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#49 Christophe Mangeant - Tracer des voies navigables pour le “vaisseau Terre”

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57min |02/12/2024
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Description

Christophe Mangeant travaille à la Direction Générale de l’Armement.


Lorsqu’il découvre les travaux des chercheurs du MIT, emmenés par les époux Meadows et par Jorgen Randers, il décide de s’intéresser de très près à la modélisation systémique. Pour rendre compte de ses travaux, il a fait paraître l’été dernier aux éditions de L’Harmattan un essai intitulé : La pièce manquante de la transition écologique française.


Dans l’entretien à suivre, Christophe commence par s’interroger : l’avenir donnera-t-il raison aux chercheurs du MIT ? Leurs prévisions s’avèreront-elles justes ?


Ensuite, il se tourne vers le passé et se demande pourquoi personne – ni en France, ni en Europe, ni ailleurs dans le monde – n’a jusqu’ici engagé les moyens nécessaires pour développer un modèle numérique global, vraiment prospectif, et destiné à éclairer les choix des décideurs politiques et économiques.


Pour finir, il conclut avec une expérience de pensée : et si, demain, les transports en commun devenaient obligatoires pour tous ?


Entretien enregistré le 28 novembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je peux un peu l'entendre.

  • Speaker #1

    Nos limites. Un podcast de Thomas Gauthier, produit par Logarith. La grande menace de la changement climatique pourrait définir les contours de ce sens. Le monde s'est réveillé. Et la changement est venu. Que vous l'aimiez ou non. Une enquête aborde du vaisseau Terre à la recherche d'un nouveau cap pour l'humanité. Nous sommes en train d'atteindre les limites planétaires.

  • Speaker #0

    Nous sommes en train de détruire ce qui nous permet de vivre.

  • Speaker #1

    La modernité, c'est la vitesse. Et c'est vrai que ça va un peu vite. Aujourd'hui, on ne va pas se permettre de ne pas s'engager. Il faut qu'on soit dans une science de combat. Enseignant-chercheur à EM Lyon Business School, Thomas va à la rencontre de celles et ceux qui explorent le futur et se remémorent l'histoire pour bâtir un monde habitable dès aujourd'hui. À chaque épisode, son invité, curieux du monde à venir, commence par poser une question à l'oracle. Ensuite, tel un archiviste, il nous rapporte un événement méconnu du passé dont les conséquences sont pourtant bien prégnantes dans le monde actuel. Pour conclure, il devient acupuncteur et propose une action clé afin d'aligner les activités humaines sur les limites planétaires. Christophe Mangent est colonel et travaille à la Direction Générale de l'Armement. Lorsqu'il découvre les travaux des chercheurs du MIT, emmenés par les époux Meadows et Jürgen Randers, il décide de s'intéresser de très près à la modélisation systémique. Pour rendre compte de ses travaux, il a fait paraître l'été dernier aux éditions de l'Armatan un essai intitulé la pièce manquante de la transition écologique française. Dans l'entretien à suivre, Christophe commence par s'interroger. L'avenir donnera-t-il raison aux chercheurs du MIT ? Leurs prévisions s'avèreront-elles justes ? Ensuite, il se tourne vers le passé et se demande pourquoi personne, ni en France, ni en Europe, ni ailleurs dans le monde, n'a jusqu'ici engagé les moyens nécessaires pour développer un modèle numérique global vraiment prospectif, est destiné à éclairer les choix des décideurs politiques et économiques. Pour finir, il conclut avec une expérience de pensée. Et si demain, les transports en commun devenaient obligatoires pour tous ?

  • Speaker #0

    Bonjour Christophe. Bonjour Thomas. Alors ça y est, tu es face à l'oracle. Quelle est la question que tu as envie de lui poser ? Alors je suis face à l'oracle et donc je lui demande si ce que j'ai écrit dans mon livre... pièce manquante de la transition écologique française est exacte ou pas. Je lui demande si les travaux de l'équipe Meadows, si World 3, si The Limit to Growth est quelque chose qui a vu juste ou si c'est quelque chose qui est totalement hors sol et inexact. Pour nos auditeurs, je crois qu'il faut resituer pour tous ceux qui ne connaissent pas les travaux du club de Rome et de l'équipe Meadows, il faut resituer un petit peu le... les travaux dans leur contexte de l'époque, dans les années 70, et puis il faut détailler un petit peu ces travaux. Ces travaux, je les décris dans mon livre. Ce que je souhaite ici, c'est synthétiser un petit peu la portée de ces travaux. La question des limites à la croissance, de savoir si notre monde est un monde durable ou pas, s'est posée très tôt, et notamment dès l'après-guerre. Un certain nombre, notamment d'industriels, se sont demandé si notre croissance... économique, notre croissance matérielle pouvait se poursuivre au XXe siècle, au XXIe siècle, voire au-delà. Et cette question, au beau milieu des Trente Glorieuses, elle a émergé notamment dans la tête d'industriels qui ont constitué ce qu'on appellerait aujourd'hui un think tank, un groupe de réflexion, qui s'est appelé le Club de Rome, qui était un groupe emmené par Aurelio Peccei, patron de Fiat à l'époque, et qui, en 1968 à peu près, se pose la question de... Mais où va le monde et où va la croissance économique mondiale ? Est-ce que ça va s'arrêter ? Est-ce que ça va se poursuivre au niveau exponentiel comme à l'époque ? Et donc ils cherchent des gens capables de répondre à cette question. Donc il fait un petit peu le tour des labos, des industries, des universités, et puis il tombe sur un certain Jay Forrester, qui travaille pour l'armée américaine, et qui développe à l'époque des systèmes de conduite de tir pour les navires américains. Et donc il fait ce qu'on appellera aujourd'hui de l'automatique ou de l'automatisme. Et donc Jay Forrester a tout de suite l'idée que modéliser le monde des années 70 n'est pas si compliqué que ça. Finalement, le monde c'est quoi ? C'est des gens. Des gens qui ont besoin de nourriture, qui ont besoin de ressources naturelles et qui, quand ils utilisent ces ressources, finalement les épuisent et puis créent de la pollution. Et donc il commence à faire un petit un petit bout de modèle bricolé qu'il appelle World et qu'il propose au club de Rome. Puisqu'à l'époque, comme il travaille sur des systèmes d'automatisme, il a les premiers ordinateurs à sa disposition et donc il est capable de faire cette petite modélisation simplifiée. Les industriels du Club de Rome sont évidemment enchantés par cette approche qui leur permet tout de suite de visualiser finalement le comportement du monde. Et donc ils payent, ils investissent dans un groupe de recherche du MIT, 17 jeunes chercheurs, emmenés par un élève de justement Jay Forrester qui s'appelle Dennis Meadows, et qui va pendant deux ans développer plus finement le premier modèle world que Jay Forrester avait créé. Et donc il va aboutir en 1972 à un modèle qui s'appelle World 3. Alors World 3 c'est donc un modèle qu'on appelle systémique, un modèle global du monde, très simplifié, mais un modèle qui tourne sur les premiers ordinateurs de l'époque. Alors ça, c'est le premier coup de génie de l'équipe Nidoz, c'est d'avoir conçu, dès les années 70, et fait tourner sur les premiers ordinateurs, un modèle simplifié du monde, un modèle prospectif, quelque chose qui calcule l'évolution du monde jusque dans les années 2100. Donc qui va très loin dans le futur, et qui propose une explication de comment fonctionne le monde. Donc ça c'est le premier coup de génie, et j'aurai l'occasion d'y revenir, c'est d'avoir créé un modèle... prospectif systémique global de l'évolution du monde. Le deuxième coup de génie de l'équipe Meadows, c'est d'avoir, dès le début dans ce modèle World 3, intégré la notion de limite planétaire. Alors pourquoi c'est un coup de génie à l'époque ? Parce qu'on est en 1970, et que le concept des limites planétaires, notamment, qui a été mis, on va dire, sur la place publique scientifique depuis quelques années par l'équipe Rockström, à l'époque, était un concept qui... Pas dans les esprits du tout, encore une fois, on est dans les trente glorieuses. Donc on est dans une époque où il n'y a pas de limite. Tout est permis, la croissance est de plusieurs pourcents par an, et on n'en voit pas le bout, et on va sur la Lune, et pourquoi pas plus loin ailleurs, et donc il n'y a pas de limite. Or l'équipe Milos voit bien qu'il y a des limites, il y a des limites physiques partout. Il y a d'abord des limites dans la quantité de ressources non renouvelables dans le sol. La Terre étant une planète finie, Elle est constituée d'un certain nombre d'atomes et ces atomes-là, dans le sous-sol, sont non renouvelables. Et donc, ça, c'est une première limite physique qu'ils introduisent dans leur modèle et j'aurai l'occasion d'y revenir. Il y a d'autres limites dans le modèle World 3, des limites comme, par exemple, la surface des terres arables. Les terres émergées sont en quantité finie sur Terre, donc il y a un certain nombre d'espaces terrestres. qui peuvent être dédiées à l'agriculture et puis on en trouve quand même assez vite les limites. Une autre limite également introduite dans le modèle, c'est la notion des rendements des sols. On est à une époque où on commence à introduire massivement dans les sols des engrais, les rendements agricoles augmentent, mais on voit bien que... Tout ça va toucher à un moment donné une asymptote, donc une limite dans la production de nourriture. Les chercheurs du MIT voient bien aussi qu'il y a des limites, on va dire biologiques ou physiologiques. Le taux de fécondité d'une femme, dans le modèle, globalement, c'est 12 enfants. Évidemment, peut-être que certaines femmes dans le monde ont eu plus que 12 enfants, mais on voit bien qu'il y a une limite physiologique qui existe et qu'il est difficile de la dépasser. L'espérance de vie également. L'espérance de vie, dans le modèle World 3, est quelque chose qui est drivée par la quantité de nourriture ou la quantité de soins que reçoivent les gens. Le facteur multiplicateur de l'espérance de vie liée aux soins ou à la nourriture, c'est quelque chose qui varie entre 1 et 2 globalement. Et du coup, on peut avoir une durée de vie qui, depuis la durée de vie des années 40, qui est plutôt de l'ordre de 40 ans, l'espérance de vie à la naissance, passe à 60 ans, 80 ans, si on est bien nourri et bien soigné, mais guère au-delà. Donc on voit bien qu'il y a aussi une limite physiologique. par principe mise dans le modèle. Donc ça ce sont les limites un petit peu qu'on voit, soit sur la Terre, soit chez les humains. Il y a une autre limite un petit peu plus subtile qui est introduite dans le modèle, qui est la limite sur le capital industriel. Globalement, pour résumer et pour faire simple, la durée de vie d'une usine, si on ne s'en occupe pas, elle n'est pas infinie. Dans le modèle World 3, une usine, globalement... Tous les 14 ans, globalement, il faut la renouveler, c'est-à-dire que tous les ans, il faut renouveler un quatorzième de l'usine pour que l'outil productif continue à produire. Alors ça, c'est un thème qui est relativement intéressant à regarder. J'ai écouté, il y a quelques jours, sur France Inter, un débat sur certaines mairies qui se plaignaient du coup des routes, de l'entretien des routes. Ça, c'est exactement ce qui est dans World 3. C'est-à-dire que globalement, quand on a une infrastructure, qu'elle soit industrielle ou routière ou que sais-je, il faut l'entretenir. Et plus on a d'infrastructures, plus ça coûte de l'entretenir. Et bien si on a beaucoup de routes, ça coûte très cher de les entretenir. Et donc au bout d'un moment, il y a un équilibre qui se fait entre le nombre de routes qu'on souhaite avoir et le nombre de routes qu'on peut entretenir. Et bien tout ça c'est dans World 3. Donc ça c'est vraiment le premier chapitre de mon livre, commence par ce descriptif des limites World 3 et met en regard ces limites de ce que maintenant la science a mis en lumière depuis une quinzaine, vingtaine d'années. à savoir ce qu'on appelle aujourd'hui les limites planétaires. Avant de te laisser continuer, Christophe, j'ai une question peut-être plus intime. Tu peux nous raconter les circonstances de ta rencontre avec ce rapport ? Comment ce rapport t'est tombé dessus ? Raconte-nous ça, s'il te plaît. Oui, oui. Alors, je suis tombé totalement par hasard sur ce rapport lorsque Jean-Marc Jancovici, que je connaissais par ailleurs au travers du Shift Project, m'a indiqué qu'il avait préfacé... Un livre qui s'appelait Les limites à la croissance dans un monde fini en 2012. Et que, voyant mon intérêt pour, on va dire, les choses mondiales, pour le dire simplement, la géostratégie mondiale, à l'époque, alors que je ne connaissais rien à la systémique, voyant mon intérêt pour toutes ces grandes questions géostratégiques mondiales, m'a fait part de la parution de ce livre. Et il m'a dit Tiens, Christophe, ce livre va t'intéresser. Parce que tu cherches des réponses. Et il est possible que tu les trouves dans cet ouvrage. Et de fait, tous les questionnements qui à l'époque étaient dans ma tête sur certaines tensions, par exemple liées aux ressources ou certaines thématiques qui émergeaient sur le changement de la vie, climatique par exemple, ou je sais pas moi, des combats de José Bové contre les OGM ou que sais-je encore. Tous ces combats là où toutes ces tensions étaient pour moi dissociées avant les années 2012. Et ce que j'ai découvert au travers de ce livre, et c'est ce que je raconte également en décrivant un petit peu le modèle World 3, c'est le fait que tout est lié. C'est-à-dire qu'on ne peut pas délier l'agriculture de la pollution. Mais on ne peut pas non plus délier l'agriculture de l'industrie, puisque l'industrie fournit les intrants agricoles. On ne peut pas délier notre santé de la pollution, évidemment. Toutes ces choses-là sont très liées. Et c'est finalement ce que m'a fait découvrir le modèle World 3, que j'ai découvert en 2012, à la suite de la lecture de ce rapport, qui était la troisième édition du rapport initial de 1972, puisque les limites à la croissance est parue la première fois en 1972. C'est le premier rapport du Club de Rome. Puis une seconde fois, il a été réédité, on va dire amélioré ou modernisé en 1980. et puis il a été réédité en 2004 en anglais, toujours par cette même équipe du MIT, et traduit en français donc en 2012. Voilà, donc c'est comme ça que je suis tombé sur ce livre, qui effectivement m'a montré que tout était lié, et c'est le deuxième coup de génie de l'équipe Midos. Ce deuxième coup de génie, c'est d'avoir montré que la puissance d'un modèle systémique n'est pas précision de chaque sous-modèle, mais dans le fait de lier les choses entre elles. Merci. Et ça, c'est la grande, grande force de l'approche systémique, l'approche globale. Autrement dit, on ne cherche pas à être expert de tel domaine ou tel autre domaine. On cherche au contraire à lier toutes les thématiques qu'on veut étudier entre elles et à montrer les interactions entre toutes ces thématiques. Je vais y revenir. Mais je termine juste, si tu permets Thomas, sur les limites planétaires. On sait aujourd'hui qu'elles existent. Changement climatique, pollution par les aérosols et autres polluants. dit éternel, le trou dans la couche d'ozone, la dégradation des sols et des forêts, la surconsommation d'eau qui pose aujourd'hui, et on le voit, qui revient sur le devant de la scène, la perturbation massive des cycles de l'azote et du phosphore, l'acidification des océans et l'effondrement de la biodiversité. Donc ces grandes limites, aujourd'hui la science les met en lumière, mais il y en a bien d'autres, il y en a bien d'autres en fait, et elles s'appellent PIC. du pétrole, pique des fossiles. Elle s'appelle aussi diminution de la teneur en minerais. Je sais que tu as reçu Philippe Biouix, par exemple, dont on peut saluer justement le message sur toutes ces questions liées aux ressources. Et donc, aujourd'hui, nous voyons que nous touchons aux limites. Donc ça c'est le premier coup de génie de World 3 et de l'équipe Windows, c'est d'avoir vu ça dès les années 70, c'est-à-dire d'avoir vu qu'il était important de mettre dans ce modèle des limites, sans savoir à quel moment on les atteindrait, mais d'avoir introduit dans le modèle le principe même qu'il y a des limites, et que le modèle est censé calculer quand on va les atteindre. Le deuxième coup de génie, donc je l'ai dit, c'est vraiment le fait d'avoir lié les choses entre elles. Alors comment ça se passe dans World 3 ? C'est très très simple, il y a cinq grandes catégories d'éléments qui sont liés entre eux. D'abord... La population, les gens. Le modèle World 3, c'est d'abord la vie de tous les jours. Il y a des enfants, il y a des adultes, il y a des personnes âgées. Ces gens-là ont besoin de manger pour vivre et donc il leur faut de la nourriture. Donc il faut un système agricole capable de produire de la nourriture. C'est le deuxième système qui est étudié. La vie de tous les jours, que ce soit pour construire nos maisons, nos usines ou fournir des biens justement à l'agriculture, nécessite des ressources non renouvelables. L'agriculture étant finalement le volet renouvelable des ressources non renouvelables qu'on trouve dans le sous-sol. Donc le troisième pan qui est étudié, qui est modélisé, c'est les ressources non renouvelables. Quand on vit, qu'on construit des choses et qu'on se nourrit, on pollue. Donc un quatrième paramètre qui est introduit là-dedans, c'est la notion justement de pollution, qui du coup a un effet évidemment rétroactif. sur le système, puisque plus il y a de pollution, plus l'espérance de vie des gens diminue, et plus du coup ça va réguler quelque part le système. Donc le deuxième chapitre de mon livre, il décrit justement ce qu'est le modèle World 3 finalement, et il explique en fait ces grandes interactions entre la pollution, le capital industriel qui permet de produire les choses, le capital agricole qui permet de nourrir les gens, la pollution qui va réguler tout ça, et bien sûr les ressources. qui sont la base de la vie de tous les jours. Et donc, qu'est-ce qu'ont fait les chercheurs du MIT ? Plutôt que de faire des choses très très précises sur chacun de ces sous-ensembles-là, ils ont dit, mais ce qui est important, c'est d'abord de montrer les interactions. En quoi les ressources naturelles peuvent-elles limiter ou pas le système humain ? Et bien ça c'est le troisième coup de génie de World 3. Le troisième coup de génie de World 3, c'est d'avoir présupposé qu'on se fichait de comment les ressources étaient utilisées. C'est-à-dire qu'on ne cherche pas à dire le sable sert à faire... tant de béton ou tant de verre parce que à l'époque en 1970 tout ça est inaccessible du point de vue des calculs des ordinateurs la puissance de calcul ne permet absolument pas de faire tout ça et par ailleurs ça aurait fait devenir beaucoup trop complexe le modèle world 3 Or, les auteurs, à l'époque, ne voulaient pas que le modèle soit trop complexe. Ils voulaient que ce soit un modèle compréhensible par les gens. Et donc, l'idée, ce n'était pas d'aller faire un modèle d'expert. C'était de faire un modèle relativement compréhensible, relativement simple, mais puissant dans le fait qu'il lie les phénomènes entre eux. Et donc, le troisième coup de génie, c'est quoi ? C'est de dire, le système humain, le système économique, le système industriel, se développe. Les gens mangent, les gens construisent des choses, les gens ont besoin d'infrastructures. Tout ça n'a aucune limitation tant que les ressources naturelles sont suffisamment abondantes. Le modèle présuppose que les ressources naturelles, et notamment les ressources non renouvelables, sont abondantes. Donc le système humain se développe, le modèle est initialisé dans les années 1900. Donc en 1900, la population humaine existe, elle se développe. On est en 1970, donc le modèle World 3 calcule l'évolution de l'humanité entre 1900 et 1970. les auteurs vérifient qu'effectivement les données du modèle sont relativement bonnes et que les liens entre les différents sous-systèmes sont bons parce qu'ils vérifient ça sur la période 1900-1970. Et puis comme le modèle semble donner des résultats cohérents, ils laissent tourner le modèle jusqu'à dans les années 2100. Et donc qu'est-ce que donnent les résultats de World 3 à horizon 2100 ? Dans ce premier modèle, dans ce premier scénario, qui est le scénario business as usual, ce qui se passe c'est que tout se passe très très bien, la croissance économique mondiale reste effectivement très soutenue jusque dans les années 2000. Et puis à partir des années 2000, tout ça ralentit et le système mondial finit par s'effondrer à partir des années 2020-2030. Donc les auteurs qui ont créé ce modèle, qui donc observent sur un premier calcul que le système monde s'effondre à horizon 2020-2030, évidemment, regardent dans le modèle qu'est-ce qui crée cet effondrement. Et donc, ils creusent dans le modèle. comme c'est un modèle bouclé, la difficulté d'un modèle bouclé, c'est qu'on ne sait jamais qui est l'œuf ou la poule. Puisque tout est lié. Tout est lié, tout est calculé en permanent. Est-ce que c'est la population qui est responsable de tel ou tel phénomène, ou la pollution, ou les ressources, etc. Et en fait, ils découvrent que la première... Vraiment, ce qui est majeur dans ce premier scénario, c'est le fait que l'humanité, dans les années 2020, a épuisé plus de la moitié des ressources non renouvelables qui se trouvent dans le modèle. Et ce faisant, Comme leur modèle présuppose qu'à partir de la moitié des ressources, ça va être de plus en plus dur d'aller chercher les ressources non renouvelables restantes dans le sous-sol, le modèle a mis en équation le fait que ça allait devenir plus difficile d'aller chercher les ressources non renouvelables dans le sous-sol. Et donc, évidemment, c'est ce qui se passe à partir des années 2020. Le modèle commence à introduire, à partir des années 2000-2020, Le fait que c'est de plus en plus dur d'aller chercher les derniers atomes de cuivre, de pétrole, de gaz, de charbon, de minerais de fer et tout ça dans le sous-sol. Et donc une grande partie de l'industrie va petit à petit être détournée pour aller chercher les derniers atomes restants. Ce faisant, l'industrie n'est plus capable d'alimenter ce qu'elle alimentait jusqu'à présent, à savoir l'agriculture et les soins, enfin la santé. Et c'est ce qui crée l'effondrement. Très bien, on est en 1970 et les chercheurs de MIT font ce premier scénario et découvrent que s'il n'y a plus assez de ressources, le monde va s'effondrer. une double action à ce moment-là. Ils se disent, un, on s'est trompé sur le niveau de ressources mondiales. Ce sont des scientifiques, donc ils admettent qu'ils peuvent se tromper. Et dans ce cas-là, ils disent, qu'à cela ne tienne. De toute façon, on a mis un certain niveau de ressources dans le modèle, on peut le doubler, le tripler, et puis voir ce que ça donne. C'est l'avantage du modèle numérique. Déjà, ils font ça. Ils disent, on suppose qu'on s'est complètement trompé, qu'il y a beaucoup plus de ressources qui seront accessibles sous terre. On va supposer qu'il y a beaucoup plus de ressources. Et ils l'expliquent aussi en disant, mais finalement, ça, le génie humain, pourraient permettre ça. Demain matin, il pourrait y avoir la fusion nucléaire. On est dans les années 70, donc la fusion, c'est quelque chose qui peut arriver. En tout cas, les scientifiques américains l'espèrent. Donc, ils se disent, mais c'est vrai, si finalement on a une énergie infinie, eh bien, il n'y a pas de raison, on pourrait très bien, on pourrait très bien, comment dirais-je, accéder facilement à une quantité de ressources quasiment illimitée. Donc, en fait, ils font ça, ils augmentent artificiellement la quantité de nourriture. dans leur modèle, et ils voient ce que ça donne. Ils voient ce que ça donne. Donc effectivement, elle explique par l'aspect, ça peut être une transition énergétique finalement, qui crée ça. C'est également le génie humain. Donc les gens qui pensent que dans les travaux du Club de Rome ou dans World 3, il n'y a pas la notion de progrès ou de génie humain, se trompent, puisque justement, pour passer du scénario 1 au scénario 2, ils font justement l'hypothèse que le génie humain s'exerce. qu'on va avoir de l'énergie infinie, que le progrès humain va s'exercer en continu, et donc il n'y aura plus de problème pour accéder aux ressources. Donc ça c'est le passage du scénario 2, c'est on suppose que les ressources seront accessibles. Le scénario 2 est lancé, le run, le modèle tourne avec cette nouvelle hypothèse, et patatras, ça s'écroule. en 2040. Alors effectivement, entre 2020 et 2040, il n'y a pas l'effondrement observé lors du premier scénario, et donc les chercheurs essaient de comprendre pourquoi ça s'écroule 20 ans plus tard, et pas 100 ans ou 1000 ans plus tard. Ce qu'ils comprennent dans le modèle, c'est que la population a continué à croître entre 2020 et 2040, a continué à consommer, a continué donc à polluer. Et en fait, ce qui crée l'effondrement à partir des années 2040, c'est la... sur pollution, la pollution massive, puisque le modèle World 3 tient compte du fait que tout processus industriel ou tout processus agricole pollue. Il y a une certaine quantité de pollution par unité d'action industrielle ou unité d'action agricole. Et donc évidemment, comme la population a continué à croître entre 2020 et 2040, elle a continué à polluer. Et qu'à ce l'entienne, les chercheurs du MIT ayant identifié que la pollution pourrait devenir un problème, font l'hypothèse, on est toujours en 1970. font l'hypothèse que le génie humain, l'intelligence collective va s'exercer et que nos grands décideurs vont dire Ok, on ne peut pas polluer à l'infini comme ça, donc il faut que dès les années 2000 il y ait une espèce de régulation mondiale de la pollution, que nos ingénieurs fassent tout pour réduire les quantités de pollution par unité industrielle ou unité agricole et on rentre ça dans le modèle. C'est l'intérêt du modèle, on peut rentrer ce nouveau paramètre qui est à partir des années 2000 donc dans le futur, puisqu'encore une fois, comme on est en 1970, on peut se dire Ok, il faut un peu de... de temps pour que les gens soient convaincus. Donc, en 2000, on va supposer que tout le monde est convaincu et que les actions techniques sont lancées. Très bien, ils mettent ça dans le modèle, ils font tourner le troisième scénario. Patatras, ce troisième scénario s'écroule en 2050-2060. Aïe ! Donc les chercheurs cherchent dans le modèle, qu'est-ce qui fait s'écrouler le truc dans les années 2050-2060. Ce qui fait s'écrouler le monde... dans ces années-là, c'est le fait que finalement il n'y a plus assez de nourriture pour tout le monde. On a lutté contre la pollution, les ressources sont infinies, mais la population continue à croître, du coup il faut bien la nourrir. Et avec les hypothèses mises dans le modèle jusqu'à présent, les sols n'arrivent plus à produire suffisamment de nourriture. Qu'à cela ne tienne, on est en 1970, les chercheurs de l'MIT disent on va supposer qu'à partir des années 2000, les chercheurs agronomes vont développer des OGM, des machins, des techniques qui permettront au rendement agricole de croître toujours plus à partir des années 2000, pour nourrir la population puisqu'on anticipe qu'il pourrait y avoir des problèmes alimentaires. Très bien, on rentre ça dans le modèle, ça donne le quatrième scénario. Et patatra, le quatrième scénario s'écroule à partir des années 2080. Pourquoi ? Eh bien, érosion des sols. Érosion des sols, c'est-à-dire qu'effectivement, on a créé des espèces végétales qui peuvent croître, par contre, ça lessive les sols. C'est typiquement ce qu'on voit aujourd'hui dans l'agriculture intensive ou industrielle. Eh bien, qu'à cela ne tienne, on est en 1970, on voit ça arriver grâce au modèle World 3, donc on va supposer qu'à partir des années 2000, les ingénieurs... agronomes vont avec le reste de la population mettre en place des techniques douces pour empêcher ce lessivage des sols, ce pompage absolu par la matière végétale des sols. Donc on va mettre en place ce que finalement on appelle aujourd'hui l'agriculture douce ou les techniques agricoles douces. Et donc il rentre ça dans le modèle et effectivement à partir de ce moment là, Le système commence à devenir stable. Alors il se trouve qu'il s'écroule encore un petit peu sur la fin du modèle, enfin sur la fin du XXIe siècle, parce qu'en fait se conjuguent à ce moment-là, sur la fin du siècle, ce qu'ils appellent les polycrises. C'est-à-dire qu'effectivement... La population, on a gagné 50 ans de développement et de stabilité de la population qui consomme. Et en fait, ce qui se passe, c'est qu'on retrouve un petit peu des limites liées aux ressources non renouvelables, qui ont continué à être épuisées, évidemment. On a quand même massivement pollué par le passé, donc il y a encore des petits problèmes de pollution. La population a besoin de manger et du coup, il y a quelques problèmes de nourriture quand même. Et donc...... Le modèle World 3, le dernier scénario, c'est un scénario dans lequel on dit tout ce capital industriel, ce capital agricole qu'on n'a finalement pas challengé en termes de durée de vie, on va l'améliorer un petit peu, on va supposer que les gens en prennent davantage soin. C'est typiquement ce qu'on appellerait aujourd'hui le recyclage quelque part. C'est-à-dire l'augmentation de durée de vie des choses. C'est comment mieux utiliser les choses, augmenter leur durée de vie. Et ça donne un dernier scénario qui est un scénario de stabilité. Alors ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'en 1970, les chercheurs du MIT ont pressenti qu'à partir de la première moitié du XXIe siècle, il pourrait y avoir un besoin de transition écologique. C'est ça qu'ils ont mis en évidence. Ils ont mis en évidence que toutes ces actions de lutte contre la pollution... de lutte contre l'érosion des sols, on va dire de recyclage massif, en tout cas de non-pompage massif des ressources non renouvelables. Tout ça devait être mis en œuvre dans un horizon qui globalement, on va dire le premier quart ou la première moitié du 21e siècle. On est en plein dedans. C'est ça qu'ont mis en évidence les chercheurs du MIT, sachant qu'en plus dans World 3, il n'y a pas de changement climatique. Il n'y a pas de changement climatique. qui est modélisée parce qu'en 1970, ce n'est pas une thématique. Donc c'est ce que j'explique dans les premiers chapitres de mon livre, La pièce manquante, et qui permet de poser une question que moi je m'adresse à moi-même dans les années 2015, une fois que j'ai découvert ce livre-là, qui est ce modèle qui est un vieux modèle de 1972, est-ce qu'on a beaucoup mieux aujourd'hui ? En plus, comme je suis français, évidemment, je crois que nous, français, nous avons développé quelque chose de beaucoup mieux. Et donc, je commence à chercher. Je me dis, bah oui, c'est évident. Les chercheurs du monde entier et les chercheurs français ont développé un modèle équivalent, beaucoup plus moderne, beaucoup plus performant, beaucoup plus précis, voire même qu'ils en ont fait une déclinaison pour chaque pays, puisque là, c'est un modèle globalisé monde. Il n'y a pas de pays, là-dedans, c'est une seule population mondiale. Et donc, je commence à chercher, je m'interroge, je me dis, mais tiens... Comment on fait pour savoir ce que sera la France en 2100 ? C'est quoi les outils ? Parce que le 3 ne répond pas à la question de ce que sera la France en 2100. Et puis, chemin faisant, cherchant un petit peu ce qui existe, je reste un petit peu sur ma faim. Donc c'est ce qu'explique un petit peu la suite du livre, mais je pense qu'on va s'en parler.

