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Musique à l'image : collaboration fondatrice entre Gabriel Yared et Jean-Luc Godard cover
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Musique de film : une histoire d'inspiration

Musique à l'image : collaboration fondatrice entre Gabriel Yared et Jean-Luc Godard

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22min |24/05/2018
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22min |24/05/2018
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Description

Dans Ma première fois, un compositeur connu et reconnu nous raconte sa première expérience de musique à l’image, avec son lot de réussite, de déceptions, d’aléatoire, de doute et d’enthousiasme. 

Pour ce second épisode, nous accueillons Gabriel Yared, un compositeur qui est né et a grandi à Beyrouth. Il a un goût pour la musique orientale, la musique symphonique, la pop, le jazz moderne, les musiques ethniques. Cet amalgame de cultures forgent un ADN inédit, une personnalité multiple, complexe, compatible avec tous les cinémas. 

Ses partitions emblématiques s’intitulent La Lune dans le caniveau, 37°2 le matin, Camille Claudel, Tatie Danielle, Le Patient anglais, Le Talentueux M.Ripley, Azur et Asmar, Juste la fin du monde. 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Le Musée SACEM présente Ma première fois, un podcast animé par Stéphane Lerouge.

  • Speaker #1

    Dans Ma première fois, un compositeur connu et reconnu nous raconte sa première expérience de musique à l'image avec son lot de réussite, de déception, d'aléatoire, de doute et d'enthousiasme. Pour ce second épisode, nous accueillons un compositeur qui est né et a grandi à Beyrouth. Il a un goût pour la musique orientale, la musique symphonique, la pop, le jazz moderne, les musiques ethniques. Cet amalgame de cultures forge un ADN inédit, une personnalité multiple, complexe, compatible avec tous les cinémas. Ses partitions emblématiques s'intitulent « La lune dans le caniveau », 37°2 le matin, Camille Claudel, Tati Daniel, le Patient anglais, le Talentueux monsieur Ripley, Azur et Asmar, Juste la fin du monde. Bonjour, Gabriel Yared.

  • Speaker #0

    Bonjour Stéphane.

  • Speaker #1

    Alors en 78, vous êtes depuis déjà 6-7 ans l'un des arrangeurs vedettes de la variété française. Vous travaillez pour Aznavour, Jacques Dutronc, Françoise Hardi, Michel Jonasz. Vous tutoyez la trentaine et du jour au lendemain, vous décidez d'arrêter votre métier d'orchestrateur-producteur de chansons. Pourquoi ?

  • Speaker #0

    En fait, ça s'est fait du jour au lendemain, mais ça faisait longtemps que ça couvait, parce qu'à part, pour moi, acheter des partitions d'orchestre, pour apprendre la musique, des partitions de piano, d'orchestre, etc. Je sentais que j'étais dans une voie qui ne me convenait pas vraiment. Je remercie tous les chanteurs et les chanteuses grâce auxquelles j'ai pu justement avancer musicalement. Et je pensais que j'avais besoin, moi qui étais autodidacte, même si j'avais été touriste chez Henri Dutilleux à l'école normale, je ressentais le besoin d'apprendre. Et donc cette année-là, en fait, en 78, j'ai pris une année sabbatique pour apprendre le contrepoint avec Maître Julien Fall, qui est décédé maintenant, qui était un ancien professeur au Conservatoire de Paris, et j'ai fait une année de contrepoint et de fugue qui s'est continuée par une deuxième année. Et c'est à l'issue de ces deux années où j'ai arrêté d'orchestrer que m'est venue, par Jacques Dutronc, une proposition de Jean-Luc Godard. Si j'ai arrêté, c'est parce que vraiment je voulais aller ailleurs. Vraiment, je trouve que c'était très bien de servir tous les chanteurs, mais j'étais un peu coincé dans un système harmonique qui n'était pas le mien, et qu'il fallait que je serve au mieux possible, et que ça suffisait. J'avais fait mon expérience d'orchestrateur, maintenant il fallait aller ailleurs.

  • Speaker #1

    Mais vous aviez comme une sorte de saturation, vous aviez l'impression d'avoir épuisé ce territoire de la musique ?

  • Speaker #0

    De l'orchestration, oui, et que toute la musique encore m'attendait. D'abord pour que j'apprenne cette science dont Dutilleux m'avait toujours dit, dès le début, quand il m'avait vu dans les années 70, il m'avait dit, quoi que vous fassiez plus tard, apprenez le contrepoint. Je n'ai pas oublié ce qu'il m'a dit. Apprendre le contrepoint, et un peu plus tard la fugue, ça a changé complètement ma vie. Parce que ça a canalisé d'une certaine manière cette inspiration qui est en moi, ou qui tombe sur moi, ça m'a permis de développer, ça m'a permis de varier, ça m'a permis d'utiliser tous les artifices de la composition, chose que je ferai plus tard dans la musique de film ou dans la musique de ballet.

  • Speaker #1

    Alors vous parliez à l'instant de Jacques Dutronc, que vous appelez mon bienfaiteur.

  • Speaker #0

    Mon bienfaiteur, oui.

  • Speaker #1

    Et comment c'est passé justement cette traversée du miroir, cette jointure avec le cinéma ?

  • Speaker #0

    C'est très étrange parce que moi, comme je le dis toujours, je n'avais aucune culture cinématographique. Quand j'étais à Beyrouth, j'avais vu quelques films, mais toute mon attention était portée vers la musique, obsessionnellement d'ailleurs. Que ce soit la musique à l'orgue, où j'ai déchiffré tout seul tout ce qu'on peut imaginer, papillonné d'un compositeur à l'autre, que ce soit dans le jazz Elonious Monk ou Coltrane ou Marvin Gaye ou Ravel ou Debussy ou Ligeti, peu importe. Et quand la première proposition est arrivée, c'était très étrange pour moi parce que j'avais en face de moi une sorte d'icône du cinéma, quelqu'un qui avait complètement bouleversé le cinéma, la manière de tourner, la grammaire du cinéma. Exactement, qui s'appelle Jean-Luc Godard, j'avais en face de moi ce monsieur, et je pensais qu'il allait me montrer des images. Alors il m'a dit, voilà, c'est l'histoire de ceci, de cela, etc. Je peux voir des images, je me dis, c'est pas nécessaire, je vous raconte. Je voudrais que vous fassiez, alors je venais de sortir de tant d'années d'orchestration, je voudrais que vous fassiez des orchestrations de l'ouverture du deuxième acte de la Gioconda de Ponchielli, donc un compositeur vériste, et 30 secondes, 45 secondes, etc. Et je lui ai dit, franchement, ça ne m'intéresse pas, parce que je sors d'une grande période d'orchestration, et je suppose que n'importe qui pourrait faire ce travail. Je pensais qu'il s'agissait de composition.

  • Speaker #1

    C'est-à-dire que sa demande, au départ, vous renvoyait à ce à quoi, précisément, vous tentiez d'échapper.

  • Speaker #0

    Absolument, absolument. Et c'est très étrange parce que le destin a des voies étranges. D'une part, il me demandait d'orchestrer cette ouverture du deuxième acte de Ponchieli, mais il me demandait aussi de m'en servir comme outil de composition. Et c'est ce que j'ai fait. Après une discussion qui n'a abouti à rien, nous nous sommes écrits et nous avons trouvé un moyen terme, c'est-à-dire que je composais de la musique pour le film, à part entière, mais aussi j'utilisais Ponchieli, donc l'ouverture du deuxième acte, qui est celle-ci, n'est-ce pas ? Voilà, ces quatre mesures, enfin huit mesures, il fallait que j'en tire tout le sucre. Et même si on ne s'en rend pas compte, même si c'est subliminal, inconscient, tout le long du film j'ai utilisé chaque petite cellule de ce thème-là sans jamais le citer. Et je ne l'ai cité, on ne le cite qu'à la fin, quand on voit les violons qui jouent ce thème-là dans la rue, à l'image. Et bon, ça commence par « la va de la » et bien j'ai utilisé ça comme une pédale pour commencer le film. Et là j'utilise à l'envers. Je ne vais pas montrer tout ce que j'ai fait, mais ce thème finalement, cette obligation, cet obstacle est devenu pour moi un levier d'une certaine manière, puisque j'étais contraint de me servir de ça comme matériau de composition. Et c'est fou quand on a un peu appris le contrepoint, quand on a envie vraiment de creuser. C'est fou ce qu'on peut trouver dans un thème, en sortir et se l'approprier. Et c'est ainsi que j'ai écrit la musique de Soufri Polavi. Il y avait aussi des musiques de moi, il y avait notamment des musiques très rythmiques à l'époque. Je suis rythmicien, souvent les réalisateurs de cinéma oublient que je suis un rythmicien aussi. Mais il y avait toute une partie qui était faite avec des séquenceurs ARP de l'époque, qui était très rythmique. Et il y avait un thème en particulier qui s'appelait l'imaginaire que j'ai composé pour le film. Donc cette première partition finalement a été pour moi une sorte de... Un paradis. J'ai travaillé avec quelqu'un qui ne m'a pas du tout soumis à l'image, qui m'a dit, écrivez, je ferai ce qu'il faut. Et effectivement, après, j'ai découvert le film, où j'ai découvert que Jean-Luc Godard, dont je ne connaissais pas l'oeuvre, coupait vraiment net.

  • Speaker #1

    L'effet guillotine.

  • Speaker #0

    L'effet guillotine, vraiment. Mais il a certainement des raisons de le faire. J'étais choqué la première fois. Je l'ai connu un peu plus parce que nous avons échangé après, même si nous n'avons jamais pu retravailler ensemble. D'ailleurs, je ne crois pas qu'il ait travaillé avec des compositeurs après, à part par Tom Waits, qui était chanteur. Et j'ai découvert que son approche de la musique, du son, était extrêmement originale, très créative. Elle peut être choquante pour certains. Moi, je l'ai comprise après coup.

  • Speaker #1

    Quand vous l'avez rencontré, est-ce que vous connaissiez son cinéma et son pédigré musical ?

  • Speaker #0

    Quand j'ai rencontré Godard, je ne connaissais rien de lui. Simplement, j'ai vu un monsieur en face de moi. Et c'est après coup, quand nous avons travaillé ensemble, j'étais en studio avec juste un piano synthé, que mon ami Georges Rodi programmait, il n'y avait pas de musicien. Il était là, il ne disait rien, il a pris la musique et il l'a utilisée dans le film entièrement, entièrement. Il l'a montée comme lui voulait.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous regardiez Jean-Luc Godard, vous surveilliez ses réactions à votre regard sur son film ? Comment il se comportait à l'enregistrement ?

