- Speaker #0
Bonjour à tous. Dans Évocation d'une vocation, un compositeur d'aujourd'hui nous raconte les cinq bandes originales fondatrices qui ont façonné son ADN et lui ont transmis l'envie, l'impulsion d'écrire pour l'image. Pour ce second épisode, nous accueillons un compositeur qui est né et a grandi à Beyrouth. Il a un goût pour la musique orientale, la musique symphonique, la pop, le jazz moderne, les musiques ethniques. Cet amalgame de cultures forge un ADN inédit, une personnalité multiple, complexe. compatible avec tous les cinémas. Ses partitions emblématiques s'intitulent La Lune dans le caniveau, 37 de le matin, Camille Claudel, Tati Daniel, Le Passion anglais, Le talentueux Monsieur Ripley, Azur et Asmar, Juste la fin du monde. Bonjour Gabriel Yared.
- Speaker #1
Bonjour Stéphane Lerouge.
- Speaker #0
Alors vous naissez à Beyrouth à la toute fin des années 40.
- Speaker #1
Oui, malheureusement je suis dans les années 40.
- Speaker #0
Mais à trois mois près. Oui,
- Speaker #1
oui.
- Speaker #0
J'ai envie de vous demander dans le... Dans le Liban des années 50-60, d'abord, vers quel type d'esthétique vous portent vos goûts musicaux quand vous êtes enfant et adolescent ?
- Speaker #1
J'ai eu une enfance très étrange puisque j'étais séparé de mes parents à l'âge de 4 ans et j'étais pensionnaire chez les Pères Jésuites, de 4 ans à 14 ans. Donc, dans mon enfant, je ne peux pas dire que j'ai écouté beaucoup de musique, à part à partir de l'âge de 6 ans et demi, des cours d'accordéon en été. Parce qu'un jour j'étais tombé en pamoison devant une vitrine de magasin de musique, c'était la seule dans Beyrouth, et j'avais dit à mon père que je voulais un accordéon à tout prix. Bon bref, je passe les détails, j'ai eu un accordéon et j'ai pris des cours d'accordéon. Donc j'ai découvert, si vous voulez, des... des choses de von Suppe, des Xardas, des choses comme ça qu'on jouait à l'accordéon. Mais tout me plaisait du moment que j'avais à découvrir de la musique. Chez les Jésuites, je n'écoutais pas beaucoup de musique. De loin, on entendait les vapeurs de musique orientale qui émanaient des gens qui travaillaient là-bas, qui écoutaient de la musique orientale, que je n'aimais pas. Et les cours de piano avec Bertrand Robillard, où là, j'étais forcé de jouer une pièce bien déterminée, de préférence simplement quelques mesures, et je devais les travailler. techniquement, pour arriver à les jouer proprement, me disait-il toujours. C'était quelqu'un d'austère, de très rigide, et qui n'avait pas du tout vu que j'avais un goût pour la composition, en tous les cas un goût pour la musique. Au point qu'il avait dit à mon père, quand j'avais 13 ans, on ne fera jamais rien de lui en musique. Donc, si vous voulez, de 10 ans à 15 ans, à 14 ans, ce que j'ai pu découvrir, je l'ai découvert parce que j'ai fait du solfège ma langue principale. Je me suis rendu compte que si j'apprenais à déchiffrer rapidement, je pourrais dévorer tout ce qu'il y avait dans la salle de piano. Il y avait les classiques favoris numéro 1, numéro 2, numéro 3, il y avait les suites françaises de Bach, les suites anglaises, il y avait même la suite bergamasque de Debussy, et tout mon temps s'est passé en récréation, à aller voler des partitions dans la salle de musique et à les déchiffrer. Donc je n'ai déchiffré en gros que des musiques classiques, dirons-nous. Mozart, du sec, un peu de Beethoven, très peu de Chopin, parce que c'était pas dans les classiques.
- Speaker #0
Et rien du XXe siècle.
- Speaker #1
Et encore rien du XXe siècle. Le XXe siècle, je l'ai découvert à l'âge de 16 ans. Petit à petit, à partir de l'âge de 15 ans, je suis externe, et là, j'ai commencé à écouter vraiment de la musique, à acheter des disques, et j'ai eu une passion pendant quelque temps pour les Beatles. Parce que j'entendais des choses qui étaient nouvelles d'abord à mes oreilles, et qui étaient... Et étrangement, même si on peut appeler ça du rock ou de la variété, c'était musicalement très intéressant. Tout était intéressant.