  • Speaker #1

    Sur la base de tout ce que tu viens de nous rappeler là, Christophe, il y a une question qui me tarabuste alors. Comment tu t'expliques, plus de 50 ans après ce que je vais appeler l'échec, finalement, de ce travail pionnier des années 1972, comment on s'explique que toute cette pensée, que toute cette ambition de modélisation et d'anticipation aient été mises au rebut malgré des millions d'exemplaires vendus du livre après sa sortie. Comment expliquons-nous le glissement de cette notion de limite à la croissance vers une notion qui a beaucoup plus performé les sociétés, celle du développement durable ?

  • Speaker #0

    Il y a plusieurs éléments de réponse à cette question. Un des éléments a été fourni par Jean-Marc Jancovici. Il y a quelques années, il a dit que... Le problème du club de Rome, c'est qu'en fait, il n'avait pas de client auquel s'adresser. Autrement dit, le rapport du club de Rome, il s'adresse à tout le monde et à personne. Il n'y a pas de gouvernement mondial. Il n'y a même pas de grande puissance qui, à cette époque-là, on est en pleine guerre froide en plus, peut vraiment imposer une vision du monde. Et par conséquent, ce rapport, il ne s'adresse en fait à personne. Donc c'est un rapport qui, malgré, en tout cas ce que j'en pense moi, malgré sa portée scientifique... et son réalisme, quelque part, tombe un petit peu dans le vide. Ça, c'est un premier élément de réponse, mais qui quand même est assez structurant. Le deuxième élément de réponse, c'est qu'il y a eu des forces qui se sont opposées aussitôt à cette production scientifique. Et ces forces-là, ce sont les forces économiques ou financières. Pourquoi ? Parce que dans World 3, l'approche retenue est une approche très physique. C'est-à-dire qu'il n'y a pas en tant que telle de monnaie, il n'y a pas de PIB, il n'y a pas de puissance financière en jeu. Et donc, évidemment, tout le secteur économique et financier de l'époque se sent entre guillemets lésé. Par le fait que ce modèle-là, ok, c'est un modèle où on calcule des kilocalories pour nourrir les gens, on calcule des quantités de ressources dans le sous-sol pour créer des maisons, des bateaux et des usines, mais tout ça, il n'y a pas de monnaie. Donc, tous les économistes se sentent complètement lésés par ce travail. Et par conséquent, les économistes, en parcourant un petit peu ce qui est écrit dans le premier rapport, mettent tout de suite le doigt sur le fait qu'il manque ce volet financier. Et donc, ils attaquent... attaque le rapport sous cet angle-là, au prétexte qu'il manque le volet financier. Et ça, effectivement, ça fait mouche. Parce que dans les années 70, à la fin des Trente Glorieuses, on va dire, on est dans un monde qui se financiarise. Et dans un monde pour lequel la puissance capitalistique, finalement, est l'alpha et l'oméga, quelque part. C'est-à-dire qu'on pense que c'est la puissance capitalistique qui a fait les Trente Glorieuses. On n'a pas encore cette conscience. que c'est l'énergie abondante du XXe siècle qui est un driver majeur. On pense que c'est l'argent qui est un driver majeur. Comme on pense ça, et que c'est la critique majeure qui est adressée au club de Rome, eh bien le truc s'écroule. C'est-à-dire que la portée du club de Rome, ou du rapport, et la portée des enseignements de World 3, finalement, est battue en brèche. Parce que, évidemment, ces chercheurs-là, qui sont des chercheurs, des physiciens, ne peuvent pas répondre autrement que de dire que... L'argent n'a pas d'importance dans l'avenir du monde. Évidemment, ça, ça tombe complètement à plat. Et ça explique, je pense, pour partie, le fait que le premier rapport du Club de Rome, malgré son succès, comme tu dis, puisque vendu à plus de vingtaine de millions d'exemplaires à l'époque, finalement ne trouve pas l'écho dans les grandes puissances, on va dire, de l'époque. Autant il trouve un écho auprès de certains, puisque c'est quand même ça qui, pour partie, explique la naissance de l'écologie politique. Le premier rapport du Club de Rome, il a quand même cette portée, on le voit aujourd'hui avec le recul historique, il a quand même permis de faire germer dans l'idée de beaucoup, de millions de personnes, l'idée qu'effectivement nous allions avoir un problème écologique. Et ça, c'est vraiment la naissance de l'écologie politique qui naît à cette époque-là, dans les années 70, au milieu des années 70. Donc effectivement, il y a eu un argument très fort qui était qu'il n'y a pas d'argent, même s'il y a un espèce de modèle simplifié du PIB dans World 3, mais qui est un sous-modèle très très simple, trivial, qui est globalement le PIB proportionnel à la production industrielle mondiale.

  • Speaker #1

    On s'est finalement déjà beaucoup parlé d'histoire ensemble, je vais tout de même te demander maintenant... de devenir s'il te plaît archiviste, selon toi quel événement clé, méconnu voire même inconnu, a marqué l'histoire et se fait encore sentir aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Alors c'est pas un événement clé, c'est plutôt un non-événement que je souhaite évoquer ici. C'est vraiment le fait que nous n'ayons pas depuis World 3 développé un outil de prospective beaucoup plus performant. Et ça, ça reste vraiment pour moi une interrogation, parce qu'aujourd'hui nous n'avons pas finalement de modèle prospectif digne de ce nom. Alors qu'est-ce que j'appelle un modèle prospectif ? C'est un modèle numérique qui permettrait de répondre à l'une des questions. suivante première question que sera le monde en 2100 si les règles actuelles ne changent pas si on suppose on fait du business as usual et que sera le monde en 2100 deuxième question que sera la france en 2100 et bien aujourd'hui si vous allez chercher sur internet, sur les sites ministériels français, vous serez bien en peine de trouver un outil qui ne serait-ce que cherche à répondre à la question. Donc en France, nous n'avons pas de modèle numérique, donc d'aide à la décision quelque part, pour nos grands décideurs politiques. Nous n'avons même pas de modèle qui se pose cette question. Que sera la France dans les décennies à venir ? Pourquoi ? Parce que il y a deux raisons à ça. La première raison, c'est c'est que nous avons créé beaucoup de modèles sectoriels et des modèles d'experts. C'est-à-dire que chaque secteur économique, l'automobile, l'énergie, l'agriculture, tout ça, ce sont des domaines qui se sont fortement spécialisés depuis le XXe siècle. Et donc, on a créé des modèles numériques qui sont des modèles sectoriels. Et ces modèles sectoriels, par définition, ils adressent une question d'un secteur de l'économie donné. Ils vont chercher à répondre à la question. quelle sera l'agriculture française dans deux ans, s'il y a tel niveau d'énergie entrant, s'il y a telle contrainte financière, s'il y a telle hypothèse de réglementation sur la pollution. Donc ces modèles, ils cherchent à répondre à des questions. très très précises, sous des contraintes très très précises. Donc souvent des contraintes réglementaires de très court terme. Que se passe-t-il s'il y a une inflation à 3% l'an prochain, plutôt qu'à 1,5% ? Et tous les grands secteurs de l'économie sont aujourd'hui modélisés par des outils comme ça. Alors évidemment, quand on fait travailler nos scientifiques, nos économistes, nos chercheurs sur des modèles qui cherchent à répondre à des questions très précises sur le très court terme. on a à la fin des outils qui répondent à des questions très précises de très court terme. Le problème de ces outils, c'est qu'ils ne peuvent évidemment pas répondre à la question Que sera la France en 2100 ? Ils ne sont juste pas faits pour ça. Alors après, on peut dire Il suffit de prendre tous ces modèles-là, de les mettre ensemble, et puis ça va répondre à la question. Alors, manque de bol, c'est absolument infaisable du point de vue technique. Ces modèles sont beaucoup trop complexes, ce sont des modèles d'experts. Globalement, à part ceux qui les ont créés, personne ne sait décrypter les modèles. millions de lignes de code qu'il y a là-dedans. Au contraire de World 3, World 3 est un modèle que je pense qu'on aurait vocation à mettre dans les collèges et les lycées, parce que je pense que nos jeunes, en l'espace d'une semaine, ils auraient apprivoisé la bête, là, et c'est un modèle trivial, on clique sur le rectangle, on voit ce qui est écrit dans le rectangle, on comprend que c'est la population, et on voit comment c'est fichu. Et donc on voit les interactions avec des petites flèches entre les différences au modèle. Tout ça est très simple, très astucieux, contrairement à nos gros codes de calcul aujourd'hui qui sont sectoriels. Alors, dans mon livre, justement, dans le quatrième chapitre, là, je fais un panorama de tous ces modèles français, par exemple, qui existent, et des modèles mondiaux. Par exemple, les gens m'ont posé la question, là, de, oui, mais quand même, les modèles du changement climatique, pas. Ceux qui disent que ce sera le monde en 2100, 2200, et tout ça, ce sont bien des modèles qui prédisent l'avenir, entre guillemets. Absolument pas. Ce sont des modèles dans lesquels on injecte une hypothèse exogène qui est Ah, ben on va supposer que la population évolue comme ça ou comme ça à horizon 2100-2200. Ah, on va supposer que la population par individu émet telle pollution, machin. Et du coup, on fait les calculs de changement climatique à horizon 2100-2200. Par contre, il n'y a pas d'interaction du changement climatique sur les gens. Donc, on fait une hypothèse exogène qui est évolution de la population, on en déduit un changement climatique. Et ça, c'est le contraire de ce que fait World 3. World 3 dit, j'ai une population qui du coup interagit avec son système industriel, qui crée de la pollution, la pollution réinteragit en réduisant l'espérance de vie des gens. Donc World 3, il auto-calcule les choses, alors que là, dans tous ces grands modèles, qu'on appelle souvent les modèles IAM, Integrated Assessment Models, typiquement les modèles du GIEC, on injecte dans ces modèles des hypothèses exogènes. Sur l'évolution. de la population, du PIB, du niveau d'émissions de gaz à effet de serre, etc. Donc, dans ce quatrième chapitre du livre, quelque part, je déconstruis un petit peu le mythe en étudiant chacun des modèles. Les modèles de Bercy, de la Banque de France, du Trésor, que sais-je, du ministère de l'Agriculture, de l'ADEME, qui pourtant essayent de faire des efforts, justement, en couplant plusieurs modèles entre eux pour essayer d'avoir une vision prospective plus solide. Donc, je déconstruis un petit peu... le mythe comme quoi l'état français a en son sein un outil de prospective qui lui permet de voir ce que sera la France en 2100. Donc ça c'est ce que je fais, je le fais aussi au niveau un petit peu plus international pour montrer que c'est un petit peu partout pareil finalement, c'est à dire que tous les pays se sont créés des modèles très sectoriels mais qu'il n'y a pas de modèle global. Le seul qui peut-être se rapproche un petit peu de ça c'est James. qui est un modèle justement un peu plus global. Et puis je conclue quand même ce quatrième chapitre en montrant qu'il existe des initiatives scientifiques, notamment au sein de l'Europe. pour créer finalement un World 3 moderne, ensuite faire un modèle européen qui serait couplé à ce World 3 moderne, et ensuite faire un modèle national qui serait couplé à ces deux autres modèles européens et mondiaux. Donc ça, c'est l'initiative qui s'appelle MEDEAS, qui est un projet européen de recherche. Mais vous le voyez bien, c'est un projet de recherche. Ce n'est pas un projet pour notre Premier ministre ou pour notre Président. C'est un projet de recherche. Autrement dit, il est encore dans les labos de recherche. Il n'est pas du tout mis à disposition des politiques. Et c'est bien là tout l'enjeu du livre.

  • Speaker #1

    Et comment, toi, tu t'expliques cette absence de modèle systémique qui reboucle sur lui-même, qui n'est pas... tributaire d'hypothèses exogènes. Tu nous as parfaitement expliqué les intuitions de départ de World 3, les intuitions du Club de Rome, d'Aurelio Peccei, le travail de Jay Forrester, de son équipe de chercheurs, les résultats, la qualité par ailleurs, la simplicité. Il n'y a aucune limite technique aujourd'hui d'après ce que tu nous dis, à recréer de tels modèles. Où sont les freins ? Comment est-ce possible quelque part que nous réalisions ensemble aujourd'hui tous les deux ? Tu l'as réalisé avant moi. que ce modèle n'existe pas ?

  • Speaker #0

    C'est une vraie interrogation. Alors, j'ai interrogé le SGPE, le secrétaire général à la planification écologique, sur ce point. Et ce qu'il est ressorti de nos discussions, c'est que nos politiques, aujourd'hui, ont une aversion à des modèles qui leur échapperaient. Je l'ai dit, la plupart des modèles existants dans tous les ministères sont des modèles d'experts. Ce sont des modèles extrêmement précis, sont des modèles incompréhensibles pour des gens qui ne sont pas des experts du domaine. Et donc, je vais le dire avec d'autres mots, on peut... peut faire dire au modèle à peu près ce qu'on veut aujourd'hui, au modèle d'expert. Puisque personne n'ira vraiment vérifier les hypothèses qu'on y met dedans, et personne n'ira vérifier les équations à part les concepteurs du modèle. Et donc nos politiques savent bien tout ça. Savent bien que les modèles qui servent aujourd'hui à répondre à leurs questions sont des modèles qui leur échappent à eux. Or ce sont des hommes politiques, ce sont des hommes qui sont, et des hommes et des femmes évidemment, qui sont attachés à la maîtrise de leurs décisions. Les modèles aujourd'hui existants sont des modèles qui échappent totalement à leur contrôle. Donc ils ont une aversion profonde à utiliser ces modèles. Bien sûr, ils font travailler leurs administrations avec ces modèles. Mais l'utilisation des résultats qui en résultent, les politiques se donnent le droit d'utiliser ou pas le résultat. Parce qu'ils savent très bien que ce n'est pas un résultat qui est à leur main. Et c'est ce que je défends dans le livre. Ce que je défends dans le livre est une approche nouvelle. C'est une approche dans laquelle nous ne confierions pas à des experts la construction d'un modèle France ou d'un modèle monde. C'est que ce modèle soit construit, déjà pas par des experts, mais par des spécialistes, et qu'il soit construit avec une visibilité très forte du politique, en l'occurrence du Parlement. C'est ce que je propose dans mon livre. Parce qu'effectivement, nous ne sortirons jamais de l'ornière si nous conservons l'approche actuelle, qui est une approche en silo et une approche d'experts. Ça, un politique n'achètera jamais. Et je le comprends, quelque part. Je le comprends quand on... On est décideur, on veut avoir l'impression qu'on décide en connaissance de cause. Or, les modèles sont trop complexes aujourd'hui. Donc, il convient de mettre en œuvre, ou il conviendrait de mettre en œuvre une action globale, nationale, dans laquelle, évidemment, des experts seraient mandatés pour travailler, mais sous contrôle de spécialistes. qui eux-mêmes rendraient compte au Parlement, pour bien faire comprendre à chaque étape toutes les hypothèses, comment le truc est construit, quelle est sa finalité aussi. Parce que la question de fond de tout ça, c'est quelle France... voulons-nous dans un monde sous contrainte ? Aujourd'hui, les gens ne veulent pas d'un monde prédestiné, ils veulent de l'espoir. Donc ils ne veulent pas qu'on leur dise les choses vont se passer comme ça dans deux ans, dans trois ans. ans, dans 10 ans, dans 50 ans. Ils veulent de l'espoir, ils veulent des chemins possibles et ils veulent choisir parmi ces chemins possibles. Et donc, les modèles d'experts aujourd'hui sont vus comme des modèles trop prédictifs. On dit, voilà, si vous avez ça et ça, ça comme hypothèse, il y a ça en sortie. Les gens ne veulent pas de ça et les politiques pas plus. Et moi pas plus d'ailleurs. Moi ce que je veux, c'est quelque chose qui éclaire sur le champ des possibles. Nous allons être sous contrainte à cause des limites planétaires. C'est ce qu'on a évoqué en premier partie de cet entretien. Et ça, ça se révélerait. C'est à dire que effectivement ça a été pressenti depuis quelques décennies, maintenant c'est avéré, nous sommes aux limites planétaires. Bien, ça veut dire que le monde va être sous contrainte. Et donc dans un monde sous contrainte, on va avoir différents chemins possibles. Celui de la consommation qui continue, qui va probablement nous amener à l'effondrement. Celui d'une réduction de la consommation qui pourrait nous amener à quelque chose de plus durable. Celui voire même de la sobriété qui pourrait nous amener à un monde encore plus durable. mais avec certainement beaucoup plus de contraintes. Donc tous ces chemins-là sont peut-être possibles, mais encore faut-il le savoir, encore faut-il savoir qu'est-ce qui sera possible de ce qui sera impossible. Par exemple, ce qu'a montré World 3, c'est que la croissance continue, positive, tout au long du XXIe siècle est à coup sûr impossible. Ça, c'est ce qu'a montré World 3. Typiquement, World 3 montre, et moi j'ai tourné tous les potards de World 3 depuis 10 ans, je ne trouve pas, je ne trouve pas de... en tournant les paramètres et les variables du modèle là, de World 3 qui permettent une croissance continue du monde jusqu'en 2100. A chaque fois, ça finit par s'écrouler, à cause de toutes les raisons que j'ai dites tout à l'heure. C'est-à-dire, quand on cherche à franchir une limite, de toute façon, les autres se rappellent à nous. Et donc, il conviendrait aujourd'hui déjà d'avoir quelque chose qui nous permette de calculer les chemins possibles, physiquement possibles, dans un monde sous contrainte, dans un monde fini, avec les limites planétaires. quels sont les chemins qui sont encore possibles. Parmi ces chemins, le politique pourrait reprendre ses droits et dire, dans ce champ des possibles, moi je suis de droite ou de gauche et je préfère aller vers telle ou telle direction. Mais dans un champ des possibles connu. Ce qui manque aujourd'hui, c'est que justement dans tous ces modèles sectoriels que j'évoquais tout à l'heure, il n'y a pas par exemple les limites planétaires.

  • Speaker #1

    La liaison est toute trouvée avec la troisième et dernière partie de notre échange. Je te propose maintenant d'être acupuncteur. Quelle est la décision ? Quelle est l'action ? Quelle est l'intervention qui, selon toi, pourrait contribuer significativement ? A la fabrique d'un monde habitable, je pense que tu as déjà apporté les premiers éléments de réponse. Est-ce que tu peux prolonger ta réflexion dans la peau de cet acupuncteur ?

  • Speaker #0

    Bien sûr, bien sûr. L'action que je souhaiterais entreprendre, ou qui soit entreprise, serait de faire prendre la décision qu'un outil soit construit pour répondre à ce besoin que nous avons de piloter notre destin. De plus en plus, nous voyons que nous subissons les choses. Les contraintes s'imposent à nous. Évidemment, à l'heure de la guerre en Ukraine, du changement climatique, des tensions sur l'eau, sur les ressources agricoles. sur les ressources halieutiques, etc., on voit bien que tout ça s'impose à nous. Donc ce que je souhaiterais, si j'étais effectivement cet accompagnateur génial là, c'est que nous décidions en France de créer cet outil systémique prospectif qui nous aide à voir les chemins possibles dans les décennies à venir. C'est la thèse défendue dans mon livre, dans le dernier chapitre de mon livre, qui explique qu'aujourd'hui nous... En France, nous avons toutes les compétences, nous avons toute l'organisation sociétale, dans nos ministères, dans les grandes administrations, dans nos grands centres de recherche, dans nos laboratoires universitaires, nous avons toutes les compétences. pour, si nous le décidons, nous mettre tous autour de la table, créer des grandes équipes, dont le but serait de construire ce modèle prospectif qui permettrait d'éclairer nos hommes politiques. Ça c'est vraiment l'enjeu. c'est de reprendre la main sur notre destin. Parce qu'on peut très bien rêver d'une France et d'un monde qui continue comme aujourd'hui. Mais est-ce que ça c'est possible ? Il faut répondre à cette question. calculer si ça c'est possible. Beaucoup de gens, Jean-Marc Jancovici le premier, Philippe Biwix, Aurélien Barraud, plein de gens aujourd'hui disent que ça c'est impossible. Vérifions-le. Vérifions-le. Mettons les gens autour de la table, faisons-les travailler autour d'un projet commun de construction d'un outil qui nous permettrait de savoir ce qui est possible de ce qui est impossible. Parce que ce qui est possible, c'est l'effondrement. Ça, évidemment, la guerre mondiale, on sait que c'est possible. On en a déjà vécu deux. Peut-être que la troisième n'est pas loin devant nous. Donc, l'effondrement, on sait tout. très bien que ça peut nous arriver. L'effondrement financier, on sait que ça peut arriver. Ça nous est arrivé dans les années 2008, dans les années 1929 et j'en passe et des meilleurs. Tout ça, on sait que ça peut arriver. Donc l'effondrement, le capire ou les effondrements, ça on sait tous, chacun en âme et conscience que ça peut arriver. Par contre, la croissance infinie éternelle, ça effectivement, des vieux modèles comme World 3 disent que c'est impossible. Et du coup, qu'est-ce qui est possible entre les deux ? C'est quoi ? qui est possible entre l'effondrement, quelque à pire, la croissance perpétuelle, probablement pas possible, une durabilité qu'on cherche à atteindre, mais sans savoir ce qu'il faut faire pour l'atteindre. Quels sont les chemins possibles ? Ça, en France, nous sommes... probablement l'un des rares pays au monde à avoir toute cette intelligence collective pour créer ce modèle. Ce que je propose dans le livre, c'est que nous lancions cette initiative nationale de faire travailler les gens ensemble. de redonner un projet collectif qui soit un projet positif pour lequel nous ne chercherions pas à avoir raison ou tort puisque l'idée serait déjà de construire l'outil. Et ça, je pense que c'est un projet fédérateur. Je pense que c'est un projet fédérateur. Alors, pour illustrer un petit peu ce que pourrait être ce travail un peu collectif, mais souvent un petit peu d'un jeu ou d'une question un peu iconoclaste, je vais te poser, Thomas, un petit sujet de réflexion et nos auditeurs pourront s'en nouer. Supposons que dans les jours qui viennent, nous décidions collectivement, vraiment à l'unanimité, on oublie tous nos querelles, et on décide d'imaginer une France qui serait une France dans laquelle nous aurions tous l'obligation d'aller au travail en transport en commun. Sans exception, président de la République compris, tout le monde aurait l'obligation d'aller au travail en transport en commun. Alors le premier réflexe c'est évidemment... évidemment, de se dire, mais tout ça est impossible, tel médecin ne pourrait pas, tel pompier ou tel militaire, que sais-je, ne pourrait pas faire ci, ou le président, évidemment, ne pourrait pas se tremballer en transport en commun. Mais plaçons-nous dans l'exercice intellectuel de dire, mais si nous devions le construire, on suppose que nos moyens financiers le permettent. Et on se met à réfléchir à cette France dans laquelle nous pourrions tous aller. au travail en transport en commun. Et donc on se projette intellectuellement. C'est quoi ? Ça veut dire que même dans les campagnes, on met en place des organisations de transport bien sûr, mais des organisations du travail, des organisations en dehors du travail finalement, parce que si on sait aller au travail en transport en commun, on sait le week-end aller faire ses loisirs avec ses mêmes transports en commun, on sait évidemment aller faire ses courses avec le transport en commun. Et comme ça s'imposerait à tous, d'après mon hypothèse de départ, pour faire garder ses enfants, la baby-sitter, elle peut venir aussi en transport en commun, puisqu'on ne fait aucune exception. Donc les transports en commun seraient... développer en conséquence, mais toute la société française serait en fait transformée. Donc on voit qu'à partir d'une question qui est une question sous forme de boutade ou de jeu, de dire que c'est quoi la France dans laquelle tout le monde on dirait en transport en commun, au travail, en fait, nous faisons un exercice de mais est-ce que cette France-là ne serait pas une France désirable ? Et quand on y réfléchit un petit peu, comme tout le monde devrait mettre la main à la pâte, pas pour réfléchir à cette France de transports en commun, on aboutirait probablement à une France qui serait probablement très enviable. Les gens, aujourd'hui, finalement, je vais la faire courte, mais moi, mon opinion, c'est que les transports en commun, ce n'est pas pour les riches, si je la fais courte. Mais si demain, on dit que tout le monde doit contribuer à cette construction, les riches auront tout intérêt à ce que les transports en commun soient très adaptés, y compris pour eux. Et donc, nous aurions envie... France très probablement absolument génial. Absolument génial. Donc c'est une petite... Voilà, je termine un petit peu cet exercice un peu de pensée qui est assez iconoclaste je pense. Mais c'est pour ça que cette réflexion systémique, c'est-à-dire cette réflexion globale, on voit qu'en fait dès l'instant qu'on met tout dans la balance, qu'on met tous les gens et que ça touche leur avenir commun, et bien en fait on peut réfléchir à des changements complets de ce société. On peut réfléchir, je le pense, à un pays et à un monde plus beau, à un monde plus acceptable, plus enviable, parce que nous nous mettons dans une posture de construire quelque chose collectivement. C'est à mon sens ce qui manque aujourd'hui aux gens. Il manque ce petit espoir de construire quelque chose d'enviable et de le construire ensemble. Et bien finalement, c'est ce que m'a appris la systématique. C'est-à-dire que partant de World 3 en 2012, de fil en aiguille, j'en arrive à l'idée que si nous subissons autant de tensions, et notamment sociétales en ce moment, c'est parce que nous n'avons plus de projet commun. Et finalement, World 3 m'amène aujourd'hui à proposer plutôt des projets politiques, que ce soit la construction d'un outil prospectif national, ou cette France enviable de transports en commun, ou plein d'autres choses, des TVA variables sur les certains... un produit, etc. Parce que, en fait, ça améliorerait la vie des gens. Voilà. Tout simplement.

  • Speaker #1

    Alors, on va laisser les auditrices et les auditeurs méditer sur le défi que tu nous as lancé. Je retiens peut-être quelques mots-clés. Ta découverte en 2012 avec World 3, avec les travaux des chercheurs du MIT, t'as ouvert à la nécessité et à la faisabilité d'une prospective qui soit à la fois créative et compatible avec les limites planétaires. Et cette prospective d'un genre nouveau, qui a été finalement déjà envisagée il y a longtemps, on a parlé de l'année 1972, cette prospective d'un genre nouveau ne vient pas apporter des réponses supplémentaires à des questions qui seraient posées d'avance, mais nous aide à reposer les questions qui peut-être sont les plus importantes pour trouver des voies et faire société autrement. Je rappelle en 30 secondes le titre de ton ouvrage, Christophe, la pièce manquante de la transition écologique française. Seychelles Armattan, merci à toi.

  • Speaker #0

    Merci Thomas.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode de No Limits, produit par Logarithme. L'ensemble des épisodes est disponible sur toutes les plateformes et sur le site atelier-desfuturs.org. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous et n'hésitez pas à en parler autour de vous. A bientôt !

