Speaker #1C'est vrai que quand tu dis symbolique, je me dis que cette photo n'est pas symbolique de mon travail. Néanmoins, elle est importante pour moi parce qu'elle représente un moment de bascule entre peut-être dix années de pratique avec des sujets toujours un peu les mêmes. Et l'après, parce que ça a été aussi un changement de vie, de centre d'intérêt. C'est une photo qui s'appelle Autoportrait face à la mer de glace que j'ai prise en 2023, où je suis allée à Chamonix et en me rapprochant du glacier. J'ai eu envie de faire un autoportrait face à ce glacier qui se meurt. C'est assez visible quand on descend du train de la gare du Mont-en-Vert. Donc j'ai enlevé le haut, je suis descendue un peu plus bas, il n'y avait pas tous les touristes, je ne l'ai pas fait à l'endroit critique. Je suis descendue un petit peu et à un moment il n'y avait plus personne en fait. Et puis c'était en automne je crois, donc déjà il y avait moins de gens. C'est une photo où je surplombe un peu ce glacier. C'est presque comme si j'étais à la même hauteur que les montagnes autour. J'ai les mains dans les cheveux, donc j'ai enlevé le haut. J'ai un petit bout de legging, on ne comprend pas trop ce que c'est ce bas. Je n'ai pas fait beaucoup de photos. J'avais une pellicule de photos plutôt de vacances et celle-ci déclinée sur trois. En fait, c'est marrant parce que c'est une photo qui est, je pense, assez douce. Presque un peu mélancolique, avec une forme d'érotisme qui est, je pense, assez étrangère à mon travail. En tout cas celui que les gens connaissent, où tout est assez frontal, très affirmé, avec aucune zone trouble, je dirais. Enfin, pour moi, c'est mon interprétation de ce que je fais. Alors que celle-ci, je trouve qu'il y a vraiment un truc un peu plus mystérieux, plus sensuel, et puis je pense aussi plus étonnant de pourquoi ce nu... Face à un glacier qui est, si on connaît un peu l'univers des montagnes, on reconnaît le glacier de la mer de glace puisqu'il est quand même assez particulier dans sa forme. Je m'appelle Romy Alizé et je suis photographe, performeuse, autrice. et je fais un petit peu de radio. Je pense déjà à ce qui est particulier dans mon parcours, c'est que je dis souvent que je suis autodidacte, mais c'est le cas. J'ai arrêté l'école après le bac et malgré quelques tentatives d'entrer dans des écoles d'art, mais quand même plus tard dans ma vie, où j'ai été refusée, finalement je ne me suis jamais retrouvée sur les bancs d'une école. Et c'est quelque chose qui, je trouve, détermine... Aussi pas mal la façon dont mon parcours s'écrit. Alors la raison première pour laquelle je n'ai pas poursuivi mes études après le bac, ce qui est assez dommage parce que j'étais quand même bonne élève, c'est un problème d'orientation au lycée, du fait d'être dans une famille monoparentale avec une maman qui a arrêté l'école jeune aussi et qui n'avait pas du tout les codes pour m'orienter. pas forcément d'ailleurs dans un... une école d'art, mais parce que je pense que déjà, je ne voulais pas faire de l'art à cette époque-là. Moi, je voulais être comédienne ou réalisatrice. Et en fait, tout ça, ça se passait à Paris. Et à ce moment-là, c'était... Ça n'existait même pas dans notre imaginaire à la maison, parce que ça voulait dire de l'argent, et de l'argent on n'en avait pas. Et l'idée de faire un prêt, même étudiant, ça mettait ma mère en PLS. Donc même moi j'avais grandi avec cette idée que faire un prêt, c'était partir mal dans la vie parce qu'il fallait le rembourser. Et bref, donc j'ai arrêté, je suis allée à la fac publique de Nantes. ça a été À la fois un échec et en même temps, plus ou moins une année intéressante parce que j'ai beaucoup lu. J'étais en lettres modernes, j'allais beaucoup au cinéma. À un moment, j'ai arrêté d'aller à la fac, j'ai pris une carte illimitée, j'ai eu le GC. Et j'allais, je ne sais pas, quatre fois par jour au cinéma avec un copain. Et je me suis fait une culture ciné sur ces années-là. Mais ouais, il y a, je pense... C'est la galère, je dirais, dans le sens où il y a quand même toute une partie de réseau qu'on ne fait pas. Il y a tous les codes d'une scène, que ce soit art contemporain, photographie contemporaine, qu'on va un peu apprendre sur le tard et sur le tas. Et puis des années quand même qui s'écoulent. Je vois bien, ce n'est pas forcément que je suis si en retard que ça, mais il y a des moments où je me dis, putain, c'est... con quand même de ne pas avoir un peu été poussée. Bref, c'est comme ça. Donc, on ne peut pas réécrire son histoire, mais malgré tout, je suis arrivée à l'art d'une façon peut-être moins linéaire que plein d'autres artistes. Et surtout, moi, surprenante, parce que je suis passée par l'activité de modèle photo avant de faire de la photographie. Presque comme quand je voulais