undefined cover
undefined cover
Se libérer des énergies fossiles : focus sur les enjeux de la région Moyen-Orient Afrique du Nord cover
Se libérer des énergies fossiles : focus sur les enjeux de la région Moyen-Orient Afrique du Nord cover
Planète en transition

Se libérer des énergies fossiles : focus sur les enjeux de la région Moyen-Orient Afrique du Nord

Se libérer des énergies fossiles : focus sur les enjeux de la région Moyen-Orient Afrique du Nord

34min |24/09/2024
Play
undefined cover
undefined cover
Se libérer des énergies fossiles : focus sur les enjeux de la région Moyen-Orient Afrique du Nord cover
Se libérer des énergies fossiles : focus sur les enjeux de la région Moyen-Orient Afrique du Nord cover
Planète en transition

Se libérer des énergies fossiles : focus sur les enjeux de la région Moyen-Orient Afrique du Nord

Se libérer des énergies fossiles : focus sur les enjeux de la région Moyen-Orient Afrique du Nord

34min |24/09/2024
Play

Description

Lors de la COP28 aux Émirats arabes unis, les négociations climatiques ont conduit à l’adoption d’une décision politique finale qui mentionne un impératif de « transition vers l’abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques ». 


Les combustibles fossiles c’est-à-dire le gaz, le pétrole et le charbon sous toutes leurs formes, qui pèsent aujourd’hui pour 75% dans le bilan mondial des émissions de gaz à effet de serre. 


Cette décision a généré des réactions extrêmement contrastées qui témoignent de la disparité des points de vue : elle a désespéré les scientifiques, a déçu les représentants des régions les plus vulnérables et a généré une certaine inquiétude des pays qui dépendent intimement des hydrocarbures. Réconcilier ces points de vue c’est comprendre d’où ils viennent et c’est pourquoi nous vous proposons dans ce podcast de la planète en transition de plonger dans les enjeux de la région MENA (Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord).


Cet épisode est un dialogue entre Nadia Maïzi et Charlène Barnet, doctorante en 2e année de thèse au Centre de Mathématiques Appliquées de Mines Paris – PSL.


Pour approfondir :


  • Al-Maamary, H.M.S., Kazem, H.A., Chaichan, M.T., 2017. Climate change: The game changer in the Gulf Cooperation Council Region. Renewable and Sustainable Energy Reviews 76, 555–576. https://doi.org/10.1016/j.rser.2017.03.048

  • Crippa, M., Guizzardi, D., Schaaf, E., Monforti-Ferrario, F., Quadrelli, R., Risquez Martin, A., Rossi, S., Vignati, E., Muntean, M., Brandao De Melo, J., Oom, D., Pagani, F., Banja, M., Taghavi-Moharamli, P., Köykkä, J., Grassi, G., Branco, A., San-Miguel, J., 2023. GHG emissions of all world countries: 2023 (No. JRC134504). Joint Research Centre (European Commission), Publications Office of the European Union, LU.

  • Energy Institute, (2024), Statistical Review of World Energy 2024, 73rd edition

  • Fattouh, B., Sen, A., 2021. Economic Diversification in Arab Oil-Exporting Countries in the Context of Peak Oil and the Energy Transition, in: Luciani, G., Moerenhout, T. (Eds.), When Can Oil Economies Be Deemed Sustainable?, The Political Economy of the Middle East. Springer, Singapore, pp. 73–97. https://doi.org/10.1007/978-981-15-5728-6_5

  • IEA, 2023b. Global Hydrogen Review 2022. International Energy Agency, Paris.

  • IEA, 2023e. Renewable Hydrogen from Oman – A producer economy in transition (Analysis). International Energy Agency, Paris.

  • OPEC, 2023. World Oil Outlook 2023 (No. 2023). OPEC.

  • Razi, F., Dincer, I., 2022. Renewable energy development and hydrogen economy in MENA region: A review. Renewable and Sustainable Energy Reviews 168, 112763. https://doi.org/10.1016/j.rser.2022.112763



Planète en transition est un Podcast produit par The Transition Institute 1.5 et réalisé par Nadia Maïzi. 


Ingénieur du son : Mourad Louanchi

Moyens techniques : CHUUUT! FILMS

Music from #Uppbeat (free for Creators!):

https://uppbeat.io/t/danijel-zambo/fairytales 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Nadia Maïzi

    Planète en transition, le podcast de l'Institut TTI.5. Lors de la dernière conférence des partis, la COP 28, à Dubaï, aux Émirats Arabes Unis, les négociations climatiques ont conduit à l'adoption d'une décision politique finale remarquée qui mentionne un impératif de transition. vers l'abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques. Les combustibles fossiles, c'est-à-dire le gaz, le pétrole et le charbon, sous toutes leurs formes, pèsent aujourd'hui pour 75% dans le bilan mondial des émissions de gaz à effet de serre. Cette décision a généré des réactions extrêmement contrastées qui témoigne de la disparité des points de vue. Elle a désespéré les scientifiques, elle a déçu les représentants des régions les plus vulnérables et elle a généré une certaine inquiétude dans les pays qui dépendent intimement des hydrocarbures. Réconcilier ces points de vue, c'est comprendre d'où ils viennent. C'est pourquoi nous vous proposons, dans ce podcast Planète en transition, de plonger dans les enjeux d'une région celles du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Planète en transition, aujourd'hui avec...

  • Charlène Barnet

    Charlène Barnet, doctorante en deuxième année au sein du Centre de mathématiques appliquées de l'École des mines de Paris.

  • Nadia Maïzi

    Bonjour Charlène, une doctorante... C'est quelqu'un qui va se concentrer pendant trois ans sur un sujet particulier. Est-ce que tu peux nous éclairer sur ce que sera ce sujet pour toi ou ce qu'il est déjà ?

  • Charlène Barnet

    Bonjour Nadia. Donc l'objectif de mon travail de thèse, ça va être d'étudier les futurs énergétiques possibles d'une région particulière, la région MENA, parce que ces futurs énergétiques vont être étroitement liés aux émissions de gaz à effet de serre.

  • Nadia Maïzi

    Tu peux nous... Rappelez l'enjeu autour de ces émissions et nous expliquez pourquoi ils sont si importants dans la question du réchauffement climatique.

  • Charlène Barnet

    À la base, les gaz à effet de serre sont des gaz qui sont présents dans l'atmosphère terrestre et qui vont emprisonner les rayons du soleil, stabilisant ainsi la température à la surface de la planète à un niveau qui permette la vie. Donc ces gaz sont naturellement présents dans l'atmosphère. C'est par exemple le dioxyde de carbone ou la vapeur d'eau. Le problème, c'est que l'augmentation de leur concentration du fait des activités humaines va entraîner une intensification de cet effet de serre qui va à son tour déséquilibrer le climat tel que nous le connaissons.

  • Nadia Maïzi

    Et donc qui va susciter une augmentation de la température moyenne à la surface du globe qui est tout l'enjeu de nos discussions autour de la nécessité de limiter ce réchauffement à 1,5°C. par rapport à la température moyenne à la surface du globe à l'ère pré-industrielle. Tu nous as parlé également d'une région particulière qui serait la région MENA. Qu'est-ce que tu entends par MENA ? MENA,

  • Charlène Barnet

    c'est un acronyme qui signifie Middle East and North Africa. Donc on va trouver son équivalent français qui est M-O-A-N pour Moyen-Orient, Afrique du Nord. Donc là, je vais utiliser MENA tout simplement parce que dans la littérature scientifique que je lis, qui est souvent en anglais, c'est l'acronyme MENA qui est utilisé.

  • Nadia Maïzi

    Et alors, d'un point de vue géographique, à quoi ça correspond en termes de région ?

  • Charlène Barnet

    Alors la région MENA va débuter, si on prend l'Afrique du Nord, tout à l'ouest avec les pays du Maghreb, le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. Un peu plus à l'est, on va ensuite avoir deux autres pays d'Afrique du Nord, la Libye et l'Égypte. Encore plus à l'est, on va trouver les pays de ce que l'on appelle souvent le Proche-Orient. Donc Israël, les territoires palestiniens, la Jordanie, le Liban et la Syrie. Encore plus à l'est, à l'extrême est de la zone qui nous concerne aujourd'hui, on a l'Irak et l'Iran. Enfin, plus au sud, on trouve les pays de la péninsule arabique, donc les pays du Golfe, l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn, le Koweït, le Qatar et Oman, et le Yémen à l'extrême sud.

  • Nadia Maïzi

    Quand tu égrènes cette série de pays dans notre imaginaire, ils vont avoir une connotation, puisqu'on parle des émissions de gaz à effet de serre, pétrole, gaz. Est-ce que c'est quelque part la raison de ton intérêt pour ce périmètre ?

  • Charlène Barnet

    Quand on pense à cette région, on pense souvent à la production et l'exportation de pétrole. Si on prend la région dans sa globalité, Ce qu'il faut savoir, c'est que la majeure partie de l'électricité est produite à partir de gaz naturel. Ainsi, en 2021, on avait 90% de l'électricité de la région MENA qui était produite à partir de ressources fossiles. Si on prend l'Europe pour comparer, c'est un peu plus d'un tiers de l'électricité en Europe qui est produite à partir de ressources fossiles. Donc les ressources fossiles étant le gaz, le pétrole ou le charbon.

  • Nadia Maïzi

    Mais malgré tout, il me semble que dans la zone, il y a des disparités fortes entre les pays selon les ressources dont ils disposent. Donc est-ce que vraiment tous ces pays produisent leur électricité à partir de gaz ou de pétrole ?

  • Charlène Barnet

    Effectivement, il y a des disparités entre pays au sens où certains pays ont plus de ressources en pétrole et en gaz que d'autres. Et donc certains n'ont pas. ou très peu de ressources en pétrole et en gaz, notamment le Maroc, qui n'a pas du tout de ressources en hydrocarbures, et qui donc va avoir un peu plus d'énergie renouvelable dans son mix électrique. Donc le mix électrique, c'est les moyens de production électrique. La Jordanie aussi a plus d'énergie renouvelable et notamment de solaire. On a également l'Égypte qui a du gaz, mais qui produit également de l'électricité à partir du Nil, donc de l'hydroélectricité. Et on a par exemple l'Iran et les Émirats Arabes Unis qui vont avoir du nucléaire civil et vont performer un tout petit peu mieux que certains de leurs voisins. Mais même ces pays vont présenter un mix électrique encore très largement carboné malgré ces petits efforts en termes d'installation de capacités renouvelables.

  • Nadia Maïzi

    En fait, tu es en train de nous proposer une contre-intuition qui serait que c'est quelque part leur consommation propre. d'électricité qui va être responsable du caractère émissif de cette zone en particulier, ou il y a quand même les aspects production de ressources fossiles qui interviennent dans le bilan global ?

  • Charlène Barnet

    Si on prend un peu de hauteur et qu'on regarde les émissions domestiques totales de ces pays, donc les émissions domestiques totales, c'est les émissions liées aux biens et services qui sont produits sur le territoire ou dans la région que l'on étudie. Donc si on regarde ces émissions domestiques totales, on va effectivement s'apercevoir qu'il y a certains pays qui sont, entre guillemets, de gros émetteurs. Dans le top 10 mondial, on va trouver l'Iran et l'Arabie saoudite. Au niveau du continent africain, on va avoir l'Égypte et l'Algérie, qui sont de gros émetteurs et qui figurent dans le top 5 des pays émetteurs de ce continent.

  • Nadia Maïzi

    Et à titre de comparaison, est-ce que tu peux nous situer globalement la région par rapport à une région qu'on connaît mieux, qui est celle dans laquelle nous vivons, l'Europe ?

  • Charlène Barnet

    C'est toujours bien de comparer avec une autre région qui aurait une population à peu près équivalente. L'Europe, au sens continental du terme hors Russie, c'est environ 590 millions d'habitants. La région MENA, c'est 490 millions d'habitants. Donc on peut dire que ce sont des régions de taille comparable en termes de population. Si on les compare, elles vont avoir des émissions de gaz à effet de serre autour de 4 milliards de tonnes d'équivalent CO2 pour la région MENA et autour de 4,5 milliards de tonnes d'équivalent CO2 pour l'Europe.

  • Nadia Maïzi

    Donc en fait, on va se retrouver avec... Des populations comparables, des émissions comparables, qu'est-ce que ça nous dit en termes de niveau d'émission par habitant ? Parce qu'il me semble que les modes de vie, les modes de consommation sont quand même extrêmement différents entre l'Europe et la région Ménin.

  • Charlène Barnet

    Si on regarde les émissions par habitant, donc les émissions totales du territoire divisé par le nombre d'habitants de ce territoire, on va se rendre compte qu'à nouveau, Les niveaux d'émissions pour un Européen et pour un habitant de la région MENA sont comparables et vont se situer autour de 8 tonnes par habitant par an. Si on compare avec une autre région ou un autre pays, en l'occurrence les Etats-Unis, c'est 18 tonnes par habitant par an. Donc au final, un habitant de la zone MENA va émettre un peu plus qu'un Européen. Mais pas beaucoup plus. En revanche, on va lui associer beaucoup moins d'émissions que pour un Américain.

  • Nadia Maïzi

    Une moyenne qui est comparable à celle de l'Europe, mais est-ce que finalement, ça traduit une convergence en termes de mode de vie de l'ensemble des pays de la région ou des disparités ?

  • Charlène Barnet

    Si on prend la région MENA, et notamment les pays du Golfe, on va se rendre compte qu'il y a 5 des 6 pays du Golfe qui figurent parmi les 10 premiers pays. émetteurs au monde en termes d'émissions par habitant. A l'opposé, on va avoir d'autres pays, par exemple l'Algérie, la Tunisie, le Maroc ou la Syrie, qui vont se situer en dessous de la moyenne de la région MENA, voire même la moyenne mondiale. Et en fait, ces grandes disparités en termes d'émissions par habitant entre pays vont refléter des niveaux de vie très différents entre pays. Si on prend un autre indicateur, qui va bien illustrer cela, c'est la consommation d'électricité par habitant. On va prendre un pays du Golfe, le Qatar. La production d'électricité par habitant au Qatar est presque dix fois supérieure à celle de l'Algérie ou de la Tunisie. Donc on voit bien qu'entre pays de cette même région MENA, il y a d'énormes disparités qui vont refléter de grosses différences en termes de niveau de vie.

  • Nadia Maïzi

    Il y a un point qu'on a un peu perdu de vue, c'est cette question des ressources fossiles qui caractérisent un certain nombre de pays de la zone. Et finalement, dans les émissions dont tu nous parles, est-ce que c'est intégré en termes de niveau global d'émission ou est-ce que c'est un élément qui doit se rajouter à ces bilans que tu viens de nous présenter ?

  • Charlène Barnet

    Ce qu'il faut avoir en tête, c'est qu'ici, je parle des émissions territoriales par habitant. Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, ce sont les émissions totales liées aux biens et services produits sur un territoire donné, divisées par le nombre total d'habitants. Et donc, c'est à bien différencier avec l'empreinte carbone d'une personne, d'une entreprise ou d'un pays, qui va représenter la quantité de gaz à effet de serre engendrée par la demande de biens et de services. de ce pays, de cette personne ou de cette entreprise, qu'ils soient produits ou non dans le pays. Donc s'ils ne sont pas produits, c'est qu'ils sont importés. Et c'est là que ça devient intéressant, parce qu'en fait, si on regarde les émissions de gaz à effet de serre de la région MENA, on se rend compte que plus d'un quart de ces émissions sont issues des processus d'extraction, de transformation et de raffinage d'hydrocarbures. Or, ces produits pétroliers et gaziers ne sont pas consommer, du moins la majeure partie n'est pas consommée dans la région MENA, mais exportée à l'étranger pour y être consommée. Et donc, si on regarde l'empreinte carbone d'une personne qui habite en Europe et qui habite dans la région MENA, alors l'image peut être bien différente.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que maintenant tu peux nous raconter comment finalement l'existence de ces ressources a modelé ? les économies de cette région et quel est le modèle sous-jacent ?

  • Charlène Barnet

    Cette région va regrouper un nombre très important de pays producteurs et exportateurs de pétrole et de gaz. Des chiffres à avoir en tête, c'est par exemple la concentration de réserves de pétrole et de gaz au niveau de cette région. On a 60% des réserves de pétrole et 40% des réserves mondiales de gaz qui vont être concentrées au sein de la région. Moyen-Orient et Afrique du Nord. Si on regarde les exportations mondiales, c'est la moitié des exportations mondiales de pétrole et environ un cinquième des exportations mondiales de gaz qui proviennent de cette région. Et d'ailleurs, on va y trouver également une concentration de pays membres de l'organisation des pays exportateurs de pétrole que l'on entend plus souvent sous le nom de OPEP.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce qu'il y a une intersection réelle entre... cette région et cet ensemble de pays ?