  • Speaker #0

    Mais à l'enregistrement, il était d'un silence, d'un recueillement, d'un mutisme absolu, absolu. Il ne disait rien. Il entendait les choses, il écoutait les choses se dérouler. Parce que je construisais, j'étais tout seul. Quand il m'a dit c'est très bien, c'est tout, très laconique, vous savez, il n'est pas très disert. Et il est parti et il a monté toute ma musique sur son film. A l'époque, je ne connaissais rien au cinéma, je ne connaissais pas l'oeuvre de Jean-Luc Godard. Et c'est après que je me suis intéressé à regarder son oeuvre, c'est-à-dire à voir Le Mépris, à voir Pierrot le Fou, avec la très très belle musique de Duhamel, de Georges Delerue. Et j'ai découvert un véritable artiste du cinéma, un philosophe, un constructeur, un destructeur aussi. Mais quelqu'un vraiment qui a une pensée.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous avez eu le sentiment, en découvrant le film mixé, que Godard, cinéaste, recomposait le travail du compositeur, votre travail ?

  • Speaker #0

    Oui, certainement, puisque comme je n'ai pas composé sur l'image, il avait des éléments du matériau. Et c'est lui qui a fait finalement cette connexion, cette osmose entre la musique et l'image. C'est à lui que je dois ça. Moi, je ne savais pas vers quoi, je savais simplement qu'il y avait un sujet qui m'avait dit je cherche quelque chose, qu'il soit comme ceci, comme cela, mais il ne m'a jamais dit qu'il faut faire des séquences rythmiques qui se superposent, rien de tout ça. Il m'a juste demandé de travailler sur le panchieli, d'en tirer tout le sucre, et de l'exposer à la fin, et il m'a dit que je voudrais en plus un thème. J'ai écrit pour lui ce thème qui s'appelle l'imaginaire, qui est celui-là. Ce qui faisait que d'un thème, je reliais un thème à l'autre, ou en tous les cas au thème imposé. Je ne me suis jamais vraiment beaucoup écarté. Et quand j'ai vu le film fini avec ma musique, je me souviens que c'était à Cannes, je crois. Il y avait des jets de tomates. Oui. Moi, j'ai échappé. Ça a été jeté sur Godard à l'époque. Je crois que c'était l'ouverture du festival, je ne me souviens plus. Il y a très très longtemps, donc ça devait être dans l'année 80, voilà. Et ce n'était pas le même théâtre qu'aujourd'hui. Et il y avait des légumes, enfin je pense à des tomates, qui montaient du parterre vers le balcon.

  • Speaker #1

    Mais c'est étonnant ce que vous dites sur cette expérience avec Godard on y trouve quasiment la confirmation des propos de Georges Delerue qui n'a fait qu'un seul film avec Godard, Le mépris. Et Delerue disait, on ne travaille pas avec Godard, on travaille pour Godard. Oui, oui, j'aime, j'aime ça, mais parce que travailler pour Godard, ça veut dire que Godard connaît très bien la musique, aussi. J'ai découvert plus tard que c'est quelqu'un qui écoutait tout le temps, qui connaît parfaitement d'un bout à l'autre les 48 préludes et fugues de Claude Saint-Bertrand-Péry, il connaît tous les quatuors de Beethoven, c'est quelqu'un qui connaît la musique, qui ne met jamais ça en avant, ce n'est pas un pédant qui parle de ses connaissances musicales, mais c'est quelqu'un qui appréhende la musique d'une manière tellement spéciale qu'on ne peut que travailler pour lui. Puisqu'il n'est pas dirigiste. C'est pire que tout. Et c'est formidable pour un compositeur. Il vous dit, voilà, j'attends quelque chose comme ça. Mais il ne vous donnera pas un exemple, comme aujourd'hui on dit, je voudrais une musique comme celle-ci, où on met de la musique temporaire et il faut la copier. Godard, finalement, vous ouvrez complètement les portes. de la liberté, tout en vous maintenant comme dans un étau, mais un étau dont on ne voit pas du tout les limites. C'est-à-dire qu'on a l'impression d'être complètement libre, et en même temps on fait exactement le travail que lui attend. Mais est-ce que vous, après cette longue parenthèse dans l'orchestration, dans la variété, dans l'arrangement, dans la production de chansons, est-ce que ça vous a frustré, sur ce premier vrai long métrage, de ne pas avoir l'image ? Ou au contraire, ça...

  • Speaker #0

    Ah non, je ne peux pas dire que ça m'est frustré. D'abord, je ne savais pas travailler à l'image. Donc si j'avais eu l'image, je n'aurais pas su comment faire, en fait. Je n'ai appris à travailler sur l'image que bien plus tard. Puisque après Godard, j'ai fait un film où j'ai écrit, pour moi, la musique la plus originale que j'ai jamais écrite, qui s'appelle la musique de Malville, avec des timbres très spéciaux pour l'époque, on est en 81 ou 82. et j'en avais tellement fait qu'on a presque rien gardé de ma musique. Donc je ne savais pas écrire pour l'image. J'ai trouvé, a posteriori, que son approche était une des meilleures approches que j'ai connues, la plus libératrice pour un compositeur, la plus féconde aussi, celle qui permet à un compositeur de donner non pas une musique à l'image près, mais une musique qui correspond à l'esprit du film, c'est-à-dire dans sa totalité. Mais encore faut-il avoir un réalisateur qui sait prendre cette composition-là ou ces compositions-là et leur trouver une place dans son image. Et ça, ils ne sont pas très nombreux à pouvoir faire ça. Donc, d'une certaine manière, l'approche de Godard, ou la non-approche par rapport à l'image est une chose qui a déterminé, plus ou moins inconsciemment, toute ma manière de travailler après avec l'image.

  • Speaker #1

    Il y a quelque chose de fondateur.

  • Speaker #0

    Fondateur pour moi, oui. C'est-à-dire que, comme je ne suis pas du tout un homme d'image, a priori... j'ai des images internes en moi, des images qui sont très subjectives qui doivent épouser des images réelles qui vont venir donc j'ai décidé de travailler avant l'image, pendant l'image et après l'image, c'est à dire que avant l'image, je cherche à à épouser l'esprit du scénario, de mes discussions avec un réalisateur avec qui j'ai beaucoup parlé, et me laisser aller à composer une sorte de musique pour un film, ou un ensemble de musique pour un film. Une fois que j'ai ça, à ce moment-là, quand vient l'image, soit j'en jette la moitié, mais c'est pas grave, parce que le plus important pour moi est de composer. Même si la moitié de ce que j'ai fait n'est pas pris, c'est pas grave. C'est une respiration dont j'ai besoin, composer tout le temps. Arriver à l'image, là, je suis obligé, évidemment, j'ai appris ça sur le tas, de servir l'image, d'épouser une forme de dialogue, faire attention aux couleurs, aux mouvements de la caméra, aux humeurs, aux émotions, à toutes ces choses-là. Mais je pense qu'ayant travaillé avant l'image, sur le scénario et sur discussion avec le réalisateur, il y a dans la musique que j'ai composée, ce qu'il faut pour épouser après l'image, à l'image près.

  • Speaker #1

    Et j'aurais presque envie de vous demander, en dernière question, quel conseil vous pourriez donner à un jeune compositeur de 2018 qui se retrouverait aujourd'hui dans la position qui était la vôtre à l'époque de Sauf qui peut la vie face à Godard ?

  • Speaker #0

    D'abord je lui dirais d'enrichir ses connaissances musicales avant tout, c'est-à-dire de ne pas se dire je fais de la musique de film donc je n'ai pas besoin d'harmonie, de contrepoint, tous les grands composants de musique de film sont tous des gens qui ont étudié la musique, bon, moi je l'ai étudié après, mais qui ont étudié, qui savent vraiment construire un thème, qui savent le varier, qui savent le réharmoniser, qui savent utiliser des artifices à l'envers, à l'endroit, etc. D'abord, avoir des connaissances musicales, et ces connaissances musicales ne sont pas forcément les musiques de film. C'est-à-dire de ne pas prendre les musiques de film d'aujourd'hui, quelles qu'elles soient, ou d'hier, comme des exemples à suivre. d'avoir une approche, d'oser. Je lui conseille aussi, quel que soit le processus, si on lui donne des images, de regarder ces images sans penser à la musique, de les regarder autant que possible, jusqu'à ce que ces images soient dans sa tête, dans son cœur. Et quand il compose, de ne pas regarder les images. D'abord de composer de la musique en se souvenant de ce qu'il a vu, et après d'essayer de travailler sur l'image près. Donc d'avoir une sorte d'approche avant tout musicale, habitée par l'esprit du film, qu'il a vu, des images qu'il a vues, mais ne pas coller aux images comme on le fait aujourd'hui. Je cite toujours ces exemples de gens comme Herman ou Thiamkin ou Ausha, qui n'avaient pas les images devant eux. Ils allaient dans une salle de montage ou dans une salle de projection, ils voyaient le film une fois, deux fois, et après ils emmenaient avec eux les traces du monteur musique qui leur donnait les minutages.

  • Speaker #1

    Ils écrivaient sur le souvenir de l'image.

  • Speaker #0

    Absolument, sur le souvenir de l'image. Donc ne pas chercher à coller à l'image, et ne pas faire de l'image le point de départ de votre imaginaire musical. C'est en ce sens-là qu'on peut encore continuer à être des compositeurs pour l'image. sans devenir des sortes de ce que disait Stravinsky, du papier peint, c'est-à-dire simplement tapisser de ci, de là, et finalement faire une musique qui convient. Mais il ne s'agit pas simplement de répondre à la question et de faire des musiques qui conviennent, il faut donner à la musique de film, chaque fois c'est l'aide de noblesse, c'est-à-dire créer véritablement des choses qui perdurent pour le film, qui servent le film, mais qui existent aussi en dehors du film.

  • Speaker #1

    Merci Gabriel Yared.

  • Speaker #0

    Merci Stéphane.

