Agathe Le TaillandierBienvenue dans OPEN BOOK, le podcast qui plonge dans les livres pour réinventer nos vies ensemble. Bonjour à toutes et à tous. Pour cet épisode spécial fin d'année d'OPEN BOOK, j'avais envie de vous partager une sélection des livres que j'ai aimé lire cette année. Des découvertes ou bien des livres que j'ai relus et qui font partie de ma bibliothèque depuis longtemps. J'ai fait une sélection plutôt éclectique, il y a... des nouvelles pour ceux et celles qui aiment les histoires courtes, une autrice super classique, une enquête de la rentrée littéraire, un essai à la première personne autour du procès-mason et un roman contemporain, roman de la crise, autour d'un personnage féminin qui est dans sa quarantaine. Avant ça, j'aimerais vous remercier mille fois pour vos écoutes, vos retours, vos petits mots, vos étoiles sur les plateformes, vos partages sur les réseaux sociaux. depuis le début d'OPEN BOOK. C'est très important, c'est même vital quand on sort un projet indépendant de se sentir soutenu et suivi. Alors pour tout ça, merci beaucoup.
Je me suis mise assez récemment à lire des nouvelles et j'adore ça. Quand j'ai pas la disponibilité d'esprit pour lire un roman longtemps, Je trouve la concision de la nouvelle et son resserrement très rassurant. Il me reste toujours une image forte, une phrase ou un visage, parce que rien n'y est laissé au hasard. La brièveté oblige à la nécessité. J'ai un recueil à vous conseiller. D'ailleurs, je me rends compte que je n'ai lu que des auteurs et des autrices étrangers et étrangères. Je n'ai rien lu en français dans cette forme, donc si jamais il y a des nouvelles françaises que vous aimez, n'hésitez pas à m'écrire un message, je prends tous les conseils.
J'ai beaucoup aimé le recueil qui s'appelle « Ce que nous avons perdu dans le feu » de Mariana Enriquez, qui est paru au sous-sol mais qui est disponible en poche, et c'est traduit de l'espagnol par Anne Plantagenet. C'est un titre déjà que je trouve très très beau. Il y a douze nouvelles qui se passent en Argentine, une Argentine traversée par les souvenirs de la dictature, par des fantômes lointains, aux contours flous, des disparitions, une ambiance toujours très étrange. Chaque histoire est... je trouve complètement addictive, avec ces personnages qui existent en quelques pages. Il y a Paula, l'assistante sociale aux hallucinations malaisantes. Il y a l'enfant de Junkie qui disparaît mystérieusement dans un quartier huppé de Buenos Aires une nuit. Ou il y a encore ces femmes qui s'enflamment dans les rues pour protester contre la violence. C'est comme une contamination urbaine qui commence au début de la nouvelle et qui se propage. Il y a vraiment un côté château hanté. dans ses nouvelles, avec des poupées flippantes qui sortent des placards. Mais c'est comme si toutes ces apparitions, dont on ne sait pas trop si elles sont réelles ou fantasmées, venaient se loger dans notre inconscient et lui parler directement, en face à face. C'est vraiment une lecture qui m'a happée et qui s'incruste en vous. Je vous la conseille pendant les vacances, si vous êtes avec du monde ou vous n'avez pas beaucoup de temps. Rien de plus pratique qu'une nouvelle à picorer de temps en temps. Je vous lis quelques lignes pour vous donner envie de l'acheter ou de l'emprunter. Et vous l'aurez compris. ça peut faire très peur.
"On était dans la chambre de Roxana. Un miroir était accroché au mur. Il y avait pas mal de gens, beaucoup d'inconnus, comme c'est souvent le cas dans les maisons où on trouve de la drogue. De ces visages entrevus comme en rêve, qui sortent une bière du frigo et vomissent dans les toilettes, volent parfois la clé, ou ont la générosité d'aller acheter des boissons alors que la fête toucha sa fin. L'acide était comme une décharge électrique très délicate. Nos doigts tremblaient, On mettait nos mains devant nos yeux et nos ongles paraissaient bleus. Andrea était de retour parmi nous et quand on passe à Led Zeppelin 3, elle voulut danser. Elle criait sur les terres de glace et de neige et sur le marteau des dieux. Et au moment de Since I've Been Loving You, peut-être parce que c'était un blues d'amour, elle se retourna pour regarder son mec punk. Il était assis dans un coin et avait l'air mort de peur. Il montrait quelque chose avec son index en répétant je ne sais quoi car la musique était trop forte. Ça me fit rire. Il n'avait plus du tout son petit rectus arrogant et avait retiré ses lunettes. Ses pupilles étaient tellement dilatées qu'il avait les yeux presque tout noirs. Je m'avançais vers lui en marchant lentement et j'essayais d'imiter le regard de haine de la fille du parc Pereira. L'électricité me hérissait les poils. J'avais l'impression qu'ils s'étaient transformés en fils ou qu'ils étaient trop légers, comme lorsqu'on éteint une télé et que l'électricité statique attrape les cheveux qui se retrouvent collés à l'écran. « T'as les j'tons ? » je lui demandais et il me lança un regard perdu."