- Speaker #0
Au niveau de l'orchestration ?
- Speaker #1
Au niveau de l'orchestration, au niveau de l'harmonie, au niveau des mélodies. Dieu sait comme c'est difficile d'écrire des mélodies. Ces gens-là, McCartney et Lennon avaient vraiment un instinct mélodique extraordinaire. Ils étaient bien entourés, on dit George Martin, c'est sûr, mais George Martin n'a pas participé à tout. Il a rajouté parfois des cordes, il a rajouté des cuivres. Mais je pense qu'eux-mêmes, au fil du temps, ont vraiment développé un sens de réalisation artistique d'abord, et aussi harmonique. Eh bien, ce disque, je m'en souviens, j'avais trouvé une table que j'avais mise près du lecteur, et tous les jours, tous les jours, en été, je relevais chaque titre. La basse, la guitare, le chant, les harmonies du chant, donc les contre-chants, les cordes de George Martin, et j'ai fait ça pendant... un an, j'ai tout relevé.
- Speaker #0
C'est un don de paper intégralement.
- Speaker #1
Intégralement. J'ai eu quelques difficultés avec She's Leaving Home, ça. un peu quelques difficultés parce qu'il fallait que je perçoive les cordes, je ne savais pas encore comment on écrivait les cordes. En même temps que je faisais ça, j'écoutais aussi du jazz, j'écoutais beaucoup Monk et Coltrane, et j'écoutais aussi Marvin Gaye. Entre 15 et 16 ans. Donc, ma culture, si vous voulez, était très, comment dire, éclectique en matière de pop-musique, si on peut appeler ça. Il y avait le jazz aussi. Et petit à petit, grâce à un ami, qui est toujours mon ami, Guy Sacre, m'a apporté des partitions de Debussy et de Ravel, que j'ai commencé à découvrir. Donc, toutes ces choses ensemble, et aussi, je n'oublierai pas, Claude Nougaro. tout premier album qu'il a fait, qui n'était pas un 33 tours, qui était moins que ça, je crois. 25 centimètres. Voilà. Il y avait ce qu'il faut dire de Fadez pour voir enfin du fond de son lit. Les temps juants. Le cinéma, de très belles chansons, de Le Grand et autres. Bref. Donc, si vous voulez, c'était une sorte de Le Grand large. Je ne faisais pas de différence pour moi entre la musique dite de variété, si elle était bien faite. et s'il était intéressant à découvrir, intéressant à relever, et la grande musique que je commençais à connaître petit à petit. Pendant ce temps, je composais aussi, je faisais des chansons, j'ai même commis un trio pour piano, violon, violoncelle, mais tout ça au toupet, parce que je n'avais aucune base musicale, mais je me l'étais faite, je crois que je me suis fait, grâce au déchiffrage, j'ai appris la composition grâce au déchiffrage. Ce n'est que plus tard que j'ai appris le reste. Donc, mon univers était... on n'était pas nombreux à avoir cet univers. Je pouvais partager avec très peu de gens. Parce que ceux qui aimaient la musique classique me disaient « Oui, mais les Beatles, machin, Nougaro, machin... »
- Speaker #0
Et vice-versa.
- Speaker #1
Et vice-versa, voilà.
- Speaker #0
Et le cinéma ? Alors, le cinéma, au milieu de cette culture complètement éclectique, très, très ouverte, quelle place occupe le cinéma dans votre vie d'adolescent libanais ?
- Speaker #1
Comme je vous ai raconté mon obsession pour la musique et ma faim, ma faim sans fin. de lecture et de déchiffrage et de relever. Je ne peux pas dire que j'étais très souvent au cinéma, mais les fois où j'ai été au cinéma... Je sais qu'à 13 ans, j'ai vu un film qui m'a marqué pour la vie, je crois, sur un point psychologique déjà, parce que je faisais des cauchemars après. Et sur le plan musical, je m'en suis rendu compte plus tard, c'est un film qui s'appelle Marnie, de Alfred Hitchcock, avec Tippi Hedren et Sean Connery.
- Speaker #0
Et qui est considéré d'ailleurs comme le dernier vraiment grand film abouti d'Hitchcock.