  • Charlène Barnet

    Alors la région MENA, ce n'est pas réellement une région géographique qui correspond à un continent. Elle va s'étaler sur le continent africain et le continent asiatique. Et elle comprend, suivant la définition qu'on lui donne, qui va beaucoup dépendre de l'organisation internationale qui l'étudie, elle va comprendre environ 18 à 20 pays. Sur ces 18 à 20 pays, on en a 7 qui font partie. de l'OPEP, donc l'Algérie, la Libye, l'Arabie Saoudite, l'Irak, l'Iran, le Koweït, les Émirats. Mais on a également d'autres pays producteurs de pétrole et de gaz qui sont importants, ou du moins pas négligeables, mais qui ne vont pas forcément faire partie de l'OPEP. Donc on a par exemple l'Égypte, qu'on a déjà cité, mais aussi le Qatar, qui a fait à une époque partie de l'OPEP, mais qui l'a quitté.

  • Nadia Maïzi

    Donc on imagine que ces pays ont basé... leurs économies sur la production et le commerce de ces hydrocarbures et que ça va créer un certain blocage par rapport à l'idée d'une diversification à terme.

  • Charlène Barnet

    Le commerce d'hydrocarbures va représenter la majeure partie des recettes commerciales de ces pays, mais également de leurs recettes fiscales et donc de leurs produits intérieurs bruts. Si on prend l'exemple d'Oman, en 2020, La vente d'hydrocarbures représentait 60% des recettes d'exportation de cet État, 25% de son PIB et plus de 50% de ses recettes fiscales.

  • Nadia Maïzi

    Donc une très grande dépendance à ces produits hydrocarbures. Et j'imagine que dès qu'il y a un petit mouvement, un petit changement dans le niveau des prix, dans la situation mondiale, ça va avoir des répercussions dramatiques.

  • Charlène Barnet

    Si le prix de vente du pétrole et de gaz ou si les quantités vendues sur les marchés baissent, comme ça a par exemple été le cas pendant la crise du Covid-19, eh bien les recettes commerciales que ces pays vont générer vont baisser, et donc les recettes fiscales vont également chuter, et le PIB du pays exportateur va se contracter. Et cette situation est très problématique pour ces pays, parce qu'elle menace directement leur stabilité économique. et, in fine, leur stabilité politique et sociale.

  • Nadia Maïzi

    Sur la paix sociale, comment ces revenus sont utilisés ?

  • Charlène Barnet

    Ce qu'on voit, c'est que la manne issue du commerce des hydrocarbures est garante de la paix sociale et du niveau de vie de la population. Donc, si on cite un exemple simple, qui est celui de l'Algérie, on a par exemple le prix du sucre ou encore de l'huile de cuisson qui va être subventionné grâce aux recettes issues des exportations de gaz. De façon générale, le prix de l'énergie et notamment de l'électricité dans la zone est fortement subventionné grâce aux recettes issues de la vente de pétrole et de gaz.

  • Nadia Maïzi

    La dépendance aux hydrocarbures que tu évoques me fait m'interroger sur la résilience que ces pays vont avoir si le grand mouvement de lutte contre le réchauffement climatique se met en place au niveau mondial et son corollaire qui serait de limiter... L'appel aux ressources fossiles. Comment cette zone pourrait faire face à un mouvement qui serait dit de la décarbonation mondiale ?

  • Charlène Barnet

    L'objectif de lutte contre le réchauffement climatique qu'on a posé au niveau mondial, en fait, va créer beaucoup d'incertitudes pour les pays de la zone MENA. De l'incertitude quant au rythme de déploiement des énergies renouvelables à l'échelle mondiale, quant à la vitesse à laquelle les États vont mettre en place les politiques adaptées, ou encore... quant aux technologies qui seront disponibles dans 20, 30 ou 40 ans. Et au final, le problème pour ces pays, c'est qu'ils ne savent pas quel va être le niveau de consommation de pétrole et de gaz à moyen et long terme. Et donc, ils ne savent pas quelles seront leurs recettes commerciales et budgétaires.

  • Nadia Maïzi

    En plus des incertitudes sur la mise en œuvre de cette décarbonation mondiale et le fait de ne pas savoir... par rapport à quelle trajectoire de consommation se positionner. Est-ce qu'il n'y a pas également des enjeux majeurs sur la pérennité des ressources propres en hydrocarbures de ces régions ?

  • Charlène Barnet

    Ces pays ont beaucoup d'autres incitations à anticiper et à s'adapter à cette situation. Tout d'abord, leurs ressources en hydrocarbures ne sont pas éternelles. Cela va se traduire soit par des ressources qui deviennent insuffisantes, dans certains cas, ou du moins toujours plus coûteuses et difficiles à extraire pour certains pays. Du côté ressources, on a aussi un autre problème, c'est que la consommation interne, donc consommation domestique de ces pays, évolue assez rapidement, ou du moins a évolué très rapidement ces dernières décennies. Et donc on se retrouve dans des situations où la consommation domestique pèse tellement qu'au final l'excédent de gaz ou de pétrole disponible pour l'exportation est réduit à peau de chagrin. Et ça va créer ce qu'on appelle un coup d'opportunité, c'est-à-dire que, en fait, toute goutte de pétrole ou unité de gaz qui est consommé en interne ne pourra pas être exporté et ne pourra donc pas générer de recettes commerciales ça c'est un autre problème donc on le voit par exemple pour le gaz en iran en plus de ça on a plein d'autres défis notamment sociétaux économiques donc par exemple il y a beaucoup de chômage donc ces pays ont tout intérêt et à essayer de trouver des façons de créer de l'emploi via de nouvelles filières industrielles par exemple on a aussi Une volonté de conserver une influence sur la scène énergétique mondiale, ou encore aussi une vraie volonté de participer à la lutte contre le réchauffement climatique.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce qu'on peut dire qu'il y a plusieurs facettes ? par rapport aux enjeux climatiques dans cette région. C'est-à-dire qu'il y aurait quelque part des opportunités et en même temps une position des pays en propre de la région qui n'est pas forcément extrêmement active par rapport à la question de la décarbonation.

  • Charlène Barnet

    Tout d'abord, il faut le rappeler quand même, que ces pays sont très durement impactés par le réchauffement climatique et donc ils ont bien conscience qu'ils sont concernés et qu'à long terme, ils ont tout intérêt à contribuer à la lutte globale contre le changement climatique. C'est une zone très aride et tend à le devenir encore plus. Oui,

  • Nadia Maïzi

    donc une prise de conscience de la zone avec un effet en termes de politique.

  • Charlène Barnet

    La prise de conscience du fait qu'ils dépendent trop des ventes de pétrole et de gaz n'est pas récente. Sur les dernières décennies, tous les pays exportateurs de pétrole et de gaz de la région ont, à un moment ou à un autre, publié une stratégie de diversification économique. C'est quoi la diversification économique ? L'idée, c'est de se dire, mais il faut qu'on produise et qu'on exporte d'autres biens en dehors du pétrole et du gaz, de façon à ce que notre budget et nos recettes d'exportation ne soient pas aussi dépendants aussi tributaires des cours mondiaux de l'énergie.

  • Nadia Maïzi

    Les Émirats Arabes Unis ont fait de l'accélération de la transition énergétique et de la réduction des émissions avant 2030 l'une de leurs quatre grandes priorités. Est-ce qu'il y a d'autres pays de la zone qui sont également aussi avancés dans leur volonté de sortir du pétrole et de diversifier leur économie ?

  • Charlène Barnet

    Beaucoup de pays de la zone ont des objectifs très ambitieux. en ce qui concerne la transition énergétique. Par exemple, l'Arabie saoudite vise 50% d'énergie renouvelable dans sa production d'électricité à l'horizon 2030. L'Égypte vient d'annoncer très récemment qu'elle visait désormais 60% d'énergie renouvelable en 2030. Pour l'Algérie, c'est 27% en 2035. Et on a beaucoup d'autres pays, notamment le Maroc ou encore la Jordanie, qui ont des objectifs tout aussi ambitieux. Certains pays... ont même déclaré viser la neutralité carbone à l'horizon 2050 ou 2060. Ce n'est pas l'ambition des objectifs qui manque, c'est plutôt la capacité à atteindre ces objectifs assez rapidement.

  • Nadia Maïzi

    Tu as des exemples de pays qui ont réussi cette diversification économique ?

  • Charlène Barnet

    Ceux qui ont le mieux réussi jusque-là sont les pays du Golfe, qui ont notamment, ces dernières années, Publier de nombreuses stratégies de diversification, appelées par exemple Vision 2030 pour l'Arabie Saoudite ou National Vision 2030 pour le Qatar. Des stratégies de diversification qui vont chercher à investir de nouveaux secteurs économiques, donc surtout le secteur de la finance, celui du tourisme, de l'immobilier, du sport. Et même si cette stratégie de diversification fonctionne plutôt bien pour ces pays... Le secteur pétrolier et le secteur gazier restent encore les principaux moteurs de croissance et de recette fiscale.

  • Nadia Maïzi

    À l'aune de cette diversification économique qui vise l'après-pétrole, comment on peut voir l'implication dans les grands programmes de développement de l'hydrogène, qui sont finalement des commandes des pays du Nord, qui ont mis l'hydrogène au cœur de leur stratégie pour... Leur politique de décarbonation.

  • Charlène Barnet

    L'hydrogène, ce n'est pas nouveau. L'hydrogène est utilisé aujourd'hui à l'échelle mondiale, et notamment dans la région MENA, pour des activités variées, telles que le raffinage du pétrole, dans l'industrie sidérurgique, ou encore pour la production d'ammoniaque, qui est utilisée pour la fabrication d'engrais. Cet hydrogène aujourd'hui est produit à partir de gaz naturel. Donc c'est un procédé très polluant, source de beaucoup d'émissions de gaz à effet de serre. Donc l'objectif, c'est de produire de l'hydrogène d'hiver à partir d'électricité renouvelable.

  • Nadia Maïzi

    Et est-ce qu'on peut relier ça avec les enjeux liés au changement climatique ou est-ce que c'est purement une stratégie économique ?

  • Charlène Barnet

    Ces pays-là, notamment les pays du Golfe et d'Afrique du Nord, vont chercher à faire de l'hydrogène. un nouveau produit énergétique exportable qui va leur permettre de garder leur place et une certaine influence dans la sphère énergétique et de générer de nouvelles recettes fiscales. Après, dans un second temps, l'hydrogène est vu aussi tout simplement comme un moyen de décarboner des secteurs qui sont très difficiles à décarboner. Par exemple, les activités de raffinage ou encore l'industrie sidérurgique ou la production d'ammoniaque. Mais c'est plus dans un second temps. L'objectif premier, ça va vraiment être de développer de nouveaux produits disponibles à l'exportation.

  • Nadia Maïzi

    Et donc, il y a des feuilles de route ambitieuses par rapport à cet enjeu ?

  • Charlène Barnet

    Oui. Par exemple, l'Arabie saoudite s'est fixée pour objectif de répondre à 10% de la demande mondiale d'hydrogène en 2030. L'Algérie, elle, veut répondre à 10% de la demande de l'Union européenne à l'horizon 2040. On a aussi des objectifs similaires pour les Émirats, Oman, le Qatar, le Maroc ou encore l'Égypte, qui veut se positionner en vrai hub énergétique pour la région. Et donc, de ce fait, on va voir beaucoup de partenariats se nouer entre les futurs pays importateurs, et notamment des pays européens, et les pays qui veulent se positionner comme étant producteurs-exportateurs. Et c'est pour ça qu'on va voir certains pays être très présents dans la région MENA. Par exemple, l'Allemagne va se positionner très clairement dans les pays du Maghreb autour de la thématique de l'hydrogène.

  • Nadia Maïzi

    Une nouvelle fois, on est plutôt dans la réponse à une attente de l'Union européenne que dans une politique propre de diversification. Comment tu vois l'avenir de cette région ?

  • Charlène Barnet

    On va avoir des pays qui vont se positionner clairement comme étant de futurs importateurs d'hydrogène. C'est le cas de l'Union européenne qui a déclaré qu'elle importerait 10 millions de tonnes d'hydrogène par an à l'horizon 2030. On a également les pays d'Asie du Sud-Est, notamment le Japon et la Corée du Sud, qui ont déclaré qu'ils seraient des importateurs à l'avenir. De nombreux pays de la Saône-Ména souhaitent saisir cette opportunité justement et devenir des producteurs-exportateurs d'hydrogène. Dans le domaine qui me concerne, c'est-à-dire les sciences économiques ou la technico-économie, ce que l'on observe... c'est que les travaux publiés s'attachent surtout à explorer les stratégies d'approvisionnement économiquement optimales, donc les moins chères, pour l'Europe, sans trop s'attacher aux conséquences de ces stratégies sur les systèmes énergétiques de la zone concernée. Un problème, par exemple, c'est que pour produire de l'hydrogène qui soit vert, donc de l'hydrogène d'iprop, il faut utiliser un procédé d'électrolyse de l'eau. Donc ce procédé va demander beaucoup d'eau. Or, on manque d'eau en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Tout cela, pour l'instant, c'est très peu quantifié, très peu pris en compte au final. Et donc, c'est ce que j'aimerais explorer un peu plus avec mon sujet de thèse.

  • Nadia Maïzi

    Quelles sont les raisons pour lesquelles cette région est devenue si attractive par rapport à ce vecteur particulier qu'est l'hydrogène ?

  • Charlène Barnet

    À l'origine, on s'intéresse beaucoup à cette région pour la production d'électricité dite verte, tout simplement parce qu'il y a énormément de soleil. et donc un potentiel d'installation de capacités solaires assez impressionnant, et beaucoup d'espaces, on va dire, non urbanisés, non artificialisés. Donc l'idée, ça va vraiment être de produire de l'électricité verte, donc décarbonée, pas chère, pour produire de l'hydrogène vert, donc décarboné, pas cher, et ensuite de l'exporter. Donc à l'origine, on voulait surtout exporter de l'électricité telle qu'elle. Mais c'est très compliqué d'un point de vue technique, parce qu'il faut des lignes à haute tension, traverser l'océan, etc. Alors que l'hydrogène serait un peu plus simple à transporter, soit sous forme liquide, soit via les pipelines existants, ou bien sous d'autres formes chimiques telles que l'ammoniaque. Un autre avantage que ces pays possèdent pour la production et l'exportation d'hydrogène, c'est qu'ils possèdent déjà des infrastructures gazières qui pourraient être adaptées pour le transport d'hydrogène. Donc des pipelines.

  • Nadia Maïzi

    Si on concilie tous les éléments que tu nous as expliqués, d'une part, on a une difficulté à envisager l'avenir puisqu'il y a une croissance de la consommation domestique. Et tu nous as parlé de ce coût d'opportunité qui consiste à arbitrer entre les exportations de gaz ou l'utilisation de gaz pour la production d'électricité dont la population a besoin. Et d'un autre côté, tu nous expliques que les ressources solaires qui ne sont pas encore exploitées, pourraient servir à exporter un autre vecteur qui va être l'hydrogène. Donc dans cette vision globale, je me demande comment la politique énergétique de ces pays va se décliner de manière favorable pour leurs propres enjeux liés au réchauffement climatique.

  • Charlène Barnet

    Il y a une petite contradiction apparente avec ces stratégies hydrogènes. Comme on l'a dit plus tôt, effectivement, ces pays ont un enjeu fort et urgent, c'est de décarboner leur production d'électricité existante. Et ce, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, pour réduire leur consommation interne de gaz et de pétrole, et donc pouvoir exporter ce même gaz et pétrole. Ensuite, tout simplement, d'un point de vue plus stratégique, pour diversifier leur production d'électricité. Ça, c'est, on va dire, un objectif qu'on retrouve dans plein de domaines. la diversification, c'est-à-dire ne pas mettre tous ces œufs dans le même panier. Et un autre objectif, c'est également, évidemment, la lutte contre le réchauffement climatique, donc participer à l'effort global. Et en fait, ces stratégies hydrogènes, en demandant l'installation de capacités renouvelables supplémentaires, va venir ajouter une difficulté aux objectifs de transition énergétique qui sont déjà énormes. Donc comme on l'a dit tout à l'heure, 90%... de l'électricité produite dans la région est aujourd'hui produite à partir de pétrole et de gaz. Donc le chemin à parcourir pour avoir un système qui émet moins de gaz à effet de serre est énorme. Et en plus de cet objectif de décarbonation du système électrique existant, on vient rajouter une nouvelle demande en énergie renouvelable qui va correspondre aux capacités dont on a besoin pour produire de l'hydrogène. Et donc ça va être un stress additionnel. une contrainte additionnelle sur les objectifs de décarbonation qui existent déjà.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que tu peux nous dire en quoi tu espères que les travaux que tu es en train de mener vont contribuer à éclairer ces enjeux régionaux qu'on comprend extrêmement complexes du fait des contradictions que tu as soulevées ?

  • Charlène Barnet

    Ce qui est bien, déjà, c'est qu'on voit dans le milieu de la recherche que beaucoup... de travaux émergent autour de cette question de l'hydrogène, notamment pour les pays de la région, ce qui n'était pas encore le cas il y a quelques années. Ce que j'aimerais donc faire avec mes travaux de recherche, c'est contribuer justement à toute cette émulation en observant un peu plus précisément l'impact des stratégies de production et d'exportation de ces pays sur leur système énergétique. C'est-à-dire regarder telle stratégie d'exportation, qu'est-ce qu'elle représente, en termes de capacité renouvelable à installer, supplémentaires pour le système énergétique, en termes d'électrolyseurs, en termes de consommation d'eau. Ce sont tous ces impacts sur les systèmes énergétiques que j'aimerais étudier. L'objectif, ça va vraiment être d'analyser la compatibilité entre, d'un côté, les objectifs de décarbonation et, de l'autre côté, les objectifs d'exportation d'hydrogène.

