Speaker #0Je vis en pleine campagne, vraiment en campagne. Alors ce qui est rigolo, c'est que vraiment, je dirais, on a deux aspects. Moi, j'ai vraiment le côté campagne pour pouvoir me ressourcer. Et quand je travaille, je travaille en plein centre-ville de Lille. Quand je rentre du travail, voilà... Je souffle et je retrouve ma campagne, mais la vraie campagne, dans un village où il n'y a pas de boulangerie, il n'y a pas de boucherie, à part trois, quatre fermes qui nous entourent, il n'y a rien d'autre. Et après, je rejoins, quand je pars au travail, je mets mes habits du dimanche, je dirais presque, et me voilà partie en centre-ville avec le train, avec les bouchons, avec la population. avec la vie vraiment, je dirais, d'une vraie citadine. J'ai deux passions dans ma vie. J'ai la passion de mon métier qui est vraiment l'esthétique et j'ai une autre passion, c'est les chevaux. Alors les chevaux, chez nous, il y a des gens qui commencent à monter à vélo à deux ans et chez nous, en fait, on ne monte pas à vélo. On a d'abord à poigner. Et ça a toujours été une passion dans notre famille. On a plus l'habitude de promener son cheval que de promener son chien. Et ce sont des passions qui sont dévorantes. Ça vous prend du temps, ça vous prend de l'énergie. Ça vous prend la moitié de votre argent. Quand on est des gens passionnés, on ne compte jamais, heureusement. Et puis arrive le jour J. Un jour lambda, j'arrive aux écuries. Et ce jour-là, grande tempête. Mais quand je dis tempête, c'est comme dans les BD. Quand on voit les BD, on ouvre le... la porte de la voiture et le petit bonhomme qui s'envole. C'était exactement ce jour-là. Et malheureusement, je suis dans le manège avec mon cheval et le vent qui s'engouffre dans des... On a des grandes portes en métal et la porte qui s'engouffre, le vent qui fait un grand tourbillon et la porte qui claque. Et là, le cheval qui a peur. Et là, je prends un coup de pied de cheval en pleine phase. Donc, le visage complètement... complètement noyé. Et là, on se retrouve le soir, je pense, alors je n'ai plus les souvenirs puisque j'étais directement dans le coma. On se retrouve à l'hôpital. J'ai dû me réveiller le lendemain, je pense. Et là, tout s'effondre. Tout s'effondre parce qu'on se dit « Qu'est-ce que je fais là ? Je n'ai pas compris. Je me suis réveillée. » Et mon mari qui me dit « Écoute, ce qui s'est passé, c'est simple. Tu as pris un coup de poing. le pied de ton cheval, ok. Aujourd'hui, il va falloir se construire. Donc, je m'aperçois qu'au fur et à mesure où il me parle, moi, je ne peux pas parler. Et je me dis, mon Dieu, mais qu'est-ce qui se passe ? Et là, il m'explique, il me dit, écoute, Fabienne, il me dit, tu as eu vraiment un gros choc, et tu as la mâchoire, mais complètement, la mâchoire, elle est broyée. Ok, donc il va falloir du temps, mais on va y arriver. Et là, j'ai dit, j'ai eu du mal à réaliser. Je pense que comme tout le monde, quand on a un gros choc, on a besoin de temps. Quand mon mari m'a dit, tu sais, tu étais entre la vie et la mort. Moi, je n'ai pas réalisé sur le coup. Mais il me dit, tu te rends compte ? Et il me dit, non seulement tu as les visages broyés, mais en plus tu avais les poumons broyés, puisqu'en fait le coup a été... tellement été violent, que j'ai eu en plus des collements de la plèbe avec les poumons qui ont été abîmés et des difficultés respiratoires. Et là, je me suis dit « Ah ouais, donc en fait, je suis passée à côté de la mort. » Et mon mari m'a dit « Mais tu sais, quand je suis revenue te retrouver à l'hôpital, je pensais que tu étais morte. Tu avais du sang partout, tu étais ouverte en deux, tu avais la mâchoire tout pendée. Il me dit « Je pensais que tu étais morte. » Et là, on se dit, bon, je me réveille, effectivement, bah oui, j'aurais peut-être plus le même visage qu'avant. Effectivement, j'ai des cicatrices. Effectivement, c'est moins joli, bah oui. Mais l'essentiel, c'est d'être là. L'accident, je n'ai aucun souvenir, mais vraiment aucun. Aujourd'hui, ce que je peux raconter, c'est grâce aux personnes qui étaient... qui était présente dans le manège