- Speaker #0
Les sages, c'est avant tout une histoire personnelle. Je m'appelle Nicolas Jeanne et j'entreprends depuis que j'ai 19 ans. Sur ce chemin, j'ai eu la chance de rencontrer des personnes que j'appelle les sages. Vous savez, ce sont ceux qui, d'un conseil bienveillant, peuvent changer votre journée, votre projet, votre vie. Souvent des personnes avec qui il y a un avant et un après. A mes yeux, ce sont des leaders authentiques mais surtout des leaders humanistes. Ça, c'est important pour moi. Ceux qui vont vous faire grandir sans s'en rendre compte. Plus que n'importe quel livre ou cours, des témoignages qui viennent du cœur et de la réalité. Et surtout du cœur. Aujourd'hui, je vous propose de partir à leur rencontre, dans un format inédit, et négocier avec eux. Un format où l'on se dira tout, naturellement, et aucune question ou anecdote sera interdite. Ça, vous avez ma parole. Un format axé sur leur activité, bien sûr, mais qui, évidemment, dérivera vers la vie, la société et les émotions. Mon but, c'est clairement de mettre en valeur l'aspect humain de ces personnalités qui me paraissent exceptionnelles, et de casser la carapace. Casser la carapace, vous le sentez, c'est pas un mot par hasard. Pourquoi ? Parce que je pense que ça va vous permettre d'apprendre sur les... les plus grands leaders et leaderes qui ont bâti et bâtissent la société. La France est une terre bourrée de talents et de leaders, et nous allons en leur en compte. Bon voyage avec les sages. Clara Guémard pourrait nous faire rougir. Elle a commencé sa carrière dans le cabinet du maire de Paris, Jacques Chirac, puis est devenue présidente de France de General Electric et du Women's Forum. Aujourd'hui, elle est membre du conseil d'administration de LVMH, de Bouygues, et auparavant de celui de Danone et Veolia, et elle a créé avec Gonzague de Blinière un fonds d'investissement engagé. d'un nouveau genre, nommé Reiz, qui détient 2 milliards d'euros sous gestion. Elle a aussi 9 enfants. On ne dirait pas comme ça, mais Clara Guémard dort parfois. Pourtant, en la rencontrant, comme Clara aime le rappeler, elle est normale. Au fur et à mesure de ma conversation, j'en ai compris. Elle a juste suivi ses désirs, et derrière le palmarès sur papier glacé, se cachent aussi des échecs et des déceptions. Clara est une rêveuse, une littéraire et créative qui a eu mille vies, et aujourd'hui essaie de renvoyer l'ascenseur et de casser les codes avec Reiz. Allez, on y va avec Clara. Bonjour Clara, et merci d'avoir accepté notre invitation à l'essage. Comment tu vas ?
- Speaker #1
Je vais bien. J'ai bien, c'est le jour de la rentrée, il pleut, donc c'est bien. Mais moi j'aime bien la pluie, je suis venue à vélo, bien couverte.
- Speaker #0
Donc la pluie,
- Speaker #1
on sent que c'est bienfaisant pour la nature. Puis au moins, on ne regrette pas de ne pas être dehors.
- Speaker #0
C'est vrai, c'est vrai que là on est content, on est au chaud du coup. Merci de nous accueillir dans les locaux de RAISE. Pour commencer, est-ce que je peux te demander de te présenter en quelques phrases ?
- Speaker #1
Alors, l'état civil, on va commencer. Je m'appelle Clara Guémard, j'ai 64 ans déjà. Je suis mariée, j'ai neuf enfants, je suis grand-mère de six petits-enfants. Mais je crois que j'ai gardé mon âme d'enfant. Et sinon, socialement, si je puis dire, je co-dirige RAISE. Et RAISE, c'est avec Gonzague Dubinière, on a voulu être les pionniers de la finance engagée, avec l'idée que le partage de la réussite était l'élément clé, que si on pouvait aider des entrepreneurs engagés et des associations engagées à changer le monde, on aurait mis notre petite pierre à l'édifice.
- Speaker #0
Super intéressant, on y reviendra. Et comme je t'ai dit en amont, moi, j'ai découvert Raze il y a à peu près dix ans. Et à l'époque, c'était un peu le début, je trouve, de l'impact dans le monde. On parlait beaucoup d'impact, etc. Et je trouvais, on en parlera après du modèle de Raze, mais assez hallucinant dans un monde un peu figé, où on parlait beaucoup de finances, etc. De rajouter, je crois qu'à l'époque, c'était 50% de la plus-value.
- Speaker #1
Mais c'est toujours le cas, on donne toujours 50% de la plus-value.
- Speaker #0
Ok. Écoute, je vais déjà remonter sur ce que tu disais. Ça m'intéresse. Tu disais que tu avais gardé ton âme d'enfant.
- Speaker #1
Oui, je crois que... Moi, j'ai une vision de la vie assez simple. On dit souvent qu'on est nu et qu'on meurt nu, mais je pense que tous les matins, on se lève et on est nu face à la vie qui vient. Et qu'il faut essayer de se dépouiller de tout ce qui, soi-disant, nous définit, mais qui ne nous appartient pas. Tu vois, je t'ai dit que j'étais... que j'étais mère, grand-mère, dirigeante. Mais en réalité, tout ça n'existe que parce que je suis moi. Ce qui est important, c'est que si tu me transposes au fin fond de l'Afrique ou au milieu de Tokyo, comme je l'ai fait quand j'étais en Italie où j'ai marché pendant un mois jusqu'à Rome, où les gens ne te connaissent pas, tu es une totale inconnue, personne ne te regarde. personne ne te parle parce que tu fais quasiment partie des meubles et du paysage et pourtant tu es pleinement toi. Ce que j'essaye d'avoir comme attitude dans la vie, c'est tous les matins me dire que la vie est neuve et que chaque moment, tu le crées. Par exemple, cette conversation que nous avons, c'est parce que tu as pris l'initiative de me contacter, c'est parce que j'ai dit oui. Et ni toi ni moi, on ne sait ce qui va se dire dans les minutes qui viennent. Ça va s'inventer dans le dialogue qu'on va créer. Et la vie est en permanence comme ça, c'est qu'elle se crée à chaque instant. Elle n'est pas figée, on n'est pas dans des boîtes à chaussures. Et donc c'est là où c'est un peu l'âme d'enfant, c'est-à-dire que c'est l'instant présent qui compte, c'est le jeu que tu vas faire, un jeu en dialogue tous les deux. Oui, la vie est un jeu, mais ça peut être un jeu sérieux. C'est-à-dire qu'il doit embarquer tout toi-même, à la fois ton corps, ta pensée, ton cœur, tes émotions, comme un enfant quand il joue seul ou avec les autres. C'est un peu ça que je veux dire quand j'ai gardé mon âme d'enfant. C'est que je ne sais pas de quoi demain ça fait et je n'en ai pas peur.
- Speaker #0
Et est-ce que ça veut dire, parce que quand tu parles de boîte à chaussures, justement, ça m'a fait penser, est-ce que des fois on se met dans des cases et ça nous met une pression ? finalement ?
- Speaker #1
Je crois que on construit nos prisons et que la liberté, ça s'invente. Que dès qu'on est dans la construction, et il faut de la construction, c'est important d'être architecte de sa vie, des choses qu'on bâtit. Si on les fait en pensant que c'est notre intelligence qui va arriver à la construire, c'est quelque chose de petit. Si on le fait en se disant que c'est la vie, c'est la vie. qui va nous entraîner et qui va nous guider et qui va nous emmener pour le construire, là, on peut être embarqué dans quelque chose de grand.
- Speaker #0
Merci pour cette belle entrée en matière. Si on revient un peu à ton enfance, est-ce que tu peux nous en parler un petit peu ? Dans quelle ambiance, dans quel milieu social tu as grandi ?
- Speaker #1
Moi, j'ai eu une chance extraordinaire qui est irremplaçable. Ça n'a rien à voir avec le milieu social ou quoi que ce soit. C'est que j'ai été aimée enfant. Je pense que tous les gens qui ont été aimés enfants, même pas forcément parfaitement, parce qu'on n'est jamais aimé parfaitement ou comme on voudrait être aimé, doivent se dire que c'est une chance exceptionnelle d'avoir reçu de l'amour enfant. Moi, j'avais des parents qui s'entendaient bien. J'étais dans une famille de cinq enfants. J'ai eu la chance aussi d'avoir une mère danoise qui nous a beaucoup donné de cette simplicité de la culture danoise, de savoir être heureux. Les Danois, c'est le peuple le plus heureux au monde, mais c'est aussi tout simplement parce que les Danois s'enchantent des choses simples et des choses ordinaires. Il y a le mot hug et hugeli On dit souvent c'est hugeli C'est ces moments qui sont juste joyeux parce qu'ils sont là et qu'on partage. forme de convivialité. Ça peut d'ailleurs être des moments où on est seul, mais qu'on est bien avec soi-même. Mais ça peut être tout simplement être sous sa couette en train de regarder un film avec une amie ou une personne qu'on aime. Ça peut être être au coin du feu, sur la plage. Ce ne sont pas des choses exceptionnelles, mais ce sont des choses qui font prendre conscience du bonheur. Et ça, c'est... cette chance-là d'être née dans une famille qui a su à la fois cultiver le bonheur simple et en même temps s'engager et croire être debout quand il fallait être debout, c'est une chance exceptionnelle.
- Speaker #0
Je comprends. Et avant de commencer l'épisode, on a parlé de santé mentale pour nos éditeurs. Et c'est vrai que je le comprends encore plus parce que quand tu vois... côtoient malheureusement la maladie ou des troubles psychiques. Après, tu te rends compte de la simplicité, du bonheur de choses assez simples pour lesquelles tu ne t'émerveillais pas avant. Donc, je comprends tout à fait.
- Speaker #1
Mon père disait toujours, mon père était généticien, il disait toujours que la différence entre l'homme et l'animal, c'était la capacité d'émerveillement.
- Speaker #0
Ok, parce que l'animal, entre guillemets, peut se contenter...
- Speaker #1
Je ne sais pas si la science aujourd'hui contredirait ce qu'il dirait, mais il disait qu'on n'a jamais vu un singe contempler un coucher de soleil. En tout cas, nous, nous savons contempler un coucher de soleil, un tableau qu'on aime, et c'est cette émotion-là qui nous rend humains, cette capacité d'émerveillement.
- Speaker #0
Et du coup, tu me parles de ton papa, tu me fais une superbe transition. C'était, je crois, le professeur Lejeune, il était connu pour avoir notamment découvert la trésorerie 2021. Oui. Je sais que dans ton histoire, j'imagine que tu étais fier de ton papa, mais aussi potentiellement que ça a... posé quelques problèmes, car il s'est engagé politiquement, c'est ça ? Non,
- Speaker #1
il ne s'est pas engagé politiquement. Mon père était médecin et il avait signé le serment d'Hippocrate. Et donc, il était contre l'avortement. Et il s'est battu pour défendre la vie de ces petits malades, puisque lui, il a découvert la trisomie 21. et les malades qu'il soignait qui étaient des trisomies, qu'il était persuadé qu'un jour on arriverait à les guérir. Et lui, il voulait qu'on consacre l'essentiel de la science à trouver comment les guérir. C'était ça son combat. Et il disait, j'aime le malade et il faut haïr la maladie. Et c'était cette philosophie-là qu'il voulait défendre et qu'il a fait toute sa vie. Moi, je n'avais pas conscience d'avoir un père... exceptionnel, j'avais un père aimant, un père qui nous aidait à réfléchir, mais qui n'a jamais cherché à nous influencer. L'anecdote que je raconte souvent, c'est qu'un jour, ma soeur aînée avait trois ans plus que moi, enfin une de mes soeurs avait trois ans plus que moi, et elle revient à la maison et elle dit qu'elle trouvait Robespierre formidable, parce qu'elle avait appris la Révolution française. Elle trouvait que Robespierre était quelqu'un d'exceptionnel. Mon père lui dit, dis-moi, explique. Et il lui a simplement dit, je n'ai pas forcément la même opinion que toi, mais je suis content que tu en aies une. Et puis 15 jours après, elle est revenue, il y avait eu la terreur et tout ça, donc elle avait mis un peu plus de nuances de son propos. Et je me souviens aussi que quand j'avais 17 ans, que j'avais passé mon bac, je ne savais pas du tout ce que je voulais faire après. Et mon père m'a dit, mais moi je sais, je lui posais la question en disant, mais qu'est-ce que tu penses que je pourrais faire ? Il me dit, moi j'ai ma petite idée, mais je ne te la dirai pas. Et je lui ai dit, mais tu peux me le dire, de toute façon, je ferai ce que je voudrais. Il m'a dit, non, non, je ne veux pas t'influencer. Et quelques années plus tard, quand je suis sortie de l'ENA, je lui ai dit, maintenant, tu pourrais me dire ce que tu aurais pensé que j'aurais pu faire. Il m'a dit, tu aurais fait un très bon médecin. Il n'a jamais voulu me le dire pour ne pas m'influencer.
- Speaker #0
Pour te laisser ta liberté.
- Speaker #1
Liberté totale.
- Speaker #0
OK, c'est intéressant. Et donc, du coup, la jeune Clara, est-ce qu'elle avait aussi des passions ? Est-ce que tu étais scolaire ?