Description

Christophe Mangeant travaille à la Direction Générale de l’Armement.


Lorsqu’il découvre les travaux des chercheurs du MIT, emmenés par les époux Meadows et par Jorgen Randers, il décide de s’intéresser de très près à la modélisation systémique. Pour rendre compte de ses travaux, il a fait paraître l’été dernier aux éditions de L’Harmattan un essai intitulé : La pièce manquante de la transition écologique française.


Dans l’entretien à suivre, Christophe commence par s’interroger : l’avenir donnera-t-il raison aux chercheurs du MIT ? Leurs prévisions s’avèreront-elles justes ?


Ensuite, il se tourne vers le passé et se demande pourquoi personne – ni en France, ni en Europe, ni ailleurs dans le monde – n’a jusqu’ici engagé les moyens nécessaires pour développer un modèle numérique global, vraiment prospectif, et destiné à éclairer les choix des décideurs politiques et économiques.


Pour finir, il conclut avec une expérience de pensée : et si, demain, les transports en commun devenaient obligatoires pour tous ?


Entretien enregistré le 28 novembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je peux un peu l'entendre.

  • Speaker #1

    Nos limites. Un podcast de Thomas Gauthier, produit par Logarith. La grande menace de la changement climatique pourrait définir les contours de ce sens. Le monde s'est réveillé. Et la changement est venu. Que vous l'aimiez ou non. Une enquête aborde du vaisseau Terre à la recherche d'un nouveau cap pour l'humanité. Nous sommes en train d'atteindre les limites planétaires.

  • Speaker #0

    Nous sommes en train de détruire ce qui nous permet de vivre.

  • Speaker #1

    La modernité, c'est la vitesse. Et c'est vrai que ça va un peu vite. Aujourd'hui, on ne va pas se permettre de ne pas s'engager. Il faut qu'on soit dans une science de combat. Enseignant-chercheur à EM Lyon Business School, Thomas va à la rencontre de celles et ceux qui explorent le futur et se remémorent l'histoire pour bâtir un monde habitable dès aujourd'hui. À chaque épisode, son invité, curieux du monde à venir, commence par poser une question à l'oracle. Ensuite, tel un archiviste, il nous rapporte un événement méconnu du passé dont les conséquences sont pourtant bien prégnantes dans le monde actuel. Pour conclure, il devient acupuncteur et propose une action clé afin d'aligner les activités humaines sur les limites planétaires. Christophe Mangent est colonel et travaille à la Direction Générale de l'Armement. Lorsqu'il découvre les travaux des chercheurs du MIT, emmenés par les époux Meadows et Jürgen Randers, il décide de s'intéresser de très près à la modélisation systémique. Pour rendre compte de ses travaux, il a fait paraître l'été dernier aux éditions de l'Armatan un essai intitulé la pièce manquante de la transition écologique française. Dans l'entretien à suivre, Christophe commence par s'interroger. L'avenir donnera-t-il raison aux chercheurs du MIT ? Leurs prévisions s'avèreront-elles justes ? Ensuite, il se tourne vers le passé et se demande pourquoi personne, ni en France, ni en Europe, ni ailleurs dans le monde, n'a jusqu'ici engagé les moyens nécessaires pour développer un modèle numérique global vraiment prospectif, est destiné à éclairer les choix des décideurs politiques et économiques. Pour finir, il conclut avec une expérience de pensée. Et si demain, les transports en commun devenaient obligatoires pour tous ?

  • Speaker #0

    Bonjour Christophe. Bonjour Thomas. Alors ça y est, tu es face à l'oracle. Quelle est la question que tu as envie de lui poser ? Alors je suis face à l'oracle et donc je lui demande si ce que j'ai écrit dans mon livre... pièce manquante de la transition écologique française est exacte ou pas. Je lui demande si les travaux de l'équipe Meadows, si World 3, si The Limit to Growth est quelque chose qui a vu juste ou si c'est quelque chose qui est totalement hors sol et inexact. Pour nos auditeurs, je crois qu'il faut resituer pour tous ceux qui ne connaissent pas les travaux du club de Rome et de l'équipe Meadows, il faut resituer un petit peu le... les travaux dans leur contexte de l'époque, dans les années 70, et puis il faut détailler un petit peu ces travaux. Ces travaux, je les décris dans mon livre. Ce que je souhaite ici, c'est synthétiser un petit peu la portée de ces travaux. La question des limites à la croissance, de savoir si notre monde est un monde durable ou pas, s'est posée très tôt, et notamment dès l'après-guerre. Un certain nombre, notamment d'industriels, se sont demandé si notre croissance... économique, notre croissance matérielle pouvait se poursuivre au XXe siècle, au XXIe siècle, voire au-delà. Et cette question, au beau milieu des Trente Glorieuses, elle a émergé notamment dans la tête d'industriels qui ont constitué ce qu'on appellerait aujourd'hui un think tank, un groupe de réflexion, qui s'est appelé le Club de Rome, qui était un groupe emmené par Aurelio Peccei, patron de Fiat à l'époque, et qui, en 1968 à peu près, se pose la question de... Mais où va le monde et où va la croissance économique mondiale ? Est-ce que ça va s'arrêter ? Est-ce que ça va se poursuivre au niveau exponentiel comme à l'époque ? Et donc ils cherchent des gens capables de répondre à cette question. Donc il fait un petit peu le tour des labos, des industries, des universités, et puis il tombe sur un certain Jay Forrester, qui travaille pour l'armée américaine, et qui développe à l'époque des systèmes de conduite de tir pour les navires américains. Et donc il fait ce qu'on appellera aujourd'hui de l'automatique ou de l'automatisme. Et donc Jay Forrester a tout de suite l'idée que modéliser le monde des années 70 n'est pas si compliqué que ça. Finalement, le monde c'est quoi ? C'est des gens. Des gens qui ont besoin de nourriture, qui ont besoin de ressources naturelles et qui, quand ils utilisent ces ressources, finalement les épuisent et puis créent de la pollution. Et donc il commence à faire un petit un petit bout de modèle bricolé qu'il appelle World et qu'il propose au club de Rome. Puisqu'à l'époque, comme il travaille sur des systèmes d'automatisme, il a les premiers ordinateurs à sa disposition et donc il est capable de faire cette petite modélisation simplifiée. Les industriels du Club de Rome sont évidemment enchantés par cette approche qui leur permet tout de suite de visualiser finalement le comportement du monde. Et donc ils payent, ils investissent dans un groupe de recherche du MIT, 17 jeunes chercheurs, emmenés par un élève de justement Jay Forrester qui s'appelle Dennis Meadows, et qui va pendant deux ans développer plus finement le premier modèle world que Jay Forrester avait créé. Et donc il va aboutir en 1972 à un modèle qui s'appelle World 3. Alors World 3 c'est donc un modèle qu'on appelle systémique, un modèle global du monde, très simplifié, mais un modèle qui tourne sur les premiers ordinateurs de l'époque. Alors ça, c'est le premier coup de génie de l'équipe Nidoz, c'est d'avoir conçu, dès les années 70, et fait tourner sur les premiers ordinateurs, un modèle simplifié du monde, un modèle prospectif, quelque chose qui calcule l'évolution du monde jusque dans les années 2100. Donc qui va très loin dans le futur, et qui propose une explication de comment fonctionne le monde. Donc ça c'est le premier coup de génie, et j'aurai l'occasion d'y revenir, c'est d'avoir créé un modèle... prospectif systémique global de l'évolution du monde. Le deuxième coup de génie de l'équipe Meadows, c'est d'avoir, dès le début dans ce modèle World 3, intégré la notion de limite planétaire. Alors pourquoi c'est un coup de génie à l'époque ? Parce qu'on est en 1970, et que le concept des limites planétaires, notamment, qui a été mis, on va dire, sur la place publique scientifique depuis quelques années par l'équipe Rockström, à l'époque, était un concept qui... Pas dans les esprits du tout, encore une fois, on est dans les trente glorieuses. Donc on est dans une époque où il n'y a pas de limite. Tout est permis, la croissance est de plusieurs pourcents par an, et on n'en voit pas le bout, et on va sur la Lune, et pourquoi pas plus loin ailleurs, et donc il n'y a pas de limite. Or l'équipe Milos voit bien qu'il y a des limites, il y a des limites physiques partout. Il y a d'abord des limites dans la quantité de ressources non renouvelables dans le sol. La Terre étant une planète finie, Elle est constituée d'un certain nombre d'atomes et ces atomes-là, dans le sous-sol, sont non renouvelables. Et donc, ça, c'est une première limite physique qu'ils introduisent dans leur modèle et j'aurai l'occasion d'y revenir. Il y a d'autres limites dans le modèle World 3, des limites comme, par exemple, la surface des terres arables. Les terres émergées sont en quantité finie sur Terre, donc il y a un certain nombre d'espaces terrestres. qui peuvent être dédiées à l'agriculture et puis on en trouve quand même assez vite les limites. Une autre limite également introduite dans le modèle, c'est la notion des rendements des sols. On est à une époque où on commence à introduire massivement dans les sols des engrais, les rendements agricoles augmentent, mais on voit bien que... Tout ça va toucher à un moment donné une asymptote, donc une limite dans la production de nourriture. Les chercheurs du MIT voient bien aussi qu'il y a des limites, on va dire biologiques ou physiologiques. Le taux de fécondité d'une femme, dans le modèle, globalement, c'est 12 enfants. Évidemment, peut-être que certaines femmes dans le monde ont eu plus que 12 enfants, mais on voit bien qu'il y a une limite physiologique qui existe et qu'il est difficile de la dépasser. L'espérance de vie également. L'espérance de vie, dans le modèle World 3, est quelque chose qui est drivée par la quantité de nourriture ou la quantité de soins que reçoivent les gens. Le facteur multiplicateur de l'espérance de vie liée aux soins ou à la nourriture, c'est quelque chose qui varie entre 1 et 2 globalement. Et du coup, on peut avoir une durée de vie qui, depuis la durée de vie des années 40, qui est plutôt de l'ordre de 40 ans, l'espérance de vie à la naissance, passe à 60 ans, 80 ans, si on est bien nourri et bien soigné, mais guère au-delà. Donc on voit bien qu'il y a aussi une limite physiologique. par principe mise dans le modèle. Donc ça ce sont les limites un petit peu qu'on voit, soit sur la Terre, soit chez les humains. Il y a une autre limite un petit peu plus subtile qui est introduite dans le modèle, qui est la limite sur le capital industriel. Globalement, pour résumer et pour faire simple, la durée de vie d'une usine, si on ne s'en occupe pas, elle n'est pas infinie. Dans le modèle World 3, une usine, globalement... Tous les 14 ans, globalement, il faut la renouveler, c'est-à-dire que tous les ans, il faut renouveler un quatorzième de l'usine pour que l'outil productif continue à produire. Alors ça, c'est un thème qui est relativement intéressant à regarder. J'ai écouté, il y a quelques jours, sur France Inter, un débat sur certaines mairies qui se plaignaient du coup des routes, de l'entretien des routes. Ça, c'est exactement ce qui est dans World 3. C'est-à-dire que globalement, quand on a une infrastructure, qu'elle soit industrielle ou routière ou que sais-je, il faut l'entretenir. Et plus on a d'infrastructures, plus ça coûte de l'entretenir. Et bien si on a beaucoup de routes, ça coûte très cher de les entretenir. Et donc au bout d'un moment, il y a un équilibre qui se fait entre le nombre de routes qu'on souhaite avoir et le nombre de routes qu'on peut entretenir. Et bien tout ça c'est dans World 3. Donc ça c'est vraiment le premier chapitre de mon livre, commence par ce descriptif des limites World 3 et met en regard ces limites de ce que maintenant la science a mis en lumière depuis une quinzaine, vingtaine d'années. à savoir ce qu'on appelle aujourd'hui les limites planétaires. Avant de te laisser continuer, Christophe, j'ai une question peut-être plus intime. Tu peux nous raconter les circonstances de ta rencontre avec ce rapport ? Comment ce rapport t'est tombé dessus ? Raconte-nous ça, s'il te plaît. Oui, oui. Alors, je suis tombé totalement par hasard sur ce rapport lorsque Jean-Marc Jancovici, que je connaissais par ailleurs au travers du Shift Project, m'a indiqué qu'il avait préfacé... Un livre qui s'appelait Les limites à la croissance dans un monde fini en 2012. Et que, voyant mon intérêt pour, on va dire, les choses mondiales, pour le dire simplement, la géostratégie mondiale, à l'époque, alors que je ne connaissais rien à la systémique, voyant mon intérêt pour toutes ces grandes questions géostratégiques mondiales, m'a fait part de la parution de ce livre. Et il m'a dit Tiens, Christophe, ce livre va t'intéresser. Parce que tu cherches des réponses. Et il est possible que tu les trouves dans cet ouvrage. Et de fait, tous les questionnements qui à l'époque étaient dans ma tête sur certaines tensions, par exemple liées aux ressources ou certaines thématiques qui émergeaient sur le changement de la vie, climatique par exemple, ou je sais pas moi, des combats de José Bové contre les OGM ou que sais-je encore. Tous ces combats là où toutes ces tensions étaient pour moi dissociées avant les années 2012. Et ce que j'ai découvert au travers de ce livre, et c'est ce que je raconte également en décrivant un petit peu le modèle World 3, c'est le fait que tout est lié. C'est-à-dire qu'on ne peut pas délier l'agriculture de la pollution. Mais on ne peut pas non plus délier l'agriculture de l'industrie, puisque l'industrie fournit les intrants agricoles. On ne peut pas délier notre santé de la pollution, évidemment. Toutes ces choses-là sont très liées. Et c'est finalement ce que m'a fait découvrir le modèle World 3, que j'ai découvert en 2012, à la suite de la lecture de ce rapport, qui était la troisième édition du rapport initial de 1972, puisque les limites à la croissance est parue la première fois en 1972. C'est le premier rapport du Club de Rome. Puis une seconde fois, il a été réédité, on va dire amélioré ou modernisé en 1980. et puis il a été réédité en 2004 en anglais, toujours par cette même équipe du MIT, et traduit en français donc en 2012. Voilà, donc c'est comme ça que je suis tombé sur ce livre, qui effectivement m'a montré que tout était lié, et c'est le deuxième coup de génie de l'équipe Midos. Ce deuxième coup de génie, c'est d'avoir montré que la puissance d'un modèle systémique n'est pas précision de chaque sous-modèle, mais dans le fait de lier les choses entre elles. Merci. Et ça, c'est la grande, grande force de l'approche systémique, l'approche globale. Autrement dit, on ne cherche pas à être expert de tel domaine ou tel autre domaine. On cherche au contraire à lier toutes les thématiques qu'on veut étudier entre elles et à montrer les interactions entre toutes ces thématiques. Je vais y revenir. Mais je termine juste, si tu permets Thomas, sur les limites planétaires. On sait aujourd'hui qu'elles existent. Changement climatique, pollution par les aérosols et autres polluants. dit éternel, le trou dans la couche d'ozone, la dégradation des sols et des forêts, la surconsommation d'eau qui pose aujourd'hui, et on le voit, qui revient sur le devant de la scène, la perturbation massive des cycles de l'azote et du phosphore, l'acidification des océans et l'effondrement de la biodiversité. Donc ces grandes limites, aujourd'hui la science les met en lumière, mais il y en a bien d'autres, il y en a bien d'autres en fait, et elles s'appellent PIC. du pétrole, pique des fossiles. Elle s'appelle aussi diminution de la teneur en minerais. Je sais que tu as reçu Philippe Biouix, par exemple, dont on peut saluer justement le message sur toutes ces questions liées aux ressources. Et donc, aujourd'hui, nous voyons que nous touchons aux limites. Donc ça c'est le premier coup de génie de World 3 et de l'équipe Windows, c'est d'avoir vu ça dès les années 70, c'est-à-dire d'avoir vu qu'il était important de mettre dans ce modèle des limites, sans savoir à quel moment on les atteindrait, mais d'avoir introduit dans le modèle le principe même qu'il y a des limites, et que le modèle est censé calculer quand on va les atteindre. Le deuxième coup de génie, donc je l'ai dit, c'est vraiment le fait d'avoir lié les choses entre elles. Alors comment ça se passe dans World 3 ? C'est très très simple, il y a cinq grandes catégories d'éléments qui sont liés entre eux. D'abord... La population, les gens. Le modèle World 3, c'est d'abord la vie de tous les jours. Il y a des enfants, il y a des adultes, il y a des personnes âgées. Ces gens-là ont besoin de manger pour vivre et donc il leur faut de la nourriture. Donc il faut un système agricole capable de produire de la nourriture. C'est le deuxième système qui est étudié. La vie de tous les jours, que ce soit pour construire nos maisons, nos usines ou fournir des biens justement à l'agriculture, nécessite des ressources non renouvelables. L'agriculture étant finalement le volet renouvelable des ressources non renouvelables qu'on trouve dans le sous-sol. Donc le troisième pan qui est étudié, qui est modélisé, c'est les ressources non renouvelables. Quand on vit, qu'on construit des choses et qu'on se nourrit, on pollue. Donc un quatrième paramètre qui est introduit là-dedans, c'est la notion justement de pollution, qui du coup a un effet évidemment rétroactif. sur le système, puisque plus il y a de pollution, plus l'espérance de vie des gens diminue, et plus du coup ça va réguler quelque part le système. Donc le deuxième chapitre de mon livre, il décrit justement ce qu'est le modèle World 3 finalement, et il explique en fait ces grandes interactions entre la pollution, le capital industriel qui permet de produire les choses, le capital agricole qui permet de nourrir les gens, la pollution qui va réguler tout ça, et bien sûr les ressources. qui sont la base de la vie de tous les jours. Et donc, qu'est-ce qu'ont fait les chercheurs du MIT ? Plutôt que de faire des choses très très précises sur chacun de ces sous-ensembles-là, ils ont dit, mais ce qui est important, c'est d'abord de montrer les interactions. En quoi les ressources naturelles peuvent-elles limiter ou pas le système humain ? Et bien ça c'est le troisième coup de génie de World 3. Le troisième coup de génie de World 3, c'est d'avoir présupposé qu'on se fichait de comment les ressources étaient utilisées. C'est-à-dire qu'on ne cherche pas à dire le sable sert à faire... tant de béton ou tant de verre parce que à l'époque en 1970 tout ça est inaccessible du point de vue des calculs des ordinateurs la puissance de calcul ne permet absolument pas de faire tout ça et par ailleurs ça aurait fait devenir beaucoup trop complexe le modèle world 3 Or, les auteurs, à l'époque, ne voulaient pas que le modèle soit trop complexe. Ils voulaient que ce soit un modèle compréhensible par les gens. Et donc, l'idée, ce n'était pas d'aller faire un modèle d'expert. C'était de faire un modèle relativement compréhensible, relativement simple, mais puissant dans le fait qu'il lie les phénomènes entre eux. Et donc, le troisième coup de génie, c'est quoi ? C'est de dire, le système humain, le système économique, le système industriel, se développe. Les gens mangent, les gens construisent des choses, les gens ont besoin d'infrastructures. Tout ça n'a aucune limitation tant que les ressources naturelles sont suffisamment abondantes. Le modèle présuppose que les ressources naturelles, et notamment les ressources non renouvelables, sont abondantes. Donc le système humain se développe, le modèle est initialisé dans les années 1900. Donc en 1900, la population humaine existe, elle se développe. On est en 1970, donc le modèle World 3 calcule l'évolution de l'humanité entre 1900 et 1970. les auteurs vérifient qu'effectivement les données du modèle sont relativement bonnes et que les liens entre les différents sous-systèmes sont bons parce qu'ils vérifient ça sur la période 1900-1970. Et puis comme le modèle semble donner des résultats cohérents, ils laissent tourner le modèle jusqu'à dans les années 2100. Et donc qu'est-ce que donnent les résultats de World 3 à horizon 2100 ? Dans ce premier modèle, dans ce premier scénario, qui est le scénario business as usual, ce qui se passe c'est que tout se passe très très bien, la croissance économique mondiale reste effectivement très soutenue jusque dans les années 2000. Et puis à partir des années 2000, tout ça ralentit et le système mondial finit par s'effondrer à partir des années 2020-2030. Donc les auteurs qui ont créé ce modèle, qui donc observent sur un premier calcul que le système monde s'effondre à horizon 2020-2030, évidemment, regardent dans le modèle qu'est-ce qui crée cet effondrement. Et donc, ils creusent dans le modèle. comme c'est un modèle bouclé, la difficulté d'un modèle bouclé, c'est qu'on ne sait jamais qui est l'œuf ou la poule. Puisque tout est lié. Tout est lié, tout est calculé en permanent. Est-ce que c'est la population qui est responsable de tel ou tel phénomène, ou la pollution, ou les ressources, etc. Et en fait, ils découvrent que la première... Vraiment, ce qui est majeur dans ce premier scénario, c'est le fait que l'humanité, dans les années 2020, a épuisé plus de la moitié des ressources non renouvelables qui se trouvent dans le modèle. Et ce faisant, Comme leur modèle présuppose qu'à partir de la moitié des ressources, ça va être de plus en plus dur d'aller chercher les ressources non renouvelables restantes dans le sous-sol, le modèle a mis en équation le fait que ça allait devenir plus difficile d'aller chercher les ressources non renouvelables dans le sous-sol. Et donc, évidemment, c'est ce qui se passe à partir des années 2020. Le modèle commence à introduire, à partir des années 2000-2020, Le fait que c'est de plus en plus dur d'aller chercher les derniers atomes de cuivre, de pétrole, de gaz, de charbon, de minerais de fer et tout ça dans le sous-sol. Et donc une grande partie de l'industrie va petit à petit être détournée pour aller chercher les derniers atomes restants. Ce faisant, l'industrie n'est plus capable d'alimenter ce qu'elle alimentait jusqu'à présent, à savoir l'agriculture et les soins, enfin la santé. Et c'est ce qui crée l'effondrement. Très bien, on est en 1970 et les chercheurs de MIT font ce premier scénario et découvrent que s'il n'y a plus assez de ressources, le monde va s'effondrer. une double action à ce moment-là. Ils se disent, un, on s'est trompé sur le niveau de ressources mondiales. Ce sont des scientifiques, donc ils admettent qu'ils peuvent se tromper. Et dans ce cas-là, ils disent, qu'à cela ne tienne. De toute façon, on a mis un certain niveau de ressources dans le modèle, on peut le doubler, le tripler, et puis voir ce que ça donne. C'est l'avantage du modèle numérique. Déjà, ils font ça. Ils disent, on suppose qu'on s'est complètement trompé, qu'il y a beaucoup plus de ressources qui seront accessibles sous terre. On va supposer qu'il y a beaucoup plus de ressources. Et ils l'expliquent aussi en disant, mais finalement, ça, le génie humain, pourraient permettre ça. Demain matin, il pourrait y avoir la fusion nucléaire. On est dans les années 70, donc la fusion, c'est quelque chose qui peut arriver. En tout cas, les scientifiques américains l'espèrent. Donc, ils se disent, mais c'est vrai, si finalement on a une énergie infinie, eh bien, il n'y a pas de raison, on pourrait très bien, on pourrait très bien, comment dirais-je, accéder facilement à une quantité de ressources quasiment illimitée. Donc, en fait, ils font ça, ils augmentent artificiellement la quantité de nourriture. dans leur modèle, et ils voient ce que ça donne. Ils voient ce que ça donne. Donc effectivement, elle explique par l'aspect, ça peut être une transition énergétique finalement, qui crée ça. C'est également le génie humain. Donc les gens qui pensent que dans les travaux du Club de Rome ou dans World 3, il n'y a pas la notion de progrès ou de génie humain, se trompent, puisque justement, pour passer du scénario 1 au scénario 2, ils font justement l'hypothèse que le génie humain s'exerce. qu'on va avoir de l'énergie infinie, que le progrès humain va s'exercer en continu, et donc il n'y aura plus de problème pour accéder aux ressources. Donc ça c'est le passage du scénario 2, c'est on suppose que les ressources seront accessibles. Le scénario 2 est lancé, le run, le modèle tourne avec cette nouvelle hypothèse, et patatras, ça s'écroule. en 2040. Alors effectivement, entre 2020 et 2040, il n'y a pas l'effondrement observé lors du premier scénario, et donc les chercheurs essaient de comprendre pourquoi ça s'écroule 20 ans plus tard, et pas 100 ans ou 1000 ans plus tard. Ce qu'ils comprennent dans le modèle, c'est que la population a continué à croître entre 2020 et 2040, a continué à consommer, a continué donc à polluer. Et en fait, ce qui crée l'effondrement à partir des années 2040, c'est la... sur pollution, la pollution massive, puisque le modèle World 3 tient compte du fait que tout processus industriel ou tout processus agricole pollue. Il y a une certaine quantité de pollution par unité d'action industrielle ou unité d'action agricole. Et donc évidemment, comme la population a continué à croître entre 2020 et 2040, elle a continué à polluer. Et qu'à ce l'entienne, les chercheurs du MIT ayant identifié que la pollution pourrait devenir un problème, font l'hypothèse, on est toujours en 1970. font l'hypothèse que le génie humain, l'intelligence collective va s'exercer et que nos grands décideurs vont dire Ok, on ne peut pas polluer à l'infini comme ça, donc il faut que dès les années 2000 il y ait une espèce de régulation mondiale de la pollution, que nos ingénieurs fassent tout pour réduire les quantités de pollution par unité industrielle ou unité agricole et on rentre ça dans le modèle. C'est l'intérêt du modèle, on peut rentrer ce nouveau paramètre qui est à partir des années 2000 donc dans le futur, puisqu'encore une fois, comme on est en 1970, on peut se dire Ok, il faut un peu de... de temps pour que les gens soient convaincus. Donc, en 2000, on va supposer que tout le monde est convaincu et que les actions techniques sont lancées. Très bien, ils mettent ça dans le modèle, ils font tourner le troisième scénario. Patatras, ce troisième scénario s'écroule en 2050-2060. Aïe ! Donc les chercheurs cherchent dans le modèle, qu'est-ce qui fait s'écrouler le truc dans les années 2050-2060. Ce qui fait s'écrouler le monde... dans ces années-là, c'est le fait que finalement il n'y a plus assez de nourriture pour tout le monde. On a lutté contre la pollution, les ressources sont infinies, mais la population continue à croître, du coup il faut bien la nourrir. Et avec les hypothèses mises dans le modèle jusqu'à présent, les sols n'arrivent plus à produire suffisamment de nourriture. Qu'à cela ne tienne, on est en 1970, les chercheurs de l'MIT disent on va supposer qu'à partir des années 2000, les chercheurs agronomes vont développer des OGM, des machins, des techniques qui permettront au rendement agricole de croître toujours plus à partir des années 2000, pour nourrir la population puisqu'on anticipe qu'il pourrait y avoir des problèmes alimentaires. Très bien, on rentre ça dans le modèle, ça donne le quatrième scénario. Et patatra, le quatrième scénario s'écroule à partir des années 2080. Pourquoi ? Eh bien, érosion des sols. Érosion des sols, c'est-à-dire qu'effectivement, on a créé des espèces végétales qui peuvent croître, par contre, ça lessive les sols. C'est typiquement ce qu'on voit aujourd'hui dans l'agriculture intensive ou industrielle. Eh bien, qu'à cela ne tienne, on est en 1970, on voit ça arriver grâce au modèle World 3, donc on va supposer qu'à partir des années 2000, les ingénieurs... agronomes vont avec le reste de la population mettre en place des techniques douces pour empêcher ce lessivage des sols, ce pompage absolu par la matière végétale des sols. Donc on va mettre en place ce que finalement on appelle aujourd'hui l'agriculture douce ou les techniques agricoles douces. Et donc il rentre ça dans le modèle et effectivement à partir de ce moment là, Le système commence à devenir stable. Alors il se trouve qu'il s'écroule encore un petit peu sur la fin du modèle, enfin sur la fin du XXIe siècle, parce qu'en fait se conjuguent à ce moment-là, sur la fin du siècle, ce qu'ils appellent les polycrises. C'est-à-dire qu'effectivement... La population, on a gagné 50 ans de développement et de stabilité de la population qui consomme. Et en fait, ce qui se passe, c'est qu'on retrouve un petit peu des limites liées aux ressources non renouvelables, qui ont continué à être épuisées, évidemment. On a quand même massivement pollué par le passé, donc il y a encore des petits problèmes de pollution. La population a besoin de manger et du coup, il y a quelques problèmes de nourriture quand même. Et donc...... Le modèle World 3, le dernier scénario, c'est un scénario dans lequel on dit tout ce capital industriel, ce capital agricole qu'on n'a finalement pas challengé en termes de durée de vie, on va l'améliorer un petit peu, on va supposer que les gens en prennent davantage soin. C'est typiquement ce qu'on appellerait aujourd'hui le recyclage quelque part. C'est-à-dire l'augmentation de durée de vie des choses. C'est comment mieux utiliser les choses, augmenter leur durée de vie. Et ça donne un dernier scénario qui est un scénario de stabilité. Alors ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'en 1970, les chercheurs du MIT ont pressenti qu'à partir de la première moitié du XXIe siècle, il pourrait y avoir un besoin de transition écologique. C'est ça qu'ils ont mis en évidence. Ils ont mis en évidence que toutes ces actions de lutte contre la pollution... de lutte contre l'érosion des sols, on va dire de recyclage massif, en tout cas de non-pompage massif des ressources non renouvelables. Tout ça devait être mis en œuvre dans un horizon qui globalement, on va dire le premier quart ou la première moitié du 21e siècle. On est en plein dedans. C'est ça qu'ont mis en évidence les chercheurs du MIT, sachant qu'en plus dans World 3, il n'y a pas de changement climatique. Il n'y a pas de changement climatique. qui est modélisée parce qu'en 1970, ce n'est pas une thématique. Donc c'est ce que j'explique dans les premiers chapitres de mon livre, La pièce manquante, et qui permet de poser une question que moi je m'adresse à moi-même dans les années 2015, une fois que j'ai découvert ce livre-là, qui est ce modèle qui est un vieux modèle de 1972, est-ce qu'on a beaucoup mieux aujourd'hui ? En plus, comme je suis français, évidemment, je crois que nous, français, nous avons développé quelque chose de beaucoup mieux. Et donc, je commence à chercher. Je me dis, bah oui, c'est évident. Les chercheurs du monde entier et les chercheurs français ont développé un modèle équivalent, beaucoup plus moderne, beaucoup plus performant, beaucoup plus précis, voire même qu'ils en ont fait une déclinaison pour chaque pays, puisque là, c'est un modèle globalisé monde. Il n'y a pas de pays, là-dedans, c'est une seule population mondiale. Et donc, je commence à chercher, je m'interroge, je me dis, mais tiens... Comment on fait pour savoir ce que sera la France en 2100 ? C'est quoi les outils ? Parce que le 3 ne répond pas à la question de ce que sera la France en 2100. Et puis, chemin faisant, cherchant un petit peu ce qui existe, je reste un petit peu sur ma faim. Donc c'est ce qu'explique un petit peu la suite du livre, mais je pense qu'on va s'en parler.