être comédienne, alors qu'en réalité, j'avais J'avais sûrement plus envie de réaliser des films, c'est-à-dire de penser à des... J'avais des envies d'esthétique, d'histoire. Mais être celle qui va appliquer ce qu'on lui dit était peut-être plus réalisable. D'où Modèle Photo. Très facile, j'arrive à Paris, finalement, pour faire une école de théâtre à l'âge de 20 ans. Une chance dans le drame. Mes grands-parents décèdent quasiment en même temps. Et ma maman, elle a eu un tout petit peu de sous. Et je l'ai implorée de m'aider à payer une école. Et à un moment, elle m'a dit « Bon, d'accord, mais il faut que tu travailles. » Donc, je suis arrivée à Paris, août 2010. En une semaine, j'avais déposé je ne sais pas combien de CV, j'avais un job. Et puis, je suis allée dans cette école qui a été assez chaotique au final. Il y a quelque chose qui est sûrement inhérent au genre, de ne pas se voir à des places plus ambitieuses que notre genre ne le permet. C'est une question d'imaginaire. Je pense que pour des jeunes filles, on se voit plus actrice et chanteuse que cinéaste. Et bon, photographe, moi j'avoue, je n'avais aucun lien à la photographie. Il n'y a pas un truc familial qui m'y a particulièrement poussée. Mais, effectivement, j'avais envie d'être regardée, j'avais envie d'être une fille des magazines parce que je voyais de l'émancipation. Et de l'émancipation de mon milieu familial, de l'émancipation aussi par rapport à mon corps. Donc, dans mon enfance et adolescence, j'ai subi beaucoup de remarques de la part des hommes de ma famille sur mon physique très, très dur, qui me, comment dire, qui me retirait presque la féminité de ma personne. Et c'est ce qui fait que j'ai voulu devenir une espèce de, je ne vais pas dire sex-symbole, mais que j'avais envie de poser nue et d'être ce genre de fille très sexualisée, provocatrice. Parce que c'était un moyen déjà d'affirmer que si j'étais aussi un être désirable et d'exister tout court. Il y a eu un enjeu là-dessus qui fait que je suis arrivée à Paris avec mon chat en me disant je vais être actrice. Et je vais contacter des photographes pour poser. Parce que je ne comprenais pas pourquoi pendant toute ma vie on m'avait dit que j'étais moche et grosse. alors que je trouvais que je n'étais pas pire qu'une autre. Donc bon, je suis arrivée avec ces envies-là. J'ai rencontré des photographes très rapidement, puisqu'il y avait un site qui s'appelait book.fr, qui existe peut-être encore aujourd'hui, sur lequel j'avais mis deux, trois photos que j'avais pu faire quand j'étais à Nantes, avec des copains. Et j'ai rencontré donc pléthore de photographes sur beaucoup d'années. J'ai posé pendant cinq ans, de façon bénévole. Je pense que j'ai été payée dix fois en tout. Donc c'était vraiment... C'est-à-dire que la question de l'argent est... Elle n'existait même pas alors que j'étais quand même assez précaire. Jamais je me suis dit que je pouvais en tirer aussi profit. J'avais presque l'impression que les photographes me faisaient une faveur dans le fait de me photographier. J'ai même subi de la grossophobie dans ce milieu-là, alors que je n'ai jamais été très grosse non plus. Donc tout ça a fait qu'à un moment, au bout de cinq ans, j'ai beaucoup appris en regardant, mine de rien, ces photographes travailler. Il y avait du bon comme du moins bon. Beaucoup de photographes qui utilisaient des techniques anciennes, avec qui j'ai pu essayer des petites choses. Ce n'est pas forcément... Enfin, ça ne veut pas dire que c'est de cette façon-là que je travaille moi maintenant. Néanmoins, j'ai eu un aperçu. J'avais une idée assez précise de ce que je voulais faire. Je pense qu'il y a des photographes qui n'étaient pas forcément terribles, mais où il y avait une question de réseau. Je me disais que ça allait me faire rencontrer. Et puis, quand t'es modèle photo, tu dois étoffer ton book régulièrement. Et donc, mais oui, j'avais des envies assez précises. Je m'étais dit, je voudrais poser pour Richard Kern. Bon, a priori, pas très accessible, tu vois. Mais un jour, je lui ai écrit et il passait à Paris et on a fait des photos ensemble. Bon, la séance, c'était assez ennuyeux. Mais tu vois, je pouvais quand même avoir cette espèce de truc de... À la fois, je vois bien que je ne corresponde pas au type de fille qui va photographier, mais c'est son jamais. J'écris et puis des fois, je précisais, je disais, je ne suis pas complètement mince, mais ça ne m'empêchait pas de le faire. Et j'étais très fan du travail de Gilles Berquet, qui était un photographe de photographie sur le fétichisme, je dirais, qui a des années de travail derrière lui, donc dans une catégorie de photographie très particulière, mais qui est un peu par là où moi, je suis arrivée. qui a un côté aussi très, très dark, presque dire gothique. Moi, j'étais