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Planète en transition

Soutien public à la rénovation énergétique : un pari gagnant ?

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34min |26/08/2024
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Soutien public à la rénovation énergétique : un pari gagnant ?

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Description

Engager la rénovation des bâtiments anciens apparait à plusieurs titres comme une évidence : déjà et en dehors de tout contexte, l’enjeu de la conservation et de l’amélioration de nos habitats vieillissants tombe sous le sens ; au-delà, lorsque l’on s’inscrit dans la question de la lutte contre les changements climatiques la rénovation de nos logements, leur isolation et l’amélioration de leur efficacité énergétique apparaissent comme des choix prioritaires pour permettre la diminution de notre consommation. 


Aussi, ce n’est plus le bien-fondé du déploiement de politiques de rénovation, vanté depuis la fin des années 1970, qui interroge, mais leur mise en œuvre et leur impact. 


Si l’état français propose des mesures pour déployer une politique publique incitative pour le développement de la filière de la rénovation, et pour permettre de façonner une politique industrielle, a-t-elle le succès escompté ? Notamment quel est l’impact de la mesure phare dite du Certificat d’Économie d’Énergie ?  


Dans ce podcast de la planète en transition, nous vous proposons d’évaluer les retombées de ces mesures en termes de création d’emploi en vous entrainant dans un délicat exercice de comptabilité que nous décrypterons ensemble. 


Pour approfondir :


 

 



Cet épisode est un dialogue entre Nadia Maïzi et Guillaume Wald, doctorant au CERNA, Centre d'économie industrielle de Mines Paris – PSL.


Planète en transition est un Podcast produit par The Transition Institute 1.5 et réalisé par Nadia Maïzi. 

Ingénieur du son : Mourad Louanchi

Moyens techniques : CHUUUT! FILMS

Music from #Uppbeat (free for Creators!):

https://uppbeat.io/t/danijel-zambo/fairytales 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Nadia Maïzi

    Planète en transition, le podcast de l'Institut TTI.5. Engager la rénovation des bâtiments anciens apparaît à plusieurs titres comme une évidence. En dehors de tout contexte, l'enjeu de la conservation et de l'amélioration de nos habitats vieillissants tombe sous le sens. Au-delà... Lorsque l'on s'inscrit dans la question de la lutte contre les changements climatiques, la rénovation de nos logements, leur isolation, l'amélioration de leur efficacité énergétique apparaissent comme des choix prioritaires pour permettre la diminution de notre consommation d'énergie. Aussi, ce n'est plus le bien fondé du déploiement de politiques de rénovation, vantées depuis la fin des années 70, qui interrogent, mais leur mise en œuvre, et leur impact. Si l'État français propose des mesures pour déployer une politique publique incitative pour le développement de cette filière de la rénovation et permettre de façonner une politique industrielle, a-t-il le succès escompté ? Notamment, quel est l'impact de la mesure phare dite du certificat d'économie d'énergie ? Dans ce podcast Planète en transition, nous vous proposons d'évaluer les retombées de ces mesures en termes de création d'emplois et de réduction de la consommation d'énergie en vous entraînant dans un délicat exercice de comptabilité que nous décrypterons aujourd'hui avec

  • Guillaume Wald

    Guillaume Wald, doctorant en économie à l'École des Mines de Paris.

  • Nadia Maïzi

    Bonjour Guillaume, le sujet de ta thèse, c'est la rénovation énergétique du secteur résidentiel et plus particulièrement l'évaluation des politiques publiques. Est-ce que tu peux nous donner les motivations de ce sujet ?

  • Guillaume Wald

    Bonjour Nadia. La rénovation du secteur résidentiel, c'est quelque chose de très important du point de vue des politiques publiques. Tout d'abord dans un objectif de neutralité carbone à un horizon qui est maintenant fixé à 2050. Si on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre, il y a un gros secteur, c'est le bâtiment, qui représente 40% de ses émissions en France. Et donc le premier objectif de ces politiques, il est environnemental et également social, puisqu'on a des enjeux importants de précarité énergétique en France, avec selon les estimations entre 5 et 10 millions de personnes qui sont en situation de précarité énergétique. Et puis il y a un deuxième gros objectif lié à ces politiques qui est fait sur l'emploi. Et c'est pas qu'un effet d'aubaine où on se dit tiens, puisqu'on dépense beaucoup d'argent, est-ce qu'on créerait pas des emplois en plus ? C'est en fait... Un besoin fondamental pour réaliser une transition juste, on a besoin de créer des emplois qui vont venir compenser la destruction des emplois dans les secteurs carbonés dont on souhaite réduire la taille.

  • Nadia Maïzi

    Donc sur le secteur résidentiel, tu vas te concentrer sur les mesures proposées par le gouvernement pour pouvoir limiter les émissions de gaz à effet de serre, comme tu l'as dit, qui viennent... de la consommation d'énergie en particulier. Quels sont les deux grands volets sur lesquels tu vas te pencher ?

  • Guillaume Wald

    D'une part, je regarde si les rénovations qui sont mises en place par tout un chacun permettent de réduire la consommation énergétique. En particulier, je regarde les consommations de gaz et d'électricité des ménages et je les observe à travers le temps au sein des communes françaises. Et je regarde si, lorsque plus de rénovations sont mises en place, cette consommation énergétique... tend à décroître. Et l'autre volet de mon travail consiste à regarder sur le terrain qui met en place ces rénovations. Est-ce qu'on a créé des emplois qui sont durables, qui sont de bonne qualité, ou est-ce que les aides publiques servent juste à créer de l'emploi seulement de très court terme ?

  • Nadia Maïzi

    Donc dans ton travail, il va y avoir deux volets auxquels tu vas t'intéresser par rapport à l'impact de cette politique publique. Celui de la création d'emplois et celui de la réduction de la consommation d'énergie. Mais pour ça, tu vas te concentrer sur un outil mis en place en particulier. Est-ce que tu peux revenir sur la description de cet outil ?

  • Guillaume Wald

    Oui, je m'intéresse au dispositif des certificats d'économie d'énergie. Alors, pour bien comprendre de quoi il s'agit, il faut rappeler que les rénovations aidées en France, ça draine environ 8 milliards d'euros par an, 4 milliards de subventions... directe, c'est-à-dire l'État qui verse de l'argent aux ménages, et vous connaissez probablement MaPrimeRénov'ou anciennement le Crédit d'impôt Transition énergétique, et puis l'autre moitié de ces 8 milliards d'euros. C'est les certificats d'économie d'énergie. Alors, qu'est-ce que c'est ? Depuis 2005, en France, les fournisseurs d'énergie qui vendent de l'électricité, du gaz, de l'essence, sont soumis à une obligation de réduction de la consommation d'énergie, suivant le principe du pollueur-payeur.

  • Nadia Maïzi

    Donc c'est pour ça qu'on les appelle les obligés.

  • Guillaume Wald

    Exactement. Ils sont appelés les obligés du point de vue de la loi, et leur obligation est libellée en kilowattheures, c'est-à-dire qu'ils doivent... chaque année subventionner un certain volume de rénovation et ces rénovations sont évaluées a priori en fonction de leur potentiel de réduction de la consommation d'énergie. Donc pour chaque chantier, on sait exactement quel type d'équipement va être installé et on considère que parce qu'on a remplacé par exemple une chaudière polluante par une pompe à chaleur, on va économiser un certain volume de kWh.

  • Nadia Maïzi

    Tu as dit un premier volet de 4 milliards pour des programmes qui, en fait, étaient des subventions, c'est ça, qu'on avait directement quand on faisait de la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    Donc, on a une partie subvention directe qui consiste à donner de l'argent aux ménages, de l'argent public, pour les aider à payer les factures des installateurs de pompes à chaleur, d'isolants pour les murs, pour la toiture, pour les sols, etc.

  • Nadia Maïzi

    D'accord. Et l'autre partie ? de 4 milliards dont tu as parlé, c'est ce que tu appelles les certificats d'économie d'énergie. Est-ce que tu peux nous expliquer ?

  • Guillaume Wald

    L'effet pour les ménages est à peu près le même. C'est-à-dire qu'ils vont recevoir de l'argent pour payer les factures des installateurs, encore une fois, d'eau pompe à chaleur, d'isolant. Simplement, l'argent ne vient pas du même acteur. Dans le cadre de la subvention directe, c'est l'État, via l'Agence nationale de l'habitat. Dans le cadre des certificats d'économie d'énergie, ce sont des fournisseurs d'énergie qui vendent de l'électricité, du gaz ou de l'essence et qui doivent donner de l'argent qui vient de leur profit. Et donc, il y a une répercussion sur les prix de l'énergie à la vente, puisque forcément, si les fournisseurs d'énergie sont obligés légalement de donner des subventions, la contrepartie, c'est qu'ils vont augmenter leurs prix.

  • Nadia Maïzi

    Donc, ces fournisseurs... On peut dire que ce sont les pollueurs ?

  • Guillaume Wald

    Exactement, c'est le principe du pollueur-payeur qui est mis en place par ce système d'obligation d'efficacité énergétique.

  • Nadia Maïzi

    Donc, ce qu'ils vont proposer, c'est le même type de subvention pour les ménages qui entreprennent des travaux de rénovation.

  • Guillaume Wald

    Il faut être assez prudent quand on dit le même type ou pas. En réalité, ce sont des subventions qui sont censées financer des équipements. permettant de réduire la consommation d'énergie. La différence, c'est bien sûr dans la mise en œuvre de la distribution des subventions. Il est certain que les subventions qui sont versées directement par l'État sont contrôlées par l'État, alors que les subventions versées par les fournisseurs d'énergie sont moins facilement contrôlables par l'État. Et une des illustrations de cette différence, c'est les débats récents autour des évolutions du dispositif MaPrimeRénov', qui est une subvention publique. et qui devait, à partir de janvier 2024, ne cibler que des rénovations avec plusieurs gestes, c'est-à-dire jamais de financement de système énergétique, changement d'une chaudière gaz vers une pompe à chaleur, s'il n'y avait pas aussi de l'isolation. Alors que dans les certificats d'économie d'énergie, on a principalement et quasi que des subventions d'installation monogeste.

  • Nadia Maïzi

    La question que tu vas te poser... Dans ta réflexion, c'est de comprendre quel va être l'impact de ces certificats d'économie d'énergie et s'ils vont nous permettre de réduire effectivement la consommation. Si on revient un tout petit peu sur les ménages qui vont mettre en place ces rénovations, est-ce que tu peux nous commenter qui ils sont, quelles sont les cibles et comment tu différencies finalement les types de ménages ?

  • Guillaume Wald

    La première bonne nouvelle que j'observe dans mes données, c'est que les certificats d'économie d'énergie ont donné lieu à des rénovations dans plus de 30 000 communes sur les 35 000. Ça veut dire que c'est un mécanisme qui a un avantage clé, qui est celui d'aller toucher le grand public. Et donc ça n'est pas que des gens qui sont déjà intéressés par la rénovation, ou des gens qui ont un certain niveau de revenu ou un certain niveau de connaissance du paysage juridique, c'est tout un chacun. En revanche, ce qui est vrai, c'est que... Il y a dans ce type de mécanisme une incitation perverse qui va mener à surtout aller financer les rénovations de ceux qui ont une capacité à financer importante. Pour les fournisseurs d'énergie, l'objectif, c'est de pouvoir dire j'ai été financeur du plus grand nombre possible de chantiers Donc, l'incitation, c'est d'aller voir surtout des gens qui peuvent financer beaucoup, comme ça, le fournisseur d'énergie devrait juste donner un petit peu à chacun. Et donc, pour éviter cet effet pervers, qui conduit à n'avoir des rénovations que pour les ménagers, l'État a mis en place une sous-obligation qui consiste à aller cibler uniquement les ménages en dessous du niveau médian. de revenus. C'est ce qu'on appelle les certificats d'économie d'énergie précarité. Dans les faits, l'objectif des certificats d'économie pour les ménages précaires, c'est de leur permettre de réaliser des économies d'énergie alors qu'ils n'auraient pas forcément eu accès à la rénovation.

  • Nadia Maïzi

    Sachant que les autres ménages pouvaient peut-être avoir déjà envisagé cette rénovation, avoir déjà le budget pour la prendre en compte, et finalement vont bénéficier d'une aide. qu'ils n'auraient pas anticipé sans l'existence de ces certificats.

  • Guillaume Wald

    Oui, et de manière générale, ce dispositif est connu pour avoir suscité un certain effet d'aubaine, qui a été estimé par l'Agence de la maîtrise de l'énergie à environ 50%. Ça veut dire que 50% des ménages ayant bénéficié de ces aides déclarent qu'ils auraient fait la rénovation même sans ces aides.

  • Nadia Maïzi

    Et qu'est-ce que tu as pu constater comme difficulté pour mesurer l'effet de la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    Alors déjà, il faut avoir accès à des données sur la consommation d'énergie. C'est difficile parce que ces données sont agrégées au niveau de la commune et au niveau de l'année. Donc ça veut dire qu'on observe uniquement les données pour la consommation de gaz et la consommation d'électricité dans le secteur résidentiel à partir de 2018 jusqu'à 2021. Donc actuellement, on n'a que quatre années. En revanche, là où on a de la chance en France, c'est qu'on a... 35 000 communes. Et donc, ça fait pour chaque année 35 000 points de données grâce à une source de données qui est apparue à partir de 2021 et qui s'appelle le registre des certificats d'économie d'énergie, qui nous donne précisément les caractéristiques techniques et l'estimation ex ante des économies d'énergie pour chaque chantier de rénovation financé par ce mécanisme.

  • Nadia Maïzi

    Donc, à chaque fois qu'on a un chantier de rénovation. tu nous dis qu'il y a une mesure qui est faite de ce que sera la consommation de ce logement après la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    Exactement. La valeur d'un chantier est déterminée en fonction des caractéristiques de la rénovation. Et pour chaque rénovation, par exemple j'installe une pompe à chaleur, je sais quelle est la baisse de consommation que me permettra d'atteindre cet équipement par rapport à la situation qu'on appelle contrefactuelle dans laquelle j'aurais gardé mon enchaîne chaudière.

  • Nadia Maïzi

    Alors le contrefactuel, c'est une approche que tu utilises beaucoup, je crois. Est-ce que tu peux très simplement nous expliquer à quoi ça correspond ?

  • Guillaume Wald

    Oui, d'ailleurs, l'ensemble de mes travaux, qui sont les travaux d'économie appliquée, reposent sur la construction d'un contrefactuel crédible. L'idée, c'est qu'on a un traitement, c'est-à-dire, dans ce cas précis, l'adoption... d'une rénovation, l'adoption d'une nouvelle technologie qui est censée être décarbonée ou moins carbonée. La situation contrefactuelle, c'est la situation dans laquelle je ne mets pas en place cette rénovation et donc je continue à consommer de l'énergie avec le moyen de consommation précédent.

  • Nadia Maïzi

    Donc c'est à partir de cette connaissance que tu vas pouvoir faire tes mesures de l'impact de... ces certificats d'économie d'énergie sur la consommation ?

  • Guillaume Wald

    Exactement. Mon travail consiste à comparer l'évaluation dite ex ante, c'est-à-dire la projection en kWh, par rapport à la réalisation, c'est-à-dire la consommation observée, et plus précisément la baisse de consommation observée en kWh.

  • Nadia Maïzi

    Donc ce que tu appelles ex ante... C'est ce que l'on aimerait qu'il se passe quand on met en place cette politique. On a un objectif de réduction de la consommation et on regarde sur un certain nombre d'années comment il va se décliner.

  • Guillaume Wald

    Cette estimation qui est dite ex ante, elle vient de modèles qui sont fournis par l'Agence de la maîtrise de l'énergie et qui sont utilisés par l'État lorsqu'il fait son rapport à la Commission européenne. dans le cadre de la mise en place de ces certificats d'économie d'énergie.

  • Nadia Maïzi

    Donc tu as ce qui était projeté et tu as ce que tu observes.

  • Guillaume Wald

    Oui, ce que j'observe, ce sont des données de consommation d'énergie localisées, c'est-à-dire au niveau de chaque commune. Et par année.

  • Nadia Maïzi

    Et donc si on revient à tes chantiers, comment tu relis les communes, les chantiers ?

  • Guillaume Wald

    Je connais la commune et la date de réalisation de chaque chantier. Et ça me permet donc d'associer les chantiers à la consommation d'énergie.

  • Nadia Maïzi

    Et donc à partir de cette évaluation, comment tu peux nous dire ce qui a été évité en termes de consommation ?

  • Guillaume Wald

    Ce que j'observe avec mes estimations, c'est que chaque kWh... d'économie attendue n'a donné lieu qu'à une économie réelle d'un demi-kilowatt-heure. Donc ça veut dire que par rapport aux projections qui étaient mises en place par l'agence de la maîtrise de l'énergie qui pilote le dispositif, on a fait la moitié de ce qui était prévu.

  • Nadia Maïzi

    Donc à chaque fois que j'attendais d'économiser un kilowatt-heure, je n'en ai économisé qu'un demi ?

  • Guillaume Wald

    Exactement.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que c'est catastrophique comme résultat ?