Chapters

  • Introduction au podcast et présentation de Gabriel Yared

    00:14

  • Le parcours musical de Gabriel Yared

    00:32

  • Transition vers le cinéma : la rencontre avec Jean-Luc Godard

    01:07

  • Le processus de composition sans image

    03:29

  • Conseils pour les jeunes compositeurs

    15:51

Description

Dans Ma première fois, un compositeur connu et reconnu nous raconte sa première expérience de musique à l’image, avec son lot de réussite, de déceptions, d’aléatoire, de doute et d’enthousiasme. 

Pour ce second épisode, nous accueillons Gabriel Yared, un compositeur qui est né et a grandi à Beyrouth. Il a un goût pour la musique orientale, la musique symphonique, la pop, le jazz moderne, les musiques ethniques. Cet amalgame de cultures forgent un ADN inédit, une personnalité multiple, complexe, compatible avec tous les cinémas. 

Ses partitions emblématiques s’intitulent La Lune dans le caniveau, 37°2 le matin, Camille Claudel, Tatie Danielle, Le Patient anglais, Le Talentueux M.Ripley, Azur et Asmar, Juste la fin du monde. 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Le Musée SACEM présente Ma première fois, un podcast animé par Stéphane Lerouge.

  • Speaker #1

    Dans Ma première fois, un compositeur connu et reconnu nous raconte sa première expérience de musique à l'image avec son lot de réussite, de déception, d'aléatoire, de doute et d'enthousiasme. Pour ce second épisode, nous accueillons un compositeur qui est né et a grandi à Beyrouth. Il a un goût pour la musique orientale, la musique symphonique, la pop, le jazz moderne, les musiques ethniques. Cet amalgame de cultures forge un ADN inédit, une personnalité multiple, complexe, compatible avec tous les cinémas. Ses partitions emblématiques s'intitulent « La lune dans le caniveau », 37°2 le matin, Camille Claudel, Tati Daniel, le Patient anglais, le Talentueux monsieur Ripley, Azur et Asmar, Juste la fin du monde. Bonjour, Gabriel Yared.

  • Speaker #0

    Bonjour Stéphane.

  • Speaker #1

    Alors en 78, vous êtes depuis déjà 6-7 ans l'un des arrangeurs vedettes de la variété française. Vous travaillez pour Aznavour, Jacques Dutronc, Françoise Hardi, Michel Jonasz. Vous tutoyez la trentaine et du jour au lendemain, vous décidez d'arrêter votre métier d'orchestrateur-producteur de chansons. Pourquoi ?

  • Speaker #0

    En fait, ça s'est fait du jour au lendemain, mais ça faisait longtemps que ça couvait, parce qu'à part, pour moi, acheter des partitions d'orchestre, pour apprendre la musique, des partitions de piano, d'orchestre, etc. Je sentais que j'étais dans une voie qui ne me convenait pas vraiment. Je remercie tous les chanteurs et les chanteuses grâce auxquelles j'ai pu justement avancer musicalement. Et je pensais que j'avais besoin, moi qui étais autodidacte, même si j'avais été touriste chez Henri Dutilleux à l'école normale, je ressentais le besoin d'apprendre. Et donc cette année-là, en fait, en 78, j'ai pris une année sabbatique pour apprendre le contrepoint avec Maître Julien Fall, qui est décédé maintenant, qui était un ancien professeur au Conservatoire de Paris, et j'ai fait une année de contrepoint et de fugue qui s'est continuée par une deuxième année. Et c'est à l'issue de ces deux années où j'ai arrêté d'orchestrer que m'est venue, par Jacques Dutronc, une proposition de Jean-Luc Godard. Si j'ai arrêté, c'est parce que vraiment je voulais aller ailleurs. Vraiment, je trouve que c'était très bien de servir tous les chanteurs, mais j'étais un peu coincé dans un système harmonique qui n'était pas le mien, et qu'il fallait que je serve au mieux possible, et que ça suffisait. J'avais fait mon expérience d'orchestrateur, maintenant il fallait aller ailleurs.

  • Speaker #1

    Mais vous aviez comme une sorte de saturation, vous aviez l'impression d'avoir épuisé ce territoire de la musique ?

  • Speaker #0

    De l'orchestration, oui, et que toute la musique encore m'attendait. D'abord pour que j'apprenne cette science dont Dutilleux m'avait toujours dit, dès le début, quand il m'avait vu dans les années 70, il m'avait dit, quoi que vous fassiez plus tard, apprenez le contrepoint. Je n'ai pas oublié ce qu'il m'a dit. Apprendre le contrepoint, et un peu plus tard la fugue, ça a changé complètement ma vie. Parce que ça a canalisé d'une certaine manière cette inspiration qui est en moi, ou qui tombe sur moi, ça m'a permis de développer, ça m'a permis de varier, ça m'a permis d'utiliser tous les artifices de la composition, chose que je ferai plus tard dans la musique de film ou dans la musique de ballet.

  • Speaker #1

    Alors vous parliez à l'instant de Jacques Dutronc, que vous appelez mon bienfaiteur.

  • Speaker #0

    Mon bienfaiteur, oui.

  • Speaker #1

    Et comment c'est passé justement cette traversée du miroir, cette jointure avec le cinéma ?

  • Speaker #0

    C'est très étrange parce que moi, comme je le dis toujours, je n'avais aucune culture cinématographique. Quand j'étais à Beyrouth, j'avais vu quelques films, mais toute mon attention était portée vers la musique, obsessionnellement d'ailleurs. Que ce soit la musique à l'orgue, où j'ai déchiffré tout seul tout ce qu'on peut imaginer, papillonné d'un compositeur à l'autre, que ce soit dans le jazz Elonious Monk ou Coltrane ou Marvin Gaye ou Ravel ou Debussy ou Ligeti, peu importe. Et quand la première proposition est arrivée, c'était très étrange pour moi parce que j'avais en face de moi une sorte d'icône du cinéma, quelqu'un qui avait complètement bouleversé le cinéma, la manière de tourner, la grammaire du cinéma. Exactement, qui s'appelle Jean-Luc Godard, j'avais en face de moi ce monsieur, et je pensais qu'il allait me montrer des images. Alors il m'a dit, voilà, c'est l'histoire de ceci, de cela, etc. Je peux voir des images, je me dis, c'est pas nécessaire, je vous raconte. Je voudrais que vous fassiez, alors je venais de sortir de tant d'années d'orchestration, je voudrais que vous fassiez des orchestrations de l'ouverture du deuxième acte de la Gioconda de Ponchielli, donc un compositeur vériste, et 30 secondes, 45 secondes, etc. Et je lui ai dit, franchement, ça ne m'intéresse pas, parce que je sors d'une grande période d'orchestration, et je suppose que n'importe qui pourrait faire ce travail. Je pensais qu'il s'agissait de composition.

  • Speaker #1

    C'est-à-dire que sa demande, au départ, vous renvoyait à ce à quoi, précisément, vous tentiez d'échapper.

  • Speaker #0

    Absolument, absolument. Et c'est très étrange parce que le destin a des voies étranges. D'une part, il me demandait d'orchestrer cette ouverture du deuxième acte de Ponchieli, mais il me demandait aussi de m'en servir comme outil de composition. Et c'est ce que j'ai fait. Après une discussion qui n'a abouti à rien, nous nous sommes écrits et nous avons trouvé un moyen terme, c'est-à-dire que je composais de la musique pour le film, à part entière, mais aussi j'utilisais Ponchieli, donc l'ouverture du deuxième acte, qui est celle-ci, n'est-ce pas ? Voilà, ces quatre mesures, enfin huit mesures, il fallait que j'en tire tout le sucre. Et même si on ne s'en rend pas compte, même si c'est subliminal, inconscient, tout le long du film j'ai utilisé chaque petite cellule de ce thème-là sans jamais le citer. Et je ne l'ai cité, on ne le cite qu'à la fin, quand on voit les violons qui jouent ce thème-là dans la rue, à l'image. Et bon, ça commence par « la va de la » et bien j'ai utilisé ça comme une pédale pour commencer le film. Et là j'utilise à l'envers. Je ne vais pas montrer tout ce que j'ai fait, mais ce thème finalement, cette obligation, cet obstacle est devenu pour moi un levier d'une certaine manière, puisque j'étais contraint de me servir de ça comme matériau de composition. Et c'est fou quand on a un peu appris le contrepoint, quand on a envie vraiment de creuser. C'est fou ce qu'on peut trouver dans un thème, en sortir et se l'approprier. Et c'est ainsi que j'ai écrit la musique de Soufri Polavi. Il y avait aussi des musiques de moi, il y avait notamment des musiques très rythmiques à l'époque. Je suis rythmicien, souvent les réalisateurs de cinéma oublient que je suis un rythmicien aussi. Mais il y avait toute une partie qui était faite avec des séquenceurs ARP de l'époque, qui était très rythmique. Et il y avait un thème en particulier qui s'appelait l'imaginaire que j'ai composé pour le film. Donc cette première partition finalement a été pour moi une sorte de... Un paradis. J'ai travaillé avec quelqu'un qui ne m'a pas du tout soumis à l'image, qui m'a dit, écrivez, je ferai ce qu'il faut. Et effectivement, après, j'ai découvert le film, où j'ai découvert que Jean-Luc Godard, dont je ne connaissais pas l'oeuvre, coupait vraiment net.

  • Speaker #1

    L'effet guillotine.

  • Speaker #0

    L'effet guillotine, vraiment. Mais il a certainement des raisons de le faire. J'étais choqué la première fois. Je l'ai connu un peu plus parce que nous avons échangé après, même si nous n'avons jamais pu retravailler ensemble. D'ailleurs, je ne crois pas qu'il ait travaillé avec des compositeurs après, à part par Tom Waits, qui était chanteur. Et j'ai découvert que son approche de la musique, du son, était extrêmement originale, très créative. Elle peut être choquante pour certains. Moi, je l'ai comprise après coup.

  • Speaker #1

    Quand vous l'avez rencontré, est-ce que vous connaissiez son cinéma et son pédigré musical ?

  • Speaker #0

    Quand j'ai rencontré Godard, je ne connaissais rien de lui. Simplement, j'ai vu un monsieur en face de moi. Et c'est après coup, quand nous avons travaillé ensemble, j'étais en studio avec juste un piano synthé, que mon ami Georges Rodi programmait, il n'y avait pas de musicien. Il était là, il ne disait rien, il a pris la musique et il l'a utilisée dans le film entièrement, entièrement. Il l'a montée comme lui voulait.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous regardiez Jean-Luc Godard, vous surveilliez ses réactions à votre regard sur son film ? Comment il se comportait à l'enregistrement ?