  • Speaker #1

    Sur la base de tout ce que tu viens de nous rappeler là, Christophe, il y a une question qui me tarabuste alors. Comment tu t'expliques, plus de 50 ans après ce que je vais appeler l'échec, finalement, de ce travail pionnier des années 1972, comment on s'explique que toute cette pensée, que toute cette ambition de modélisation et d'anticipation aient été mises au rebut malgré des millions d'exemplaires vendus du livre après sa sortie. Comment expliquons-nous le glissement de cette notion de limite à la croissance vers une notion qui a beaucoup plus performé les sociétés, celle du développement durable ?

  • Speaker #0

    Il y a plusieurs éléments de réponse à cette question. Un des éléments a été fourni par Jean-Marc Jancovici. Il y a quelques années, il a dit que... Le problème du club de Rome, c'est qu'en fait, il n'avait pas de client auquel s'adresser. Autrement dit, le rapport du club de Rome, il s'adresse à tout le monde et à personne. Il n'y a pas de gouvernement mondial. Il n'y a même pas de grande puissance qui, à cette époque-là, on est en pleine guerre froide en plus, peut vraiment imposer une vision du monde. Et par conséquent, ce rapport, il ne s'adresse en fait à personne. Donc c'est un rapport qui, malgré, en tout cas ce que j'en pense moi, malgré sa portée scientifique... et son réalisme, quelque part, tombe un petit peu dans le vide. Ça, c'est un premier élément de réponse, mais qui quand même est assez structurant. Le deuxième élément de réponse, c'est qu'il y a eu des forces qui se sont opposées aussitôt à cette production scientifique. Et ces forces-là, ce sont les forces économiques ou financières. Pourquoi ? Parce que dans World 3, l'approche retenue est une approche très physique. C'est-à-dire qu'il n'y a pas en tant que telle de monnaie, il n'y a pas de PIB, il n'y a pas de puissance financière en jeu. Et donc, évidemment, tout le secteur économique et financier de l'époque se sent entre guillemets lésé. Par le fait que ce modèle-là, ok, c'est un modèle où on calcule des kilocalories pour nourrir les gens, on calcule des quantités de ressources dans le sous-sol pour créer des maisons, des bateaux et des usines, mais tout ça, il n'y a pas de monnaie. Donc, tous les économistes se sentent complètement lésés par ce travail. Et par conséquent, les économistes, en parcourant un petit peu ce qui est écrit dans le premier rapport, mettent tout de suite le doigt sur le fait qu'il manque ce volet financier. Et donc, ils attaquent... attaque le rapport sous cet angle-là, au prétexte qu'il manque le volet financier. Et ça, effectivement, ça fait mouche. Parce que dans les années 70, à la fin des Trente Glorieuses, on va dire, on est dans un monde qui se financiarise. Et dans un monde pour lequel la puissance capitalistique, finalement, est l'alpha et l'oméga, quelque part. C'est-à-dire qu'on pense que c'est la puissance capitalistique qui a fait les Trente Glorieuses. On n'a pas encore cette conscience. que c'est l'énergie abondante du XXe siècle qui est un driver majeur. On pense que c'est l'argent qui est un driver majeur. Comme on pense ça, et que c'est la critique majeure qui est adressée au club de Rome, eh bien le truc s'écroule. C'est-à-dire que la portée du club de Rome, ou du rapport, et la portée des enseignements de World 3, finalement, est battue en brèche. Parce que, évidemment, ces chercheurs-là, qui sont des chercheurs, des physiciens, ne peuvent pas répondre autrement que de dire que... L'argent n'a pas d'importance dans l'avenir du monde. Évidemment, ça, ça tombe complètement à plat. Et ça explique, je pense, pour partie, le fait que le premier rapport du Club de Rome, malgré son succès, comme tu dis, puisque vendu à plus de vingtaine de millions d'exemplaires à l'époque, finalement ne trouve pas l'écho dans les grandes puissances, on va dire, de l'époque. Autant il trouve un écho auprès de certains, puisque c'est quand même ça qui, pour partie, explique la naissance de l'écologie politique. Le premier rapport du Club de Rome, il a quand même cette portée, on le voit aujourd'hui avec le recul historique, il a quand même permis de faire germer dans l'idée de beaucoup, de millions de personnes, l'idée qu'effectivement nous allions avoir un problème écologique. Et ça, c'est vraiment la naissance de l'écologie politique qui naît à cette époque-là, dans les années 70, au milieu des années 70. Donc effectivement, il y a eu un argument très fort qui était qu'il n'y a pas d'argent, même s'il y a un espèce de modèle simplifié du PIB dans World 3, mais qui est un sous-modèle très très simple, trivial, qui est globalement le PIB proportionnel à la production industrielle mondiale.

  • Speaker #1

    On s'est finalement déjà beaucoup parlé d'histoire ensemble, je vais tout de même te demander maintenant... de devenir s'il te plaît archiviste, selon toi quel événement clé, méconnu voire même inconnu, a marqué l'histoire et se fait encore sentir aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Alors c'est pas un événement clé, c'est plutôt un non-événement que je souhaite évoquer ici. C'est vraiment le fait que nous n'ayons pas depuis World 3 développé un outil de prospective beaucoup plus performant. Et ça, ça reste vraiment pour moi une interrogation, parce qu'aujourd'hui nous n'avons pas finalement de modèle prospectif digne de ce nom. Alors qu'est-ce que j'appelle un modèle prospectif ? C'est un modèle numérique qui permettrait de répondre à l'une des questions. suivante première question que sera le monde en 2100 si les règles actuelles ne changent pas si on suppose on fait du business as usual et que sera le monde en 2100 deuxième question que sera la france en 2100 et bien aujourd'hui si vous allez chercher sur internet, sur les sites ministériels français, vous serez bien en peine de trouver un outil qui ne serait-ce que cherche à répondre à la question. Donc en France, nous n'avons pas de modèle numérique, donc d'aide à la décision quelque part, pour nos grands décideurs politiques. Nous n'avons même pas de modèle qui se pose cette question. Que sera la France dans les décennies à venir ? Pourquoi ? Parce que il y a deux raisons à ça. La première raison, c'est c'est que nous avons créé beaucoup de modèles sectoriels et des modèles d'experts. C'est-à-dire que chaque secteur économique, l'automobile, l'énergie, l'agriculture, tout ça, ce sont des domaines qui se sont fortement spécialisés depuis le XXe siècle. Et donc, on a créé des modèles numériques qui sont des modèles sectoriels. Et ces modèles sectoriels, par définition, ils adressent une question d'un secteur de l'économie donné. Ils vont chercher à répondre à la question. quelle sera l'agriculture française dans deux ans, s'il y a tel niveau d'énergie entrant, s'il y a telle contrainte financière, s'il y a telle hypothèse de réglementation sur la pollution. Donc ces modèles, ils cherchent à répondre à des questions. très très précises, sous des contraintes très très précises. Donc souvent des contraintes réglementaires de très court terme. Que se passe-t-il s'il y a une inflation à 3% l'an prochain, plutôt qu'à 1,5% ? Et tous les grands secteurs de l'économie sont aujourd'hui modélisés par des outils comme ça. Alors évidemment, quand on fait travailler nos scientifiques, nos économistes, nos chercheurs sur des modèles qui cherchent à répondre à des questions très précises sur le très court terme. on a à la fin des outils qui répondent à des questions très précises de très court terme. Le problème de ces outils, c'est qu'ils ne peuvent évidemment pas répondre à la question Que sera la France en 2100 ? Ils ne sont juste pas faits pour ça. Alors après, on peut dire Il suffit de prendre tous ces modèles-là, de les mettre ensemble, et puis ça va répondre à la question. Alors, manque de bol, c'est absolument infaisable du point de vue technique. Ces modèles sont beaucoup trop complexes, ce sont des modèles d'experts. Globalement, à part ceux qui les ont créés, personne ne sait décrypter les modèles. millions de lignes de code qu'il y a là-dedans. Au contraire de World 3, World 3 est un modèle que je pense qu'on aurait vocation à mettre dans les collèges et les lycées, parce que je pense que nos jeunes, en l'espace d'une semaine, ils auraient apprivoisé la bête, là, et c'est un modèle trivial, on clique sur le rectangle, on voit ce qui est écrit dans le rectangle, on comprend que c'est la population, et on voit comment c'est fichu. Et donc on voit les interactions avec des petites flèches entre les différences au modèle. Tout ça est très simple, très astucieux, contrairement à nos gros codes de calcul aujourd'hui qui sont sectoriels. Alors, dans mon livre, justement, dans le quatrième chapitre, là, je fais un panorama de tous ces modèles français, par exemple, qui existent, et des modèles mondiaux. Par exemple, les gens m'ont posé la question, là, de, oui, mais quand même, les modèles du changement climatique, pas. Ceux qui disent que ce sera le monde en 2100, 2200, et tout ça, ce sont bien des modèles qui prédisent l'avenir, entre guillemets. Absolument pas. Ce sont des modèles dans lesquels on injecte une hypothèse exogène qui est Ah, ben on va supposer que la population évolue comme ça ou comme ça à horizon 2100-2200. Ah, on va supposer que la population par individu émet telle pollution, machin. Et du coup, on fait les calculs de changement climatique à horizon 2100-2200. Par contre, il n'y a pas d'interaction du changement climatique sur les gens. Donc, on fait une hypothèse exogène qui est évolution de la population, on en déduit un changement climatique. Et ça, c'est le contraire de ce que fait World 3. World 3 dit, j'ai une population qui du coup interagit avec son système industriel, qui crée de la pollution, la pollution réinteragit en réduisant l'espérance de vie des gens. Donc World 3, il auto-calcule les choses, alors que là, dans tous ces grands modèles, qu'on appelle souvent les modèles IAM, Integrated Assessment Models, typiquement les modèles du GIEC, on injecte dans ces modèles des hypothèses exogènes. Sur l'évolution. de la population, du PIB, du niveau d'émissions de gaz à effet de serre, etc. Donc, dans ce quatrième chapitre du livre, quelque part, je déconstruis un petit peu le mythe en étudiant chacun des modèles. Les modèles de Bercy, de la Banque de France, du Trésor, que sais-je, du ministère de l'Agriculture, de l'ADEME, qui pourtant essayent de faire des efforts, justement, en couplant plusieurs modèles entre eux pour essayer d'avoir une vision prospective plus solide. Donc, je déconstruis un petit peu... le mythe comme quoi l'état français a en son sein un outil de prospective qui lui permet de voir ce que sera la France en 2100. Donc ça c'est ce que je fais, je le fais aussi au niveau un petit peu plus international pour montrer que c'est un petit peu partout pareil finalement, c'est à dire que tous les pays se sont créés des modèles très sectoriels mais qu'il n'y a pas de modèle global. Le seul qui peut-être se rapproche un petit peu de ça c'est James. qui est un modèle justement un peu plus global. Et puis je conclue quand même ce quatrième chapitre en montrant qu'il existe des initiatives scientifiques, notamment au sein de l'Europe. pour créer finalement un World 3 moderne, ensuite faire un modèle européen qui serait couplé à ce World 3 moderne, et ensuite faire un modèle national qui serait couplé à ces deux autres modèles européens et mondiaux. Donc ça, c'est l'initiative qui s'appelle MEDEAS, qui est un projet européen de recherche. Mais vous le voyez bien, c'est un projet de recherche. Ce n'est pas un projet pour notre Premier ministre ou pour notre Président. C'est un projet de recherche. Autrement dit, il est encore dans les labos de recherche. Il n'est pas du tout mis à disposition des politiques. Et c'est bien là tout l'enjeu du livre.

  • Speaker #1

    Et comment, toi, tu t'expliques cette absence de modèle systémique qui reboucle sur lui-même, qui n'est pas... tributaire d'hypothèses exogènes. Tu nous as parfaitement expliqué les intuitions de départ de World 3, les intuitions du Club de Rome, d'Aurelio Peccei, le travail de Jay Forrester, de son équipe de chercheurs, les résultats, la qualité par ailleurs, la simplicité. Il n'y a aucune limite technique aujourd'hui d'après ce que tu nous dis, à recréer de tels modèles. Où sont les freins ? Comment est-ce possible quelque part que nous réalisions ensemble aujourd'hui tous les deux ? Tu l'as réalisé avant moi. que ce modèle n'existe pas ?

  • Speaker #0

    C'est une vraie interrogation. Alors, j'ai interrogé le SGPE, le secrétaire général à la planification écologique, sur ce point. Et ce qu'il est ressorti de nos discussions, c'est que nos politiques, aujourd'hui, ont une aversion à des modèles qui leur échapperaient. Je l'ai dit, la plupart des modèles existants dans tous les ministères sont des modèles d'experts. Ce sont des modèles extrêmement précis, sont des modèles incompréhensibles pour des gens qui ne sont pas des experts du domaine. Et donc, je vais le dire avec d'autres mots, on peut... peut faire dire au modèle à peu près ce qu'on veut aujourd'hui, au modèle d'expert. Puisque personne n'ira vraiment vérifier les hypothèses qu'on y met dedans, et personne n'ira vérifier les équations à part les concepteurs du modèle. Et donc nos politiques savent bien tout ça. Savent bien que les modèles qui servent aujourd'hui à répondre à leurs questions sont des modèles qui leur échappent à eux. Or ce sont des hommes politiques, ce sont des hommes qui sont, et des hommes et des femmes évidemment, qui sont attachés à la maîtrise de leurs décisions. Les modèles aujourd'hui existants sont des modèles qui échappent totalement à leur contrôle. Donc ils ont une aversion profonde à utiliser ces modèles. Bien sûr, ils font travailler leurs administrations avec ces modèles. Mais l'utilisation des résultats qui en résultent, les politiques se donnent le droit d'utiliser ou pas le résultat. Parce qu'ils savent très bien que ce n'est pas un résultat qui est à leur main. Et c'est ce que je défends dans le livre. Ce que je défends dans le livre est une approche nouvelle. C'est une approche dans laquelle nous ne confierions pas à des experts la construction d'un modèle France ou d'un modèle monde. C'est que ce modèle soit construit, déjà pas par des experts, mais par des spécialistes, et qu'il soit construit avec une visibilité très forte du politique, en l'occurrence du Parlement. C'est ce que je propose dans mon livre. Parce qu'effectivement, nous ne sortirons jamais de l'ornière si nous conservons l'approche actuelle, qui est une approche en silo et une approche d'experts. Ça, un politique n'achètera jamais. Et je le comprends, quelque part. Je le comprends quand on... On est décideur, on veut avoir l'impression qu'on décide en connaissance de cause. Or, les modèles sont trop complexes aujourd'hui. Donc, il convient de mettre en œuvre, ou il conviendrait de mettre en œuvre une action globale, nationale, dans laquelle, évidemment, des experts seraient mandatés pour travailler, mais sous contrôle de spécialistes. qui eux-mêmes rendraient compte au Parlement, pour bien faire comprendre à chaque étape toutes les hypothèses, comment le truc est construit, quelle est sa finalité aussi. Parce que la question de fond de tout ça, c'est quelle France... voulons-nous dans un monde sous contrainte ? Aujourd'hui, les gens ne veulent pas d'un monde prédestiné, ils veulent de l'espoir. Donc ils ne veulent pas qu'on leur dise les choses vont se passer comme ça dans deux ans, dans trois ans. ans, dans 10 ans, dans 50 ans. Ils veulent de l'espoir, ils veulent des chemins possibles et ils veulent choisir parmi ces chemins possibles. Et donc, les modèles d'experts aujourd'hui sont vus comme des modèles trop prédictifs. On dit, voilà, si vous avez ça et ça, ça comme hypothèse, il y a ça en sortie. Les gens ne veulent pas de ça et les politiques pas plus. Et moi pas plus d'ailleurs. Moi ce que je veux, c'est quelque chose qui éclaire sur le champ des possibles. Nous allons être sous contrainte à cause des limites planétaires. C'est ce qu'on a évoqué en premier partie de cet entretien. Et ça, ça se révélerait. C'est à dire que effectivement ça a été pressenti depuis quelques décennies, maintenant c'est avéré, nous sommes aux limites planétaires. Bien, ça veut dire que le monde va être sous contrainte. Et donc dans un monde sous contrainte, on va avoir différents chemins possibles. Celui de la consommation qui continue, qui va probablement nous amener à l'effondrement. Celui d'une réduction de la consommation qui pourrait nous amener à quelque chose de plus durable. Celui voire même de la sobriété qui pourrait nous amener à un monde encore plus durable. mais avec certainement beaucoup plus de contraintes. Donc tous ces chemins-là sont peut-être possibles, mais encore faut-il le savoir, encore faut-il savoir qu'est-ce qui sera possible de ce qui sera impossible. Par exemple, ce qu'a montré World 3, c'est que la croissance continue, positive, tout au long du XXIe siècle est à coup sûr impossible. Ça, c'est ce qu'a montré World 3. Typiquement, World 3 montre, et moi j'ai tourné tous les potards de World 3 depuis 10 ans, je ne trouve pas, je ne trouve pas de... en tournant les paramètres et les variables du modèle là, de World 3 qui permettent une croissance continue du monde jusqu'en 2100. A chaque fois, ça finit par s'écrouler, à cause de toutes les raisons que j'ai dites tout à l'heure. C'est-à-dire, quand on cherche à franchir une limite, de toute façon, les autres se rappellent à nous. Et donc, il conviendrait aujourd'hui déjà d'avoir quelque chose qui nous permette de calculer les chemins possibles, physiquement possibles, dans un monde sous contrainte, dans un monde fini, avec les limites planétaires. quels sont les chemins qui sont encore possibles. Parmi ces chemins, le politique pourrait reprendre ses droits et dire, dans ce champ des possibles, moi je suis de droite ou de gauche et je préfère aller vers telle ou telle direction. Mais dans un champ des possibles connu. Ce qui manque aujourd'hui, c'est que justement dans tous ces modèles sectoriels que j'évoquais tout à l'heure, il n'y a pas par exemple les limites planétaires.

  • Speaker #1

    La liaison est toute trouvée avec la troisième et dernière partie de notre échange. Je te propose maintenant d'être acupuncteur. Quelle est la décision ? Quelle est l'action ? Quelle est l'intervention qui, selon toi, pourrait contribuer significativement ? A la fabrique d'un monde habitable, je pense que tu as déjà apporté les premiers éléments de réponse. Est-ce que tu peux prolonger ta réflexion dans la peau de cet acupuncteur ?

  • Speaker #0

    Bien sûr, bien sûr. L'action que je souhaiterais entreprendre, ou qui soit entreprise, serait de faire prendre la décision qu'un outil soit construit pour répondre à ce besoin que nous avons de piloter notre destin. De plus en plus, nous voyons que nous subissons les choses. Les contraintes s'imposent à nous. Évidemment, à l'heure de la guerre en Ukraine, du changement climatique, des tensions sur l'eau, sur les ressources agricoles. sur les ressources halieutiques, etc., on voit bien que tout ça s'impose à nous. Donc ce que je souhaiterais, si j'étais effectivement cet accompagnateur génial là, c'est que nous décidions en France de créer cet outil systémique prospectif qui nous aide à voir les chemins possibles dans les décennies à venir. C'est la thèse défendue dans mon livre, dans le dernier chapitre de mon livre, qui explique qu'aujourd'hui nous... En France, nous avons toutes les compétences, nous avons toute l'organisation sociétale, dans nos ministères, dans les grandes administrations, dans nos grands centres de recherche, dans nos laboratoires universitaires, nous avons toutes les compétences. pour, si nous le décidons, nous mettre tous autour de la table, créer des grandes équipes, dont le but serait de construire ce modèle prospectif qui permettrait d'éclairer nos hommes politiques. Ça c'est vraiment l'enjeu. c'est de reprendre la main sur notre destin. Parce qu'on peut très bien rêver d'une France et d'un monde qui continue comme aujourd'hui. Mais est-ce que ça c'est possible ? Il faut répondre à cette question. calculer si ça c'est possible. Beaucoup de gens, Jean-Marc Jancovici le premier, Philippe Biwix, Aurélien Barraud, plein de gens aujourd'hui disent que ça c'est impossible. Vérifions-le. Vérifions-le. Mettons les gens autour de la table, faisons-les travailler autour d'un projet commun de construction d'un outil qui nous permettrait de savoir ce qui est possible de ce qui est impossible. Parce que ce qui est possible, c'est l'effondrement. Ça, évidemment, la guerre mondiale, on sait que c'est possible. On en a déjà vécu deux. Peut-être que la troisième n'est pas loin devant nous. Donc, l'effondrement, on sait tout. très bien que ça peut nous arriver. L'effondrement financier, on sait que ça peut arriver. Ça nous est arrivé dans les années 2008, dans les années 1929 et j'en passe et des meilleurs. Tout ça, on sait que ça peut arriver. Donc l'effondrement, le capire ou les effondrements, ça on sait tous, chacun en âme et conscience que ça peut arriver. Par contre, la croissance infinie éternelle, ça effectivement, des vieux modèles comme World 3 disent que c'est impossible. Et du coup, qu'est-ce qui est possible entre les deux ? C'est quoi ? qui est possible entre l'effondrement, quelque à pire, la croissance perpétuelle, probablement pas possible, une durabilité qu'on cherche à atteindre, mais sans savoir ce qu'il faut faire pour l'atteindre. Quels sont les chemins possibles ? Ça, en France, nous sommes... probablement l'un des rares pays au monde à avoir toute cette intelligence collective pour créer ce modèle. Ce que je propose dans le livre, c'est que nous lancions cette initiative nationale de faire travailler les gens ensemble. de redonner un projet collectif qui soit un projet positif pour lequel nous ne chercherions pas à avoir raison ou tort puisque l'idée serait déjà de construire l'outil. Et ça, je pense que c'est un projet fédérateur. Je pense que c'est un projet fédérateur. Alors, pour illustrer un petit peu ce que pourrait être ce travail un peu collectif, mais souvent un petit peu d'un jeu ou d'une question un peu iconoclaste, je vais te poser, Thomas, un petit sujet de réflexion et nos auditeurs pourront s'en nouer. Supposons que dans les jours qui viennent, nous décidions collectivement, vraiment à l'unanimité, on oublie tous nos querelles, et on décide d'imaginer une France qui serait une France dans laquelle nous aurions tous l'obligation d'aller au travail en transport en commun. Sans exception, président de la République compris, tout le monde aurait l'obligation d'aller au travail en transport en commun. Alors le premier réflexe c'est évidemment... évidemment, de se dire, mais tout ça est impossible, tel médecin ne pourrait pas, tel pompier ou tel militaire, que sais-je, ne pourrait pas faire ci, ou le président, évidemment, ne pourrait pas se tremballer en transport en commun. Mais plaçons-nous dans l'exercice intellectuel de dire, mais si nous devions le construire, on suppose que nos moyens financiers le permettent. Et on se met à réfléchir à cette France dans laquelle nous pourrions tous aller. au travail en transport en commun. Et donc on se projette intellectuellement. C'est quoi ? Ça veut dire que même dans les campagnes, on met en place des organisations de transport bien sûr, mais des organisations du travail, des organisations en dehors du travail finalement, parce que si on sait aller au travail en transport en commun, on sait le week-end aller faire ses loisirs avec ses mêmes transports en commun, on sait évidemment aller faire ses courses avec le transport en commun. Et comme ça s'imposerait à tous, d'après mon hypothèse de départ, pour faire garder ses enfants, la baby-sitter, elle peut venir aussi en transport en commun, puisqu'on ne fait aucune exception. Donc les transports en commun seraient... développer en conséquence, mais toute la société française serait en fait transformée. Donc on voit qu'à partir d'une question qui est une question sous forme de boutade ou de jeu, de dire que c'est quoi la France dans laquelle tout le monde on dirait en transport en commun, au travail, en fait, nous faisons un exercice de mais est-ce que cette France-là ne serait pas une France désirable ? Et quand on y réfléchit un petit peu, comme tout le monde devrait mettre la main à la pâte, pas pour réfléchir à cette France de transports en commun, on aboutirait probablement à une France qui serait probablement très enviable. Les gens, aujourd'hui, finalement, je vais la faire courte, mais moi, mon opinion, c'est que les transports en commun, ce n'est pas pour les riches, si je la fais courte. Mais si demain, on dit que tout le monde doit contribuer à cette construction, les riches auront tout intérêt à ce que les transports en commun soient très adaptés, y compris pour eux. Et donc, nous aurions envie... France très probablement absolument génial. Absolument génial. Donc c'est une petite... Voilà, je termine un petit peu cet exercice un peu de pensée qui est assez iconoclaste je pense. Mais c'est pour ça que cette réflexion systémique, c'est-à-dire cette réflexion globale, on voit qu'en fait dès l'instant qu'on met tout dans la balance, qu'on met tous les gens et que ça touche leur avenir commun, et bien en fait on peut réfléchir à des changements complets de ce société. On peut réfléchir, je le pense, à un pays et à un monde plus beau, à un monde plus acceptable, plus enviable, parce que nous nous mettons dans une posture de construire quelque chose collectivement. C'est à mon sens ce qui manque aujourd'hui aux gens. Il manque ce petit espoir de construire quelque chose d'enviable et de le construire ensemble. Et bien finalement, c'est ce que m'a appris la systématique. C'est-à-dire que partant de World 3 en 2012, de fil en aiguille, j'en arrive à l'idée que si nous subissons autant de tensions, et notamment sociétales en ce moment, c'est parce que nous n'avons plus de projet commun. Et finalement, World 3 m'amène aujourd'hui à proposer plutôt des projets politiques, que ce soit la construction d'un outil prospectif national, ou cette France enviable de transports en commun, ou plein d'autres choses, des TVA variables sur les certains... un produit, etc. Parce que, en fait, ça améliorerait la vie des gens. Voilà. Tout simplement.

  • Speaker #1

    Alors, on va laisser les auditrices et les auditeurs méditer sur le défi que tu nous as lancé. Je retiens peut-être quelques mots-clés. Ta découverte en 2012 avec World 3, avec les travaux des chercheurs du MIT, t'as ouvert à la nécessité et à la faisabilité d'une prospective qui soit à la fois créative et compatible avec les limites planétaires. Et cette prospective d'un genre nouveau, qui a été finalement déjà envisagée il y a longtemps, on a parlé de l'année 1972, cette prospective d'un genre nouveau ne vient pas apporter des réponses supplémentaires à des questions qui seraient posées d'avance, mais nous aide à reposer les questions qui peut-être sont les plus importantes pour trouver des voies et faire société autrement. Je rappelle en 30 secondes le titre de ton ouvrage, Christophe, la pièce manquante de la transition écologique française. Seychelles Armattan, merci à toi.

  • Speaker #0

    Merci Thomas.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode de No Limits, produit par Logarithme. L'ensemble des épisodes est disponible sur toutes les plateformes et sur le site atelier-desfuturs.org. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous et n'hésitez pas à en parler autour de vous. A bientôt !