- Speaker #1
Non, je n'étais pas scolaire, je n'étais pas d'ailleurs une très bonne élève. Essentiellement parce que j'étais très rêveuse et que j'avais du mal à me concentrer pendant les cours. Il fallait que j'avais besoin de dessiner, de bouger, d'écrire. Je suis toujours pareil en fait. J'ai toujours besoin d'avoir une autre activité en parallèle pour pouvoir me concentrer. Et évidemment, l'école n'est pas du tout faite pour les enfants comme ça. J'ai eu plusieurs enfants comme ça et ça a été... compliqué pour eux, même si maintenant ils réussissent très bien dans la vie. Je pense que ça c'est aussi un élément dans la santé mentale dont il faut prendre en compte pour les enfants. Il y a des enfants qui ont besoin de bouger, de marcher ou de faire autre chose pour écouter. Et ça, l'école a beaucoup de mal avec les enfants qui ne restent pas immobiles et sages, assis à leur table de travail, mais c'est une parenthèse. Je n'étais pas forcément très bonne élève, mais j'aimais apprendre, j'ai toujours aimé apprendre, j'ai toujours été curieuse, j'ai aimé lire. Et mon père voyageait beaucoup et je me disais, moi, c'est cette vie-là que je veux. Je veux aller respirer le monde.
- Speaker #0
Ok. Soif d'affrontes, tu lisais, tu avais des typologies de lecture ? Moi,
- Speaker #1
j'ai beaucoup lu de littérature étrangère. Les Pearl Buck, tout ce qui se passait en Asie, aux États-Unis, pour découvrir le monde en Afrique. J'ai beaucoup lu à partir de 13 ans où maman ne me disait plus qu'il fallait que j'aille jouer dehors. et que je pouvais rester dans ma chambre à lire, je me suis mise à dévorer beaucoup de littérature étrangère. Américaine, chinoise, vietnamienne, les contes. J'ai beaucoup aimé ça.
- Speaker #0
Donc, hyper ouverte sur le monde. Et donc, après le bac, tu rentres à Sciences Po.
- Speaker #1
Je suis rentrée tout de suite à Sciences Po parce que je ne savais pas du tout ce que je voulais faire, mais j'aimais l'histoire. Donc, j'ai commencé par... Faire une fac d'histoire. Et puis surtout, comme je n'étais pas particulièrement bonne élève, j'avais eu un bac à l'époque C, qui est l'équivalent de S, avec une pénible mention assez bien. J'avais passé l'oral même, parce qu'à l'époque, il fallait avoir 12 de moyenne pour avoir le bac du premier coup. Je ne pensais pas du tout être faite pour les études supérieures. Donc, je me disais, allez, je vais faire un peu d'histoire. Et j'avais une prof en première terminale qui s'appelait Madame Fort. qui était une petite bonne femme très laide et très belle en même temps. C'est-à-dire qu'elle avait cette joie et la passion de nous enseigner. Et elle nous disait, l'histoire, ça s'invente. Et j'étais allée la voir simplement pour la remercier des deux années où elle nous avait fait de l'histoire géo pour des classes scientifiques. Donc, tu imagines l'attention qu'on portait à l'histoire géo. Mais elle nous mettait toujours des notes mirambolantes. et elle nous racontait l'histoire comme si on y était. On a l'impression que c'était l'histoire racontée en trois dimensions. Et on en a l'air à voir, elle m'a dit, mais Clara, pourquoi vous ne faites pas Sciences Po ? Et je ne savais pas ce que c'était Sciences Po. Et quand j'ai vu le programme de révision, je me suis dit, ça me plaît. Donc, je suis restée tout l'été à Paris avec mon père qui restait à Paris. On a été tous les deux. J'ai révisé sur les cahiers de première et de terminale de Madame Faure. Et à ma grande surprise, j'ai été reçue avec 16 de moyenne. Donc, ça a été un déclic. Et Sciences Po, ça m'a plu parce que je pouvais continuer à apprendre. Merci.
- Speaker #0
Et quand je t'écoute, j'ai l'impression que quand tu étais plus jeune, tu étais plutôt littéraire, plutôt créative. Pourquoi tu as choisi un bac scientifique, un bac C ?
- Speaker #1
À l'époque, c'était les élèves qui étaient moins mauvais, on les mettait en bac C. Et je ne peux même pas te dire pourquoi. Parce qu'à l'époque, on ne réfléchissait pas tellement à l'avenir. On était beaucoup plus inconscients. Je ne peux même pas te dire pourquoi. Ce que je sais, c'est que j'avais un professeur de physique chimie qui était un boat people, un homme qui avait fui le Cambodge. Et il avait un cours qui était le vendredi de 4 à 6 heures du soir. Je ne sais pas si tu imagines. Il avait un cours de physique chimie, des élèves, le vendredi de 4 à 6 heures. Et comme on était assez dissipés, il a... nous avait dit, écoutez, si vous êtes sages, je vous raconterai, les derniers quarts d'heure, je vous raconterai des contes de chez moi. Et il arrivait rien qu'avec ça, avec la promesse de nous raconter ses contes, de tenir la classe sage, studieuse, jusqu'à 6h45, les derniers quarts d'heure, il nous racontait les contes et légendes de son pays.
- Speaker #0
C'est passionnant. Et donc, tu arrives à Sciences Po, et donc là, c'est passionnant.
- Speaker #1
Science Po, c'est une révélation parce que Science Po, ça explique le monde. L'enseignement t'explique, tu fais du droit constitutionnel, tu comprends comment fonctionnent les institutions, tu fais évidemment de la culture générale, tu fais du droit, donc tu comprends comment fonctionne la loi, en fait, comment tout fonctionne. J'adorais lire à l'époque un magazine qui a disparu qui s'appelait Le spectacle du monde. Et... que mes parents recevaient. Et ce que je trouvais intéressant dans le spectacle du monde, c'est qu'il avait des articles qui expliquaient la longue histoire derrière un événement contemporain. Alors évidemment, à l'époque, je n'avais pas du tout conscience des idées politiques du spectacle du monde, quand j'étais adolescente, entre 14 et 16 ans. Mais c'était cette idée de comprendre les fondamentaux. de l'écume de ce qui est en train de se passer aujourd'hui.
- Speaker #0
Ok. Ça me fait penser aussi, quand tu parles de découvrir le monde, moi, quand j'étais en terminale, justement, avant, j'étais peu scolaire aussi, et du coup, j'ai eu une professeure, Madame Bagot, qui m'a enseigné la sociologie. Et avec la sociologie, j'ai eu l'impression de découvrir le monde, et de le comprendre. Donc, je comprends. Et donc, après Sciences Po, du coup, tu tentes, Léna. C'est l'heure de remercier notre partenaire Oslo. sans qui ce podcast ne serait pas possible malheureusement. Oslo, c'est un cabinet d'avocats à taille humaine dirigé par Edouard Wells et Marion Fabre, que je connais personnellement depuis plus de 10 ans. Il est composé d'une équipe, l'idée par Edouard et Marion, qui est issue de cabinets d'affaires de premier plan. Mais surtout, au-delà de la qualité de leurs prestations juridiques, ce que j'aime chez Oslo, c'est leur engagement pour un droit un peu différent. Sur leur description, ils mettent Nous accordons une importance particulière aux qualités humaines et relationnelles, tout particulièrement au respect, à la simplicité, à l'humilité et à l'élégance. Ça pourrait paraître bullshit comme ça, mais pour bien les connaître, tu peux vous assurer que ça se ressent vraiment. Et pour preuve, ils ont accepté de sponsoriser ce podcast dès sa création. Ils offrent une heure de conseils juridiques avec le code LESSAGE et je mettrai leurs coordonnées dans la description du podcast. Allez, on y retourne.
- Speaker #1
Alors ça ne s'est pas passé tout à fait comme ça. Pour moi, l'ENA, c'était fait pour les génies, donc ça m'était totalement inaccessible. Encore que je me souviens de marcher dans la rue à 19 ans en me disant ce serait bien que tu tentes l'ENA et puis je me disais mais non c'est pas pour toi, mais quand même. Il y avait une boule d'énergie en moi qui me disait, mais pourquoi pas ? Et j'ai passé le concours, c'est ma sœur qui m'a inscrite, au concours d'attaché d'administration de la ville de Paris, parce qu'elle y travaillait. Elle m'a dit, tu devrais tenter ce concours. Et je me souviens que j'ai failli pas y aller parce que j'avais 39 de fièvre. Et je me suis dit, comme c'est ma sœur qui m'a inscrite, j'y vais. Et j'y suis allée et je suis sortie major du concours de la ville de Paris. Et du coup, j'ai travaillé au cabinet du maire de Paris. J'ai tout de suite été prise, puisque j'avais le choix, au cabinet du maire de Paris, qui à l'époque était Jacques Chirac. Et son directeur du cabinet s'appelait Bernard Billot. Et Bernard Billot m'a dit, Clara, il faut que vous passiez l'ENA parce que là, pour l'instant, vous faites des choses intéressantes, mais avec le temps, vous aurez toujours des ENAR qui vous passeront devant parce que vous êtes attachée d'administration et c'est comme ça que marche l'administration, c'est par concours. Donc, OK. Et au mois de juillet, le 1er juillet, je m'en souviendrai toute ma vie. Il me convoque dans son bureau et il me tend une lettre signée par Jacques Chirac qui me donne deux mois de congé payé pour réviser l'ENA. Et il me dit je ne veux plus vous voir avant le concours Et donc je suis rentrée chez moi et il y avait un homme qui avait cru en moi et qui avait fait signer cette lettre à Jacques Chirac, qui était maire de Paris. Là, j'étais obligée de réussir et c'est comme ça que j'ai eu les larmes. C'est grâce à cette confiance que d'autres m'ont donnée en moi. C'est un message important parce que quand on se regarde soi-même, on ne voit pas son propre potentiel. On voit ce qu'on est à un moment T et on peut douter. C'est très important de faire confiance quand les gens vous disent tu as telle qualité, tu as ceci, mais tu peux faire ceci de les écouter et se dire ok, j'abandonne mes propres peurs mais je me lance et puis de toute façon, l'important, c'est d'essayer. C'est une manière aussi de débrancher de son propre égo, mais juste de faire confiance à la vie, aux autres et au regard que les autres ont sur vous qui, eux, vous font parfois beaucoup plus confiance que vous-même, vous vous faites confiance.
- Speaker #0
Tout à fait, ça me rappelle dans la première saison, j'ai reçu une invitée qui disait qu'elle dissout l'angoisse par l'action.
- Speaker #1
Oui, ça, c'est une autre chose, de dissoudre l'angoisse par l'action. C'est une manière de tuer le vide. On a l'impression qu'on a un vide en soi, donc on va le faire par l'action. C'est un piège, moi, je trouve. Pour moi, c'est un piège.
- Speaker #0
Tu évites les choses qu'il faut.
- Speaker #1
C'est-à-dire que tu peux justement arriver au burn-out. C'est-à-dire que tu remplis ta vie par l'action. Alors, c'est très bien d'une certaine manière parce que tu accomplis des choses. Mais moi, j'ai toujours été prudente face à ça. Parce que... Tu peux être tenté justement de te dire j'agis, j'agis, donc je suis. Mais non, il faut d'abord être avant d'agir.
- Speaker #0
Tout à fait, c'est le bon ordre. Et donc, en fait, c'est ton premier, pour être sûr de comprendre, ta première expérience professionnelle.
- Speaker #1
Ma première expérience professionnelle, alors oui, ça a été de travailler, j'avais 22 ans et je suis rentrée à la ville de Paris, donc au cabinet du maire et après je suis allée aux relations internationales. Je suis partie parce que j'avais été admise à l'ENA et mon premier stage a été un stage court en Grèce. Ça, c'était assez formidable, sauf que j'avais un directeur de stage paix à son âme qui faisait partie de ce qu'on appelle les harceleurs. Et à l'époque, ça ne se dénonçait pas. Et je me souviens très bien de la visite du directeur de stage qui m'a dit Votre stage est difficile, mais pour des raisons différentes des autres. Mais ce n'est pas pour ça qu'il m'a... ni protégé, ni sorti de là.
- Speaker #0
Il montrait une certaine empathie, mais pour autant, il ne s'est pas engagé. Oui,
- Speaker #1
c'était en 1984. Et à l'époque, c'était évident. Alors, c'était un harceleur, j'allais dire non actif. Mais pour donner un exemple, on devait aller voir, à l'époque, Aluminium de Grèce, qui était à Delphes. Donc, il fallait y aller en voiture. et dormir sur place. Et quand on est arrivés à l'hôtel, il n'avait réservé qu'une seule chambre. Et donc, je suis allée au comptoir, j'étais à côté de lui au comptoir, et je dis, mais il y a une erreur, il y avait deux chambres réservées. Et là, il n'a rien osé dire, mais il fallait quand même une certaine forme de courage et de présence d'esprit pour dire, je veux une deuxième chambre, quand vous avez votre propre patron qui vous met... sans vous avoir consulté dans cette situation-là.
- Speaker #0
Tu avais quel âge à cette époque ?
- Speaker #1
J'avais 24 ans.
- Speaker #0
Du coup, tu as osé...
- Speaker #1
Et le premier soir, quand je suis arrivée en Grèce, il m'a invitée à dîner. Et il m'a invitée à dîner dans un espèce de resto où il y avait des danseuses, le truc totalement inapproprié. Et il m'a dit, c'est quand même de l'humour de... de l'ENA de m'envoyer une jeune femme. On était très peu de femmes à l'époque. On était... On était, je ne sais pas, 18 femmes sur une promotion de 160. Enfin, on était très peu de femmes.