  • Guillaume Wald

    Alors, à première vue, on se dit que c'est vraiment mauvais. En fait, compte tenu du nombre de chantiers qui a été financé grâce à ce mécanisme, on atteint une baisse moyenne de 1,5% de la consommation du secteur résidentiel chaque année. Et donc, on est exactement dans les clous par rapport à l'obligation qui a été fixée par la Commission européenne dans le cadre de la mise en place de ce dispositif. Donc, si on évalue seulement le côté énergétique, on n'est pas mauvais. En revanche, là où ça pêche... et où ça pêche beaucoup, c'est sur l'efficacité du mécanisme. Et en particulier, quand on fait une analyse coût-bénéfice, on se rend compte que le coût de la tonne de CO2 équivalent évité, c'est 730 euros. 730 euros, c'est plus de 7 fois la valeur de la tonne de CO2 équivalent sur le marché des droits à polluer au niveau européen. Et donc, ça veut dire que ce mécanisme est particulièrement cher par rapport à d'autres mécanismes de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que dans ces rénovations, puisque tu nous as parlé d'une évaluation par chantier, il y a une différence entre ce qu'on va considérer comme les rénovations globales ou les rénovations par geste ? Est-ce que tu peux nous expliciter d'ailleurs quelle est la nuance entre les deux ?

  • Guillaume Wald

    C'est vrai qu'il y a un débat de fond sur la différence entre rénovation globale et rénovation par geste. Pendant longtemps, les politiques publiques en France ont surtout incité à faire de la rénovation par geste, c'est-à-dire seulement un type. de modification soit de l'enveloppe du bâti, c'est-à-dire isoler un mur ou isoler des combles, ou alors un changement de système énergétique, mettre une pompe à chaleur à la place d'une chaudière fioul ou gaz, mais pas les deux en même temps. Et les évolutions récentes de la politique publique visaient précisément à réduire le nombre de rénovations qu'on dit monogestes et à plutôt envisager des rénovations plus complètes où on allait changer à la fois l'enveloppe du bâti et... le système énergétique afin d'améliorer les performances finales du bâti.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que tu as pu mesurer justement ces différences dans tes évaluations de consommation ?

  • Guillaume Wald

    Alors dans ce travail on ne peut malheureusement pas le faire, d'une part parce qu'on évalue le dispositif des certificats d'économie d'énergie dans lequel les rénovations globales sont en fait très rares, et d'autre part parce qu'on n'a pas la possibilité de distinguer différents types de rénovations actuellement.

  • Nadia Maïzi

    En introduction, tu nous avais dit que l'impact des politiques publiques, c'était d'une part la comptabilité des émissions de gaz à effet de serre, donc via la consommation ou le gain de consommation, donc ça c'est ce dont tu viens de nous parler. Mais il y a un autre volet qui est très important, c'est celui de l'emploi. Donc l'impact sur l'emploi, qu'est-ce qu'il en est ?

  • Guillaume Wald

    Peut-être qu'on doit... avant tout dire pourquoi on s'intéresse à l'emploi. La création d'emplois via l'investissement public, c'est une très vieille question. Finalement, ça remonte aux politiques de relance keynésiennes, qui sont assez bien connues du grand public. L'idée, c'est qu'on met de l'argent dans un secteur et on attend des créations d'emplois. Dans le cas de la rénovation, la question se pose un petit peu différemment, puisqu'on n'est pas seulement en train de chercher des bénéfices secondaires par rapport à une politique qui viseraient, entre guillemets, juste à atteindre des objectifs climatiques. Mais l'enjeu est plus important, on cherche à mettre en place une transition juste, puisqu'il faut à la fois créer des emplois pour compenser les destructions qui vont intervenir dans d'autres secteurs. Et donc, on cherche à créer des emplois ailleurs.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que ça te paraît pertinent par rapport à la nature des emplois qui existaient dans ces filières qui devraient être détruites par rapport à cette nouvelle filière associée à la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    A priori, le secteur de la rénovation d'efficacité énergétique a un fort potentiel de création d'emplois, soit peu qualifiés, soit d'emplois manuels, précisément parce qu'il repose sur des compétences locales, techniques. On peut également imaginer une adaptation de compétences venant du secteur de la construction neuve vers la rénovation. Donc il y a un fort potentiel de conversion pour des emplois menacés par la transition.

  • Nadia Maïzi

    Mais il y a aussi des emplois nouveaux.

  • Guillaume Wald

    Il y a aussi des emplois nouveaux. et donc on a un fort besoin de formation. Et malheureusement, on n'a pas vraiment de politique en faveur de la formation dans ce secteur.

  • Nadia Maïzi

    Dans la question de l'emploi, se pose toujours le problème crucial de la durée, c'est-à-dire est-ce qu'on est en CDD, est-ce qu'on est en CDI, est-ce qu'on est en intérim ? Et dans ton travail de quantification, est-ce que tu as pu apporter une évaluation de ces différents types de contrats ?

  • Guillaume Wald

    Oui. Je me suis intéressé en fait à la qualité des emplois créés. Parce qu'une des grandes questions c'est, quand on crée de l'emploi dans la rénovation, à cause des aides publiques ou privées, est-ce que c'est de l'emploi qui est durable ou est-ce que c'est de l'emploi qui ne va exister que tant que cette aide sera mise en place et sera distribuée ? Alors, pour évaluer l'effet sur l'emploi de ces aides, on utilise un choc. L'idée c'est qu'on a besoin de mesurer l'effet des investissements dans l'aide à la rénovation sur l'emploi dans ce secteur. Et donc on voudrait observer ce qui se passe si on met plus d'investissements dans ce secteur versus si on n'en met pas plus.

  • Nadia Maïzi

    Donc comment tu mesures cette potentielle création d'emplois ?

  • Guillaume Wald

    Ce qu'on cherche à observer, c'est un cas particulier où il y aurait plus d'investissements dans la rénovation d'efficacité énergétique. Or, et c'est là qu'on a de la chance, C'est exactement ce qui s'est passé en janvier 2018, puisqu'on a à un moment donné le début d'une nouvelle période d'obligation pour les fournisseurs d'énergie, au cours de laquelle ils vont être forcés de doubler les investissements dans la rénovation. Et donc on va exploiter le fait que ce choc d'investissement ne concerne que la rénovation d'efficacité énergétique et pas les autres secteurs, pour comparer l'évolution de l'emploi dans ce secteur particulier de la rénovation versus tous les autres secteurs d'emploi.

  • Nadia Maïzi

    Pendant cette période en particulier ?

  • Guillaume Wald

    Oui, on va mesurer l'évolution de l'emploi sur deux périodes. D'abord, sur la période 2016-2017, ça fait 24 mois où on observe l'emploi dans le secteur de la rénovation versus tous les autres secteurs. Ça suit son cours, on observe des variations qui sont similaires. Et à un moment donné, janvier 2018, on entre dans un nouveau cycle pour les obligés qui vont investir beaucoup plus dans la rénovation. Ça va créer des emplois dans la rénovation. et pas dans les autres secteurs. Et donc, on mesure cet effet des investissements additionnels sur la période janvier 2018-février 2020. On s'arrête juste avant le premier confinement.

  • Nadia Maïzi

    Donc, on dit qu'il y a une année qui va être vraiment l'année de référence sur ce qui existait comme emploi avant dans ce secteur, ce qui existera après, puisque le secteur a été boosté, en quelque sorte, par le doublement des investissements.

  • Guillaume Wald

    Exactement. À partir de janvier 2018, je commence à compter combien d'emplois supplémentaires on a créé dans le secteur de la rénovation. Et je garde ce compte ouvert jusqu'au Covid, jusqu'au premier confinement, puisqu'après, forcément, l'activité économique de tous les secteurs est affectée. Et donc, je ne peux plus correctement utiliser les autres secteurs comme contrefactuel.

  • Nadia Maïzi

    Et pourquoi tu ne te sers pas des données d'emploi qui sont répertoriées classiquement dans les entreprises ?

  • Guillaume Wald

    En fait, j'utilise des mouvements de main-d'œuvre, c'est les entrées et les sorties en CDD ou en CDI pour chaque établissement, ce qui est plus fin que les entreprises, depuis janvier 2016 et jusqu'à décembre 2021.

  • Nadia Maïzi

    Et c'est là où on voit cette variation effective et que tu as pu récupérer des chiffres significatifs sur cette création d'emplois.

  • Guillaume Wald

    Oui, on observe que sur un secteur qui comptait environ 100 000 travailleurs en décembre 2017, On a créé, grâce à ces investissements supplémentaires, d'environ 150 millions d'euros par mois, au total environ 5000 emplois. Avec 80% de ces emplois qui sont pris par des personnes embauchées en CDI. Ça, c'est plutôt la bonne nouvelle. On a une mauvaise nouvelle qui est en fait cet effet faible, ce multiplicateur de l'investissement qui est assez faible. 1,4, c'est bien en dessous des estimations qu'utilise la Commission européenne. pour l'effet des investissements sur la création d'emplois dans la rénovation. Par contre, 80% de ces DI, ça veut dire que les entreprises ont perçu ce doublement des investissements comme le signe d'un investissement durable dans la transition énergétique.

  • Nadia Maïzi

    Le chiffre donné par la Commission européenne, tu peux nous le rappeler ?

  • Guillaume Wald

    C'est un chiffre de 8,52 équivalent temps plein par million d'euros investis. C'est basé sur des modèles économiques de prévision.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que c'est décevant en termes d'impact de cette politique de déploiement des certificats d'économie d'énergie ?

  • Guillaume Wald

    Oui, et en particulier, c'est dû probablement à la nature des certificats d'économie d'énergie, une politique qui stimule surtout l'investissement monogeste. c'est-à-dire des rénovations partielles avec un faible impact énergétique.

  • Nadia Maïzi

    Dans les comptes que tu as tenus, est-ce que tu as pu voir la disparition d'emplois versus l'apparition de ces nouveaux emplois ? Ou est-ce que c'est un compte net que tu nous procures ?

  • Guillaume Wald

    J'ai effectué un compte net pour le secteur de la rénovation, d'efficacité énergétique. A priori, sur le secteur de la construction neuve, l'effet est quasi nul. Donc ça veut dire que ces gens qui vont entrer dans le secteur de la rénovation d'efficacité énergétique ne viennent probablement pas de la construction neuve et donc ça pourrait être des emplois nouveaux. Donc ça c'est plutôt positif.

  • Nadia Maïzi

    Qu'est-ce que tu as rencontré comme difficulté pour réaliser tes mesures ?

  • Guillaume Wald

    La difficulté majeure pour mesurer l'effet sur la consommation énergétique, c'est un effet de sélection. La question qu'on se pose quand on regarde quel est l'effet d'une rénovation, c'est cette fameuse question du contrefactuel. Quelle aurait été la consommation du ménage qui a rénové, s'il n'avait pas rénové ? Le problème, c'est que la décision d'investissement dans la rénovation, elle est induite par des facteurs qu'on n'observe pas complètement. et notamment le revenu des gens. Moi, ce que j'observe, c'est le revenu au niveau de la commune, le revenu moyen, médian, etc. Mais je n'observe pas exactement le revenu du ménage qui investit. Et ça, c'est un problème parce qu'il est possible que les ménages qui investissent dans la rénovation le font suite à un gain de pouvoir d'achat. Si ce gain de pouvoir d'achat induit aussi une augmentation de la consommation d'énergie, alors mon estimation est biaisée. Je vais estimer l'effet des rénovations chez des gens qui, de toute manière, allait consommer plus. Le même problème se pose si on rénove parce qu'on va avoir un enfant supplémentaire. La consommation énergétique va être tirée vers le haut par cet enfant supplémentaire. Et donc la conséquence, c'est qu'on aurait une estimation biaisée, une estimation à la baisse de l'effet de la rénovation.

  • Nadia Maïzi

    Et en termes d'emploi ?

  • Guillaume Wald

    En termes d'emploi, le problème qui se pose, c'est le problème des autres subventions à la rénovation. Qu'est-ce qui se passe ailleurs ? et c'est pour ça qu'on exploite un choc. En utilisant un choc dans un des dispositifs en particulier, on est capable de dire que la situation contrefactuelle, c'est la situation sans les investissements supplémentaires via le dispositif des certificats d'économie d'énergie. Et donc, on va réussir à comparer les données réelles, ce qu'il s'est passé parce qu'il y a eu les certificats d'économie d'énergie qui ont doublé l'objectif de rénovation, et on sait que la hausse qu'on observe dans l'emploi, elle est due... uniquement à ce changement-là et pas à des changements dans d'autres dispositifs d'aide.

  • Nadia Maïzi

    Qu'est-ce que tu apportes de nouveau avec ces évaluations ?

  • Guillaume Wald

    L'estimation de l'effet sur l'emploi, c'est la première estimation sur données réelles de l'effet de l'investissement dans l'efficacité énergétique sur l'emploi. Là, c'est le résultat, le chiffre qui est nouveau et qui est utile pour le discours politique puisqu'en fait, on a des politiques publiques importantes qui sont annoncées, notamment... le Green Deal au niveau européen, qui sont basés sur des espérances importantes en termes de création d'emplois. Et donc si ces créations d'emplois ne sont pas au rendez-vous, c'est en fait assez embêtant pour la mise en place de ces politiques. Et puis ça nous oriente aussi sur qu'est-ce qui ne va pas dans ces politiques, pourquoi est-ce qu'on ne crée pas autant d'emplois que ce qu'on espérait, et donc peut-être qu'on manque d'une politique en faveur de la formation.

  • Nadia Maïzi

    Et puis pour l'effet énergétique des rénovations, c'est encore une fois les caractéristiques précises des aides qui tendent plutôt à favoriser des rénovations monogestes et pas des rénovations complètes, qui sont probablement à pointer du doigt, même si je ne suis pas capable, dans mon estimation, de faire la distinction entre un effet rebond et un problème de modélisation.

  • Guillaume Wald

    Est-ce qu'à ce stade, tu aurais déjà... des propositions différenciées de mesures à mettre en place pour avoir une meilleure efficacité dans ces deux registres.

  • Nadia Maïzi

    Concernant les emplois, on voit qu'il y a un problème sur l'attractivité des emplois. C'est d'ailleurs un des objectifs de mes recherches à venir, de mesurer l'effet des subventions sur les salaires des gens qui travaillent dans le secteur, mais d'après des estimations qui ne sont pas de moi, mais qui sont accessibles dans différents rapports. On voit que le salaire n'évolue pas dans la rénovation d'efficacité énergétique. Il n'y a pas de prime pour les emplois verts. Et donc, c'est des emplois qui ne sont pas très attractifs. En plus, c'est des emplois qui sont assez soumis à la politique publique. Pour l'instant, on a un soutien via des systèmes de subvention importants. Mais l'avenir est incertain. Et donc, on a besoin de certitude et on a besoin de formation.

  • Guillaume Wald

    Là, tu as vraiment cette insistance sur... L'enjeu de la formation, tu peux nous expliquer pourquoi ?

  • Nadia Maïzi

    En fait, la question de la formation, elle répond aux deux enjeux. D'une part, la qualité des rénovations, donc avoir des rénovations qui sont plus performantes, c'est-à-dire vraiment consommer moins en sortie, après les travaux, ça passe effectivement par des rénovations de qualité. Et donc ça passe par une manœuvre de qualité. Et puis, côté emploi, on ne peut pas faire une transition de grande ampleur sans avoir beaucoup de gens sur le terrain. Et en plus, on ne peut pas la faire sans avoir des gens formés, parce que sinon, ils ne resteront pas. Si les gens ne sont pas capables de capitaliser sur leur formation et en fait sont juste présents dans le secteur parce qu'il y a des aides de façon conjoncturelle, dès que les aides s'arrêtent, ils sortiront du secteur. Donc le gros enjeu actuellement, c'est de savoir comment faire pour fidéliser, en quelque sorte, les travailleurs du secteur. Mais pour les fidéliser, il faut qu'il y ait un salaire qui soit adapté.

  • Guillaume Wald

    En termes de recherche, quelles seraient les perspectives pour tes travaux ?

  • Nadia Maïzi

    Actuellement, je m'intéresse à la question de la structure du marché, puisque le marché de la rénovation énergétique, c'est beaucoup d'artisans, beaucoup d'entreprises de tailles variées, avec des motivations variées également. Et une de mes questions, c'est de savoir quel est l'effet des aides sur la santé financière des entreprises. Comment les entreprises vont exploiter l'existence des aides pour grossir, c'est-à-dire embaucher plus de monde, se former à travers le temps ? Et donc, on a un vrai enjeu sur... Est-ce que les entreprises bénéficient réellement des aides dont elles peuvent faire bénéficier leurs clients ? Et si oui, comment ? Notamment, on sait que récemment, certaines entreprises ont choisi de ne plus se labelliser reconnus garants de l'environnement, alors que ce label est nécessaire pour que les clients puissent bénéficier de toutes les aides, qu'elles soient publiques ou privées. Et donc, on voudrait savoir pourquoi ces entreprises font ce choix. En particulier, certaines entreprises vont même jusqu'à sortir du dispositif des aides publiques et simplement faire une ristourne sur leur facture d'un montant équivalent à celui des aides, tout simplement parce que la charge administrative est trop importante. La charge administrative des aides est trop importante pour elles. Donc on aimerait savoir quel est l'effet des aides sur la réputation locale des entreprises et leur développement économique. Merci Guillaume pour ton éclairage sur cette question de la rénovation énergétique du secteur résidentiel. pour nous avoir fait comprendre à quel point évaluer l'impact d'une politique publique est délicat et à quel point les décideurs eux-mêmes sont en grande difficulté en anticipation de ce que certaines mesures qu'ils souhaitent décliner pourraient avoir comme conséquences réelles sur cet enjeu d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre.

  • Guillaume Wald

    Merci beaucoup Nadia pour cet échange très stimulant et j'espère que cette discussion incitera d'autres personnes à s'intéresser à ce sujet passionnant de la rénovation énergétique. C'était Planète en transition, un podcast de l'Institut TTI.5.