  • Nadia Maïzi

    Merci, Charlène. Je pense que cette contribution nous a permis de changer de point de vue. par rapport aux enjeux de la sortie des énergies fossiles.

  • Charlène Barnet

    Merci Nadia. J'espère vraiment que mes travaux permettront d'apporter un nouvel éclairage à ces enjeux de diversification économique et énergétique. Je serai ravie de revenir vous en parler lors d'un prochain podcast. C'était Planète en transition.

  • Nadia Maïzi

    Podcast de l'Institut TTI.5

Description

Lors de la COP28 aux Émirats arabes unis, les négociations climatiques ont conduit à l’adoption d’une décision politique finale qui mentionne un impératif de « transition vers l’abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques ». 


Les combustibles fossiles c’est-à-dire le gaz, le pétrole et le charbon sous toutes leurs formes, qui pèsent aujourd’hui pour 75% dans le bilan mondial des émissions de gaz à effet de serre. 


Cette décision a généré des réactions extrêmement contrastées qui témoignent de la disparité des points de vue : elle a désespéré les scientifiques, a déçu les représentants des régions les plus vulnérables et a généré une certaine inquiétude des pays qui dépendent intimement des hydrocarbures. Réconcilier ces points de vue c’est comprendre d’où ils viennent et c’est pourquoi nous vous proposons dans ce podcast de la planète en transition de plonger dans les enjeux de la région MENA (Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord).


Cet épisode est un dialogue entre Nadia Maïzi et Charlène Barnet, doctorante en 2e année de thèse au Centre de Mathématiques Appliquées de Mines Paris – PSL.


Pour approfondir :


  • Al-Maamary, H.M.S., Kazem, H.A., Chaichan, M.T., 2017. Climate change: The game changer in the Gulf Cooperation Council Region. Renewable and Sustainable Energy Reviews 76, 555–576. https://doi.org/10.1016/j.rser.2017.03.048

  • Crippa, M., Guizzardi, D., Schaaf, E., Monforti-Ferrario, F., Quadrelli, R., Risquez Martin, A., Rossi, S., Vignati, E., Muntean, M., Brandao De Melo, J., Oom, D., Pagani, F., Banja, M., Taghavi-Moharamli, P., Köykkä, J., Grassi, G., Branco, A., San-Miguel, J., 2023. GHG emissions of all world countries: 2023 (No. JRC134504). Joint Research Centre (European Commission), Publications Office of the European Union, LU.

  • Energy Institute, (2024), Statistical Review of World Energy 2024, 73rd edition

  • Fattouh, B., Sen, A., 2021. Economic Diversification in Arab Oil-Exporting Countries in the Context of Peak Oil and the Energy Transition, in: Luciani, G., Moerenhout, T. (Eds.), When Can Oil Economies Be Deemed Sustainable?, The Political Economy of the Middle East. Springer, Singapore, pp. 73–97. https://doi.org/10.1007/978-981-15-5728-6_5

  • IEA, 2023b. Global Hydrogen Review 2022. International Energy Agency, Paris.

  • IEA, 2023e. Renewable Hydrogen from Oman – A producer economy in transition (Analysis). International Energy Agency, Paris.

  • OPEC, 2023. World Oil Outlook 2023 (No. 2023). OPEC.

  • Razi, F., Dincer, I., 2022. Renewable energy development and hydrogen economy in MENA region: A review. Renewable and Sustainable Energy Reviews 168, 112763. https://doi.org/10.1016/j.rser.2022.112763



Planète en transition est un Podcast produit par The Transition Institute 1.5 et réalisé par Nadia Maïzi. 


Ingénieur du son : Mourad Louanchi

Moyens techniques : CHUUUT! FILMS

Music from #Uppbeat (free for Creators!):

https://uppbeat.io/t/danijel-zambo/fairytales 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Nadia Maïzi

    Planète en transition, le podcast de l'Institut TTI.5. Lors de la dernière conférence des partis, la COP 28, à Dubaï, aux Émirats Arabes Unis, les négociations climatiques ont conduit à l'adoption d'une décision politique finale remarquée qui mentionne un impératif de transition. vers l'abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques. Les combustibles fossiles, c'est-à-dire le gaz, le pétrole et le charbon, sous toutes leurs formes, pèsent aujourd'hui pour 75% dans le bilan mondial des émissions de gaz à effet de serre. Cette décision a généré des réactions extrêmement contrastées qui témoigne de la disparité des points de vue. Elle a désespéré les scientifiques, elle a déçu les représentants des régions les plus vulnérables et elle a généré une certaine inquiétude dans les pays qui dépendent intimement des hydrocarbures. Réconcilier ces points de vue, c'est comprendre d'où ils viennent. C'est pourquoi nous vous proposons, dans ce podcast Planète en transition, de plonger dans les enjeux d'une région celles du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Planète en transition, aujourd'hui avec...

  • Charlène Barnet

    Charlène Barnet, doctorante en deuxième année au sein du Centre de mathématiques appliquées de l'École des mines de Paris.

  • Nadia Maïzi

    Bonjour Charlène, une doctorante... C'est quelqu'un qui va se concentrer pendant trois ans sur un sujet particulier. Est-ce que tu peux nous éclairer sur ce que sera ce sujet pour toi ou ce qu'il est déjà ?

  • Charlène Barnet

    Bonjour Nadia. Donc l'objectif de mon travail de thèse, ça va être d'étudier les futurs énergétiques possibles d'une région particulière, la région MENA, parce que ces futurs énergétiques vont être étroitement liés aux émissions de gaz à effet de serre.

  • Nadia Maïzi

    Tu peux nous... Rappelez l'enjeu autour de ces émissions et nous expliquez pourquoi ils sont si importants dans la question du réchauffement climatique.

  • Charlène Barnet

    À la base, les gaz à effet de serre sont des gaz qui sont présents dans l'atmosphère terrestre et qui vont emprisonner les rayons du soleil, stabilisant ainsi la température à la surface de la planète à un niveau qui permette la vie. Donc ces gaz sont naturellement présents dans l'atmosphère. C'est par exemple le dioxyde de carbone ou la vapeur d'eau. Le problème, c'est que l'augmentation de leur concentration du fait des activités humaines va entraîner une intensification de cet effet de serre qui va à son tour déséquilibrer le climat tel que nous le connaissons.

  • Nadia Maïzi

    Et donc qui va susciter une augmentation de la température moyenne à la surface du globe qui est tout l'enjeu de nos discussions autour de la nécessité de limiter ce réchauffement à 1,5°C. par rapport à la température moyenne à la surface du globe à l'ère pré-industrielle. Tu nous as parlé également d'une région particulière qui serait la région MENA. Qu'est-ce que tu entends par MENA ? MENA,

  • Charlène Barnet

    c'est un acronyme qui signifie Middle East and North Africa. Donc on va trouver son équivalent français qui est M-O-A-N pour Moyen-Orient, Afrique du Nord. Donc là, je vais utiliser MENA tout simplement parce que dans la littérature scientifique que je lis, qui est souvent en anglais, c'est l'acronyme MENA qui est utilisé.

  • Nadia Maïzi

    Et alors, d'un point de vue géographique, à quoi ça correspond en termes de région ?

  • Charlène Barnet

    Alors la région MENA va débuter, si on prend l'Afrique du Nord, tout à l'ouest avec les pays du Maghreb, le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. Un peu plus à l'est, on va ensuite avoir deux autres pays d'Afrique du Nord, la Libye et l'Égypte. Encore plus à l'est, on va trouver les pays de ce que l'on appelle souvent le Proche-Orient. Donc Israël, les territoires palestiniens, la Jordanie, le Liban et la Syrie. Encore plus à l'est, à l'extrême est de la zone qui nous concerne aujourd'hui, on a l'Irak et l'Iran. Enfin, plus au sud, on trouve les pays de la péninsule arabique, donc les pays du Golfe, l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn, le Koweït, le Qatar et Oman, et le Yémen à l'extrême sud.

  • Nadia Maïzi

    Quand tu égrènes cette série de pays dans notre imaginaire, ils vont avoir une connotation, puisqu'on parle des émissions de gaz à effet de serre, pétrole, gaz. Est-ce que c'est quelque part la raison de ton intérêt pour ce périmètre ?

  • Charlène Barnet

    Quand on pense à cette région, on pense souvent à la production et l'exportation de pétrole. Si on prend la région dans sa globalité, Ce qu'il faut savoir, c'est que la majeure partie de l'électricité est produite à partir de gaz naturel. Ainsi, en 2021, on avait 90% de l'électricité de la région MENA qui était produite à partir de ressources fossiles. Si on prend l'Europe pour comparer, c'est un peu plus d'un tiers de l'électricité en Europe qui est produite à partir de ressources fossiles. Donc les ressources fossiles étant le gaz, le pétrole ou le charbon.

  • Nadia Maïzi

    Mais malgré tout, il me semble que dans la zone, il y a des disparités fortes entre les pays selon les ressources dont ils disposent. Donc est-ce que vraiment tous ces pays produisent leur électricité à partir de gaz ou de pétrole ?

  • Charlène Barnet

    Effectivement, il y a des disparités entre pays au sens où certains pays ont plus de ressources en pétrole et en gaz que d'autres. Et donc certains n'ont pas. ou très peu de ressources en pétrole et en gaz, notamment le Maroc, qui n'a pas du tout de ressources en hydrocarbures, et qui donc va avoir un peu plus d'énergie renouvelable dans son mix électrique. Donc le mix électrique, c'est les moyens de production électrique. La Jordanie aussi a plus d'énergie renouvelable et notamment de solaire. On a également l'Égypte qui a du gaz, mais qui produit également de l'électricité à partir du Nil, donc de l'hydroélectricité. Et on a par exemple l'Iran et les Émirats Arabes Unis qui vont avoir du nucléaire civil et vont performer un tout petit peu mieux que certains de leurs voisins. Mais même ces pays vont présenter un mix électrique encore très largement carboné malgré ces petits efforts en termes d'installation de capacités renouvelables.

  • Nadia Maïzi

    En fait, tu es en train de nous proposer une contre-intuition qui serait que c'est quelque part leur consommation propre. d'électricité qui va être responsable du caractère émissif de cette zone en particulier, ou il y a quand même les aspects production de ressources fossiles qui interviennent dans le bilan global ?

  • Charlène Barnet

    Si on prend un peu de hauteur et qu'on regarde les émissions domestiques totales de ces pays, donc les émissions domestiques totales, c'est les émissions liées aux biens et services qui sont produits sur le territoire ou dans la région que l'on étudie. Donc si on regarde ces émissions domestiques totales, on va effectivement s'apercevoir qu'il y a certains pays qui sont, entre guillemets, de gros émetteurs. Dans le top 10 mondial, on va trouver l'Iran et l'Arabie saoudite. Au niveau du continent africain, on va avoir l'Égypte et l'Algérie, qui sont de gros émetteurs et qui figurent dans le top 5 des pays émetteurs de ce continent.

  • Nadia Maïzi

    Et à titre de comparaison, est-ce que tu peux nous situer globalement la région par rapport à une région qu'on connaît mieux, qui est celle dans laquelle nous vivons, l'Europe ?

  • Charlène Barnet

    C'est toujours bien de comparer avec une autre région qui aurait une population à peu près équivalente. L'Europe, au sens continental du terme hors Russie, c'est environ 590 millions d'habitants. La région MENA, c'est 490 millions d'habitants. Donc on peut dire que ce sont des régions de taille comparable en termes de population. Si on les compare, elles vont avoir des émissions de gaz à effet de serre autour de 4 milliards de tonnes d'équivalent CO2 pour la région MENA et autour de 4,5 milliards de tonnes d'équivalent CO2 pour l'Europe.

  • Nadia Maïzi

    Donc en fait, on va se retrouver avec... Des populations comparables, des émissions comparables, qu'est-ce que ça nous dit en termes de niveau d'émission par habitant ? Parce qu'il me semble que les modes de vie, les modes de consommation sont quand même extrêmement différents entre l'Europe et la région Ménin.

  • Charlène Barnet

    Si on regarde les émissions par habitant, donc les émissions totales du territoire divisé par le nombre d'habitants de ce territoire, on va se rendre compte qu'à nouveau, Les niveaux d'émissions pour un Européen et pour un habitant de la région MENA sont comparables et vont se situer autour de 8 tonnes par habitant par an. Si on compare avec une autre région ou un autre pays, en l'occurrence les Etats-Unis, c'est 18 tonnes par habitant par an. Donc au final, un habitant de la zone MENA va émettre un peu plus qu'un Européen. Mais pas beaucoup plus. En revanche, on va lui associer beaucoup moins d'émissions que pour un Américain.

  • Nadia Maïzi

    Une moyenne qui est comparable à celle de l'Europe, mais est-ce que finalement, ça traduit une convergence en termes de mode de vie de l'ensemble des pays de la région ou des disparités ?

  • Charlène Barnet

    Si on prend la région MENA, et notamment les pays du Golfe, on va se rendre compte qu'il y a 5 des 6 pays du Golfe qui figurent parmi les 10 premiers pays. émetteurs au monde en termes d'émissions par habitant. A l'opposé, on va avoir d'autres pays, par exemple l'Algérie, la Tunisie, le Maroc ou la Syrie, qui vont se situer en dessous de la moyenne de la région MENA, voire même la moyenne mondiale. Et en fait, ces grandes disparités en termes d'émissions par habitant entre pays vont refléter des niveaux de vie très différents entre pays. Si on prend un autre indicateur, qui va bien illustrer cela, c'est la consommation d'électricité par habitant. On va prendre un pays du Golfe, le Qatar. La production d'électricité par habitant au Qatar est presque dix fois supérieure à celle de l'Algérie ou de la Tunisie. Donc on voit bien qu'entre pays de cette même région MENA, il y a d'énormes disparités qui vont refléter de grosses différences en termes de niveau de vie.

  • Nadia Maïzi

    Il y a un point qu'on a un peu perdu de vue, c'est cette question des ressources fossiles qui caractérisent un certain nombre de pays de la zone. Et finalement, dans les émissions dont tu nous parles, est-ce que c'est intégré en termes de niveau global d'émission ou est-ce que c'est un élément qui doit se rajouter à ces bilans que tu viens de nous présenter ?

  • Charlène Barnet

    Ce qu'il faut avoir en tête, c'est qu'ici, je parle des émissions territoriales par habitant. Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, ce sont les émissions totales liées aux biens et services produits sur un territoire donné, divisées par le nombre total d'habitants. Et donc, c'est à bien différencier avec l'empreinte carbone d'une personne, d'une entreprise ou d'un pays, qui va représenter la quantité de gaz à effet de serre engendrée par la demande de biens et de services. de ce pays, de cette personne ou de cette entreprise, qu'ils soient produits ou non dans le pays. Donc s'ils ne sont pas produits, c'est qu'ils sont importés. Et c'est là que ça devient intéressant, parce qu'en fait, si on regarde les émissions de gaz à effet de serre de la région MENA, on se rend compte que plus d'un quart de ces émissions sont issues des processus d'extraction, de transformation et de raffinage d'hydrocarbures. Or, ces produits pétroliers et gaziers ne sont pas consommer, du moins la majeure partie n'est pas consommée dans la région MENA, mais exportée à l'étranger pour y être consommée. Et donc, si on regarde l'empreinte carbone d'une personne qui habite en Europe et qui habite dans la région MENA, alors l'image peut être bien différente.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que maintenant tu peux nous raconter comment finalement l'existence de ces ressources a modelé ? les économies de cette région et quel est le modèle sous-jacent ?

  • Charlène Barnet

    Cette région va regrouper un nombre très important de pays producteurs et exportateurs de pétrole et de gaz. Des chiffres à avoir en tête, c'est par exemple la concentration de réserves de pétrole et de gaz au niveau de cette région. On a 60% des réserves de pétrole et 40% des réserves mondiales de gaz qui vont être concentrées au sein de la région. Moyen-Orient et Afrique du Nord. Si on regarde les exportations mondiales, c'est la moitié des exportations mondiales de pétrole et environ un cinquième des exportations mondiales de gaz qui proviennent de cette région. Et d'ailleurs, on va y trouver également une concentration de pays membres de l'organisation des pays exportateurs de pétrole que l'on entend plus souvent sous le nom de OPEP.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce qu'il y a une intersection réelle entre... cette région et cet ensemble de pays ?

  • Charlène Barnet

    Alors la région MENA, ce n'est pas réellement une région géographique qui correspond à un continent. Elle va s'étaler sur le continent africain et le continent asiatique. Et elle comprend, suivant la définition qu'on lui donne, qui va beaucoup dépendre de l'organisation internationale qui l'étudie, elle va comprendre environ 18 à 20 pays. Sur ces 18 à 20 pays, on en a 7 qui font partie. de l'OPEP, donc l'Algérie, la Libye, l'Arabie Saoudite, l'Irak, l'Iran, le Koweït, les Émirats. Mais on a également d'autres pays producteurs de pétrole et de gaz qui sont importants, ou du moins pas négligeables, mais qui ne vont pas forcément faire partie de l'OPEP. Donc on a par exemple l'Égypte, qu'on a déjà cité, mais aussi le Qatar, qui a fait à une époque partie de l'OPEP, mais qui l'a quitté.