- Speaker #1
Oui, moi je ne savais pas, parce que je n'avais pas vu Psycho, North by North, la morse aux trouches, je le verrai quelques années plus tard, toujours à Beyrouth. Et je me souviens, parce que dans ma tête j'essayais de reconstruire ce que j'avais entendu, parce que j'allais au cinéma, je voyais les images, c'est certain, mais je voyais aussi la musique, j'entendais cette musique, elle restait dans ma tête, et je me souviens très très bien de la musique de Marnie. Le début m'a effrayé, je me dis comment on peut créer comme ça un feu d'artifice orchestral comme celui-là, j'avais pas encore entendu Stravinsky. Et je me souviens de ces fusées. au tout début de... et tout d'un coup l'arrivée de ce thème qui est très lyrique mais très simple, très simple voilà J'ai oublié, là j'ai oublié, mais juste ça. Et la main gauche, ce que j'appelle la main gauche, il y a des contre-champs où ça fait ça. Ça chantait de partout, et j'essayais au piano, j'essayais de retrouver, de retrouver, parce que pour moi les harmonies étaient très difficiles. Pour moi c'était compliqué ça. L'essentiel de l'image et de l'histoire était tout au fond de moi, c'est sûr. Ça restait dans le très fond de moi, mais la musique elle naviguait tout le temps à la superficie, je n'arrêtais pas d'y repenser, d'y repenser. Et c'est elle finalement qui me raccrochait aux images, c'est l'inverse. de ce qu'on peut imaginer. C'est-à-dire, l'image, c'est bien, c'est parfait, mais la musique, elle, me rappelait l'image, me rappelait chaque scène de l'image, et c'est elle qui me permettait de conserver le souvenir d'un film. C'est la musique.
- Speaker #0
Eh bien, voilà. Premier souvenir fondateur de Gabriel Liarret, nous allons tout de suite écouter le thème d'amour de Marnie. Gabriel Garrett, vous avez choisi une deuxième partition de Bernard Arman, qui est tout aussi fondatrice pour vous, qui est North by Northwest, La mort aux trousses.
- Speaker #1
Oui, c'est la version française. Encore pour les mêmes raisons, c'est-à-dire que d'abord, le film est formidable, il vous tient en haleine tout le temps, mais le film commence par quelque chose sur le plan musical qui m'a poursuivi pendant longtemps, puisque j'écoutais cette chose, je me disais, c'est incroyable, où va-t-il comme ça avec ce fond d'ango ? N'est-ce pas ? Bon, après, c'était vraiment une... C'est comme si tout le film était dit dans l'introduction. Cette cavalcade qu'on va... Cette peur, tout ça, il y avait tout dedans. Le suspense, la poursuite, tout était là-dedans. Et aussi parce que j'avais jamais vu une musique comme celle-ci. Je l'avais jamais vue, entendue et se poursuivre durant tout le film. C'est la musique qui m'a accroché au film. Vous savez, comme un son. Elle m'a hameçonné, elle m'a tiré vers le film et j'ai suivi le film avec une intensité grâce à la musique. Mais Herman est quelqu'un de très particulier pour moi. Dans toute la musique de film, si je peux retenir un nom, ce serait le sien. Le sien parce qu'il y a chez lui cette conscience qu'il met dans les choses, cette créativité qui ne réserve pas simplement à des œuvres dites classiques ou à des œuvres de concert. Ces musiques, on peut les jouer en concert, ce sont des vraies œuvres de concert, de musique classique. Un jour, il m'est arrivé d'entendre à Pleyel, il y a très longtemps, un concerto, un concertino pour piano et orchestre de Herman. je vous assure qu'il était moins intéressant que les musiques de films qu'il avait écrites. Parce qu'il donnait au cinéma vraiment la fleur de son inspiration. Parce qu'il y avait aussi chez lui le goût de l'instrumentation. L'orchestre de Hermann ne ressemble à aucun autre. Il y a parfois des abus de clarinette, parfois il y a huit flûtes ou huit trombones, on ne sait pas pourquoi. Sa manière de traiter les cordes et les thèmes aussi simples quand il fait... Il respire.
- Speaker #0
Vertigo, thème d'amour.
