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Place des religions

Notre-Dame, un défi architectural

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21min |08/11/2024
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Description

Place des religions, saison 8 : Notre-Dame, l’universelle


Le 15 avril 2019 au soir, Notre-Dame brûle. À Paris et dans tout l’Hexagone, chez les croyants comme chez les athées, le même sentiment de consternation domine. Comment comprendre une si vive émotion, dans un pays laïc et en grande partie déchristianisé ? Quelle place cette cathédrale occupe-t-elle dans nos imaginaires et dans nos vies ? À l’occasion de sa réouverture, les 7 et 8 décembre 2024,"La Croix" vous propose de redécouvrir, en cinq épisodes, Notre-Dame de Paris et son histoire.


Épisode 1/5 : Notre-Dame, un défi architectural


En 1663, la première pierre de Notre-Dame est posée : un chantier titanesque débute, supervisé par l’évêque de Paris Maurice de Sully. Pendant près d’un siècle, architectes, maçons et charpentiers se succèdent pour ériger au centre de la capitale – sur l’île de la Cité – cette cathédrale dédiée à la Vierge Marie. Alors que les travaux progressent, les plans de Notre-Dame sont remodelés, afin de répondre aux goûts de l’époque. L’art gothique est en plein essor et la cathédrale devient l’emblème de ce nouveau style architectural.


Comment l’idée de bâtir un tel édifice est-elle née ? Quels changements architecturaux Notre-Dame a-t-elle connus, selon les époques ? Après son incendie, le 15 avril 2019, quels choix ont été faits lors de la reconstruction de la cathédrale ?


Dans cet épisode, Clémence Maret, journaliste à "La Croix", a rencontré l’historien de l’art Alexandre Gady, pour retracer, avec lui, l’évolution de la silhouette de la cathédrale, du XIIe siècle à nos jours.


CRÉDITS :


Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward, Sarah Lefèvre, Flavien Edenne. Rédaction en chef : Bruno Bouvet, Paul de Coustin. Musique : Arnaud Forest. Illustration : Isaline Moulin. Voix : Laurence Szabason.


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


"Place des religions" est un podcast original de LA CROIX - Novembre 2024.



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Une épaisse fumée s'échappe de la cathédrale Notre-Dame. On aperçoit des flammes sortir du toit et le panache est visible de très loin. Sur les écrans du monde entier, des images de Notre-Dame en proie aux flammes et une émotion mondiale. Donc, la cathédrale, elle appartient à tout le monde. On ne distingue pas le croyant, le pratiquant et le touriste qui vient admirer le chef-d'œuvre. C'est le cœur de Paris, donc c'est vrai que c'est un peu notre cœur à nous aussi.

  • Speaker #1

    Notre-Dame rouvrira ses portes les 7 et 8 décembre prochains, au moment de son incendie le 15 avril 2019. Les cœurs se serrent devant la cathédrale en feu. Pourquoi cet incendie a suscité une telle émotion ? Comment ce monument nourrit notre imaginaire et notre mémoire collective ? Dans cet épisode, Clémence Marais, journaliste à la Croix, a rencontré l'historien Alexandre Gadi pour retracer avec lui l'épopée architecturale de Notre-Dame. Vous écoutez la série Notre-Dame, l'universel, du podcast La Croix, place des religions.

  • Speaker #2

    Bonjour Alexandre Gadzi.

  • Speaker #3

    Bonjour.

  • Speaker #2

    Vous êtes professeur d'histoire de l'art à la Sorbonne et vous avez fait de l'architecture votre spécialité. Vous faites également partie de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture qui a suivi la restauration de Notre-Dame ces cinq dernières années. Aujourd'hui, lorsque vous levez les yeux vers la cathédrale que vous connaissez bien, quel élément architectural vous frappe le plus ?

  • Speaker #3

    Eh bien je dirais, c'est pas peut-être très original, que ça demeure pour moi le chevet, l'arrière de la cathédrale. Donc on a tous en tête bien sûr la façade avec ses deux puissantes tours, mais il faut faire un peu un déplacement vers l'arrière, vers l'est, et en fait c'est l'espace extérieur du chœur. Et ce chœur, il s'approche de la Seine assez fortement, entouré par un jardin, et c'est ce dégagement avec le jardin et la Seine qui donne... un recul exceptionnel. Il est fréquent qu'on voit assez bien les façades des cathédrales, mais là, ce qui est exceptionnel à Notre-Dame, à cause de sa position dans l'île, c'est justement qu'on la voit très au large, on va dire sur trois côtés, parce qu'il reste un côté au nord qui est bordé par un petit quartier pittoresque et l'ancien quartier canonial.

  • Speaker #2

    Alors pour commencer, je vous propose de revenir aux origines de la cathédrale Notre-Dame. Quand et comment l'idée de construire une telle cathédrale a vu le jour ?

  • Speaker #3

    Alors Notre-Dame, c'est une cathédrale qui a vu le jour au XIIe siècle. Et c'est la volonté d'un évêque extraordinaire, un évêque bâtisseur, Maurice de Sully. Et c'est le moment où les Capétiens font de Paris leur capitale, la capitale du royaume, de plus en plus affirmée. Et le chantier Notre-Dame accompagne aussi cette histoire-là. Donc c'est une histoire religieuse, c'est une histoire parisienne et c'est une histoire monarchique.

  • Speaker #2

    Et combien de temps a duré le chantier de Notre-Dame ?

  • Speaker #3

    Là, il faut tordre le cou à une idée reçue, qui est que les chantiers des cathédrales durent des siècles et des siècles. Alors, c'est vrai dans la mesure où la cathédrale a toujours été en chantier, parce que comme tous ces édifices énormes, il y a toujours quelque chose à faire. Et vous allez voir la cathédrale restaurée le 8 décembre, mais le chantier est encore programmé pour plusieurs années. Il y a encore beaucoup de choses à faire avant de restaurer Notre-Dame complètement. Et quand on aura fini, il faudra recommencer à un autre endroit. Donc c'est l'histoire des grands monuments. Mais le chantier lui-même, celui qui a permis à la cathédrale de... d'apparaître dans le ciel parisien tel que nous la connaissons. Il n'est pas si long que cela, puisque la cathédrale a été commencée autour des années 1160, et la cathédrale est formellement achevée dans les années 1240. Donc ça fait quoi ? Ça fait 80 ans à peu près, c'est beaucoup, et en même temps à l'échelle de Dieu, à l'échelle du temps d'un évêque bâtisseur, lui et les générations suivantes, ce n'est pas beaucoup. Mais là où ça devient évidemment plus compliqué, c'est que cette Notre-Dame-là... En cours de chantier, elle a été immédiatement remise en chantier. Je veux dire qu'on a commencé par le chœur. Le chœur a été fini très rapidement, il a été consacré en 1182. En 22 ans, on avait construit ce que nous considérons l'énorme morceau du chœur avec son double déambulatoire qui sont les deux parties où on peut circuler. Et alors qu'on était en train de construire la nef, qu'on allait vers la façade, on s'est aperçu que le projet d'origine avait des défauts. Et dans ces défauts, il y en avait un qui est resté jusqu'à aujourd'hui, c'est une cathédrale très sombre. Et donc les architectes qui se sont succédés ont cherché à améliorer l'éclairage. Et ça veut dire que progressivement, ils ont déformé le projet d'origine en agrandissant des fenêtres par exemple. Toutes les fenêtres hautes du XIIe ont été transformées au XIIIe siècle parce qu'on trouvait qu'elles n'étaient pas assez vastes pour procurer plus de lumière. Et puis progressivement, on s'est aussi aperçu que le style avait évolué, le goût avait changé aussi. Et Notre-Dame, vous savez, on dit souvent que c'est le dernier édifice roman et le premier édifice gothique, parce qu'il y a encore des traits extrêmement romans, c'est-à-dire une architecture un peu lourde, puissante, avec beaucoup de murs. Alors même que le gothique, qui est ce style qui apparaît justement en Ile-de-France au XIIe siècle, un art exceptionnellement brillant, intellectuel, très subtil. Et bien ce nouveau style, il triomphe dans un édifice qui est construit alors que Notre-Dame est terminée, c'est la Sainte-Chapelle. Dans l'île de la Cité, juste à côté, dans notre actuel palais de justice, ce joyau de l'architecture rayonnante gothique, tout d'un coup font que la cathédrale paraît un tout petit peu démodée. Et donc on va retravailler plusieurs parties de la cathédrale, notamment les transeptes, le fameux portail sud qui regarde la Seine, très spectaculaire avec sa grande rose. Et puis ce chantier-là, lui, se terminera vers 1340-1345. Si on regarde facialement, ça fait deux siècles, mais avec, vous voyez, un emboîtement de chantier dans le chantier.

  • Speaker #0

    Ça me fait un peu penser à la lettre H, vue de devant comme ça.

  • Speaker #4

    Presque comme un carré, mais pas vraiment fini, où il y a un peu des trous à l'intérieur. Mais j'aime bien l'idée du H parce qu'on voit bien les deux cloches qui s'élèvent et on a presque l'impression que quelqu'un pourrait être au milieu de ces deux cloches et en fait toute l'attention est un peu portée sur ce milieu-là où les nuages passent au travers. Il y a à la fois énormément de détails et en même temps on voit que c'est un petit peu géométriquement...

  • Speaker #2

    Alors pour bien comprendre la spécificité de Notre-Dame, qu'est-ce qui la différencie en termes architectural d'autres grandes cathédrales françaises ? On peut penser à Chartres, à Reims...

  • Speaker #3

    Peut-être justement le mot de symétrie. Au fond, elle a déjà un côté un peu classique, c'est assez étonnant. Quand vous voyez Reims, Chartres, spécifiquement Chartres, puisqu'il y a deux tours d'époque différentes en façade, vous avez un sentiment... plus grand de pittoresque. À Notre-Dame, il y a cette façade parfaitement carrée ou presque, qui est d'une puissance incroyable, qui est une image très forte, on ne peut pas s'enlever de la tête et que Victor Hugo a appelé le sphinx à deux têtes, justement, c'est une image très très belle. C'est peut-être ça qui distingue un tout petit peu Notre-Dame.

  • Speaker #2

    Si ça vous convient, on va faire quelques sauts dans le temps. Entre le XIIe et le XIXe siècle, la cathédrale est successivement modifiée, aménagée. À la Révolution française, Notre-Dame est vandalisée et elle tombe dans un état d'élabrement avancé. Mais en 1843, une vaste campagne de restauration est lancée, supervisée par deux architectes, Fiollet le Duc et Jean-Baptiste Antoine Lassus, un petit peu oubliés. Est-ce que vous pourriez nous raconter comment ces deux architectes s'y sont pris pour rénover ? Notre-Dame et nous écrire les quelques modifications qu'ils ont faits.

