- Sol Zanetti
Bonjour, bienvenue à Paix, Amour et nous vaincrons, la balado qui traite de sujets politiques, sociaux, culturels, dans une optique non déprimante pour cultiver l'espoir en politique québécoise. Ici Sol Zanetti, député de Jean-Le Sage à l'Assemblée nationale du Québec. Je suis aussi responsable des dossiers culture, éducation et enseignement supérieur. Et aujourd'hui, on va parler avec Éric Martin, un prof de philo, Étienne Paré, président de l'Union étudiante du Québec. On va parler... de démocratie et de liberté universitaire, de technopédagogie, de marchandisation des universités, on fait une espèce d'état des lieux et de perspective d'avenir du milieu universitaire. Allons-y avec paix, amour et nous vaincrons. Bonjour messieurs, bonjour Étienne, Paré, bonjour Éric Martin, comment allez-vous ?
- Eric Martin
Ça va bien, bonjour Sol.
- Etienne Paré
Ça va très bien, bonjour Sol.
- Sol Zanetti
Merci d'avoir accepté mon invitation. Là, je vais vous tutoyer parce que, bon, Étienne, dans le cadre de nos fonctions, on parle souvent de...
- Etienne Paré
Mal toutes les semaines, j'ai envie de te dire.
- Sol Zanetti
Mal souvent. Puis Éric, nous, on se connaît depuis plus de dix ans dans le militantisme, donc bon, ce sera un peu bizarre que je vous vois. Je le dis, je vais vous tutoyer, attention. Alors, je vais vous présenter brièvement, avant qu'on commence à parler de démocratie. universitaire. D'abord, Étienne Paré, bon, tu es le président de l'UEC, l'Union étudiante et étudiante du Québec. Et donc, tu as travaillé dans ce domaine-là, tu as étudié aussi en sciences politiques, en enseignement. Tu as été impliqué dans la FICUM de l'Université de Montréal, FICUM, pardon, dans Force jeunesse, le comité consultatif jeunes aussi. Donc, on peut dire qu'en termes d'instances politiques, démocratiques, de mobilisation étudiante, tu as connu plusieurs modèles et tu connais ça. Tu as de l'expérience là-dedans pas mal. Alors, c'est vraiment une chance pour nous d'avoir ce point de vue-là. Je pense que tu représentes bien les étudiants et étudiantes du Québec qui sont impliqués là-dedans. Éric, docteur en pensée politique à l'Université d'Ottawa, chercheur associé à l'IRIS. Tu as publié beaucoup d'études à l'IRIS. Tu enseignes la philosophie au cégep Saint-Jean-sur-Richelieu. Tu as publié de nombreux essais, dont Université Inc. sur la marchandisation de l'éducation. Un pays en commun. sur l'indépendance du Québec. Et bienvenue dans la machine sur la technopédagogie qui s'impose de plus en plus dans les milieux éducatifs. Merci infiniment d'avoir accepté cette invitation. J'ai hâte de vous parler de démocratie. Je vais commencer avec une question pour mettre la table. Est-ce qu'aujourd'hui, les universités sont démocratiques au Québec ?
- Etienne Paré
Bien, je vais peut-être commencer, prendre la balle au bon. Je pense qu'elles le sont, jusqu'à un certain point. Puis je pense qu'on pourra faire l'objet de la discussion aujourd'hui. Il y a quand même des instances qui existent où les personnes étudiantes ont l'opportunité d'aller mettre de l'avant leur... point. Après ça, la question c'est est-ce que ces instances-là sont adaptées à la population étudiante d'aujourd'hui ? Est-ce qu'elles sont connues de la population étudiante d'aujourd'hui ? Les associations étudiantes, on joue généralement ce rôle de rempart-là au sein même des établissements universitaires. pour en reparler, mais évidemment, des fois, c'est difficile de voir l'impact de ce qu'on fait. C'est des grosses machines, les universités, c'est des grosses institutions, ça bouge très lentement. Fait que des fois, c'est ça qui est peut-être un peu plus dur à voir quand on n'est pas l'œil le plus informé.
- Sol Zanetti
Puis, c'est comme... Ah bien, vas-y, Éric.
- Eric Martin
Bien, c'est vrai qu'historiquement, puis peut-être même plus au Québec que dans le Canada anglais, on a une longue tradition de démocratie étudiante. Je pense aux universités, aux UQ, à l'UQAM, par exemple, où moi, je suis allé, la culture de participation étudiante était très importante. à cause d'un héritage des luttes des années 60-70. Par contre, si on regarde la direction vers laquelle on s'en va, ça, c'est peut-être plus inquiétant parce que ce n'est pas juste l'université, c'est toute notre société qui s'en va dans la direction d'une recrudescence, de ce qu'on pourrait appeler une forme d'autoritarisme et puis aussi de néolibéralisme. Donc ça, évidemment, l'université ne va pas y échapper, ce qui fait que cette démocratie qui a pu exister par le passé, aussi bien pour les étudiants que pour les professeurs, Je pense qu'elle est de plus en plus en train d'être rognée ou grugée ou diminuée. On le voit partout dans l'enseignement en général. Et ce n'est pas seulement au Québec, c'est dans le monde entier que ce problème-là se... Moi, j'ai un livre ici de Christian Laval et Francis Verne qui s'appelle « Éducation démocratique » et qui évoque le même problème en France. Autrement dit, ce qui a pu exister par le passé, je pense, c'est fragile et il ne faudrait pas le prendre pour acquis.
- Sol Zanetti
C'est intéressant, tu sais, dans la question « est-ce que nos universités sont démocratiques ? » , il y a comme un peu un flou, parce que qu'est-ce qu'on veut dire quand on dit « démocratie » ? Tu sais, évidemment, bon, ici au Québec, on est dans un système beaucoup plus démocratique qu'en Iran. En même temps, je veux dire, c'est une monarchie constitutionnelle. Il y a bien des affaires qu'on peut faire, bien des affaires qu'on ne peut pas faire. Même en Grèce antique, à Athènes, le berceau de la démocratie, il y avait juste 10 % de la population qui y participait. Les femmes n'y participaient pas, les étrangers non plus. plein d'esclaves qui n'avaient pas non plus droit de participer donc. On est toujours, quand on mesure la démocratie, dans du plus ou moins, on est toujours plus démocratique, moins démocratique qu'une autre affaire. Puis, effectivement, Étienne, je pense que tu as vraiment raison quand on dit les associations étudiantes sont très démocratiques au Québec. C'est vraiment des mouvements de la base, organisés de façon très démocratique. Le pouvoir, il est très participatif. Puis, les universités, bien, il y a des structures. Toutes les universités n'ont pas les mêmes structures, mais il y a des systèmes de vote. pour le choix des recteurs, tu sais, tout ça. Puis des fois, on sent que... Il y a beaucoup d'étudiants qui ne mesurent pas le pouvoir qu'ils ont là-dedans ou ont l'impression qu'ils n'en ont pas. D'autres ne sont pas au courant du petit pouvoir qu'ils ont aussi ou même des fois du grand pouvoir. Mais je voulais juste revenir en faisant une introduction que j'ai oubliée de faire, en fait, sur l'origine des universités parce que l'origine des universités, c'est comme 11e, 12e siècle à peu près en Europe. Et c'était... à l'origine une volonté d'étudiants tannés des écoles de maîtres où les maîtres décidaient de tout puis où la formation ne changeait pas depuis énormément de temps. C'était des systèmes très conservateurs, très figés, puis là, c'est comme si le monde changeait ou voulait changer puis les étudiants disaient, on peut-tu, s'il vous plaît, choisir un peu tout ce dans quoi on va étudier puis ce qui va nous être enseigné pour pouvoir évoluer plus vite, etc. Les premières universités sont des communautés d'étudiants et d'enseignants qui font ensemble le plan de quel va être le parcours. Donc, c'est très participatif. Si je ne me trompe pas, disons, ce qui serait aujourd'hui les recteurs étaient élus au suffrage universel des étudiants et des enseignants. C'est quand même quelque chose, là. Aujourd'hui, il y a beaucoup de recteurs qui ne seraient pas les mêmes si tous les étudiants pouvaient voter. Je sais qu'il y a des systèmes de vote par association, tout ça, mais... Il y a quand même quelque chose qui n'est pas comme ça. Puis je me dis, bien, il y a peut-être... Est-ce qu'il nous manque de la démocratie ? Est-ce que, dans le fond, si je raffine ma question, l'université actuelle, elle devrait l'être davantage ?
