu'est-ce que je porte ? Le juste, l'équitable en fait. C'est-à-dire que moi j'ai la chance d'avoir pu prendre le train pour te rejoindre. J'ai la chance de me tenir là devant toi. J'ai la chance de pouvoir cognitivement mener une interview d'une heure, mais c'est une chance, parce qu'en fait, dans le spectre de l'EM, il y a les cas légers, modérés, qui sont vivables, et puis après on passe vers les sévères, voire les très sévères. Et les très sévères, c'est des gens qui échanger un message, c'est déjà trop, parler, c'est déjà trop, à peine manger, parce que souvent il y a des terrains allergiques très forts, à peine aller aux toilettes. Donc qu'est-ce que tu veux les avoir devant toi ? Et en fait, c'est important de visibiliser ça. Pas que, je pense que le juste, il est de tout représenter. Mais c'est important de dire, mais regardez, cette maladie, elle peut provoquer ça. Et comme aujourd'hui, on ne sait pas très bien, il y a aussi... Alors, comme je vais de mesure mieux depuis des semaines, je me rassure, mais au début, j'étais, mais ça se trouve, je vais finir par tomber là-dedans. Ou un événement de la vie ne va faire que, je vais rattraper le Covid, je vais rattraper un virus, je vais avoir un incident qui va me faire tomber dans cette forme très sévère et dans laquelle... Quand tu n'es plus capable, ne serait-ce que d'aller aux toilettes, qu'est-ce que tu vas mettre en place ? Des thérapies ? Des traitements qui vont te faire avoir des réactions ? C'est une sorte d'enfer. Et aujourd'hui, il y a des gens qui meurent. Il y a eu des reportages récemment sur Arte. L'Allemagne est assez en avance, que ce soit dans la recherche ou la visibilisation. On voit des gens qui sont dans des états terribles et qui finissent par mourir ou vouloir mourir. Vraiment, on entend ça. On voit ça. Et pourtant, c'est des gens qui n'ont qu'une envie, c'est d'avoir un traitement et de retourner dans leur vie d'avant, qui parfois, souvent, c'était des gens qui avaient tendance à donner beaucoup aux autres, vraiment. En tout cas, dans les profils qu'on entend, il y a peut-être des biais, mais... Donc, pour moi, c'est important d'amener avec moi cette visibilisation, et si c'est possible, voilà, j'aimerais pouvoir partager un peu les mots d'Aurine, qui est une des adhérentes de l'association dans laquelle je suis, avec laquelle on est rentré en contact, qui nous demandait, voilà, s'il y avait possibilité de... de l'aider. Je lui ai proposé, avec un texte à trous, de compléter certaines informations pour porter sa parole, porter sa voix. Et si tu me le permets, j'aimerais pouvoir porter ces mots.
- Speaker #1
Carrément. Ça me donne déjà envie de pleurer, mais ouais, carrément.
- Speaker #0
Faut que j'aille chercher mon téléphone.
- Speaker #1
Yes.
- Speaker #0
Je vais me permettre de partager le témoignage de Dorine avec...
- Speaker #1
Pardon. Yes.
