MÉDECIN MALADE : "Le médecin malade est devenu une malade médecin" - Sylvie cover
MÉDECIN MALADE : "Le médecin malade est devenu une malade médecin" - Sylvie cover
Patients

MÉDECIN MALADE : "Le médecin malade est devenu une malade médecin" - Sylvie

MÉDECIN MALADE : "Le médecin malade est devenu une malade médecin" - Sylvie

52min |05/09/2024|

418

Play
MÉDECIN MALADE : "Le médecin malade est devenu une malade médecin" - Sylvie cover
MÉDECIN MALADE : "Le médecin malade est devenu une malade médecin" - Sylvie cover
Patients

MÉDECIN MALADE : "Le médecin malade est devenu une malade médecin" - Sylvie

MÉDECIN MALADE : "Le médecin malade est devenu une malade médecin" - Sylvie

52min |05/09/2024|

418

Play

Description

Qui prend soin des professionnels de santé ? Comment vivons-nous la maladie en tant que soignant ? Comment cette expérience influence-t-elle notre pratique médicale ? 

Médecin anesthésiste-réanimateur, Sylvie découvre dans l'hôpital où elle travaille qu'elle est atteinte d’un cancer du sein. Confrontée à l'indifférence, aux inerties et à différentes formes de mépris et d'ignorance, elle nous confie son histoire de l’autre côté de la barrière médicale.

Aujourd’hui dans « Patients » on va parler d’un sujet peu abordé et parfois négligé : le médecin qui fait face à la maladie.


Pour aller plus loin :


Vous pouvez vous procurer le livre de Sylvie : https://www.amazon.fr/temps-dun-cancer-Chroniques-m%C3%A9decin/dp/2749231914#:~:text=Sylvie%20Froucht%2DHirsch%20est%20m%C3%A9decin,directeur%20de%20l'Espace%20%C3%A9thique.   


Vous souffrez d’un cancer du sein et vous souhaitez en parler avec un médecin généraliste ou spécialiste ? 
Nos médecins sont à votre écoute.


*Ce podcast recueille des témoignages personnels qui peuvent heurter votre sensibilité. Nous vous rappelons que ces récits représentent le vécu de nos invités et ne sont pas nécessairement représentatifs de notre point de vue.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Ce podcast vous est proposé par la plateforme Livi.

  • Speaker #1

    Bonjour, je m'appelle César Ancel-Ancel. Je suis médecin généraliste et urgentiste. Bienvenue dans Patient, saison 2.

  • Speaker #0

    Sylvie,

  • Speaker #1

    quand la soignante devient patiente ? Je préserverai l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de ma mission. Je n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences, je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés. J'apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu'à leur famille dans l'adversité. Ces paroles font partie du serment que nous, médecins, avons tous prononcé lors de notre entrée dans la profession. À travers elle, nous nous engageons à consacrer chaque jour de notre vie à la santé et au bien-être des autres. Mais qui prend soin des professionnels de la santé ? Comment vivons-nous la maladie en tant que soignants ? Comment cette expérience influence-t-elle notre pratique médicale ? Aujourd'hui, nous avons le privilège d'accueillir Sylvie, qui partagera son expérience avec nous. Bonjour Sylvie.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Sylvie, est-ce qu'on peut se tutoyer ?

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #1

    Comment vas-tu ?

  • Speaker #0

    Je vais bien, merci.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux te présenter ?

  • Speaker #0

    Alors donc, je suis Sylvie. Vous m'avez sollicité pour venir en tant que médecin malade, effectivement en 2003. J'ai été confrontée au cancer du sein. Je suis également médecin anesthésiste récemment retraitée, accompagnée de mon délicieux mari Emmanuel. Ce cancer du sein a été annoncé par le chirurgien qui allait m'opérer comme un petit teigneux, petit par la taille, teigneux par l'agressivité médicale. Et donc en 2003, j'ai bénéficié de l'ensemble des traitements que l'on pouvait proposer. Pour traiter un cancer, j'ai été opérée, j'ai eu de la chimiothérapie, j'ai eu de la radiothérapie, j'ai eu de la curithérapie. Et je dis toujours qu'en 2010, le sein gauche a été jaloux. Donc, à l'occasion des mammographies annuelles de surveillance, en 2010, j'ai eu également le diagnostic et le traitement d'un cancer du sein à gauche.

  • Speaker #1

    Et le chirurgien qui t'a diagnostiqué initialement a qualifié cette lésion de petit teigneux. Oui. Tu peux nous dire pourquoi est-ce qu'il a qualifié cette lésion de petit teigneux ?

  • Speaker #0

    C'était lors de la consultation d'annonce. Le chirurgien était une amie et j'ai été sollicité un jour par un coup de fil. Sylvie, peux-tu venir ? L'annonce, elle était déjà faite uniquement par le ton de la voix de ce médecin. Donc, je suis arrivé et là, elle me dit Sylvie, voilà. tu as un cancer, c'est un petit teigneux. J'ai repris cette formule dans mon livre. Je vous expliquerai pourquoi le livre existe. Petit teigneux parce qu'un petit cancer met teigneux dans la classification anatomopathologique, ce qui a donc entraîné un traitement assez complet pour le soigner.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu te rappelles comment tu as vécu cette annonce initialement ? Justement, quand tu as... entendu pour la première fois le terme cancer ou cette notion de petit teigneux. Comment tu l'as vécu ?

  • Speaker #0

    Alors, j'étais allée seule au rendez-vous. Le bureau du chirurgien était au-dessus du bureau de mon mari, qui travaillait également à l'hôpital Saint-Louis. À l'annonce de la pathologie, j'ai un peu pleuré et j'ai demandé qu'on appelle mon mari, qui a eu un étage à monter, qui est venu à côté de moi. D'accord. Une fois que l'annonce est faite, globalement, je dirais que c'est peut-être quelque chose de rassurant, puisqu'on a un diagnostic. Et en fonction du bilan d'extension, on définira la thérapeutique. Je suis rentrée l'après-midi à la maison, j'ai pleuré. Ma première journée a été de penser, même si je suis médecin confrontée au cancer, J'ai pensé tout de suite à la mort, ce qui me semble un peu ridicule à postériori, parce qu'il y a des pathologies, je dirais, beaucoup plus graves qu'un cancer qu'on peut traiter. Mais ma première pensée a été de penser que j'allais mourir. Après, j'ai appelé mes collègues qui savaient que j'allais avoir une consultation. Et si je vous parle de mes collègues, c'est que je n'ai pas prévenu en famille très proche. J'ai ma mère et ma sœur, que j'ai préservé du diagnostic initial pour ne leur annoncer. que quelques temps plus tard, avec une stratégie, je dirais, d'épargne émotionnelle, si on peut dire ça comme ça. Ma mère, si vous voulez, historiquement, si ça peut vous aider à comprendre, juillet 1944, ma mère descend chercher le pain à Villeurbanne et toute sa famille est arrêtée. Donc, elle est la seule survivante. Je suis issue d'une famille juive, mes quatre grands-parents ont été déportés. Je fais cette digression. Parce que vous allez voir, pendant le temps de mes thérapeutiques, on parle beaucoup du vécu, mon côté juif est ressorti. Donc j'ai été opérée, et là j'ai dû bénéficier de chimiothérapie. Et même en 2003, on proposait la pose d'un portacat, qui est donc la petite capsule sous la peau, pour pouvoir éviter d'abîmer les veines lors des séances de chimiothérapie. Je ne voulais pas de marquage. Autour de moi, tous les amis de maman, la famille de maman étaient revenus de déportation et avaient un numéro. Quand on a des séances de radiothérapie, on a déjà les points de tatouage. Ça me suffisait largement. La première séance de chimiothérapie, elle était au mois de juin. Je ne voulais pas. Le prérequis était qu'on ne montre pas à l'autre qu'on est malade. Donc surtout pas de porte à quatre dans le décolleté. Et donc j'ai eu toute ma chimiothérapie par voie veineuse. C'est là que le côté médical est intéressant, parce que je connais avantage inconvénient de la pose du porte-à-quatre de cette voie que l'on qualifie de voie centrale. Effectivement, je n'avais qu'un bras fonctionnel pour les piqûres compte tenu du curage, qui interdisait les ponctions sur le bras droit. J'ai un peu abîmé mes veines sur le bras gauche, mais je n'ai pas eu de porte-à-quatre.

  • Speaker #1

    Pour expliquer un peu le principe de la prise en charge. Est-ce que tu peux nous rappeler globalement les différentes étapes de la prise en charge, les successions, la séquence, un peu comment ça s'est passé ? Est-ce que tu peux nous synthétiser ça ?

  • Speaker #0

    Alors, une fois que le diagnostic est fait, comme dans toute pathologie cancéreuse, on réalise ce qui s'appelle un bilan d'extension. Est-ce que le cancer a déjà des SMA, donc il y a déjà des métastases, en pratique dans le cancer du sein ? On demande de réaliser une scintigraphie osseuse, une échographie abdominale, des prises de sang. Dans mon cas, le petit teigneux était resté, je dirais, localisé, sans métastase, sans, a priori, atteinte ganglionnaire. Mais la classification anatomopathologique n'étant pas très sympathique, j'ai bénéficié donc d'une chirurgie. Une tumorectomie parce que c'était petit. On m'a demandé si on voulait retirer le sein. On m'a demandé si je voulais une enquête génétique. Et en pratique, je n'ai pas voulu d'enquête génétique. Je n'ai pas voulu qu'on retire le sein. Alors tout choix a des conséquences. Même quand on est médecin. Malade, moi je vous ai dit, je suis médecin spécialiste anesthésiste, je n'ai aucune compétence en cancérologie.

  • Speaker #1

    Bien sûr.

  • Speaker #0

    Et donc en pratique, dans le choix de la thérapeutique, j'ai fait confiance aux médecins. L'oncologue m'a dit, on va vieillir ensemble, donc je lui ai dit banco.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et effectivement, il a pris sa retraite avant moi, mais on s'est accompagnés, je dirais, mutuellement. Il y a quand même une séquence. Pendant les premières années, on se voit tous les trois mois, puis tous les six mois, puis tous les ans. Donc, j'ai eu de la chimiothérapie. J'avais des cheveux, j'avais un carré, j'étais à peu près coiffée comme ça. Je suis allée chez le coiffeur faire couper les cheveux, ce qui est recommandé avant les cures de chimiothérapie. Et j'ai eu cette chance extraordinaire de ne pas perdre mes cheveux. J'avais une coupe très courte, un peu pixie comme on pourrait dire. Une coupe très courte. bien maquillée, coiffée, sympathiquement, bien habillée. J'étais en master d'éthique appliquée à la santé et aux soins pendant ma deuxième année. Donc, j'étais en deuxième année pendant mes soins. Mon challenge a été de ne pas montrer à mes collègues étudiants que j'étais souffrante.

  • Speaker #1

    Tu l'avais déjà avant, cette idée ou ce principe de ne pas montrer qu'on est souffrant ? Ou c'est arrivé lors de la... déclaration de cette maladie ?

  • Speaker #0

    Avant le cancer, en 2003, je n'ai jamais été malade. Mais en pratique, je pense que c'est peut-être mon expérience de médecin ou de fille de patiente. en l'occurrence ma mère, qui avait déjà été souffrante.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Alors, est-ce que j'avais un modèle de dame assez résiliente qui, malgré tous les soucis de la vie qu'elle a eus, parce qu'elle, effectivement, avait déjà eu un cancer du sein qui avait également atteint les deux seins, elle a 95 ans actuellement, vous diriez, c'est un petit mannequin, elle est pomponnée, maquillée. Donc, je pense que c'est un modèle, si vous voulez, qui me convenait bien. Il n'y a rien de pire quand vous êtes malade que le regard. plaintif. Ça vous met mal à l'aise. Je pense que ce n'est pas aidant du tout. Quelqu'un qui vous plaint, vous embarque dans la maladie. Et puis, vous ne voulez pas décevoir, donc vous en rajoutez une couche. Si je ne vais pas bien, je peux aller encore plus mal. Ça n'a aucun sens à mon goût. Si on a la chance de supporter les traitements, ce n'est pas un temps facile, c'est un temps d'angoisse, mais c'est aussi un temps... temps où on peut prendre soin de soi, il faut en trouver un bénéfice. Alors, je ne dirais pas un bénéfice secondaire, mais il faut se donner des buts dans la vie. On n'a jamais vu que j'étais souffrante. À l'époque, dans le bouquin, je raconte que je suis sortie de l'hôpital après l'intervention. Vous êtes docteur, vous pouvez sortir avec votre redon sympathique. Vous devez noter la quantité que le redon donne. Vous pouvez faire les petits pansements. Pendant 15 jours.

  • Speaker #1

    Tu peux rappeler ce que c'est pour les gens qui nous écoutent ? Un redon ? Oui.

  • Speaker #0

    Un redon est un dispositif de drainage. Quand vous êtes opéré du sein, il y a un écoulement de lymphe qui peut stagner dans le sein. Et donc, il faut un dispositif, un petit tuyau.

  • Speaker #1

    Un tuyau, c'est ça.

  • Speaker #0

    Qui est à une bouteille qui recueille la lymphe. Et tant que la lymphe coule, vous gardez votre bouteille reliée au sein. Et l'idée, c'est quand même d'aller vous promener. Et pour cacher la bouteille, à l'époque, j'avais trouvé des jupes qui avaient des grandes poches latérales, on parlerait de poches cargo actuellement. Donc je me baladais, j'avais acheté une noire et une beige. Et le redon, donc la bouteille, allait dans la poche. Toujours avec l'idée qu'on ne montre pas, qu'on se balade. Enfin, c'est quand même pas très... sympathique de montrer une bouteille de recueil. Donc, ni vu ni connu, la bouteille dans la poche et vous allez vous promener.

  • Speaker #1

    Tu nous as dit que tu en as parlé à ton époux ?

  • Speaker #0

    Oui, qui a été mon premier supporteur et avec une très belle attitude qui a été de ne pas me couver. Mon mari est professeur d'éthique médicale. Il a beaucoup réfléchi sur la présence, la juste présence, la bonne distance. Donc moi, je n'étais pas sa patiente, j'étais sa femme, mais il ne m'a pas couvé. Il était présent, mais lointain en même temps. C'est-à-dire que son activité professionnelle n'a pas été modifiée. Simplement, j'ai été soignée à Saint-Louis, ses bureaux étaient à Saint-Louis, et j'allais me réfugier dans son bureau après les traitements. Mais je ne lui ai jamais demandé, par exemple, qu'il soit présent. lors de mes séances de chimiothérapie. Je n'y ai jamais vu d'intérêt. Je trouve qu'il faut aussi préserver son trait proche d'une illusion de protection. C'est-à-dire que ne pas lui montrer qu'on est triste, qu'on a peur, mais il n'est pas idiot. On est un peu comme deux éponges, si vous voulez. On est assez fusionnel. Le jour où votre mari vous dit... Si ça ne va pas, moi, je me suicide. Je peux vous dire qu'il vous rend responsable de votre vie.

  • Speaker #1

    Ton mari t'a dit ça ?

  • Speaker #0

    Ah oui, il m'a dit que si je mourais, il ne survivrait pas.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Mais jusqu'à maintenant, on a quand même un âge certain, mais on va s'appeler deux, trois fois. Enfin bon, il y a une grande responsabilité de l'un envers l'autre. J'ai été au... opéré en début d'après-midi et je suis rentrée à l'hôpital le matin de la chirurgie. Et comme l'espace éthique était... Moi, j'avais que la cour de Saint-Louis à traverser. Je me suis dit, plutôt que d'attendre dans ma chambre, je vais aller lui faire coucou. Je l'ai trouvée en pleurs. Donc, je suis repartie immédiatement. Vous voyez, c'est compliqué parce que vous voulez protéger. C'est pour ça que j'ai attendu ma mère qui avait été souffrante, qui a perdu mon... père qu'elle adorait, qui n'avait plus trop de famille, qui avait déjà eu un cancer du sein, je me suis dit, il me faut une stratégie d'épargne que j'appelle épargne émotionnelle pour annoncer À ma mère et ma sœur, que j'étais souffrante, on a attendu le week-end du 1er mai à la campagne où on a dit on a quelque chose à vous dire

  • Speaker #1

    Comment ça s'est passé suite à cette annonce faite à tes proches ? Ça a changé des choses en toi ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

  • Speaker #0

    L'annonce à mes proches, notamment à ma mère et à ma sœur, a été un peu décalée. Une fois que je connaissais l'amplitude du traitement proposé, j'étais plus factuelle. Et ça me permettait de répondre à leurs questions. Ce qui est compliqué quand on appréhende l'annonce vis-à-vis de ces très proches qu'on aime, c'est l'angoisse que ça génère. Maman s'est sentie responsable, puisqu'elle avait déjà été souffrante plusieurs années auparavant, et elle avait peur de m'avoir transmis la maladie. Deuxièmement, ça a occasionné chez ma sœur et ma mère ce regard un peu compassionnel, plaintif, dont j'ai horreur. Donc la conséquence de tout ça est de dire à maman, qui venant me voir les premières fois un peu, je dirais larmoyante, avec son côté bonne maman, de me permettre de lui dire, je vais te faire un deal, si tu viens me voir et que tu larmoies, c'est pas la peine de venir me voir. Tu viens me voir, on va faire les magasins, on va se promener, moi je te souris et tu me souris, mais j'ai pas envie de te faire pleurer. Donc, si un jour tu es triste, ne viens pas me voir. Donc, ça a été, je pense, la conséquence. Du côté de mes beaux-parents, ils sont moins affectifs. Et donc, je leur ai annoncé assez simplement. Et mon beau-père a eu une très jolie réaction. Il a dit, ça aurait dû m'arriver à moi, parce que je suis un vieux con et ça aurait pu être pour moi. Donc, chacun réagit avec sa sensibilité. Et quand j'ai eu mon deuxième cancer en 2010, faute de l'expérience de ma mère, dont je n'aimais pas le côté trop bonne maman, je lui ai caché. Elle m'en a beaucoup voulu, mais comme il n'y avait pas un énorme retentissement, là, je n'avais pas de chimio, j'ai juste eu la chirurgie et les rayons, j'ai pu lui cacher. Et je ne lui ai rien dit. Elle l'a su beaucoup plus tard.

  • Speaker #1

    Et elle t'en a voulu ?

  • Speaker #0

    Elle n'était pas contente. Mais je pense que je l'ai protégée de nouveau. Le but était ça, la protéger de nouveau de souffrance. Elle a eu quand même... C'est l'idée que j'en avais. Avec un parcours de vie, à mon avis, très compliqué. Et je n'avais pas du tout envie de lui infliger de nouveau un peu de tristesse.

  • Speaker #1

    Oui, donc tu penses... Tout ça, ça reste personnel, en fait. C'est-à-dire les injonctions qu'on peut être amené à dire à certaines personnes. Il faut que tu en parles autour de toi, absolument, parce que tu vas te faire aider, parce que tu ne peux pas rester seul avec ça. Tu penses que c'est idiot, ça ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas idiot, mais on est toujours dans le cadre du sur-mesure. Il n'y a pas de règles, il n'y a pas de conseils. Chacun fait comme il peut. Et du temps de mes traitements, moi, je n'ai jamais vu personne et j'étais très bien. J'étais très bien avec mon mari.

  • Speaker #1

    Du sur-mesure.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Donc en fait, si je comprends bien, il y a plusieurs choses que tu exprimes. La première chose, c'est que tu ne veux pas que ça se voit parce que tu ne voulais pas qu'on te voit comme une malade, finalement, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Oui, et puis je pense que ça fait partie de la thérapeutique. D'accord. C'est-à-dire que ne pas se laisser aller, avoir une espèce, j'appellerais ça peut-être une force de vie. Il y a la maladie. Dans la graduation des cancers, je peux dire qu'effectivement, il était teigneux, donc il a généré beaucoup d'angoisse. Mais dans le quotidien, je n'ai pas eu de handicap particulier. J'ai été opéré, je n'ai pas perdu mes cheveux, je n'ai pas porté de perruque, j'ai supporté la chimiothérapie.

  • Speaker #1

    Oui, j'allais y venir, parce que ça, c'est quelque chose qu'on entend assez souvent. Et c'est le traitement qui peut vous éreinter, en fait, à un moment donné.

  • Speaker #0

    Là, on parle de fatigue. Effectivement, on est fatigué. J'ai eu six mois de chimiothérapie. Je n'étais plus en capacité de marcher 100 mètres à la fin de la dernière séance. Mais par contre, la vie, elle continue. Je n'ai pas eu de nausée. Il y a eu une expérience amusante à Saint-Louis. Il faisait une enquête. Et donc, j'ai accueilli une psychologue à la troisième cure de chimio. qui voulait faire une enquête sur la relation entre la famille et la tolérance de la chimiothérapie. Donc, elle m'a interviewée sur mes grands-parents. Grands-parents déportés. assez peu joyeux comme évocation, je n'ai jamais autant vomi cette fois-là.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et le médecin a interdit à la psychologue de revenir m'interviewer. Je n'ai plus jamais vomi.

  • Speaker #1

    Ce que tu évoques un peu, c'est quoi ? Une sorte de contagiosité émotionnelle, en fait ? C'est-à-dire que tu n'as pas besoin de ça à ce moment-là, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Je pense que je n'ai pas besoin et je pense que je suis intellectuellement, sentimentalement juive, non religieuse. Je suis issue d'un monde juif d'Europe de l'Est et qu'il y a beaucoup de choses qui se remontaient. Et quand j'ai relaté mon expérience lors de la présentation de mon mémoire de master, ça a interpellé mes collègues étudiants. J'ai présenté mes séances de radiothérapie, alors c'est eux qui m'ont dit ça. On m'a dit donc pour irradier le sein, il faut être torse nu, mais personne ne m'a proposé une blouse. Et donc, je me rendais vers l'appareil d'irradiation torse nu. Et j'ai relaté ça de telle façon, ils m'ont dit, mais tu te rends compte comment tu décris les choses ? Tu allais à ta séance d'irradiation comme, enfin, c'est un peu compliqué de vous redire ça, mais comme les déportés allaient à la chambre. Ça a été très curieux et ça a été ressenti. Ce n'est pas ce que je voulais dire. Moi, je voulais juste parler de la honte. que j'ai eu pendant un mois de me balader torse nu du vestiaire à la chambre d'irradiation.

  • Speaker #1

    Ça, c'était quelque chose qui faisait partie de la procédure pour tout le monde ?

  • Speaker #0

    D'être torse nu ? Oui. Alors, à la fin du mois, on m'a demandé comment je me sentais. Je les ai remerciés. J'avais amené des petits gâteaux, des trucs pour remercier l'équipe. Et on m'a dit, comment avez-vous trouvé ? Si on peut dire comment avez-vous... Je leur ai dit, écoutez, vous êtes charmants, mais les prochaines fois, proposez quand même une tenue parce que j'ai eu honte pendant un mois. Je suis un peu pudique, certes, mais... On fait très attention quand on endort quelqu'un de ne pas endormir la personne à poil, je dirais. On colle les électrodes et après on recouvre la personne. Enfin bref, et là je leur ai dit, j'ai eu honte et je n'ai pas osé vous le dire. Il y a un côté vulnérabilité. La personne malade, elle est vulnérable. Alors on parlera peut-être de l'autonomie de la personne malade. Moi, je trouve que c'est un grand leurre. Déjà, vous êtes malade, vous n'êtes pas autonome. Vous dépendez des autres. Si vous étiez autonome, vous ne seriez pas malade. Enfin bon, comme en 2010, j'ai été de nouveau malade et que j'ai encore bénéficié de radiothérapie, j'ai pu voir que là, on proposait une petite blouse. Et donc, j'étais assez contente en me disant peut-être que j'étais un petit maillon qui a fait réfléchir les gens sur leur pratique.

  • Speaker #1

    À propos de ce statut de médecin, tu l'as quitté. T'as quitté à un moment ce statut de médecin ? T'as senti que justement, t'étais devenue tellement vulnérable que t'étais passée de l'autre côté ? Ou tu gardais un petit peu encore cette position en rapport avec ton savoir ? T'en as eu l'impression d'une perte de maîtrise ? Comment ça s'est passé ?

  • Speaker #0

    Non, j'ai plus d'humilité que ça. C'est-à-dire que le médecin malade est devenu une malade médecin. Et le médecin, je n'existais plus. Ça m'a permis de voir qu'être médecin, c'est pas facile. Qu'être malade, c'est pas facile. et que globalement, il faut qu'il y ait une réciprocité dans la confiance. Il faut qu'il y ait une mutualité des savoirs. Dans notre exercice quotidien, le médecin qui joue au médecin, c'est très désagréable de le soigner. Moi, je n'aime pas m'occuper des médecins qui font savoir, qu'ils ont un savoir. Je pense qu'on est d'autant mieux soigné qu'on n'étale pas. En plus, moi, je suis médecin anesthésique, je ne suis pas cancérologue. Soigner, c'est difficile parce qu'il faut engager la relation. confiance. Moi, on m'a raté mes veines pendant les séances de chimiothérapie. Je sais que c'est difficile quand les veines sont petites. C'est difficile. Je chauffais un peu la veine pour aider l'infirmière. Après, je pense qu'il faut être tolérant. Il faut respecter le travail. Et je ne suis pas... On m'a trouvé gentille. C'est-à-dire que vous voulez me piquer, vous me piquez, il faut ça. il faut refaire une prise de sang, vous faites une prise de sang. Je ne me suis mêlée de rien et je ne voulais pas me mêler ou de la thérapeutique ou des soins en me disant que moins on s'en mêle et mieux on se porte. Mais je ne pense pas que ça ait modifié après mon exercice professionnel.

  • Speaker #1

    On a l'impression que tu étais finalement déjà sensibilisée à ça, à ces notions, avant d'être malade. Ou est-ce que ça a augmenté encore plus ta sensibilité et est-ce que tu as fait plus attention encore ? après ça ?

