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#47 Emery Jacquillat - Prévenir plutôt que subir

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53min |04/11/2024
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Description

Emery Jacquillat est un entrepreneur, président de la CAMIF, une entreprise française de commerce en ligne, et cofondateur de la Communauté des Entreprises à Mission.


À rebours des soi-disantes meilleures pratiques de gestion d’entreprise et de conception de business model, il s’implique et il implique depuis plusieurs années son entreprise dans la lutte contre la surconsommation, pourtant synonyme de revenus, encouragée notamment par le Black Friday.


Dans l’entretien à suivre, Emery se demande si l’entreprise pourrait être à la fois la cause et le remède au dérèglement climatique et aux menaces qui pèsent sur l’habitabilité de la planète, remonte le temps pour envisager la crise de 2008 non pas comme une crise financière mais comme crise de l’entreprise, et argumente enfin en faveur d’un renouvellement des imaginaires.


Entretien enregistré le 23 septembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    I can slightly hear it. Nos limites.

  • Speaker #1

    Un podcast de Thomas Gauthier, produit par Logarith. The growing threat of climate change could define the contours of this century. The world is waking up and change is coming,

  • Speaker #0

    whether you like it or not.

  • Speaker #1

    Une enquête à bord du vaisseau Terre à la recherche d'un nouveau cap pour l'humanité.

  • Speaker #0

    Nous sommes en train d'atteindre les limites planétaires, nous sommes en train de détruire ce qui nous permet de vivre. La modernité, c'est la vitesse. Et c'est vrai que ça va un peu vite.

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, on ne va pas se permettre de ne pas s'engager. Il faut qu'on soit dans une science de combat. Enseignant-chercheur à EM Lyon Business School, Thomas va à la rencontre de celles et ceux qui explorent le futur et se remémorent l'histoire pour bâtir un monde habitable dès aujourd'hui. À chaque épisode, son invité, curieux du monde à venir, commence par poser une question à l'oracle. Ensuite, tel un archiviste, il nous rapporte un événement méconnu du passé dont les conséquences sont pourtant bien prégnantes dans le monde actuel. Pour conclure, il devient acupuncteur et propose une action clé afin d'aligner les activités humaines sur les limites planétaires. Emery Jaquia est entrepreneur, président de la CAMIF, une entreprise française de commerce en ligne. Il est également cofondateur de la Communauté des entreprises à mission. À rebours des soi-disant meilleures pratiques de gestion d'entreprise et de conception de business model, il implique depuis plusieurs années son entreprise dans la lutte contre la surconsommation, notamment encouragée par le Black Friday. Dans l'entretien à suivre, Emery se demande si l'entreprise pourrait être à la fois la cause et le remède aux dérèglements climatiques et aux menaces qui pèsent sur l'habitabilité de la planète. Il remonte le temps pour envisager la crise de 2008 non pas comme une crise financière, mais comme crise de l'entreprise. Pour finir, il argumente en faveur d'un renouvellement des imaginaires.

  • Speaker #2

    Bonjour Emery.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #2

    Alors ça y est, tu es face à l'oracle, tu peux lui poser une question, quelle est-elle ?

  • Speaker #0

    Wow. Est-ce que vous pensez vraiment que l'entreprise, qui est clairement aujourd'hui, on le sait, à l'origine de tous les dérèglements qu'on observe, peut être également demain la solution ?

  • Speaker #2

    Bon alors là, tu attaques l'oracle de manière assez nette et précise. J'aimerais juste que peut-être pour commencer... T'élabore un tout petit peu, qu'est-ce qui te fait dire que l'entreprise est à la source de ce que t'appelles les problèmes d'aujourd'hui ? C'est quoi la source ?

  • Speaker #0

    Je pense que de tout temps, l'entreprise a transformé le monde. Elle est à l'origine de toutes les grandes transformations. Aujourd'hui, le train, le vélo, la voiture, l'avion, l'internet, le téléphone, la radio, la télé, tout ce qui a transformé profondément le monde, ce sont des entrepreneurs, ce sont des entreprises. qui l'ont très souvent inventé et porté à l'échelle. Et aujourd'hui, je pense qu'on est la première génération à avoir pris conscience, d'abord on observe, on observe ce qui se passe autour de nous, notre environnement. Les scientifiques depuis 50 ans nous disent ce qu'il en est. On est la première génération à avoir pris conscience du lien entre ce qu'on observe, le dérèglement du climat, les problèmes de biodiversité, les inégalités croissantes et nos modes de vie. C'est-à-dire nos modes de consommation, nos modes de déplacement, nos modes de production, au fond, nos modes de faire société. Et on est probablement aussi la dernière génération à pouvoir agir avant que tout nous échappe. Donc la question c'est où est-ce qu'on agit ? On a besoin de tous, on a besoin de l'action de tous, on a besoin des activistes, on a besoin des scientifiques, on a besoin des états, on a besoin des collectivités, on a besoin des entreprises, on a besoin des citoyens. L'enjeu clé, c'est qu'on ne reste pas dans une forme de triangle de l'inaction en disant tant que les États ne me contraignent pas, je ne vois pas pourquoi je vais bouger moi-même. Tant que les citoyens ne bougent pas, je ne vais pas bouger. Tant que l'entreprise ne bouge pas, je ne vois pas pourquoi je demanderais à... Et qu'on reste dans ce triangle de l'inaction dans lequel j'ai un peu l'impression qu'on est depuis qu'on sait, en fait. Parce que d'abord, on n'aime pas le changement. Et ensuite, on a un changement là, on a un problème qui est systémique. c'est le système terre et on a un changement systémique à opérer Et c'est affreusement difficile, ce système. Et on n'a pas envie de le faire. Parce qu'on a envie de vivre comme on a toujours vécu. Et sur le même modèle, c'est tellement plus simple. Donc aujourd'hui, il faut tout réinventer. Et tout le monde a sa part. Les citoyens ont leur part. Les États ont leur part. Les entreprises ont leur part. Moi, je crois que l'entreprise est le plus puissant levier de transformation de la société qu'on ait à disposition. C'est pour ça que j'ai envie de poser cette question. Parce que si tu regardes les citoyens, même si je transforme toute l'audience là en Greta Thunberg et qu'on ne prend plus l'avion, on ne mange plus de viande et qu'on ne prend plus la voiture pour les trajets de moins de 3 km, on n'a fait qu'une petite partie du chemin pour nous limiter dans la trajectoire des 2 degrés de l'accord de Paris. Si je prends les États... Et j'observe, et ils ont pourtant un sacré pouvoir les États. C'est nous en fait les États. Ils ont un pouvoir par la réglementation, par la contrainte. Ils ont un pouvoir par la fiscalité. Ils ont un pouvoir par la commande publique. Donc ils ont un sacré pouvoir. Et même ils ont un pouvoir en se mettant ensemble et en coopérant. C'est ce qui s'est passé avec les COP successives. Moi quand j'ai démarré ma boîte, c'était la COP en 95, la première COP. Et aujourd'hui après la 24e, 25e, je ne sais même plus à combien on est. On est là. On voit que le nombre de particules de CO2 dans l'atmosphère n'a fait que monter. On est passé de 365 à plus de 420. Donc, même avec la coopération, les États ont failli, quelque part, à résoudre un des problèmes, ce n'est pas le seul, mais celui, par exemple, de la concentration de CO2 dans l'atmosphère qui participe au dérèglement du climat. Et moi, ma conviction, c'est que ce sont les entreprises qui ont le plus puissant pouvoir de transformation de la société et qu'on peut changer le monde. mais on peut le changer de l'intérieur. Et donc la question c'est, qu'est-ce qu'on doit changer dans l'entreprise pour transformer la société ?

  • Speaker #2

    Donc là tu as à plusieurs reprises utilisé l'expression faire société, tu t'exprimes aujourd'hui notamment en tant que président d'une entreprise, qu'est-ce qui se passe dans la tête d'une dirigeante ou d'un dirigeant qui se donne... pour elle-même ou pour lui-même, de mission de contribuer à faire société, quelles sont tes incitations, quelles sont tes motivations, quelles sont tes injonctions ? Tu rends compte à qui, quand tu te dis, en te levant, que tu es non seulement président d'une entreprise, donc tu as des comptes à rendre à des parties prenantes à l'intérieur de celle-ci et juste à l'extérieur de celle-ci, mais tu as aussi des comptes à rendre, entre guillemets, à l'humanité tout entière ou au monde tout entier. Ça vient d'où, en fait, cette envie de connecter son action, comme tu l'as dit, au système Terre ?

  • Speaker #0

    Ça vient de donner un sens à sa vie. Parce qu'en tant que dirigeant, on n'est pas absent de cette quête de sens. Et quand on prend conscience, parce qu'il y a un petit travail quand même de prise de conscience de notre pouvoir en tant que dirigeant d'une entreprise, et que si vraiment on aime la planète dans laquelle on vit, si on aime ses enfants et qu'on va priver, on va aimer ses arrières-arrières petits-enfants, même si on ne les connaît pas, on a besoin aujourd'hui de construire le monde de demain. On a besoin aujourd'hui de prendre des décisions qui vont aller dans le bon sens. C'est ça. Le sens qui consiste à laisser une planète au moins aussi viable, habitable, agréable à vivre que celle qu'on a trouvée quand on est né. Et là, pour l'instant, on ne prend pas tout à fait ce chemin. Donc, c'est là où, moi, je dis, c'est une forme d'alignement, en fait. Et donc, la question qui vient, c'est comment j'utilise mon entreprise avec son modèle économique, avec son métier, avec sa présence sur ses territoires ? avec sa présence dans toute une chaîne de valeurs, pour faire bouger les choses, pour faire bouger le système, et pour inventer un modèle qui soit soutenable. Et qui soit soutenable sur tous les plans. Économique, d'abord, parce que si on n'invente pas un système économique soutenable, on ne va pas durer longtemps, donc on ne va pas transformer le système. Mais surtout, social et environnemental. Enfin, soutenable socialement et environnementalement. Et donc c'est une question assez profonde en fait, parce que c'est une question presque existentielle. C'est pourquoi j'existe ? Moi, tant que dirigeant, pourquoi mon organisation existe et à quoi elle sert ? Et comment elle peut être utile ? Et on sait très bien que ce qui fait la valeur d'une entreprise, c'est son utilité. Plus elle sera utile, plus elle aura de valeur. Et donc aujourd'hui, l'utilité d'une entreprise, c'est sa contribution au monde. Alors bien sûr, une entreprise a un métier, elle peut rendre des services, etc. Mais entre deux entreprises qui font le même métier, nous par exemple, chez Cabif, on a des fabricants de meubles, Les fabricants de meubles font exactement la même chose, ils font des lits pour chambres enfants et pourtant ils ont deux missions radicalement différentes. Il y en a un qui fait de l'insertion par le travail de personnes en situation de handicap, c'est sa mission. Et en fait, plus il fabrique un meuble, plus il fera d'insertion et plus il réalisera sa mission au fond. Donc il a un impact social. très important et très positif. Puis il y en a un autre qui est en train d'inventer la façon de réduire drastiquement les émissions de composés organiques volatiles à l'intérieur de la maison, parce qu'on sait que l'air intérieur de la maison est quatre fois plus pollué que l'air extérieur. Voilà deux entreprises qui ont le même métier, mais des missions différentes. Pourquoi ? Parce que les dirigeants ont une sensibilité différente et qui veulent donner un sens différent à leurs entreprises. Ce sont les mêmes entreprises, fabriquent tous les deux des chambres, mais par contre... La façon dont ils réfléchissent le projet, l'impact conscient, l'intention derrière le projet, est très différente. On n'est pas obligé d'avoir une intention dans un projet. Quand on monte sa boîte, on ne se pose pas toutes ces questions, nécessairement. On peut monter sa boîte en disant, tiens, j'ai découvert qu'il y a un service que je pourrais lancer, qui n'existe pas et qui va créer de la valeur. Mais très vite, on est un peu rattrapé par ce sens qu'on a envie de donner à sa vie. C'est une question d'alignement du dirigeant. Et ensuite... de l'ensemble de l'entreprise. On disait l'entreprise, on y fait société. Et probablement, c'est d'ailleurs un des derniers lieux où on fait société. Quand on voit aujourd'hui les dérives aux Etats-Unis, l'entreprise s'est déchirée. Là où on peut se parler encore, là où on travaille ensemble, là où on va partager des choses, partager des expériences, passer à l'entreprise en fait. Et l'entreprise, c'est ce lieu de faire société. Quand on fait société, on a déjà une responsabilité, c'est d'arriver à organiser ce schéma, cette organisation où on va pouvoir partager nos énergies, notre travail, notre capital. Il ne faut pas oublier que l'entreprise, ça reste un projet collectif. Qu'est-ce qui fait qu'on a envie d'être ensemble ? C'est quoi notre raison d'être ensemble ? Et ça, c'est une question qui est donc... assez existentielle et assez profonde qui vient à un moment donné dans sa vie poussée par soit une prise de conscience personnelle Quand on a écouté un janko quand on a vu des films voilà moi je sais on peut être un peu être un peu inquiet ou un peu interpellé et on peut faire bien avant son propre parcours à toi justement alors d'abord l'arrivée de mon premier enfant en 2000 C'est en fait quel monde je suis en train de bâtir pour lui et pour la génération d'après. La vérité qui dérange ensuite, c'est un film que j'ai trouvé marquant, je ne sais plus, c'était en 2004 ou quelque chose comme ça. Ensuite, c'est les crises. Et notamment la crise de 2008, où ça a été la faillite de la CAMIF, qui avait été créée en 1947, qui était une coopérative. Et là, je me suis dit, en fait, il y a une opportunité. je crois que les entrepreneurs voient ça dans les crises, ils voient les opportunités, de réinventer un nouveau modèle et de faire quelque chose qui est une vraie alternative à ce que j'ai pu observer sur le marché. J'avais monté ma boîte dans l'équipement de la maison, dans la litterie en 1995. Et j'ai observé d'une année sur l'autre la grande distrib qui va toujours chercher ailleurs parce que c'est moins cher. Donc, on va toujours chercher plus loin, moins cher ailleurs. Et je me suis dit, là, avec Camif, on a tout pour réinventer un modèle. On a une marque qui est... très fort, un attachement très singulier des clients à cette marque et des valeurs qui sont fortes de solidarité. Et on peut inventer un nouveau modèle. Et donc, c'est ça qui m'a motivé pour partir à New York et aller relancer Camif. Donc, cette question, après, c'est un chemin personnel. Chacun va être percuté à un moment donné. Et pas qu'une fois, il va falloir plusieurs coups de percussion pour nous réveiller. Et quand on est conscient, on se dit, c'est sûr qu'il faut qu'on se bouge. Et moi, en tant que dirigeant d'entreprise, mon levier d'action, c'est l'entreprise. Et quand je me rends compte qu'en fait, quand tu cumules l'ensemble des entreprises sur Terre, tu as une force incroyable qu'on peut activer. Si tant est qu'on réfléchisse à la contribution positive qu'on cherche à avoir, comment on peut avoir à réconcilier le business et l'impact. Et c'est possible. Ça se travaille. Et là, ça devient un projet qui est encore plus excitant, encore plus passionnant, qui suscite davantage d'engagement de l'ensemble des parties prenantes, des salariés, à commencer par les salariés. Et donc là, on s'aperçoit qu'en fait, ça c'est excitant. Tu vois, j'en ai la chair de poule.

  • Speaker #2

    On t'a déjà fait sentir, alors ça peut être une collaboratrice, un collaborateur, ou alors une partie prenante à l'extérieur de la CAMIF. que tu allais trop loin ou alors que tu commençais à conduire des raisonnements stratégiques qui échappaient aux logiques, disons orthodoxes, de la bonne gestion de l'entreprise, de la maximisation peut-être de certains indicateurs. Est-ce qu'on t'a déjà fait ressentir que, écoute Laemry, tu es allé juste un peu loin ?

  • Speaker #0

    Bien sûr, tout le temps en fait. Parce que dès que tu commences à t'adresser au système, T'as une réaction du système. La réaction du système, elle est violente en fait. On ne s'en rend pas forcément compte. Moi, tout arrive, on a mis la mission, on a mis consommation responsable au cœur de la mission de Camif. Bon, moi je convoque mes actionnaires, je leur dis, si notre premier objectif de mission, c'est bien celui qu'on a travaillé depuis trois ans et qu'on décide de fermer le site pour boycotter Black Friday, ça paraît logique, non ? Bah, pas pour eux. Donc ils avaient passé, ça n'a pas été mon meilleur comité stratégique de ma vie. Ils ont passé deux heures et demie à essayer de me convaincre de... Oui, c'était logique qu'on ne fasse pas le Black Friday, mais on n'était pas obligé d'aller jusqu'à fermer. Et là, j'ai senti que j'avais touché quelque chose. Faire la grève du chiffre d'affaires, c'est toucher un dogme, celui de la croissance. J'avais touché quelque chose qui a heurté un certain nombre de mes actionnaires qui pourtant étaient quand même assez ouverts, etc. Et j'ai fini de les convaincre au bout de deux heures et demie en leur disant, écoutez, là, on a une occasion unique pour faire passer notre message. Et en fait, pour aussi... parler d'un nouveau modèle de consommation qui est au cœur de ce qu'on défend. Une consommation plus responsable, où on va consommer moins, mais mieux. Et nous, on est dans le mieux, on est dans plus de local, plus de qualité, plus de durabilité. C'est unique comme opportunité. Mais sachez que personne, aucun journaliste ne s'intéressera à un site qui ne fait pas de promo. Parce qu'ils m'ont dit, t'as qu'à pas faire de promo. Mais par contre, un site qui ferme, il y avait peut-être une chance. qu'il y ait quelques journalistes, quelques médias qui reprennent l'information. Et là, j'ai eu la chance, j'ai eu quelques surfraudes, parce que quand on a... Donc, je les ai convaincus. Je leur ai dit, de toute façon, moi, je pense que ce qu'on attend aujourd'hui d'un dirigeant, c'est de l'audace, parce qu'on ne changera pas le monde avec de l'eau tiède, mais avec de l'audace. Et donc, oui, il faut oser. Il faut oser réinventer. Il faut oser aller contre le système. Et c'est bien ce qu'on attend d'un entrepreneur qui doit défricher de nouveaux modèles et qui doit aller percuter le modèle actuel pour le faire changer. et changer le monde de l'intérieur. C'est notre signature chez Camif depuis 2009. Alors là, on a envoyé les communiqués de presse à pas mal de journalistes et on a dit voilà, on va fermer Camif.fr dans deux semaines pour marquer notre attachement à la consommation responsable et montrer qu'il y a un autre modèle possible, qu'on n'est pas obligé de consommer n'importe quoi sans réfléchir et que peut-être c'est pas mal de justement reprendre la maîtrise de son pouvoir d'achat. Rerefléchir à ce que j'ai vraiment besoin d'acheter ce produit et de se poser les bonnes questions d'où il vient, comment il est fabriqué, dans quelles conditions sociales, environnementales. Et là j'ai la moitié des journalistes qui reviennent vers nous en disant on ne comprend vraiment pas ce que vous avez contre le Black Friday, c'est quoi le problème, qu'est-ce que vous avez contre les gens qui font des bonnes affaires pour Noël, je ne pouvais pas faire grand chose pour eux. Et l'autre moitié qui dit mais c'est vraiment audacieux votre truc. Bon on passe le sujet en comité de rédaction, on revient vers vous. Et... Et tous sont revenus vers nous en disant, on est un peu désolé parce qu'on ne peut pas passer le sujet à l'antenne. C'est quand même la meilleure semaine de recette publicitaire pour nous les médias. Aussi le Black Friday. Et là, on sent qu'on touche le système. On touche le système. Et il y a quelques rebelles dans le système à l'intérieur sur qui on peut compter. Et j'ai fait mon baptême de Jean-Jacques Bourdin d'ailleurs. Ça a été un des rares. Il y en a eu deux ou trois qui m'ont comme ça invité à l'antenne pour parler de qu'est-ce qu'on faisait, pourquoi on le faisait. D'ailleurs, ils m'ont pas mal questionné dans un coup de com. J'ai dit oui, je fais la com, mais je fais la com responsable parce qu'aujourd'hui, je n'ai rien à vous vendre. Par contre, j'ai un message à faire passer. Si on continue à consommer comme on consomme, c'est écrit, on va dans le mur. Donc, il va falloir changer. Et le changement, il n'est pas forcément triste, il n'est pas forcément malheureux. Au contraire, on va changer pour faire... moins mais mieux. Et c'est ça qu'on prône en fait. Donc il y a un autre modèle possible. Bon voilà, donc on n'a jamais autant parlé de Camille que quand on a fermé. Et la fierté que j'ai après avoir expérimenté ce premier renoncement qui a été vraiment mettre les pieds dans le plat d'un jonction contradictoire entre l'exigence économique de l'entreprise. On a perdu le meilleur jour de l'année et on a perdu plusieurs millions d'euros de chiffre d'affaires parce qu'on a réitéré cette opération chaque année depuis. Et l'injonction contradictoire avec les objectifs de mission qui ont été fixés, notamment celui d'un objectif sociétal, défendre un modèle de consommation responsable. Et en fait, cette injonction qui peut paraître contradictoire, elle l'est en fait sur le court terme. On a perdu le chiffre. Par contre, on a fait passer un message. Et sur le temps long, après avoir réitéré, je me suis rendu compte à quel point cette opération a été très bénéfique pour l'entreprise. On n'a jamais autant recruté de nouveaux clients sur ces 5-6 dernières années, qui sont des clients plus jeunes, vraiment qui cherchent à donner du sens aussi à leur consommation, savoir d'où ça vient, comment c'est fabriqué, et qui cherchent des marques qui sont engagées, mais qui sont surtout capables d'apporter des preuves de leurs engagements. Et là, ça a été un marqueur très fort de notre engagement sur la consommation responsable. Et l'impact très positif qu'on a eu, c'est que c'est un impact... systémique. C'est-à-dire qu'on a, au-delà de notre propre écosystème, au-delà de nos propres parties prenantes, eu un impact. L'année dernière, 1500 sites e-commerce n'ont pas fait le Black Friday. Et on fait passer des messages pour dire qu'on pouvait consommer différemment. Et ça, je suis fier parce qu'en 2017, on était tout seul et on me prenait pour un hurle-berlu. Donc oui, quand on a tout le système, forcément, à un moment, il y a des gens qui disent, non, mais tu vas trop loin. Par contre, j'ai toujours eu... j'ai toujours cherché à convaincre. Et je n'ai pas cherché à aller contre. Si tout le monde m'avait dit non, ce n'est pas possible. J'avais commencé par un point du lundi, qu'on fait tous les lundis depuis 2009, qui réunit toute l'entreprise, par poser cette question. Est-ce que pour le Black Friday, on va jusqu'à fermer ? Et donc, on vote avec les pieds souvent. Donc, tous ceux qui étaient pour se mettaient à gauche, tous ceux qui étaient contre se mettaient à droite. Et j'ai eu à peu près 60% qui étaient pour, parce que... c'était cohérent. Et il y en avait 20% qui ne savaient pas trop, et il y en avait 20% qui étaient contre en disant mais en fait, on fait quand même des produits co-responsables, Made in France et tout ça, donc, ok, si on fait du chiffre pour le FAD, c'est quand même pas mal. Et nos fournisseurs, on va les priver de chiffres. Et nos fournisseurs ont quand même besoin de travailler. Les fabricants en France, c'est pas simple d'être fabricant en France. Donc on a aussi une responsabilité vis-à-vis de nos parties prenantes et de nos fournisseurs. Et bon, voilà, je crois que ce qui a remporté la décision, c'est qu'il y avait quand même une large majorité. Et puis l'année d'après, on a interrogé nos clients et on a eu 90% de nos clients qui ont dit fermez encore C'est génial. C'est pour ça qu'on vous aime, c'est pour ça qu'on vous est fidèles. Donc ça, c'est chouette parce qu'il y a un alignement. Mais bon, après qu'on soit un peu incompris de temps en temps, c'est le lot de tout entrepreneur, c'est normal. C'est l'inverse qui serait anormal.

  • Speaker #2

    Alors te voilà désormais archiviste. Et selon toi, quel serait un événement clé, méconnu voire même inconnu, qui a marqué l'histoire et dont les effets se font encore sentir aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Il y en a beaucoup, mais en fait peut-être il y en a un que j'ai trouvé marquant. Et qui a... J'ai trouvé marquant parce qu'il a eu beaucoup d'impact positif. C'est une crise. Moi je crois beaucoup à la force des crises pour transformer le monde. en tout cas, participer à un déclic, c'est celle de 2008, la crise financière. Tout le monde a pensé que c'était une crise financière. Une crise financière, voilà. En fait, ce n'est pas une crise financière. C'est la crise de l'entreprise. Et ça, ça a été le constat de chercheurs de l'école des mines, Blanchet, Grestin et Armand Attuel, que j'ai eu la chance de rencontrer en 2013 dans mon parcours, qui se sont dit, en fait, il y a urgence à refonder l'entreprise. Et à force d'avoir mis le profit au-dessus de tout et comme seul et unique. objet social de l'entreprise, comme seule et unique raison d'être de l'entreprise, on s'est planté et on a été dans le mur. Mais grave, on a été dans le mur sur toutes les dimensions. Et on met la planète dans un état catastrophique qui n'est pas durable. Et donc, même si on est Friedmanien dans son approche, si la seule responsabilité de l'entreprise, c'est de faire du profit, aujourd'hui, le dirigeant doit se soucier d'autre chose que du profit à court terme. Sinon, il va dans le mur et demain, il ne fera plus de profit du tout. Et donc, eux se sont dit, il faut refonder l'entreprise. Et à ce moment-là, il y a eu une autre émergence. Et c'est un changement dans la finance, justement. Parce que là, c'était une crise qui a affecté quand même pas mal les banques et les fonds et tout ça. Et il y a eu l'émergence des tout premiers fonds d'impact qui se sont dit, au fond, et moi, j'ai eu la chance aussi de croiser leur route en 2013, puisque un des tout premiers fonds d'impact est rentré dans notre capitale, Citizen Capital. Et leur thèse d'investissement, c'est que... ce sont les entreprises qui sont les plus contributives, qui ont le meilleur impact social et environnemental, qui vont créer le plus de valeur pour les actionnaires. C'était encore une thèse d'investissement il y a quelques années, mais aujourd'hui, ils ont plus d'un demi-milliard sous gestion. Et des fonds à impact, il y en a beaucoup maintenant qui sont développés parce que la finance prend conscience, un, de son utilité dans la société. Pour changer le système, il va falloir beaucoup d'argent. Il va falloir investir massivement dans la transformation des entreprises. Et ceux qui investissent dans cette transformation des entreprises seront les gagnants de demain. Ça ne va pas être forcément du très court terme. Donc, il faut peut-être revoir un peu les règles sur le temps long, etc. Mais oui, c'est sûr qu'aujourd'hui, il faut investir dans la transition. Ceux qui n'ont pas fait la transition numérique, qui n'ont pas investi en 2000 sur la transition digitale de leur boîte, ne sont plus là aujourd'hui. Donc, c'est la même chose, beaucoup plus important. C'est la transformation du modèle économique de l'entreprise. Parce que comment on va adapter... l'entreprise ou comment on va réinventer nos modèles de production dans un monde où la ressource devient rare, où elle devient donc excessivement chère. On l'a vu avec la crise Covid, on l'a vu avec l'inflation sur les matières premières. Quelle entreprise peut résister à une énergie qui fait x10 du jour au lendemain ? C'est quasiment impossible. Vous êtes boulanger, vous avez une facture qui fait x10. Vous ne pouvez pas résister. Donc là, l'État joue son rôle au début d'amortisseur, mais de toute façon, sur la durée, c'est bien ce qui va se passer. Donc, il faut réinventer cette entreprise pour qu'elle soit moins gourmande en ressources ou qu'elle contribue même à être, à régénérer des ressources nécessaires à son fonctionnement. Ça, c'est quand même un changement hyper important. Et tout ça, c'est né pendant la crise de 2008. Et les chercheurs qui se sont dit, il faut refondre l'entreprise, ils ont dit, en gros, il y a deux choses à changer dans l'entreprise. La table de la loi de l'entreprise, donc ses statuts, et en particulier son objet social. qui ne peut plus se limiter à être le partage du profit entre actionnaires et qui doit intégrer au fond la raison d'être de l'entreprise et les objectifs sociaux environnementaux qu'elle entend poursuivre. Et en même temps, il faut changer un autre point essentiel de l'entreprise, sa gouvernance. C'est-à-dire que si on continue à confier la fabrique de la décision uniquement aux actionnaires, c'est-à-dire au conseil d'administration qui défend l'intérêt uniquement des actionnaires, et bien en fait, on va dans le mur. Et là, il faut donc introduire une nouvelle forme de gouvernance qui intègre davantage les parties prenantes et qui soit plus censée défendre non pas l'intérêt d'une partie prenante, les actionnaires, mais l'intérêt de l'entreprise et l'intérêt général que défend l'entreprise. Et ça, c'est le comité de mission qui est apparu dans le modèle de la société à mission. Et donc ça, c'était en 2008, ils ont fait, avec le Collège des Bernardins, ils ont fait un tout un... Et nous, on a eu la chance de faire le cas d'école de ce modèle de la société à objet social étendu, qui s'est fait appeler comme ça. Ce ne sont pas des marketeurs, ce sont des ingénieurs. Mais ce n'est pas complètement anodin que ce soit des ingénieurs, d'ailleurs, qui repensaient, redesignaient l'entreprise. On a besoin de designer le concept de l'entreprise. Et donc, on a expérimenté ça avec Camif, et là, on s'est dit, waouh, c'est un modèle super intéressant, c'est très puissant. Parce que ça nous oblige à un travail assez introspectif, pourquoi l'entreprise a été créée, et en même temps très prospectif, donc c'est un acte de leadership très fort pour le dirigeant, et que d'affirmer la contribution positive qu'on cherche à avoir pour le monde, c'est d'ailleurs une des premières choses que le fonds a un pacte avec lequel nous a challengé, c'est de dire, on sent bien que derrière le modèle Camif, qui défend la consommation, la qualité, le produire local, le Made in France, on était très pionniers, déjà le Made in France en 2009 c'était très ringard. Le durable, on sent bien qu'il y a un accroche sur le territoire, tout ça, c'est un modèle d'impact positif. Mais en fait, on a quand même besoin de repenser quelle est l'intention qu'on cherche à avoir avec le projet CAMIF. Et ces deux ans et demi de travail qui nous ont, en interrogeant des parties prenantes, qui nous ont conduit à finalement sortir que le projet CAMIF, c'était un projet de société. C'était un projet de défendre un nouveau modèle de consommation plus responsable, un nouveau modèle productif, embarquer la filière dans la... transformation vers une économie circulaire. Et ça, en fait, on l'a pris conscience par le travail collaboratif qu'on a fait, mais on l'a finalement sécurisé, pérennisé, en l'inscrivant dans les statuts en 2017. Et on s'est rendu compte que derrière, ça a beaucoup généré de transformations de notre offre, de notre modèle économique, de notre clientèle, et qui a été très bénéfique pour l'entreprise. Et donc, moi, j'ai voulu le partager, ça. avec le plus grand nombre, parce que je me suis dit, il ne faut pas que ça reste dans les mains des chercheurs et de quelques pionniers qui expérimentent, mais ça peut toucher toutes les entreprises, et ça peut devenir une force de transformation du monde qui est exceptionnelle. Parce qu'on ne va pas se transformer sous la contrainte. On ne va pas juste s'adapter. Ça ne suffira pas. En fait, les boîtes qui vont se dire, bon, on va s'adapter, de toute façon, on a notre culture, on est agile, donc on va s'adapter. Ça va être tellement vite qu'on ne va pas s'adapter, en fait. Les boîtes qui vont rester, c'est celles qui vont inventer demain. Donc là, je veux dire, ce modèle est puissant. On a besoin de le faire connaître. On a besoin aussi, parce que ce n'est pas simple, d'offrir un cadre de partage aux dirigeants qui vont s'engager sur ce chemin, qui est un chemin long, qui est un chemin de transformation. De toute façon, c'est le chemin qui transforme. Et de pouvoir aussi continuer à l'enrichir par la pratique et par le partage de pratiques. Donc, moi, j'ai cofondé la communauté des entreprises à mission en 2018, qui est une association d'intérêt général, pour faire ça. Et aujourd'hui, on n'est pas mécontent de voir que la dynamique est à l'œuvre. On n'a pas encore changé l'économie, mais j'y crois. Aujourd'hui, il y a eu la loi Pacte qui a introduit la société à mission, qui a introduit le modèle qui avait été théorisé par les chercheurs, expérimenté par quelques-uns et poussé par la communauté d'entreprises à mission. Dans la loi Pacte, il y a la société à mission. Et aujourd'hui, il y a 1700 sociétés à mission en France. Il y en a 4000 en Italie qui sont sur un modèle à peu près équivalent, qui s'appelle Società Benefit. Et voilà, aujourd'hui je suis en train de pousser le modèle pour qu'il devienne européen et bâtir un cadre européen à l'entreprise. Parce qu'au fond, d'ailleurs c'est un des constats des chercheurs, l'entreprise n'existe pas. En droit, l'entreprise n'existe pas. Seule la société existe. Et elle est gouvernée par le conseil d'administration, etc. Et on dit bien dans le droit, le droit des sociétés. Mais l'entreprise... est un impensé. Et donc, il faut penser l'entreprise. Dans tous les sens du terme, avec un A et un E. Et il faut penser l'entreprise parce que c'est ce véhicule-là qui va nous servir à changer le monde. Et c'est en activant ce véhicule, en lui redonnant du sens, en lui donnant une mission qui va créer une certaine tension dans l'entreprise et qui va obliger l'entreprise à réinventer son modèle, donc qui va devenir un levier d'innovation. qu'on va atterrir sur un nouveau modèle qui aboutit à une triple performance. On est obligé d'aller vers ça, environnemental, social et économique. Voilà, on est sur ce chemin et ce n'est pas fini. Ça va prendre probablement une génération ou deux, mais j'y crois.