  • Speaker #3

    Alors, peut-être d'abord dire que dans le récit que vous avez fait, qui est celui qu'on fait en général, il faut quand même qu'on précise un point, c'est que la Révolution a fracassé Notre-Dame très profondément. Elle a failli même être vendue et dépecée, comme on le faisait beaucoup pour ce type d'édifice. Mais à partir du moment où le culte catholique est rétabli avec le Concordat et Napoléon et que la cathédrale est réouverte au culte et qu'un nouvel archevêque est nommé, tous les régimes qui sont succédés ont... entretenu, restauré, embelli Notre-Dame. C'est-à-dire que la cathédrale, lorsqu'on décide en 1843 de lancer un concours pour la restauration, n'est pas en ruine. C'est simplement une cathédrale qui a perdu un certain nombre d'éléments décoratifs à la Révolution, et qui a perdu sa flèche, qui a été enlevée également à la Révolution. Et donc, il y a dans le programme de restauration qui est gagné. C'est un concours, en fait. Il y a plusieurs architectes, et puis c'est Jean-Baptiste Lassus qui est plus connu à l'époque. qui a déjà, lui, beaucoup fait dans le néo-gothique, et le jeune Viollet-le-Duc qui vont remporter ce concours, il y a l'idée de faire le plus bel édifice gothique comme une espèce de grande aventure archéologique et historique. C'est l'époque de la passion pour le Moyen-Âge, pensez au roman de Victor Hugo, bien sûr, mais pas seulement, il y a l'école Deschartes qui a été créée en 1822. Il y a tout un mouvement, et puis il y a une concurrence européenne, parce que les Anglais vont restaurer Westminster, et puis de l'autre côté du Rhin, nos amis et ennemis allemands sont en train de restaurer la cathédrale de Cologne, donc Paris doit avoir sa grande cathédrale. restaurer, c'est-à-dire fantasmer dans un travail de restitution historique et archéologique. A partir de là, vous comprenez que la restauration n'est pas une restauration comme nous le ferions aujourd'hui. Alors, les deux hommes dont on a cité le nom, ils étaient très habiles et donc ils ont menti au jury. Lorsque le jury leur a demandé ce qu'ils allaient faire comme restauration, ils ont dit qu'ils allaient restaurer sans inventer de choses qui n'existaient pas et qu'ils respecteraient scrupuleusement tout ce qui avait été ajouté après le Moyen-Âge, c'est-à-dire la Renaissance, le XVIIe et le XVIIIe siècle. Et ils ont fait exactement l'inverse, c'est-à-dire qu'ils ont détruit. tout ce qui avait été fait à partir de leur naissance, totalement, quasiment totalement. Et puis, bien sûr, ils ont inventé des choses qui n'avaient jamais existé. Le cas le plus important, bien sûr, c'est la flèche. La flèche avait existé, mais elle était beaucoup plus petite. Elle datait du XIIIe siècle et elle avait été abattue à la fin du XVIIIe siècle parce qu'elle ne tenait plus très bien en place. Et Viollet-le-Duc a souhaité faire une flèche qui soit plus haute, plus belle, plus grande, des termes qu'on a réentendus en 2019. Et vous savez qu'elle a joué un rôle très important dans l'incendie. à la fois comme cheminée et ensuite en tombant comme élément qui a crevé les voûtes. C'est pourquoi les anciens faisaient des toutes petites flèches, c'est parce qu'évidemment ils savaient qu'en cas de chute de la flèche par la tempête ou par l'incendie, il ne valait mieux pas qu'elle soit un ouvrage d'art trop lourd, parce que sans quoi les voûtes qui servent de bouclier, d'étanchéité pour le feu, eh bien elles seraient crevées par la chute de la flèche. Et nous avons vu l'erreur de Vionnel-Duc en direct, c'est-à-dire que faire cette flèche monumentale, c'était très bien parce qu'elle était à l'échelle du Paris d'Ousmane, du Paris de Napoléon III, de la Ville et Lumière, mais elle était trop lourde pour la cathédrale. Très vite, le sinistre prend de l'ampleur. Les poutres de la charpente, qui datent du XIIIe siècle, brûlent. Une partie de la voûte s'est effondrée et puis, il y a eu cette image. En début de soirée, la flèche, léchée par les flammes,

  • Speaker #0

    finit par céder. Moi je vois un immense monument. Avec une rosace. Avec au niveau de la rosace, trois belles sculptures aussi. De tout. A leur base, on voit des gargouilles qui font un petit peu peur, on peut l'avouer. Leur bouche, on n'aimerait pas les croiser.

  • Speaker #2

    Alors il y a un élément aussi que Viollet-le-Duc a inventé, ce sont ces chimères, donc ces animaux fantastiques qui sont sur le toit de Notre-Dame. Est-ce que vous pourriez nous les décrire pour ceux qui ne les ont pas forcément en tête ? Et quelle est la différence entre les chimères et les gargouilles ?

  • Speaker #3

    Alors j'ai dit du mal de Viollet-le-Duc, alors maintenant je vais dire du bien. C'est un décorateur de génie, il sent le monument, il sent les choses et il se projette dans ce Moyen-Âge un peu littéraire, un peu fantasmé. Il utilise des gravures d'ailleurs de l'époque, de l'époque romantique.... Il va imaginer ces fameuses monstres qui sont placés sur les rembarres de haute de la cathédrale. Alors à la différence des gargouilles, elles n'ont pas de rôle. C'est-à-dire que la gargouille a un vrai rôle, elle évacue l'eau qui descend sur le dos des arcs boutants. Au contraire, les chimères sont des inventions pures, mais alors c'est seulement décoratif. Et ça précipite la cathédrale dans une autre dimension qui est une dimension poétique. C'est ça la force de Viollet-le-Duc, c'est qu'il a provoqué des catastrophes archéologiquement parlant, mais il est aussi capable de sublimer ce Moyen-Âge, mais qui est un Moyen-Âge... qui correspond à un fantasme que nous avons du Moyen-Âge. Et ces chimères, à quoi elles ressemblent ? Ce sont des mélanges d'animaux et d'êtres humains. Alors il y a des femmes avec des corps de chiennes, des hommes avec des corps de singes, on tire la langue, on a une queue, on tire bouchon. Tout ça renvoie à cet imaginaire qui s'était fabriqué dans les années 1820-1830 autour du romantisme.

  • Speaker #2

    Donc après la restauration de Viollet-le-Duc, est-ce que la cathédrale a été modifiée ? Ou est-ce que sa silhouette est restée la même jusqu'au début du XXIe siècle ?

  • Speaker #3

    Non, la restauration de Viollet-le-Duc marque vraiment un moment dans l'histoire de la cathédrale. D'ailleurs, peu après, elle a été classée au titre des monuments historiques, alors même que la restauration n'était pas finie en 1862. Et ensuite, il y a eu des campagnes de restauration successives qui sont peu connues du public et pas très passionnantes. Toujours la même chose, ravalement, nettoyage des pierres. remplacement des éléments sculptés qui sont tombés. On a refait la flèche, elle a été restaurée déjà une première fois dans l'entre-deux-guerres. Et puis finalement, la grande histoire récente, c'était le ravalement de la façade. En l'an 2000, une façade redevenue toute blanche, avec les essais de restauration au laser qui avaient été tentés à l'époque sur les portails, où on avait retrouvé des traces de polychromie sur les parties sculptées des trois portails de la façade ouest, sur le parvis. Et puis au moment de l'incendie, on était en train de restaurer la flèche. On allait restaurer la flèche parce qu'on était toujours dans ce système des chantiers qui n'en finissent pas, avec des programmations sur plusieurs années, voire plusieurs décennies, comme tous ces grands édifices qui sont fragiles et qui ont besoin de beaucoup d'amour et de beaucoup d'attention.

  • Speaker #2

    On arrive justement à l'incendie que vous avez déjà évoqué, le 15 avril 2019. Est-ce que vous pourriez nous rappeler les parties de la cathédrale qui ont été détruites à ce moment-là ?

  • Speaker #3

    L'incendie, sans cause connue aujourd'hui, puisque les enquêtes n'ont rien donné, est parti dans le comble du transept sud et il a détruit... L'ensemble de la charpente, qu'on appelait la forêt, la flèche elle-même a été détruite, toute la toiture en plomb a évidemment fondu, et en tombant, la flèche a crevé la voûte de la nef avant de voir la voûte qui était sous elle s'effondrer à son tour. Il y a eu aussi un petit trou dans une des voûtes du bras nord du transept. Et la chance, c'est que la voûte a tenu pour l'essentiel de son linéaire. Ce sont des voûtes très minces, 15 cm dans le cœur, 20 cm dans la nef, c'est très très fin, mais... Ces voûtes, elles ont été créées à l'époque romane pour être des coups de feu. On avait eu tellement d'incendies dans les charpentes des édifices qu'on avait fini par trouver que, évidemment, couvrir d'une voûte en pierre, c'était non seulement plus beau, mais aussi, le jour où la charpente brûlait, une extraordinaire assurance vie. Et donc, à Notre-Dame, nous avons vu le génie des gens du Moyen-Âge fonctionner, puisque même si l'incendie est une tragédie, il s'est arrêté dans les parties hautes et il n'a pas endommagé le décor intérieur, les tableaux, le mobilier, les sculptures. et même les vitraux qui ont pu être sauvés.

  • Speaker #2

    Donc, après l'incendie, Emmanuel Macron a souhaité que la cathédrale soit rénovée en 5 ans. Comment la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture dont vous faites partie a accompagné cette restauration, et puis quel rôle est-ce que vous, vous avez eu ?

  • Speaker #3

    Alors, la Commission nationale, dans la loi d'exception du juillet 2019, devait être saisie de tous les partis de restauration de l'édifice. Donc nous avons été associés d'une manière régulière. Il y a eu, je crois, une dizaine de séances. Donc le principe de la Commission, qui est celui de la Commission créée en 1837, sous Louis-Philippe, à l'époque de Viollet-Duc, justement, c'est d'examiner les partis de restauration qu'on lui soumet et de voter pour ou contre les partis proposés. Ça peut être des choses très simples, quand il s'agit de remplacer un élément, on ne dérange pas la commission. La commission est souvent saisie pour des dossiers compliqués. Par exemple, fallait-il refaire la charpente à l'identique ? Là, il y avait deux écoles. Une école qui disait, oui, on refait à l'identique, on a les photos, on a les relevés, c'est très simple. Et une autre école à laquelle j'appartenais, vous me demandiez le rôle que j'ai joué très modestement. Moi, je suis peut-être plutôt le rôle de poil à gratter, je ne sais pas si le terme est très bon. L'idée qu'il faut toujours réfléchir beaucoup, beaucoup avant de prendre une décision parce qu'après elle est irréversible. Au moins, je pense que la charpente, la refaire à l'identique, ça n'avait pas beaucoup d'intérêt parce qu'hélas, elle a disparu, la vraie charpente. Et donc, on aurait pu peut-être faire un grand geste contemporain qui serait resté par ailleurs invisible puisque personne n'ira plus jamais dans la charpente. Elle sera inaccessible au public pour des raisons de sécurité évidentes. Voilà, donc la commission s'est prononcée très régulièrement à chaque étape du chantier, depuis le début, c'est-à-dire la phase de sécurisation. Et puis nous avons été saisis très régulièrement jusqu'au 11 juillet dernier, où nous avons demandé, là c'est une demande des membres dont j'ai fait partie, pour se prononcer sur la question des vitraux contemporains. Parce que ça aussi, ça devait, et donc ça a été vu par la Commission nationale.

  • Speaker #2

    Il y a eu plusieurs polémiques et débats autour du fait de reconstruire ou pas Notre-Dame à l'identique. Donc le gouvernement a décidé que tout allait être reconstruit à l'identique. Mais dans quelle mesure est-ce que c'est possible de réaliser la copie conforme d'un monument ?

  • Speaker #3

    En réalité, quand on dit qu'on va refaire à l'identique, c'est très rassurant pour l'esprit, mais c'est un mensonge sémantique, si vous voulez, parce que ça n'est pas possible. On ne reconstruit jamais à l'identique. Jamais. Pour la simple et bonne raison qu'on ne peut pas agir et faire comme faisaient les gens d'il y a 800 ans. Alors on peut se mettre un petit ablis en cuir, on peut tailler le bois à la main avec des petits outils, mais ça ne fera pas à l'identique. Et notamment pour la charpente, il y a aujourd'hui quatre énormes murs coupe-feu. Un dans le cœur, un dans la nef et un dans chaque bras du trancet, parce qu'on ne va pas prendre le risque d'avoir un nouvel incendie. Et donc la porte-coup-feu, ça n'existait pas au Moyen-Âge, de même qu'on a installé des systèmes qui permettent de brumiser, de faire une sorte de brumisateur d'eau, brouillard d'eau, pour éteindre éventuellement au tout début de l'intervention, s'il y avait un incendie, les flammes. Ça veut dire qu'il y a des kilomètres de tuyaux qui sont vissés sur les poutres et les chevrons, et donc évidemment ça, ça n'existait pas. Donc... À l'identique, c'est un terme qui est un peu trompeur. La flèche est à peu près, on peut le dire, à l'identique, à la réserve du coq final qui a été modifié, puisque l'architecte en chef a souhaité faire un dessin différent de celui qu'il avait retrouvé d'ailleurs dans les ruines, puisqu'on l'a retrouvé après l'incendie. Donc vous voyez, même la flèche n'est pas exactement à l'identique. Il y a même eu une polémique un peu curieuse sur l'inclinaison des crochets de la flèche. Je ne sais pas si c'est très sérieux, mais il est clair que ce terme d'à l'identique doit être pris avec un petit peu plus de modération que simplement le... Le plaisir de se dire, ah bah oui, tout sera comme avant. Non, c'est jamais comme avant.

  • Speaker #2

    Lors de votre première visite dans cette cathédrale restaurée, à quoi est-ce que vous allez être particulièrement attentif en tant qu'historien de l'architecture ?

  • Speaker #3

    Eh bien, je dirais justement à la lumière. Parce que là, avec le nettoyage de tous les vitraux, avec le nettoyage de la pierre, parce qu'on va revoir Notre-Dame blonde, elle avait été ravalée il y a une trentaine d'années, mais ça avait duré très peu de temps, parce qu'avec les bougies, la poussière, le chauffage par le sol avec de l'air pulsé, la visite de ces millions de gens, elle est redevenue très vite très noire. Et là, on va la voir avec cette pierre blonde magnifique, ce calcaire d'Ile-de-France si beau, avec les peintures nettoyées, avec les vitraux rendus parfaitement... translucide à la lumière et ça pour moi, vous savez la définition de le corbusier de l'architecture, c'est un volume sous la lumière, là ça va être un volume dans la lumière et donc c'est ça que j'attends beaucoup.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un épisode de Notre-Dame, l'universel. N'hésitez pas à le partager et à vous abonner à Place des Religions. tous nos podcasts sont à écouter sur les plateformes sur le site et l'appli La Croix

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Le 15 avril 2019 au soir, Notre-Dame brûle. À Paris et dans tout l’Hexagone, chez les croyants comme chez les athées, le même sentiment de consternation domine. Comment comprendre une si vive émotion, dans un pays laïc et en grande partie déchristianisé ? Quelle place cette cathédrale occupe-t-elle dans nos imaginaires et dans nos vies ? À l’occasion de sa réouverture, les 7 et 8 décembre 2024,"La Croix" vous propose de redécouvrir, en cinq épisodes, Notre-Dame de Paris et son histoire.