- Speaker #0
Je partageais avec vous le témoignage de Dorine, donc au moment de la procédé, je lui ai fait un texte à tout coup, où je lui ai laissé la place de donner des informations, parce qu'en fait, elle n'a tout simplement, aujourd'hui, pas les capacités, l'énergie, pour ne serait-ce qu'écrire un témoignage. Et je l'avais tourné de telle sorte que je reportais sa parole. Donc Dorine, qui a 38 ans, elle est atteinte d'une forme très sévère de l'EM, et elle en souffre depuis bientôt 10 ans. Donc au début, dans un état léger, puis modéré, elle s'est... dégradée au stade le plus sévère. Elle ne peut pas être ici, elle ne peut pas témoigner avec nous, car son état de santé ne lui permet pas trop de stimuli sensoriels comme la lumière, le son, les interactions sociales et même simplement parler représentent pour elle un effort cognitif et physique impossible à surmonter. Elle vit exclusivement alitée depuis presque deux ans dans une chambre tamisée et silencieuse dépendant d'une aide humaine pour tous les gestes du quotidien, la toilette, manger, l'habillage. Elle ne se lève que pour faire ses besoins, sur une chaise percée et avec l'aide d'un tiers. Elle ne peut même plus être déplacée en fauteuil roulant sous peine d'aggravation, ni se rendre aux rendez-vous médicaux. Chaque mouvement, chaque parole, chaque stimulation, même un simple contact physique est devenu trop coûteux, tant l'énergie vitale aujourd'hui est réduite. Son quotidien est invisible, elle n'existe plus dans l'espace commun, est marquée par des douleurs, des troubles digestifs, des possibilités de s'alimenter très limitées. Elle est hypersensible aux odeurs, aux réactions allergiques permanentes, elle a des réactions allergiques permanentes, des troubles du sommeil, elle est totalement isolée. Et pourtant, avant l'EM, et surtout avant l'aggravation en 2022 suite à un COVID, elle a réveillé d'autres pathologies, ce COVID, et aggravé l'EM. Elle était éducatrice spécialisée en protection de l'enfance, un métier de passion dans lequel elle s'investissait, elle se nourrissait de relations humaines, de moments avec ses amis, de voyages, il y avait des projets. Elle était dynamique, elle adorait danser, recevoir, cuisiner, jardiner, et elle avait des qualités précieuses, comme la générosité, l'amour et la persévérance, qu'on retrouve même aujourd'hui, la parenthèse, encore dans le peu qu'elle donne, cette miette d'énergie qu'elle peut encore transmettre, on retrouve ces qualités-là. Donc même, voilà, si elle est dans le silence, elle aimerait nous faire passer ce message, je cite, « Cette maladie vous vole tout, votre vie professionnelle, sociale, sentimentale, votre autonomie, même la plus insigniforme parfois, tout ce qui faisait de vous la personne que vous étiez, votre identité. » Il faut faire le deuil de ce que nous étions, de nos rêves. Chaque instant devient de la survie. Il faut imaginer que chaque action, même intellectuelle, aussi infime soit-elle, normalement automatique ou inconsciente, pour certains devient un effort surhumain pour nous, les malades très sévères de l'MSFC. Nous vivons dans l'espoir de traitements futurs et de réelles prises en charge pour tenir, car chaque jour est un combat et parfois de la torture. Voilà, c'est bon.
- Speaker #1
On est vraiment... Très en lien avec elle et ça met face à une telle impuissance. Mais une telle impuissance et de la colère, en fait.
- Speaker #0
Et une maltraitance d'un système où tu te dis, mais jamais on laisserait... Et c'est pas Dorine, c'est des centaines de personnes dans des états très sévères. Bien sûr. J'ai pu découvrir des gens qui étaient, par exemple, au sein de l'association depuis un an ou deux, que j'avais eu l'occasion de voir dans des reportages il y a quelques années. les découvrir au passage d'une visio, venir deux minutes dans le noir, dire coucou à des anciens amis et repartir, mais on est là. C'est une maltraitance du système.
- Speaker #1
T'avais une photo d'elle, non ? Avant, après ?
- Speaker #0
Je vais vous montrer effectivement comment elle était avant. Quelqu'un vraiment dynamique. Enfin, c'est une jeune femme pleine de vie. Et après... Je remets un petit peu de réseau. Et après, c'est... Impressionnant.
- Speaker #1
Ok. Ouais.
- Speaker #0
Voilà.
- Speaker #1
Tu m'as dit justement qu'on était la bourgeoisie des malades.
- Speaker #0
Je t'ai dit ça un jour, c'est vrai.
- Speaker #1
J'ai beaucoup aimé cette expression. Pas qu'on soit riche, mais on a la chance de pouvoir parler, de pouvoir militer, de pouvoir témoigner. Ce qui n'est pas le cas de Dorine et d'autres personnes. Et qu'est-ce qu'on fait de ce privilège de la parole selon toi ? Ça nous engage à quelque chose ou pas ? Je te pose la question parce qu'évidemment... Moi, je me sens totalement engagée là-dedans. Mais qu'est-ce que ça vient résonner chez toi, ça ?