  • Speaker #0

    Mais à l'enregistrement, il était d'un silence, d'un recueillement, d'un mutisme absolu, absolu. Il ne disait rien. Il entendait les choses, il écoutait les choses se dérouler. Parce que je construisais, j'étais tout seul. Quand il m'a dit c'est très bien, c'est tout, très laconique, vous savez, il n'est pas très disert. Et il est parti et il a monté toute ma musique sur son film. A l'époque, je ne connaissais rien au cinéma, je ne connaissais pas l'oeuvre de Jean-Luc Godard. Et c'est après que je me suis intéressé à regarder son oeuvre, c'est-à-dire à voir Le Mépris, à voir Pierrot le Fou, avec la très très belle musique de Duhamel, de Georges Delerue. Et j'ai découvert un véritable artiste du cinéma, un philosophe, un constructeur, un destructeur aussi. Mais quelqu'un vraiment qui a une pensée.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous avez eu le sentiment, en découvrant le film mixé, que Godard, cinéaste, recomposait le travail du compositeur, votre travail ?

  • Speaker #0

    Oui, certainement, puisque comme je n'ai pas composé sur l'image, il avait des éléments du matériau. Et c'est lui qui a fait finalement cette connexion, cette osmose entre la musique et l'image. C'est à lui que je dois ça. Moi, je ne savais pas vers quoi, je savais simplement qu'il y avait un sujet qui m'avait dit je cherche quelque chose, qu'il soit comme ceci, comme cela, mais il ne m'a jamais dit qu'il faut faire des séquences rythmiques qui se superposent, rien de tout ça. Il m'a juste demandé de travailler sur le panchieli, d'en tirer tout le sucre, et de l'exposer à la fin, et il m'a dit que je voudrais en plus un thème. J'ai écrit pour lui ce thème qui s'appelle l'imaginaire, qui est celui-là. Ce qui faisait que d'un thème, je reliais un thème à l'autre, ou en tous les cas au thème imposé. Je ne me suis jamais vraiment beaucoup écarté. Et quand j'ai vu le film fini avec ma musique, je me souviens que c'était à Cannes, je crois. Il y avait des jets de tomates. Oui. Moi, j'ai échappé. Ça a été jeté sur Godard à l'époque. Je crois que c'était l'ouverture du festival, je ne me souviens plus. Il y a très très longtemps, donc ça devait être dans l'année 80, voilà. Et ce n'était pas le même théâtre qu'aujourd'hui. Et il y avait des légumes, enfin je pense à des tomates, qui montaient du parterre vers le balcon.

  • Speaker #1

    Mais c'est étonnant ce que vous dites sur cette expérience avec Godard on y trouve quasiment la confirmation des propos de Georges Delerue qui n'a fait qu'un seul film avec Godard, Le mépris. Et Delerue disait, on ne travaille pas avec Godard, on travaille pour Godard. Oui, oui, j'aime, j'aime ça, mais parce que travailler pour Godard, ça veut dire que Godard connaît très bien la musique, aussi. J'ai découvert plus tard que c'est quelqu'un qui écoutait tout le temps, qui connaît parfaitement d'un bout à l'autre les 48 préludes et fugues de Claude Saint-Bertrand-Péry, il connaît tous les quatuors de Beethoven, c'est quelqu'un qui connaît la musique, qui ne met jamais ça en avant, ce n'est pas un pédant qui parle de ses connaissances musicales, mais c'est quelqu'un qui appréhende la musique d'une manière tellement spéciale qu'on ne peut que travailler pour lui. Puisqu'il n'est pas dirigiste. C'est pire que tout. Et c'est formidable pour un compositeur. Il vous dit, voilà, j'attends quelque chose comme ça. Mais il ne vous donnera pas un exemple, comme aujourd'hui on dit, je voudrais une musique comme celle-ci, où on met de la musique temporaire et il faut la copier. Godard, finalement, vous ouvrez complètement les portes. de la liberté, tout en vous maintenant comme dans un étau, mais un étau dont on ne voit pas du tout les limites. C'est-à-dire qu'on a l'impression d'être complètement libre, et en même temps on fait exactement le travail que lui attend. Mais est-ce que vous, après cette longue parenthèse dans l'orchestration, dans la variété, dans l'arrangement, dans la production de chansons, est-ce que ça vous a frustré, sur ce premier vrai long métrage, de ne pas avoir l'image ? Ou au contraire, ça...

  • Speaker #0

    Ah non, je ne peux pas dire que ça m'est frustré. D'abord, je ne savais pas travailler à l'image. Donc si j'avais eu l'image, je n'aurais pas su comment faire, en fait. Je n'ai appris à travailler sur l'image que bien plus tard. Puisque après Godard, j'ai fait un film où j'ai écrit, pour moi, la musique la plus originale que j'ai jamais écrite, qui s'appelle la musique de Malville, avec des timbres très spéciaux pour l'époque, on est en 81 ou 82. et j'en avais tellement fait qu'on a presque rien gardé de ma musique. Donc je ne savais pas écrire pour l'image. J'ai trouvé, a posteriori, que son approche était une des meilleures approches que j'ai connues, la plus libératrice pour un compositeur, la plus féconde aussi, celle qui permet à un compositeur de donner non pas une musique à l'image près, mais une musique qui correspond à l'esprit du film, c'est-à-dire dans sa totalité. Mais encore faut-il avoir un réalisateur qui sait prendre cette composition-là ou ces compositions-là et leur trouver une place dans son image. Et ça, ils ne sont pas très nombreux à pouvoir faire ça. Donc, d'une certaine manière, l'approche de Godard, ou la non-approche par rapport à l'image est une chose qui a déterminé, plus ou moins inconsciemment, toute ma manière de travailler après avec l'image.

  • Speaker #1

    Il y a quelque chose de fondateur.

  • Speaker #0

    Fondateur pour moi, oui. C'est-à-dire que, comme je ne suis pas du tout un homme d'image, a priori... j'ai des images internes en moi, des images qui sont très subjectives qui doivent épouser des images réelles qui vont venir donc j'ai décidé de travailler avant l'image, pendant l'image et après l'image, c'est à dire que avant l'image, je cherche à à épouser l'esprit du scénario, de mes discussions avec un réalisateur avec qui j'ai beaucoup parlé, et me laisser aller à composer une sorte de musique pour un film, ou un ensemble de musique pour un film. Une fois que j'ai ça, à ce moment-là, quand vient l'image, soit j'en jette la moitié, mais c'est pas grave, parce que le plus important pour moi est de composer. Même si la moitié de ce que j'ai fait n'est pas pris, c'est pas grave. C'est une respiration dont j'ai besoin, composer tout le temps. Arriver à l'image, là, je suis obligé, évidemment, j'ai appris ça sur le tas, de servir l'image, d'épouser une forme de dialogue, faire attention aux couleurs, aux mouvements de la caméra, aux humeurs, aux émotions, à toutes ces choses-là. Mais je pense qu'ayant travaillé avant l'image, sur le scénario et sur discussion avec le réalisateur, il y a dans la musique que j'ai composée, ce qu'il faut pour épouser après l'image, à l'image près.

  • Speaker #1

    Et j'aurais presque envie de vous demander, en dernière question, quel conseil vous pourriez donner à un jeune compositeur de 2018 qui se retrouverait aujourd'hui dans la position qui était la vôtre à l'époque de Sauf qui peut la vie face à Godard ?

  • Speaker #0

    D'abord je lui dirais d'enrichir ses connaissances musicales avant tout, c'est-à-dire de ne pas se dire je fais de la musique de film donc je n'ai pas besoin d'harmonie, de contrepoint, tous les grands composants de musique de film sont tous des gens qui ont étudié la musique, bon, moi je l'ai étudié après, mais qui ont étudié, qui savent vraiment construire un thème, qui savent le varier, qui savent le réharmoniser, qui savent utiliser des artifices à l'envers, à l'endroit, etc. D'abord, avoir des connaissances musicales, et ces connaissances musicales ne sont pas forcément les musiques de film. C'est-à-dire de ne pas prendre les musiques de film d'aujourd'hui, quelles qu'elles soient, ou d'hier, comme des exemples à suivre. d'avoir une approche, d'oser. Je lui conseille aussi, quel que soit le processus, si on lui donne des images, de regarder ces images sans penser à la musique, de les regarder autant que possible, jusqu'à ce que ces images soient dans sa tête, dans son cœur. Et quand il compose, de ne pas regarder les images. D'abord de composer de la musique en se souvenant de ce qu'il a vu, et après d'essayer de travailler sur l'image près. Donc d'avoir une sorte d'approche avant tout musicale, habitée par l'esprit du film, qu'il a vu, des images qu'il a vues, mais ne pas coller aux images comme on le fait aujourd'hui. Je cite toujours ces exemples de gens comme Herman ou Thiamkin ou Ausha, qui n'avaient pas les images devant eux. Ils allaient dans une salle de montage ou dans une salle de projection, ils voyaient le film une fois, deux fois, et après ils emmenaient avec eux les traces du monteur musique qui leur donnait les minutages.

  • Speaker #1

    Ils écrivaient sur le souvenir de l'image.

  • Speaker #0

    Absolument, sur le souvenir de l'image. Donc ne pas chercher à coller à l'image, et ne pas faire de l'image le point de départ de votre imaginaire musical. C'est en ce sens-là qu'on peut encore continuer à être des compositeurs pour l'image. sans devenir des sortes de ce que disait Stravinsky, du papier peint, c'est-à-dire simplement tapisser de ci, de là, et finalement faire une musique qui convient. Mais il ne s'agit pas simplement de répondre à la question et de faire des musiques qui conviennent, il faut donner à la musique de film, chaque fois c'est l'aide de noblesse, c'est-à-dire créer véritablement des choses qui perdurent pour le film, qui servent le film, mais qui existent aussi en dehors du film.

  • Speaker #1

    Merci Gabriel Yared.

  • Speaker #0

    Merci Stéphane.