- Speaker #1
Prêt. Il respire de nouveau. Je ne sais pas, il y a un souffle, il y a un savoir-faire, il y a une sensibilité extraordinaire. Moi, toutes les musiques que j'ai entendues de lui m'ont vraiment marqué, marqué par leur apparente simplicité, parce que toujours sous cette simplicité... se cache un foisonnement de trouvailles incroyables. On ne va pas parler de ça. Tout tout tout tout tout tout tout tout. tout ce qu'il a fait. Et je ne crois pas que j'ai entendu au cinéma une musique qu'il soit aussi créatif, créatrice d'images aussi. Parce que souvent on dit, quand j'écoute telle musique, je revois le film de Hitchcock. Mais moi, quand j'écoute les musiques d'Hermann, je vois plein de films.
- Speaker #0
L'imaginaire va plus loin que le film lui-même.
- Speaker #1
Oui, beaucoup plus loin. Et ça, c'est quelqu'un qui m'a marqué. Moi, quand j'ai écrit la musique de Talentu, le monsieur Ripley, j'avais une formule, mais qui ne venait pas de Hermann, ça. Je crois que j'ai dû, évidemment les influences c'est formidable, on est tous des voleurs, mais l'influence qu'il a eue sur moi, c'est l'influence d'une certaine excellence dans tout ce qu'on fait, de rechercher vraiment l'absolu pour la musique elle-même, mais aussi pour les images qu'on serve. Et je ne trouve pas ça un exemple aussi probant dans la musique de film.
- Speaker #0
Pour illustrer cette idée que vous évoquez, c'est-à-dire que la bonne musique de film doit autant servir le film que la musique, Voici donc le Fandango, l'ouverture de La mort aux trousses, qui est aussi une grande réussite graphique avec le générique designé par Saul Bass. Bernard Herrmann. Alors, troisième choix, Gabriel Yared, vous avez tenu à intégrer un compositeur que vous avez rencontré, grand compositeur de l'âge d'or hollywoodien, David Raksin.
- Speaker #1
Ah oui, oui, que j'ai rencontré bien plus tard. Parce que j'avais vu Laura, ne me demandez pas de vous parler du film, je ne m'en souviens pas, c'est le film de Preminger. Je ne peux pas vous donner les détails sur le film, mais cette musique était comme une sorte de leitmotiv permanent. Et comme on se l'est dit, c'est une musique qui est tellement belle, thématiquement, harmoniquement, que même si elle devait se développer durant tout le film, et se répéter, se répéter, elle serait toujours nouvelle. Et je trouve que Raskin a réalisé un des plus beaux thèmes du cinéma, avec peut-être les thèmes de Maurice Jarre ou de Michel Legrand. J'ai l'impression qu'il n'y avait que les Européens, pour moi, qui pouvaient faire des grands thèmes comme ça. Et Raskin n'est pas Européen, il est profondément américain. Et ça m'a toujours resté, ce thème-là, sur cet appel. C'est beau. Ça peut être un opéra, j'imagine ça, chanter dans un Puccini, dans n'importe quoi. C'est vraiment une inspiration très haute. Et puis, la manière dont ça se développe après. Il a l'air d'être mort. Bon, je ne joue pas bien, mais comment ça chante, comment ça chante, et ça chante vraiment toute l'histoire d'amour, c'est une histoire d'amour Laura, ça chante toutes les émotions qu'on peut sentir dans une histoire d'amour, la défaite, l'appel, l'enthousiasme, la déception, il y a tout dans cette musique-là. Et j'ai eu la chance, je crois que c'était en 93. J'ai donné la première année en 92 un concert à Biarritz et l'année d'après j'étais invité parce que je devais être président d'honneur. C'est là que j'ai rencontré David Raksin qui était un homme d'une simplicité, vraiment comme tous les artistes devraient être d'ailleurs, tous les grands artistes devraient être simples, humbles. Parce qu'on tend tout le temps vers quelque chose qui s'éloigne de nous. Et je l'ai rencontré, je l'ai entendu même jouer, et il a même joué avec Jean-Claude Petit, je me souviens parce que Jean-Claude donnait un concert à cette époque-là. J'ai découvert un homme délicieux, très cultivé, très riche, humainement et musicalement.
- Speaker #2
Merci.