  • Nadia Maïzi

    Donc on imagine que ces pays ont basé... leurs économies sur la production et le commerce de ces hydrocarbures et que ça va créer un certain blocage par rapport à l'idée d'une diversification à terme.

  • Charlène Barnet

    Le commerce d'hydrocarbures va représenter la majeure partie des recettes commerciales de ces pays, mais également de leurs recettes fiscales et donc de leurs produits intérieurs bruts. Si on prend l'exemple d'Oman, en 2020, La vente d'hydrocarbures représentait 60% des recettes d'exportation de cet État, 25% de son PIB et plus de 50% de ses recettes fiscales.

  • Nadia Maïzi

    Donc une très grande dépendance à ces produits hydrocarbures. Et j'imagine que dès qu'il y a un petit mouvement, un petit changement dans le niveau des prix, dans la situation mondiale, ça va avoir des répercussions dramatiques.

  • Charlène Barnet

    Si le prix de vente du pétrole et de gaz ou si les quantités vendues sur les marchés baissent, comme ça a par exemple été le cas pendant la crise du Covid-19, eh bien les recettes commerciales que ces pays vont générer vont baisser, et donc les recettes fiscales vont également chuter, et le PIB du pays exportateur va se contracter. Et cette situation est très problématique pour ces pays, parce qu'elle menace directement leur stabilité économique. et, in fine, leur stabilité politique et sociale.

  • Nadia Maïzi

    Sur la paix sociale, comment ces revenus sont utilisés ?

  • Charlène Barnet

    Ce qu'on voit, c'est que la manne issue du commerce des hydrocarbures est garante de la paix sociale et du niveau de vie de la population. Donc, si on cite un exemple simple, qui est celui de l'Algérie, on a par exemple le prix du sucre ou encore de l'huile de cuisson qui va être subventionné grâce aux recettes issues des exportations de gaz. De façon générale, le prix de l'énergie et notamment de l'électricité dans la zone est fortement subventionné grâce aux recettes issues de la vente de pétrole et de gaz.

  • Nadia Maïzi

    La dépendance aux hydrocarbures que tu évoques me fait m'interroger sur la résilience que ces pays vont avoir si le grand mouvement de lutte contre le réchauffement climatique se met en place au niveau mondial et son corollaire qui serait de limiter... L'appel aux ressources fossiles. Comment cette zone pourrait faire face à un mouvement qui serait dit de la décarbonation mondiale ?

  • Charlène Barnet

    L'objectif de lutte contre le réchauffement climatique qu'on a posé au niveau mondial, en fait, va créer beaucoup d'incertitudes pour les pays de la zone MENA. De l'incertitude quant au rythme de déploiement des énergies renouvelables à l'échelle mondiale, quant à la vitesse à laquelle les États vont mettre en place les politiques adaptées, ou encore... quant aux technologies qui seront disponibles dans 20, 30 ou 40 ans. Et au final, le problème pour ces pays, c'est qu'ils ne savent pas quel va être le niveau de consommation de pétrole et de gaz à moyen et long terme. Et donc, ils ne savent pas quelles seront leurs recettes commerciales et budgétaires.

  • Nadia Maïzi

    En plus des incertitudes sur la mise en œuvre de cette décarbonation mondiale et le fait de ne pas savoir... par rapport à quelle trajectoire de consommation se positionner. Est-ce qu'il n'y a pas également des enjeux majeurs sur la pérennité des ressources propres en hydrocarbures de ces régions ?

  • Charlène Barnet

    Ces pays ont beaucoup d'autres incitations à anticiper et à s'adapter à cette situation. Tout d'abord, leurs ressources en hydrocarbures ne sont pas éternelles. Cela va se traduire soit par des ressources qui deviennent insuffisantes, dans certains cas, ou du moins toujours plus coûteuses et difficiles à extraire pour certains pays. Du côté ressources, on a aussi un autre problème, c'est que la consommation interne, donc consommation domestique de ces pays, évolue assez rapidement, ou du moins a évolué très rapidement ces dernières décennies. Et donc on se retrouve dans des situations où la consommation domestique pèse tellement qu'au final l'excédent de gaz ou de pétrole disponible pour l'exportation est réduit à peau de chagrin. Et ça va créer ce qu'on appelle un coup d'opportunité, c'est-à-dire que, en fait, toute goutte de pétrole ou unité de gaz qui est consommé en interne ne pourra pas être exporté et ne pourra donc pas générer de recettes commerciales ça c'est un autre problème donc on le voit par exemple pour le gaz en iran en plus de ça on a plein d'autres défis notamment sociétaux économiques donc par exemple il y a beaucoup de chômage donc ces pays ont tout intérêt et à essayer de trouver des façons de créer de l'emploi via de nouvelles filières industrielles par exemple on a aussi Une volonté de conserver une influence sur la scène énergétique mondiale, ou encore aussi une vraie volonté de participer à la lutte contre le réchauffement climatique.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce qu'on peut dire qu'il y a plusieurs facettes ? par rapport aux enjeux climatiques dans cette région. C'est-à-dire qu'il y aurait quelque part des opportunités et en même temps une position des pays en propre de la région qui n'est pas forcément extrêmement active par rapport à la question de la décarbonation.

  • Charlène Barnet

    Tout d'abord, il faut le rappeler quand même, que ces pays sont très durement impactés par le réchauffement climatique et donc ils ont bien conscience qu'ils sont concernés et qu'à long terme, ils ont tout intérêt à contribuer à la lutte globale contre le changement climatique. C'est une zone très aride et tend à le devenir encore plus. Oui,

  • Nadia Maïzi

    donc une prise de conscience de la zone avec un effet en termes de politique.

  • Charlène Barnet

    La prise de conscience du fait qu'ils dépendent trop des ventes de pétrole et de gaz n'est pas récente. Sur les dernières décennies, tous les pays exportateurs de pétrole et de gaz de la région ont, à un moment ou à un autre, publié une stratégie de diversification économique. C'est quoi la diversification économique ? L'idée, c'est de se dire, mais il faut qu'on produise et qu'on exporte d'autres biens en dehors du pétrole et du gaz, de façon à ce que notre budget et nos recettes d'exportation ne soient pas aussi dépendants aussi tributaires des cours mondiaux de l'énergie.

  • Nadia Maïzi

    Les Émirats Arabes Unis ont fait de l'accélération de la transition énergétique et de la réduction des émissions avant 2030 l'une de leurs quatre grandes priorités. Est-ce qu'il y a d'autres pays de la zone qui sont également aussi avancés dans leur volonté de sortir du pétrole et de diversifier leur économie ?

  • Charlène Barnet

    Beaucoup de pays de la zone ont des objectifs très ambitieux. en ce qui concerne la transition énergétique. Par exemple, l'Arabie saoudite vise 50% d'énergie renouvelable dans sa production d'électricité à l'horizon 2030. L'Égypte vient d'annoncer très récemment qu'elle visait désormais 60% d'énergie renouvelable en 2030. Pour l'Algérie, c'est 27% en 2035. Et on a beaucoup d'autres pays, notamment le Maroc ou encore la Jordanie, qui ont des objectifs tout aussi ambitieux. Certains pays... ont même déclaré viser la neutralité carbone à l'horizon 2050 ou 2060. Ce n'est pas l'ambition des objectifs qui manque, c'est plutôt la capacité à atteindre ces objectifs assez rapidement.

  • Nadia Maïzi

    Tu as des exemples de pays qui ont réussi cette diversification économique ?

  • Charlène Barnet

    Ceux qui ont le mieux réussi jusque-là sont les pays du Golfe, qui ont notamment, ces dernières années, Publier de nombreuses stratégies de diversification, appelées par exemple Vision 2030 pour l'Arabie Saoudite ou National Vision 2030 pour le Qatar. Des stratégies de diversification qui vont chercher à investir de nouveaux secteurs économiques, donc surtout le secteur de la finance, celui du tourisme, de l'immobilier, du sport. Et même si cette stratégie de diversification fonctionne plutôt bien pour ces pays... Le secteur pétrolier et le secteur gazier restent encore les principaux moteurs de croissance et de recette fiscale.

  • Nadia Maïzi

    À l'aune de cette diversification économique qui vise l'après-pétrole, comment on peut voir l'implication dans les grands programmes de développement de l'hydrogène, qui sont finalement des commandes des pays du Nord, qui ont mis l'hydrogène au cœur de leur stratégie pour... Leur politique de décarbonation.

  • Charlène Barnet

    L'hydrogène, ce n'est pas nouveau. L'hydrogène est utilisé aujourd'hui à l'échelle mondiale, et notamment dans la région MENA, pour des activités variées, telles que le raffinage du pétrole, dans l'industrie sidérurgique, ou encore pour la production d'ammoniaque, qui est utilisée pour la fabrication d'engrais. Cet hydrogène aujourd'hui est produit à partir de gaz naturel. Donc c'est un procédé très polluant, source de beaucoup d'émissions de gaz à effet de serre. Donc l'objectif, c'est de produire de l'hydrogène d'hiver à partir d'électricité renouvelable.

  • Nadia Maïzi

    Et est-ce qu'on peut relier ça avec les enjeux liés au changement climatique ou est-ce que c'est purement une stratégie économique ?

  • Charlène Barnet

    Ces pays-là, notamment les pays du Golfe et d'Afrique du Nord, vont chercher à faire de l'hydrogène. un nouveau produit énergétique exportable qui va leur permettre de garder leur place et une certaine influence dans la sphère énergétique et de générer de nouvelles recettes fiscales. Après, dans un second temps, l'hydrogène est vu aussi tout simplement comme un moyen de décarboner des secteurs qui sont très difficiles à décarboner. Par exemple, les activités de raffinage ou encore l'industrie sidérurgique ou la production d'ammoniaque. Mais c'est plus dans un second temps. L'objectif premier, ça va vraiment être de développer de nouveaux produits disponibles à l'exportation.

  • Nadia Maïzi

    Et donc, il y a des feuilles de route ambitieuses par rapport à cet enjeu ?

  • Charlène Barnet

    Oui. Par exemple, l'Arabie saoudite s'est fixée pour objectif de répondre à 10% de la demande mondiale d'hydrogène en 2030. L'Algérie, elle, veut répondre à 10% de la demande de l'Union européenne à l'horizon 2040. On a aussi des objectifs similaires pour les Émirats, Oman, le Qatar, le Maroc ou encore l'Égypte, qui veut se positionner en vrai hub énergétique pour la région. Et donc, de ce fait, on va voir beaucoup de partenariats se nouer entre les futurs pays importateurs, et notamment des pays européens, et les pays qui veulent se positionner comme étant producteurs-exportateurs. Et c'est pour ça qu'on va voir certains pays être très présents dans la région MENA. Par exemple, l'Allemagne va se positionner très clairement dans les pays du Maghreb autour de la thématique de l'hydrogène.

  • Nadia Maïzi

    Une nouvelle fois, on est plutôt dans la réponse à une attente de l'Union européenne que dans une politique propre de diversification. Comment tu vois l'avenir de cette région ?

  • Charlène Barnet

    On va avoir des pays qui vont se positionner clairement comme étant de futurs importateurs d'hydrogène. C'est le cas de l'Union européenne qui a déclaré qu'elle importerait 10 millions de tonnes d'hydrogène par an à l'horizon 2030. On a également les pays d'Asie du Sud-Est, notamment le Japon et la Corée du Sud, qui ont déclaré qu'ils seraient des importateurs à l'avenir. De nombreux pays de la Saône-Ména souhaitent saisir cette opportunité justement et devenir des producteurs-exportateurs d'hydrogène. Dans le domaine qui me concerne, c'est-à-dire les sciences économiques ou la technico-économie, ce que l'on observe... c'est que les travaux publiés s'attachent surtout à explorer les stratégies d'approvisionnement économiquement optimales, donc les moins chères, pour l'Europe, sans trop s'attacher aux conséquences de ces stratégies sur les systèmes énergétiques de la zone concernée. Un problème, par exemple, c'est que pour produire de l'hydrogène qui soit vert, donc de l'hydrogène d'iprop, il faut utiliser un procédé d'électrolyse de l'eau. Donc ce procédé va demander beaucoup d'eau. Or, on manque d'eau en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Tout cela, pour l'instant, c'est très peu quantifié, très peu pris en compte au final. Et donc, c'est ce que j'aimerais explorer un peu plus avec mon sujet de thèse.

  • Nadia Maïzi

    Quelles sont les raisons pour lesquelles cette région est devenue si attractive par rapport à ce vecteur particulier qu'est l'hydrogène ?

  • Charlène Barnet

    À l'origine, on s'intéresse beaucoup à cette région pour la production d'électricité dite verte, tout simplement parce qu'il y a énormément de soleil. et donc un potentiel d'installation de capacités solaires assez impressionnant, et beaucoup d'espaces, on va dire, non urbanisés, non artificialisés. Donc l'idée, ça va vraiment être de produire de l'électricité verte, donc décarbonée, pas chère, pour produire de l'hydrogène vert, donc décarboné, pas cher, et ensuite de l'exporter. Donc à l'origine, on voulait surtout exporter de l'électricité telle qu'elle. Mais c'est très compliqué d'un point de vue technique, parce qu'il faut des lignes à haute tension, traverser l'océan, etc. Alors que l'hydrogène serait un peu plus simple à transporter, soit sous forme liquide, soit via les pipelines existants, ou bien sous d'autres formes chimiques telles que l'ammoniaque. Un autre avantage que ces pays possèdent pour la production et l'exportation d'hydrogène, c'est qu'ils possèdent déjà des infrastructures gazières qui pourraient être adaptées pour le transport d'hydrogène. Donc des pipelines.

  • Nadia Maïzi

    Si on concilie tous les éléments que tu nous as expliqués, d'une part, on a une difficulté à envisager l'avenir puisqu'il y a une croissance de la consommation domestique. Et tu nous as parlé de ce coût d'opportunité qui consiste à arbitrer entre les exportations de gaz ou l'utilisation de gaz pour la production d'électricité dont la population a besoin. Et d'un autre côté, tu nous expliques que les ressources solaires qui ne sont pas encore exploitées, pourraient servir à exporter un autre vecteur qui va être l'hydrogène. Donc dans cette vision globale, je me demande comment la politique énergétique de ces pays va se décliner de manière favorable pour leurs propres enjeux liés au réchauffement climatique.

  • Charlène Barnet

    Il y a une petite contradiction apparente avec ces stratégies hydrogènes. Comme on l'a dit plus tôt, effectivement, ces pays ont un enjeu fort et urgent, c'est de décarboner leur production d'électricité existante. Et ce, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, pour réduire leur consommation interne de gaz et de pétrole, et donc pouvoir exporter ce même gaz et pétrole. Ensuite, tout simplement, d'un point de vue plus stratégique, pour diversifier leur production d'électricité. Ça, c'est, on va dire, un objectif qu'on retrouve dans plein de domaines. la diversification, c'est-à-dire ne pas mettre tous ces œufs dans le même panier. Et un autre objectif, c'est également, évidemment, la lutte contre le réchauffement climatique, donc participer à l'effort global. Et en fait, ces stratégies hydrogènes, en demandant l'installation de capacités renouvelables supplémentaires, va venir ajouter une difficulté aux objectifs de transition énergétique qui sont déjà énormes. Donc comme on l'a dit tout à l'heure, 90%... de l'électricité produite dans la région est aujourd'hui produite à partir de pétrole et de gaz. Donc le chemin à parcourir pour avoir un système qui émet moins de gaz à effet de serre est énorme. Et en plus de cet objectif de décarbonation du système électrique existant, on vient rajouter une nouvelle demande en énergie renouvelable qui va correspondre aux capacités dont on a besoin pour produire de l'hydrogène. Et donc ça va être un stress additionnel. une contrainte additionnelle sur les objectifs de décarbonation qui existent déjà.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que tu peux nous dire en quoi tu espères que les travaux que tu es en train de mener vont contribuer à éclairer ces enjeux régionaux qu'on comprend extrêmement complexes du fait des contradictions que tu as soulevées ?

  • Charlène Barnet

    Ce qui est bien, déjà, c'est qu'on voit dans le milieu de la recherche que beaucoup... de travaux émergent autour de cette question de l'hydrogène, notamment pour les pays de la région, ce qui n'était pas encore le cas il y a quelques années. Ce que j'aimerais donc faire avec mes travaux de recherche, c'est contribuer justement à toute cette émulation en observant un peu plus précisément l'impact des stratégies de production et d'exportation de ces pays sur leur système énergétique. C'est-à-dire regarder telle stratégie d'exportation, qu'est-ce qu'elle représente, en termes de capacité renouvelable à installer, supplémentaires pour le système énergétique, en termes d'électrolyseurs, en termes de consommation d'eau. Ce sont tous ces impacts sur les systèmes énergétiques que j'aimerais étudier. L'objectif, ça va vraiment être d'analyser la compatibilité entre, d'un côté, les objectifs de décarbonation et, de l'autre côté, les objectifs d'exportation d'hydrogène.