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En 1663, la première pierre de Notre-Dame est posée : un chantier titanesque débute, supervisé par l’évêque de Paris Maurice de Sully. Pendant près d’un siècle, architectes, maçons et charpentiers se succèdent pour ériger au centre de la capitale – sur l’île de la Cité – cette cathédrale dédiée à la Vierge Marie. Alors que les travaux progressent, les plans de Notre-Dame sont remodelés, afin de répondre aux goûts de l’époque. L’art gothique est en plein essor et la cathédrale devient l’emblème de ce nouveau style architectural.


Comment l’idée de bâtir un tel édifice est-elle née ? Quels changements architecturaux Notre-Dame a-t-elle connus, selon les époques ? Après son incendie, le 15 avril 2019, quels choix ont été faits lors de la reconstruction de la cathédrale ?


Dans cet épisode, Clémence Maret, journaliste à "La Croix", a rencontré l’historien de l’art Alexandre Gady, pour retracer, avec lui, l’évolution de la silhouette de la cathédrale, du XIIe siècle à nos jours.


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Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward, Sarah Lefèvre, Flavien Edenne. Rédaction en chef : Bruno Bouvet, Paul de Coustin. Musique : Arnaud Forest. Illustration : Isaline Moulin. Voix : Laurence Szabason.


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  • Speaker #0

    Une épaisse fumée s'échappe de la cathédrale Notre-Dame. On aperçoit des flammes sortir du toit et le panache est visible de très loin. Sur les écrans du monde entier, des images de Notre-Dame en proie aux flammes et une émotion mondiale. Donc, la cathédrale, elle appartient à tout le monde. On ne distingue pas le croyant, le pratiquant et le touriste qui vient admirer le chef-d'œuvre. C'est le cœur de Paris, donc c'est vrai que c'est un peu notre cœur à nous aussi.

  • Speaker #1

    Notre-Dame rouvrira ses portes les 7 et 8 décembre prochains, au moment de son incendie le 15 avril 2019. Les cœurs se serrent devant la cathédrale en feu. Pourquoi cet incendie a suscité une telle émotion ? Comment ce monument nourrit notre imaginaire et notre mémoire collective ? Dans cet épisode, Clémence Marais, journaliste à la Croix, a rencontré l'historien Alexandre Gadi pour retracer avec lui l'épopée architecturale de Notre-Dame. Vous écoutez la série Notre-Dame, l'universel, du podcast La Croix, place des religions.

  • Speaker #2

    Bonjour Alexandre Gadzi.

  • Speaker #3

    Bonjour.

  • Speaker #2

    Vous êtes professeur d'histoire de l'art à la Sorbonne et vous avez fait de l'architecture votre spécialité. Vous faites également partie de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture qui a suivi la restauration de Notre-Dame ces cinq dernières années. Aujourd'hui, lorsque vous levez les yeux vers la cathédrale que vous connaissez bien, quel élément architectural vous frappe le plus ?

  • Speaker #3

    Eh bien je dirais, c'est pas peut-être très original, que ça demeure pour moi le chevet, l'arrière de la cathédrale. Donc on a tous en tête bien sûr la façade avec ses deux puissantes tours, mais il faut faire un peu un déplacement vers l'arrière, vers l'est, et en fait c'est l'espace extérieur du chœur. Et ce chœur, il s'approche de la Seine assez fortement, entouré par un jardin, et c'est ce dégagement avec le jardin et la Seine qui donne... un recul exceptionnel. Il est fréquent qu'on voit assez bien les façades des cathédrales, mais là, ce qui est exceptionnel à Notre-Dame, à cause de sa position dans l'île, c'est justement qu'on la voit très au large, on va dire sur trois côtés, parce qu'il reste un côté au nord qui est bordé par un petit quartier pittoresque et l'ancien quartier canonial.

  • Speaker #2

    Alors pour commencer, je vous propose de revenir aux origines de la cathédrale Notre-Dame. Quand et comment l'idée de construire une telle cathédrale a vu le jour ?

  • Speaker #3

    Alors Notre-Dame, c'est une cathédrale qui a vu le jour au XIIe siècle. Et c'est la volonté d'un évêque extraordinaire, un évêque bâtisseur, Maurice de Sully. Et c'est le moment où les Capétiens font de Paris leur capitale, la capitale du royaume, de plus en plus affirmée. Et le chantier Notre-Dame accompagne aussi cette histoire-là. Donc c'est une histoire religieuse, c'est une histoire parisienne et c'est une histoire monarchique.

  • Speaker #2

    Et combien de temps a duré le chantier de Notre-Dame ?

  • Speaker #3

    Là, il faut tordre le cou à une idée reçue, qui est que les chantiers des cathédrales durent des siècles et des siècles. Alors, c'est vrai dans la mesure où la cathédrale a toujours été en chantier, parce que comme tous ces édifices énormes, il y a toujours quelque chose à faire. Et vous allez voir la cathédrale restaurée le 8 décembre, mais le chantier est encore programmé pour plusieurs années. Il y a encore beaucoup de choses à faire avant de restaurer Notre-Dame complètement. Et quand on aura fini, il faudra recommencer à un autre endroit. Donc c'est l'histoire des grands monuments. Mais le chantier lui-même, celui qui a permis à la cathédrale de... d'apparaître dans le ciel parisien tel que nous la connaissons. Il n'est pas si long que cela, puisque la cathédrale a été commencée autour des années 1160, et la cathédrale est formellement achevée dans les années 1240. Donc ça fait quoi ? Ça fait 80 ans à peu près, c'est beaucoup, et en même temps à l'échelle de Dieu, à l'échelle du temps d'un évêque bâtisseur, lui et les générations suivantes, ce n'est pas beaucoup. Mais là où ça devient évidemment plus compliqué, c'est que cette Notre-Dame-là... En cours de chantier, elle a été immédiatement remise en chantier. Je veux dire qu'on a commencé par le chœur. Le chœur a été fini très rapidement, il a été consacré en 1182. En 22 ans, on avait construit ce que nous considérons l'énorme morceau du chœur avec son double déambulatoire qui sont les deux parties où on peut circuler. Et alors qu'on était en train de construire la nef, qu'on allait vers la façade, on s'est aperçu que le projet d'origine avait des défauts. Et dans ces défauts, il y en avait un qui est resté jusqu'à aujourd'hui, c'est une cathédrale très sombre. Et donc les architectes qui se sont succédés ont cherché à améliorer l'éclairage. Et ça veut dire que progressivement, ils ont déformé le projet d'origine en agrandissant des fenêtres par exemple. Toutes les fenêtres hautes du XIIe ont été transformées au XIIIe siècle parce qu'on trouvait qu'elles n'étaient pas assez vastes pour procurer plus de lumière. Et puis progressivement, on s'est aussi aperçu que le style avait évolué, le goût avait changé aussi. Et Notre-Dame, vous savez, on dit souvent que c'est le dernier édifice roman et le premier édifice gothique, parce qu'il y a encore des traits extrêmement romans, c'est-à-dire une architecture un peu lourde, puissante, avec beaucoup de murs. Alors même que le gothique, qui est ce style qui apparaît justement en Ile-de-France au XIIe siècle, un art exceptionnellement brillant, intellectuel, très subtil. Et bien ce nouveau style, il triomphe dans un édifice qui est construit alors que Notre-Dame est terminée, c'est la Sainte-Chapelle. Dans l'île de la Cité, juste à côté, dans notre actuel palais de justice, ce joyau de l'architecture rayonnante gothique, tout d'un coup font que la cathédrale paraît un tout petit peu démodée. Et donc on va retravailler plusieurs parties de la cathédrale, notamment les transeptes, le fameux portail sud qui regarde la Seine, très spectaculaire avec sa grande rose. Et puis ce chantier-là, lui, se terminera vers 1340-1345. Si on regarde facialement, ça fait deux siècles, mais avec, vous voyez, un emboîtement de chantier dans le chantier.

  • Speaker #0

    Ça me fait un peu penser à la lettre H, vue de devant comme ça.

  • Speaker #4

    Presque comme un carré, mais pas vraiment fini, où il y a un peu des trous à l'intérieur. Mais j'aime bien l'idée du H parce qu'on voit bien les deux cloches qui s'élèvent et on a presque l'impression que quelqu'un pourrait être au milieu de ces deux cloches et en fait toute l'attention est un peu portée sur ce milieu-là où les nuages passent au travers. Il y a à la fois énormément de détails et en même temps on voit que c'est un petit peu géométriquement...

  • Speaker #2

    Alors pour bien comprendre la spécificité de Notre-Dame, qu'est-ce qui la différencie en termes architectural d'autres grandes cathédrales françaises ? On peut penser à Chartres, à Reims...

  • Speaker #3

    Peut-être justement le mot de symétrie. Au fond, elle a déjà un côté un peu classique, c'est assez étonnant. Quand vous voyez Reims, Chartres, spécifiquement Chartres, puisqu'il y a deux tours d'époque différentes en façade, vous avez un sentiment... plus grand de pittoresque. À Notre-Dame, il y a cette façade parfaitement carrée ou presque, qui est d'une puissance incroyable, qui est une image très forte, on ne peut pas s'enlever de la tête et que Victor Hugo a appelé le sphinx à deux têtes, justement, c'est une image très très belle. C'est peut-être ça qui distingue un tout petit peu Notre-Dame.

  • Speaker #2

    Si ça vous convient, on va faire quelques sauts dans le temps. Entre le XIIe et le XIXe siècle, la cathédrale est successivement modifiée, aménagée. À la Révolution française, Notre-Dame est vandalisée et elle tombe dans un état d'élabrement avancé. Mais en 1843, une vaste campagne de restauration est lancée, supervisée par deux architectes, Fiollet le Duc et Jean-Baptiste Antoine Lassus, un petit peu oubliés. Est-ce que vous pourriez nous raconter comment ces deux architectes s'y sont pris pour rénover ? Notre-Dame et nous écrire les quelques modifications qu'ils ont faits.

  • Speaker #3

    Alors, peut-être d'abord dire que dans le récit que vous avez fait, qui est celui qu'on fait en général, il faut quand même qu'on précise un point, c'est que la Révolution a fracassé Notre-Dame très profondément. Elle a failli même être vendue et dépecée, comme on le faisait beaucoup pour ce type d'édifice. Mais à partir du moment où le culte catholique est rétabli avec le Concordat et Napoléon et que la cathédrale est réouverte au culte et qu'un nouvel archevêque est nommé, tous les régimes qui sont succédés ont... entretenu, restauré, embelli Notre-Dame. C'est-à-dire que la cathédrale, lorsqu'on décide en 1843 de lancer un concours pour la restauration, n'est pas en ruine. C'est simplement une cathédrale qui a perdu un certain nombre d'éléments décoratifs à la Révolution, et qui a perdu sa flèche, qui a été enlevée également à la Révolution. Et donc, il y a dans le programme de restauration qui est gagné. C'est un concours, en fait. Il y a plusieurs architectes, et puis c'est Jean-Baptiste Lassus qui est plus connu à l'époque. qui a déjà, lui, beaucoup fait dans le néo-gothique, et le jeune Viollet-le-Duc qui vont remporter ce concours, il y a l'idée de faire le plus bel édifice gothique comme une espèce de grande aventure archéologique et historique. C'est l'époque de la passion pour le Moyen-Âge, pensez au roman de Victor Hugo, bien sûr, mais pas seulement, il y a l'école Deschartes qui a été créée en 1822. Il y a tout un mouvement, et puis il y a une concurrence européenne, parce que les Anglais vont restaurer Westminster, et puis de l'autre côté du Rhin, nos amis et ennemis allemands sont en train de restaurer la cathédrale de Cologne, donc Paris doit avoir sa grande cathédrale. restaurer, c'est-à-dire fantasmer dans un travail de restitution historique et archéologique. A partir de là, vous comprenez que la restauration n'est pas une restauration comme nous le ferions aujourd'hui. Alors, les deux hommes dont on a cité le nom, ils étaient très habiles et donc ils ont menti au jury. Lorsque le jury leur a demandé ce qu'ils allaient faire comme restauration, ils ont dit qu'ils allaient restaurer sans inventer de choses qui n'existaient pas et qu'ils respecteraient scrupuleusement tout ce qui avait été ajouté après le Moyen-Âge, c'est-à-dire la Renaissance, le XVIIe et le XVIIIe siècle. Et ils ont fait exactement l'inverse, c'est-à-dire qu'ils ont détruit. tout ce qui avait été fait à partir de leur naissance, totalement, quasiment totalement. Et puis, bien sûr, ils ont inventé des choses qui n'avaient jamais existé. Le cas le plus important, bien sûr, c'est la flèche. La flèche avait existé, mais elle était beaucoup plus petite. Elle datait du XIIIe siècle et elle avait été abattue à la fin du XVIIIe siècle parce qu'elle ne tenait plus très bien en place. Et Viollet-le-Duc a souhaité faire une flèche qui soit plus haute, plus belle, plus grande, des termes qu'on a réentendus en 2019. Et vous savez qu'elle a joué un rôle très important dans l'incendie. à la fois comme cheminée et ensuite en tombant comme élément qui a crevé les voûtes. C'est pourquoi les anciens faisaient des toutes petites flèches, c'est parce qu'évidemment ils savaient qu'en cas de chute de la flèche par la tempête ou par l'incendie, il ne valait mieux pas qu'elle soit un ouvrage d'art trop lourd, parce que sans quoi les voûtes qui servent de bouclier, d'étanchéité pour le feu, eh bien elles seraient crevées par la chute de la flèche. Et nous avons vu l'erreur de Vionnel-Duc en direct, c'est-à-dire que faire cette flèche monumentale, c'était très bien parce qu'elle était à l'échelle du Paris d'Ousmane, du Paris de Napoléon III, de la Ville et Lumière, mais elle était trop lourde pour la cathédrale. Très vite, le sinistre prend de l'ampleur. Les poutres de la charpente, qui datent du XIIIe siècle, brûlent. Une partie de la voûte s'est effondrée et puis, il y a eu cette image. En début de soirée, la flèche, léchée par les flammes,