Description

Engager la rénovation des bâtiments anciens apparait à plusieurs titres comme une évidence : déjà et en dehors de tout contexte, l’enjeu de la conservation et de l’amélioration de nos habitats vieillissants tombe sous le sens ; au-delà, lorsque l’on s’inscrit dans la question de la lutte contre les changements climatiques la rénovation de nos logements, leur isolation et l’amélioration de leur efficacité énergétique apparaissent comme des choix prioritaires pour permettre la diminution de notre consommation. 


Aussi, ce n’est plus le bien-fondé du déploiement de politiques de rénovation, vanté depuis la fin des années 1970, qui interroge, mais leur mise en œuvre et leur impact. 


Si l’état français propose des mesures pour déployer une politique publique incitative pour le développement de la filière de la rénovation, et pour permettre de façonner une politique industrielle, a-t-elle le succès escompté ? Notamment quel est l’impact de la mesure phare dite du Certificat d’Économie d’Énergie ?  


Dans ce podcast de la planète en transition, nous vous proposons d’évaluer les retombées de ces mesures en termes de création d’emploi en vous entrainant dans un délicat exercice de comptabilité que nous décrypterons ensemble. 


Pour approfondir :


 

 



Cet épisode est un dialogue entre Nadia Maïzi et Guillaume Wald, doctorant au CERNA, Centre d'économie industrielle de Mines Paris – PSL.


Planète en transition est un Podcast produit par The Transition Institute 1.5 et réalisé par Nadia Maïzi. 

Ingénieur du son : Mourad Louanchi

Moyens techniques : CHUUUT! FILMS

Music from #Uppbeat (free for Creators!):

https://uppbeat.io/t/danijel-zambo/fairytales 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Nadia Maïzi

    Planète en transition, le podcast de l'Institut TTI.5. Engager la rénovation des bâtiments anciens apparaît à plusieurs titres comme une évidence. En dehors de tout contexte, l'enjeu de la conservation et de l'amélioration de nos habitats vieillissants tombe sous le sens. Au-delà... Lorsque l'on s'inscrit dans la question de la lutte contre les changements climatiques, la rénovation de nos logements, leur isolation, l'amélioration de leur efficacité énergétique apparaissent comme des choix prioritaires pour permettre la diminution de notre consommation d'énergie. Aussi, ce n'est plus le bien fondé du déploiement de politiques de rénovation, vantées depuis la fin des années 70, qui interrogent, mais leur mise en œuvre, et leur impact. Si l'État français propose des mesures pour déployer une politique publique incitative pour le développement de cette filière de la rénovation et permettre de façonner une politique industrielle, a-t-il le succès escompté ? Notamment, quel est l'impact de la mesure phare dite du certificat d'économie d'énergie ? Dans ce podcast Planète en transition, nous vous proposons d'évaluer les retombées de ces mesures en termes de création d'emplois et de réduction de la consommation d'énergie en vous entraînant dans un délicat exercice de comptabilité que nous décrypterons aujourd'hui avec

  • Guillaume Wald

    Guillaume Wald, doctorant en économie à l'École des Mines de Paris.

  • Nadia Maïzi

    Bonjour Guillaume, le sujet de ta thèse, c'est la rénovation énergétique du secteur résidentiel et plus particulièrement l'évaluation des politiques publiques. Est-ce que tu peux nous donner les motivations de ce sujet ?

  • Guillaume Wald

    Bonjour Nadia. La rénovation du secteur résidentiel, c'est quelque chose de très important du point de vue des politiques publiques. Tout d'abord dans un objectif de neutralité carbone à un horizon qui est maintenant fixé à 2050. Si on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre, il y a un gros secteur, c'est le bâtiment, qui représente 40% de ses émissions en France. Et donc le premier objectif de ces politiques, il est environnemental et également social, puisqu'on a des enjeux importants de précarité énergétique en France, avec selon les estimations entre 5 et 10 millions de personnes qui sont en situation de précarité énergétique. Et puis il y a un deuxième gros objectif lié à ces politiques qui est fait sur l'emploi. Et c'est pas qu'un effet d'aubaine où on se dit tiens, puisqu'on dépense beaucoup d'argent, est-ce qu'on créerait pas des emplois en plus ? C'est en fait... Un besoin fondamental pour réaliser une transition juste, on a besoin de créer des emplois qui vont venir compenser la destruction des emplois dans les secteurs carbonés dont on souhaite réduire la taille.

  • Nadia Maïzi

    Donc sur le secteur résidentiel, tu vas te concentrer sur les mesures proposées par le gouvernement pour pouvoir limiter les émissions de gaz à effet de serre, comme tu l'as dit, qui viennent... de la consommation d'énergie en particulier. Quels sont les deux grands volets sur lesquels tu vas te pencher ?

  • Guillaume Wald

    D'une part, je regarde si les rénovations qui sont mises en place par tout un chacun permettent de réduire la consommation énergétique. En particulier, je regarde les consommations de gaz et d'électricité des ménages et je les observe à travers le temps au sein des communes françaises. Et je regarde si, lorsque plus de rénovations sont mises en place, cette consommation énergétique... tend à décroître. Et l'autre volet de mon travail consiste à regarder sur le terrain qui met en place ces rénovations. Est-ce qu'on a créé des emplois qui sont durables, qui sont de bonne qualité, ou est-ce que les aides publiques servent juste à créer de l'emploi seulement de très court terme ?

  • Nadia Maïzi

    Donc dans ton travail, il va y avoir deux volets auxquels tu vas t'intéresser par rapport à l'impact de cette politique publique. Celui de la création d'emplois et celui de la réduction de la consommation d'énergie. Mais pour ça, tu vas te concentrer sur un outil mis en place en particulier. Est-ce que tu peux revenir sur la description de cet outil ?

  • Guillaume Wald

    Oui, je m'intéresse au dispositif des certificats d'économie d'énergie. Alors, pour bien comprendre de quoi il s'agit, il faut rappeler que les rénovations aidées en France, ça draine environ 8 milliards d'euros par an, 4 milliards de subventions... directe, c'est-à-dire l'État qui verse de l'argent aux ménages, et vous connaissez probablement MaPrimeRénov'ou anciennement le Crédit d'impôt Transition énergétique, et puis l'autre moitié de ces 8 milliards d'euros. C'est les certificats d'économie d'énergie. Alors, qu'est-ce que c'est ? Depuis 2005, en France, les fournisseurs d'énergie qui vendent de l'électricité, du gaz, de l'essence, sont soumis à une obligation de réduction de la consommation d'énergie, suivant le principe du pollueur-payeur.

  • Nadia Maïzi

    Donc c'est pour ça qu'on les appelle les obligés.

  • Guillaume Wald

    Exactement. Ils sont appelés les obligés du point de vue de la loi, et leur obligation est libellée en kilowattheures, c'est-à-dire qu'ils doivent... chaque année subventionner un certain volume de rénovation et ces rénovations sont évaluées a priori en fonction de leur potentiel de réduction de la consommation d'énergie. Donc pour chaque chantier, on sait exactement quel type d'équipement va être installé et on considère que parce qu'on a remplacé par exemple une chaudière polluante par une pompe à chaleur, on va économiser un certain volume de kWh.

  • Nadia Maïzi

    Tu as dit un premier volet de 4 milliards pour des programmes qui, en fait, étaient des subventions, c'est ça, qu'on avait directement quand on faisait de la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    Donc, on a une partie subvention directe qui consiste à donner de l'argent aux ménages, de l'argent public, pour les aider à payer les factures des installateurs de pompes à chaleur, d'isolants pour les murs, pour la toiture, pour les sols, etc.

  • Nadia Maïzi

    D'accord. Et l'autre partie ? de 4 milliards dont tu as parlé, c'est ce que tu appelles les certificats d'économie d'énergie. Est-ce que tu peux nous expliquer ?

  • Guillaume Wald

    L'effet pour les ménages est à peu près le même. C'est-à-dire qu'ils vont recevoir de l'argent pour payer les factures des installateurs, encore une fois, d'eau pompe à chaleur, d'isolant. Simplement, l'argent ne vient pas du même acteur. Dans le cadre de la subvention directe, c'est l'État, via l'Agence nationale de l'habitat. Dans le cadre des certificats d'économie d'énergie, ce sont des fournisseurs d'énergie qui vendent de l'électricité, du gaz ou de l'essence et qui doivent donner de l'argent qui vient de leur profit. Et donc, il y a une répercussion sur les prix de l'énergie à la vente, puisque forcément, si les fournisseurs d'énergie sont obligés légalement de donner des subventions, la contrepartie, c'est qu'ils vont augmenter leurs prix.

  • Nadia Maïzi

    Donc, ces fournisseurs... On peut dire que ce sont les pollueurs ?

  • Guillaume Wald

    Exactement, c'est le principe du pollueur-payeur qui est mis en place par ce système d'obligation d'efficacité énergétique.

  • Nadia Maïzi

    Donc, ce qu'ils vont proposer, c'est le même type de subvention pour les ménages qui entreprennent des travaux de rénovation.

  • Guillaume Wald

    Il faut être assez prudent quand on dit le même type ou pas. En réalité, ce sont des subventions qui sont censées financer des équipements. permettant de réduire la consommation d'énergie. La différence, c'est bien sûr dans la mise en œuvre de la distribution des subventions. Il est certain que les subventions qui sont versées directement par l'État sont contrôlées par l'État, alors que les subventions versées par les fournisseurs d'énergie sont moins facilement contrôlables par l'État. Et une des illustrations de cette différence, c'est les débats récents autour des évolutions du dispositif MaPrimeRénov', qui est une subvention publique. et qui devait, à partir de janvier 2024, ne cibler que des rénovations avec plusieurs gestes, c'est-à-dire jamais de financement de système énergétique, changement d'une chaudière gaz vers une pompe à chaleur, s'il n'y avait pas aussi de l'isolation. Alors que dans les certificats d'économie d'énergie, on a principalement et quasi que des subventions d'installation monogeste.

  • Nadia Maïzi

    La question que tu vas te poser... Dans ta réflexion, c'est de comprendre quel va être l'impact de ces certificats d'économie d'énergie et s'ils vont nous permettre de réduire effectivement la consommation. Si on revient un tout petit peu sur les ménages qui vont mettre en place ces rénovations, est-ce que tu peux nous commenter qui ils sont, quelles sont les cibles et comment tu différencies finalement les types de ménages ?

  • Guillaume Wald

    La première bonne nouvelle que j'observe dans mes données, c'est que les certificats d'économie d'énergie ont donné lieu à des rénovations dans plus de 30 000 communes sur les 35 000. Ça veut dire que c'est un mécanisme qui a un avantage clé, qui est celui d'aller toucher le grand public. Et donc ça n'est pas que des gens qui sont déjà intéressés par la rénovation, ou des gens qui ont un certain niveau de revenu ou un certain niveau de connaissance du paysage juridique, c'est tout un chacun. En revanche, ce qui est vrai, c'est que... Il y a dans ce type de mécanisme une incitation perverse qui va mener à surtout aller financer les rénovations de ceux qui ont une capacité à financer importante. Pour les fournisseurs d'énergie, l'objectif, c'est de pouvoir dire j'ai été financeur du plus grand nombre possible de chantiers Donc, l'incitation, c'est d'aller voir surtout des gens qui peuvent financer beaucoup, comme ça, le fournisseur d'énergie devrait juste donner un petit peu à chacun. Et donc, pour éviter cet effet pervers, qui conduit à n'avoir des rénovations que pour les ménagers, l'État a mis en place une sous-obligation qui consiste à aller cibler uniquement les ménages en dessous du niveau médian. de revenus. C'est ce qu'on appelle les certificats d'économie d'énergie précarité. Dans les faits, l'objectif des certificats d'économie pour les ménages précaires, c'est de leur permettre de réaliser des économies d'énergie alors qu'ils n'auraient pas forcément eu accès à la rénovation.

  • Nadia Maïzi

    Sachant que les autres ménages pouvaient peut-être avoir déjà envisagé cette rénovation, avoir déjà le budget pour la prendre en compte, et finalement vont bénéficier d'une aide. qu'ils n'auraient pas anticipé sans l'existence de ces certificats.

  • Guillaume Wald

    Oui, et de manière générale, ce dispositif est connu pour avoir suscité un certain effet d'aubaine, qui a été estimé par l'Agence de la maîtrise de l'énergie à environ 50%. Ça veut dire que 50% des ménages ayant bénéficié de ces aides déclarent qu'ils auraient fait la rénovation même sans ces aides.

  • Nadia Maïzi

    Et qu'est-ce que tu as pu constater comme difficulté pour mesurer l'effet de la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    Alors déjà, il faut avoir accès à des données sur la consommation d'énergie. C'est difficile parce que ces données sont agrégées au niveau de la commune et au niveau de l'année. Donc ça veut dire qu'on observe uniquement les données pour la consommation de gaz et la consommation d'électricité dans le secteur résidentiel à partir de 2018 jusqu'à 2021. Donc actuellement, on n'a que quatre années. En revanche, là où on a de la chance en France, c'est qu'on a... 35 000 communes. Et donc, ça fait pour chaque année 35 000 points de données grâce à une source de données qui est apparue à partir de 2021 et qui s'appelle le registre des certificats d'économie d'énergie, qui nous donne précisément les caractéristiques techniques et l'estimation ex ante des économies d'énergie pour chaque chantier de rénovation financé par ce mécanisme.

  • Nadia Maïzi

    Donc, à chaque fois qu'on a un chantier de rénovation. tu nous dis qu'il y a une mesure qui est faite de ce que sera la consommation de ce logement après la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    Exactement. La valeur d'un chantier est déterminée en fonction des caractéristiques de la rénovation. Et pour chaque rénovation, par exemple j'installe une pompe à chaleur, je sais quelle est la baisse de consommation que me permettra d'atteindre cet équipement par rapport à la situation qu'on appelle contrefactuelle dans laquelle j'aurais gardé mon enchaîne chaudière.

  • Nadia Maïzi

    Alors le contrefactuel, c'est une approche que tu utilises beaucoup, je crois. Est-ce que tu peux très simplement nous expliquer à quoi ça correspond ?

  • Guillaume Wald

    Oui, d'ailleurs, l'ensemble de mes travaux, qui sont les travaux d'économie appliquée, reposent sur la construction d'un contrefactuel crédible. L'idée, c'est qu'on a un traitement, c'est-à-dire, dans ce cas précis, l'adoption... d'une rénovation, l'adoption d'une nouvelle technologie qui est censée être décarbonée ou moins carbonée. La situation contrefactuelle, c'est la situation dans laquelle je ne mets pas en place cette rénovation et donc je continue à consommer de l'énergie avec le moyen de consommation précédent.

  • Nadia Maïzi

    Donc c'est à partir de cette connaissance que tu vas pouvoir faire tes mesures de l'impact de... ces certificats d'économie d'énergie sur la consommation ?

  • Guillaume Wald

    Exactement. Mon travail consiste à comparer l'évaluation dite ex ante, c'est-à-dire la projection en kWh, par rapport à la réalisation, c'est-à-dire la consommation observée, et plus précisément la baisse de consommation observée en kWh.

  • Nadia Maïzi

    Donc ce que tu appelles ex ante... C'est ce que l'on aimerait qu'il se passe quand on met en place cette politique. On a un objectif de réduction de la consommation et on regarde sur un certain nombre d'années comment il va se décliner.

  • Guillaume Wald

    Cette estimation qui est dite ex ante, elle vient de modèles qui sont fournis par l'Agence de la maîtrise de l'énergie et qui sont utilisés par l'État lorsqu'il fait son rapport à la Commission européenne. dans le cadre de la mise en place de ces certificats d'économie d'énergie.

  • Nadia Maïzi

    Donc tu as ce qui était projeté et tu as ce que tu observes.

  • Guillaume Wald

    Oui, ce que j'observe, ce sont des données de consommation d'énergie localisées, c'est-à-dire au niveau de chaque commune. Et par année.

  • Nadia Maïzi

    Et donc si on revient à tes chantiers, comment tu relis les communes, les chantiers ?

  • Guillaume Wald

    Je connais la commune et la date de réalisation de chaque chantier. Et ça me permet donc d'associer les chantiers à la consommation d'énergie.

  • Nadia Maïzi

    Et donc à partir de cette évaluation, comment tu peux nous dire ce qui a été évité en termes de consommation ?

  • Guillaume Wald

    Ce que j'observe avec mes estimations, c'est que chaque kWh... d'économie attendue n'a donné lieu qu'à une économie réelle d'un demi-kilowatt-heure. Donc ça veut dire que par rapport aux projections qui étaient mises en place par l'agence de la maîtrise de l'énergie qui pilote le dispositif, on a fait la moitié de ce qui était prévu.

  • Nadia Maïzi

    Donc à chaque fois que j'attendais d'économiser un kilowatt-heure, je n'en ai économisé qu'un demi ?

  • Guillaume Wald

    Exactement.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que c'est catastrophique comme résultat ?