Un classique maintenant. J'ai relu Marguerite Duras ces dernières semaines, car je suis allée au théâtre voir une très longue mise en scène de ses œuvres, et ça m'a donné envie de retraverser tous ses livres, que j'avais tellement aimé dans ma vingtaine. Comme pas mal de gens autour de moi, je me suis rendue compte. Je crois qu'elle marchait assez bien sur le profil terminal L qui découvre la littérature et qui ne s'en remet pas. J'aimais sa mélancolie, son style elliptique et minimaliste, sa peur obsédante de l'oubli et son obsession pour le ressassement. J'ai réalisé que certains de ses textes ont vieilli. Les femmes y sont parfois désespérées, aliénées par un homme qu'elles attendent. Mais l'un d'entre eux me touche beaucoup encore aujourd'hui. Il s'appelle « La vie matérielle » . Encore un trop beau titre. Ce que j'aime beaucoup dans ce livre, c'est qu'il se lit par fragments. J'aime de plus en plus les textes qui ne sont pas organiques, structurés avec un début, milieu et une fin, mais morcelés. Comme si on pouvait les lire dans l'ordre qu'on voulait, comme s'ils ouvraient des portes plus qu'ils ne nous montraient un chemin tracé. Dans « La vie matérielle » , on passe... de son rapport au couple, à l'amour, à l'argent, à l'alcool qui est très présent, à la littérature. C'est comme si on approchait la sensibilité et les contradictions de Marguerite Duras, un peu comme un puzzle avec des pièces qui ne s'emboîtraient pas toujours très bien. Et puis on entend sa voix. Si vous avez déjà écouté des interviews d'elle, vous connaissez son grain, sa gravité. Et bien ce livre, je trouve, donne vie à cette voix. C'est comme si elle était tout près de vous, avec vous. C'est étrangement contemporain et touchant. Je vous en lis un extrait pour vous donner envie de la partager à voix haute autour de vous. C'est un passage dans lequel elle s'interroge sur son rapport aux photographies.
"Il n'y a pas de photographie de votre arrière-grand-mère. Vous pouvez chercher dans le monde entier, il n'y en a pas. Dès qu'on le pense, l'absence de photographie devient un manque essentiel et même un problème. Comment ont-ils vécu sans photo ? Il n'y a rien qui reste après la mort, du visage et du corps. Aucun document sur le sourire. Et si on avait dit aux gens que la photo viendrait, ils auraient été bouleversés, épouvantés. Je crois qu'au contraire de ce qu'auraient cru les gens, et de ce qu'on croit encore, la photo aide à l'oubli. Elle a plutôt cette fonction dans le monde moderne. Le visage fixe et plat, à portée de la main, d'un mort ou d'un petit enfant, ce n'est toujours qu'une image pour un million d'images dont on dispose dans la tête. Et le film du million d'images sera toujours le même film. Ça confirme la mort. Je ne sais pas à quoi a servi la photographie dans ses premiers âges pendant la première moitié du XIXe siècle. Quel était son sens pour l'individu, au cœur de sa solitude ? Si c'est pour revoir des morts, ou si c'est pour se voir lui ? Se voir lui, je suis sûre. On est toujours soit confondu, soit émerveillé, toujours étonné devant sa propre photo. On a toujours plus d'irréalité que l'autre. C'est soi qu'on voit le moins dans la vie. Y compris dans cette fausse perspective du miroir, au regard composé de soi qu'on veut retenir. La meilleure, celle du visage armé que l'on tente de retrouver quand on pose pour la photo."