- Eric Martin
Mais ce que tu évoques, c'est ce qu'on peut appeler l'idéal d'autogestion ou d'autogouvernement des universités. Et c'est vrai qu'à l'Université de Bologne, dont tu parles, il y avait même eu des recteurs étudiants au début. Les étudiants étaient regroupés dans ce qu'on appelait des nations. C'était des groupes, la française, l'allemande. Et cet idéal, mettons, on pourrait dire horizontal ou démocratique, il a toujours été en concurrence à travers le temps, selon les périodes, avec une autre vision peut-être plus utilitaire, où on voulait que l'université contribue à former des cadres pour le régime, pour le royaume, pour le prince, éventuellement pour l'État moderne, et éventuellement plus tard pour l'économie. Donc, j'opposerais comme deux principes, si on veut. Le principe horizontal... qui veut que ce soit démocratique, au principe vertical, qui veut que ce soit plutôt top-down, comme on dit en bon français, que ce soit gouverné par le haut, puis souvent pour des intérêts, soit de pouvoir ou des intérêts économiques. Et selon les périodes, quand on regarde l'histoire des universités, par exemple chez Christophe Charles et Jean-Hubert Gé, on voit que c'est un ou l'autre principe qui va l'emporter. Et ça, c'est vrai durant tout le Moyen Âge, et c'est vrai aussi au 18e, au 19e, et c'est encore vrai maintenant. Autrement dit, il y a encore une lutte maintenant. entre ces deux principes-là. Et c'est ce que je disais d'entrée de jeu, je pense que, puis c'est ce que disent Laval et Verne aussi pour la France, c'est que présentement, on est dans une période où, je pense, le principe horizontal est en train de perdre du terrain face au principe, disons, vertical, qui veut que l'université s'adapte à la technologie, à l'économie.
- Sol Zanetti
Oui, je comprends. Toi, comment tu le vois à l'interne ? Est-ce que tu sens une évolution ?
- Etienne Paré
Non, mais je pense que je partage quand même les constats d'Éric par rapport à ce qu'il nous mentionne sur le fait En ce moment, c'est très top-down. Je pense qu'effectivement, on s'arrime énormément sur les enjeux du marché, sur l'économie, sur les besoins. On parle beaucoup de la pénurie de main-d'oeuvre tout le temps. C'est comme la thématique récurrente. J'ai l'impression que par moment, c'est peut-être une des raisons pour lesquelles, des fois, il y a un certain cynisme par rapport à la démocratie universitaire. C'est cette impression qu'on le fait pour dire qu'on le fait. Une course au rectorat, on dit qu'il y a un vote pour dire qu'on l'élu parce que dans l'histoire des universités, ça a toujours été un vote. Au final, ce n'est pas vraiment un vote parce que les gens qui prennent la décision n'ont pas vraiment le pouvoir. Dans un établissement universitaire, la culture va être très différente par rapport à ça. Si je prends un exemple, à l'Université de Montréal, quand il y a eu la dernière course au rectorat, il y a eu des candidatures qui n'étaient pas publiques. Comment voulez-vous que la population étudiante… Oui, OK, il y a un collège électoral qui est formé, il y a des gens qui représentent la population étudiante sur ce collège électoral-là, qui représentent les professeurs et tous les autres groupes membres de la communauté universitaire. mais c'est juste ces gens-là qui, au final, ont eu accès à certaines des candidatures. Ça fait... Ça rend ça un peu difficile de prétendre que c'est une vraie démocratie quand on n'a même pas accès à l'information qui permet de prendre la décision. Puis après ça, eux auraient probablement une excuse puis une justification pour dire « Ah, on veut avoir attiré toutes sortes de candidats, c'est pas tout le monde qui veut que ça soit connu. » OK, mais après ça, venez pas prétendre que c'est une démocratie. Juste assumer, tu choisis ton recteur puis...
- Sol Zanetti
Comme tu choisis un PDG.
- Etienne Paré
Comme tu choisis un PDG, au final. Je pense que c'est un peu là l'espèce de démocratie de façade, des fois, je pense, qui vient un peu rendre les gens cyniques. dans le milieu.
- Sol Zanetti
Oui, vas-y, Éric.
- Eric Martin
Il faut aussi ajouter à ce point de vue étudiant la question du pouvoir des professeurs, qui est une autre dimension du même problème. C'est-à-dire que chez les professeurs aussi, il y a une perte d'autonomie ou d'autogestion par rapport à ce qu'on avait, par exemple, dans l'État-providence, dans les Trente Glorieuses, par exemple. Beaucoup plus de place pour l'autonomie des départements. Encore une fois, cet idéal d'autogestion, d'autogouvernement. Et maintenant, on a plutôt tendance à réduire le pouvoir des professeurs. Il y avait un livre qui avait été écrit il y a quelques années qui s'appelait « The Fall of the Faculty » . Le sous-titre, c'était « The Rise of the All-Administrative University » . Donc, le pouvoir de la gestion, de plus en plus de gestionnaires. Donc, les profs sont de plus en plus traités non pas comme des professionnels qui sont capables de faire preuve d'autonomie, de se gérer eux-mêmes, mais comme des employés qui doivent rendre des comptes, qui doivent être évalués, qui doivent performer, qui doivent aller chercher des subventions. Ce qui fait qu'on passe de la figure d'un intellectuel… Dans l'université allemande, c'est le professeur allemand chez Hegel, chez Schleiermacher, c'est le type qui est solitaire dans son bureau, qui les délivre et qui justement n'a pas besoin d'être surveillé par qui que ce soit parce que c'est l'intellectuel total. Et là, on passe à ce professeur-là qui, de plus en plus, on lui demande de rendre des comptes, parfois même d'enseigner des contenus qui vont être uniformisés. Donc, il y a une perte d'autonomie. Et souvent, le problème, c'est qu'on ne s'en rend pas compte parce que je pense particulièrement aux jeunes professeurs. Moi, j'ai eu la chance d'être... De rencontrer, par exemple, des gens comme Michel Freytag, comme Gilles Gagné, qui sont des grands professeurs d'université. Et au contact de ces gens-là, j'ai vu ce que ça pouvait être un prof qui avait à cœur d'incarner cet idéal d'autonomie-là. Mais quand t'es un jeune prof, puis tu rentres, puis t'as pas connu ça, puis on te dit, « Bon, bien, regarde, mets-toi là, fais ci, fais ça, rends des comptes. » Tu penses que c'est normal. Tu penses que c'est normal qu'il y ait une hiérarchie, qu'il y ait des patrons, que cette culture hiérarchique-là, elle est normale, puis tu t'insères dans ça sans y penser. Donc, tu ne vois pas ce que tu as perdu. Et c'est pour ça un message important, peut-être aussi, non seulement pour les étudiants, mais pour les profs aussi, de dire qu'il faut faire attention de ne pas perdre cet héritage-là, où il y a toujours eu cette culture démocratique d'autogouvernement, d'autogestion. Il faut y revenir, mais pour ça, il faut d'abord le savoir. Il faut lire là-dessus, il faut s'informer sur ça, parce que si on ne le sait pas, on ne mesure pas ce qu'on a perdu.
- Sol Zanetti
Quand tu dis rendre des comptes, je me mets dans la peau d'un citoyen. Moi, je suis un ancien professeur, donc j'ai comme ce point de vue-là aussi. En même temps, quelqu'un dit que c'est normal que les professeurs rendent des comptes. C'est normal aussi qu'ils répondent aux volontés démocratiques à quelque part du gouvernement qui dit qu'on veut qu'ils atteignent tel ou tel objectif. Mais effectivement, quand on voit la démarche, un peu comme les organismes communautaires, c'est qu'on leur dit « faites de quoi » , mais après ça, comme investissez des dizaines d'heures à essayer de nous démontrer sur papier, de toute façon inefficace, que vous avez que vous êtes rentrés dans les cases. C'est ça peut-être le problème. On perd beaucoup de temps à dire qu'on est rentrés dans les cases, qu'on a fait ceci, cela, qu'on est conformes au plan de cadre. À quelque part, ce travail-là ne sert pas à grand-chose. À la rigueur, on pourrait dire qu'on est rentrés dans les cases, pas rentrés dans les cases, on perd notre temps, ils perdent leur temps. C'est comme s'il faut respecter cette autonomie-là, tout en s'assurant aussi qu'il n'y a pas des profs qui font n'importe quoi et qui manquent d'éthique. qui enseignent, que tout le monde enseigne comme il faut. Mais les gens qui sont dans un même département ou dans l'université sont bien mieux placés pour évaluer qu'est-ce qui se passe et qu'est-ce que les gens font que, mettons, les gens au ministère de l'Éducation ou de l'Enseignement supérieur ou ailleurs.