gothique toute mon adolescence, donc je suis aussi arrivée à l'art par ces références-là. Et donc lui, pareil, je lui avais écrit et j'ai posé pour lui. C'était une super séance qui m'avait donné vraiment confiance en moi. Puis au bout de cinq ans, il y a eu son lot aussi d'agressions. Il y a un photographe que j'ai envoyé au tribunal. Donc quand même un parcours... Tu vois, je n'aurais plus arrêté 45 fois, mais ça a conduit à ce qu'un jour, je prenne l'appareil photo d'un photographe, je le photographie, travesti. Avec son consentement, évidemment, il m'avait dit « vas-y, fais des photos, en fait, t'as envie » , et ça a été le déclencheur. Et après, j'ai pu arrêter. On a l'impression que mon rapport a... Ma première relation à la photo, elle est liée à un besoin, à une petite faille narcissique d'ado qui se rêve un peu célébrité dans sa petite chambre en Vendée. Mais le fait quand même d'avoir des idoles comme je l'avais, d'être obsédée par les magazines parce que c'est là où on trouvait des images, mais aussi les livres de cinéma, d'aimer autant en fait l'image, bien que ce ne soit pas venu de ma famille ou de... ou d'un adulte proche, ou quoi que ce soit. C'est quand même quelque chose que moi, j'ai cherché. Je trouve que, enfin, c'est pas à mettre de côté non plus. Des fois, on me demande, mais c'est quoi ton premier souvenir de photo ? Et je dis, la fois où j'ai demandé à ma maman de m'acheter un appareil photo jetable, parce qu'on allait au concert de Laurie, à la Roche-sur-Yon, et que moi, le graal pour moi, c'était d'avoir des photos originales de Laurie que j'aurais prises. Donc j'y suis allée, je l'ai attendue une heure. Et quand elle est arrivée, derrière un portail, j'ai shooté tout l'appareil. Tout, tout l'appareil. Et ça, pour moi, c'était parce que je collectionnais évidemment toutes les photos que je trouvais d'elle. J'ai fait la même chose avec Britney Spears, avec la série Buffy. Sauf que bon, c'est des personnes que je n'ai jamais pu voir en vrai. Et on a déposé ce petit appareil photo au Super U. Et deux jours après, la dame nous appelle et dit, il y a eu un problème. Il n'y a rien sur les photos. Je crois qu'il n'y a jamais eu le flash. Et je peux t'assurer que j'ai fait une crise de larmes monumentale. Et effectivement, j'avais récupéré quand même tous les petits tirages en 10-15. Et puis, cette question de le flash que je n'ai jamais mis, mais bon, j'avais, je ne sais pas, 8 ans. Et qui est si présent dans mon travail maintenant. Un peu comme un truc de, cette fois, je mets le flash. Et je trouve que c'est la première fois que j'ai eu un appareil où j'ai fait des photos. Parce qu'avant, ce n'était pas moi qui... Enfin, je m'en foutais de la photo. Par contre, photographier, l'ORI, c'était... Donc tu vois ce rapport à la photo. Et je commandais des photos sur Internet, je commandais des photos de mes stars dédicacées, j'en avais partout chez moi. J'ai quand même grandi en tournée d'images, je faisais des magazines de photos de stars, de mode aussi. À un moment, je me suis abonnée à Vogue, je ne sais pas, vers 12 ans. Et donc il y avait des fresques de photos de mode. Ce qui est du coup une éducation à la photographie, sauf qu'on sent la compréhension. de cette éducation à l'image. Il n'y a pas de prof qui te dit, voilà, machin, mais bon, j'avais quand même des photos de grands photographes de mode chez moi, donc ça habitue le regard à une façon de cadrer, à qu'est-ce qu'on peut mettre dans une photographie, qu'est-ce qu'on peut raconter, et je pense que ça m'a servi à me lancer. Mon amie de l'époque, qui elle avait fait les beaux-arts, m'avait parlé de Nan Goldin. Je ne connaissais pas du tout ce nom. Elle m'avait dit, elle me fait penser à toi, vous avez les cheveux frisés, il faut que tu regardes. Et c'est vrai que ça a été, je pense, son travail m'a parlé. Et je ne connaissais pas du tout ce genre de photographie. Donc Nan Goldin, elle est importante aussi parce qu'il y a un rapport affectif. C'est la première artiste qu'on m'a présentée en me disant, intéresse-toi à elle, regarde ce qu'elle a fait, ça va ouvrir aussi le champ des possibles pour toi. Et ça me sortait de cette photo de nue, très modèle, face à un photographe. Et donc clairement, ça a trop marché. En plus, ce que j'ai commencé à faire comme style de photo, c'était très journal intime, mes proches, ma jeune vie déglinguée qu'à la vingtaine à Paris. Donc ouais, c'était assez important, son travail. Et donc Nan Goldin, là, hop, ok, je comprends un peu pourquoi j'ai photographié les gens avec qui je couche ou moi, après des ruptures, qui est tout un pan de mon travail, que je mettais sur Tumblr, mais qui depuis est vraiment rangé dans des petites boîtes et que peut-être un jour je ressortirai, je ne sais pas, parce que j'ai beaucoup