- Speaker #0
Ah oui, 10% quoi.
- Speaker #1
À peine 10%, 8% je crois qu'on était. Une jeune femme célibataire alors que je suis célibataire.
- Speaker #0
OK.
- Speaker #1
Premier soir, il me dit ça.
- Speaker #0
Particulier.
- Speaker #1
Puis après, j'avais les lettres d'amour tous les jours sur mon bureau que je jetais. Enfin, c'était assez pesant.
- Speaker #0
Malgré le fait que tu as montré une opposition, il a continué ?
- Speaker #1
Il a continué tout le stage.
- Speaker #0
D'accord. Et à l'époque, il n'y avait vraiment pas... Parce que maintenant, on parle beaucoup de MeToo, etc. Mais ça, c'est un peu de l'externe. Et en interne, il n'y avait pas de procédure ?
- Speaker #1
Il m'a envoyé... Non. Non, je te dis, le directeur de stage est venu me voir. Je lui en ai parlé. Et il m'a simplement dit... Il m'a fait cette phrase. Il m'a dit, votre stage est difficile pour des raisons différentes. Mais il n'a rien dit. Et l'anecdote amusante, c'est que je me suis mariée le jour de la sortie de l'ENA, puisque j'ai rencontré mon... mon mari, en rentrant de stage d'ailleurs, il m'a envoyé une lettre de condoléances. Nous avons fait l'erreur de votre vie.
- Speaker #0
Un peu d'égo en plus.
- Speaker #1
Oui, c'était quelqu'un d'assez particulier. Bref. Ok.
- Speaker #0
Donc, si on revient sur le début de ta carrière professionnelle, tu travailles à la mairie de Paris. Après, en Grèce, c'était ?
- Speaker #1
Oui, j'ai fait un stage court en Grèce. Après, j'ai été à Saint-Etienne. Ok. à Saint-Etienne où on dit qu'on y vient en pleurant et on en part en pleurant. Et ça, c'est vrai parce que Saint-Etienne n'est a priori pas le lieu où on a envie de faire un stage de neuf mois quand on a 24 ans. Et moi, j'en garde un excellent souvenir. J'habitais dans la préfecture, je me souviens, j'avais un petit appartement dans la préfecture et le préfet m'avait dit comme ça, vous pourrez travailler, dormir, travailler. Ce qui était vrai, d'ailleurs, on a travaillé beaucoup. Et j'ai été... Comme encore une fois, j'étais une jeune femme de 24 ans, énarque, à l'époque, il n'y en avait pas beaucoup. J'ai été un peu la mascotte du directeur de la police urbaine, du commandant des CRS et du directeur de cabinet. Et donc, j'ai pu faire des choses extraordinaires. Par exemple, j'ai fait un stage de maintien de l'ordre avec les CRS. Je trouvais ça passionnant d'apprendre comment on fait pour réagir à des manifestations dans la rue. J'ai passé le permis moto grâce à eux, puisque j'ai appris sur les grosses motos BMW 1000 m3 grâce au CRS. Et puis j'ai appris la vie dure, parce que le soir où je suis arrivée, il y avait une personne qui faisait... une grève de la faim. Quand on est préfet, il y a des tas de sujets sociaux, économiques, mais il y a aussi des sujets économiques, mais il y a beaucoup, beaucoup de sujets sociaux. Et j'ai trouvé ça absolument passionnant. Et par ailleurs, c'est une région absolument magnifique où j'ai fait beaucoup de randonnées, de balades. Et ça m'a permis de connaître Claude Hérignac, qui était à l'époque sous-préfet, qui a été assassiné en Corse. et qui était un homme assez exceptionnel avec qui je jouais au tennis.
- Speaker #0
Donc des bons souvenirs à Saint-Etienne. Parce que quand tu étais plus jeune, du coup, c'est vrai que je ne t'ai pas demandé, mais tu as grandi à Paris.
- Speaker #1
J'ai grandi à Paris, mais j'ai passé tous mes étés au Danemark, où on vivait dehors. On habitait, ma mère louait un tout petit appartement où il n'y avait pas de salle de bain, et qui était au-dessus de gens assez âgés, et comme on était cinq enfants... Elle avait très peur de ne pas pouvoir revenir l'année d'après. Et donc, on avait une totale interdiction de rentrer dans la maison pendant la journée. Donc, on vivait sur la plage et quand il pleuvait, on était souvent au vent. On faisait du bateau, on faisait du vélo. Enfin, on était un peu comme des enfants sauvages. Moi, je revenais, je marchais pieds nus pendant deux mois. J'avais des cornes aux pieds. Et c'est sans doute ça qui m'a donné le goût de la nature d'abord. Et puis de la vie simple, parce que c'était une vie en totale liberté. On petit-déjeunait le matin, on devait juste être là à l'heure, on mangeait sur la plage, tous les repas, le midi et le soir.
- Speaker #0
sur une nappe qui était posée sur le sable. On s'abritait de la pluie quand il pleuvait, mais on ne mangeait jamais à l'intérieur. Et c'était une vie en liberté, pas d'enfant sauvage, parce que c'était civilisé, mais quelles belles vacances ! Et quand j'ai eu 6 ans, mon père a eu le prix Kennedy et ils ont pu acheter une petite maison de campagne. Donc, on y allait tous les week-ends. Et là aussi, c'était la même règle. C'est-à-dire qu'on ne rentrait dans la maison qu'au moment des repas. On n'avait pas le droit d'être dans la maison, on jouait dehors. Et je crois que c'est aussi la culture danoise où tu dois profiter du... Dès qu'il y a un horizon de soleil, tu dois sortir. Et donc, oui, effectivement, j'ai eu une éducation parisienne. Et en même temps, j'ai eu ce balancement. Avec une chose qui me semble très importante, c'est que j'ai appris enfant tout de suite. qu'il n'y avait pas, en tout cas dans l'éducation, de bien et de mal absolus, dans le sens de ce qui se fait, de ce qui ne se fait pas. C'est un exemple que je donne souvent, mais quand mes enfants, quand nous on était enfants, et ça s'est reproduit de la même chose avec mes propres enfants, quand on était au Danemark, les enfants, il fallait absolument qu'ils mangent torse nu, parce que ça évitait de faire de la lessive. de laver, les t-shirts et tout ça, comme on n'avait pas de machine à laver, il fallait aller en ville faire de la lessive, lave automatique. Et quand on allait chez ma belle-mère, il fallait s'habiller pour passer à table. Et donc moi, j'expliquais à mes enfants que les deux étaient bien, qu'il fallait respecter, c'était juste des règles du jeu qui étaient différentes dans une famille et dans l'autre, mais que ce qui était important, c'est de respecter ces règles, puisque c'était ce qui nous accueillait. qui les déterminait. C'est des petites anecdotes comme ça qui montrent qu'en fait, tu peux accueillir... Moi, j'étais à l'école en uniforme et le week-end, j'étais pieds nus à grimper dans les arbres. Donc, les deux sont possibles et les deux sont bien.
- Speaker #1
Et ça t'a apporté quoi, la nature ?
- Speaker #0
Je pense que on est tous d'abord issus de la nature. On vit et puis c'est assez étonnant, d'ailleurs, parce que j'ai choisi une vie et un métier... qui est quand même un boulot avec un bureau et un ordinateur, même si j'ai de la chance de faire beaucoup de rencontres, d'aller sur le terrain et tout ça. Mais on a créé, c'est une chose qui me fait beaucoup réfléchir, on a créé une civilisation qui nous extrait de la nature en permanence, qui nous déracine. Et je ne sais pas si on en parlera, mais l'année dernière, je suis allée marcher sur le chemin de la France-Sigéna. Et l'une des choses qui m'a beaucoup frappée, c'est que quand tu marches dans la nature, ça te fait plaisir. t'enracines. T'as d'être nomade, en fait, t'enracines parce que ça te ramène à ce que tu es dans ton essence même, qui n'est pas simplement qui tu es, toi Nicolas ou moi Clara, mais qu'on est, qu'on fait partie de cette nature qui est flamboyante, qui est derrière un mètre carré de terrain. Tu as des milliers et des milliers d'animaux, de choses qui se passent. On nous apprend tout simplement à regarder un paysage de loin et de rester sur le bitume. Et... Et tout ça, c'est très récent, parce qu'il y a encore 100 ans, 150 ans, les hommes allaient au contraire habiter plus loin, plus haut, dans la montagne pour trouver de l'eau, pour trouver des terres cultivables et tout ça. Et puis progressivement, on s'est tous rétrécis et mis dans du béton, en s'éloignant de la nature. Et c'est sans doute un des gros, gros problèmes de notre époque. Quand on va avec Gonzague à la Défense, et que je me dis que les jeunes d'aujourd'hui ont... qui ont fait des bonnes études, on leur propose d'habiter dans un petit studio minuscule, de prendre le métro et de monter dans une tour en verre où ils ne peuvent pas ouvrir la fenêtre et être derrière un ordinateur. Je me dis, comment on forme l'élite d'aujourd'hui ? Comment on lui apprend la vraie vie ? Parce que ce n'est pas ça, la vraie vie. Pourtant, c'est là où il y a les meilleurs salaires, c'est là où il y a les meilleures perspectives de carrière. Moi, ça me fait beaucoup réfléchir sur cette civilisation qu'on a créée et qui date que de 70 ans. Parce que... qui date de peut-être 80 ans, parce qu'en 1945, après la guerre, ce n'était pas comme ça. Et que les métiers immatériels ont pris une place considérable. Et je ne porte pas de jugement. Je dis simplement que dans notre mode de vie, on a oublié nos corps. On a complètement oublié qu'on est fait de chair et de sang. Et que quand on a faim, on mange. Quand on a sommeil, on dort. On ne sait pas ce que c'est que le manque. de ce corps qui réclame. On ne le laisse jamais réclamer. Et donc, on ne le laisse jamais être celui qui commande. C'est toujours notre mental qui commande. Et comme le mental, c'est à la fois notre Dieu et notre diable. C'est celui qui nous enferme et qui nous libère. Quand on ne laisse pas la place au corps, c'est le corps qui nous sauve, en fait.
- Speaker #1
Bien sûr. Et comme je te disais en amont de cette interview, je suis en train d'écrire un livre sur la santé mentale. Et il y a plusieurs études qui montrent qu'il y a une corrélation très franche entre le bonheur au sens large ou la bonne santé mentale des gens et le taux de... Je n'ai pas le mot... Les endroits où il y a le plus d'arbres. Et notamment les pays du Nord, justement, sont mieux classés parce qu'il y a plus de nature.
- Speaker #0
De toute façon, quand je discute avec les gens qui me disent mais moi j'aime la nature en ayant le sentiment d'être quelqu'un d'un peu particulier, ben non, en fait, certains en ont heureusement plus conscience que d'autres et font tout pour s'immerger dans la nature. Mais nous avons tous un immense, un immense besoin de nature. qui nous est volé aujourd'hui par nos modes de vie.
- Speaker #1
Bien sûr. Et après, on clôture ce chapitre, mais ça me fait penser, je crois, quand même qu'au Japon, si je n'ai pas de bêtises, pour les personnes qui ont des troubles dépressifs ou d'angoisse, ils font des bains de forêt.
- Speaker #0
Oui, mais ça existe aussi en France. Et d'ailleurs, quand tu regardes très souvent tout ce qui est le mindfulness, etc., on essaie de réémerger dans la nature. Heureusement, oui. Elle est encore là, vivante et pas loin.
- Speaker #1
Si on revient du coup sur ton parcours, donc la première partie de ta carrière dans la sphère publique. Alors, on ne va pas tout faire parce qu'on n'a qu'une heure et demie et tu as fait beaucoup de choses dans ta vie. Mais du coup, tu as travaillé, je crois, après à la Cour des comptes, dans une ambassade française, à l'étranger, j'imagine, et au ministère de l'Économie. Si tu dois juste focus, entre guillemets, sur une de ces expériences, celle qui t'a le plus marqué ? Moi,
- Speaker #0
je pense que je parlerais de notre expérience en Égypte, parce qu'on est partis vivre en Égypte quatre ans après être sortis de l'Énain. Donc, on était jeunes, on avait 29 ans, 29-30 ans. Et on est partis, mon mari était attaché financier et moi, j'étais conseiller commercial. On est partis avec trois enfants, on est revenus avec cinq enfants. Et ça a été une expérience extraordinaire parce que l'Égypte, c'est un vrai pays. C'est un pays qui a une triple culture, une culture égyptienne, pharaonique, une culture copte, une culture musulmane. C'est un pays qui est plus ancien que le nôtre et qui a une puissance d'intelligence et de diversité culturelle incroyable. On est tombé amoureux du désert. On est beaucoup partis dans le désert, y compris avec nos enfants. Et moi, j'ai découvert ce que je savais déjà, puisque j'étais biculturelle, que j'adorais être étrangère quelque part. Parce que ça te donne une espèce de liberté, comme les gens ne t'attendent pas. Tu es une forme de liberté de pouvoir regarder le monde tel qu'il est, le voir passer et éventuellement entrer en scène quand tu peux. tu penses que tu peux apporter ta pierre à l'édifice. Et ça a été... On n'était que la famille nucléaire, nous et nos cinq enfants. Et ça a été un moment fondateur aussi parce que c'était, à l'époque, un pays qui sortait du nasserisme. Et donc, il n'y avait presque rien. C'est-à-dire qu'on demandait à nos amis de nous apporter des couches. Il n'y avait pas de pot pour bébé. Il n'y avait pas de... Il y avait une sorte de yaourt. Il n'y avait pas de... de supermarché avec des linéaires. Et en fait, on s'est rendu compte qu'on a besoin de très peu de choses pour vivre.