  • Guillaume Wald

    Alors, à première vue, on se dit que c'est vraiment mauvais. En fait, compte tenu du nombre de chantiers qui a été financé grâce à ce mécanisme, on atteint une baisse moyenne de 1,5% de la consommation du secteur résidentiel chaque année. Et donc, on est exactement dans les clous par rapport à l'obligation qui a été fixée par la Commission européenne dans le cadre de la mise en place de ce dispositif. Donc, si on évalue seulement le côté énergétique, on n'est pas mauvais. En revanche, là où ça pêche... et où ça pêche beaucoup, c'est sur l'efficacité du mécanisme. Et en particulier, quand on fait une analyse coût-bénéfice, on se rend compte que le coût de la tonne de CO2 équivalent évité, c'est 730 euros. 730 euros, c'est plus de 7 fois la valeur de la tonne de CO2 équivalent sur le marché des droits à polluer au niveau européen. Et donc, ça veut dire que ce mécanisme est particulièrement cher par rapport à d'autres mécanismes de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que dans ces rénovations, puisque tu nous as parlé d'une évaluation par chantier, il y a une différence entre ce qu'on va considérer comme les rénovations globales ou les rénovations par geste ? Est-ce que tu peux nous expliciter d'ailleurs quelle est la nuance entre les deux ?

  • Guillaume Wald

    C'est vrai qu'il y a un débat de fond sur la différence entre rénovation globale et rénovation par geste. Pendant longtemps, les politiques publiques en France ont surtout incité à faire de la rénovation par geste, c'est-à-dire seulement un type. de modification soit de l'enveloppe du bâti, c'est-à-dire isoler un mur ou isoler des combles, ou alors un changement de système énergétique, mettre une pompe à chaleur à la place d'une chaudière fioul ou gaz, mais pas les deux en même temps. Et les évolutions récentes de la politique publique visaient précisément à réduire le nombre de rénovations qu'on dit monogestes et à plutôt envisager des rénovations plus complètes où on allait changer à la fois l'enveloppe du bâti et... le système énergétique afin d'améliorer les performances finales du bâti.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que tu as pu mesurer justement ces différences dans tes évaluations de consommation ?

  • Guillaume Wald

    Alors dans ce travail on ne peut malheureusement pas le faire, d'une part parce qu'on évalue le dispositif des certificats d'économie d'énergie dans lequel les rénovations globales sont en fait très rares, et d'autre part parce qu'on n'a pas la possibilité de distinguer différents types de rénovations actuellement.

  • Nadia Maïzi

    En introduction, tu nous avais dit que l'impact des politiques publiques, c'était d'une part la comptabilité des émissions de gaz à effet de serre, donc via la consommation ou le gain de consommation, donc ça c'est ce dont tu viens de nous parler. Mais il y a un autre volet qui est très important, c'est celui de l'emploi. Donc l'impact sur l'emploi, qu'est-ce qu'il en est ?

  • Guillaume Wald

    Peut-être qu'on doit... avant tout dire pourquoi on s'intéresse à l'emploi. La création d'emplois via l'investissement public, c'est une très vieille question. Finalement, ça remonte aux politiques de relance keynésiennes, qui sont assez bien connues du grand public. L'idée, c'est qu'on met de l'argent dans un secteur et on attend des créations d'emplois. Dans le cas de la rénovation, la question se pose un petit peu différemment, puisqu'on n'est pas seulement en train de chercher des bénéfices secondaires par rapport à une politique qui viseraient, entre guillemets, juste à atteindre des objectifs climatiques. Mais l'enjeu est plus important, on cherche à mettre en place une transition juste, puisqu'il faut à la fois créer des emplois pour compenser les destructions qui vont intervenir dans d'autres secteurs. Et donc, on cherche à créer des emplois ailleurs.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que ça te paraît pertinent par rapport à la nature des emplois qui existaient dans ces filières qui devraient être détruites par rapport à cette nouvelle filière associée à la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    A priori, le secteur de la rénovation d'efficacité énergétique a un fort potentiel de création d'emplois, soit peu qualifiés, soit d'emplois manuels, précisément parce qu'il repose sur des compétences locales, techniques. On peut également imaginer une adaptation de compétences venant du secteur de la construction neuve vers la rénovation. Donc il y a un fort potentiel de conversion pour des emplois menacés par la transition.

  • Nadia Maïzi

    Mais il y a aussi des emplois nouveaux.

  • Guillaume Wald

    Il y a aussi des emplois nouveaux. et donc on a un fort besoin de formation. Et malheureusement, on n'a pas vraiment de politique en faveur de la formation dans ce secteur.

  • Nadia Maïzi

    Dans la question de l'emploi, se pose toujours le problème crucial de la durée, c'est-à-dire est-ce qu'on est en CDD, est-ce qu'on est en CDI, est-ce qu'on est en intérim ? Et dans ton travail de quantification, est-ce que tu as pu apporter une évaluation de ces différents types de contrats ?

  • Guillaume Wald

    Oui. Je me suis intéressé en fait à la qualité des emplois créés. Parce qu'une des grandes questions c'est, quand on crée de l'emploi dans la rénovation, à cause des aides publiques ou privées, est-ce que c'est de l'emploi qui est durable ou est-ce que c'est de l'emploi qui ne va exister que tant que cette aide sera mise en place et sera distribuée ? Alors, pour évaluer l'effet sur l'emploi de ces aides, on utilise un choc. L'idée c'est qu'on a besoin de mesurer l'effet des investissements dans l'aide à la rénovation sur l'emploi dans ce secteur. Et donc on voudrait observer ce qui se passe si on met plus d'investissements dans ce secteur versus si on n'en met pas plus.

  • Nadia Maïzi

    Donc comment tu mesures cette potentielle création d'emplois ?

  • Guillaume Wald

    Ce qu'on cherche à observer, c'est un cas particulier où il y aurait plus d'investissements dans la rénovation d'efficacité énergétique. Or, et c'est là qu'on a de la chance, C'est exactement ce qui s'est passé en janvier 2018, puisqu'on a à un moment donné le début d'une nouvelle période d'obligation pour les fournisseurs d'énergie, au cours de laquelle ils vont être forcés de doubler les investissements dans la rénovation. Et donc on va exploiter le fait que ce choc d'investissement ne concerne que la rénovation d'efficacité énergétique et pas les autres secteurs, pour comparer l'évolution de l'emploi dans ce secteur particulier de la rénovation versus tous les autres secteurs d'emploi.

  • Nadia Maïzi

    Pendant cette période en particulier ?

  • Guillaume Wald

    Oui, on va mesurer l'évolution de l'emploi sur deux périodes. D'abord, sur la période 2016-2017, ça fait 24 mois où on observe l'emploi dans le secteur de la rénovation versus tous les autres secteurs. Ça suit son cours, on observe des variations qui sont similaires. Et à un moment donné, janvier 2018, on entre dans un nouveau cycle pour les obligés qui vont investir beaucoup plus dans la rénovation. Ça va créer des emplois dans la rénovation. et pas dans les autres secteurs. Et donc, on mesure cet effet des investissements additionnels sur la période janvier 2018-février 2020. On s'arrête juste avant le premier confinement.

  • Nadia Maïzi

    Donc, on dit qu'il y a une année qui va être vraiment l'année de référence sur ce qui existait comme emploi avant dans ce secteur, ce qui existera après, puisque le secteur a été boosté, en quelque sorte, par le doublement des investissements.

  • Guillaume Wald

    Exactement. À partir de janvier 2018, je commence à compter combien d'emplois supplémentaires on a créé dans le secteur de la rénovation. Et je garde ce compte ouvert jusqu'au Covid, jusqu'au premier confinement, puisqu'après, forcément, l'activité économique de tous les secteurs est affectée. Et donc, je ne peux plus correctement utiliser les autres secteurs comme contrefactuel.

  • Nadia Maïzi

    Et pourquoi tu ne te sers pas des données d'emploi qui sont répertoriées classiquement dans les entreprises ?

  • Guillaume Wald

    En fait, j'utilise des mouvements de main-d'œuvre, c'est les entrées et les sorties en CDD ou en CDI pour chaque établissement, ce qui est plus fin que les entreprises, depuis janvier 2016 et jusqu'à décembre 2021.

  • Nadia Maïzi

    Et c'est là où on voit cette variation effective et que tu as pu récupérer des chiffres significatifs sur cette création d'emplois.

  • Guillaume Wald

    Oui, on observe que sur un secteur qui comptait environ 100 000 travailleurs en décembre 2017, On a créé, grâce à ces investissements supplémentaires, d'environ 150 millions d'euros par mois, au total environ 5000 emplois. Avec 80% de ces emplois qui sont pris par des personnes embauchées en CDI. Ça, c'est plutôt la bonne nouvelle. On a une mauvaise nouvelle qui est en fait cet effet faible, ce multiplicateur de l'investissement qui est assez faible. 1,4, c'est bien en dessous des estimations qu'utilise la Commission européenne. pour l'effet des investissements sur la création d'emplois dans la rénovation. Par contre, 80% de ces DI, ça veut dire que les entreprises ont perçu ce doublement des investissements comme le signe d'un investissement durable dans la transition énergétique.

  • Nadia Maïzi

    Le chiffre donné par la Commission européenne, tu peux nous le rappeler ?

  • Guillaume Wald

    C'est un chiffre de 8,52 équivalent temps plein par million d'euros investis. C'est basé sur des modèles économiques de prévision.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que c'est décevant en termes d'impact de cette politique de déploiement des certificats d'économie d'énergie ?

  • Guillaume Wald

    Oui, et en particulier, c'est dû probablement à la nature des certificats d'économie d'énergie, une politique qui stimule surtout l'investissement monogeste. c'est-à-dire des rénovations partielles avec un faible impact énergétique.

  • Nadia Maïzi

    Dans les comptes que tu as tenus, est-ce que tu as pu voir la disparition d'emplois versus l'apparition de ces nouveaux emplois ? Ou est-ce que c'est un compte net que tu nous procures ?

  • Guillaume Wald

    J'ai effectué un compte net pour le secteur de la rénovation, d'efficacité énergétique. A priori, sur le secteur de la construction neuve, l'effet est quasi nul. Donc ça veut dire que ces gens qui vont entrer dans le secteur de la rénovation d'efficacité énergétique ne viennent probablement pas de la construction neuve et donc ça pourrait être des emplois nouveaux. Donc ça c'est plutôt positif.

  • Nadia Maïzi

    Qu'est-ce que tu as rencontré comme difficulté pour réaliser tes mesures ?

  • Guillaume Wald

    La difficulté majeure pour mesurer l'effet sur la consommation énergétique, c'est un effet de sélection. La question qu'on se pose quand on regarde quel est l'effet d'une rénovation, c'est cette fameuse question du contrefactuel. Quelle aurait été la consommation du ménage qui a rénové, s'il n'avait pas rénové ? Le problème, c'est que la décision d'investissement dans la rénovation, elle est induite par des facteurs qu'on n'observe pas complètement. et notamment le revenu des gens. Moi, ce que j'observe, c'est le revenu au niveau de la commune, le revenu moyen, médian, etc. Mais je n'observe pas exactement le revenu du ménage qui investit. Et ça, c'est un problème parce qu'il est possible que les ménages qui investissent dans la rénovation le font suite à un gain de pouvoir d'achat. Si ce gain de pouvoir d'achat induit aussi une augmentation de la consommation d'énergie, alors mon estimation est biaisée. Je vais estimer l'effet des rénovations chez des gens qui, de toute manière, allait consommer plus. Le même problème se pose si on rénove parce qu'on va avoir un enfant supplémentaire. La consommation énergétique va être tirée vers le haut par cet enfant supplémentaire. Et donc la conséquence, c'est qu'on aurait une estimation biaisée, une estimation à la baisse de l'effet de la rénovation.

  • Nadia Maïzi

    Et en termes d'emploi ?

  • Guillaume Wald

    En termes d'emploi, le problème qui se pose, c'est le problème des autres subventions à la rénovation. Qu'est-ce qui se passe ailleurs ? et c'est pour ça qu'on exploite un choc. En utilisant un choc dans un des dispositifs en particulier, on est capable de dire que la situation contrefactuelle, c'est la situation sans les investissements supplémentaires via le dispositif des certificats d'économie d'énergie. Et donc, on va réussir à comparer les données réelles, ce qu'il s'est passé parce qu'il y a eu les certificats d'économie d'énergie qui ont doublé l'objectif de rénovation, et on sait que la hausse qu'on observe dans l'emploi, elle est due... uniquement à ce changement-là et pas à des changements dans d'autres dispositifs d'aide.

  • Nadia Maïzi

    Qu'est-ce que tu apportes de nouveau avec ces évaluations ?

  • Guillaume Wald

    L'estimation de l'effet sur l'emploi, c'est la première estimation sur données réelles de l'effet de l'investissement dans l'efficacité énergétique sur l'emploi. Là, c'est le résultat, le chiffre qui est nouveau et qui est utile pour le discours politique puisqu'en fait, on a des politiques publiques importantes qui sont annoncées, notamment... le Green Deal au niveau européen, qui sont basés sur des espérances importantes en termes de création d'emplois. Et donc si ces créations d'emplois ne sont pas au rendez-vous, c'est en fait assez embêtant pour la mise en place de ces politiques. Et puis ça nous oriente aussi sur qu'est-ce qui ne va pas dans ces politiques, pourquoi est-ce qu'on ne crée pas autant d'emplois que ce qu'on espérait, et donc peut-être qu'on manque d'une politique en faveur de la formation.

  • Nadia Maïzi

    Et puis pour l'effet énergétique des rénovations, c'est encore une fois les caractéristiques précises des aides qui tendent plutôt à favoriser des rénovations monogestes et pas des rénovations complètes, qui sont probablement à pointer du doigt, même si je ne suis pas capable, dans mon estimation, de faire la distinction entre un effet rebond et un problème de modélisation.

  • Guillaume Wald

    Est-ce qu'à ce stade, tu aurais déjà... des propositions différenciées de mesures à mettre en place pour avoir une meilleure efficacité dans ces deux registres.

  • Nadia Maïzi

    Concernant les emplois, on voit qu'il y a un problème sur l'attractivité des emplois. C'est d'ailleurs un des objectifs de mes recherches à venir, de mesurer l'effet des subventions sur les salaires des gens qui travaillent dans le secteur, mais d'après des estimations qui ne sont pas de moi, mais qui sont accessibles dans différents rapports. On voit que le salaire n'évolue pas dans la rénovation d'efficacité énergétique. Il n'y a pas de prime pour les emplois verts. Et donc, c'est des emplois qui ne sont pas très attractifs. En plus, c'est des emplois qui sont assez soumis à la politique publique. Pour l'instant, on a un soutien via des systèmes de subvention importants. Mais l'avenir est incertain. Et donc, on a besoin de certitude et on a besoin de formation.

  • Guillaume Wald

    Là, tu as vraiment cette insistance sur... L'enjeu de la formation, tu peux nous expliquer pourquoi ?

  • Nadia Maïzi

    En fait, la question de la formation, elle répond aux deux enjeux. D'une part, la qualité des rénovations, donc avoir des rénovations qui sont plus performantes, c'est-à-dire vraiment consommer moins en sortie, après les travaux, ça passe effectivement par des rénovations de qualité. Et donc ça passe par une manœuvre de qualité. Et puis, côté emploi, on ne peut pas faire une transition de grande ampleur sans avoir beaucoup de gens sur le terrain. Et en plus, on ne peut pas la faire sans avoir des gens formés, parce que sinon, ils ne resteront pas. Si les gens ne sont pas capables de capitaliser sur leur formation et en fait sont juste présents dans le secteur parce qu'il y a des aides de façon conjoncturelle, dès que les aides s'arrêtent, ils sortiront du secteur. Donc le gros enjeu actuellement, c'est de savoir comment faire pour fidéliser, en quelque sorte, les travailleurs du secteur. Mais pour les fidéliser, il faut qu'il y ait un salaire qui soit adapté.

  • Guillaume Wald

    En termes de recherche, quelles seraient les perspectives pour tes travaux ?

  • Nadia Maïzi

    Actuellement, je m'intéresse à la question de la structure du marché, puisque le marché de la rénovation énergétique, c'est beaucoup d'artisans, beaucoup d'entreprises de tailles variées, avec des motivations variées également. Et une de mes questions, c'est de savoir quel est l'effet des aides sur la santé financière des entreprises. Comment les entreprises vont exploiter l'existence des aides pour grossir, c'est-à-dire embaucher plus de monde, se former à travers le temps ? Et donc, on a un vrai enjeu sur... Est-ce que les entreprises bénéficient réellement des aides dont elles peuvent faire bénéficier leurs clients ? Et si oui, comment ? Notamment, on sait que récemment, certaines entreprises ont choisi de ne plus se labelliser reconnus garants de l'environnement, alors que ce label est nécessaire pour que les clients puissent bénéficier de toutes les aides, qu'elles soient publiques ou privées. Et donc, on voudrait savoir pourquoi ces entreprises font ce choix. En particulier, certaines entreprises vont même jusqu'à sortir du dispositif des aides publiques et simplement faire une ristourne sur leur facture d'un montant équivalent à celui des aides, tout simplement parce que la charge administrative est trop importante. La charge administrative des aides est trop importante pour elles. Donc on aimerait savoir quel est l'effet des aides sur la réputation locale des entreprises et leur développement économique. Merci Guillaume pour ton éclairage sur cette question de la rénovation énergétique du secteur résidentiel. pour nous avoir fait comprendre à quel point évaluer l'impact d'une politique publique est délicat et à quel point les décideurs eux-mêmes sont en grande difficulté en anticipation de ce que certaines mesures qu'ils souhaitent décliner pourraient avoir comme conséquences réelles sur cet enjeu d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre.

  • Guillaume Wald

    Merci beaucoup Nadia pour cet échange très stimulant et j'espère que cette discussion incitera d'autres personnes à s'intéresser à ce sujet passionnant de la rénovation énergétique. C'était Planète en transition, un podcast de l'Institut TTI.5.