Si Marguerite Duras est une autrice qui est devenue célèbre parce qu'elle a su aussi construire sa célébrité, je voudrais vous parler d'une femme qui a écrit un texte qui a fait beaucoup parler de lui à son époque mais qui, elle, a disparu ensuite. Elle n'a plus jamais rien publié. On est en 1974, elle a 22 ans quand elle publie, elle s'appelait Christine Pavlovska et son texte, c'est Écarlate. Ce texte y fait l'effet d'une bombe à sa publication. Elle se raconte dans ce livre entre ses 12 et ses 15 ans, et je me suis dit en le lisant que j'aurais aimé la rencontrer adolescente. Elle était tellement intense. Elle est tout d'amour, elle est comme dévorée par l'envie de vivre en grand, pas comme les adultes. Elle refuse de devenir, je la cite, « cela qui dorme malgré le ciel, la vie nocturne des choses, malgré le rêve » . Elle a comme une joie grave qui lui fait presque mal. Par exemple, quand elle se prend de passion pour une amie à 12 ans. C'est très beau d'ailleurs, tout ce passage sur cette amitié-amour. C'est un court texte, infiniment vivant, fait de larmes, d'amour fou et de poésie. Il se lit d'une traite. Et quand je l'ai terminé, je me suis demandé évidemment qui se cachait derrière. Qui pouvait être cette femme, qui écrit si bien, avec autant de lucidité et de rage, à à peine 20 ans ? C'est exactement cette question que s'est posée le journaliste Pierre Boisson. Et c'est grâce à lui d'ailleurs que ce livre Écarlate a été réédité. Il le découvre par hasard, en fait il cherche un texte court, il a peu de temps pour lire à ce moment-là parce qu'il vient d'avoir un enfant. Il reçoit un vrai coup au cœur quand il lit Écarlate, quand il le découvre par hasard. Et il décide de partir à la recherche de cette autrice complètement oubliée depuis. Qu'est-ce que Christine Pavlovska est devenue après cette publication ? Pourquoi n'a-t-elle rien écrit après ce succès ? Avec sa méthode méticuleuse, parce que Pierre Boisson vient du journal Society. Il fouille, il mène l'enquête pour retracer l'histoire de cette femme et part à la rencontre de ceux et celles qui l'ont connue et il décortique toutes les bifurcations qui l'ont éloignée de l'écriture. C'est comme si elle avait été en fait empêchée par une vie tragique entre les mains des hommes. Elle a été effacée. J'ai vraiment plongé dans sa vie, je me suis attachée à elle, et j'ai été très intéressée par la place aussi que prend l'enquêteur dans le récit. Une place pudique, discrète, et en même temps c'est lui qui fait avancer le récit en permanence. Je vous conseille donc de découvrir la vie de Christine Pavlovska dans le livre de Pierre Boisson qui s'appelle « Femme, vie, volcan » et puis de lire avant « Écarlate » , le texte de Christine Pavlovska. Les deux sont publiés au sous-sol et je vous partage donc un extrait de Écarlate pour que vous entendiez la voix de cette jeune femme.
"Toute petite, j'ai rêvé dans ma solitude des merveilles multicolores. Je parle de ma solitude parce que c'était ce que j'aimais le plus au monde. Je ne me sentais moi que lorsque j'étais absolument seule, loin de toute voix, de tout regard, tout entière à mes images. C'est pour moi le seul, l'unique souvenir de vrai bonheur que je possède. J'aimais surtout ma solitude du soir. quand j'étais couchée dans ma chambre bleue et que ma sœur s'était endormie dans son lit jumeau du mien. Alors, les yeux grands ouverts dans le noir, j'inventais des histoires insensées où je perdais toute mesure, enfin libérée des contraintes du jour. Je voyais des paysages rouges et noirs, des chevaux galopants dans le grand vent d'une plaine, des champs de roses pourpres ployés sous l'orage, des châteaux fantastiques auréolés de brume ou de pâles princesses se laissées mourir d'amour. Je m'endormais sur ces visions passionnées, et le jour venait trop vite. Je n'ai jamais aimé le jour."
Un an depuis le procès Mazan, j'ai l'impression d'avoir lu beaucoup d'articles et de livres, d'avoir écouté un nombre infini de podcasts, mais je vous conseille un texte paru récemment, parce que j'ai trouvé qu'il posait un autre regard sur cette affaire, un regard d'écrivaine. C'est l'autrice Valérie Manteau, qui vient de signer Entre chiens et loups, qui est parue au Seuil, et j'ai beaucoup aimé son approche, parce que c'est un vrai récit, à travers le regard d'une autrice. Elle a assisté à toutes les séances du procès, malgré la dureté, malgré tout ce que c'est venu chambouler en elle Et elle s'intéresse à tous les petits détails dans le tribunal et ses alentours. Elle ne fait pas d'analyse théorique, elle raconte. Elle nous laisse aussi dans les interstices entre les chapitres ressentir l'effroi et le gouffre que cette affaire a ouvert en chacune de nous. Et c'est justement ça qui m'a plu dans ce livre. Elle raconte l'impact intime qu'a eu cette affaire en elle, son lien à son compagnon, son rapport au couple. Et enfin, elle s'intéresse particulièrement aux accusés présents. Elles recomposent toutes leurs histoires, elles les racontent un à un, pour qu'on les regarde en face. J'ai lu ce livre très vite, parce que l'écriture est hyper fluide, il y a un vrai travail de narration, et je me suis dit que ce serait ma dernière lecture sur le sujet avant un moment. J'ai envie de rester avec son regard, avec le regard de Valérie Manteau, et avec cette phrase qu'elle reprend à plusieurs reprises, un peu comme un fil rouge, qui est tirée de La princesse de Clèves, de Madame de Lafayette, qu'elle cite à plusieurs moments, qui est la phrase « Il vaut mieux savoir » .