  • Speaker #0

    La sensibilité, elle est, lors de ma reprise, j'ai repris en réanimation et j'étais hypersensible. Il m'est arrivé de pleurer avec une famille à qui j'annonçais que le patient était ou allait passer en état de mort cérébrale. Mais la famille s'est mieux tenue que moi. Et ça les a touchés. Ils ont vu un médecin qui montrait sa sensibilité, je dirais sa fragilité. Moi, j'en ai quand même un peu eu honte parce qu'à ce moment-là, je n'avais pas à montrer ma sensibilité. qu'il doit y avoir effectivement ce retrait et cette bonne distance. Donc cette sensibilité exacerbée s'est estompée quand même au fur et à mesure de ma reprise professionnelle. Mais j'aime bien les gens et je pense que si vous voulez, ce n'est pas un hasard d'être médecin anesthésiste avec cette composante humaine où on se dit qu'il n'y a pas que le technique dans l'exercice de mon métier. Il y a des gens qui m'ont demandé si je n'étais pas plus humaine et tout compte fait. Être malade quand on est médecin, c'est plutôt sympathique parce que ça vous apprend ce que c'est à être malade et que ça vous rend meilleur. Je pense que l'expérience de la maladie, elle n'est pas obligatoire. On s'en passerait bien. Ce que j'ai retenu de ça, c'est l'expérience de la douleur, par contre. C'est-à-dire que quand j'ai eu la curie-thérapie, qui est une irradiation localisée du sein, mais à travers des aiguilles à tricoter creuses, j'ai... peut-être ressenti la douleur la plus horrible parce que l'anesthésie était un peu ratée. Donc j'appelle ça le planté d'aiguilles un peu accrus. Une fois qu'on vous les met, on vous les enlève. Mais là, encore sans anesthésie, on m'a embroché un muscle. Parce que la tumeur était très haute dans le creux. Enfin bref, on va dire que ça a été un peu raté. Donc là, j'ai vraiment eu très mal. Et comme ils m'ont embroché, ça veut dire que le bras n'a pas pu bouger pendant 4-5 heures, pendant les deux séances d'irradiation. J'ai été délivrée de la douleur quand ils ont retiré les aiguilles à tricoter. Donc ça, vraiment, sur les échelles de cotation, je pouvais avoir 10. Et puis, je suis retombée à zéro quand on m'a enlevé les aiguilles à tricoter. Ça tombait bien, j'avais fait une capacité douleur trois ans avant. Donc, j'étais dans l'évaluation de la douleur un peu subjective. Là, de façon objective, j'ai compris ce que c'est d'avoir mal.

  • Speaker #1

    Est-ce que toi, tu peux... Je pense que le sujet de la maladie, dans le domaine médical, quand un médecin ou un soignant est malade, est-ce qu'il y a un tabou ? Est-ce que tu as ressenti une gêne de la part de certains collègues ou tu avais l'impression qu'il n'y avait pas de tabou, justement ?

  • Speaker #0

    Il y a peut-être une gêne ou tabou quand on est considéré comme un médecin que l'on soigne. Mais plus vous vous faites entre guillemets petit et humble et sans étaler votre côté professionnel... Je reviens à ce que je disais, soigner n'est pas facile, donc il faut mettre les gens à l'aise. Et si vous dites, vous savez, je suis médecin, je pense que ça éloigne le professionnel. Moi, je suis dans la relation de conscience. Celui qui sait, à un moment donné, c'est le professionnel. Moi, je connais l'anesthésie, mais je ne connais pas la radiothérapie, je ne connais pas la chimiothérapie et je laisse les gens travailler. Je pense que c'est très, très important. important.

  • Speaker #1

    Ça, c'est important parce que je ne sais pas si en tant que médecin, on partage tout ça, en fait. Alors moi, je te donne juste mon avis, c'est un peu personnel, mais en gros, il y a peut-être une personnalité, j'ai tendance quand même à aller vérifier dans certains domaines, en fait. Et donc toi, à priori, tu étais peut-être en très bonne main et tu avais tout de suite cette relation de confiance. Ça ne t'est jamais arrivé d'aller vérifier des informations, d'aller rechercher un peu plus loin quand même, pour savoir si tout était OK, tout était bon ?

  • Speaker #0

    Je ne connais rien en cancéro. Qu'est-ce que je vais aller vérifier ? Ma seule capacité, c'est de pouvoir lire les bilans sanguins. Donc effectivement, j'ai lu mes bilans sanguins. Je sais analyser un bilan sanguin. Par contre, à l'époque, quand vous avez le laboratoire qui prélève avec une grosse aiguille, en piquant directement dans la veine et sans utiliser un petit dispositif à ailette un peu plus petit, vous ne dites rien. Donc j'ai assumé. Les pseudo-mauvaise pratique de certains, je reste confiante. Là, j'ai été opérée récemment, ça fait un mois et demi, d'une prothèse de hanche. Alors, j'ai choisi le lieu sur les conseils de mon chef de service, le chirurgien sur les conseils de mon chef de service. En anesthésie, j'ai été endormie par quelqu'un que je connaissais, puisque c'est la même équipe. Et puis après, vous faites confiance.

  • Speaker #1

    Et tu as ce même comportement vis-à-vis de tes proches ?

  • Speaker #0

    Par exemple, si tu dois confier à un proche pour un problème de santé particulier, tu fais confiance, tu ne vas pas vérifier.

  • Speaker #1

    Ma très proche actuelle qui a des soucis de santé, elle a 95 ans. Elle est toute mignonne, mais elle n'est pas en capacité de tout saisir. Alors, elle a compris que sa fille était le meilleur médecin par rapport au médecin généralisant. Sa fille, elle est un peu obligée de colliger les infos. Mais je pense que toute ma vie, je lui dirais que je ne suis pas son médecin.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Mais elle, elle est contente, elle a une fille docteur.

  • Speaker #0

    J'aimerais bien revenir sur ton livre qui s'appelle Le temps d'un cancer, chronique d'un médecin malade Comment t'es venue l'idée de réaliser ce projet ?

  • Speaker #1

    L'idée n'est pas la mienne, l'idée c'est mon double Emmanuel Hirsch, qui voyant quand même de temps en temps mon désarroi, m'a donné un carnet, un petit stylo, et m'a dit Écris Sylvie, écris Donc j'ai relaté mes impressions tout au cours des traitements. Et puis, effectivement, j'étais en master d'éthique appliquée à la santé et aux soins en deuxième année. Et on doit rédiger un mémoire. Et du coup, je me suis dit que mon sujet de mémoire allait être le parcours d'un médecin qui traverse la maladie grave. Et j'ai eu une bonne note. J'étais une étudiante, j'ai eu 16. Le prof de philo m'a dit que c'était très bien. Et Emmanuel m'a dit si tu veux, on le publie parce que ça peut peut-être aider d'autres personnes à se situer dans la maladie Donc, ce n'était pas uniquement une histoire, mais c'était une réflexion sur les différents temps de la maladie. Et effectivement, il y a un chapitre sur le paraître, l'importance du paraître, c'est quoi les différents temps de la maladie. avec le temps de l'annonce, l'après. Qu'est-ce qu'on fait de l'après, après avoir eu cette expérience de la maladie ? Alors, cet après, on en sort enrichi d'une expérience. Peut-être que vous me parlerez des patients experts, qui sont des patients avec un savoir actuel universitaire. Il y a une université qui délivre des diplômes. Moi, c'est quelque chose que... Je ne trouve pas très adapté parce que je trouve que ça nuit à la relation de confiance. Je pense que quand on est patient, on n'est expert que de soi-même et de son savoir. Je pense qu'il n'y a pas d'universalité. On a été malade, on sait ce qu'on a vécu. Si on reprend l'expérience des médecins, déjà les médecins ne savent pas tout et ils n'ont pas de savoir universel. Donc j'ai beaucoup de mal à appréhender cette notion de patient expert. peuvent à la fois traduire ce que le médecin n'a pas voulu dire ou n'a pas pu dire à un patient. Donc moi, je suis un peu ringarde là-dessus. Je trouve qu'il y a beaucoup de métiers, je qualifie un métier coucou. C'est un métier qui veut aider le médecin, mais qui le dénigre beaucoup.

  • Speaker #0

    Métier quoi ?

  • Speaker #1

    Coucou ?

  • Speaker #0

    Pourquoi coucou ?

  • Speaker #1

    Parce que le coucou, il vit sur le dos des autres.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Je n'aime pas cette idée de... personnes ayant un savoir qui vont traduire ce que dit le médecin. J'ai quand même une assez haute opinion du métier de médecin et pensais que le médecin ne sait pas parler aux patients, le médecin utilise des mots importants et forte de l'expérience de la maladie et de mon côté médical, j'avais été sollicité pour faire des cours aux infirmières d'annonce. Les infirmières d'annonce qui se doivent de traduire ce que le médecin a dit mais que la personne n'a pas compris. Je trouve ça assez désagréable, parce que je dirais que le bon docteur, le médecin qui a l'humanité suffisante, devrait s'assurer que le patient a compris. On n'a pas besoin de traducteur. Donc ce que j'avais tenté d'expliquer aux infirmières d'annonce, c'est qu'elles n'avaient rien à annoncer. En médecine, on se doit d'annoncer toutes les complications inhérentes à un geste. Je leur avais dit qu'en anesthésie, je n'annonçais rien, mais que le patient signait le consentement. Donc tout est sur cette relation de confiance. Si je commence à expliquer qu'en intubant, je casse des dents, on se retrouve avec des nodules sur les cordes vocales, avec une fréquence rarissime, mais certes, c'est important, ça n'a aucun sens. De la même façon, l'infirmière d'annonce, si elle dit que la chimiothérapie fait vomir, entraîne des mucites, les pertes d'ongles, ce n'est pas ça qu'on attend. pas dans l'énumération, mais je dirais qu'on doit être dans la bonne présence. J'existe, et si vous avez des questions, je vous réponds. Mais le catalogue de complications pour moi n'a pas lieu d'être. Je pense que quand on est malade, on veut juste avoir un petit coup de fil le lendemain de la chimio. Sylvie, vous allez bien, vous avez pris votre zofreine ? Ah non, je ne vomis pas. Sylvie, vous prenez le zofreine, c'est aussi un traitement préventif.

  • Speaker #0

    Oui, mais alors, sur ce que tu décris, notamment sur les fonctions du médecin et son devoir d'explication quand même, ou de communication, tu ne penses pas qu'il y a certains médecins qui justement parfois n'ont pas le temps ou pas le désir d'aller dans cette direction, et que c'est pour ça justement... qu'il y a d'autres corps de métier qui sont sollicités, notamment les patients experts, avec le retour classique qu'on peut avoir de la part de certains patients qui vont dire j'ai rien compris ou qu'est-ce que t'as ? Non, il m'a rien dit, je sais pas. Avec aussi les problèmes de littératie en santé, les gens qui ont du mal à comprendre certains documents médicaux ou des choses comme ça. Tu ne penses pas que quand même, de temps en temps, il y a un problème d'échange d'informations ? idéalement, certes, je suis d'accord avec toi, c'est-à-dire que normalement, ça devrait être inné ou acquis, mais qu'en plus, avec la tendance actuelle de carence en médecin, justement, il n'y a pas un défaut d'information de certains patients ?

  • Speaker #1

    Alors, on revient sur la notion du temps, du temps consacré aux soins. Je trouve qu'être médecin, on a fait quand même beaucoup d'années d'études. Il y a un serment d'Hippocrate. Actuellement, on est dans une phase transitoire. Quand j'ai fait mon pot de départ, mon chef a dit j'ai jamais trop compris pourquoi Sylvie mettait autant de temps sur une consultation d'anesthésie. Elle est tellement bavarde, j'ai enfin compris. Si on est uniquement technique, on va vite. Si on a envie de s'intéresser à la personne, on discute, on met un peu plus de temps. Si on a un patient à moule, on appelle l'interprète et ça prend un peu plus de temps. Je parle beaucoup avec les mains parce qu'on accueille des patients qui entendent mal. On accueille des patients avec des troubles cognitifs. Alors, on peut parler à la fille de la patiente, et ça va très vite. Et vous assumez aussi la réflexion un peu impatiente de la fille, qui vous dit que ce n'est pas la peine de lui parler, elle ne comprend rien. Alors, être médecin, c'est peut-être aussi faire de la résistance et dire, ben non, moi je parle aux patients. Et avec l'idée que tout patient est en capacité de comprendre. Et comprendre. Quelque chose de petit, de grand. En pratique, le patient est une personne, donc on lui parle et on ne parle pas à l'accompagnant. Et il y a quand même des choses gratifiantes dans cet exercice. C'est quand la femme d'un patient parkinsonien vous dit je vous remercie, vous lui avez parlé Vous voyez, ça c'est les petits plaisirs de la consultation. Vous accueillez un enfant handicapé, vous lui parlez. Et l'enfant, à un moment, j'ai cru qu'il pleure, il pleure. Je dis, mais il pleure. Et la maman dit, non, il est content. Comment vous voulez raconter ça si vous ne prenez pas le temps ?

  • Speaker #0

    Alors le temps, oui. Le temps, c'est hyper important, justement, pour la prise en charge. Qu'est-ce que tu penses, toi ? C'est quoi ton avis sur le temps d'une consultation, par exemple, en médecine générale ? Tu sais, le temps de consultation, c'est une quinzaine de minutes, à peu près. Au Royaume-Uni, c'est dix minutes.

  • Speaker #1

    Le problème, c'est le rapport à l'argent. L'argent fausse tout. Le médecin a besoin de gagner sa vie. Moi, mon idéal, c'était d'être salarié. Il n'y avait pas de relation à l'argent, donc pas de relation au temps. Effectivement, à la Fondation Rothschild, on a deux ordinateurs en consultation. Il y a l'ordinateur de consultation et l'ordinateur où il y a le logiciel avec les rendez-vous. Et donc, on avait un rendez-vous toutes les 20 ou 30 minutes. mais là-dessus viennent se greffer les urgences. Donc globalement, vous avez un quart d'heure. Et puis vous avez l'horloge qui défile, où vous avez le temps consacré au patient qui est en face de vous. Globalement, moi j'en reviens à mon mot résistance, qui implique un retard certain, et qui implique après une explication vis-à-vis du patient qui attend. Et là, effectivement, vous avez des patients qui râlent, docteur, vous êtes en retard. Alors vous avez deux façons de faire. Je vais rattraper le temps perdu avec vous, je vais passer cinq minutes et on va aller très vite, si c'est ça qui est important, ou alors je prends le temps comme je l'ai fait avec le patient d'avant. C'est vous qui choisissez. Globalement, les patients comprennent. On n'est pas sortis du bureau, on n'est pas allés faire nos courses. Et puis, vous avez des patients qui râlent. Vous vous rendez compte, il y a beaucoup de monde. Vous savez, l'intérêt, c'est qu'on passe le temps qu'il faut. Je me permettrais juste de vous rappeler que c'est gratuit. C'est un peu sordide de dire ça, mais on a la chance en France de soigner gratuitement les patients. Et de temps en temps, les gens l'oublient. On est des espèces de prestataires de services. Moi, un jour, une patiente à 8h, je suis arrivée, j'avais besoin de monter en réa pour voir un patient. Je suis arrivée en consultation à 8h10. Elle a regardé sa montre, elle m'a dit Docteur, vous êtes en retard Je lui ai dit Sans me démonter, vous allez refaire votre entrée. Vous me dites bonjour et je ne veux pas de reproche J'étais toute seule ce jour-là en consultation. Je lui ai dit Vous avez de la chance, je vous accueille. Autrement, je refusais de vous recevoir Vous voyez, donc c'est compliqué d'être médecin. La médecine générale, avec une consultation de 10 minutes, c'est comme la téléconsultation. Il faut parler, il faut écouter le cœur, il faut regarder la personne. Avec l'expérience, les patients chez nous attendent dans un couloir. Donc ils se lèvent, ils déambulent et ils rentrent. Moi, je vais accueillir, je n'attends pas à mon bureau. J'aime bien ouvrir la porte. Et le patient s'accueille et je dis bienvenue Ça fait rigoler et j'ai vu comment le patient marche. Et je ne sais pas si avec votre expérience, vous voyez déjà que le patient, il est déprimé ou a été déprimé. C'est assez horrible à dire, mais avec l'expérience, vous êtes en capacité de voir ce que le patient ne peut dire. Vous n'avez jamais eu d'épisode de dépression ? Il y a 20 ans, sur des infimes signes. Je ne suis pas en capacité de vous dire comment. S'il fallait que j'écrive un livre, je ne sais pas vous l'écrire. C'est du ressenti et c'est ça le métier de médecin. C'est un savoir, un ressenti, une humanité.

  • Speaker #0

    Je veux revenir un peu sur le livre. Est-ce que tu peux me parler d'éventuels impacts de ton livre ?

  • Speaker #1

    C'est un livre qui semble être un classique. Parce que mon mari me dit, ah tiens, j'ai rencontré un tel qui a lu ton livre. Je crois qu'au départ, il y a eu 1500... Il a sa petite vie, mais ça n'a rien à voir avec un best-seller. Simplement, ça m'a... permis de discuter. J'avais accueilli en neuroradiologie un médecin cancérologue, étant assez bavarde lors des visites pré-op, on en avait discuté, et j'avais relaté mon expérience de refus du porte-à-quatre. Elle m'a dit, ça c'est amusant, parce que ça ne m'est jamais venu à l'idée. Je propose toujours le porte-à-quatre et c'est toujours accepté. Et donc elle me dit, c'est une idée, on n'est pas obligé d'accepter le porte-à-quatre.

  • Speaker #0

    Donc ça a pu changer les mentalités ou certains automatismes qui existent dans le corps médical ?

  • Speaker #1

    Non, le but n'était pas celui-là. C'était vraiment relater une expérience individuelle. Cette expérience, elle a été critiquée sur les réseaux sociaux à l'époque.

  • Speaker #0

    Ah oui ?

  • Speaker #1

    C'est le parcours d'une médecin riche et mariée. Elle a beaucoup de chance, elle est malade, mais elle a un mari et elle a des sous. J'ai tenté de faire comprendre que face à la maladie, on est quand même très solitaire. Dans le bouquin, j'avais utilisé le mot doublure On n'est pas au théâtre, il n'y a pas de doublure, personne ne peut prendre votre place. Effectivement, mon mari ne m'a pas abandonnée. On a des métiers où, effectivement, la Fondation Rothschild étant bien assurée, ils ont conservé mon salaire. Je n'ai pas été mise à la rue. on va dire de façon matérielle. Humainement, mon mari a été extraordinaire. Il fait la postface du livre. J'ai une amie qui m'a dit c'est un hymne à l'amour. Enfin, je ne vais pas en dire plus, mais c'est l'expérience de l'aidant principal qui est mon mari qui dit qu'il a cheminé avec moi durant cette expérience.

  • Speaker #0

    Donc ton mari qui est aussi, bien entendu, très engagé dans l'éthique, qui est professeur aussi ?

  • Speaker #1

    Il n'est pas médecin, il est philosophe, professeur d'éthique médicale, alors maintenant émérite à la faculté de Saclay et ses autres titres actuellement. Il en est heureux, il est membre de l'académie de médecine et membre de l'académie de chirurgie. Donc c'est un homme qui pense.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut dire que toi, tu es engagée à ce sujet concernant l'éthique ?

  • Speaker #1

    Je dirais oui. Alors, je ne suis pas engagée uniquement intellectuellement, j'ai un engagement concret. Je suis bénévole à l'Institut Raphaël.

  • Speaker #0

    D'accord. En quoi ça consiste ?

  • Speaker #1

    L'Institut Raphaël est une structure dédiée aux personnes en cours de traitement ou qui ont fini leur traitement de cancérologie. C'est une structure d'accueil gratuite, qui est une structure de médecine intégrative, où les patients sont accueillis pour des soins qui accompagnent les soins médicaux. On peut faire du yoga, de la gymnastique, de l'esthétique. Il y a plein d'activités. On peut faire du sport. Moi, j'anime un atelier bijoux.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    C'est un atelier collectif. On a l'habitude d'aller à Venise l'été et je ramène des perles de Murano. On a une amie qui est créatrice de perles. Et donc, avec Emmanuel, on choisit les perles une par une. Je passe les après-midi entiers dans le magasin de notre amie à choisir les perles. Et donc, on veut faire du beau. C'est du beau collectif. J'anime cet atelier avec des bénévoles. On accueille des bénévoles qui sont également des patientes qui ont fini leurs soins. Et on accueille des patientes en cours de soins ou qui ont fini leurs soins. Et on crée des colliers, des bracelets, des boucles d'oreilles que l'on remet après sous forme de dons lors des fêtes de l'Institut Raphaël. Alors, ce n'est pas loin de l'art-thérapie. Ce sont des ateliers collectifs où une patiente m'a envoyé un petit mot. Elle m'a mis Sylvie. Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu autant de joie et de rire. Donc, ça, c'est une forme d'engagement. On ne parle pas maladie. On est concentré sur nos perles à écraser, nos fermoirs. Est-ce que je prends du doré, de l'argent et le fil câblé ? C'est un vrai atelier où on fait autre chose, on est concentré. Vous avez des femmes dont il y a un retentissement de la chimiothérapie sur le tact. Les bras sont enflés, le toucher est différent. Donc on fait des bracelets avec des nœuds coulissants pour qu'ils aillent à tout le monde. On a des fermoirs magnétiques, quand on a un tact un peu atteint et des troubles de sensibilité. Les fermoirs magnétiques permettent de fermer le collier sans problème. Donc c'est des vrais moments de partage et créer du beau. Je crois que c'est très important, ça donne de la joie. Je pense qu'il ne faut pas enfermer la maladie dans la misère. C'est pour ça que j'aime bien le luxe. Je trouve que le luxe a cette vertu de faire rêver. On n'est pas obligé d'être riche pour côtoyer le luxe. Le luxe se regarde. Moi, j'adore passer devant les vitrines, regarder comment est faite une robe d'un grand couturier. Je trouve ça magnifique. Là, on voit une marque italienne fait des bobs en raffia. J'ai acheté du raffia, j'ai fait mon bob au crochet. J'ai été voir chez eux comment ils faisaient les finitions. Et lors de cet atelier, on partage un savoir. C'est pour ça qu'un atelier collectif permet un échange et on finit l'atelier au café d'en face. Donc, ce qui est assez sympathique.

  • Speaker #0

    Tu as l'impression que cette approche intégrative, elle se multiplie, que c'est de mieux en mieux ?

  • Speaker #1

    Alors, elle se diffuse. Le Centre Raphaël, je pense que c'est un des premiers à avoir initié le Centre Raphaël à cinq ans. C'est un des premiers à avoir initié cette médecine intégrative qui se diffuse à la fois, quand on voit le LinkedIn de l'Institut Raphaël, il diffuse en Italie, en Afrique, au Liban, et puis un peu partout en France également. Je pense que les gens ont compris que le côté médical est important, mais que vous avez besoin d'un accompagnement. C'est basé sur un choix. Moi, lors de mes traitements, je n'ai jamais rencontré de psychologue. J'ai réalisé les bijoux à la maison, c'est comme ça que j'ai découvert. Il y avait un petit magasin, il y avait une mercerie, où pendant que j'avais du temps, j'ai appris à faire les bijoux. Je pense qu'il est important, parce qu'on parle beaucoup du burn-out, c'est-à-dire qu'à la fin des traitements, pendant les traitements, on a été tellement choyés, cocoonés, surveillés, que... brutalement, on n'a plus de traitement et on a une espèce de vacuité du temps. Qu'est-ce qu'on va faire de ce temps qui n'est plus occupé par des rendez-vous ? La médecine intégrative, elle donne de nouveau des rendez-vous et je pense qu'il est important d'atterrir. Mais tout ce que je vous ralate là, c'est l'expérience de quelqu'un qui, certes, a eu un cancer un petit teigneux, mais qui a la chance d'aller bien.

  • Speaker #0

    Quel conseil, toi, tu pourrais donner à des personnes qui traversent la même chose que toi ? Est-ce que toi, tu aurais des conseils à donner ?

  • Speaker #1

    Moi, je dirais de faire confiance et de faire comme on a envie. Moi, je ne donnerais pas de conseils. Je dirais, je suis présente. Si ce sont des amis, voilà, je suis là, tu as besoin de moi, je viens. Mais ne pas s'imposer, donner une liberté certaine à la personne. Je dirais de choisir son propre cheminement à travers la maladie. Il n'y a pas de clé. Je reste sur l'idée que toute personne est un individu. On est vraiment... sur un parcours de soins individuels. C'est un peu comme les glaces. On rajoute un peu de chocolat, un peu de pépites, on y met ce qu'on veut. Du moment que le cornet et la glace sont bonnes, après, il n'y a pas de modèle. Par contre, j'éviterais le comment ça va ? parce que le comment ça va ? vous renvoie toujours à la maladie. Moi, je suis plutôt dans la périphrase qu'est-ce que je peux faire pour toi ? ou quelles sont les nouvelles du jour ? Mais comment ça va ? vous allez dire oui, parce que si vous commencez à dire non... C'est un peu catastrophique. On est dans le négatif et il est important de rester dans la vie. Alors si avec la maladie cancer, malheureusement, on voit que la vie est un peu tendue, un peu délicate, il faut rester dans la vie quand même. Dans la religion juive, on dit qu'on n'enlève pas l'oreiller du malade parce que c'est déjà le tué. Donc pas d'anticipation. On est avec les gens à un moment donné. Je pense qu'il est très important de vivre le moment présent. Donc, des conseils, franchement, je n'en ai pas.

  • Speaker #0

    Sylvie, qu'est-ce qu'on peut te souhaiter pour la suite ?

  • Speaker #1

    De vous revoir.

  • Speaker #0

    Sylvie, merci mille fois pour ton témoignage. C'était très enrichissant. Et je te dis effectivement à bientôt. Je te souhaite une bonne journée.

  • Speaker #1

    Merci César et merci de l'accueil.

  • Speaker #0

    Allez, au revoir.

  • Speaker #1

    Au revoir.