- Speaker #1
Quoi les choses dont on a besoin pour vivre ?
- Speaker #0
Ça dépend sur quel niveau tu te places. Mais évidemment, je ne suis pas en train de plaider. Je serais très mal placée pour le faire. Mais ce que je veux dire, c'est qu'on a quand même... On est quand même dans une culture qui crée des besoins dont on n'a pas besoin et qui pense que le matériel va répondre au bonheur. C'est vrai qu'il y répond en partie. Quand on n'a pas les besoins essentiels, on a besoin de la santé, on a besoin de l'éducation, on a besoin de la culture, on a besoin de manger, de s'habiller. Ce sont des besoins essentiels qu'il ne faut pas du tout négliger. Un pays doit, se doit d'offrir à tout le monde ça. On le voit aujourd'hui avec les Jeux paralympiques. Nous ne sommes pas capables aujourd'hui d'apporter ça à tout le monde et d'intégrer toutes les différences. Donc ça, c'est un élément très important. Mais une fois qu'on a fait ça, qu'on a donné cette capacité de communiquer, de se parler et tout ça, on se rend compte que c'est une réponse pour te permettre d'être pleinement toi-même, mais d'être pleinement toi-même ne passe pas par des biens matériels. Une fois que ces besoins essentiels vitaux sont acquis.
- Speaker #1
Tout à fait. Ça me parle. Si on revient, la première partie de ton parcours professionnel dans la sphère publique, après une vingtaine d'années, tu décides de partir dans le privé pour avoir une carrière plus corporate. Pourquoi tu fais ce choix ?
- Speaker #0
J'aimerais bien peut-être dire qu'il y a un métier que j'ai exercé après et que, après tous les métiers que j'ai aimés, je les ai faits et que... que j'ai fait, je les ai aimés. J'ai aimé tous les métiers que j'ai faits. Mais il y en a un particulièrement qui est venu d'une très grosse déception parce que j'espérais être nommée directeure à l'époque de ce qui s'appelait la Direction des Relations Économiques Extérieures. J'étais sur le papier la plus légitime en grade. Mais un ministre qui était, paix à son âme, extrêmement misogyne à l'époque et qui considérait qu'une femme ne pouvait pas tenir ce poste et qu'il l'a refusé. qu'il a absolument refusé. Et donc, j'ai été nommée présidente de l'Agence française pour les investissements internationaux, ce qui était pour moi, comment dire, j'ai dit oui parce que c'était la seule chose qu'on me proposait, même si ça m'intéressait, mais c'était, fondamentalement, ce n'était pas mon premier désir, c'était de diriger une grande administration avec 3000 personnes. Là, on me proposait une agence avec 120 personnes. Et en me faisant bien comprendre que c'était parce que j'étais une femme et que j'aurais jamais les épaules assez solides. En plus, j'avais beaucoup d'enfants, j'avais un mari ministre. Et donc, ce ministre de l'économie qui m'a expliqué, mais c'est pourtant bien que je ne le fais pas. Clara, tu vas exposer en plein vol, tu ne vas pas tenir la distance. Enfin, très, très humiliant. Et finalement, j'ai pris cette agence qui était balbutiante, qui n'existait que depuis un an. Et ça m'a permis de bâtir toute la politique d'attractivité de la France, à l'époque où elle n'existait pas. J'ai eu la chance, du coup, de convaincre à la fois Matignon et le ministère de l'Économie de me donner un budget de 40 millions d'euros pour communiquer dans le monde sur l'attractivité française. Et ça a été le début de toute la politique d'attractivité. Et ce dont je suis assez fière, c'est qu'aujourd'hui, le VIE, le crédit impôt recherche, le crédit impôt impatrié... Toutes ces réformes qui ont été faites pour l'attractivité, elles ont été faites à l'époque où moi je dirigeais l'agence, où j'ai réuni tous les ministères concernés. C'était un truc nouveau, où on prenait conscience que l'image de la France était importante, qu'il fallait qu'on change certaines règles du jeu pour attirer les investisseurs étrangers. Et j'insiste là-dessus, pas simplement parce que je suis fière de ce qui a été accompli, mais surtout parce que c'est venu d'un échec. Et que souvent dans la vie, vous avez des très grosses déceptions.
- Speaker #1
c'était pas ce que je voulais et la vie m'a donné quelque chose de beaucoup mieux c'est une super belle leçon il faut persister et faire confiance oui il y a un moment où il faut lâcher prise et se dire ok c'est pas ça le maximum de show must go on et je passe à autre chose et
- Speaker #0
l'art de savoir tourner la page c'est dur sur le moment parce qu'il faut pas se laisser prendre par l'amertume, par la colère par la justice et tout ça C'est pour ça que moi, je ne serais jamais une... Je pense que c'est important qu'il y en ait qui le soient, mais une militante et une combattante pour dire ce qu'on m'a fait, c'est horrible et tout ça, parce que je n'ai pas envie de m'y attarder. J'ai envie de passer à autre chose.
- Speaker #1
Bien sûr. Du projet, des choses positives, etc. OK. Et donc, après cette belle expérience où tu as appris...
- Speaker #0
Donc, je suis rentrée dans le privé. Alors, l'histoire est assez amusante, parce que je sentais bien que l'attractivité, Ça n'intéressait personne et puis ça commençait à intéresser pas mal les gens. Et à l'époque, j'avais rencontré Christine Lagarde à Davos, qui a été une femme exceptionnelle et qui m'a beaucoup aidée d'ailleurs. Et elle est devenue ministre. Et c'était vraiment à elle de prendre ce rôle de l'attractivité. Et un événement qu'on avait créé qui s'appelait le World Investment Conference à la boule, je rencontre le patron international de General Electric. Et... On discute et il me dit, moi, je voyage beaucoup. Je lui dis, moi aussi, mais on ne voyageait pas dans les mêmes conditions. Et le lendemain matin... Il m'appelle à 8h du matin, il me dit est-ce que tu veux pas venir nous rejoindre ? Et je lui dis écoute, je peux pas venir maintenant parce que j'ai un déménagement, j'ai des choses importantes, moi il faut que j'accompagne mes équipes encore un an, mais dans un an si tu veux. Et à ma grande surprise, 8 mois plus tard, 9 mois plus tard, il me rappelle en me disant est-ce que t'es toujours d'accord ? Et je me souviens, j'ai pris le train pour aller à Beausselle, et je me suis dit mais... Pourquoi il me recrute ? Je n'ai jamais travaillé dans le privé. Je n'ai jamais travaillé en anglais. Je n'ai jamais travaillé pour une boîte américaine. Qu'est-ce qu'il vient chercher ? Donc, je me suis dit, je vais lui mettre sur la table en me disant, mais attends, pourquoi tu viens me chercher ? Parce que je n'ai pas envie de te rejoindre et qu'au bout de... Enfin, moi, tu sois déçue. Il m'a fait cette réponse que j'ai trouvée très intéressante. Il m'a dit deux choses. Il m'a dit, tu es une reine dans ce que tu fais, dans un monde complexe. Et GE, c'est un monde complexe. Donc, je sais que tu arriveras vite à comprendre cet univers et que tu vas bien t'insérer chez GE. Et la deuxième, c'est que nous, on est une entreprise étrangère. Toi, tu connais parfaitement bien les règles de ton pays. Et donc, je ne sais pas ce que tu vas m'apporter, mais c'est ça que je cherche. En fait, c'est ce que nous, nous ne connaissons pas, que tu vas m'apporter. Et ça, j'ai trouvé que c'était une réponse assez incroyable. C'est-à-dire que tu recrutes quelqu'un, tu ne sais pas ce qu'il va te donner, mais tu sais qu'il va te donner quelque chose que toi, tu n'as pas. Et ça, cette culture américaine, elle est assez prodigieuse. Et je suis rentrée à la maison et je me souviens très bien avoir dit Je ne sais pas ce qui m'attend, mais c'est plein d'opportunités, j'y vais. Et je n'avais aucune assurance, ni sur le statut, ni sur le fait que j'allais pouvoir me faire... entendre par les différents patrons des activités, etc. Mais j'avais du respect pour Danny Beccali, qui était le patron international, du respect pour le patron d'Oji à l'époque. J'ai foncé et j'ai passé dix ans extraordinaires où j'ai énormément appris. Après, j'ai aussi des responsabilités internationales parce qu'il y a eu la grande crise de 2008 et comme moi, j'avais réussi à gagner pas mal de contrats. avec les équipes des contrats publics. On m'a nommée responsable des gros contrats publics dans le monde. Donc, j'ai beaucoup voyagé. Et il y a eu un moment, un article dans Libération qui s'appelait Jeunes de France, barrez-vous, l'avenir est ailleurs Et à l'époque, je connaissais peu. Je l'avais rencontré deux, trois fois, au Grand Lac de Blinière, parce qu'on lui avait racheté une boîte qui s'appelait Convertim. J'avais trouvé cet homme à la fois intelligent, joyeux et très humain. Pas du tout un mec de la finance. Et on déjeune ensemble et on voit cet article et on se dit, on ne peut pas laisser dire ça. On ne peut pas laisser dire que la France n'offre pas un avenir aux jeunes, qu'il faut se barrer. Ce n'est pas vrai. La France a un potentiel de dingue. Moi, je m'étais occupée de l'attractivité. Gonzague s'était beaucoup occupée de... du business angel des cités. Il avait été le créateur de Paris Entreprendre. Et donc, on s'est dit, on va faire quelque chose. Et on a d'abord lancé tout un mouvement. Et puis ensuite, on s'est dit, en fait, on va faire ce qu'on sait faire, c'est-à-dire aider les entreprises et les entrepreneurs. Et c'est comme ça qu'on a créé Raise. Et la chance que j'ai eue, c'était qu'à l'époque, c'était pendant le dossier Alstom. et on a signé le dossier Alstom. Après, il y avait toutes les négociations en France et en Europe. Et le patron de GIE à l'époque m'a laissé être présidente de la partie fondation de Reis en me demandant de rester pour terminer et clore le dossier Alstom. J'ai eu cette chance de pouvoir, pendant un an, bâtir Reis avec Gonzague, même si Gonzague était full-time et moi... Je venais quand je pouvais. Et on a démarré l'aventure ensemble, l'aventure de Raze. On ne pensait pas du tout que ça aboutirait à ce que ça est aujourd'hui.
- Speaker #1
Écoute, on va en parler, mais juste avant de passer au chapitre Raze, en préparant l'interview, je me suis posé une question. Parce que du coup, tu es devenue la présidente, alors pas monde de J.I.
- Speaker #0
Non, j'étais responsable de tout ce qui était les grands comptes publics. OK. vice-présidente des grands comptes alors public en fait c'est je vais essayer de ne pas être trop longue mais G à l'époque faisait de l'aviation de l'énergie beaucoup beaucoup beaucoup d'énergie et de la santé Et dans les années 80, c'était essentiellement des clients privés. Et avec le temps, c'était devenu dans le monde, que ce soit au Brésil, au Canada, dans une dizaine de grands pays du Japon et tout ça, des clients publics. Et donc, il a fallu créer des équipes qui comprenaient comment décider de clients publics pour emporter les contrats. Et donc, ça, c'était extrêmement intéressant.
- Speaker #1
Et on va en parler après de ton engagement pour la place des femmes dans l'entreprise, dans la société. Et ma question justement, c'était, est-ce que le fait que c'était une entreprise américaine, tu penses que ça a facilité ton ascension et qu'on garde plus tes compétences par rapport à une entreprise française ?
- Speaker #0
Oui, parce que je pense qu'une entreprise française ne m'aurait jamais embauchée. J'étais femme de ministre, je venais du public.
- Speaker #1
Ça veut dire quoi, femme de ministre ? Ça veut dire que tu es mis à l'arrière-plan ?