  • Speaker #0

    finit par céder. Moi je vois un immense monument. Avec une rosace. Avec au niveau de la rosace, trois belles sculptures aussi. De tout. A leur base, on voit des gargouilles qui font un petit peu peur, on peut l'avouer. Leur bouche, on n'aimerait pas les croiser.

  • Speaker #2

    Alors il y a un élément aussi que Viollet-le-Duc a inventé, ce sont ces chimères, donc ces animaux fantastiques qui sont sur le toit de Notre-Dame. Est-ce que vous pourriez nous les décrire pour ceux qui ne les ont pas forcément en tête ? Et quelle est la différence entre les chimères et les gargouilles ?

  • Speaker #3

    Alors j'ai dit du mal de Viollet-le-Duc, alors maintenant je vais dire du bien. C'est un décorateur de génie, il sent le monument, il sent les choses et il se projette dans ce Moyen-Âge un peu littéraire, un peu fantasmé. Il utilise des gravures d'ailleurs de l'époque, de l'époque romantique.... Il va imaginer ces fameuses monstres qui sont placés sur les rembarres de haute de la cathédrale. Alors à la différence des gargouilles, elles n'ont pas de rôle. C'est-à-dire que la gargouille a un vrai rôle, elle évacue l'eau qui descend sur le dos des arcs boutants. Au contraire, les chimères sont des inventions pures, mais alors c'est seulement décoratif. Et ça précipite la cathédrale dans une autre dimension qui est une dimension poétique. C'est ça la force de Viollet-le-Duc, c'est qu'il a provoqué des catastrophes archéologiquement parlant, mais il est aussi capable de sublimer ce Moyen-Âge, mais qui est un Moyen-Âge... qui correspond à un fantasme que nous avons du Moyen-Âge. Et ces chimères, à quoi elles ressemblent ? Ce sont des mélanges d'animaux et d'êtres humains. Alors il y a des femmes avec des corps de chiennes, des hommes avec des corps de singes, on tire la langue, on a une queue, on tire bouchon. Tout ça renvoie à cet imaginaire qui s'était fabriqué dans les années 1820-1830 autour du romantisme.

  • Speaker #2

    Donc après la restauration de Viollet-le-Duc, est-ce que la cathédrale a été modifiée ? Ou est-ce que sa silhouette est restée la même jusqu'au début du XXIe siècle ?

  • Speaker #3

    Non, la restauration de Viollet-le-Duc marque vraiment un moment dans l'histoire de la cathédrale. D'ailleurs, peu après, elle a été classée au titre des monuments historiques, alors même que la restauration n'était pas finie en 1862. Et ensuite, il y a eu des campagnes de restauration successives qui sont peu connues du public et pas très passionnantes. Toujours la même chose, ravalement, nettoyage des pierres. remplacement des éléments sculptés qui sont tombés. On a refait la flèche, elle a été restaurée déjà une première fois dans l'entre-deux-guerres. Et puis finalement, la grande histoire récente, c'était le ravalement de la façade. En l'an 2000, une façade redevenue toute blanche, avec les essais de restauration au laser qui avaient été tentés à l'époque sur les portails, où on avait retrouvé des traces de polychromie sur les parties sculptées des trois portails de la façade ouest, sur le parvis. Et puis au moment de l'incendie, on était en train de restaurer la flèche. On allait restaurer la flèche parce qu'on était toujours dans ce système des chantiers qui n'en finissent pas, avec des programmations sur plusieurs années, voire plusieurs décennies, comme tous ces grands édifices qui sont fragiles et qui ont besoin de beaucoup d'amour et de beaucoup d'attention.

  • Speaker #2

    On arrive justement à l'incendie que vous avez déjà évoqué, le 15 avril 2019. Est-ce que vous pourriez nous rappeler les parties de la cathédrale qui ont été détruites à ce moment-là ?

  • Speaker #3

    L'incendie, sans cause connue aujourd'hui, puisque les enquêtes n'ont rien donné, est parti dans le comble du transept sud et il a détruit... L'ensemble de la charpente, qu'on appelait la forêt, la flèche elle-même a été détruite, toute la toiture en plomb a évidemment fondu, et en tombant, la flèche a crevé la voûte de la nef avant de voir la voûte qui était sous elle s'effondrer à son tour. Il y a eu aussi un petit trou dans une des voûtes du bras nord du transept. Et la chance, c'est que la voûte a tenu pour l'essentiel de son linéaire. Ce sont des voûtes très minces, 15 cm dans le cœur, 20 cm dans la nef, c'est très très fin, mais... Ces voûtes, elles ont été créées à l'époque romane pour être des coups de feu. On avait eu tellement d'incendies dans les charpentes des édifices qu'on avait fini par trouver que, évidemment, couvrir d'une voûte en pierre, c'était non seulement plus beau, mais aussi, le jour où la charpente brûlait, une extraordinaire assurance vie. Et donc, à Notre-Dame, nous avons vu le génie des gens du Moyen-Âge fonctionner, puisque même si l'incendie est une tragédie, il s'est arrêté dans les parties hautes et il n'a pas endommagé le décor intérieur, les tableaux, le mobilier, les sculptures. et même les vitraux qui ont pu être sauvés.

  • Speaker #2

    Donc, après l'incendie, Emmanuel Macron a souhaité que la cathédrale soit rénovée en 5 ans. Comment la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture dont vous faites partie a accompagné cette restauration, et puis quel rôle est-ce que vous, vous avez eu ?

  • Speaker #3

    Alors, la Commission nationale, dans la loi d'exception du juillet 2019, devait être saisie de tous les partis de restauration de l'édifice. Donc nous avons été associés d'une manière régulière. Il y a eu, je crois, une dizaine de séances. Donc le principe de la Commission, qui est celui de la Commission créée en 1837, sous Louis-Philippe, à l'époque de Viollet-Duc, justement, c'est d'examiner les partis de restauration qu'on lui soumet et de voter pour ou contre les partis proposés. Ça peut être des choses très simples, quand il s'agit de remplacer un élément, on ne dérange pas la commission. La commission est souvent saisie pour des dossiers compliqués. Par exemple, fallait-il refaire la charpente à l'identique ? Là, il y avait deux écoles. Une école qui disait, oui, on refait à l'identique, on a les photos, on a les relevés, c'est très simple. Et une autre école à laquelle j'appartenais, vous me demandiez le rôle que j'ai joué très modestement. Moi, je suis peut-être plutôt le rôle de poil à gratter, je ne sais pas si le terme est très bon. L'idée qu'il faut toujours réfléchir beaucoup, beaucoup avant de prendre une décision parce qu'après elle est irréversible. Au moins, je pense que la charpente, la refaire à l'identique, ça n'avait pas beaucoup d'intérêt parce qu'hélas, elle a disparu, la vraie charpente. Et donc, on aurait pu peut-être faire un grand geste contemporain qui serait resté par ailleurs invisible puisque personne n'ira plus jamais dans la charpente. Elle sera inaccessible au public pour des raisons de sécurité évidentes. Voilà, donc la commission s'est prononcée très régulièrement à chaque étape du chantier, depuis le début, c'est-à-dire la phase de sécurisation. Et puis nous avons été saisis très régulièrement jusqu'au 11 juillet dernier, où nous avons demandé, là c'est une demande des membres dont j'ai fait partie, pour se prononcer sur la question des vitraux contemporains. Parce que ça aussi, ça devait, et donc ça a été vu par la Commission nationale.

  • Speaker #2

    Il y a eu plusieurs polémiques et débats autour du fait de reconstruire ou pas Notre-Dame à l'identique. Donc le gouvernement a décidé que tout allait être reconstruit à l'identique. Mais dans quelle mesure est-ce que c'est possible de réaliser la copie conforme d'un monument ?

  • Speaker #3

    En réalité, quand on dit qu'on va refaire à l'identique, c'est très rassurant pour l'esprit, mais c'est un mensonge sémantique, si vous voulez, parce que ça n'est pas possible. On ne reconstruit jamais à l'identique. Jamais. Pour la simple et bonne raison qu'on ne peut pas agir et faire comme faisaient les gens d'il y a 800 ans. Alors on peut se mettre un petit ablis en cuir, on peut tailler le bois à la main avec des petits outils, mais ça ne fera pas à l'identique. Et notamment pour la charpente, il y a aujourd'hui quatre énormes murs coupe-feu. Un dans le cœur, un dans la nef et un dans chaque bras du trancet, parce qu'on ne va pas prendre le risque d'avoir un nouvel incendie. Et donc la porte-coup-feu, ça n'existait pas au Moyen-Âge, de même qu'on a installé des systèmes qui permettent de brumiser, de faire une sorte de brumisateur d'eau, brouillard d'eau, pour éteindre éventuellement au tout début de l'intervention, s'il y avait un incendie, les flammes. Ça veut dire qu'il y a des kilomètres de tuyaux qui sont vissés sur les poutres et les chevrons, et donc évidemment ça, ça n'existait pas. Donc... À l'identique, c'est un terme qui est un peu trompeur. La flèche est à peu près, on peut le dire, à l'identique, à la réserve du coq final qui a été modifié, puisque l'architecte en chef a souhaité faire un dessin différent de celui qu'il avait retrouvé d'ailleurs dans les ruines, puisqu'on l'a retrouvé après l'incendie. Donc vous voyez, même la flèche n'est pas exactement à l'identique. Il y a même eu une polémique un peu curieuse sur l'inclinaison des crochets de la flèche. Je ne sais pas si c'est très sérieux, mais il est clair que ce terme d'à l'identique doit être pris avec un petit peu plus de modération que simplement le... Le plaisir de se dire, ah bah oui, tout sera comme avant. Non, c'est jamais comme avant.

  • Speaker #2

    Lors de votre première visite dans cette cathédrale restaurée, à quoi est-ce que vous allez être particulièrement attentif en tant qu'historien de l'architecture ?

  • Speaker #3

    Eh bien, je dirais justement à la lumière. Parce que là, avec le nettoyage de tous les vitraux, avec le nettoyage de la pierre, parce qu'on va revoir Notre-Dame blonde, elle avait été ravalée il y a une trentaine d'années, mais ça avait duré très peu de temps, parce qu'avec les bougies, la poussière, le chauffage par le sol avec de l'air pulsé, la visite de ces millions de gens, elle est redevenue très vite très noire. Et là, on va la voir avec cette pierre blonde magnifique, ce calcaire d'Ile-de-France si beau, avec les peintures nettoyées, avec les vitraux rendus parfaitement... translucide à la lumière et ça pour moi, vous savez la définition de le corbusier de l'architecture, c'est un volume sous la lumière, là ça va être un volume dans la lumière et donc c'est ça que j'attends beaucoup.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un épisode de Notre-Dame, l'universel. N'hésitez pas à le partager et à vous abonner à Place des Religions. tous nos podcasts sont à écouter sur les plateformes sur le site et l'appli La Croix

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Description

Place des religions, saison 8 : Notre-Dame, l’universelle


Le 15 avril 2019 au soir, Notre-Dame brûle. À Paris et dans tout l’Hexagone, chez les croyants comme chez les athées, le même sentiment de consternation domine. Comment comprendre une si vive émotion, dans un pays laïc et en grande partie déchristianisé ? Quelle place cette cathédrale occupe-t-elle dans nos imaginaires et dans nos vies ? À l’occasion de sa réouverture, les 7 et 8 décembre 2024,"La Croix" vous propose de redécouvrir, en cinq épisodes, Notre-Dame de Paris et son histoire.