d'affection pour ce que j'ai fait dans mes premiers essais photos. Et après, j'ai commencé à faire plus d'expositions. en arrivant à Paris de façon plus consciente, à rencontrer juste des photographes. Mais tout ça a pris un temps phénoménal par rapport à quelqu'un qui irait en école de photo à 18 ans. C'est en ça que je voulais dire qu'il y a toujours un petit côté galère à être autodidacte. C'est qu'à un moment, on va te parler de quelqu'un et tu te dis, pourquoi on ne m'a pas parlé de cet artiste il y a 10 ans ? J'aurais compris des choses ou ça m'aurait même juste poussé à continuer au lieu d'avoir l'impression d'être, je ne sais pas... Un peu folding. La rencontre avec les performeuses comme Marina Abramovic, Vallée Export, qui en fait ont beaucoup de travaux photographiques qui sont liés à leur performance. Ça a été une plus grosse inspiration pour mon travail à moi, étonnamment. Je ne pense pas qu'elles soient... On dit qu'elles sont photographes. Il y en a beaucoup, je pense, qui étaient photographiées par d'autres personnes pendant leur perf. Mais il y en a qui ont aussi utilisé la photographie comme médium. Dans le cadre de leur performance, je pense à cette photo de Valie Export où elle a un flingue et une ouverture au niveau du sexe. C'est une photo ultra forte pour moi et qui me donne une espèce de feu vert aussi à aller là où j'ai envie d'aller en photographie. Et voilà, tu vois, la performance, l'art performatif m'a peut-être plus aidée que l'histoire de la photographie ou la photographie. La première phase de photographie, c'est une forme de journal intime, avec une envie, à cet âge-là, de choses très brutes, pas du tout sensuelles, pas vraiment de... Tout sauf des photos léchées. Et ça, c'est une réaction aux années de modèles photos, où en général, il fallait performer une féminité, c'était beaucoup de filles très bien foutues, il fallait cambrer les fesses, avoir les seins qui pointent, etc. Donc au moment où moi je prends l'appareil photo, je veux tout l'inverse. Je fais des autoportraits de moi le matin, ou il y en a un que j'adore où c'est un lendemain de rupture. Et je regarde toujours la caméra, d'ailleurs, avec un air triste comme peut l'être une jeune fille de 23 ans ou 22 ans. Je prenais en photo tous les gens de mon milieu, des copines qui étaient modèles, mais que je faisais d'un coup poser pas du tout comme les autres. Donc je leur disais, cambre pas, pose pas. ne minaudent pas des garçons, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup de garçons, des garçons qui étaient ceux avec qui je couchais ou pas, que des fois j'abordais dans la rue parce que j'étais déjà assez consciente du fait que en tant que modèle, j'avais rencontré que des meufs et que je ne trouvais pas de photos de garçons nus alors que dans la communauté gay, il y en avait. Je le savais bien parce que j'allais à la librairie les mots à la bouche. pour acheter des bouquins. En gros, c'est des gays par des gays, mais des photos super pornos. Et je trouvais ça super. Mais déjà, il n'y avait pas l'équivalent pour les lesbiennes. Mais surtout, je ne voyais pas ça pour d'éventuels... Je ne sais pas, pour des gens hétéros, c'est un peu débile de dire ça comme ça. Mais de photographes femmes qui photographiaient des mecs nus. Donc, je pense, dans mes archives, beaucoup plus de photos de garçons nus, des photos assez... bornes. Et après, je me suis... Il y a eu une autre phase, je suis allée un peu plus dehors, parce que tout ça, c'était chez moi, sur mon lit. Quasiment tout est fait dans un appart qui était encore plus petit que celui de maintenant. Je crois que c'était 18 mètres carrés. Et donc ensuite, je suis un peu sortie. J'ai commencé à faire d'autres formes de nus en extérieur. Peut-être là, il y avait un truc plus urbain. Peut-être une tendance de l'époque où je voulais, je ne sais pas, documenter une forme de vie un peu... éparpillée entre des moments de teuf, mais pas que, des moments entre copines, etc. Mes premiers pas aussi dans la scène queer ou plutôt à l'époque lesbienne. Et puis, pareil, ça a eu une fin. Déjà, c'est des travaux que je montrais que sur Tumblr. J'avais aucune conscience du fait de devoir faire des séries, éventuellement candidater à des prix, des choses comme ça. Donc, une fois que j'avais mis mes photos sur Tumblr, je passais un peu à autre chose. Et puis, un jour, j'avais quand même commencé à faire des photos sur fond blanc chez moi avec le flash. Pas par hasard, parce que j'ai toujours aimé le flash. Mais bref, un jour, je suis avec un copain et je lui dis, je vais faire un autoportrait. Peut-être mets-toi sur le lit et moi, je viens et je fais un face-sitting. Et puis voilà, je fais cette photo. C'est vrai que c'est une photo marquante, je pense, pour moi. Et peut-être... Celle qui a un peu