Je termine avec un livre plus léger, qui se dévore et qui m'a retournée sans que je m'y attende. Ça s'appelle À quatre pattes de Miranda Julai, paru chez Flammarion et traduit par Nathalie Brue. Donc À quatre pattes, c'est un livre de la crise, celle de la narratrice qui est en pleine périménopause. C'est la période avant la ménopause. Et c'est un personnage qui va décider au début du livre de s'échapper de chez elle pour un espèce de road trip improvisé, loin de son couple et de ses enfants. Ce qui la fait partir un peu soudainement, c'est les phrases de son mari. En gros, il lui dit que dans la vie, il y a deux sortes de personnes, les conducteurs et les gareurs. Donc ceux qui ont peur de regarder leur désir en face. Et selon lui, elle en fait partie, des gareurs. Donc évidemment, nous, on se pose la question, en tant que lecteur électrice, est-ce que je suis plutôt une gareuse ou plutôt une conductrice ? Sauf qu'elle ne veut pas aller très loin. On n'aura pas l'histoire d'une femme au volant, les cheveux dans le vent, puisque à la première station de service, elle va croiser le regard de quelqu'un qu'elle trouve très beau. et lire domicile dans une chambre d'hôtel, dans un motel un peu miteux à côté de la station service pour le retrouver. Franchement, j'ai jamais lu ça. Cette liberté, cette manière d'écrire le sexe, les fantasmes, cru et drôle, cette chance laissée au hasard et à ce qui peut aussi métamorphoser en nous, c'est vraiment étonnant et très attachant. L'écriture explore en profondeur la crise du personnage, ses réflexions foisonnantes, un peu folles, un peu débridées, et on a le sentiment d'être avec elle de A à Z. au plus près de ces bugs et de ces transformations. Et je crois que ce qui m'a le plus touchée, c'est sa peur assumée de vieillir, un peu comme si la fin de la fertilité annonçait la fin de tout. Je vous partage quelques lignes de la voix de ce personnage, qui est un personnage dans tous ses états. Et au tout début du roman, elle raconte comment elle communique avec ses copines, comment elle parle ensemble du couple, de leur vie amoureuse et de ce qui les traverse. Et elle dit ceci.
"On parlait peu, mais de temps à autre, je lui posais une question. Sur le jour où on avait acheté de l'eau, le jour où il m'avait mentionné les festivités de Memorial Day, il me le racontait à nouveau sous la forme d'une parade nuptiale. Il existait une autre version de la vie. où mon cerveau n'était pas un silo dont j'étais prisonnière. Un cavalier, invisible, était là, tout du long, pour me faire danser, reflétant de loin tous mes mouvements. Je ne croyais partie comme ça pour l'éternité. J'avais complètement oublié que les choses s'achèvent, que cette soirée s'achèverait. Quand, au bout de quatre ou cinq heures, il a évoqué le fait qu'il allait devoir partir, ça m'a fait l'effet d'une gifle, d'un bain d'eau glacée. Puis il m'a montré son téléphone, 3h27, et j'ai ri, mais non. Demain, nous serions tous les deux sur les rotules. Il allait devoir trouver une explication pour Claire. Et ses problèmes étaient réconfortants. Nous avons échangé nos numéros et après une longue et dangereuse étreinte de revoir, j'ai fermé la porte, attendu quelques minutes et je suis sortie à mon tour. Je me suis mise à courir. J'ai couru à perdre haleine dans la chaleur de la nuit californienne."
Merci d'avoir écouté cet épisode spécial d'OPEN BOOK. J'espère que ça vous donne plein d'envie. N'hésitez pas à partager le podcast, à mettre des étoiles et en parler autour de vous. Une jeune auditrice m'a dit que OPEN BOOK mêlait les textes aux affects. Alors voilà ce que je vous souhaite pour ces derniers jours de 2025. Des livres et des émotions à partager avec vos amis et les gens que vous aimez tout autour de vous. Et moi, je vous donne rendez-vous début janvier pour de nouveaux épisodes d'Open Book. Bises et bonne fin d'année.
Open Book est un podcast créé par Agathe Taillandier et Constance Parpoil, réalisé et mixé par Lola Glogowski, avec une musique originale de PR2B, l'illustration et de Caroline Péron. Nous remercions tous nos premiers soutiens sans qui ce podcast n'auraient pas pu voir le jour. Charlie, Saïd, Chantal, Lucie, Armel, Dominique, Marie, Vincent, Juliette, Gilles, Isabelle, Grégoire et Monique. Merci pour votre écoute encore une fois et je vous dis à très très vite.