  • Speaker #0

    Merci à toutes et à tous de nous avoir suivis. N'hésitez pas à partager cet épisode. J'espère que la parole de Sylvie vous a autant aidé que moi à comprendre cette situation parfois négligée. Je la remercie encore vivement de nous avoir confié son histoire. Pour compléter le témoignage de Sylvie, nous avons sollicité l'éclairage d'un expert. Découvrez notre échange sur l'éthique médicale la semaine prochaine. Si vous souhaitez aller plus loin, je vous recommande ces associations. l'Institut Raphaël, l'association Europa Dona, l'association AAPML, la Fédération des médecins de France. C'est déjà la fin de cette deuxième saison de patients. Merci de nous avoir suivis. Et un grand merci également à toutes celles et ceux qui ont partagé leurs expériences avec nous. N'hésitez pas à faire écouter leurs récits à vos proches et amis. Pour notre dernière parole d'expert... Rendez-vous la semaine prochaine. En attendant de vous retrouver, je vous souhaite le meilleur et prenez soin de vous.

Description

Qui prend soin des professionnels de santé ? Comment vivons-nous la maladie en tant que soignant ? Comment cette expérience influence-t-elle notre pratique médicale ? 

Médecin anesthésiste-réanimateur, Sylvie découvre dans l'hôpital où elle travaille qu'elle est atteinte d’un cancer du sein. Confrontée à l'indifférence, aux inerties et à différentes formes de mépris et d'ignorance, elle nous confie son histoire de l’autre côté de la barrière médicale.

Aujourd’hui dans « Patients » on va parler d’un sujet peu abordé et parfois négligé : le médecin qui fait face à la maladie.


Pour aller plus loin :


Vous pouvez vous procurer le livre de Sylvie : https://www.amazon.fr/temps-dun-cancer-Chroniques-m%C3%A9decin/dp/2749231914#:~:text=Sylvie%20Froucht%2DHirsch%20est%20m%C3%A9decin,directeur%20de%20l'Espace%20%C3%A9thique.   


Vous souffrez d’un cancer du sein et vous souhaitez en parler avec un médecin généraliste ou spécialiste ? 
Nos médecins sont à votre écoute.


*Ce podcast recueille des témoignages personnels qui peuvent heurter votre sensibilité. Nous vous rappelons que ces récits représentent le vécu de nos invités et ne sont pas nécessairement représentatifs de notre point de vue.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Ce podcast vous est proposé par la plateforme Livi.

  • Speaker #1

    Bonjour, je m'appelle César Ancel-Ancel. Je suis médecin généraliste et urgentiste. Bienvenue dans Patient, saison 2.

  • Speaker #0

    Sylvie,

  • Speaker #1

    quand la soignante devient patiente ? Je préserverai l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de ma mission. Je n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences, je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés. J'apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu'à leur famille dans l'adversité. Ces paroles font partie du serment que nous, médecins, avons tous prononcé lors de notre entrée dans la profession. À travers elle, nous nous engageons à consacrer chaque jour de notre vie à la santé et au bien-être des autres. Mais qui prend soin des professionnels de la santé ? Comment vivons-nous la maladie en tant que soignants ? Comment cette expérience influence-t-elle notre pratique médicale ? Aujourd'hui, nous avons le privilège d'accueillir Sylvie, qui partagera son expérience avec nous. Bonjour Sylvie.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Sylvie, est-ce qu'on peut se tutoyer ?

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #1

    Comment vas-tu ?

  • Speaker #0

    Je vais bien, merci.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux te présenter ?

  • Speaker #0

    Alors donc, je suis Sylvie. Vous m'avez sollicité pour venir en tant que médecin malade, effectivement en 2003. J'ai été confrontée au cancer du sein. Je suis également médecin anesthésiste récemment retraitée, accompagnée de mon délicieux mari Emmanuel. Ce cancer du sein a été annoncé par le chirurgien qui allait m'opérer comme un petit teigneux, petit par la taille, teigneux par l'agressivité médicale. Et donc en 2003, j'ai bénéficié de l'ensemble des traitements que l'on pouvait proposer. Pour traiter un cancer, j'ai été opérée, j'ai eu de la chimiothérapie, j'ai eu de la radiothérapie, j'ai eu de la curithérapie. Et je dis toujours qu'en 2010, le sein gauche a été jaloux. Donc, à l'occasion des mammographies annuelles de surveillance, en 2010, j'ai eu également le diagnostic et le traitement d'un cancer du sein à gauche.

  • Speaker #1

    Et le chirurgien qui t'a diagnostiqué initialement a qualifié cette lésion de petit teigneux. Oui. Tu peux nous dire pourquoi est-ce qu'il a qualifié cette lésion de petit teigneux ?

  • Speaker #0

    C'était lors de la consultation d'annonce. Le chirurgien était une amie et j'ai été sollicité un jour par un coup de fil. Sylvie, peux-tu venir ? L'annonce, elle était déjà faite uniquement par le ton de la voix de ce médecin. Donc, je suis arrivé et là, elle me dit Sylvie, voilà. tu as un cancer, c'est un petit teigneux. J'ai repris cette formule dans mon livre. Je vous expliquerai pourquoi le livre existe. Petit teigneux parce qu'un petit cancer met teigneux dans la classification anatomopathologique, ce qui a donc entraîné un traitement assez complet pour le soigner.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu te rappelles comment tu as vécu cette annonce initialement ? Justement, quand tu as... entendu pour la première fois le terme cancer ou cette notion de petit teigneux. Comment tu l'as vécu ?

  • Speaker #0

    Alors, j'étais allée seule au rendez-vous. Le bureau du chirurgien était au-dessus du bureau de mon mari, qui travaillait également à l'hôpital Saint-Louis. À l'annonce de la pathologie, j'ai un peu pleuré et j'ai demandé qu'on appelle mon mari, qui a eu un étage à monter, qui est venu à côté de moi. D'accord. Une fois que l'annonce est faite, globalement, je dirais que c'est peut-être quelque chose de rassurant, puisqu'on a un diagnostic. Et en fonction du bilan d'extension, on définira la thérapeutique. Je suis rentrée l'après-midi à la maison, j'ai pleuré. Ma première journée a été de penser, même si je suis médecin confrontée au cancer, J'ai pensé tout de suite à la mort, ce qui me semble un peu ridicule à postériori, parce qu'il y a des pathologies, je dirais, beaucoup plus graves qu'un cancer qu'on peut traiter. Mais ma première pensée a été de penser que j'allais mourir. Après, j'ai appelé mes collègues qui savaient que j'allais avoir une consultation. Et si je vous parle de mes collègues, c'est que je n'ai pas prévenu en famille très proche. J'ai ma mère et ma sœur, que j'ai préservé du diagnostic initial pour ne leur annoncer. que quelques temps plus tard, avec une stratégie, je dirais, d'épargne émotionnelle, si on peut dire ça comme ça. Ma mère, si vous voulez, historiquement, si ça peut vous aider à comprendre, juillet 1944, ma mère descend chercher le pain à Villeurbanne et toute sa famille est arrêtée. Donc, elle est la seule survivante. Je suis issue d'une famille juive, mes quatre grands-parents ont été déportés. Je fais cette digression. Parce que vous allez voir, pendant le temps de mes thérapeutiques, on parle beaucoup du vécu, mon côté juif est ressorti. Donc j'ai été opérée, et là j'ai dû bénéficier de chimiothérapie. Et même en 2003, on proposait la pose d'un portacat, qui est donc la petite capsule sous la peau, pour pouvoir éviter d'abîmer les veines lors des séances de chimiothérapie. Je ne voulais pas de marquage. Autour de moi, tous les amis de maman, la famille de maman étaient revenus de déportation et avaient un numéro. Quand on a des séances de radiothérapie, on a déjà les points de tatouage. Ça me suffisait largement. La première séance de chimiothérapie, elle était au mois de juin. Je ne voulais pas. Le prérequis était qu'on ne montre pas à l'autre qu'on est malade. Donc surtout pas de porte à quatre dans le décolleté. Et donc j'ai eu toute ma chimiothérapie par voie veineuse. C'est là que le côté médical est intéressant, parce que je connais avantage inconvénient de la pose du porte-à-quatre de cette voie que l'on qualifie de voie centrale. Effectivement, je n'avais qu'un bras fonctionnel pour les piqûres compte tenu du curage, qui interdisait les ponctions sur le bras droit. J'ai un peu abîmé mes veines sur le bras gauche, mais je n'ai pas eu de porte-à-quatre.

  • Speaker #1

    Pour expliquer un peu le principe de la prise en charge. Est-ce que tu peux nous rappeler globalement les différentes étapes de la prise en charge, les successions, la séquence, un peu comment ça s'est passé ? Est-ce que tu peux nous synthétiser ça ?

  • Speaker #0

    Alors, une fois que le diagnostic est fait, comme dans toute pathologie cancéreuse, on réalise ce qui s'appelle un bilan d'extension. Est-ce que le cancer a déjà des SMA, donc il y a déjà des métastases, en pratique dans le cancer du sein ? On demande de réaliser une scintigraphie osseuse, une échographie abdominale, des prises de sang. Dans mon cas, le petit teigneux était resté, je dirais, localisé, sans métastase, sans, a priori, atteinte ganglionnaire. Mais la classification anatomopathologique n'étant pas très sympathique, j'ai bénéficié donc d'une chirurgie. Une tumorectomie parce que c'était petit. On m'a demandé si on voulait retirer le sein. On m'a demandé si je voulais une enquête génétique. Et en pratique, je n'ai pas voulu d'enquête génétique. Je n'ai pas voulu qu'on retire le sein. Alors tout choix a des conséquences. Même quand on est médecin. Malade, moi je vous ai dit, je suis médecin spécialiste anesthésiste, je n'ai aucune compétence en cancérologie.

  • Speaker #1

    Bien sûr.

  • Speaker #0

    Et donc en pratique, dans le choix de la thérapeutique, j'ai fait confiance aux médecins. L'oncologue m'a dit, on va vieillir ensemble, donc je lui ai dit banco.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et effectivement, il a pris sa retraite avant moi, mais on s'est accompagnés, je dirais, mutuellement. Il y a quand même une séquence. Pendant les premières années, on se voit tous les trois mois, puis tous les six mois, puis tous les ans. Donc, j'ai eu de la chimiothérapie. J'avais des cheveux, j'avais un carré, j'étais à peu près coiffée comme ça. Je suis allée chez le coiffeur faire couper les cheveux, ce qui est recommandé avant les cures de chimiothérapie. Et j'ai eu cette chance extraordinaire de ne pas perdre mes cheveux. J'avais une coupe très courte, un peu pixie comme on pourrait dire. Une coupe très courte. bien maquillée, coiffée, sympathiquement, bien habillée. J'étais en master d'éthique appliquée à la santé et aux soins pendant ma deuxième année. Donc, j'étais en deuxième année pendant mes soins. Mon challenge a été de ne pas montrer à mes collègues étudiants que j'étais souffrante.

  • Speaker #1

    Tu l'avais déjà avant, cette idée ou ce principe de ne pas montrer qu'on est souffrant ? Ou c'est arrivé lors de la... déclaration de cette maladie ?

  • Speaker #0

    Avant le cancer, en 2003, je n'ai jamais été malade. Mais en pratique, je pense que c'est peut-être mon expérience de médecin ou de fille de patiente. en l'occurrence ma mère, qui avait déjà été souffrante.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Alors, est-ce que j'avais un modèle de dame assez résiliente qui, malgré tous les soucis de la vie qu'elle a eus, parce qu'elle, effectivement, avait déjà eu un cancer du sein qui avait également atteint les deux seins, elle a 95 ans actuellement, vous diriez, c'est un petit mannequin, elle est pomponnée, maquillée. Donc, je pense que c'est un modèle, si vous voulez, qui me convenait bien. Il n'y a rien de pire quand vous êtes malade que le regard. plaintif. Ça vous met mal à l'aise. Je pense que ce n'est pas aidant du tout. Quelqu'un qui vous plaint, vous embarque dans la maladie. Et puis, vous ne voulez pas décevoir, donc vous en rajoutez une couche. Si je ne vais pas bien, je peux aller encore plus mal. Ça n'a aucun sens à mon goût. Si on a la chance de supporter les traitements, ce n'est pas un temps facile, c'est un temps d'angoisse, mais c'est aussi un temps... temps où on peut prendre soin de soi, il faut en trouver un bénéfice. Alors, je ne dirais pas un bénéfice secondaire, mais il faut se donner des buts dans la vie. On n'a jamais vu que j'étais souffrante. À l'époque, dans le bouquin, je raconte que je suis sortie de l'hôpital après l'intervention. Vous êtes docteur, vous pouvez sortir avec votre redon sympathique. Vous devez noter la quantité que le redon donne. Vous pouvez faire les petits pansements. Pendant 15 jours.

  • Speaker #1

    Tu peux rappeler ce que c'est pour les gens qui nous écoutent ? Un redon ? Oui.

  • Speaker #0

    Un redon est un dispositif de drainage. Quand vous êtes opéré du sein, il y a un écoulement de lymphe qui peut stagner dans le sein. Et donc, il faut un dispositif, un petit tuyau.

  • Speaker #1

    Un tuyau, c'est ça.

  • Speaker #0

    Qui est à une bouteille qui recueille la lymphe. Et tant que la lymphe coule, vous gardez votre bouteille reliée au sein. Et l'idée, c'est quand même d'aller vous promener. Et pour cacher la bouteille, à l'époque, j'avais trouvé des jupes qui avaient des grandes poches latérales, on parlerait de poches cargo actuellement. Donc je me baladais, j'avais acheté une noire et une beige. Et le redon, donc la bouteille, allait dans la poche. Toujours avec l'idée qu'on ne montre pas, qu'on se balade. Enfin, c'est quand même pas très... sympathique de montrer une bouteille de recueil. Donc, ni vu ni connu, la bouteille dans la poche et vous allez vous promener.

  • Speaker #1

    Tu nous as dit que tu en as parlé à ton époux ?

  • Speaker #0

    Oui, qui a été mon premier supporteur et avec une très belle attitude qui a été de ne pas me couver. Mon mari est professeur d'éthique médicale. Il a beaucoup réfléchi sur la présence, la juste présence, la bonne distance. Donc moi, je n'étais pas sa patiente, j'étais sa femme, mais il ne m'a pas couvé. Il était présent, mais lointain en même temps. C'est-à-dire que son activité professionnelle n'a pas été modifiée. Simplement, j'ai été soignée à Saint-Louis, ses bureaux étaient à Saint-Louis, et j'allais me réfugier dans son bureau après les traitements. Mais je ne lui ai jamais demandé, par exemple, qu'il soit présent. lors de mes séances de chimiothérapie. Je n'y ai jamais vu d'intérêt. Je trouve qu'il faut aussi préserver son trait proche d'une illusion de protection. C'est-à-dire que ne pas lui montrer qu'on est triste, qu'on a peur, mais il n'est pas idiot. On est un peu comme deux éponges, si vous voulez. On est assez fusionnel. Le jour où votre mari vous dit... Si ça ne va pas, moi, je me suicide. Je peux vous dire qu'il vous rend responsable de votre vie.

  • Speaker #1

    Ton mari t'a dit ça ?

  • Speaker #0

    Ah oui, il m'a dit que si je mourais, il ne survivrait pas.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Mais jusqu'à maintenant, on a quand même un âge certain, mais on va s'appeler deux, trois fois. Enfin bon, il y a une grande responsabilité de l'un envers l'autre. J'ai été au... opéré en début d'après-midi et je suis rentrée à l'hôpital le matin de la chirurgie. Et comme l'espace éthique était... Moi, j'avais que la cour de Saint-Louis à traverser. Je me suis dit, plutôt que d'attendre dans ma chambre, je vais aller lui faire coucou. Je l'ai trouvée en pleurs. Donc, je suis repartie immédiatement. Vous voyez, c'est compliqué parce que vous voulez protéger. C'est pour ça que j'ai attendu ma mère qui avait été souffrante, qui a perdu mon... père qu'elle adorait, qui n'avait plus trop de famille, qui avait déjà eu un cancer du sein, je me suis dit, il me faut une stratégie d'épargne que j'appelle épargne émotionnelle pour annoncer À ma mère et ma sœur, que j'étais souffrante, on a attendu le week-end du 1er mai à la campagne où on a dit on a quelque chose à vous dire

  • Speaker #1

    Comment ça s'est passé suite à cette annonce faite à tes proches ? Ça a changé des choses en toi ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

  • Speaker #0

    L'annonce à mes proches, notamment à ma mère et à ma sœur, a été un peu décalée. Une fois que je connaissais l'amplitude du traitement proposé, j'étais plus factuelle. Et ça me permettait de répondre à leurs questions. Ce qui est compliqué quand on appréhende l'annonce vis-à-vis de ces très proches qu'on aime, c'est l'angoisse que ça génère. Maman s'est sentie responsable, puisqu'elle avait déjà été souffrante plusieurs années auparavant, et elle avait peur de m'avoir transmis la maladie. Deuxièmement, ça a occasionné chez ma sœur et ma mère ce regard un peu compassionnel, plaintif, dont j'ai horreur. Donc la conséquence de tout ça est de dire à maman, qui venant me voir les premières fois un peu, je dirais larmoyante, avec son côté bonne maman, de me permettre de lui dire, je vais te faire un deal, si tu viens me voir et que tu larmoies, c'est pas la peine de venir me voir. Tu viens me voir, on va faire les magasins, on va se promener, moi je te souris et tu me souris, mais j'ai pas envie de te faire pleurer. Donc, si un jour tu es triste, ne viens pas me voir. Donc, ça a été, je pense, la conséquence. Du côté de mes beaux-parents, ils sont moins affectifs. Et donc, je leur ai annoncé assez simplement. Et mon beau-père a eu une très jolie réaction. Il a dit, ça aurait dû m'arriver à moi, parce que je suis un vieux con et ça aurait pu être pour moi. Donc, chacun réagit avec sa sensibilité. Et quand j'ai eu mon deuxième cancer en 2010, faute de l'expérience de ma mère, dont je n'aimais pas le côté trop bonne maman, je lui ai caché. Elle m'en a beaucoup voulu, mais comme il n'y avait pas un énorme retentissement, là, je n'avais pas de chimio, j'ai juste eu la chirurgie et les rayons, j'ai pu lui cacher. Et je ne lui ai rien dit. Elle l'a su beaucoup plus tard.

  • Speaker #1

    Et elle t'en a voulu ?

  • Speaker #0

    Elle n'était pas contente. Mais je pense que je l'ai protégée de nouveau. Le but était ça, la protéger de nouveau de souffrance. Elle a eu quand même... C'est l'idée que j'en avais. Avec un parcours de vie, à mon avis, très compliqué. Et je n'avais pas du tout envie de lui infliger de nouveau un peu de tristesse.

  • Speaker #1

    Oui, donc tu penses... Tout ça, ça reste personnel, en fait. C'est-à-dire les injonctions qu'on peut être amené à dire à certaines personnes. Il faut que tu en parles autour de toi, absolument, parce que tu vas te faire aider, parce que tu ne peux pas rester seul avec ça. Tu penses que c'est idiot, ça ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas idiot, mais on est toujours dans le cadre du sur-mesure. Il n'y a pas de règles, il n'y a pas de conseils. Chacun fait comme il peut. Et du temps de mes traitements, moi, je n'ai jamais vu personne et j'étais très bien. J'étais très bien avec mon mari.

  • Speaker #1

    Du sur-mesure.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Donc en fait, si je comprends bien, il y a plusieurs choses que tu exprimes. La première chose, c'est que tu ne veux pas que ça se voit parce que tu ne voulais pas qu'on te voit comme une malade, finalement, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Oui, et puis je pense que ça fait partie de la thérapeutique. D'accord. C'est-à-dire que ne pas se laisser aller, avoir une espèce, j'appellerais ça peut-être une force de vie. Il y a la maladie. Dans la graduation des cancers, je peux dire qu'effectivement, il était teigneux, donc il a généré beaucoup d'angoisse. Mais dans le quotidien, je n'ai pas eu de handicap particulier. J'ai été opéré, je n'ai pas perdu mes cheveux, je n'ai pas porté de perruque, j'ai supporté la chimiothérapie.

  • Speaker #1

    Oui, j'allais y venir, parce que ça, c'est quelque chose qu'on entend assez souvent. Et c'est le traitement qui peut vous éreinter, en fait, à un moment donné.

  • Speaker #0

    Là, on parle de fatigue. Effectivement, on est fatigué. J'ai eu six mois de chimiothérapie. Je n'étais plus en capacité de marcher 100 mètres à la fin de la dernière séance. Mais par contre, la vie, elle continue. Je n'ai pas eu de nausée. Il y a eu une expérience amusante à Saint-Louis. Il faisait une enquête. Et donc, j'ai accueilli une psychologue à la troisième cure de chimio. qui voulait faire une enquête sur la relation entre la famille et la tolérance de la chimiothérapie. Donc, elle m'a interviewée sur mes grands-parents. Grands-parents déportés. assez peu joyeux comme évocation, je n'ai jamais autant vomi cette fois-là.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et le médecin a interdit à la psychologue de revenir m'interviewer. Je n'ai plus jamais vomi.

  • Speaker #1

    Ce que tu évoques un peu, c'est quoi ? Une sorte de contagiosité émotionnelle, en fait ? C'est-à-dire que tu n'as pas besoin de ça à ce moment-là, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Je pense que je n'ai pas besoin et je pense que je suis intellectuellement, sentimentalement juive, non religieuse. Je suis issue d'un monde juif d'Europe de l'Est et qu'il y a beaucoup de choses qui se remontaient. Et quand j'ai relaté mon expérience lors de la présentation de mon mémoire de master, ça a interpellé mes collègues étudiants. J'ai présenté mes séances de radiothérapie, alors c'est eux qui m'ont dit ça. On m'a dit donc pour irradier le sein, il faut être torse nu, mais personne ne m'a proposé une blouse. Et donc, je me rendais vers l'appareil d'irradiation torse nu. Et j'ai relaté ça de telle façon, ils m'ont dit, mais tu te rends compte comment tu décris les choses ? Tu allais à ta séance d'irradiation comme, enfin, c'est un peu compliqué de vous redire ça, mais comme les déportés allaient à la chambre. Ça a été très curieux et ça a été ressenti. Ce n'est pas ce que je voulais dire. Moi, je voulais juste parler de la honte. que j'ai eu pendant un mois de me balader torse nu du vestiaire à la chambre d'irradiation.

  • Speaker #1

    Ça, c'était quelque chose qui faisait partie de la procédure pour tout le monde ?

  • Speaker #0

    D'être torse nu ? Oui. Alors, à la fin du mois, on m'a demandé comment je me sentais. Je les ai remerciés. J'avais amené des petits gâteaux, des trucs pour remercier l'équipe. Et on m'a dit, comment avez-vous trouvé ? Si on peut dire comment avez-vous... Je leur ai dit, écoutez, vous êtes charmants, mais les prochaines fois, proposez quand même une tenue parce que j'ai eu honte pendant un mois. Je suis un peu pudique, certes, mais... On fait très attention quand on endort quelqu'un de ne pas endormir la personne à poil, je dirais. On colle les électrodes et après on recouvre la personne. Enfin bref, et là je leur ai dit, j'ai eu honte et je n'ai pas osé vous le dire. Il y a un côté vulnérabilité. La personne malade, elle est vulnérable. Alors on parlera peut-être de l'autonomie de la personne malade. Moi, je trouve que c'est un grand leurre. Déjà, vous êtes malade, vous n'êtes pas autonome. Vous dépendez des autres. Si vous étiez autonome, vous ne seriez pas malade. Enfin bon, comme en 2010, j'ai été de nouveau malade et que j'ai encore bénéficié de radiothérapie, j'ai pu voir que là, on proposait une petite blouse. Et donc, j'étais assez contente en me disant peut-être que j'étais un petit maillon qui a fait réfléchir les gens sur leur pratique.

  • Speaker #1

    À propos de ce statut de médecin, tu l'as quitté. T'as quitté à un moment ce statut de médecin ? T'as senti que justement, t'étais devenue tellement vulnérable que t'étais passée de l'autre côté ? Ou tu gardais un petit peu encore cette position en rapport avec ton savoir ? T'en as eu l'impression d'une perte de maîtrise ? Comment ça s'est passé ?

  • Speaker #0

    Non, j'ai plus d'humilité que ça. C'est-à-dire que le médecin malade est devenu une malade médecin. Et le médecin, je n'existais plus. Ça m'a permis de voir qu'être médecin, c'est pas facile. Qu'être malade, c'est pas facile. et que globalement, il faut qu'il y ait une réciprocité dans la confiance. Il faut qu'il y ait une mutualité des savoirs. Dans notre exercice quotidien, le médecin qui joue au médecin, c'est très désagréable de le soigner. Moi, je n'aime pas m'occuper des médecins qui font savoir, qu'ils ont un savoir. Je pense qu'on est d'autant mieux soigné qu'on n'étale pas. En plus, moi, je suis médecin anesthésique, je ne suis pas cancérologue. Soigner, c'est difficile parce qu'il faut engager la relation. confiance. Moi, on m'a raté mes veines pendant les séances de chimiothérapie. Je sais que c'est difficile quand les veines sont petites. C'est difficile. Je chauffais un peu la veine pour aider l'infirmière. Après, je pense qu'il faut être tolérant. Il faut respecter le travail. Et je ne suis pas... On m'a trouvé gentille. C'est-à-dire que vous voulez me piquer, vous me piquez, il faut ça. il faut refaire une prise de sang, vous faites une prise de sang. Je ne me suis mêlée de rien et je ne voulais pas me mêler ou de la thérapeutique ou des soins en me disant que moins on s'en mêle et mieux on se porte. Mais je ne pense pas que ça ait modifié après mon exercice professionnel.

  • Speaker #1

    On a l'impression que tu étais finalement déjà sensibilisée à ça, à ces notions, avant d'être malade. Ou est-ce que ça a augmenté encore plus ta sensibilité et est-ce que tu as fait plus attention encore ? après ça ?