lancé, entre gros guillemets, mon travail. Parce que j'ai un regard caméra, parce que la pose est très, à la fois affirmée, mais avec une moue légèrement boudeuse. Enfin bref, c'est quand même, ça me représente en face-sitting sur un torse glabre de jeune garçon dont on ne voit pas le visage, avec une main sur la hanche, un petit stylisme, parce que j'aimais bien avoir quand même quelques fringues. Et un air de dire, bon, tu vois, un truc du coup très cru et en même temps pas du tout surjoué. Ce qui est resté un peu le fil conducteur de mon travail, c'est d'avoir quelque chose de très frontal, de jamais vouloir jouer sur les non-dits, les zones d'ombre, la suggestion. Je détestais. Il y a toujours un regard avec l'objectif. Parce que j'ai envie d'impliquer les gens dans l'image. J'avais envie que ça déstabilise ce regard très frontal, presque interrogateur parfois, parfois un peu blasé, qui ne va pas avec une image au contenu érotique ou explicite. Donc c'est vrai, quand on me dit quelle thématique ou quel sujet sur quoi tu travailles, pour moi, tout a été relié à des expériences intimes et concrètes, pas des sujets. Je n'ai jamais fait de dossier avant de faire mes photos. Tout était très instinctif, très impulsif. Je dirais que oui, il y a une part d'intime, si on dit des grandes thématiques, l'intime, les représentations du sexe. Mais quelque part, il y a un truc sur la prise de risque aussi en images. Que veut dire être une femme qui se photographie dans des situations explicites ? Qu'est-ce que ça crée comme image ? Qu'est-ce que ça suscite comme réaction ? Parce que je n'ai jamais voulu faire ces images pour exciter particulièrement. Ce n'était pas mon ambition. Mais j'avais envie de provoquer des réactions. Et d'aller là où je voyais les autres s'arrêter. C'est-à-dire dépasser les limites. Et ça a toujours été le... Depuis toujours, je fais ça. J'aime bien aller là où ce n'est pas conseillé d'aller. Je veux dire, ça reste des photographies, mais j'aurais pu faire plus consensuel quand même. Parce que c'est un travail qui m'a valu des sacrées remarques quand même. Déjà, il y a une question de... Est-ce que tu peux montrer ce travail dans un lieu d'expo ? Pas toujours. Avant que le féminisme soit à la mode et il n'est déjà plus vraiment, c'est vraiment s'exposer à toutes les remarques les plus misogynes. Et puis les contenus à caractère sexuel, c'est un bon moyen d'invalider la démarche de quelqu'un. Parce que personne ne savoura jamais avoir un problème moral avec la représentation de la sexualité. Mais par contre... On peut facilement dire à une femme qu'elle est vide, qu'elle est bête, que c'est une pute. Et ça permet de ne pas vraiment parler du contenu du travail. Donc je ne me suis pas fait un cadeau en faisant ça. Néanmoins, c'était ce qui était honnête pour moi à ce moment-là. C'était le travail que j'avais envie de mener. Il y a eu des rencontres qui ont tout changé dans ma vie. C'était en 2015. J'ai participé au documentaire de Émilie Jouvet, qui était aussi photographe d'ailleurs, et réalisatrice. Un documentaire qui s'appelle « My Body, My Rules » , sur lequel j'ai rencontré plusieurs personnes qui sont devenues des amies proches. Et ces rencontres ont été bouleversantes. Dans ces personnes, il y a Elisa Monteil, Marianne Chargois, avec qui j'ai fait des projets très importants pour moi. Et elles m'ont fait aussi rencontrer Laure Giappiconi, avec qui j'ai fait des films. Il y avait aussi Rebecca Chaillon dans cette team-là. Et au-delà du chamboulement personnel, c'est-à-dire que j'ai rencontré avec elle le monde dont je rêvais, ça m'a poussée. Elles faisaient toutes des projets absolument excitants. Moi, je me sentais vraiment ridicule et si bébé face à elles toutes. Mais voilà, l'amitié a fait que ça m'a poussée. Et donc, Elisa... Je travaillais déjà sur le son et c'est avec elle que j'ai réalisé Coeur de sexe au recœur, un documentaire qui est sorti l'année dernière sur France Culture. Ensuite, avec Laure qui est actrice, on a écrit une série de courts-métrages photographiques qui s'appelle Romy et Laure. Pareil, c'était sur une envie de faire quelque chose ensemble et elle étant plutôt sur théâtre ou cinéma, on a fait rencontrer nos pratiques et on a écrit ces trois courts-métrages. Et avec Marianne, qui était plus sur le spectacle vivant et qui faisait de la performance, on a écrit une performance ensemble qui s'appelle Gaises, qui est plutôt un spectacle qui dure une heure quinze, et qu'on a joué entre 2022 et fin 2023, à peu près. On a fait une dizaine de dates. Donc je pense que... Alors le cinéma, j'en avais toujours eu envie, donc ça m'a confirmé que j'aimais ça. La performance, j'avais quand même fait des écoles de théâtre, donc être sur scène, d'un coup, moi, j'étais complètement surexcitée de revivre