  • Speaker #1

    Tu as beaucoup parlé de leadership, de transformation de leadership, de sens aussi que toi en tant que dirigeant et que bien d'autres dirigeantes et dirigeants souhaitent donner à leur action. À l'autre bout du spectre et complémentaire à ces transformations du leadership, on a aussi les transformations des cadres réglementaires. En Europe, on a à l'esprit la CSRD, ces nouvelles exigences telles qu'elles sont présentées de reporting. Comment, d'après toi, on va rentrer peut-être un peu dans de la technique, on transforme ce qui ressemble pour commencer à une nouvelle exigence de reporting. On se dit, tiens, la CSRD, c'est des données qu'il va falloir collecter en plus, des indicateurs qu'il va falloir suivre en plus. Et en plus, il va falloir faire valider notre rapport extra-financier. Comment tu transformes ce qui semble être au début une injonction technocratique venue de l'Europe en une vraie opportunité, en un catalyseur, en un accélérateur des changements du leadership dont tu parles ? Comment on transforme ce qui ressemble franchement à une punition technocratique en un formidable élan pour fabriquer des nouvelles grammaires stratégiques ?

  • Speaker #0

    Peut-être justement en définissant sa mission. parce que la mission est une façon de donner du sens à la CSRD. Si la CSRD se contente de faire une boîte à reporting et à faire encore plus de reporting extra-financier, etc., ça ne servira à rien. On a un peu expérimenté la chose avec la RSE, en fait. La RSE n'a pas fondamentalement transformé l'économie. Quand je vais à Produirable, je suis content de voir qu'il y a des belles boîtes qui font un très joli rapport, mais qui n'ont absolument pas changé de modèle économique. et qui ne sont pas prêtes de transformer le monde. Donc, je ne crois pas que... Et je vois même, puisqu'on est nous-mêmes labellisés Bicorp depuis 2014, donc on s'est mis sous contrainte pour reporter sur l'ensemble des dimensions du développement durable et pouvoir rendre l'entreprise transparente, comparable. Mais bon, quand c'est l'année de la recertification Bicorp, ce n'est pas l'année où les collaborateurs rigolent le plus parce que c'est beaucoup de reporting. Et puis, il y a beaucoup de questions. qui sont assez peu en lien avec le cœur de notre métier, le cœur de l'impact qu'on cherche à avoir. Et puis, comme tout label ou comme tout reporting extra-financier global qui s'adresse à toutes les boîtes, même si dans la CSRD, il y a quand même une étude qui nous permet déjà de définir quels sont en fait les grands enjeux de l'entreprise et donc de ne pas reporter sur des choses qui n'ont absolument rien à voir. Bon, malgré tout, ça reste assez standardisé. Et d'ailleurs, c'est bien l'objectif. La CSRD, l'idée, c'est de rendre les entreprises comparables sur leurs performances. extra-financière. La mission, c'est rendre l'entreprise incomparable. C'est de lui donner une différenciation qui fait que, ah ouais, là sur la mission, on va aller beaucoup plus loin. Alors, il y a des points communs, parce que quand on fait le travail pour définir sa mission, on regarde l'impact qu'on peut avoir sur l'écosystème, l'impact que les sujets environnementaux, sociaux ont sur l'entreprise. Donc, on fait aussi ce travail de double matérialité, mais on va aller mettre l'accent sur ce qui compte vraiment pour l'entreprise. Et on va définir peut-être deux, trois thématiques clés sur lesquelles l'entreprise cherche à avoir un impact. positif, et sur lequel elle va concentrer ses moyens, son énergie, ses ressources. Le danger avec ces SRD, c'est que beaucoup de dirigeants le prennent comme une contrainte de plus, et qui vont devoir mettre des ressources dessus, et du coup, pas mettre de ressources sur ce qui compte vraiment. Or, dans les reportings, il y a plein d'indicateurs qu'on compte, mais qui ne comptent pas, en fait. C'est Einstein qui disait ça. On peut compter ce qui... Enfin, je ne sais plus exactement, je n'ai plus la formulation. J'aime bien cette phrase. Tout ce qui compte ne se compte pas et tout ce qu'on compte ne compte pas. Un truc comme ça. Donc, je trouve intéressant la complémentarité des deux. D'avoir, et de toute façon, on sait très bien que le niveau de l'eau monte, donc le niveau d'exigence vis-à-vis de l'entreprise, de la société, etc., monte. Que, je dirais, aujourd'hui, une entreprise qui n'a pas structuré une démarche RSE, c'est quand même un peu inquiétant, on va dire. Donc, il faut le faire, quoi. Mais si on veut vraiment transformer l'entreprise, il va falloir définir ce sur quoi on a envie de changer le monde. Et ça ne va pas être un spectre très large, ça va être un spectre plutôt court, mais on va aller beaucoup plus loin. Par exemple, dans la labellisation Bicorp, je crois que notre boycott du Black Friday nous rapporte 0 points. Et puis que par contre, on a des questions sur quelle est la part de vos fournisseurs dans un rayon de moins de 322 kilomètres, parce que ça fait 200 miles où ça tomberont. Mais on a déjà fait remarquer aux Américains qu'on a... pas de fournisseurs dans l'océan Atlantique, on est à New York, donc pas très loin de l'océan Atlantique, et qu'on n'a pas encore de fournisseurs dans l'eau. Donc, on n'a même pas de point sur cette question, alors qu'on est les champions du Made in France, qu'on fait 75% de notre chiffre Made in France, 100% Made in Europe. C'est toujours les limites. Mais on a souhaité quand même se mettre sous contrainte et explorer ce champ assez large d'indicateurs et de questions relatives à la façon dont on fait du business, la façon dont on opère, la façon dont on échange avec nos parties prenantes, pour éviter d'avoir des trous dans la raquette. Parce que, rien qu'en lisant les questions de la CSRD ou de Bigorbe, on se rend compte que tiens, ah oui, ça, on n'avait pas pensé, peut-être qu'il faudrait qu'on y pense. Donc c'est pas mal, c'est une façon assez saine de faire du business. D'ailleurs, au passage, dans la loi Pacte, il y a eu une modification qui est passée un peu inaperçue, qui est l'article 1833 du Code civil, qui dit que toute entreprise doit prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux. Ça consacre l'obligation de la RSE. On est obligé aujourd'hui d'avoir une entreprise qui est responsable sur les enjeux sociaux et environnementaux. C'est la norme. Donc, il faut saisir l'opportunité de CSRD comme une obligation finalement de prendre un peu de temps pour réfléchir à l'entreprise dans le monde, les impacts du monde sur l'entreprise et l'impact de l'entreprise sur le monde. Mais il faut aller plus loin et ne pas se limiter à juste ça. Il faut vraiment prendre le temps de définir la raison d'être. et les objectifs socio-environnementaux qui sont singuliers à l'entreprise, qui vont faire sa différence, qui vont faire que cette entreprise a envie d'y travailler. On a envie d'aller y contribuer, d'y travailler parce qu'elle nous parle et que les thèmes sur lesquels elle est engagée, ça nous parle. Et le cadre de la sous-stabilisation, ça reste un cadre pour le coup volontaire. On n'est pas obligé pour le coup. Et moi, ce que j'aime dans ce cadre, c'est qu'il offre un grand champ de liberté. Et à l'intérieur d'un cadre où il y a un grand champ de liberté, il y a beaucoup d'audace. On peut oser, on peut libérer le management, on peut laisser la clé aux collaborateurs qui sont les mieux placés pour changer les pratiques, changer l'entreprise en fait, parce que le cadre est là. Et puis je dirais qu'il y a un autre point qui me paraît assez essentiel aussi, c'est dans les raisons pour lesquelles il faut aller plus loin et il faut se doter d'une mission. évidemment c'est un levier d'engagement très fort et un levier d'innovation et de performance mais c'est aussi une façon de transmettre l'entreprise et si on se remet un tout petit peu dans cette prise de recul du temps long, finalement la mission est un outil de transmission parce qu'elle est inscrite dans les statuts et dans la gouvernance de l'entreprise et que le jour où le dirigeant quitte l'entreprise, on a eu le cas avec Danone qui alors qu'Emmanuel Faber avait porté, incarné, fait voter à 99,5% dans une boîte cotée, c'était pas gagné le modèle, le passage à la société à mission Le jour où il est parti quelques mois plus tard, alors que dans une entreprise classique, sans un modèle fort comme ça, tout se serait écroulé, il serait parti et tout se serait arrêté en fait. Là, la mission a continué. Le comité de mission est continué. Pascal Lamitte, président du comité de mission. Donc, on jugera dans quelques années si la mission a aidé Danone à se transformer, se réinventer et avoir finalement un impact positif sur les enjeux, notamment sur la santé ou autre.

  • Speaker #1

    Je voudrais faire une sorte de synthèse de ce que tu nous as dit jusque là. Bien sûr, elle ne sera pas exhaustive. À nouveau, l'expression « faire société » est revenue à plusieurs reprises dans tes propos. Tu viens de nous rappeler que s'inscrire dans le cadre de la société à mission, c'est se donner les moyens de donner envie, de donner envie déjà à soi-même de faire ce que l'on fait, à ses collaboratrices, collaborateurs. Tu as employé une expression intéressante aussi en parlant du label Bicorp. Tu as dit... Nous nous sommes mis nous-mêmes sous contrainte. Est-ce que quelque part, cette mise sous contrainte, c'est quelque part une sorte d'échauffement, c'est un outil de préparation à un monde qui est en train d'arriver, qui lui sera peut-être bien plus contraint ? On parle de limites planétaires, on parle de contraintes biophysiques qui pèsent sur les entreprises. Est-ce qu'en fait, c'est une sorte d'échauffement, cette mise sous contrainte avec des labels Bicorp ? Est-ce que c'est un outil qui doit donner même confiance à tes actionnaires qui sont là parce qu'ils souhaitent une valeur ? présentes et futures de la camif, et toi, tu leur donnes des gages, quelque part, des moyens que tu mobilises pour anticiper, te préparer et te mettre déjà au diapason d'un monde économique que l'on ne connaît pas encore parce qu'il n'a jamais existé. Le monde sera différent. Tu te mets sous contrainte, tu anticipes, tu t'entraînes, tu te mets déjà à l'épreuve des futurs, quelque part, avec ces labels. Est-ce que c'est à peu près juste ou à côté de la plaque ?

  • Speaker #0

    Non, non, je pense que c'est très juste. Ce n'est pas uniquement les labels qui font ça, mais je pense que la raison d'être et les objectifs sociaux environnementaux qu'on inscrit dans nos statuts quand on est une entreprise à mission, c'est une façon de se mettre en contrainte. C'est donc une façon aussi de se mettre en mouvement. Quand on renonce au Black Friday ou quand on renonce au produit de grand import, ce qui nous est arrivé en 2021, on s'est carrément mis sous contrainte. On n'était pas obligé d'aller jusque là. On avait encore 7% du catalogue qui était fait avec des produits fabriqués à l'autre bout de la planète et on s'est dit, ce n'est pas cohérent. Donc, on va couper tout ça. On s'est privé d'électroménager, de mobilier de jardin. On a perdu du chiffre et on s'est mis sous contrainte d'aller trouver des alternatives locales. Et moi, je pense que j'ai expérimenté le renoncement et je sais que quand on fait le chemin de l'entreprise à mission, oui, on va faire mieux, mais on va aussi faire moins. Il y a des choses qu'on va arrêter même carrément. Et que le renoncement est une façon... d'accélérer la transformation de l'entreprise. Pourquoi ? Quand on renonce à une activité, certes, on se prive tout de suite de chiffres, mais on libère aussi de l'énergie qui est mise sur des choses qui ne sont a priori pas les plus contributives pour le futur de l'entreprise, pour les mettre sur ce qui compte vraiment, justement, ce qui va faire l'avenir de l'entreprise. Et donc, quand je libère quelque part l'énergie de mes chefs de produits qui passaient du temps à discuter, à dialoguer avec des fournisseurs qui étaient à l'autre bout de la planète, mais qui représentait encore 7% du chiffre. Donc ce n'était pas énorme, mais ça prenait de l'énergie du temps et qu'ils ne pouvaient pas faire pour aller relocaliser des choses. Et quand je vois que derrière ça, on a eu la collection Louison, par exemple, qui est une collection entièrement faite avec du lin français, puisqu'on est le premier producteur au monde de lin. Mais par contre, toutes nos productions partent à l'étranger pour être filées, peignées, tissées, confectionnées et reviennent sur nos marchés. Elle, elle a dit, moi j'ai trouvé, elle a pris du temps, elle a mis deux ans, mais au bout de deux ans, elle a trouvé pour reconstituer toute la filière. Tous les prestataires, les sociétés en France qui existaient plus ou moins, et on a sorti la première collection entièrement faite en France de lin, linge de maison en lin, de la graine de lin au linge de lit. Ça, finalement, c'est un impact positif du renoncement. Donc le renoncement. Il déséquilibre l'entreprise, mais en la déséquilibrant, il la met en mouvement. Comme l'époque, si on marche, c'est qu'on se met en déséquilibre. Donc, pour marcher, il faut parfois renoncer à des choses. Quand on se met sous contrainte, c'est bien ça, c'est qu'on s'oblige à se réinventer. Quand nous, on dit en 2017, on va faire de l'économie circulaire et on va embarquer la filière là-dedans, rien ne nous oblige à faire ça. Et ça nous a pris beaucoup de temps pour essayer de voir comment on allait faire. On a fait un camis-faton, on a fait... pendant trois jours, des fournisseurs, des experts de l'économie circulaire, des designers, des collaborateurs, des consommateurs, en leur disant, essayons d'inventer ensemble des nouveaux produits pour Camif demain, mais avec cette exigence de faire que de l'économie circulaire. Et bien, on a sorti au bout de quatre ans. Alors, ça a pris du temps, mais c'est ça, c'est du temps long. Le matelas Timothée, premier matelas entièrement fabriqué à partir de vieux matelas recyclés. C'est une première boucle d'économie circulaire au sein de la filière Lytry. Et ce qui est intéressant dans ce produit, alors d'abord, c'est que ça incarne exactement ce que c'est l'entreprise à mission. C'est quelque chose de très concret, un matelas, en l'occurrence, qui est au cœur du modèle économique de l'entreprise. Contrairement à tout ce qu'on peut faire en matière de RSE, qui peut être un peu périphérique, on va mettre des ruches sur le toit de l'entreprise, c'est génial, c'est bien, mais ça ne va pas changer le modèle. Là, on est au cœur du modèle dans l'entreprise. Et ce qui est bien, c'est qu'on a su prouver avec ce matelas, qui est devenu en quelques mois un des best-sellers. de l'offre CAMIF, qu'on pouvait avoir de la performance économique, de la performance sociale et environnementale. On a traversé une crise, encore une de plus. crise Covid, plus la crise inflationniste qui a suivi, avec une inflation très très forte sur les matières premières. Et nous, on a pris à peu près 27% d'augmentation de nos prix d'achat moyen. Et sur les mousses conventionnelles issues du pétrole, ça a flambé. Ça a été beaucoup plus que ça. Mais notre matelas, Timothée, lui, il n'a pas flambé. Parce que des matelas recyclés, il y en a toujours autant. Donc avec la mousse issue des matelas recyclés, elle a préservé nos marges dans un moment où toutes nos marges ont été mises sous tension. On a gagné. de la marge dans un moment où tout le monde a perdu de la marge. Et donc ça, si on a réussi à faire ça en 2021 ou 2022, c'est parce qu'en 2017, on s'était dit, il faut faire de l'économie circulaire. C'est ça que nos fournisseurs attendent de nous parce que quand on leur parle depuis 2009 des déco-conceptions de machins, personne trop leur en parle et ils nous ont dit c'est ça la valeur que Camif crée pour nous. C'est pas tant le chiffre qu'on fait avec vous, mais quand vous venez et vous faites le tour du Made in France, que vous arrivez avec des experts, des clients, et des collaborateurs Camif, qu'on travaille avec les ouvriers l'après-midi, personne ne fait ça avec nous. Et quand vous nous challengez sur d'où viennent les composants, combien de pourcentage du recyclé, ça, personne ne le fait avec nous. Mais c'est ça qui nous tire vers le haut, ça nous sort la tête du guidon. Et c'est pour ça qu'on aime travailler avec Camif. Et ça, c'est chouette. Et du coup, cette triple valeur créée par Timothée, c'est plus de marge, devenu un best-seller. C'est une valeur sociale quand on crée un emploi à New York, c'est 10 emplois en France, on a fait une étude d'impact là-dessus, et c'est une valeur environnementale puisqu'on a fait les analyses de cycles de vie de ces produits-là, et c'est en moyenne 50% de CO2 évité par rapport à un produit conventionnel, travaillé de manière conventionnelle et fabriqué à l'autre bout de la planète. Donc, on réussit à apporter la preuve de cette triple performance. Et effectivement, dans cette crise des ressources qu'on ne pouvait pas anticiper, dans cette crise inflationniste qu'on ne pouvait pas anticiper sur le prix de l'énergie, le prix des matières premières, Le fait d'avoir eu de l'avance et de s'être fixé cette mission qui nous a mis en tension dès 2017, ça nous a peut-être sauvé.

  • Speaker #1

    Alors te voilà enfin acupuncteur. Selon toi, quelle serait une décision, une action, une intervention qui pourrait aujourd'hui contribuer de manière significative à la fabrique d'un monde habitable ? Tu n'as qu'une seule aiguille en tant qu'acupuncteur, ou la plante tue.

  • Speaker #0

    Dans le cerveau. Je l'ai planté dans le cerveau directement parce que tout part de là. Alors il y a cet alignement tête-coeur-corps super important, mais la tête quand même c'est celle qui guide et on a besoin de changer de logiciel. Donc on a besoin de le mettre dans nos cerveaux pour qu'on ait envie de passer à l'action, qu'on invente, qu'on imagine, qu'on dope la créativité autour de ce modèle de demain qu'il faut inventer. Qu'est-ce qui va nous donner envie de consommer différemment ? Qu'est-ce qui va nous donner envie de nous déplacer différemment ? Qu'est-ce qui va nous donner envie de faire société différemment ? Je pense que c'est l'aiguille la plus importante. Puis je la ferai chauffer un peu là pour qu'elle... Mais bon, on a une telle créativité. Donc moi, je suis optimiste. Donc je pense que si on plante cette petite aiguille dans le cerveau, elle peut provoquer des inacelles incroyables. Donc probablement parce qu'on est un peu aussi face au mur et qu'on se pense écrise les unes après les autres, on est un peu forcé de réfléchir différemment. Et on a toujours été assez malin, je pense, pour inventer des nouveaux modèles. Et là, il y a urgence, en fait.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce que tu vois comme signe, justement, qui nourrisse ton espérance, qui te font penser qu'on peut résolument aujourd'hui être à la fois lucide, un adjectif qui convient, je pense, à plusieurs diagnostics que tu as posés ? Et optimiste, est-ce que tu as des situations dans ta vie pro ou en dehors que tu rencontres, que tu constates, qui nourrissent cet optimisme lucide ? Et peut-être une question liée aussi, quel rôle est-ce que tu vois dans tout ça pour les imaginaires, pour les visions du monde qui sont en émergence aujourd'hui mais qui peut-être demeurent encore aux marges ? Est-ce qu'on a les imaginaires, est-ce qu'on a cette capacité à imaginer ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'il y aura de la résistance, il y a beaucoup de résistance du vieux monde. Et puis quand on voit l'émergence de nouveaux modèles genre Shine, Feng Shui, Temu et tout ça, on se dit « Waouh, ça va exactement dans le sens inverse de ce qu'il faudrait qu'on fasse » . Et là, tu es là à te dire « Bon, c'est pas gagné » . Moi, ce que je vois, c'est les dirigeants qui se sont engagés dans cette voie qui ne sont pas forcément des gens particulièrement engagés mais qui y vont parce qu'en fait, ils ont compris que c'est ce qui fera l'avenir de leur entreprise. Et donc, au fond, il n'y a pas d'autre voie possible. Mais bon, ça risque de prendre encore du temps. Je vois quand même qu'il y a beaucoup de dirigeants et de salariés qui bossent dans ces boîtes, qui trouvent du plaisir et beaucoup de plaisir. Je crois qu'il ne faut pas oublier cette notion de plaisir, elle est essentielle, dans un projet collectif qui consiste à œuvrer, pas que pour leurs actionnaires, mais à œuvrer pour un monde meilleur, un monde soutenable, bref. Je pense qu'il faut être au rendez-vous de l'histoire, parce qu'on est un peu dans une période de charnière. C'est un moment où il y a quand même... dynamique entrepreneuriale que je trouve assez forte. Moi, quand je suis sorti de mon école de commerce en 93, il y en était deux à monter notre boîte. Aujourd'hui, il y a plein de jeunes qui montent leur boîte et moi, ça se trouve très positif et que ce soit partout. C'est dans les quartiers, c'est à la sortie des grandes écoles, c'est partout. Je crois donc beaucoup à l'importance de l'entrepreneuriat pour réinventer le monde parce qu'on a besoin davantage d'entrepreneurs à la tête des entreprises et peut-être un peu moins de gestionnaires. Parce que ce n'est pas avec les recettes du passé qu'on va monter demain. Donc, c'est bien. Il va falloir miser sur notre créativité, notre intérêt. Et ça, c'est chouette. Je trouve ça assez excitant en fait, de dire, là, il y a une valeur qui va être montante, c'est celle de la créativité. Mais à côté de ça, il y a des défis immenses et puis il y a des forces contraires qui vont faire de la résistance jusqu'au bout. Et je crois qu'on a quand même aussi la chance en Europe, et moi je crois à ça, à l'importance de sortir de cette... Cette domination du modèle américain, très consumériste encore, vraiment c'est fou, et de se différencier du capitalisme chinois ou américain et d'inventer un nouveau modèle, une nouvelle voie. Et on a une histoire, des valeurs qui nous permettraient d'affirmer davantage cette place et ce rôle de l'entreprise dans la société et donc définir un nouveau cadre pour l'économie. J'ai partagé il n'y a pas très longtemps avec des Japonais qui, pareil, ne se reconnaissent pas dans le capitalisme chinois ni américain et qui réfléchissent. Ils ont monté un groupe de travail qui s'appelle Future of Capitalism et donc ils réfléchissaient, ils voulaient avoir un peu notre retour d'expérience sur l'entreprise à mission. Je trouve ça assez chouette parce que finalement, on voit que dans pas mal de pays dans le monde, on réfléchit à l'avenir de l'économie. Et on sait bien que l'avenir de l'économie passera par... Enfin, il n'y a pas une économie qui sera soutenable si la planète ne l'éparte. Donc... À un moment donné, il va y avoir cette grande convergence. Je vois aussi de l'espoir dans les jeunes, quand je vois des jeunes. Pas tous, parce que les jeunes sont aussi sur Shine et Temu, mais je vois aussi quand même beaucoup d'espoir chez les jeunes, qui sont beaucoup plus informés, conscients que nous on l'était quand on était jeunes. Donc je pense que ça fait son chemin. Mais la difficulté, c'est que tous ces changements prennent du temps, et vont prendre du temps, et qu'en même temps, il y a de l'urgence. Et l'autre difficulté, c'est qu'il va falloir être très persévérant et finalement patient. tous les changements qu'on va opérer, on n'en verra pas de notre vivant les impacts positifs. Donc ça veut dire que même si parfois ça passe par des sacrifices ou des choses où on va renoncer à des choses, c'est rare, on va renoncer à ça, à ça, ça continue à monter, les températures et machin, ça va monter encore. Et ça, je trouve que c'est difficile, ça veut dire une forme d'abnégation et de dire il faut que je pense, il n'y a pas très longtemps, il y a un an ou deux, j'avais rencontré les sept ou... gardien des grandes forêts là et c'était chouette parce qu'il disait bah nous on réfléchit à comment on réfléchit toute décision qu'on prend c'est pour la septième génération quoi. Ah ouais nous on a déjà du mal à réfléchir à plus de trois mois donc voilà.

  • Speaker #1

    On va rester je pense sur cette rencontre inspirante et peut-être le slogan de l'éditeur français de logiciels libres, la route est longue mais la voie est libre. C'est ça. Merci beaucoup Emery.

  • Speaker #0

    Merci.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode de Nos Limites, produit par Logarithme. L'ensemble des épisodes est disponible sur toutes les plateformes et sur le site atelier-desfuturs.org. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous et n'hésitez pas à en parler autour de vous. A bientôt !