- Etienne Paré
Je trouve ça intéressant parce que tu nous amènes un peu sur une des pistes que j'avais pour une question plus tard, mais par rapport à l'intervention de l'État, le rôle de l'État dans la gestion des universités. Tu sais, nous, du côté de l'UEQ, on pense que des fois, l'intervention est quand même nécessaire. Autant c'est important, l'autogestion, puis nous, on pense qu'il y a certains trucs qui ont été faits, notamment quand il y a eu la loi sur la liberté académique. Autant ça peut sembler être une bonne idée. Nous, on le perçoit aussi comme une manière de venir s'ingérer dans cette autogestion-là, qui est le gouvernement qui crée le cadre, qui crée les balises, que peut-être on devrait laisser plutôt d'un établissement à l'autre déterminer ce qu'on devrait faire. Mais de l'autre côté, on voit des situations où ce que... Puis je pense qu'on va revenir à cette question-là éventuellement, mais l'enjeu du financement des universités et du modèle d'affaires, si on veut, les universités, c'est de plus en plus rendu des entreprises, ça fait en sorte qu'il y a des places où nous, on estime que l'intervention de l'État est nécessaire pour protéger la population étudiante. Prends par exemple…
- Sol Zanetti
Ah oui, parce que c'est pas démocratique.
- Etienne Paré
Parce qu'il n'y a pas de démocratie, parce que le modèle d'affaires des universités fait en sorte qu'ils ont besoin de faire certaines choses pour obtenir du financement et subvenir à leurs activités. Puis un exemple très simple… La reconnaissance des acquis des compétences. On fait des cours similaires dans certains établissements universitaires. Puis, tu sais, l'exemple facile que je vais vous donner, c'est, mettons, c'est en architecture. Le code du bâtiment au Québec, là, il ne change pas d'une circonscription d'une région à l'autre. Fait que si tu vas dans n'importe quel université au Québec, techniquement, ton code du code du bâtiment devrait être le même. Mais pour des raisons financières... Parce que les universités sont financées en fonction des inscriptions, en fonction des étudiants qui sont assis dans les classes, qui payent des crédits, mais on ne veut pas reconnaître les acquis dans certains établissements. Puis ça, je ne mentirais pas, réseau de l'UQ, généralement, ce n'est pas un enjeu, mais c'est plus un enjeu des universités à chartes qui ne veulent pas reconnaître les cours qui ont été faits ailleurs. mais ça c'est un endroit où nous on estime que l'intervention de l'État serait nécessaire parce que c'est pas dans l'intérêt de la population étudiante, puis jusqu'à un certain point c'est pas dans l'intérêt de la communauté universitaire en général mais parce que les universités ont ce besoin-là de cet argent-là il y a un enjeu de sous-financement de nos universités au Québec, bien, ça crée cette dynamique où ça devient vraiment une entreprise. Puis ça va avoir des réflexes, ça va avoir des actions d'entreprises privées qui, nous, bien, après ça, si on laisse les universités s'autogérer alors qu'elles se gèrent comme des universités privées, comme des entreprises privées, c'est peut-être pas ça qu'on souhaite non plus.
- Sol Zanetti
Si je récapitule ce que tu sens me dire, puis tu me diras, Éric, aussi ce que t'en penses, c'est comme, à la base, le gouvernement, donc, sous-finance les universités. Elles sont poignées pour avoir des comportements d'entreprise privée. Ça génère des comportements corporatistes qui vont contre l'intérêt des étudiants à la base, qui, eux, n'ont pas assez de pouvoir démocratique pour influencer la gestion et être représentés là-dedans. Et donc, on veut à quelque part que le gouvernement vienne... polisser les directions qui essentiellement agissent de la façon dont elles sont un peu contraintes d'agir à cause du sous-financement. Est-ce que ça décrit bien le système ? Bien, shit,
- Etienne Paré
je pense que ça décrit très bien.
- Eric Martin
Il tient de nous amener sur le terrain du rôle de l'État, puis c'est super intéressant comme question, parce que ça pose la question, qu'est-ce qui advient de l'intervention de l'État dans le cadre du néolibéralisme ? pendant longtemps, on disait « Ah, c'est le désengagement de l'État, mais je pense qu'il faut faire attention. » Et c'est Pierre Dardot et Christian Laval qui l'ont bien montré dans « La nouvelle raison du monde » . Ils disent « C'est pas que l'État n'intervient plus ou qu'il se désengage, c'est qu'il a un autre type d'intervention. » Donc, il intervient quand même, l'État, mais il intervient pour produire ce qu'Étienne vient de dire, c'est-à-dire, on pourrait appeler ça un environnement concurrentiel. Donc, il va intervenir très lourdement pour mettre de la pression, pour forcer les universités, par exemple, à développer des sources de financement alternatives, Par exemple, des fondations privées, des dons.
- Sol Zanetti
Allez voir le... le port de Québec, privatiser, tout servir,
- Eric Martin
des commandiers, se coller sur des compagnies minières. Donc, l'État, il intervient fortement, mais pour encourager l'université à se détourner du financement public puis aller chercher plutôt du financement privé. Donc, il est très actif, il est très interventionniste, mais pour convertir, si on veut... l'université et les étudiants et les professeurs, tout le monde en fait, dans cette mentalité entrepreneuriale.
- Sol Zanetti
Puis le financement privé des compagnies, il vient souvent avec une laisse.
- Eric Martin
Bien sûr. Non, mais c'est toute l'idée derrière dans la mentalité néolibérale. Puis ça, c'était à la Banque mondiale, Michael Gibbons, qui l'avait écrit. Avant, on pensait que la valeur d'une université, c'est parce qu'elle était là depuis longtemps. Mettons, je ne sais pas, Oxford est là depuis 400 ans. C'est ce qui fait que ça vaut quelque chose. C'est là depuis longtemps. Maintenant, on dit non. La valeur d'une université, c'est, prouve-moi... jour après jour que tu es capable de produire des impacts mesurables sur l'économie ou sur les brevets technologiques. Même si tu me l'as prouvé aujourd'hui, demain, tu vas devoir recommencer. C'est comme si tu devais dire à ta copine à chaque jour, prouve-moi que tu m'aimes. Il faut qu'à chaque jour, tu recommences. Parce qu'au fond, derrière, il y a cette idée que si tu ne fais pas le travail... mais c'est pas grave, on va en ouvrir une autre à côté. Puis ce sera l'université Elon Musk. Tu vois, l'idée, c'est que c'est l'université start-up. Donc, il n'y a plus cette culture d'une université dont la valeur viendrait de son passé. Sa valeur vient de sa capacité à contribuer à l'innovation technico-économique d'une manière à chaque fois renouvelée.
- Sol Zanetti
Autant, disons, le capitalisme, le néolibéralisme incitent les entreprises à externaliser leurs coûts de production en ne respectant pas l'environnement des fois. Ah, si on fait ça... Bien, ça va être pas bon pour l'environnement, mais ça va nous coûter moins cher, donc on est capable de vendre moins cher. Autant une compagnie, c'est logique pour elle de dire « je vais externaliser les coûts de ma recherche et développement en utilisant les universités, en leur payant une fraction de ce que me coûterait leur recherche, sachant que la base de leur université, de leur activité, sont payées par des fonds publics ou par des cotisations des étudiants. » Dans le fond, on se fait de la recherche qui nous sert pour beaucoup moins cher.
- Eric Martin
Exact, exact. C'est cette conception de la recherche qui n'a plus rien à voir avec la recherche autonome. Il y a toujours eu de la recherche dans les universités, on peut dire, mais maintenant, elle est sous condition. Elle est contrôlée par des priorités qui sont celles des organismes subventionnaires, comme le CRSH, le CRNCNG, bon, je n'ai plus les acronymes aujourd'hui, ça change tout le temps. Mais vous comprenez que, finalement, il y a un intérêt derrière de dire qu'il faut que la recherche soit utile. Et quand on entend utile, ça c'est Freytag qui l'a montré dans le naufrage de l'université, Michel Freytag, il dit que ce qu'on appelle la recherche utile, c'est principalement... du point de vue économique, du point de vue aussi technoscientifique. Donc là, il y a des domaines qui vont être menacés à cause de ça. Tout ce qu'on appelle les humanités, on parlait tantôt de la danse contemporaine avant l'émission. Bon, ce sont des domaines dont on ne voit plus la valeur parce qu'on se dit que ça ne sert à rien. Parce que c'est un utilitarisme à courte vue. On peut dire que c'est toujours été le même problème. Au Moyen-Âge, il y a des princes qui disaient que l'université doit servir essentiellement à produire des clercs qui vont être capables d'être des bons comptables pour mon royaume. Et lui, il voulait réduire ça à ça. Et l'université a toujours résisté à celui qui voulait l'instrumentaliser de la sorte. Bon, mais dans le néolibéralisme, on essaie de l'instrumentaliser avec une vision des œillères économiques, technologiques, et on ne voit plus rien d'autre. Et notre rôle aujourd'hui, c'est de rappeler que l'idéal de cette institution-là déborde ça, ne se réduit pas à ça.