- Speaker #0
Alors Gabriel Yared, on va faire un peu une petite entorse au principe de ce podcast, puisque vous avez choisi une musique de film qui n'est pas une musique originale écrite par Gabriel Yared. pour l'image, mais c'est en partie ce film qui a permis à plusieurs générations successives de découvrir de grandes oeuvres, du répertoire d'époques différentes et d'esthétiques différentes. Et vous, c'est L'apprenti sorcier de Paul Ducas par Fantasia. Oui,
- Speaker #1
c'est L'apprenti sorcier, c'est aussi L'ennui sur le mont Chauve, c'est toutes les musiques. Moi souvent quand on me pose la question, quelle est pour vous la meilleure musique de film, la meilleure réussite image et musique, je cite toujours Fantasia, même si ça passe pour une boutade, mais c'est vrai que l'imagination que procure l'écoute des musiques qui ont été utilisées, permettent de créer des centaines de films. souvent, je dis toujours à ceux qui me disent je veux faire de la musique de film, je dis mais n'oublie pas que quand tu fermes les yeux en écoutant une musique, tu crées toutes les images du monde. Mais tu pourrais regarder des images défiler devant toi, elles ne produisent aucune musique. Notre art est un art premier. Préserve-le. Préserve-le en créant toujours une musique belle, serre les images mais élève-toi par la musique aussi. Et Fantasia, j'étais petit, je crois que je devais avoir 12 ans.
- Speaker #0
Mais vous vous souvenez précisément du contexte, du jour où vous avez vu Fantasia pour la première fois ? C'était une révélation ?
- Speaker #1
Oui, c'était une révélation. Moi, je n'aimais pas beaucoup les dessins animés, en fait. Mais je crois que j'y suis venu d'abord par le talent formidable de scénariste et de dessinateur de Walt Disney, par la qualité de la chorégraphie des personnages. et de l'adaptation de ces musiques, de la compréhension de ces musiques. Je crois que j'étais en famille. Il y avait des choses qui m'effrayaient. Parce qu'à 12 ans, on est encore un peu... La nuit sur le Mont Chauve m'avait effrayé. Il y avait du Stravinsky aussi, il y avait le sac du printemps. Et puis, arrivé à l'apprenti sorcier, je ne connaissais pas. Quand j'avais 12 ans, je ne connaissais pas du cas. Et j'avais trouvé cette musique tellement belle, tellement imagée. Quand on entend quelque chose de très orchestré... L'orchestration, c'est la production d'images, finalement. Et cette musique m'avait frappé parce que le ballet, avec le ballet,
- Speaker #0
les ballets,
- Speaker #1
voilà, avec les ballets, était formidable. Ça finissait dans une apocalypse. Mais enfin, il y avait vraiment une construction d'images et de scénarios qui correspondait à la construction de...
- Speaker #0
Au crescendo.
- Speaker #1
Au crescendo, exactement, à la construction de... Paul Ducas. Une partition que j'ai eu l'occasion de revoir, de découvrir après. J'ai vu avec quelle méticulosité, avec quel talent, avec quelle inspiration Ducas avait écrit cette musique et les orchestrations. Ducas est quelqu'un qui a déchiré, qui a brûlé beaucoup de ses oeuvres. Il n'en a gardé que très très peu. Mais l'apprenti sorcier restera toujours, peut-être grâce à Disney, peut-être. Je pense que souvent je me dis, peut-être que les réalisateurs devraient aussi euh D'une certaine manière, élever, éclairer le public en utilisant parfois des musiques dites classiques pour les faire découvrir. à l'occasion de leurs films. Des gens l'ont fait. Je pense que... Oui, avant Kubrick, peu de gens connaissaient la musique de Giorgi Ligetti.
- Speaker #0
Et aujourd'hui, quand vous revoyez L'apprenti sorcier de Fantasia, est-ce que ça produit toujours, sur l'homme que vous êtes aujourd'hui, le même effet que sur le jeune sans-libanais ?
- Speaker #1
Je ne veux pas que ma culture et le fait que j'ai beaucoup évolué cache encore l'enfant qu'il y a en moi ou lui donne d'une certaine manière ce moque de lui.
- Speaker #0
Cinquième et dernier choix, Gabriel Yared. Et là, je dois avouer que vous m'avez défenestré. Vous avez choisi une partition insolite qui, à l'époque, a été une façon de donner un coup de pied dans la fourmilière des conventions musicales pour le western. De toute façon, mettons, Dimitri Tiomkine, vous avez choisi Butch Cassidy le Kid, film de George Roy Hill, mis en musique par le sublime Bert Bacarac.
