- Speaker #0
Rencontre sauvage, un podcast du musée de la chasse et de la nature avec Damien Laforce, cuisinier et chef du restaurant Le Brac. Damien Laforce, quelle serait votre plus belle rencontre sauvage ?
- Speaker #1
J'ai vraiment des très belles images qui me viennent en tête. Je me souviens de ma première bécasse. Une bécasse, c'est un oiseau avec un long bec, un oiseau qui est migrateur, qu'on retrouve dans nos forêts à partir de la fin octobre, à partir des premières gelées, qui se nourrit de l'ombrique, donc qui va piquer le sol, et c'est un oiseau un peu mythique, parce qu'on a presque l'impression de voir une chouette. C'est un oiseau qu'on n'a pas l'habitude de voir, il faut vraiment la lever, ce qu'on appelle au culvé, donc c'est juste devant nous. pas un oiseau qui se trouve facilement comme ça et je m'en souviendrai vraiment toute ma vie je me souviens aussi du premier chevreuil que j'ai chassé c'était dinguissime, c'était beaucoup d'observations à la jumelle à faire attention à chaque branche à chaque caillou sur lequel on peut être pour être le plus discret possible, faire qu'un en fait avec notre environnement ça c'était un moment de dingue, je me souviens du brocard, donc le mâle qui me voit qui rentre à nouveau dans le bois en m'aboyant ça c'était fou Je me souviens, il n'y a pas si longtemps, c'était fin septembre, au moment du brame du cerf, en pleine brume, toujours avec mon chien. Je me souviens le brame, voir ses trois, quatre biches sur une plame. L'endroit était juste féérique, un gros chêne en plein milieu d'une pâture avec pas mal de forêts de sapins autour. Et en fait, au moment où je m'y attends le moins, je relève la tête et le cerf est face à moi, à 80 mètres, dans les léons formés par les sapins, en me fixant, en me regardant. Et puis lui aussi m'a aboyé. a eu la vie sauve, mais c'était des souvenirs qui sont dingues. Gamin, déjà, je l'allais pêcher l'anguille avec mon grand-père, c'est un souvenir aussi qui est hyper sauvage, parce qu'il y a une vraie transmission là-dedans. Derrière le repas, je me souviens de ma grand-mère aussi, qui était juste ravie de ça. Je me souviens d'avoir attrapé mes premières grenouilles, mes premiers tritons. C'est des choses qui peuvent paraître très bêtes, mais pour lesquelles j'avais déjà, gamin, une grande admiration.
- Speaker #0
Et ce sont essentiellement des souvenirs qui sont liés à la chasse ?
- Speaker #1
La balade, évidemment, j'adore ça. Je me balade très souvent, mais la plupart de mes souvenirs, oui, sont forcément mis en parallèle avec la chasse, parce que pour moi, la pêche et la chasse, c'est la même chose. C'est prélever un animal qui est sauvage dans son milieu, le ruser, l'attraper, le transformer et le manger. Mais oui, il y a quelque chose comme ça, chez moi, qui m'anime. Je n'ai pas une volonté de détruire, pas du tout, j'ai juste une volonté de chasser. Je suis autant émerveillé quand je vois une chevrette et son petit fond, voire son chevrillard. Je suis autant émerveillé quand je vais me balader, voir des chamois. Je mets autant d'envie, autant de passion avec ou sans ma carabine. Mais l'instinct de chasseur, chez moi, il est ancré. Il n'a pas été effacé.
- Speaker #0
C'est un instinct de chasseur aussi pour manger, pour cuisiner.
- Speaker #1
C'est un instinct de chasseur. Oui, la volonté n'est pas simplement de tuer. La volonté, elle est de créer le moins d'impact possible sur notre planète. Manger peu de viande. Chez moi, je mange vraiment très peu de viande. À 90% du gibier. Je vous parle chez moi. Je mange énormément de légumes, énormément de féculents, peu de poissons. et en réalité quand je mange de la viande c'est du gibier, je dois en manger deux fois dans la semaine, tout le reste c'est des potages, des oeufs, du riz des pâtes, et moi j'ai l'impression qu'en fait cette consommation là, et j'en suis même persuadé parce que c'est ce que les anciens faisaient moi mon grand-père il faisait que braconner il braconnait les lapins, il braconnait les lièvres pour que tout le monde ait à manger que les enfants aient à manger, on allait évidemment moins à la boucherie, enfin il y avait aussi le côté budgétaire mais mon monde c'est préserver le vivant en en consommant moins et surtout en prenant conscience de ses actes parce que je prendrais je pense pas le même plaisir et j'en suis même sûr à devoir tuer 5 chevreuils par jour ça m'apporterait pas grand chose là j'ai juste l'impression de faire partie pleinement de mon territoire de transformer les bêtes de A à Z de manger les abats clairement quand je tire un chevreuil évidemment tout dépend de la balle mais bien souvent j'ai plutôt de la chance je tire le coup donc je peux garder les épaules, je peux garder le cœur, je peux garder le foie, et je mange de tout en fait. Voilà, se restreindre, ça permet aussi quelque part d'être moins difficile. Ouais, c'est un peu l'opposé de la société dans laquelle on est, que de consommer comme je consomme. Et j'ai l'impression que c'est vraiment un acte de résistance et un acte de sauvegarde, et c'est ce que j'ai envie de transmettre à mes enfants.