- Speaker #0
C'est toujours compliqué. Je ne sais pas. Je ne suis pas dans la tête d'un patron français, mais je pense qu'aucun patron français m'aurait embauchée. D'ailleurs, c'est assez amusant parce que beaucoup de patrons français étaient des amis. Et plusieurs m'ont dit Ah, ils sont vraiment malins, les Américains, de t'avoir recrutée. Mais ils ne m'auraient jamais recrutée, je pense. Je dis ça, j'en sais rien, mais c'est quand même ce que je ressentais. Et oui, les Américains, ils sont hyper pragmatiques. Et ils font confiance a priori. Mais il faut mériter la confiance. Et la confiance, elle se mesure à plusieurs choses. C'est d'abord, il faut réussir. Moi, j'ai eu de la chance parce que j'ai eu l'opportunité de gagner des très gros contrats dès la première année qu'on n'avait jamais gagné. Donc, ça a fait une signature. C'est parce qu'on ne comprenait pas très bien comment fonctionnait le client à l'époque. C'était des clients comme EDF, comme GDF, qui existaient encore, ou Air France. Donc, ça, c'était... C'était chouette parce que c'est un travail d'équipe où j'ai pu apporter ma contribution d'être française, qui comprend comment ça fonctionne, comment les non-dits... La France, c'est très compliqué pour les étrangers, parce que c'est très, très subtil. Et la transparence. C'est-à-dire que dès qu'il y a quelque chose qui va mal ou qui peut aller mal, prévenir, le dire, anticiper et apporter la solution. Et pas dire... Je vais me débrouiller toute seule, je vais le faire dans mon coin. Et ça, j'ai beaucoup appris de cette culture américaine qui est de ne rien faire, de ne jamais se mettre soi-même dans l'équation. On regarde le problème pour ce qu'il est. Et il y a un problème qui émerge, on le pose sur la table en proposant des solutions. Mais on laisse le décideur final, qui est quand même la maison mère, de dire est-ce que je suis OK avec ça ou est-ce que je ne suis pas OK avec ça. Et l'un des exemples que je... je pourrais prendre, c'est que il est arrivé à plusieurs reprises que des patrons américains disent la France, ça coûte trop cher, le travail, c'est trop cher, on va tout mettre en Chine et tout ça Et plutôt que de marquer bouté en disant mais non, il y a tant d'emplois, on ne va pas faire ça etc., je disais ok, étudions-le Et on étudiait le sujet et on démontrait par A plus B que même si les salaires en France étaient plus élevés, la compétence était là, l'écosystème était là. l'innovation était là, et que par rapport à d'autres endroits, la France était le meilleur endroit et qu'il fallait rester là. Et donc c'était... Parce que j'avais cette confiance, collectivement, on avait cette confiance en nous que franchement, déplacer tout ça pour aller le mettre en Chine, ça coûterait tellement d'argent, ça serait tellement... Cette certitude que si on savait comprendre leurs besoins et répondre à leurs fausses idées, ou leurs fausses impressions, ou leurs faux calculs, et qu'on l'objectivait, la France serait meilleure. Et c'est sans doute ce qui a, je pense, beaucoup manqué à cette époque et qui fait qu'on a eu toute cette désindustrialisation, c'est qu'on n'a pas... Je pense qu'il a manqué de gens pour se battre parce qu'ils croyaient dans les salariés français, dans l'inventivité française, dans les écosystèmes français et qu'il n'y a pas que le coût qui compte, il y a aussi comment tu gardes... de ta longueur d'avance, comment tu restes à la pointe de l'innovation et tout ça. Et ça, ça fait partie de ces choses qui me fascinent toujours, c'est ce manque de confiance que nous, Français, nous avons en nous-mêmes, alors qu'on a tout pour réussir. Il suffit de le mettre en lumière et de le dire.
- Speaker #1
C'est vrai qu'on est un pays avec beaucoup d'atouts.
- Speaker #0
On est surtout, on a beaucoup de défauts, mais on est quand même des gens assez géniaux. Les Français sont des gens géniaux. on le voit avec les Jeux Olympiques. Incroyable ! Qui aurait dit que c'est le meilleur public au monde ? On dit toujours que les Français sont à l'heure, qu'est-ce que c'est, qu'il y a des émeutes et tout ça. Mais non ! Quand on sait rassembler autour de quelque chose qui porte, donner aux gens la capacité d'exprimer le meilleur d'eux-mêmes, les Français sont géniaux. D'autant plus le dire que je suis à moitié danoise, donc je ne fais pas du chauvinisme. Les Danois aussi sont géniaux à leur manière. Ils ont un génie culturel différent, mais la France a des atouts incomparables. Et moi, j'avais cette conviction que si on nous mettait en rivalité avec la Chine, avec le Japon, en fait, on y arriverait, on gagnerait. Et que de ne pas se mettre sur la défensive, mais dire OK, on y va, on regarde, je suis d'accord. L'intérêt de l'entreprise passe avant. À chaque fois, on a gagné. On s'est battus, on a mobilisé les équipes. Et puis, on a aussi nous-mêmes fait nos propres efforts pour être plus performants, etc. Alors, c'est vrai qu'on était sur des métiers qui étaient très technologiques. On ne fabrique pas un moteur d'avion comme ça, on ne fabrique pas un IRM comme ça, on ne fabrique pas des turbines à vapeur ou des turbines à gaz comme ça. Mais tout de même, si on ne s'était pas battus, on n'aurait pas gagné.
- Speaker #1
Si on revient sur le troisième chapitre de ta vie que tu as évoqué, en 2013, il y a un peu plus de dix ans, tu rencontres Gonzague de Binière et vous créez Raise, qui est un nouveau modèle de fonds d'investissement.
- Speaker #0
En fait, d'abord, je bénis le ciel d'avoir rencontré Gonzague puisque c'était une vraie rencontre à la fois personnelle et professionnelle. Il a moins d'enfants que moi, mais il est plus grand-père que moi. Et surtout, je pense que ce qui nous a animés tous les deux, c'est qu'on est très différents, mais on n'a pas envie d'être un passager du train. On a envie d'être tous les deux... On a tous les deux eu envie de contribuer à ce qu'on pourrait appeler le bien commun. Moi, c'est pour ça que j'ai fait Sciences Po et l'ENA, c'est que j'avais envie de servir mon pays. Et ce qu'on a imaginé, et Gonzague venait de la finance, donc il avait un vrai savoir-faire en la matière, c'est de se dire que la finance, ce n'était pas du tout réformée. La finance, c'était de l'argent pour l'argent, faire de l'argent avec de l'argent, tout ce qu'on déteste. Et que pourtant, l'argent, c'est le nerf de la guerre. Et la meilleure définition que je pourrais donner de l'argent, c'est que c'est une énergie. Et c'est une énergie, soit tu la gardes pour toi, et elle ne sert à rien, soit tu la transmets. et à qui tu la transmets. Et nous, ce qu'on avait envie de faire, c'était de transmettre cette énergie à des gens qui étaient capables de faire quelque chose que nous, on n'était pas capables de faire, c'est-à-dire des entrepreneurs, des gens qui sont capables de construire des entreprises, qui sont capables de construire des nouveaux chemins de croissance autour de l'environnement, autour du lien social, autour de tout ce qui est important pour la planète et pour notre humanité. et de se dire que si on rassemblait les grandes réussites françaises qui nous confieraient leur argent et qu'on l'investirait dans des jeunes entrepreneurs, dans des entrepreneurs et entrepreneuses qui ont cette vision et cette capacité à agir, en fait, on démultiplie l'énergie qu'on transmet. Et au départ, on s'était dit, on est partis à deux, on s'est dit si on arrive à lever 250-300 millions d'euros, on est les rois du pétrole et puis maintenant on est à 2 milliards. Donc, ça a été une croissance assez rapide, sans doute parce qu'en fait, on était les pionniers de la finance engagée. On était dix ans en avance sur l'environnement, sur le lien social, sur la générosité, sur le partage de la réussite. Et qu'aujourd'hui, tout ce qu'on essaie de faire, les fonds d'investissement en se transformant, nous, on l'a déjà. Et on a recruté les gens pour ça. Et on a recruté des gens qui acceptent de donner 50% de ce fameux carré d'intérêt, qui est la récompense de la performance individuelle des gens, pour une fondation RassurePas qui a aujourd'hui 60 millions d'euros. Donc, en fait, quand vous recrutez des gens généreux, c'est des gens curieux. Parce que quand on n'est pas curieux, on n'est pas généreux. Quand on ne s'intéresse pas aux autres, on n'a pas besoin d'être généreux. Quand on s'intéresse aux autres, on est généreux de son temps, généreux de son intelligence, généreux de son argent quand on en a. Mais on est intéressé par l'autre. Et aujourd'hui, celui qui réussit, c'est celui qui s'intéresse à l'autre.
- Speaker #1
Pour nos éditeurs, pour bien comprendre la jeunesse de Reiz, c'est parce que je crois que je l'ai vécu il y a une dizaine d'années. Du coup, je t'avais rencontré quand je débutais mon entrepreneuriat. C'était à Lille, dans le Nord. et donc c'était de ce que je comprenais vraiment c'était on investit on espère qu'on va gagner de l'argent, faire une plus-value donc le modèle entre guillemets classique mais 50% de cette plus-value du coup est reversée dans un fonds de dotation c'est exactement ça, c'est de la philanthropie après c'est de la philanthropie,
- Speaker #0
c'est-à-dire que pour faire bien comprendre à ceux qui ne connaissent pas le mécanisme de l'investissement on récolte de l'argent d'investisseurs et on Notre métier, c'est d'investir dans des entreprises qui ont une possibilité de grandir et de les aider à grandir. Et puis au bout de quelques années, soit parce qu'ils vendent leur entreprise, soit parce qu'ils changent leur capital, on sort de l'entreprise. Et admettons une entreprise qui fait 20 millions d'euros, quand on investit dedans et qu'on va mettre 7-8 millions d'euros dedans pour l'aider dans sa croissance. Si elle en fait 50 au moment où on la vend, évidemment, elle vaut plus cher. Donc, la différence entre, admettons qu'on la vende 50, donc il y a 30 millions de résultats dont 80% vont aux actionnaires et 20% va à l'équipe qui a fait le travail. Et nous, sur ces 20%, on en donne la moitié. Donc, ça fait 10% chaque année de toutes les plus-values qu'on fait qui tombent dans une fondation. qui aide les jeunes entrepreneurs. Et nous, ce qu'on a essayé de faire, c'est de se positionner auprès des entrepreneurs qui avaient déjà deux ans d'âge, puisque le taux de mortalité est très fort entre deux et cinq ans, et donc de faire des prêts d'honneur à 100 000 euros, de faire des prêts à 500 000 euros. Donc quelque chose qui a vraiment du poids et qui peut vraiment aider la start-up à grandir et de ne pas lui donner du temps avant de réouvrir son capital, qui est quand même la manière la plus coûteuse qui soit de grandir. mais avec beaucoup d'accompagnement. On fait énormément d'accompagnement, pas simplement de nos équipes, mais aussi avec 350 experts qui font du pro bono pour nos startups.
- Speaker #1
Parce qu'ils y trouvent du sens.
- Speaker #0
Ils y trouvent du sens, et puis surtout, ils rencontrent des gens exceptionnels qui font des trucs incroyables. Et ils peuvent les aider, ils peuvent les accompagner, ils sont dans leur sweet spot, ils ont une vraie valeur ajoutée pour aider ces gens qui changent le monde. Tu sais, ça commence dans... En classe maternelle, quand tu as un enfant qui va plus vite que les autres pour faire un pulse, soit tu lui dis, écoute, t'attends que les autres aient fini parce que c'est l'égalité et tout ça, et t'attends dans ton coin. Soit tu lui dis, mais va aider les autres. Et un enfant apprend mieux avec un autre enfant qu'avec... Et c'est ça que nous vivons. C'est-à-dire que si on réussit, on est fier de réussir. Mais en plus de ça, comment on va donner la moitié de ce que... de ce qu'on pourrait toucher à d'autres qui vont le faire fructifier et faire des choses que nous, on ne serait pas capable de faire, ça crée cette double énergie et fierté, j'allais dire, d'à la fois réussir et d'aider d'autres à réussir, mais non pas parce qu'on est des gens généreux, gentils et tout ça, mais parce qu'on admire ceux à qui on donne un peu de notre temps et un peu de notre argent. parce qu'ils font des choses incroyables que nous, on serait incapable de faire. Donc, je reviens à cette capacité d'émerveillement et d'admiration qui nous anime. C'est-à-dire que si ce que tu fais, tu fais les choses par émerveillement et par admiration, c'est très enthousiasmant.
- Speaker #1
Et du coup, dans le modèle de race, les gens qui investissent, quand vous levez des fonds, Et donc, vous avez des investisseurs institutionnels ?
- Speaker #0
Alors, on a les deux. On a des corporate, on a des institutionnels et on est totalement dans les clous. C'est-à-dire que les institutionnels, ils veulent les mêmes performances que d'autres fonds. Ils attendent... Donc, nous, c'est pas parce qu'on est généreux qu'on n'est pas ultra performants. Au contraire, au contraire. C'est... La bienveillance, c'est aussi l'exigence. Donc, on n'est pas des bisounours. On travaille dur, mais on travaille avec le... avec du sens et donc ça décuple nos forces.
- Speaker #1
Et c'est que l'équipe de gestion, du coup, qui donne 50% de son caride ou aussi vos investisseurs y touchent moins ?