  • Speaker #0

    La sensibilité, elle est, lors de ma reprise, j'ai repris en réanimation et j'étais hypersensible. Il m'est arrivé de pleurer avec une famille à qui j'annonçais que le patient était ou allait passer en état de mort cérébrale. Mais la famille s'est mieux tenue que moi. Et ça les a touchés. Ils ont vu un médecin qui montrait sa sensibilité, je dirais sa fragilité. Moi, j'en ai quand même un peu eu honte parce qu'à ce moment-là, je n'avais pas à montrer ma sensibilité. qu'il doit y avoir effectivement ce retrait et cette bonne distance. Donc cette sensibilité exacerbée s'est estompée quand même au fur et à mesure de ma reprise professionnelle. Mais j'aime bien les gens et je pense que si vous voulez, ce n'est pas un hasard d'être médecin anesthésiste avec cette composante humaine où on se dit qu'il n'y a pas que le technique dans l'exercice de mon métier. Il y a des gens qui m'ont demandé si je n'étais pas plus humaine et tout compte fait. Être malade quand on est médecin, c'est plutôt sympathique parce que ça vous apprend ce que c'est à être malade et que ça vous rend meilleur. Je pense que l'expérience de la maladie, elle n'est pas obligatoire. On s'en passerait bien. Ce que j'ai retenu de ça, c'est l'expérience de la douleur, par contre. C'est-à-dire que quand j'ai eu la curie-thérapie, qui est une irradiation localisée du sein, mais à travers des aiguilles à tricoter creuses, j'ai... peut-être ressenti la douleur la plus horrible parce que l'anesthésie était un peu ratée. Donc j'appelle ça le planté d'aiguilles un peu accrus. Une fois qu'on vous les met, on vous les enlève. Mais là, encore sans anesthésie, on m'a embroché un muscle. Parce que la tumeur était très haute dans le creux. Enfin bref, on va dire que ça a été un peu raté. Donc là, j'ai vraiment eu très mal. Et comme ils m'ont embroché, ça veut dire que le bras n'a pas pu bouger pendant 4-5 heures, pendant les deux séances d'irradiation. J'ai été délivrée de la douleur quand ils ont retiré les aiguilles à tricoter. Donc ça, vraiment, sur les échelles de cotation, je pouvais avoir 10. Et puis, je suis retombée à zéro quand on m'a enlevé les aiguilles à tricoter. Ça tombait bien, j'avais fait une capacité douleur trois ans avant. Donc, j'étais dans l'évaluation de la douleur un peu subjective. Là, de façon objective, j'ai compris ce que c'est d'avoir mal.

  • Speaker #1

    Est-ce que toi, tu peux... Je pense que le sujet de la maladie, dans le domaine médical, quand un médecin ou un soignant est malade, est-ce qu'il y a un tabou ? Est-ce que tu as ressenti une gêne de la part de certains collègues ou tu avais l'impression qu'il n'y avait pas de tabou, justement ?

  • Speaker #0

    Il y a peut-être une gêne ou tabou quand on est considéré comme un médecin que l'on soigne. Mais plus vous vous faites entre guillemets petit et humble et sans étaler votre côté professionnel... Je reviens à ce que je disais, soigner n'est pas facile, donc il faut mettre les gens à l'aise. Et si vous dites, vous savez, je suis médecin, je pense que ça éloigne le professionnel. Moi, je suis dans la relation de conscience. Celui qui sait, à un moment donné, c'est le professionnel. Moi, je connais l'anesthésie, mais je ne connais pas la radiothérapie, je ne connais pas la chimiothérapie et je laisse les gens travailler. Je pense que c'est très, très important. important.

  • Speaker #1

    Ça, c'est important parce que je ne sais pas si en tant que médecin, on partage tout ça, en fait. Alors moi, je te donne juste mon avis, c'est un peu personnel, mais en gros, il y a peut-être une personnalité, j'ai tendance quand même à aller vérifier dans certains domaines, en fait. Et donc toi, à priori, tu étais peut-être en très bonne main et tu avais tout de suite cette relation de confiance. Ça ne t'est jamais arrivé d'aller vérifier des informations, d'aller rechercher un peu plus loin quand même, pour savoir si tout était OK, tout était bon ?

  • Speaker #0

    Je ne connais rien en cancéro. Qu'est-ce que je vais aller vérifier ? Ma seule capacité, c'est de pouvoir lire les bilans sanguins. Donc effectivement, j'ai lu mes bilans sanguins. Je sais analyser un bilan sanguin. Par contre, à l'époque, quand vous avez le laboratoire qui prélève avec une grosse aiguille, en piquant directement dans la veine et sans utiliser un petit dispositif à ailette un peu plus petit, vous ne dites rien. Donc j'ai assumé. Les pseudo-mauvaise pratique de certains, je reste confiante. Là, j'ai été opérée récemment, ça fait un mois et demi, d'une prothèse de hanche. Alors, j'ai choisi le lieu sur les conseils de mon chef de service, le chirurgien sur les conseils de mon chef de service. En anesthésie, j'ai été endormie par quelqu'un que je connaissais, puisque c'est la même équipe. Et puis après, vous faites confiance.

  • Speaker #1

    Et tu as ce même comportement vis-à-vis de tes proches ?

  • Speaker #0

    Par exemple, si tu dois confier à un proche pour un problème de santé particulier, tu fais confiance, tu ne vas pas vérifier.

  • Speaker #1

    Ma très proche actuelle qui a des soucis de santé, elle a 95 ans. Elle est toute mignonne, mais elle n'est pas en capacité de tout saisir. Alors, elle a compris que sa fille était le meilleur médecin par rapport au médecin généralisant. Sa fille, elle est un peu obligée de colliger les infos. Mais je pense que toute ma vie, je lui dirais que je ne suis pas son médecin.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Mais elle, elle est contente, elle a une fille docteur.

  • Speaker #0

    J'aimerais bien revenir sur ton livre qui s'appelle Le temps d'un cancer, chronique d'un médecin malade Comment t'es venue l'idée de réaliser ce projet ?

  • Speaker #1

    L'idée n'est pas la mienne, l'idée c'est mon double Emmanuel Hirsch, qui voyant quand même de temps en temps mon désarroi, m'a donné un carnet, un petit stylo, et m'a dit Écris Sylvie, écris Donc j'ai relaté mes impressions tout au cours des traitements. Et puis, effectivement, j'étais en master d'éthique appliquée à la santé et aux soins en deuxième année. Et on doit rédiger un mémoire. Et du coup, je me suis dit que mon sujet de mémoire allait être le parcours d'un médecin qui traverse la maladie grave. Et j'ai eu une bonne note. J'étais une étudiante, j'ai eu 16. Le prof de philo m'a dit que c'était très bien. Et Emmanuel m'a dit si tu veux, on le publie parce que ça peut peut-être aider d'autres personnes à se situer dans la maladie Donc, ce n'était pas uniquement une histoire, mais c'était une réflexion sur les différents temps de la maladie. Et effectivement, il y a un chapitre sur le paraître, l'importance du paraître, c'est quoi les différents temps de la maladie. avec le temps de l'annonce, l'après. Qu'est-ce qu'on fait de l'après, après avoir eu cette expérience de la maladie ? Alors, cet après, on en sort enrichi d'une expérience. Peut-être que vous me parlerez des patients experts, qui sont des patients avec un savoir actuel universitaire. Il y a une université qui délivre des diplômes. Moi, c'est quelque chose que... Je ne trouve pas très adapté parce que je trouve que ça nuit à la relation de confiance. Je pense que quand on est patient, on n'est expert que de soi-même et de son savoir. Je pense qu'il n'y a pas d'universalité. On a été malade, on sait ce qu'on a vécu. Si on reprend l'expérience des médecins, déjà les médecins ne savent pas tout et ils n'ont pas de savoir universel. Donc j'ai beaucoup de mal à appréhender cette notion de patient expert. peuvent à la fois traduire ce que le médecin n'a pas voulu dire ou n'a pas pu dire à un patient. Donc moi, je suis un peu ringarde là-dessus. Je trouve qu'il y a beaucoup de métiers, je qualifie un métier coucou. C'est un métier qui veut aider le médecin, mais qui le dénigre beaucoup.

  • Speaker #0

    Métier quoi ?

  • Speaker #1

    Coucou ?

  • Speaker #0

    Pourquoi coucou ?

  • Speaker #1

    Parce que le coucou, il vit sur le dos des autres.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Je n'aime pas cette idée de... personnes ayant un savoir qui vont traduire ce que dit le médecin. J'ai quand même une assez haute opinion du métier de médecin et pensais que le médecin ne sait pas parler aux patients, le médecin utilise des mots importants et forte de l'expérience de la maladie et de mon côté médical, j'avais été sollicité pour faire des cours aux infirmières d'annonce. Les infirmières d'annonce qui se doivent de traduire ce que le médecin a dit mais que la personne n'a pas compris. Je trouve ça assez désagréable, parce que je dirais que le bon docteur, le médecin qui a l'humanité suffisante, devrait s'assurer que le patient a compris. On n'a pas besoin de traducteur. Donc ce que j'avais tenté d'expliquer aux infirmières d'annonce, c'est qu'elles n'avaient rien à annoncer. En médecine, on se doit d'annoncer toutes les complications inhérentes à un geste. Je leur avais dit qu'en anesthésie, je n'annonçais rien, mais que le patient signait le consentement. Donc tout est sur cette relation de confiance. Si je commence à expliquer qu'en intubant, je casse des dents, on se retrouve avec des nodules sur les cordes vocales, avec une fréquence rarissime, mais certes, c'est important, ça n'a aucun sens. De la même façon, l'infirmière d'annonce, si elle dit que la chimiothérapie fait vomir, entraîne des mucites, les pertes d'ongles, ce n'est pas ça qu'on attend. pas dans l'énumération, mais je dirais qu'on doit être dans la bonne présence. J'existe, et si vous avez des questions, je vous réponds. Mais le catalogue de complications pour moi n'a pas lieu d'être. Je pense que quand on est malade, on veut juste avoir un petit coup de fil le lendemain de la chimio. Sylvie, vous allez bien, vous avez pris votre zofreine ? Ah non, je ne vomis pas. Sylvie, vous prenez le zofreine, c'est aussi un traitement préventif.

  • Speaker #0

    Oui, mais alors, sur ce que tu décris, notamment sur les fonctions du médecin et son devoir d'explication quand même, ou de communication, tu ne penses pas qu'il y a certains médecins qui justement parfois n'ont pas le temps ou pas le désir d'aller dans cette direction, et que c'est pour ça justement... qu'il y a d'autres corps de métier qui sont sollicités, notamment les patients experts, avec le retour classique qu'on peut avoir de la part de certains patients qui vont dire j'ai rien compris ou qu'est-ce que t'as ? Non, il m'a rien dit, je sais pas. Avec aussi les problèmes de littératie en santé, les gens qui ont du mal à comprendre certains documents médicaux ou des choses comme ça. Tu ne penses pas que quand même, de temps en temps, il y a un problème d'échange d'informations ? idéalement, certes, je suis d'accord avec toi, c'est-à-dire que normalement, ça devrait être inné ou acquis, mais qu'en plus, avec la tendance actuelle de carence en médecin, justement, il n'y a pas un défaut d'information de certains patients ?

  • Speaker #1

    Alors, on revient sur la notion du temps, du temps consacré aux soins. Je trouve qu'être médecin, on a fait quand même beaucoup d'années d'études. Il y a un serment d'Hippocrate. Actuellement, on est dans une phase transitoire. Quand j'ai fait mon pot de départ, mon chef a dit j'ai jamais trop compris pourquoi Sylvie mettait autant de temps sur une consultation d'anesthésie. Elle est tellement bavarde, j'ai enfin compris. Si on est uniquement technique, on va vite. Si on a envie de s'intéresser à la personne, on discute, on met un peu plus de temps. Si on a un patient à moule, on appelle l'interprète et ça prend un peu plus de temps. Je parle beaucoup avec les mains parce qu'on accueille des patients qui entendent mal. On accueille des patients avec des troubles cognitifs. Alors, on peut parler à la fille de la patiente, et ça va très vite. Et vous assumez aussi la réflexion un peu impatiente de la fille, qui vous dit que ce n'est pas la peine de lui parler, elle ne comprend rien. Alors, être médecin, c'est peut-être aussi faire de la résistance et dire, ben non, moi je parle aux patients. Et avec l'idée que tout patient est en capacité de comprendre. Et comprendre. Quelque chose de petit, de grand. En pratique, le patient est une personne, donc on lui parle et on ne parle pas à l'accompagnant. Et il y a quand même des choses gratifiantes dans cet exercice. C'est quand la femme d'un patient parkinsonien vous dit je vous remercie, vous lui avez parlé Vous voyez, ça c'est les petits plaisirs de la consultation. Vous accueillez un enfant handicapé, vous lui parlez. Et l'enfant, à un moment, j'ai cru qu'il pleure, il pleure. Je dis, mais il pleure. Et la maman dit, non, il est content. Comment vous voulez raconter ça si vous ne prenez pas le temps ?

  • Speaker #0

    Alors le temps, oui. Le temps, c'est hyper important, justement, pour la prise en charge. Qu'est-ce que tu penses, toi ? C'est quoi ton avis sur le temps d'une consultation, par exemple, en médecine générale ? Tu sais, le temps de consultation, c'est une quinzaine de minutes, à peu près. Au Royaume-Uni, c'est dix minutes.

  • Speaker #1

    Le problème, c'est le rapport à l'argent. L'argent fausse tout. Le médecin a besoin de gagner sa vie. Moi, mon idéal, c'était d'être salarié. Il n'y avait pas de relation à l'argent, donc pas de relation au temps. Effectivement, à la Fondation Rothschild, on a deux ordinateurs en consultation. Il y a l'ordinateur de consultation et l'ordinateur où il y a le logiciel avec les rendez-vous. Et donc, on avait un rendez-vous toutes les 20 ou 30 minutes. mais là-dessus viennent se greffer les urgences. Donc globalement, vous avez un quart d'heure. Et puis vous avez l'horloge qui défile, où vous avez le temps consacré au patient qui est en face de vous. Globalement, moi j'en reviens à mon mot résistance, qui implique un retard certain, et qui implique après une explication vis-à-vis du patient qui attend. Et là, effectivement, vous avez des patients qui râlent, docteur, vous êtes en retard. Alors vous avez deux façons de faire. Je vais rattraper le temps perdu avec vous, je vais passer cinq minutes et on va aller très vite, si c'est ça qui est important, ou alors je prends le temps comme je l'ai fait avec le patient d'avant. C'est vous qui choisissez. Globalement, les patients comprennent. On n'est pas sortis du bureau, on n'est pas allés faire nos courses. Et puis, vous avez des patients qui râlent. Vous vous rendez compte, il y a beaucoup de monde. Vous savez, l'intérêt, c'est qu'on passe le temps qu'il faut. Je me permettrais juste de vous rappeler que c'est gratuit. C'est un peu sordide de dire ça, mais on a la chance en France de soigner gratuitement les patients. Et de temps en temps, les gens l'oublient. On est des espèces de prestataires de services. Moi, un jour, une patiente à 8h, je suis arrivée, j'avais besoin de monter en réa pour voir un patient. Je suis arrivée en consultation à 8h10. Elle a regardé sa montre, elle m'a dit Docteur, vous êtes en retard Je lui ai dit Sans me démonter, vous allez refaire votre entrée. Vous me dites bonjour et je ne veux pas de reproche J'étais toute seule ce jour-là en consultation. Je lui ai dit Vous avez de la chance, je vous accueille. Autrement, je refusais de vous recevoir Vous voyez, donc c'est compliqué d'être médecin. La médecine générale, avec une consultation de 10 minutes, c'est comme la téléconsultation. Il faut parler, il faut écouter le cœur, il faut regarder la personne. Avec l'expérience, les patients chez nous attendent dans un couloir. Donc ils se lèvent, ils déambulent et ils rentrent. Moi, je vais accueillir, je n'attends pas à mon bureau. J'aime bien ouvrir la porte. Et le patient s'accueille et je dis bienvenue Ça fait rigoler et j'ai vu comment le patient marche. Et je ne sais pas si avec votre expérience, vous voyez déjà que le patient, il est déprimé ou a été déprimé. C'est assez horrible à dire, mais avec l'expérience, vous êtes en capacité de voir ce que le patient ne peut dire. Vous n'avez jamais eu d'épisode de dépression ? Il y a 20 ans, sur des infimes signes. Je ne suis pas en capacité de vous dire comment. S'il fallait que j'écrive un livre, je ne sais pas vous l'écrire. C'est du ressenti et c'est ça le métier de médecin. C'est un savoir, un ressenti, une humanité.

  • Speaker #0

    Je veux revenir un peu sur le livre. Est-ce que tu peux me parler d'éventuels impacts de ton livre ?

  • Speaker #1

    C'est un livre qui semble être un classique. Parce que mon mari me dit, ah tiens, j'ai rencontré un tel qui a lu ton livre. Je crois qu'au départ, il y a eu 1500... Il a sa petite vie, mais ça n'a rien à voir avec un best-seller. Simplement, ça m'a... permis de discuter. J'avais accueilli en neuroradiologie un médecin cancérologue, étant assez bavarde lors des visites pré-op, on en avait discuté, et j'avais relaté mon expérience de refus du porte-à-quatre. Elle m'a dit, ça c'est amusant, parce que ça ne m'est jamais venu à l'idée. Je propose toujours le porte-à-quatre et c'est toujours accepté. Et donc elle me dit, c'est une idée, on n'est pas obligé d'accepter le porte-à-quatre.

  • Speaker #0

    Donc ça a pu changer les mentalités ou certains automatismes qui existent dans le corps médical ?

  • Speaker #1

    Non, le but n'était pas celui-là. C'était vraiment relater une expérience individuelle. Cette expérience, elle a été critiquée sur les réseaux sociaux à l'époque.

  • Speaker #0

    Ah oui ?

  • Speaker #1

    C'est le parcours d'une médecin riche et mariée. Elle a beaucoup de chance, elle est malade, mais elle a un mari et elle a des sous. J'ai tenté de faire comprendre que face à la maladie, on est quand même très solitaire. Dans le bouquin, j'avais utilisé le mot doublure On n'est pas au théâtre, il n'y a pas de doublure, personne ne peut prendre votre place. Effectivement, mon mari ne m'a pas abandonnée. On a des métiers où, effectivement, la Fondation Rothschild étant bien assurée, ils ont conservé mon salaire. Je n'ai pas été mise à la rue. on va dire de façon matérielle. Humainement, mon mari a été extraordinaire. Il fait la postface du livre. J'ai une amie qui m'a dit c'est un hymne à l'amour. Enfin, je ne vais pas en dire plus, mais c'est l'expérience de l'aidant principal qui est mon mari qui dit qu'il a cheminé avec moi durant cette expérience.

  • Speaker #0

    Donc ton mari qui est aussi, bien entendu, très engagé dans l'éthique, qui est professeur aussi ?

  • Speaker #1

    Il n'est pas médecin, il est philosophe, professeur d'éthique médicale, alors maintenant émérite à la faculté de Saclay et ses autres titres actuellement. Il en est heureux, il est membre de l'académie de médecine et membre de l'académie de chirurgie. Donc c'est un homme qui pense.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut dire que toi, tu es engagée à ce sujet concernant l'éthique ?

  • Speaker #1

    Je dirais oui. Alors, je ne suis pas engagée uniquement intellectuellement, j'ai un engagement concret. Je suis bénévole à l'Institut Raphaël.

  • Speaker #0

    D'accord. En quoi ça consiste ?

  • Speaker #1

    L'Institut Raphaël est une structure dédiée aux personnes en cours de traitement ou qui ont fini leur traitement de cancérologie. C'est une structure d'accueil gratuite, qui est une structure de médecine intégrative, où les patients sont accueillis pour des soins qui accompagnent les soins médicaux. On peut faire du yoga, de la gymnastique, de l'esthétique. Il y a plein d'activités. On peut faire du sport. Moi, j'anime un atelier bijoux.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    C'est un atelier collectif. On a l'habitude d'aller à Venise l'été et je ramène des perles de Murano. On a une amie qui est créatrice de perles. Et donc, avec Emmanuel, on choisit les perles une par une. Je passe les après-midi entiers dans le magasin de notre amie à choisir les perles. Et donc, on veut faire du beau. C'est du beau collectif. J'anime cet atelier avec des bénévoles. On accueille des bénévoles qui sont également des patientes qui ont fini leurs soins. Et on accueille des patientes en cours de soins ou qui ont fini leurs soins. Et on crée des colliers, des bracelets, des boucles d'oreilles que l'on remet après sous forme de dons lors des fêtes de l'Institut Raphaël. Alors, ce n'est pas loin de l'art-thérapie. Ce sont des ateliers collectifs où une patiente m'a envoyé un petit mot. Elle m'a mis Sylvie. Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu autant de joie et de rire. Donc, ça, c'est une forme d'engagement. On ne parle pas maladie. On est concentré sur nos perles à écraser, nos fermoirs. Est-ce que je prends du doré, de l'argent et le fil câblé ? C'est un vrai atelier où on fait autre chose, on est concentré. Vous avez des femmes dont il y a un retentissement de la chimiothérapie sur le tact. Les bras sont enflés, le toucher est différent. Donc on fait des bracelets avec des nœuds coulissants pour qu'ils aillent à tout le monde. On a des fermoirs magnétiques, quand on a un tact un peu atteint et des troubles de sensibilité. Les fermoirs magnétiques permettent de fermer le collier sans problème. Donc c'est des vrais moments de partage et créer du beau. Je crois que c'est très important, ça donne de la joie. Je pense qu'il ne faut pas enfermer la maladie dans la misère. C'est pour ça que j'aime bien le luxe. Je trouve que le luxe a cette vertu de faire rêver. On n'est pas obligé d'être riche pour côtoyer le luxe. Le luxe se regarde. Moi, j'adore passer devant les vitrines, regarder comment est faite une robe d'un grand couturier. Je trouve ça magnifique. Là, on voit une marque italienne fait des bobs en raffia. J'ai acheté du raffia, j'ai fait mon bob au crochet. J'ai été voir chez eux comment ils faisaient les finitions. Et lors de cet atelier, on partage un savoir. C'est pour ça qu'un atelier collectif permet un échange et on finit l'atelier au café d'en face. Donc, ce qui est assez sympathique.

  • Speaker #0

    Tu as l'impression que cette approche intégrative, elle se multiplie, que c'est de mieux en mieux ?

  • Speaker #1

    Alors, elle se diffuse. Le Centre Raphaël, je pense que c'est un des premiers à avoir initié le Centre Raphaël à cinq ans. C'est un des premiers à avoir initié cette médecine intégrative qui se diffuse à la fois, quand on voit le LinkedIn de l'Institut Raphaël, il diffuse en Italie, en Afrique, au Liban, et puis un peu partout en France également. Je pense que les gens ont compris que le côté médical est important, mais que vous avez besoin d'un accompagnement. C'est basé sur un choix. Moi, lors de mes traitements, je n'ai jamais rencontré de psychologue. J'ai réalisé les bijoux à la maison, c'est comme ça que j'ai découvert. Il y avait un petit magasin, il y avait une mercerie, où pendant que j'avais du temps, j'ai appris à faire les bijoux. Je pense qu'il est important, parce qu'on parle beaucoup du burn-out, c'est-à-dire qu'à la fin des traitements, pendant les traitements, on a été tellement choyés, cocoonés, surveillés, que... brutalement, on n'a plus de traitement et on a une espèce de vacuité du temps. Qu'est-ce qu'on va faire de ce temps qui n'est plus occupé par des rendez-vous ? La médecine intégrative, elle donne de nouveau des rendez-vous et je pense qu'il est important d'atterrir. Mais tout ce que je vous ralate là, c'est l'expérience de quelqu'un qui, certes, a eu un cancer un petit teigneux, mais qui a la chance d'aller bien.

  • Speaker #0

    Quel conseil, toi, tu pourrais donner à des personnes qui traversent la même chose que toi ? Est-ce que toi, tu aurais des conseils à donner ?

  • Speaker #1

    Moi, je dirais de faire confiance et de faire comme on a envie. Moi, je ne donnerais pas de conseils. Je dirais, je suis présente. Si ce sont des amis, voilà, je suis là, tu as besoin de moi, je viens. Mais ne pas s'imposer, donner une liberté certaine à la personne. Je dirais de choisir son propre cheminement à travers la maladie. Il n'y a pas de clé. Je reste sur l'idée que toute personne est un individu. On est vraiment... sur un parcours de soins individuels. C'est un peu comme les glaces. On rajoute un peu de chocolat, un peu de pépites, on y met ce qu'on veut. Du moment que le cornet et la glace sont bonnes, après, il n'y a pas de modèle. Par contre, j'éviterais le comment ça va ? parce que le comment ça va ? vous renvoie toujours à la maladie. Moi, je suis plutôt dans la périphrase qu'est-ce que je peux faire pour toi ? ou quelles sont les nouvelles du jour ? Mais comment ça va ? vous allez dire oui, parce que si vous commencez à dire non... C'est un peu catastrophique. On est dans le négatif et il est important de rester dans la vie. Alors si avec la maladie cancer, malheureusement, on voit que la vie est un peu tendue, un peu délicate, il faut rester dans la vie quand même. Dans la religion juive, on dit qu'on n'enlève pas l'oreiller du malade parce que c'est déjà le tué. Donc pas d'anticipation. On est avec les gens à un moment donné. Je pense qu'il est très important de vivre le moment présent. Donc, des conseils, franchement, je n'en ai pas.

  • Speaker #0

    Sylvie, qu'est-ce qu'on peut te souhaiter pour la suite ?

  • Speaker #1

    De vous revoir.

  • Speaker #0

    Sylvie, merci mille fois pour ton témoignage. C'était très enrichissant. Et je te dis effectivement à bientôt. Je te souhaite une bonne journée.

  • Speaker #1

    Merci César et merci de l'accueil.

  • Speaker #0

    Allez, au revoir.

  • Speaker #1

    Au revoir.

  • Speaker #0

    Merci à toutes et à tous de nous avoir suivis. N'hésitez pas à partager cet épisode. J'espère que la parole de Sylvie vous a autant aidé que moi à comprendre cette situation parfois négligée. Je la remercie encore vivement de nous avoir confié son histoire. Pour compléter le témoignage de Sylvie, nous avons sollicité l'éclairage d'un expert. Découvrez notre échange sur l'éthique médicale la semaine prochaine. Si vous souhaitez aller plus loin, je vous recommande ces associations. l'Institut Raphaël, l'association Europa Dona, l'association AAPML, la Fédération des médecins de France. C'est déjà la fin de cette deuxième saison de patients. Merci de nous avoir suivis. Et un grand merci également à toutes celles et ceux qui ont partagé leurs expériences avec nous. N'hésitez pas à faire écouter leurs récits à vos proches et amis. Pour notre dernière parole d'expert... Rendez-vous la semaine prochaine. En attendant de vous retrouver, je vous souhaite le meilleur et prenez soin de vous.