Chapters

  • Introduction au podcast et présentation de Gabriel Yared

    00:14

  • Le parcours musical de Gabriel Yared

    00:32

  • Transition vers le cinéma : la rencontre avec Jean-Luc Godard

    01:07

  • Le processus de composition sans image

    03:29

  • Conseils pour les jeunes compositeurs

    15:51

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Description

Dans Ma première fois, un compositeur connu et reconnu nous raconte sa première expérience de musique à l’image, avec son lot de réussite, de déceptions, d’aléatoire, de doute et d’enthousiasme. 

Pour ce second épisode, nous accueillons Gabriel Yared, un compositeur qui est né et a grandi à Beyrouth. Il a un goût pour la musique orientale, la musique symphonique, la pop, le jazz moderne, les musiques ethniques. Cet amalgame de cultures forgent un ADN inédit, une personnalité multiple, complexe, compatible avec tous les cinémas. 

Ses partitions emblématiques s’intitulent La Lune dans le caniveau, 37°2 le matin, Camille Claudel, Tatie Danielle, Le Patient anglais, Le Talentueux M.Ripley, Azur et Asmar, Juste la fin du monde. 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Le Musée SACEM présente Ma première fois, un podcast animé par Stéphane Lerouge.

  • Speaker #1

    Dans Ma première fois, un compositeur connu et reconnu nous raconte sa première expérience de musique à l'image avec son lot de réussite, de déception, d'aléatoire, de doute et d'enthousiasme. Pour ce second épisode, nous accueillons un compositeur qui est né et a grandi à Beyrouth. Il a un goût pour la musique orientale, la musique symphonique, la pop, le jazz moderne, les musiques ethniques. Cet amalgame de cultures forge un ADN inédit, une personnalité multiple, complexe, compatible avec tous les cinémas. Ses partitions emblématiques s'intitulent « La lune dans le caniveau », 37°2 le matin, Camille Claudel, Tati Daniel, le Patient anglais, le Talentueux monsieur Ripley, Azur et Asmar, Juste la fin du monde. Bonjour, Gabriel Yared.

  • Speaker #0

    Bonjour Stéphane.

  • Speaker #1

    Alors en 78, vous êtes depuis déjà 6-7 ans l'un des arrangeurs vedettes de la variété française. Vous travaillez pour Aznavour, Jacques Dutronc, Françoise Hardi, Michel Jonasz. Vous tutoyez la trentaine et du jour au lendemain, vous décidez d'arrêter votre métier d'orchestrateur-producteur de chansons. Pourquoi ?

  • Speaker #0

    En fait, ça s'est fait du jour au lendemain, mais ça faisait longtemps que ça couvait, parce qu'à part, pour moi, acheter des partitions d'orchestre, pour apprendre la musique, des partitions de piano, d'orchestre, etc. Je sentais que j'étais dans une voie qui ne me convenait pas vraiment. Je remercie tous les chanteurs et les chanteuses grâce auxquelles j'ai pu justement avancer musicalement. Et je pensais que j'avais besoin, moi qui étais autodidacte, même si j'avais été touriste chez Henri Dutilleux à l'école normale, je ressentais le besoin d'apprendre. Et donc cette année-là, en fait, en 78, j'ai pris une année sabbatique pour apprendre le contrepoint avec Maître Julien Fall, qui est décédé maintenant, qui était un ancien professeur au Conservatoire de Paris, et j'ai fait une année de contrepoint et de fugue qui s'est continuée par une deuxième année. Et c'est à l'issue de ces deux années où j'ai arrêté d'orchestrer que m'est venue, par Jacques Dutronc, une proposition de Jean-Luc Godard. Si j'ai arrêté, c'est parce que vraiment je voulais aller ailleurs. Vraiment, je trouve que c'était très bien de servir tous les chanteurs, mais j'étais un peu coincé dans un système harmonique qui n'était pas le mien, et qu'il fallait que je serve au mieux possible, et que ça suffisait. J'avais fait mon expérience d'orchestrateur, maintenant il fallait aller ailleurs.

  • Speaker #1

    Mais vous aviez comme une sorte de saturation, vous aviez l'impression d'avoir épuisé ce territoire de la musique ?

  • Speaker #0

    De l'orchestration, oui, et que toute la musique encore m'attendait. D'abord pour que j'apprenne cette science dont Dutilleux m'avait toujours dit, dès le début, quand il m'avait vu dans les années 70, il m'avait dit, quoi que vous fassiez plus tard, apprenez le contrepoint. Je n'ai pas oublié ce qu'il m'a dit. Apprendre le contrepoint, et un peu plus tard la fugue, ça a changé complètement ma vie. Parce que ça a canalisé d'une certaine manière cette inspiration qui est en moi, ou qui tombe sur moi, ça m'a permis de développer, ça m'a permis de varier, ça m'a permis d'utiliser tous les artifices de la composition, chose que je ferai plus tard dans la musique de film ou dans la musique de ballet.

  • Speaker #1

    Alors vous parliez à l'instant de Jacques Dutronc, que vous appelez mon bienfaiteur.

  • Speaker #0

    Mon bienfaiteur, oui.

  • Speaker #1

    Et comment c'est passé justement cette traversée du miroir, cette jointure avec le cinéma ?

  • Speaker #0

    C'est très étrange parce que moi, comme je le dis toujours, je n'avais aucune culture cinématographique. Quand j'étais à Beyrouth, j'avais vu quelques films, mais toute mon attention était portée vers la musique, obsessionnellement d'ailleurs. Que ce soit la musique à l'orgue, où j'ai déchiffré tout seul tout ce qu'on peut imaginer, papillonné d'un compositeur à l'autre, que ce soit dans le jazz Elonious Monk ou Coltrane ou Marvin Gaye ou Ravel ou Debussy ou Ligeti, peu importe. Et quand la première proposition est arrivée, c'était très étrange pour moi parce que j'avais en face de moi une sorte d'icône du cinéma, quelqu'un qui avait complètement bouleversé le cinéma, la manière de tourner, la grammaire du cinéma. Exactement, qui s'appelle Jean-Luc Godard, j'avais en face de moi ce monsieur, et je pensais qu'il allait me montrer des images. Alors il m'a dit, voilà, c'est l'histoire de ceci, de cela, etc. Je peux voir des images, je me dis, c'est pas nécessaire, je vous raconte. Je voudrais que vous fassiez, alors je venais de sortir de tant d'années d'orchestration, je voudrais que vous fassiez des orchestrations de l'ouverture du deuxième acte de la Gioconda de Ponchielli, donc un compositeur vériste, et 30 secondes, 45 secondes, etc. Et je lui ai dit, franchement, ça ne m'intéresse pas, parce que je sors d'une grande période d'orchestration, et je suppose que n'importe qui pourrait faire ce travail. Je pensais qu'il s'agissait de composition.

  • Speaker #1

    C'est-à-dire que sa demande, au départ, vous renvoyait à ce à quoi, précisément, vous tentiez d'échapper.

  • Speaker #0

    Absolument, absolument. Et c'est très étrange parce que le destin a des voies étranges. D'une part, il me demandait d'orchestrer cette ouverture du deuxième acte de Ponchieli, mais il me demandait aussi de m'en servir comme outil de composition. Et c'est ce que j'ai fait. Après une discussion qui n'a abouti à rien, nous nous sommes écrits et nous avons trouvé un moyen terme, c'est-à-dire que je composais de la musique pour le film, à part entière, mais aussi j'utilisais Ponchieli, donc l'ouverture du deuxième acte, qui est celle-ci, n'est-ce pas ? Voilà, ces quatre mesures, enfin huit mesures, il fallait que j'en tire tout le sucre. Et même si on ne s'en rend pas compte, même si c'est subliminal, inconscient, tout le long du film j'ai utilisé chaque petite cellule de ce thème-là sans jamais le citer. Et je ne l'ai cité, on ne le cite qu'à la fin, quand on voit les violons qui jouent ce thème-là dans la rue, à l'image. Et bon, ça commence par « la va de la » et bien j'ai utilisé ça comme une pédale pour commencer le film. Et là j'utilise à l'envers. Je ne vais pas montrer tout ce que j'ai fait, mais ce thème finalement, cette obligation, cet obstacle est devenu pour moi un levier d'une certaine manière, puisque j'étais contraint de me servir de ça comme matériau de composition. Et c'est fou quand on a un peu appris le contrepoint, quand on a envie vraiment de creuser. C'est fou ce qu'on peut trouver dans un thème, en sortir et se l'approprier. Et c'est ainsi que j'ai écrit la musique de Soufri Polavi. Il y avait aussi des musiques de moi, il y avait notamment des musiques très rythmiques à l'époque. Je suis rythmicien, souvent les réalisateurs de cinéma oublient que je suis un rythmicien aussi. Mais il y avait toute une partie qui était faite avec des séquenceurs ARP de l'époque, qui était très rythmique. Et il y avait un thème en particulier qui s'appelait l'imaginaire que j'ai composé pour le film. Donc cette première partition finalement a été pour moi une sorte de... Un paradis. J'ai travaillé avec quelqu'un qui ne m'a pas du tout soumis à l'image, qui m'a dit, écrivez, je ferai ce qu'il faut. Et effectivement, après, j'ai découvert le film, où j'ai découvert que Jean-Luc Godard, dont je ne connaissais pas l'oeuvre, coupait vraiment net.

  • Speaker #1

    L'effet guillotine.

  • Speaker #0

    L'effet guillotine, vraiment. Mais il a certainement des raisons de le faire. J'étais choqué la première fois. Je l'ai connu un peu plus parce que nous avons échangé après, même si nous n'avons jamais pu retravailler ensemble. D'ailleurs, je ne crois pas qu'il ait travaillé avec des compositeurs après, à part par Tom Waits, qui était chanteur. Et j'ai découvert que son approche de la musique, du son, était extrêmement originale, très créative. Elle peut être choquante pour certains. Moi, je l'ai comprise après coup.

  • Speaker #1

    Quand vous l'avez rencontré, est-ce que vous connaissiez son cinéma et son pédigré musical ?

  • Speaker #0

    Quand j'ai rencontré Godard, je ne connaissais rien de lui. Simplement, j'ai vu un monsieur en face de moi. Et c'est après coup, quand nous avons travaillé ensemble, j'étais en studio avec juste un piano synthé, que mon ami Georges Rodi programmait, il n'y avait pas de musicien. Il était là, il ne disait rien, il a pris la musique et il l'a utilisée dans le film entièrement, entièrement. Il l'a montée comme lui voulait.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous regardiez Jean-Luc Godard, vous surveilliez ses réactions à votre regard sur son film ? Comment il se comportait à l'enregistrement ?