- Speaker #0
Nos investisseurs, c'est en train de changer puisque dans la philosophie initiale, nos investisseurs ne donnaient pas. Et là, on vient de lancer une nouvelle... Maintenant qu'on est érodé, que les gens nous connaissent, etc., on a lancé un fonds qui s'appelle Investir pour l'enfance, où on a eu la chance d'avoir de nombreux investisseurs et d'associer beaucoup d'autres sociétés de gestion. Et le principe, c'est de se dire que les investisseurs vont donner, eux, 50 de leur plus-value et que les sociétés de gestion, pas simplement nous, mais d'autres, vont accepter de garder un petit ticket pour ce fonds Investir pour l'enfance. Et l'argent va à deux associations qui sont l'Institut Imagine, qui est le centre de recherche génétique sur les maladies génétiques, et Espérance Banlieue pour l'éducation dans les banlieues. Et ce qui est incroyable, c'est que ça a créé, d'abord les investisseurs et les sociétés de gestion ont répondu oui. Et juste avant l'été, on a fêté les 1 an de ce fonds Investir pour l'enfance, qui a 40 millions et il y en a déjà plus de 10 millions qui ont été investis. Et quand vous avez un professeur d'école qui vous explique comment il aide les enfants de banlieue à apprendre, et que vous avez une femme qui vous explique que ça fait 15 ans qu'elle travaille sur eux. une maladie génétique particulière pour comprendre comment elle fonctionne et que vous avez un investisseur, que vous avez un entrepreneur. Tous ces gens-là qui sont des gens exceptionnels dans leur matière mais qui ne s'étaient jamais rencontrés. Et de créer cette rencontre-là entre des mondes différents qui essayent chacun à leur façon de changer le monde et d'avoir un impact. Ça crée quelque chose d'explosif dans le bon sens du terme. C'est cette capacité de rencontrer des gens qui sont engagés dans des univers qui sont complètement différents du vôtre. La nouvelle directrice d'Imagine, qui vient des États-Unis, dit Moi, je suis venue parce qu'il y a ce financement, donc je sais que je vais pouvoir agir. Donc ça, c'est très enthousiasmant, et c'est nouveau, et donc c'est une nouvelle étape qu'on va essayer de continuer, c'est-à-dire d'embarquer dans notre générosité. pas simplement nos équipes, mais aussi les investisseurs et les autres sociétés d'investissement. Ça, c'est le futur de Raze.
- Speaker #1
Et si je vois le débat un peu plus largement, du coup, là, on parle d'impact. D'ailleurs, je crois que vous êtes placée entreprise à mission.
- Speaker #0
On est entreprise à mission. Enfin, on l'était dès le départ, mais on s'est mis en statut entreprise à mission.
- Speaker #1
Est-ce que tu penses, parce qu'aujourd'hui, on voit que, par exemple, dans les sphères comme l'éducation, la santé, le climat, la sphère publique a peut-être moins de marge de manœuvre. On parle beaucoup de déficit de dette publique, pardon. Est-ce que tu penses que l'entreprise, du coup, a encore plus potentiellement un rôle à jouer ?
- Speaker #0
Elle a toujours eu un rôle fondamental à jouer. Je pense que chacun sa place. Le gouvernement régule, le gouvernement met les règles, les orientations, pas simplement au gouvernement français, mais aussi au niveau européen. Et ça, je pense qu'honnêtement, le gouvernement... Après, on peut critiquer les modalités, la façon dont c'est fait, etc. Mais l'axe a été pris et de façon très engagée par rapport à d'autres régions du monde. Après, les entreprises prennent leurs responsabilités, les salariés prennent leurs responsabilités, le citoyen prenne leurs responsabilités, les associations aussi. On n'y arrivera que tous ensemble et chacun doit prendre sa part. Ce qui est sûr, c'est qu'aujourd'hui, on voit que l'engagement des grands groupes, des PME, des entrepreneurs, etc. autour de la question de l'environnement et autour du lien social. Et la loi Pacte, qui a aussi beaucoup aidé, est en mouvement. Alors, est-ce que c'est assez rapide ? Est-ce qu'il ne faut pas aller plus loin ? Bien sûr, il y a toujours des tas de problèmes. C'est vrai qu'on a un déficit, la gestion des affaires publiques est un sujet, mais moi, à la place où je suis... Et avec Gonzague et avec les équipes, nous, ce qu'on se dit, c'est que si on arrive à faire en sorte que les entreprises et les entrepreneurs qui ont compris le changement de modèle... Le financement va vers eux. C'est pour ça qu'on a créé un fonds d'impact, le fonds d'impact le plus important en France. Et qu'on met l'argent là, où ceux qui ont cette capacité de changement de fait, à notre petit niveau, parce qu'on n'est pas une multinationale, on aura aidé ce mouvement-là. Et l'idée, je pense que c'est important de dire, ce n'est pas de vouloir faire des grandes choses. On n'est pas tous destinés à faire des choses... des choses grandes, mais c'est de ne pas sous-estimer ni sa propre capacité à agir, ni de sous-estimer le désir qu'on a. C'est pas parce qu'il est petit ou qu'il y a plein de gens qui l'ont déjà fait, ou qu'il a déjà été réalisé, etc., qu'il n'a pas de valeur. Il a une valeur essentielle pour soi et pour les équipes qu'on entraîne. Et donc, comparaison n'est pas raison, en fait. Le sujet, c'est toujours de donner le meilleur de soi-même et de ne pas le comparer aux autres. On vit tellement dans une société où on va mettre en exergue des gens exceptionnels. C'est bien si ça t'aide en te disant que c'est un but à atteindre.
- Speaker #1
Ça te fait douter, ça t'angoisse ?
- Speaker #0
Quelquefois, je rencontre, heureusement rarement, des femmes qui me disent... de te rencontrer me complexe. Ça me déprime totalement parce que moi, je suis quelqu'un de très normal. Je n'ai rien d'exceptionnel. Et la lecture sur le papier glacé et tout ça évite de montrer tous les échecs, toutes les déceptions, tous les trucs qui n'ont pas marché, tous les rêves dans lesquels je me suis fourroyée et tout ça. Moi, j'ai juste envie de donner envie aux gens. Il y a une phrase que je cite souvent, parce que ce n'est même pas une phrase, c'est un mot. Je ne sais pas si tu es beaucoup trop jeune pour connaître ça, mais il y avait un journaliste exceptionnel qui s'appelait Jacques Chancel. Jacques Chancel interviewait les personnalités de son époque, qu'ils soient chanteurs, politiciens, artistes, philosophes, etc. Et il avait l'art de toujours poser, juste à la fin de son émission qui s'appelait Radioscopie, qu'on peut écouter. en podcast parce qu'elles existent et elles sont passionnantes, une question où c'était impossible de répondre au moment où il y avait le générique de la fin. Et il interroge Jacques Brel. Et juste au moment où commence le générique de la fin, il lui dit, Jacques Brel, c'est quoi votre idéal ? Question très simple. C'est quoi ton idéal ? Et Jacques Brel répond, il réfléchit quelques secondes, et il dit, essayez. Mon idéal, c'est d'essayer.
- Speaker #1
C'est beau.
- Speaker #0
Et au fond, tu vois, dans les moments de doute ou des moments où tu te dis, mais est-ce que j'en suis capable ? Est-ce que je vais le faire ? Nous, on accompagne un navigateur qui s'appelle Eric Bégnon, qui a fait le Vendée Globe et qui va refaire le Vendée Globe. Et la première fois qu'il a fait le Vendée Globe, il y a un moment, il arrive vers les 40e du rugissant, il est épuisé, il n'a pas dormi, il se dit... Il y a le cap de bonne espérance. Allez, j'arrête. Et puis, il se dit, en fait, qu'est-ce que je risque à essayer ? Et il fait l'empannage de sa vie. Et il y va, il essaye. Et il était 29e, il remonte, il arrive 9e, il est le premier des bisutes, enfin, de ceux qui font la navigation pour la première fois, à avoir ce rang-là. Et donc, voilà, dans ces moments où on a... C'est souvent des mots très simples qui disent, ben, essaye. Simplement, essaye. Après, si tu tombes, tu n'y arrives pas, ce n'est pas grave. Mais au moins, tu auras essayé. Moi, c'est toujours ce que j'ai dit à mes enfants. J'en ai dit, il ne faut jamais que vous ayez des regrets ou des remords parce que par flemme ou par paresse, parce que vous avez eu peur. Toujours essayer.
- Speaker #1
Et puis, quand on y pense, après, ce n'est pas facile. Mais quand tu as un échec, tu regardes ce qui s'est passé en arrière. Mais finalement, le pas de plus devant, si tu oublies ce qui s'est passé en arrière, ça n'existe plus. Il est beaucoup plus facile à faire.
- Speaker #0
Mais tu vois, il y a une phrase de Maurice Schumann qui me revient. C'est que Maurice Schumann disait... à propos de la construction de l'ORAP, il disait que c'est une épreuve tellement difficile, c'est une construction tellement difficile qu'il ne faut surtout pas prendre les erreurs comme des échecs. Et je crois que nos vies, c'est ça. Nos vies, c'est un chemin long qui a parfois ses côtés rugueux, difficiles et tout ça. Nos échecs sont des apprentissages en fait, et qu'on fait des erreurs, on va dans des impasses, mais... Tout ça fait partie de la construction de l'ensemble, de notre expérience. Et donc, de redonner toujours, se dire toujours, encore une fois, tous les matins, j'essaye.
- Speaker #1
Ok. Et du coup, à côté de Reis, tu as aussi d'autres engagements. J'ai vu que tu as été président du Women's Forum. C'est quelque chose qui est assez connu, mais je me demandais, c'est quoi le Women's Forum ?
- Speaker #0
J'ai été cinq ans présidente du Women's Forum et ça a été une expérience assez extraordinaire parce que le Women's Forum, c'est l'idée de valoriser la place des femmes dans le monde. Mais c'est surtout exprimer et permettre aux femmes d'exprimer leur vision du monde. Et moi, je n'aime pas les classifications sexistes, etc. Mais ce qui est vrai, c'est qu'un monde qui est dirigé uniquement par un sexe. ce qui est le cas de notre monde d'aujourd'hui, est forcément déséquilibré. Quand il y a trop de testostérone qui domine, je ne vais pas mettre des noms sur les dictateurs qui peuplent notre planète, le monde va mal. Le monde est fait d'équilibre, l'humanité est faite d'hommes et de femmes. Et l'un des drames de notre humanité contemporaine, c'est le fait que les femmes ne puissent pas exprimer ni leur talent, ni leur vision du monde à la hauteur des hommes. C'est ça être féministe. Ce n'est pas revendiquer des choses, être en colère contre les hommes et tout ça. Être féministe, c'est vouloir l'égalité entre les hommes et les femmes. D'ailleurs, c'est un élément très important de la constitution de Reyes, nous sommes à parité totale. Et nous sommes, je parle tout le temps de Gonzague, puisque Gonzague est mon associé, mais... Toutes les équipes sont dirigées en binôme avec un homme et une femme. Et c'est ce qui fait la réussite de Raze. C'est que personne ne décide seul, personne ne peut dire je personne ne dit c'est grâce à moi c'est toujours collectif. Et surtout, la différence est installée dans le mode de fonctionnement et le dialogue, la discussion est installée dans le mode de fonctionnement de Raze. Et le Women's Forum, c'est vraiment cette idée de pouvoir mettre en valeur le talent, le potentiel des femmes et tout ce qu'elles font et tout ce qu'elles accomplissent et permettre à aboutir à cette parité, à cette diversité qui est si essentielle pour le bonheur de l'humanité. Donc ça a été un chantier passionnant pendant cinq ans, où on s'est développé à l'international, on a remis le Manforum à l'équilibre, etc. Et puis à un moment donné... Les comptes étaient redressés. Il y avait une directrice générale qui s'appelle Chiara Corazza, qui était formidable. Une présidente, qui est toujours présidente, qui était Anne-Gabrielle Elbrunner, qui était là aussi. Et moi, j'avais des bords de Reis qui grandissaient. J'ai passé la main, mais j'ai beaucoup aimé. C'était une aventure de rencontre de femmes assez exceptionnelles, qui a été formidable.
- Speaker #1
Et tu vois, pour t'expliquer aussi moi les sages, j'avais comme thèse au départ d'être paritaire. Et en fait, comme je reçois des entrepreneurs, des politiques, des écrivains, etc., comme tu le disais à juste titre, le monde est quand même dirigé par 90% d'hommes. Et donc, très sincèrement, je me bats pour avoir à peu près la parité. Je crois que j'ai eu 60-40 sur la première saison. Et là, normalement, sur la saison 2, j'aurais 50-50. Mais tu vois, je pense que c'est... C'est peut-être ce qui fait qu'il y a des gens qui écoutent les sages. C'est qu'on arrive à avoir, notamment avec les femmes, des discussions qui sont un peu out of the box. Beaucoup moins, comme on a peut-être un peu plus émotionnel, spirituel, philosophique. J'arrive plus à avoir ce genre de discussion avec des femmes.
- Speaker #0
C'est possible, je ne sais pas. En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'on a besoin des deux et qu'il faut se battre pour que cette... Cette parité, alors moi, la parité, je la mets effectivement, comme tu dis, 40-60. Quelquefois, c'est dans un sens ou dans l'autre. Mais un monde où il n'y a que des femmes, ce n'est pas bien non plus. Mais il y a tellement de chemin. Il y a tellement de chemin. Je suis en train de lire un livre qui est absolument bouleversant, qui s'appelle Lire Lolita à Téhéran. Et qui raconte comment ce pays, qui était un pays éduqué, cultivé, a progressivement, de façon totalement absurde, mis les femmes dans une interdiction et tout étant fondé sur l'idée qu'une femme est dangereuse parce qu'elle peut atterrir le désir de l'homme. Comme si l'homme se réduisait à son désir qu'il ne maîtrise pas, et comme si la femme n'était qu'un objet de désir. C'est affolant. Et pourtant, ça, aujourd'hui encore, ça écrase une grande partie de l'humanité.
- Speaker #1
On parle souvent de parité de genre. Il y a quelques années, on parlait un petit peu de parité générationnelle. Qu'est-ce que tu en penses ?