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Description

Engager la rénovation des bâtiments anciens apparait à plusieurs titres comme une évidence : déjà et en dehors de tout contexte, l’enjeu de la conservation et de l’amélioration de nos habitats vieillissants tombe sous le sens ; au-delà, lorsque l’on s’inscrit dans la question de la lutte contre les changements climatiques la rénovation de nos logements, leur isolation et l’amélioration de leur efficacité énergétique apparaissent comme des choix prioritaires pour permettre la diminution de notre consommation. 


Aussi, ce n’est plus le bien-fondé du déploiement de politiques de rénovation, vanté depuis la fin des années 1970, qui interroge, mais leur mise en œuvre et leur impact. 


Si l’état français propose des mesures pour déployer une politique publique incitative pour le développement de la filière de la rénovation, et pour permettre de façonner une politique industrielle, a-t-elle le succès escompté ? Notamment quel est l’impact de la mesure phare dite du Certificat d’Économie d’Énergie ?  


Dans ce podcast de la planète en transition, nous vous proposons d’évaluer les retombées de ces mesures en termes de création d’emploi en vous entrainant dans un délicat exercice de comptabilité que nous décrypterons ensemble. 


Pour approfondir :


 

 



Cet épisode est un dialogue entre Nadia Maïzi et Guillaume Wald, doctorant au CERNA, Centre d'économie industrielle de Mines Paris – PSL.


Planète en transition est un Podcast produit par The Transition Institute 1.5 et réalisé par Nadia Maïzi. 

Ingénieur du son : Mourad Louanchi

Moyens techniques : CHUUUT! FILMS

Music from #Uppbeat (free for Creators!):

https://uppbeat.io/t/danijel-zambo/fairytales 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Nadia Maïzi

    Planète en transition, le podcast de l'Institut TTI.5. Engager la rénovation des bâtiments anciens apparaît à plusieurs titres comme une évidence. En dehors de tout contexte, l'enjeu de la conservation et de l'amélioration de nos habitats vieillissants tombe sous le sens. Au-delà... Lorsque l'on s'inscrit dans la question de la lutte contre les changements climatiques, la rénovation de nos logements, leur isolation, l'amélioration de leur efficacité énergétique apparaissent comme des choix prioritaires pour permettre la diminution de notre consommation d'énergie. Aussi, ce n'est plus le bien fondé du déploiement de politiques de rénovation, vantées depuis la fin des années 70, qui interrogent, mais leur mise en œuvre, et leur impact. Si l'État français propose des mesures pour déployer une politique publique incitative pour le développement de cette filière de la rénovation et permettre de façonner une politique industrielle, a-t-il le succès escompté ? Notamment, quel est l'impact de la mesure phare dite du certificat d'économie d'énergie ? Dans ce podcast Planète en transition, nous vous proposons d'évaluer les retombées de ces mesures en termes de création d'emplois et de réduction de la consommation d'énergie en vous entraînant dans un délicat exercice de comptabilité que nous décrypterons aujourd'hui avec

  • Guillaume Wald

    Guillaume Wald, doctorant en économie à l'École des Mines de Paris.

  • Nadia Maïzi

    Bonjour Guillaume, le sujet de ta thèse, c'est la rénovation énergétique du secteur résidentiel et plus particulièrement l'évaluation des politiques publiques. Est-ce que tu peux nous donner les motivations de ce sujet ?

  • Guillaume Wald

    Bonjour Nadia. La rénovation du secteur résidentiel, c'est quelque chose de très important du point de vue des politiques publiques. Tout d'abord dans un objectif de neutralité carbone à un horizon qui est maintenant fixé à 2050. Si on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre, il y a un gros secteur, c'est le bâtiment, qui représente 40% de ses émissions en France. Et donc le premier objectif de ces politiques, il est environnemental et également social, puisqu'on a des enjeux importants de précarité énergétique en France, avec selon les estimations entre 5 et 10 millions de personnes qui sont en situation de précarité énergétique. Et puis il y a un deuxième gros objectif lié à ces politiques qui est fait sur l'emploi. Et c'est pas qu'un effet d'aubaine où on se dit tiens, puisqu'on dépense beaucoup d'argent, est-ce qu'on créerait pas des emplois en plus ? C'est en fait... Un besoin fondamental pour réaliser une transition juste, on a besoin de créer des emplois qui vont venir compenser la destruction des emplois dans les secteurs carbonés dont on souhaite réduire la taille.

  • Nadia Maïzi

    Donc sur le secteur résidentiel, tu vas te concentrer sur les mesures proposées par le gouvernement pour pouvoir limiter les émissions de gaz à effet de serre, comme tu l'as dit, qui viennent... de la consommation d'énergie en particulier. Quels sont les deux grands volets sur lesquels tu vas te pencher ?

  • Guillaume Wald

    D'une part, je regarde si les rénovations qui sont mises en place par tout un chacun permettent de réduire la consommation énergétique. En particulier, je regarde les consommations de gaz et d'électricité des ménages et je les observe à travers le temps au sein des communes françaises. Et je regarde si, lorsque plus de rénovations sont mises en place, cette consommation énergétique... tend à décroître. Et l'autre volet de mon travail consiste à regarder sur le terrain qui met en place ces rénovations. Est-ce qu'on a créé des emplois qui sont durables, qui sont de bonne qualité, ou est-ce que les aides publiques servent juste à créer de l'emploi seulement de très court terme ?

  • Nadia Maïzi

    Donc dans ton travail, il va y avoir deux volets auxquels tu vas t'intéresser par rapport à l'impact de cette politique publique. Celui de la création d'emplois et celui de la réduction de la consommation d'énergie. Mais pour ça, tu vas te concentrer sur un outil mis en place en particulier. Est-ce que tu peux revenir sur la description de cet outil ?

  • Guillaume Wald

    Oui, je m'intéresse au dispositif des certificats d'économie d'énergie. Alors, pour bien comprendre de quoi il s'agit, il faut rappeler que les rénovations aidées en France, ça draine environ 8 milliards d'euros par an, 4 milliards de subventions... directe, c'est-à-dire l'État qui verse de l'argent aux ménages, et vous connaissez probablement MaPrimeRénov'ou anciennement le Crédit d'impôt Transition énergétique, et puis l'autre moitié de ces 8 milliards d'euros. C'est les certificats d'économie d'énergie. Alors, qu'est-ce que c'est ? Depuis 2005, en France, les fournisseurs d'énergie qui vendent de l'électricité, du gaz, de l'essence, sont soumis à une obligation de réduction de la consommation d'énergie, suivant le principe du pollueur-payeur.

  • Nadia Maïzi

    Donc c'est pour ça qu'on les appelle les obligés.

  • Guillaume Wald

    Exactement. Ils sont appelés les obligés du point de vue de la loi, et leur obligation est libellée en kilowattheures, c'est-à-dire qu'ils doivent... chaque année subventionner un certain volume de rénovation et ces rénovations sont évaluées a priori en fonction de leur potentiel de réduction de la consommation d'énergie. Donc pour chaque chantier, on sait exactement quel type d'équipement va être installé et on considère que parce qu'on a remplacé par exemple une chaudière polluante par une pompe à chaleur, on va économiser un certain volume de kWh.

  • Nadia Maïzi

    Tu as dit un premier volet de 4 milliards pour des programmes qui, en fait, étaient des subventions, c'est ça, qu'on avait directement quand on faisait de la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    Donc, on a une partie subvention directe qui consiste à donner de l'argent aux ménages, de l'argent public, pour les aider à payer les factures des installateurs de pompes à chaleur, d'isolants pour les murs, pour la toiture, pour les sols, etc.

  • Nadia Maïzi

    D'accord. Et l'autre partie ? de 4 milliards dont tu as parlé, c'est ce que tu appelles les certificats d'économie d'énergie. Est-ce que tu peux nous expliquer ?

  • Guillaume Wald

    L'effet pour les ménages est à peu près le même. C'est-à-dire qu'ils vont recevoir de l'argent pour payer les factures des installateurs, encore une fois, d'eau pompe à chaleur, d'isolant. Simplement, l'argent ne vient pas du même acteur. Dans le cadre de la subvention directe, c'est l'État, via l'Agence nationale de l'habitat. Dans le cadre des certificats d'économie d'énergie, ce sont des fournisseurs d'énergie qui vendent de l'électricité, du gaz ou de l'essence et qui doivent donner de l'argent qui vient de leur profit. Et donc, il y a une répercussion sur les prix de l'énergie à la vente, puisque forcément, si les fournisseurs d'énergie sont obligés légalement de donner des subventions, la contrepartie, c'est qu'ils vont augmenter leurs prix.

  • Nadia Maïzi

    Donc, ces fournisseurs... On peut dire que ce sont les pollueurs ?

  • Guillaume Wald

    Exactement, c'est le principe du pollueur-payeur qui est mis en place par ce système d'obligation d'efficacité énergétique.

  • Nadia Maïzi

    Donc, ce qu'ils vont proposer, c'est le même type de subvention pour les ménages qui entreprennent des travaux de rénovation.

  • Guillaume Wald

    Il faut être assez prudent quand on dit le même type ou pas. En réalité, ce sont des subventions qui sont censées financer des équipements. permettant de réduire la consommation d'énergie. La différence, c'est bien sûr dans la mise en œuvre de la distribution des subventions. Il est certain que les subventions qui sont versées directement par l'État sont contrôlées par l'État, alors que les subventions versées par les fournisseurs d'énergie sont moins facilement contrôlables par l'État. Et une des illustrations de cette différence, c'est les débats récents autour des évolutions du dispositif MaPrimeRénov', qui est une subvention publique. et qui devait, à partir de janvier 2024, ne cibler que des rénovations avec plusieurs gestes, c'est-à-dire jamais de financement de système énergétique, changement d'une chaudière gaz vers une pompe à chaleur, s'il n'y avait pas aussi de l'isolation. Alors que dans les certificats d'économie d'énergie, on a principalement et quasi que des subventions d'installation monogeste.

  • Nadia Maïzi

    La question que tu vas te poser... Dans ta réflexion, c'est de comprendre quel va être l'impact de ces certificats d'économie d'énergie et s'ils vont nous permettre de réduire effectivement la consommation. Si on revient un tout petit peu sur les ménages qui vont mettre en place ces rénovations, est-ce que tu peux nous commenter qui ils sont, quelles sont les cibles et comment tu différencies finalement les types de ménages ?

  • Guillaume Wald

    La première bonne nouvelle que j'observe dans mes données, c'est que les certificats d'économie d'énergie ont donné lieu à des rénovations dans plus de 30 000 communes sur les 35 000. Ça veut dire que c'est un mécanisme qui a un avantage clé, qui est celui d'aller toucher le grand public. Et donc ça n'est pas que des gens qui sont déjà intéressés par la rénovation, ou des gens qui ont un certain niveau de revenu ou un certain niveau de connaissance du paysage juridique, c'est tout un chacun. En revanche, ce qui est vrai, c'est que... Il y a dans ce type de mécanisme une incitation perverse qui va mener à surtout aller financer les rénovations de ceux qui ont une capacité à financer importante. Pour les fournisseurs d'énergie, l'objectif, c'est de pouvoir dire j'ai été financeur du plus grand nombre possible de chantiers Donc, l'incitation, c'est d'aller voir surtout des gens qui peuvent financer beaucoup, comme ça, le fournisseur d'énergie devrait juste donner un petit peu à chacun. Et donc, pour éviter cet effet pervers, qui conduit à n'avoir des rénovations que pour les ménagers, l'État a mis en place une sous-obligation qui consiste à aller cibler uniquement les ménages en dessous du niveau médian. de revenus. C'est ce qu'on appelle les certificats d'économie d'énergie précarité. Dans les faits, l'objectif des certificats d'économie pour les ménages précaires, c'est de leur permettre de réaliser des économies d'énergie alors qu'ils n'auraient pas forcément eu accès à la rénovation.

  • Nadia Maïzi

    Sachant que les autres ménages pouvaient peut-être avoir déjà envisagé cette rénovation, avoir déjà le budget pour la prendre en compte, et finalement vont bénéficier d'une aide. qu'ils n'auraient pas anticipé sans l'existence de ces certificats.

  • Guillaume Wald

    Oui, et de manière générale, ce dispositif est connu pour avoir suscité un certain effet d'aubaine, qui a été estimé par l'Agence de la maîtrise de l'énergie à environ 50%. Ça veut dire que 50% des ménages ayant bénéficié de ces aides déclarent qu'ils auraient fait la rénovation même sans ces aides.

  • Nadia Maïzi

    Et qu'est-ce que tu as pu constater comme difficulté pour mesurer l'effet de la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    Alors déjà, il faut avoir accès à des données sur la consommation d'énergie. C'est difficile parce que ces données sont agrégées au niveau de la commune et au niveau de l'année. Donc ça veut dire qu'on observe uniquement les données pour la consommation de gaz et la consommation d'électricité dans le secteur résidentiel à partir de 2018 jusqu'à 2021. Donc actuellement, on n'a que quatre années. En revanche, là où on a de la chance en France, c'est qu'on a... 35 000 communes. Et donc, ça fait pour chaque année 35 000 points de données grâce à une source de données qui est apparue à partir de 2021 et qui s'appelle le registre des certificats d'économie d'énergie, qui nous donne précisément les caractéristiques techniques et l'estimation ex ante des économies d'énergie pour chaque chantier de rénovation financé par ce mécanisme.

  • Nadia Maïzi

    Donc, à chaque fois qu'on a un chantier de rénovation. tu nous dis qu'il y a une mesure qui est faite de ce que sera la consommation de ce logement après la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    Exactement. La valeur d'un chantier est déterminée en fonction des caractéristiques de la rénovation. Et pour chaque rénovation, par exemple j'installe une pompe à chaleur, je sais quelle est la baisse de consommation que me permettra d'atteindre cet équipement par rapport à la situation qu'on appelle contrefactuelle dans laquelle j'aurais gardé mon enchaîne chaudière.

  • Nadia Maïzi

    Alors le contrefactuel, c'est une approche que tu utilises beaucoup, je crois. Est-ce que tu peux très simplement nous expliquer à quoi ça correspond ?

  • Guillaume Wald

    Oui, d'ailleurs, l'ensemble de mes travaux, qui sont les travaux d'économie appliquée, reposent sur la construction d'un contrefactuel crédible. L'idée, c'est qu'on a un traitement, c'est-à-dire, dans ce cas précis, l'adoption... d'une rénovation, l'adoption d'une nouvelle technologie qui est censée être décarbonée ou moins carbonée. La situation contrefactuelle, c'est la situation dans laquelle je ne mets pas en place cette rénovation et donc je continue à consommer de l'énergie avec le moyen de consommation précédent.

  • Nadia Maïzi

    Donc c'est à partir de cette connaissance que tu vas pouvoir faire tes mesures de l'impact de... ces certificats d'économie d'énergie sur la consommation ?

  • Guillaume Wald

    Exactement. Mon travail consiste à comparer l'évaluation dite ex ante, c'est-à-dire la projection en kWh, par rapport à la réalisation, c'est-à-dire la consommation observée, et plus précisément la baisse de consommation observée en kWh.

  • Nadia Maïzi

    Donc ce que tu appelles ex ante... C'est ce que l'on aimerait qu'il se passe quand on met en place cette politique. On a un objectif de réduction de la consommation et on regarde sur un certain nombre d'années comment il va se décliner.

  • Guillaume Wald

    Cette estimation qui est dite ex ante, elle vient de modèles qui sont fournis par l'Agence de la maîtrise de l'énergie et qui sont utilisés par l'État lorsqu'il fait son rapport à la Commission européenne. dans le cadre de la mise en place de ces certificats d'économie d'énergie.

  • Nadia Maïzi

    Donc tu as ce qui était projeté et tu as ce que tu observes.

  • Guillaume Wald

    Oui, ce que j'observe, ce sont des données de consommation d'énergie localisées, c'est-à-dire au niveau de chaque commune. Et par année.

  • Nadia Maïzi

    Et donc si on revient à tes chantiers, comment tu relis les communes, les chantiers ?

  • Guillaume Wald

    Je connais la commune et la date de réalisation de chaque chantier. Et ça me permet donc d'associer les chantiers à la consommation d'énergie.

  • Nadia Maïzi

    Et donc à partir de cette évaluation, comment tu peux nous dire ce qui a été évité en termes de consommation ?

  • Guillaume Wald

    Ce que j'observe avec mes estimations, c'est que chaque kWh... d'économie attendue n'a donné lieu qu'à une économie réelle d'un demi-kilowatt-heure. Donc ça veut dire que par rapport aux projections qui étaient mises en place par l'agence de la maîtrise de l'énergie qui pilote le dispositif, on a fait la moitié de ce qui était prévu.

  • Nadia Maïzi

    Donc à chaque fois que j'attendais d'économiser un kilowatt-heure, je n'en ai économisé qu'un demi ?

  • Guillaume Wald

    Exactement.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que c'est catastrophique comme résultat ?