  • Speaker #0

    Mais à l'enregistrement, il était d'un silence, d'un recueillement, d'un mutisme absolu, absolu. Il ne disait rien. Il entendait les choses, il écoutait les choses se dérouler. Parce que je construisais, j'étais tout seul. Quand il m'a dit c'est très bien, c'est tout, très laconique, vous savez, il n'est pas très disert. Et il est parti et il a monté toute ma musique sur son film. A l'époque, je ne connaissais rien au cinéma, je ne connaissais pas l'oeuvre de Jean-Luc Godard. Et c'est après que je me suis intéressé à regarder son oeuvre, c'est-à-dire à voir Le Mépris, à voir Pierrot le Fou, avec la très très belle musique de Duhamel, de Georges Delerue. Et j'ai découvert un véritable artiste du cinéma, un philosophe, un constructeur, un destructeur aussi. Mais quelqu'un vraiment qui a une pensée.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous avez eu le sentiment, en découvrant le film mixé, que Godard, cinéaste, recomposait le travail du compositeur, votre travail ?

  • Speaker #0

    Oui, certainement, puisque comme je n'ai pas composé sur l'image, il avait des éléments du matériau. Et c'est lui qui a fait finalement cette connexion, cette osmose entre la musique et l'image. C'est à lui que je dois ça. Moi, je ne savais pas vers quoi, je savais simplement qu'il y avait un sujet qui m'avait dit je cherche quelque chose, qu'il soit comme ceci, comme cela, mais il ne m'a jamais dit qu'il faut faire des séquences rythmiques qui se superposent, rien de tout ça. Il m'a juste demandé de travailler sur le panchieli, d'en tirer tout le sucre, et de l'exposer à la fin, et il m'a dit que je voudrais en plus un thème. J'ai écrit pour lui ce thème qui s'appelle l'imaginaire, qui est celui-là. Ce qui faisait que d'un thème, je reliais un thème à l'autre, ou en tous les cas au thème imposé. Je ne me suis jamais vraiment beaucoup écarté. Et quand j'ai vu le film fini avec ma musique, je me souviens que c'était à Cannes, je crois. Il y avait des jets de tomates. Oui. Moi, j'ai échappé. Ça a été jeté sur Godard à l'époque. Je crois que c'était l'ouverture du festival, je ne me souviens plus. Il y a très très longtemps, donc ça devait être dans l'année 80, voilà. Et ce n'était pas le même théâtre qu'aujourd'hui. Et il y avait des légumes, enfin je pense à des tomates, qui montaient du parterre vers le balcon.

  • Speaker #1

    Mais c'est étonnant ce que vous dites sur cette expérience avec Godard on y trouve quasiment la confirmation des propos de Georges Delerue qui n'a fait qu'un seul film avec Godard, Le mépris. Et Delerue disait, on ne travaille pas avec Godard, on travaille pour Godard. Oui, oui, j'aime, j'aime ça, mais parce que travailler pour Godard, ça veut dire que Godard connaît très bien la musique, aussi. J'ai découvert plus tard que c'est quelqu'un qui écoutait tout le temps, qui connaît parfaitement d'un bout à l'autre les 48 préludes et fugues de Claude Saint-Bertrand-Péry, il connaît tous les quatuors de Beethoven, c'est quelqu'un qui connaît la musique, qui ne met jamais ça en avant, ce n'est pas un pédant qui parle de ses connaissances musicales, mais c'est quelqu'un qui appréhende la musique d'une manière tellement spéciale qu'on ne peut que travailler pour lui. Puisqu'il n'est pas dirigiste. C'est pire que tout. Et c'est formidable pour un compositeur. Il vous dit, voilà, j'attends quelque chose comme ça. Mais il ne vous donnera pas un exemple, comme aujourd'hui on dit, je voudrais une musique comme celle-ci, où on met de la musique temporaire et il faut la copier. Godard, finalement, vous ouvrez complètement les portes. de la liberté, tout en vous maintenant comme dans un étau, mais un étau dont on ne voit pas du tout les limites. C'est-à-dire qu'on a l'impression d'être complètement libre, et en même temps on fait exactement le travail que lui attend. Mais est-ce que vous, après cette longue parenthèse dans l'orchestration, dans la variété, dans l'arrangement, dans la production de chansons, est-ce que ça vous a frustré, sur ce premier vrai long métrage, de ne pas avoir l'image ? Ou au contraire, ça...

  • Speaker #0

    Ah non, je ne peux pas dire que ça m'est frustré. D'abord, je ne savais pas travailler à l'image. Donc si j'avais eu l'image, je n'aurais pas su comment faire, en fait. Je n'ai appris à travailler sur l'image que bien plus tard. Puisque après Godard, j'ai fait un film où j'ai écrit, pour moi, la musique la plus originale que j'ai jamais écrite, qui s'appelle la musique de Malville, avec des timbres très spéciaux pour l'époque, on est en 81 ou 82. et j'en avais tellement fait qu'on a presque rien gardé de ma musique. Donc je ne savais pas écrire pour l'image. J'ai trouvé, a posteriori, que son approche était une des meilleures approches que j'ai connues, la plus libératrice pour un compositeur, la plus féconde aussi, celle qui permet à un compositeur de donner non pas une musique à l'image près, mais une musique qui correspond à l'esprit du film, c'est-à-dire dans sa totalité. Mais encore faut-il avoir un réalisateur qui sait prendre cette composition-là ou ces compositions-là et leur trouver une place dans son image. Et ça, ils ne sont pas très nombreux à pouvoir faire ça. Donc, d'une certaine manière, l'approche de Godard, ou la non-approche par rapport à l'image est une chose qui a déterminé, plus ou moins inconsciemment, toute ma manière de travailler après avec l'image.

  • Speaker #1

    Il y a quelque chose de fondateur.

  • Speaker #0

    Fondateur pour moi, oui. C'est-à-dire que, comme je ne suis pas du tout un homme d'image, a priori... j'ai des images internes en moi, des images qui sont très subjectives qui doivent épouser des images réelles qui vont venir donc j'ai décidé de travailler avant l'image, pendant l'image et après l'image, c'est à dire que avant l'image, je cherche à à épouser l'esprit du scénario, de mes discussions avec un réalisateur avec qui j'ai beaucoup parlé, et me laisser aller à composer une sorte de musique pour un film, ou un ensemble de musique pour un film. Une fois que j'ai ça, à ce moment-là, quand vient l'image, soit j'en jette la moitié, mais c'est pas grave, parce que le plus important pour moi est de composer. Même si la moitié de ce que j'ai fait n'est pas pris, c'est pas grave. C'est une respiration dont j'ai besoin, composer tout le temps. Arriver à l'image, là, je suis obligé, évidemment, j'ai appris ça sur le tas, de servir l'image, d'épouser une forme de dialogue, faire attention aux couleurs, aux mouvements de la caméra, aux humeurs, aux émotions, à toutes ces choses-là. Mais je pense qu'ayant travaillé avant l'image, sur le scénario et sur discussion avec le réalisateur, il y a dans la musique que j'ai composée, ce qu'il faut pour épouser après l'image, à l'image près.

  • Speaker #1

    Et j'aurais presque envie de vous demander, en dernière question, quel conseil vous pourriez donner à un jeune compositeur de 2018 qui se retrouverait aujourd'hui dans la position qui était la vôtre à l'époque de Sauf qui peut la vie face à Godard ?

  • Speaker #0

    D'abord je lui dirais d'enrichir ses connaissances musicales avant tout, c'est-à-dire de ne pas se dire je fais de la musique de film donc je n'ai pas besoin d'harmonie, de contrepoint, tous les grands composants de musique de film sont tous des gens qui ont étudié la musique, bon, moi je l'ai étudié après, mais qui ont étudié, qui savent vraiment construire un thème, qui savent le varier, qui savent le réharmoniser, qui savent utiliser des artifices à l'envers, à l'endroit, etc. D'abord, avoir des connaissances musicales, et ces connaissances musicales ne sont pas forcément les musiques de film. C'est-à-dire de ne pas prendre les musiques de film d'aujourd'hui, quelles qu'elles soient, ou d'hier, comme des exemples à suivre. d'avoir une approche, d'oser. Je lui conseille aussi, quel que soit le processus, si on lui donne des images, de regarder ces images sans penser à la musique, de les regarder autant que possible, jusqu'à ce que ces images soient dans sa tête, dans son cœur. Et quand il compose, de ne pas regarder les images. D'abord de composer de la musique en se souvenant de ce qu'il a vu, et après d'essayer de travailler sur l'image près. Donc d'avoir une sorte d'approche avant tout musicale, habitée par l'esprit du film, qu'il a vu, des images qu'il a vues, mais ne pas coller aux images comme on le fait aujourd'hui. Je cite toujours ces exemples de gens comme Herman ou Thiamkin ou Ausha, qui n'avaient pas les images devant eux. Ils allaient dans une salle de montage ou dans une salle de projection, ils voyaient le film une fois, deux fois, et après ils emmenaient avec eux les traces du monteur musique qui leur donnait les minutages.

  • Speaker #1

    Ils écrivaient sur le souvenir de l'image.

  • Speaker #0

    Absolument, sur le souvenir de l'image. Donc ne pas chercher à coller à l'image, et ne pas faire de l'image le point de départ de votre imaginaire musical. C'est en ce sens-là qu'on peut encore continuer à être des compositeurs pour l'image. sans devenir des sortes de ce que disait Stravinsky, du papier peint, c'est-à-dire simplement tapisser de ci, de là, et finalement faire une musique qui convient. Mais il ne s'agit pas simplement de répondre à la question et de faire des musiques qui conviennent, il faut donner à la musique de film, chaque fois c'est l'aide de noblesse, c'est-à-dire créer véritablement des choses qui perdurent pour le film, qui servent le film, mais qui existent aussi en dehors du film.

  • Speaker #1

    Merci Gabriel Yared.

  • Speaker #0

    Merci Stéphane.