Share

Embed

You may also like

Description

Qui prend soin des professionnels de santé ? Comment vivons-nous la maladie en tant que soignant ? Comment cette expérience influence-t-elle notre pratique médicale ? 

Médecin anesthésiste-réanimateur, Sylvie découvre dans l'hôpital où elle travaille qu'elle est atteinte d’un cancer du sein. Confrontée à l'indifférence, aux inerties et à différentes formes de mépris et d'ignorance, elle nous confie son histoire de l’autre côté de la barrière médicale.

Aujourd’hui dans « Patients » on va parler d’un sujet peu abordé et parfois négligé : le médecin qui fait face à la maladie.


Pour aller plus loin :


Vous pouvez vous procurer le livre de Sylvie : https://www.amazon.fr/temps-dun-cancer-Chroniques-m%C3%A9decin/dp/2749231914#:~:text=Sylvie%20Froucht%2DHirsch%20est%20m%C3%A9decin,directeur%20de%20l'Espace%20%C3%A9thique.   


Vous souffrez d’un cancer du sein et vous souhaitez en parler avec un médecin généraliste ou spécialiste ? 
Nos médecins sont à votre écoute.


*Ce podcast recueille des témoignages personnels qui peuvent heurter votre sensibilité. Nous vous rappelons que ces récits représentent le vécu de nos invités et ne sont pas nécessairement représentatifs de notre point de vue.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Ce podcast vous est proposé par la plateforme Livi.

  • Speaker #1

    Bonjour, je m'appelle César Ancel-Ancel. Je suis médecin généraliste et urgentiste. Bienvenue dans Patient, saison 2.

  • Speaker #0

    Sylvie,

  • Speaker #1

    quand la soignante devient patiente ? Je préserverai l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de ma mission. Je n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences, je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés. J'apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu'à leur famille dans l'adversité. Ces paroles font partie du serment que nous, médecins, avons tous prononcé lors de notre entrée dans la profession. À travers elle, nous nous engageons à consacrer chaque jour de notre vie à la santé et au bien-être des autres. Mais qui prend soin des professionnels de la santé ? Comment vivons-nous la maladie en tant que soignants ? Comment cette expérience influence-t-elle notre pratique médicale ? Aujourd'hui, nous avons le privilège d'accueillir Sylvie, qui partagera son expérience avec nous. Bonjour Sylvie.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Sylvie, est-ce qu'on peut se tutoyer ?

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #1

    Comment vas-tu ?

  • Speaker #0

    Je vais bien, merci.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux te présenter ?

  • Speaker #0

    Alors donc, je suis Sylvie. Vous m'avez sollicité pour venir en tant que médecin malade, effectivement en 2003. J'ai été confrontée au cancer du sein. Je suis également médecin anesthésiste récemment retraitée, accompagnée de mon délicieux mari Emmanuel. Ce cancer du sein a été annoncé par le chirurgien qui allait m'opérer comme un petit teigneux, petit par la taille, teigneux par l'agressivité médicale. Et donc en 2003, j'ai bénéficié de l'ensemble des traitements que l'on pouvait proposer. Pour traiter un cancer, j'ai été opérée, j'ai eu de la chimiothérapie, j'ai eu de la radiothérapie, j'ai eu de la curithérapie. Et je dis toujours qu'en 2010, le sein gauche a été jaloux. Donc, à l'occasion des mammographies annuelles de surveillance, en 2010, j'ai eu également le diagnostic et le traitement d'un cancer du sein à gauche.

  • Speaker #1

    Et le chirurgien qui t'a diagnostiqué initialement a qualifié cette lésion de petit teigneux. Oui. Tu peux nous dire pourquoi est-ce qu'il a qualifié cette lésion de petit teigneux ?

  • Speaker #0

    C'était lors de la consultation d'annonce. Le chirurgien était une amie et j'ai été sollicité un jour par un coup de fil. Sylvie, peux-tu venir ? L'annonce, elle était déjà faite uniquement par le ton de la voix de ce médecin. Donc, je suis arrivé et là, elle me dit Sylvie, voilà. tu as un cancer, c'est un petit teigneux. J'ai repris cette formule dans mon livre. Je vous expliquerai pourquoi le livre existe. Petit teigneux parce qu'un petit cancer met teigneux dans la classification anatomopathologique, ce qui a donc entraîné un traitement assez complet pour le soigner.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu te rappelles comment tu as vécu cette annonce initialement ? Justement, quand tu as... entendu pour la première fois le terme cancer ou cette notion de petit teigneux. Comment tu l'as vécu ?

  • Speaker #0

    Alors, j'étais allée seule au rendez-vous. Le bureau du chirurgien était au-dessus du bureau de mon mari, qui travaillait également à l'hôpital Saint-Louis. À l'annonce de la pathologie, j'ai un peu pleuré et j'ai demandé qu'on appelle mon mari, qui a eu un étage à monter, qui est venu à côté de moi. D'accord. Une fois que l'annonce est faite, globalement, je dirais que c'est peut-être quelque chose de rassurant, puisqu'on a un diagnostic. Et en fonction du bilan d'extension, on définira la thérapeutique. Je suis rentrée l'après-midi à la maison, j'ai pleuré. Ma première journée a été de penser, même si je suis médecin confrontée au cancer, J'ai pensé tout de suite à la mort, ce qui me semble un peu ridicule à postériori, parce qu'il y a des pathologies, je dirais, beaucoup plus graves qu'un cancer qu'on peut traiter. Mais ma première pensée a été de penser que j'allais mourir. Après, j'ai appelé mes collègues qui savaient que j'allais avoir une consultation. Et si je vous parle de mes collègues, c'est que je n'ai pas prévenu en famille très proche. J'ai ma mère et ma sœur, que j'ai préservé du diagnostic initial pour ne leur annoncer. que quelques temps plus tard, avec une stratégie, je dirais, d'épargne émotionnelle, si on peut dire ça comme ça. Ma mère, si vous voulez, historiquement, si ça peut vous aider à comprendre, juillet 1944, ma mère descend chercher le pain à Villeurbanne et toute sa famille est arrêtée. Donc, elle est la seule survivante. Je suis issue d'une famille juive, mes quatre grands-parents ont été déportés. Je fais cette digression. Parce que vous allez voir, pendant le temps de mes thérapeutiques, on parle beaucoup du vécu, mon côté juif est ressorti. Donc j'ai été opérée, et là j'ai dû bénéficier de chimiothérapie. Et même en 2003, on proposait la pose d'un portacat, qui est donc la petite capsule sous la peau, pour pouvoir éviter d'abîmer les veines lors des séances de chimiothérapie. Je ne voulais pas de marquage. Autour de moi, tous les amis de maman, la famille de maman étaient revenus de déportation et avaient un numéro. Quand on a des séances de radiothérapie, on a déjà les points de tatouage. Ça me suffisait largement. La première séance de chimiothérapie, elle était au mois de juin. Je ne voulais pas. Le prérequis était qu'on ne montre pas à l'autre qu'on est malade. Donc surtout pas de porte à quatre dans le décolleté. Et donc j'ai eu toute ma chimiothérapie par voie veineuse. C'est là que le côté médical est intéressant, parce que je connais avantage inconvénient de la pose du porte-à-quatre de cette voie que l'on qualifie de voie centrale. Effectivement, je n'avais qu'un bras fonctionnel pour les piqûres compte tenu du curage, qui interdisait les ponctions sur le bras droit. J'ai un peu abîmé mes veines sur le bras gauche, mais je n'ai pas eu de porte-à-quatre.

  • Speaker #1

    Pour expliquer un peu le principe de la prise en charge. Est-ce que tu peux nous rappeler globalement les différentes étapes de la prise en charge, les successions, la séquence, un peu comment ça s'est passé ? Est-ce que tu peux nous synthétiser ça ?

  • Speaker #0

    Alors, une fois que le diagnostic est fait, comme dans toute pathologie cancéreuse, on réalise ce qui s'appelle un bilan d'extension. Est-ce que le cancer a déjà des SMA, donc il y a déjà des métastases, en pratique dans le cancer du sein ? On demande de réaliser une scintigraphie osseuse, une échographie abdominale, des prises de sang. Dans mon cas, le petit teigneux était resté, je dirais, localisé, sans métastase, sans, a priori, atteinte ganglionnaire. Mais la classification anatomopathologique n'étant pas très sympathique, j'ai bénéficié donc d'une chirurgie. Une tumorectomie parce que c'était petit. On m'a demandé si on voulait retirer le sein. On m'a demandé si je voulais une enquête génétique. Et en pratique, je n'ai pas voulu d'enquête génétique. Je n'ai pas voulu qu'on retire le sein. Alors tout choix a des conséquences. Même quand on est médecin. Malade, moi je vous ai dit, je suis médecin spécialiste anesthésiste, je n'ai aucune compétence en cancérologie.

  • Speaker #1

    Bien sûr.

  • Speaker #0

    Et donc en pratique, dans le choix de la thérapeutique, j'ai fait confiance aux médecins. L'oncologue m'a dit, on va vieillir ensemble, donc je lui ai dit banco.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et effectivement, il a pris sa retraite avant moi, mais on s'est accompagnés, je dirais, mutuellement. Il y a quand même une séquence. Pendant les premières années, on se voit tous les trois mois, puis tous les six mois, puis tous les ans. Donc, j'ai eu de la chimiothérapie. J'avais des cheveux, j'avais un carré, j'étais à peu près coiffée comme ça. Je suis allée chez le coiffeur faire couper les cheveux, ce qui est recommandé avant les cures de chimiothérapie. Et j'ai eu cette chance extraordinaire de ne pas perdre mes cheveux. J'avais une coupe très courte, un peu pixie comme on pourrait dire. Une coupe très courte. bien maquillée, coiffée, sympathiquement, bien habillée. J'étais en master d'éthique appliquée à la santé et aux soins pendant ma deuxième année. Donc, j'étais en deuxième année pendant mes soins. Mon challenge a été de ne pas montrer à mes collègues étudiants que j'étais souffrante.

  • Speaker #1

    Tu l'avais déjà avant, cette idée ou ce principe de ne pas montrer qu'on est souffrant ? Ou c'est arrivé lors de la... déclaration de cette maladie ?

  • Speaker #0

    Avant le cancer, en 2003, je n'ai jamais été malade. Mais en pratique, je pense que c'est peut-être mon expérience de médecin ou de fille de patiente. en l'occurrence ma mère, qui avait déjà été souffrante.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Alors, est-ce que j'avais un modèle de dame assez résiliente qui, malgré tous les soucis de la vie qu'elle a eus, parce qu'elle, effectivement, avait déjà eu un cancer du sein qui avait également atteint les deux seins, elle a 95 ans actuellement, vous diriez, c'est un petit mannequin, elle est pomponnée, maquillée. Donc, je pense que c'est un modèle, si vous voulez, qui me convenait bien. Il n'y a rien de pire quand vous êtes malade que le regard. plaintif. Ça vous met mal à l'aise. Je pense que ce n'est pas aidant du tout. Quelqu'un qui vous plaint, vous embarque dans la maladie. Et puis, vous ne voulez pas décevoir, donc vous en rajoutez une couche. Si je ne vais pas bien, je peux aller encore plus mal. Ça n'a aucun sens à mon goût. Si on a la chance de supporter les traitements, ce n'est pas un temps facile, c'est un temps d'angoisse, mais c'est aussi un temps... temps où on peut prendre soin de soi, il faut en trouver un bénéfice. Alors, je ne dirais pas un bénéfice secondaire, mais il faut se donner des buts dans la vie. On n'a jamais vu que j'étais souffrante. À l'époque, dans le bouquin, je raconte que je suis sortie de l'hôpital après l'intervention. Vous êtes docteur, vous pouvez sortir avec votre redon sympathique. Vous devez noter la quantité que le redon donne. Vous pouvez faire les petits pansements. Pendant 15 jours.

  • Speaker #1

    Tu peux rappeler ce que c'est pour les gens qui nous écoutent ? Un redon ? Oui.

  • Speaker #0

    Un redon est un dispositif de drainage. Quand vous êtes opéré du sein, il y a un écoulement de lymphe qui peut stagner dans le sein. Et donc, il faut un dispositif, un petit tuyau.

  • Speaker #1

    Un tuyau, c'est ça.

  • Speaker #0

    Qui est à une bouteille qui recueille la lymphe. Et tant que la lymphe coule, vous gardez votre bouteille reliée au sein. Et l'idée, c'est quand même d'aller vous promener. Et pour cacher la bouteille, à l'époque, j'avais trouvé des jupes qui avaient des grandes poches latérales, on parlerait de poches cargo actuellement. Donc je me baladais, j'avais acheté une noire et une beige. Et le redon, donc la bouteille, allait dans la poche. Toujours avec l'idée qu'on ne montre pas, qu'on se balade. Enfin, c'est quand même pas très... sympathique de montrer une bouteille de recueil. Donc, ni vu ni connu, la bouteille dans la poche et vous allez vous promener.

  • Speaker #1

    Tu nous as dit que tu en as parlé à ton époux ?

  • Speaker #0

    Oui, qui a été mon premier supporteur et avec une très belle attitude qui a été de ne pas me couver. Mon mari est professeur d'éthique médicale. Il a beaucoup réfléchi sur la présence, la juste présence, la bonne distance. Donc moi, je n'étais pas sa patiente, j'étais sa femme, mais il ne m'a pas couvé. Il était présent, mais lointain en même temps. C'est-à-dire que son activité professionnelle n'a pas été modifiée. Simplement, j'ai été soignée à Saint-Louis, ses bureaux étaient à Saint-Louis, et j'allais me réfugier dans son bureau après les traitements. Mais je ne lui ai jamais demandé, par exemple, qu'il soit présent. lors de mes séances de chimiothérapie. Je n'y ai jamais vu d'intérêt. Je trouve qu'il faut aussi préserver son trait proche d'une illusion de protection. C'est-à-dire que ne pas lui montrer qu'on est triste, qu'on a peur, mais il n'est pas idiot. On est un peu comme deux éponges, si vous voulez. On est assez fusionnel. Le jour où votre mari vous dit... Si ça ne va pas, moi, je me suicide. Je peux vous dire qu'il vous rend responsable de votre vie.

  • Speaker #1

    Ton mari t'a dit ça ?

  • Speaker #0

    Ah oui, il m'a dit que si je mourais, il ne survivrait pas.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Mais jusqu'à maintenant, on a quand même un âge certain, mais on va s'appeler deux, trois fois. Enfin bon, il y a une grande responsabilité de l'un envers l'autre. J'ai été au... opéré en début d'après-midi et je suis rentrée à l'hôpital le matin de la chirurgie. Et comme l'espace éthique était... Moi, j'avais que la cour de Saint-Louis à traverser. Je me suis dit, plutôt que d'attendre dans ma chambre, je vais aller lui faire coucou. Je l'ai trouvée en pleurs. Donc, je suis repartie immédiatement. Vous voyez, c'est compliqué parce que vous voulez protéger. C'est pour ça que j'ai attendu ma mère qui avait été souffrante, qui a perdu mon... père qu'elle adorait, qui n'avait plus trop de famille, qui avait déjà eu un cancer du sein, je me suis dit, il me faut une stratégie d'épargne que j'appelle épargne émotionnelle pour annoncer À ma mère et ma sœur, que j'étais souffrante, on a attendu le week-end du 1er mai à la campagne où on a dit on a quelque chose à vous dire

  • Speaker #1

    Comment ça s'est passé suite à cette annonce faite à tes proches ? Ça a changé des choses en toi ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

  • Speaker #0

    L'annonce à mes proches, notamment à ma mère et à ma sœur, a été un peu décalée. Une fois que je connaissais l'amplitude du traitement proposé, j'étais plus factuelle. Et ça me permettait de répondre à leurs questions. Ce qui est compliqué quand on appréhende l'annonce vis-à-vis de ces très proches qu'on aime, c'est l'angoisse que ça génère. Maman s'est sentie responsable, puisqu'elle avait déjà été souffrante plusieurs années auparavant, et elle avait peur de m'avoir transmis la maladie. Deuxièmement, ça a occasionné chez ma sœur et ma mère ce regard un peu compassionnel, plaintif, dont j'ai horreur. Donc la conséquence de tout ça est de dire à maman, qui venant me voir les premières fois un peu, je dirais larmoyante, avec son côté bonne maman, de me permettre de lui dire, je vais te faire un deal, si tu viens me voir et que tu larmoies, c'est pas la peine de venir me voir. Tu viens me voir, on va faire les magasins, on va se promener, moi je te souris et tu me souris, mais j'ai pas envie de te faire pleurer. Donc, si un jour tu es triste, ne viens pas me voir. Donc, ça a été, je pense, la conséquence. Du côté de mes beaux-parents, ils sont moins affectifs. Et donc, je leur ai annoncé assez simplement. Et mon beau-père a eu une très jolie réaction. Il a dit, ça aurait dû m'arriver à moi, parce que je suis un vieux con et ça aurait pu être pour moi. Donc, chacun réagit avec sa sensibilité. Et quand j'ai eu mon deuxième cancer en 2010, faute de l'expérience de ma mère, dont je n'aimais pas le côté trop bonne maman, je lui ai caché. Elle m'en a beaucoup voulu, mais comme il n'y avait pas un énorme retentissement, là, je n'avais pas de chimio, j'ai juste eu la chirurgie et les rayons, j'ai pu lui cacher. Et je ne lui ai rien dit. Elle l'a su beaucoup plus tard.

  • Speaker #1

    Et elle t'en a voulu ?

  • Speaker #0

    Elle n'était pas contente. Mais je pense que je l'ai protégée de nouveau. Le but était ça, la protéger de nouveau de souffrance. Elle a eu quand même... C'est l'idée que j'en avais. Avec un parcours de vie, à mon avis, très compliqué. Et je n'avais pas du tout envie de lui infliger de nouveau un peu de tristesse.

  • Speaker #1

    Oui, donc tu penses... Tout ça, ça reste personnel, en fait. C'est-à-dire les injonctions qu'on peut être amené à dire à certaines personnes. Il faut que tu en parles autour de toi, absolument, parce que tu vas te faire aider, parce que tu ne peux pas rester seul avec ça. Tu penses que c'est idiot, ça ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas idiot, mais on est toujours dans le cadre du sur-mesure. Il n'y a pas de règles, il n'y a pas de conseils. Chacun fait comme il peut. Et du temps de mes traitements, moi, je n'ai jamais vu personne et j'étais très bien. J'étais très bien avec mon mari.

  • Speaker #1

    Du sur-mesure.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Donc en fait, si je comprends bien, il y a plusieurs choses que tu exprimes. La première chose, c'est que tu ne veux pas que ça se voit parce que tu ne voulais pas qu'on te voit comme une malade, finalement, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Oui, et puis je pense que ça fait partie de la thérapeutique. D'accord. C'est-à-dire que ne pas se laisser aller, avoir une espèce, j'appellerais ça peut-être une force de vie. Il y a la maladie. Dans la graduation des cancers, je peux dire qu'effectivement, il était teigneux, donc il a généré beaucoup d'angoisse. Mais dans le quotidien, je n'ai pas eu de handicap particulier. J'ai été opéré, je n'ai pas perdu mes cheveux, je n'ai pas porté de perruque, j'ai supporté la chimiothérapie.

  • Speaker #1

    Oui, j'allais y venir, parce que ça, c'est quelque chose qu'on entend assez souvent. Et c'est le traitement qui peut vous éreinter, en fait, à un moment donné.

  • Speaker #0

    Là, on parle de fatigue. Effectivement, on est fatigué. J'ai eu six mois de chimiothérapie. Je n'étais plus en capacité de marcher 100 mètres à la fin de la dernière séance. Mais par contre, la vie, elle continue. Je n'ai pas eu de nausée. Il y a eu une expérience amusante à Saint-Louis. Il faisait une enquête. Et donc, j'ai accueilli une psychologue à la troisième cure de chimio. qui voulait faire une enquête sur la relation entre la famille et la tolérance de la chimiothérapie. Donc, elle m'a interviewée sur mes grands-parents. Grands-parents déportés. assez peu joyeux comme évocation, je n'ai jamais autant vomi cette fois-là.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et le médecin a interdit à la psychologue de revenir m'interviewer. Je n'ai plus jamais vomi.

  • Speaker #1

    Ce que tu évoques un peu, c'est quoi ? Une sorte de contagiosité émotionnelle, en fait ? C'est-à-dire que tu n'as pas besoin de ça à ce moment-là, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Je pense que je n'ai pas besoin et je pense que je suis intellectuellement, sentimentalement juive, non religieuse. Je suis issue d'un monde juif d'Europe de l'Est et qu'il y a beaucoup de choses qui se remontaient. Et quand j'ai relaté mon expérience lors de la présentation de mon mémoire de master, ça a interpellé mes collègues étudiants. J'ai présenté mes séances de radiothérapie, alors c'est eux qui m'ont dit ça. On m'a dit donc pour irradier le sein, il faut être torse nu, mais personne ne m'a proposé une blouse. Et donc, je me rendais vers l'appareil d'irradiation torse nu. Et j'ai relaté ça de telle façon, ils m'ont dit, mais tu te rends compte comment tu décris les choses ? Tu allais à ta séance d'irradiation comme, enfin, c'est un peu compliqué de vous redire ça, mais comme les déportés allaient à la chambre. Ça a été très curieux et ça a été ressenti. Ce n'est pas ce que je voulais dire. Moi, je voulais juste parler de la honte. que j'ai eu pendant un mois de me balader torse nu du vestiaire à la chambre d'irradiation.

  • Speaker #1

    Ça, c'était quelque chose qui faisait partie de la procédure pour tout le monde ?

  • Speaker #0

    D'être torse nu ? Oui. Alors, à la fin du mois, on m'a demandé comment je me sentais. Je les ai remerciés. J'avais amené des petits gâteaux, des trucs pour remercier l'équipe. Et on m'a dit, comment avez-vous trouvé ? Si on peut dire comment avez-vous... Je leur ai dit, écoutez, vous êtes charmants, mais les prochaines fois, proposez quand même une tenue parce que j'ai eu honte pendant un mois. Je suis un peu pudique, certes, mais... On fait très attention quand on endort quelqu'un de ne pas endormir la personne à poil, je dirais. On colle les électrodes et après on recouvre la personne. Enfin bref, et là je leur ai dit, j'ai eu honte et je n'ai pas osé vous le dire. Il y a un côté vulnérabilité. La personne malade, elle est vulnérable. Alors on parlera peut-être de l'autonomie de la personne malade. Moi, je trouve que c'est un grand leurre. Déjà, vous êtes malade, vous n'êtes pas autonome. Vous dépendez des autres. Si vous étiez autonome, vous ne seriez pas malade. Enfin bon, comme en 2010, j'ai été de nouveau malade et que j'ai encore bénéficié de radiothérapie, j'ai pu voir que là, on proposait une petite blouse. Et donc, j'étais assez contente en me disant peut-être que j'étais un petit maillon qui a fait réfléchir les gens sur leur pratique.

  • Speaker #1

    À propos de ce statut de médecin, tu l'as quitté. T'as quitté à un moment ce statut de médecin ? T'as senti que justement, t'étais devenue tellement vulnérable que t'étais passée de l'autre côté ? Ou tu gardais un petit peu encore cette position en rapport avec ton savoir ? T'en as eu l'impression d'une perte de maîtrise ? Comment ça s'est passé ?

  • Speaker #0

    Non, j'ai plus d'humilité que ça. C'est-à-dire que le médecin malade est devenu une malade médecin. Et le médecin, je n'existais plus. Ça m'a permis de voir qu'être médecin, c'est pas facile. Qu'être malade, c'est pas facile. et que globalement, il faut qu'il y ait une réciprocité dans la confiance. Il faut qu'il y ait une mutualité des savoirs. Dans notre exercice quotidien, le médecin qui joue au médecin, c'est très désagréable de le soigner. Moi, je n'aime pas m'occuper des médecins qui font savoir, qu'ils ont un savoir. Je pense qu'on est d'autant mieux soigné qu'on n'étale pas. En plus, moi, je suis médecin anesthésique, je ne suis pas cancérologue. Soigner, c'est difficile parce qu'il faut engager la relation. confiance. Moi, on m'a raté mes veines pendant les séances de chimiothérapie. Je sais que c'est difficile quand les veines sont petites. C'est difficile. Je chauffais un peu la veine pour aider l'infirmière. Après, je pense qu'il faut être tolérant. Il faut respecter le travail. Et je ne suis pas... On m'a trouvé gentille. C'est-à-dire que vous voulez me piquer, vous me piquez, il faut ça. il faut refaire une prise de sang, vous faites une prise de sang. Je ne me suis mêlée de rien et je ne voulais pas me mêler ou de la thérapeutique ou des soins en me disant que moins on s'en mêle et mieux on se porte. Mais je ne pense pas que ça ait modifié après mon exercice professionnel.

  • Speaker #1

    On a l'impression que tu étais finalement déjà sensibilisée à ça, à ces notions, avant d'être malade. Ou est-ce que ça a augmenté encore plus ta sensibilité et est-ce que tu as fait plus attention encore ? après ça ?