- Sol Zanetti
C'est comme si on voulait, il y avait des mécanismes économiques, politiques, qui essaient toujours à travers les époques, puis qui sont différents, de venir brider. ce qui doit animer l'université, puis ce qui l'anime, c'est-à-dire la soif de savoir et le désir de s'épanouir comme être humain en élargissant nos connaissances puis en les utilisant pour servir l'être humain lui-même et non pas les intérêts des puissants, finalement. Mais c'est pour ça que la question de la démocratie, en fait, la démocratie est un peu la clé. Démocratie étudiante, parce que finalement, c'est ce qui... permettrait de se libérer aussi de ces brides-là. Moi, quand je regarde, des fois, c'est comme un peu un autre sujet, mais les recteurs, certains recteurs, rectrices d'Université au Québec, ils gagnent 500 000 $ par année. Deux fois à peu près le salaire du premier ministre du Québec. Puis je me dis, mais qu'est-ce que c'est que ça ? Je dis, quelles dérives ! Ils ne sont pas meilleurs parce qu'ils sont payés plus cher. Je veux dire, puis ce n'est pas parce que on ne serait pas capable de trouver du monde pour faire vraiment la job. au tiers de ce salaire-là. Qu'est-ce que vous en pensez, vous, de ces dépenses-là de salaire de recteur ?
- Etienne Paré
Oui, bien, écoute, je vais faire attention à ce que je dis pour ne risquer personne aujourd'hui. Mais c'est certain, quand on voit des situations comme celles-là, c'est embêtant. C'est embêtant, puis Éric a quand même mentionné le mot « résistance » , le rôle de la communauté universitaire de résister à ces pressions externes-là qui essaient de structurer un peu la pensée et la façon de faire. Je pense que c'est un mot qui est important, puis je pense que c'est un peu notre rôle. à la communauté universitaire. Puis je me permets d'inclure les étudiants, mais également les professeurs là-dedans, parce que c'est nous qui composons la vraie, tu sais, la vraie business de l'université. C'est ces gens-là, c'est les professeurs qui font la recherche et qui enseignent, les étudiants qui reçoivent cet enseignement-là. Puis c'est un peu à nous de se tenir debout face à ça, puis d'aller poser ces questions-là. Puis je pense qu'effectivement, s'il y a des recteurs qui sont trop payés, puis Dieu seul sait combien il y en a au Québec, ils le sont trop, c'est un peu le rôle de la communauté universitaire de dire « Hey, c'est pas normal. » Il y a des conseils d'administration, il y a des instances départementales, des conseils universitaires, tout ça. Chaque universitaire a sa propre structure à ce point-là, mais il y a des gens qui sont élus pour représenter la communauté universitaire là-dedans qui peuvent lever la main et dire « ça n'a aucun sens » . Puis dans un contexte où les universités sont sous-financées, puis où du moment que le gouvernement touche aux politiques de financement de l'université de près ou de loin, on voit cette levée de bouclier des recteurs dans les médias, moi, ce que j'ai à me dire, c'est bien, OK, effectivement, le système est... pas optimale, le système ne fonctionne pas, il y a des enjeux de sous-financement, il y a peut-être d'autres endroits où on pourrait couper aussi ces dépenses non nécessaires qu'on devrait réaffecter à la mission première de l'université, qui est la recherche et l'enseignement.
- Sol Zanetti
Imaginez un recteur, une rectrice qui se présenterait dans son université et qui dirait, moi, si vous m'élisez, je vais réduire mon salaire de 100 000 $. Un peu comme Catherine Fournier avait fait, c'était pas 100 000, mais elle avait réduit de façon très importante le salaire. de maires, de mairesse de Longueuil, qui était à l'époque, je pense, le poste de mairie le plus payé au Québec. Puis, il me semble que ça, c'est rafraîchissant.
- Eric Martin
Il y a une distinction chez Freytag qui pourrait nous aider ici, c'est la question du rapport de l'institution à l'organisation. Freytag disait que l'université, historiquement, c'est une institution. Ça obéit à un idéal supérieur, transmettre la culture, l'esprit, ce genre de choses. Et le recteur, dans ce cadre-là, il est un prof parmi d'autres. qui s'adonne à, pendant 4-5 ans, devenir le primo-sainte-pareil, c'est-à-dire le premier entre les pères qui va administrer l'université pour une durée déterminée. Mais une fois qu'il a fini, il retourne dans sa classe et il n'est pas devenu supérieur. Alors que quand on passe de l'institution à l'organisation, l'université se voit de plus en plus, comme tu le disais Étienne, comme une business, comme une entreprise. Et à ce moment-là, le recteur se voit de plus en plus comme le PDG. Et d'ailleurs, on peut le recruter dans une autre entreprise. Moi, je me rappelle, quand j'étais à l'Université d'Ottawa, c'était Alan Rock. qui était un ancien ministre libéral qui est devenu recteur d'université. On aurait pu aller chercher quelqu'un dans une entreprise de souliers qu'on n'aurait pas fait mieux. Donc là, on ne sait même plus ce qu'on est en train de faire. Parce qu'on ne sait plus qu'on est dans une institution. Ça pourrait être n'importe quelle organisation, n'importe quelle entreprise qui run comme une entreprise, qui se pense comme une entreprise. Donc d'où l'idée de dire stop. Et de revenir, pour chacun des acteurs et actrices dans ces institutions, que ce soit les étudiants, les étudiantes, les profs, le recteur, à un instant, on n'est pas dans une organisation. Moi, je me rappelle, dans mon ancien cégep, j'ai reçu un courriel demandé d'un employé qui voulait bien faire, mais qui me dit « Ah, vous êtes dans notre organisation » . J'ai répondu, j'ai dit « Non, madame, je ne suis pas dans une organisation, je suis dans une institution » . J'ai l'air de jouer sur les mots, mais c'est extrêmement important de se rappeler qu'est-ce qu'on est en train de faire ici. Dans un hôpital, si on commence à dire « On est ici pour faire de l'argent » , On a perdu le sens de ce qu'on fait là. On est là pour soigner des gens. Donc, l'idée de ce qu'on fait... Cardinal Newman avait écrit « Idea of a university » , une idée de l'université. Bon, bien, c'est quoi notre idée, tu sais, de ce que ça doit être ? Puis pour ça, comme je disais tantôt, il faut avoir un peu de connaissances historiques. Puis de là, on peut se demander qu'est-ce qu'on veut. Puis à partir de cet idéal, il faut ressusciter l'idéal de qu'est-ce qu'on veut parce que sinon, ce qui remplace l'idéal, et ça, c'est Freytag qui le disait aussi, c'est une simple logique d'adaptation. Et là, vous allez l'avoir. Les entreprises comme IBM et Bell Helicopter, ils vont dire, nous, ce qu'on veut de l'université, c'est ça. On veut des employés, on veut des brevets, on veut des machines. Eux autres, ils vont avoir leur agenda intéressé aux mains longues. Donc, ressusciter un idéal, ce n'est pas innocent parce que sinon, l'alternative, c'est une plate adaptation à un processus de la réalité qui nous fuit entre les mains, qui est la réalité technico-économique.
- Sol Zanetti
C'est vraiment intéressant. Soit on s'affirme, on assume une volonté et une mission de façon indépendante, soit... On s'adapte, puis on se fait aliéné,
- Eric Martin
puis on s'interdit. On vit dans un monde en constant changement, et l'université n'a pas le choix de s'adapter à la nouvelle réalité, par exemple à l'intelligence artificielle, on va en parler tantôt. Oui,
- Sol Zanetti
c'est ça. Mais oui, mais d'ailleurs, avant l'intelligence artificielle, je voulais vous parler d'enseignement à distance. L'enseignement à distance, est-ce que ça nuit à la démocratie universitaire ?