Description

Emery Jacquillat est un entrepreneur, président de la CAMIF, une entreprise française de commerce en ligne, et cofondateur de la Communauté des Entreprises à Mission.


À rebours des soi-disantes meilleures pratiques de gestion d’entreprise et de conception de business model, il s’implique et il implique depuis plusieurs années son entreprise dans la lutte contre la surconsommation, pourtant synonyme de revenus, encouragée notamment par le Black Friday.


Dans l’entretien à suivre, Emery se demande si l’entreprise pourrait être à la fois la cause et le remède au dérèglement climatique et aux menaces qui pèsent sur l’habitabilité de la planète, remonte le temps pour envisager la crise de 2008 non pas comme une crise financière mais comme crise de l’entreprise, et argumente enfin en faveur d’un renouvellement des imaginaires.


Entretien enregistré le 23 septembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    I can slightly hear it. Nos limites.

  • Speaker #1

    Un podcast de Thomas Gauthier, produit par Logarith. The growing threat of climate change could define the contours of this century. The world is waking up and change is coming,

  • Speaker #0

    whether you like it or not.

  • Speaker #1

    Une enquête à bord du vaisseau Terre à la recherche d'un nouveau cap pour l'humanité.

  • Speaker #0

    Nous sommes en train d'atteindre les limites planétaires, nous sommes en train de détruire ce qui nous permet de vivre. La modernité, c'est la vitesse. Et c'est vrai que ça va un peu vite.

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, on ne va pas se permettre de ne pas s'engager. Il faut qu'on soit dans une science de combat. Enseignant-chercheur à EM Lyon Business School, Thomas va à la rencontre de celles et ceux qui explorent le futur et se remémorent l'histoire pour bâtir un monde habitable dès aujourd'hui. À chaque épisode, son invité, curieux du monde à venir, commence par poser une question à l'oracle. Ensuite, tel un archiviste, il nous rapporte un événement méconnu du passé dont les conséquences sont pourtant bien prégnantes dans le monde actuel. Pour conclure, il devient acupuncteur et propose une action clé afin d'aligner les activités humaines sur les limites planétaires. Emery Jaquia est entrepreneur, président de la CAMIF, une entreprise française de commerce en ligne. Il est également cofondateur de la Communauté des entreprises à mission. À rebours des soi-disant meilleures pratiques de gestion d'entreprise et de conception de business model, il implique depuis plusieurs années son entreprise dans la lutte contre la surconsommation, notamment encouragée par le Black Friday. Dans l'entretien à suivre, Emery se demande si l'entreprise pourrait être à la fois la cause et le remède aux dérèglements climatiques et aux menaces qui pèsent sur l'habitabilité de la planète. Il remonte le temps pour envisager la crise de 2008 non pas comme une crise financière, mais comme crise de l'entreprise. Pour finir, il argumente en faveur d'un renouvellement des imaginaires.

  • Speaker #2

    Bonjour Emery.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #2

    Alors ça y est, tu es face à l'oracle, tu peux lui poser une question, quelle est-elle ?

  • Speaker #0

    Wow. Est-ce que vous pensez vraiment que l'entreprise, qui est clairement aujourd'hui, on le sait, à l'origine de tous les dérèglements qu'on observe, peut être également demain la solution ?

  • Speaker #2

    Bon alors là, tu attaques l'oracle de manière assez nette et précise. J'aimerais juste que peut-être pour commencer... T'élabore un tout petit peu, qu'est-ce qui te fait dire que l'entreprise est à la source de ce que t'appelles les problèmes d'aujourd'hui ? C'est quoi la source ?

  • Speaker #0

    Je pense que de tout temps, l'entreprise a transformé le monde. Elle est à l'origine de toutes les grandes transformations. Aujourd'hui, le train, le vélo, la voiture, l'avion, l'internet, le téléphone, la radio, la télé, tout ce qui a transformé profondément le monde, ce sont des entrepreneurs, ce sont des entreprises. qui l'ont très souvent inventé et porté à l'échelle. Et aujourd'hui, je pense qu'on est la première génération à avoir pris conscience, d'abord on observe, on observe ce qui se passe autour de nous, notre environnement. Les scientifiques depuis 50 ans nous disent ce qu'il en est. On est la première génération à avoir pris conscience du lien entre ce qu'on observe, le dérèglement du climat, les problèmes de biodiversité, les inégalités croissantes et nos modes de vie. C'est-à-dire nos modes de consommation, nos modes de déplacement, nos modes de production, au fond, nos modes de faire société. Et on est probablement aussi la dernière génération à pouvoir agir avant que tout nous échappe. Donc la question c'est où est-ce qu'on agit ? On a besoin de tous, on a besoin de l'action de tous, on a besoin des activistes, on a besoin des scientifiques, on a besoin des états, on a besoin des collectivités, on a besoin des entreprises, on a besoin des citoyens. L'enjeu clé, c'est qu'on ne reste pas dans une forme de triangle de l'inaction en disant tant que les États ne me contraignent pas, je ne vois pas pourquoi je vais bouger moi-même. Tant que les citoyens ne bougent pas, je ne vais pas bouger. Tant que l'entreprise ne bouge pas, je ne vois pas pourquoi je demanderais à... Et qu'on reste dans ce triangle de l'inaction dans lequel j'ai un peu l'impression qu'on est depuis qu'on sait, en fait. Parce que d'abord, on n'aime pas le changement. Et ensuite, on a un changement là, on a un problème qui est systémique. c'est le système terre et on a un changement systémique à opérer Et c'est affreusement difficile, ce système. Et on n'a pas envie de le faire. Parce qu'on a envie de vivre comme on a toujours vécu. Et sur le même modèle, c'est tellement plus simple. Donc aujourd'hui, il faut tout réinventer. Et tout le monde a sa part. Les citoyens ont leur part. Les États ont leur part. Les entreprises ont leur part. Moi, je crois que l'entreprise est le plus puissant levier de transformation de la société qu'on ait à disposition. C'est pour ça que j'ai envie de poser cette question. Parce que si tu regardes les citoyens, même si je transforme toute l'audience là en Greta Thunberg et qu'on ne prend plus l'avion, on ne mange plus de viande et qu'on ne prend plus la voiture pour les trajets de moins de 3 km, on n'a fait qu'une petite partie du chemin pour nous limiter dans la trajectoire des 2 degrés de l'accord de Paris. Si je prends les États... Et j'observe, et ils ont pourtant un sacré pouvoir les États. C'est nous en fait les États. Ils ont un pouvoir par la réglementation, par la contrainte. Ils ont un pouvoir par la fiscalité. Ils ont un pouvoir par la commande publique. Donc ils ont un sacré pouvoir. Et même ils ont un pouvoir en se mettant ensemble et en coopérant. C'est ce qui s'est passé avec les COP successives. Moi quand j'ai démarré ma boîte, c'était la COP en 95, la première COP. Et aujourd'hui après la 24e, 25e, je ne sais même plus à combien on est. On est là. On voit que le nombre de particules de CO2 dans l'atmosphère n'a fait que monter. On est passé de 365 à plus de 420. Donc, même avec la coopération, les États ont failli, quelque part, à résoudre un des problèmes, ce n'est pas le seul, mais celui, par exemple, de la concentration de CO2 dans l'atmosphère qui participe au dérèglement du climat. Et moi, ma conviction, c'est que ce sont les entreprises qui ont le plus puissant pouvoir de transformation de la société et qu'on peut changer le monde. mais on peut le changer de l'intérieur. Et donc la question c'est, qu'est-ce qu'on doit changer dans l'entreprise pour transformer la société ?

  • Speaker #2

    Donc là tu as à plusieurs reprises utilisé l'expression faire société, tu t'exprimes aujourd'hui notamment en tant que président d'une entreprise, qu'est-ce qui se passe dans la tête d'une dirigeante ou d'un dirigeant qui se donne... pour elle-même ou pour lui-même, de mission de contribuer à faire société, quelles sont tes incitations, quelles sont tes motivations, quelles sont tes injonctions ? Tu rends compte à qui, quand tu te dis, en te levant, que tu es non seulement président d'une entreprise, donc tu as des comptes à rendre à des parties prenantes à l'intérieur de celle-ci et juste à l'extérieur de celle-ci, mais tu as aussi des comptes à rendre, entre guillemets, à l'humanité tout entière ou au monde tout entier. Ça vient d'où, en fait, cette envie de connecter son action, comme tu l'as dit, au système Terre ?

  • Speaker #0

    Ça vient de donner un sens à sa vie. Parce qu'en tant que dirigeant, on n'est pas absent de cette quête de sens. Et quand on prend conscience, parce qu'il y a un petit travail quand même de prise de conscience de notre pouvoir en tant que dirigeant d'une entreprise, et que si vraiment on aime la planète dans laquelle on vit, si on aime ses enfants et qu'on va priver, on va aimer ses arrières-arrières petits-enfants, même si on ne les connaît pas, on a besoin aujourd'hui de construire le monde de demain. On a besoin aujourd'hui de prendre des décisions qui vont aller dans le bon sens. C'est ça. Le sens qui consiste à laisser une planète au moins aussi viable, habitable, agréable à vivre que celle qu'on a trouvée quand on est né. Et là, pour l'instant, on ne prend pas tout à fait ce chemin. Donc, c'est là où, moi, je dis, c'est une forme d'alignement, en fait. Et donc, la question qui vient, c'est comment j'utilise mon entreprise avec son modèle économique, avec son métier, avec sa présence sur ses territoires ? avec sa présence dans toute une chaîne de valeurs, pour faire bouger les choses, pour faire bouger le système, et pour inventer un modèle qui soit soutenable. Et qui soit soutenable sur tous les plans. Économique, d'abord, parce que si on n'invente pas un système économique soutenable, on ne va pas durer longtemps, donc on ne va pas transformer le système. Mais surtout, social et environnemental. Enfin, soutenable socialement et environnementalement. Et donc c'est une question assez profonde en fait, parce que c'est une question presque existentielle. C'est pourquoi j'existe ? Moi, tant que dirigeant, pourquoi mon organisation existe et à quoi elle sert ? Et comment elle peut être utile ? Et on sait très bien que ce qui fait la valeur d'une entreprise, c'est son utilité. Plus elle sera utile, plus elle aura de valeur. Et donc aujourd'hui, l'utilité d'une entreprise, c'est sa contribution au monde. Alors bien sûr, une entreprise a un métier, elle peut rendre des services, etc. Mais entre deux entreprises qui font le même métier, nous par exemple, chez Cabif, on a des fabricants de meubles, Les fabricants de meubles font exactement la même chose, ils font des lits pour chambres enfants et pourtant ils ont deux missions radicalement différentes. Il y en a un qui fait de l'insertion par le travail de personnes en situation de handicap, c'est sa mission. Et en fait, plus il fabrique un meuble, plus il fera d'insertion et plus il réalisera sa mission au fond. Donc il a un impact social. très important et très positif. Puis il y en a un autre qui est en train d'inventer la façon de réduire drastiquement les émissions de composés organiques volatiles à l'intérieur de la maison, parce qu'on sait que l'air intérieur de la maison est quatre fois plus pollué que l'air extérieur. Voilà deux entreprises qui ont le même métier, mais des missions différentes. Pourquoi ? Parce que les dirigeants ont une sensibilité différente et qui veulent donner un sens différent à leurs entreprises. Ce sont les mêmes entreprises, fabriquent tous les deux des chambres, mais par contre... La façon dont ils réfléchissent le projet, l'impact conscient, l'intention derrière le projet, est très différente. On n'est pas obligé d'avoir une intention dans un projet. Quand on monte sa boîte, on ne se pose pas toutes ces questions, nécessairement. On peut monter sa boîte en disant, tiens, j'ai découvert qu'il y a un service que je pourrais lancer, qui n'existe pas et qui va créer de la valeur. Mais très vite, on est un peu rattrapé par ce sens qu'on a envie de donner à sa vie. C'est une question d'alignement du dirigeant. Et ensuite... de l'ensemble de l'entreprise. On disait l'entreprise, on y fait société. Et probablement, c'est d'ailleurs un des derniers lieux où on fait société. Quand on voit aujourd'hui les dérives aux Etats-Unis, l'entreprise s'est déchirée. Là où on peut se parler encore, là où on travaille ensemble, là où on va partager des choses, partager des expériences, passer à l'entreprise en fait. Et l'entreprise, c'est ce lieu de faire société. Quand on fait société, on a déjà une responsabilité, c'est d'arriver à organiser ce schéma, cette organisation où on va pouvoir partager nos énergies, notre travail, notre capital. Il ne faut pas oublier que l'entreprise, ça reste un projet collectif. Qu'est-ce qui fait qu'on a envie d'être ensemble ? C'est quoi notre raison d'être ensemble ? Et ça, c'est une question qui est donc... assez existentielle et assez profonde qui vient à un moment donné dans sa vie poussée par soit une prise de conscience personnelle Quand on a écouté un janko quand on a vu des films voilà moi je sais on peut être un peu être un peu inquiet ou un peu interpellé et on peut faire bien avant son propre parcours à toi justement alors d'abord l'arrivée de mon premier enfant en 2000 C'est en fait quel monde je suis en train de bâtir pour lui et pour la génération d'après. La vérité qui dérange ensuite, c'est un film que j'ai trouvé marquant, je ne sais plus, c'était en 2004 ou quelque chose comme ça. Ensuite, c'est les crises. Et notamment la crise de 2008, où ça a été la faillite de la CAMIF, qui avait été créée en 1947, qui était une coopérative. Et là, je me suis dit, en fait, il y a une opportunité. je crois que les entrepreneurs voient ça dans les crises, ils voient les opportunités, de réinventer un nouveau modèle et de faire quelque chose qui est une vraie alternative à ce que j'ai pu observer sur le marché. J'avais monté ma boîte dans l'équipement de la maison, dans la litterie en 1995. Et j'ai observé d'une année sur l'autre la grande distrib qui va toujours chercher ailleurs parce que c'est moins cher. Donc, on va toujours chercher plus loin, moins cher ailleurs. Et je me suis dit, là, avec Camif, on a tout pour réinventer un modèle. On a une marque qui est... très fort, un attachement très singulier des clients à cette marque et des valeurs qui sont fortes de solidarité. Et on peut inventer un nouveau modèle. Et donc, c'est ça qui m'a motivé pour partir à New York et aller relancer Camif. Donc, cette question, après, c'est un chemin personnel. Chacun va être percuté à un moment donné. Et pas qu'une fois, il va falloir plusieurs coups de percussion pour nous réveiller. Et quand on est conscient, on se dit, c'est sûr qu'il faut qu'on se bouge. Et moi, en tant que dirigeant d'entreprise, mon levier d'action, c'est l'entreprise. Et quand je me rends compte qu'en fait, quand tu cumules l'ensemble des entreprises sur Terre, tu as une force incroyable qu'on peut activer. Si tant est qu'on réfléchisse à la contribution positive qu'on cherche à avoir, comment on peut avoir à réconcilier le business et l'impact. Et c'est possible. Ça se travaille. Et là, ça devient un projet qui est encore plus excitant, encore plus passionnant, qui suscite davantage d'engagement de l'ensemble des parties prenantes, des salariés, à commencer par les salariés. Et donc là, on s'aperçoit qu'en fait, ça c'est excitant. Tu vois, j'en ai la chair de poule.

  • Speaker #2

    On t'a déjà fait sentir, alors ça peut être une collaboratrice, un collaborateur, ou alors une partie prenante à l'extérieur de la CAMIF. que tu allais trop loin ou alors que tu commençais à conduire des raisonnements stratégiques qui échappaient aux logiques, disons orthodoxes, de la bonne gestion de l'entreprise, de la maximisation peut-être de certains indicateurs. Est-ce qu'on t'a déjà fait ressentir que, écoute Laemry, tu es allé juste un peu loin ?

  • Speaker #0

    Bien sûr, tout le temps en fait. Parce que dès que tu commences à t'adresser au système, T'as une réaction du système. La réaction du système, elle est violente en fait. On ne s'en rend pas forcément compte. Moi, tout arrive, on a mis la mission, on a mis consommation responsable au cœur de la mission de Camif. Bon, moi je convoque mes actionnaires, je leur dis, si notre premier objectif de mission, c'est bien celui qu'on a travaillé depuis trois ans et qu'on décide de fermer le site pour boycotter Black Friday, ça paraît logique, non ? Bah, pas pour eux. Donc ils avaient passé, ça n'a pas été mon meilleur comité stratégique de ma vie. Ils ont passé deux heures et demie à essayer de me convaincre de... Oui, c'était logique qu'on ne fasse pas le Black Friday, mais on n'était pas obligé d'aller jusqu'à fermer. Et là, j'ai senti que j'avais touché quelque chose. Faire la grève du chiffre d'affaires, c'est toucher un dogme, celui de la croissance. J'avais touché quelque chose qui a heurté un certain nombre de mes actionnaires qui pourtant étaient quand même assez ouverts, etc. Et j'ai fini de les convaincre au bout de deux heures et demie en leur disant, écoutez, là, on a une occasion unique pour faire passer notre message. Et en fait, pour aussi... parler d'un nouveau modèle de consommation qui est au cœur de ce qu'on défend. Une consommation plus responsable, où on va consommer moins, mais mieux. Et nous, on est dans le mieux, on est dans plus de local, plus de qualité, plus de durabilité. C'est unique comme opportunité. Mais sachez que personne, aucun journaliste ne s'intéressera à un site qui ne fait pas de promo. Parce qu'ils m'ont dit, t'as qu'à pas faire de promo. Mais par contre, un site qui ferme, il y avait peut-être une chance. qu'il y ait quelques journalistes, quelques médias qui reprennent l'information. Et là, j'ai eu la chance, j'ai eu quelques surfraudes, parce que quand on a... Donc, je les ai convaincus. Je leur ai dit, de toute façon, moi, je pense que ce qu'on attend aujourd'hui d'un dirigeant, c'est de l'audace, parce qu'on ne changera pas le monde avec de l'eau tiède, mais avec de l'audace. Et donc, oui, il faut oser. Il faut oser réinventer. Il faut oser aller contre le système. Et c'est bien ce qu'on attend d'un entrepreneur qui doit défricher de nouveaux modèles et qui doit aller percuter le modèle actuel pour le faire changer. et changer le monde de l'intérieur. C'est notre signature chez Camif depuis 2009. Alors là, on a envoyé les communiqués de presse à pas mal de journalistes et on a dit voilà, on va fermer Camif.fr dans deux semaines pour marquer notre attachement à la consommation responsable et montrer qu'il y a un autre modèle possible, qu'on n'est pas obligé de consommer n'importe quoi sans réfléchir et que peut-être c'est pas mal de justement reprendre la maîtrise de son pouvoir d'achat. Rerefléchir à ce que j'ai vraiment besoin d'acheter ce produit et de se poser les bonnes questions d'où il vient, comment il est fabriqué, dans quelles conditions sociales, environnementales. Et là j'ai la moitié des journalistes qui reviennent vers nous en disant on ne comprend vraiment pas ce que vous avez contre le Black Friday, c'est quoi le problème, qu'est-ce que vous avez contre les gens qui font des bonnes affaires pour Noël, je ne pouvais pas faire grand chose pour eux. Et l'autre moitié qui dit mais c'est vraiment audacieux votre truc. Bon on passe le sujet en comité de rédaction, on revient vers vous. Et... Et tous sont revenus vers nous en disant, on est un peu désolé parce qu'on ne peut pas passer le sujet à l'antenne. C'est quand même la meilleure semaine de recette publicitaire pour nous les médias. Aussi le Black Friday. Et là, on sent qu'on touche le système. On touche le système. Et il y a quelques rebelles dans le système à l'intérieur sur qui on peut compter. Et j'ai fait mon baptême de Jean-Jacques Bourdin d'ailleurs. Ça a été un des rares. Il y en a eu deux ou trois qui m'ont comme ça invité à l'antenne pour parler de qu'est-ce qu'on faisait, pourquoi on le faisait. D'ailleurs, ils m'ont pas mal questionné dans un coup de com. J'ai dit oui, je fais la com, mais je fais la com responsable parce qu'aujourd'hui, je n'ai rien à vous vendre. Par contre, j'ai un message à faire passer. Si on continue à consommer comme on consomme, c'est écrit, on va dans le mur. Donc, il va falloir changer. Et le changement, il n'est pas forcément triste, il n'est pas forcément malheureux. Au contraire, on va changer pour faire... moins mais mieux. Et c'est ça qu'on prône en fait. Donc il y a un autre modèle possible. Bon voilà, donc on n'a jamais autant parlé de Camille que quand on a fermé. Et la fierté que j'ai après avoir expérimenté ce premier renoncement qui a été vraiment mettre les pieds dans le plat d'un jonction contradictoire entre l'exigence économique de l'entreprise. On a perdu le meilleur jour de l'année et on a perdu plusieurs millions d'euros de chiffre d'affaires parce qu'on a réitéré cette opération chaque année depuis. Et l'injonction contradictoire avec les objectifs de mission qui ont été fixés, notamment celui d'un objectif sociétal, défendre un modèle de consommation responsable. Et en fait, cette injonction qui peut paraître contradictoire, elle l'est en fait sur le court terme. On a perdu le chiffre. Par contre, on a fait passer un message. Et sur le temps long, après avoir réitéré, je me suis rendu compte à quel point cette opération a été très bénéfique pour l'entreprise. On n'a jamais autant recruté de nouveaux clients sur ces 5-6 dernières années, qui sont des clients plus jeunes, vraiment qui cherchent à donner du sens aussi à leur consommation, savoir d'où ça vient, comment c'est fabriqué, et qui cherchent des marques qui sont engagées, mais qui sont surtout capables d'apporter des preuves de leurs engagements. Et là, ça a été un marqueur très fort de notre engagement sur la consommation responsable. Et l'impact très positif qu'on a eu, c'est que c'est un impact... systémique. C'est-à-dire qu'on a, au-delà de notre propre écosystème, au-delà de nos propres parties prenantes, eu un impact. L'année dernière, 1500 sites e-commerce n'ont pas fait le Black Friday. Et on fait passer des messages pour dire qu'on pouvait consommer différemment. Et ça, je suis fier parce qu'en 2017, on était tout seul et on me prenait pour un hurle-berlu. Donc oui, quand on a tout le système, forcément, à un moment, il y a des gens qui disent, non, mais tu vas trop loin. Par contre, j'ai toujours eu... j'ai toujours cherché à convaincre. Et je n'ai pas cherché à aller contre. Si tout le monde m'avait dit non, ce n'est pas possible. J'avais commencé par un point du lundi, qu'on fait tous les lundis depuis 2009, qui réunit toute l'entreprise, par poser cette question. Est-ce que pour le Black Friday, on va jusqu'à fermer ? Et donc, on vote avec les pieds souvent. Donc, tous ceux qui étaient pour se mettaient à gauche, tous ceux qui étaient contre se mettaient à droite. Et j'ai eu à peu près 60% qui étaient pour, parce que... c'était cohérent. Et il y en avait 20% qui ne savaient pas trop, et il y en avait 20% qui étaient contre en disant mais en fait, on fait quand même des produits co-responsables, Made in France et tout ça, donc, ok, si on fait du chiffre pour le FAD, c'est quand même pas mal. Et nos fournisseurs, on va les priver de chiffres. Et nos fournisseurs ont quand même besoin de travailler. Les fabricants en France, c'est pas simple d'être fabricant en France. Donc on a aussi une responsabilité vis-à-vis de nos parties prenantes et de nos fournisseurs. Et bon, voilà, je crois que ce qui a remporté la décision, c'est qu'il y avait quand même une large majorité. Et puis l'année d'après, on a interrogé nos clients et on a eu 90% de nos clients qui ont dit fermez encore C'est génial. C'est pour ça qu'on vous aime, c'est pour ça qu'on vous est fidèles. Donc ça, c'est chouette parce qu'il y a un alignement. Mais bon, après qu'on soit un peu incompris de temps en temps, c'est le lot de tout entrepreneur, c'est normal. C'est l'inverse qui serait anormal.

  • Speaker #2

    Alors te voilà désormais archiviste. Et selon toi, quel serait un événement clé, méconnu voire même inconnu, qui a marqué l'histoire et dont les effets se font encore sentir aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Il y en a beaucoup, mais en fait peut-être il y en a un que j'ai trouvé marquant. Et qui a... J'ai trouvé marquant parce qu'il a eu beaucoup d'impact positif. C'est une crise. Moi je crois beaucoup à la force des crises pour transformer le monde. en tout cas, participer à un déclic, c'est celle de 2008, la crise financière. Tout le monde a pensé que c'était une crise financière. Une crise financière, voilà. En fait, ce n'est pas une crise financière. C'est la crise de l'entreprise. Et ça, ça a été le constat de chercheurs de l'école des mines, Blanchet, Grestin et Armand Attuel, que j'ai eu la chance de rencontrer en 2013 dans mon parcours, qui se sont dit, en fait, il y a urgence à refonder l'entreprise. Et à force d'avoir mis le profit au-dessus de tout et comme seul et unique. objet social de l'entreprise, comme seule et unique raison d'être de l'entreprise, on s'est planté et on a été dans le mur. Mais grave, on a été dans le mur sur toutes les dimensions. Et on met la planète dans un état catastrophique qui n'est pas durable. Et donc, même si on est Friedmanien dans son approche, si la seule responsabilité de l'entreprise, c'est de faire du profit, aujourd'hui, le dirigeant doit se soucier d'autre chose que du profit à court terme. Sinon, il va dans le mur et demain, il ne fera plus de profit du tout. Et donc, eux se sont dit, il faut refonder l'entreprise. Et à ce moment-là, il y a eu une autre émergence. Et c'est un changement dans la finance, justement. Parce que là, c'était une crise qui a affecté quand même pas mal les banques et les fonds et tout ça. Et il y a eu l'émergence des tout premiers fonds d'impact qui se sont dit, au fond, et moi, j'ai eu la chance aussi de croiser leur route en 2013, puisque un des tout premiers fonds d'impact est rentré dans notre capitale, Citizen Capital. Et leur thèse d'investissement, c'est que... ce sont les entreprises qui sont les plus contributives, qui ont le meilleur impact social et environnemental, qui vont créer le plus de valeur pour les actionnaires. C'était encore une thèse d'investissement il y a quelques années, mais aujourd'hui, ils ont plus d'un demi-milliard sous gestion. Et des fonds à impact, il y en a beaucoup maintenant qui sont développés parce que la finance prend conscience, un, de son utilité dans la société. Pour changer le système, il va falloir beaucoup d'argent. Il va falloir investir massivement dans la transformation des entreprises. Et ceux qui investissent dans cette transformation des entreprises seront les gagnants de demain. Ça ne va pas être forcément du très court terme. Donc, il faut peut-être revoir un peu les règles sur le temps long, etc. Mais oui, c'est sûr qu'aujourd'hui, il faut investir dans la transition. Ceux qui n'ont pas fait la transition numérique, qui n'ont pas investi en 2000 sur la transition digitale de leur boîte, ne sont plus là aujourd'hui. Donc, c'est la même chose, beaucoup plus important. C'est la transformation du modèle économique de l'entreprise. Parce que comment on va adapter... l'entreprise ou comment on va réinventer nos modèles de production dans un monde où la ressource devient rare, où elle devient donc excessivement chère. On l'a vu avec la crise Covid, on l'a vu avec l'inflation sur les matières premières. Quelle entreprise peut résister à une énergie qui fait x10 du jour au lendemain ? C'est quasiment impossible. Vous êtes boulanger, vous avez une facture qui fait x10. Vous ne pouvez pas résister. Donc là, l'État joue son rôle au début d'amortisseur, mais de toute façon, sur la durée, c'est bien ce qui va se passer. Donc, il faut réinventer cette entreprise pour qu'elle soit moins gourmande en ressources ou qu'elle contribue même à être, à régénérer des ressources nécessaires à son fonctionnement. Ça, c'est quand même un changement hyper important. Et tout ça, c'est né pendant la crise de 2008. Et les chercheurs qui se sont dit, il faut refondre l'entreprise, ils ont dit, en gros, il y a deux choses à changer dans l'entreprise. La table de la loi de l'entreprise, donc ses statuts, et en particulier son objet social. qui ne peut plus se limiter à être le partage du profit entre actionnaires et qui doit intégrer au fond la raison d'être de l'entreprise et les objectifs sociaux environnementaux qu'elle entend poursuivre. Et en même temps, il faut changer un autre point essentiel de l'entreprise, sa gouvernance. C'est-à-dire que si on continue à confier la fabrique de la décision uniquement aux actionnaires, c'est-à-dire au conseil d'administration qui défend l'intérêt uniquement des actionnaires, et bien en fait, on va dans le mur. Et là, il faut donc introduire une nouvelle forme de gouvernance qui intègre davantage les parties prenantes et qui soit plus censée défendre non pas l'intérêt d'une partie prenante, les actionnaires, mais l'intérêt de l'entreprise et l'intérêt général que défend l'entreprise. Et ça, c'est le comité de mission qui est apparu dans le modèle de la société à mission. Et donc ça, c'était en 2008, ils ont fait, avec le Collège des Bernardins, ils ont fait un tout un... Et nous, on a eu la chance de faire le cas d'école de ce modèle de la société à objet social étendu, qui s'est fait appeler comme ça. Ce ne sont pas des marketeurs, ce sont des ingénieurs. Mais ce n'est pas complètement anodin que ce soit des ingénieurs, d'ailleurs, qui repensaient, redesignaient l'entreprise. On a besoin de designer le concept de l'entreprise. Et donc, on a expérimenté ça avec Camif, et là, on s'est dit, waouh, c'est un modèle super intéressant, c'est très puissant. Parce que ça nous oblige à un travail assez introspectif, pourquoi l'entreprise a été créée, et en même temps très prospectif, donc c'est un acte de leadership très fort pour le dirigeant, et que d'affirmer la contribution positive qu'on cherche à avoir pour le monde, c'est d'ailleurs une des premières choses que le fonds a un pacte avec lequel nous a challengé, c'est de dire, on sent bien que derrière le modèle Camif, qui défend la consommation, la qualité, le produire local, le Made in France, on était très pionniers, déjà le Made in France en 2009 c'était très ringard. Le durable, on sent bien qu'il y a un accroche sur le territoire, tout ça, c'est un modèle d'impact positif. Mais en fait, on a quand même besoin de repenser quelle est l'intention qu'on cherche à avoir avec le projet CAMIF. Et ces deux ans et demi de travail qui nous ont, en interrogeant des parties prenantes, qui nous ont conduit à finalement sortir que le projet CAMIF, c'était un projet de société. C'était un projet de défendre un nouveau modèle de consommation plus responsable, un nouveau modèle productif, embarquer la filière dans la... transformation vers une économie circulaire. Et ça, en fait, on l'a pris conscience par le travail collaboratif qu'on a fait, mais on l'a finalement sécurisé, pérennisé, en l'inscrivant dans les statuts en 2017. Et on s'est rendu compte que derrière, ça a beaucoup généré de transformations de notre offre, de notre modèle économique, de notre clientèle, et qui a été très bénéfique pour l'entreprise. Et donc, moi, j'ai voulu le partager, ça. avec le plus grand nombre, parce que je me suis dit, il ne faut pas que ça reste dans les mains des chercheurs et de quelques pionniers qui expérimentent, mais ça peut toucher toutes les entreprises, et ça peut devenir une force de transformation du monde qui est exceptionnelle. Parce qu'on ne va pas se transformer sous la contrainte. On ne va pas juste s'adapter. Ça ne suffira pas. En fait, les boîtes qui vont se dire, bon, on va s'adapter, de toute façon, on a notre culture, on est agile, donc on va s'adapter. Ça va être tellement vite qu'on ne va pas s'adapter, en fait. Les boîtes qui vont rester, c'est celles qui vont inventer demain. Donc là, je veux dire, ce modèle est puissant. On a besoin de le faire connaître. On a besoin aussi, parce que ce n'est pas simple, d'offrir un cadre de partage aux dirigeants qui vont s'engager sur ce chemin, qui est un chemin long, qui est un chemin de transformation. De toute façon, c'est le chemin qui transforme. Et de pouvoir aussi continuer à l'enrichir par la pratique et par le partage de pratiques. Donc, moi, j'ai cofondé la communauté des entreprises à mission en 2018, qui est une association d'intérêt général, pour faire ça. Et aujourd'hui, on n'est pas mécontent de voir que la dynamique est à l'œuvre. On n'a pas encore changé l'économie, mais j'y crois. Aujourd'hui, il y a eu la loi Pacte qui a introduit la société à mission, qui a introduit le modèle qui avait été théorisé par les chercheurs, expérimenté par quelques-uns et poussé par la communauté d'entreprises à mission. Dans la loi Pacte, il y a la société à mission. Et aujourd'hui, il y a 1700 sociétés à mission en France. Il y en a 4000 en Italie qui sont sur un modèle à peu près équivalent, qui s'appelle Società Benefit. Et voilà, aujourd'hui je suis en train de pousser le modèle pour qu'il devienne européen et bâtir un cadre européen à l'entreprise. Parce qu'au fond, d'ailleurs c'est un des constats des chercheurs, l'entreprise n'existe pas. En droit, l'entreprise n'existe pas. Seule la société existe. Et elle est gouvernée par le conseil d'administration, etc. Et on dit bien dans le droit, le droit des sociétés. Mais l'entreprise... est un impensé. Et donc, il faut penser l'entreprise. Dans tous les sens du terme, avec un A et un E. Et il faut penser l'entreprise parce que c'est ce véhicule-là qui va nous servir à changer le monde. Et c'est en activant ce véhicule, en lui redonnant du sens, en lui donnant une mission qui va créer une certaine tension dans l'entreprise et qui va obliger l'entreprise à réinventer son modèle, donc qui va devenir un levier d'innovation. qu'on va atterrir sur un nouveau modèle qui aboutit à une triple performance. On est obligé d'aller vers ça, environnemental, social et économique. Voilà, on est sur ce chemin et ce n'est pas fini. Ça va prendre probablement une génération ou deux, mais j'y crois.