  • Nadia Maïzi

    Merci, Charlène. Je pense que cette contribution nous a permis de changer de point de vue. par rapport aux enjeux de la sortie des énergies fossiles.

  • Charlène Barnet

    Merci Nadia. J'espère vraiment que mes travaux permettront d'apporter un nouvel éclairage à ces enjeux de diversification économique et énergétique. Je serai ravie de revenir vous en parler lors d'un prochain podcast. C'était Planète en transition.

  • Nadia Maïzi

    Podcast de l'Institut TTI.5

Share

Embed

You may also like

Description

Lors de la COP28 aux Émirats arabes unis, les négociations climatiques ont conduit à l’adoption d’une décision politique finale qui mentionne un impératif de « transition vers l’abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques ». 


Les combustibles fossiles c’est-à-dire le gaz, le pétrole et le charbon sous toutes leurs formes, qui pèsent aujourd’hui pour 75% dans le bilan mondial des émissions de gaz à effet de serre. 


Cette décision a généré des réactions extrêmement contrastées qui témoignent de la disparité des points de vue : elle a désespéré les scientifiques, a déçu les représentants des régions les plus vulnérables et a généré une certaine inquiétude des pays qui dépendent intimement des hydrocarbures. Réconcilier ces points de vue c’est comprendre d’où ils viennent et c’est pourquoi nous vous proposons dans ce podcast de la planète en transition de plonger dans les enjeux de la région MENA (Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord).


Cet épisode est un dialogue entre Nadia Maïzi et Charlène Barnet, doctorante en 2e année de thèse au Centre de Mathématiques Appliquées de Mines Paris – PSL.


Pour approfondir :


  • Al-Maamary, H.M.S., Kazem, H.A., Chaichan, M.T., 2017. Climate change: The game changer in the Gulf Cooperation Council Region. Renewable and Sustainable Energy Reviews 76, 555–576. https://doi.org/10.1016/j.rser.2017.03.048

  • Crippa, M., Guizzardi, D., Schaaf, E., Monforti-Ferrario, F., Quadrelli, R., Risquez Martin, A., Rossi, S., Vignati, E., Muntean, M., Brandao De Melo, J., Oom, D., Pagani, F., Banja, M., Taghavi-Moharamli, P., Köykkä, J., Grassi, G., Branco, A., San-Miguel, J., 2023. GHG emissions of all world countries: 2023 (No. JRC134504). Joint Research Centre (European Commission), Publications Office of the European Union, LU.

  • Energy Institute, (2024), Statistical Review of World Energy 2024, 73rd edition

  • Fattouh, B., Sen, A., 2021. Economic Diversification in Arab Oil-Exporting Countries in the Context of Peak Oil and the Energy Transition, in: Luciani, G., Moerenhout, T. (Eds.), When Can Oil Economies Be Deemed Sustainable?, The Political Economy of the Middle East. Springer, Singapore, pp. 73–97. https://doi.org/10.1007/978-981-15-5728-6_5

  • IEA, 2023b. Global Hydrogen Review 2022. International Energy Agency, Paris.

  • IEA, 2023e. Renewable Hydrogen from Oman – A producer economy in transition (Analysis). International Energy Agency, Paris.

  • OPEC, 2023. World Oil Outlook 2023 (No. 2023). OPEC.

  • Razi, F., Dincer, I., 2022. Renewable energy development and hydrogen economy in MENA region: A review. Renewable and Sustainable Energy Reviews 168, 112763. https://doi.org/10.1016/j.rser.2022.112763



Planète en transition est un Podcast produit par The Transition Institute 1.5 et réalisé par Nadia Maïzi. 


Ingénieur du son : Mourad Louanchi

Moyens techniques : CHUUUT! FILMS

Music from #Uppbeat (free for Creators!):

https://uppbeat.io/t/danijel-zambo/fairytales 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Nadia Maïzi

    Planète en transition, le podcast de l'Institut TTI.5. Lors de la dernière conférence des partis, la COP 28, à Dubaï, aux Émirats Arabes Unis, les négociations climatiques ont conduit à l'adoption d'une décision politique finale remarquée qui mentionne un impératif de transition. vers l'abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques. Les combustibles fossiles, c'est-à-dire le gaz, le pétrole et le charbon, sous toutes leurs formes, pèsent aujourd'hui pour 75% dans le bilan mondial des émissions de gaz à effet de serre. Cette décision a généré des réactions extrêmement contrastées qui témoigne de la disparité des points de vue. Elle a désespéré les scientifiques, elle a déçu les représentants des régions les plus vulnérables et elle a généré une certaine inquiétude dans les pays qui dépendent intimement des hydrocarbures. Réconcilier ces points de vue, c'est comprendre d'où ils viennent. C'est pourquoi nous vous proposons, dans ce podcast Planète en transition, de plonger dans les enjeux d'une région celles du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Planète en transition, aujourd'hui avec...

  • Charlène Barnet

    Charlène Barnet, doctorante en deuxième année au sein du Centre de mathématiques appliquées de l'École des mines de Paris.

  • Nadia Maïzi

    Bonjour Charlène, une doctorante... C'est quelqu'un qui va se concentrer pendant trois ans sur un sujet particulier. Est-ce que tu peux nous éclairer sur ce que sera ce sujet pour toi ou ce qu'il est déjà ?

  • Charlène Barnet

    Bonjour Nadia. Donc l'objectif de mon travail de thèse, ça va être d'étudier les futurs énergétiques possibles d'une région particulière, la région MENA, parce que ces futurs énergétiques vont être étroitement liés aux émissions de gaz à effet de serre.

  • Nadia Maïzi

    Tu peux nous... Rappelez l'enjeu autour de ces émissions et nous expliquez pourquoi ils sont si importants dans la question du réchauffement climatique.

  • Charlène Barnet

    À la base, les gaz à effet de serre sont des gaz qui sont présents dans l'atmosphère terrestre et qui vont emprisonner les rayons du soleil, stabilisant ainsi la température à la surface de la planète à un niveau qui permette la vie. Donc ces gaz sont naturellement présents dans l'atmosphère. C'est par exemple le dioxyde de carbone ou la vapeur d'eau. Le problème, c'est que l'augmentation de leur concentration du fait des activités humaines va entraîner une intensification de cet effet de serre qui va à son tour déséquilibrer le climat tel que nous le connaissons.

  • Nadia Maïzi

    Et donc qui va susciter une augmentation de la température moyenne à la surface du globe qui est tout l'enjeu de nos discussions autour de la nécessité de limiter ce réchauffement à 1,5°C. par rapport à la température moyenne à la surface du globe à l'ère pré-industrielle. Tu nous as parlé également d'une région particulière qui serait la région MENA. Qu'est-ce que tu entends par MENA ? MENA,

  • Charlène Barnet

    c'est un acronyme qui signifie Middle East and North Africa. Donc on va trouver son équivalent français qui est M-O-A-N pour Moyen-Orient, Afrique du Nord. Donc là, je vais utiliser MENA tout simplement parce que dans la littérature scientifique que je lis, qui est souvent en anglais, c'est l'acronyme MENA qui est utilisé.

  • Nadia Maïzi

    Et alors, d'un point de vue géographique, à quoi ça correspond en termes de région ?

  • Charlène Barnet

    Alors la région MENA va débuter, si on prend l'Afrique du Nord, tout à l'ouest avec les pays du Maghreb, le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. Un peu plus à l'est, on va ensuite avoir deux autres pays d'Afrique du Nord, la Libye et l'Égypte. Encore plus à l'est, on va trouver les pays de ce que l'on appelle souvent le Proche-Orient. Donc Israël, les territoires palestiniens, la Jordanie, le Liban et la Syrie. Encore plus à l'est, à l'extrême est de la zone qui nous concerne aujourd'hui, on a l'Irak et l'Iran. Enfin, plus au sud, on trouve les pays de la péninsule arabique, donc les pays du Golfe, l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn, le Koweït, le Qatar et Oman, et le Yémen à l'extrême sud.

  • Nadia Maïzi

    Quand tu égrènes cette série de pays dans notre imaginaire, ils vont avoir une connotation, puisqu'on parle des émissions de gaz à effet de serre, pétrole, gaz. Est-ce que c'est quelque part la raison de ton intérêt pour ce périmètre ?

  • Charlène Barnet

    Quand on pense à cette région, on pense souvent à la production et l'exportation de pétrole. Si on prend la région dans sa globalité, Ce qu'il faut savoir, c'est que la majeure partie de l'électricité est produite à partir de gaz naturel. Ainsi, en 2021, on avait 90% de l'électricité de la région MENA qui était produite à partir de ressources fossiles. Si on prend l'Europe pour comparer, c'est un peu plus d'un tiers de l'électricité en Europe qui est produite à partir de ressources fossiles. Donc les ressources fossiles étant le gaz, le pétrole ou le charbon.

  • Nadia Maïzi

    Mais malgré tout, il me semble que dans la zone, il y a des disparités fortes entre les pays selon les ressources dont ils disposent. Donc est-ce que vraiment tous ces pays produisent leur électricité à partir de gaz ou de pétrole ?

  • Charlène Barnet

    Effectivement, il y a des disparités entre pays au sens où certains pays ont plus de ressources en pétrole et en gaz que d'autres. Et donc certains n'ont pas. ou très peu de ressources en pétrole et en gaz, notamment le Maroc, qui n'a pas du tout de ressources en hydrocarbures, et qui donc va avoir un peu plus d'énergie renouvelable dans son mix électrique. Donc le mix électrique, c'est les moyens de production électrique. La Jordanie aussi a plus d'énergie renouvelable et notamment de solaire. On a également l'Égypte qui a du gaz, mais qui produit également de l'électricité à partir du Nil, donc de l'hydroélectricité. Et on a par exemple l'Iran et les Émirats Arabes Unis qui vont avoir du nucléaire civil et vont performer un tout petit peu mieux que certains de leurs voisins. Mais même ces pays vont présenter un mix électrique encore très largement carboné malgré ces petits efforts en termes d'installation de capacités renouvelables.

  • Nadia Maïzi

    En fait, tu es en train de nous proposer une contre-intuition qui serait que c'est quelque part leur consommation propre. d'électricité qui va être responsable du caractère émissif de cette zone en particulier, ou il y a quand même les aspects production de ressources fossiles qui interviennent dans le bilan global ?

  • Charlène Barnet

    Si on prend un peu de hauteur et qu'on regarde les émissions domestiques totales de ces pays, donc les émissions domestiques totales, c'est les émissions liées aux biens et services qui sont produits sur le territoire ou dans la région que l'on étudie. Donc si on regarde ces émissions domestiques totales, on va effectivement s'apercevoir qu'il y a certains pays qui sont, entre guillemets, de gros émetteurs. Dans le top 10 mondial, on va trouver l'Iran et l'Arabie saoudite. Au niveau du continent africain, on va avoir l'Égypte et l'Algérie, qui sont de gros émetteurs et qui figurent dans le top 5 des pays émetteurs de ce continent.

  • Nadia Maïzi

    Et à titre de comparaison, est-ce que tu peux nous situer globalement la région par rapport à une région qu'on connaît mieux, qui est celle dans laquelle nous vivons, l'Europe ?

  • Charlène Barnet

    C'est toujours bien de comparer avec une autre région qui aurait une population à peu près équivalente. L'Europe, au sens continental du terme hors Russie, c'est environ 590 millions d'habitants. La région MENA, c'est 490 millions d'habitants. Donc on peut dire que ce sont des régions de taille comparable en termes de population. Si on les compare, elles vont avoir des émissions de gaz à effet de serre autour de 4 milliards de tonnes d'équivalent CO2 pour la région MENA et autour de 4,5 milliards de tonnes d'équivalent CO2 pour l'Europe.

  • Nadia Maïzi

    Donc en fait, on va se retrouver avec... Des populations comparables, des émissions comparables, qu'est-ce que ça nous dit en termes de niveau d'émission par habitant ? Parce qu'il me semble que les modes de vie, les modes de consommation sont quand même extrêmement différents entre l'Europe et la région Ménin.

  • Charlène Barnet

    Si on regarde les émissions par habitant, donc les émissions totales du territoire divisé par le nombre d'habitants de ce territoire, on va se rendre compte qu'à nouveau, Les niveaux d'émissions pour un Européen et pour un habitant de la région MENA sont comparables et vont se situer autour de 8 tonnes par habitant par an. Si on compare avec une autre région ou un autre pays, en l'occurrence les Etats-Unis, c'est 18 tonnes par habitant par an. Donc au final, un habitant de la zone MENA va émettre un peu plus qu'un Européen. Mais pas beaucoup plus. En revanche, on va lui associer beaucoup moins d'émissions que pour un Américain.

  • Nadia Maïzi

    Une moyenne qui est comparable à celle de l'Europe, mais est-ce que finalement, ça traduit une convergence en termes de mode de vie de l'ensemble des pays de la région ou des disparités ?

  • Charlène Barnet

    Si on prend la région MENA, et notamment les pays du Golfe, on va se rendre compte qu'il y a 5 des 6 pays du Golfe qui figurent parmi les 10 premiers pays. émetteurs au monde en termes d'émissions par habitant. A l'opposé, on va avoir d'autres pays, par exemple l'Algérie, la Tunisie, le Maroc ou la Syrie, qui vont se situer en dessous de la moyenne de la région MENA, voire même la moyenne mondiale. Et en fait, ces grandes disparités en termes d'émissions par habitant entre pays vont refléter des niveaux de vie très différents entre pays. Si on prend un autre indicateur, qui va bien illustrer cela, c'est la consommation d'électricité par habitant. On va prendre un pays du Golfe, le Qatar. La production d'électricité par habitant au Qatar est presque dix fois supérieure à celle de l'Algérie ou de la Tunisie. Donc on voit bien qu'entre pays de cette même région MENA, il y a d'énormes disparités qui vont refléter de grosses différences en termes de niveau de vie.

  • Nadia Maïzi

    Il y a un point qu'on a un peu perdu de vue, c'est cette question des ressources fossiles qui caractérisent un certain nombre de pays de la zone. Et finalement, dans les émissions dont tu nous parles, est-ce que c'est intégré en termes de niveau global d'émission ou est-ce que c'est un élément qui doit se rajouter à ces bilans que tu viens de nous présenter ?

  • Charlène Barnet

    Ce qu'il faut avoir en tête, c'est qu'ici, je parle des émissions territoriales par habitant. Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, ce sont les émissions totales liées aux biens et services produits sur un territoire donné, divisées par le nombre total d'habitants. Et donc, c'est à bien différencier avec l'empreinte carbone d'une personne, d'une entreprise ou d'un pays, qui va représenter la quantité de gaz à effet de serre engendrée par la demande de biens et de services. de ce pays, de cette personne ou de cette entreprise, qu'ils soient produits ou non dans le pays. Donc s'ils ne sont pas produits, c'est qu'ils sont importés. Et c'est là que ça devient intéressant, parce qu'en fait, si on regarde les émissions de gaz à effet de serre de la région MENA, on se rend compte que plus d'un quart de ces émissions sont issues des processus d'extraction, de transformation et de raffinage d'hydrocarbures. Or, ces produits pétroliers et gaziers ne sont pas consommer, du moins la majeure partie n'est pas consommée dans la région MENA, mais exportée à l'étranger pour y être consommée. Et donc, si on regarde l'empreinte carbone d'une personne qui habite en Europe et qui habite dans la région MENA, alors l'image peut être bien différente.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que maintenant tu peux nous raconter comment finalement l'existence de ces ressources a modelé ? les économies de cette région et quel est le modèle sous-jacent ?

  • Charlène Barnet

    Cette région va regrouper un nombre très important de pays producteurs et exportateurs de pétrole et de gaz. Des chiffres à avoir en tête, c'est par exemple la concentration de réserves de pétrole et de gaz au niveau de cette région. On a 60% des réserves de pétrole et 40% des réserves mondiales de gaz qui vont être concentrées au sein de la région. Moyen-Orient et Afrique du Nord. Si on regarde les exportations mondiales, c'est la moitié des exportations mondiales de pétrole et environ un cinquième des exportations mondiales de gaz qui proviennent de cette région. Et d'ailleurs, on va y trouver également une concentration de pays membres de l'organisation des pays exportateurs de pétrole que l'on entend plus souvent sous le nom de OPEP.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce qu'il y a une intersection réelle entre... cette région et cet ensemble de pays ?

  • Charlène Barnet

    Alors la région MENA, ce n'est pas réellement une région géographique qui correspond à un continent. Elle va s'étaler sur le continent africain et le continent asiatique. Et elle comprend, suivant la définition qu'on lui donne, qui va beaucoup dépendre de l'organisation internationale qui l'étudie, elle va comprendre environ 18 à 20 pays. Sur ces 18 à 20 pays, on en a 7 qui font partie. de l'OPEP, donc l'Algérie, la Libye, l'Arabie Saoudite, l'Irak, l'Iran, le Koweït, les Émirats. Mais on a également d'autres pays producteurs de pétrole et de gaz qui sont importants, ou du moins pas négligeables, mais qui ne vont pas forcément faire partie de l'OPEP. Donc on a par exemple l'Égypte, qu'on a déjà cité, mais aussi le Qatar, qui a fait à une époque partie de l'OPEP, mais qui l'a quitté.