ça et de le vivre en plus en ayant un contenu de spectacle tel que je le rêvais, hyper engagé sur scène et dans ce qu'on disait, c'était sur le travail du sexe notamment. Et puis, il y avait du chant aussi, parce que le chant est très important pour moi maintenant, l'utilisation de ma voix plus largement. et en fait il y a plutôt C'est sur la radio où je pense que je n'ai pas eu d'appétence par le passé, à part le fait de chanter et la musique. Mais du coup, c'est plus la musique que la radio. Donc là, je dirais quand même que c'est vraiment Elisa qui m'a donné cette envie-là. Et le fait d'avoir fait ce tournage pour France Culture, ça m'a trop plu. Et j'ai eu envie de proposer un autre sujet sur le vertige en montagne. Et c'est celui qui sort ce mois de septembre.
Speaker #0Le livre « Des choses que j'imagine » , il est édité par Rotolux Press. Ils n'avaient pas vraiment édité de photographie. En tout cas, au moment où je les ai contactés, ils éditaient de la poésie, des textes littéraires, je dirais des nouvelles voies assez contemporaines, et je trouvais leurs livres super beaux. Ils sont aussi, je ne sais pas comment on dit, graphistes ou designers. Et je les ai contactés parce que j'avais envie de faire un livre, je trouvais que ça devenait assez urgent. dans mon parcours de photographe. C'est quand même un outil de travail, en même temps qu'un moyen de valoriser son travail. Et j'ai beaucoup de traînées. Et j'ai traîné parce que j'avais du mal à trouver une maison d'édition qui puisse convenir. J'avais une espèce de... Je ne sais pas si c'était une flemme de faire un dossier avec une note d'intention sur mon boulot. J'aime pas trop écrire sur mon propre travail, je trouve ça super dur. Je trouve l'impression que c'est à la limite et qu'en fait ça va pas au fond des choses. Et j'ai plutôt souvent envie de montrer les images et qu'elles parlent d'elles-mêmes. Sauf que je crois qu'avec mon travail, ça marche pas trop. Il faut faire un peu de médiation. Mais donc je repoussais à ce moment et puis voilà, à un moment, je me suis dit il faut faire un bouquin là. Il faut arrêter, il faut aussi prendre au sérieux dans son travail. Moi j'ai du mal des fois à me... prendre au sérieux, à me dire je suis aussi une photographe professionnelle. J'ai toujours l'impression d'être derrière les autres ou d'être en apprentissage permanent. Je me suis forcée à me prendre au sérieux en faisant des commandes pour l'Ibée quand même parce que à chaque fois que j'avais une commande, ma vie défilait. Je ne sais pas me servir d'un appareil photo. Vraiment, j'ai passé, je pense, les premières années de commande à avoir envie de mourir à chaque fois qu'on m'appelait alors que j'étais trop contente. Donc ce livre, c'était pour m'affirmer, pour dire tout ce travail a un sens et c'est bien de le rendre disponible aussi aux autres parce qu'il a un intérêt, une utilité. Donc j'ai contacté Roto Luxpress en leur disant « Bouteille à la mer, vous voyez un peu mon travail, vous ne faites pas de photos, mais sait-on jamais ? » Voilà mon site, ce serait ces deux séries parce qu'elles sont faites en même temps. Parce que les portraits ont été faits en même temps que tous ces autoportraits. Souvent, il y a des personnes qui sont dans les portraits, qui sont aussi dans les autoportraits. Pour moi, c'est assez indissociable, même en termes de proposition, parce que les portraits, ils amènent quand même un peu plus de douceur, une part un peu plus authentique, même si le mot est un peu... Par rapport à ces autoportraits qui sont très mis en scène, quand même très maîtrisés, où il y a un presque plus performatif. Alors que quand je prends les personnes individuellement, je demande tout sauf de la performance. Tout sauf du jeu ou de la mise en scène de soi. C'est difficile, mais j'essaye d'arriver à un truc très épuré, très simple. Et on n'y passe pas forcément deux heures. Des fois, c'est la première photo, mais j'essaie d'aller à l'inverse de ma préparation des autoportraits. C'est des petits dessins, tout ça, c'est quand même très pensé en amont. Il faut des gens qui m'aident, etc. Donc, je savais que je voulais que ce soit mis ensemble. Par contre, pour les photos de montagne, l'idée est venue. en faisant des visios. Parce que moi, dans ma pratique au présent, j'étais déjà sur mes photos de montagne. Je ne prenais plus que ça en photo. Je faisais ça et mes commandes. Mais je ne faisais plus tous les autoportraits. J'avais réessayé et franchement... Il y a une photo qui est dans le livre, c'est assez drôle. J'ai une baguette de pain dans la chatte. Et je me rappelle voir cette séance et me dire non, là, c'est signe que je suis allée au bout. Il faut s'arrêter. Parce que je voyais même dans mon corps qu'il y a un peu un truc de bon, allez, on va refaire un