- Speaker #0
J'imagine, Damien Laforce, que c'est tous ces souvenirs que vous convoquez dans votre cuisine. Qu'est-ce que vous allez nous préparer ?
- Speaker #1
Le plat aujourd'hui que je vais vous préparer, c'est un petit peu l'histoire de notre territoire des Flandres. On a beaucoup de chevreuils, on a beaucoup de pâtures, on a un peu de bosquets. On a surtout une terre qui est maraîchère, donc riche en légumes et en fruits, évidemment. Donc là, on vous prépare le chevreuil. On a levé le dos du chevreuil, on l'a bardé avec une charcuterie qu'on fait aussi nous-mêmes. C'est une charcuterie de porc mangalica qui est élevée toujours dans les fentes. On va aller travailler avec les premiers navets de la saison. On va aller travailler en salade ces navets et puis on va servir le tout avec une sauce foyo. Une sauce foyo, c'est une sauce bernaise dans laquelle on ajoute un jus de chevreuil à la fin. C'est un jus de viande normalement, mais nous, on décide d'ajouter un jus de chevreuil. C'est une recette qui est assez simple. On va garder toute la... Jutosité du chevreuil, c'est une viande qui est maigre, donc on lui ajoute un petit peu de gras avec le cochon. On lui rajoute beaucoup de fraîcheur avec cette salade de navet et cette sauce qui va venir nous réconforter, nous amener aussi encore une touche d'acidité, puisqu'à la base, c'est une réduction de vin blanc et de vinaigre d'estragon. On y va ? On y va. Donc là dans ma casserole, j'ai mis mon vin blanc, mon vinaigre d'estragon, j'ajoute mes échalotes pour lui donner du goût, du poivre et ce mélange, on va le faire réduire de moitié. C'est ce qui va nous servir ensuite à ajouter nos jaunes d'œufs, à émulsionner nos jaunes d'œufs, on va réaliser en fait une sorte de sabayon. Ensuite on ajoutera notre beurre, nos herbes et notre jus de viande. Donc là, pendant que le vin blanc est mis à réduire avec les aromates, on va s'occuper de la garniture, à savoir les navets. On va garder les verres pour les poulet, comme si c'était des feuilles d'épinards. Ça goûte un petit peu la moutarde, si on veut. C'est un peu piquant. On va juste gratter le haut du navet, parce que la partie la plus amère, c'est justement la partie qui est proche des feuilles, là où est le verre. Le chevreuil va retrouver quelque part l'endroit où il a été tué.
- Speaker #0
Quelle est l'odeur qu'on sent là ? Une sorte d'odeur un petit peu acide ? Oui,
- Speaker #1
on parle d'acidité. Là, ce qu'on est en train de sentir, c'est la réduction du vin blanc avec le vinaigre d'Estragon. Ça a fini de réduire, ça a réduit de moitié. Il a été passé au chinois et c'est ce mélange dans lequel on va ajouter nos jaunes d'oeufs pour créer cette émulsion, ce sabayon. Ensuite, on ajoutera notre beurre fondu qui se trouve juste ici et le jus de viande qu'on est en train de mettre à réduire, vous voyez, à feu fort. Donc là, c'est un jus de chevreuil encore une fois, puisque chez nous, rien ne se perd, tout se transforme, on ne gâche rien. Et l'animal, on a évidemment concassé ses os, on les a fait revenir, on en a réalisé un jus.
- Speaker #0
À quoi pensez-vous quand vous cuisinez ?
- Speaker #1
On pense à la chance qu'on a d'avoir toutes ces choses-là à portée de main, tous ces trésors qui font vraiment partie de notre territoire. Pour moi, c'est vraiment un patrimoine. On a un vrai rôle à jouer aussi pour perpétuer la tradition, le savoir de nos anciens. La cuisine, c'est que ça, réellement. Moi, je n'ai pas inventé grand-chose dans cette recette. J'interprète juste un animal qui est dans son territoire. J'interprète à ma façon. mais là ce que je ressens quand je cuisine c'est de la responsabilité beaucoup de bonheur c'est important de perpétuer l'histoire ça c'est des sauces qui datent de très longtemps elles sont présentes dans le escoffier de la cuisine qui est un peu notre bible et c'est notre référence à nous cuisiniers mais ouais on essaye de le moderniser, enfin pas vraiment de le moderniser mais on le met à la page avec justement ces belles touches d'acidité cette fraîcheur qu'on va aller chercher sur le végétal on va pas faire un chevreuil avec Une sauce au sang, même si c'est très bon, cuite avec une viande qui est faisandée, cuite dans un civet. On essaie vraiment de moderniser la chose, de mettre en avant toute la finesse et la subtilité du chevreuil, parce que le chevreuil, c'est quand même, pour moi, le meilleur des gibiers. On va émulsionner les jaunes d'œufs avec la réduction de vin blanc et d'estragon. Les jaunes d'oeufs commencent à blanchir légèrement. Notre jus de viande est réduit à glace. Là, on a demi-glace. On va le faire réduire encore un petit peu. On va venir le terminer avec ça. Ensuite, on va rectifier l'assaisonnement en sel, en poivre. Et enfin, à la dernière minute, on ajoute nos herbes, à savoir du cerfeuil et de l'estragon. Achète. Regardez comme ça sent bon. Ça sent l'estragon, on a un peu le jus de viande, l'acidité qui est là.