  • Nadia Maïzi

    Donc on imagine que ces pays ont basé... leurs économies sur la production et le commerce de ces hydrocarbures et que ça va créer un certain blocage par rapport à l'idée d'une diversification à terme.

  • Charlène Barnet

    Le commerce d'hydrocarbures va représenter la majeure partie des recettes commerciales de ces pays, mais également de leurs recettes fiscales et donc de leurs produits intérieurs bruts. Si on prend l'exemple d'Oman, en 2020, La vente d'hydrocarbures représentait 60% des recettes d'exportation de cet État, 25% de son PIB et plus de 50% de ses recettes fiscales.

  • Nadia Maïzi

    Donc une très grande dépendance à ces produits hydrocarbures. Et j'imagine que dès qu'il y a un petit mouvement, un petit changement dans le niveau des prix, dans la situation mondiale, ça va avoir des répercussions dramatiques.

  • Charlène Barnet

    Si le prix de vente du pétrole et de gaz ou si les quantités vendues sur les marchés baissent, comme ça a par exemple été le cas pendant la crise du Covid-19, eh bien les recettes commerciales que ces pays vont générer vont baisser, et donc les recettes fiscales vont également chuter, et le PIB du pays exportateur va se contracter. Et cette situation est très problématique pour ces pays, parce qu'elle menace directement leur stabilité économique. et, in fine, leur stabilité politique et sociale.

  • Nadia Maïzi

    Sur la paix sociale, comment ces revenus sont utilisés ?

  • Charlène Barnet

    Ce qu'on voit, c'est que la manne issue du commerce des hydrocarbures est garante de la paix sociale et du niveau de vie de la population. Donc, si on cite un exemple simple, qui est celui de l'Algérie, on a par exemple le prix du sucre ou encore de l'huile de cuisson qui va être subventionné grâce aux recettes issues des exportations de gaz. De façon générale, le prix de l'énergie et notamment de l'électricité dans la zone est fortement subventionné grâce aux recettes issues de la vente de pétrole et de gaz.

  • Nadia Maïzi

    La dépendance aux hydrocarbures que tu évoques me fait m'interroger sur la résilience que ces pays vont avoir si le grand mouvement de lutte contre le réchauffement climatique se met en place au niveau mondial et son corollaire qui serait de limiter... L'appel aux ressources fossiles. Comment cette zone pourrait faire face à un mouvement qui serait dit de la décarbonation mondiale ?

  • Charlène Barnet

    L'objectif de lutte contre le réchauffement climatique qu'on a posé au niveau mondial, en fait, va créer beaucoup d'incertitudes pour les pays de la zone MENA. De l'incertitude quant au rythme de déploiement des énergies renouvelables à l'échelle mondiale, quant à la vitesse à laquelle les États vont mettre en place les politiques adaptées, ou encore... quant aux technologies qui seront disponibles dans 20, 30 ou 40 ans. Et au final, le problème pour ces pays, c'est qu'ils ne savent pas quel va être le niveau de consommation de pétrole et de gaz à moyen et long terme. Et donc, ils ne savent pas quelles seront leurs recettes commerciales et budgétaires.

  • Nadia Maïzi

    En plus des incertitudes sur la mise en œuvre de cette décarbonation mondiale et le fait de ne pas savoir... par rapport à quelle trajectoire de consommation se positionner. Est-ce qu'il n'y a pas également des enjeux majeurs sur la pérennité des ressources propres en hydrocarbures de ces régions ?

  • Charlène Barnet

    Ces pays ont beaucoup d'autres incitations à anticiper et à s'adapter à cette situation. Tout d'abord, leurs ressources en hydrocarbures ne sont pas éternelles. Cela va se traduire soit par des ressources qui deviennent insuffisantes, dans certains cas, ou du moins toujours plus coûteuses et difficiles à extraire pour certains pays. Du côté ressources, on a aussi un autre problème, c'est que la consommation interne, donc consommation domestique de ces pays, évolue assez rapidement, ou du moins a évolué très rapidement ces dernières décennies. Et donc on se retrouve dans des situations où la consommation domestique pèse tellement qu'au final l'excédent de gaz ou de pétrole disponible pour l'exportation est réduit à peau de chagrin. Et ça va créer ce qu'on appelle un coup d'opportunité, c'est-à-dire que, en fait, toute goutte de pétrole ou unité de gaz qui est consommé en interne ne pourra pas être exporté et ne pourra donc pas générer de recettes commerciales ça c'est un autre problème donc on le voit par exemple pour le gaz en iran en plus de ça on a plein d'autres défis notamment sociétaux économiques donc par exemple il y a beaucoup de chômage donc ces pays ont tout intérêt et à essayer de trouver des façons de créer de l'emploi via de nouvelles filières industrielles par exemple on a aussi Une volonté de conserver une influence sur la scène énergétique mondiale, ou encore aussi une vraie volonté de participer à la lutte contre le réchauffement climatique.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce qu'on peut dire qu'il y a plusieurs facettes ? par rapport aux enjeux climatiques dans cette région. C'est-à-dire qu'il y aurait quelque part des opportunités et en même temps une position des pays en propre de la région qui n'est pas forcément extrêmement active par rapport à la question de la décarbonation.

  • Charlène Barnet

    Tout d'abord, il faut le rappeler quand même, que ces pays sont très durement impactés par le réchauffement climatique et donc ils ont bien conscience qu'ils sont concernés et qu'à long terme, ils ont tout intérêt à contribuer à la lutte globale contre le changement climatique. C'est une zone très aride et tend à le devenir encore plus. Oui,

  • Nadia Maïzi

    donc une prise de conscience de la zone avec un effet en termes de politique.

  • Charlène Barnet

    La prise de conscience du fait qu'ils dépendent trop des ventes de pétrole et de gaz n'est pas récente. Sur les dernières décennies, tous les pays exportateurs de pétrole et de gaz de la région ont, à un moment ou à un autre, publié une stratégie de diversification économique. C'est quoi la diversification économique ? L'idée, c'est de se dire, mais il faut qu'on produise et qu'on exporte d'autres biens en dehors du pétrole et du gaz, de façon à ce que notre budget et nos recettes d'exportation ne soient pas aussi dépendants aussi tributaires des cours mondiaux de l'énergie.

  • Nadia Maïzi

    Les Émirats Arabes Unis ont fait de l'accélération de la transition énergétique et de la réduction des émissions avant 2030 l'une de leurs quatre grandes priorités. Est-ce qu'il y a d'autres pays de la zone qui sont également aussi avancés dans leur volonté de sortir du pétrole et de diversifier leur économie ?

  • Charlène Barnet

    Beaucoup de pays de la zone ont des objectifs très ambitieux. en ce qui concerne la transition énergétique. Par exemple, l'Arabie saoudite vise 50% d'énergie renouvelable dans sa production d'électricité à l'horizon 2030. L'Égypte vient d'annoncer très récemment qu'elle visait désormais 60% d'énergie renouvelable en 2030. Pour l'Algérie, c'est 27% en 2035. Et on a beaucoup d'autres pays, notamment le Maroc ou encore la Jordanie, qui ont des objectifs tout aussi ambitieux. Certains pays... ont même déclaré viser la neutralité carbone à l'horizon 2050 ou 2060. Ce n'est pas l'ambition des objectifs qui manque, c'est plutôt la capacité à atteindre ces objectifs assez rapidement.

  • Nadia Maïzi

    Tu as des exemples de pays qui ont réussi cette diversification économique ?

  • Charlène Barnet

    Ceux qui ont le mieux réussi jusque-là sont les pays du Golfe, qui ont notamment, ces dernières années, Publier de nombreuses stratégies de diversification, appelées par exemple Vision 2030 pour l'Arabie Saoudite ou National Vision 2030 pour le Qatar. Des stratégies de diversification qui vont chercher à investir de nouveaux secteurs économiques, donc surtout le secteur de la finance, celui du tourisme, de l'immobilier, du sport. Et même si cette stratégie de diversification fonctionne plutôt bien pour ces pays... Le secteur pétrolier et le secteur gazier restent encore les principaux moteurs de croissance et de recette fiscale.

  • Nadia Maïzi

    À l'aune de cette diversification économique qui vise l'après-pétrole, comment on peut voir l'implication dans les grands programmes de développement de l'hydrogène, qui sont finalement des commandes des pays du Nord, qui ont mis l'hydrogène au cœur de leur stratégie pour... Leur politique de décarbonation.

  • Charlène Barnet

    L'hydrogène, ce n'est pas nouveau. L'hydrogène est utilisé aujourd'hui à l'échelle mondiale, et notamment dans la région MENA, pour des activités variées, telles que le raffinage du pétrole, dans l'industrie sidérurgique, ou encore pour la production d'ammoniaque, qui est utilisée pour la fabrication d'engrais. Cet hydrogène aujourd'hui est produit à partir de gaz naturel. Donc c'est un procédé très polluant, source de beaucoup d'émissions de gaz à effet de serre. Donc l'objectif, c'est de produire de l'hydrogène d'hiver à partir d'électricité renouvelable.

  • Nadia Maïzi

    Et est-ce qu'on peut relier ça avec les enjeux liés au changement climatique ou est-ce que c'est purement une stratégie économique ?

  • Charlène Barnet

    Ces pays-là, notamment les pays du Golfe et d'Afrique du Nord, vont chercher à faire de l'hydrogène. un nouveau produit énergétique exportable qui va leur permettre de garder leur place et une certaine influence dans la sphère énergétique et de générer de nouvelles recettes fiscales. Après, dans un second temps, l'hydrogène est vu aussi tout simplement comme un moyen de décarboner des secteurs qui sont très difficiles à décarboner. Par exemple, les activités de raffinage ou encore l'industrie sidérurgique ou la production d'ammoniaque. Mais c'est plus dans un second temps. L'objectif premier, ça va vraiment être de développer de nouveaux produits disponibles à l'exportation.

  • Nadia Maïzi

    Et donc, il y a des feuilles de route ambitieuses par rapport à cet enjeu ?

  • Charlène Barnet

    Oui. Par exemple, l'Arabie saoudite s'est fixée pour objectif de répondre à 10% de la demande mondiale d'hydrogène en 2030. L'Algérie, elle, veut répondre à 10% de la demande de l'Union européenne à l'horizon 2040. On a aussi des objectifs similaires pour les Émirats, Oman, le Qatar, le Maroc ou encore l'Égypte, qui veut se positionner en vrai hub énergétique pour la région. Et donc, de ce fait, on va voir beaucoup de partenariats se nouer entre les futurs pays importateurs, et notamment des pays européens, et les pays qui veulent se positionner comme étant producteurs-exportateurs. Et c'est pour ça qu'on va voir certains pays être très présents dans la région MENA. Par exemple, l'Allemagne va se positionner très clairement dans les pays du Maghreb autour de la thématique de l'hydrogène.

  • Nadia Maïzi

    Une nouvelle fois, on est plutôt dans la réponse à une attente de l'Union européenne que dans une politique propre de diversification. Comment tu vois l'avenir de cette région ?

  • Charlène Barnet

    On va avoir des pays qui vont se positionner clairement comme étant de futurs importateurs d'hydrogène. C'est le cas de l'Union européenne qui a déclaré qu'elle importerait 10 millions de tonnes d'hydrogène par an à l'horizon 2030. On a également les pays d'Asie du Sud-Est, notamment le Japon et la Corée du Sud, qui ont déclaré qu'ils seraient des importateurs à l'avenir. De nombreux pays de la Saône-Ména souhaitent saisir cette opportunité justement et devenir des producteurs-exportateurs d'hydrogène. Dans le domaine qui me concerne, c'est-à-dire les sciences économiques ou la technico-économie, ce que l'on observe... c'est que les travaux publiés s'attachent surtout à explorer les stratégies d'approvisionnement économiquement optimales, donc les moins chères, pour l'Europe, sans trop s'attacher aux conséquences de ces stratégies sur les systèmes énergétiques de la zone concernée. Un problème, par exemple, c'est que pour produire de l'hydrogène qui soit vert, donc de l'hydrogène d'iprop, il faut utiliser un procédé d'électrolyse de l'eau. Donc ce procédé va demander beaucoup d'eau. Or, on manque d'eau en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Tout cela, pour l'instant, c'est très peu quantifié, très peu pris en compte au final. Et donc, c'est ce que j'aimerais explorer un peu plus avec mon sujet de thèse.

  • Nadia Maïzi

    Quelles sont les raisons pour lesquelles cette région est devenue si attractive par rapport à ce vecteur particulier qu'est l'hydrogène ?

  • Charlène Barnet

    À l'origine, on s'intéresse beaucoup à cette région pour la production d'électricité dite verte, tout simplement parce qu'il y a énormément de soleil. et donc un potentiel d'installation de capacités solaires assez impressionnant, et beaucoup d'espaces, on va dire, non urbanisés, non artificialisés. Donc l'idée, ça va vraiment être de produire de l'électricité verte, donc décarbonée, pas chère, pour produire de l'hydrogène vert, donc décarboné, pas cher, et ensuite de l'exporter. Donc à l'origine, on voulait surtout exporter de l'électricité telle qu'elle. Mais c'est très compliqué d'un point de vue technique, parce qu'il faut des lignes à haute tension, traverser l'océan, etc. Alors que l'hydrogène serait un peu plus simple à transporter, soit sous forme liquide, soit via les pipelines existants, ou bien sous d'autres formes chimiques telles que l'ammoniaque. Un autre avantage que ces pays possèdent pour la production et l'exportation d'hydrogène, c'est qu'ils possèdent déjà des infrastructures gazières qui pourraient être adaptées pour le transport d'hydrogène. Donc des pipelines.

  • Nadia Maïzi

    Si on concilie tous les éléments que tu nous as expliqués, d'une part, on a une difficulté à envisager l'avenir puisqu'il y a une croissance de la consommation domestique. Et tu nous as parlé de ce coût d'opportunité qui consiste à arbitrer entre les exportations de gaz ou l'utilisation de gaz pour la production d'électricité dont la population a besoin. Et d'un autre côté, tu nous expliques que les ressources solaires qui ne sont pas encore exploitées, pourraient servir à exporter un autre vecteur qui va être l'hydrogène. Donc dans cette vision globale, je me demande comment la politique énergétique de ces pays va se décliner de manière favorable pour leurs propres enjeux liés au réchauffement climatique.

  • Charlène Barnet

    Il y a une petite contradiction apparente avec ces stratégies hydrogènes. Comme on l'a dit plus tôt, effectivement, ces pays ont un enjeu fort et urgent, c'est de décarboner leur production d'électricité existante. Et ce, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, pour réduire leur consommation interne de gaz et de pétrole, et donc pouvoir exporter ce même gaz et pétrole. Ensuite, tout simplement, d'un point de vue plus stratégique, pour diversifier leur production d'électricité. Ça, c'est, on va dire, un objectif qu'on retrouve dans plein de domaines. la diversification, c'est-à-dire ne pas mettre tous ces œufs dans le même panier. Et un autre objectif, c'est également, évidemment, la lutte contre le réchauffement climatique, donc participer à l'effort global. Et en fait, ces stratégies hydrogènes, en demandant l'installation de capacités renouvelables supplémentaires, va venir ajouter une difficulté aux objectifs de transition énergétique qui sont déjà énormes. Donc comme on l'a dit tout à l'heure, 90%... de l'électricité produite dans la région est aujourd'hui produite à partir de pétrole et de gaz. Donc le chemin à parcourir pour avoir un système qui émet moins de gaz à effet de serre est énorme. Et en plus de cet objectif de décarbonation du système électrique existant, on vient rajouter une nouvelle demande en énergie renouvelable qui va correspondre aux capacités dont on a besoin pour produire de l'hydrogène. Et donc ça va être un stress additionnel. une contrainte additionnelle sur les objectifs de décarbonation qui existent déjà.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que tu peux nous dire en quoi tu espères que les travaux que tu es en train de mener vont contribuer à éclairer ces enjeux régionaux qu'on comprend extrêmement complexes du fait des contradictions que tu as soulevées ?

  • Charlène Barnet

    Ce qui est bien, déjà, c'est qu'on voit dans le milieu de la recherche que beaucoup... de travaux émergent autour de cette question de l'hydrogène, notamment pour les pays de la région, ce qui n'était pas encore le cas il y a quelques années. Ce que j'aimerais donc faire avec mes travaux de recherche, c'est contribuer justement à toute cette émulation en observant un peu plus précisément l'impact des stratégies de production et d'exportation de ces pays sur leur système énergétique. C'est-à-dire regarder telle stratégie d'exportation, qu'est-ce qu'elle représente, en termes de capacité renouvelable à installer, supplémentaires pour le système énergétique, en termes d'électrolyseurs, en termes de consommation d'eau. Ce sont tous ces impacts sur les systèmes énergétiques que j'aimerais étudier. L'objectif, ça va vraiment être d'analyser la compatibilité entre, d'un côté, les objectifs de décarbonation et, de l'autre côté, les objectifs d'exportation d'hydrogène.

  • Nadia Maïzi

    Merci, Charlène. Je pense que cette contribution nous a permis de changer de point de vue. par rapport aux enjeux de la sortie des énergies fossiles.

  • Charlène Barnet

    Merci Nadia. J'espère vraiment que mes travaux permettront d'apporter un nouvel éclairage à ces enjeux de diversification économique et énergétique. Je serai ravie de revenir vous en parler lors d'un prochain podcast. C'était Planète en transition.