Chapters

  • Introduction au podcast et présentation de Gabriel Yared

    00:14

  • Le parcours musical de Gabriel Yared

    00:32

  • Transition vers le cinéma : la rencontre avec Jean-Luc Godard

    01:07

  • Le processus de composition sans image

    03:29

  • Conseils pour les jeunes compositeurs

    15:51

Description

Dans Ma première fois, un compositeur connu et reconnu nous raconte sa première expérience de musique à l’image, avec son lot de réussite, de déceptions, d’aléatoire, de doute et d’enthousiasme. 

Pour ce second épisode, nous accueillons Gabriel Yared, un compositeur qui est né et a grandi à Beyrouth. Il a un goût pour la musique orientale, la musique symphonique, la pop, le jazz moderne, les musiques ethniques. Cet amalgame de cultures forgent un ADN inédit, une personnalité multiple, complexe, compatible avec tous les cinémas. 

Ses partitions emblématiques s’intitulent La Lune dans le caniveau, 37°2 le matin, Camille Claudel, Tatie Danielle, Le Patient anglais, Le Talentueux M.Ripley, Azur et Asmar, Juste la fin du monde. 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Le Musée SACEM présente Ma première fois, un podcast animé par Stéphane Lerouge.

  • Speaker #1

    Dans Ma première fois, un compositeur connu et reconnu nous raconte sa première expérience de musique à l'image avec son lot de réussite, de déception, d'aléatoire, de doute et d'enthousiasme. Pour ce second épisode, nous accueillons un compositeur qui est né et a grandi à Beyrouth. Il a un goût pour la musique orientale, la musique symphonique, la pop, le jazz moderne, les musiques ethniques. Cet amalgame de cultures forge un ADN inédit, une personnalité multiple, complexe, compatible avec tous les cinémas. Ses partitions emblématiques s'intitulent « La lune dans le caniveau », 37°2 le matin, Camille Claudel, Tati Daniel, le Patient anglais, le Talentueux monsieur Ripley, Azur et Asmar, Juste la fin du monde. Bonjour, Gabriel Yared.

  • Speaker #0

    Bonjour Stéphane.

  • Speaker #1

    Alors en 78, vous êtes depuis déjà 6-7 ans l'un des arrangeurs vedettes de la variété française. Vous travaillez pour Aznavour, Jacques Dutronc, Françoise Hardi, Michel Jonasz. Vous tutoyez la trentaine et du jour au lendemain, vous décidez d'arrêter votre métier d'orchestrateur-producteur de chansons. Pourquoi ?

  • Speaker #0

    En fait, ça s'est fait du jour au lendemain, mais ça faisait longtemps que ça couvait, parce qu'à part, pour moi, acheter des partitions d'orchestre, pour apprendre la musique, des partitions de piano, d'orchestre, etc. Je sentais que j'étais dans une voie qui ne me convenait pas vraiment. Je remercie tous les chanteurs et les chanteuses grâce auxquelles j'ai pu justement avancer musicalement. Et je pensais que j'avais besoin, moi qui étais autodidacte, même si j'avais été touriste chez Henri Dutilleux à l'école normale, je ressentais le besoin d'apprendre. Et donc cette année-là, en fait, en 78, j'ai pris une année sabbatique pour apprendre le contrepoint avec Maître Julien Fall, qui est décédé maintenant, qui était un ancien professeur au Conservatoire de Paris, et j'ai fait une année de contrepoint et de fugue qui s'est continuée par une deuxième année. Et c'est à l'issue de ces deux années où j'ai arrêté d'orchestrer que m'est venue, par Jacques Dutronc, une proposition de Jean-Luc Godard. Si j'ai arrêté, c'est parce que vraiment je voulais aller ailleurs. Vraiment, je trouve que c'était très bien de servir tous les chanteurs, mais j'étais un peu coincé dans un système harmonique qui n'était pas le mien, et qu'il fallait que je serve au mieux possible, et que ça suffisait. J'avais fait mon expérience d'orchestrateur, maintenant il fallait aller ailleurs.

  • Speaker #1

    Mais vous aviez comme une sorte de saturation, vous aviez l'impression d'avoir épuisé ce territoire de la musique ?

  • Speaker #0

    De l'orchestration, oui, et que toute la musique encore m'attendait. D'abord pour que j'apprenne cette science dont Dutilleux m'avait toujours dit, dès le début, quand il m'avait vu dans les années 70, il m'avait dit, quoi que vous fassiez plus tard, apprenez le contrepoint. Je n'ai pas oublié ce qu'il m'a dit. Apprendre le contrepoint, et un peu plus tard la fugue, ça a changé complètement ma vie. Parce que ça a canalisé d'une certaine manière cette inspiration qui est en moi, ou qui tombe sur moi, ça m'a permis de développer, ça m'a permis de varier, ça m'a permis d'utiliser tous les artifices de la composition, chose que je ferai plus tard dans la musique de film ou dans la musique de ballet.

  • Speaker #1

    Alors vous parliez à l'instant de Jacques Dutronc, que vous appelez mon bienfaiteur.

  • Speaker #0

    Mon bienfaiteur, oui.

  • Speaker #1

    Et comment c'est passé justement cette traversée du miroir, cette jointure avec le cinéma ?

  • Speaker #0

    C'est très étrange parce que moi, comme je le dis toujours, je n'avais aucune culture cinématographique. Quand j'étais à Beyrouth, j'avais vu quelques films, mais toute mon attention était portée vers la musique, obsessionnellement d'ailleurs. Que ce soit la musique à l'orgue, où j'ai déchiffré tout seul tout ce qu'on peut imaginer, papillonné d'un compositeur à l'autre, que ce soit dans le jazz Elonious Monk ou Coltrane ou Marvin Gaye ou Ravel ou Debussy ou Ligeti, peu importe. Et quand la première proposition est arrivée, c'était très étrange pour moi parce que j'avais en face de moi une sorte d'icône du cinéma, quelqu'un qui avait complètement bouleversé le cinéma, la manière de tourner, la grammaire du cinéma. Exactement, qui s'appelle Jean-Luc Godard, j'avais en face de moi ce monsieur, et je pensais qu'il allait me montrer des images. Alors il m'a dit, voilà, c'est l'histoire de ceci, de cela, etc. Je peux voir des images, je me dis, c'est pas nécessaire, je vous raconte. Je voudrais que vous fassiez, alors je venais de sortir de tant d'années d'orchestration, je voudrais que vous fassiez des orchestrations de l'ouverture du deuxième acte de la Gioconda de Ponchielli, donc un compositeur vériste, et 30 secondes, 45 secondes, etc. Et je lui ai dit, franchement, ça ne m'intéresse pas, parce que je sors d'une grande période d'orchestration, et je suppose que n'importe qui pourrait faire ce travail. Je pensais qu'il s'agissait de composition.

  • Speaker #1

    C'est-à-dire que sa demande, au départ, vous renvoyait à ce à quoi, précisément, vous tentiez d'échapper.

  • Speaker #0

    Absolument, absolument. Et c'est très étrange parce que le destin a des voies étranges. D'une part, il me demandait d'orchestrer cette ouverture du deuxième acte de Ponchieli, mais il me demandait aussi de m'en servir comme outil de composition. Et c'est ce que j'ai fait. Après une discussion qui n'a abouti à rien, nous nous sommes écrits et nous avons trouvé un moyen terme, c'est-à-dire que je composais de la musique pour le film, à part entière, mais aussi j'utilisais Ponchieli, donc l'ouverture du deuxième acte, qui est celle-ci, n'est-ce pas ? Voilà, ces quatre mesures, enfin huit mesures, il fallait que j'en tire tout le sucre. Et même si on ne s'en rend pas compte, même si c'est subliminal, inconscient, tout le long du film j'ai utilisé chaque petite cellule de ce thème-là sans jamais le citer. Et je ne l'ai cité, on ne le cite qu'à la fin, quand on voit les violons qui jouent ce thème-là dans la rue, à l'image. Et bon, ça commence par « la va de la » et bien j'ai utilisé ça comme une pédale pour commencer le film. Et là j'utilise à l'envers. Je ne vais pas montrer tout ce que j'ai fait, mais ce thème finalement, cette obligation, cet obstacle est devenu pour moi un levier d'une certaine manière, puisque j'étais contraint de me servir de ça comme matériau de composition. Et c'est fou quand on a un peu appris le contrepoint, quand on a envie vraiment de creuser. C'est fou ce qu'on peut trouver dans un thème, en sortir et se l'approprier. Et c'est ainsi que j'ai écrit la musique de Soufri Polavi. Il y avait aussi des musiques de moi, il y avait notamment des musiques très rythmiques à l'époque. Je suis rythmicien, souvent les réalisateurs de cinéma oublient que je suis un rythmicien aussi. Mais il y avait toute une partie qui était faite avec des séquenceurs ARP de l'époque, qui était très rythmique. Et il y avait un thème en particulier qui s'appelait l'imaginaire que j'ai composé pour le film. Donc cette première partition finalement a été pour moi une sorte de... Un paradis. J'ai travaillé avec quelqu'un qui ne m'a pas du tout soumis à l'image, qui m'a dit, écrivez, je ferai ce qu'il faut. Et effectivement, après, j'ai découvert le film, où j'ai découvert que Jean-Luc Godard, dont je ne connaissais pas l'oeuvre, coupait vraiment net.

  • Speaker #1

    L'effet guillotine.

  • Speaker #0

    L'effet guillotine, vraiment. Mais il a certainement des raisons de le faire. J'étais choqué la première fois. Je l'ai connu un peu plus parce que nous avons échangé après, même si nous n'avons jamais pu retravailler ensemble. D'ailleurs, je ne crois pas qu'il ait travaillé avec des compositeurs après, à part par Tom Waits, qui était chanteur. Et j'ai découvert que son approche de la musique, du son, était extrêmement originale, très créative. Elle peut être choquante pour certains. Moi, je l'ai comprise après coup.

  • Speaker #1

    Quand vous l'avez rencontré, est-ce que vous connaissiez son cinéma et son pédigré musical ?

  • Speaker #0

    Quand j'ai rencontré Godard, je ne connaissais rien de lui. Simplement, j'ai vu un monsieur en face de moi. Et c'est après coup, quand nous avons travaillé ensemble, j'étais en studio avec juste un piano synthé, que mon ami Georges Rodi programmait, il n'y avait pas de musicien. Il était là, il ne disait rien, il a pris la musique et il l'a utilisée dans le film entièrement, entièrement. Il l'a montée comme lui voulait.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous regardiez Jean-Luc Godard, vous surveilliez ses réactions à votre regard sur son film ? Comment il se comportait à l'enregistrement ?