truc. Qu'est-ce qui peut être rigolo ? Parce que souvent, je pense à ça, à des symboles. Quand il y a eu la tour Eiffel, je pense en termes de symboles et d'objets comme ça, qui vont d'un coup me faire réfléchir. Et je trouvais que la baguette de pain, elle s'habille en petite parisienne avec un béret. C'était franchement drôle par rapport à tout le mythe de la parisienne et cette baguette qui est censée nous représenter. Et donc, j'ai fait cette photo et en la voyant, j'ai dit « j'arrête là, je crois. Je suis en train d'épuiser le truc » . J'ai plus d'envie, j'ai plus l'énergie que ça demande aussi de poser. Soit j'étais là, genre je savais plus comment me foutre. Non, j'aimais bien faire la mise en scène, tu vois, mais je sentais que le corps y était plus. Et en fait, elle est quand même dedans, parce que finalement, elle est super drôle, parce que vraiment, j'ai jamais été aussi blasée que sur cette photo, alors que vu ce qui se passe... Mais bref, donc on commence à faire des visios avec les éditeurs, parce qu'ils ont été tout de suite enthousiastes, Léna et Alaric. Et je ne sais pas, j'étais dans les écrins à un moment. Et puis, on parle montagne. En fait, je crois que Léna, elle avait un peu projeté que ce serait sur la montagne. Et quand je lui avais dit, ben non, c'est plutôt ça. Parce que la montagne, c'est pas du tout fini, c'est le début. Et je sais plus qui a eu cette idée de dire, attends, peut-être on essaie une page, envoie tes trucs de montagne. Et donc j'ai envoyé, puis voilà, comme j'oublie tout, j'ai oublié. Mais je crois qu'on a fait une première double en se disant, ah, ça marche vachement bien. Et pour moi, c'était une espèce de moment un peu éclair de génie où je me suis dit, putain, c'est ça de bosser avec des gens trop bien, c'est que d'un coup... On trouve une narration, un truc sur lequel moi j'étais depuis des années à galérer, à pas trop savoir comment valoriser ce travail sans que ça ait l'air d'un livre de photos de cul. J'avais trop peur qu'on me dise ça, tu vois. Encore une meuf issue d'Instagram qui fait des photos d'elle à poil. Et je trouve qu'inclure ces photographies de montagne qui ont un truc ambigu parce qu'on les a choisis pour ça et que je les photographie comme ça. Je cherche vraiment les zones... de trouble dans la montagne. D'un coup, ça fait que le livre... Ouais, il y a des photos, plus ou moins explicites d'ailleurs, pas toujours, et il y a ces rochers, on ne comprend pas trop, au départ, pourquoi c'est ensemble. Et c'est ça que j'aime dans ce livre, et je crois que c'est ça ma proposition. L'idée, ce n'est pas de dire, parce qu'il y a une montagne et une personne en face, ça veut dire que tout est beau, mais ça pourrait être une piste, aussi, d'avoir quelque chose qui se mélange. L'érotisme dans la montagne est quelque chose aussi de très impressionnant, statuesque chez des personnes qui montrent une forme de vulnérabilité, mais qui, en face d'une montagne, deviennent tout aussi majestueuses. Parce que quand on regarde une montagne, on est quand même un peu ébloui par la beauté. En tout cas, c'est mon cas. Et quelque part, de mettre ces scènes très explicites. en face, je trouve que ça les met à un autre endroit. C'est-à-dire que, pour moi, la proposition c'est ça en tout cas, c'est d'aller plus loin qu'une première lecture des photos. Pour moi, c'est une exploration de mon imaginaire. Et il n'est pas forcément relié qu'à l'imaginaire de la photo. sexuelle ou érotique, mais j'aime inventer des histoires, j'aime me projeter toujours dans des situations. Et je pense que les photos, par exemple tous ces autoportraits très mis en scène, c'est une base pour qu'ensuite on se raconte une histoire derrière, qui peut être excitante ou comique, critique, mais pour moi c'est une base. Il y a un autre portrait un peu plus connu dans ce travail-là, où il y a une sucette cœur plantée dans le sexe d'une personne. Et moi, je suis en face et je tire la langue. Donc, c'est une photo qu'on peut trouver quand même assez, je pense, drôle, joueuse, mais qui, pour moi, est partie de l'affiche du film Lolita de Kubrick. Parce que donc, Lolita a une sucette dans la bouche, ses petites lunettes cœur. Bon, je n'ai pas mis les lunettes, mais... L'inspiration, c'est ça. C'est l'affiche de ce film controversé d'un roman qui a été lu à l'envers de Nabokov et qui est un roman hyper important pour moi, que j'ai lu à 12 ans et qui a été une révélation. J'ai même Lolita tatouée sur mon corps. Donc, c'est une façon de relire Lolita, de la revisiter et de lui donner peut-être une autre facette. Peut-être qu'elle serait lesbienne maintenant, Lolita. et qu'elle ne serait plus la victime de cet homme, en tout cas dans le roman. Donc tu vois, là ça ne part pas, c'est pas j'explore un fantasme, c'est je réhabilite Lolita aussi