- Speaker #0
Moi, j'ai écrit un livre là-dessus, parce que j'ai écrit un livre qui s'appelle Faut qu'on parle avec ma fille Bérénice qui est exactement sur ce thème-là, où on évoquait cinq thèmes, qui étaient des thèmes où on avait vraiment le sentiment que moi qui suis plus jeune, mais issue de la génération mai 68, nos valeurs n'étaient plus les mêmes. Le rapport au travail, le rapport à l'environnement. Le rapport à la consommation, le rapport à la famille, le rapport à la sexualité, le rapport à tout ce qui fait un peu la vie. Et on a fait un dialogue où on a chacune un peu poussé le trait. Pour dire plusieurs choses, la première c'est que notre culture 68ard, elle est totalement dépassée et démodée. Et que moi j'ai la conviction que nous sommes la première génération qui devons apprendre de nos enfants plus que nous, nous leur apprenons. Et la deuxième chose, c'est qu'on peut beaucoup s'aimer et ne pas être d'accord. On n'a pas besoin d'être forcément d'accord pour bien s'entendre. Et ça aussi, c'est un élément important et qui fait la force de la démocratie. C'est que, comme on dit en anglais, we agree, we disagree. C'est-à-dire qu'on est d'accord pour dire qu'on n'est pas d'accord, mais ce n'est pas grave, on s'entend bien quand même.
- Speaker #1
Avant de passer à une partie plus personnelle, j'ai vu aussi que tu étais... Parce que t'es en plus de ta personnalité, t'es membre de conseils d'administration dont LVMH et Bouygues. Et là, c'était Sage qui est plus connu, je crois, sous le nom de Michelin où Michelin fait partie.
- Speaker #0
Alors, j'ai été dans quatre conseils d'administration. J'ai quitté Danone et Veolia au bout de huit ans. Et je suis au conseil d'administration d'LVMH, de Bouygues. Et effectivement, je suis aussi au conseil de la Sagesse. La Sagesse, c'est un... Une structure qui est liée au fait que Michelin est une structure en commun dite. Et donc tu as un conseil de surveillance et la sagesse. Et la sagesse a pour vocation principale, mais pas seulement, de choisir le dirigeant de Michelin. Et c'est aussi une manière de préserver le rachat d'une entreprise par des prédateurs qui viendraient sans l'accord de l'entreprise. Et ça, c'est des fonctions qui m'ont... qui me passionnent d'abord, qui m'ont beaucoup apprise et qui me permettent, j'espère, d'aider, d'accompagner, mais aussi d'apprendre beaucoup des grands groupes, aussi différents soient-ils que LVMH, qui est une entreprise absolument extraordinaire, et d'une entreprise comme Bouygues, qui a des métiers assez différents et qui, elle aussi, a une vraie, vraie culture d'entreprise qui est fondée sur l'humain. C'est passionnant.
- Speaker #1
C'est quoi, si on rentre rapidement dans le détail, le métier d'un board member ? Parce que c'est, quand on y pense, c'est des entreprises que tu ne côtoies pas opérationnellement. Tu viens apporter ton regard extérieur ?
- Speaker #0
En théorie, je dis bien, le conseil d'administration, c'est celui qui valide les grandes orientations stratégiques et qui, au fond... C'est le cas chez Veolia, c'est le cas chez Danone. Choisis les gens. Donc c'est un rôle très important qui demande beaucoup d'écoute, beaucoup d'apprentissage. Parce qu'effectivement, tu n'es pas les mains dans le cambouis, ce n'est pas toi qui fais. Tu peux donner des conseils, des orientations, mais tu es surtout là pour veiller à ce que le management fasse bien son métier. Alors avec Bouygues et LVMH, je n'ai pas beaucoup d'inquiétudes. Ce sont des maisons qui sont... très bien tenu, très bien géré. Mais quand même, on a une vraie responsabilité juridique de faire en sorte que les choses se passent bien. Et on peut aussi avoir de l'influence, tu vois, sur... par ce que tu peux, à titre personnel, apporter. Tu vois, par exemple, dans les conseils d'administration, il y a souvent des gens qui s'y connaissent très bien en finance, des gens qui s'y connaissent bien en environnement, des gens qui... qui ont une vraie expertise à l'international, qui apportent un autre regard qui est utile aux dirigeants. En tout cas, c'est ça le rôle d'un conseiller d'administration.
- Speaker #1
Et toi, ton regard, c'est plutôt par rapport à ton expérience de la sphère publique, de l'impact, ta vision de la société ?
- Speaker #0
Je pense qu'aujourd'hui, j'apporte surtout le regard entrepreneurial. le regard d'investisseurs et le regard aussi de tout ce qui concerne l'impact, l'environnement, qui sont des sujets sur lesquels je me suis beaucoup investie. Faire pousser le conseil à se former lui-même à tous les enjeux du changement climatique, etc.
- Speaker #1
Ok. Si tu le veux bien, on va passer à la dernière partie de ce podcast, plutôt sur une sphère un peu plus personnelle. alors quand on regarde ce que tu as fait alors il y a évidemment tout ce que tu as fait professionnellement mais tu as aussi 9 enfants, j'imagine que c'est un immense bonheur, c'est aussi singulier comment on fait, comment on gère 9 enfants, le mot gérer n'est peut-être pas bien choisi c'est sûr mais tu vois une telle carrière donc une telle carrière et à côté ton mari aussi travaille beaucoup j'imagine et 9 enfants
- Speaker #0
Alors, la seule réponse que je peux te faire, c'est qu'il ne faut pas se poser la question. Parce que si tu te poses la question, tu te dis, ben non, ce n'est pas possible. Et nous, on avait envie d'avoir une grande famille et moi, je n'ai pas envie de rester à la maison et qui veut faire l'ange fait la bête. Comme je te l'ai dit, je voyais mon père qui voyageait, j'avais envie de participer, d'apporter ma... ma contribution au monde, au-delà du fait d'avoir une grande famille. Et j'ai géré au jour le jour, le mieux que j'ai pu, pas forcément parfaitement loin de là. La leçon que j'en tire, c'est que quand tu as beaucoup d'enfants, ils sont tellement différents les uns des autres, et ça te rend très très modeste sur ton rôle de parent.
- Speaker #1
Est-ce que par la relation, ils sont plus amenés à grandir par eux-mêmes aussi ?
- Speaker #0
D'abord, il y a la relation entre eux qui est très forte, mais ce n'est pas ça que je veux dire. C'est que très souvent, on se met une pression terrible en tant que parent en se disant qu'il faut que je leur donne le meilleur, etc. En fait, un enfant, c'est comme une plante. Il faut bien l'arroser, lui donner le soleil, lui donner l'ombre, lui donner le cadre de vie qui va lui permettre de s'accomplir. Mais si tu penses que c'est toi qui l'accomplis, tu te trompes. Un enfant est une personne à part entière, qui a sa personnalité, qui a son caractère. C'est lui qui décide quand est-ce qu'il naît, c'est lui qui te mène par le bout du nez dès le départ. Et pour en avoir eu beaucoup, ils sont tellement différents, ils ont des trajectoires tellement différentes. Ils ont eu la même enfance. Ils ont dix ans d'écart entre le premier et le dernier, donc ils ont eu la même enfance. Et donc ça te rend très humble sur le fait que la seule chose que tu peux leur donner... C'est le fait que tu leur dises et que tu leur répètes que tu les aimes d'un amour inconditionnel. Pas forcément parfait, mais que quoi qu'il arrive, tu seras toujours là. Et d'être là, mais leur donner la liberté de se construire, d'échouer, de recommencer, tout ça. Mais qu'ils sachent qu'ils ont tout le temps ce filet de sécurité, qui est un filet de sécurité d'amour inconditionnel, et qui leur donne cette liberté, c'est ça le rôle de parent. C'est rien d'autre. Après, évidemment... Tu leur donnes des rituels, des habitudes, des choses comme ça, mais tu leur donnes aussi beaucoup de tes défauts, beaucoup de tes erreurs. Moi, j'en discute avec eux en disant qu'il y a des trucs que j'aurais dû faire, que je n'ai pas fait, qu'on aurait dû faire et qu'on n'a pas fait, mais ce n'est pas grave. Et ça, c'est la première chose qu'elle m'a appris. La deuxième chose que ça m'a appris, c'est qu'un enfant, ça t'apprend à anticiper, à organiser. et à penser les autres avant de passer toi-même. Il y a une scène dont je me souviens très bien, qui était une scène un peu dramatique, parce qu'on vivait en Égypte et j'avais un fils qui était très très malade et qu'il fallait rapatrier en avion, un moment un peu tragique où j'ai eu le sentiment, j'étais dans un taxi pour l'aéroport, où j'étais avec mes autres enfants, j'étais toute seule parce que mon mari était déjà en France. Et j'ai vu le moment où... Mon petit allait partir, il n'arrivait plus à respirer. J'avais envie d'hurler, de crier, mais il fallait que je reste calme parce qu'il y avait les autres enfants. Et ça, ces moments-là, tu les revis dans l'entreprise. Quand ton entreprise est en crise, est en difficulté, si toi tu te mets à paniquer, si toi tu te mets à te mettre en colère, si tu te mets à mettre du stress, etc., tu augmentes la panique par rapport à tes équipes. Et donc le paquebot coule. En revanche, si tu dis je suis là le bateau est sûr. On va se débrouiller, on va y arriver. On va se débrouiller ensemble. On se mobilise sur ce qu'on peut faire et non pas sur ce qu'on ne peut pas faire. On se concentre sur tout ce qu'on peut mettre en manœuvre nous, sans regarder tous les obstacles et tout ce qu'on ne peut pas faire. Tu changes le destin d'une entreprise, tu changes le destin d'une famille, tu changes le destin de ta vie aussi. Et ces moments critiques qu'on connaît tous dans nos vies personnelles, des moments un peu tragiques, parce qu'il y a quelqu'un qui va mourir, il y a une séparation, il y a des moments où ton enfant est à l'hôpital. Moi, j'ai un enfant à l'hôpital pendant assez longtemps. C'est des moments qui sont des moments tragiques au moment où tu les vis. En fait, ils t'éduquent pour la vie. Donc, on parle souvent de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale. Moi, je sais que j'ai beaucoup appris de ma vie familiale pour mon métier et l'inverse aussi. Et que les deux m'ont nourri. Et je demande pardon pour tout ce que je n'ai pas fait bien, mais j'ai essayé de faire du mieux que je pouvais.
- Speaker #1
Est-ce qu'il y a des choses qui te mettent en colère ?
- Speaker #0
Non, je me mets rarement en colère. Des choses qui me rendent triste. Des choses qui me rendent triste, oui. Mais non, la colère... La dernière fois où je me suis mis en colère, je me suis rendu compte que ça faisait du mal qu'à moi. Non, je ne me mets pas souvent en colère.
- Speaker #1
Il y a des choses qui te rendent triste. C'est quoi ? C'est des causes, des comportements ?
- Speaker #0
La tristesse, c'est bien toujours du manque de quelque chose. Et oui, des situations de deuil, des situations où la vie est tragique. Tu sais, c'est un peu comme... L'amour, c'est comme le soleil, un grand soleil. Et puis devant passent des nuages, passe la pluie, passent des tornades. Ça, c'est la vie. Et c'est des sentiments qui sont des sentiments humains qu'il faut écouter, entendre et respecter. Mais si tu sais... Toujours que derrière il y a le soleil.
- Speaker #1
Tu es plus confiant ?
- Speaker #0
Dans les moments très difficiles où c'est tout noir, tu t'en rappelles. Et tu as la lame de fond qui est toujours là et qui calme les écumes. Je ne te dis pas que c'est facile, mais...
- Speaker #1
Il y a de l'espoir, il y a de la foi.
- Speaker #0
Oui, de la foi certainement, mais surtout de l'amour de la vie, je crois. L'amour de la vie. Alors, il y a aussi le fait qu'il ne faut pas... Qui veut faire l'ange fait la bête. Il faut écouter ses désirs. Il faut écouter ses désirs et moi, je ne suis pas du tout une femme de devoir, je suis une femme de désir. Je n'ai pas fait les choses par devoir, j'ai fait les choses parce que j'en avais envie. Et ça, j'insiste beaucoup là-dessus, c'est pour ça que je suis partie marcher un mois. Quand tu as une grande famille, quand tu as une entreprise, comment tu pars marcher un mois ? Je l'ai fait. En fait, il y a un moment donné où je me suis dit je ne vais pas attendre que la vie me le propose, je vais le faire.
- Speaker #1
Est-ce que tu ressentais le besoin à ce moment-là ou c'était un rêve ? Non,
- Speaker #0
c'était un rêve depuis longtemps. C'était un rêve que j'avais depuis longtemps. Et puis, à un moment, je me suis dit, la vie va me donner l'occasion. Mais non, à un moment, tu décides.
- Speaker #1
C'est toi qui prends.
- Speaker #0
C'est toi qui prends. Et puis, au fond, les choses s'alignent. Gonzague a dirigé la maison sans moi. La famille a très bien tourné sans moi. Alors évidemment, je n'ai pas fait ça quand j'avais des enfants en bas âge. J'avais un an, deux ans. J'ai attendu que mes enfants soient adultes. Mais c'était un chemin que j'avais vraiment, vraiment, j'avais ce désir profond, qui n'était pas, encore une fois, un désir exceptionnel. Mais j'ai mis du temps, mais je l'ai respecté. Et ça, c'était important.