  • Speaker #0

    La sensibilité, elle est, lors de ma reprise, j'ai repris en réanimation et j'étais hypersensible. Il m'est arrivé de pleurer avec une famille à qui j'annonçais que le patient était ou allait passer en état de mort cérébrale. Mais la famille s'est mieux tenue que moi. Et ça les a touchés. Ils ont vu un médecin qui montrait sa sensibilité, je dirais sa fragilité. Moi, j'en ai quand même un peu eu honte parce qu'à ce moment-là, je n'avais pas à montrer ma sensibilité. qu'il doit y avoir effectivement ce retrait et cette bonne distance. Donc cette sensibilité exacerbée s'est estompée quand même au fur et à mesure de ma reprise professionnelle. Mais j'aime bien les gens et je pense que si vous voulez, ce n'est pas un hasard d'être médecin anesthésiste avec cette composante humaine où on se dit qu'il n'y a pas que le technique dans l'exercice de mon métier. Il y a des gens qui m'ont demandé si je n'étais pas plus humaine et tout compte fait. Être malade quand on est médecin, c'est plutôt sympathique parce que ça vous apprend ce que c'est à être malade et que ça vous rend meilleur. Je pense que l'expérience de la maladie, elle n'est pas obligatoire. On s'en passerait bien. Ce que j'ai retenu de ça, c'est l'expérience de la douleur, par contre. C'est-à-dire que quand j'ai eu la curie-thérapie, qui est une irradiation localisée du sein, mais à travers des aiguilles à tricoter creuses, j'ai... peut-être ressenti la douleur la plus horrible parce que l'anesthésie était un peu ratée. Donc j'appelle ça le planté d'aiguilles un peu accrus. Une fois qu'on vous les met, on vous les enlève. Mais là, encore sans anesthésie, on m'a embroché un muscle. Parce que la tumeur était très haute dans le creux. Enfin bref, on va dire que ça a été un peu raté. Donc là, j'ai vraiment eu très mal. Et comme ils m'ont embroché, ça veut dire que le bras n'a pas pu bouger pendant 4-5 heures, pendant les deux séances d'irradiation. J'ai été délivrée de la douleur quand ils ont retiré les aiguilles à tricoter. Donc ça, vraiment, sur les échelles de cotation, je pouvais avoir 10. Et puis, je suis retombée à zéro quand on m'a enlevé les aiguilles à tricoter. Ça tombait bien, j'avais fait une capacité douleur trois ans avant. Donc, j'étais dans l'évaluation de la douleur un peu subjective. Là, de façon objective, j'ai compris ce que c'est d'avoir mal.

  • Speaker #1

    Est-ce que toi, tu peux... Je pense que le sujet de la maladie, dans le domaine médical, quand un médecin ou un soignant est malade, est-ce qu'il y a un tabou ? Est-ce que tu as ressenti une gêne de la part de certains collègues ou tu avais l'impression qu'il n'y avait pas de tabou, justement ?

  • Speaker #0

    Il y a peut-être une gêne ou tabou quand on est considéré comme un médecin que l'on soigne. Mais plus vous vous faites entre guillemets petit et humble et sans étaler votre côté professionnel... Je reviens à ce que je disais, soigner n'est pas facile, donc il faut mettre les gens à l'aise. Et si vous dites, vous savez, je suis médecin, je pense que ça éloigne le professionnel. Moi, je suis dans la relation de conscience. Celui qui sait, à un moment donné, c'est le professionnel. Moi, je connais l'anesthésie, mais je ne connais pas la radiothérapie, je ne connais pas la chimiothérapie et je laisse les gens travailler. Je pense que c'est très, très important. important.

  • Speaker #1

    Ça, c'est important parce que je ne sais pas si en tant que médecin, on partage tout ça, en fait. Alors moi, je te donne juste mon avis, c'est un peu personnel, mais en gros, il y a peut-être une personnalité, j'ai tendance quand même à aller vérifier dans certains domaines, en fait. Et donc toi, à priori, tu étais peut-être en très bonne main et tu avais tout de suite cette relation de confiance. Ça ne t'est jamais arrivé d'aller vérifier des informations, d'aller rechercher un peu plus loin quand même, pour savoir si tout était OK, tout était bon ?

  • Speaker #0

    Je ne connais rien en cancéro. Qu'est-ce que je vais aller vérifier ? Ma seule capacité, c'est de pouvoir lire les bilans sanguins. Donc effectivement, j'ai lu mes bilans sanguins. Je sais analyser un bilan sanguin. Par contre, à l'époque, quand vous avez le laboratoire qui prélève avec une grosse aiguille, en piquant directement dans la veine et sans utiliser un petit dispositif à ailette un peu plus petit, vous ne dites rien. Donc j'ai assumé. Les pseudo-mauvaise pratique de certains, je reste confiante. Là, j'ai été opérée récemment, ça fait un mois et demi, d'une prothèse de hanche. Alors, j'ai choisi le lieu sur les conseils de mon chef de service, le chirurgien sur les conseils de mon chef de service. En anesthésie, j'ai été endormie par quelqu'un que je connaissais, puisque c'est la même équipe. Et puis après, vous faites confiance.

  • Speaker #1

    Et tu as ce même comportement vis-à-vis de tes proches ?

  • Speaker #0

    Par exemple, si tu dois confier à un proche pour un problème de santé particulier, tu fais confiance, tu ne vas pas vérifier.

  • Speaker #1

    Ma très proche actuelle qui a des soucis de santé, elle a 95 ans. Elle est toute mignonne, mais elle n'est pas en capacité de tout saisir. Alors, elle a compris que sa fille était le meilleur médecin par rapport au médecin généralisant. Sa fille, elle est un peu obligée de colliger les infos. Mais je pense que toute ma vie, je lui dirais que je ne suis pas son médecin.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Mais elle, elle est contente, elle a une fille docteur.

  • Speaker #0

    J'aimerais bien revenir sur ton livre qui s'appelle Le temps d'un cancer, chronique d'un médecin malade Comment t'es venue l'idée de réaliser ce projet ?

  • Speaker #1

    L'idée n'est pas la mienne, l'idée c'est mon double Emmanuel Hirsch, qui voyant quand même de temps en temps mon désarroi, m'a donné un carnet, un petit stylo, et m'a dit Écris Sylvie, écris Donc j'ai relaté mes impressions tout au cours des traitements. Et puis, effectivement, j'étais en master d'éthique appliquée à la santé et aux soins en deuxième année. Et on doit rédiger un mémoire. Et du coup, je me suis dit que mon sujet de mémoire allait être le parcours d'un médecin qui traverse la maladie grave. Et j'ai eu une bonne note. J'étais une étudiante, j'ai eu 16. Le prof de philo m'a dit que c'était très bien. Et Emmanuel m'a dit si tu veux, on le publie parce que ça peut peut-être aider d'autres personnes à se situer dans la maladie Donc, ce n'était pas uniquement une histoire, mais c'était une réflexion sur les différents temps de la maladie. Et effectivement, il y a un chapitre sur le paraître, l'importance du paraître, c'est quoi les différents temps de la maladie. avec le temps de l'annonce, l'après. Qu'est-ce qu'on fait de l'après, après avoir eu cette expérience de la maladie ? Alors, cet après, on en sort enrichi d'une expérience. Peut-être que vous me parlerez des patients experts, qui sont des patients avec un savoir actuel universitaire. Il y a une université qui délivre des diplômes. Moi, c'est quelque chose que... Je ne trouve pas très adapté parce que je trouve que ça nuit à la relation de confiance. Je pense que quand on est patient, on n'est expert que de soi-même et de son savoir. Je pense qu'il n'y a pas d'universalité. On a été malade, on sait ce qu'on a vécu. Si on reprend l'expérience des médecins, déjà les médecins ne savent pas tout et ils n'ont pas de savoir universel. Donc j'ai beaucoup de mal à appréhender cette notion de patient expert. peuvent à la fois traduire ce que le médecin n'a pas voulu dire ou n'a pas pu dire à un patient. Donc moi, je suis un peu ringarde là-dessus. Je trouve qu'il y a beaucoup de métiers, je qualifie un métier coucou. C'est un métier qui veut aider le médecin, mais qui le dénigre beaucoup.

  • Speaker #0

    Métier quoi ?

  • Speaker #1

    Coucou ?

  • Speaker #0

    Pourquoi coucou ?

  • Speaker #1

    Parce que le coucou, il vit sur le dos des autres.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Je n'aime pas cette idée de... personnes ayant un savoir qui vont traduire ce que dit le médecin. J'ai quand même une assez haute opinion du métier de médecin et pensais que le médecin ne sait pas parler aux patients, le médecin utilise des mots importants et forte de l'expérience de la maladie et de mon côté médical, j'avais été sollicité pour faire des cours aux infirmières d'annonce. Les infirmières d'annonce qui se doivent de traduire ce que le médecin a dit mais que la personne n'a pas compris. Je trouve ça assez désagréable, parce que je dirais que le bon docteur, le médecin qui a l'humanité suffisante, devrait s'assurer que le patient a compris. On n'a pas besoin de traducteur. Donc ce que j'avais tenté d'expliquer aux infirmières d'annonce, c'est qu'elles n'avaient rien à annoncer. En médecine, on se doit d'annoncer toutes les complications inhérentes à un geste. Je leur avais dit qu'en anesthésie, je n'annonçais rien, mais que le patient signait le consentement. Donc tout est sur cette relation de confiance. Si je commence à expliquer qu'en intubant, je casse des dents, on se retrouve avec des nodules sur les cordes vocales, avec une fréquence rarissime, mais certes, c'est important, ça n'a aucun sens. De la même façon, l'infirmière d'annonce, si elle dit que la chimiothérapie fait vomir, entraîne des mucites, les pertes d'ongles, ce n'est pas ça qu'on attend. pas dans l'énumération, mais je dirais qu'on doit être dans la bonne présence. J'existe, et si vous avez des questions, je vous réponds. Mais le catalogue de complications pour moi n'a pas lieu d'être. Je pense que quand on est malade, on veut juste avoir un petit coup de fil le lendemain de la chimio. Sylvie, vous allez bien, vous avez pris votre zofreine ? Ah non, je ne vomis pas. Sylvie, vous prenez le zofreine, c'est aussi un traitement préventif.

  • Speaker #0

    Oui, mais alors, sur ce que tu décris, notamment sur les fonctions du médecin et son devoir d'explication quand même, ou de communication, tu ne penses pas qu'il y a certains médecins qui justement parfois n'ont pas le temps ou pas le désir d'aller dans cette direction, et que c'est pour ça justement... qu'il y a d'autres corps de métier qui sont sollicités, notamment les patients experts, avec le retour classique qu'on peut avoir de la part de certains patients qui vont dire j'ai rien compris ou qu'est-ce que t'as ? Non, il m'a rien dit, je sais pas. Avec aussi les problèmes de littératie en santé, les gens qui ont du mal à comprendre certains documents médicaux ou des choses comme ça. Tu ne penses pas que quand même, de temps en temps, il y a un problème d'échange d'informations ? idéalement, certes, je suis d'accord avec toi, c'est-à-dire que normalement, ça devrait être inné ou acquis, mais qu'en plus, avec la tendance actuelle de carence en médecin, justement, il n'y a pas un défaut d'information de certains patients ?

  • Speaker #1

    Alors, on revient sur la notion du temps, du temps consacré aux soins. Je trouve qu'être médecin, on a fait quand même beaucoup d'années d'études. Il y a un serment d'Hippocrate. Actuellement, on est dans une phase transitoire. Quand j'ai fait mon pot de départ, mon chef a dit j'ai jamais trop compris pourquoi Sylvie mettait autant de temps sur une consultation d'anesthésie. Elle est tellement bavarde, j'ai enfin compris. Si on est uniquement technique, on va vite. Si on a envie de s'intéresser à la personne, on discute, on met un peu plus de temps. Si on a un patient à moule, on appelle l'interprète et ça prend un peu plus de temps. Je parle beaucoup avec les mains parce qu'on accueille des patients qui entendent mal. On accueille des patients avec des troubles cognitifs. Alors, on peut parler à la fille de la patiente, et ça va très vite. Et vous assumez aussi la réflexion un peu impatiente de la fille, qui vous dit que ce n'est pas la peine de lui parler, elle ne comprend rien. Alors, être médecin, c'est peut-être aussi faire de la résistance et dire, ben non, moi je parle aux patients. Et avec l'idée que tout patient est en capacité de comprendre. Et comprendre. Quelque chose de petit, de grand. En pratique, le patient est une personne, donc on lui parle et on ne parle pas à l'accompagnant. Et il y a quand même des choses gratifiantes dans cet exercice. C'est quand la femme d'un patient parkinsonien vous dit je vous remercie, vous lui avez parlé Vous voyez, ça c'est les petits plaisirs de la consultation. Vous accueillez un enfant handicapé, vous lui parlez. Et l'enfant, à un moment, j'ai cru qu'il pleure, il pleure. Je dis, mais il pleure. Et la maman dit, non, il est content. Comment vous voulez raconter ça si vous ne prenez pas le temps ?

  • Speaker #0

    Alors le temps, oui. Le temps, c'est hyper important, justement, pour la prise en charge. Qu'est-ce que tu penses, toi ? C'est quoi ton avis sur le temps d'une consultation, par exemple, en médecine générale ? Tu sais, le temps de consultation, c'est une quinzaine de minutes, à peu près. Au Royaume-Uni, c'est dix minutes.

  • Speaker #1

    Le problème, c'est le rapport à l'argent. L'argent fausse tout. Le médecin a besoin de gagner sa vie. Moi, mon idéal, c'était d'être salarié. Il n'y avait pas de relation à l'argent, donc pas de relation au temps. Effectivement, à la Fondation Rothschild, on a deux ordinateurs en consultation. Il y a l'ordinateur de consultation et l'ordinateur où il y a le logiciel avec les rendez-vous. Et donc, on avait un rendez-vous toutes les 20 ou 30 minutes. mais là-dessus viennent se greffer les urgences. Donc globalement, vous avez un quart d'heure. Et puis vous avez l'horloge qui défile, où vous avez le temps consacré au patient qui est en face de vous. Globalement, moi j'en reviens à mon mot résistance, qui implique un retard certain, et qui implique après une explication vis-à-vis du patient qui attend. Et là, effectivement, vous avez des patients qui râlent, docteur, vous êtes en retard. Alors vous avez deux façons de faire. Je vais rattraper le temps perdu avec vous, je vais passer cinq minutes et on va aller très vite, si c'est ça qui est important, ou alors je prends le temps comme je l'ai fait avec le patient d'avant. C'est vous qui choisissez. Globalement, les patients comprennent. On n'est pas sortis du bureau, on n'est pas allés faire nos courses. Et puis, vous avez des patients qui râlent. Vous vous rendez compte, il y a beaucoup de monde. Vous savez, l'intérêt, c'est qu'on passe le temps qu'il faut. Je me permettrais juste de vous rappeler que c'est gratuit. C'est un peu sordide de dire ça, mais on a la chance en France de soigner gratuitement les patients. Et de temps en temps, les gens l'oublient. On est des espèces de prestataires de services. Moi, un jour, une patiente à 8h, je suis arrivée, j'avais besoin de monter en réa pour voir un patient. Je suis arrivée en consultation à 8h10. Elle a regardé sa montre, elle m'a dit Docteur, vous êtes en retard Je lui ai dit Sans me démonter, vous allez refaire votre entrée. Vous me dites bonjour et je ne veux pas de reproche J'étais toute seule ce jour-là en consultation. Je lui ai dit Vous avez de la chance, je vous accueille. Autrement, je refusais de vous recevoir Vous voyez, donc c'est compliqué d'être médecin. La médecine générale, avec une consultation de 10 minutes, c'est comme la téléconsultation. Il faut parler, il faut écouter le cœur, il faut regarder la personne. Avec l'expérience, les patients chez nous attendent dans un couloir. Donc ils se lèvent, ils déambulent et ils rentrent. Moi, je vais accueillir, je n'attends pas à mon bureau. J'aime bien ouvrir la porte. Et le patient s'accueille et je dis bienvenue Ça fait rigoler et j'ai vu comment le patient marche. Et je ne sais pas si avec votre expérience, vous voyez déjà que le patient, il est déprimé ou a été déprimé. C'est assez horrible à dire, mais avec l'expérience, vous êtes en capacité de voir ce que le patient ne peut dire. Vous n'avez jamais eu d'épisode de dépression ? Il y a 20 ans, sur des infimes signes. Je ne suis pas en capacité de vous dire comment. S'il fallait que j'écrive un livre, je ne sais pas vous l'écrire. C'est du ressenti et c'est ça le métier de médecin. C'est un savoir, un ressenti, une humanité.

  • Speaker #0

    Je veux revenir un peu sur le livre. Est-ce que tu peux me parler d'éventuels impacts de ton livre ?

  • Speaker #1

    C'est un livre qui semble être un classique. Parce que mon mari me dit, ah tiens, j'ai rencontré un tel qui a lu ton livre. Je crois qu'au départ, il y a eu 1500... Il a sa petite vie, mais ça n'a rien à voir avec un best-seller. Simplement, ça m'a... permis de discuter. J'avais accueilli en neuroradiologie un médecin cancérologue, étant assez bavarde lors des visites pré-op, on en avait discuté, et j'avais relaté mon expérience de refus du porte-à-quatre. Elle m'a dit, ça c'est amusant, parce que ça ne m'est jamais venu à l'idée. Je propose toujours le porte-à-quatre et c'est toujours accepté. Et donc elle me dit, c'est une idée, on n'est pas obligé d'accepter le porte-à-quatre.

  • Speaker #0

    Donc ça a pu changer les mentalités ou certains automatismes qui existent dans le corps médical ?

  • Speaker #1

    Non, le but n'était pas celui-là. C'était vraiment relater une expérience individuelle. Cette expérience, elle a été critiquée sur les réseaux sociaux à l'époque.

  • Speaker #0

    Ah oui ?

  • Speaker #1

    C'est le parcours d'une médecin riche et mariée. Elle a beaucoup de chance, elle est malade, mais elle a un mari et elle a des sous. J'ai tenté de faire comprendre que face à la maladie, on est quand même très solitaire. Dans le bouquin, j'avais utilisé le mot doublure On n'est pas au théâtre, il n'y a pas de doublure, personne ne peut prendre votre place. Effectivement, mon mari ne m'a pas abandonnée. On a des métiers où, effectivement, la Fondation Rothschild étant bien assurée, ils ont conservé mon salaire. Je n'ai pas été mise à la rue. on va dire de façon matérielle. Humainement, mon mari a été extraordinaire. Il fait la postface du livre. J'ai une amie qui m'a dit c'est un hymne à l'amour. Enfin, je ne vais pas en dire plus, mais c'est l'expérience de l'aidant principal qui est mon mari qui dit qu'il a cheminé avec moi durant cette expérience.

  • Speaker #0

    Donc ton mari qui est aussi, bien entendu, très engagé dans l'éthique, qui est professeur aussi ?

  • Speaker #1

    Il n'est pas médecin, il est philosophe, professeur d'éthique médicale, alors maintenant émérite à la faculté de Saclay et ses autres titres actuellement. Il en est heureux, il est membre de l'académie de médecine et membre de l'académie de chirurgie. Donc c'est un homme qui pense.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut dire que toi, tu es engagée à ce sujet concernant l'éthique ?

  • Speaker #1

    Je dirais oui. Alors, je ne suis pas engagée uniquement intellectuellement, j'ai un engagement concret. Je suis bénévole à l'Institut Raphaël.

  • Speaker #0

    D'accord. En quoi ça consiste ?

  • Speaker #1

    L'Institut Raphaël est une structure dédiée aux personnes en cours de traitement ou qui ont fini leur traitement de cancérologie. C'est une structure d'accueil gratuite, qui est une structure de médecine intégrative, où les patients sont accueillis pour des soins qui accompagnent les soins médicaux. On peut faire du yoga, de la gymnastique, de l'esthétique. Il y a plein d'activités. On peut faire du sport. Moi, j'anime un atelier bijoux.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    C'est un atelier collectif. On a l'habitude d'aller à Venise l'été et je ramène des perles de Murano. On a une amie qui est créatrice de perles. Et donc, avec Emmanuel, on choisit les perles une par une. Je passe les après-midi entiers dans le magasin de notre amie à choisir les perles. Et donc, on veut faire du beau. C'est du beau collectif. J'anime cet atelier avec des bénévoles. On accueille des bénévoles qui sont également des patientes qui ont fini leurs soins. Et on accueille des patientes en cours de soins ou qui ont fini leurs soins. Et on crée des colliers, des bracelets, des boucles d'oreilles que l'on remet après sous forme de dons lors des fêtes de l'Institut Raphaël. Alors, ce n'est pas loin de l'art-thérapie. Ce sont des ateliers collectifs où une patiente m'a envoyé un petit mot. Elle m'a mis Sylvie. Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu autant de joie et de rire. Donc, ça, c'est une forme d'engagement. On ne parle pas maladie. On est concentré sur nos perles à écraser, nos fermoirs. Est-ce que je prends du doré, de l'argent et le fil câblé ? C'est un vrai atelier où on fait autre chose, on est concentré. Vous avez des femmes dont il y a un retentissement de la chimiothérapie sur le tact. Les bras sont enflés, le toucher est différent. Donc on fait des bracelets avec des nœuds coulissants pour qu'ils aillent à tout le monde. On a des fermoirs magnétiques, quand on a un tact un peu atteint et des troubles de sensibilité. Les fermoirs magnétiques permettent de fermer le collier sans problème. Donc c'est des vrais moments de partage et créer du beau. Je crois que c'est très important, ça donne de la joie. Je pense qu'il ne faut pas enfermer la maladie dans la misère. C'est pour ça que j'aime bien le luxe. Je trouve que le luxe a cette vertu de faire rêver. On n'est pas obligé d'être riche pour côtoyer le luxe. Le luxe se regarde. Moi, j'adore passer devant les vitrines, regarder comment est faite une robe d'un grand couturier. Je trouve ça magnifique. Là, on voit une marque italienne fait des bobs en raffia. J'ai acheté du raffia, j'ai fait mon bob au crochet. J'ai été voir chez eux comment ils faisaient les finitions. Et lors de cet atelier, on partage un savoir. C'est pour ça qu'un atelier collectif permet un échange et on finit l'atelier au café d'en face. Donc, ce qui est assez sympathique.

  • Speaker #0

    Tu as l'impression que cette approche intégrative, elle se multiplie, que c'est de mieux en mieux ?

  • Speaker #1

    Alors, elle se diffuse. Le Centre Raphaël, je pense que c'est un des premiers à avoir initié le Centre Raphaël à cinq ans. C'est un des premiers à avoir initié cette médecine intégrative qui se diffuse à la fois, quand on voit le LinkedIn de l'Institut Raphaël, il diffuse en Italie, en Afrique, au Liban, et puis un peu partout en France également. Je pense que les gens ont compris que le côté médical est important, mais que vous avez besoin d'un accompagnement. C'est basé sur un choix. Moi, lors de mes traitements, je n'ai jamais rencontré de psychologue. J'ai réalisé les bijoux à la maison, c'est comme ça que j'ai découvert. Il y avait un petit magasin, il y avait une mercerie, où pendant que j'avais du temps, j'ai appris à faire les bijoux. Je pense qu'il est important, parce qu'on parle beaucoup du burn-out, c'est-à-dire qu'à la fin des traitements, pendant les traitements, on a été tellement choyés, cocoonés, surveillés, que... brutalement, on n'a plus de traitement et on a une espèce de vacuité du temps. Qu'est-ce qu'on va faire de ce temps qui n'est plus occupé par des rendez-vous ? La médecine intégrative, elle donne de nouveau des rendez-vous et je pense qu'il est important d'atterrir. Mais tout ce que je vous ralate là, c'est l'expérience de quelqu'un qui, certes, a eu un cancer un petit teigneux, mais qui a la chance d'aller bien.

  • Speaker #0

    Quel conseil, toi, tu pourrais donner à des personnes qui traversent la même chose que toi ? Est-ce que toi, tu aurais des conseils à donner ?

  • Speaker #1

    Moi, je dirais de faire confiance et de faire comme on a envie. Moi, je ne donnerais pas de conseils. Je dirais, je suis présente. Si ce sont des amis, voilà, je suis là, tu as besoin de moi, je viens. Mais ne pas s'imposer, donner une liberté certaine à la personne. Je dirais de choisir son propre cheminement à travers la maladie. Il n'y a pas de clé. Je reste sur l'idée que toute personne est un individu. On est vraiment... sur un parcours de soins individuels. C'est un peu comme les glaces. On rajoute un peu de chocolat, un peu de pépites, on y met ce qu'on veut. Du moment que le cornet et la glace sont bonnes, après, il n'y a pas de modèle. Par contre, j'éviterais le comment ça va ? parce que le comment ça va ? vous renvoie toujours à la maladie. Moi, je suis plutôt dans la périphrase qu'est-ce que je peux faire pour toi ? ou quelles sont les nouvelles du jour ? Mais comment ça va ? vous allez dire oui, parce que si vous commencez à dire non... C'est un peu catastrophique. On est dans le négatif et il est important de rester dans la vie. Alors si avec la maladie cancer, malheureusement, on voit que la vie est un peu tendue, un peu délicate, il faut rester dans la vie quand même. Dans la religion juive, on dit qu'on n'enlève pas l'oreiller du malade parce que c'est déjà le tué. Donc pas d'anticipation. On est avec les gens à un moment donné. Je pense qu'il est très important de vivre le moment présent. Donc, des conseils, franchement, je n'en ai pas.

  • Speaker #0

    Sylvie, qu'est-ce qu'on peut te souhaiter pour la suite ?

  • Speaker #1

    De vous revoir.

  • Speaker #0

    Sylvie, merci mille fois pour ton témoignage. C'était très enrichissant. Et je te dis effectivement à bientôt. Je te souhaite une bonne journée.

  • Speaker #1

    Merci César et merci de l'accueil.

  • Speaker #0

    Allez, au revoir.

  • Speaker #1

    Au revoir.

  • Speaker #0

    Merci à toutes et à tous de nous avoir suivis. N'hésitez pas à partager cet épisode. J'espère que la parole de Sylvie vous a autant aidé que moi à comprendre cette situation parfois négligée. Je la remercie encore vivement de nous avoir confié son histoire. Pour compléter le témoignage de Sylvie, nous avons sollicité l'éclairage d'un expert. Découvrez notre échange sur l'éthique médicale la semaine prochaine. Si vous souhaitez aller plus loin, je vous recommande ces associations. l'Institut Raphaël, l'association Europa Dona, l'association AAPML, la Fédération des médecins de France. C'est déjà la fin de cette deuxième saison de patients. Merci de nous avoir suivis. Et un grand merci également à toutes celles et ceux qui ont partagé leurs expériences avec nous. N'hésitez pas à faire écouter leurs récits à vos proches et amis. Pour notre dernière parole d'expert... Rendez-vous la semaine prochaine. En attendant de vous retrouver, je vous souhaite le meilleur et prenez soin de vous.