  • Guillaume Wald

    Alors, à première vue, on se dit que c'est vraiment mauvais. En fait, compte tenu du nombre de chantiers qui a été financé grâce à ce mécanisme, on atteint une baisse moyenne de 1,5% de la consommation du secteur résidentiel chaque année. Et donc, on est exactement dans les clous par rapport à l'obligation qui a été fixée par la Commission européenne dans le cadre de la mise en place de ce dispositif. Donc, si on évalue seulement le côté énergétique, on n'est pas mauvais. En revanche, là où ça pêche... et où ça pêche beaucoup, c'est sur l'efficacité du mécanisme. Et en particulier, quand on fait une analyse coût-bénéfice, on se rend compte que le coût de la tonne de CO2 équivalent évité, c'est 730 euros. 730 euros, c'est plus de 7 fois la valeur de la tonne de CO2 équivalent sur le marché des droits à polluer au niveau européen. Et donc, ça veut dire que ce mécanisme est particulièrement cher par rapport à d'autres mécanismes de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que dans ces rénovations, puisque tu nous as parlé d'une évaluation par chantier, il y a une différence entre ce qu'on va considérer comme les rénovations globales ou les rénovations par geste ? Est-ce que tu peux nous expliciter d'ailleurs quelle est la nuance entre les deux ?

  • Guillaume Wald

    C'est vrai qu'il y a un débat de fond sur la différence entre rénovation globale et rénovation par geste. Pendant longtemps, les politiques publiques en France ont surtout incité à faire de la rénovation par geste, c'est-à-dire seulement un type. de modification soit de l'enveloppe du bâti, c'est-à-dire isoler un mur ou isoler des combles, ou alors un changement de système énergétique, mettre une pompe à chaleur à la place d'une chaudière fioul ou gaz, mais pas les deux en même temps. Et les évolutions récentes de la politique publique visaient précisément à réduire le nombre de rénovations qu'on dit monogestes et à plutôt envisager des rénovations plus complètes où on allait changer à la fois l'enveloppe du bâti et... le système énergétique afin d'améliorer les performances finales du bâti.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que tu as pu mesurer justement ces différences dans tes évaluations de consommation ?

  • Guillaume Wald

    Alors dans ce travail on ne peut malheureusement pas le faire, d'une part parce qu'on évalue le dispositif des certificats d'économie d'énergie dans lequel les rénovations globales sont en fait très rares, et d'autre part parce qu'on n'a pas la possibilité de distinguer différents types de rénovations actuellement.

  • Nadia Maïzi

    En introduction, tu nous avais dit que l'impact des politiques publiques, c'était d'une part la comptabilité des émissions de gaz à effet de serre, donc via la consommation ou le gain de consommation, donc ça c'est ce dont tu viens de nous parler. Mais il y a un autre volet qui est très important, c'est celui de l'emploi. Donc l'impact sur l'emploi, qu'est-ce qu'il en est ?

  • Guillaume Wald

    Peut-être qu'on doit... avant tout dire pourquoi on s'intéresse à l'emploi. La création d'emplois via l'investissement public, c'est une très vieille question. Finalement, ça remonte aux politiques de relance keynésiennes, qui sont assez bien connues du grand public. L'idée, c'est qu'on met de l'argent dans un secteur et on attend des créations d'emplois. Dans le cas de la rénovation, la question se pose un petit peu différemment, puisqu'on n'est pas seulement en train de chercher des bénéfices secondaires par rapport à une politique qui viseraient, entre guillemets, juste à atteindre des objectifs climatiques. Mais l'enjeu est plus important, on cherche à mettre en place une transition juste, puisqu'il faut à la fois créer des emplois pour compenser les destructions qui vont intervenir dans d'autres secteurs. Et donc, on cherche à créer des emplois ailleurs.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que ça te paraît pertinent par rapport à la nature des emplois qui existaient dans ces filières qui devraient être détruites par rapport à cette nouvelle filière associée à la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    A priori, le secteur de la rénovation d'efficacité énergétique a un fort potentiel de création d'emplois, soit peu qualifiés, soit d'emplois manuels, précisément parce qu'il repose sur des compétences locales, techniques. On peut également imaginer une adaptation de compétences venant du secteur de la construction neuve vers la rénovation. Donc il y a un fort potentiel de conversion pour des emplois menacés par la transition.

  • Nadia Maïzi

    Mais il y a aussi des emplois nouveaux.

  • Guillaume Wald

    Il y a aussi des emplois nouveaux. et donc on a un fort besoin de formation. Et malheureusement, on n'a pas vraiment de politique en faveur de la formation dans ce secteur.

  • Nadia Maïzi

    Dans la question de l'emploi, se pose toujours le problème crucial de la durée, c'est-à-dire est-ce qu'on est en CDD, est-ce qu'on est en CDI, est-ce qu'on est en intérim ? Et dans ton travail de quantification, est-ce que tu as pu apporter une évaluation de ces différents types de contrats ?

  • Guillaume Wald

    Oui. Je me suis intéressé en fait à la qualité des emplois créés. Parce qu'une des grandes questions c'est, quand on crée de l'emploi dans la rénovation, à cause des aides publiques ou privées, est-ce que c'est de l'emploi qui est durable ou est-ce que c'est de l'emploi qui ne va exister que tant que cette aide sera mise en place et sera distribuée ? Alors, pour évaluer l'effet sur l'emploi de ces aides, on utilise un choc. L'idée c'est qu'on a besoin de mesurer l'effet des investissements dans l'aide à la rénovation sur l'emploi dans ce secteur. Et donc on voudrait observer ce qui se passe si on met plus d'investissements dans ce secteur versus si on n'en met pas plus.

  • Nadia Maïzi

    Donc comment tu mesures cette potentielle création d'emplois ?

  • Guillaume Wald

    Ce qu'on cherche à observer, c'est un cas particulier où il y aurait plus d'investissements dans la rénovation d'efficacité énergétique. Or, et c'est là qu'on a de la chance, C'est exactement ce qui s'est passé en janvier 2018, puisqu'on a à un moment donné le début d'une nouvelle période d'obligation pour les fournisseurs d'énergie, au cours de laquelle ils vont être forcés de doubler les investissements dans la rénovation. Et donc on va exploiter le fait que ce choc d'investissement ne concerne que la rénovation d'efficacité énergétique et pas les autres secteurs, pour comparer l'évolution de l'emploi dans ce secteur particulier de la rénovation versus tous les autres secteurs d'emploi.

  • Nadia Maïzi

    Pendant cette période en particulier ?

  • Guillaume Wald

    Oui, on va mesurer l'évolution de l'emploi sur deux périodes. D'abord, sur la période 2016-2017, ça fait 24 mois où on observe l'emploi dans le secteur de la rénovation versus tous les autres secteurs. Ça suit son cours, on observe des variations qui sont similaires. Et à un moment donné, janvier 2018, on entre dans un nouveau cycle pour les obligés qui vont investir beaucoup plus dans la rénovation. Ça va créer des emplois dans la rénovation. et pas dans les autres secteurs. Et donc, on mesure cet effet des investissements additionnels sur la période janvier 2018-février 2020. On s'arrête juste avant le premier confinement.

  • Nadia Maïzi

    Donc, on dit qu'il y a une année qui va être vraiment l'année de référence sur ce qui existait comme emploi avant dans ce secteur, ce qui existera après, puisque le secteur a été boosté, en quelque sorte, par le doublement des investissements.

  • Guillaume Wald

    Exactement. À partir de janvier 2018, je commence à compter combien d'emplois supplémentaires on a créé dans le secteur de la rénovation. Et je garde ce compte ouvert jusqu'au Covid, jusqu'au premier confinement, puisqu'après, forcément, l'activité économique de tous les secteurs est affectée. Et donc, je ne peux plus correctement utiliser les autres secteurs comme contrefactuel.

  • Nadia Maïzi

    Et pourquoi tu ne te sers pas des données d'emploi qui sont répertoriées classiquement dans les entreprises ?

  • Guillaume Wald

    En fait, j'utilise des mouvements de main-d'œuvre, c'est les entrées et les sorties en CDD ou en CDI pour chaque établissement, ce qui est plus fin que les entreprises, depuis janvier 2016 et jusqu'à décembre 2021.

  • Nadia Maïzi

    Et c'est là où on voit cette variation effective et que tu as pu récupérer des chiffres significatifs sur cette création d'emplois.

  • Guillaume Wald

    Oui, on observe que sur un secteur qui comptait environ 100 000 travailleurs en décembre 2017, On a créé, grâce à ces investissements supplémentaires, d'environ 150 millions d'euros par mois, au total environ 5000 emplois. Avec 80% de ces emplois qui sont pris par des personnes embauchées en CDI. Ça, c'est plutôt la bonne nouvelle. On a une mauvaise nouvelle qui est en fait cet effet faible, ce multiplicateur de l'investissement qui est assez faible. 1,4, c'est bien en dessous des estimations qu'utilise la Commission européenne. pour l'effet des investissements sur la création d'emplois dans la rénovation. Par contre, 80% de ces DI, ça veut dire que les entreprises ont perçu ce doublement des investissements comme le signe d'un investissement durable dans la transition énergétique.

  • Nadia Maïzi

    Le chiffre donné par la Commission européenne, tu peux nous le rappeler ?

  • Guillaume Wald

    C'est un chiffre de 8,52 équivalent temps plein par million d'euros investis. C'est basé sur des modèles économiques de prévision.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que c'est décevant en termes d'impact de cette politique de déploiement des certificats d'économie d'énergie ?

  • Guillaume Wald

    Oui, et en particulier, c'est dû probablement à la nature des certificats d'économie d'énergie, une politique qui stimule surtout l'investissement monogeste. c'est-à-dire des rénovations partielles avec un faible impact énergétique.

  • Nadia Maïzi

    Dans les comptes que tu as tenus, est-ce que tu as pu voir la disparition d'emplois versus l'apparition de ces nouveaux emplois ? Ou est-ce que c'est un compte net que tu nous procures ?

  • Guillaume Wald

    J'ai effectué un compte net pour le secteur de la rénovation, d'efficacité énergétique. A priori, sur le secteur de la construction neuve, l'effet est quasi nul. Donc ça veut dire que ces gens qui vont entrer dans le secteur de la rénovation d'efficacité énergétique ne viennent probablement pas de la construction neuve et donc ça pourrait être des emplois nouveaux. Donc ça c'est plutôt positif.

  • Nadia Maïzi

    Qu'est-ce que tu as rencontré comme difficulté pour réaliser tes mesures ?

  • Guillaume Wald

    La difficulté majeure pour mesurer l'effet sur la consommation énergétique, c'est un effet de sélection. La question qu'on se pose quand on regarde quel est l'effet d'une rénovation, c'est cette fameuse question du contrefactuel. Quelle aurait été la consommation du ménage qui a rénové, s'il n'avait pas rénové ? Le problème, c'est que la décision d'investissement dans la rénovation, elle est induite par des facteurs qu'on n'observe pas complètement. et notamment le revenu des gens. Moi, ce que j'observe, c'est le revenu au niveau de la commune, le revenu moyen, médian, etc. Mais je n'observe pas exactement le revenu du ménage qui investit. Et ça, c'est un problème parce qu'il est possible que les ménages qui investissent dans la rénovation le font suite à un gain de pouvoir d'achat. Si ce gain de pouvoir d'achat induit aussi une augmentation de la consommation d'énergie, alors mon estimation est biaisée. Je vais estimer l'effet des rénovations chez des gens qui, de toute manière, allait consommer plus. Le même problème se pose si on rénove parce qu'on va avoir un enfant supplémentaire. La consommation énergétique va être tirée vers le haut par cet enfant supplémentaire. Et donc la conséquence, c'est qu'on aurait une estimation biaisée, une estimation à la baisse de l'effet de la rénovation.

  • Nadia Maïzi

    Et en termes d'emploi ?

  • Guillaume Wald

    En termes d'emploi, le problème qui se pose, c'est le problème des autres subventions à la rénovation. Qu'est-ce qui se passe ailleurs ? et c'est pour ça qu'on exploite un choc. En utilisant un choc dans un des dispositifs en particulier, on est capable de dire que la situation contrefactuelle, c'est la situation sans les investissements supplémentaires via le dispositif des certificats d'économie d'énergie. Et donc, on va réussir à comparer les données réelles, ce qu'il s'est passé parce qu'il y a eu les certificats d'économie d'énergie qui ont doublé l'objectif de rénovation, et on sait que la hausse qu'on observe dans l'emploi, elle est due... uniquement à ce changement-là et pas à des changements dans d'autres dispositifs d'aide.

  • Nadia Maïzi

    Qu'est-ce que tu apportes de nouveau avec ces évaluations ?

  • Guillaume Wald

    L'estimation de l'effet sur l'emploi, c'est la première estimation sur données réelles de l'effet de l'investissement dans l'efficacité énergétique sur l'emploi. Là, c'est le résultat, le chiffre qui est nouveau et qui est utile pour le discours politique puisqu'en fait, on a des politiques publiques importantes qui sont annoncées, notamment... le Green Deal au niveau européen, qui sont basés sur des espérances importantes en termes de création d'emplois. Et donc si ces créations d'emplois ne sont pas au rendez-vous, c'est en fait assez embêtant pour la mise en place de ces politiques. Et puis ça nous oriente aussi sur qu'est-ce qui ne va pas dans ces politiques, pourquoi est-ce qu'on ne crée pas autant d'emplois que ce qu'on espérait, et donc peut-être qu'on manque d'une politique en faveur de la formation.

  • Nadia Maïzi

    Et puis pour l'effet énergétique des rénovations, c'est encore une fois les caractéristiques précises des aides qui tendent plutôt à favoriser des rénovations monogestes et pas des rénovations complètes, qui sont probablement à pointer du doigt, même si je ne suis pas capable, dans mon estimation, de faire la distinction entre un effet rebond et un problème de modélisation.

  • Guillaume Wald

    Est-ce qu'à ce stade, tu aurais déjà... des propositions différenciées de mesures à mettre en place pour avoir une meilleure efficacité dans ces deux registres.

  • Nadia Maïzi

    Concernant les emplois, on voit qu'il y a un problème sur l'attractivité des emplois. C'est d'ailleurs un des objectifs de mes recherches à venir, de mesurer l'effet des subventions sur les salaires des gens qui travaillent dans le secteur, mais d'après des estimations qui ne sont pas de moi, mais qui sont accessibles dans différents rapports. On voit que le salaire n'évolue pas dans la rénovation d'efficacité énergétique. Il n'y a pas de prime pour les emplois verts. Et donc, c'est des emplois qui ne sont pas très attractifs. En plus, c'est des emplois qui sont assez soumis à la politique publique. Pour l'instant, on a un soutien via des systèmes de subvention importants. Mais l'avenir est incertain. Et donc, on a besoin de certitude et on a besoin de formation.

  • Guillaume Wald

    Là, tu as vraiment cette insistance sur... L'enjeu de la formation, tu peux nous expliquer pourquoi ?

  • Nadia Maïzi

    En fait, la question de la formation, elle répond aux deux enjeux. D'une part, la qualité des rénovations, donc avoir des rénovations qui sont plus performantes, c'est-à-dire vraiment consommer moins en sortie, après les travaux, ça passe effectivement par des rénovations de qualité. Et donc ça passe par une manœuvre de qualité. Et puis, côté emploi, on ne peut pas faire une transition de grande ampleur sans avoir beaucoup de gens sur le terrain. Et en plus, on ne peut pas la faire sans avoir des gens formés, parce que sinon, ils ne resteront pas. Si les gens ne sont pas capables de capitaliser sur leur formation et en fait sont juste présents dans le secteur parce qu'il y a des aides de façon conjoncturelle, dès que les aides s'arrêtent, ils sortiront du secteur. Donc le gros enjeu actuellement, c'est de savoir comment faire pour fidéliser, en quelque sorte, les travailleurs du secteur. Mais pour les fidéliser, il faut qu'il y ait un salaire qui soit adapté.

  • Guillaume Wald

    En termes de recherche, quelles seraient les perspectives pour tes travaux ?

  • Nadia Maïzi

    Actuellement, je m'intéresse à la question de la structure du marché, puisque le marché de la rénovation énergétique, c'est beaucoup d'artisans, beaucoup d'entreprises de tailles variées, avec des motivations variées également. Et une de mes questions, c'est de savoir quel est l'effet des aides sur la santé financière des entreprises. Comment les entreprises vont exploiter l'existence des aides pour grossir, c'est-à-dire embaucher plus de monde, se former à travers le temps ? Et donc, on a un vrai enjeu sur... Est-ce que les entreprises bénéficient réellement des aides dont elles peuvent faire bénéficier leurs clients ? Et si oui, comment ? Notamment, on sait que récemment, certaines entreprises ont choisi de ne plus se labelliser reconnus garants de l'environnement, alors que ce label est nécessaire pour que les clients puissent bénéficier de toutes les aides, qu'elles soient publiques ou privées. Et donc, on voudrait savoir pourquoi ces entreprises font ce choix. En particulier, certaines entreprises vont même jusqu'à sortir du dispositif des aides publiques et simplement faire une ristourne sur leur facture d'un montant équivalent à celui des aides, tout simplement parce que la charge administrative est trop importante. La charge administrative des aides est trop importante pour elles. Donc on aimerait savoir quel est l'effet des aides sur la réputation locale des entreprises et leur développement économique. Merci Guillaume pour ton éclairage sur cette question de la rénovation énergétique du secteur résidentiel. pour nous avoir fait comprendre à quel point évaluer l'impact d'une politique publique est délicat et à quel point les décideurs eux-mêmes sont en grande difficulté en anticipation de ce que certaines mesures qu'ils souhaitent décliner pourraient avoir comme conséquences réelles sur cet enjeu d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre.

  • Guillaume Wald

    Merci beaucoup Nadia pour cet échange très stimulant et j'espère que cette discussion incitera d'autres personnes à s'intéresser à ce sujet passionnant de la rénovation énergétique. C'était Planète en transition, un podcast de l'Institut TTI.5.