- Etienne Paré
Je pense que c'est une question qui est intéressante à se poser, parce que... C'est un peu un constat qu'on pourrait faire pour l'ingénieur artificiel également. C'est inévitable. On vit dans un monde où il y a un appétit pour cette formation-là. Je pense que ça vient avec son lot de bénéfices, son lot d'inconvénients. C'est simplement un modèle qui est différent. Je pense que comme un modèle est différent, il faut s'y adapter. Les gens qui sont seulement à distance, c'est certain que c'est plus difficile de les rejoindre. C'est plus difficile en tant qu'association étudiante. C'est important que l'université donne accès. aux informations de ces gens-là, que ce soit les courriels, qu'on puisse les rejoindre et les contacter, les inviter à participer aux assemblées générales et tout ça. Mais de plus en plus, on a la technologie pour le faire. On a aujourd'hui les réseaux sociaux qui nous permettent de faire des mobilisations de masse très rapidement à travers ces outils-là. Moi, je n'ai pas connu le maintien après réseaux sociaux. Peut-être qu'Éric, qui était là en 2005, pourrait nous en glisser un petit mot. Mais ça nous a créé une facilité à aller rejoindre ces gens-là. qu'il faut qu'on utilise. Puis là, après ça, c'est aussi notre responsabilité, je crois, en tant qu'association étudiante, de faire des pieds et des mains pour aller chercher ces gens-là. L'expérience que moi, j'ai vécue, notamment en tant que personne qui a connu le avant, le pendant et le post-COVID dans le mouvement étudiant, le plus difficile avec ces gens-là, c'est de les accrocher une première fois. C'est le premier contact. Parce que dans le pré-COVID, le pré-contact, et le premier contact, c'était facile, c'était généralement les activités d'accueil, les intégrations, ou ce qui s'appelait à l'époque donc les initiations, qui permettait d'avoir un premier moment où ce que tu te réunissais, tu te voyais. Quand tu fais de l'enseignement à distance et que tu participes pas à ces activités-là, t'as pas ce premier contact-là. Fait qu'il faut trouver une autre manière de faire ce premier contact-là. Mais une fois qu'il est fait...
- Sol Zanetti
La démocratie étudiante fait son travail. Les gens s'intéressent, les gens veulent améliorer leur milieu, veulent améliorer leurs conditions d'études, qu'ils soient à distance ou en classe. Et généralement, ce qu'on voit, c'est qu'une fois qu'on a réussi à les accrocher, ils viennent. On a plusieurs associations étudiantes au Québec qui sont pratiquement qu'à distance ou en bonne partie. Je prends l'exemple d'une association qu'on a affiliée cet automne, l'Association générale étudiante hors campus de l'UQTR, qui réunit tous les campus délocalisés de Trois-Rivières. Ce n'est pas de la formation à distance, mais techniquement, leur membership est répartie. Du monde à l'Assomption, du monde à Terrebonne, du monde à Joliette, les autres pas trop où il y en a d'ailleurs, mais après ça, de Drummondville, Longueuil, Québec. Ça crée des enjeux parce qu'ils ne sont pas à la même place. Ce n'est pas comme tout le monde qui est à Trois-Rivières.
- Eric Martin
Moins facile.
- Sol Zanetti
C'est beaucoup moins facile de se mobiliser. Mais une fois que tu as réussi à accrocher ces gens-là et leur donner le goût, ils ont une vie associative très dynamique avec des exécutants fantastiques qui font un aussi bon travail que tous les autres qui sont simplement sur le campus. C'est juste que c'est le premier contact. C'était là vraiment l'honneur de la guerre pour accrocher ces gens-là.
- Eric Martin
Oui, je comprends.
- Etienne Paré
Ça n'en ferait pas de mystère du fait qu'on a écrit « Bienvenue dans la machine » avec Sébastien Mussi, suite à la COVID, justement, sur l'enseignement en ligne. D'abord pour dire que du point de vue de la qualité de l'enseignement, on était très inquiets de ce que ça allait donner, du point de vue de l'apprentissage, du point de vue de la socialisation aussi. Je ne m'étendrai pas sur cet aspect-là parce que je pense que je pourrais montrer assez facilement que la qualité de l'enseignement va être affectée à la baisse. Mais là... Pour notre angle aujourd'hui, c'est plutôt la question de la démocratie étudiante. Moi, je pense qu'il y a un risque, et justement, je vais ramener, je vais faire ma belle-mère de 2005, mais de 2012 aussi. Moi, je viens plutôt d'un pôle qui était proche de l'AC à l'époque, qui n'existe plus aujourd'hui, mais qui était un mouvement étudiant basé sur le syndicalisme de combat. Il y avait cette culture de dire que c'est très important qu'il y ait des assemblées générales en face-à-face, parce qu'il y a des choses qu'on peut faire politiquement en face-à-face qu'on ne peut pas faire à distance. Ça ne veut pas dire que dans certains cas, je ne veux pas les régions éloignées, par exemple, évidemment, on n'a un peu pas le choix, mais tu sais. lorsqu'on peut, mettons. C'est toujours préférable de faire de la politique avec des gens qui se voient en face-à-face, qui se connaissent, qui ont des liens organiques. C'est vrai aussi pour la classe ouvrière. Avant, tu avais 500 ouvriers dans une usine, tu pouvais les mobiliser. Aujourd'hui, si les employés sont en télétravail, c'est pas mal plus dur de les mettre dans une salle d'Assemblée générale syndicale. Donc là, il y a un danger pour ce qui est de développer, disons, la conscience de classe, comme on disait chez les marxistes à l'époque, parce que t'es même plus physiquement dans le même lieu. Et là, on voit apparaître un enjeu que j'appellerais l'éclatement du lieu. dans lequel habitait la communauté académique. C'est-à-dire que l'université, c'est pas seulement un lieu où on fait de la connaissance, c'est avant tout un lieu où on est rassemblés physiquement. C'est amusant de voir, quand on lit l'histoire des universités, que dans certains cas, par exemple, les premiers collèges, c'était d'abord des lieux où on assurait l'hébergement pour les étudiants qui n'avaient pas eu moyen de se loger. Et après ça, ils pouvaient étudier. Mais ça commençait par le fait de... Le roi ou le prince qui avait de l'argent, il ouvrait un collège à Paris pour... quelques-uns de ses parents pour qu'ils puissent venir de la province, pour venir à Paris, pour avoir une place à rester de sorte que par la suite, ils puissent étudier. Donc, l'enracinement dans un lieu, c'est la première condition pour appartenir à cette communauté qui va ensuite se pencher sur la connaissance. Donc là, aujourd'hui, on est dans l'éclatement virtuel. Il y a une perte, à mon avis. Lorsqu'on perd le lieu et l'inscription dans un lieu concret, le pouvoir de mobilisation ne sera jamais le même. Ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas mobiliser quand même. Mais c'est important de rappeler qu'il y a quelque chose qui se joue. Donc, lorsque possible, il faut recourir, en mon sens, à des réunions en face-à-face.
- Eric Martin
Oui. C'est comme si... Moi, j'ai arrêté l'enseignement collégial en 2018. Puis à ce moment-là, on commençait justement à... J'étais le prof dans le département qui allait tester les cours en ligne, tout ça. Puis je l'ai fait avec bon cœur, bonne foi, bonne volonté. Un petit scepticisme, mais que je surmontais avec la force de ma volonté. J'ai eu des bons moments à certains moments donnés, mais c'était tellement difficile de capter l'attention. Aujourd'hui, avec les téléphones, ils vont de plus en plus sortir des écoles, l'université, c'est une autre affaire, mais notre attention est la proie de tellement de distractions. que c'est tellement difficile de se concentrer sur un cours déjà, que si en plus on le met en ligne, wow, c'est comme si on ajoute de la difficulté. Moi, ce que... parce que ça m'a laissé pour me dire ce que vous en pensez, je me suis dit, l'enseignement à distance, quand l'alternative, c'est pas d'enseignement, oui. Le rassemblement à distance, quand l'alternative, c'est pas de rassemblement, oui. Mais quand c'est possible, toujours, toujours, privilégier la présence, parce qu'il y a quelque chose de l'humain, de la relation, qui est difficile à décrire, mais qui se passe ou qui se passe pas, que tu sois en présence ou pas en présence. Puis c'est ça, peut-être que... Mais en même temps, la logique... Des institutions qui cherchent du financement et qui sont sous-financées, c'est de vouloir réduire leurs coûts. En cours à distance, évidemment, tu n'as pas besoin de chauffer de bâtisse. Tu paies des coûts technologiques pour la plateforme, mais c'est une grosse économie. On fait des mauvais choix à cause du sous-financement qui est un problème de fonds.
- Sol Zanetti
Bien, ça a un impact majeur, le sous-financement, parce qu'au final, on prend des décisions en fonction de ça. Oui, c'est ça. Comme tu l'as mentionné, c'est un peu ce qu'on se disait tantôt quand on parlait de la démocratie dans les universités. On est liés, on a les mains liées, on n'a pas le choix. puis tu le mentionnes dans ton jeu, moi j'étudie en enseignement, j'ai eu la chance de voir les deux, moi j'ai enseigné au secondaire à distance pendant la COVID, qu'on avait l'alternance, une journée sur deux à distance, une journée en présence avec des groupes de secondaire 5. J'ai eu mes cours en ligne parce qu'en fait, je pouvais faire ça parce que j'avais mes propres cours à moi à l'université qui était à distance à cause de la pandémie, justement. Le contact humain, il est essentiel. Il est nécessaire en enseignement. Puis ça, je vais me battre pour le mentionner autant que je le peux. C'est nécessaire, ça fait partie de l'expérience, c'est important. Après ça, il y a un intérêt de la formation à distance qui, par exemple, la formation continue. Les retours aux études, les gens qui font de la formation en parallèle, tout ça. Il y a un marché pour ça. Ceux qui en ont besoin, qui l'utilisent, on est satisfait, on est content pour eux, c'est bien. Mais ça ne peut pas devenir ça la norme. J'ai pas assez de masques. le point de sous-financement, puis c'est un élément à clé, ça ne peut pas devenir une solution.