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Description

Christophe Mangeant travaille à la Direction Générale de l’Armement.


Lorsqu’il découvre les travaux des chercheurs du MIT, emmenés par les époux Meadows et par Jorgen Randers, il décide de s’intéresser de très près à la modélisation systémique. Pour rendre compte de ses travaux, il a fait paraître l’été dernier aux éditions de L’Harmattan un essai intitulé : La pièce manquante de la transition écologique française.


Dans l’entretien à suivre, Christophe commence par s’interroger : l’avenir donnera-t-il raison aux chercheurs du MIT ? Leurs prévisions s’avèreront-elles justes ?


Ensuite, il se tourne vers le passé et se demande pourquoi personne – ni en France, ni en Europe, ni ailleurs dans le monde – n’a jusqu’ici engagé les moyens nécessaires pour développer un modèle numérique global, vraiment prospectif, et destiné à éclairer les choix des décideurs politiques et économiques.


Pour finir, il conclut avec une expérience de pensée : et si, demain, les transports en commun devenaient obligatoires pour tous ?


Entretien enregistré le 28 novembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je peux un peu l'entendre.

  • Speaker #1

    Nos limites. Un podcast de Thomas Gauthier, produit par Logarith. La grande menace de la changement climatique pourrait définir les contours de ce sens. Le monde s'est réveillé. Et la changement est venu. Que vous l'aimiez ou non. Une enquête aborde du vaisseau Terre à la recherche d'un nouveau cap pour l'humanité. Nous sommes en train d'atteindre les limites planétaires.

  • Speaker #0

    Nous sommes en train de détruire ce qui nous permet de vivre.

  • Speaker #1

    La modernité, c'est la vitesse. Et c'est vrai que ça va un peu vite. Aujourd'hui, on ne va pas se permettre de ne pas s'engager. Il faut qu'on soit dans une science de combat. Enseignant-chercheur à EM Lyon Business School, Thomas va à la rencontre de celles et ceux qui explorent le futur et se remémorent l'histoire pour bâtir un monde habitable dès aujourd'hui. À chaque épisode, son invité, curieux du monde à venir, commence par poser une question à l'oracle. Ensuite, tel un archiviste, il nous rapporte un événement méconnu du passé dont les conséquences sont pourtant bien prégnantes dans le monde actuel. Pour conclure, il devient acupuncteur et propose une action clé afin d'aligner les activités humaines sur les limites planétaires. Christophe Mangent est colonel et travaille à la Direction Générale de l'Armement. Lorsqu'il découvre les travaux des chercheurs du MIT, emmenés par les époux Meadows et Jürgen Randers, il décide de s'intéresser de très près à la modélisation systémique. Pour rendre compte de ses travaux, il a fait paraître l'été dernier aux éditions de l'Armatan un essai intitulé la pièce manquante de la transition écologique française. Dans l'entretien à suivre, Christophe commence par s'interroger. L'avenir donnera-t-il raison aux chercheurs du MIT ? Leurs prévisions s'avèreront-elles justes ? Ensuite, il se tourne vers le passé et se demande pourquoi personne, ni en France, ni en Europe, ni ailleurs dans le monde, n'a jusqu'ici engagé les moyens nécessaires pour développer un modèle numérique global vraiment prospectif, est destiné à éclairer les choix des décideurs politiques et économiques. Pour finir, il conclut avec une expérience de pensée. Et si demain, les transports en commun devenaient obligatoires pour tous ?

  • Speaker #0

    Bonjour Christophe. Bonjour Thomas. Alors ça y est, tu es face à l'oracle. Quelle est la question que tu as envie de lui poser ? Alors je suis face à l'oracle et donc je lui demande si ce que j'ai écrit dans mon livre... pièce manquante de la transition écologique française est exacte ou pas. Je lui demande si les travaux de l'équipe Meadows, si World 3, si The Limit to Growth est quelque chose qui a vu juste ou si c'est quelque chose qui est totalement hors sol et inexact. Pour nos auditeurs, je crois qu'il faut resituer pour tous ceux qui ne connaissent pas les travaux du club de Rome et de l'équipe Meadows, il faut resituer un petit peu le... les travaux dans leur contexte de l'époque, dans les années 70, et puis il faut détailler un petit peu ces travaux. Ces travaux, je les décris dans mon livre. Ce que je souhaite ici, c'est synthétiser un petit peu la portée de ces travaux. La question des limites à la croissance, de savoir si notre monde est un monde durable ou pas, s'est posée très tôt, et notamment dès l'après-guerre. Un certain nombre, notamment d'industriels, se sont demandé si notre croissance... économique, notre croissance matérielle pouvait se poursuivre au XXe siècle, au XXIe siècle, voire au-delà. Et cette question, au beau milieu des Trente Glorieuses, elle a émergé notamment dans la tête d'industriels qui ont constitué ce qu'on appellerait aujourd'hui un think tank, un groupe de réflexion, qui s'est appelé le Club de Rome, qui était un groupe emmené par Aurelio Peccei, patron de Fiat à l'époque, et qui, en 1968 à peu près, se pose la question de... Mais où va le monde et où va la croissance économique mondiale ? Est-ce que ça va s'arrêter ? Est-ce que ça va se poursuivre au niveau exponentiel comme à l'époque ? Et donc ils cherchent des gens capables de répondre à cette question. Donc il fait un petit peu le tour des labos, des industries, des universités, et puis il tombe sur un certain Jay Forrester, qui travaille pour l'armée américaine, et qui développe à l'époque des systèmes de conduite de tir pour les navires américains. Et donc il fait ce qu'on appellera aujourd'hui de l'automatique ou de l'automatisme. Et donc Jay Forrester a tout de suite l'idée que modéliser le monde des années 70 n'est pas si compliqué que ça. Finalement, le monde c'est quoi ? C'est des gens. Des gens qui ont besoin de nourriture, qui ont besoin de ressources naturelles et qui, quand ils utilisent ces ressources, finalement les épuisent et puis créent de la pollution. Et donc il commence à faire un petit un petit bout de modèle bricolé qu'il appelle World et qu'il propose au club de Rome. Puisqu'à l'époque, comme il travaille sur des systèmes d'automatisme, il a les premiers ordinateurs à sa disposition et donc il est capable de faire cette petite modélisation simplifiée. Les industriels du Club de Rome sont évidemment enchantés par cette approche qui leur permet tout de suite de visualiser finalement le comportement du monde. Et donc ils payent, ils investissent dans un groupe de recherche du MIT, 17 jeunes chercheurs, emmenés par un élève de justement Jay Forrester qui s'appelle Dennis Meadows, et qui va pendant deux ans développer plus finement le premier modèle world que Jay Forrester avait créé. Et donc il va aboutir en 1972 à un modèle qui s'appelle World 3. Alors World 3 c'est donc un modèle qu'on appelle systémique, un modèle global du monde, très simplifié, mais un modèle qui tourne sur les premiers ordinateurs de l'époque. Alors ça, c'est le premier coup de génie de l'équipe Nidoz, c'est d'avoir conçu, dès les années 70, et fait tourner sur les premiers ordinateurs, un modèle simplifié du monde, un modèle prospectif, quelque chose qui calcule l'évolution du monde jusque dans les années 2100. Donc qui va très loin dans le futur, et qui propose une explication de comment fonctionne le monde. Donc ça c'est le premier coup de génie, et j'aurai l'occasion d'y revenir, c'est d'avoir créé un modèle... prospectif systémique global de l'évolution du monde. Le deuxième coup de génie de l'équipe Meadows, c'est d'avoir, dès le début dans ce modèle World 3, intégré la notion de limite planétaire. Alors pourquoi c'est un coup de génie à l'époque ? Parce qu'on est en 1970, et que le concept des limites planétaires, notamment, qui a été mis, on va dire, sur la place publique scientifique depuis quelques années par l'équipe Rockström, à l'époque, était un concept qui... Pas dans les esprits du tout, encore une fois, on est dans les trente glorieuses. Donc on est dans une époque où il n'y a pas de limite. Tout est permis, la croissance est de plusieurs pourcents par an, et on n'en voit pas le bout, et on va sur la Lune, et pourquoi pas plus loin ailleurs, et donc il n'y a pas de limite. Or l'équipe Milos voit bien qu'il y a des limites, il y a des limites physiques partout. Il y a d'abord des limites dans la quantité de ressources non renouvelables dans le sol. La Terre étant une planète finie, Elle est constituée d'un certain nombre d'atomes et ces atomes-là, dans le sous-sol, sont non renouvelables. Et donc, ça, c'est une première limite physique qu'ils introduisent dans leur modèle et j'aurai l'occasion d'y revenir. Il y a d'autres limites dans le modèle World 3, des limites comme, par exemple, la surface des terres arables. Les terres émergées sont en quantité finie sur Terre, donc il y a un certain nombre d'espaces terrestres. qui peuvent être dédiées à l'agriculture et puis on en trouve quand même assez vite les limites. Une autre limite également introduite dans le modèle, c'est la notion des rendements des sols. On est à une époque où on commence à introduire massivement dans les sols des engrais, les rendements agricoles augmentent, mais on voit bien que... Tout ça va toucher à un moment donné une asymptote, donc une limite dans la production de nourriture. Les chercheurs du MIT voient bien aussi qu'il y a des limites, on va dire biologiques ou physiologiques. Le taux de fécondité d'une femme, dans le modèle, globalement, c'est 12 enfants. Évidemment, peut-être que certaines femmes dans le monde ont eu plus que 12 enfants, mais on voit bien qu'il y a une limite physiologique qui existe et qu'il est difficile de la dépasser. L'espérance de vie également. L'espérance de vie, dans le modèle World 3, est quelque chose qui est drivée par la quantité de nourriture ou la quantité de soins que reçoivent les gens. Le facteur multiplicateur de l'espérance de vie liée aux soins ou à la nourriture, c'est quelque chose qui varie entre 1 et 2 globalement. Et du coup, on peut avoir une durée de vie qui, depuis la durée de vie des années 40, qui est plutôt de l'ordre de 40 ans, l'espérance de vie à la naissance, passe à 60 ans, 80 ans, si on est bien nourri et bien soigné, mais guère au-delà. Donc on voit bien qu'il y a aussi une limite physiologique. par principe mise dans le modèle. Donc ça ce sont les limites un petit peu qu'on voit, soit sur la Terre, soit chez les humains. Il y a une autre limite un petit peu plus subtile qui est introduite dans le modèle, qui est la limite sur le capital industriel. Globalement, pour résumer et pour faire simple, la durée de vie d'une usine, si on ne s'en occupe pas, elle n'est pas infinie. Dans le modèle World 3, une usine, globalement... Tous les 14 ans, globalement, il faut la renouveler, c'est-à-dire que tous les ans, il faut renouveler un quatorzième de l'usine pour que l'outil productif continue à produire. Alors ça, c'est un thème qui est relativement intéressant à regarder. J'ai écouté, il y a quelques jours, sur France Inter, un débat sur certaines mairies qui se plaignaient du coup des routes, de l'entretien des routes. Ça, c'est exactement ce qui est dans World 3. C'est-à-dire que globalement, quand on a une infrastructure, qu'elle soit industrielle ou routière ou que sais-je, il faut l'entretenir. Et plus on a d'infrastructures, plus ça coûte de l'entretenir. Et bien si on a beaucoup de routes, ça coûte très cher de les entretenir. Et donc au bout d'un moment, il y a un équilibre qui se fait entre le nombre de routes qu'on souhaite avoir et le nombre de routes qu'on peut entretenir. Et bien tout ça c'est dans World 3. Donc ça c'est vraiment le premier chapitre de mon livre, commence par ce descriptif des limites World 3 et met en regard ces limites de ce que maintenant la science a mis en lumière depuis une quinzaine, vingtaine d'années. à savoir ce qu'on appelle aujourd'hui les limites planétaires. Avant de te laisser continuer, Christophe, j'ai une question peut-être plus intime. Tu peux nous raconter les circonstances de ta rencontre avec ce rapport ? Comment ce rapport t'est tombé dessus ? Raconte-nous ça, s'il te plaît. Oui, oui. Alors, je suis tombé totalement par hasard sur ce rapport lorsque Jean-Marc Jancovici, que je connaissais par ailleurs au travers du Shift Project, m'a indiqué qu'il avait préfacé... Un livre qui s'appelait Les limites à la croissance dans un monde fini en 2012. Et que, voyant mon intérêt pour, on va dire, les choses mondiales, pour le dire simplement, la géostratégie mondiale, à l'époque, alors que je ne connaissais rien à la systémique, voyant mon intérêt pour toutes ces grandes questions géostratégiques mondiales, m'a fait part de la parution de ce livre. Et il m'a dit Tiens, Christophe, ce livre va t'intéresser. Parce que tu cherches des réponses. Et il est possible que tu les trouves dans cet ouvrage. Et de fait, tous les questionnements qui à l'époque étaient dans ma tête sur certaines tensions, par exemple liées aux ressources ou certaines thématiques qui émergeaient sur le changement de la vie, climatique par exemple, ou je sais pas moi, des combats de José Bové contre les OGM ou que sais-je encore. Tous ces combats là où toutes ces tensions étaient pour moi dissociées avant les années 2012. Et ce que j'ai découvert au travers de ce livre, et c'est ce que je raconte également en décrivant un petit peu le modèle World 3, c'est le fait que tout est lié. C'est-à-dire qu'on ne peut pas délier l'agriculture de la pollution. Mais on ne peut pas non plus délier l'agriculture de l'industrie, puisque l'industrie fournit les intrants agricoles. On ne peut pas délier notre santé de la pollution, évidemment. Toutes ces choses-là sont très liées. Et c'est finalement ce que m'a fait découvrir le modèle World 3, que j'ai découvert en 2012, à la suite de la lecture de ce rapport, qui était la troisième édition du rapport initial de 1972, puisque les limites à la croissance est parue la première fois en 1972. C'est le premier rapport du Club de Rome. Puis une seconde fois, il a été réédité, on va dire amélioré ou modernisé en 1980. et puis il a été réédité en 2004 en anglais, toujours par cette même équipe du MIT, et traduit en français donc en 2012. Voilà, donc c'est comme ça que je suis tombé sur ce livre, qui effectivement m'a montré que tout était lié, et c'est le deuxième coup de génie de l'équipe Midos. Ce deuxième coup de génie, c'est d'avoir montré que la puissance d'un modèle systémique n'est pas précision de chaque sous-modèle, mais dans le fait de lier les choses entre elles. Merci. Et ça, c'est la grande, grande force de l'approche systémique, l'approche globale. Autrement dit, on ne cherche pas à être expert de tel domaine ou tel autre domaine. On cherche au contraire à lier toutes les thématiques qu'on veut étudier entre elles et à montrer les interactions entre toutes ces thématiques. Je vais y revenir. Mais je termine juste, si tu permets Thomas, sur les limites planétaires. On sait aujourd'hui qu'elles existent. Changement climatique, pollution par les aérosols et autres polluants. dit éternel, le trou dans la couche d'ozone, la dégradation des sols et des forêts, la surconsommation d'eau qui pose aujourd'hui, et on le voit, qui revient sur le devant de la scène, la perturbation massive des cycles de l'azote et du phosphore, l'acidification des océans et l'effondrement de la biodiversité. Donc ces grandes limites, aujourd'hui la science les met en lumière, mais il y en a bien d'autres, il y en a bien d'autres en fait, et elles s'appellent PIC. du pétrole, pique des fossiles. Elle s'appelle aussi diminution de la teneur en minerais. Je sais que tu as reçu Philippe Biouix, par exemple, dont on peut saluer justement le message sur toutes ces questions liées aux ressources. Et donc, aujourd'hui, nous voyons que nous touchons aux limites. Donc ça c'est le premier coup de génie de World 3 et de l'équipe Windows, c'est d'avoir vu ça dès les années 70, c'est-à-dire d'avoir vu qu'il était important de mettre dans ce modèle des limites, sans savoir à quel moment on les atteindrait, mais d'avoir introduit dans le modèle le principe même qu'il y a des limites, et que le modèle est censé calculer quand on va les atteindre. Le deuxième coup de génie, donc je l'ai dit, c'est vraiment le fait d'avoir lié les choses entre elles. Alors comment ça se passe dans World 3 ? C'est très très simple, il y a cinq grandes catégories d'éléments qui sont liés entre eux. D'abord... La population, les gens. Le modèle World 3, c'est d'abord la vie de tous les jours. Il y a des enfants, il y a des adultes, il y a des personnes âgées. Ces gens-là ont besoin de manger pour vivre et donc il leur faut de la nourriture. Donc il faut un système agricole capable de produire de la nourriture. C'est le deuxième système qui est étudié. La vie de tous les jours, que ce soit pour construire nos maisons, nos usines ou fournir des biens justement à l'agriculture, nécessite des ressources non renouvelables. L'agriculture étant finalement le volet renouvelable des ressources non renouvelables qu'on trouve dans le sous-sol. Donc le troisième pan qui est étudié, qui est modélisé, c'est les ressources non renouvelables. Quand on vit, qu'on construit des choses et qu'on se nourrit, on pollue. Donc un quatrième paramètre qui est introduit là-dedans, c'est la notion justement de pollution, qui du coup a un effet évidemment rétroactif. sur le système, puisque plus il y a de pollution, plus l'espérance de vie des gens diminue, et plus du coup ça va réguler quelque part le système. Donc le deuxième chapitre de mon livre, il décrit justement ce qu'est le modèle World 3 finalement, et il explique en fait ces grandes interactions entre la pollution, le capital industriel qui permet de produire les choses, le capital agricole qui permet de nourrir les gens, la pollution qui va réguler tout ça, et bien sûr les ressources. qui sont la base de la vie de tous les jours. Et donc, qu'est-ce qu'ont fait les chercheurs du MIT ? Plutôt que de faire des choses très très précises sur chacun de ces sous-ensembles-là, ils ont dit, mais ce qui est important, c'est d'abord de montrer les interactions. En quoi les ressources naturelles peuvent-elles limiter ou pas le système humain ? Et bien ça c'est le troisième coup de génie de World 3. Le troisième coup de génie de World 3, c'est d'avoir présupposé qu'on se fichait de comment les ressources étaient utilisées. C'est-à-dire qu'on ne cherche pas à dire le sable sert à faire... tant de béton ou tant de verre parce que à l'époque en 1970 tout ça est inaccessible du point de vue des calculs des ordinateurs la puissance de calcul ne permet absolument pas de faire tout ça et par ailleurs ça aurait fait devenir beaucoup trop complexe le modèle world 3 Or, les auteurs, à l'époque, ne voulaient pas que le modèle soit trop complexe. Ils voulaient que ce soit un modèle compréhensible par les gens. Et donc, l'idée, ce n'était pas d'aller faire un modèle d'expert. C'était de faire un modèle relativement compréhensible, relativement simple, mais puissant dans le fait qu'il lie les phénomènes entre eux. Et donc, le troisième coup de génie, c'est quoi ? C'est de dire, le système humain, le système économique, le système industriel, se développe. Les gens mangent, les gens construisent des choses, les gens ont besoin d'infrastructures. Tout ça n'a aucune limitation tant que les ressources naturelles sont suffisamment abondantes. Le modèle présuppose que les ressources naturelles, et notamment les ressources non renouvelables, sont abondantes. Donc le système humain se développe, le modèle est initialisé dans les années 1900. Donc en 1900, la population humaine existe, elle se développe. On est en 1970, donc le modèle World 3 calcule l'évolution de l'humanité entre 1900 et 1970. les auteurs vérifient qu'effectivement les données du modèle sont relativement bonnes et que les liens entre les différents sous-systèmes sont bons parce qu'ils vérifient ça sur la période 1900-1970. Et puis comme le modèle semble donner des résultats cohérents, ils laissent tourner le modèle jusqu'à dans les années 2100. Et donc qu'est-ce que donnent les résultats de World 3 à horizon 2100 ? Dans ce premier modèle, dans ce premier scénario, qui est le scénario business as usual, ce qui se passe c'est que tout se passe très très bien, la croissance économique mondiale reste effectivement très soutenue jusque dans les années 2000. Et puis à partir des années 2000, tout ça ralentit et le système mondial finit par s'effondrer à partir des années 2020-2030. Donc les auteurs qui ont créé ce modèle, qui donc observent sur un premier calcul que le système monde s'effondre à horizon 2020-2030, évidemment, regardent dans le modèle qu'est-ce qui crée cet effondrement. Et donc, ils creusent dans le modèle. comme c'est un modèle bouclé, la difficulté d'un modèle bouclé, c'est qu'on ne sait jamais qui est l'œuf ou la poule. Puisque tout est lié. Tout est lié, tout est calculé en permanent. Est-ce que c'est la population qui est responsable de tel ou tel phénomène, ou la pollution, ou les ressources, etc. Et en fait, ils découvrent que la première... Vraiment, ce qui est majeur dans ce premier scénario, c'est le fait que l'humanité, dans les années 2020, a épuisé plus de la moitié des ressources non renouvelables qui se trouvent dans le modèle. Et ce faisant, Comme leur modèle présuppose qu'à partir de la moitié des ressources, ça va être de plus en plus dur d'aller chercher les ressources non renouvelables restantes dans le sous-sol, le modèle a mis en équation le fait que ça allait devenir plus difficile d'aller chercher les ressources non renouvelables dans le sous-sol. Et donc, évidemment, c'est ce qui se passe à partir des années 2020. Le modèle commence à introduire, à partir des années 2000-2020, Le fait que c'est de plus en plus dur d'aller chercher les derniers atomes de cuivre, de pétrole, de gaz, de charbon, de minerais de fer et tout ça dans le sous-sol. Et donc une grande partie de l'industrie va petit à petit être détournée pour aller chercher les derniers atomes restants. Ce faisant, l'industrie n'est plus capable d'alimenter ce qu'elle alimentait jusqu'à présent, à savoir l'agriculture et les soins, enfin la santé. Et c'est ce qui crée l'effondrement. Très bien, on est en 1970 et les chercheurs de MIT font ce premier scénario et découvrent que s'il n'y a plus assez de ressources, le monde va s'effondrer. une double action à ce moment-là. Ils se disent, un, on s'est trompé sur le niveau de ressources mondiales. Ce sont des scientifiques, donc ils admettent qu'ils peuvent se tromper. Et dans ce cas-là, ils disent, qu'à cela ne tienne. De toute façon, on a mis un certain niveau de ressources dans le modèle, on peut le doubler, le tripler, et puis voir ce que ça donne. C'est l'avantage du modèle numérique. Déjà, ils font ça. Ils disent, on suppose qu'on s'est complètement trompé, qu'il y a beaucoup plus de ressources qui seront accessibles sous terre. On va supposer qu'il y a beaucoup plus de ressources. Et ils l'expliquent aussi en disant, mais finalement, ça, le génie humain, pourraient permettre ça. Demain matin, il pourrait y avoir la fusion nucléaire. On est dans les années 70, donc la fusion, c'est quelque chose qui peut arriver. En tout cas, les scientifiques américains l'espèrent. Donc, ils se disent, mais c'est vrai, si finalement on a une énergie infinie, eh bien, il n'y a pas de raison, on pourrait très bien, on pourrait très bien, comment dirais-je, accéder facilement à une quantité de ressources quasiment illimitée. Donc, en fait, ils font ça, ils augmentent artificiellement la quantité de nourriture. dans leur modèle, et ils voient ce que ça donne. Ils voient ce que ça donne. Donc effectivement, elle explique par l'aspect, ça peut être une transition énergétique finalement, qui crée ça. C'est également le génie humain. Donc les gens qui pensent que dans les travaux du Club de Rome ou dans World 3, il n'y a pas la notion de progrès ou de génie humain, se trompent, puisque justement, pour passer du scénario 1 au scénario 2, ils font justement l'hypothèse que le génie humain s'exerce. qu'on va avoir de l'énergie infinie, que le progrès humain va s'exercer en continu, et donc il n'y aura plus de problème pour accéder aux ressources. Donc ça c'est le passage du scénario 2, c'est on suppose que les ressources seront accessibles. Le scénario 2 est lancé, le run, le modèle tourne avec cette nouvelle hypothèse, et patatras, ça s'écroule. en 2040. Alors effectivement, entre 2020 et 2040, il n'y a pas l'effondrement observé lors du premier scénario, et donc les chercheurs essaient de comprendre pourquoi ça s'écroule 20 ans plus tard, et pas 100 ans ou 1000 ans plus tard. Ce qu'ils comprennent dans le modèle, c'est que la population a continué à croître entre 2020 et 2040, a continué à consommer, a continué donc à polluer. Et en fait, ce qui crée l'effondrement à partir des années 2040, c'est la... sur pollution, la pollution massive, puisque le modèle World 3 tient compte du fait que tout processus industriel ou tout processus agricole pollue. Il y a une certaine quantité de pollution par unité d'action industrielle ou unité d'action agricole. Et donc évidemment, comme la population a continué à croître entre 2020 et 2040, elle a continué à polluer. Et qu'à ce l'entienne, les chercheurs du MIT ayant identifié que la pollution pourrait devenir un problème, font l'hypothèse, on est toujours en 1970. font l'hypothèse que le génie humain, l'intelligence collective va s'exercer et que nos grands décideurs vont dire Ok, on ne peut pas polluer à l'infini comme ça, donc il faut que dès les années 2000 il y ait une espèce de régulation mondiale de la pollution, que nos ingénieurs fassent tout pour réduire les quantités de pollution par unité industrielle ou unité agricole et on rentre ça dans le modèle. C'est l'intérêt du modèle, on peut rentrer ce nouveau paramètre qui est à partir des années 2000 donc dans le futur, puisqu'encore une fois, comme on est en 1970, on peut se dire Ok, il faut un peu de... de temps pour que les gens soient convaincus. Donc, en 2000, on va supposer que tout le monde est convaincu et que les actions techniques sont lancées. Très bien, ils mettent ça dans le modèle, ils font tourner le troisième scénario. Patatras, ce troisième scénario s'écroule en 2050-2060. Aïe ! Donc les chercheurs cherchent dans le modèle, qu'est-ce qui fait s'écrouler le truc dans les années 2050-2060. Ce qui fait s'écrouler le monde... dans ces années-là, c'est le fait que finalement il n'y a plus assez de nourriture pour tout le monde. On a lutté contre la pollution, les ressources sont infinies, mais la population continue à croître, du coup il faut bien la nourrir. Et avec les hypothèses mises dans le modèle jusqu'à présent, les sols n'arrivent plus à produire suffisamment de nourriture. Qu'à cela ne tienne, on est en 1970, les chercheurs de l'MIT disent on va supposer qu'à partir des années 2000, les chercheurs agronomes vont développer des OGM, des machins, des techniques qui permettront au rendement agricole de croître toujours plus à partir des années 2000, pour nourrir la population puisqu'on anticipe qu'il pourrait y avoir des problèmes alimentaires. Très bien, on rentre ça dans le modèle, ça donne le quatrième scénario. Et patatra, le quatrième scénario s'écroule à partir des années 2080. Pourquoi ? Eh bien, érosion des sols. Érosion des sols, c'est-à-dire qu'effectivement, on a créé des espèces végétales qui peuvent croître, par contre, ça lessive les sols. C'est typiquement ce qu'on voit aujourd'hui dans l'agriculture intensive ou industrielle. Eh bien, qu'à cela ne tienne, on est en 1970, on voit ça arriver grâce au modèle World 3, donc on va supposer qu'à partir des années 2000, les ingénieurs... agronomes vont avec le reste de la population mettre en place des techniques douces pour empêcher ce lessivage des sols, ce pompage absolu par la matière végétale des sols. Donc on va mettre en place ce que finalement on appelle aujourd'hui l'agriculture douce ou les techniques agricoles douces. Et donc il rentre ça dans le modèle et effectivement à partir de ce moment là, Le système commence à devenir stable. Alors il se trouve qu'il s'écroule encore un petit peu sur la fin du modèle, enfin sur la fin du XXIe siècle, parce qu'en fait se conjuguent à ce moment-là, sur la fin du siècle, ce qu'ils appellent les polycrises. C'est-à-dire qu'effectivement... La population, on a gagné 50 ans de développement et de stabilité de la population qui consomme. Et en fait, ce qui se passe, c'est qu'on retrouve un petit peu des limites liées aux ressources non renouvelables, qui ont continué à être épuisées, évidemment. On a quand même massivement pollué par le passé, donc il y a encore des petits problèmes de pollution. La population a besoin de manger et du coup, il y a quelques problèmes de nourriture quand même. Et donc...... Le modèle World 3, le dernier scénario, c'est un scénario dans lequel on dit tout ce capital industriel, ce capital agricole qu'on n'a finalement pas challengé en termes de durée de vie, on va l'améliorer un petit peu, on va supposer que les gens en prennent davantage soin. C'est typiquement ce qu'on appellerait aujourd'hui le recyclage quelque part. C'est-à-dire l'augmentation de durée de vie des choses. C'est comment mieux utiliser les choses, augmenter leur durée de vie. Et ça donne un dernier scénario qui est un scénario de stabilité. Alors ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'en 1970, les chercheurs du MIT ont pressenti qu'à partir de la première moitié du XXIe siècle, il pourrait y avoir un besoin de transition écologique. C'est ça qu'ils ont mis en évidence. Ils ont mis en évidence que toutes ces actions de lutte contre la pollution... de lutte contre l'érosion des sols, on va dire de recyclage massif, en tout cas de non-pompage massif des ressources non renouvelables. Tout ça devait être mis en œuvre dans un horizon qui globalement, on va dire le premier quart ou la première moitié du 21e siècle. On est en plein dedans. C'est ça qu'ont mis en évidence les chercheurs du MIT, sachant qu'en plus dans World 3, il n'y a pas de changement climatique. Il n'y a pas de changement climatique. qui est modélisée parce qu'en 1970, ce n'est pas une thématique. Donc c'est ce que j'explique dans les premiers chapitres de mon livre, La pièce manquante, et qui permet de poser une question que moi je m'adresse à moi-même dans les années 2015, une fois que j'ai découvert ce livre-là, qui est ce modèle qui est un vieux modèle de 1972, est-ce qu'on a beaucoup mieux aujourd'hui ? En plus, comme je suis français, évidemment, je crois que nous, français, nous avons développé quelque chose de beaucoup mieux. Et donc, je commence à chercher. Je me dis, bah oui, c'est évident. Les chercheurs du monde entier et les chercheurs français ont développé un modèle équivalent, beaucoup plus moderne, beaucoup plus performant, beaucoup plus précis, voire même qu'ils en ont fait une déclinaison pour chaque pays, puisque là, c'est un modèle globalisé monde. Il n'y a pas de pays, là-dedans, c'est une seule population mondiale. Et donc, je commence à chercher, je m'interroge, je me dis, mais tiens... Comment on fait pour savoir ce que sera la France en 2100 ? C'est quoi les outils ? Parce que le 3 ne répond pas à la question de ce que sera la France en 2100. Et puis, chemin faisant, cherchant un petit peu ce qui existe, je reste un petit peu sur ma faim. Donc c'est ce qu'explique un petit peu la suite du livre, mais je pense qu'on va s'en parler.