  • Speaker #1

    Tu as beaucoup parlé de leadership, de transformation de leadership, de sens aussi que toi en tant que dirigeant et que bien d'autres dirigeantes et dirigeants souhaitent donner à leur action. À l'autre bout du spectre et complémentaire à ces transformations du leadership, on a aussi les transformations des cadres réglementaires. En Europe, on a à l'esprit la CSRD, ces nouvelles exigences telles qu'elles sont présentées de reporting. Comment, d'après toi, on va rentrer peut-être un peu dans de la technique, on transforme ce qui ressemble pour commencer à une nouvelle exigence de reporting. On se dit, tiens, la CSRD, c'est des données qu'il va falloir collecter en plus, des indicateurs qu'il va falloir suivre en plus. Et en plus, il va falloir faire valider notre rapport extra-financier. Comment tu transformes ce qui semble être au début une injonction technocratique venue de l'Europe en une vraie opportunité, en un catalyseur, en un accélérateur des changements du leadership dont tu parles ? Comment on transforme ce qui ressemble franchement à une punition technocratique en un formidable élan pour fabriquer des nouvelles grammaires stratégiques ?

  • Speaker #0

    Peut-être justement en définissant sa mission. parce que la mission est une façon de donner du sens à la CSRD. Si la CSRD se contente de faire une boîte à reporting et à faire encore plus de reporting extra-financier, etc., ça ne servira à rien. On a un peu expérimenté la chose avec la RSE, en fait. La RSE n'a pas fondamentalement transformé l'économie. Quand je vais à Produirable, je suis content de voir qu'il y a des belles boîtes qui font un très joli rapport, mais qui n'ont absolument pas changé de modèle économique. et qui ne sont pas prêtes de transformer le monde. Donc, je ne crois pas que... Et je vois même, puisqu'on est nous-mêmes labellisés Bicorp depuis 2014, donc on s'est mis sous contrainte pour reporter sur l'ensemble des dimensions du développement durable et pouvoir rendre l'entreprise transparente, comparable. Mais bon, quand c'est l'année de la recertification Bicorp, ce n'est pas l'année où les collaborateurs rigolent le plus parce que c'est beaucoup de reporting. Et puis, il y a beaucoup de questions. qui sont assez peu en lien avec le cœur de notre métier, le cœur de l'impact qu'on cherche à avoir. Et puis, comme tout label ou comme tout reporting extra-financier global qui s'adresse à toutes les boîtes, même si dans la CSRD, il y a quand même une étude qui nous permet déjà de définir quels sont en fait les grands enjeux de l'entreprise et donc de ne pas reporter sur des choses qui n'ont absolument rien à voir. Bon, malgré tout, ça reste assez standardisé. Et d'ailleurs, c'est bien l'objectif. La CSRD, l'idée, c'est de rendre les entreprises comparables sur leurs performances. extra-financière. La mission, c'est rendre l'entreprise incomparable. C'est de lui donner une différenciation qui fait que, ah ouais, là sur la mission, on va aller beaucoup plus loin. Alors, il y a des points communs, parce que quand on fait le travail pour définir sa mission, on regarde l'impact qu'on peut avoir sur l'écosystème, l'impact que les sujets environnementaux, sociaux ont sur l'entreprise. Donc, on fait aussi ce travail de double matérialité, mais on va aller mettre l'accent sur ce qui compte vraiment pour l'entreprise. Et on va définir peut-être deux, trois thématiques clés sur lesquelles l'entreprise cherche à avoir un impact. positif, et sur lequel elle va concentrer ses moyens, son énergie, ses ressources. Le danger avec ces SRD, c'est que beaucoup de dirigeants le prennent comme une contrainte de plus, et qui vont devoir mettre des ressources dessus, et du coup, pas mettre de ressources sur ce qui compte vraiment. Or, dans les reportings, il y a plein d'indicateurs qu'on compte, mais qui ne comptent pas, en fait. C'est Einstein qui disait ça. On peut compter ce qui... Enfin, je ne sais plus exactement, je n'ai plus la formulation. J'aime bien cette phrase. Tout ce qui compte ne se compte pas et tout ce qu'on compte ne compte pas. Un truc comme ça. Donc, je trouve intéressant la complémentarité des deux. D'avoir, et de toute façon, on sait très bien que le niveau de l'eau monte, donc le niveau d'exigence vis-à-vis de l'entreprise, de la société, etc., monte. Que, je dirais, aujourd'hui, une entreprise qui n'a pas structuré une démarche RSE, c'est quand même un peu inquiétant, on va dire. Donc, il faut le faire, quoi. Mais si on veut vraiment transformer l'entreprise, il va falloir définir ce sur quoi on a envie de changer le monde. Et ça ne va pas être un spectre très large, ça va être un spectre plutôt court, mais on va aller beaucoup plus loin. Par exemple, dans la labellisation Bicorp, je crois que notre boycott du Black Friday nous rapporte 0 points. Et puis que par contre, on a des questions sur quelle est la part de vos fournisseurs dans un rayon de moins de 322 kilomètres, parce que ça fait 200 miles où ça tomberont. Mais on a déjà fait remarquer aux Américains qu'on a... pas de fournisseurs dans l'océan Atlantique, on est à New York, donc pas très loin de l'océan Atlantique, et qu'on n'a pas encore de fournisseurs dans l'eau. Donc, on n'a même pas de point sur cette question, alors qu'on est les champions du Made in France, qu'on fait 75% de notre chiffre Made in France, 100% Made in Europe. C'est toujours les limites. Mais on a souhaité quand même se mettre sous contrainte et explorer ce champ assez large d'indicateurs et de questions relatives à la façon dont on fait du business, la façon dont on opère, la façon dont on échange avec nos parties prenantes, pour éviter d'avoir des trous dans la raquette. Parce que, rien qu'en lisant les questions de la CSRD ou de Bigorbe, on se rend compte que tiens, ah oui, ça, on n'avait pas pensé, peut-être qu'il faudrait qu'on y pense. Donc c'est pas mal, c'est une façon assez saine de faire du business. D'ailleurs, au passage, dans la loi Pacte, il y a eu une modification qui est passée un peu inaperçue, qui est l'article 1833 du Code civil, qui dit que toute entreprise doit prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux. Ça consacre l'obligation de la RSE. On est obligé aujourd'hui d'avoir une entreprise qui est responsable sur les enjeux sociaux et environnementaux. C'est la norme. Donc, il faut saisir l'opportunité de CSRD comme une obligation finalement de prendre un peu de temps pour réfléchir à l'entreprise dans le monde, les impacts du monde sur l'entreprise et l'impact de l'entreprise sur le monde. Mais il faut aller plus loin et ne pas se limiter à juste ça. Il faut vraiment prendre le temps de définir la raison d'être. et les objectifs socio-environnementaux qui sont singuliers à l'entreprise, qui vont faire sa différence, qui vont faire que cette entreprise a envie d'y travailler. On a envie d'aller y contribuer, d'y travailler parce qu'elle nous parle et que les thèmes sur lesquels elle est engagée, ça nous parle. Et le cadre de la sous-stabilisation, ça reste un cadre pour le coup volontaire. On n'est pas obligé pour le coup. Et moi, ce que j'aime dans ce cadre, c'est qu'il offre un grand champ de liberté. Et à l'intérieur d'un cadre où il y a un grand champ de liberté, il y a beaucoup d'audace. On peut oser, on peut libérer le management, on peut laisser la clé aux collaborateurs qui sont les mieux placés pour changer les pratiques, changer l'entreprise en fait, parce que le cadre est là. Et puis je dirais qu'il y a un autre point qui me paraît assez essentiel aussi, c'est dans les raisons pour lesquelles il faut aller plus loin et il faut se doter d'une mission. évidemment c'est un levier d'engagement très fort et un levier d'innovation et de performance mais c'est aussi une façon de transmettre l'entreprise et si on se remet un tout petit peu dans cette prise de recul du temps long, finalement la mission est un outil de transmission parce qu'elle est inscrite dans les statuts et dans la gouvernance de l'entreprise et que le jour où le dirigeant quitte l'entreprise, on a eu le cas avec Danone qui alors qu'Emmanuel Faber avait porté, incarné, fait voter à 99,5% dans une boîte cotée, c'était pas gagné le modèle, le passage à la société à mission Le jour où il est parti quelques mois plus tard, alors que dans une entreprise classique, sans un modèle fort comme ça, tout se serait écroulé, il serait parti et tout se serait arrêté en fait. Là, la mission a continué. Le comité de mission est continué. Pascal Lamitte, président du comité de mission. Donc, on jugera dans quelques années si la mission a aidé Danone à se transformer, se réinventer et avoir finalement un impact positif sur les enjeux, notamment sur la santé ou autre.

  • Speaker #1

    Je voudrais faire une sorte de synthèse de ce que tu nous as dit jusque là. Bien sûr, elle ne sera pas exhaustive. À nouveau, l'expression « faire société » est revenue à plusieurs reprises dans tes propos. Tu viens de nous rappeler que s'inscrire dans le cadre de la société à mission, c'est se donner les moyens de donner envie, de donner envie déjà à soi-même de faire ce que l'on fait, à ses collaboratrices, collaborateurs. Tu as employé une expression intéressante aussi en parlant du label Bicorp. Tu as dit... Nous nous sommes mis nous-mêmes sous contrainte. Est-ce que quelque part, cette mise sous contrainte, c'est quelque part une sorte d'échauffement, c'est un outil de préparation à un monde qui est en train d'arriver, qui lui sera peut-être bien plus contraint ? On parle de limites planétaires, on parle de contraintes biophysiques qui pèsent sur les entreprises. Est-ce qu'en fait, c'est une sorte d'échauffement, cette mise sous contrainte avec des labels Bicorp ? Est-ce que c'est un outil qui doit donner même confiance à tes actionnaires qui sont là parce qu'ils souhaitent une valeur ? présentes et futures de la camif, et toi, tu leur donnes des gages, quelque part, des moyens que tu mobilises pour anticiper, te préparer et te mettre déjà au diapason d'un monde économique que l'on ne connaît pas encore parce qu'il n'a jamais existé. Le monde sera différent. Tu te mets sous contrainte, tu anticipes, tu t'entraînes, tu te mets déjà à l'épreuve des futurs, quelque part, avec ces labels. Est-ce que c'est à peu près juste ou à côté de la plaque ?

  • Speaker #0

    Non, non, je pense que c'est très juste. Ce n'est pas uniquement les labels qui font ça, mais je pense que la raison d'être et les objectifs sociaux environnementaux qu'on inscrit dans nos statuts quand on est une entreprise à mission, c'est une façon de se mettre en contrainte. C'est donc une façon aussi de se mettre en mouvement. Quand on renonce au Black Friday ou quand on renonce au produit de grand import, ce qui nous est arrivé en 2021, on s'est carrément mis sous contrainte. On n'était pas obligé d'aller jusque là. On avait encore 7% du catalogue qui était fait avec des produits fabriqués à l'autre bout de la planète et on s'est dit, ce n'est pas cohérent. Donc, on va couper tout ça. On s'est privé d'électroménager, de mobilier de jardin. On a perdu du chiffre et on s'est mis sous contrainte d'aller trouver des alternatives locales. Et moi, je pense que j'ai expérimenté le renoncement et je sais que quand on fait le chemin de l'entreprise à mission, oui, on va faire mieux, mais on va aussi faire moins. Il y a des choses qu'on va arrêter même carrément. Et que le renoncement est une façon... d'accélérer la transformation de l'entreprise. Pourquoi ? Quand on renonce à une activité, certes, on se prive tout de suite de chiffres, mais on libère aussi de l'énergie qui est mise sur des choses qui ne sont a priori pas les plus contributives pour le futur de l'entreprise, pour les mettre sur ce qui compte vraiment, justement, ce qui va faire l'avenir de l'entreprise. Et donc, quand je libère quelque part l'énergie de mes chefs de produits qui passaient du temps à discuter, à dialoguer avec des fournisseurs qui étaient à l'autre bout de la planète, mais qui représentait encore 7% du chiffre. Donc ce n'était pas énorme, mais ça prenait de l'énergie du temps et qu'ils ne pouvaient pas faire pour aller relocaliser des choses. Et quand je vois que derrière ça, on a eu la collection Louison, par exemple, qui est une collection entièrement faite avec du lin français, puisqu'on est le premier producteur au monde de lin. Mais par contre, toutes nos productions partent à l'étranger pour être filées, peignées, tissées, confectionnées et reviennent sur nos marchés. Elle, elle a dit, moi j'ai trouvé, elle a pris du temps, elle a mis deux ans, mais au bout de deux ans, elle a trouvé pour reconstituer toute la filière. Tous les prestataires, les sociétés en France qui existaient plus ou moins, et on a sorti la première collection entièrement faite en France de lin, linge de maison en lin, de la graine de lin au linge de lit. Ça, finalement, c'est un impact positif du renoncement. Donc le renoncement. Il déséquilibre l'entreprise, mais en la déséquilibrant, il la met en mouvement. Comme l'époque, si on marche, c'est qu'on se met en déséquilibre. Donc, pour marcher, il faut parfois renoncer à des choses. Quand on se met sous contrainte, c'est bien ça, c'est qu'on s'oblige à se réinventer. Quand nous, on dit en 2017, on va faire de l'économie circulaire et on va embarquer la filière là-dedans, rien ne nous oblige à faire ça. Et ça nous a pris beaucoup de temps pour essayer de voir comment on allait faire. On a fait un camis-faton, on a fait... pendant trois jours, des fournisseurs, des experts de l'économie circulaire, des designers, des collaborateurs, des consommateurs, en leur disant, essayons d'inventer ensemble des nouveaux produits pour Camif demain, mais avec cette exigence de faire que de l'économie circulaire. Et bien, on a sorti au bout de quatre ans. Alors, ça a pris du temps, mais c'est ça, c'est du temps long. Le matelas Timothée, premier matelas entièrement fabriqué à partir de vieux matelas recyclés. C'est une première boucle d'économie circulaire au sein de la filière Lytry. Et ce qui est intéressant dans ce produit, alors d'abord, c'est que ça incarne exactement ce que c'est l'entreprise à mission. C'est quelque chose de très concret, un matelas, en l'occurrence, qui est au cœur du modèle économique de l'entreprise. Contrairement à tout ce qu'on peut faire en matière de RSE, qui peut être un peu périphérique, on va mettre des ruches sur le toit de l'entreprise, c'est génial, c'est bien, mais ça ne va pas changer le modèle. Là, on est au cœur du modèle dans l'entreprise. Et ce qui est bien, c'est qu'on a su prouver avec ce matelas, qui est devenu en quelques mois un des best-sellers. de l'offre CAMIF, qu'on pouvait avoir de la performance économique, de la performance sociale et environnementale. On a traversé une crise, encore une de plus. crise Covid, plus la crise inflationniste qui a suivi, avec une inflation très très forte sur les matières premières. Et nous, on a pris à peu près 27% d'augmentation de nos prix d'achat moyen. Et sur les mousses conventionnelles issues du pétrole, ça a flambé. Ça a été beaucoup plus que ça. Mais notre matelas, Timothée, lui, il n'a pas flambé. Parce que des matelas recyclés, il y en a toujours autant. Donc avec la mousse issue des matelas recyclés, elle a préservé nos marges dans un moment où toutes nos marges ont été mises sous tension. On a gagné. de la marge dans un moment où tout le monde a perdu de la marge. Et donc ça, si on a réussi à faire ça en 2021 ou 2022, c'est parce qu'en 2017, on s'était dit, il faut faire de l'économie circulaire. C'est ça que nos fournisseurs attendent de nous parce que quand on leur parle depuis 2009 des déco-conceptions de machins, personne trop leur en parle et ils nous ont dit c'est ça la valeur que Camif crée pour nous. C'est pas tant le chiffre qu'on fait avec vous, mais quand vous venez et vous faites le tour du Made in France, que vous arrivez avec des experts, des clients, et des collaborateurs Camif, qu'on travaille avec les ouvriers l'après-midi, personne ne fait ça avec nous. Et quand vous nous challengez sur d'où viennent les composants, combien de pourcentage du recyclé, ça, personne ne le fait avec nous. Mais c'est ça qui nous tire vers le haut, ça nous sort la tête du guidon. Et c'est pour ça qu'on aime travailler avec Camif. Et ça, c'est chouette. Et du coup, cette triple valeur créée par Timothée, c'est plus de marge, devenu un best-seller. C'est une valeur sociale quand on crée un emploi à New York, c'est 10 emplois en France, on a fait une étude d'impact là-dessus, et c'est une valeur environnementale puisqu'on a fait les analyses de cycles de vie de ces produits-là, et c'est en moyenne 50% de CO2 évité par rapport à un produit conventionnel, travaillé de manière conventionnelle et fabriqué à l'autre bout de la planète. Donc, on réussit à apporter la preuve de cette triple performance. Et effectivement, dans cette crise des ressources qu'on ne pouvait pas anticiper, dans cette crise inflationniste qu'on ne pouvait pas anticiper sur le prix de l'énergie, le prix des matières premières, Le fait d'avoir eu de l'avance et de s'être fixé cette mission qui nous a mis en tension dès 2017, ça nous a peut-être sauvé.

  • Speaker #1

    Alors te voilà enfin acupuncteur. Selon toi, quelle serait une décision, une action, une intervention qui pourrait aujourd'hui contribuer de manière significative à la fabrique d'un monde habitable ? Tu n'as qu'une seule aiguille en tant qu'acupuncteur, ou la plante tue.

  • Speaker #0

    Dans le cerveau. Je l'ai planté dans le cerveau directement parce que tout part de là. Alors il y a cet alignement tête-coeur-corps super important, mais la tête quand même c'est celle qui guide et on a besoin de changer de logiciel. Donc on a besoin de le mettre dans nos cerveaux pour qu'on ait envie de passer à l'action, qu'on invente, qu'on imagine, qu'on dope la créativité autour de ce modèle de demain qu'il faut inventer. Qu'est-ce qui va nous donner envie de consommer différemment ? Qu'est-ce qui va nous donner envie de nous déplacer différemment ? Qu'est-ce qui va nous donner envie de faire société différemment ? Je pense que c'est l'aiguille la plus importante. Puis je la ferai chauffer un peu là pour qu'elle... Mais bon, on a une telle créativité. Donc moi, je suis optimiste. Donc je pense que si on plante cette petite aiguille dans le cerveau, elle peut provoquer des inacelles incroyables. Donc probablement parce qu'on est un peu aussi face au mur et qu'on se pense écrise les unes après les autres, on est un peu forcé de réfléchir différemment. Et on a toujours été assez malin, je pense, pour inventer des nouveaux modèles. Et là, il y a urgence, en fait.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce que tu vois comme signe, justement, qui nourrisse ton espérance, qui te font penser qu'on peut résolument aujourd'hui être à la fois lucide, un adjectif qui convient, je pense, à plusieurs diagnostics que tu as posés ? Et optimiste, est-ce que tu as des situations dans ta vie pro ou en dehors que tu rencontres, que tu constates, qui nourrissent cet optimisme lucide ? Et peut-être une question liée aussi, quel rôle est-ce que tu vois dans tout ça pour les imaginaires, pour les visions du monde qui sont en émergence aujourd'hui mais qui peut-être demeurent encore aux marges ? Est-ce qu'on a les imaginaires, est-ce qu'on a cette capacité à imaginer ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'il y aura de la résistance, il y a beaucoup de résistance du vieux monde. Et puis quand on voit l'émergence de nouveaux modèles genre Shine, Feng Shui, Temu et tout ça, on se dit « Waouh, ça va exactement dans le sens inverse de ce qu'il faudrait qu'on fasse » . Et là, tu es là à te dire « Bon, c'est pas gagné » . Moi, ce que je vois, c'est les dirigeants qui se sont engagés dans cette voie qui ne sont pas forcément des gens particulièrement engagés mais qui y vont parce qu'en fait, ils ont compris que c'est ce qui fera l'avenir de leur entreprise. Et donc, au fond, il n'y a pas d'autre voie possible. Mais bon, ça risque de prendre encore du temps. Je vois quand même qu'il y a beaucoup de dirigeants et de salariés qui bossent dans ces boîtes, qui trouvent du plaisir et beaucoup de plaisir. Je crois qu'il ne faut pas oublier cette notion de plaisir, elle est essentielle, dans un projet collectif qui consiste à œuvrer, pas que pour leurs actionnaires, mais à œuvrer pour un monde meilleur, un monde soutenable, bref. Je pense qu'il faut être au rendez-vous de l'histoire, parce qu'on est un peu dans une période de charnière. C'est un moment où il y a quand même... dynamique entrepreneuriale que je trouve assez forte. Moi, quand je suis sorti de mon école de commerce en 93, il y en était deux à monter notre boîte. Aujourd'hui, il y a plein de jeunes qui montent leur boîte et moi, ça se trouve très positif et que ce soit partout. C'est dans les quartiers, c'est à la sortie des grandes écoles, c'est partout. Je crois donc beaucoup à l'importance de l'entrepreneuriat pour réinventer le monde parce qu'on a besoin davantage d'entrepreneurs à la tête des entreprises et peut-être un peu moins de gestionnaires. Parce que ce n'est pas avec les recettes du passé qu'on va monter demain. Donc, c'est bien. Il va falloir miser sur notre créativité, notre intérêt. Et ça, c'est chouette. Je trouve ça assez excitant en fait, de dire, là, il y a une valeur qui va être montante, c'est celle de la créativité. Mais à côté de ça, il y a des défis immenses et puis il y a des forces contraires qui vont faire de la résistance jusqu'au bout. Et je crois qu'on a quand même aussi la chance en Europe, et moi je crois à ça, à l'importance de sortir de cette... Cette domination du modèle américain, très consumériste encore, vraiment c'est fou, et de se différencier du capitalisme chinois ou américain et d'inventer un nouveau modèle, une nouvelle voie. Et on a une histoire, des valeurs qui nous permettraient d'affirmer davantage cette place et ce rôle de l'entreprise dans la société et donc définir un nouveau cadre pour l'économie. J'ai partagé il n'y a pas très longtemps avec des Japonais qui, pareil, ne se reconnaissent pas dans le capitalisme chinois ni américain et qui réfléchissent. Ils ont monté un groupe de travail qui s'appelle Future of Capitalism et donc ils réfléchissaient, ils voulaient avoir un peu notre retour d'expérience sur l'entreprise à mission. Je trouve ça assez chouette parce que finalement, on voit que dans pas mal de pays dans le monde, on réfléchit à l'avenir de l'économie. Et on sait bien que l'avenir de l'économie passera par... Enfin, il n'y a pas une économie qui sera soutenable si la planète ne l'éparte. Donc... À un moment donné, il va y avoir cette grande convergence. Je vois aussi de l'espoir dans les jeunes, quand je vois des jeunes. Pas tous, parce que les jeunes sont aussi sur Shine et Temu, mais je vois aussi quand même beaucoup d'espoir chez les jeunes, qui sont beaucoup plus informés, conscients que nous on l'était quand on était jeunes. Donc je pense que ça fait son chemin. Mais la difficulté, c'est que tous ces changements prennent du temps, et vont prendre du temps, et qu'en même temps, il y a de l'urgence. Et l'autre difficulté, c'est qu'il va falloir être très persévérant et finalement patient. tous les changements qu'on va opérer, on n'en verra pas de notre vivant les impacts positifs. Donc ça veut dire que même si parfois ça passe par des sacrifices ou des choses où on va renoncer à des choses, c'est rare, on va renoncer à ça, à ça, ça continue à monter, les températures et machin, ça va monter encore. Et ça, je trouve que c'est difficile, ça veut dire une forme d'abnégation et de dire il faut que je pense, il n'y a pas très longtemps, il y a un an ou deux, j'avais rencontré les sept ou... gardien des grandes forêts là et c'était chouette parce qu'il disait bah nous on réfléchit à comment on réfléchit toute décision qu'on prend c'est pour la septième génération quoi. Ah ouais nous on a déjà du mal à réfléchir à plus de trois mois donc voilà.

  • Speaker #1

    On va rester je pense sur cette rencontre inspirante et peut-être le slogan de l'éditeur français de logiciels libres, la route est longue mais la voie est libre. C'est ça. Merci beaucoup Emery.

  • Speaker #0

    Merci.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode de Nos Limites, produit par Logarithme. L'ensemble des épisodes est disponible sur toutes les plateformes et sur le site atelier-desfuturs.org. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous et n'hésitez pas à en parler autour de vous. A bientôt !