- Speaker #0
Je dirais qu'il ne faut pas que ça le soit. C'est-à-dire que la maladie est déjà quelque chose de suffisamment lourd à porter pour ne pas avoir apporté le poids et le fardeau de devoir en faire quelque chose. Mais un jour, après ce diagnostic, après avoir passé le mois d'ouragan de diagnostic, voilà, ça a été compliqué le premier mois, je me suis dit, qu'est-ce que je fais de tout ça ? Qu'est-ce que je fais de ça ? Et mon profil, mon caractère a fait qu'il a fallu que je donne du sens à ça. Et de là est venue la reconversion professionnelle, l'implication associative et citoyenne, et prendre soin de moi. Et tout ça faisant du sens, parce que quand tu investis un peu d'énergie pour l'un, tu le retrouves pour les autres. Donc j'ai décidé d'en faire un combat, de comprendre, de rechercher. d'accompagner, que ce soit enfin reconnu, enfin entendu, qu'on mette en place des centres d'expertise, des diagnostics réels, des premières lignes de traitement. Je sais bien qu'on n'aura pas un traitement, une molécule miracle demain, mais déjà qu'on soulage les gens, qu'on les écoute, qu'on les diagnostique, qu'on les soulage. Pour moi, c'était important de donner du sens à cette maladie-là. Mais il ne faut pas que ce soit une obligation, parce que ce n'est pas simple. C'est une activité.
- Speaker #1
Tu termines le texte que tu m'avais envoyé en disant « Un maillon invisible n'est pas une pièce défectueuse, mais une partie essentielle du tout. » Comment tu vois ta place dans le monde aujourd'hui ? Et qu'est-ce que tu aimerais qu'on comprenne profondément de l'invisible ?
- Speaker #0
Je me vois aujourd'hui comme... Ce maillon qui va participer à la visibilisation et à la considération du handicap invisible dans la société, c'est vraiment en tout cas un objectif. Et ce qu'il faut qu'on comprenne, c'est que le handicap invisible, quel qu'il soit, touche tout le monde ou touchera un jour tout le monde, notamment au moment de la fin de vie. On finit tous par passer, à un moment donné, par la question du handicap.
- Speaker #1
Et nos corps sont impermanents.
- Speaker #0
Exactement. Et que finalement, répondre aux besoins du handicap visible ou invisible à l'instant T, c'est répondre aux besoins de tout le monde à un moment donné de sa vie. Et par exemple, tu vois, dans le pacing, il y a faire la sieste, faire un repos. Si demain, dans le monde du travail, on donnait des espaces réels pour que les gens puissent se reposer, pour être... En plus, c'est fou, parce que se reposer, faire une pause, c'est être plus efficace derrière. On le sait aujourd'hui, physiquement, cognitivement, qu'on ne peut pas être hyperactif pendant 4 heures, ce n'est pas possible. Mais il y a encore une fois cette norme, cette image. Ou aller faire une sieste, ça va être mal vu. Alors qu'en fait, si on mettait ça en place pour que les gens avec des maladies puissent se reposer et être actifs, on répondrait aux besoins de tout le monde. Donc,
- Speaker #1
voilà ma réponse. Et quel super pouvoir la maladie invisible t'a amené ?
- Speaker #0
C'est une bonne question. Je dirais plus de qualité des relations humaines, l'ouverture au monde finalement, mais au monde humain. Parce que l'ouverture au monde, tu peux l'avoir par ailleurs, mais tu peux se dire, mais sois indulgent. Quand quelqu'un peut paraître grognon, sois indulgent envers les gens en fait. Et écoute-les, cherche à comprendre pourquoi les gens sont comme ça.
- Speaker #1
Merci Pietro.
- Speaker #0
Merci beaucoup à toi.
- Speaker #1
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