  • Speaker #1

    Sur la base de tout ce que tu viens de nous rappeler là, Christophe, il y a une question qui me tarabuste alors. Comment tu t'expliques, plus de 50 ans après ce que je vais appeler l'échec, finalement, de ce travail pionnier des années 1972, comment on s'explique que toute cette pensée, que toute cette ambition de modélisation et d'anticipation aient été mises au rebut malgré des millions d'exemplaires vendus du livre après sa sortie. Comment expliquons-nous le glissement de cette notion de limite à la croissance vers une notion qui a beaucoup plus performé les sociétés, celle du développement durable ?

  • Speaker #0

    Il y a plusieurs éléments de réponse à cette question. Un des éléments a été fourni par Jean-Marc Jancovici. Il y a quelques années, il a dit que... Le problème du club de Rome, c'est qu'en fait, il n'avait pas de client auquel s'adresser. Autrement dit, le rapport du club de Rome, il s'adresse à tout le monde et à personne. Il n'y a pas de gouvernement mondial. Il n'y a même pas de grande puissance qui, à cette époque-là, on est en pleine guerre froide en plus, peut vraiment imposer une vision du monde. Et par conséquent, ce rapport, il ne s'adresse en fait à personne. Donc c'est un rapport qui, malgré, en tout cas ce que j'en pense moi, malgré sa portée scientifique... et son réalisme, quelque part, tombe un petit peu dans le vide. Ça, c'est un premier élément de réponse, mais qui quand même est assez structurant. Le deuxième élément de réponse, c'est qu'il y a eu des forces qui se sont opposées aussitôt à cette production scientifique. Et ces forces-là, ce sont les forces économiques ou financières. Pourquoi ? Parce que dans World 3, l'approche retenue est une approche très physique. C'est-à-dire qu'il n'y a pas en tant que telle de monnaie, il n'y a pas de PIB, il n'y a pas de puissance financière en jeu. Et donc, évidemment, tout le secteur économique et financier de l'époque se sent entre guillemets lésé. Par le fait que ce modèle-là, ok, c'est un modèle où on calcule des kilocalories pour nourrir les gens, on calcule des quantités de ressources dans le sous-sol pour créer des maisons, des bateaux et des usines, mais tout ça, il n'y a pas de monnaie. Donc, tous les économistes se sentent complètement lésés par ce travail. Et par conséquent, les économistes, en parcourant un petit peu ce qui est écrit dans le premier rapport, mettent tout de suite le doigt sur le fait qu'il manque ce volet financier. Et donc, ils attaquent... attaque le rapport sous cet angle-là, au prétexte qu'il manque le volet financier. Et ça, effectivement, ça fait mouche. Parce que dans les années 70, à la fin des Trente Glorieuses, on va dire, on est dans un monde qui se financiarise. Et dans un monde pour lequel la puissance capitalistique, finalement, est l'alpha et l'oméga, quelque part. C'est-à-dire qu'on pense que c'est la puissance capitalistique qui a fait les Trente Glorieuses. On n'a pas encore cette conscience. que c'est l'énergie abondante du XXe siècle qui est un driver majeur. On pense que c'est l'argent qui est un driver majeur. Comme on pense ça, et que c'est la critique majeure qui est adressée au club de Rome, eh bien le truc s'écroule. C'est-à-dire que la portée du club de Rome, ou du rapport, et la portée des enseignements de World 3, finalement, est battue en brèche. Parce que, évidemment, ces chercheurs-là, qui sont des chercheurs, des physiciens, ne peuvent pas répondre autrement que de dire que... L'argent n'a pas d'importance dans l'avenir du monde. Évidemment, ça, ça tombe complètement à plat. Et ça explique, je pense, pour partie, le fait que le premier rapport du Club de Rome, malgré son succès, comme tu dis, puisque vendu à plus de vingtaine de millions d'exemplaires à l'époque, finalement ne trouve pas l'écho dans les grandes puissances, on va dire, de l'époque. Autant il trouve un écho auprès de certains, puisque c'est quand même ça qui, pour partie, explique la naissance de l'écologie politique. Le premier rapport du Club de Rome, il a quand même cette portée, on le voit aujourd'hui avec le recul historique, il a quand même permis de faire germer dans l'idée de beaucoup, de millions de personnes, l'idée qu'effectivement nous allions avoir un problème écologique. Et ça, c'est vraiment la naissance de l'écologie politique qui naît à cette époque-là, dans les années 70, au milieu des années 70. Donc effectivement, il y a eu un argument très fort qui était qu'il n'y a pas d'argent, même s'il y a un espèce de modèle simplifié du PIB dans World 3, mais qui est un sous-modèle très très simple, trivial, qui est globalement le PIB proportionnel à la production industrielle mondiale.

  • Speaker #1

    On s'est finalement déjà beaucoup parlé d'histoire ensemble, je vais tout de même te demander maintenant... de devenir s'il te plaît archiviste, selon toi quel événement clé, méconnu voire même inconnu, a marqué l'histoire et se fait encore sentir aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Alors c'est pas un événement clé, c'est plutôt un non-événement que je souhaite évoquer ici. C'est vraiment le fait que nous n'ayons pas depuis World 3 développé un outil de prospective beaucoup plus performant. Et ça, ça reste vraiment pour moi une interrogation, parce qu'aujourd'hui nous n'avons pas finalement de modèle prospectif digne de ce nom. Alors qu'est-ce que j'appelle un modèle prospectif ? C'est un modèle numérique qui permettrait de répondre à l'une des questions. suivante première question que sera le monde en 2100 si les règles actuelles ne changent pas si on suppose on fait du business as usual et que sera le monde en 2100 deuxième question que sera la france en 2100 et bien aujourd'hui si vous allez chercher sur internet, sur les sites ministériels français, vous serez bien en peine de trouver un outil qui ne serait-ce que cherche à répondre à la question. Donc en France, nous n'avons pas de modèle numérique, donc d'aide à la décision quelque part, pour nos grands décideurs politiques. Nous n'avons même pas de modèle qui se pose cette question. Que sera la France dans les décennies à venir ? Pourquoi ? Parce que il y a deux raisons à ça. La première raison, c'est c'est que nous avons créé beaucoup de modèles sectoriels et des modèles d'experts. C'est-à-dire que chaque secteur économique, l'automobile, l'énergie, l'agriculture, tout ça, ce sont des domaines qui se sont fortement spécialisés depuis le XXe siècle. Et donc, on a créé des modèles numériques qui sont des modèles sectoriels. Et ces modèles sectoriels, par définition, ils adressent une question d'un secteur de l'économie donné. Ils vont chercher à répondre à la question. quelle sera l'agriculture française dans deux ans, s'il y a tel niveau d'énergie entrant, s'il y a telle contrainte financière, s'il y a telle hypothèse de réglementation sur la pollution. Donc ces modèles, ils cherchent à répondre à des questions. très très précises, sous des contraintes très très précises. Donc souvent des contraintes réglementaires de très court terme. Que se passe-t-il s'il y a une inflation à 3% l'an prochain, plutôt qu'à 1,5% ? Et tous les grands secteurs de l'économie sont aujourd'hui modélisés par des outils comme ça. Alors évidemment, quand on fait travailler nos scientifiques, nos économistes, nos chercheurs sur des modèles qui cherchent à répondre à des questions très précises sur le très court terme. on a à la fin des outils qui répondent à des questions très précises de très court terme. Le problème de ces outils, c'est qu'ils ne peuvent évidemment pas répondre à la question Que sera la France en 2100 ? Ils ne sont juste pas faits pour ça. Alors après, on peut dire Il suffit de prendre tous ces modèles-là, de les mettre ensemble, et puis ça va répondre à la question. Alors, manque de bol, c'est absolument infaisable du point de vue technique. Ces modèles sont beaucoup trop complexes, ce sont des modèles d'experts. Globalement, à part ceux qui les ont créés, personne ne sait décrypter les modèles. millions de lignes de code qu'il y a là-dedans. Au contraire de World 3, World 3 est un modèle que je pense qu'on aurait vocation à mettre dans les collèges et les lycées, parce que je pense que nos jeunes, en l'espace d'une semaine, ils auraient apprivoisé la bête, là, et c'est un modèle trivial, on clique sur le rectangle, on voit ce qui est écrit dans le rectangle, on comprend que c'est la population, et on voit comment c'est fichu. Et donc on voit les interactions avec des petites flèches entre les différences au modèle. Tout ça est très simple, très astucieux, contrairement à nos gros codes de calcul aujourd'hui qui sont sectoriels. Alors, dans mon livre, justement, dans le quatrième chapitre, là, je fais un panorama de tous ces modèles français, par exemple, qui existent, et des modèles mondiaux. Par exemple, les gens m'ont posé la question, là, de, oui, mais quand même, les modèles du changement climatique, pas. Ceux qui disent que ce sera le monde en 2100, 2200, et tout ça, ce sont bien des modèles qui prédisent l'avenir, entre guillemets. Absolument pas. Ce sont des modèles dans lesquels on injecte une hypothèse exogène qui est Ah, ben on va supposer que la population évolue comme ça ou comme ça à horizon 2100-2200. Ah, on va supposer que la population par individu émet telle pollution, machin. Et du coup, on fait les calculs de changement climatique à horizon 2100-2200. Par contre, il n'y a pas d'interaction du changement climatique sur les gens. Donc, on fait une hypothèse exogène qui est évolution de la population, on en déduit un changement climatique. Et ça, c'est le contraire de ce que fait World 3. World 3 dit, j'ai une population qui du coup interagit avec son système industriel, qui crée de la pollution, la pollution réinteragit en réduisant l'espérance de vie des gens. Donc World 3, il auto-calcule les choses, alors que là, dans tous ces grands modèles, qu'on appelle souvent les modèles IAM, Integrated Assessment Models, typiquement les modèles du GIEC, on injecte dans ces modèles des hypothèses exogènes. Sur l'évolution. de la population, du PIB, du niveau d'émissions de gaz à effet de serre, etc. Donc, dans ce quatrième chapitre du livre, quelque part, je déconstruis un petit peu le mythe en étudiant chacun des modèles. Les modèles de Bercy, de la Banque de France, du Trésor, que sais-je, du ministère de l'Agriculture, de l'ADEME, qui pourtant essayent de faire des efforts, justement, en couplant plusieurs modèles entre eux pour essayer d'avoir une vision prospective plus solide. Donc, je déconstruis un petit peu... le mythe comme quoi l'état français a en son sein un outil de prospective qui lui permet de voir ce que sera la France en 2100. Donc ça c'est ce que je fais, je le fais aussi au niveau un petit peu plus international pour montrer que c'est un petit peu partout pareil finalement, c'est à dire que tous les pays se sont créés des modèles très sectoriels mais qu'il n'y a pas de modèle global. Le seul qui peut-être se rapproche un petit peu de ça c'est James. qui est un modèle justement un peu plus global. Et puis je conclue quand même ce quatrième chapitre en montrant qu'il existe des initiatives scientifiques, notamment au sein de l'Europe. pour créer finalement un World 3 moderne, ensuite faire un modèle européen qui serait couplé à ce World 3 moderne, et ensuite faire un modèle national qui serait couplé à ces deux autres modèles européens et mondiaux. Donc ça, c'est l'initiative qui s'appelle MEDEAS, qui est un projet européen de recherche. Mais vous le voyez bien, c'est un projet de recherche. Ce n'est pas un projet pour notre Premier ministre ou pour notre Président. C'est un projet de recherche. Autrement dit, il est encore dans les labos de recherche. Il n'est pas du tout mis à disposition des politiques. Et c'est bien là tout l'enjeu du livre.

  • Speaker #1

    Et comment, toi, tu t'expliques cette absence de modèle systémique qui reboucle sur lui-même, qui n'est pas... tributaire d'hypothèses exogènes. Tu nous as parfaitement expliqué les intuitions de départ de World 3, les intuitions du Club de Rome, d'Aurelio Peccei, le travail de Jay Forrester, de son équipe de chercheurs, les résultats, la qualité par ailleurs, la simplicité. Il n'y a aucune limite technique aujourd'hui d'après ce que tu nous dis, à recréer de tels modèles. Où sont les freins ? Comment est-ce possible quelque part que nous réalisions ensemble aujourd'hui tous les deux ? Tu l'as réalisé avant moi. que ce modèle n'existe pas ?

  • Speaker #0

    C'est une vraie interrogation. Alors, j'ai interrogé le SGPE, le secrétaire général à la planification écologique, sur ce point. Et ce qu'il est ressorti de nos discussions, c'est que nos politiques, aujourd'hui, ont une aversion à des modèles qui leur échapperaient. Je l'ai dit, la plupart des modèles existants dans tous les ministères sont des modèles d'experts. Ce sont des modèles extrêmement précis, sont des modèles incompréhensibles pour des gens qui ne sont pas des experts du domaine. Et donc, je vais le dire avec d'autres mots, on peut... peut faire dire au modèle à peu près ce qu'on veut aujourd'hui, au modèle d'expert. Puisque personne n'ira vraiment vérifier les hypothèses qu'on y met dedans, et personne n'ira vérifier les équations à part les concepteurs du modèle. Et donc nos politiques savent bien tout ça. Savent bien que les modèles qui servent aujourd'hui à répondre à leurs questions sont des modèles qui leur échappent à eux. Or ce sont des hommes politiques, ce sont des hommes qui sont, et des hommes et des femmes évidemment, qui sont attachés à la maîtrise de leurs décisions. Les modèles aujourd'hui existants sont des modèles qui échappent totalement à leur contrôle. Donc ils ont une aversion profonde à utiliser ces modèles. Bien sûr, ils font travailler leurs administrations avec ces modèles. Mais l'utilisation des résultats qui en résultent, les politiques se donnent le droit d'utiliser ou pas le résultat. Parce qu'ils savent très bien que ce n'est pas un résultat qui est à leur main. Et c'est ce que je défends dans le livre. Ce que je défends dans le livre est une approche nouvelle. C'est une approche dans laquelle nous ne confierions pas à des experts la construction d'un modèle France ou d'un modèle monde. C'est que ce modèle soit construit, déjà pas par des experts, mais par des spécialistes, et qu'il soit construit avec une visibilité très forte du politique, en l'occurrence du Parlement. C'est ce que je propose dans mon livre. Parce qu'effectivement, nous ne sortirons jamais de l'ornière si nous conservons l'approche actuelle, qui est une approche en silo et une approche d'experts. Ça, un politique n'achètera jamais. Et je le comprends, quelque part. Je le comprends quand on... On est décideur, on veut avoir l'impression qu'on décide en connaissance de cause. Or, les modèles sont trop complexes aujourd'hui. Donc, il convient de mettre en œuvre, ou il conviendrait de mettre en œuvre une action globale, nationale, dans laquelle, évidemment, des experts seraient mandatés pour travailler, mais sous contrôle de spécialistes. qui eux-mêmes rendraient compte au Parlement, pour bien faire comprendre à chaque étape toutes les hypothèses, comment le truc est construit, quelle est sa finalité aussi. Parce que la question de fond de tout ça, c'est quelle France... voulons-nous dans un monde sous contrainte ? Aujourd'hui, les gens ne veulent pas d'un monde prédestiné, ils veulent de l'espoir. Donc ils ne veulent pas qu'on leur dise les choses vont se passer comme ça dans deux ans, dans trois ans. ans, dans 10 ans, dans 50 ans. Ils veulent de l'espoir, ils veulent des chemins possibles et ils veulent choisir parmi ces chemins possibles. Et donc, les modèles d'experts aujourd'hui sont vus comme des modèles trop prédictifs. On dit, voilà, si vous avez ça et ça, ça comme hypothèse, il y a ça en sortie. Les gens ne veulent pas de ça et les politiques pas plus. Et moi pas plus d'ailleurs. Moi ce que je veux, c'est quelque chose qui éclaire sur le champ des possibles. Nous allons être sous contrainte à cause des limites planétaires. C'est ce qu'on a évoqué en premier partie de cet entretien. Et ça, ça se révélerait. C'est à dire que effectivement ça a été pressenti depuis quelques décennies, maintenant c'est avéré, nous sommes aux limites planétaires. Bien, ça veut dire que le monde va être sous contrainte. Et donc dans un monde sous contrainte, on va avoir différents chemins possibles. Celui de la consommation qui continue, qui va probablement nous amener à l'effondrement. Celui d'une réduction de la consommation qui pourrait nous amener à quelque chose de plus durable. Celui voire même de la sobriété qui pourrait nous amener à un monde encore plus durable. mais avec certainement beaucoup plus de contraintes. Donc tous ces chemins-là sont peut-être possibles, mais encore faut-il le savoir, encore faut-il savoir qu'est-ce qui sera possible de ce qui sera impossible. Par exemple, ce qu'a montré World 3, c'est que la croissance continue, positive, tout au long du XXIe siècle est à coup sûr impossible. Ça, c'est ce qu'a montré World 3. Typiquement, World 3 montre, et moi j'ai tourné tous les potards de World 3 depuis 10 ans, je ne trouve pas, je ne trouve pas de... en tournant les paramètres et les variables du modèle là, de World 3 qui permettent une croissance continue du monde jusqu'en 2100. A chaque fois, ça finit par s'écrouler, à cause de toutes les raisons que j'ai dites tout à l'heure. C'est-à-dire, quand on cherche à franchir une limite, de toute façon, les autres se rappellent à nous. Et donc, il conviendrait aujourd'hui déjà d'avoir quelque chose qui nous permette de calculer les chemins possibles, physiquement possibles, dans un monde sous contrainte, dans un monde fini, avec les limites planétaires. quels sont les chemins qui sont encore possibles. Parmi ces chemins, le politique pourrait reprendre ses droits et dire, dans ce champ des possibles, moi je suis de droite ou de gauche et je préfère aller vers telle ou telle direction. Mais dans un champ des possibles connu. Ce qui manque aujourd'hui, c'est que justement dans tous ces modèles sectoriels que j'évoquais tout à l'heure, il n'y a pas par exemple les limites planétaires.

  • Speaker #1

    La liaison est toute trouvée avec la troisième et dernière partie de notre échange. Je te propose maintenant d'être acupuncteur. Quelle est la décision ? Quelle est l'action ? Quelle est l'intervention qui, selon toi, pourrait contribuer significativement ? A la fabrique d'un monde habitable, je pense que tu as déjà apporté les premiers éléments de réponse. Est-ce que tu peux prolonger ta réflexion dans la peau de cet acupuncteur ?

  • Speaker #0

    Bien sûr, bien sûr. L'action que je souhaiterais entreprendre, ou qui soit entreprise, serait de faire prendre la décision qu'un outil soit construit pour répondre à ce besoin que nous avons de piloter notre destin. De plus en plus, nous voyons que nous subissons les choses. Les contraintes s'imposent à nous. Évidemment, à l'heure de la guerre en Ukraine, du changement climatique, des tensions sur l'eau, sur les ressources agricoles. sur les ressources halieutiques, etc., on voit bien que tout ça s'impose à nous. Donc ce que je souhaiterais, si j'étais effectivement cet accompagnateur génial là, c'est que nous décidions en France de créer cet outil systémique prospectif qui nous aide à voir les chemins possibles dans les décennies à venir. C'est la thèse défendue dans mon livre, dans le dernier chapitre de mon livre, qui explique qu'aujourd'hui nous... En France, nous avons toutes les compétences, nous avons toute l'organisation sociétale, dans nos ministères, dans les grandes administrations, dans nos grands centres de recherche, dans nos laboratoires universitaires, nous avons toutes les compétences. pour, si nous le décidons, nous mettre tous autour de la table, créer des grandes équipes, dont le but serait de construire ce modèle prospectif qui permettrait d'éclairer nos hommes politiques. Ça c'est vraiment l'enjeu. c'est de reprendre la main sur notre destin. Parce qu'on peut très bien rêver d'une France et d'un monde qui continue comme aujourd'hui. Mais est-ce que ça c'est possible ? Il faut répondre à cette question. calculer si ça c'est possible. Beaucoup de gens, Jean-Marc Jancovici le premier, Philippe Biwix, Aurélien Barraud, plein de gens aujourd'hui disent que ça c'est impossible. Vérifions-le. Vérifions-le. Mettons les gens autour de la table, faisons-les travailler autour d'un projet commun de construction d'un outil qui nous permettrait de savoir ce qui est possible de ce qui est impossible. Parce que ce qui est possible, c'est l'effondrement. Ça, évidemment, la guerre mondiale, on sait que c'est possible. On en a déjà vécu deux. Peut-être que la troisième n'est pas loin devant nous. Donc, l'effondrement, on sait tout. très bien que ça peut nous arriver. L'effondrement financier, on sait que ça peut arriver. Ça nous est arrivé dans les années 2008, dans les années 1929 et j'en passe et des meilleurs. Tout ça, on sait que ça peut arriver. Donc l'effondrement, le capire ou les effondrements, ça on sait tous, chacun en âme et conscience que ça peut arriver. Par contre, la croissance infinie éternelle, ça effectivement, des vieux modèles comme World 3 disent que c'est impossible. Et du coup, qu'est-ce qui est possible entre les deux ? C'est quoi ? qui est possible entre l'effondrement, quelque à pire, la croissance perpétuelle, probablement pas possible, une durabilité qu'on cherche à atteindre, mais sans savoir ce qu'il faut faire pour l'atteindre. Quels sont les chemins possibles ? Ça, en France, nous sommes... probablement l'un des rares pays au monde à avoir toute cette intelligence collective pour créer ce modèle. Ce que je propose dans le livre, c'est que nous lancions cette initiative nationale de faire travailler les gens ensemble. de redonner un projet collectif qui soit un projet positif pour lequel nous ne chercherions pas à avoir raison ou tort puisque l'idée serait déjà de construire l'outil. Et ça, je pense que c'est un projet fédérateur. Je pense que c'est un projet fédérateur. Alors, pour illustrer un petit peu ce que pourrait être ce travail un peu collectif, mais souvent un petit peu d'un jeu ou d'une question un peu iconoclaste, je vais te poser, Thomas, un petit sujet de réflexion et nos auditeurs pourront s'en nouer. Supposons que dans les jours qui viennent, nous décidions collectivement, vraiment à l'unanimité, on oublie tous nos querelles, et on décide d'imaginer une France qui serait une France dans laquelle nous aurions tous l'obligation d'aller au travail en transport en commun. Sans exception, président de la République compris, tout le monde aurait l'obligation d'aller au travail en transport en commun. Alors le premier réflexe c'est évidemment... évidemment, de se dire, mais tout ça est impossible, tel médecin ne pourrait pas, tel pompier ou tel militaire, que sais-je, ne pourrait pas faire ci, ou le président, évidemment, ne pourrait pas se tremballer en transport en commun. Mais plaçons-nous dans l'exercice intellectuel de dire, mais si nous devions le construire, on suppose que nos moyens financiers le permettent. Et on se met à réfléchir à cette France dans laquelle nous pourrions tous aller. au travail en transport en commun. Et donc on se projette intellectuellement. C'est quoi ? Ça veut dire que même dans les campagnes, on met en place des organisations de transport bien sûr, mais des organisations du travail, des organisations en dehors du travail finalement, parce que si on sait aller au travail en transport en commun, on sait le week-end aller faire ses loisirs avec ses mêmes transports en commun, on sait évidemment aller faire ses courses avec le transport en commun. Et comme ça s'imposerait à tous, d'après mon hypothèse de départ, pour faire garder ses enfants, la baby-sitter, elle peut venir aussi en transport en commun, puisqu'on ne fait aucune exception. Donc les transports en commun seraient... développer en conséquence, mais toute la société française serait en fait transformée. Donc on voit qu'à partir d'une question qui est une question sous forme de boutade ou de jeu, de dire que c'est quoi la France dans laquelle tout le monde on dirait en transport en commun, au travail, en fait, nous faisons un exercice de mais est-ce que cette France-là ne serait pas une France désirable ? Et quand on y réfléchit un petit peu, comme tout le monde devrait mettre la main à la pâte, pas pour réfléchir à cette France de transports en commun, on aboutirait probablement à une France qui serait probablement très enviable. Les gens, aujourd'hui, finalement, je vais la faire courte, mais moi, mon opinion, c'est que les transports en commun, ce n'est pas pour les riches, si je la fais courte. Mais si demain, on dit que tout le monde doit contribuer à cette construction, les riches auront tout intérêt à ce que les transports en commun soient très adaptés, y compris pour eux. Et donc, nous aurions envie... France très probablement absolument génial. Absolument génial. Donc c'est une petite... Voilà, je termine un petit peu cet exercice un peu de pensée qui est assez iconoclaste je pense. Mais c'est pour ça que cette réflexion systémique, c'est-à-dire cette réflexion globale, on voit qu'en fait dès l'instant qu'on met tout dans la balance, qu'on met tous les gens et que ça touche leur avenir commun, et bien en fait on peut réfléchir à des changements complets de ce société. On peut réfléchir, je le pense, à un pays et à un monde plus beau, à un monde plus acceptable, plus enviable, parce que nous nous mettons dans une posture de construire quelque chose collectivement. C'est à mon sens ce qui manque aujourd'hui aux gens. Il manque ce petit espoir de construire quelque chose d'enviable et de le construire ensemble. Et bien finalement, c'est ce que m'a appris la systématique. C'est-à-dire que partant de World 3 en 2012, de fil en aiguille, j'en arrive à l'idée que si nous subissons autant de tensions, et notamment sociétales en ce moment, c'est parce que nous n'avons plus de projet commun. Et finalement, World 3 m'amène aujourd'hui à proposer plutôt des projets politiques, que ce soit la construction d'un outil prospectif national, ou cette France enviable de transports en commun, ou plein d'autres choses, des TVA variables sur les certains... un produit, etc. Parce que, en fait, ça améliorerait la vie des gens. Voilà. Tout simplement.

  • Speaker #1

    Alors, on va laisser les auditrices et les auditeurs méditer sur le défi que tu nous as lancé. Je retiens peut-être quelques mots-clés. Ta découverte en 2012 avec World 3, avec les travaux des chercheurs du MIT, t'as ouvert à la nécessité et à la faisabilité d'une prospective qui soit à la fois créative et compatible avec les limites planétaires. Et cette prospective d'un genre nouveau, qui a été finalement déjà envisagée il y a longtemps, on a parlé de l'année 1972, cette prospective d'un genre nouveau ne vient pas apporter des réponses supplémentaires à des questions qui seraient posées d'avance, mais nous aide à reposer les questions qui peut-être sont les plus importantes pour trouver des voies et faire société autrement. Je rappelle en 30 secondes le titre de ton ouvrage, Christophe, la pièce manquante de la transition écologique française. Seychelles Armattan, merci à toi.

  • Speaker #0

    Merci Thomas.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode de No Limits, produit par Logarithme. L'ensemble des épisodes est disponible sur toutes les plateformes et sur le site atelier-desfuturs.org. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous et n'hésitez pas à en parler autour de vous. A bientôt !