ce jour-là, donc il n'y avait que deux personnes. Mais sinon, je n'ai aucun souvenir de l'accident. Je pense que, vous savez, l'esprit, il est bien fait parce qu'il y a des choses qui sélectionnent et il y a des choses qui sont mises de côté. Et ça, ça en fait partie. Et je pense que c'est bien fait et c'est comme ça. Sinon, après, on n'avance plus dans la vie. Mes premières pensées, je me suis dit, mais ça va être long. Et c'est rigolo parce qu'on a des futilités qui nous viennent et je me disais, mais quand est-ce que je vais aller retravailler ? Comment je vais dire à mes collègues que je ne vais pas venir travailler ? Parce qu'au départ, moi, dans ma tête, je m'étais dit, dans un mois, je reviens. On n'est parfois pas très réaliste. Je pense que je n'ai pas réalisé tout de suite que tous mes os de ma mâchoire étaient broyés, qu'il aurait fallu vraiment du temps pour reconstruire tout ça. Donc, je n'ai pas vraiment réalisé. Et je me disais, mon Dieu, mais il ne va quand même pas le voir que je dise à mon mari qui téléphone à mes collègues. C'est vraiment des futilités qui nous viennent à l'esprit. quand je me suis réveillée Je n'ai pas réalisé qu'en fait, il m'avait mis ce qu'on appelle un blocage de la mâchoire. C'est-à-dire qu'en fait, j'avais deux grandes barres en métal dans les gencives du haut, les gencives du bas. Et en fait, il m'avait recousu toute la bouche, justement pour pouvoir guérir. Au départ, quand je me suis réveillée, je ne comprenais pas. Il y avait une ardoise qui était sur mon lit. Et je me suis dit, pourquoi ils m'ont mis une ardoise ? Bon, et finalement, au bout de deux jours, je l'avais compris. Et j'ai dit à mon mari, c'est quoi la suite ? et il m'a fait un petit métier. La suite, il m'a dit, c'est la patience. Et là, je lui dis la patience. Donc, il n'avait jamais eu de patience. On est toujours en train de courir. Courir après quoi ? Après le temps, après le travail. On court après tout. Et mon mari m'a dit, tu vas arrêter de courir. Et puis maintenant, tu vas penser à toi. Et là, on se dit, là aujourd'hui, tu n'as pas le choix. Il va falloir te reconstruire. Et c'est malheureusement dans des périodes comme ça où on fait un peu, je dirais, le point sur sa vie. où on prend conscience des choses qui sont importantes et les choses futiles. Je suis restée un mois à l'hôpital. Ils vous apprennent à vous « renourrir » . Pendant six mois, je n'ai pas pu manger normalement. C'est-à-dire qu'ils vous donnent des aliments, comme la bouche est complètement fermée pour pouvoir reconstruire la mâchoire. On vous apprend à vous nourrir autrement. Avec une paille, vous avez des aliments qui sont hyper, protéinés pour se reconstruire. Et donc, je rentre à la maison et j'essaye de retrouver, je dirais, un quotidien, de retrouver ces marques. Parce que quand on se retrouve comme ça, il faut se refaire une vie qui n'est pas la vie de tous les jours. C'est-à-dire, qu'est-ce que je vais faire de ma journée ? Ah bah oui, alors c'est l'infirmière, ah bah oui, c'est des pansements, et puis c'est du temps, et puis c'est de la reconstruction. Et puis là, je me dis, tiens, j'appellerai bien mes copines. Et puis là, en fait, vous vous apercevez qu'avec votre handicap, vous avez beaucoup de mal à parler. Parce que comme en fait, la mâchoire, elle a été broyée, il va falloir du temps pour qu'elle se reconstruise, cette mâchoire. Et là, on se dit, ah ouais, mince, qu'est-ce que je vais faire ? Je ne peux pas parler, bon, ce n'est pas grave, je mets des textos, etc. Moi, mon premier but, c'était de pouvoir reparler. Parce que vous savez, quand vous êtes bloqué jour et nuit, pendant près de quatre mois et demi, Moi, le médecin m'a dit « Mais Fabienne, vous n'avez pas été bloquée quatre mois, mais vous avez été bloquée huit mois. » Et je lui dis « Quatre mois ? » Il me dit « Oui, puisque c'est jour et nuit. » Et là, je lui dis « Oui, il a totalement raison. » Je dis « Effectivement. » Et quand, en fait, je reçus une intervention pour enlever, puisque j'avais deux grandes barres en métal, une en haut et une en bas, et moi, dans ma tête, je me suis dit « C'est bon, demain, je vais appeler mes copines. » Et là, je me réveille le matin, et Et là, en fait, rien ne se passe. C'est là où, en fait, on a un deuxième choc. J'allais presque dire, vous savez, comme les enfants, ils disent le deuxième effet qui se coule, où on se dit, ah ouais, il n'y a plus rien qui marche. Et là, je me suis dit, qu'est-ce qui va se passer ? Et là, les médecins vous disent, bon, maintenant, on va réapprendre à tout faire. Et là, je me dis dans ma tête, mais il me prend pour quoi, lui ? Et moi, je n'avais pas réalisé qu'en fait... Je n'arrivais plus à ouvrir la bouche, je n'arrivais plus à prononcer aucun mot. Et en fait, là, on m'a dit « bon, maintenant, il va y avoir un travail de reconstruction avec une orthophoniste » . Je me suis dit « mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? » Et je n'arrivais vraiment pas à réaliser, petit à petit, où il faut retrouver vos marques. Et là, vous dites « première étape, en un, essayez d'ouvrir la bouche. Deuxième étape, essayez de reparler. » Troisième étape, essayer de refaire des phrases. Et puis voilà. Et puis tout doucement, c'était... Bon, alors, le matin, on va faire ortho, kiné, ortho, ortho, kiné, ortho. Et puis on arrivera à évoluer. Et c'est comme ça qu'on se refait une nouvelle trame pour pouvoir essayer d'avancer dans la guérison. Alors, première victoire. C'était un truc complètement... j'allais presque dire anodin pour tout le monde, ça a été de remanger un morceau de chocolat. Vous savez, en fait, quand on est privé pendant six mois de nourriture, je ne pouvais manger que du liquide. Et quand on peut retrouver le plaisir de la matière, parce que l'eau, les jus de fruits, mais quand on retrouve cette sensation de pouvoir avoir de la matière dans la bouche. Un truc que personne ne fait attention au quotidien. Vous mangez un bonbon, vous mangez un chocolat, vous mangez ce que vous voulez. Ça paraît tellement naturel. Vous savez, quand les chiens sont méchants, on leur met en fait une muselière. Eh bien, sachez que j'ai vécu cet enfer, parce que ça a été un enfer. Le mot est faible. C'est un enfer au quotidien, jour et nuit, pendant six mois. Et quand on vous dérive de l'enfer, vous appréciez. chaque moment de la vie, mais vraiment chaque moment de la vie, même les plus anodins. Dans mon métier, je travaille au même endroit depuis très longtemps. J'ai la chance d'avoir des clientes qui m'aiment et que j'aime. Et elles ont tellement été inquiètes, puisque j'avais des clientes qui m'écrivaient, j'avais des messages régulièrement de mes clientes. Et quand j'ai enfin retrouvé le chemin du travail, les clientes me disaient « mais c'est Fabienne, on a tellement de plaisir ! » À vous retrouver, c'est l'essentiel. Je suis toujours la même, je suis toujours Fabienne, avec mes touches d'humour, avec mes touches perso, avec mes touches que les clients me connaissent, avec mon franc-parler, je suis quand même la même. Quand on est des passionnés, moi j'aime mon travail, et j'aime mes collègues, j'aime ce que je fais, j'étais impatiente d'y retourner. Donc vous êtes tiraillée entre l'inquiétude, l'envie. parce que moi, j'avais envie de retrouver mon rythme de travail. Et après, d'autres questions qui viennent, mais est-ce que je vais encore être capable ? Est-ce que je vais tenir le coup ? Est-ce que je vais retrouver mon poste comme d'habitude ? Est-ce que le travail va toujours me plaire ? Est-ce que j'aurai toujours envie de travailler ? Mais des choses auxquelles, parfois, on n'avait jamais pensé. 