- Eric Martin
Oui,
- Sol Zanetti
c'est ça. Ça ne peut pas devenir l'option facile de se dire, on n'offre plus ce cours-là en présence, on va l'offrir juste à distance. Ça ne peut plus être ça. Il faut qu'il y ait un choix. Il faut que ce soit une option. Puis après ça, bien écoutez... la démocratie parlera. Si ils offrent le cours à 500 personnes et il y en a 400 qui le prennent en ligne, peut-être qu'à un moment donné, on va faire avec. C'est le marché, on s'adapte à la population. Si la population est distante, préfère être à distance, elle le sera. Mais ce cours-là n'est pas juste disponible à distance. Parce que c'est vrai que c'est facile, tu le mentionnes, de mettre 500 personnes dans un Zoom. C'est beaucoup plus simple que de mettre 500 dans un amphithéâtre. Les coûts sont clairement moins élevés pour ça. Il faut éviter les dérapages. tu sais je pense entre autres un dérapage page qu'on a vue il y a quelques années, il y a un cours à distance qui se donnait à l'Université de Concordia avec un professeur qui était décédé depuis deux ans. Je sais pas si vous vous rappelez de cette histoire. C'était asynchrone, non ?
- Eric Martin
C'était un cours asynchrone.
- Sol Zanetti
Mais les étudiants n'ont jamais été informés de cette situation-là. C'est un étudiant qui a fait de la découverte en faisant des recherches sur son bras, puis il est tombé sur la notice de décès qui datait de deux ans plus tôt. Puis lui, tous les courriels qu'il recevait, c'était jamais clair. Puis là, lui, il pensait qui parlait à son breuve, il retournait lire ses courriels et il s'est rendu compte que le courriel n'était juste pas signé. Il n'était pas signé au nom du bref.
- Eric Martin
C'est épouvantable.
- Sol Zanetti
Des choses comme ça. Puis, tu sais, ça nous mène après ça sur le sujet de l'intelligence artificielle qui va possiblement amener ce genre de dérive.
- Eric Martin
Oui, bien, allons-y. Mais c'est fou,
- Sol Zanetti
là, penser que ça...
- Eric Martin
C'est incroyable, là. C'est rare parce qu'on s'est rencontrés, Étienne, cet automne, l'automne dernier, l'automne 2024, parce qu'il y avait un projet de loi qui était déposé par le ministre de la Justice au sujet de, bon, légiférer pour faire des sanctions pour limiter le partage d'images. intimes. Puis, vous, votre point de l'association étudiante, vraiment pertinent, d'ailleurs, il a été repris par le ministre parce que vous avez vu quelque chose qui était dans son angle mort, c'est que, oui, les images, mais il faut aussi aller jusqu'à légiférer au sujet de les créations de l'intelligence artificielle parce que c'est ça la nouvelle affaire, la nouvelle menace qui sert à faire l'intimidation, etc. Ça a été intégré. Maintenant, dans l'enseignement supérieur, dans les universités, puis dans les cégeps, C'est quoi l'impact ? l'intelligence artificielle, puis les dérives que ça amène, puis les dangers qu'il faut voir venir.
- Etienne Paré
Il y en a de nombreuses, mais en tant que prof, nous, on voit déjà qu'on a dû rapatrier l'essentiel de nos évaluations en classe parce qu'il y a beaucoup de plagiat. Le recours aux agents conversationnels de type chat GPT est généralisé. C'est tellement facile. C'est comme si c'est dû résister. Il est là, le logiciel. Ça, c'est un des premiers impacts, c'est le plagiat et tout ça. Mais même nous, on nous incite fortement. Il y a des pressions très, très fortes au niveau idéologique, pour... pour que les professeurs eux-mêmes utilisent ça pour soit développer leur plan de cours ou développer des examens. Et là, on rentre dans un drôle de phénomène où, juste pour le nommer, c'est-à-dire que l'enseignement, son idéal moderne, c'était de développer l'autonomie de la personne, du sujet pensant, donc la personne qui réfléchit. Alors, comprendre, c'est prendre à l'intérieur de soi, puis se balader avec une tête bien faite, puis bon, ce genre de choses-là. Là, on dit non, non, non. Maintenant, on est dans un genre de déchargement cognitif, comme le disait Gunther Anders, où on va dire que c'est des systèmes extérieurs qui vont penser à la place du prof ou de l'étudiant. là on va se retrouver dans une drôle de situation où on pourrait avoir je vais mettre ça au plus caricatural, un cours qui aurait été planifié par un ordinateur, qui pourrait éventuellement être donné par un ordinateur, où les examens sont rédigés par ordinateur et corrigés aussi par ordinateur. Et la question, c'est, mettons qu'on met ça au pire, qu'est-ce qui reste d'humain là-dedans ? Pas grand-chose. On est tellement autobus.
- Eric Martin
T'envoies ton ordinateur faire le cours.
- Etienne Paré
En Chine, il y a déjà des programmes qui sont déterminés par l'intelligence artificielle. Les étudiants sont sur l'ordi toute la journée. Il n'y a plus de professeur. et ce qu'il déplore le plus, c'est l'absence d'un professeur en chair et en os. Il se plaigne de ça. Il y a un film qui s'appelait Un monde sans humain de Philippe Borrell. On s'en va vers une école sans humain. D'ailleurs, à Québec, il y a une école sans professeur qui est ouverte pour les adultes, mais c'est une école d'informatique où tu suis ton cours devant un ordinateur et il n'y a pas de professeur qui est présent. Ça existe déjà. Je pense que ça s'appelle le Centre 21, quelque chose comme ça. Bon, ça reste marginal parce que c'est une école pour adultes, pour informatique, tout ça. Mais quand même, si on regarde les tendances à l'OCDE, ce genre de choses, on s'en va de plus en plus vers ce monde-là où, en tout cas, il y a des gens, disons, qui souhaiteraient aller vers ça. Puis la question que nous, on doit se poser, c'est est-ce que c'est ça qu'on veut ?
- Eric Martin
C'est fou parce que le coeur... Moi, j'ai étudié en philosophie, puis j'ai enseigné ensuite, 10 ans quand même. Dans nos cours de philosophie et de l'éducation, le cœur de nos réflexions et de nos préoccupations, ce n'était pas tant comment on structure un plan de cours, comme quelle matière tu donnes en premier, puis tout ça est très important. Comment tu évalues les connaissances ? Oui, c'est super important. Mais le cœur, c'est que si tu n'arrives pas à faire naître le désir d'apprendre, la curiosité, la créativité, la joie... de se développer et de s'épanouir comme humain, la personne ne va pas se soumettre à la difficulté d'apprendre et d'avoir des connaissances. C'est comme si, avec cette vision-là, où est-ce qu'on relèguerait à l'intelligence artificielle tout l'enseignement et même comment on suit nos cours, c'est comme si on oubliait l'essentiel de ce que c'est supposé nous apporter.