- Speaker #0
Vous goûtez au fin du jour.
- Speaker #1
tout le temps. Quand on cuisine, on suit son instinct, sa formation, évidemment. Et on goûte toujours au fur et à mesure. Toujours. Donc là, j'ai déposé mes morceaux de chevreuil que j'ai rectifié avec un petit peu de poivre. J'ai ajouté à côté ma salade toute en fraîcheur. Donc ma salade de navet qui est bien acide avec beaucoup d'herbe, beaucoup de ciboulette, beaucoup de moutarde. Et à côté, j'ai ajouté la sauce foyo. En quoi, Damien Laforce,
- Speaker #0
ce plat que vous venez de préparer est une rencontre sauvage ?
- Speaker #1
Parce qu'on parle là de chevreuil, la rencontre parce que je suis tout le temps dehors, donc dans mon territoire, le gibier il est sauvage, et cette rencontre c'est un cuisinier qui rencontre l'animal dans son territoire, et donc on va retrouver dans cette assiette le champ dans lequel le chevreuil avait l'habitude certainement de se coucher. qui fait partie de son territoire. Et voilà.
- Speaker #0
Est-ce qu'il y aurait un goût sauvage en particulier ou une sorte de définition de ce que pourrait être un goût sauvage ?
- Speaker #2
Le goût sauvage,
- Speaker #1
la définition est tellement vaste, parce que le gibier souffre de la réputation d'être costaud en termes de goût, parce que les anciens les faisaient faisander, parce qu'en les faisant, on les pendait par la tête, et on attendait que la tête se décroche du corps pour pouvoir les manger. Vous imaginez le goût. Donc il a souffert de cette réputation-là. En fait, cette assiette est sauvage dans les valeurs qu'elle représente. Elle est sauvage puisqu'on travaille du chevreuil. Le chevreuil est une viande qui est... vraiment très délicate. Pour moi, c'est l'une des viandes les plus délicates, si ce n'est la plus délicate qu'on peut retrouver au restaurant. Et elle est sauvage parce que c'est un animal qui fait partie de ce territoire où l'homme ne l'a absolument pas entretenu. C'est lui qui s'est adapté à ce territoire. Il en fait partie, il vit au grand air. Et voilà, c'est une viande saine, locale et durable. Les populations de chevreuils dans les années 80, elles étaient vraiment très basses. et aujourd'hui elles sont multipliées par 6 ou 7 comparé aux années 80 grâce au plan de chasse grâce à tout ça donc voilà c'est des animaux qui sont sauvages qui sont prélevés avec intelligence et parcimonie et ça permet en fait d'avoir tout simplement une ressource durable et en termes de goût dans la bouche dans
- Speaker #0
le palais quand par exemple on déguste le chevreuil que vous nous avez préparé qu'est-ce qu'on ressent à l'intérieur de la bouche et qu'est-ce qu'on sent aussi ? Dans un premier temps,
- Speaker #1
on va avoir les sucs qu'on a faits en colorant la viande. Donc on va avoir un petit peu de sucs, ça va avoir un peu de salinité. Ensuite on va avoir un peu de gras, évidemment, parce qu'il y a la charcuterie. Ensuite on va avoir toute la tendreté du chevreuil. Le sang aussi qui va arriver légèrement en bouche. Je mets un sang qui est très suave, qui va légèrement laver, enfin rincer le palais. L'acidité de la salade qui nous donne toujours envie de remettre un coup de fourchette. Et ensuite... On va composer les autres morceaux de chevreuil avec cette sauce, ce végétal, cette acidité aussi qui est présente dans cette sauce et ce jus de chevreuil qui a été réduit mais qui a été incorporé à ce jus, donc qui reste aussi pareil, très doux. On a de la gourmandise à la fois, on a quelque chose de droit, de lisible et de très gourmand.
- Speaker #0
C'était la rencontre sauvage de Damien Laforce, cuisinier et chef du restaurant Le Brac, un podcast du musée de la chasse et de la nature réalisé par Céline Duchesnet et Laurent Polry.