Description

Christophe Mangeant travaille à la Direction Générale de l’Armement.


Lorsqu’il découvre les travaux des chercheurs du MIT, emmenés par les époux Meadows et par Jorgen Randers, il décide de s’intéresser de très près à la modélisation systémique. Pour rendre compte de ses travaux, il a fait paraître l’été dernier aux éditions de L’Harmattan un essai intitulé : La pièce manquante de la transition écologique française.


Dans l’entretien à suivre, Christophe commence par s’interroger : l’avenir donnera-t-il raison aux chercheurs du MIT ? Leurs prévisions s’avèreront-elles justes ?


Ensuite, il se tourne vers le passé et se demande pourquoi personne – ni en France, ni en Europe, ni ailleurs dans le monde – n’a jusqu’ici engagé les moyens nécessaires pour développer un modèle numérique global, vraiment prospectif, et destiné à éclairer les choix des décideurs politiques et économiques.


Pour finir, il conclut avec une expérience de pensée : et si, demain, les transports en commun devenaient obligatoires pour tous ?


Entretien enregistré le 28 novembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je peux un peu l'entendre.

  • Speaker #1

    Nos limites. Un podcast de Thomas Gauthier, produit par Logarith. La grande menace de la changement climatique pourrait définir les contours de ce sens. Le monde s'est réveillé. Et la changement est venu. Que vous l'aimiez ou non. Une enquête aborde du vaisseau Terre à la recherche d'un nouveau cap pour l'humanité. Nous sommes en train d'atteindre les limites planétaires.

  • Speaker #0

    Nous sommes en train de détruire ce qui nous permet de vivre.

  • Speaker #1

    La modernité, c'est la vitesse. Et c'est vrai que ça va un peu vite. Aujourd'hui, on ne va pas se permettre de ne pas s'engager. Il faut qu'on soit dans une science de combat. Enseignant-chercheur à EM Lyon Business School, Thomas va à la rencontre de celles et ceux qui explorent le futur et se remémorent l'histoire pour bâtir un monde habitable dès aujourd'hui. À chaque épisode, son invité, curieux du monde à venir, commence par poser une question à l'oracle. Ensuite, tel un archiviste, il nous rapporte un événement méconnu du passé dont les conséquences sont pourtant bien prégnantes dans le monde actuel. Pour conclure, il devient acupuncteur et propose une action clé afin d'aligner les activités humaines sur les limites planétaires. Christophe Mangent est colonel et travaille à la Direction Générale de l'Armement. Lorsqu'il découvre les travaux des chercheurs du MIT, emmenés par les époux Meadows et Jürgen Randers, il décide de s'intéresser de très près à la modélisation systémique. Pour rendre compte de ses travaux, il a fait paraître l'été dernier aux éditions de l'Armatan un essai intitulé la pièce manquante de la transition écologique française. Dans l'entretien à suivre, Christophe commence par s'interroger. L'avenir donnera-t-il raison aux chercheurs du MIT ? Leurs prévisions s'avèreront-elles justes ? Ensuite, il se tourne vers le passé et se demande pourquoi personne, ni en France, ni en Europe, ni ailleurs dans le monde, n'a jusqu'ici engagé les moyens nécessaires pour développer un modèle numérique global vraiment prospectif, est destiné à éclairer les choix des décideurs politiques et économiques. Pour finir, il conclut avec une expérience de pensée. Et si demain, les transports en commun devenaient obligatoires pour tous ?

  • Speaker #0

    Bonjour Christophe. Bonjour Thomas. Alors ça y est, tu es face à l'oracle. Quelle est la question que tu as envie de lui poser ? Alors je suis face à l'oracle et donc je lui demande si ce que j'ai écrit dans mon livre... pièce manquante de la transition écologique française est exacte ou pas. Je lui demande si les travaux de l'équipe Meadows, si World 3, si The Limit to Growth est quelque chose qui a vu juste ou si c'est quelque chose qui est totalement hors sol et inexact. Pour nos auditeurs, je crois qu'il faut resituer pour tous ceux qui ne connaissent pas les travaux du club de Rome et de l'équipe Meadows, il faut resituer un petit peu le... les travaux dans leur contexte de l'époque, dans les années 70, et puis il faut détailler un petit peu ces travaux. Ces travaux, je les décris dans mon livre. Ce que je souhaite ici, c'est synthétiser un petit peu la portée de ces travaux. La question des limites à la croissance, de savoir si notre monde est un monde durable ou pas, s'est posée très tôt, et notamment dès l'après-guerre. Un certain nombre, notamment d'industriels, se sont demandé si notre croissance... économique, notre croissance matérielle pouvait se poursuivre au XXe siècle, au XXIe siècle, voire au-delà. Et cette question, au beau milieu des Trente Glorieuses, elle a émergé notamment dans la tête d'industriels qui ont constitué ce qu'on appellerait aujourd'hui un think tank, un groupe de réflexion, qui s'est appelé le Club de Rome, qui était un groupe emmené par Aurelio Peccei, patron de Fiat à l'époque, et qui, en 1968 à peu près, se pose la question de... Mais où va le monde et où va la croissance économique mondiale ? Est-ce que ça va s'arrêter ? Est-ce que ça va se poursuivre au niveau exponentiel comme à l'époque ? Et donc ils cherchent des gens capables de répondre à cette question. Donc il fait un petit peu le tour des labos, des industries, des universités, et puis il tombe sur un certain Jay Forrester, qui travaille pour l'armée américaine, et qui développe à l'époque des systèmes de conduite de tir pour les navires américains. Et donc il fait ce qu'on appellera aujourd'hui de l'automatique ou de l'automatisme. Et donc Jay Forrester a tout de suite l'idée que modéliser le monde des années 70 n'est pas si compliqué que ça. Finalement, le monde c'est quoi ? C'est des gens. Des gens qui ont besoin de nourriture, qui ont besoin de ressources naturelles et qui, quand ils utilisent ces ressources, finalement les épuisent et puis créent de la pollution. Et donc il commence à faire un petit un petit bout de modèle bricolé qu'il appelle World et qu'il propose au club de Rome. Puisqu'à l'époque, comme il travaille sur des systèmes d'automatisme, il a les premiers ordinateurs à sa disposition et donc il est capable de faire cette petite modélisation simplifiée. Les industriels du Club de Rome sont évidemment enchantés par cette approche qui leur permet tout de suite de visualiser finalement le comportement du monde. Et donc ils payent, ils investissent dans un groupe de recherche du MIT, 17 jeunes chercheurs, emmenés par un élève de justement Jay Forrester qui s'appelle Dennis Meadows, et qui va pendant deux ans développer plus finement le premier modèle world que Jay Forrester avait créé. Et donc il va aboutir en 1972 à un modèle qui s'appelle World 3. Alors World 3 c'est donc un modèle qu'on appelle systémique, un modèle global du monde, très simplifié, mais un modèle qui tourne sur les premiers ordinateurs de l'époque. Alors ça, c'est le premier coup de génie de l'équipe Nidoz, c'est d'avoir conçu, dès les années 70, et fait tourner sur les premiers ordinateurs, un modèle simplifié du monde, un modèle prospectif, quelque chose qui calcule l'évolution du monde jusque dans les années 2100. Donc qui va très loin dans le futur, et qui propose une explication de comment fonctionne le monde. Donc ça c'est le premier coup de génie, et j'aurai l'occasion d'y revenir, c'est d'avoir créé un modèle... prospectif systémique global de l'évolution du monde. Le deuxième coup de génie de l'équipe Meadows, c'est d'avoir, dès le début dans ce modèle World 3, intégré la notion de limite planétaire. Alors pourquoi c'est un coup de génie à l'époque ? Parce qu'on est en 1970, et que le concept des limites planétaires, notamment, qui a été mis, on va dire, sur la place publique scientifique depuis quelques années par l'équipe Rockström, à l'époque, était un concept qui... Pas dans les esprits du tout, encore une fois, on est dans les trente glorieuses. Donc on est dans une époque où il n'y a pas de limite. Tout est permis, la croissance est de plusieurs pourcents par an, et on n'en voit pas le bout, et on va sur la Lune, et pourquoi pas plus loin ailleurs, et donc il n'y a pas de limite. Or l'équipe Milos voit bien qu'il y a des limites, il y a des limites physiques partout. Il y a d'abord des limites dans la quantité de ressources non renouvelables dans le sol. La Terre étant une planète finie, Elle est constituée d'un certain nombre d'atomes et ces atomes-là, dans le sous-sol, sont non renouvelables. Et donc, ça, c'est une première limite physique qu'ils introduisent dans leur modèle et j'aurai l'occasion d'y revenir. Il y a d'autres limites dans le modèle World 3, des limites comme, par exemple, la surface des terres arables. Les terres émergées sont en quantité finie sur Terre, donc il y a un certain nombre d'espaces terrestres. qui peuvent être dédiées à l'agriculture et puis on en trouve quand même assez vite les limites. Une autre limite également introduite dans le modèle, c'est la notion des rendements des sols. On est à une époque où on commence à introduire massivement dans les sols des engrais, les rendements agricoles augmentent, mais on voit bien que... Tout ça va toucher à un moment donné une asymptote, donc une limite dans la production de nourriture. Les chercheurs du MIT voient bien aussi qu'il y a des limites, on va dire biologiques ou physiologiques. Le taux de fécondité d'une femme, dans le modèle, globalement, c'est 12 enfants. Évidemment, peut-être que certaines femmes dans le monde ont eu plus que 12 enfants, mais on voit bien qu'il y a une limite physiologique qui existe et qu'il est difficile de la dépasser. L'espérance de vie également. L'espérance de vie, dans le modèle World 3, est quelque chose qui est drivée par la quantité de nourriture ou la quantité de soins que reçoivent les gens. Le facteur multiplicateur de l'espérance de vie liée aux soins ou à la nourriture, c'est quelque chose qui varie entre 1 et 2 globalement. Et du coup, on peut avoir une durée de vie qui, depuis la durée de vie des années 40, qui est plutôt de l'ordre de 40 ans, l'espérance de vie à la naissance, passe à 60 ans, 80 ans, si on est bien nourri et bien soigné, mais guère au-delà. Donc on voit bien qu'il y a aussi une limite physiologique. par principe mise dans le modèle. Donc ça ce sont les limites un petit peu qu'on voit, soit sur la Terre, soit chez les humains. Il y a une autre limite un petit peu plus subtile qui est introduite dans le modèle, qui est la limite sur le capital industriel. Globalement, pour résumer et pour faire simple, la durée de vie d'une usine, si on ne s'en occupe pas, elle n'est pas infinie. Dans le modèle World 3, une usine, globalement... Tous les 14 ans, globalement, il faut la renouveler, c'est-à-dire que tous les ans, il faut renouveler un quatorzième de l'usine pour que l'outil productif continue à produire. Alors ça, c'est un thème qui est relativement intéressant à regarder. J'ai écouté, il y a quelques jours, sur France Inter, un débat sur certaines mairies qui se plaignaient du coup des routes, de l'entretien des routes. Ça, c'est exactement ce qui est dans World 3. C'est-à-dire que globalement, quand on a une infrastructure, qu'elle soit industrielle ou routière ou que sais-je, il faut l'entretenir. Et plus on a d'infrastructures, plus ça coûte de l'entretenir. Et bien si on a beaucoup de routes, ça coûte très cher de les entretenir. Et donc au bout d'un moment, il y a un équilibre qui se fait entre le nombre de routes qu'on souhaite avoir et le nombre de routes qu'on peut entretenir. Et bien tout ça c'est dans World 3. Donc ça c'est vraiment le premier chapitre de mon livre, commence par ce descriptif des limites World 3 et met en regard ces limites de ce que maintenant la science a mis en lumière depuis une quinzaine, vingtaine d'années. à savoir ce qu'on appelle aujourd'hui les limites planétaires. Avant de te laisser continuer, Christophe, j'ai une question peut-être plus intime. Tu peux nous raconter les circonstances de ta rencontre avec ce rapport ? Comment ce rapport t'est tombé dessus ? Raconte-nous ça, s'il te plaît. Oui, oui. Alors, je suis tombé totalement par hasard sur ce rapport lorsque Jean-Marc Jancovici, que je connaissais par ailleurs au travers du Shift Project, m'a indiqué qu'il avait préfacé... Un livre qui s'appelait Les limites à la croissance dans un monde fini en 2012. Et que, voyant mon intérêt pour, on va dire, les choses mondiales, pour le dire simplement, la géostratégie mondiale, à l'époque, alors que je ne connaissais rien à la systémique, voyant mon intérêt pour toutes ces grandes questions géostratégiques mondiales, m'a fait part de la parution de ce livre. Et il m'a dit Tiens, Christophe, ce livre va t'intéresser. Parce que tu cherches des réponses. Et il est possible que tu les trouves dans cet ouvrage. Et de fait, tous les questionnements qui à l'époque étaient dans ma tête sur certaines tensions, par exemple liées aux ressources ou certaines thématiques qui émergeaient sur le changement de la vie, climatique par exemple, ou je sais pas moi, des combats de José Bové contre les OGM ou que sais-je encore. Tous ces combats là où toutes ces tensions étaient pour moi dissociées avant les années 2012. Et ce que j'ai découvert au travers de ce livre, et c'est ce que je raconte également en décrivant un petit peu le modèle World 3, c'est le fait que tout est lié. C'est-à-dire qu'on ne peut pas délier l'agriculture de la pollution. Mais on ne peut pas non plus délier l'agriculture de l'industrie, puisque l'industrie fournit les intrants agricoles. On ne peut pas délier notre santé de la pollution, évidemment. Toutes ces choses-là sont très liées. Et c'est finalement ce que m'a fait découvrir le modèle World 3, que j'ai découvert en 2012, à la suite de la lecture de ce rapport, qui était la troisième édition du rapport initial de 1972, puisque les limites à la croissance est parue la première fois en 1972. C'est le premier rapport du Club de Rome. Puis une seconde fois, il a été réédité, on va dire amélioré ou modernisé en 1980. et puis il a été réédité en 2004 en anglais, toujours par cette même équipe du MIT, et traduit en français donc en 2012. Voilà, donc c'est comme ça que je suis tombé sur ce livre, qui effectivement m'a montré que tout était lié, et c'est le deuxième coup de génie de l'équipe Midos. Ce deuxième coup de génie, c'est d'avoir montré que la puissance d'un modèle systémique n'est pas précision de chaque sous-modèle, mais dans le fait de lier les choses entre elles. Merci. Et ça, c'est la grande, grande force de l'approche systémique, l'approche globale. Autrement dit, on ne cherche pas à être expert de tel domaine ou tel autre domaine. On cherche au contraire à lier toutes les thématiques qu'on veut étudier entre elles et à montrer les interactions entre toutes ces thématiques. Je vais y revenir. Mais je termine juste, si tu permets Thomas, sur les limites planétaires. On sait aujourd'hui qu'elles existent. Changement climatique, pollution par les aérosols et autres polluants. dit éternel, le trou dans la couche d'ozone, la dégradation des sols et des forêts, la surconsommation d'eau qui pose aujourd'hui, et on le voit, qui revient sur le devant de la scène, la perturbation massive des cycles de l'azote et du phosphore, l'acidification des océans et l'effondrement de la biodiversité. Donc ces grandes limites, aujourd'hui la science les met en lumière, mais il y en a bien d'autres, il y en a bien d'autres en fait, et elles s'appellent PIC. du pétrole, pique des fossiles. Elle s'appelle aussi diminution de la teneur en minerais. Je sais que tu as reçu Philippe Biouix, par exemple, dont on peut saluer justement le message sur toutes ces questions liées aux ressources. Et donc, aujourd'hui, nous voyons que nous touchons aux limites. Donc ça c'est le premier coup de génie de World 3 et de l'équipe Windows, c'est d'avoir vu ça dès les années 70, c'est-à-dire d'avoir vu qu'il était important de mettre dans ce modèle des limites, sans savoir à quel moment on les atteindrait, mais d'avoir introduit dans le modèle le principe même qu'il y a des limites, et que le modèle est censé calculer quand on va les atteindre. Le deuxième coup de génie, donc je l'ai dit, c'est vraiment le fait d'avoir lié les choses entre elles. Alors comment ça se passe dans World 3 ? C'est très très simple, il y a cinq grandes catégories d'éléments qui sont liés entre eux. D'abord... La population, les gens. Le modèle World 3, c'est d'abord la vie de tous les jours. Il y a des enfants, il y a des adultes, il y a des personnes âgées. Ces gens-là ont besoin de manger pour vivre et donc il leur faut de la nourriture. Donc il faut un système agricole capable de produire de la nourriture. C'est le deuxième système qui est étudié. La vie de tous les jours, que ce soit pour construire nos maisons, nos usines ou fournir des biens justement à l'agriculture, nécessite des ressources non renouvelables. L'agriculture étant finalement le volet renouvelable des ressources non renouvelables qu'on trouve dans le sous-sol. Donc le troisième pan qui est étudié, qui est modélisé, c'est les ressources non renouvelables. Quand on vit, qu'on construit des choses et qu'on se nourrit, on pollue. Donc un quatrième paramètre qui est introduit là-dedans, c'est la notion justement de pollution, qui du coup a un effet évidemment rétroactif. sur le système, puisque plus il y a de pollution, plus l'espérance de vie des gens diminue, et plus du coup ça va réguler quelque part le système. Donc le deuxième chapitre de mon livre, il décrit justement ce qu'est le modèle World 3 finalement, et il explique en fait ces grandes interactions entre la pollution, le capital industriel qui permet de produire les choses, le capital agricole qui permet de nourrir les gens, la pollution qui va réguler tout ça, et bien sûr les ressources. qui sont la base de la vie de tous les jours. Et donc, qu'est-ce qu'ont fait les chercheurs du MIT ? Plutôt que de faire des choses très très précises sur chacun de ces sous-ensembles-là, ils ont dit, mais ce qui est important, c'est d'abord de montrer les interactions. En quoi les ressources naturelles peuvent-elles limiter ou pas le système humain ? Et bien ça c'est le troisième coup de génie de World 3. Le troisième coup de génie de World 3, c'est d'avoir présupposé qu'on se fichait de comment les ressources étaient utilisées. C'est-à-dire qu'on ne cherche pas à dire le sable sert à faire... tant de béton ou tant de verre parce que à l'époque en 1970 tout ça est inaccessible du point de vue des calculs des ordinateurs la puissance de calcul ne permet absolument pas de faire tout ça et par ailleurs ça aurait fait devenir beaucoup trop complexe le modèle world 3 Or, les auteurs, à l'époque, ne voulaient pas que le modèle soit trop complexe. Ils voulaient que ce soit un modèle compréhensible par les gens. Et donc, l'idée, ce n'était pas d'aller faire un modèle d'expert. C'était de faire un modèle relativement compréhensible, relativement simple, mais puissant dans le fait qu'il lie les phénomènes entre eux. Et donc, le troisième coup de génie, c'est quoi ? C'est de dire, le système humain, le système économique, le système industriel, se développe. Les gens mangent, les gens construisent des choses, les gens ont besoin d'infrastructures. Tout ça n'a aucune limitation tant que les ressources naturelles sont suffisamment abondantes. Le modèle présuppose que les ressources naturelles, et notamment les ressources non renouvelables, sont abondantes. Donc le système humain se développe, le modèle est initialisé dans les années 1900. Donc en 1900, la population humaine existe, elle se développe. On est en 1970, donc le modèle World 3 calcule l'évolution de l'humanité entre 1900 et 1970. les auteurs vérifient qu'effectivement les données du modèle sont relativement bonnes et que les liens entre les différents sous-systèmes sont bons parce qu'ils vérifient ça sur la période 1900-1970. Et puis comme le modèle semble donner des résultats cohérents, ils laissent tourner le modèle jusqu'à dans les années 2100. Et donc qu'est-ce que donnent les résultats de World 3 à horizon 2100 ? Dans ce premier modèle, dans ce premier scénario, qui est le scénario business as usual, ce qui se passe c'est que tout se passe très très bien, la croissance économique mondiale reste effectivement très soutenue jusque dans les années 2000. Et puis à partir des années 2000, tout ça ralentit et le système mondial finit par s'effondrer à partir des années 2020-2030. Donc les auteurs qui ont créé ce modèle, qui donc observent sur un premier calcul que le système monde s'effondre à horizon 2020-2030, évidemment, regardent dans le modèle qu'est-ce qui crée cet effondrement. Et donc, ils creusent dans le modèle. comme c'est un modèle bouclé, la difficulté d'un modèle bouclé, c'est qu'on ne sait jamais qui est l'œuf ou la poule. Puisque tout est lié. Tout est lié, tout est calculé en permanent. Est-ce que c'est la population qui est responsable de tel ou tel phénomène, ou la pollution, ou les ressources, etc. Et en fait, ils découvrent que la première... Vraiment, ce qui est majeur dans ce premier scénario, c'est le fait que l'humanité, dans les années 2020, a épuisé plus de la moitié des ressources non renouvelables qui se trouvent dans le modèle. Et ce faisant, Comme leur modèle présuppose qu'à partir de la moitié des ressources, ça va être de plus en plus dur d'aller chercher les ressources non renouvelables restantes dans le sous-sol, le modèle a mis en équation le fait que ça allait devenir plus difficile d'aller chercher les ressources non renouvelables dans le sous-sol. Et donc, évidemment, c'est ce qui se passe à partir des années 2020. Le modèle commence à introduire, à partir des années 2000-2020, Le fait que c'est de plus en plus dur d'aller chercher les derniers atomes de cuivre, de pétrole, de gaz, de charbon, de minerais de fer et tout ça dans le sous-sol. Et donc une grande partie de l'industrie va petit à petit être détournée pour aller chercher les derniers atomes restants. Ce faisant, l'industrie n'est plus capable d'alimenter ce qu'elle alimentait jusqu'à présent, à savoir l'agriculture et les soins, enfin la santé. Et c'est ce qui crée l'effondrement. Très bien, on est en 1970 et les chercheurs de MIT font ce premier scénario et découvrent que s'il n'y a plus assez de ressources, le monde va s'effondrer. une double action à ce moment-là. Ils se disent, un, on s'est trompé sur le niveau de ressources mondiales. Ce sont des scientifiques, donc ils admettent qu'ils peuvent se tromper. Et dans ce cas-là, ils disent, qu'à cela ne tienne. De toute façon, on a mis un certain niveau de ressources dans le modèle, on peut le doubler, le tripler, et puis voir ce que ça donne. C'est l'avantage du modèle numérique. Déjà, ils font ça. Ils disent, on suppose qu'on s'est complètement trompé, qu'il y a beaucoup plus de ressources qui seront accessibles sous terre. On va supposer qu'il y a beaucoup plus de ressources. Et ils l'expliquent aussi en disant, mais finalement, ça, le génie humain, pourraient permettre ça. Demain matin, il pourrait y avoir la fusion nucléaire. On est dans les années 70, donc la fusion, c'est quelque chose qui peut arriver. En tout cas, les scientifiques américains l'espèrent. Donc, ils se disent, mais c'est vrai, si finalement on a une énergie infinie, eh bien, il n'y a pas de raison, on pourrait très bien, on pourrait très bien, comment dirais-je, accéder facilement à une quantité de ressources quasiment illimitée. Donc, en fait, ils font ça, ils augmentent artificiellement la quantité de nourriture. dans leur modèle, et ils voient ce que ça donne. Ils voient ce que ça donne. Donc effectivement, elle explique par l'aspect, ça peut être une transition énergétique finalement, qui crée ça. C'est également le génie humain. Donc les gens qui pensent que dans les travaux du Club de Rome ou dans World 3, il n'y a pas la notion de progrès ou de génie humain, se trompent, puisque justement, pour passer du scénario 1 au scénario 2, ils font justement l'hypothèse que le génie humain s'exerce. qu'on va avoir de l'énergie infinie, que le progrès humain va s'exercer en continu, et donc il n'y aura plus de problème pour accéder aux ressources. Donc ça c'est le passage du scénario 2, c'est on suppose que les ressources seront accessibles. Le scénario 2 est lancé, le run, le modèle tourne avec cette nouvelle hypothèse, et patatras, ça s'écroule. en 2040. Alors effectivement, entre 2020 et 2040, il n'y a pas l'effondrement observé lors du premier scénario, et donc les chercheurs essaient de comprendre pourquoi ça s'écroule 20 ans plus tard, et pas 100 ans ou 1000 ans plus tard. Ce qu'ils comprennent dans le modèle, c'est que la population a continué à croître entre 2020 et 2040, a continué à consommer, a continué donc à polluer. Et en fait, ce qui crée l'effondrement à partir des années 2040, c'est la... sur pollution, la pollution massive, puisque le modèle World 3 tient compte du fait que tout processus industriel ou tout processus agricole pollue. Il y a une certaine quantité de pollution par unité d'action industrielle ou unité d'action agricole. Et donc évidemment, comme la population a continué à croître entre 2020 et 2040, elle a continué à polluer. Et qu'à ce l'entienne, les chercheurs du MIT ayant identifié que la pollution pourrait devenir un problème, font l'hypothèse, on est toujours en 1970. font l'hypothèse que le génie humain, l'intelligence collective va s'exercer et que nos grands décideurs vont dire Ok, on ne peut pas polluer à l'infini comme ça, donc il faut que dès les années 2000 il y ait une espèce de régulation mondiale de la pollution, que nos ingénieurs fassent tout pour réduire les quantités de pollution par unité industrielle ou unité agricole et on rentre ça dans le modèle. C'est l'intérêt du modèle, on peut rentrer ce nouveau paramètre qui est à partir des années 2000 donc dans le futur, puisqu'encore une fois, comme on est en 1970, on peut se dire Ok, il faut un peu de... de temps pour que les gens soient convaincus. Donc, en 2000, on va supposer que tout le monde est convaincu et que les actions techniques sont lancées. Très bien, ils mettent ça dans le modèle, ils font tourner le troisième scénario. Patatras, ce troisième scénario s'écroule en 2050-2060. Aïe ! Donc les chercheurs cherchent dans le modèle, qu'est-ce qui fait s'écrouler le truc dans les années 2050-2060. Ce qui fait s'écrouler le monde... dans ces années-là, c'est le fait que finalement il n'y a plus assez de nourriture pour tout le monde. On a lutté contre la pollution, les ressources sont infinies, mais la population continue à croître, du coup il faut bien la nourrir. Et avec les hypothèses mises dans le modèle jusqu'à présent, les sols n'arrivent plus à produire suffisamment de nourriture. Qu'à cela ne tienne, on est en 1970, les chercheurs de l'MIT disent on va supposer qu'à partir des années 2000, les chercheurs agronomes vont développer des OGM, des machins, des techniques qui permettront au rendement agricole de croître toujours plus à partir des années 2000, pour nourrir la population puisqu'on anticipe qu'il pourrait y avoir des problèmes alimentaires. Très bien, on rentre ça dans le modèle, ça donne le quatrième scénario. Et patatra, le quatrième scénario s'écroule à partir des années 2080. Pourquoi ? Eh bien, érosion des sols. Érosion des sols, c'est-à-dire qu'effectivement, on a créé des espèces végétales qui peuvent croître, par contre, ça lessive les sols. C'est typiquement ce qu'on voit aujourd'hui dans l'agriculture intensive ou industrielle. Eh bien, qu'à cela ne tienne, on est en 1970, on voit ça arriver grâce au modèle World 3, donc on va supposer qu'à partir des années 2000, les ingénieurs... agronomes vont avec le reste de la population mettre en place des techniques douces pour empêcher ce lessivage des sols, ce pompage absolu par la matière végétale des sols. Donc on va mettre en place ce que finalement on appelle aujourd'hui l'agriculture douce ou les techniques agricoles douces. Et donc il rentre ça dans le modèle et effectivement à partir de ce moment là, Le système commence à devenir stable. Alors il se trouve qu'il s'écroule encore un petit peu sur la fin du modèle, enfin sur la fin du XXIe siècle, parce qu'en fait se conjuguent à ce moment-là, sur la fin du siècle, ce qu'ils appellent les polycrises. C'est-à-dire qu'effectivement... La population, on a gagné 50 ans de développement et de stabilité de la population qui consomme. Et en fait, ce qui se passe, c'est qu'on retrouve un petit peu des limites liées aux ressources non renouvelables, qui ont continué à être épuisées, évidemment. On a quand même massivement pollué par le passé, donc il y a encore des petits problèmes de pollution. La population a besoin de manger et du coup, il y a quelques problèmes de nourriture quand même. Et donc...... Le modèle World 3, le dernier scénario, c'est un scénario dans lequel on dit tout ce capital industriel, ce capital agricole qu'on n'a finalement pas challengé en termes de durée de vie, on va l'améliorer un petit peu, on va supposer que les gens en prennent davantage soin. C'est typiquement ce qu'on appellerait aujourd'hui le recyclage quelque part. C'est-à-dire l'augmentation de durée de vie des choses. C'est comment mieux utiliser les choses, augmenter leur durée de vie. Et ça donne un dernier scénario qui est un scénario de stabilité. Alors ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'en 1970, les chercheurs du MIT ont pressenti qu'à partir de la première moitié du XXIe siècle, il pourrait y avoir un besoin de transition écologique. C'est ça qu'ils ont mis en évidence. Ils ont mis en évidence que toutes ces actions de lutte contre la pollution... de lutte contre l'érosion des sols, on va dire de recyclage massif, en tout cas de non-pompage massif des ressources non renouvelables. Tout ça devait être mis en œuvre dans un horizon qui globalement, on va dire le premier quart ou la première moitié du 21e siècle. On est en plein dedans. C'est ça qu'ont mis en évidence les chercheurs du MIT, sachant qu'en plus dans World 3, il n'y a pas de changement climatique. Il n'y a pas de changement climatique. qui est modélisée parce qu'en 1970, ce n'est pas une thématique. Donc c'est ce que j'explique dans les premiers chapitres de mon livre, La pièce manquante, et qui permet de poser une question que moi je m'adresse à moi-même dans les années 2015, une fois que j'ai découvert ce livre-là, qui est ce modèle qui est un vieux modèle de 1972, est-ce qu'on a beaucoup mieux aujourd'hui ? En plus, comme je suis français, évidemment, je crois que nous, français, nous avons développé quelque chose de beaucoup mieux. Et donc, je commence à chercher. Je me dis, bah oui, c'est évident. Les chercheurs du monde entier et les chercheurs français ont développé un modèle équivalent, beaucoup plus moderne, beaucoup plus performant, beaucoup plus précis, voire même qu'ils en ont fait une déclinaison pour chaque pays, puisque là, c'est un modèle globalisé monde. Il n'y a pas de pays, là-dedans, c'est une seule population mondiale. Et donc, je commence à chercher, je m'interroge, je me dis, mais tiens... Comment on fait pour savoir ce que sera la France en 2100 ? C'est quoi les outils ? Parce que le 3 ne répond pas à la question de ce que sera la France en 2100. Et puis, chemin faisant, cherchant un petit peu ce qui existe, je reste un petit peu sur ma faim. Donc c'est ce qu'explique un petit peu la suite du livre, mais je pense qu'on va s'en parler.