- Sol Zanetti
Si on veut éviter les débordements, je pense que c'est important d'établir des balises claires dès maintenant. Je pense que les réflexions éthiques qu'on doit avoir sur qu'est-ce qu'on accepte et qu'est-ce qu'on n'accepte pas, l'intelligence artificielle est là pour rester. Qu'on le veuille ou non, c'est comme toutes les autres technologies qu'on a. Ça crée une énorme révolution. On a sûrement des conversations, et je te prenais à l'époque, peut-être que vous le savez, mais on a sûrement des conversations actuellement sur l'intelligence artificielle qu'ils ont eues à l'époque sur l'Internet. Qu'est-ce qu'on fait avec l'Internet en milieu universitaire ? Ça vient changer, ça vient chambouler la manière de faire de la recherche. on va plus utiliser les livres et tout ça. Bon, on a balisé l'usage de ça dans le cadre des cours, puis je pense que ça va être important de le faire. Nous, à l'Union étudiante du Québec, ce qu'on insiste toujours, c'est que ça ne se fasse pas sur le dos des étudiants. Par exemple, tu sais, puis Éric mentionnait les cas de plagiat, bien, ça ne peut pas être à l'étudiant d'avoir le fardeau de la preuve tout le temps. Il faut qu'il y ait un système qui comprend qu'il y a ces outils-là qui existent, et il faut faire en sorte d'éviter de placer l'étudiant en organisation, parce que c'est facile de plagier. Puis l'exemple, c'est, revenons à l'évaluation papier. Revenons à l'évaluation. C'est simple. C'est un modèle que l'on fait déjà. Tout le monde le fait. Ça n'a pas besoin d'être compliqué non plus. C'est simplement... Je pense que la répression, ça ne fonctionne pas. La répression auprès des jeunes, que ce soit des adolescents du secondaire, des jeunes adultes au cégep, à l'université, ça ne fonctionnera pas. Il faut trouver une manière d'intégrer l'intelligence artificielle pour le bon côté. Chat GPT peut te faire une première recherche. Un peu comme quand Wikipédia est apparu. Wikipédia, ce n'est pas une bonne source, mais ça peut être une première source qui t'aide à aller chercher ailleurs après. Si on apprend aux étudiants à s'en servir intelligemment, il y a un potentiel là. Après ça, il faut s'assurer que notre évaluation n'est pas dépendante de méthodes qu'eux peuvent faire. Ça, c'est quelque chose qu'on a beaucoup vu pendant la COVID. La COVID, c'est arrivé rapidement. Les profs ont juste fait le switch de leur cours et ils ont tout pris ce qu'ils faisaient en classe et ils l'ont mis en ligne. Mais c'est certain que si... Tu donnes un examen à choix multiple, à livre ouvert, à distance, bien, je vais faire un contrôle F dans le PDF, puis je vais aller trouver la réponse rapidement. C'est sûr, j'ai l'outil à ma disposition, puis c'est aussi le volet de compétition qui existe. Même si moi, je suis quelqu'un d'honnête, bien, si je ne le fais pas, l'autre à côté de moi va le faire. Il va avoir une meilleure note que moi, puis il va venir avec tous les avantages que la meilleure note lui donne. Bien, c'est aux enseignants aussi, à un certain point, de trouver cette méthode-là d'évaluation qui évite l'intelligence artificielle. Puis je pense que... Revenons à l'évaluation en classe. Ça va régler cet enjeu-là.
- Etienne Paré
Mais le problème, c'est qu'on subit en tant que prof une très, très grosse pression de la part des gouvernements, des discours dominants. À tous les jours, je dois recevoir trois ou quatre courriels pour me dire, mettez-en de l'intelligence artificielle. Donc, nous-mêmes, si on dit qu'on va être critique, c'est constant. Je veux dire, on baigne dans ça. Il y a une idéologie. Puis, de toute façon, c'est pas juste... Tu sais, l'université, là, où moi, je suis dans un cégep... c'est un microcosme de ce qui se passe dans la société en général. La société en général, actuellement, elle est dans un hype sur l'IA qui est complètement fou et qui n'est pas démocratique, d'ailleurs. Parce que ces choix technologiques-là ne sont pas faits en consultant les gens ou en informant les gens sur tous les paramètres. Au contraire, c'est fait de manière très opaque par des GAFAM qui ont une idéologie, d'ailleurs, qui n'est pas très transparente. Si on gratte un peu, puis on regarde l'idéologie derrière les GAFAM, c'est franchement inquiétant. C'est des gens qui veulent le transhumain, le post-humain, qui veulent aller sur Mars. Elon Musk, il y a du délire derrière ça. Donc, c'est pas démocratique pour deux scènes. Et toute la société est en train d'emprunter cette direction-là parce qu'il y a une fabrique du consentement, parce qu'il y a une diffusion de ça. Et donc ça, ça se répercute aussi dans l'enseignement où on dit « On n'a pas le choix, il faut y aller, tatatata. » Et je pense que là, il va y avoir justement un réveil très urgent où de dire « C'est pas parce que c'est là pour rester, comme on disait tantôt, qu'on est obligé d'en mettre partout. » Et il va falloir dire que, par exemple, on veut protéger certains espaces de la vie sociale. notamment dans l'éducation primaire où on est en train de se former à la socialisation, mais si on passe tout notre temps devant un écran, ça ne fonctionnera pas. Donc, il faut protéger la jeunesse des GAFAM et faire des choix de société. Et c'est là qu'on va réaliser qu'en fait, on n'a pas actuellement le pouvoir de décision parce qu'il est dans ces entreprises immenses, gigantesques, les GAFAM.
- Eric Martin
Tu as même une distinction entre les GAFAM et les technologies qu'elles produisent. Je trouve ça intéressant parce que... On pourrait être, donc, pour l'utilisation, ben, tu sais, moi, je pense que la position d'Étienne est très nuancée sur l'utilisation de l'IA. Je suis d'accord avec toi, tu sais, pourquoi se priver de quelque chose qui peut nous faire sauver du temps, puis etc. Il ne faut juste pas que ça fasse les choses à notre place puis que ça nous empêche de bien étudier. Mais, tu sais, au fond, le problème, c'est qu'en ce moment, on va devenir tous dépendants d'un outil, l'intelligence artificielle, qui est contrôlé par des multinationales qui vont, à un moment donné... se servir de ça pour servir leurs intérêts politiques, économiques, maintenir leur domination. C'est ce qui s'est passé avec les réseaux sociaux. Au début, gratuit, pas de problème, algorithme, ça ressemble à un truc vraiment démocratico-social de bonne volonté. Finalement, on voit que c'est des compagnies qui agissent en fonction de leurs intérêts, qui se liguent à des pouvoirs, dans le cas d'Elon Musk. et des États-Unis. Et il y a ce que, mettons, les gens commencent à appeler la technobroligarchie. Et puis là, il faut qu'on développe notre indépendance par rapport à ça. Alors, si on dit qu'il y a une distinction entre les GAFAM et les technologies qu'elles produisent, et si on veut s'en protéger, ce qu'il faudrait peut-être, c'est créer de façon étatique, démocratique, citoyenne, notre propre technologie de ça pour avoir les outils et ne pas dépendre des multinationales étrangères pour ces affaires-là dans le futur.
- Etienne Paré
Après avoir l'air d'un vieillard, je vais vous citer Herbert Marcuse qui avait écrit « L'homme uni du monde canel » Marcuse avait déjà vu que le futur, ça va être une société plus démocratique au plan économique, mais aussi technologique. C'est-à-dire que les choix technologiques doivent être démocratisés. Pour le moment, ils ne le sont pas. Ce qui fait que les types de techniques qui sont développées sont soumis à des intérêts technobros oligarchiques, comme tu dis. Donc, là, on voit vraiment que ce n'est pas juste un enjeu qui concerne l'éducation, c'est un enjeu qui concerne toute la société du futur, du 21e siècle, si on veut. C'est ce que disait aussi Murray Bookchin. Est-ce qu'on veut aller vers une société plus écologique, plus démocratique ? On va être obligés de faire d'autres choix technologiques. Peut-être que ça va vouloir dire que l'intelligence artificielle, on va en vouloir moins. Peut-être que ça va vouloir dire qu'on n'en veut pas du tout. Moi, je suis plutôt critique de ça. Je pense qu'on en veut le moins possible. « Je ne veux pas que ma voiture se conduise toute seule. Je préfère faire les choses moi-même. Je préfère encore jardiner qu'un robot le fasse. » Ce genre de choses. Mais l'enjeu, c'est la démocratisation de l'éducation. Ça va devoir s'accompagner d'une démocratisation plus générale de la société. C'est les deux en même temps, autrement dit. Et aussi de la démocratisation de la production. Et la production, elle a deux volets. La production économique, les objets, les marchandises, des choses comme ça. Et la production technologique. Elle aussi va devoir être ce qu'on appelle des modèles économiques plus démocratiques. Donc, là, sky's the limit. C'est-à-dire que ce serait quoi, au fond ? Est-ce qu'on aurait des assemblées générales dans mon village pour se dire qu'est-ce qu'on a besoin comme technologie ? Et on va découvrir peut-être que c'est des technologies low-tech, beaucoup plus proches de la décroissance, ce genre de choses-là. Mais là, on rêve, on est rendu loin. Mais c'est parce qu'on ne peut pas s'économiser ça. On ne peut pas sauver l'école en l'abstrayant, en arrachant l'école de ce qui se passe autour. Si toute la société s'en va dans une direction qui est autoritaire, qui est... qui est surdéterminé par la pression vers la robotisation, et le capitalisme cybernétique, l'école ne s'en sortira pas. Donc, il va falloir qu'à un moment donné, la question soit liée, les deux soient liées, c'est-à-dire quelle éducation voulons-nous, mais plus généralement, est-ce qu'on ne va pas reprendre le pouvoir de déterminer quelle conception de l'humain nous avons, quelle conception de la société nous avons. On ne peut pas s'économiser ces questions.
- Eric Martin
J'ai... On va terminer avec deux questions. La question un peu lueur d'espoir et le conseil concret. Alors, la question lueur d'espoir que je vais vous poser d'abord, c'est qu'est-ce qu'on fait collectivement pour démocratiser les universités et l'enseignement supérieur ?