Épisode 1/5 : Notre-Dame, un défi architectural


En 1663, la première pierre de Notre-Dame est posée : un chantier titanesque débute, supervisé par l’évêque de Paris Maurice de Sully. Pendant près d’un siècle, architectes, maçons et charpentiers se succèdent pour ériger au centre de la capitale – sur l’île de la Cité – cette cathédrale dédiée à la Vierge Marie. Alors que les travaux progressent, les plans de Notre-Dame sont remodelés, afin de répondre aux goûts de l’époque. L’art gothique est en plein essor et la cathédrale devient l’emblème de ce nouveau style architectural.


Comment l’idée de bâtir un tel édifice est-elle née ? Quels changements architecturaux Notre-Dame a-t-elle connus, selon les époques ? Après son incendie, le 15 avril 2019, quels choix ont été faits lors de la reconstruction de la cathédrale ?


Dans cet épisode, Clémence Maret, journaliste à "La Croix", a rencontré l’historien de l’art Alexandre Gady, pour retracer, avec lui, l’évolution de la silhouette de la cathédrale, du XIIe siècle à nos jours.


CRÉDITS :


Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward, Sarah Lefèvre, Flavien Edenne. Rédaction en chef : Bruno Bouvet, Paul de Coustin. Musique : Arnaud Forest. Illustration : Isaline Moulin. Voix : Laurence Szabason.


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


"Place des religions" est un podcast original de LA CROIX - Novembre 2024.



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Une épaisse fumée s'échappe de la cathédrale Notre-Dame. On aperçoit des flammes sortir du toit et le panache est visible de très loin. Sur les écrans du monde entier, des images de Notre-Dame en proie aux flammes et une émotion mondiale. Donc, la cathédrale, elle appartient à tout le monde. On ne distingue pas le croyant, le pratiquant et le touriste qui vient admirer le chef-d'œuvre. C'est le cœur de Paris, donc c'est vrai que c'est un peu notre cœur à nous aussi.

  • Speaker #1

    Notre-Dame rouvrira ses portes les 7 et 8 décembre prochains, au moment de son incendie le 15 avril 2019. Les cœurs se serrent devant la cathédrale en feu. Pourquoi cet incendie a suscité une telle émotion ? Comment ce monument nourrit notre imaginaire et notre mémoire collective ? Dans cet épisode, Clémence Marais, journaliste à la Croix, a rencontré l'historien Alexandre Gadi pour retracer avec lui l'épopée architecturale de Notre-Dame. Vous écoutez la série Notre-Dame, l'universel, du podcast La Croix, place des religions.

  • Speaker #2

    Bonjour Alexandre Gadzi.

  • Speaker #3

    Bonjour.

  • Speaker #2

    Vous êtes professeur d'histoire de l'art à la Sorbonne et vous avez fait de l'architecture votre spécialité. Vous faites également partie de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture qui a suivi la restauration de Notre-Dame ces cinq dernières années. Aujourd'hui, lorsque vous levez les yeux vers la cathédrale que vous connaissez bien, quel élément architectural vous frappe le plus ?

  • Speaker #3

    Eh bien je dirais, c'est pas peut-être très original, que ça demeure pour moi le chevet, l'arrière de la cathédrale. Donc on a tous en tête bien sûr la façade avec ses deux puissantes tours, mais il faut faire un peu un déplacement vers l'arrière, vers l'est, et en fait c'est l'espace extérieur du chœur. Et ce chœur, il s'approche de la Seine assez fortement, entouré par un jardin, et c'est ce dégagement avec le jardin et la Seine qui donne... un recul exceptionnel. Il est fréquent qu'on voit assez bien les façades des cathédrales, mais là, ce qui est exceptionnel à Notre-Dame, à cause de sa position dans l'île, c'est justement qu'on la voit très au large, on va dire sur trois côtés, parce qu'il reste un côté au nord qui est bordé par un petit quartier pittoresque et l'ancien quartier canonial.

  • Speaker #2

    Alors pour commencer, je vous propose de revenir aux origines de la cathédrale Notre-Dame. Quand et comment l'idée de construire une telle cathédrale a vu le jour ?

  • Speaker #3

    Alors Notre-Dame, c'est une cathédrale qui a vu le jour au XIIe siècle. Et c'est la volonté d'un évêque extraordinaire, un évêque bâtisseur, Maurice de Sully. Et c'est le moment où les Capétiens font de Paris leur capitale, la capitale du royaume, de plus en plus affirmée. Et le chantier Notre-Dame accompagne aussi cette histoire-là. Donc c'est une histoire religieuse, c'est une histoire parisienne et c'est une histoire monarchique.

  • Speaker #2

    Et combien de temps a duré le chantier de Notre-Dame ?

  • Speaker #3

    Là, il faut tordre le cou à une idée reçue, qui est que les chantiers des cathédrales durent des siècles et des siècles. Alors, c'est vrai dans la mesure où la cathédrale a toujours été en chantier, parce que comme tous ces édifices énormes, il y a toujours quelque chose à faire. Et vous allez voir la cathédrale restaurée le 8 décembre, mais le chantier est encore programmé pour plusieurs années. Il y a encore beaucoup de choses à faire avant de restaurer Notre-Dame complètement. Et quand on aura fini, il faudra recommencer à un autre endroit. Donc c'est l'histoire des grands monuments. Mais le chantier lui-même, celui qui a permis à la cathédrale de... d'apparaître dans le ciel parisien tel que nous la connaissons. Il n'est pas si long que cela, puisque la cathédrale a été commencée autour des années 1160, et la cathédrale est formellement achevée dans les années 1240. Donc ça fait quoi ? Ça fait 80 ans à peu près, c'est beaucoup, et en même temps à l'échelle de Dieu, à l'échelle du temps d'un évêque bâtisseur, lui et les générations suivantes, ce n'est pas beaucoup. Mais là où ça devient évidemment plus compliqué, c'est que cette Notre-Dame-là... En cours de chantier, elle a été immédiatement remise en chantier. Je veux dire qu'on a commencé par le chœur. Le chœur a été fini très rapidement, il a été consacré en 1182. En 22 ans, on avait construit ce que nous considérons l'énorme morceau du chœur avec son double déambulatoire qui sont les deux parties où on peut circuler. Et alors qu'on était en train de construire la nef, qu'on allait vers la façade, on s'est aperçu que le projet d'origine avait des défauts. Et dans ces défauts, il y en avait un qui est resté jusqu'à aujourd'hui, c'est une cathédrale très sombre. Et donc les architectes qui se sont succédés ont cherché à améliorer l'éclairage. Et ça veut dire que progressivement, ils ont déformé le projet d'origine en agrandissant des fenêtres par exemple. Toutes les fenêtres hautes du XIIe ont été transformées au XIIIe siècle parce qu'on trouvait qu'elles n'étaient pas assez vastes pour procurer plus de lumière. Et puis progressivement, on s'est aussi aperçu que le style avait évolué, le goût avait changé aussi. Et Notre-Dame, vous savez, on dit souvent que c'est le dernier édifice roman et le premier édifice gothique, parce qu'il y a encore des traits extrêmement romans, c'est-à-dire une architecture un peu lourde, puissante, avec beaucoup de murs. Alors même que le gothique, qui est ce style qui apparaît justement en Ile-de-France au XIIe siècle, un art exceptionnellement brillant, intellectuel, très subtil. Et bien ce nouveau style, il triomphe dans un édifice qui est construit alors que Notre-Dame est terminée, c'est la Sainte-Chapelle. Dans l'île de la Cité, juste à côté, dans notre actuel palais de justice, ce joyau de l'architecture rayonnante gothique, tout d'un coup font que la cathédrale paraît un tout petit peu démodée. Et donc on va retravailler plusieurs parties de la cathédrale, notamment les transeptes, le fameux portail sud qui regarde la Seine, très spectaculaire avec sa grande rose. Et puis ce chantier-là, lui, se terminera vers 1340-1345. Si on regarde facialement, ça fait deux siècles, mais avec, vous voyez, un emboîtement de chantier dans le chantier.

  • Speaker #0

    Ça me fait un peu penser à la lettre H, vue de devant comme ça.

  • Speaker #4

    Presque comme un carré, mais pas vraiment fini, où il y a un peu des trous à l'intérieur. Mais j'aime bien l'idée du H parce qu'on voit bien les deux cloches qui s'élèvent et on a presque l'impression que quelqu'un pourrait être au milieu de ces deux cloches et en fait toute l'attention est un peu portée sur ce milieu-là où les nuages passent au travers. Il y a à la fois énormément de détails et en même temps on voit que c'est un petit peu géométriquement...

  • Speaker #2

    Alors pour bien comprendre la spécificité de Notre-Dame, qu'est-ce qui la différencie en termes architectural d'autres grandes cathédrales françaises ? On peut penser à Chartres, à Reims...

  • Speaker #3

    Peut-être justement le mot de symétrie. Au fond, elle a déjà un côté un peu classique, c'est assez étonnant. Quand vous voyez Reims, Chartres, spécifiquement Chartres, puisqu'il y a deux tours d'époque différentes en façade, vous avez un sentiment... plus grand de pittoresque. À Notre-Dame, il y a cette façade parfaitement carrée ou presque, qui est d'une puissance incroyable, qui est une image très forte, on ne peut pas s'enlever de la tête et que Victor Hugo a appelé le sphinx à deux têtes, justement, c'est une image très très belle. C'est peut-être ça qui distingue un tout petit peu Notre-Dame.

  • Speaker #2

    Si ça vous convient, on va faire quelques sauts dans le temps. Entre le XIIe et le XIXe siècle, la cathédrale est successivement modifiée, aménagée. À la Révolution française, Notre-Dame est vandalisée et elle tombe dans un état d'élabrement avancé. Mais en 1843, une vaste campagne de restauration est lancée, supervisée par deux architectes, Fiollet le Duc et Jean-Baptiste Antoine Lassus, un petit peu oubliés. Est-ce que vous pourriez nous raconter comment ces deux architectes s'y sont pris pour rénover ? Notre-Dame et nous écrire les quelques modifications qu'ils ont faits.

  • Speaker #3

    Alors, peut-être d'abord dire que dans le récit que vous avez fait, qui est celui qu'on fait en général, il faut quand même qu'on précise un point, c'est que la Révolution a fracassé Notre-Dame très profondément. Elle a failli même être vendue et dépecée, comme on le faisait beaucoup pour ce type d'édifice. Mais à partir du moment où le culte catholique est rétabli avec le Concordat et Napoléon et que la cathédrale est réouverte au culte et qu'un nouvel archevêque est nommé, tous les régimes qui sont succédés ont... entretenu, restauré, embelli Notre-Dame. C'est-à-dire que la cathédrale, lorsqu'on décide en 1843 de lancer un concours pour la restauration, n'est pas en ruine. C'est simplement une cathédrale qui a perdu un certain nombre d'éléments décoratifs à la Révolution, et qui a perdu sa flèche, qui a été enlevée également à la Révolution. Et donc, il y a dans le programme de restauration qui est gagné. C'est un concours, en fait. Il y a plusieurs architectes, et puis c'est Jean-Baptiste Lassus qui est plus connu à l'époque. qui a déjà, lui, beaucoup fait dans le néo-gothique, et le jeune Viollet-le-Duc qui vont remporter ce concours, il y a l'idée de faire le plus bel édifice gothique comme une espèce de grande aventure archéologique et historique. C'est l'époque de la passion pour le Moyen-Âge, pensez au roman de Victor Hugo, bien sûr, mais pas seulement, il y a l'école Deschartes qui a été créée en 1822. Il y a tout un mouvement, et puis il y a une concurrence européenne, parce que les Anglais vont restaurer Westminster, et puis de l'autre côté du Rhin, nos amis et ennemis allemands sont en train de restaurer la cathédrale de Cologne, donc Paris doit avoir sa grande cathédrale. restaurer, c'est-à-dire fantasmer dans un travail de restitution historique et archéologique. A partir de là, vous comprenez que la restauration n'est pas une restauration comme nous le ferions aujourd'hui. Alors, les deux hommes dont on a cité le nom, ils étaient très habiles et donc ils ont menti au jury. Lorsque le jury leur a demandé ce qu'ils allaient faire comme restauration, ils ont dit qu'ils allaient restaurer sans inventer de choses qui n'existaient pas et qu'ils respecteraient scrupuleusement tout ce qui avait été ajouté après le Moyen-Âge, c'est-à-dire la Renaissance, le XVIIe et le XVIIIe siècle. Et ils ont fait exactement l'inverse, c'est-à-dire qu'ils ont détruit. tout ce qui avait été fait à partir de leur naissance, totalement, quasiment totalement. Et puis, bien sûr, ils ont inventé des choses qui n'avaient jamais existé. Le cas le plus important, bien sûr, c'est la flèche. La flèche avait existé, mais elle était beaucoup plus petite. Elle datait du XIIIe siècle et elle avait été abattue à la fin du XVIIIe siècle parce qu'elle ne tenait plus très bien en place. Et Viollet-le-Duc a souhaité faire une flèche qui soit plus haute, plus belle, plus grande, des termes qu'on a réentendus en 2019. Et vous savez qu'elle a joué un rôle très important dans l'incendie. à la fois comme cheminée et ensuite en tombant comme élément qui a crevé les voûtes. C'est pourquoi les anciens faisaient des toutes petites flèches, c'est parce qu'évidemment ils savaient qu'en cas de chute de la flèche par la tempête ou par l'incendie, il ne valait mieux pas qu'elle soit un ouvrage d'art trop lourd, parce que sans quoi les voûtes qui servent de bouclier, d'étanchéité pour le feu, eh bien elles seraient crevées par la chute de la flèche. Et nous avons vu l'erreur de Vionnel-Duc en direct, c'est-à-dire que faire cette flèche monumentale, c'était très bien parce qu'elle était à l'échelle du Paris d'Ousmane, du Paris de Napoléon III, de la Ville et Lumière, mais elle était trop lourde pour la cathédrale. Très vite, le sinistre prend de l'ampleur. Les poutres de la charpente, qui datent du XIIIe siècle, brûlent. Une partie de la voûte s'est effondrée et puis, il y a eu cette image. En début de soirée, la flèche, léchée par les flammes,