- Speaker #1
Quand je t'écoute, j'ai l'impression que c'est important pour toi, la jeunesse, l'éducation. Qu'est-ce que tu penses de la jeunesse d'aujourd'hui ?
- Speaker #0
Je pense qu'elle est formidable. Je pense qu'elle est formidable et qu'elle a une chance incroyable et qui est en même temps un très grand danger. C'est qu'elle a beaucoup plus de pouvoir que nous, nous avions à l'époque. Parce qu'aujourd'hui, tu vois, tu es venue avec, bien sûr, tu as l'équipe technique derrière, Joyce derrière, qui fait que le podcast soit bien enregistré. Mais vous avez quoi ? Vous avez un ordinateur, deux micros, un téléphone. Autrefois, quand tu devais faire une vidéo, il te fallait un caméraman. La technique était très lourde. Il fallait beaucoup de moyens financiers pour pouvoir le faire. Et puis, tu n'avais pas Internet, tu n'avais pas de téléphone portable. Le monde n'était pas accessible. Il fallait aller en bibliothèque pour avoir un renseignement. Il fallait attendre quatre heures avant d'avoir le livre. Et puis, si ce n'était pas dans ce livre-là, il fallait réattendre quatre heures pour avoir l'information. Aujourd'hui, derrière ton ordinateur ou avec quelques amis, tu as la capacité de créer ce que tu veux, quand tu veux. Et donc, ce pouvoir créateur de la jeunesse, il n'a jamais été aussi puissant. Et en même temps, c'est un très grand danger parce que c'est aussi le pouvoir de manipulation des masses. On voit bien avec l'impact des réseaux sociaux qui t'enferment dans une manière de penser. Et donc, comme toujours, la liberté, c'est ce qu'il y a de plus difficile à vivre. C'est beaucoup plus facile de choisir la sécurité. Et tu vois, j'y réfléchissais parce que je pensais à cette époque, à comment les pays basculent dans une forme de dictature, comme ça a été le cas en Iran ou dans d'autres pays. Mais pendant le Covid, on a accepté l'enfermement pour la sécurité et pour la santé. Donc, c'est très facile. C'était pour une bonne cause, il fallait le faire. Et puis, il n'y avait pas de remise en cause de la démocratie. Mais c'est très, très facile, par la peur, simplement par la peur, d'entraîner les gens à renoncer à leur liberté. Et au fond, la jeunesse, elle doit arriver à d'abord choisir son désir et le sens qu'elle veut donner à sa vie, et ensuite l'aligner. Moi, le paradoxe, c'est que je donne le sentiment d'avoir fait beaucoup de choses dans ma vie, mais moi, je suis d'abord une méditative.
- Speaker #1
D'abord, oui.
- Speaker #0
Je suis une rêveuse, je suis lente, je prends du temps pour décider. Je ne suis pas... Et c'est parce que je suis une méditative que j'ai sans doute fait tout ce que j'ai fait, mais je n'ai pas cherché à faire les choses. Je les ai faites parce qu'elles sont venues de l'intérieur. Et c'est peut-être ça que je voudrais rappeler à la jeunesse, c'est que... Elle a un potentiel de dingue, elle a un talent formidable, elle est éduquée, elle a la capacité d'apprendre, elle a la capacité de voyager, de respirer le monde, etc. Mais elle doit d'abord s'enraciner dans ce qu'on est chacun individuellement pour pouvoir donner au monde tout ce qu'elle peut donner.
- Speaker #1
J'ai encore trois questions pour toi avant de finir cette interview. Tu parlais que tu as suivi beaucoup dans ta vie des désirs. C'est quoi la chose la plus audacieuse ? que tu as faites dans ta vie ?
- Speaker #0
Je ne sais pas si je fais des choses très audacieuses, mais en tout cas, ce qui m'a rendu le plus heureuse, c'est de partir marcher sur la Francigena l'année dernière. Enfin récemment, parce qu'il y a plein de choses qui m'ont rendu heureuse, la naissance de mes enfants, il y a plein de choses qui m'ont rendu très heureuse. Et j'en ai fait un livre qui s'appelle Ma Francigena, qui est sorti chez l'éditeur APA. Et pourquoi j'en parle ? C'est parce que d'abord, j'aime beaucoup l'Italie et j'ai envie de donner envie aux gens d'aller... faire la Francigena. Les gens font Compostelle, mais la Francigena, c'est juste à côté. Et c'est un pays magnifique, avec plein de petits villages qui se sont mis en ordre de marche pour accueillir les pèlerins ou les marcheurs. Et c'est une Italie pauvre. C'est une Italie qui est en train de disparaître et qui a besoin des marcheurs pour vivre. Donc ça, c'est un appel à aller découvrir la Francigena. Et la deuxième chose, je crois que je l'ai déjà dit, mais j'insiste beaucoup là-dessus, c'est que... Quand je dis que je suis une femme de désir, ce n'est pas toujours facile de discerner son désir. Le discernement n'est pas une chose facile. Et la façon dont je le dirais, c'est que tu as des choses dont tu as envie et qui ensuite te créent une forme de désolation. Et puis tu as des choses dont tu as envie et qui te créent de la consolation et de la joie. Et au fond, c'est cette manière-là de distinguer quel est le bon désir du mauvais désir. Si tu as une tablette de chocolat et que tu manges toute la tablette et qu'après tu as mal au ventre, c'est un désir qui était plus une pulsion et qui se transforme en désolation. Après, je prends un exemple très anecdotique, mais ça vaut dans des engagements importants dans ta vie. Et dès que tu sens qu'un désir te provoque de la colère, te provoque de la peur, te provoque du ressentiment, de l'amertume et tout ça, ce n'est pas un bon désir. Si le désir te provoque de l'enthousiasme, une peur saine, une peur protectrice qui va te protéger du danger, qu'elle te procure de la joie, qu'elle te procure cette envie de revenir, de redevenir cet enfant désencombré et tout ça, c'est un bon désir. Et dans les choix professionnels que tu fais, quelquefois tu vas aller vers quelque chose qui va nourrir ton ambition, qui va nourrir ton égo, qui va nourrir ta performance, etc. Et au bout de quelque temps, tu vas en être malheureux. Et puis, tu vas... Plutôt écouter un désir qui va t'apporter de la vraie nourriture, la nourriture de joie, la nourriture de simplicité, et puis de contact avec l'autre, d'aller vers les autres, de te forcer. Ça te demande autant d'efforts que l'autre, et peut-être même plus d'efforts. Mais celui-là, ce désir qui t'apporte de la consolation, c'est celui que tu dois choisir. C'est parfois le plus exigeant, le plus difficile, parce qu'il te fait renoncer à des choses que tu penses importantes. mais je trouve que c'est une manière très très éclairante d'aider à te discerner toi. Quand tu es face à une décision, quelle est la décision que tu dois prendre ? Tu dois prendre celle qui est a priori de la raison, mais qui t'apporte la désolation, ou celui du cœur, et qui t'apporte la consolation.
- Speaker #1
Ok. Il y a des personnalités qui ont particulièrement marqué ta vie ?
- Speaker #0
Il y a beaucoup de personnalités qui ont marqué ma vie et pour lesquelles j'ai beaucoup d'admiration, mais je ne me suis jamais identifiée. à l'une d'entre elles.
- Speaker #1
Jamais. Totalement. Il y a des parties peut-être.
- Speaker #0
Non, même pas. Moi, j'ai beaucoup lu. Alors évidemment, je me suis nourrie beaucoup de personnalités fortes allant de mère Thérésa à des grands écrivains. Je me nourris de Christian Bobin, je me nourris de Christiane Sanger, je me nourris de... Sylvain Tesson, Michael, de grands explorateurs, de grandes littératures contemporaines et étrangères, à aucun moment j'envis leur vie. Je n'ai pas envie d'avoir leur vie. D'abord parce que c'est des gens qui nous emmènent dans un espace qui est plus grand que nous. Et ça, c'est formidable parce qu'ils nous éveillent à autre chose. Mais ce qui est surtout important, c'est qu'ils réveillent notre désir. Moi, on est tous uniques. Et ce qui m'importe, c'est qu'il n'y a personne d'autre qui peut vivre ma vie. Il n'y a personne d'autre qui peut vivre la vie de Nicolas. Et la seule question qu'il faut se poser, c'est est-ce que j'accepte par peur ou par le regard des autres ou par la contrainte d'être un quart de moi, un demi-moi ou de renoncer à moi, de renoncer à ce que je suis dans mon essence. Et ça, c'est quelque chose qu'on confond beaucoup avec l'égoïsme. Ça n'a rien à voir avec l'égoïsme. L'égoïsme, c'est le contraire de se recroqueviller sur son propre égo. Moi, j'ai une définition qui va te paraître très enfantine, mais pourquoi on est sur Terre ? On est sur Terre pour apprendre à aimer. Quoi d'autre est plus important que d'apprendre à aimer ? apprendre à s'aimer soi, à apprendre à aimer les autres, à aimer la terre, à aimer Dieu quand on y croit. Et au fond, cet apprentissage-là, il demande d'abord qu'on s'occupe de soi et qu'on comprenne, pas forcément en détail qui on est, etc., mais ce à quoi on aspire vraiment et qu'est-ce qui nous anime. Et ces choses-là changent avec le temps. On n'a pas toujours les mêmes désirs au long de la vie. On n'en a pas qu'un seul, on en a plusieurs. Et heureusement, on fait des choses différentes et ils ne sont pas contradictoires. Moi, j'aime autant lire un bouquin dans ma chambre et partir au long cours, marcher sur les chemins et rencontrer des amis et danser toute la nuit. J'ai plein de désirs qui sont simplement des amours de la vie et de la rencontre. Et donc... Je pense que c'est ça qui est vraiment important, c'est de se dire que les autres, et tous les exemples et tous les modèles qu'on peut avoir, ils sont source d'inspiration, mais on n'est pas là pour faire comme eux. On peut les imiter sur certains aspects, parce qu'ils nous aident, ils nous font gagner du temps, mais il ne faut jamais oublier qu'il n'y a que nous qui pouvons être pleinement nous-mêmes, il n'y a personne d'autre au monde. qui peut être Nicolas, qui peut être Clara, qui peut être Joyce, qui peut être personne d'autre. Donc, c'est ça notre responsabilité. C'est d'essayer autant que verse peut d'être pleinement nous-mêmes.
- Speaker #1
Qu'est-ce qu'on peut te souhaiter ?
- Speaker #0
Une longue vie. Une longue vie. Non, je pense... Moi, je dis souvent qu'il n'y a que l'amour qui compte, le reste, c'est que de l'agitation. Et donc, de garder cette foi-là. de ne pas perdre mon âme d'enfant. Mon âme d'enfant qui a une vraie part de naïveté. Je suis quelqu'un de naïf. J'ai du mal à voir le mal, sans doute pas assez. Mais je terminerai peut-être avec cette anecdote, parce que c'est une anecdote qui m'a beaucoup appris dans la vie. J'étais au Danemark, c'était l'été, et on a tous appris à faire du vélo. sur la plage parce qu'il y a une petite promenade qui permet de faire du vélo. J'avais 5 ans. Il y avait une petite cabane où on pouvait acheter des bonbons et des glaces. Et ma mère me donne 50 centimes pour aller acheter des bonbons. J'y vais à vélo et juste à côté de cette cabane, il y avait un champ d'ortie. Et j'avais tellement peur de ce champ d'ortie que je suis tombée dedans. Donc je reviens en pleurant. Le lendemain, j'y retourne et je retombe dans le champ d'ortie. Et le troisième jour, mon père était là et je lui dis Papa, est-ce que tu ne veux pas m'accompagner, m'aider à tenir le vélo pendant que j'y vais ? Parce que je tombe tout le temps dans le champ d'ortie. Et mon père m'a dit Écoute, non, tu vas y aller toute seule, je vais te regarder. Mais tu ne regardes pas le champ d'ortie, tu regardes le marchand de glace. Et tu fais comme s'il n'existait pas. Et je ne suis pas tombée dans le champ d'ortie. Donc, à trop regarder les obstacles, les obstacles deviennent des buts. Il ne faut jamais se poser la question de savoir si on en est capable. En fait, on ne sait jamais de quoi on est capable. Il faut juste essayer et recommencer, et recommencer, et recommencer. Et à chaque fois, se reposer la question de est-ce que c'est vraiment mon désir ? Il y a des choses qu'on essaye et qui échouent. Mais en fait, c'est parce que ce n'était pas vraiment notre chemin. Et puis, il y a des choses qu'on essaye et qu'on échoue. Et on se rend compte que ça réveille le désir. Et donc, ça, c'est le bon choix.
- Speaker #1
Merci Clara. Merci pour votre écoute des sages sur cette nouvelle saison. Si vous avez aimé, vous avez été inspiré, vous avez appris quelque chose, il n'y a qu'un moyen de nous remercier. Si vous êtes sur Spotify ou Apple Podcast, abonnez-vous et mettez 5 étoiles. 30 secondes de votre temps, mais qui nous permettent d'être toujours plus visibles et que d'autres personnes découvrent les sages. Avant de se quitter, une dernière chose. N'hésitez pas à m'envoyer un message sur LinkedIn. Nicolas Jeanne, Jeanne, J-A-N-E. Pour me dire ce que vous en avez pensé, vos retours, des suggestions d'invités. Vos retours nous font grandir. Merci.