  • Nadia Maïzi

    Podcast de l'Institut TTI.5

Description

Lors de la COP28 aux Émirats arabes unis, les négociations climatiques ont conduit à l’adoption d’une décision politique finale qui mentionne un impératif de « transition vers l’abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques ». 


Les combustibles fossiles c’est-à-dire le gaz, le pétrole et le charbon sous toutes leurs formes, qui pèsent aujourd’hui pour 75% dans le bilan mondial des émissions de gaz à effet de serre. 


Cette décision a généré des réactions extrêmement contrastées qui témoignent de la disparité des points de vue : elle a désespéré les scientifiques, a déçu les représentants des régions les plus vulnérables et a généré une certaine inquiétude des pays qui dépendent intimement des hydrocarbures. Réconcilier ces points de vue c’est comprendre d’où ils viennent et c’est pourquoi nous vous proposons dans ce podcast de la planète en transition de plonger dans les enjeux de la région MENA (Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord).


Cet épisode est un dialogue entre Nadia Maïzi et Charlène Barnet, doctorante en 2e année de thèse au Centre de Mathématiques Appliquées de Mines Paris – PSL.


Pour approfondir :


  • Al-Maamary, H.M.S., Kazem, H.A., Chaichan, M.T., 2017. Climate change: The game changer in the Gulf Cooperation Council Region. Renewable and Sustainable Energy Reviews 76, 555–576. https://doi.org/10.1016/j.rser.2017.03.048

  • Crippa, M., Guizzardi, D., Schaaf, E., Monforti-Ferrario, F., Quadrelli, R., Risquez Martin, A., Rossi, S., Vignati, E., Muntean, M., Brandao De Melo, J., Oom, D., Pagani, F., Banja, M., Taghavi-Moharamli, P., Köykkä, J., Grassi, G., Branco, A., San-Miguel, J., 2023. GHG emissions of all world countries: 2023 (No. JRC134504). Joint Research Centre (European Commission), Publications Office of the European Union, LU.

  • Energy Institute, (2024), Statistical Review of World Energy 2024, 73rd edition

  • Fattouh, B., Sen, A., 2021. Economic Diversification in Arab Oil-Exporting Countries in the Context of Peak Oil and the Energy Transition, in: Luciani, G., Moerenhout, T. (Eds.), When Can Oil Economies Be Deemed Sustainable?, The Political Economy of the Middle East. Springer, Singapore, pp. 73–97. https://doi.org/10.1007/978-981-15-5728-6_5

  • IEA, 2023b. Global Hydrogen Review 2022. International Energy Agency, Paris.

  • IEA, 2023e. Renewable Hydrogen from Oman – A producer economy in transition (Analysis). International Energy Agency, Paris.

  • OPEC, 2023. World Oil Outlook 2023 (No. 2023). OPEC.

  • Razi, F., Dincer, I., 2022. Renewable energy development and hydrogen economy in MENA region: A review. Renewable and Sustainable Energy Reviews 168, 112763. https://doi.org/10.1016/j.rser.2022.112763



Planète en transition est un Podcast produit par The Transition Institute 1.5 et réalisé par Nadia Maïzi. 


Ingénieur du son : Mourad Louanchi

Moyens techniques : CHUUUT! FILMS

Music from #Uppbeat (free for Creators!):

https://uppbeat.io/t/danijel-zambo/fairytales 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Nadia Maïzi

    Planète en transition, le podcast de l'Institut TTI.5. Lors de la dernière conférence des partis, la COP 28, à Dubaï, aux Émirats Arabes Unis, les négociations climatiques ont conduit à l'adoption d'une décision politique finale remarquée qui mentionne un impératif de transition. vers l'abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques. Les combustibles fossiles, c'est-à-dire le gaz, le pétrole et le charbon, sous toutes leurs formes, pèsent aujourd'hui pour 75% dans le bilan mondial des émissions de gaz à effet de serre. Cette décision a généré des réactions extrêmement contrastées qui témoigne de la disparité des points de vue. Elle a désespéré les scientifiques, elle a déçu les représentants des régions les plus vulnérables et elle a généré une certaine inquiétude dans les pays qui dépendent intimement des hydrocarbures. Réconcilier ces points de vue, c'est comprendre d'où ils viennent. C'est pourquoi nous vous proposons, dans ce podcast Planète en transition, de plonger dans les enjeux d'une région celles du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Planète en transition, aujourd'hui avec...

  • Charlène Barnet

    Charlène Barnet, doctorante en deuxième année au sein du Centre de mathématiques appliquées de l'École des mines de Paris.

  • Nadia Maïzi

    Bonjour Charlène, une doctorante... C'est quelqu'un qui va se concentrer pendant trois ans sur un sujet particulier. Est-ce que tu peux nous éclairer sur ce que sera ce sujet pour toi ou ce qu'il est déjà ?

  • Charlène Barnet

    Bonjour Nadia. Donc l'objectif de mon travail de thèse, ça va être d'étudier les futurs énergétiques possibles d'une région particulière, la région MENA, parce que ces futurs énergétiques vont être étroitement liés aux émissions de gaz à effet de serre.

  • Nadia Maïzi

    Tu peux nous... Rappelez l'enjeu autour de ces émissions et nous expliquez pourquoi ils sont si importants dans la question du réchauffement climatique.

  • Charlène Barnet

    À la base, les gaz à effet de serre sont des gaz qui sont présents dans l'atmosphère terrestre et qui vont emprisonner les rayons du soleil, stabilisant ainsi la température à la surface de la planète à un niveau qui permette la vie. Donc ces gaz sont naturellement présents dans l'atmosphère. C'est par exemple le dioxyde de carbone ou la vapeur d'eau. Le problème, c'est que l'augmentation de leur concentration du fait des activités humaines va entraîner une intensification de cet effet de serre qui va à son tour déséquilibrer le climat tel que nous le connaissons.

  • Nadia Maïzi

    Et donc qui va susciter une augmentation de la température moyenne à la surface du globe qui est tout l'enjeu de nos discussions autour de la nécessité de limiter ce réchauffement à 1,5°C. par rapport à la température moyenne à la surface du globe à l'ère pré-industrielle. Tu nous as parlé également d'une région particulière qui serait la région MENA. Qu'est-ce que tu entends par MENA ? MENA,

  • Charlène Barnet

    c'est un acronyme qui signifie Middle East and North Africa. Donc on va trouver son équivalent français qui est M-O-A-N pour Moyen-Orient, Afrique du Nord. Donc là, je vais utiliser MENA tout simplement parce que dans la littérature scientifique que je lis, qui est souvent en anglais, c'est l'acronyme MENA qui est utilisé.

  • Nadia Maïzi

    Et alors, d'un point de vue géographique, à quoi ça correspond en termes de région ?

  • Charlène Barnet

    Alors la région MENA va débuter, si on prend l'Afrique du Nord, tout à l'ouest avec les pays du Maghreb, le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. Un peu plus à l'est, on va ensuite avoir deux autres pays d'Afrique du Nord, la Libye et l'Égypte. Encore plus à l'est, on va trouver les pays de ce que l'on appelle souvent le Proche-Orient. Donc Israël, les territoires palestiniens, la Jordanie, le Liban et la Syrie. Encore plus à l'est, à l'extrême est de la zone qui nous concerne aujourd'hui, on a l'Irak et l'Iran. Enfin, plus au sud, on trouve les pays de la péninsule arabique, donc les pays du Golfe, l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn, le Koweït, le Qatar et Oman, et le Yémen à l'extrême sud.

  • Nadia Maïzi

    Quand tu égrènes cette série de pays dans notre imaginaire, ils vont avoir une connotation, puisqu'on parle des émissions de gaz à effet de serre, pétrole, gaz. Est-ce que c'est quelque part la raison de ton intérêt pour ce périmètre ?

  • Charlène Barnet

    Quand on pense à cette région, on pense souvent à la production et l'exportation de pétrole. Si on prend la région dans sa globalité, Ce qu'il faut savoir, c'est que la majeure partie de l'électricité est produite à partir de gaz naturel. Ainsi, en 2021, on avait 90% de l'électricité de la région MENA qui était produite à partir de ressources fossiles. Si on prend l'Europe pour comparer, c'est un peu plus d'un tiers de l'électricité en Europe qui est produite à partir de ressources fossiles. Donc les ressources fossiles étant le gaz, le pétrole ou le charbon.

  • Nadia Maïzi

    Mais malgré tout, il me semble que dans la zone, il y a des disparités fortes entre les pays selon les ressources dont ils disposent. Donc est-ce que vraiment tous ces pays produisent leur électricité à partir de gaz ou de pétrole ?

  • Charlène Barnet

    Effectivement, il y a des disparités entre pays au sens où certains pays ont plus de ressources en pétrole et en gaz que d'autres. Et donc certains n'ont pas. ou très peu de ressources en pétrole et en gaz, notamment le Maroc, qui n'a pas du tout de ressources en hydrocarbures, et qui donc va avoir un peu plus d'énergie renouvelable dans son mix électrique. Donc le mix électrique, c'est les moyens de production électrique. La Jordanie aussi a plus d'énergie renouvelable et notamment de solaire. On a également l'Égypte qui a du gaz, mais qui produit également de l'électricité à partir du Nil, donc de l'hydroélectricité. Et on a par exemple l'Iran et les Émirats Arabes Unis qui vont avoir du nucléaire civil et vont performer un tout petit peu mieux que certains de leurs voisins. Mais même ces pays vont présenter un mix électrique encore très largement carboné malgré ces petits efforts en termes d'installation de capacités renouvelables.

  • Nadia Maïzi

    En fait, tu es en train de nous proposer une contre-intuition qui serait que c'est quelque part leur consommation propre. d'électricité qui va être responsable du caractère émissif de cette zone en particulier, ou il y a quand même les aspects production de ressources fossiles qui interviennent dans le bilan global ?

  • Charlène Barnet

    Si on prend un peu de hauteur et qu'on regarde les émissions domestiques totales de ces pays, donc les émissions domestiques totales, c'est les émissions liées aux biens et services qui sont produits sur le territoire ou dans la région que l'on étudie. Donc si on regarde ces émissions domestiques totales, on va effectivement s'apercevoir qu'il y a certains pays qui sont, entre guillemets, de gros émetteurs. Dans le top 10 mondial, on va trouver l'Iran et l'Arabie saoudite. Au niveau du continent africain, on va avoir l'Égypte et l'Algérie, qui sont de gros émetteurs et qui figurent dans le top 5 des pays émetteurs de ce continent.

  • Nadia Maïzi

    Et à titre de comparaison, est-ce que tu peux nous situer globalement la région par rapport à une région qu'on connaît mieux, qui est celle dans laquelle nous vivons, l'Europe ?

  • Charlène Barnet

    C'est toujours bien de comparer avec une autre région qui aurait une population à peu près équivalente. L'Europe, au sens continental du terme hors Russie, c'est environ 590 millions d'habitants. La région MENA, c'est 490 millions d'habitants. Donc on peut dire que ce sont des régions de taille comparable en termes de population. Si on les compare, elles vont avoir des émissions de gaz à effet de serre autour de 4 milliards de tonnes d'équivalent CO2 pour la région MENA et autour de 4,5 milliards de tonnes d'équivalent CO2 pour l'Europe.

  • Nadia Maïzi

    Donc en fait, on va se retrouver avec... Des populations comparables, des émissions comparables, qu'est-ce que ça nous dit en termes de niveau d'émission par habitant ? Parce qu'il me semble que les modes de vie, les modes de consommation sont quand même extrêmement différents entre l'Europe et la région Ménin.

  • Charlène Barnet

    Si on regarde les émissions par habitant, donc les émissions totales du territoire divisé par le nombre d'habitants de ce territoire, on va se rendre compte qu'à nouveau, Les niveaux d'émissions pour un Européen et pour un habitant de la région MENA sont comparables et vont se situer autour de 8 tonnes par habitant par an. Si on compare avec une autre région ou un autre pays, en l'occurrence les Etats-Unis, c'est 18 tonnes par habitant par an. Donc au final, un habitant de la zone MENA va émettre un peu plus qu'un Européen. Mais pas beaucoup plus. En revanche, on va lui associer beaucoup moins d'émissions que pour un Américain.

  • Nadia Maïzi

    Une moyenne qui est comparable à celle de l'Europe, mais est-ce que finalement, ça traduit une convergence en termes de mode de vie de l'ensemble des pays de la région ou des disparités ?

  • Charlène Barnet

    Si on prend la région MENA, et notamment les pays du Golfe, on va se rendre compte qu'il y a 5 des 6 pays du Golfe qui figurent parmi les 10 premiers pays. émetteurs au monde en termes d'émissions par habitant. A l'opposé, on va avoir d'autres pays, par exemple l'Algérie, la Tunisie, le Maroc ou la Syrie, qui vont se situer en dessous de la moyenne de la région MENA, voire même la moyenne mondiale. Et en fait, ces grandes disparités en termes d'émissions par habitant entre pays vont refléter des niveaux de vie très différents entre pays. Si on prend un autre indicateur, qui va bien illustrer cela, c'est la consommation d'électricité par habitant. On va prendre un pays du Golfe, le Qatar. La production d'électricité par habitant au Qatar est presque dix fois supérieure à celle de l'Algérie ou de la Tunisie. Donc on voit bien qu'entre pays de cette même région MENA, il y a d'énormes disparités qui vont refléter de grosses différences en termes de niveau de vie.

  • Nadia Maïzi

    Il y a un point qu'on a un peu perdu de vue, c'est cette question des ressources fossiles qui caractérisent un certain nombre de pays de la zone. Et finalement, dans les émissions dont tu nous parles, est-ce que c'est intégré en termes de niveau global d'émission ou est-ce que c'est un élément qui doit se rajouter à ces bilans que tu viens de nous présenter ?

  • Charlène Barnet

    Ce qu'il faut avoir en tête, c'est qu'ici, je parle des émissions territoriales par habitant. Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, ce sont les émissions totales liées aux biens et services produits sur un territoire donné, divisées par le nombre total d'habitants. Et donc, c'est à bien différencier avec l'empreinte carbone d'une personne, d'une entreprise ou d'un pays, qui va représenter la quantité de gaz à effet de serre engendrée par la demande de biens et de services. de ce pays, de cette personne ou de cette entreprise, qu'ils soient produits ou non dans le pays. Donc s'ils ne sont pas produits, c'est qu'ils sont importés. Et c'est là que ça devient intéressant, parce qu'en fait, si on regarde les émissions de gaz à effet de serre de la région MENA, on se rend compte que plus d'un quart de ces émissions sont issues des processus d'extraction, de transformation et de raffinage d'hydrocarbures. Or, ces produits pétroliers et gaziers ne sont pas consommer, du moins la majeure partie n'est pas consommée dans la région MENA, mais exportée à l'étranger pour y être consommée. Et donc, si on regarde l'empreinte carbone d'une personne qui habite en Europe et qui habite dans la région MENA, alors l'image peut être bien différente.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que maintenant tu peux nous raconter comment finalement l'existence de ces ressources a modelé ? les économies de cette région et quel est le modèle sous-jacent ?

  • Charlène Barnet

    Cette région va regrouper un nombre très important de pays producteurs et exportateurs de pétrole et de gaz. Des chiffres à avoir en tête, c'est par exemple la concentration de réserves de pétrole et de gaz au niveau de cette région. On a 60% des réserves de pétrole et 40% des réserves mondiales de gaz qui vont être concentrées au sein de la région. Moyen-Orient et Afrique du Nord. Si on regarde les exportations mondiales, c'est la moitié des exportations mondiales de pétrole et environ un cinquième des exportations mondiales de gaz qui proviennent de cette région. Et d'ailleurs, on va y trouver également une concentration de pays membres de l'organisation des pays exportateurs de pétrole que l'on entend plus souvent sous le nom de OPEP.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce qu'il y a une intersection réelle entre... cette région et cet ensemble de pays ?

  • Charlène Barnet

    Alors la région MENA, ce n'est pas réellement une région géographique qui correspond à un continent. Elle va s'étaler sur le continent africain et le continent asiatique. Et elle comprend, suivant la définition qu'on lui donne, qui va beaucoup dépendre de l'organisation internationale qui l'étudie, elle va comprendre environ 18 à 20 pays. Sur ces 18 à 20 pays, on en a 7 qui font partie. de l'OPEP, donc l'Algérie, la Libye, l'Arabie Saoudite, l'Irak, l'Iran, le Koweït, les Émirats. Mais on a également d'autres pays producteurs de pétrole et de gaz qui sont importants, ou du moins pas négligeables, mais qui ne vont pas forcément faire partie de l'OPEP. Donc on a par exemple l'Égypte, qu'on a déjà cité, mais aussi le Qatar, qui a fait à une époque partie de l'OPEP, mais qui l'a quitté.

  • Nadia Maïzi

    Donc on imagine que ces pays ont basé... leurs économies sur la production et le commerce de ces hydrocarbures et que ça va créer un certain blocage par rapport à l'idée d'une diversification à terme.