  • Speaker #0

    Mais à l'enregistrement, il était d'un silence, d'un recueillement, d'un mutisme absolu, absolu. Il ne disait rien. Il entendait les choses, il écoutait les choses se dérouler. Parce que je construisais, j'étais tout seul. Quand il m'a dit c'est très bien, c'est tout, très laconique, vous savez, il n'est pas très disert. Et il est parti et il a monté toute ma musique sur son film. A l'époque, je ne connaissais rien au cinéma, je ne connaissais pas l'oeuvre de Jean-Luc Godard. Et c'est après que je me suis intéressé à regarder son oeuvre, c'est-à-dire à voir Le Mépris, à voir Pierrot le Fou, avec la très très belle musique de Duhamel, de Georges Delerue. Et j'ai découvert un véritable artiste du cinéma, un philosophe, un constructeur, un destructeur aussi. Mais quelqu'un vraiment qui a une pensée.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous avez eu le sentiment, en découvrant le film mixé, que Godard, cinéaste, recomposait le travail du compositeur, votre travail ?

  • Speaker #0

    Oui, certainement, puisque comme je n'ai pas composé sur l'image, il avait des éléments du matériau. Et c'est lui qui a fait finalement cette connexion, cette osmose entre la musique et l'image. C'est à lui que je dois ça. Moi, je ne savais pas vers quoi, je savais simplement qu'il y avait un sujet qui m'avait dit je cherche quelque chose, qu'il soit comme ceci, comme cela, mais il ne m'a jamais dit qu'il faut faire des séquences rythmiques qui se superposent, rien de tout ça. Il m'a juste demandé de travailler sur le panchieli, d'en tirer tout le sucre, et de l'exposer à la fin, et il m'a dit que je voudrais en plus un thème. J'ai écrit pour lui ce thème qui s'appelle l'imaginaire, qui est celui-là. Ce qui faisait que d'un thème, je reliais un thème à l'autre, ou en tous les cas au thème imposé. Je ne me suis jamais vraiment beaucoup écarté. Et quand j'ai vu le film fini avec ma musique, je me souviens que c'était à Cannes, je crois. Il y avait des jets de tomates. Oui. Moi, j'ai échappé. Ça a été jeté sur Godard à l'époque. Je crois que c'était l'ouverture du festival, je ne me souviens plus. Il y a très très longtemps, donc ça devait être dans l'année 80, voilà. Et ce n'était pas le même théâtre qu'aujourd'hui. Et il y avait des légumes, enfin je pense à des tomates, qui montaient du parterre vers le balcon.

  • Speaker #1

    Mais c'est étonnant ce que vous dites sur cette expérience avec Godard on y trouve quasiment la confirmation des propos de Georges Delerue qui n'a fait qu'un seul film avec Godard, Le mépris. Et Delerue disait, on ne travaille pas avec Godard, on travaille pour Godard. Oui, oui, j'aime, j'aime ça, mais parce que travailler pour Godard, ça veut dire que Godard connaît très bien la musique, aussi. J'ai découvert plus tard que c'est quelqu'un qui écoutait tout le temps, qui connaît parfaitement d'un bout à l'autre les 48 préludes et fugues de Claude Saint-Bertrand-Péry, il connaît tous les quatuors de Beethoven, c'est quelqu'un qui connaît la musique, qui ne met jamais ça en avant, ce n'est pas un pédant qui parle de ses connaissances musicales, mais c'est quelqu'un qui appréhende la musique d'une manière tellement spéciale qu'on ne peut que travailler pour lui. Puisqu'il n'est pas dirigiste. C'est pire que tout. Et c'est formidable pour un compositeur. Il vous dit, voilà, j'attends quelque chose comme ça. Mais il ne vous donnera pas un exemple, comme aujourd'hui on dit, je voudrais une musique comme celle-ci, où on met de la musique temporaire et il faut la copier. Godard, finalement, vous ouvrez complètement les portes. de la liberté, tout en vous maintenant comme dans un étau, mais un étau dont on ne voit pas du tout les limites. C'est-à-dire qu'on a l'impression d'être complètement libre, et en même temps on fait exactement le travail que lui attend. Mais est-ce que vous, après cette longue parenthèse dans l'orchestration, dans la variété, dans l'arrangement, dans la production de chansons, est-ce que ça vous a frustré, sur ce premier vrai long métrage, de ne pas avoir l'image ? Ou au contraire, ça...

  • Speaker #0

    Ah non, je ne peux pas dire que ça m'est frustré. D'abord, je ne savais pas travailler à l'image. Donc si j'avais eu l'image, je n'aurais pas su comment faire, en fait. Je n'ai appris à travailler sur l'image que bien plus tard. Puisque après Godard, j'ai fait un film où j'ai écrit, pour moi, la musique la plus originale que j'ai jamais écrite, qui s'appelle la musique de Malville, avec des timbres très spéciaux pour l'époque, on est en 81 ou 82. et j'en avais tellement fait qu'on a presque rien gardé de ma musique. Donc je ne savais pas écrire pour l'image. J'ai trouvé, a posteriori, que son approche était une des meilleures approches que j'ai connues, la plus libératrice pour un compositeur, la plus féconde aussi, celle qui permet à un compositeur de donner non pas une musique à l'image près, mais une musique qui correspond à l'esprit du film, c'est-à-dire dans sa totalité. Mais encore faut-il avoir un réalisateur qui sait prendre cette composition-là ou ces compositions-là et leur trouver une place dans son image. Et ça, ils ne sont pas très nombreux à pouvoir faire ça. Donc, d'une certaine manière, l'approche de Godard, ou la non-approche par rapport à l'image est une chose qui a déterminé, plus ou moins inconsciemment, toute ma manière de travailler après avec l'image.

  • Speaker #1

    Il y a quelque chose de fondateur.

  • Speaker #0

    Fondateur pour moi, oui. C'est-à-dire que, comme je ne suis pas du tout un homme d'image, a priori... j'ai des images internes en moi, des images qui sont très subjectives qui doivent épouser des images réelles qui vont venir donc j'ai décidé de travailler avant l'image, pendant l'image et après l'image, c'est à dire que avant l'image, je cherche à à épouser l'esprit du scénario, de mes discussions avec un réalisateur avec qui j'ai beaucoup parlé, et me laisser aller à composer une sorte de musique pour un film, ou un ensemble de musique pour un film. Une fois que j'ai ça, à ce moment-là, quand vient l'image, soit j'en jette la moitié, mais c'est pas grave, parce que le plus important pour moi est de composer. Même si la moitié de ce que j'ai fait n'est pas pris, c'est pas grave. C'est une respiration dont j'ai besoin, composer tout le temps. Arriver à l'image, là, je suis obligé, évidemment, j'ai appris ça sur le tas, de servir l'image, d'épouser une forme de dialogue, faire attention aux couleurs, aux mouvements de la caméra, aux humeurs, aux émotions, à toutes ces choses-là. Mais je pense qu'ayant travaillé avant l'image, sur le scénario et sur discussion avec le réalisateur, il y a dans la musique que j'ai composée, ce qu'il faut pour épouser après l'image, à l'image près.

  • Speaker #1

    Et j'aurais presque envie de vous demander, en dernière question, quel conseil vous pourriez donner à un jeune compositeur de 2018 qui se retrouverait aujourd'hui dans la position qui était la vôtre à l'époque de Sauf qui peut la vie face à Godard ?

  • Speaker #0

    D'abord je lui dirais d'enrichir ses connaissances musicales avant tout, c'est-à-dire de ne pas se dire je fais de la musique de film donc je n'ai pas besoin d'harmonie, de contrepoint, tous les grands composants de musique de film sont tous des gens qui ont étudié la musique, bon, moi je l'ai étudié après, mais qui ont étudié, qui savent vraiment construire un thème, qui savent le varier, qui savent le réharmoniser, qui savent utiliser des artifices à l'envers, à l'endroit, etc. D'abord, avoir des connaissances musicales, et ces connaissances musicales ne sont pas forcément les musiques de film. C'est-à-dire de ne pas prendre les musiques de film d'aujourd'hui, quelles qu'elles soient, ou d'hier, comme des exemples à suivre. d'avoir une approche, d'oser. Je lui conseille aussi, quel que soit le processus, si on lui donne des images, de regarder ces images sans penser à la musique, de les regarder autant que possible, jusqu'à ce que ces images soient dans sa tête, dans son cœur. Et quand il compose, de ne pas regarder les images. D'abord de composer de la musique en se souvenant de ce qu'il a vu, et après d'essayer de travailler sur l'image près. Donc d'avoir une sorte d'approche avant tout musicale, habitée par l'esprit du film, qu'il a vu, des images qu'il a vues, mais ne pas coller aux images comme on le fait aujourd'hui. Je cite toujours ces exemples de gens comme Herman ou Thiamkin ou Ausha, qui n'avaient pas les images devant eux. Ils allaient dans une salle de montage ou dans une salle de projection, ils voyaient le film une fois, deux fois, et après ils emmenaient avec eux les traces du monteur musique qui leur donnait les minutages.

  • Speaker #1

    Ils écrivaient sur le souvenir de l'image.

  • Speaker #0

    Absolument, sur le souvenir de l'image. Donc ne pas chercher à coller à l'image, et ne pas faire de l'image le point de départ de votre imaginaire musical. C'est en ce sens-là qu'on peut encore continuer à être des compositeurs pour l'image. sans devenir des sortes de ce que disait Stravinsky, du papier peint, c'est-à-dire simplement tapisser de ci, de là, et finalement faire une musique qui convient. Mais il ne s'agit pas simplement de répondre à la question et de faire des musiques qui conviennent, il faut donner à la musique de film, chaque fois c'est l'aide de noblesse, c'est-à-dire créer véritablement des choses qui perdurent pour le film, qui servent le film, mais qui existent aussi en dehors du film.

  • Speaker #1

    Merci Gabriel Yared.

  • Speaker #0

    Merci Stéphane.

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  • Introduction au podcast et présentation de Gabriel Yared

    00:14

  • Le parcours musical de Gabriel Yared

    00:32

  • Transition vers le cinéma : la rencontre avec Jean-Luc Godard

    01:07

  • Le processus de composition sans image

    03:29

  • Conseils pour les jeunes compositeurs

    15:51

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