  • Speaker #1

    Sur la base de tout ce que tu viens de nous rappeler là, Christophe, il y a une question qui me tarabuste alors. Comment tu t'expliques, plus de 50 ans après ce que je vais appeler l'échec, finalement, de ce travail pionnier des années 1972, comment on s'explique que toute cette pensée, que toute cette ambition de modélisation et d'anticipation aient été mises au rebut malgré des millions d'exemplaires vendus du livre après sa sortie. Comment expliquons-nous le glissement de cette notion de limite à la croissance vers une notion qui a beaucoup plus performé les sociétés, celle du développement durable ?

  • Speaker #0

    Il y a plusieurs éléments de réponse à cette question. Un des éléments a été fourni par Jean-Marc Jancovici. Il y a quelques années, il a dit que... Le problème du club de Rome, c'est qu'en fait, il n'avait pas de client auquel s'adresser. Autrement dit, le rapport du club de Rome, il s'adresse à tout le monde et à personne. Il n'y a pas de gouvernement mondial. Il n'y a même pas de grande puissance qui, à cette époque-là, on est en pleine guerre froide en plus, peut vraiment imposer une vision du monde. Et par conséquent, ce rapport, il ne s'adresse en fait à personne. Donc c'est un rapport qui, malgré, en tout cas ce que j'en pense moi, malgré sa portée scientifique... et son réalisme, quelque part, tombe un petit peu dans le vide. Ça, c'est un premier élément de réponse, mais qui quand même est assez structurant. Le deuxième élément de réponse, c'est qu'il y a eu des forces qui se sont opposées aussitôt à cette production scientifique. Et ces forces-là, ce sont les forces économiques ou financières. Pourquoi ? Parce que dans World 3, l'approche retenue est une approche très physique. C'est-à-dire qu'il n'y a pas en tant que telle de monnaie, il n'y a pas de PIB, il n'y a pas de puissance financière en jeu. Et donc, évidemment, tout le secteur économique et financier de l'époque se sent entre guillemets lésé. Par le fait que ce modèle-là, ok, c'est un modèle où on calcule des kilocalories pour nourrir les gens, on calcule des quantités de ressources dans le sous-sol pour créer des maisons, des bateaux et des usines, mais tout ça, il n'y a pas de monnaie. Donc, tous les économistes se sentent complètement lésés par ce travail. Et par conséquent, les économistes, en parcourant un petit peu ce qui est écrit dans le premier rapport, mettent tout de suite le doigt sur le fait qu'il manque ce volet financier. Et donc, ils attaquent... attaque le rapport sous cet angle-là, au prétexte qu'il manque le volet financier. Et ça, effectivement, ça fait mouche. Parce que dans les années 70, à la fin des Trente Glorieuses, on va dire, on est dans un monde qui se financiarise. Et dans un monde pour lequel la puissance capitalistique, finalement, est l'alpha et l'oméga, quelque part. C'est-à-dire qu'on pense que c'est la puissance capitalistique qui a fait les Trente Glorieuses. On n'a pas encore cette conscience. que c'est l'énergie abondante du XXe siècle qui est un driver majeur. On pense que c'est l'argent qui est un driver majeur. Comme on pense ça, et que c'est la critique majeure qui est adressée au club de Rome, eh bien le truc s'écroule. C'est-à-dire que la portée du club de Rome, ou du rapport, et la portée des enseignements de World 3, finalement, est battue en brèche. Parce que, évidemment, ces chercheurs-là, qui sont des chercheurs, des physiciens, ne peuvent pas répondre autrement que de dire que... L'argent n'a pas d'importance dans l'avenir du monde. Évidemment, ça, ça tombe complètement à plat. Et ça explique, je pense, pour partie, le fait que le premier rapport du Club de Rome, malgré son succès, comme tu dis, puisque vendu à plus de vingtaine de millions d'exemplaires à l'époque, finalement ne trouve pas l'écho dans les grandes puissances, on va dire, de l'époque. Autant il trouve un écho auprès de certains, puisque c'est quand même ça qui, pour partie, explique la naissance de l'écologie politique. Le premier rapport du Club de Rome, il a quand même cette portée, on le voit aujourd'hui avec le recul historique, il a quand même permis de faire germer dans l'idée de beaucoup, de millions de personnes, l'idée qu'effectivement nous allions avoir un problème écologique. Et ça, c'est vraiment la naissance de l'écologie politique qui naît à cette époque-là, dans les années 70, au milieu des années 70. Donc effectivement, il y a eu un argument très fort qui était qu'il n'y a pas d'argent, même s'il y a un espèce de modèle simplifié du PIB dans World 3, mais qui est un sous-modèle très très simple, trivial, qui est globalement le PIB proportionnel à la production industrielle mondiale.

  • Speaker #1

    On s'est finalement déjà beaucoup parlé d'histoire ensemble, je vais tout de même te demander maintenant... de devenir s'il te plaît archiviste, selon toi quel événement clé, méconnu voire même inconnu, a marqué l'histoire et se fait encore sentir aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Alors c'est pas un événement clé, c'est plutôt un non-événement que je souhaite évoquer ici. C'est vraiment le fait que nous n'ayons pas depuis World 3 développé un outil de prospective beaucoup plus performant. Et ça, ça reste vraiment pour moi une interrogation, parce qu'aujourd'hui nous n'avons pas finalement de modèle prospectif digne de ce nom. Alors qu'est-ce que j'appelle un modèle prospectif ? C'est un modèle numérique qui permettrait de répondre à l'une des questions. suivante première question que sera le monde en 2100 si les règles actuelles ne changent pas si on suppose on fait du business as usual et que sera le monde en 2100 deuxième question que sera la france en 2100 et bien aujourd'hui si vous allez chercher sur internet, sur les sites ministériels français, vous serez bien en peine de trouver un outil qui ne serait-ce que cherche à répondre à la question. Donc en France, nous n'avons pas de modèle numérique, donc d'aide à la décision quelque part, pour nos grands décideurs politiques. Nous n'avons même pas de modèle qui se pose cette question. Que sera la France dans les décennies à venir ? Pourquoi ? Parce que il y a deux raisons à ça. La première raison, c'est c'est que nous avons créé beaucoup de modèles sectoriels et des modèles d'experts. C'est-à-dire que chaque secteur économique, l'automobile, l'énergie, l'agriculture, tout ça, ce sont des domaines qui se sont fortement spécialisés depuis le XXe siècle. Et donc, on a créé des modèles numériques qui sont des modèles sectoriels. Et ces modèles sectoriels, par définition, ils adressent une question d'un secteur de l'économie donné. Ils vont chercher à répondre à la question. quelle sera l'agriculture française dans deux ans, s'il y a tel niveau d'énergie entrant, s'il y a telle contrainte financière, s'il y a telle hypothèse de réglementation sur la pollution. Donc ces modèles, ils cherchent à répondre à des questions. très très précises, sous des contraintes très très précises. Donc souvent des contraintes réglementaires de très court terme. Que se passe-t-il s'il y a une inflation à 3% l'an prochain, plutôt qu'à 1,5% ? Et tous les grands secteurs de l'économie sont aujourd'hui modélisés par des outils comme ça. Alors évidemment, quand on fait travailler nos scientifiques, nos économistes, nos chercheurs sur des modèles qui cherchent à répondre à des questions très précises sur le très court terme. on a à la fin des outils qui répondent à des questions très précises de très court terme. Le problème de ces outils, c'est qu'ils ne peuvent évidemment pas répondre à la question Que sera la France en 2100 ? Ils ne sont juste pas faits pour ça. Alors après, on peut dire Il suffit de prendre tous ces modèles-là, de les mettre ensemble, et puis ça va répondre à la question. Alors, manque de bol, c'est absolument infaisable du point de vue technique. Ces modèles sont beaucoup trop complexes, ce sont des modèles d'experts. Globalement, à part ceux qui les ont créés, personne ne sait décrypter les modèles. millions de lignes de code qu'il y a là-dedans. Au contraire de World 3, World 3 est un modèle que je pense qu'on aurait vocation à mettre dans les collèges et les lycées, parce que je pense que nos jeunes, en l'espace d'une semaine, ils auraient apprivoisé la bête, là, et c'est un modèle trivial, on clique sur le rectangle, on voit ce qui est écrit dans le rectangle, on comprend que c'est la population, et on voit comment c'est fichu. Et donc on voit les interactions avec des petites flèches entre les différences au modèle. Tout ça est très simple, très astucieux, contrairement à nos gros codes de calcul aujourd'hui qui sont sectoriels. Alors, dans mon livre, justement, dans le quatrième chapitre, là, je fais un panorama de tous ces modèles français, par exemple, qui existent, et des modèles mondiaux. Par exemple, les gens m'ont posé la question, là, de, oui, mais quand même, les modèles du changement climatique, pas. Ceux qui disent que ce sera le monde en 2100, 2200, et tout ça, ce sont bien des modèles qui prédisent l'avenir, entre guillemets. Absolument pas. Ce sont des modèles dans lesquels on injecte une hypothèse exogène qui est Ah, ben on va supposer que la population évolue comme ça ou comme ça à horizon 2100-2200. Ah, on va supposer que la population par individu émet telle pollution, machin. Et du coup, on fait les calculs de changement climatique à horizon 2100-2200. Par contre, il n'y a pas d'interaction du changement climatique sur les gens. Donc, on fait une hypothèse exogène qui est évolution de la population, on en déduit un changement climatique. Et ça, c'est le contraire de ce que fait World 3. World 3 dit, j'ai une population qui du coup interagit avec son système industriel, qui crée de la pollution, la pollution réinteragit en réduisant l'espérance de vie des gens. Donc World 3, il auto-calcule les choses, alors que là, dans tous ces grands modèles, qu'on appelle souvent les modèles IAM, Integrated Assessment Models, typiquement les modèles du GIEC, on injecte dans ces modèles des hypothèses exogènes. Sur l'évolution. de la population, du PIB, du niveau d'émissions de gaz à effet de serre, etc. Donc, dans ce quatrième chapitre du livre, quelque part, je déconstruis un petit peu le mythe en étudiant chacun des modèles. Les modèles de Bercy, de la Banque de France, du Trésor, que sais-je, du ministère de l'Agriculture, de l'ADEME, qui pourtant essayent de faire des efforts, justement, en couplant plusieurs modèles entre eux pour essayer d'avoir une vision prospective plus solide. Donc, je déconstruis un petit peu... le mythe comme quoi l'état français a en son sein un outil de prospective qui lui permet de voir ce que sera la France en 2100. Donc ça c'est ce que je fais, je le fais aussi au niveau un petit peu plus international pour montrer que c'est un petit peu partout pareil finalement, c'est à dire que tous les pays se sont créés des modèles très sectoriels mais qu'il n'y a pas de modèle global. Le seul qui peut-être se rapproche un petit peu de ça c'est James. qui est un modèle justement un peu plus global. Et puis je conclue quand même ce quatrième chapitre en montrant qu'il existe des initiatives scientifiques, notamment au sein de l'Europe. pour créer finalement un World 3 moderne, ensuite faire un modèle européen qui serait couplé à ce World 3 moderne, et ensuite faire un modèle national qui serait couplé à ces deux autres modèles européens et mondiaux. Donc ça, c'est l'initiative qui s'appelle MEDEAS, qui est un projet européen de recherche. Mais vous le voyez bien, c'est un projet de recherche. Ce n'est pas un projet pour notre Premier ministre ou pour notre Président. C'est un projet de recherche. Autrement dit, il est encore dans les labos de recherche. Il n'est pas du tout mis à disposition des politiques. Et c'est bien là tout l'enjeu du livre.

  • Speaker #1

    Et comment, toi, tu t'expliques cette absence de modèle systémique qui reboucle sur lui-même, qui n'est pas... tributaire d'hypothèses exogènes. Tu nous as parfaitement expliqué les intuitions de départ de World 3, les intuitions du Club de Rome, d'Aurelio Peccei, le travail de Jay Forrester, de son équipe de chercheurs, les résultats, la qualité par ailleurs, la simplicité. Il n'y a aucune limite technique aujourd'hui d'après ce que tu nous dis, à recréer de tels modèles. Où sont les freins ? Comment est-ce possible quelque part que nous réalisions ensemble aujourd'hui tous les deux ? Tu l'as réalisé avant moi. que ce modèle n'existe pas ?

  • Speaker #0

    C'est une vraie interrogation. Alors, j'ai interrogé le SGPE, le secrétaire général à la planification écologique, sur ce point. Et ce qu'il est ressorti de nos discussions, c'est que nos politiques, aujourd'hui, ont une aversion à des modèles qui leur échapperaient. Je l'ai dit, la plupart des modèles existants dans tous les ministères sont des modèles d'experts. Ce sont des modèles extrêmement précis, sont des modèles incompréhensibles pour des gens qui ne sont pas des experts du domaine. Et donc, je vais le dire avec d'autres mots, on peut... peut faire dire au modèle à peu près ce qu'on veut aujourd'hui, au modèle d'expert. Puisque personne n'ira vraiment vérifier les hypothèses qu'on y met dedans, et personne n'ira vérifier les équations à part les concepteurs du modèle. Et donc nos politiques savent bien tout ça. Savent bien que les modèles qui servent aujourd'hui à répondre à leurs questions sont des modèles qui leur échappent à eux. Or ce sont des hommes politiques, ce sont des hommes qui sont, et des hommes et des femmes évidemment, qui sont attachés à la maîtrise de leurs décisions. Les modèles aujourd'hui existants sont des modèles qui échappent totalement à leur contrôle. Donc ils ont une aversion profonde à utiliser ces modèles. Bien sûr, ils font travailler leurs administrations avec ces modèles. Mais l'utilisation des résultats qui en résultent, les politiques se donnent le droit d'utiliser ou pas le résultat. Parce qu'ils savent très bien que ce n'est pas un résultat qui est à leur main. Et c'est ce que je défends dans le livre. Ce que je défends dans le livre est une approche nouvelle. C'est une approche dans laquelle nous ne confierions pas à des experts la construction d'un modèle France ou d'un modèle monde. C'est que ce modèle soit construit, déjà pas par des experts, mais par des spécialistes, et qu'il soit construit avec une visibilité très forte du politique, en l'occurrence du Parlement. C'est ce que je propose dans mon livre. Parce qu'effectivement, nous ne sortirons jamais de l'ornière si nous conservons l'approche actuelle, qui est une approche en silo et une approche d'experts. Ça, un politique n'achètera jamais. Et je le comprends, quelque part. Je le comprends quand on... On est décideur, on veut avoir l'impression qu'on décide en connaissance de cause. Or, les modèles sont trop complexes aujourd'hui. Donc, il convient de mettre en œuvre, ou il conviendrait de mettre en œuvre une action globale, nationale, dans laquelle, évidemment, des experts seraient mandatés pour travailler, mais sous contrôle de spécialistes. qui eux-mêmes rendraient compte au Parlement, pour bien faire comprendre à chaque étape toutes les hypothèses, comment le truc est construit, quelle est sa finalité aussi. Parce que la question de fond de tout ça, c'est quelle France... voulons-nous dans un monde sous contrainte ? Aujourd'hui, les gens ne veulent pas d'un monde prédestiné, ils veulent de l'espoir. Donc ils ne veulent pas qu'on leur dise les choses vont se passer comme ça dans deux ans, dans trois ans. ans, dans 10 ans, dans 50 ans. Ils veulent de l'espoir, ils veulent des chemins possibles et ils veulent choisir parmi ces chemins possibles. Et donc, les modèles d'experts aujourd'hui sont vus comme des modèles trop prédictifs. On dit, voilà, si vous avez ça et ça, ça comme hypothèse, il y a ça en sortie. Les gens ne veulent pas de ça et les politiques pas plus. Et moi pas plus d'ailleurs. Moi ce que je veux, c'est quelque chose qui éclaire sur le champ des possibles. Nous allons être sous contrainte à cause des limites planétaires. C'est ce qu'on a évoqué en premier partie de cet entretien. Et ça, ça se révélerait. C'est à dire que effectivement ça a été pressenti depuis quelques décennies, maintenant c'est avéré, nous sommes aux limites planétaires. Bien, ça veut dire que le monde va être sous contrainte. Et donc dans un monde sous contrainte, on va avoir différents chemins possibles. Celui de la consommation qui continue, qui va probablement nous amener à l'effondrement. Celui d'une réduction de la consommation qui pourrait nous amener à quelque chose de plus durable. Celui voire même de la sobriété qui pourrait nous amener à un monde encore plus durable. mais avec certainement beaucoup plus de contraintes. Donc tous ces chemins-là sont peut-être possibles, mais encore faut-il le savoir, encore faut-il savoir qu'est-ce qui sera possible de ce qui sera impossible. Par exemple, ce qu'a montré World 3, c'est que la croissance continue, positive, tout au long du XXIe siècle est à coup sûr impossible. Ça, c'est ce qu'a montré World 3. Typiquement, World 3 montre, et moi j'ai tourné tous les potards de World 3 depuis 10 ans, je ne trouve pas, je ne trouve pas de... en tournant les paramètres et les variables du modèle là, de World 3 qui permettent une croissance continue du monde jusqu'en 2100. A chaque fois, ça finit par s'écrouler, à cause de toutes les raisons que j'ai dites tout à l'heure. C'est-à-dire, quand on cherche à franchir une limite, de toute façon, les autres se rappellent à nous. Et donc, il conviendrait aujourd'hui déjà d'avoir quelque chose qui nous permette de calculer les chemins possibles, physiquement possibles, dans un monde sous contrainte, dans un monde fini, avec les limites planétaires. quels sont les chemins qui sont encore possibles. Parmi ces chemins, le politique pourrait reprendre ses droits et dire, dans ce champ des possibles, moi je suis de droite ou de gauche et je préfère aller vers telle ou telle direction. Mais dans un champ des possibles connu. Ce qui manque aujourd'hui, c'est que justement dans tous ces modèles sectoriels que j'évoquais tout à l'heure, il n'y a pas par exemple les limites planétaires.

  • Speaker #1

    La liaison est toute trouvée avec la troisième et dernière partie de notre échange. Je te propose maintenant d'être acupuncteur. Quelle est la décision ? Quelle est l'action ? Quelle est l'intervention qui, selon toi, pourrait contribuer significativement ? A la fabrique d'un monde habitable, je pense que tu as déjà apporté les premiers éléments de réponse. Est-ce que tu peux prolonger ta réflexion dans la peau de cet acupuncteur ?

  • Speaker #0

    Bien sûr, bien sûr. L'action que je souhaiterais entreprendre, ou qui soit entreprise, serait de faire prendre la décision qu'un outil soit construit pour répondre à ce besoin que nous avons de piloter notre destin. De plus en plus, nous voyons que nous subissons les choses. Les contraintes s'imposent à nous. Évidemment, à l'heure de la guerre en Ukraine, du changement climatique, des tensions sur l'eau, sur les ressources agricoles. sur les ressources halieutiques, etc., on voit bien que tout ça s'impose à nous. Donc ce que je souhaiterais, si j'étais effectivement cet accompagnateur génial là, c'est que nous décidions en France de créer cet outil systémique prospectif qui nous aide à voir les chemins possibles dans les décennies à venir. C'est la thèse défendue dans mon livre, dans le dernier chapitre de mon livre, qui explique qu'aujourd'hui nous... En France, nous avons toutes les compétences, nous avons toute l'organisation sociétale, dans nos ministères, dans les grandes administrations, dans nos grands centres de recherche, dans nos laboratoires universitaires, nous avons toutes les compétences. pour, si nous le décidons, nous mettre tous autour de la table, créer des grandes équipes, dont le but serait de construire ce modèle prospectif qui permettrait d'éclairer nos hommes politiques. Ça c'est vraiment l'enjeu. c'est de reprendre la main sur notre destin. Parce qu'on peut très bien rêver d'une France et d'un monde qui continue comme aujourd'hui. Mais est-ce que ça c'est possible ? Il faut répondre à cette question. calculer si ça c'est possible. Beaucoup de gens, Jean-Marc Jancovici le premier, Philippe Biwix, Aurélien Barraud, plein de gens aujourd'hui disent que ça c'est impossible. Vérifions-le. Vérifions-le. Mettons les gens autour de la table, faisons-les travailler autour d'un projet commun de construction d'un outil qui nous permettrait de savoir ce qui est possible de ce qui est impossible. Parce que ce qui est possible, c'est l'effondrement. Ça, évidemment, la guerre mondiale, on sait que c'est possible. On en a déjà vécu deux. Peut-être que la troisième n'est pas loin devant nous. Donc, l'effondrement, on sait tout. très bien que ça peut nous arriver. L'effondrement financier, on sait que ça peut arriver. Ça nous est arrivé dans les années 2008, dans les années 1929 et j'en passe et des meilleurs. Tout ça, on sait que ça peut arriver. Donc l'effondrement, le capire ou les effondrements, ça on sait tous, chacun en âme et conscience que ça peut arriver. Par contre, la croissance infinie éternelle, ça effectivement, des vieux modèles comme World 3 disent que c'est impossible. Et du coup, qu'est-ce qui est possible entre les deux ? C'est quoi ? qui est possible entre l'effondrement, quelque à pire, la croissance perpétuelle, probablement pas possible, une durabilité qu'on cherche à atteindre, mais sans savoir ce qu'il faut faire pour l'atteindre. Quels sont les chemins possibles ? Ça, en France, nous sommes... probablement l'un des rares pays au monde à avoir toute cette intelligence collective pour créer ce modèle. Ce que je propose dans le livre, c'est que nous lancions cette initiative nationale de faire travailler les gens ensemble. de redonner un projet collectif qui soit un projet positif pour lequel nous ne chercherions pas à avoir raison ou tort puisque l'idée serait déjà de construire l'outil. Et ça, je pense que c'est un projet fédérateur. Je pense que c'est un projet fédérateur. Alors, pour illustrer un petit peu ce que pourrait être ce travail un peu collectif, mais souvent un petit peu d'un jeu ou d'une question un peu iconoclaste, je vais te poser, Thomas, un petit sujet de réflexion et nos auditeurs pourront s'en nouer. Supposons que dans les jours qui viennent, nous décidions collectivement, vraiment à l'unanimité, on oublie tous nos querelles, et on décide d'imaginer une France qui serait une France dans laquelle nous aurions tous l'obligation d'aller au travail en transport en commun. Sans exception, président de la République compris, tout le monde aurait l'obligation d'aller au travail en transport en commun. Alors le premier réflexe c'est évidemment... évidemment, de se dire, mais tout ça est impossible, tel médecin ne pourrait pas, tel pompier ou tel militaire, que sais-je, ne pourrait pas faire ci, ou le président, évidemment, ne pourrait pas se tremballer en transport en commun. Mais plaçons-nous dans l'exercice intellectuel de dire, mais si nous devions le construire, on suppose que nos moyens financiers le permettent. Et on se met à réfléchir à cette France dans laquelle nous pourrions tous aller. au travail en transport en commun. Et donc on se projette intellectuellement. C'est quoi ? Ça veut dire que même dans les campagnes, on met en place des organisations de transport bien sûr, mais des organisations du travail, des organisations en dehors du travail finalement, parce que si on sait aller au travail en transport en commun, on sait le week-end aller faire ses loisirs avec ses mêmes transports en commun, on sait évidemment aller faire ses courses avec le transport en commun. Et comme ça s'imposerait à tous, d'après mon hypothèse de départ, pour faire garder ses enfants, la baby-sitter, elle peut venir aussi en transport en commun, puisqu'on ne fait aucune exception. Donc les transports en commun seraient... développer en conséquence, mais toute la société française serait en fait transformée. Donc on voit qu'à partir d'une question qui est une question sous forme de boutade ou de jeu, de dire que c'est quoi la France dans laquelle tout le monde on dirait en transport en commun, au travail, en fait, nous faisons un exercice de mais est-ce que cette France-là ne serait pas une France désirable ? Et quand on y réfléchit un petit peu, comme tout le monde devrait mettre la main à la pâte, pas pour réfléchir à cette France de transports en commun, on aboutirait probablement à une France qui serait probablement très enviable. Les gens, aujourd'hui, finalement, je vais la faire courte, mais moi, mon opinion, c'est que les transports en commun, ce n'est pas pour les riches, si je la fais courte. Mais si demain, on dit que tout le monde doit contribuer à cette construction, les riches auront tout intérêt à ce que les transports en commun soient très adaptés, y compris pour eux. Et donc, nous aurions envie... France très probablement absolument génial. Absolument génial. Donc c'est une petite... Voilà, je termine un petit peu cet exercice un peu de pensée qui est assez iconoclaste je pense. Mais c'est pour ça que cette réflexion systémique, c'est-à-dire cette réflexion globale, on voit qu'en fait dès l'instant qu'on met tout dans la balance, qu'on met tous les gens et que ça touche leur avenir commun, et bien en fait on peut réfléchir à des changements complets de ce société. On peut réfléchir, je le pense, à un pays et à un monde plus beau, à un monde plus acceptable, plus enviable, parce que nous nous mettons dans une posture de construire quelque chose collectivement. C'est à mon sens ce qui manque aujourd'hui aux gens. Il manque ce petit espoir de construire quelque chose d'enviable et de le construire ensemble. Et bien finalement, c'est ce que m'a appris la systématique. C'est-à-dire que partant de World 3 en 2012, de fil en aiguille, j'en arrive à l'idée que si nous subissons autant de tensions, et notamment sociétales en ce moment, c'est parce que nous n'avons plus de projet commun. Et finalement, World 3 m'amène aujourd'hui à proposer plutôt des projets politiques, que ce soit la construction d'un outil prospectif national, ou cette France enviable de transports en commun, ou plein d'autres choses, des TVA variables sur les certains... un produit, etc. Parce que, en fait, ça améliorerait la vie des gens. Voilà. Tout simplement.

  • Speaker #1

    Alors, on va laisser les auditrices et les auditeurs méditer sur le défi que tu nous as lancé. Je retiens peut-être quelques mots-clés. Ta découverte en 2012 avec World 3, avec les travaux des chercheurs du MIT, t'as ouvert à la nécessité et à la faisabilité d'une prospective qui soit à la fois créative et compatible avec les limites planétaires. Et cette prospective d'un genre nouveau, qui a été finalement déjà envisagée il y a longtemps, on a parlé de l'année 1972, cette prospective d'un genre nouveau ne vient pas apporter des réponses supplémentaires à des questions qui seraient posées d'avance, mais nous aide à reposer les questions qui peut-être sont les plus importantes pour trouver des voies et faire société autrement. Je rappelle en 30 secondes le titre de ton ouvrage, Christophe, la pièce manquante de la transition écologique française. Seychelles Armattan, merci à toi.

  • Speaker #0

    Merci Thomas.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode de No Limits, produit par Logarithme. L'ensemble des épisodes est disponible sur toutes les plateformes et sur le site atelier-desfuturs.org. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous et n'hésitez pas à en parler autour de vous. A bientôt !

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