Description

Engager la rénovation des bâtiments anciens apparait à plusieurs titres comme une évidence : déjà et en dehors de tout contexte, l’enjeu de la conservation et de l’amélioration de nos habitats vieillissants tombe sous le sens ; au-delà, lorsque l’on s’inscrit dans la question de la lutte contre les changements climatiques la rénovation de nos logements, leur isolation et l’amélioration de leur efficacité énergétique apparaissent comme des choix prioritaires pour permettre la diminution de notre consommation. 


Aussi, ce n’est plus le bien-fondé du déploiement de politiques de rénovation, vanté depuis la fin des années 1970, qui interroge, mais leur mise en œuvre et leur impact. 


Si l’état français propose des mesures pour déployer une politique publique incitative pour le développement de la filière de la rénovation, et pour permettre de façonner une politique industrielle, a-t-elle le succès escompté ? Notamment quel est l’impact de la mesure phare dite du Certificat d’Économie d’Énergie ?  


Dans ce podcast de la planète en transition, nous vous proposons d’évaluer les retombées de ces mesures en termes de création d’emploi en vous entrainant dans un délicat exercice de comptabilité que nous décrypterons ensemble. 


Pour approfondir :


 

 



Cet épisode est un dialogue entre Nadia Maïzi et Guillaume Wald, doctorant au CERNA, Centre d'économie industrielle de Mines Paris – PSL.


Planète en transition est un Podcast produit par The Transition Institute 1.5 et réalisé par Nadia Maïzi. 

Ingénieur du son : Mourad Louanchi

Moyens techniques : CHUUUT! FILMS

Music from #Uppbeat (free for Creators!):

https://uppbeat.io/t/danijel-zambo/fairytales 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Nadia Maïzi

    Planète en transition, le podcast de l'Institut TTI.5. Engager la rénovation des bâtiments anciens apparaît à plusieurs titres comme une évidence. En dehors de tout contexte, l'enjeu de la conservation et de l'amélioration de nos habitats vieillissants tombe sous le sens. Au-delà... Lorsque l'on s'inscrit dans la question de la lutte contre les changements climatiques, la rénovation de nos logements, leur isolation, l'amélioration de leur efficacité énergétique apparaissent comme des choix prioritaires pour permettre la diminution de notre consommation d'énergie. Aussi, ce n'est plus le bien fondé du déploiement de politiques de rénovation, vantées depuis la fin des années 70, qui interrogent, mais leur mise en œuvre, et leur impact. Si l'État français propose des mesures pour déployer une politique publique incitative pour le développement de cette filière de la rénovation et permettre de façonner une politique industrielle, a-t-il le succès escompté ? Notamment, quel est l'impact de la mesure phare dite du certificat d'économie d'énergie ? Dans ce podcast Planète en transition, nous vous proposons d'évaluer les retombées de ces mesures en termes de création d'emplois et de réduction de la consommation d'énergie en vous entraînant dans un délicat exercice de comptabilité que nous décrypterons aujourd'hui avec

  • Guillaume Wald

    Guillaume Wald, doctorant en économie à l'École des Mines de Paris.

  • Nadia Maïzi

    Bonjour Guillaume, le sujet de ta thèse, c'est la rénovation énergétique du secteur résidentiel et plus particulièrement l'évaluation des politiques publiques. Est-ce que tu peux nous donner les motivations de ce sujet ?

  • Guillaume Wald

    Bonjour Nadia. La rénovation du secteur résidentiel, c'est quelque chose de très important du point de vue des politiques publiques. Tout d'abord dans un objectif de neutralité carbone à un horizon qui est maintenant fixé à 2050. Si on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre, il y a un gros secteur, c'est le bâtiment, qui représente 40% de ses émissions en France. Et donc le premier objectif de ces politiques, il est environnemental et également social, puisqu'on a des enjeux importants de précarité énergétique en France, avec selon les estimations entre 5 et 10 millions de personnes qui sont en situation de précarité énergétique. Et puis il y a un deuxième gros objectif lié à ces politiques qui est fait sur l'emploi. Et c'est pas qu'un effet d'aubaine où on se dit tiens, puisqu'on dépense beaucoup d'argent, est-ce qu'on créerait pas des emplois en plus ? C'est en fait... Un besoin fondamental pour réaliser une transition juste, on a besoin de créer des emplois qui vont venir compenser la destruction des emplois dans les secteurs carbonés dont on souhaite réduire la taille.

  • Nadia Maïzi

    Donc sur le secteur résidentiel, tu vas te concentrer sur les mesures proposées par le gouvernement pour pouvoir limiter les émissions de gaz à effet de serre, comme tu l'as dit, qui viennent... de la consommation d'énergie en particulier. Quels sont les deux grands volets sur lesquels tu vas te pencher ?

  • Guillaume Wald

    D'une part, je regarde si les rénovations qui sont mises en place par tout un chacun permettent de réduire la consommation énergétique. En particulier, je regarde les consommations de gaz et d'électricité des ménages et je les observe à travers le temps au sein des communes françaises. Et je regarde si, lorsque plus de rénovations sont mises en place, cette consommation énergétique... tend à décroître. Et l'autre volet de mon travail consiste à regarder sur le terrain qui met en place ces rénovations. Est-ce qu'on a créé des emplois qui sont durables, qui sont de bonne qualité, ou est-ce que les aides publiques servent juste à créer de l'emploi seulement de très court terme ?

  • Nadia Maïzi

    Donc dans ton travail, il va y avoir deux volets auxquels tu vas t'intéresser par rapport à l'impact de cette politique publique. Celui de la création d'emplois et celui de la réduction de la consommation d'énergie. Mais pour ça, tu vas te concentrer sur un outil mis en place en particulier. Est-ce que tu peux revenir sur la description de cet outil ?

  • Guillaume Wald

    Oui, je m'intéresse au dispositif des certificats d'économie d'énergie. Alors, pour bien comprendre de quoi il s'agit, il faut rappeler que les rénovations aidées en France, ça draine environ 8 milliards d'euros par an, 4 milliards de subventions... directe, c'est-à-dire l'État qui verse de l'argent aux ménages, et vous connaissez probablement MaPrimeRénov'ou anciennement le Crédit d'impôt Transition énergétique, et puis l'autre moitié de ces 8 milliards d'euros. C'est les certificats d'économie d'énergie. Alors, qu'est-ce que c'est ? Depuis 2005, en France, les fournisseurs d'énergie qui vendent de l'électricité, du gaz, de l'essence, sont soumis à une obligation de réduction de la consommation d'énergie, suivant le principe du pollueur-payeur.

  • Nadia Maïzi

    Donc c'est pour ça qu'on les appelle les obligés.

  • Guillaume Wald

    Exactement. Ils sont appelés les obligés du point de vue de la loi, et leur obligation est libellée en kilowattheures, c'est-à-dire qu'ils doivent... chaque année subventionner un certain volume de rénovation et ces rénovations sont évaluées a priori en fonction de leur potentiel de réduction de la consommation d'énergie. Donc pour chaque chantier, on sait exactement quel type d'équipement va être installé et on considère que parce qu'on a remplacé par exemple une chaudière polluante par une pompe à chaleur, on va économiser un certain volume de kWh.

  • Nadia Maïzi

    Tu as dit un premier volet de 4 milliards pour des programmes qui, en fait, étaient des subventions, c'est ça, qu'on avait directement quand on faisait de la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    Donc, on a une partie subvention directe qui consiste à donner de l'argent aux ménages, de l'argent public, pour les aider à payer les factures des installateurs de pompes à chaleur, d'isolants pour les murs, pour la toiture, pour les sols, etc.

  • Nadia Maïzi

    D'accord. Et l'autre partie ? de 4 milliards dont tu as parlé, c'est ce que tu appelles les certificats d'économie d'énergie. Est-ce que tu peux nous expliquer ?

  • Guillaume Wald

    L'effet pour les ménages est à peu près le même. C'est-à-dire qu'ils vont recevoir de l'argent pour payer les factures des installateurs, encore une fois, d'eau pompe à chaleur, d'isolant. Simplement, l'argent ne vient pas du même acteur. Dans le cadre de la subvention directe, c'est l'État, via l'Agence nationale de l'habitat. Dans le cadre des certificats d'économie d'énergie, ce sont des fournisseurs d'énergie qui vendent de l'électricité, du gaz ou de l'essence et qui doivent donner de l'argent qui vient de leur profit. Et donc, il y a une répercussion sur les prix de l'énergie à la vente, puisque forcément, si les fournisseurs d'énergie sont obligés légalement de donner des subventions, la contrepartie, c'est qu'ils vont augmenter leurs prix.

  • Nadia Maïzi

    Donc, ces fournisseurs... On peut dire que ce sont les pollueurs ?

  • Guillaume Wald

    Exactement, c'est le principe du pollueur-payeur qui est mis en place par ce système d'obligation d'efficacité énergétique.

  • Nadia Maïzi

    Donc, ce qu'ils vont proposer, c'est le même type de subvention pour les ménages qui entreprennent des travaux de rénovation.

  • Guillaume Wald

    Il faut être assez prudent quand on dit le même type ou pas. En réalité, ce sont des subventions qui sont censées financer des équipements. permettant de réduire la consommation d'énergie. La différence, c'est bien sûr dans la mise en œuvre de la distribution des subventions. Il est certain que les subventions qui sont versées directement par l'État sont contrôlées par l'État, alors que les subventions versées par les fournisseurs d'énergie sont moins facilement contrôlables par l'État. Et une des illustrations de cette différence, c'est les débats récents autour des évolutions du dispositif MaPrimeRénov', qui est une subvention publique. et qui devait, à partir de janvier 2024, ne cibler que des rénovations avec plusieurs gestes, c'est-à-dire jamais de financement de système énergétique, changement d'une chaudière gaz vers une pompe à chaleur, s'il n'y avait pas aussi de l'isolation. Alors que dans les certificats d'économie d'énergie, on a principalement et quasi que des subventions d'installation monogeste.

  • Nadia Maïzi

    La question que tu vas te poser... Dans ta réflexion, c'est de comprendre quel va être l'impact de ces certificats d'économie d'énergie et s'ils vont nous permettre de réduire effectivement la consommation. Si on revient un tout petit peu sur les ménages qui vont mettre en place ces rénovations, est-ce que tu peux nous commenter qui ils sont, quelles sont les cibles et comment tu différencies finalement les types de ménages ?

  • Guillaume Wald

    La première bonne nouvelle que j'observe dans mes données, c'est que les certificats d'économie d'énergie ont donné lieu à des rénovations dans plus de 30 000 communes sur les 35 000. Ça veut dire que c'est un mécanisme qui a un avantage clé, qui est celui d'aller toucher le grand public. Et donc ça n'est pas que des gens qui sont déjà intéressés par la rénovation, ou des gens qui ont un certain niveau de revenu ou un certain niveau de connaissance du paysage juridique, c'est tout un chacun. En revanche, ce qui est vrai, c'est que... Il y a dans ce type de mécanisme une incitation perverse qui va mener à surtout aller financer les rénovations de ceux qui ont une capacité à financer importante. Pour les fournisseurs d'énergie, l'objectif, c'est de pouvoir dire j'ai été financeur du plus grand nombre possible de chantiers Donc, l'incitation, c'est d'aller voir surtout des gens qui peuvent financer beaucoup, comme ça, le fournisseur d'énergie devrait juste donner un petit peu à chacun. Et donc, pour éviter cet effet pervers, qui conduit à n'avoir des rénovations que pour les ménagers, l'État a mis en place une sous-obligation qui consiste à aller cibler uniquement les ménages en dessous du niveau médian. de revenus. C'est ce qu'on appelle les certificats d'économie d'énergie précarité. Dans les faits, l'objectif des certificats d'économie pour les ménages précaires, c'est de leur permettre de réaliser des économies d'énergie alors qu'ils n'auraient pas forcément eu accès à la rénovation.

  • Nadia Maïzi

    Sachant que les autres ménages pouvaient peut-être avoir déjà envisagé cette rénovation, avoir déjà le budget pour la prendre en compte, et finalement vont bénéficier d'une aide. qu'ils n'auraient pas anticipé sans l'existence de ces certificats.

  • Guillaume Wald

    Oui, et de manière générale, ce dispositif est connu pour avoir suscité un certain effet d'aubaine, qui a été estimé par l'Agence de la maîtrise de l'énergie à environ 50%. Ça veut dire que 50% des ménages ayant bénéficié de ces aides déclarent qu'ils auraient fait la rénovation même sans ces aides.

  • Nadia Maïzi

    Et qu'est-ce que tu as pu constater comme difficulté pour mesurer l'effet de la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    Alors déjà, il faut avoir accès à des données sur la consommation d'énergie. C'est difficile parce que ces données sont agrégées au niveau de la commune et au niveau de l'année. Donc ça veut dire qu'on observe uniquement les données pour la consommation de gaz et la consommation d'électricité dans le secteur résidentiel à partir de 2018 jusqu'à 2021. Donc actuellement, on n'a que quatre années. En revanche, là où on a de la chance en France, c'est qu'on a... 35 000 communes. Et donc, ça fait pour chaque année 35 000 points de données grâce à une source de données qui est apparue à partir de 2021 et qui s'appelle le registre des certificats d'économie d'énergie, qui nous donne précisément les caractéristiques techniques et l'estimation ex ante des économies d'énergie pour chaque chantier de rénovation financé par ce mécanisme.

  • Nadia Maïzi

    Donc, à chaque fois qu'on a un chantier de rénovation. tu nous dis qu'il y a une mesure qui est faite de ce que sera la consommation de ce logement après la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    Exactement. La valeur d'un chantier est déterminée en fonction des caractéristiques de la rénovation. Et pour chaque rénovation, par exemple j'installe une pompe à chaleur, je sais quelle est la baisse de consommation que me permettra d'atteindre cet équipement par rapport à la situation qu'on appelle contrefactuelle dans laquelle j'aurais gardé mon enchaîne chaudière.

  • Nadia Maïzi

    Alors le contrefactuel, c'est une approche que tu utilises beaucoup, je crois. Est-ce que tu peux très simplement nous expliquer à quoi ça correspond ?

  • Guillaume Wald

    Oui, d'ailleurs, l'ensemble de mes travaux, qui sont les travaux d'économie appliquée, reposent sur la construction d'un contrefactuel crédible. L'idée, c'est qu'on a un traitement, c'est-à-dire, dans ce cas précis, l'adoption... d'une rénovation, l'adoption d'une nouvelle technologie qui est censée être décarbonée ou moins carbonée. La situation contrefactuelle, c'est la situation dans laquelle je ne mets pas en place cette rénovation et donc je continue à consommer de l'énergie avec le moyen de consommation précédent.

  • Nadia Maïzi

    Donc c'est à partir de cette connaissance que tu vas pouvoir faire tes mesures de l'impact de... ces certificats d'économie d'énergie sur la consommation ?

  • Guillaume Wald

    Exactement. Mon travail consiste à comparer l'évaluation dite ex ante, c'est-à-dire la projection en kWh, par rapport à la réalisation, c'est-à-dire la consommation observée, et plus précisément la baisse de consommation observée en kWh.

  • Nadia Maïzi

    Donc ce que tu appelles ex ante... C'est ce que l'on aimerait qu'il se passe quand on met en place cette politique. On a un objectif de réduction de la consommation et on regarde sur un certain nombre d'années comment il va se décliner.

  • Guillaume Wald

    Cette estimation qui est dite ex ante, elle vient de modèles qui sont fournis par l'Agence de la maîtrise de l'énergie et qui sont utilisés par l'État lorsqu'il fait son rapport à la Commission européenne. dans le cadre de la mise en place de ces certificats d'économie d'énergie.

  • Nadia Maïzi

    Donc tu as ce qui était projeté et tu as ce que tu observes.

  • Guillaume Wald

    Oui, ce que j'observe, ce sont des données de consommation d'énergie localisées, c'est-à-dire au niveau de chaque commune. Et par année.

  • Nadia Maïzi

    Et donc si on revient à tes chantiers, comment tu relis les communes, les chantiers ?

  • Guillaume Wald

    Je connais la commune et la date de réalisation de chaque chantier. Et ça me permet donc d'associer les chantiers à la consommation d'énergie.

  • Nadia Maïzi

    Et donc à partir de cette évaluation, comment tu peux nous dire ce qui a été évité en termes de consommation ?

  • Guillaume Wald

    Ce que j'observe avec mes estimations, c'est que chaque kWh... d'économie attendue n'a donné lieu qu'à une économie réelle d'un demi-kilowatt-heure. Donc ça veut dire que par rapport aux projections qui étaient mises en place par l'agence de la maîtrise de l'énergie qui pilote le dispositif, on a fait la moitié de ce qui était prévu.

  • Nadia Maïzi

    Donc à chaque fois que j'attendais d'économiser un kilowatt-heure, je n'en ai économisé qu'un demi ?

  • Guillaume Wald

    Exactement.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que c'est catastrophique comme résultat ?