- Sol Zanetti
Oui, bien, de mon côté, je pense simplement, il y a une partie aussi, c'est l'action individuelle. Je pense qu'il y a une partie de l'action individuelle qui doit être faite. Je pense qu'on a présentement une société qui est de plus en plus tournée vers l'individu. qui est de plus en plus tournée vers « je me moi » . Je pense que c'est le fruit d'une société basée sur la consommation un peu néolibérale, comme on disait tantôt. Je pense que ça l'amène vers ça naturellement. Puis là, on se retrouve à être un peu désorganisé, puis à faire face à des enjeux, puis à ne pas comprendre pourquoi on n'a pas les outils et on n'a pas les ressources pour faire face à ces enjeux-là, alors qu'elles existent. Notamment les associations étudiantes, les syndicats, ce genre d'organisation-là, qui est à la base de l'action citoyenne, bien, elles existent. puis il faut s'en servir. Puis si on les trouve désuètes, si on trouve qu'ils ne représentent pas nos intérêts, bien, impliquons-nous. Allons participer aux assemblées générales. Des fois, je vois des commentaires sur les réseaux sociaux, sur les pages spotted, puis tout ça, d'étudiants qui sont comme, bien, est-ce que l'asso a dit ça ne me représente pas, ça ne me regarde pas, je peux-tu me faire rembourser ma cotisation, je peux-tu ne pas être représenté, blablabla. Bien, au final, va loger, puis je dis les Puis peut-être qu'il y a d'autres mondes qui pensent comme toi. Puis peut-être qu'au final, c'est toi qui représente la majorité, puis pas l'association indistinguée. mais parce que vous vous pointez pas à l'âge il y a pas moyen de le savoir pis ça au final ça part de ton action individuelle Si tu ne vas pas à l'Assemblée générale, si tu ne vas pas t'impliquer, si tu ne vas pas au conseil du département, si tu ne vas pas, puis après ça, on parle dans l'école, mais c'est la même chose, si tu ne vas pas au conseil municipal, pose-toi la question, le maire, il ne va pas faire les actions que tu veux qu'il fasse. Bien, si tu ne fais pas cette action-là toi-même, ça ne peut pas. Puis là, bien, après ça, s'ajoute la responsabilité collective qui est de faire en sorte que les gens qui veulent prendre en main cette action individuelle-là, on leur donne accès à l'information. Ça c'est le rôle des associations étudiantes, ça c'est notre job à nous. avec les réseaux sociaux, avec l'affichage chez Canvas, avec les têtes de réseau, les contacts qu'on a au sein de notre population étudiante. Il faut faire en sorte que tous les étudiants soient au courant qu'on a ces moyens-là d'agir. Puis là, après ça, il faut qu'on se trouve dans le milieu, les assos, nos membres, puis que les gens y aillent. Parce qu'au final, si vous ne le faites pas, il y a quelqu'un d'autre qui va le faire. Et si cette personne-là, elle ne pense pas pareil que vous, bien, elle va faire ce que les gens lui donnent comme mandat.
- Eric Martin
Tu as répondu un peu au conseil concret aussi qui était, la question que j'allais vous poser, c'est comment un étudiant peut faire pour démocratiser son université. Tu as très bien répondu. Alors, en gros, engagez-vous, engageons-nous et le monde nous ressemblera. Puis toi, Éric, comment tu répondrais aux deux en même temps ? Qu'est-ce qu'on peut faire collectivement ? Puis aussi, qu'est-ce qu'un individu, une étudiante, un étudiant peut faire ?
- Etienne Paré
Il y a deux dimensions, je pense. La première, c'est la conscience. La conscience, ça veut dire, je n'arrête pas d'insister depuis tantôt sur le fait de... d'aller lire sur ce qui s'est fait avant. Que ce soit l'histoire des universités, l'histoire de son pays, l'histoire des luttes politiques, des luttes sociales, pour savoir où on met le pied. Donc déjà, si on a une meilleure compréhension théorique de où on est situé, on pourra mieux agir. Parce que souvent, on va dire, il faut agir, l'urgence, c'est d'agir. Faire de la théorie, c'est une perte de temps. Au contraire, je pense qu'il faut avoir visé, en fait, de mieux comprendre le mieux possible où nous en sommes aujourd'hui et comment on en est arrivé là. Donc, il faut se renseigner au maximum. Donc, développer une culture politique qui, souvent, est malheureusement absente dans un monde où, justement, chacun seul devant son écran, renvoyé à ses intérêts particuliers. Donc, au contraire, développer cette conscience-là. La deuxième, c'est au niveau de l'action. Et là, je distinguerais peut-être deux volets. Il y a un volet qui concerne l'action dans les maisons d'enseignement, dans les institutions d'enseignement, puis il y a un autre qui concerne l'action politique en général. Alors, le premier, c'est, moi, je viens d'une école qui est celle du syndicalisme de combat, c'est-à-dire que, que ce soit pour les étudiants ou les professeurs, c'est de se rappeler que... L'action collective, c'est ce qui change le monde. On ne peut pas changer le monde tout seul. Et donc, c'est par l'action collective, en développant ce que les marxistes appelaient une conscience de classe, qu'on dit au fond, je ne peux pas me sauver tout seul, il faut que je me sauve avec les autres qui ont à peu près les mêmes problèmes que moi. Et c'est en tant que groupe social qu'on peut avoir un pouvoir dans une praxis collective. Donc, moi, j'ai été formé par des marxistes, donc je ne sors pas de cette idée que c'est par le syndicalisme de combat qu'on va y arriver, que ce soit pour les étudiants ou pour les professeurs. Ce n'est pas un syndicalisme de partenariat où on essaie de faire ami-ami avec le patron. C'est l'idée qu'on n'a pas les mêmes intérêts et qu'il y a une lutte en cours. Et on doit être conscient des paramètres de cette lutte-là et de la mener de la façon la plus stratégique possible. Et dernier point, c'est que cette lutte-là, dans l'éducation, elle ne peut pas se passer, comme je le disais tantôt, d'une réflexion plus globale sur ce serait quoi un projet politique pour une société future. Moi, quand j'étais étudiant, par exemple, on visait ce qu'on appelait à l'époque le socialisme. J'étais formé à une école qui était indépendance et socialisme. Marcel Rioux, des choses comme ça. Aujourd'hui, on ne dirait peut-être plus les mêmes mots. On dirait peut-être éco-socialisme, on dirait peut-être éco-anarchisme, décroissance. Alain Deneau qui parle des biorégions. Il y a plein de façons de nommer ça. Mais pour le dire simplement, un projet politique éco-démocratique. C'est-à-dire une société qui ne serait pas obsédée par la croissance à l'infini du capital, mais qui viserait plutôt à protéger la nature, et qui développerait une éducation qui serait adaptée à ce genre de société-là. Donc là, ça implique évidemment des questions très, très grandes. Ce serait quoi cette société du futur ? Je ne vais pas les régler maintenant, on n'a pas le temps, mais de dire qu'il faut faire les deux. Donc, il faut à la fois agir localement, mais il faut, tiens, il vient de décéder récemment, Think Big. Évidemment, lui, il ne le disait pas dans le sens positif, mais dans le sens…
- Eric Martin
Penser pour Julien Poulin. Oui,
- Etienne Paré
oui, penser pour Julien Poulin, mais dans le sens, il disait ça pour critiquer les Américains, mais là, je vais le reprendre d'une autre façon pour dire, il faut viser haut quand même, c'est-à-dire avoir l'ambition, oser. Se dire ce serait quoi une société meilleure. Parce que formuler ce souhait-là, ça a beau avoir l'air d'une utopie, c'est la première étape pour commencer à cheminer vers ce rêve-là. Parce que sinon, il y a des gens, on les a nommés tantôt, les tech-brous-machins, eux autres, ils en ont un projet. Ils vont nous organiser, eux autres. Ils vont nous amener dans leur société débile de tout le monde devant son écran, tout seul, hyper capitaliste. C'est la série Black Mirror. Ils vont nous amener là-dedans, eux autres, la dystopie de Black Mirror. Si on veut autre chose, il faut se donner le courage de rêver.
- Eric Martin
Merci, c'est vraiment inspirant. Effectivement, à partir du moment où on commence à y penser, c'est la première étape pour que ça devienne possible. Merci pour vos contributions. J'ai bien confiance qu'on va y arriver. Vive la démocratie étudiante et l'enseignement au Québec. Merci à tout le monde d'avoir été avec nous. Je tiens également à remercier Érika Zaria pour la musique, Anthony Castonguay-Harvey pour le montage, Madeleine Cloutier et Nadia Girard-Hedaya pour l'organisation et l'enregistrement. Et on lâche pas la patate, car l'espoir, c'est un choix.