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Description

Emery Jacquillat est un entrepreneur, président de la CAMIF, une entreprise française de commerce en ligne, et cofondateur de la Communauté des Entreprises à Mission.


À rebours des soi-disantes meilleures pratiques de gestion d’entreprise et de conception de business model, il s’implique et il implique depuis plusieurs années son entreprise dans la lutte contre la surconsommation, pourtant synonyme de revenus, encouragée notamment par le Black Friday.


Dans l’entretien à suivre, Emery se demande si l’entreprise pourrait être à la fois la cause et le remède au dérèglement climatique et aux menaces qui pèsent sur l’habitabilité de la planète, remonte le temps pour envisager la crise de 2008 non pas comme une crise financière mais comme crise de l’entreprise, et argumente enfin en faveur d’un renouvellement des imaginaires.


Entretien enregistré le 23 septembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    I can slightly hear it. Nos limites.

  • Speaker #1

    Un podcast de Thomas Gauthier, produit par Logarith. The growing threat of climate change could define the contours of this century. The world is waking up and change is coming,

  • Speaker #0

    whether you like it or not.

  • Speaker #1

    Une enquête à bord du vaisseau Terre à la recherche d'un nouveau cap pour l'humanité.

  • Speaker #0

    Nous sommes en train d'atteindre les limites planétaires, nous sommes en train de détruire ce qui nous permet de vivre. La modernité, c'est la vitesse. Et c'est vrai que ça va un peu vite.

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, on ne va pas se permettre de ne pas s'engager. Il faut qu'on soit dans une science de combat. Enseignant-chercheur à EM Lyon Business School, Thomas va à la rencontre de celles et ceux qui explorent le futur et se remémorent l'histoire pour bâtir un monde habitable dès aujourd'hui. À chaque épisode, son invité, curieux du monde à venir, commence par poser une question à l'oracle. Ensuite, tel un archiviste, il nous rapporte un événement méconnu du passé dont les conséquences sont pourtant bien prégnantes dans le monde actuel. Pour conclure, il devient acupuncteur et propose une action clé afin d'aligner les activités humaines sur les limites planétaires. Emery Jaquia est entrepreneur, président de la CAMIF, une entreprise française de commerce en ligne. Il est également cofondateur de la Communauté des entreprises à mission. À rebours des soi-disant meilleures pratiques de gestion d'entreprise et de conception de business model, il implique depuis plusieurs années son entreprise dans la lutte contre la surconsommation, notamment encouragée par le Black Friday. Dans l'entretien à suivre, Emery se demande si l'entreprise pourrait être à la fois la cause et le remède aux dérèglements climatiques et aux menaces qui pèsent sur l'habitabilité de la planète. Il remonte le temps pour envisager la crise de 2008 non pas comme une crise financière, mais comme crise de l'entreprise. Pour finir, il argumente en faveur d'un renouvellement des imaginaires.

  • Speaker #2

    Bonjour Emery.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #2

    Alors ça y est, tu es face à l'oracle, tu peux lui poser une question, quelle est-elle ?

  • Speaker #0

    Wow. Est-ce que vous pensez vraiment que l'entreprise, qui est clairement aujourd'hui, on le sait, à l'origine de tous les dérèglements qu'on observe, peut être également demain la solution ?

  • Speaker #2

    Bon alors là, tu attaques l'oracle de manière assez nette et précise. J'aimerais juste que peut-être pour commencer... T'élabore un tout petit peu, qu'est-ce qui te fait dire que l'entreprise est à la source de ce que t'appelles les problèmes d'aujourd'hui ? C'est quoi la source ?

  • Speaker #0

    Je pense que de tout temps, l'entreprise a transformé le monde. Elle est à l'origine de toutes les grandes transformations. Aujourd'hui, le train, le vélo, la voiture, l'avion, l'internet, le téléphone, la radio, la télé, tout ce qui a transformé profondément le monde, ce sont des entrepreneurs, ce sont des entreprises. qui l'ont très souvent inventé et porté à l'échelle. Et aujourd'hui, je pense qu'on est la première génération à avoir pris conscience, d'abord on observe, on observe ce qui se passe autour de nous, notre environnement. Les scientifiques depuis 50 ans nous disent ce qu'il en est. On est la première génération à avoir pris conscience du lien entre ce qu'on observe, le dérèglement du climat, les problèmes de biodiversité, les inégalités croissantes et nos modes de vie. C'est-à-dire nos modes de consommation, nos modes de déplacement, nos modes de production, au fond, nos modes de faire société. Et on est probablement aussi la dernière génération à pouvoir agir avant que tout nous échappe. Donc la question c'est où est-ce qu'on agit ? On a besoin de tous, on a besoin de l'action de tous, on a besoin des activistes, on a besoin des scientifiques, on a besoin des états, on a besoin des collectivités, on a besoin des entreprises, on a besoin des citoyens. L'enjeu clé, c'est qu'on ne reste pas dans une forme de triangle de l'inaction en disant tant que les États ne me contraignent pas, je ne vois pas pourquoi je vais bouger moi-même. Tant que les citoyens ne bougent pas, je ne vais pas bouger. Tant que l'entreprise ne bouge pas, je ne vois pas pourquoi je demanderais à... Et qu'on reste dans ce triangle de l'inaction dans lequel j'ai un peu l'impression qu'on est depuis qu'on sait, en fait. Parce que d'abord, on n'aime pas le changement. Et ensuite, on a un changement là, on a un problème qui est systémique. c'est le système terre et on a un changement systémique à opérer Et c'est affreusement difficile, ce système. Et on n'a pas envie de le faire. Parce qu'on a envie de vivre comme on a toujours vécu. Et sur le même modèle, c'est tellement plus simple. Donc aujourd'hui, il faut tout réinventer. Et tout le monde a sa part. Les citoyens ont leur part. Les États ont leur part. Les entreprises ont leur part. Moi, je crois que l'entreprise est le plus puissant levier de transformation de la société qu'on ait à disposition. C'est pour ça que j'ai envie de poser cette question. Parce que si tu regardes les citoyens, même si je transforme toute l'audience là en Greta Thunberg et qu'on ne prend plus l'avion, on ne mange plus de viande et qu'on ne prend plus la voiture pour les trajets de moins de 3 km, on n'a fait qu'une petite partie du chemin pour nous limiter dans la trajectoire des 2 degrés de l'accord de Paris. Si je prends les États... Et j'observe, et ils ont pourtant un sacré pouvoir les États. C'est nous en fait les États. Ils ont un pouvoir par la réglementation, par la contrainte. Ils ont un pouvoir par la fiscalité. Ils ont un pouvoir par la commande publique. Donc ils ont un sacré pouvoir. Et même ils ont un pouvoir en se mettant ensemble et en coopérant. C'est ce qui s'est passé avec les COP successives. Moi quand j'ai démarré ma boîte, c'était la COP en 95, la première COP. Et aujourd'hui après la 24e, 25e, je ne sais même plus à combien on est. On est là. On voit que le nombre de particules de CO2 dans l'atmosphère n'a fait que monter. On est passé de 365 à plus de 420. Donc, même avec la coopération, les États ont failli, quelque part, à résoudre un des problèmes, ce n'est pas le seul, mais celui, par exemple, de la concentration de CO2 dans l'atmosphère qui participe au dérèglement du climat. Et moi, ma conviction, c'est que ce sont les entreprises qui ont le plus puissant pouvoir de transformation de la société et qu'on peut changer le monde. mais on peut le changer de l'intérieur. Et donc la question c'est, qu'est-ce qu'on doit changer dans l'entreprise pour transformer la société ?

  • Speaker #2

    Donc là tu as à plusieurs reprises utilisé l'expression faire société, tu t'exprimes aujourd'hui notamment en tant que président d'une entreprise, qu'est-ce qui se passe dans la tête d'une dirigeante ou d'un dirigeant qui se donne... pour elle-même ou pour lui-même, de mission de contribuer à faire société, quelles sont tes incitations, quelles sont tes motivations, quelles sont tes injonctions ? Tu rends compte à qui, quand tu te dis, en te levant, que tu es non seulement président d'une entreprise, donc tu as des comptes à rendre à des parties prenantes à l'intérieur de celle-ci et juste à l'extérieur de celle-ci, mais tu as aussi des comptes à rendre, entre guillemets, à l'humanité tout entière ou au monde tout entier. Ça vient d'où, en fait, cette envie de connecter son action, comme tu l'as dit, au système Terre ?

  • Speaker #0

    Ça vient de donner un sens à sa vie. Parce qu'en tant que dirigeant, on n'est pas absent de cette quête de sens. Et quand on prend conscience, parce qu'il y a un petit travail quand même de prise de conscience de notre pouvoir en tant que dirigeant d'une entreprise, et que si vraiment on aime la planète dans laquelle on vit, si on aime ses enfants et qu'on va priver, on va aimer ses arrières-arrières petits-enfants, même si on ne les connaît pas, on a besoin aujourd'hui de construire le monde de demain. On a besoin aujourd'hui de prendre des décisions qui vont aller dans le bon sens. C'est ça. Le sens qui consiste à laisser une planète au moins aussi viable, habitable, agréable à vivre que celle qu'on a trouvée quand on est né. Et là, pour l'instant, on ne prend pas tout à fait ce chemin. Donc, c'est là où, moi, je dis, c'est une forme d'alignement, en fait. Et donc, la question qui vient, c'est comment j'utilise mon entreprise avec son modèle économique, avec son métier, avec sa présence sur ses territoires ? avec sa présence dans toute une chaîne de valeurs, pour faire bouger les choses, pour faire bouger le système, et pour inventer un modèle qui soit soutenable. Et qui soit soutenable sur tous les plans. Économique, d'abord, parce que si on n'invente pas un système économique soutenable, on ne va pas durer longtemps, donc on ne va pas transformer le système. Mais surtout, social et environnemental. Enfin, soutenable socialement et environnementalement. Et donc c'est une question assez profonde en fait, parce que c'est une question presque existentielle. C'est pourquoi j'existe ? Moi, tant que dirigeant, pourquoi mon organisation existe et à quoi elle sert ? Et comment elle peut être utile ? Et on sait très bien que ce qui fait la valeur d'une entreprise, c'est son utilité. Plus elle sera utile, plus elle aura de valeur. Et donc aujourd'hui, l'utilité d'une entreprise, c'est sa contribution au monde. Alors bien sûr, une entreprise a un métier, elle peut rendre des services, etc. Mais entre deux entreprises qui font le même métier, nous par exemple, chez Cabif, on a des fabricants de meubles, Les fabricants de meubles font exactement la même chose, ils font des lits pour chambres enfants et pourtant ils ont deux missions radicalement différentes. Il y en a un qui fait de l'insertion par le travail de personnes en situation de handicap, c'est sa mission. Et en fait, plus il fabrique un meuble, plus il fera d'insertion et plus il réalisera sa mission au fond. Donc il a un impact social. très important et très positif. Puis il y en a un autre qui est en train d'inventer la façon de réduire drastiquement les émissions de composés organiques volatiles à l'intérieur de la maison, parce qu'on sait que l'air intérieur de la maison est quatre fois plus pollué que l'air extérieur. Voilà deux entreprises qui ont le même métier, mais des missions différentes. Pourquoi ? Parce que les dirigeants ont une sensibilité différente et qui veulent donner un sens différent à leurs entreprises. Ce sont les mêmes entreprises, fabriquent tous les deux des chambres, mais par contre... La façon dont ils réfléchissent le projet, l'impact conscient, l'intention derrière le projet, est très différente. On n'est pas obligé d'avoir une intention dans un projet. Quand on monte sa boîte, on ne se pose pas toutes ces questions, nécessairement. On peut monter sa boîte en disant, tiens, j'ai découvert qu'il y a un service que je pourrais lancer, qui n'existe pas et qui va créer de la valeur. Mais très vite, on est un peu rattrapé par ce sens qu'on a envie de donner à sa vie. C'est une question d'alignement du dirigeant. Et ensuite... de l'ensemble de l'entreprise. On disait l'entreprise, on y fait société. Et probablement, c'est d'ailleurs un des derniers lieux où on fait société. Quand on voit aujourd'hui les dérives aux Etats-Unis, l'entreprise s'est déchirée. Là où on peut se parler encore, là où on travaille ensemble, là où on va partager des choses, partager des expériences, passer à l'entreprise en fait. Et l'entreprise, c'est ce lieu de faire société. Quand on fait société, on a déjà une responsabilité, c'est d'arriver à organiser ce schéma, cette organisation où on va pouvoir partager nos énergies, notre travail, notre capital. Il ne faut pas oublier que l'entreprise, ça reste un projet collectif. Qu'est-ce qui fait qu'on a envie d'être ensemble ? C'est quoi notre raison d'être ensemble ? Et ça, c'est une question qui est donc... assez existentielle et assez profonde qui vient à un moment donné dans sa vie poussée par soit une prise de conscience personnelle Quand on a écouté un janko quand on a vu des films voilà moi je sais on peut être un peu être un peu inquiet ou un peu interpellé et on peut faire bien avant son propre parcours à toi justement alors d'abord l'arrivée de mon premier enfant en 2000 C'est en fait quel monde je suis en train de bâtir pour lui et pour la génération d'après. La vérité qui dérange ensuite, c'est un film que j'ai trouvé marquant, je ne sais plus, c'était en 2004 ou quelque chose comme ça. Ensuite, c'est les crises. Et notamment la crise de 2008, où ça a été la faillite de la CAMIF, qui avait été créée en 1947, qui était une coopérative. Et là, je me suis dit, en fait, il y a une opportunité. je crois que les entrepreneurs voient ça dans les crises, ils voient les opportunités, de réinventer un nouveau modèle et de faire quelque chose qui est une vraie alternative à ce que j'ai pu observer sur le marché. J'avais monté ma boîte dans l'équipement de la maison, dans la litterie en 1995. Et j'ai observé d'une année sur l'autre la grande distrib qui va toujours chercher ailleurs parce que c'est moins cher. Donc, on va toujours chercher plus loin, moins cher ailleurs. Et je me suis dit, là, avec Camif, on a tout pour réinventer un modèle. On a une marque qui est... très fort, un attachement très singulier des clients à cette marque et des valeurs qui sont fortes de solidarité. Et on peut inventer un nouveau modèle. Et donc, c'est ça qui m'a motivé pour partir à New York et aller relancer Camif. Donc, cette question, après, c'est un chemin personnel. Chacun va être percuté à un moment donné. Et pas qu'une fois, il va falloir plusieurs coups de percussion pour nous réveiller. Et quand on est conscient, on se dit, c'est sûr qu'il faut qu'on se bouge. Et moi, en tant que dirigeant d'entreprise, mon levier d'action, c'est l'entreprise. Et quand je me rends compte qu'en fait, quand tu cumules l'ensemble des entreprises sur Terre, tu as une force incroyable qu'on peut activer. Si tant est qu'on réfléchisse à la contribution positive qu'on cherche à avoir, comment on peut avoir à réconcilier le business et l'impact. Et c'est possible. Ça se travaille. Et là, ça devient un projet qui est encore plus excitant, encore plus passionnant, qui suscite davantage d'engagement de l'ensemble des parties prenantes, des salariés, à commencer par les salariés. Et donc là, on s'aperçoit qu'en fait, ça c'est excitant. Tu vois, j'en ai la chair de poule.

  • Speaker #2

    On t'a déjà fait sentir, alors ça peut être une collaboratrice, un collaborateur, ou alors une partie prenante à l'extérieur de la CAMIF. que tu allais trop loin ou alors que tu commençais à conduire des raisonnements stratégiques qui échappaient aux logiques, disons orthodoxes, de la bonne gestion de l'entreprise, de la maximisation peut-être de certains indicateurs. Est-ce qu'on t'a déjà fait ressentir que, écoute Laemry, tu es allé juste un peu loin ?

  • Speaker #0

    Bien sûr, tout le temps en fait. Parce que dès que tu commences à t'adresser au système, T'as une réaction du système. La réaction du système, elle est violente en fait. On ne s'en rend pas forcément compte. Moi, tout arrive, on a mis la mission, on a mis consommation responsable au cœur de la mission de Camif. Bon, moi je convoque mes actionnaires, je leur dis, si notre premier objectif de mission, c'est bien celui qu'on a travaillé depuis trois ans et qu'on décide de fermer le site pour boycotter Black Friday, ça paraît logique, non ? Bah, pas pour eux. Donc ils avaient passé, ça n'a pas été mon meilleur comité stratégique de ma vie. Ils ont passé deux heures et demie à essayer de me convaincre de... Oui, c'était logique qu'on ne fasse pas le Black Friday, mais on n'était pas obligé d'aller jusqu'à fermer. Et là, j'ai senti que j'avais touché quelque chose. Faire la grève du chiffre d'affaires, c'est toucher un dogme, celui de la croissance. J'avais touché quelque chose qui a heurté un certain nombre de mes actionnaires qui pourtant étaient quand même assez ouverts, etc. Et j'ai fini de les convaincre au bout de deux heures et demie en leur disant, écoutez, là, on a une occasion unique pour faire passer notre message. Et en fait, pour aussi... parler d'un nouveau modèle de consommation qui est au cœur de ce qu'on défend. Une consommation plus responsable, où on va consommer moins, mais mieux. Et nous, on est dans le mieux, on est dans plus de local, plus de qualité, plus de durabilité. C'est unique comme opportunité. Mais sachez que personne, aucun journaliste ne s'intéressera à un site qui ne fait pas de promo. Parce qu'ils m'ont dit, t'as qu'à pas faire de promo. Mais par contre, un site qui ferme, il y avait peut-être une chance. qu'il y ait quelques journalistes, quelques médias qui reprennent l'information. Et là, j'ai eu la chance, j'ai eu quelques surfraudes, parce que quand on a... Donc, je les ai convaincus. Je leur ai dit, de toute façon, moi, je pense que ce qu'on attend aujourd'hui d'un dirigeant, c'est de l'audace, parce qu'on ne changera pas le monde avec de l'eau tiède, mais avec de l'audace. Et donc, oui, il faut oser. Il faut oser réinventer. Il faut oser aller contre le système. Et c'est bien ce qu'on attend d'un entrepreneur qui doit défricher de nouveaux modèles et qui doit aller percuter le modèle actuel pour le faire changer. et changer le monde de l'intérieur. C'est notre signature chez Camif depuis 2009. Alors là, on a envoyé les communiqués de presse à pas mal de journalistes et on a dit voilà, on va fermer Camif.fr dans deux semaines pour marquer notre attachement à la consommation responsable et montrer qu'il y a un autre modèle possible, qu'on n'est pas obligé de consommer n'importe quoi sans réfléchir et que peut-être c'est pas mal de justement reprendre la maîtrise de son pouvoir d'achat. Rerefléchir à ce que j'ai vraiment besoin d'acheter ce produit et de se poser les bonnes questions d'où il vient, comment il est fabriqué, dans quelles conditions sociales, environnementales. Et là j'ai la moitié des journalistes qui reviennent vers nous en disant on ne comprend vraiment pas ce que vous avez contre le Black Friday, c'est quoi le problème, qu'est-ce que vous avez contre les gens qui font des bonnes affaires pour Noël, je ne pouvais pas faire grand chose pour eux. Et l'autre moitié qui dit mais c'est vraiment audacieux votre truc. Bon on passe le sujet en comité de rédaction, on revient vers vous. Et... Et tous sont revenus vers nous en disant, on est un peu désolé parce qu'on ne peut pas passer le sujet à l'antenne. C'est quand même la meilleure semaine de recette publicitaire pour nous les médias. Aussi le Black Friday. Et là, on sent qu'on touche le système. On touche le système. Et il y a quelques rebelles dans le système à l'intérieur sur qui on peut compter. Et j'ai fait mon baptême de Jean-Jacques Bourdin d'ailleurs. Ça a été un des rares. Il y en a eu deux ou trois qui m'ont comme ça invité à l'antenne pour parler de qu'est-ce qu'on faisait, pourquoi on le faisait. D'ailleurs, ils m'ont pas mal questionné dans un coup de com. J'ai dit oui, je fais la com, mais je fais la com responsable parce qu'aujourd'hui, je n'ai rien à vous vendre. Par contre, j'ai un message à faire passer. Si on continue à consommer comme on consomme, c'est écrit, on va dans le mur. Donc, il va falloir changer. Et le changement, il n'est pas forcément triste, il n'est pas forcément malheureux. Au contraire, on va changer pour faire... moins mais mieux. Et c'est ça qu'on prône en fait. Donc il y a un autre modèle possible. Bon voilà, donc on n'a jamais autant parlé de Camille que quand on a fermé. Et la fierté que j'ai après avoir expérimenté ce premier renoncement qui a été vraiment mettre les pieds dans le plat d'un jonction contradictoire entre l'exigence économique de l'entreprise. On a perdu le meilleur jour de l'année et on a perdu plusieurs millions d'euros de chiffre d'affaires parce qu'on a réitéré cette opération chaque année depuis. Et l'injonction contradictoire avec les objectifs de mission qui ont été fixés, notamment celui d'un objectif sociétal, défendre un modèle de consommation responsable. Et en fait, cette injonction qui peut paraître contradictoire, elle l'est en fait sur le court terme. On a perdu le chiffre. Par contre, on a fait passer un message. Et sur le temps long, après avoir réitéré, je me suis rendu compte à quel point cette opération a été très bénéfique pour l'entreprise. On n'a jamais autant recruté de nouveaux clients sur ces 5-6 dernières années, qui sont des clients plus jeunes, vraiment qui cherchent à donner du sens aussi à leur consommation, savoir d'où ça vient, comment c'est fabriqué, et qui cherchent des marques qui sont engagées, mais qui sont surtout capables d'apporter des preuves de leurs engagements. Et là, ça a été un marqueur très fort de notre engagement sur la consommation responsable. Et l'impact très positif qu'on a eu, c'est que c'est un impact... systémique. C'est-à-dire qu'on a, au-delà de notre propre écosystème, au-delà de nos propres parties prenantes, eu un impact. L'année dernière, 1500 sites e-commerce n'ont pas fait le Black Friday. Et on fait passer des messages pour dire qu'on pouvait consommer différemment. Et ça, je suis fier parce qu'en 2017, on était tout seul et on me prenait pour un hurle-berlu. Donc oui, quand on a tout le système, forcément, à un moment, il y a des gens qui disent, non, mais tu vas trop loin. Par contre, j'ai toujours eu... j'ai toujours cherché à convaincre. Et je n'ai pas cherché à aller contre. Si tout le monde m'avait dit non, ce n'est pas possible. J'avais commencé par un point du lundi, qu'on fait tous les lundis depuis 2009, qui réunit toute l'entreprise, par poser cette question. Est-ce que pour le Black Friday, on va jusqu'à fermer ? Et donc, on vote avec les pieds souvent. Donc, tous ceux qui étaient pour se mettaient à gauche, tous ceux qui étaient contre se mettaient à droite. Et j'ai eu à peu près 60% qui étaient pour, parce que... c'était cohérent. Et il y en avait 20% qui ne savaient pas trop, et il y en avait 20% qui étaient contre en disant mais en fait, on fait quand même des produits co-responsables, Made in France et tout ça, donc, ok, si on fait du chiffre pour le FAD, c'est quand même pas mal. Et nos fournisseurs, on va les priver de chiffres. Et nos fournisseurs ont quand même besoin de travailler. Les fabricants en France, c'est pas simple d'être fabricant en France. Donc on a aussi une responsabilité vis-à-vis de nos parties prenantes et de nos fournisseurs. Et bon, voilà, je crois que ce qui a remporté la décision, c'est qu'il y avait quand même une large majorité. Et puis l'année d'après, on a interrogé nos clients et on a eu 90% de nos clients qui ont dit fermez encore C'est génial. C'est pour ça qu'on vous aime, c'est pour ça qu'on vous est fidèles. Donc ça, c'est chouette parce qu'il y a un alignement. Mais bon, après qu'on soit un peu incompris de temps en temps, c'est le lot de tout entrepreneur, c'est normal. C'est l'inverse qui serait anormal.

  • Speaker #2

    Alors te voilà désormais archiviste. Et selon toi, quel serait un événement clé, méconnu voire même inconnu, qui a marqué l'histoire et dont les effets se font encore sentir aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Il y en a beaucoup, mais en fait peut-être il y en a un que j'ai trouvé marquant. Et qui a... J'ai trouvé marquant parce qu'il a eu beaucoup d'impact positif. C'est une crise. Moi je crois beaucoup à la force des crises pour transformer le monde. en tout cas, participer à un déclic, c'est celle de 2008, la crise financière. Tout le monde a pensé que c'était une crise financière. Une crise financière, voilà. En fait, ce n'est pas une crise financière. C'est la crise de l'entreprise. Et ça, ça a été le constat de chercheurs de l'école des mines, Blanchet, Grestin et Armand Attuel, que j'ai eu la chance de rencontrer en 2013 dans mon parcours, qui se sont dit, en fait, il y a urgence à refonder l'entreprise. Et à force d'avoir mis le profit au-dessus de tout et comme seul et unique. objet social de l'entreprise, comme seule et unique raison d'être de l'entreprise, on s'est planté et on a été dans le mur. Mais grave, on a été dans le mur sur toutes les dimensions. Et on met la planète dans un état catastrophique qui n'est pas durable. Et donc, même si on est Friedmanien dans son approche, si la seule responsabilité de l'entreprise, c'est de faire du profit, aujourd'hui, le dirigeant doit se soucier d'autre chose que du profit à court terme. Sinon, il va dans le mur et demain, il ne fera plus de profit du tout. Et donc, eux se sont dit, il faut refonder l'entreprise. Et à ce moment-là, il y a eu une autre émergence. Et c'est un changement dans la finance, justement. Parce que là, c'était une crise qui a affecté quand même pas mal les banques et les fonds et tout ça. Et il y a eu l'émergence des tout premiers fonds d'impact qui se sont dit, au fond, et moi, j'ai eu la chance aussi de croiser leur route en 2013, puisque un des tout premiers fonds d'impact est rentré dans notre capitale, Citizen Capital. Et leur thèse d'investissement, c'est que... ce sont les entreprises qui sont les plus contributives, qui ont le meilleur impact social et environnemental, qui vont créer le plus de valeur pour les actionnaires. C'était encore une thèse d'investissement il y a quelques années, mais aujourd'hui, ils ont plus d'un demi-milliard sous gestion. Et des fonds à impact, il y en a beaucoup maintenant qui sont développés parce que la finance prend conscience, un, de son utilité dans la société. Pour changer le système, il va falloir beaucoup d'argent. Il va falloir investir massivement dans la transformation des entreprises. Et ceux qui investissent dans cette transformation des entreprises seront les gagnants de demain. Ça ne va pas être forcément du très court terme. Donc, il faut peut-être revoir un peu les règles sur le temps long, etc. Mais oui, c'est sûr qu'aujourd'hui, il faut investir dans la transition. Ceux qui n'ont pas fait la transition numérique, qui n'ont pas investi en 2000 sur la transition digitale de leur boîte, ne sont plus là aujourd'hui. Donc, c'est la même chose, beaucoup plus important. C'est la transformation du modèle économique de l'entreprise. Parce que comment on va adapter... l'entreprise ou comment on va réinventer nos modèles de production dans un monde où la ressource devient rare, où elle devient donc excessivement chère. On l'a vu avec la crise Covid, on l'a vu avec l'inflation sur les matières premières. Quelle entreprise peut résister à une énergie qui fait x10 du jour au lendemain ? C'est quasiment impossible. Vous êtes boulanger, vous avez une facture qui fait x10. Vous ne pouvez pas résister. Donc là, l'État joue son rôle au début d'amortisseur, mais de toute façon, sur la durée, c'est bien ce qui va se passer. Donc, il faut réinventer cette entreprise pour qu'elle soit moins gourmande en ressources ou qu'elle contribue même à être, à régénérer des ressources nécessaires à son fonctionnement. Ça, c'est quand même un changement hyper important. Et tout ça, c'est né pendant la crise de 2008. Et les chercheurs qui se sont dit, il faut refondre l'entreprise, ils ont dit, en gros, il y a deux choses à changer dans l'entreprise. La table de la loi de l'entreprise, donc ses statuts, et en particulier son objet social. qui ne peut plus se limiter à être le partage du profit entre actionnaires et qui doit intégrer au fond la raison d'être de l'entreprise et les objectifs sociaux environnementaux qu'elle entend poursuivre. Et en même temps, il faut changer un autre point essentiel de l'entreprise, sa gouvernance. C'est-à-dire que si on continue à confier la fabrique de la décision uniquement aux actionnaires, c'est-à-dire au conseil d'administration qui défend l'intérêt uniquement des actionnaires, et bien en fait, on va dans le mur. Et là, il faut donc introduire une nouvelle forme de gouvernance qui intègre davantage les parties prenantes et qui soit plus censée défendre non pas l'intérêt d'une partie prenante, les actionnaires, mais l'intérêt de l'entreprise et l'intérêt général que défend l'entreprise. Et ça, c'est le comité de mission qui est apparu dans le modèle de la société à mission. Et donc ça, c'était en 2008, ils ont fait, avec le Collège des Bernardins, ils ont fait un tout un... Et nous, on a eu la chance de faire le cas d'école de ce modèle de la société à objet social étendu, qui s'est fait appeler comme ça. Ce ne sont pas des marketeurs, ce sont des ingénieurs. Mais ce n'est pas complètement anodin que ce soit des ingénieurs, d'ailleurs, qui repensaient, redesignaient l'entreprise. On a besoin de designer le concept de l'entreprise. Et donc, on a expérimenté ça avec Camif, et là, on s'est dit, waouh, c'est un modèle super intéressant, c'est très puissant. Parce que ça nous oblige à un travail assez introspectif, pourquoi l'entreprise a été créée, et en même temps très prospectif, donc c'est un acte de leadership très fort pour le dirigeant, et que d'affirmer la contribution positive qu'on cherche à avoir pour le monde, c'est d'ailleurs une des premières choses que le fonds a un pacte avec lequel nous a challengé, c'est de dire, on sent bien que derrière le modèle Camif, qui défend la consommation, la qualité, le produire local, le Made in France, on était très pionniers, déjà le Made in France en 2009 c'était très ringard. Le durable, on sent bien qu'il y a un accroche sur le territoire, tout ça, c'est un modèle d'impact positif. Mais en fait, on a quand même besoin de repenser quelle est l'intention qu'on cherche à avoir avec le projet CAMIF. Et ces deux ans et demi de travail qui nous ont, en interrogeant des parties prenantes, qui nous ont conduit à finalement sortir que le projet CAMIF, c'était un projet de société. C'était un projet de défendre un nouveau modèle de consommation plus responsable, un nouveau modèle productif, embarquer la filière dans la... transformation vers une économie circulaire. Et ça, en fait, on l'a pris conscience par le travail collaboratif qu'on a fait, mais on l'a finalement sécurisé, pérennisé, en l'inscrivant dans les statuts en 2017. Et on s'est rendu compte que derrière, ça a beaucoup généré de transformations de notre offre, de notre modèle économique, de notre clientèle, et qui a été très bénéfique pour l'entreprise. Et donc, moi, j'ai voulu le partager, ça. avec le plus grand nombre, parce que je me suis dit, il ne faut pas que ça reste dans les mains des chercheurs et de quelques pionniers qui expérimentent, mais ça peut toucher toutes les entreprises, et ça peut devenir une force de transformation du monde qui est exceptionnelle. Parce qu'on ne va pas se transformer sous la contrainte. On ne va pas juste s'adapter. Ça ne suffira pas. En fait, les boîtes qui vont se dire, bon, on va s'adapter, de toute façon, on a notre culture, on est agile, donc on va s'adapter. Ça va être tellement vite qu'on ne va pas s'adapter, en fait. Les boîtes qui vont rester, c'est celles qui vont inventer demain. Donc là, je veux dire, ce modèle est puissant. On a besoin de le faire connaître. On a besoin aussi, parce que ce n'est pas simple, d'offrir un cadre de partage aux dirigeants qui vont s'engager sur ce chemin, qui est un chemin long, qui est un chemin de transformation. De toute façon, c'est le chemin qui transforme. Et de pouvoir aussi continuer à l'enrichir par la pratique et par le partage de pratiques. Donc, moi, j'ai cofondé la communauté des entreprises à mission en 2018, qui est une association d'intérêt général, pour faire ça. Et aujourd'hui, on n'est pas mécontent de voir que la dynamique est à l'œuvre. On n'a pas encore changé l'économie, mais j'y crois. Aujourd'hui, il y a eu la loi Pacte qui a introduit la société à mission, qui a introduit le modèle qui avait été théorisé par les chercheurs, expérimenté par quelques-uns et poussé par la communauté d'entreprises à mission. Dans la loi Pacte, il y a la société à mission. Et aujourd'hui, il y a 1700 sociétés à mission en France. Il y en a 4000 en Italie qui sont sur un modèle à peu près équivalent, qui s'appelle Società Benefit. Et voilà, aujourd'hui je suis en train de pousser le modèle pour qu'il devienne européen et bâtir un cadre européen à l'entreprise. Parce qu'au fond, d'ailleurs c'est un des constats des chercheurs, l'entreprise n'existe pas. En droit, l'entreprise n'existe pas. Seule la société existe. Et elle est gouvernée par le conseil d'administration, etc. Et on dit bien dans le droit, le droit des sociétés. Mais l'entreprise... est un impensé. Et donc, il faut penser l'entreprise. Dans tous les sens du terme, avec un A et un E. Et il faut penser l'entreprise parce que c'est ce véhicule-là qui va nous servir à changer le monde. Et c'est en activant ce véhicule, en lui redonnant du sens, en lui donnant une mission qui va créer une certaine tension dans l'entreprise et qui va obliger l'entreprise à réinventer son modèle, donc qui va devenir un levier d'innovation. qu'on va atterrir sur un nouveau modèle qui aboutit à une triple performance. On est obligé d'aller vers ça, environnemental, social et économique. Voilà, on est sur ce chemin et ce n'est pas fini. Ça va prendre probablement une génération ou deux, mais j'y crois.