  • Speaker #0

    finit par céder. Moi je vois un immense monument. Avec une rosace. Avec au niveau de la rosace, trois belles sculptures aussi. De tout. A leur base, on voit des gargouilles qui font un petit peu peur, on peut l'avouer. Leur bouche, on n'aimerait pas les croiser.

  • Speaker #2

    Alors il y a un élément aussi que Viollet-le-Duc a inventé, ce sont ces chimères, donc ces animaux fantastiques qui sont sur le toit de Notre-Dame. Est-ce que vous pourriez nous les décrire pour ceux qui ne les ont pas forcément en tête ? Et quelle est la différence entre les chimères et les gargouilles ?

  • Speaker #3

    Alors j'ai dit du mal de Viollet-le-Duc, alors maintenant je vais dire du bien. C'est un décorateur de génie, il sent le monument, il sent les choses et il se projette dans ce Moyen-Âge un peu littéraire, un peu fantasmé. Il utilise des gravures d'ailleurs de l'époque, de l'époque romantique.... Il va imaginer ces fameuses monstres qui sont placés sur les rembarres de haute de la cathédrale. Alors à la différence des gargouilles, elles n'ont pas de rôle. C'est-à-dire que la gargouille a un vrai rôle, elle évacue l'eau qui descend sur le dos des arcs boutants. Au contraire, les chimères sont des inventions pures, mais alors c'est seulement décoratif. Et ça précipite la cathédrale dans une autre dimension qui est une dimension poétique. C'est ça la force de Viollet-le-Duc, c'est qu'il a provoqué des catastrophes archéologiquement parlant, mais il est aussi capable de sublimer ce Moyen-Âge, mais qui est un Moyen-Âge... qui correspond à un fantasme que nous avons du Moyen-Âge. Et ces chimères, à quoi elles ressemblent ? Ce sont des mélanges d'animaux et d'êtres humains. Alors il y a des femmes avec des corps de chiennes, des hommes avec des corps de singes, on tire la langue, on a une queue, on tire bouchon. Tout ça renvoie à cet imaginaire qui s'était fabriqué dans les années 1820-1830 autour du romantisme.

  • Speaker #2

    Donc après la restauration de Viollet-le-Duc, est-ce que la cathédrale a été modifiée ? Ou est-ce que sa silhouette est restée la même jusqu'au début du XXIe siècle ?

  • Speaker #3

    Non, la restauration de Viollet-le-Duc marque vraiment un moment dans l'histoire de la cathédrale. D'ailleurs, peu après, elle a été classée au titre des monuments historiques, alors même que la restauration n'était pas finie en 1862. Et ensuite, il y a eu des campagnes de restauration successives qui sont peu connues du public et pas très passionnantes. Toujours la même chose, ravalement, nettoyage des pierres. remplacement des éléments sculptés qui sont tombés. On a refait la flèche, elle a été restaurée déjà une première fois dans l'entre-deux-guerres. Et puis finalement, la grande histoire récente, c'était le ravalement de la façade. En l'an 2000, une façade redevenue toute blanche, avec les essais de restauration au laser qui avaient été tentés à l'époque sur les portails, où on avait retrouvé des traces de polychromie sur les parties sculptées des trois portails de la façade ouest, sur le parvis. Et puis au moment de l'incendie, on était en train de restaurer la flèche. On allait restaurer la flèche parce qu'on était toujours dans ce système des chantiers qui n'en finissent pas, avec des programmations sur plusieurs années, voire plusieurs décennies, comme tous ces grands édifices qui sont fragiles et qui ont besoin de beaucoup d'amour et de beaucoup d'attention.

  • Speaker #2

    On arrive justement à l'incendie que vous avez déjà évoqué, le 15 avril 2019. Est-ce que vous pourriez nous rappeler les parties de la cathédrale qui ont été détruites à ce moment-là ?

  • Speaker #3

    L'incendie, sans cause connue aujourd'hui, puisque les enquêtes n'ont rien donné, est parti dans le comble du transept sud et il a détruit... L'ensemble de la charpente, qu'on appelait la forêt, la flèche elle-même a été détruite, toute la toiture en plomb a évidemment fondu, et en tombant, la flèche a crevé la voûte de la nef avant de voir la voûte qui était sous elle s'effondrer à son tour. Il y a eu aussi un petit trou dans une des voûtes du bras nord du transept. Et la chance, c'est que la voûte a tenu pour l'essentiel de son linéaire. Ce sont des voûtes très minces, 15 cm dans le cœur, 20 cm dans la nef, c'est très très fin, mais... Ces voûtes, elles ont été créées à l'époque romane pour être des coups de feu. On avait eu tellement d'incendies dans les charpentes des édifices qu'on avait fini par trouver que, évidemment, couvrir d'une voûte en pierre, c'était non seulement plus beau, mais aussi, le jour où la charpente brûlait, une extraordinaire assurance vie. Et donc, à Notre-Dame, nous avons vu le génie des gens du Moyen-Âge fonctionner, puisque même si l'incendie est une tragédie, il s'est arrêté dans les parties hautes et il n'a pas endommagé le décor intérieur, les tableaux, le mobilier, les sculptures. et même les vitraux qui ont pu être sauvés.

  • Speaker #2

    Donc, après l'incendie, Emmanuel Macron a souhaité que la cathédrale soit rénovée en 5 ans. Comment la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture dont vous faites partie a accompagné cette restauration, et puis quel rôle est-ce que vous, vous avez eu ?

  • Speaker #3

    Alors, la Commission nationale, dans la loi d'exception du juillet 2019, devait être saisie de tous les partis de restauration de l'édifice. Donc nous avons été associés d'une manière régulière. Il y a eu, je crois, une dizaine de séances. Donc le principe de la Commission, qui est celui de la Commission créée en 1837, sous Louis-Philippe, à l'époque de Viollet-Duc, justement, c'est d'examiner les partis de restauration qu'on lui soumet et de voter pour ou contre les partis proposés. Ça peut être des choses très simples, quand il s'agit de remplacer un élément, on ne dérange pas la commission. La commission est souvent saisie pour des dossiers compliqués. Par exemple, fallait-il refaire la charpente à l'identique ? Là, il y avait deux écoles. Une école qui disait, oui, on refait à l'identique, on a les photos, on a les relevés, c'est très simple. Et une autre école à laquelle j'appartenais, vous me demandiez le rôle que j'ai joué très modestement. Moi, je suis peut-être plutôt le rôle de poil à gratter, je ne sais pas si le terme est très bon. L'idée qu'il faut toujours réfléchir beaucoup, beaucoup avant de prendre une décision parce qu'après elle est irréversible. Au moins, je pense que la charpente, la refaire à l'identique, ça n'avait pas beaucoup d'intérêt parce qu'hélas, elle a disparu, la vraie charpente. Et donc, on aurait pu peut-être faire un grand geste contemporain qui serait resté par ailleurs invisible puisque personne n'ira plus jamais dans la charpente. Elle sera inaccessible au public pour des raisons de sécurité évidentes. Voilà, donc la commission s'est prononcée très régulièrement à chaque étape du chantier, depuis le début, c'est-à-dire la phase de sécurisation. Et puis nous avons été saisis très régulièrement jusqu'au 11 juillet dernier, où nous avons demandé, là c'est une demande des membres dont j'ai fait partie, pour se prononcer sur la question des vitraux contemporains. Parce que ça aussi, ça devait, et donc ça a été vu par la Commission nationale.

  • Speaker #2

    Il y a eu plusieurs polémiques et débats autour du fait de reconstruire ou pas Notre-Dame à l'identique. Donc le gouvernement a décidé que tout allait être reconstruit à l'identique. Mais dans quelle mesure est-ce que c'est possible de réaliser la copie conforme d'un monument ?

  • Speaker #3

    En réalité, quand on dit qu'on va refaire à l'identique, c'est très rassurant pour l'esprit, mais c'est un mensonge sémantique, si vous voulez, parce que ça n'est pas possible. On ne reconstruit jamais à l'identique. Jamais. Pour la simple et bonne raison qu'on ne peut pas agir et faire comme faisaient les gens d'il y a 800 ans. Alors on peut se mettre un petit ablis en cuir, on peut tailler le bois à la main avec des petits outils, mais ça ne fera pas à l'identique. Et notamment pour la charpente, il y a aujourd'hui quatre énormes murs coupe-feu. Un dans le cœur, un dans la nef et un dans chaque bras du trancet, parce qu'on ne va pas prendre le risque d'avoir un nouvel incendie. Et donc la porte-coup-feu, ça n'existait pas au Moyen-Âge, de même qu'on a installé des systèmes qui permettent de brumiser, de faire une sorte de brumisateur d'eau, brouillard d'eau, pour éteindre éventuellement au tout début de l'intervention, s'il y avait un incendie, les flammes. Ça veut dire qu'il y a des kilomètres de tuyaux qui sont vissés sur les poutres et les chevrons, et donc évidemment ça, ça n'existait pas. Donc... À l'identique, c'est un terme qui est un peu trompeur. La flèche est à peu près, on peut le dire, à l'identique, à la réserve du coq final qui a été modifié, puisque l'architecte en chef a souhaité faire un dessin différent de celui qu'il avait retrouvé d'ailleurs dans les ruines, puisqu'on l'a retrouvé après l'incendie. Donc vous voyez, même la flèche n'est pas exactement à l'identique. Il y a même eu une polémique un peu curieuse sur l'inclinaison des crochets de la flèche. Je ne sais pas si c'est très sérieux, mais il est clair que ce terme d'à l'identique doit être pris avec un petit peu plus de modération que simplement le... Le plaisir de se dire, ah bah oui, tout sera comme avant. Non, c'est jamais comme avant.

  • Speaker #2

    Lors de votre première visite dans cette cathédrale restaurée, à quoi est-ce que vous allez être particulièrement attentif en tant qu'historien de l'architecture ?

  • Speaker #3

    Eh bien, je dirais justement à la lumière. Parce que là, avec le nettoyage de tous les vitraux, avec le nettoyage de la pierre, parce qu'on va revoir Notre-Dame blonde, elle avait été ravalée il y a une trentaine d'années, mais ça avait duré très peu de temps, parce qu'avec les bougies, la poussière, le chauffage par le sol avec de l'air pulsé, la visite de ces millions de gens, elle est redevenue très vite très noire. Et là, on va la voir avec cette pierre blonde magnifique, ce calcaire d'Ile-de-France si beau, avec les peintures nettoyées, avec les vitraux rendus parfaitement... translucide à la lumière et ça pour moi, vous savez la définition de le corbusier de l'architecture, c'est un volume sous la lumière, là ça va être un volume dans la lumière et donc c'est ça que j'attends beaucoup.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un épisode de Notre-Dame, l'universel. N'hésitez pas à le partager et à vous abonner à Place des Religions. tous nos podcasts sont à écouter sur les plateformes sur le site et l'appli La Croix

Description

Place des religions, saison 8 : Notre-Dame, l’universelle


Le 15 avril 2019 au soir, Notre-Dame brûle. À Paris et dans tout l’Hexagone, chez les croyants comme chez les athées, le même sentiment de consternation domine. Comment comprendre une si vive émotion, dans un pays laïc et en grande partie déchristianisé ? Quelle place cette cathédrale occupe-t-elle dans nos imaginaires et dans nos vies ? À l’occasion de sa réouverture, les 7 et 8 décembre 2024,"La Croix" vous propose de redécouvrir, en cinq épisodes, Notre-Dame de Paris et son histoire.