- Speaker #1
Pourquoi ? D'abord, le film m'a beaucoup plu. L'histoire est formidable. J'ai aimé les personnages. Mais ce qui m'a le plus, je crois, marqué, c'est... que le réalisateur ne recourt pas, d'abord, comme vous l'avez dit, à la musique classique de western, celle qu'on trouve dans Tjomkin, qu'on trouvera plus tard dans Bernstein aussi, mais qu'il a utilisé finalement très très peu de musique, accepté. de donner à un public de cinéma des cavalcades sans aucun support musical, rien que le son, mais un son qui était parfaitement fait, enregistré et utilisé surtout, et ne donner au compositeur que... que des espaces où on n'entend presque que lui. C'est ce que j'ai découvert. J'avais déjà une grande passion pour Bacharach quand j'ai entendu ça, parce que souvent ceux qui me disent, mais qui sont pour vous les grands mélodistes ? Moi je dis, il y a des très très grands mélodistes, il y a Charles Trenet certainement, il y a Cole Porter, il y a Gershwin, et il y a...
- Speaker #0
Les Beatles, Burt Bacharach et Antonio Carlos Jobim. Pour moi, ça, je mettrais Bacharach et Jobim comme les créateurs de mélodies les plus originaux, les plus difficiles quand on les analyse. Quand on est musicien, on sent vraiment tout le travail qui est dans chaque mélodie de Jobim et de Bacharach. Chez Bacharach, il y a une grâce infinie et puis un style immédiatement. Immédiatement. Des mesures impaires, tout a l'air de couler. mais quand on met le nez dedans c'est vraiment très spéciale, c'est très original et c'est compliqué. Quand j'ai entendu la chanson « Rain drop keep falling on my head » , je trouvais qu'elle était charmante, très belle, mais c'est surtout quand j'ai découvert dans le film les montages où il utilise des vieilles musiques qu'on utilisera plus tard aussi dans « L'Arnaque » , par exemple, des musiques avec clarinette et « Ragtime » , etc. Bon, ça, ça va, mais la musique était utilisée toute seule face à un montage où on voit les deux héros Sortir donc de New York pour aller en Bolivie. Mais c'est surtout quand on est en Bolivie et qu'il y a des poursuites, là tout d'un coup j'écoute. Moi quand j'étais gamin, je me souviens, j'étais passionné par les double 6. Je les trouvais formidables. Je ne savais pas qu'ils étaient français et je ne savais pas qu'il y avait Mimi Perrin, Christian Legrand et Eddie Lewis. Et quand j'ai entendu la musique de Bacharach, j'ai dit mais ça doit être les double-six qui chantent. Parce qu'il y a à un moment donné un mini-fugue ou un mini-canon, on entend des voix avec un accompagnement de pinceau et de contrebasse, et tout d'un coup on entend les voix solo. Il n'y a plus que les voix qui chantent, avec des contrepoints, très joliment écrits. J'ai trouvé ça d'une originalité et d'un apport finalement à l'image et à l'histoire. C'est-à-dire que ça a singularisé le film, ça a singularisé cette scène. Et comme je suis un adepte de très peu de musique dans un film, j'ai trouvé que ce film était abouti, achevé, parfait et un exemple pour moi. C'est des exemples comme ça, enfin moi, qui me frappent, c'est-à-dire ne pas recourir au vocabulaire traditionnel.
- Speaker #1
Faire un pas de côté.
- Speaker #0
Oui, faire un pas de côté. Les gens disent toujours je voudrais une musique en contrepoint, mais ça passe que c'est le contrepoint. Mais le vrai contrepoint, c'est prendre le contre-pied finalement de ce qu'on attend et pas le faire simplement comme un effet de manche, mais le faire parce qu'il faut chercher un autre vocabulaire pour le rapport musique-image. Il faut le chercher en soi, pas par rapport à l'image.
- Speaker #1
Eh bien voici, pour illustrer cette belle idée, votre dernier choix, ce fameux thème qui s'intitule « South American Getaway » de Butch Cassidy et le Kid. Merci Gabriel Gavain.
- Speaker #0
Merci Stéphane Lerouge.