  • Speaker #1

    Tu as beaucoup parlé de leadership, de transformation de leadership, de sens aussi que toi en tant que dirigeant et que bien d'autres dirigeantes et dirigeants souhaitent donner à leur action. À l'autre bout du spectre et complémentaire à ces transformations du leadership, on a aussi les transformations des cadres réglementaires. En Europe, on a à l'esprit la CSRD, ces nouvelles exigences telles qu'elles sont présentées de reporting. Comment, d'après toi, on va rentrer peut-être un peu dans de la technique, on transforme ce qui ressemble pour commencer à une nouvelle exigence de reporting. On se dit, tiens, la CSRD, c'est des données qu'il va falloir collecter en plus, des indicateurs qu'il va falloir suivre en plus. Et en plus, il va falloir faire valider notre rapport extra-financier. Comment tu transformes ce qui semble être au début une injonction technocratique venue de l'Europe en une vraie opportunité, en un catalyseur, en un accélérateur des changements du leadership dont tu parles ? Comment on transforme ce qui ressemble franchement à une punition technocratique en un formidable élan pour fabriquer des nouvelles grammaires stratégiques ?

  • Speaker #0

    Peut-être justement en définissant sa mission. parce que la mission est une façon de donner du sens à la CSRD. Si la CSRD se contente de faire une boîte à reporting et à faire encore plus de reporting extra-financier, etc., ça ne servira à rien. On a un peu expérimenté la chose avec la RSE, en fait. La RSE n'a pas fondamentalement transformé l'économie. Quand je vais à Produirable, je suis content de voir qu'il y a des belles boîtes qui font un très joli rapport, mais qui n'ont absolument pas changé de modèle économique. et qui ne sont pas prêtes de transformer le monde. Donc, je ne crois pas que... Et je vois même, puisqu'on est nous-mêmes labellisés Bicorp depuis 2014, donc on s'est mis sous contrainte pour reporter sur l'ensemble des dimensions du développement durable et pouvoir rendre l'entreprise transparente, comparable. Mais bon, quand c'est l'année de la recertification Bicorp, ce n'est pas l'année où les collaborateurs rigolent le plus parce que c'est beaucoup de reporting. Et puis, il y a beaucoup de questions. qui sont assez peu en lien avec le cœur de notre métier, le cœur de l'impact qu'on cherche à avoir. Et puis, comme tout label ou comme tout reporting extra-financier global qui s'adresse à toutes les boîtes, même si dans la CSRD, il y a quand même une étude qui nous permet déjà de définir quels sont en fait les grands enjeux de l'entreprise et donc de ne pas reporter sur des choses qui n'ont absolument rien à voir. Bon, malgré tout, ça reste assez standardisé. Et d'ailleurs, c'est bien l'objectif. La CSRD, l'idée, c'est de rendre les entreprises comparables sur leurs performances. extra-financière. La mission, c'est rendre l'entreprise incomparable. C'est de lui donner une différenciation qui fait que, ah ouais, là sur la mission, on va aller beaucoup plus loin. Alors, il y a des points communs, parce que quand on fait le travail pour définir sa mission, on regarde l'impact qu'on peut avoir sur l'écosystème, l'impact que les sujets environnementaux, sociaux ont sur l'entreprise. Donc, on fait aussi ce travail de double matérialité, mais on va aller mettre l'accent sur ce qui compte vraiment pour l'entreprise. Et on va définir peut-être deux, trois thématiques clés sur lesquelles l'entreprise cherche à avoir un impact. positif, et sur lequel elle va concentrer ses moyens, son énergie, ses ressources. Le danger avec ces SRD, c'est que beaucoup de dirigeants le prennent comme une contrainte de plus, et qui vont devoir mettre des ressources dessus, et du coup, pas mettre de ressources sur ce qui compte vraiment. Or, dans les reportings, il y a plein d'indicateurs qu'on compte, mais qui ne comptent pas, en fait. C'est Einstein qui disait ça. On peut compter ce qui... Enfin, je ne sais plus exactement, je n'ai plus la formulation. J'aime bien cette phrase. Tout ce qui compte ne se compte pas et tout ce qu'on compte ne compte pas. Un truc comme ça. Donc, je trouve intéressant la complémentarité des deux. D'avoir, et de toute façon, on sait très bien que le niveau de l'eau monte, donc le niveau d'exigence vis-à-vis de l'entreprise, de la société, etc., monte. Que, je dirais, aujourd'hui, une entreprise qui n'a pas structuré une démarche RSE, c'est quand même un peu inquiétant, on va dire. Donc, il faut le faire, quoi. Mais si on veut vraiment transformer l'entreprise, il va falloir définir ce sur quoi on a envie de changer le monde. Et ça ne va pas être un spectre très large, ça va être un spectre plutôt court, mais on va aller beaucoup plus loin. Par exemple, dans la labellisation Bicorp, je crois que notre boycott du Black Friday nous rapporte 0 points. Et puis que par contre, on a des questions sur quelle est la part de vos fournisseurs dans un rayon de moins de 322 kilomètres, parce que ça fait 200 miles où ça tomberont. Mais on a déjà fait remarquer aux Américains qu'on a... pas de fournisseurs dans l'océan Atlantique, on est à New York, donc pas très loin de l'océan Atlantique, et qu'on n'a pas encore de fournisseurs dans l'eau. Donc, on n'a même pas de point sur cette question, alors qu'on est les champions du Made in France, qu'on fait 75% de notre chiffre Made in France, 100% Made in Europe. C'est toujours les limites. Mais on a souhaité quand même se mettre sous contrainte et explorer ce champ assez large d'indicateurs et de questions relatives à la façon dont on fait du business, la façon dont on opère, la façon dont on échange avec nos parties prenantes, pour éviter d'avoir des trous dans la raquette. Parce que, rien qu'en lisant les questions de la CSRD ou de Bigorbe, on se rend compte que tiens, ah oui, ça, on n'avait pas pensé, peut-être qu'il faudrait qu'on y pense. Donc c'est pas mal, c'est une façon assez saine de faire du business. D'ailleurs, au passage, dans la loi Pacte, il y a eu une modification qui est passée un peu inaperçue, qui est l'article 1833 du Code civil, qui dit que toute entreprise doit prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux. Ça consacre l'obligation de la RSE. On est obligé aujourd'hui d'avoir une entreprise qui est responsable sur les enjeux sociaux et environnementaux. C'est la norme. Donc, il faut saisir l'opportunité de CSRD comme une obligation finalement de prendre un peu de temps pour réfléchir à l'entreprise dans le monde, les impacts du monde sur l'entreprise et l'impact de l'entreprise sur le monde. Mais il faut aller plus loin et ne pas se limiter à juste ça. Il faut vraiment prendre le temps de définir la raison d'être. et les objectifs socio-environnementaux qui sont singuliers à l'entreprise, qui vont faire sa différence, qui vont faire que cette entreprise a envie d'y travailler. On a envie d'aller y contribuer, d'y travailler parce qu'elle nous parle et que les thèmes sur lesquels elle est engagée, ça nous parle. Et le cadre de la sous-stabilisation, ça reste un cadre pour le coup volontaire. On n'est pas obligé pour le coup. Et moi, ce que j'aime dans ce cadre, c'est qu'il offre un grand champ de liberté. Et à l'intérieur d'un cadre où il y a un grand champ de liberté, il y a beaucoup d'audace. On peut oser, on peut libérer le management, on peut laisser la clé aux collaborateurs qui sont les mieux placés pour changer les pratiques, changer l'entreprise en fait, parce que le cadre est là. Et puis je dirais qu'il y a un autre point qui me paraît assez essentiel aussi, c'est dans les raisons pour lesquelles il faut aller plus loin et il faut se doter d'une mission. évidemment c'est un levier d'engagement très fort et un levier d'innovation et de performance mais c'est aussi une façon de transmettre l'entreprise et si on se remet un tout petit peu dans cette prise de recul du temps long, finalement la mission est un outil de transmission parce qu'elle est inscrite dans les statuts et dans la gouvernance de l'entreprise et que le jour où le dirigeant quitte l'entreprise, on a eu le cas avec Danone qui alors qu'Emmanuel Faber avait porté, incarné, fait voter à 99,5% dans une boîte cotée, c'était pas gagné le modèle, le passage à la société à mission Le jour où il est parti quelques mois plus tard, alors que dans une entreprise classique, sans un modèle fort comme ça, tout se serait écroulé, il serait parti et tout se serait arrêté en fait. Là, la mission a continué. Le comité de mission est continué. Pascal Lamitte, président du comité de mission. Donc, on jugera dans quelques années si la mission a aidé Danone à se transformer, se réinventer et avoir finalement un impact positif sur les enjeux, notamment sur la santé ou autre.

  • Speaker #1

    Je voudrais faire une sorte de synthèse de ce que tu nous as dit jusque là. Bien sûr, elle ne sera pas exhaustive. À nouveau, l'expression « faire société » est revenue à plusieurs reprises dans tes propos. Tu viens de nous rappeler que s'inscrire dans le cadre de la société à mission, c'est se donner les moyens de donner envie, de donner envie déjà à soi-même de faire ce que l'on fait, à ses collaboratrices, collaborateurs. Tu as employé une expression intéressante aussi en parlant du label Bicorp. Tu as dit... Nous nous sommes mis nous-mêmes sous contrainte. Est-ce que quelque part, cette mise sous contrainte, c'est quelque part une sorte d'échauffement, c'est un outil de préparation à un monde qui est en train d'arriver, qui lui sera peut-être bien plus contraint ? On parle de limites planétaires, on parle de contraintes biophysiques qui pèsent sur les entreprises. Est-ce qu'en fait, c'est une sorte d'échauffement, cette mise sous contrainte avec des labels Bicorp ? Est-ce que c'est un outil qui doit donner même confiance à tes actionnaires qui sont là parce qu'ils souhaitent une valeur ? présentes et futures de la camif, et toi, tu leur donnes des gages, quelque part, des moyens que tu mobilises pour anticiper, te préparer et te mettre déjà au diapason d'un monde économique que l'on ne connaît pas encore parce qu'il n'a jamais existé. Le monde sera différent. Tu te mets sous contrainte, tu anticipes, tu t'entraînes, tu te mets déjà à l'épreuve des futurs, quelque part, avec ces labels. Est-ce que c'est à peu près juste ou à côté de la plaque ?

  • Speaker #0

    Non, non, je pense que c'est très juste. Ce n'est pas uniquement les labels qui font ça, mais je pense que la raison d'être et les objectifs sociaux environnementaux qu'on inscrit dans nos statuts quand on est une entreprise à mission, c'est une façon de se mettre en contrainte. C'est donc une façon aussi de se mettre en mouvement. Quand on renonce au Black Friday ou quand on renonce au produit de grand import, ce qui nous est arrivé en 2021, on s'est carrément mis sous contrainte. On n'était pas obligé d'aller jusque là. On avait encore 7% du catalogue qui était fait avec des produits fabriqués à l'autre bout de la planète et on s'est dit, ce n'est pas cohérent. Donc, on va couper tout ça. On s'est privé d'électroménager, de mobilier de jardin. On a perdu du chiffre et on s'est mis sous contrainte d'aller trouver des alternatives locales. Et moi, je pense que j'ai expérimenté le renoncement et je sais que quand on fait le chemin de l'entreprise à mission, oui, on va faire mieux, mais on va aussi faire moins. Il y a des choses qu'on va arrêter même carrément. Et que le renoncement est une façon... d'accélérer la transformation de l'entreprise. Pourquoi ? Quand on renonce à une activité, certes, on se prive tout de suite de chiffres, mais on libère aussi de l'énergie qui est mise sur des choses qui ne sont a priori pas les plus contributives pour le futur de l'entreprise, pour les mettre sur ce qui compte vraiment, justement, ce qui va faire l'avenir de l'entreprise. Et donc, quand je libère quelque part l'énergie de mes chefs de produits qui passaient du temps à discuter, à dialoguer avec des fournisseurs qui étaient à l'autre bout de la planète, mais qui représentait encore 7% du chiffre. Donc ce n'était pas énorme, mais ça prenait de l'énergie du temps et qu'ils ne pouvaient pas faire pour aller relocaliser des choses. Et quand je vois que derrière ça, on a eu la collection Louison, par exemple, qui est une collection entièrement faite avec du lin français, puisqu'on est le premier producteur au monde de lin. Mais par contre, toutes nos productions partent à l'étranger pour être filées, peignées, tissées, confectionnées et reviennent sur nos marchés. Elle, elle a dit, moi j'ai trouvé, elle a pris du temps, elle a mis deux ans, mais au bout de deux ans, elle a trouvé pour reconstituer toute la filière. Tous les prestataires, les sociétés en France qui existaient plus ou moins, et on a sorti la première collection entièrement faite en France de lin, linge de maison en lin, de la graine de lin au linge de lit. Ça, finalement, c'est un impact positif du renoncement. Donc le renoncement. Il déséquilibre l'entreprise, mais en la déséquilibrant, il la met en mouvement. Comme l'époque, si on marche, c'est qu'on se met en déséquilibre. Donc, pour marcher, il faut parfois renoncer à des choses. Quand on se met sous contrainte, c'est bien ça, c'est qu'on s'oblige à se réinventer. Quand nous, on dit en 2017, on va faire de l'économie circulaire et on va embarquer la filière là-dedans, rien ne nous oblige à faire ça. Et ça nous a pris beaucoup de temps pour essayer de voir comment on allait faire. On a fait un camis-faton, on a fait... pendant trois jours, des fournisseurs, des experts de l'économie circulaire, des designers, des collaborateurs, des consommateurs, en leur disant, essayons d'inventer ensemble des nouveaux produits pour Camif demain, mais avec cette exigence de faire que de l'économie circulaire. Et bien, on a sorti au bout de quatre ans. Alors, ça a pris du temps, mais c'est ça, c'est du temps long. Le matelas Timothée, premier matelas entièrement fabriqué à partir de vieux matelas recyclés. C'est une première boucle d'économie circulaire au sein de la filière Lytry. Et ce qui est intéressant dans ce produit, alors d'abord, c'est que ça incarne exactement ce que c'est l'entreprise à mission. C'est quelque chose de très concret, un matelas, en l'occurrence, qui est au cœur du modèle économique de l'entreprise. Contrairement à tout ce qu'on peut faire en matière de RSE, qui peut être un peu périphérique, on va mettre des ruches sur le toit de l'entreprise, c'est génial, c'est bien, mais ça ne va pas changer le modèle. Là, on est au cœur du modèle dans l'entreprise. Et ce qui est bien, c'est qu'on a su prouver avec ce matelas, qui est devenu en quelques mois un des best-sellers. de l'offre CAMIF, qu'on pouvait avoir de la performance économique, de la performance sociale et environnementale. On a traversé une crise, encore une de plus. crise Covid, plus la crise inflationniste qui a suivi, avec une inflation très très forte sur les matières premières. Et nous, on a pris à peu près 27% d'augmentation de nos prix d'achat moyen. Et sur les mousses conventionnelles issues du pétrole, ça a flambé. Ça a été beaucoup plus que ça. Mais notre matelas, Timothée, lui, il n'a pas flambé. Parce que des matelas recyclés, il y en a toujours autant. Donc avec la mousse issue des matelas recyclés, elle a préservé nos marges dans un moment où toutes nos marges ont été mises sous tension. On a gagné. de la marge dans un moment où tout le monde a perdu de la marge. Et donc ça, si on a réussi à faire ça en 2021 ou 2022, c'est parce qu'en 2017, on s'était dit, il faut faire de l'économie circulaire. C'est ça que nos fournisseurs attendent de nous parce que quand on leur parle depuis 2009 des déco-conceptions de machins, personne trop leur en parle et ils nous ont dit c'est ça la valeur que Camif crée pour nous. C'est pas tant le chiffre qu'on fait avec vous, mais quand vous venez et vous faites le tour du Made in France, que vous arrivez avec des experts, des clients, et des collaborateurs Camif, qu'on travaille avec les ouvriers l'après-midi, personne ne fait ça avec nous. Et quand vous nous challengez sur d'où viennent les composants, combien de pourcentage du recyclé, ça, personne ne le fait avec nous. Mais c'est ça qui nous tire vers le haut, ça nous sort la tête du guidon. Et c'est pour ça qu'on aime travailler avec Camif. Et ça, c'est chouette. Et du coup, cette triple valeur créée par Timothée, c'est plus de marge, devenu un best-seller. C'est une valeur sociale quand on crée un emploi à New York, c'est 10 emplois en France, on a fait une étude d'impact là-dessus, et c'est une valeur environnementale puisqu'on a fait les analyses de cycles de vie de ces produits-là, et c'est en moyenne 50% de CO2 évité par rapport à un produit conventionnel, travaillé de manière conventionnelle et fabriqué à l'autre bout de la planète. Donc, on réussit à apporter la preuve de cette triple performance. Et effectivement, dans cette crise des ressources qu'on ne pouvait pas anticiper, dans cette crise inflationniste qu'on ne pouvait pas anticiper sur le prix de l'énergie, le prix des matières premières, Le fait d'avoir eu de l'avance et de s'être fixé cette mission qui nous a mis en tension dès 2017, ça nous a peut-être sauvé.

  • Speaker #1

    Alors te voilà enfin acupuncteur. Selon toi, quelle serait une décision, une action, une intervention qui pourrait aujourd'hui contribuer de manière significative à la fabrique d'un monde habitable ? Tu n'as qu'une seule aiguille en tant qu'acupuncteur, ou la plante tue.

  • Speaker #0

    Dans le cerveau. Je l'ai planté dans le cerveau directement parce que tout part de là. Alors il y a cet alignement tête-coeur-corps super important, mais la tête quand même c'est celle qui guide et on a besoin de changer de logiciel. Donc on a besoin de le mettre dans nos cerveaux pour qu'on ait envie de passer à l'action, qu'on invente, qu'on imagine, qu'on dope la créativité autour de ce modèle de demain qu'il faut inventer. Qu'est-ce qui va nous donner envie de consommer différemment ? Qu'est-ce qui va nous donner envie de nous déplacer différemment ? Qu'est-ce qui va nous donner envie de faire société différemment ? Je pense que c'est l'aiguille la plus importante. Puis je la ferai chauffer un peu là pour qu'elle... Mais bon, on a une telle créativité. Donc moi, je suis optimiste. Donc je pense que si on plante cette petite aiguille dans le cerveau, elle peut provoquer des inacelles incroyables. Donc probablement parce qu'on est un peu aussi face au mur et qu'on se pense écrise les unes après les autres, on est un peu forcé de réfléchir différemment. Et on a toujours été assez malin, je pense, pour inventer des nouveaux modèles. Et là, il y a urgence, en fait.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce que tu vois comme signe, justement, qui nourrisse ton espérance, qui te font penser qu'on peut résolument aujourd'hui être à la fois lucide, un adjectif qui convient, je pense, à plusieurs diagnostics que tu as posés ? Et optimiste, est-ce que tu as des situations dans ta vie pro ou en dehors que tu rencontres, que tu constates, qui nourrissent cet optimisme lucide ? Et peut-être une question liée aussi, quel rôle est-ce que tu vois dans tout ça pour les imaginaires, pour les visions du monde qui sont en émergence aujourd'hui mais qui peut-être demeurent encore aux marges ? Est-ce qu'on a les imaginaires, est-ce qu'on a cette capacité à imaginer ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'il y aura de la résistance, il y a beaucoup de résistance du vieux monde. Et puis quand on voit l'émergence de nouveaux modèles genre Shine, Feng Shui, Temu et tout ça, on se dit « Waouh, ça va exactement dans le sens inverse de ce qu'il faudrait qu'on fasse » . Et là, tu es là à te dire « Bon, c'est pas gagné » . Moi, ce que je vois, c'est les dirigeants qui se sont engagés dans cette voie qui ne sont pas forcément des gens particulièrement engagés mais qui y vont parce qu'en fait, ils ont compris que c'est ce qui fera l'avenir de leur entreprise. Et donc, au fond, il n'y a pas d'autre voie possible. Mais bon, ça risque de prendre encore du temps. Je vois quand même qu'il y a beaucoup de dirigeants et de salariés qui bossent dans ces boîtes, qui trouvent du plaisir et beaucoup de plaisir. Je crois qu'il ne faut pas oublier cette notion de plaisir, elle est essentielle, dans un projet collectif qui consiste à œuvrer, pas que pour leurs actionnaires, mais à œuvrer pour un monde meilleur, un monde soutenable, bref. Je pense qu'il faut être au rendez-vous de l'histoire, parce qu'on est un peu dans une période de charnière. C'est un moment où il y a quand même... dynamique entrepreneuriale que je trouve assez forte. Moi, quand je suis sorti de mon école de commerce en 93, il y en était deux à monter notre boîte. Aujourd'hui, il y a plein de jeunes qui montent leur boîte et moi, ça se trouve très positif et que ce soit partout. C'est dans les quartiers, c'est à la sortie des grandes écoles, c'est partout. Je crois donc beaucoup à l'importance de l'entrepreneuriat pour réinventer le monde parce qu'on a besoin davantage d'entrepreneurs à la tête des entreprises et peut-être un peu moins de gestionnaires. Parce que ce n'est pas avec les recettes du passé qu'on va monter demain. Donc, c'est bien. Il va falloir miser sur notre créativité, notre intérêt. Et ça, c'est chouette. Je trouve ça assez excitant en fait, de dire, là, il y a une valeur qui va être montante, c'est celle de la créativité. Mais à côté de ça, il y a des défis immenses et puis il y a des forces contraires qui vont faire de la résistance jusqu'au bout. Et je crois qu'on a quand même aussi la chance en Europe, et moi je crois à ça, à l'importance de sortir de cette... Cette domination du modèle américain, très consumériste encore, vraiment c'est fou, et de se différencier du capitalisme chinois ou américain et d'inventer un nouveau modèle, une nouvelle voie. Et on a une histoire, des valeurs qui nous permettraient d'affirmer davantage cette place et ce rôle de l'entreprise dans la société et donc définir un nouveau cadre pour l'économie. J'ai partagé il n'y a pas très longtemps avec des Japonais qui, pareil, ne se reconnaissent pas dans le capitalisme chinois ni américain et qui réfléchissent. Ils ont monté un groupe de travail qui s'appelle Future of Capitalism et donc ils réfléchissaient, ils voulaient avoir un peu notre retour d'expérience sur l'entreprise à mission. Je trouve ça assez chouette parce que finalement, on voit que dans pas mal de pays dans le monde, on réfléchit à l'avenir de l'économie. Et on sait bien que l'avenir de l'économie passera par... Enfin, il n'y a pas une économie qui sera soutenable si la planète ne l'éparte. Donc... À un moment donné, il va y avoir cette grande convergence. Je vois aussi de l'espoir dans les jeunes, quand je vois des jeunes. Pas tous, parce que les jeunes sont aussi sur Shine et Temu, mais je vois aussi quand même beaucoup d'espoir chez les jeunes, qui sont beaucoup plus informés, conscients que nous on l'était quand on était jeunes. Donc je pense que ça fait son chemin. Mais la difficulté, c'est que tous ces changements prennent du temps, et vont prendre du temps, et qu'en même temps, il y a de l'urgence. Et l'autre difficulté, c'est qu'il va falloir être très persévérant et finalement patient. tous les changements qu'on va opérer, on n'en verra pas de notre vivant les impacts positifs. Donc ça veut dire que même si parfois ça passe par des sacrifices ou des choses où on va renoncer à des choses, c'est rare, on va renoncer à ça, à ça, ça continue à monter, les températures et machin, ça va monter encore. Et ça, je trouve que c'est difficile, ça veut dire une forme d'abnégation et de dire il faut que je pense, il n'y a pas très longtemps, il y a un an ou deux, j'avais rencontré les sept ou... gardien des grandes forêts là et c'était chouette parce qu'il disait bah nous on réfléchit à comment on réfléchit toute décision qu'on prend c'est pour la septième génération quoi. Ah ouais nous on a déjà du mal à réfléchir à plus de trois mois donc voilà.

  • Speaker #1

    On va rester je pense sur cette rencontre inspirante et peut-être le slogan de l'éditeur français de logiciels libres, la route est longue mais la voie est libre. C'est ça. Merci beaucoup Emery.

  • Speaker #0

    Merci.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode de Nos Limites, produit par Logarithme. L'ensemble des épisodes est disponible sur toutes les plateformes et sur le site atelier-desfuturs.org. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous et n'hésitez pas à en parler autour de vous. A bientôt !