Épisode 1/5 : Notre-Dame, un défi architectural


En 1663, la première pierre de Notre-Dame est posée : un chantier titanesque débute, supervisé par l’évêque de Paris Maurice de Sully. Pendant près d’un siècle, architectes, maçons et charpentiers se succèdent pour ériger au centre de la capitale – sur l’île de la Cité – cette cathédrale dédiée à la Vierge Marie. Alors que les travaux progressent, les plans de Notre-Dame sont remodelés, afin de répondre aux goûts de l’époque. L’art gothique est en plein essor et la cathédrale devient l’emblème de ce nouveau style architectural.


Comment l’idée de bâtir un tel édifice est-elle née ? Quels changements architecturaux Notre-Dame a-t-elle connus, selon les époques ? Après son incendie, le 15 avril 2019, quels choix ont été faits lors de la reconstruction de la cathédrale ?


Dans cet épisode, Clémence Maret, journaliste à "La Croix", a rencontré l’historien de l’art Alexandre Gady, pour retracer, avec lui, l’évolution de la silhouette de la cathédrale, du XIIe siècle à nos jours.


CRÉDITS :


Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward, Sarah Lefèvre, Flavien Edenne. Rédaction en chef : Bruno Bouvet, Paul de Coustin. Musique : Arnaud Forest. Illustration : Isaline Moulin. Voix : Laurence Szabason.


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


"Place des religions" est un podcast original de LA CROIX - Novembre 2024.



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Une épaisse fumée s'échappe de la cathédrale Notre-Dame. On aperçoit des flammes sortir du toit et le panache est visible de très loin. Sur les écrans du monde entier, des images de Notre-Dame en proie aux flammes et une émotion mondiale. Donc, la cathédrale, elle appartient à tout le monde. On ne distingue pas le croyant, le pratiquant et le touriste qui vient admirer le chef-d'œuvre. C'est le cœur de Paris, donc c'est vrai que c'est un peu notre cœur à nous aussi.

  • Speaker #1

    Notre-Dame rouvrira ses portes les 7 et 8 décembre prochains, au moment de son incendie le 15 avril 2019. Les cœurs se serrent devant la cathédrale en feu. Pourquoi cet incendie a suscité une telle émotion ? Comment ce monument nourrit notre imaginaire et notre mémoire collective ? Dans cet épisode, Clémence Marais, journaliste à la Croix, a rencontré l'historien Alexandre Gadi pour retracer avec lui l'épopée architecturale de Notre-Dame. Vous écoutez la série Notre-Dame, l'universel, du podcast La Croix, place des religions.

  • Speaker #2

    Bonjour Alexandre Gadzi.

  • Speaker #3

    Bonjour.

  • Speaker #2

    Vous êtes professeur d'histoire de l'art à la Sorbonne et vous avez fait de l'architecture votre spécialité. Vous faites également partie de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture qui a suivi la restauration de Notre-Dame ces cinq dernières années. Aujourd'hui, lorsque vous levez les yeux vers la cathédrale que vous connaissez bien, quel élément architectural vous frappe le plus ?

  • Speaker #3

    Eh bien je dirais, c'est pas peut-être très original, que ça demeure pour moi le chevet, l'arrière de la cathédrale. Donc on a tous en tête bien sûr la façade avec ses deux puissantes tours, mais il faut faire un peu un déplacement vers l'arrière, vers l'est, et en fait c'est l'espace extérieur du chœur. Et ce chœur, il s'approche de la Seine assez fortement, entouré par un jardin, et c'est ce dégagement avec le jardin et la Seine qui donne... un recul exceptionnel. Il est fréquent qu'on voit assez bien les façades des cathédrales, mais là, ce qui est exceptionnel à Notre-Dame, à cause de sa position dans l'île, c'est justement qu'on la voit très au large, on va dire sur trois côtés, parce qu'il reste un côté au nord qui est bordé par un petit quartier pittoresque et l'ancien quartier canonial.

  • Speaker #2

    Alors pour commencer, je vous propose de revenir aux origines de la cathédrale Notre-Dame. Quand et comment l'idée de construire une telle cathédrale a vu le jour ?

  • Speaker #3

    Alors Notre-Dame, c'est une cathédrale qui a vu le jour au XIIe siècle. Et c'est la volonté d'un évêque extraordinaire, un évêque bâtisseur, Maurice de Sully. Et c'est le moment où les Capétiens font de Paris leur capitale, la capitale du royaume, de plus en plus affirmée. Et le chantier Notre-Dame accompagne aussi cette histoire-là. Donc c'est une histoire religieuse, c'est une histoire parisienne et c'est une histoire monarchique.

  • Speaker #2

    Et combien de temps a duré le chantier de Notre-Dame ?

  • Speaker #3

    Là, il faut tordre le cou à une idée reçue, qui est que les chantiers des cathédrales durent des siècles et des siècles. Alors, c'est vrai dans la mesure où la cathédrale a toujours été en chantier, parce que comme tous ces édifices énormes, il y a toujours quelque chose à faire. Et vous allez voir la cathédrale restaurée le 8 décembre, mais le chantier est encore programmé pour plusieurs années. Il y a encore beaucoup de choses à faire avant de restaurer Notre-Dame complètement. Et quand on aura fini, il faudra recommencer à un autre endroit. Donc c'est l'histoire des grands monuments. Mais le chantier lui-même, celui qui a permis à la cathédrale de... d'apparaître dans le ciel parisien tel que nous la connaissons. Il n'est pas si long que cela, puisque la cathédrale a été commencée autour des années 1160, et la cathédrale est formellement achevée dans les années 1240. Donc ça fait quoi ? Ça fait 80 ans à peu près, c'est beaucoup, et en même temps à l'échelle de Dieu, à l'échelle du temps d'un évêque bâtisseur, lui et les générations suivantes, ce n'est pas beaucoup. Mais là où ça devient évidemment plus compliqué, c'est que cette Notre-Dame-là... En cours de chantier, elle a été immédiatement remise en chantier. Je veux dire qu'on a commencé par le chœur. Le chœur a été fini très rapidement, il a été consacré en 1182. En 22 ans, on avait construit ce que nous considérons l'énorme morceau du chœur avec son double déambulatoire qui sont les deux parties où on peut circuler. Et alors qu'on était en train de construire la nef, qu'on allait vers la façade, on s'est aperçu que le projet d'origine avait des défauts. Et dans ces défauts, il y en avait un qui est resté jusqu'à aujourd'hui, c'est une cathédrale très sombre. Et donc les architectes qui se sont succédés ont cherché à améliorer l'éclairage. Et ça veut dire que progressivement, ils ont déformé le projet d'origine en agrandissant des fenêtres par exemple. Toutes les fenêtres hautes du XIIe ont été transformées au XIIIe siècle parce qu'on trouvait qu'elles n'étaient pas assez vastes pour procurer plus de lumière. Et puis progressivement, on s'est aussi aperçu que le style avait évolué, le goût avait changé aussi. Et Notre-Dame, vous savez, on dit souvent que c'est le dernier édifice roman et le premier édifice gothique, parce qu'il y a encore des traits extrêmement romans, c'est-à-dire une architecture un peu lourde, puissante, avec beaucoup de murs. Alors même que le gothique, qui est ce style qui apparaît justement en Ile-de-France au XIIe siècle, un art exceptionnellement brillant, intellectuel, très subtil. Et bien ce nouveau style, il triomphe dans un édifice qui est construit alors que Notre-Dame est terminée, c'est la Sainte-Chapelle. Dans l'île de la Cité, juste à côté, dans notre actuel palais de justice, ce joyau de l'architecture rayonnante gothique, tout d'un coup font que la cathédrale paraît un tout petit peu démodée. Et donc on va retravailler plusieurs parties de la cathédrale, notamment les transeptes, le fameux portail sud qui regarde la Seine, très spectaculaire avec sa grande rose. Et puis ce chantier-là, lui, se terminera vers 1340-1345. Si on regarde facialement, ça fait deux siècles, mais avec, vous voyez, un emboîtement de chantier dans le chantier.

  • Speaker #0

    Ça me fait un peu penser à la lettre H, vue de devant comme ça.

  • Speaker #4

    Presque comme un carré, mais pas vraiment fini, où il y a un peu des trous à l'intérieur. Mais j'aime bien l'idée du H parce qu'on voit bien les deux cloches qui s'élèvent et on a presque l'impression que quelqu'un pourrait être au milieu de ces deux cloches et en fait toute l'attention est un peu portée sur ce milieu-là où les nuages passent au travers. Il y a à la fois énormément de détails et en même temps on voit que c'est un petit peu géométriquement...

  • Speaker #2

    Alors pour bien comprendre la spécificité de Notre-Dame, qu'est-ce qui la différencie en termes architectural d'autres grandes cathédrales françaises ? On peut penser à Chartres, à Reims...

  • Speaker #3

    Peut-être justement le mot de symétrie. Au fond, elle a déjà un côté un peu classique, c'est assez étonnant. Quand vous voyez Reims, Chartres, spécifiquement Chartres, puisqu'il y a deux tours d'époque différentes en façade, vous avez un sentiment... plus grand de pittoresque. À Notre-Dame, il y a cette façade parfaitement carrée ou presque, qui est d'une puissance incroyable, qui est une image très forte, on ne peut pas s'enlever de la tête et que Victor Hugo a appelé le sphinx à deux têtes, justement, c'est une image très très belle. C'est peut-être ça qui distingue un tout petit peu Notre-Dame.

  • Speaker #2

    Si ça vous convient, on va faire quelques sauts dans le temps. Entre le XIIe et le XIXe siècle, la cathédrale est successivement modifiée, aménagée. À la Révolution française, Notre-Dame est vandalisée et elle tombe dans un état d'élabrement avancé. Mais en 1843, une vaste campagne de restauration est lancée, supervisée par deux architectes, Fiollet le Duc et Jean-Baptiste Antoine Lassus, un petit peu oubliés. Est-ce que vous pourriez nous raconter comment ces deux architectes s'y sont pris pour rénover ? Notre-Dame et nous écrire les quelques modifications qu'ils ont faits.

  • Speaker #3

    Alors, peut-être d'abord dire que dans le récit que vous avez fait, qui est celui qu'on fait en général, il faut quand même qu'on précise un point, c'est que la Révolution a fracassé Notre-Dame très profondément. Elle a failli même être vendue et dépecée, comme on le faisait beaucoup pour ce type d'édifice. Mais à partir du moment où le culte catholique est rétabli avec le Concordat et Napoléon et que la cathédrale est réouverte au culte et qu'un nouvel archevêque est nommé, tous les régimes qui sont succédés ont... entretenu, restauré, embelli Notre-Dame. C'est-à-dire que la cathédrale, lorsqu'on décide en 1843 de lancer un concours pour la restauration, n'est pas en ruine. C'est simplement une cathédrale qui a perdu un certain nombre d'éléments décoratifs à la Révolution, et qui a perdu sa flèche, qui a été enlevée également à la Révolution. Et donc, il y a dans le programme de restauration qui est gagné. C'est un concours, en fait. Il y a plusieurs architectes, et puis c'est Jean-Baptiste Lassus qui est plus connu à l'époque. qui a déjà, lui, beaucoup fait dans le néo-gothique, et le jeune Viollet-le-Duc qui vont remporter ce concours, il y a l'idée de faire le plus bel édifice gothique comme une espèce de grande aventure archéologique et historique. C'est l'époque de la passion pour le Moyen-Âge, pensez au roman de Victor Hugo, bien sûr, mais pas seulement, il y a l'école Deschartes qui a été créée en 1822. Il y a tout un mouvement, et puis il y a une concurrence européenne, parce que les Anglais vont restaurer Westminster, et puis de l'autre côté du Rhin, nos amis et ennemis allemands sont en train de restaurer la cathédrale de Cologne, donc Paris doit avoir sa grande cathédrale. restaurer, c'est-à-dire fantasmer dans un travail de restitution historique et archéologique. A partir de là, vous comprenez que la restauration n'est pas une restauration comme nous le ferions aujourd'hui. Alors, les deux hommes dont on a cité le nom, ils étaient très habiles et donc ils ont menti au jury. Lorsque le jury leur a demandé ce qu'ils allaient faire comme restauration, ils ont dit qu'ils allaient restaurer sans inventer de choses qui n'existaient pas et qu'ils respecteraient scrupuleusement tout ce qui avait été ajouté après le Moyen-Âge, c'est-à-dire la Renaissance, le XVIIe et le XVIIIe siècle. Et ils ont fait exactement l'inverse, c'est-à-dire qu'ils ont détruit. tout ce qui avait été fait à partir de leur naissance, totalement, quasiment totalement. Et puis, bien sûr, ils ont inventé des choses qui n'avaient jamais existé. Le cas le plus important, bien sûr, c'est la flèche. La flèche avait existé, mais elle était beaucoup plus petite. Elle datait du XIIIe siècle et elle avait été abattue à la fin du XVIIIe siècle parce qu'elle ne tenait plus très bien en place. Et Viollet-le-Duc a souhaité faire une flèche qui soit plus haute, plus belle, plus grande, des termes qu'on a réentendus en 2019. Et vous savez qu'elle a joué un rôle très important dans l'incendie. à la fois comme cheminée et ensuite en tombant comme élément qui a crevé les voûtes. C'est pourquoi les anciens faisaient des toutes petites flèches, c'est parce qu'évidemment ils savaient qu'en cas de chute de la flèche par la tempête ou par l'incendie, il ne valait mieux pas qu'elle soit un ouvrage d'art trop lourd, parce que sans quoi les voûtes qui servent de bouclier, d'étanchéité pour le feu, eh bien elles seraient crevées par la chute de la flèche. Et nous avons vu l'erreur de Vionnel-Duc en direct, c'est-à-dire que faire cette flèche monumentale, c'était très bien parce qu'elle était à l'échelle du Paris d'Ousmane, du Paris de Napoléon III, de la Ville et Lumière, mais elle était trop lourde pour la cathédrale. Très vite, le sinistre prend de l'ampleur. Les poutres de la charpente, qui datent du XIIIe siècle, brûlent. Une partie de la voûte s'est effondrée et puis, il y a eu cette image. En début de soirée, la flèche, léchée par les flammes,