  • Charlène Barnet

    Le commerce d'hydrocarbures va représenter la majeure partie des recettes commerciales de ces pays, mais également de leurs recettes fiscales et donc de leurs produits intérieurs bruts. Si on prend l'exemple d'Oman, en 2020, La vente d'hydrocarbures représentait 60% des recettes d'exportation de cet État, 25% de son PIB et plus de 50% de ses recettes fiscales.

  • Nadia Maïzi

    Donc une très grande dépendance à ces produits hydrocarbures. Et j'imagine que dès qu'il y a un petit mouvement, un petit changement dans le niveau des prix, dans la situation mondiale, ça va avoir des répercussions dramatiques.

  • Charlène Barnet

    Si le prix de vente du pétrole et de gaz ou si les quantités vendues sur les marchés baissent, comme ça a par exemple été le cas pendant la crise du Covid-19, eh bien les recettes commerciales que ces pays vont générer vont baisser, et donc les recettes fiscales vont également chuter, et le PIB du pays exportateur va se contracter. Et cette situation est très problématique pour ces pays, parce qu'elle menace directement leur stabilité économique. et, in fine, leur stabilité politique et sociale.

  • Nadia Maïzi

    Sur la paix sociale, comment ces revenus sont utilisés ?

  • Charlène Barnet

    Ce qu'on voit, c'est que la manne issue du commerce des hydrocarbures est garante de la paix sociale et du niveau de vie de la population. Donc, si on cite un exemple simple, qui est celui de l'Algérie, on a par exemple le prix du sucre ou encore de l'huile de cuisson qui va être subventionné grâce aux recettes issues des exportations de gaz. De façon générale, le prix de l'énergie et notamment de l'électricité dans la zone est fortement subventionné grâce aux recettes issues de la vente de pétrole et de gaz.

  • Nadia Maïzi

    La dépendance aux hydrocarbures que tu évoques me fait m'interroger sur la résilience que ces pays vont avoir si le grand mouvement de lutte contre le réchauffement climatique se met en place au niveau mondial et son corollaire qui serait de limiter... L'appel aux ressources fossiles. Comment cette zone pourrait faire face à un mouvement qui serait dit de la décarbonation mondiale ?

  • Charlène Barnet

    L'objectif de lutte contre le réchauffement climatique qu'on a posé au niveau mondial, en fait, va créer beaucoup d'incertitudes pour les pays de la zone MENA. De l'incertitude quant au rythme de déploiement des énergies renouvelables à l'échelle mondiale, quant à la vitesse à laquelle les États vont mettre en place les politiques adaptées, ou encore... quant aux technologies qui seront disponibles dans 20, 30 ou 40 ans. Et au final, le problème pour ces pays, c'est qu'ils ne savent pas quel va être le niveau de consommation de pétrole et de gaz à moyen et long terme. Et donc, ils ne savent pas quelles seront leurs recettes commerciales et budgétaires.

  • Nadia Maïzi

    En plus des incertitudes sur la mise en œuvre de cette décarbonation mondiale et le fait de ne pas savoir... par rapport à quelle trajectoire de consommation se positionner. Est-ce qu'il n'y a pas également des enjeux majeurs sur la pérennité des ressources propres en hydrocarbures de ces régions ?

  • Charlène Barnet

    Ces pays ont beaucoup d'autres incitations à anticiper et à s'adapter à cette situation. Tout d'abord, leurs ressources en hydrocarbures ne sont pas éternelles. Cela va se traduire soit par des ressources qui deviennent insuffisantes, dans certains cas, ou du moins toujours plus coûteuses et difficiles à extraire pour certains pays. Du côté ressources, on a aussi un autre problème, c'est que la consommation interne, donc consommation domestique de ces pays, évolue assez rapidement, ou du moins a évolué très rapidement ces dernières décennies. Et donc on se retrouve dans des situations où la consommation domestique pèse tellement qu'au final l'excédent de gaz ou de pétrole disponible pour l'exportation est réduit à peau de chagrin. Et ça va créer ce qu'on appelle un coup d'opportunité, c'est-à-dire que, en fait, toute goutte de pétrole ou unité de gaz qui est consommé en interne ne pourra pas être exporté et ne pourra donc pas générer de recettes commerciales ça c'est un autre problème donc on le voit par exemple pour le gaz en iran en plus de ça on a plein d'autres défis notamment sociétaux économiques donc par exemple il y a beaucoup de chômage donc ces pays ont tout intérêt et à essayer de trouver des façons de créer de l'emploi via de nouvelles filières industrielles par exemple on a aussi Une volonté de conserver une influence sur la scène énergétique mondiale, ou encore aussi une vraie volonté de participer à la lutte contre le réchauffement climatique.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce qu'on peut dire qu'il y a plusieurs facettes ? par rapport aux enjeux climatiques dans cette région. C'est-à-dire qu'il y aurait quelque part des opportunités et en même temps une position des pays en propre de la région qui n'est pas forcément extrêmement active par rapport à la question de la décarbonation.

  • Charlène Barnet

    Tout d'abord, il faut le rappeler quand même, que ces pays sont très durement impactés par le réchauffement climatique et donc ils ont bien conscience qu'ils sont concernés et qu'à long terme, ils ont tout intérêt à contribuer à la lutte globale contre le changement climatique. C'est une zone très aride et tend à le devenir encore plus. Oui,

  • Nadia Maïzi

    donc une prise de conscience de la zone avec un effet en termes de politique.

  • Charlène Barnet

    La prise de conscience du fait qu'ils dépendent trop des ventes de pétrole et de gaz n'est pas récente. Sur les dernières décennies, tous les pays exportateurs de pétrole et de gaz de la région ont, à un moment ou à un autre, publié une stratégie de diversification économique. C'est quoi la diversification économique ? L'idée, c'est de se dire, mais il faut qu'on produise et qu'on exporte d'autres biens en dehors du pétrole et du gaz, de façon à ce que notre budget et nos recettes d'exportation ne soient pas aussi dépendants aussi tributaires des cours mondiaux de l'énergie.

  • Nadia Maïzi

    Les Émirats Arabes Unis ont fait de l'accélération de la transition énergétique et de la réduction des émissions avant 2030 l'une de leurs quatre grandes priorités. Est-ce qu'il y a d'autres pays de la zone qui sont également aussi avancés dans leur volonté de sortir du pétrole et de diversifier leur économie ?

  • Charlène Barnet

    Beaucoup de pays de la zone ont des objectifs très ambitieux. en ce qui concerne la transition énergétique. Par exemple, l'Arabie saoudite vise 50% d'énergie renouvelable dans sa production d'électricité à l'horizon 2030. L'Égypte vient d'annoncer très récemment qu'elle visait désormais 60% d'énergie renouvelable en 2030. Pour l'Algérie, c'est 27% en 2035. Et on a beaucoup d'autres pays, notamment le Maroc ou encore la Jordanie, qui ont des objectifs tout aussi ambitieux. Certains pays... ont même déclaré viser la neutralité carbone à l'horizon 2050 ou 2060. Ce n'est pas l'ambition des objectifs qui manque, c'est plutôt la capacité à atteindre ces objectifs assez rapidement.

  • Nadia Maïzi

    Tu as des exemples de pays qui ont réussi cette diversification économique ?

  • Charlène Barnet

    Ceux qui ont le mieux réussi jusque-là sont les pays du Golfe, qui ont notamment, ces dernières années, Publier de nombreuses stratégies de diversification, appelées par exemple Vision 2030 pour l'Arabie Saoudite ou National Vision 2030 pour le Qatar. Des stratégies de diversification qui vont chercher à investir de nouveaux secteurs économiques, donc surtout le secteur de la finance, celui du tourisme, de l'immobilier, du sport. Et même si cette stratégie de diversification fonctionne plutôt bien pour ces pays... Le secteur pétrolier et le secteur gazier restent encore les principaux moteurs de croissance et de recette fiscale.

  • Nadia Maïzi

    À l'aune de cette diversification économique qui vise l'après-pétrole, comment on peut voir l'implication dans les grands programmes de développement de l'hydrogène, qui sont finalement des commandes des pays du Nord, qui ont mis l'hydrogène au cœur de leur stratégie pour... Leur politique de décarbonation.

  • Charlène Barnet

    L'hydrogène, ce n'est pas nouveau. L'hydrogène est utilisé aujourd'hui à l'échelle mondiale, et notamment dans la région MENA, pour des activités variées, telles que le raffinage du pétrole, dans l'industrie sidérurgique, ou encore pour la production d'ammoniaque, qui est utilisée pour la fabrication d'engrais. Cet hydrogène aujourd'hui est produit à partir de gaz naturel. Donc c'est un procédé très polluant, source de beaucoup d'émissions de gaz à effet de serre. Donc l'objectif, c'est de produire de l'hydrogène d'hiver à partir d'électricité renouvelable.

  • Nadia Maïzi

    Et est-ce qu'on peut relier ça avec les enjeux liés au changement climatique ou est-ce que c'est purement une stratégie économique ?

  • Charlène Barnet

    Ces pays-là, notamment les pays du Golfe et d'Afrique du Nord, vont chercher à faire de l'hydrogène. un nouveau produit énergétique exportable qui va leur permettre de garder leur place et une certaine influence dans la sphère énergétique et de générer de nouvelles recettes fiscales. Après, dans un second temps, l'hydrogène est vu aussi tout simplement comme un moyen de décarboner des secteurs qui sont très difficiles à décarboner. Par exemple, les activités de raffinage ou encore l'industrie sidérurgique ou la production d'ammoniaque. Mais c'est plus dans un second temps. L'objectif premier, ça va vraiment être de développer de nouveaux produits disponibles à l'exportation.

  • Nadia Maïzi

    Et donc, il y a des feuilles de route ambitieuses par rapport à cet enjeu ?

  • Charlène Barnet

    Oui. Par exemple, l'Arabie saoudite s'est fixée pour objectif de répondre à 10% de la demande mondiale d'hydrogène en 2030. L'Algérie, elle, veut répondre à 10% de la demande de l'Union européenne à l'horizon 2040. On a aussi des objectifs similaires pour les Émirats, Oman, le Qatar, le Maroc ou encore l'Égypte, qui veut se positionner en vrai hub énergétique pour la région. Et donc, de ce fait, on va voir beaucoup de partenariats se nouer entre les futurs pays importateurs, et notamment des pays européens, et les pays qui veulent se positionner comme étant producteurs-exportateurs. Et c'est pour ça qu'on va voir certains pays être très présents dans la région MENA. Par exemple, l'Allemagne va se positionner très clairement dans les pays du Maghreb autour de la thématique de l'hydrogène.

  • Nadia Maïzi

    Une nouvelle fois, on est plutôt dans la réponse à une attente de l'Union européenne que dans une politique propre de diversification. Comment tu vois l'avenir de cette région ?

  • Charlène Barnet

    On va avoir des pays qui vont se positionner clairement comme étant de futurs importateurs d'hydrogène. C'est le cas de l'Union européenne qui a déclaré qu'elle importerait 10 millions de tonnes d'hydrogène par an à l'horizon 2030. On a également les pays d'Asie du Sud-Est, notamment le Japon et la Corée du Sud, qui ont déclaré qu'ils seraient des importateurs à l'avenir. De nombreux pays de la Saône-Ména souhaitent saisir cette opportunité justement et devenir des producteurs-exportateurs d'hydrogène. Dans le domaine qui me concerne, c'est-à-dire les sciences économiques ou la technico-économie, ce que l'on observe... c'est que les travaux publiés s'attachent surtout à explorer les stratégies d'approvisionnement économiquement optimales, donc les moins chères, pour l'Europe, sans trop s'attacher aux conséquences de ces stratégies sur les systèmes énergétiques de la zone concernée. Un problème, par exemple, c'est que pour produire de l'hydrogène qui soit vert, donc de l'hydrogène d'iprop, il faut utiliser un procédé d'électrolyse de l'eau. Donc ce procédé va demander beaucoup d'eau. Or, on manque d'eau en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Tout cela, pour l'instant, c'est très peu quantifié, très peu pris en compte au final. Et donc, c'est ce que j'aimerais explorer un peu plus avec mon sujet de thèse.

  • Nadia Maïzi

    Quelles sont les raisons pour lesquelles cette région est devenue si attractive par rapport à ce vecteur particulier qu'est l'hydrogène ?

  • Charlène Barnet

    À l'origine, on s'intéresse beaucoup à cette région pour la production d'électricité dite verte, tout simplement parce qu'il y a énormément de soleil. et donc un potentiel d'installation de capacités solaires assez impressionnant, et beaucoup d'espaces, on va dire, non urbanisés, non artificialisés. Donc l'idée, ça va vraiment être de produire de l'électricité verte, donc décarbonée, pas chère, pour produire de l'hydrogène vert, donc décarboné, pas cher, et ensuite de l'exporter. Donc à l'origine, on voulait surtout exporter de l'électricité telle qu'elle. Mais c'est très compliqué d'un point de vue technique, parce qu'il faut des lignes à haute tension, traverser l'océan, etc. Alors que l'hydrogène serait un peu plus simple à transporter, soit sous forme liquide, soit via les pipelines existants, ou bien sous d'autres formes chimiques telles que l'ammoniaque. Un autre avantage que ces pays possèdent pour la production et l'exportation d'hydrogène, c'est qu'ils possèdent déjà des infrastructures gazières qui pourraient être adaptées pour le transport d'hydrogène. Donc des pipelines.

  • Nadia Maïzi

    Si on concilie tous les éléments que tu nous as expliqués, d'une part, on a une difficulté à envisager l'avenir puisqu'il y a une croissance de la consommation domestique. Et tu nous as parlé de ce coût d'opportunité qui consiste à arbitrer entre les exportations de gaz ou l'utilisation de gaz pour la production d'électricité dont la population a besoin. Et d'un autre côté, tu nous expliques que les ressources solaires qui ne sont pas encore exploitées, pourraient servir à exporter un autre vecteur qui va être l'hydrogène. Donc dans cette vision globale, je me demande comment la politique énergétique de ces pays va se décliner de manière favorable pour leurs propres enjeux liés au réchauffement climatique.

  • Charlène Barnet

    Il y a une petite contradiction apparente avec ces stratégies hydrogènes. Comme on l'a dit plus tôt, effectivement, ces pays ont un enjeu fort et urgent, c'est de décarboner leur production d'électricité existante. Et ce, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, pour réduire leur consommation interne de gaz et de pétrole, et donc pouvoir exporter ce même gaz et pétrole. Ensuite, tout simplement, d'un point de vue plus stratégique, pour diversifier leur production d'électricité. Ça, c'est, on va dire, un objectif qu'on retrouve dans plein de domaines. la diversification, c'est-à-dire ne pas mettre tous ces œufs dans le même panier. Et un autre objectif, c'est également, évidemment, la lutte contre le réchauffement climatique, donc participer à l'effort global. Et en fait, ces stratégies hydrogènes, en demandant l'installation de capacités renouvelables supplémentaires, va venir ajouter une difficulté aux objectifs de transition énergétique qui sont déjà énormes. Donc comme on l'a dit tout à l'heure, 90%... de l'électricité produite dans la région est aujourd'hui produite à partir de pétrole et de gaz. Donc le chemin à parcourir pour avoir un système qui émet moins de gaz à effet de serre est énorme. Et en plus de cet objectif de décarbonation du système électrique existant, on vient rajouter une nouvelle demande en énergie renouvelable qui va correspondre aux capacités dont on a besoin pour produire de l'hydrogène. Et donc ça va être un stress additionnel. une contrainte additionnelle sur les objectifs de décarbonation qui existent déjà.

  • Nadia Maïzi

    Est-ce que tu peux nous dire en quoi tu espères que les travaux que tu es en train de mener vont contribuer à éclairer ces enjeux régionaux qu'on comprend extrêmement complexes du fait des contradictions que tu as soulevées ?

  • Charlène Barnet

    Ce qui est bien, déjà, c'est qu'on voit dans le milieu de la recherche que beaucoup... de travaux émergent autour de cette question de l'hydrogène, notamment pour les pays de la région, ce qui n'était pas encore le cas il y a quelques années. Ce que j'aimerais donc faire avec mes travaux de recherche, c'est contribuer justement à toute cette émulation en observant un peu plus précisément l'impact des stratégies de production et d'exportation de ces pays sur leur système énergétique. C'est-à-dire regarder telle stratégie d'exportation, qu'est-ce qu'elle représente, en termes de capacité renouvelable à installer, supplémentaires pour le système énergétique, en termes d'électrolyseurs, en termes de consommation d'eau. Ce sont tous ces impacts sur les systèmes énergétiques que j'aimerais étudier. L'objectif, ça va vraiment être d'analyser la compatibilité entre, d'un côté, les objectifs de décarbonation et, de l'autre côté, les objectifs d'exportation d'hydrogène.

  • Nadia Maïzi

    Merci, Charlène. Je pense que cette contribution nous a permis de changer de point de vue. par rapport aux enjeux de la sortie des énergies fossiles.

  • Charlène Barnet

    Merci Nadia. J'espère vraiment que mes travaux permettront d'apporter un nouvel éclairage à ces enjeux de diversification économique et énergétique. Je serai ravie de revenir vous en parler lors d'un prochain podcast. C'était Planète en transition.

  • Nadia Maïzi

    Podcast de l'Institut TTI.5

Share

Embed

You may also like

undefined cover
undefined cover