Description

Emery Jacquillat est un entrepreneur, président de la CAMIF, une entreprise française de commerce en ligne, et cofondateur de la Communauté des Entreprises à Mission.


À rebours des soi-disantes meilleures pratiques de gestion d’entreprise et de conception de business model, il s’implique et il implique depuis plusieurs années son entreprise dans la lutte contre la surconsommation, pourtant synonyme de revenus, encouragée notamment par le Black Friday.


Dans l’entretien à suivre, Emery se demande si l’entreprise pourrait être à la fois la cause et le remède au dérèglement climatique et aux menaces qui pèsent sur l’habitabilité de la planète, remonte le temps pour envisager la crise de 2008 non pas comme une crise financière mais comme crise de l’entreprise, et argumente enfin en faveur d’un renouvellement des imaginaires.


Entretien enregistré le 23 septembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    I can slightly hear it. Nos limites.

  • Speaker #1

    Un podcast de Thomas Gauthier, produit par Logarith. The growing threat of climate change could define the contours of this century. The world is waking up and change is coming,

  • Speaker #0

    whether you like it or not.

  • Speaker #1

    Une enquête à bord du vaisseau Terre à la recherche d'un nouveau cap pour l'humanité.

  • Speaker #0

    Nous sommes en train d'atteindre les limites planétaires, nous sommes en train de détruire ce qui nous permet de vivre. La modernité, c'est la vitesse. Et c'est vrai que ça va un peu vite.

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, on ne va pas se permettre de ne pas s'engager. Il faut qu'on soit dans une science de combat. Enseignant-chercheur à EM Lyon Business School, Thomas va à la rencontre de celles et ceux qui explorent le futur et se remémorent l'histoire pour bâtir un monde habitable dès aujourd'hui. À chaque épisode, son invité, curieux du monde à venir, commence par poser une question à l'oracle. Ensuite, tel un archiviste, il nous rapporte un événement méconnu du passé dont les conséquences sont pourtant bien prégnantes dans le monde actuel. Pour conclure, il devient acupuncteur et propose une action clé afin d'aligner les activités humaines sur les limites planétaires. Emery Jaquia est entrepreneur, président de la CAMIF, une entreprise française de commerce en ligne. Il est également cofondateur de la Communauté des entreprises à mission. À rebours des soi-disant meilleures pratiques de gestion d'entreprise et de conception de business model, il implique depuis plusieurs années son entreprise dans la lutte contre la surconsommation, notamment encouragée par le Black Friday. Dans l'entretien à suivre, Emery se demande si l'entreprise pourrait être à la fois la cause et le remède aux dérèglements climatiques et aux menaces qui pèsent sur l'habitabilité de la planète. Il remonte le temps pour envisager la crise de 2008 non pas comme une crise financière, mais comme crise de l'entreprise. Pour finir, il argumente en faveur d'un renouvellement des imaginaires.

  • Speaker #2

    Bonjour Emery.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #2

    Alors ça y est, tu es face à l'oracle, tu peux lui poser une question, quelle est-elle ?

  • Speaker #0

    Wow. Est-ce que vous pensez vraiment que l'entreprise, qui est clairement aujourd'hui, on le sait, à l'origine de tous les dérèglements qu'on observe, peut être également demain la solution ?

  • Speaker #2

    Bon alors là, tu attaques l'oracle de manière assez nette et précise. J'aimerais juste que peut-être pour commencer... T'élabore un tout petit peu, qu'est-ce qui te fait dire que l'entreprise est à la source de ce que t'appelles les problèmes d'aujourd'hui ? C'est quoi la source ?

  • Speaker #0

    Je pense que de tout temps, l'entreprise a transformé le monde. Elle est à l'origine de toutes les grandes transformations. Aujourd'hui, le train, le vélo, la voiture, l'avion, l'internet, le téléphone, la radio, la télé, tout ce qui a transformé profondément le monde, ce sont des entrepreneurs, ce sont des entreprises. qui l'ont très souvent inventé et porté à l'échelle. Et aujourd'hui, je pense qu'on est la première génération à avoir pris conscience, d'abord on observe, on observe ce qui se passe autour de nous, notre environnement. Les scientifiques depuis 50 ans nous disent ce qu'il en est. On est la première génération à avoir pris conscience du lien entre ce qu'on observe, le dérèglement du climat, les problèmes de biodiversité, les inégalités croissantes et nos modes de vie. C'est-à-dire nos modes de consommation, nos modes de déplacement, nos modes de production, au fond, nos modes de faire société. Et on est probablement aussi la dernière génération à pouvoir agir avant que tout nous échappe. Donc la question c'est où est-ce qu'on agit ? On a besoin de tous, on a besoin de l'action de tous, on a besoin des activistes, on a besoin des scientifiques, on a besoin des états, on a besoin des collectivités, on a besoin des entreprises, on a besoin des citoyens. L'enjeu clé, c'est qu'on ne reste pas dans une forme de triangle de l'inaction en disant tant que les États ne me contraignent pas, je ne vois pas pourquoi je vais bouger moi-même. Tant que les citoyens ne bougent pas, je ne vais pas bouger. Tant que l'entreprise ne bouge pas, je ne vois pas pourquoi je demanderais à... Et qu'on reste dans ce triangle de l'inaction dans lequel j'ai un peu l'impression qu'on est depuis qu'on sait, en fait. Parce que d'abord, on n'aime pas le changement. Et ensuite, on a un changement là, on a un problème qui est systémique. c'est le système terre et on a un changement systémique à opérer Et c'est affreusement difficile, ce système. Et on n'a pas envie de le faire. Parce qu'on a envie de vivre comme on a toujours vécu. Et sur le même modèle, c'est tellement plus simple. Donc aujourd'hui, il faut tout réinventer. Et tout le monde a sa part. Les citoyens ont leur part. Les États ont leur part. Les entreprises ont leur part. Moi, je crois que l'entreprise est le plus puissant levier de transformation de la société qu'on ait à disposition. C'est pour ça que j'ai envie de poser cette question. Parce que si tu regardes les citoyens, même si je transforme toute l'audience là en Greta Thunberg et qu'on ne prend plus l'avion, on ne mange plus de viande et qu'on ne prend plus la voiture pour les trajets de moins de 3 km, on n'a fait qu'une petite partie du chemin pour nous limiter dans la trajectoire des 2 degrés de l'accord de Paris. Si je prends les États... Et j'observe, et ils ont pourtant un sacré pouvoir les États. C'est nous en fait les États. Ils ont un pouvoir par la réglementation, par la contrainte. Ils ont un pouvoir par la fiscalité. Ils ont un pouvoir par la commande publique. Donc ils ont un sacré pouvoir. Et même ils ont un pouvoir en se mettant ensemble et en coopérant. C'est ce qui s'est passé avec les COP successives. Moi quand j'ai démarré ma boîte, c'était la COP en 95, la première COP. Et aujourd'hui après la 24e, 25e, je ne sais même plus à combien on est. On est là. On voit que le nombre de particules de CO2 dans l'atmosphère n'a fait que monter. On est passé de 365 à plus de 420. Donc, même avec la coopération, les États ont failli, quelque part, à résoudre un des problèmes, ce n'est pas le seul, mais celui, par exemple, de la concentration de CO2 dans l'atmosphère qui participe au dérèglement du climat. Et moi, ma conviction, c'est que ce sont les entreprises qui ont le plus puissant pouvoir de transformation de la société et qu'on peut changer le monde. mais on peut le changer de l'intérieur. Et donc la question c'est, qu'est-ce qu'on doit changer dans l'entreprise pour transformer la société ?

  • Speaker #2

    Donc là tu as à plusieurs reprises utilisé l'expression faire société, tu t'exprimes aujourd'hui notamment en tant que président d'une entreprise, qu'est-ce qui se passe dans la tête d'une dirigeante ou d'un dirigeant qui se donne... pour elle-même ou pour lui-même, de mission de contribuer à faire société, quelles sont tes incitations, quelles sont tes motivations, quelles sont tes injonctions ? Tu rends compte à qui, quand tu te dis, en te levant, que tu es non seulement président d'une entreprise, donc tu as des comptes à rendre à des parties prenantes à l'intérieur de celle-ci et juste à l'extérieur de celle-ci, mais tu as aussi des comptes à rendre, entre guillemets, à l'humanité tout entière ou au monde tout entier. Ça vient d'où, en fait, cette envie de connecter son action, comme tu l'as dit, au système Terre ?

  • Speaker #0

    Ça vient de donner un sens à sa vie. Parce qu'en tant que dirigeant, on n'est pas absent de cette quête de sens. Et quand on prend conscience, parce qu'il y a un petit travail quand même de prise de conscience de notre pouvoir en tant que dirigeant d'une entreprise, et que si vraiment on aime la planète dans laquelle on vit, si on aime ses enfants et qu'on va priver, on va aimer ses arrières-arrières petits-enfants, même si on ne les connaît pas, on a besoin aujourd'hui de construire le monde de demain. On a besoin aujourd'hui de prendre des décisions qui vont aller dans le bon sens. C'est ça. Le sens qui consiste à laisser une planète au moins aussi viable, habitable, agréable à vivre que celle qu'on a trouvée quand on est né. Et là, pour l'instant, on ne prend pas tout à fait ce chemin. Donc, c'est là où, moi, je dis, c'est une forme d'alignement, en fait. Et donc, la question qui vient, c'est comment j'utilise mon entreprise avec son modèle économique, avec son métier, avec sa présence sur ses territoires ? avec sa présence dans toute une chaîne de valeurs, pour faire bouger les choses, pour faire bouger le système, et pour inventer un modèle qui soit soutenable. Et qui soit soutenable sur tous les plans. Économique, d'abord, parce que si on n'invente pas un système économique soutenable, on ne va pas durer longtemps, donc on ne va pas transformer le système. Mais surtout, social et environnemental. Enfin, soutenable socialement et environnementalement. Et donc c'est une question assez profonde en fait, parce que c'est une question presque existentielle. C'est pourquoi j'existe ? Moi, tant que dirigeant, pourquoi mon organisation existe et à quoi elle sert ? Et comment elle peut être utile ? Et on sait très bien que ce qui fait la valeur d'une entreprise, c'est son utilité. Plus elle sera utile, plus elle aura de valeur. Et donc aujourd'hui, l'utilité d'une entreprise, c'est sa contribution au monde. Alors bien sûr, une entreprise a un métier, elle peut rendre des services, etc. Mais entre deux entreprises qui font le même métier, nous par exemple, chez Cabif, on a des fabricants de meubles, Les fabricants de meubles font exactement la même chose, ils font des lits pour chambres enfants et pourtant ils ont deux missions radicalement différentes. Il y en a un qui fait de l'insertion par le travail de personnes en situation de handicap, c'est sa mission. Et en fait, plus il fabrique un meuble, plus il fera d'insertion et plus il réalisera sa mission au fond. Donc il a un impact social. très important et très positif. Puis il y en a un autre qui est en train d'inventer la façon de réduire drastiquement les émissions de composés organiques volatiles à l'intérieur de la maison, parce qu'on sait que l'air intérieur de la maison est quatre fois plus pollué que l'air extérieur. Voilà deux entreprises qui ont le même métier, mais des missions différentes. Pourquoi ? Parce que les dirigeants ont une sensibilité différente et qui veulent donner un sens différent à leurs entreprises. Ce sont les mêmes entreprises, fabriquent tous les deux des chambres, mais par contre... La façon dont ils réfléchissent le projet, l'impact conscient, l'intention derrière le projet, est très différente. On n'est pas obligé d'avoir une intention dans un projet. Quand on monte sa boîte, on ne se pose pas toutes ces questions, nécessairement. On peut monter sa boîte en disant, tiens, j'ai découvert qu'il y a un service que je pourrais lancer, qui n'existe pas et qui va créer de la valeur. Mais très vite, on est un peu rattrapé par ce sens qu'on a envie de donner à sa vie. C'est une question d'alignement du dirigeant. Et ensuite... de l'ensemble de l'entreprise. On disait l'entreprise, on y fait société. Et probablement, c'est d'ailleurs un des derniers lieux où on fait société. Quand on voit aujourd'hui les dérives aux Etats-Unis, l'entreprise s'est déchirée. Là où on peut se parler encore, là où on travaille ensemble, là où on va partager des choses, partager des expériences, passer à l'entreprise en fait. Et l'entreprise, c'est ce lieu de faire société. Quand on fait société, on a déjà une responsabilité, c'est d'arriver à organiser ce schéma, cette organisation où on va pouvoir partager nos énergies, notre travail, notre capital. Il ne faut pas oublier que l'entreprise, ça reste un projet collectif. Qu'est-ce qui fait qu'on a envie d'être ensemble ? C'est quoi notre raison d'être ensemble ? Et ça, c'est une question qui est donc... assez existentielle et assez profonde qui vient à un moment donné dans sa vie poussée par soit une prise de conscience personnelle Quand on a écouté un janko quand on a vu des films voilà moi je sais on peut être un peu être un peu inquiet ou un peu interpellé et on peut faire bien avant son propre parcours à toi justement alors d'abord l'arrivée de mon premier enfant en 2000 C'est en fait quel monde je suis en train de bâtir pour lui et pour la génération d'après. La vérité qui dérange ensuite, c'est un film que j'ai trouvé marquant, je ne sais plus, c'était en 2004 ou quelque chose comme ça. Ensuite, c'est les crises. Et notamment la crise de 2008, où ça a été la faillite de la CAMIF, qui avait été créée en 1947, qui était une coopérative. Et là, je me suis dit, en fait, il y a une opportunité. je crois que les entrepreneurs voient ça dans les crises, ils voient les opportunités, de réinventer un nouveau modèle et de faire quelque chose qui est une vraie alternative à ce que j'ai pu observer sur le marché. J'avais monté ma boîte dans l'équipement de la maison, dans la litterie en 1995. Et j'ai observé d'une année sur l'autre la grande distrib qui va toujours chercher ailleurs parce que c'est moins cher. Donc, on va toujours chercher plus loin, moins cher ailleurs. Et je me suis dit, là, avec Camif, on a tout pour réinventer un modèle. On a une marque qui est... très fort, un attachement très singulier des clients à cette marque et des valeurs qui sont fortes de solidarité. Et on peut inventer un nouveau modèle. Et donc, c'est ça qui m'a motivé pour partir à New York et aller relancer Camif. Donc, cette question, après, c'est un chemin personnel. Chacun va être percuté à un moment donné. Et pas qu'une fois, il va falloir plusieurs coups de percussion pour nous réveiller. Et quand on est conscient, on se dit, c'est sûr qu'il faut qu'on se bouge. Et moi, en tant que dirigeant d'entreprise, mon levier d'action, c'est l'entreprise. Et quand je me rends compte qu'en fait, quand tu cumules l'ensemble des entreprises sur Terre, tu as une force incroyable qu'on peut activer. Si tant est qu'on réfléchisse à la contribution positive qu'on cherche à avoir, comment on peut avoir à réconcilier le business et l'impact. Et c'est possible. Ça se travaille. Et là, ça devient un projet qui est encore plus excitant, encore plus passionnant, qui suscite davantage d'engagement de l'ensemble des parties prenantes, des salariés, à commencer par les salariés. Et donc là, on s'aperçoit qu'en fait, ça c'est excitant. Tu vois, j'en ai la chair de poule.

  • Speaker #2

    On t'a déjà fait sentir, alors ça peut être une collaboratrice, un collaborateur, ou alors une partie prenante à l'extérieur de la CAMIF. que tu allais trop loin ou alors que tu commençais à conduire des raisonnements stratégiques qui échappaient aux logiques, disons orthodoxes, de la bonne gestion de l'entreprise, de la maximisation peut-être de certains indicateurs. Est-ce qu'on t'a déjà fait ressentir que, écoute Laemry, tu es allé juste un peu loin ?

  • Speaker #0

    Bien sûr, tout le temps en fait. Parce que dès que tu commences à t'adresser au système, T'as une réaction du système. La réaction du système, elle est violente en fait. On ne s'en rend pas forcément compte. Moi, tout arrive, on a mis la mission, on a mis consommation responsable au cœur de la mission de Camif. Bon, moi je convoque mes actionnaires, je leur dis, si notre premier objectif de mission, c'est bien celui qu'on a travaillé depuis trois ans et qu'on décide de fermer le site pour boycotter Black Friday, ça paraît logique, non ? Bah, pas pour eux. Donc ils avaient passé, ça n'a pas été mon meilleur comité stratégique de ma vie. Ils ont passé deux heures et demie à essayer de me convaincre de... Oui, c'était logique qu'on ne fasse pas le Black Friday, mais on n'était pas obligé d'aller jusqu'à fermer. Et là, j'ai senti que j'avais touché quelque chose. Faire la grève du chiffre d'affaires, c'est toucher un dogme, celui de la croissance. J'avais touché quelque chose qui a heurté un certain nombre de mes actionnaires qui pourtant étaient quand même assez ouverts, etc. Et j'ai fini de les convaincre au bout de deux heures et demie en leur disant, écoutez, là, on a une occasion unique pour faire passer notre message. Et en fait, pour aussi... parler d'un nouveau modèle de consommation qui est au cœur de ce qu'on défend. Une consommation plus responsable, où on va consommer moins, mais mieux. Et nous, on est dans le mieux, on est dans plus de local, plus de qualité, plus de durabilité. C'est unique comme opportunité. Mais sachez que personne, aucun journaliste ne s'intéressera à un site qui ne fait pas de promo. Parce qu'ils m'ont dit, t'as qu'à pas faire de promo. Mais par contre, un site qui ferme, il y avait peut-être une chance. qu'il y ait quelques journalistes, quelques médias qui reprennent l'information. Et là, j'ai eu la chance, j'ai eu quelques surfraudes, parce que quand on a... Donc, je les ai convaincus. Je leur ai dit, de toute façon, moi, je pense que ce qu'on attend aujourd'hui d'un dirigeant, c'est de l'audace, parce qu'on ne changera pas le monde avec de l'eau tiède, mais avec de l'audace. Et donc, oui, il faut oser. Il faut oser réinventer. Il faut oser aller contre le système. Et c'est bien ce qu'on attend d'un entrepreneur qui doit défricher de nouveaux modèles et qui doit aller percuter le modèle actuel pour le faire changer. et changer le monde de l'intérieur. C'est notre signature chez Camif depuis 2009. Alors là, on a envoyé les communiqués de presse à pas mal de journalistes et on a dit voilà, on va fermer Camif.fr dans deux semaines pour marquer notre attachement à la consommation responsable et montrer qu'il y a un autre modèle possible, qu'on n'est pas obligé de consommer n'importe quoi sans réfléchir et que peut-être c'est pas mal de justement reprendre la maîtrise de son pouvoir d'achat. Rerefléchir à ce que j'ai vraiment besoin d'acheter ce produit et de se poser les bonnes questions d'où il vient, comment il est fabriqué, dans quelles conditions sociales, environnementales. Et là j'ai la moitié des journalistes qui reviennent vers nous en disant on ne comprend vraiment pas ce que vous avez contre le Black Friday, c'est quoi le problème, qu'est-ce que vous avez contre les gens qui font des bonnes affaires pour Noël, je ne pouvais pas faire grand chose pour eux. Et l'autre moitié qui dit mais c'est vraiment audacieux votre truc. Bon on passe le sujet en comité de rédaction, on revient vers vous. Et... Et tous sont revenus vers nous en disant, on est un peu désolé parce qu'on ne peut pas passer le sujet à l'antenne. C'est quand même la meilleure semaine de recette publicitaire pour nous les médias. Aussi le Black Friday. Et là, on sent qu'on touche le système. On touche le système. Et il y a quelques rebelles dans le système à l'intérieur sur qui on peut compter. Et j'ai fait mon baptême de Jean-Jacques Bourdin d'ailleurs. Ça a été un des rares. Il y en a eu deux ou trois qui m'ont comme ça invité à l'antenne pour parler de qu'est-ce qu'on faisait, pourquoi on le faisait. D'ailleurs, ils m'ont pas mal questionné dans un coup de com. J'ai dit oui, je fais la com, mais je fais la com responsable parce qu'aujourd'hui, je n'ai rien à vous vendre. Par contre, j'ai un message à faire passer. Si on continue à consommer comme on consomme, c'est écrit, on va dans le mur. Donc, il va falloir changer. Et le changement, il n'est pas forcément triste, il n'est pas forcément malheureux. Au contraire, on va changer pour faire... moins mais mieux. Et c'est ça qu'on prône en fait. Donc il y a un autre modèle possible. Bon voilà, donc on n'a jamais autant parlé de Camille que quand on a fermé. Et la fierté que j'ai après avoir expérimenté ce premier renoncement qui a été vraiment mettre les pieds dans le plat d'un jonction contradictoire entre l'exigence économique de l'entreprise. On a perdu le meilleur jour de l'année et on a perdu plusieurs millions d'euros de chiffre d'affaires parce qu'on a réitéré cette opération chaque année depuis. Et l'injonction contradictoire avec les objectifs de mission qui ont été fixés, notamment celui d'un objectif sociétal, défendre un modèle de consommation responsable. Et en fait, cette injonction qui peut paraître contradictoire, elle l'est en fait sur le court terme. On a perdu le chiffre. Par contre, on a fait passer un message. Et sur le temps long, après avoir réitéré, je me suis rendu compte à quel point cette opération a été très bénéfique pour l'entreprise. On n'a jamais autant recruté de nouveaux clients sur ces 5-6 dernières années, qui sont des clients plus jeunes, vraiment qui cherchent à donner du sens aussi à leur consommation, savoir d'où ça vient, comment c'est fabriqué, et qui cherchent des marques qui sont engagées, mais qui sont surtout capables d'apporter des preuves de leurs engagements. Et là, ça a été un marqueur très fort de notre engagement sur la consommation responsable. Et l'impact très positif qu'on a eu, c'est que c'est un impact... systémique. C'est-à-dire qu'on a, au-delà de notre propre écosystème, au-delà de nos propres parties prenantes, eu un impact. L'année dernière, 1500 sites e-commerce n'ont pas fait le Black Friday. Et on fait passer des messages pour dire qu'on pouvait consommer différemment. Et ça, je suis fier parce qu'en 2017, on était tout seul et on me prenait pour un hurle-berlu. Donc oui, quand on a tout le système, forcément, à un moment, il y a des gens qui disent, non, mais tu vas trop loin. Par contre, j'ai toujours eu... j'ai toujours cherché à convaincre. Et je n'ai pas cherché à aller contre. Si tout le monde m'avait dit non, ce n'est pas possible. J'avais commencé par un point du lundi, qu'on fait tous les lundis depuis 2009, qui réunit toute l'entreprise, par poser cette question. Est-ce que pour le Black Friday, on va jusqu'à fermer ? Et donc, on vote avec les pieds souvent. Donc, tous ceux qui étaient pour se mettaient à gauche, tous ceux qui étaient contre se mettaient à droite. Et j'ai eu à peu près 60% qui étaient pour, parce que... c'était cohérent. Et il y en avait 20% qui ne savaient pas trop, et il y en avait 20% qui étaient contre en disant mais en fait, on fait quand même des produits co-responsables, Made in France et tout ça, donc, ok, si on fait du chiffre pour le FAD, c'est quand même pas mal. Et nos fournisseurs, on va les priver de chiffres. Et nos fournisseurs ont quand même besoin de travailler. Les fabricants en France, c'est pas simple d'être fabricant en France. Donc on a aussi une responsabilité vis-à-vis de nos parties prenantes et de nos fournisseurs. Et bon, voilà, je crois que ce qui a remporté la décision, c'est qu'il y avait quand même une large majorité. Et puis l'année d'après, on a interrogé nos clients et on a eu 90% de nos clients qui ont dit fermez encore C'est génial. C'est pour ça qu'on vous aime, c'est pour ça qu'on vous est fidèles. Donc ça, c'est chouette parce qu'il y a un alignement. Mais bon, après qu'on soit un peu incompris de temps en temps, c'est le lot de tout entrepreneur, c'est normal. C'est l'inverse qui serait anormal.

  • Speaker #2

    Alors te voilà désormais archiviste. Et selon toi, quel serait un événement clé, méconnu voire même inconnu, qui a marqué l'histoire et dont les effets se font encore sentir aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Il y en a beaucoup, mais en fait peut-être il y en a un que j'ai trouvé marquant. Et qui a... J'ai trouvé marquant parce qu'il a eu beaucoup d'impact positif. C'est une crise. Moi je crois beaucoup à la force des crises pour transformer le monde. en tout cas, participer à un déclic, c'est celle de 2008, la crise financière. Tout le monde a pensé que c'était une crise financière. Une crise financière, voilà. En fait, ce n'est pas une crise financière. C'est la crise de l'entreprise. Et ça, ça a été le constat de chercheurs de l'école des mines, Blanchet, Grestin et Armand Attuel, que j'ai eu la chance de rencontrer en 2013 dans mon parcours, qui se sont dit, en fait, il y a urgence à refonder l'entreprise. Et à force d'avoir mis le profit au-dessus de tout et comme seul et unique. objet social de l'entreprise, comme seule et unique raison d'être de l'entreprise, on s'est planté et on a été dans le mur. Mais grave, on a été dans le mur sur toutes les dimensions. Et on met la planète dans un état catastrophique qui n'est pas durable. Et donc, même si on est Friedmanien dans son approche, si la seule responsabilité de l'entreprise, c'est de faire du profit, aujourd'hui, le dirigeant doit se soucier d'autre chose que du profit à court terme. Sinon, il va dans le mur et demain, il ne fera plus de profit du tout. Et donc, eux se sont dit, il faut refonder l'entreprise. Et à ce moment-là, il y a eu une autre émergence. Et c'est un changement dans la finance, justement. Parce que là, c'était une crise qui a affecté quand même pas mal les banques et les fonds et tout ça. Et il y a eu l'émergence des tout premiers fonds d'impact qui se sont dit, au fond, et moi, j'ai eu la chance aussi de croiser leur route en 2013, puisque un des tout premiers fonds d'impact est rentré dans notre capitale, Citizen Capital. Et leur thèse d'investissement, c'est que... ce sont les entreprises qui sont les plus contributives, qui ont le meilleur impact social et environnemental, qui vont créer le plus de valeur pour les actionnaires. C'était encore une thèse d'investissement il y a quelques années, mais aujourd'hui, ils ont plus d'un demi-milliard sous gestion. Et des fonds à impact, il y en a beaucoup maintenant qui sont développés parce que la finance prend conscience, un, de son utilité dans la société. Pour changer le système, il va falloir beaucoup d'argent. Il va falloir investir massivement dans la transformation des entreprises. Et ceux qui investissent dans cette transformation des entreprises seront les gagnants de demain. Ça ne va pas être forcément du très court terme. Donc, il faut peut-être revoir un peu les règles sur le temps long, etc. Mais oui, c'est sûr qu'aujourd'hui, il faut investir dans la transition. Ceux qui n'ont pas fait la transition numérique, qui n'ont pas investi en 2000 sur la transition digitale de leur boîte, ne sont plus là aujourd'hui. Donc, c'est la même chose, beaucoup plus important. C'est la transformation du modèle économique de l'entreprise. Parce que comment on va adapter... l'entreprise ou comment on va réinventer nos modèles de production dans un monde où la ressource devient rare, où elle devient donc excessivement chère. On l'a vu avec la crise Covid, on l'a vu avec l'inflation sur les matières premières. Quelle entreprise peut résister à une énergie qui fait x10 du jour au lendemain ? C'est quasiment impossible. Vous êtes boulanger, vous avez une facture qui fait x10. Vous ne pouvez pas résister. Donc là, l'État joue son rôle au début d'amortisseur, mais de toute façon, sur la durée, c'est bien ce qui va se passer. Donc, il faut réinventer cette entreprise pour qu'elle soit moins gourmande en ressources ou qu'elle contribue même à être, à régénérer des ressources nécessaires à son fonctionnement. Ça, c'est quand même un changement hyper important. Et tout ça, c'est né pendant la crise de 2008. Et les chercheurs qui se sont dit, il faut refondre l'entreprise, ils ont dit, en gros, il y a deux choses à changer dans l'entreprise. La table de la loi de l'entreprise, donc ses statuts, et en particulier son objet social. qui ne peut plus se limiter à être le partage du profit entre actionnaires et qui doit intégrer au fond la raison d'être de l'entreprise et les objectifs sociaux environnementaux qu'elle entend poursuivre. Et en même temps, il faut changer un autre point essentiel de l'entreprise, sa gouvernance. C'est-à-dire que si on continue à confier la fabrique de la décision uniquement aux actionnaires, c'est-à-dire au conseil d'administration qui défend l'intérêt uniquement des actionnaires, et bien en fait, on va dans le mur. Et là, il faut donc introduire une nouvelle forme de gouvernance qui intègre davantage les parties prenantes et qui soit plus censée défendre non pas l'intérêt d'une partie prenante, les actionnaires, mais l'intérêt de l'entreprise et l'intérêt général que défend l'entreprise. Et ça, c'est le comité de mission qui est apparu dans le modèle de la société à mission. Et donc ça, c'était en 2008, ils ont fait, avec le Collège des Bernardins, ils ont fait un tout un... Et nous, on a eu la chance de faire le cas d'école de ce modèle de la société à objet social étendu, qui s'est fait appeler comme ça. Ce ne sont pas des marketeurs, ce sont des ingénieurs. Mais ce n'est pas complètement anodin que ce soit des ingénieurs, d'ailleurs, qui repensaient, redesignaient l'entreprise. On a besoin de designer le concept de l'entreprise. Et donc, on a expérimenté ça avec Camif, et là, on s'est dit, waouh, c'est un modèle super intéressant, c'est très puissant. Parce que ça nous oblige à un travail assez introspectif, pourquoi l'entreprise a été créée, et en même temps très prospectif, donc c'est un acte de leadership très fort pour le dirigeant, et que d'affirmer la contribution positive qu'on cherche à avoir pour le monde, c'est d'ailleurs une des premières choses que le fonds a un pacte avec lequel nous a challengé, c'est de dire, on sent bien que derrière le modèle Camif, qui défend la consommation, la qualité, le produire local, le Made in France, on était très pionniers, déjà le Made in France en 2009 c'était très ringard. Le durable, on sent bien qu'il y a un accroche sur le territoire, tout ça, c'est un modèle d'impact positif. Mais en fait, on a quand même besoin de repenser quelle est l'intention qu'on cherche à avoir avec le projet CAMIF. Et ces deux ans et demi de travail qui nous ont, en interrogeant des parties prenantes, qui nous ont conduit à finalement sortir que le projet CAMIF, c'était un projet de société. C'était un projet de défendre un nouveau modèle de consommation plus responsable, un nouveau modèle productif, embarquer la filière dans la... transformation vers une économie circulaire. Et ça, en fait, on l'a pris conscience par le travail collaboratif qu'on a fait, mais on l'a finalement sécurisé, pérennisé, en l'inscrivant dans les statuts en 2017. Et on s'est rendu compte que derrière, ça a beaucoup généré de transformations de notre offre, de notre modèle économique, de notre clientèle, et qui a été très bénéfique pour l'entreprise. Et donc, moi, j'ai voulu le partager, ça. avec le plus grand nombre, parce que je me suis dit, il ne faut pas que ça reste dans les mains des chercheurs et de quelques pionniers qui expérimentent, mais ça peut toucher toutes les entreprises, et ça peut devenir une force de transformation du monde qui est exceptionnelle. Parce qu'on ne va pas se transformer sous la contrainte. On ne va pas juste s'adapter. Ça ne suffira pas. En fait, les boîtes qui vont se dire, bon, on va s'adapter, de toute façon, on a notre culture, on est agile, donc on va s'adapter. Ça va être tellement vite qu'on ne va pas s'adapter, en fait. Les boîtes qui vont rester, c'est celles qui vont inventer demain. Donc là, je veux dire, ce modèle est puissant. On a besoin de le faire connaître. On a besoin aussi, parce que ce n'est pas simple, d'offrir un cadre de partage aux dirigeants qui vont s'engager sur ce chemin, qui est un chemin long, qui est un chemin de transformation. De toute façon, c'est le chemin qui transforme. Et de pouvoir aussi continuer à l'enrichir par la pratique et par le partage de pratiques. Donc, moi, j'ai cofondé la communauté des entreprises à mission en 2018, qui est une association d'intérêt général, pour faire ça. Et aujourd'hui, on n'est pas mécontent de voir que la dynamique est à l'œuvre. On n'a pas encore changé l'économie, mais j'y crois. Aujourd'hui, il y a eu la loi Pacte qui a introduit la société à mission, qui a introduit le modèle qui avait été théorisé par les chercheurs, expérimenté par quelques-uns et poussé par la communauté d'entreprises à mission. Dans la loi Pacte, il y a la société à mission. Et aujourd'hui, il y a 1700 sociétés à mission en France. Il y en a 4000 en Italie qui sont sur un modèle à peu près équivalent, qui s'appelle Società Benefit. Et voilà, aujourd'hui je suis en train de pousser le modèle pour qu'il devienne européen et bâtir un cadre européen à l'entreprise. Parce qu'au fond, d'ailleurs c'est un des constats des chercheurs, l'entreprise n'existe pas. En droit, l'entreprise n'existe pas. Seule la société existe. Et elle est gouvernée par le conseil d'administration, etc. Et on dit bien dans le droit, le droit des sociétés. Mais l'entreprise... est un impensé. Et donc, il faut penser l'entreprise. Dans tous les sens du terme, avec un A et un E. Et il faut penser l'entreprise parce que c'est ce véhicule-là qui va nous servir à changer le monde. Et c'est en activant ce véhicule, en lui redonnant du sens, en lui donnant une mission qui va créer une certaine tension dans l'entreprise et qui va obliger l'entreprise à réinventer son modèle, donc qui va devenir un levier d'innovation. qu'on va atterrir sur un nouveau modèle qui aboutit à une triple performance. On est obligé d'aller vers ça, environnemental, social et économique. Voilà, on est sur ce chemin et ce n'est pas fini. Ça va prendre probablement une génération ou deux, mais j'y crois.