10 000 questions qui vous viennent, auxquelles on n'avait jamais pensé avant. mais des petits trucs tout bêtes. Je pense que le résumé de toutes ces 10 000 questions, c'est ça. C'est « est-ce que je vais savoir refaire mon travail ? » « Est-ce que je vais assumer ? » « Est-ce que je serai encore capable de ? » C'est ça, en fait. Révia a fait partie de mes étapes. Les portes, elles restent ouvertes. Et quand on a besoin, si besoin est, on peut très bien reprendre le téléphone, on remet un petit message. Et vous avez... toujours une réactivité qui est extraordinaire. Le soutien que vous nous avez apporté, moi je me souviens, ce soutien que j'ai eu pendant plus d'un an. D'abord, ça a été surprenant, ça a été par contre très attachant. Parce qu'en fait, ces personnes que je n'avais jamais vues, mais que j'avais au téléphone, j'ai fini en fait, je veux dire, par les aimer. Les aimer pas d'un amour comme on aimera son mari, comme on aimera ses enfants, non. Un amour, je ne sais même pas le décrire, mais un amour qui a été présent et qui vous aide à avancer. Quand on a des personnes comme nous en souffrance, c'est là où en fait, vous avez mais alors tact, vous avez des mots justes, vous avez une patience parce que moi je me souviens au début, les premiers appels qu'on a eus, ils étaient très compliqués parce que je parlais très mal. Et alors j'ai eu, mais vraiment, vous avez une équipe qui est extraordinaire. Toutes les personnes qui ont pu m'accompagner, du début à la fin, ça a été vraiment, ça a été du réconfort. J'ai eu vraiment un accueil qui a été plus que chaleureux. J'ai une directrice qui a été d'une empathie, d'une compréhension. C'est pareil, mes collègues, elles ont été contentes de me retrouver. Je me souviens, ma directrice, elle me dit « enfin, vous revoilà » . Elle dirige… 700 personnes, elle a autre chose à faire que de penser à la petite Fabienne qui a eu sa mâchoire braillée. Et en fait, non. Elle m'attendait. Et en fait, un truc qui ne s'est jamais passé, elle m'a embrassée, mais après, dans les bras, je pense qu'on ne s'est jamais quittées pendant, je ne sais pas, ça a duré entre trois et cinq minutes. Et on n'a même pas parlé. Ça a été, mais un truc de... Comme vous savez, un peu comme dans les films. Mais en fait, ça, je l'ai vécu, mais en direct. Un truc de fou. Je me suis dit, mais... Ma directrice, qui s'occupe d'une petite Fabienne, qui est juste l'œil d'employée. Bon, c'est vrai qu'elle entend ce travail-là, mais je ne m'attendais pas à un accueil comme ça. Et pareil, les filles de mon équipe, elles ont été extraordinaires. Ça fera un an en février que j'aurai repris le travail. La reconstruction, c'est un état d'esprit. Et si on n'est pas ouvert d'esprit, quelle que soit l'histoire qu'on vit, ce n'est pas... Si on n'a pas une ouverture d'esprit, mais ça vous savez on le retrouve partout, on le retrouve au quotidien, on le retrouve dans le travail, on le retrouve avec sa famille. Si on n'a pas une ouverture d'esprit et un état d'esprit un peu positif, on peut très vite plonger. Et je pense qu'il faut accepter d'ouvrir sa porte. Quand je dis ouvrir sa porte, c'est accepter d'être en bas de l'échelle, accepter d'être au fond du gouffre. et une fois qu'on est au fond du gouffre accepter qu'on vous tende la main. Et c'est une main tendue qui va vous aider petit à petit à franchir les différentes étapes de la vie. Vous savez, c'est accepter mais des choses toutes simples. Accepter d'aller voir un médecin, accepter d'écouter les conseils qu'on peut vous donner. Vous savez, des fois, c'est simplement ça, c'est essayer, même si ça ne va pas. Ce n'est pas grave, il faut essayer. Je pense qu'il faut cette ouverture d'esprit. il faut aussi des fois un peu de volonté. Ça, il ne faut pas l'oublier. Parce qu'une guérison, on peut être entouré de personnes, mais si on n'a pas la volonté de vouloir petit à petit regravir les échelons, parfois ça peut être compliqué. Votre vie, elle peut être un jour tout va bien, et le lendemain, tout peut s'effondrer. Quand vous avez la chance ou la vie vous donne une deuxième chance, parce que moi c'est un peu une deuxième chance que j'ai eue, je dirais l'expérience me dit aujourd'hui, accepte ce qu'on te donne, accepte d'être ouverte d'esprit et écoute les autres. Écoute un peu ton cœur, de temps en temps il faut savoir écouter son cœur. Moi je dirais c'est vraiment l'expérience de la vie qui me dit, aujourd'hui laissez-vous guider quand vous êtes dans la panade, quand vous êtes dans le noir, quand on est un peu dans le fond du... Du trou, cette expérience qui nous met vraiment au plus bas que terre, il faut accepter d'écouter les autres pour pouvoir repartir vers la lumière.