  • Speaker #0

    finit par céder. Moi je vois un immense monument. Avec une rosace. Avec au niveau de la rosace, trois belles sculptures aussi. De tout. A leur base, on voit des gargouilles qui font un petit peu peur, on peut l'avouer. Leur bouche, on n'aimerait pas les croiser.

  • Speaker #2

    Alors il y a un élément aussi que Viollet-le-Duc a inventé, ce sont ces chimères, donc ces animaux fantastiques qui sont sur le toit de Notre-Dame. Est-ce que vous pourriez nous les décrire pour ceux qui ne les ont pas forcément en tête ? Et quelle est la différence entre les chimères et les gargouilles ?

  • Speaker #3

    Alors j'ai dit du mal de Viollet-le-Duc, alors maintenant je vais dire du bien. C'est un décorateur de génie, il sent le monument, il sent les choses et il se projette dans ce Moyen-Âge un peu littéraire, un peu fantasmé. Il utilise des gravures d'ailleurs de l'époque, de l'époque romantique.... Il va imaginer ces fameuses monstres qui sont placés sur les rembarres de haute de la cathédrale. Alors à la différence des gargouilles, elles n'ont pas de rôle. C'est-à-dire que la gargouille a un vrai rôle, elle évacue l'eau qui descend sur le dos des arcs boutants. Au contraire, les chimères sont des inventions pures, mais alors c'est seulement décoratif. Et ça précipite la cathédrale dans une autre dimension qui est une dimension poétique. C'est ça la force de Viollet-le-Duc, c'est qu'il a provoqué des catastrophes archéologiquement parlant, mais il est aussi capable de sublimer ce Moyen-Âge, mais qui est un Moyen-Âge... qui correspond à un fantasme que nous avons du Moyen-Âge. Et ces chimères, à quoi elles ressemblent ? Ce sont des mélanges d'animaux et d'êtres humains. Alors il y a des femmes avec des corps de chiennes, des hommes avec des corps de singes, on tire la langue, on a une queue, on tire bouchon. Tout ça renvoie à cet imaginaire qui s'était fabriqué dans les années 1820-1830 autour du romantisme.

  • Speaker #2

    Donc après la restauration de Viollet-le-Duc, est-ce que la cathédrale a été modifiée ? Ou est-ce que sa silhouette est restée la même jusqu'au début du XXIe siècle ?

  • Speaker #3

    Non, la restauration de Viollet-le-Duc marque vraiment un moment dans l'histoire de la cathédrale. D'ailleurs, peu après, elle a été classée au titre des monuments historiques, alors même que la restauration n'était pas finie en 1862. Et ensuite, il y a eu des campagnes de restauration successives qui sont peu connues du public et pas très passionnantes. Toujours la même chose, ravalement, nettoyage des pierres. remplacement des éléments sculptés qui sont tombés. On a refait la flèche, elle a été restaurée déjà une première fois dans l'entre-deux-guerres. Et puis finalement, la grande histoire récente, c'était le ravalement de la façade. En l'an 2000, une façade redevenue toute blanche, avec les essais de restauration au laser qui avaient été tentés à l'époque sur les portails, où on avait retrouvé des traces de polychromie sur les parties sculptées des trois portails de la façade ouest, sur le parvis. Et puis au moment de l'incendie, on était en train de restaurer la flèche. On allait restaurer la flèche parce qu'on était toujours dans ce système des chantiers qui n'en finissent pas, avec des programmations sur plusieurs années, voire plusieurs décennies, comme tous ces grands édifices qui sont fragiles et qui ont besoin de beaucoup d'amour et de beaucoup d'attention.

  • Speaker #2

    On arrive justement à l'incendie que vous avez déjà évoqué, le 15 avril 2019. Est-ce que vous pourriez nous rappeler les parties de la cathédrale qui ont été détruites à ce moment-là ?

  • Speaker #3

    L'incendie, sans cause connue aujourd'hui, puisque les enquêtes n'ont rien donné, est parti dans le comble du transept sud et il a détruit... L'ensemble de la charpente, qu'on appelait la forêt, la flèche elle-même a été détruite, toute la toiture en plomb a évidemment fondu, et en tombant, la flèche a crevé la voûte de la nef avant de voir la voûte qui était sous elle s'effondrer à son tour. Il y a eu aussi un petit trou dans une des voûtes du bras nord du transept. Et la chance, c'est que la voûte a tenu pour l'essentiel de son linéaire. Ce sont des voûtes très minces, 15 cm dans le cœur, 20 cm dans la nef, c'est très très fin, mais... Ces voûtes, elles ont été créées à l'époque romane pour être des coups de feu. On avait eu tellement d'incendies dans les charpentes des édifices qu'on avait fini par trouver que, évidemment, couvrir d'une voûte en pierre, c'était non seulement plus beau, mais aussi, le jour où la charpente brûlait, une extraordinaire assurance vie. Et donc, à Notre-Dame, nous avons vu le génie des gens du Moyen-Âge fonctionner, puisque même si l'incendie est une tragédie, il s'est arrêté dans les parties hautes et il n'a pas endommagé le décor intérieur, les tableaux, le mobilier, les sculptures. et même les vitraux qui ont pu être sauvés.

  • Speaker #2

    Donc, après l'incendie, Emmanuel Macron a souhaité que la cathédrale soit rénovée en 5 ans. Comment la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture dont vous faites partie a accompagné cette restauration, et puis quel rôle est-ce que vous, vous avez eu ?

  • Speaker #3

    Alors, la Commission nationale, dans la loi d'exception du juillet 2019, devait être saisie de tous les partis de restauration de l'édifice. Donc nous avons été associés d'une manière régulière. Il y a eu, je crois, une dizaine de séances. Donc le principe de la Commission, qui est celui de la Commission créée en 1837, sous Louis-Philippe, à l'époque de Viollet-Duc, justement, c'est d'examiner les partis de restauration qu'on lui soumet et de voter pour ou contre les partis proposés. Ça peut être des choses très simples, quand il s'agit de remplacer un élément, on ne dérange pas la commission. La commission est souvent saisie pour des dossiers compliqués. Par exemple, fallait-il refaire la charpente à l'identique ? Là, il y avait deux écoles. Une école qui disait, oui, on refait à l'identique, on a les photos, on a les relevés, c'est très simple. Et une autre école à laquelle j'appartenais, vous me demandiez le rôle que j'ai joué très modestement. Moi, je suis peut-être plutôt le rôle de poil à gratter, je ne sais pas si le terme est très bon. L'idée qu'il faut toujours réfléchir beaucoup, beaucoup avant de prendre une décision parce qu'après elle est irréversible. Au moins, je pense que la charpente, la refaire à l'identique, ça n'avait pas beaucoup d'intérêt parce qu'hélas, elle a disparu, la vraie charpente. Et donc, on aurait pu peut-être faire un grand geste contemporain qui serait resté par ailleurs invisible puisque personne n'ira plus jamais dans la charpente. Elle sera inaccessible au public pour des raisons de sécurité évidentes. Voilà, donc la commission s'est prononcée très régulièrement à chaque étape du chantier, depuis le début, c'est-à-dire la phase de sécurisation. Et puis nous avons été saisis très régulièrement jusqu'au 11 juillet dernier, où nous avons demandé, là c'est une demande des membres dont j'ai fait partie, pour se prononcer sur la question des vitraux contemporains. Parce que ça aussi, ça devait, et donc ça a été vu par la Commission nationale.

  • Speaker #2

    Il y a eu plusieurs polémiques et débats autour du fait de reconstruire ou pas Notre-Dame à l'identique. Donc le gouvernement a décidé que tout allait être reconstruit à l'identique. Mais dans quelle mesure est-ce que c'est possible de réaliser la copie conforme d'un monument ?

  • Speaker #3

    En réalité, quand on dit qu'on va refaire à l'identique, c'est très rassurant pour l'esprit, mais c'est un mensonge sémantique, si vous voulez, parce que ça n'est pas possible. On ne reconstruit jamais à l'identique. Jamais. Pour la simple et bonne raison qu'on ne peut pas agir et faire comme faisaient les gens d'il y a 800 ans. Alors on peut se mettre un petit ablis en cuir, on peut tailler le bois à la main avec des petits outils, mais ça ne fera pas à l'identique. Et notamment pour la charpente, il y a aujourd'hui quatre énormes murs coupe-feu. Un dans le cœur, un dans la nef et un dans chaque bras du trancet, parce qu'on ne va pas prendre le risque d'avoir un nouvel incendie. Et donc la porte-coup-feu, ça n'existait pas au Moyen-Âge, de même qu'on a installé des systèmes qui permettent de brumiser, de faire une sorte de brumisateur d'eau, brouillard d'eau, pour éteindre éventuellement au tout début de l'intervention, s'il y avait un incendie, les flammes. Ça veut dire qu'il y a des kilomètres de tuyaux qui sont vissés sur les poutres et les chevrons, et donc évidemment ça, ça n'existait pas. Donc... À l'identique, c'est un terme qui est un peu trompeur. La flèche est à peu près, on peut le dire, à l'identique, à la réserve du coq final qui a été modifié, puisque l'architecte en chef a souhaité faire un dessin différent de celui qu'il avait retrouvé d'ailleurs dans les ruines, puisqu'on l'a retrouvé après l'incendie. Donc vous voyez, même la flèche n'est pas exactement à l'identique. Il y a même eu une polémique un peu curieuse sur l'inclinaison des crochets de la flèche. Je ne sais pas si c'est très sérieux, mais il est clair que ce terme d'à l'identique doit être pris avec un petit peu plus de modération que simplement le... Le plaisir de se dire, ah bah oui, tout sera comme avant. Non, c'est jamais comme avant.

  • Speaker #2

    Lors de votre première visite dans cette cathédrale restaurée, à quoi est-ce que vous allez être particulièrement attentif en tant qu'historien de l'architecture ?

  • Speaker #3

    Eh bien, je dirais justement à la lumière. Parce que là, avec le nettoyage de tous les vitraux, avec le nettoyage de la pierre, parce qu'on va revoir Notre-Dame blonde, elle avait été ravalée il y a une trentaine d'années, mais ça avait duré très peu de temps, parce qu'avec les bougies, la poussière, le chauffage par le sol avec de l'air pulsé, la visite de ces millions de gens, elle est redevenue très vite très noire. Et là, on va la voir avec cette pierre blonde magnifique, ce calcaire d'Ile-de-France si beau, avec les peintures nettoyées, avec les vitraux rendus parfaitement... translucide à la lumière et ça pour moi, vous savez la définition de le corbusier de l'architecture, c'est un volume sous la lumière, là ça va être un volume dans la lumière et donc c'est ça que j'attends beaucoup.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un épisode de Notre-Dame, l'universel. N'hésitez pas à le partager et à vous abonner à Place des Religions. tous nos podcasts sont à écouter sur les plateformes sur le site et l'appli La Croix

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