Description

Qui prend soin des professionnels de santé ? Comment vivons-nous la maladie en tant que soignant ? Comment cette expérience influence-t-elle notre pratique médicale ? 

Médecin anesthésiste-réanimateur, Sylvie découvre dans l'hôpital où elle travaille qu'elle est atteinte d’un cancer du sein. Confrontée à l'indifférence, aux inerties et à différentes formes de mépris et d'ignorance, elle nous confie son histoire de l’autre côté de la barrière médicale.

Aujourd’hui dans « Patients » on va parler d’un sujet peu abordé et parfois négligé : le médecin qui fait face à la maladie.


Pour aller plus loin :


Vous pouvez vous procurer le livre de Sylvie : https://www.amazon.fr/temps-dun-cancer-Chroniques-m%C3%A9decin/dp/2749231914#:~:text=Sylvie%20Froucht%2DHirsch%20est%20m%C3%A9decin,directeur%20de%20l'Espace%20%C3%A9thique.   


Vous souffrez d’un cancer du sein et vous souhaitez en parler avec un médecin généraliste ou spécialiste ? 
Nos médecins sont à votre écoute.


*Ce podcast recueille des témoignages personnels qui peuvent heurter votre sensibilité. Nous vous rappelons que ces récits représentent le vécu de nos invités et ne sont pas nécessairement représentatifs de notre point de vue.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Ce podcast vous est proposé par la plateforme Livi.

  • Speaker #1

    Bonjour, je m'appelle César Ancel-Ancel. Je suis médecin généraliste et urgentiste. Bienvenue dans Patient, saison 2.

  • Speaker #0

    Sylvie,

  • Speaker #1

    quand la soignante devient patiente ? Je préserverai l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de ma mission. Je n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences, je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés. J'apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu'à leur famille dans l'adversité. Ces paroles font partie du serment que nous, médecins, avons tous prononcé lors de notre entrée dans la profession. À travers elle, nous nous engageons à consacrer chaque jour de notre vie à la santé et au bien-être des autres. Mais qui prend soin des professionnels de la santé ? Comment vivons-nous la maladie en tant que soignants ? Comment cette expérience influence-t-elle notre pratique médicale ? Aujourd'hui, nous avons le privilège d'accueillir Sylvie, qui partagera son expérience avec nous. Bonjour Sylvie.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Sylvie, est-ce qu'on peut se tutoyer ?

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #1

    Comment vas-tu ?

  • Speaker #0

    Je vais bien, merci.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux te présenter ?

  • Speaker #0

    Alors donc, je suis Sylvie. Vous m'avez sollicité pour venir en tant que médecin malade, effectivement en 2003. J'ai été confrontée au cancer du sein. Je suis également médecin anesthésiste récemment retraitée, accompagnée de mon délicieux mari Emmanuel. Ce cancer du sein a été annoncé par le chirurgien qui allait m'opérer comme un petit teigneux, petit par la taille, teigneux par l'agressivité médicale. Et donc en 2003, j'ai bénéficié de l'ensemble des traitements que l'on pouvait proposer. Pour traiter un cancer, j'ai été opérée, j'ai eu de la chimiothérapie, j'ai eu de la radiothérapie, j'ai eu de la curithérapie. Et je dis toujours qu'en 2010, le sein gauche a été jaloux. Donc, à l'occasion des mammographies annuelles de surveillance, en 2010, j'ai eu également le diagnostic et le traitement d'un cancer du sein à gauche.

  • Speaker #1

    Et le chirurgien qui t'a diagnostiqué initialement a qualifié cette lésion de petit teigneux. Oui. Tu peux nous dire pourquoi est-ce qu'il a qualifié cette lésion de petit teigneux ?

  • Speaker #0

    C'était lors de la consultation d'annonce. Le chirurgien était une amie et j'ai été sollicité un jour par un coup de fil. Sylvie, peux-tu venir ? L'annonce, elle était déjà faite uniquement par le ton de la voix de ce médecin. Donc, je suis arrivé et là, elle me dit Sylvie, voilà. tu as un cancer, c'est un petit teigneux. J'ai repris cette formule dans mon livre. Je vous expliquerai pourquoi le livre existe. Petit teigneux parce qu'un petit cancer met teigneux dans la classification anatomopathologique, ce qui a donc entraîné un traitement assez complet pour le soigner.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu te rappelles comment tu as vécu cette annonce initialement ? Justement, quand tu as... entendu pour la première fois le terme cancer ou cette notion de petit teigneux. Comment tu l'as vécu ?

  • Speaker #0

    Alors, j'étais allée seule au rendez-vous. Le bureau du chirurgien était au-dessus du bureau de mon mari, qui travaillait également à l'hôpital Saint-Louis. À l'annonce de la pathologie, j'ai un peu pleuré et j'ai demandé qu'on appelle mon mari, qui a eu un étage à monter, qui est venu à côté de moi. D'accord. Une fois que l'annonce est faite, globalement, je dirais que c'est peut-être quelque chose de rassurant, puisqu'on a un diagnostic. Et en fonction du bilan d'extension, on définira la thérapeutique. Je suis rentrée l'après-midi à la maison, j'ai pleuré. Ma première journée a été de penser, même si je suis médecin confrontée au cancer, J'ai pensé tout de suite à la mort, ce qui me semble un peu ridicule à postériori, parce qu'il y a des pathologies, je dirais, beaucoup plus graves qu'un cancer qu'on peut traiter. Mais ma première pensée a été de penser que j'allais mourir. Après, j'ai appelé mes collègues qui savaient que j'allais avoir une consultation. Et si je vous parle de mes collègues, c'est que je n'ai pas prévenu en famille très proche. J'ai ma mère et ma sœur, que j'ai préservé du diagnostic initial pour ne leur annoncer. que quelques temps plus tard, avec une stratégie, je dirais, d'épargne émotionnelle, si on peut dire ça comme ça. Ma mère, si vous voulez, historiquement, si ça peut vous aider à comprendre, juillet 1944, ma mère descend chercher le pain à Villeurbanne et toute sa famille est arrêtée. Donc, elle est la seule survivante. Je suis issue d'une famille juive, mes quatre grands-parents ont été déportés. Je fais cette digression. Parce que vous allez voir, pendant le temps de mes thérapeutiques, on parle beaucoup du vécu, mon côté juif est ressorti. Donc j'ai été opérée, et là j'ai dû bénéficier de chimiothérapie. Et même en 2003, on proposait la pose d'un portacat, qui est donc la petite capsule sous la peau, pour pouvoir éviter d'abîmer les veines lors des séances de chimiothérapie. Je ne voulais pas de marquage. Autour de moi, tous les amis de maman, la famille de maman étaient revenus de déportation et avaient un numéro. Quand on a des séances de radiothérapie, on a déjà les points de tatouage. Ça me suffisait largement. La première séance de chimiothérapie, elle était au mois de juin. Je ne voulais pas. Le prérequis était qu'on ne montre pas à l'autre qu'on est malade. Donc surtout pas de porte à quatre dans le décolleté. Et donc j'ai eu toute ma chimiothérapie par voie veineuse. C'est là que le côté médical est intéressant, parce que je connais avantage inconvénient de la pose du porte-à-quatre de cette voie que l'on qualifie de voie centrale. Effectivement, je n'avais qu'un bras fonctionnel pour les piqûres compte tenu du curage, qui interdisait les ponctions sur le bras droit. J'ai un peu abîmé mes veines sur le bras gauche, mais je n'ai pas eu de porte-à-quatre.

  • Speaker #1

    Pour expliquer un peu le principe de la prise en charge. Est-ce que tu peux nous rappeler globalement les différentes étapes de la prise en charge, les successions, la séquence, un peu comment ça s'est passé ? Est-ce que tu peux nous synthétiser ça ?

  • Speaker #0

    Alors, une fois que le diagnostic est fait, comme dans toute pathologie cancéreuse, on réalise ce qui s'appelle un bilan d'extension. Est-ce que le cancer a déjà des SMA, donc il y a déjà des métastases, en pratique dans le cancer du sein ? On demande de réaliser une scintigraphie osseuse, une échographie abdominale, des prises de sang. Dans mon cas, le petit teigneux était resté, je dirais, localisé, sans métastase, sans, a priori, atteinte ganglionnaire. Mais la classification anatomopathologique n'étant pas très sympathique, j'ai bénéficié donc d'une chirurgie. Une tumorectomie parce que c'était petit. On m'a demandé si on voulait retirer le sein. On m'a demandé si je voulais une enquête génétique. Et en pratique, je n'ai pas voulu d'enquête génétique. Je n'ai pas voulu qu'on retire le sein. Alors tout choix a des conséquences. Même quand on est médecin. Malade, moi je vous ai dit, je suis médecin spécialiste anesthésiste, je n'ai aucune compétence en cancérologie.

  • Speaker #1

    Bien sûr.

  • Speaker #0

    Et donc en pratique, dans le choix de la thérapeutique, j'ai fait confiance aux médecins. L'oncologue m'a dit, on va vieillir ensemble, donc je lui ai dit banco.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et effectivement, il a pris sa retraite avant moi, mais on s'est accompagnés, je dirais, mutuellement. Il y a quand même une séquence. Pendant les premières années, on se voit tous les trois mois, puis tous les six mois, puis tous les ans. Donc, j'ai eu de la chimiothérapie. J'avais des cheveux, j'avais un carré, j'étais à peu près coiffée comme ça. Je suis allée chez le coiffeur faire couper les cheveux, ce qui est recommandé avant les cures de chimiothérapie. Et j'ai eu cette chance extraordinaire de ne pas perdre mes cheveux. J'avais une coupe très courte, un peu pixie comme on pourrait dire. Une coupe très courte. bien maquillée, coiffée, sympathiquement, bien habillée. J'étais en master d'éthique appliquée à la santé et aux soins pendant ma deuxième année. Donc, j'étais en deuxième année pendant mes soins. Mon challenge a été de ne pas montrer à mes collègues étudiants que j'étais souffrante.

  • Speaker #1

    Tu l'avais déjà avant, cette idée ou ce principe de ne pas montrer qu'on est souffrant ? Ou c'est arrivé lors de la... déclaration de cette maladie ?

  • Speaker #0

    Avant le cancer, en 2003, je n'ai jamais été malade. Mais en pratique, je pense que c'est peut-être mon expérience de médecin ou de fille de patiente. en l'occurrence ma mère, qui avait déjà été souffrante.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Alors, est-ce que j'avais un modèle de dame assez résiliente qui, malgré tous les soucis de la vie qu'elle a eus, parce qu'elle, effectivement, avait déjà eu un cancer du sein qui avait également atteint les deux seins, elle a 95 ans actuellement, vous diriez, c'est un petit mannequin, elle est pomponnée, maquillée. Donc, je pense que c'est un modèle, si vous voulez, qui me convenait bien. Il n'y a rien de pire quand vous êtes malade que le regard. plaintif. Ça vous met mal à l'aise. Je pense que ce n'est pas aidant du tout. Quelqu'un qui vous plaint, vous embarque dans la maladie. Et puis, vous ne voulez pas décevoir, donc vous en rajoutez une couche. Si je ne vais pas bien, je peux aller encore plus mal. Ça n'a aucun sens à mon goût. Si on a la chance de supporter les traitements, ce n'est pas un temps facile, c'est un temps d'angoisse, mais c'est aussi un temps... temps où on peut prendre soin de soi, il faut en trouver un bénéfice. Alors, je ne dirais pas un bénéfice secondaire, mais il faut se donner des buts dans la vie. On n'a jamais vu que j'étais souffrante. À l'époque, dans le bouquin, je raconte que je suis sortie de l'hôpital après l'intervention. Vous êtes docteur, vous pouvez sortir avec votre redon sympathique. Vous devez noter la quantité que le redon donne. Vous pouvez faire les petits pansements. Pendant 15 jours.

  • Speaker #1

    Tu peux rappeler ce que c'est pour les gens qui nous écoutent ? Un redon ? Oui.

  • Speaker #0

    Un redon est un dispositif de drainage. Quand vous êtes opéré du sein, il y a un écoulement de lymphe qui peut stagner dans le sein. Et donc, il faut un dispositif, un petit tuyau.

  • Speaker #1

    Un tuyau, c'est ça.

  • Speaker #0

    Qui est à une bouteille qui recueille la lymphe. Et tant que la lymphe coule, vous gardez votre bouteille reliée au sein. Et l'idée, c'est quand même d'aller vous promener. Et pour cacher la bouteille, à l'époque, j'avais trouvé des jupes qui avaient des grandes poches latérales, on parlerait de poches cargo actuellement. Donc je me baladais, j'avais acheté une noire et une beige. Et le redon, donc la bouteille, allait dans la poche. Toujours avec l'idée qu'on ne montre pas, qu'on se balade. Enfin, c'est quand même pas très... sympathique de montrer une bouteille de recueil. Donc, ni vu ni connu, la bouteille dans la poche et vous allez vous promener.

  • Speaker #1

    Tu nous as dit que tu en as parlé à ton époux ?

  • Speaker #0

    Oui, qui a été mon premier supporteur et avec une très belle attitude qui a été de ne pas me couver. Mon mari est professeur d'éthique médicale. Il a beaucoup réfléchi sur la présence, la juste présence, la bonne distance. Donc moi, je n'étais pas sa patiente, j'étais sa femme, mais il ne m'a pas couvé. Il était présent, mais lointain en même temps. C'est-à-dire que son activité professionnelle n'a pas été modifiée. Simplement, j'ai été soignée à Saint-Louis, ses bureaux étaient à Saint-Louis, et j'allais me réfugier dans son bureau après les traitements. Mais je ne lui ai jamais demandé, par exemple, qu'il soit présent. lors de mes séances de chimiothérapie. Je n'y ai jamais vu d'intérêt. Je trouve qu'il faut aussi préserver son trait proche d'une illusion de protection. C'est-à-dire que ne pas lui montrer qu'on est triste, qu'on a peur, mais il n'est pas idiot. On est un peu comme deux éponges, si vous voulez. On est assez fusionnel. Le jour où votre mari vous dit... Si ça ne va pas, moi, je me suicide. Je peux vous dire qu'il vous rend responsable de votre vie.

  • Speaker #1

    Ton mari t'a dit ça ?

  • Speaker #0

    Ah oui, il m'a dit que si je mourais, il ne survivrait pas.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Mais jusqu'à maintenant, on a quand même un âge certain, mais on va s'appeler deux, trois fois. Enfin bon, il y a une grande responsabilité de l'un envers l'autre. J'ai été au... opéré en début d'après-midi et je suis rentrée à l'hôpital le matin de la chirurgie. Et comme l'espace éthique était... Moi, j'avais que la cour de Saint-Louis à traverser. Je me suis dit, plutôt que d'attendre dans ma chambre, je vais aller lui faire coucou. Je l'ai trouvée en pleurs. Donc, je suis repartie immédiatement. Vous voyez, c'est compliqué parce que vous voulez protéger. C'est pour ça que j'ai attendu ma mère qui avait été souffrante, qui a perdu mon... père qu'elle adorait, qui n'avait plus trop de famille, qui avait déjà eu un cancer du sein, je me suis dit, il me faut une stratégie d'épargne que j'appelle épargne émotionnelle pour annoncer À ma mère et ma sœur, que j'étais souffrante, on a attendu le week-end du 1er mai à la campagne où on a dit on a quelque chose à vous dire

  • Speaker #1

    Comment ça s'est passé suite à cette annonce faite à tes proches ? Ça a changé des choses en toi ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

  • Speaker #0

    L'annonce à mes proches, notamment à ma mère et à ma sœur, a été un peu décalée. Une fois que je connaissais l'amplitude du traitement proposé, j'étais plus factuelle. Et ça me permettait de répondre à leurs questions. Ce qui est compliqué quand on appréhende l'annonce vis-à-vis de ces très proches qu'on aime, c'est l'angoisse que ça génère. Maman s'est sentie responsable, puisqu'elle avait déjà été souffrante plusieurs années auparavant, et elle avait peur de m'avoir transmis la maladie. Deuxièmement, ça a occasionné chez ma sœur et ma mère ce regard un peu compassionnel, plaintif, dont j'ai horreur. Donc la conséquence de tout ça est de dire à maman, qui venant me voir les premières fois un peu, je dirais larmoyante, avec son côté bonne maman, de me permettre de lui dire, je vais te faire un deal, si tu viens me voir et que tu larmoies, c'est pas la peine de venir me voir. Tu viens me voir, on va faire les magasins, on va se promener, moi je te souris et tu me souris, mais j'ai pas envie de te faire pleurer. Donc, si un jour tu es triste, ne viens pas me voir. Donc, ça a été, je pense, la conséquence. Du côté de mes beaux-parents, ils sont moins affectifs. Et donc, je leur ai annoncé assez simplement. Et mon beau-père a eu une très jolie réaction. Il a dit, ça aurait dû m'arriver à moi, parce que je suis un vieux con et ça aurait pu être pour moi. Donc, chacun réagit avec sa sensibilité. Et quand j'ai eu mon deuxième cancer en 2010, faute de l'expérience de ma mère, dont je n'aimais pas le côté trop bonne maman, je lui ai caché. Elle m'en a beaucoup voulu, mais comme il n'y avait pas un énorme retentissement, là, je n'avais pas de chimio, j'ai juste eu la chirurgie et les rayons, j'ai pu lui cacher. Et je ne lui ai rien dit. Elle l'a su beaucoup plus tard.

  • Speaker #1

    Et elle t'en a voulu ?

  • Speaker #0

    Elle n'était pas contente. Mais je pense que je l'ai protégée de nouveau. Le but était ça, la protéger de nouveau de souffrance. Elle a eu quand même... C'est l'idée que j'en avais. Avec un parcours de vie, à mon avis, très compliqué. Et je n'avais pas du tout envie de lui infliger de nouveau un peu de tristesse.

  • Speaker #1

    Oui, donc tu penses... Tout ça, ça reste personnel, en fait. C'est-à-dire les injonctions qu'on peut être amené à dire à certaines personnes. Il faut que tu en parles autour de toi, absolument, parce que tu vas te faire aider, parce que tu ne peux pas rester seul avec ça. Tu penses que c'est idiot, ça ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas idiot, mais on est toujours dans le cadre du sur-mesure. Il n'y a pas de règles, il n'y a pas de conseils. Chacun fait comme il peut. Et du temps de mes traitements, moi, je n'ai jamais vu personne et j'étais très bien. J'étais très bien avec mon mari.

  • Speaker #1

    Du sur-mesure.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Donc en fait, si je comprends bien, il y a plusieurs choses que tu exprimes. La première chose, c'est que tu ne veux pas que ça se voit parce que tu ne voulais pas qu'on te voit comme une malade, finalement, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Oui, et puis je pense que ça fait partie de la thérapeutique. D'accord. C'est-à-dire que ne pas se laisser aller, avoir une espèce, j'appellerais ça peut-être une force de vie. Il y a la maladie. Dans la graduation des cancers, je peux dire qu'effectivement, il était teigneux, donc il a généré beaucoup d'angoisse. Mais dans le quotidien, je n'ai pas eu de handicap particulier. J'ai été opéré, je n'ai pas perdu mes cheveux, je n'ai pas porté de perruque, j'ai supporté la chimiothérapie.

  • Speaker #1

    Oui, j'allais y venir, parce que ça, c'est quelque chose qu'on entend assez souvent. Et c'est le traitement qui peut vous éreinter, en fait, à un moment donné.

  • Speaker #0

    Là, on parle de fatigue. Effectivement, on est fatigué. J'ai eu six mois de chimiothérapie. Je n'étais plus en capacité de marcher 100 mètres à la fin de la dernière séance. Mais par contre, la vie, elle continue. Je n'ai pas eu de nausée. Il y a eu une expérience amusante à Saint-Louis. Il faisait une enquête. Et donc, j'ai accueilli une psychologue à la troisième cure de chimio. qui voulait faire une enquête sur la relation entre la famille et la tolérance de la chimiothérapie. Donc, elle m'a interviewée sur mes grands-parents. Grands-parents déportés. assez peu joyeux comme évocation, je n'ai jamais autant vomi cette fois-là.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Et le médecin a interdit à la psychologue de revenir m'interviewer. Je n'ai plus jamais vomi.

  • Speaker #1

    Ce que tu évoques un peu, c'est quoi ? Une sorte de contagiosité émotionnelle, en fait ? C'est-à-dire que tu n'as pas besoin de ça à ce moment-là, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Je pense que je n'ai pas besoin et je pense que je suis intellectuellement, sentimentalement juive, non religieuse. Je suis issue d'un monde juif d'Europe de l'Est et qu'il y a beaucoup de choses qui se remontaient. Et quand j'ai relaté mon expérience lors de la présentation de mon mémoire de master, ça a interpellé mes collègues étudiants. J'ai présenté mes séances de radiothérapie, alors c'est eux qui m'ont dit ça. On m'a dit donc pour irradier le sein, il faut être torse nu, mais personne ne m'a proposé une blouse. Et donc, je me rendais vers l'appareil d'irradiation torse nu. Et j'ai relaté ça de telle façon, ils m'ont dit, mais tu te rends compte comment tu décris les choses ? Tu allais à ta séance d'irradiation comme, enfin, c'est un peu compliqué de vous redire ça, mais comme les déportés allaient à la chambre. Ça a été très curieux et ça a été ressenti. Ce n'est pas ce que je voulais dire. Moi, je voulais juste parler de la honte. que j'ai eu pendant un mois de me balader torse nu du vestiaire à la chambre d'irradiation.

  • Speaker #1

    Ça, c'était quelque chose qui faisait partie de la procédure pour tout le monde ?

  • Speaker #0

    D'être torse nu ? Oui. Alors, à la fin du mois, on m'a demandé comment je me sentais. Je les ai remerciés. J'avais amené des petits gâteaux, des trucs pour remercier l'équipe. Et on m'a dit, comment avez-vous trouvé ? Si on peut dire comment avez-vous... Je leur ai dit, écoutez, vous êtes charmants, mais les prochaines fois, proposez quand même une tenue parce que j'ai eu honte pendant un mois. Je suis un peu pudique, certes, mais... On fait très attention quand on endort quelqu'un de ne pas endormir la personne à poil, je dirais. On colle les électrodes et après on recouvre la personne. Enfin bref, et là je leur ai dit, j'ai eu honte et je n'ai pas osé vous le dire. Il y a un côté vulnérabilité. La personne malade, elle est vulnérable. Alors on parlera peut-être de l'autonomie de la personne malade. Moi, je trouve que c'est un grand leurre. Déjà, vous êtes malade, vous n'êtes pas autonome. Vous dépendez des autres. Si vous étiez autonome, vous ne seriez pas malade. Enfin bon, comme en 2010, j'ai été de nouveau malade et que j'ai encore bénéficié de radiothérapie, j'ai pu voir que là, on proposait une petite blouse. Et donc, j'étais assez contente en me disant peut-être que j'étais un petit maillon qui a fait réfléchir les gens sur leur pratique.

  • Speaker #1

    À propos de ce statut de médecin, tu l'as quitté. T'as quitté à un moment ce statut de médecin ? T'as senti que justement, t'étais devenue tellement vulnérable que t'étais passée de l'autre côté ? Ou tu gardais un petit peu encore cette position en rapport avec ton savoir ? T'en as eu l'impression d'une perte de maîtrise ? Comment ça s'est passé ?

  • Speaker #0

    Non, j'ai plus d'humilité que ça. C'est-à-dire que le médecin malade est devenu une malade médecin. Et le médecin, je n'existais plus. Ça m'a permis de voir qu'être médecin, c'est pas facile. Qu'être malade, c'est pas facile. et que globalement, il faut qu'il y ait une réciprocité dans la confiance. Il faut qu'il y ait une mutualité des savoirs. Dans notre exercice quotidien, le médecin qui joue au médecin, c'est très désagréable de le soigner. Moi, je n'aime pas m'occuper des médecins qui font savoir, qu'ils ont un savoir. Je pense qu'on est d'autant mieux soigné qu'on n'étale pas. En plus, moi, je suis médecin anesthésique, je ne suis pas cancérologue. Soigner, c'est difficile parce qu'il faut engager la relation. confiance. Moi, on m'a raté mes veines pendant les séances de chimiothérapie. Je sais que c'est difficile quand les veines sont petites. C'est difficile. Je chauffais un peu la veine pour aider l'infirmière. Après, je pense qu'il faut être tolérant. Il faut respecter le travail. Et je ne suis pas... On m'a trouvé gentille. C'est-à-dire que vous voulez me piquer, vous me piquez, il faut ça. il faut refaire une prise de sang, vous faites une prise de sang. Je ne me suis mêlée de rien et je ne voulais pas me mêler ou de la thérapeutique ou des soins en me disant que moins on s'en mêle et mieux on se porte. Mais je ne pense pas que ça ait modifié après mon exercice professionnel.

  • Speaker #1

    On a l'impression que tu étais finalement déjà sensibilisée à ça, à ces notions, avant d'être malade. Ou est-ce que ça a augmenté encore plus ta sensibilité et est-ce que tu as fait plus attention encore ? après ça ?