  • Guillaume Wald

    Alors, à première vue, on se dit que c'est vraiment mauvais. En fait, compte tenu du nombre de chantiers qui a été financé grâce à ce mécanisme, on atteint une baisse moyenne de 1,5% de la consommation du secteur résidentiel chaque année. Et donc, on est exactement dans les clous par rapport à l'obligation qui a été fixée par la Commission européenne dans le cadre de la mise en place de ce dispositif. Donc, si on évalue seulement le côté énergétique, on n'est pas mauvais. En revanche, là où ça pêche... et où ça pêche beaucoup, c'est sur l'efficacité du mécanisme. Et en particulier, quand on fait une analyse coût-bénéfice, on se rend compte que le coût de la tonne de CO2 équivalent évité, c'est 730 euros. 730 euros, c'est plus de 7 fois la valeur de la tonne de CO2 équivalent sur le marché des droits à polluer au niveau européen. Et donc, ça veut dire que ce mécanisme est particulièrement cher par rapport à d'autres mécanismes de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que dans ces rénovations, puisque tu nous as parlé d'une évaluation par chantier, il y a une différence entre ce qu'on va considérer comme les rénovations globales ou les rénovations par geste ? Est-ce que tu peux nous expliciter d'ailleurs quelle est la nuance entre les deux ?

  • Guillaume Wald

    C'est vrai qu'il y a un débat de fond sur la différence entre rénovation globale et rénovation par geste. Pendant longtemps, les politiques publiques en France ont surtout incité à faire de la rénovation par geste, c'est-à-dire seulement un type. de modification soit de l'enveloppe du bâti, c'est-à-dire isoler un mur ou isoler des combles, ou alors un changement de système énergétique, mettre une pompe à chaleur à la place d'une chaudière fioul ou gaz, mais pas les deux en même temps. Et les évolutions récentes de la politique publique visaient précisément à réduire le nombre de rénovations qu'on dit monogestes et à plutôt envisager des rénovations plus complètes où on allait changer à la fois l'enveloppe du bâti et... le système énergétique afin d'améliorer les performances finales du bâti.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que tu as pu mesurer justement ces différences dans tes évaluations de consommation ?

  • Guillaume Wald

    Alors dans ce travail on ne peut malheureusement pas le faire, d'une part parce qu'on évalue le dispositif des certificats d'économie d'énergie dans lequel les rénovations globales sont en fait très rares, et d'autre part parce qu'on n'a pas la possibilité de distinguer différents types de rénovations actuellement.

  • Nadia Maïzi

    En introduction, tu nous avais dit que l'impact des politiques publiques, c'était d'une part la comptabilité des émissions de gaz à effet de serre, donc via la consommation ou le gain de consommation, donc ça c'est ce dont tu viens de nous parler. Mais il y a un autre volet qui est très important, c'est celui de l'emploi. Donc l'impact sur l'emploi, qu'est-ce qu'il en est ?

  • Guillaume Wald

    Peut-être qu'on doit... avant tout dire pourquoi on s'intéresse à l'emploi. La création d'emplois via l'investissement public, c'est une très vieille question. Finalement, ça remonte aux politiques de relance keynésiennes, qui sont assez bien connues du grand public. L'idée, c'est qu'on met de l'argent dans un secteur et on attend des créations d'emplois. Dans le cas de la rénovation, la question se pose un petit peu différemment, puisqu'on n'est pas seulement en train de chercher des bénéfices secondaires par rapport à une politique qui viseraient, entre guillemets, juste à atteindre des objectifs climatiques. Mais l'enjeu est plus important, on cherche à mettre en place une transition juste, puisqu'il faut à la fois créer des emplois pour compenser les destructions qui vont intervenir dans d'autres secteurs. Et donc, on cherche à créer des emplois ailleurs.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que ça te paraît pertinent par rapport à la nature des emplois qui existaient dans ces filières qui devraient être détruites par rapport à cette nouvelle filière associée à la rénovation ?

  • Guillaume Wald

    A priori, le secteur de la rénovation d'efficacité énergétique a un fort potentiel de création d'emplois, soit peu qualifiés, soit d'emplois manuels, précisément parce qu'il repose sur des compétences locales, techniques. On peut également imaginer une adaptation de compétences venant du secteur de la construction neuve vers la rénovation. Donc il y a un fort potentiel de conversion pour des emplois menacés par la transition.

  • Nadia Maïzi

    Mais il y a aussi des emplois nouveaux.

  • Guillaume Wald

    Il y a aussi des emplois nouveaux. et donc on a un fort besoin de formation. Et malheureusement, on n'a pas vraiment de politique en faveur de la formation dans ce secteur.

  • Nadia Maïzi

    Dans la question de l'emploi, se pose toujours le problème crucial de la durée, c'est-à-dire est-ce qu'on est en CDD, est-ce qu'on est en CDI, est-ce qu'on est en intérim ? Et dans ton travail de quantification, est-ce que tu as pu apporter une évaluation de ces différents types de contrats ?

  • Guillaume Wald

    Oui. Je me suis intéressé en fait à la qualité des emplois créés. Parce qu'une des grandes questions c'est, quand on crée de l'emploi dans la rénovation, à cause des aides publiques ou privées, est-ce que c'est de l'emploi qui est durable ou est-ce que c'est de l'emploi qui ne va exister que tant que cette aide sera mise en place et sera distribuée ? Alors, pour évaluer l'effet sur l'emploi de ces aides, on utilise un choc. L'idée c'est qu'on a besoin de mesurer l'effet des investissements dans l'aide à la rénovation sur l'emploi dans ce secteur. Et donc on voudrait observer ce qui se passe si on met plus d'investissements dans ce secteur versus si on n'en met pas plus.

  • Nadia Maïzi

    Donc comment tu mesures cette potentielle création d'emplois ?

  • Guillaume Wald

    Ce qu'on cherche à observer, c'est un cas particulier où il y aurait plus d'investissements dans la rénovation d'efficacité énergétique. Or, et c'est là qu'on a de la chance, C'est exactement ce qui s'est passé en janvier 2018, puisqu'on a à un moment donné le début d'une nouvelle période d'obligation pour les fournisseurs d'énergie, au cours de laquelle ils vont être forcés de doubler les investissements dans la rénovation. Et donc on va exploiter le fait que ce choc d'investissement ne concerne que la rénovation d'efficacité énergétique et pas les autres secteurs, pour comparer l'évolution de l'emploi dans ce secteur particulier de la rénovation versus tous les autres secteurs d'emploi.

  • Nadia Maïzi

    Pendant cette période en particulier ?

  • Guillaume Wald

    Oui, on va mesurer l'évolution de l'emploi sur deux périodes. D'abord, sur la période 2016-2017, ça fait 24 mois où on observe l'emploi dans le secteur de la rénovation versus tous les autres secteurs. Ça suit son cours, on observe des variations qui sont similaires. Et à un moment donné, janvier 2018, on entre dans un nouveau cycle pour les obligés qui vont investir beaucoup plus dans la rénovation. Ça va créer des emplois dans la rénovation. et pas dans les autres secteurs. Et donc, on mesure cet effet des investissements additionnels sur la période janvier 2018-février 2020. On s'arrête juste avant le premier confinement.

  • Nadia Maïzi

    Donc, on dit qu'il y a une année qui va être vraiment l'année de référence sur ce qui existait comme emploi avant dans ce secteur, ce qui existera après, puisque le secteur a été boosté, en quelque sorte, par le doublement des investissements.

  • Guillaume Wald

    Exactement. À partir de janvier 2018, je commence à compter combien d'emplois supplémentaires on a créé dans le secteur de la rénovation. Et je garde ce compte ouvert jusqu'au Covid, jusqu'au premier confinement, puisqu'après, forcément, l'activité économique de tous les secteurs est affectée. Et donc, je ne peux plus correctement utiliser les autres secteurs comme contrefactuel.

  • Nadia Maïzi

    Et pourquoi tu ne te sers pas des données d'emploi qui sont répertoriées classiquement dans les entreprises ?

  • Guillaume Wald

    En fait, j'utilise des mouvements de main-d'œuvre, c'est les entrées et les sorties en CDD ou en CDI pour chaque établissement, ce qui est plus fin que les entreprises, depuis janvier 2016 et jusqu'à décembre 2021.

  • Nadia Maïzi

    Et c'est là où on voit cette variation effective et que tu as pu récupérer des chiffres significatifs sur cette création d'emplois.

  • Guillaume Wald

    Oui, on observe que sur un secteur qui comptait environ 100 000 travailleurs en décembre 2017, On a créé, grâce à ces investissements supplémentaires, d'environ 150 millions d'euros par mois, au total environ 5000 emplois. Avec 80% de ces emplois qui sont pris par des personnes embauchées en CDI. Ça, c'est plutôt la bonne nouvelle. On a une mauvaise nouvelle qui est en fait cet effet faible, ce multiplicateur de l'investissement qui est assez faible. 1,4, c'est bien en dessous des estimations qu'utilise la Commission européenne. pour l'effet des investissements sur la création d'emplois dans la rénovation. Par contre, 80% de ces DI, ça veut dire que les entreprises ont perçu ce doublement des investissements comme le signe d'un investissement durable dans la transition énergétique.

  • Nadia Maïzi

    Le chiffre donné par la Commission européenne, tu peux nous le rappeler ?

  • Guillaume Wald

    C'est un chiffre de 8,52 équivalent temps plein par million d'euros investis. C'est basé sur des modèles économiques de prévision.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que c'est décevant en termes d'impact de cette politique de déploiement des certificats d'économie d'énergie ?

  • Guillaume Wald

    Oui, et en particulier, c'est dû probablement à la nature des certificats d'économie d'énergie, une politique qui stimule surtout l'investissement monogeste. c'est-à-dire des rénovations partielles avec un faible impact énergétique.

  • Nadia Maïzi

    Dans les comptes que tu as tenus, est-ce que tu as pu voir la disparition d'emplois versus l'apparition de ces nouveaux emplois ? Ou est-ce que c'est un compte net que tu nous procures ?

  • Guillaume Wald

    J'ai effectué un compte net pour le secteur de la rénovation, d'efficacité énergétique. A priori, sur le secteur de la construction neuve, l'effet est quasi nul. Donc ça veut dire que ces gens qui vont entrer dans le secteur de la rénovation d'efficacité énergétique ne viennent probablement pas de la construction neuve et donc ça pourrait être des emplois nouveaux. Donc ça c'est plutôt positif.

  • Nadia Maïzi

    Qu'est-ce que tu as rencontré comme difficulté pour réaliser tes mesures ?

  • Guillaume Wald

    La difficulté majeure pour mesurer l'effet sur la consommation énergétique, c'est un effet de sélection. La question qu'on se pose quand on regarde quel est l'effet d'une rénovation, c'est cette fameuse question du contrefactuel. Quelle aurait été la consommation du ménage qui a rénové, s'il n'avait pas rénové ? Le problème, c'est que la décision d'investissement dans la rénovation, elle est induite par des facteurs qu'on n'observe pas complètement. et notamment le revenu des gens. Moi, ce que j'observe, c'est le revenu au niveau de la commune, le revenu moyen, médian, etc. Mais je n'observe pas exactement le revenu du ménage qui investit. Et ça, c'est un problème parce qu'il est possible que les ménages qui investissent dans la rénovation le font suite à un gain de pouvoir d'achat. Si ce gain de pouvoir d'achat induit aussi une augmentation de la consommation d'énergie, alors mon estimation est biaisée. Je vais estimer l'effet des rénovations chez des gens qui, de toute manière, allait consommer plus. Le même problème se pose si on rénove parce qu'on va avoir un enfant supplémentaire. La consommation énergétique va être tirée vers le haut par cet enfant supplémentaire. Et donc la conséquence, c'est qu'on aurait une estimation biaisée, une estimation à la baisse de l'effet de la rénovation.

  • Nadia Maïzi

    Et en termes d'emploi ?

  • Guillaume Wald

    En termes d'emploi, le problème qui se pose, c'est le problème des autres subventions à la rénovation. Qu'est-ce qui se passe ailleurs ? et c'est pour ça qu'on exploite un choc. En utilisant un choc dans un des dispositifs en particulier, on est capable de dire que la situation contrefactuelle, c'est la situation sans les investissements supplémentaires via le dispositif des certificats d'économie d'énergie. Et donc, on va réussir à comparer les données réelles, ce qu'il s'est passé parce qu'il y a eu les certificats d'économie d'énergie qui ont doublé l'objectif de rénovation, et on sait que la hausse qu'on observe dans l'emploi, elle est due... uniquement à ce changement-là et pas à des changements dans d'autres dispositifs d'aide.

  • Nadia Maïzi

    Qu'est-ce que tu apportes de nouveau avec ces évaluations ?

  • Guillaume Wald

    L'estimation de l'effet sur l'emploi, c'est la première estimation sur données réelles de l'effet de l'investissement dans l'efficacité énergétique sur l'emploi. Là, c'est le résultat, le chiffre qui est nouveau et qui est utile pour le discours politique puisqu'en fait, on a des politiques publiques importantes qui sont annoncées, notamment... le Green Deal au niveau européen, qui sont basés sur des espérances importantes en termes de création d'emplois. Et donc si ces créations d'emplois ne sont pas au rendez-vous, c'est en fait assez embêtant pour la mise en place de ces politiques. Et puis ça nous oriente aussi sur qu'est-ce qui ne va pas dans ces politiques, pourquoi est-ce qu'on ne crée pas autant d'emplois que ce qu'on espérait, et donc peut-être qu'on manque d'une politique en faveur de la formation.

  • Nadia Maïzi

    Et puis pour l'effet énergétique des rénovations, c'est encore une fois les caractéristiques précises des aides qui tendent plutôt à favoriser des rénovations monogestes et pas des rénovations complètes, qui sont probablement à pointer du doigt, même si je ne suis pas capable, dans mon estimation, de faire la distinction entre un effet rebond et un problème de modélisation.

  • Guillaume Wald

    Est-ce qu'à ce stade, tu aurais déjà... des propositions différenciées de mesures à mettre en place pour avoir une meilleure efficacité dans ces deux registres.

  • Nadia Maïzi

    Concernant les emplois, on voit qu'il y a un problème sur l'attractivité des emplois. C'est d'ailleurs un des objectifs de mes recherches à venir, de mesurer l'effet des subventions sur les salaires des gens qui travaillent dans le secteur, mais d'après des estimations qui ne sont pas de moi, mais qui sont accessibles dans différents rapports. On voit que le salaire n'évolue pas dans la rénovation d'efficacité énergétique. Il n'y a pas de prime pour les emplois verts. Et donc, c'est des emplois qui ne sont pas très attractifs. En plus, c'est des emplois qui sont assez soumis à la politique publique. Pour l'instant, on a un soutien via des systèmes de subvention importants. Mais l'avenir est incertain. Et donc, on a besoin de certitude et on a besoin de formation.

  • Guillaume Wald

    Là, tu as vraiment cette insistance sur... L'enjeu de la formation, tu peux nous expliquer pourquoi ?

  • Nadia Maïzi

    En fait, la question de la formation, elle répond aux deux enjeux. D'une part, la qualité des rénovations, donc avoir des rénovations qui sont plus performantes, c'est-à-dire vraiment consommer moins en sortie, après les travaux, ça passe effectivement par des rénovations de qualité. Et donc ça passe par une manœuvre de qualité. Et puis, côté emploi, on ne peut pas faire une transition de grande ampleur sans avoir beaucoup de gens sur le terrain. Et en plus, on ne peut pas la faire sans avoir des gens formés, parce que sinon, ils ne resteront pas. Si les gens ne sont pas capables de capitaliser sur leur formation et en fait sont juste présents dans le secteur parce qu'il y a des aides de façon conjoncturelle, dès que les aides s'arrêtent, ils sortiront du secteur. Donc le gros enjeu actuellement, c'est de savoir comment faire pour fidéliser, en quelque sorte, les travailleurs du secteur. Mais pour les fidéliser, il faut qu'il y ait un salaire qui soit adapté.

  • Guillaume Wald

    En termes de recherche, quelles seraient les perspectives pour tes travaux ?

  • Nadia Maïzi

    Actuellement, je m'intéresse à la question de la structure du marché, puisque le marché de la rénovation énergétique, c'est beaucoup d'artisans, beaucoup d'entreprises de tailles variées, avec des motivations variées également. Et une de mes questions, c'est de savoir quel est l'effet des aides sur la santé financière des entreprises. Comment les entreprises vont exploiter l'existence des aides pour grossir, c'est-à-dire embaucher plus de monde, se former à travers le temps ? Et donc, on a un vrai enjeu sur... Est-ce que les entreprises bénéficient réellement des aides dont elles peuvent faire bénéficier leurs clients ? Et si oui, comment ? Notamment, on sait que récemment, certaines entreprises ont choisi de ne plus se labelliser reconnus garants de l'environnement, alors que ce label est nécessaire pour que les clients puissent bénéficier de toutes les aides, qu'elles soient publiques ou privées. Et donc, on voudrait savoir pourquoi ces entreprises font ce choix. En particulier, certaines entreprises vont même jusqu'à sortir du dispositif des aides publiques et simplement faire une ristourne sur leur facture d'un montant équivalent à celui des aides, tout simplement parce que la charge administrative est trop importante. La charge administrative des aides est trop importante pour elles. Donc on aimerait savoir quel est l'effet des aides sur la réputation locale des entreprises et leur développement économique. Merci Guillaume pour ton éclairage sur cette question de la rénovation énergétique du secteur résidentiel. pour nous avoir fait comprendre à quel point évaluer l'impact d'une politique publique est délicat et à quel point les décideurs eux-mêmes sont en grande difficulté en anticipation de ce que certaines mesures qu'ils souhaitent décliner pourraient avoir comme conséquences réelles sur cet enjeu d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre.

  • Guillaume Wald

    Merci beaucoup Nadia pour cet échange très stimulant et j'espère que cette discussion incitera d'autres personnes à s'intéresser à ce sujet passionnant de la rénovation énergétique. C'était Planète en transition, un podcast de l'Institut TTI.5.

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