  • Speaker #1

    Tu as beaucoup parlé de leadership, de transformation de leadership, de sens aussi que toi en tant que dirigeant et que bien d'autres dirigeantes et dirigeants souhaitent donner à leur action. À l'autre bout du spectre et complémentaire à ces transformations du leadership, on a aussi les transformations des cadres réglementaires. En Europe, on a à l'esprit la CSRD, ces nouvelles exigences telles qu'elles sont présentées de reporting. Comment, d'après toi, on va rentrer peut-être un peu dans de la technique, on transforme ce qui ressemble pour commencer à une nouvelle exigence de reporting. On se dit, tiens, la CSRD, c'est des données qu'il va falloir collecter en plus, des indicateurs qu'il va falloir suivre en plus. Et en plus, il va falloir faire valider notre rapport extra-financier. Comment tu transformes ce qui semble être au début une injonction technocratique venue de l'Europe en une vraie opportunité, en un catalyseur, en un accélérateur des changements du leadership dont tu parles ? Comment on transforme ce qui ressemble franchement à une punition technocratique en un formidable élan pour fabriquer des nouvelles grammaires stratégiques ?

  • Speaker #0

    Peut-être justement en définissant sa mission. parce que la mission est une façon de donner du sens à la CSRD. Si la CSRD se contente de faire une boîte à reporting et à faire encore plus de reporting extra-financier, etc., ça ne servira à rien. On a un peu expérimenté la chose avec la RSE, en fait. La RSE n'a pas fondamentalement transformé l'économie. Quand je vais à Produirable, je suis content de voir qu'il y a des belles boîtes qui font un très joli rapport, mais qui n'ont absolument pas changé de modèle économique. et qui ne sont pas prêtes de transformer le monde. Donc, je ne crois pas que... Et je vois même, puisqu'on est nous-mêmes labellisés Bicorp depuis 2014, donc on s'est mis sous contrainte pour reporter sur l'ensemble des dimensions du développement durable et pouvoir rendre l'entreprise transparente, comparable. Mais bon, quand c'est l'année de la recertification Bicorp, ce n'est pas l'année où les collaborateurs rigolent le plus parce que c'est beaucoup de reporting. Et puis, il y a beaucoup de questions. qui sont assez peu en lien avec le cœur de notre métier, le cœur de l'impact qu'on cherche à avoir. Et puis, comme tout label ou comme tout reporting extra-financier global qui s'adresse à toutes les boîtes, même si dans la CSRD, il y a quand même une étude qui nous permet déjà de définir quels sont en fait les grands enjeux de l'entreprise et donc de ne pas reporter sur des choses qui n'ont absolument rien à voir. Bon, malgré tout, ça reste assez standardisé. Et d'ailleurs, c'est bien l'objectif. La CSRD, l'idée, c'est de rendre les entreprises comparables sur leurs performances. extra-financière. La mission, c'est rendre l'entreprise incomparable. C'est de lui donner une différenciation qui fait que, ah ouais, là sur la mission, on va aller beaucoup plus loin. Alors, il y a des points communs, parce que quand on fait le travail pour définir sa mission, on regarde l'impact qu'on peut avoir sur l'écosystème, l'impact que les sujets environnementaux, sociaux ont sur l'entreprise. Donc, on fait aussi ce travail de double matérialité, mais on va aller mettre l'accent sur ce qui compte vraiment pour l'entreprise. Et on va définir peut-être deux, trois thématiques clés sur lesquelles l'entreprise cherche à avoir un impact. positif, et sur lequel elle va concentrer ses moyens, son énergie, ses ressources. Le danger avec ces SRD, c'est que beaucoup de dirigeants le prennent comme une contrainte de plus, et qui vont devoir mettre des ressources dessus, et du coup, pas mettre de ressources sur ce qui compte vraiment. Or, dans les reportings, il y a plein d'indicateurs qu'on compte, mais qui ne comptent pas, en fait. C'est Einstein qui disait ça. On peut compter ce qui... Enfin, je ne sais plus exactement, je n'ai plus la formulation. J'aime bien cette phrase. Tout ce qui compte ne se compte pas et tout ce qu'on compte ne compte pas. Un truc comme ça. Donc, je trouve intéressant la complémentarité des deux. D'avoir, et de toute façon, on sait très bien que le niveau de l'eau monte, donc le niveau d'exigence vis-à-vis de l'entreprise, de la société, etc., monte. Que, je dirais, aujourd'hui, une entreprise qui n'a pas structuré une démarche RSE, c'est quand même un peu inquiétant, on va dire. Donc, il faut le faire, quoi. Mais si on veut vraiment transformer l'entreprise, il va falloir définir ce sur quoi on a envie de changer le monde. Et ça ne va pas être un spectre très large, ça va être un spectre plutôt court, mais on va aller beaucoup plus loin. Par exemple, dans la labellisation Bicorp, je crois que notre boycott du Black Friday nous rapporte 0 points. Et puis que par contre, on a des questions sur quelle est la part de vos fournisseurs dans un rayon de moins de 322 kilomètres, parce que ça fait 200 miles où ça tomberont. Mais on a déjà fait remarquer aux Américains qu'on a... pas de fournisseurs dans l'océan Atlantique, on est à New York, donc pas très loin de l'océan Atlantique, et qu'on n'a pas encore de fournisseurs dans l'eau. Donc, on n'a même pas de point sur cette question, alors qu'on est les champions du Made in France, qu'on fait 75% de notre chiffre Made in France, 100% Made in Europe. C'est toujours les limites. Mais on a souhaité quand même se mettre sous contrainte et explorer ce champ assez large d'indicateurs et de questions relatives à la façon dont on fait du business, la façon dont on opère, la façon dont on échange avec nos parties prenantes, pour éviter d'avoir des trous dans la raquette. Parce que, rien qu'en lisant les questions de la CSRD ou de Bigorbe, on se rend compte que tiens, ah oui, ça, on n'avait pas pensé, peut-être qu'il faudrait qu'on y pense. Donc c'est pas mal, c'est une façon assez saine de faire du business. D'ailleurs, au passage, dans la loi Pacte, il y a eu une modification qui est passée un peu inaperçue, qui est l'article 1833 du Code civil, qui dit que toute entreprise doit prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux. Ça consacre l'obligation de la RSE. On est obligé aujourd'hui d'avoir une entreprise qui est responsable sur les enjeux sociaux et environnementaux. C'est la norme. Donc, il faut saisir l'opportunité de CSRD comme une obligation finalement de prendre un peu de temps pour réfléchir à l'entreprise dans le monde, les impacts du monde sur l'entreprise et l'impact de l'entreprise sur le monde. Mais il faut aller plus loin et ne pas se limiter à juste ça. Il faut vraiment prendre le temps de définir la raison d'être. et les objectifs socio-environnementaux qui sont singuliers à l'entreprise, qui vont faire sa différence, qui vont faire que cette entreprise a envie d'y travailler. On a envie d'aller y contribuer, d'y travailler parce qu'elle nous parle et que les thèmes sur lesquels elle est engagée, ça nous parle. Et le cadre de la sous-stabilisation, ça reste un cadre pour le coup volontaire. On n'est pas obligé pour le coup. Et moi, ce que j'aime dans ce cadre, c'est qu'il offre un grand champ de liberté. Et à l'intérieur d'un cadre où il y a un grand champ de liberté, il y a beaucoup d'audace. On peut oser, on peut libérer le management, on peut laisser la clé aux collaborateurs qui sont les mieux placés pour changer les pratiques, changer l'entreprise en fait, parce que le cadre est là. Et puis je dirais qu'il y a un autre point qui me paraît assez essentiel aussi, c'est dans les raisons pour lesquelles il faut aller plus loin et il faut se doter d'une mission. évidemment c'est un levier d'engagement très fort et un levier d'innovation et de performance mais c'est aussi une façon de transmettre l'entreprise et si on se remet un tout petit peu dans cette prise de recul du temps long, finalement la mission est un outil de transmission parce qu'elle est inscrite dans les statuts et dans la gouvernance de l'entreprise et que le jour où le dirigeant quitte l'entreprise, on a eu le cas avec Danone qui alors qu'Emmanuel Faber avait porté, incarné, fait voter à 99,5% dans une boîte cotée, c'était pas gagné le modèle, le passage à la société à mission Le jour où il est parti quelques mois plus tard, alors que dans une entreprise classique, sans un modèle fort comme ça, tout se serait écroulé, il serait parti et tout se serait arrêté en fait. Là, la mission a continué. Le comité de mission est continué. Pascal Lamitte, président du comité de mission. Donc, on jugera dans quelques années si la mission a aidé Danone à se transformer, se réinventer et avoir finalement un impact positif sur les enjeux, notamment sur la santé ou autre.

  • Speaker #1

    Je voudrais faire une sorte de synthèse de ce que tu nous as dit jusque là. Bien sûr, elle ne sera pas exhaustive. À nouveau, l'expression « faire société » est revenue à plusieurs reprises dans tes propos. Tu viens de nous rappeler que s'inscrire dans le cadre de la société à mission, c'est se donner les moyens de donner envie, de donner envie déjà à soi-même de faire ce que l'on fait, à ses collaboratrices, collaborateurs. Tu as employé une expression intéressante aussi en parlant du label Bicorp. Tu as dit... Nous nous sommes mis nous-mêmes sous contrainte. Est-ce que quelque part, cette mise sous contrainte, c'est quelque part une sorte d'échauffement, c'est un outil de préparation à un monde qui est en train d'arriver, qui lui sera peut-être bien plus contraint ? On parle de limites planétaires, on parle de contraintes biophysiques qui pèsent sur les entreprises. Est-ce qu'en fait, c'est une sorte d'échauffement, cette mise sous contrainte avec des labels Bicorp ? Est-ce que c'est un outil qui doit donner même confiance à tes actionnaires qui sont là parce qu'ils souhaitent une valeur ? présentes et futures de la camif, et toi, tu leur donnes des gages, quelque part, des moyens que tu mobilises pour anticiper, te préparer et te mettre déjà au diapason d'un monde économique que l'on ne connaît pas encore parce qu'il n'a jamais existé. Le monde sera différent. Tu te mets sous contrainte, tu anticipes, tu t'entraînes, tu te mets déjà à l'épreuve des futurs, quelque part, avec ces labels. Est-ce que c'est à peu près juste ou à côté de la plaque ?

  • Speaker #0

    Non, non, je pense que c'est très juste. Ce n'est pas uniquement les labels qui font ça, mais je pense que la raison d'être et les objectifs sociaux environnementaux qu'on inscrit dans nos statuts quand on est une entreprise à mission, c'est une façon de se mettre en contrainte. C'est donc une façon aussi de se mettre en mouvement. Quand on renonce au Black Friday ou quand on renonce au produit de grand import, ce qui nous est arrivé en 2021, on s'est carrément mis sous contrainte. On n'était pas obligé d'aller jusque là. On avait encore 7% du catalogue qui était fait avec des produits fabriqués à l'autre bout de la planète et on s'est dit, ce n'est pas cohérent. Donc, on va couper tout ça. On s'est privé d'électroménager, de mobilier de jardin. On a perdu du chiffre et on s'est mis sous contrainte d'aller trouver des alternatives locales. Et moi, je pense que j'ai expérimenté le renoncement et je sais que quand on fait le chemin de l'entreprise à mission, oui, on va faire mieux, mais on va aussi faire moins. Il y a des choses qu'on va arrêter même carrément. Et que le renoncement est une façon... d'accélérer la transformation de l'entreprise. Pourquoi ? Quand on renonce à une activité, certes, on se prive tout de suite de chiffres, mais on libère aussi de l'énergie qui est mise sur des choses qui ne sont a priori pas les plus contributives pour le futur de l'entreprise, pour les mettre sur ce qui compte vraiment, justement, ce qui va faire l'avenir de l'entreprise. Et donc, quand je libère quelque part l'énergie de mes chefs de produits qui passaient du temps à discuter, à dialoguer avec des fournisseurs qui étaient à l'autre bout de la planète, mais qui représentait encore 7% du chiffre. Donc ce n'était pas énorme, mais ça prenait de l'énergie du temps et qu'ils ne pouvaient pas faire pour aller relocaliser des choses. Et quand je vois que derrière ça, on a eu la collection Louison, par exemple, qui est une collection entièrement faite avec du lin français, puisqu'on est le premier producteur au monde de lin. Mais par contre, toutes nos productions partent à l'étranger pour être filées, peignées, tissées, confectionnées et reviennent sur nos marchés. Elle, elle a dit, moi j'ai trouvé, elle a pris du temps, elle a mis deux ans, mais au bout de deux ans, elle a trouvé pour reconstituer toute la filière. Tous les prestataires, les sociétés en France qui existaient plus ou moins, et on a sorti la première collection entièrement faite en France de lin, linge de maison en lin, de la graine de lin au linge de lit. Ça, finalement, c'est un impact positif du renoncement. Donc le renoncement. Il déséquilibre l'entreprise, mais en la déséquilibrant, il la met en mouvement. Comme l'époque, si on marche, c'est qu'on se met en déséquilibre. Donc, pour marcher, il faut parfois renoncer à des choses. Quand on se met sous contrainte, c'est bien ça, c'est qu'on s'oblige à se réinventer. Quand nous, on dit en 2017, on va faire de l'économie circulaire et on va embarquer la filière là-dedans, rien ne nous oblige à faire ça. Et ça nous a pris beaucoup de temps pour essayer de voir comment on allait faire. On a fait un camis-faton, on a fait... pendant trois jours, des fournisseurs, des experts de l'économie circulaire, des designers, des collaborateurs, des consommateurs, en leur disant, essayons d'inventer ensemble des nouveaux produits pour Camif demain, mais avec cette exigence de faire que de l'économie circulaire. Et bien, on a sorti au bout de quatre ans. Alors, ça a pris du temps, mais c'est ça, c'est du temps long. Le matelas Timothée, premier matelas entièrement fabriqué à partir de vieux matelas recyclés. C'est une première boucle d'économie circulaire au sein de la filière Lytry. Et ce qui est intéressant dans ce produit, alors d'abord, c'est que ça incarne exactement ce que c'est l'entreprise à mission. C'est quelque chose de très concret, un matelas, en l'occurrence, qui est au cœur du modèle économique de l'entreprise. Contrairement à tout ce qu'on peut faire en matière de RSE, qui peut être un peu périphérique, on va mettre des ruches sur le toit de l'entreprise, c'est génial, c'est bien, mais ça ne va pas changer le modèle. Là, on est au cœur du modèle dans l'entreprise. Et ce qui est bien, c'est qu'on a su prouver avec ce matelas, qui est devenu en quelques mois un des best-sellers. de l'offre CAMIF, qu'on pouvait avoir de la performance économique, de la performance sociale et environnementale. On a traversé une crise, encore une de plus. crise Covid, plus la crise inflationniste qui a suivi, avec une inflation très très forte sur les matières premières. Et nous, on a pris à peu près 27% d'augmentation de nos prix d'achat moyen. Et sur les mousses conventionnelles issues du pétrole, ça a flambé. Ça a été beaucoup plus que ça. Mais notre matelas, Timothée, lui, il n'a pas flambé. Parce que des matelas recyclés, il y en a toujours autant. Donc avec la mousse issue des matelas recyclés, elle a préservé nos marges dans un moment où toutes nos marges ont été mises sous tension. On a gagné. de la marge dans un moment où tout le monde a perdu de la marge. Et donc ça, si on a réussi à faire ça en 2021 ou 2022, c'est parce qu'en 2017, on s'était dit, il faut faire de l'économie circulaire. C'est ça que nos fournisseurs attendent de nous parce que quand on leur parle depuis 2009 des déco-conceptions de machins, personne trop leur en parle et ils nous ont dit c'est ça la valeur que Camif crée pour nous. C'est pas tant le chiffre qu'on fait avec vous, mais quand vous venez et vous faites le tour du Made in France, que vous arrivez avec des experts, des clients, et des collaborateurs Camif, qu'on travaille avec les ouvriers l'après-midi, personne ne fait ça avec nous. Et quand vous nous challengez sur d'où viennent les composants, combien de pourcentage du recyclé, ça, personne ne le fait avec nous. Mais c'est ça qui nous tire vers le haut, ça nous sort la tête du guidon. Et c'est pour ça qu'on aime travailler avec Camif. Et ça, c'est chouette. Et du coup, cette triple valeur créée par Timothée, c'est plus de marge, devenu un best-seller. C'est une valeur sociale quand on crée un emploi à New York, c'est 10 emplois en France, on a fait une étude d'impact là-dessus, et c'est une valeur environnementale puisqu'on a fait les analyses de cycles de vie de ces produits-là, et c'est en moyenne 50% de CO2 évité par rapport à un produit conventionnel, travaillé de manière conventionnelle et fabriqué à l'autre bout de la planète. Donc, on réussit à apporter la preuve de cette triple performance. Et effectivement, dans cette crise des ressources qu'on ne pouvait pas anticiper, dans cette crise inflationniste qu'on ne pouvait pas anticiper sur le prix de l'énergie, le prix des matières premières, Le fait d'avoir eu de l'avance et de s'être fixé cette mission qui nous a mis en tension dès 2017, ça nous a peut-être sauvé.

  • Speaker #1

    Alors te voilà enfin acupuncteur. Selon toi, quelle serait une décision, une action, une intervention qui pourrait aujourd'hui contribuer de manière significative à la fabrique d'un monde habitable ? Tu n'as qu'une seule aiguille en tant qu'acupuncteur, ou la plante tue.

  • Speaker #0

    Dans le cerveau. Je l'ai planté dans le cerveau directement parce que tout part de là. Alors il y a cet alignement tête-coeur-corps super important, mais la tête quand même c'est celle qui guide et on a besoin de changer de logiciel. Donc on a besoin de le mettre dans nos cerveaux pour qu'on ait envie de passer à l'action, qu'on invente, qu'on imagine, qu'on dope la créativité autour de ce modèle de demain qu'il faut inventer. Qu'est-ce qui va nous donner envie de consommer différemment ? Qu'est-ce qui va nous donner envie de nous déplacer différemment ? Qu'est-ce qui va nous donner envie de faire société différemment ? Je pense que c'est l'aiguille la plus importante. Puis je la ferai chauffer un peu là pour qu'elle... Mais bon, on a une telle créativité. Donc moi, je suis optimiste. Donc je pense que si on plante cette petite aiguille dans le cerveau, elle peut provoquer des inacelles incroyables. Donc probablement parce qu'on est un peu aussi face au mur et qu'on se pense écrise les unes après les autres, on est un peu forcé de réfléchir différemment. Et on a toujours été assez malin, je pense, pour inventer des nouveaux modèles. Et là, il y a urgence, en fait.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce que tu vois comme signe, justement, qui nourrisse ton espérance, qui te font penser qu'on peut résolument aujourd'hui être à la fois lucide, un adjectif qui convient, je pense, à plusieurs diagnostics que tu as posés ? Et optimiste, est-ce que tu as des situations dans ta vie pro ou en dehors que tu rencontres, que tu constates, qui nourrissent cet optimisme lucide ? Et peut-être une question liée aussi, quel rôle est-ce que tu vois dans tout ça pour les imaginaires, pour les visions du monde qui sont en émergence aujourd'hui mais qui peut-être demeurent encore aux marges ? Est-ce qu'on a les imaginaires, est-ce qu'on a cette capacité à imaginer ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'il y aura de la résistance, il y a beaucoup de résistance du vieux monde. Et puis quand on voit l'émergence de nouveaux modèles genre Shine, Feng Shui, Temu et tout ça, on se dit « Waouh, ça va exactement dans le sens inverse de ce qu'il faudrait qu'on fasse » . Et là, tu es là à te dire « Bon, c'est pas gagné » . Moi, ce que je vois, c'est les dirigeants qui se sont engagés dans cette voie qui ne sont pas forcément des gens particulièrement engagés mais qui y vont parce qu'en fait, ils ont compris que c'est ce qui fera l'avenir de leur entreprise. Et donc, au fond, il n'y a pas d'autre voie possible. Mais bon, ça risque de prendre encore du temps. Je vois quand même qu'il y a beaucoup de dirigeants et de salariés qui bossent dans ces boîtes, qui trouvent du plaisir et beaucoup de plaisir. Je crois qu'il ne faut pas oublier cette notion de plaisir, elle est essentielle, dans un projet collectif qui consiste à œuvrer, pas que pour leurs actionnaires, mais à œuvrer pour un monde meilleur, un monde soutenable, bref. Je pense qu'il faut être au rendez-vous de l'histoire, parce qu'on est un peu dans une période de charnière. C'est un moment où il y a quand même... dynamique entrepreneuriale que je trouve assez forte. Moi, quand je suis sorti de mon école de commerce en 93, il y en était deux à monter notre boîte. Aujourd'hui, il y a plein de jeunes qui montent leur boîte et moi, ça se trouve très positif et que ce soit partout. C'est dans les quartiers, c'est à la sortie des grandes écoles, c'est partout. Je crois donc beaucoup à l'importance de l'entrepreneuriat pour réinventer le monde parce qu'on a besoin davantage d'entrepreneurs à la tête des entreprises et peut-être un peu moins de gestionnaires. Parce que ce n'est pas avec les recettes du passé qu'on va monter demain. Donc, c'est bien. Il va falloir miser sur notre créativité, notre intérêt. Et ça, c'est chouette. Je trouve ça assez excitant en fait, de dire, là, il y a une valeur qui va être montante, c'est celle de la créativité. Mais à côté de ça, il y a des défis immenses et puis il y a des forces contraires qui vont faire de la résistance jusqu'au bout. Et je crois qu'on a quand même aussi la chance en Europe, et moi je crois à ça, à l'importance de sortir de cette... Cette domination du modèle américain, très consumériste encore, vraiment c'est fou, et de se différencier du capitalisme chinois ou américain et d'inventer un nouveau modèle, une nouvelle voie. Et on a une histoire, des valeurs qui nous permettraient d'affirmer davantage cette place et ce rôle de l'entreprise dans la société et donc définir un nouveau cadre pour l'économie. J'ai partagé il n'y a pas très longtemps avec des Japonais qui, pareil, ne se reconnaissent pas dans le capitalisme chinois ni américain et qui réfléchissent. Ils ont monté un groupe de travail qui s'appelle Future of Capitalism et donc ils réfléchissaient, ils voulaient avoir un peu notre retour d'expérience sur l'entreprise à mission. Je trouve ça assez chouette parce que finalement, on voit que dans pas mal de pays dans le monde, on réfléchit à l'avenir de l'économie. Et on sait bien que l'avenir de l'économie passera par... Enfin, il n'y a pas une économie qui sera soutenable si la planète ne l'éparte. Donc... À un moment donné, il va y avoir cette grande convergence. Je vois aussi de l'espoir dans les jeunes, quand je vois des jeunes. Pas tous, parce que les jeunes sont aussi sur Shine et Temu, mais je vois aussi quand même beaucoup d'espoir chez les jeunes, qui sont beaucoup plus informés, conscients que nous on l'était quand on était jeunes. Donc je pense que ça fait son chemin. Mais la difficulté, c'est que tous ces changements prennent du temps, et vont prendre du temps, et qu'en même temps, il y a de l'urgence. Et l'autre difficulté, c'est qu'il va falloir être très persévérant et finalement patient. tous les changements qu'on va opérer, on n'en verra pas de notre vivant les impacts positifs. Donc ça veut dire que même si parfois ça passe par des sacrifices ou des choses où on va renoncer à des choses, c'est rare, on va renoncer à ça, à ça, ça continue à monter, les températures et machin, ça va monter encore. Et ça, je trouve que c'est difficile, ça veut dire une forme d'abnégation et de dire il faut que je pense, il n'y a pas très longtemps, il y a un an ou deux, j'avais rencontré les sept ou... gardien des grandes forêts là et c'était chouette parce qu'il disait bah nous on réfléchit à comment on réfléchit toute décision qu'on prend c'est pour la septième génération quoi. Ah ouais nous on a déjà du mal à réfléchir à plus de trois mois donc voilà.

  • Speaker #1

    On va rester je pense sur cette rencontre inspirante et peut-être le slogan de l'éditeur français de logiciels libres, la route est longue mais la voie est libre. C'est ça. Merci beaucoup Emery.

  • Speaker #0

    Merci.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode de Nos Limites, produit par Logarithme. L'ensemble des épisodes est disponible sur toutes les plateformes et sur le site atelier-desfuturs.org. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous et n'hésitez pas à en parler autour de vous. A bientôt !

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