  • Speaker #0

    La sensibilité, elle est, lors de ma reprise, j'ai repris en réanimation et j'étais hypersensible. Il m'est arrivé de pleurer avec une famille à qui j'annonçais que le patient était ou allait passer en état de mort cérébrale. Mais la famille s'est mieux tenue que moi. Et ça les a touchés. Ils ont vu un médecin qui montrait sa sensibilité, je dirais sa fragilité. Moi, j'en ai quand même un peu eu honte parce qu'à ce moment-là, je n'avais pas à montrer ma sensibilité. qu'il doit y avoir effectivement ce retrait et cette bonne distance. Donc cette sensibilité exacerbée s'est estompée quand même au fur et à mesure de ma reprise professionnelle. Mais j'aime bien les gens et je pense que si vous voulez, ce n'est pas un hasard d'être médecin anesthésiste avec cette composante humaine où on se dit qu'il n'y a pas que le technique dans l'exercice de mon métier. Il y a des gens qui m'ont demandé si je n'étais pas plus humaine et tout compte fait. Être malade quand on est médecin, c'est plutôt sympathique parce que ça vous apprend ce que c'est à être malade et que ça vous rend meilleur. Je pense que l'expérience de la maladie, elle n'est pas obligatoire. On s'en passerait bien. Ce que j'ai retenu de ça, c'est l'expérience de la douleur, par contre. C'est-à-dire que quand j'ai eu la curie-thérapie, qui est une irradiation localisée du sein, mais à travers des aiguilles à tricoter creuses, j'ai... peut-être ressenti la douleur la plus horrible parce que l'anesthésie était un peu ratée. Donc j'appelle ça le planté d'aiguilles un peu accrus. Une fois qu'on vous les met, on vous les enlève. Mais là, encore sans anesthésie, on m'a embroché un muscle. Parce que la tumeur était très haute dans le creux. Enfin bref, on va dire que ça a été un peu raté. Donc là, j'ai vraiment eu très mal. Et comme ils m'ont embroché, ça veut dire que le bras n'a pas pu bouger pendant 4-5 heures, pendant les deux séances d'irradiation. J'ai été délivrée de la douleur quand ils ont retiré les aiguilles à tricoter. Donc ça, vraiment, sur les échelles de cotation, je pouvais avoir 10. Et puis, je suis retombée à zéro quand on m'a enlevé les aiguilles à tricoter. Ça tombait bien, j'avais fait une capacité douleur trois ans avant. Donc, j'étais dans l'évaluation de la douleur un peu subjective. Là, de façon objective, j'ai compris ce que c'est d'avoir mal.

  • Speaker #1

    Est-ce que toi, tu peux... Je pense que le sujet de la maladie, dans le domaine médical, quand un médecin ou un soignant est malade, est-ce qu'il y a un tabou ? Est-ce que tu as ressenti une gêne de la part de certains collègues ou tu avais l'impression qu'il n'y avait pas de tabou, justement ?

  • Speaker #0

    Il y a peut-être une gêne ou tabou quand on est considéré comme un médecin que l'on soigne. Mais plus vous vous faites entre guillemets petit et humble et sans étaler votre côté professionnel... Je reviens à ce que je disais, soigner n'est pas facile, donc il faut mettre les gens à l'aise. Et si vous dites, vous savez, je suis médecin, je pense que ça éloigne le professionnel. Moi, je suis dans la relation de conscience. Celui qui sait, à un moment donné, c'est le professionnel. Moi, je connais l'anesthésie, mais je ne connais pas la radiothérapie, je ne connais pas la chimiothérapie et je laisse les gens travailler. Je pense que c'est très, très important. important.

  • Speaker #1

    Ça, c'est important parce que je ne sais pas si en tant que médecin, on partage tout ça, en fait. Alors moi, je te donne juste mon avis, c'est un peu personnel, mais en gros, il y a peut-être une personnalité, j'ai tendance quand même à aller vérifier dans certains domaines, en fait. Et donc toi, à priori, tu étais peut-être en très bonne main et tu avais tout de suite cette relation de confiance. Ça ne t'est jamais arrivé d'aller vérifier des informations, d'aller rechercher un peu plus loin quand même, pour savoir si tout était OK, tout était bon ?

  • Speaker #0

    Je ne connais rien en cancéro. Qu'est-ce que je vais aller vérifier ? Ma seule capacité, c'est de pouvoir lire les bilans sanguins. Donc effectivement, j'ai lu mes bilans sanguins. Je sais analyser un bilan sanguin. Par contre, à l'époque, quand vous avez le laboratoire qui prélève avec une grosse aiguille, en piquant directement dans la veine et sans utiliser un petit dispositif à ailette un peu plus petit, vous ne dites rien. Donc j'ai assumé. Les pseudo-mauvaise pratique de certains, je reste confiante. Là, j'ai été opérée récemment, ça fait un mois et demi, d'une prothèse de hanche. Alors, j'ai choisi le lieu sur les conseils de mon chef de service, le chirurgien sur les conseils de mon chef de service. En anesthésie, j'ai été endormie par quelqu'un que je connaissais, puisque c'est la même équipe. Et puis après, vous faites confiance.

  • Speaker #1

    Et tu as ce même comportement vis-à-vis de tes proches ?

  • Speaker #0

    Par exemple, si tu dois confier à un proche pour un problème de santé particulier, tu fais confiance, tu ne vas pas vérifier.

  • Speaker #1

    Ma très proche actuelle qui a des soucis de santé, elle a 95 ans. Elle est toute mignonne, mais elle n'est pas en capacité de tout saisir. Alors, elle a compris que sa fille était le meilleur médecin par rapport au médecin généralisant. Sa fille, elle est un peu obligée de colliger les infos. Mais je pense que toute ma vie, je lui dirais que je ne suis pas son médecin.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Mais elle, elle est contente, elle a une fille docteur.

  • Speaker #0

    J'aimerais bien revenir sur ton livre qui s'appelle Le temps d'un cancer, chronique d'un médecin malade Comment t'es venue l'idée de réaliser ce projet ?

  • Speaker #1

    L'idée n'est pas la mienne, l'idée c'est mon double Emmanuel Hirsch, qui voyant quand même de temps en temps mon désarroi, m'a donné un carnet, un petit stylo, et m'a dit Écris Sylvie, écris Donc j'ai relaté mes impressions tout au cours des traitements. Et puis, effectivement, j'étais en master d'éthique appliquée à la santé et aux soins en deuxième année. Et on doit rédiger un mémoire. Et du coup, je me suis dit que mon sujet de mémoire allait être le parcours d'un médecin qui traverse la maladie grave. Et j'ai eu une bonne note. J'étais une étudiante, j'ai eu 16. Le prof de philo m'a dit que c'était très bien. Et Emmanuel m'a dit si tu veux, on le publie parce que ça peut peut-être aider d'autres personnes à se situer dans la maladie Donc, ce n'était pas uniquement une histoire, mais c'était une réflexion sur les différents temps de la maladie. Et effectivement, il y a un chapitre sur le paraître, l'importance du paraître, c'est quoi les différents temps de la maladie. avec le temps de l'annonce, l'après. Qu'est-ce qu'on fait de l'après, après avoir eu cette expérience de la maladie ? Alors, cet après, on en sort enrichi d'une expérience. Peut-être que vous me parlerez des patients experts, qui sont des patients avec un savoir actuel universitaire. Il y a une université qui délivre des diplômes. Moi, c'est quelque chose que... Je ne trouve pas très adapté parce que je trouve que ça nuit à la relation de confiance. Je pense que quand on est patient, on n'est expert que de soi-même et de son savoir. Je pense qu'il n'y a pas d'universalité. On a été malade, on sait ce qu'on a vécu. Si on reprend l'expérience des médecins, déjà les médecins ne savent pas tout et ils n'ont pas de savoir universel. Donc j'ai beaucoup de mal à appréhender cette notion de patient expert. peuvent à la fois traduire ce que le médecin n'a pas voulu dire ou n'a pas pu dire à un patient. Donc moi, je suis un peu ringarde là-dessus. Je trouve qu'il y a beaucoup de métiers, je qualifie un métier coucou. C'est un métier qui veut aider le médecin, mais qui le dénigre beaucoup.

  • Speaker #0

    Métier quoi ?

  • Speaker #1

    Coucou ?

  • Speaker #0

    Pourquoi coucou ?

  • Speaker #1

    Parce que le coucou, il vit sur le dos des autres.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Je n'aime pas cette idée de... personnes ayant un savoir qui vont traduire ce que dit le médecin. J'ai quand même une assez haute opinion du métier de médecin et pensais que le médecin ne sait pas parler aux patients, le médecin utilise des mots importants et forte de l'expérience de la maladie et de mon côté médical, j'avais été sollicité pour faire des cours aux infirmières d'annonce. Les infirmières d'annonce qui se doivent de traduire ce que le médecin a dit mais que la personne n'a pas compris. Je trouve ça assez désagréable, parce que je dirais que le bon docteur, le médecin qui a l'humanité suffisante, devrait s'assurer que le patient a compris. On n'a pas besoin de traducteur. Donc ce que j'avais tenté d'expliquer aux infirmières d'annonce, c'est qu'elles n'avaient rien à annoncer. En médecine, on se doit d'annoncer toutes les complications inhérentes à un geste. Je leur avais dit qu'en anesthésie, je n'annonçais rien, mais que le patient signait le consentement. Donc tout est sur cette relation de confiance. Si je commence à expliquer qu'en intubant, je casse des dents, on se retrouve avec des nodules sur les cordes vocales, avec une fréquence rarissime, mais certes, c'est important, ça n'a aucun sens. De la même façon, l'infirmière d'annonce, si elle dit que la chimiothérapie fait vomir, entraîne des mucites, les pertes d'ongles, ce n'est pas ça qu'on attend. pas dans l'énumération, mais je dirais qu'on doit être dans la bonne présence. J'existe, et si vous avez des questions, je vous réponds. Mais le catalogue de complications pour moi n'a pas lieu d'être. Je pense que quand on est malade, on veut juste avoir un petit coup de fil le lendemain de la chimio. Sylvie, vous allez bien, vous avez pris votre zofreine ? Ah non, je ne vomis pas. Sylvie, vous prenez le zofreine, c'est aussi un traitement préventif.

  • Speaker #0

    Oui, mais alors, sur ce que tu décris, notamment sur les fonctions du médecin et son devoir d'explication quand même, ou de communication, tu ne penses pas qu'il y a certains médecins qui justement parfois n'ont pas le temps ou pas le désir d'aller dans cette direction, et que c'est pour ça justement... qu'il y a d'autres corps de métier qui sont sollicités, notamment les patients experts, avec le retour classique qu'on peut avoir de la part de certains patients qui vont dire j'ai rien compris ou qu'est-ce que t'as ? Non, il m'a rien dit, je sais pas. Avec aussi les problèmes de littératie en santé, les gens qui ont du mal à comprendre certains documents médicaux ou des choses comme ça. Tu ne penses pas que quand même, de temps en temps, il y a un problème d'échange d'informations ? idéalement, certes, je suis d'accord avec toi, c'est-à-dire que normalement, ça devrait être inné ou acquis, mais qu'en plus, avec la tendance actuelle de carence en médecin, justement, il n'y a pas un défaut d'information de certains patients ?

  • Speaker #1

    Alors, on revient sur la notion du temps, du temps consacré aux soins. Je trouve qu'être médecin, on a fait quand même beaucoup d'années d'études. Il y a un serment d'Hippocrate. Actuellement, on est dans une phase transitoire. Quand j'ai fait mon pot de départ, mon chef a dit j'ai jamais trop compris pourquoi Sylvie mettait autant de temps sur une consultation d'anesthésie. Elle est tellement bavarde, j'ai enfin compris. Si on est uniquement technique, on va vite. Si on a envie de s'intéresser à la personne, on discute, on met un peu plus de temps. Si on a un patient à moule, on appelle l'interprète et ça prend un peu plus de temps. Je parle beaucoup avec les mains parce qu'on accueille des patients qui entendent mal. On accueille des patients avec des troubles cognitifs. Alors, on peut parler à la fille de la patiente, et ça va très vite. Et vous assumez aussi la réflexion un peu impatiente de la fille, qui vous dit que ce n'est pas la peine de lui parler, elle ne comprend rien. Alors, être médecin, c'est peut-être aussi faire de la résistance et dire, ben non, moi je parle aux patients. Et avec l'idée que tout patient est en capacité de comprendre. Et comprendre. Quelque chose de petit, de grand. En pratique, le patient est une personne, donc on lui parle et on ne parle pas à l'accompagnant. Et il y a quand même des choses gratifiantes dans cet exercice. C'est quand la femme d'un patient parkinsonien vous dit je vous remercie, vous lui avez parlé Vous voyez, ça c'est les petits plaisirs de la consultation. Vous accueillez un enfant handicapé, vous lui parlez. Et l'enfant, à un moment, j'ai cru qu'il pleure, il pleure. Je dis, mais il pleure. Et la maman dit, non, il est content. Comment vous voulez raconter ça si vous ne prenez pas le temps ?

  • Speaker #0

    Alors le temps, oui. Le temps, c'est hyper important, justement, pour la prise en charge. Qu'est-ce que tu penses, toi ? C'est quoi ton avis sur le temps d'une consultation, par exemple, en médecine générale ? Tu sais, le temps de consultation, c'est une quinzaine de minutes, à peu près. Au Royaume-Uni, c'est dix minutes.

  • Speaker #1

    Le problème, c'est le rapport à l'argent. L'argent fausse tout. Le médecin a besoin de gagner sa vie. Moi, mon idéal, c'était d'être salarié. Il n'y avait pas de relation à l'argent, donc pas de relation au temps. Effectivement, à la Fondation Rothschild, on a deux ordinateurs en consultation. Il y a l'ordinateur de consultation et l'ordinateur où il y a le logiciel avec les rendez-vous. Et donc, on avait un rendez-vous toutes les 20 ou 30 minutes. mais là-dessus viennent se greffer les urgences. Donc globalement, vous avez un quart d'heure. Et puis vous avez l'horloge qui défile, où vous avez le temps consacré au patient qui est en face de vous. Globalement, moi j'en reviens à mon mot résistance, qui implique un retard certain, et qui implique après une explication vis-à-vis du patient qui attend. Et là, effectivement, vous avez des patients qui râlent, docteur, vous êtes en retard. Alors vous avez deux façons de faire. Je vais rattraper le temps perdu avec vous, je vais passer cinq minutes et on va aller très vite, si c'est ça qui est important, ou alors je prends le temps comme je l'ai fait avec le patient d'avant. C'est vous qui choisissez. Globalement, les patients comprennent. On n'est pas sortis du bureau, on n'est pas allés faire nos courses. Et puis, vous avez des patients qui râlent. Vous vous rendez compte, il y a beaucoup de monde. Vous savez, l'intérêt, c'est qu'on passe le temps qu'il faut. Je me permettrais juste de vous rappeler que c'est gratuit. C'est un peu sordide de dire ça, mais on a la chance en France de soigner gratuitement les patients. Et de temps en temps, les gens l'oublient. On est des espèces de prestataires de services. Moi, un jour, une patiente à 8h, je suis arrivée, j'avais besoin de monter en réa pour voir un patient. Je suis arrivée en consultation à 8h10. Elle a regardé sa montre, elle m'a dit Docteur, vous êtes en retard Je lui ai dit Sans me démonter, vous allez refaire votre entrée. Vous me dites bonjour et je ne veux pas de reproche J'étais toute seule ce jour-là en consultation. Je lui ai dit Vous avez de la chance, je vous accueille. Autrement, je refusais de vous recevoir Vous voyez, donc c'est compliqué d'être médecin. La médecine générale, avec une consultation de 10 minutes, c'est comme la téléconsultation. Il faut parler, il faut écouter le cœur, il faut regarder la personne. Avec l'expérience, les patients chez nous attendent dans un couloir. Donc ils se lèvent, ils déambulent et ils rentrent. Moi, je vais accueillir, je n'attends pas à mon bureau. J'aime bien ouvrir la porte. Et le patient s'accueille et je dis bienvenue Ça fait rigoler et j'ai vu comment le patient marche. Et je ne sais pas si avec votre expérience, vous voyez déjà que le patient, il est déprimé ou a été déprimé. C'est assez horrible à dire, mais avec l'expérience, vous êtes en capacité de voir ce que le patient ne peut dire. Vous n'avez jamais eu d'épisode de dépression ? Il y a 20 ans, sur des infimes signes. Je ne suis pas en capacité de vous dire comment. S'il fallait que j'écrive un livre, je ne sais pas vous l'écrire. C'est du ressenti et c'est ça le métier de médecin. C'est un savoir, un ressenti, une humanité.

  • Speaker #0

    Je veux revenir un peu sur le livre. Est-ce que tu peux me parler d'éventuels impacts de ton livre ?

  • Speaker #1

    C'est un livre qui semble être un classique. Parce que mon mari me dit, ah tiens, j'ai rencontré un tel qui a lu ton livre. Je crois qu'au départ, il y a eu 1500... Il a sa petite vie, mais ça n'a rien à voir avec un best-seller. Simplement, ça m'a... permis de discuter. J'avais accueilli en neuroradiologie un médecin cancérologue, étant assez bavarde lors des visites pré-op, on en avait discuté, et j'avais relaté mon expérience de refus du porte-à-quatre. Elle m'a dit, ça c'est amusant, parce que ça ne m'est jamais venu à l'idée. Je propose toujours le porte-à-quatre et c'est toujours accepté. Et donc elle me dit, c'est une idée, on n'est pas obligé d'accepter le porte-à-quatre.

  • Speaker #0

    Donc ça a pu changer les mentalités ou certains automatismes qui existent dans le corps médical ?

  • Speaker #1

    Non, le but n'était pas celui-là. C'était vraiment relater une expérience individuelle. Cette expérience, elle a été critiquée sur les réseaux sociaux à l'époque.

  • Speaker #0

    Ah oui ?

  • Speaker #1

    C'est le parcours d'une médecin riche et mariée. Elle a beaucoup de chance, elle est malade, mais elle a un mari et elle a des sous. J'ai tenté de faire comprendre que face à la maladie, on est quand même très solitaire. Dans le bouquin, j'avais utilisé le mot doublure On n'est pas au théâtre, il n'y a pas de doublure, personne ne peut prendre votre place. Effectivement, mon mari ne m'a pas abandonnée. On a des métiers où, effectivement, la Fondation Rothschild étant bien assurée, ils ont conservé mon salaire. Je n'ai pas été mise à la rue. on va dire de façon matérielle. Humainement, mon mari a été extraordinaire. Il fait la postface du livre. J'ai une amie qui m'a dit c'est un hymne à l'amour. Enfin, je ne vais pas en dire plus, mais c'est l'expérience de l'aidant principal qui est mon mari qui dit qu'il a cheminé avec moi durant cette expérience.

  • Speaker #0

    Donc ton mari qui est aussi, bien entendu, très engagé dans l'éthique, qui est professeur aussi ?

  • Speaker #1

    Il n'est pas médecin, il est philosophe, professeur d'éthique médicale, alors maintenant émérite à la faculté de Saclay et ses autres titres actuellement. Il en est heureux, il est membre de l'académie de médecine et membre de l'académie de chirurgie. Donc c'est un homme qui pense.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut dire que toi, tu es engagée à ce sujet concernant l'éthique ?

  • Speaker #1

    Je dirais oui. Alors, je ne suis pas engagée uniquement intellectuellement, j'ai un engagement concret. Je suis bénévole à l'Institut Raphaël.

  • Speaker #0

    D'accord. En quoi ça consiste ?

  • Speaker #1

    L'Institut Raphaël est une structure dédiée aux personnes en cours de traitement ou qui ont fini leur traitement de cancérologie. C'est une structure d'accueil gratuite, qui est une structure de médecine intégrative, où les patients sont accueillis pour des soins qui accompagnent les soins médicaux. On peut faire du yoga, de la gymnastique, de l'esthétique. Il y a plein d'activités. On peut faire du sport. Moi, j'anime un atelier bijoux.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    C'est un atelier collectif. On a l'habitude d'aller à Venise l'été et je ramène des perles de Murano. On a une amie qui est créatrice de perles. Et donc, avec Emmanuel, on choisit les perles une par une. Je passe les après-midi entiers dans le magasin de notre amie à choisir les perles. Et donc, on veut faire du beau. C'est du beau collectif. J'anime cet atelier avec des bénévoles. On accueille des bénévoles qui sont également des patientes qui ont fini leurs soins. Et on accueille des patientes en cours de soins ou qui ont fini leurs soins. Et on crée des colliers, des bracelets, des boucles d'oreilles que l'on remet après sous forme de dons lors des fêtes de l'Institut Raphaël. Alors, ce n'est pas loin de l'art-thérapie. Ce sont des ateliers collectifs où une patiente m'a envoyé un petit mot. Elle m'a mis Sylvie. Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu autant de joie et de rire. Donc, ça, c'est une forme d'engagement. On ne parle pas maladie. On est concentré sur nos perles à écraser, nos fermoirs. Est-ce que je prends du doré, de l'argent et le fil câblé ? C'est un vrai atelier où on fait autre chose, on est concentré. Vous avez des femmes dont il y a un retentissement de la chimiothérapie sur le tact. Les bras sont enflés, le toucher est différent. Donc on fait des bracelets avec des nœuds coulissants pour qu'ils aillent à tout le monde. On a des fermoirs magnétiques, quand on a un tact un peu atteint et des troubles de sensibilité. Les fermoirs magnétiques permettent de fermer le collier sans problème. Donc c'est des vrais moments de partage et créer du beau. Je crois que c'est très important, ça donne de la joie. Je pense qu'il ne faut pas enfermer la maladie dans la misère. C'est pour ça que j'aime bien le luxe. Je trouve que le luxe a cette vertu de faire rêver. On n'est pas obligé d'être riche pour côtoyer le luxe. Le luxe se regarde. Moi, j'adore passer devant les vitrines, regarder comment est faite une robe d'un grand couturier. Je trouve ça magnifique. Là, on voit une marque italienne fait des bobs en raffia. J'ai acheté du raffia, j'ai fait mon bob au crochet. J'ai été voir chez eux comment ils faisaient les finitions. Et lors de cet atelier, on partage un savoir. C'est pour ça qu'un atelier collectif permet un échange et on finit l'atelier au café d'en face. Donc, ce qui est assez sympathique.

  • Speaker #0

    Tu as l'impression que cette approche intégrative, elle se multiplie, que c'est de mieux en mieux ?

  • Speaker #1

    Alors, elle se diffuse. Le Centre Raphaël, je pense que c'est un des premiers à avoir initié le Centre Raphaël à cinq ans. C'est un des premiers à avoir initié cette médecine intégrative qui se diffuse à la fois, quand on voit le LinkedIn de l'Institut Raphaël, il diffuse en Italie, en Afrique, au Liban, et puis un peu partout en France également. Je pense que les gens ont compris que le côté médical est important, mais que vous avez besoin d'un accompagnement. C'est basé sur un choix. Moi, lors de mes traitements, je n'ai jamais rencontré de psychologue. J'ai réalisé les bijoux à la maison, c'est comme ça que j'ai découvert. Il y avait un petit magasin, il y avait une mercerie, où pendant que j'avais du temps, j'ai appris à faire les bijoux. Je pense qu'il est important, parce qu'on parle beaucoup du burn-out, c'est-à-dire qu'à la fin des traitements, pendant les traitements, on a été tellement choyés, cocoonés, surveillés, que... brutalement, on n'a plus de traitement et on a une espèce de vacuité du temps. Qu'est-ce qu'on va faire de ce temps qui n'est plus occupé par des rendez-vous ? La médecine intégrative, elle donne de nouveau des rendez-vous et je pense qu'il est important d'atterrir. Mais tout ce que je vous ralate là, c'est l'expérience de quelqu'un qui, certes, a eu un cancer un petit teigneux, mais qui a la chance d'aller bien.

  • Speaker #0

    Quel conseil, toi, tu pourrais donner à des personnes qui traversent la même chose que toi ? Est-ce que toi, tu aurais des conseils à donner ?

  • Speaker #1

    Moi, je dirais de faire confiance et de faire comme on a envie. Moi, je ne donnerais pas de conseils. Je dirais, je suis présente. Si ce sont des amis, voilà, je suis là, tu as besoin de moi, je viens. Mais ne pas s'imposer, donner une liberté certaine à la personne. Je dirais de choisir son propre cheminement à travers la maladie. Il n'y a pas de clé. Je reste sur l'idée que toute personne est un individu. On est vraiment... sur un parcours de soins individuels. C'est un peu comme les glaces. On rajoute un peu de chocolat, un peu de pépites, on y met ce qu'on veut. Du moment que le cornet et la glace sont bonnes, après, il n'y a pas de modèle. Par contre, j'éviterais le comment ça va ? parce que le comment ça va ? vous renvoie toujours à la maladie. Moi, je suis plutôt dans la périphrase qu'est-ce que je peux faire pour toi ? ou quelles sont les nouvelles du jour ? Mais comment ça va ? vous allez dire oui, parce que si vous commencez à dire non... C'est un peu catastrophique. On est dans le négatif et il est important de rester dans la vie. Alors si avec la maladie cancer, malheureusement, on voit que la vie est un peu tendue, un peu délicate, il faut rester dans la vie quand même. Dans la religion juive, on dit qu'on n'enlève pas l'oreiller du malade parce que c'est déjà le tué. Donc pas d'anticipation. On est avec les gens à un moment donné. Je pense qu'il est très important de vivre le moment présent. Donc, des conseils, franchement, je n'en ai pas.

  • Speaker #0

    Sylvie, qu'est-ce qu'on peut te souhaiter pour la suite ?

  • Speaker #1

    De vous revoir.

  • Speaker #0

    Sylvie, merci mille fois pour ton témoignage. C'était très enrichissant. Et je te dis effectivement à bientôt. Je te souhaite une bonne journée.

  • Speaker #1

    Merci César et merci de l'accueil.

  • Speaker #0

    Allez, au revoir.

  • Speaker #1

    Au revoir.

  • Speaker #0

    Merci à toutes et à tous de nous avoir suivis. N'hésitez pas à partager cet épisode. J'espère que la parole de Sylvie vous a autant aidé que moi à comprendre cette situation parfois négligée. Je la remercie encore vivement de nous avoir confié son histoire. Pour compléter le témoignage de Sylvie, nous avons sollicité l'éclairage d'un expert. Découvrez notre échange sur l'éthique médicale la semaine prochaine. Si vous souhaitez aller plus loin, je vous recommande ces associations. l'Institut Raphaël, l'association Europa Dona, l'association AAPML, la Fédération des médecins de France. C'est déjà la fin de cette deuxième saison de patients. Merci de nous avoir suivis. Et un grand merci également à toutes celles et ceux qui ont partagé leurs expériences avec nous. N'hésitez pas à faire écouter leurs récits à vos proches et amis. Pour notre dernière parole d'expert... Rendez-vous la semaine prochaine. En attendant de vous retrouver, je vous souhaite le meilleur et prenez soin de vous.

Share

Embed

You may also like