en m'impliquant, parce que moi j'ai grandi en me pensant être une Lolita. Je voulais plaire aux hommes âgés, et du coup j'ai été victime d'hommes âgés, de fait. Et c'est une façon de la détourner, de la réécrire. Donc, je pense que je suis quand même rarement animée par l'idée de montrer mes fantasmes. Il y a peu de... Je ne sais pas ce que c'est mes fantasmes, ça dépend, tu vois, des moments. Je ne me suis pas dit, ah, trop envie de montrer ce que c'est une orgie. Et du coup, on fait une photo à trois meufs. Je crois que je suis toujours un peu ailleurs. Ce n'est pas tant montrer des sexualités qui m'intéressent. Mais on peut avoir la lecture de mon travail par ce biais. Et je trouve qu'après, ça fait partie du fait de montrer son travail. Mais déjà, moi, l'envie première, c'est un peu de... de faire des choses qui ne sont pas correctes, assez inacceptables, et de jouer avec cette forme de censure morale sur l'expression même du désir, encore plus entre personnes queers. La plupart des photos du livre et les autoportraits que j'ai eu l'habitude de faire en intérieur, je prépare, je fais souvent des petits dessins, ou en tout cas j'ai une idée assez nette des photos que je veux faire. Ce qui fait que les séances, elles durent très peu de temps. Avant, j'utilisais beaucoup mon trépied, donc mon retardateur. Il y a quelques photos où c'est impossible d'être devant-derrière. Par exemple, celle où une amie me pisse dessus. Ça, ce n'est pas possible. Donc là, il y a un ami qui est venu m'assister pour que je me fasse pisser dessus en continu et que lui puisse faire toute la pellicule. Donc là, c'était vraiment très simple. Je veux faire cette photo. Donc on a un cadre, ça ne bouge pas. et on tente pas d'autres trucs. Donc, en 15 minutes, c'est plié. Et c'est souvent le cas, même les portraits en général. Je peux prendre une heure, mais je shoot quand même assez vite. Je n'aime pas trop épuiser les gens, je m'épuise très vite aussi. J'ai beaucoup de mal à rester concentrée en photo. Et à un moment où moi, je n'ai plus d'idées non plus, je trouve que faire beaucoup de portraits, à un moment, on sature un peu. C'est d'ailleurs le cas même en commande. Je trouve que c'est difficile de rester dans un truc de... D'imagination, de spontanéité. Alors, c'est pour ça qu'il faut quand même que les gens en face soient présents. Parce que sinon, c'est dur. C'est super dur d'avoir des gens qui n'ont pas envie de poser. Et toi, tu dois faire un truc un peu imaginatif. Je trouve que c'est balèze de réussir à bien diriger les gens. Mais par contre, la préparation pour les photos en montagne, parce que le travail que je fais actuellement, il implique d'être nue en montagne. Donc, c'est souvent pendant mes randonnées personnelles où je pars avec... une copine ou des copines, des copains, des copaines. Et ouais, c'est vrai que en fait, la façon de faire, elle a complètement changé déjà dans un espace aussi grand qu'un massif sur lequel t'es sur un sentier, mais bon, tout est quand même gigantesque. Déjà, il y a du monde qui passe. Tu sais jamais quand. Et puis, peut-être de là où t'es, tu crois qu'on ne te voit pas, mais en fait, hyper loin, on peut te voir. Je sais pas, il y a eu une fois où on avait fait des photos. avec une copine et puis on a compris qu'en fait le berger, il était en haut. Il avait forcément tout vu puisque lui, il voyait vraiment, il était vraiment en hauteur par rapport à nous. Et bon, bref, après, ce qui est bien, c'est que tu continues à marcher sur ton sentier, tu ne recroises pas vraiment les gens, sauf que c'est arrivé une fois parce qu'on se retrouvait au refuge. Et je me suis dit, je pense que ces gens-là, ils ont tout vu, mais personne ne nous a rien dit. Je ne pense pas que ça dérange tant les gens de voir des personnes nues qui font des photos. C'est quand même un super cadre. Et peut-être que les gens se disent, après tout, pourquoi pas ? Puisqu'on a chaud aussi. Mais c'est vrai que souvent, ça se fait en trois minutes. Il faut que ce soit fait à peine. Il faut que tout soit hyper... Donc, OK, on pose là, machin. Parce que, je ne sais pas, il va y avoir le glacier dans le fond. D'un coup, il y a une pierre. Je me dis, ah, cette pierre, elle est super. On peut aller se mettre dessus. Il y a un truc. Et il faut aller super vite. Il faut se déshabiller, courir, faire la photo. en faire peut-être deux, trois, parce qu'on ne sait jamais. Et puis ensuite, revenir se ressaper. Parce que moi, j'ai quand même toujours un peu peur qu'on me prenne en flag. Je ne sais pas, j'ai toujours un peu ce truc d'être gamine et d'avoir l'impression de faire quand même une bêtise. Enfin, je n'assumerai pas du tout. Je ne pense pas que les gens qui randonnent soient les pires. Connard du monde, mais bon, on sait jamais. Dans le livre, il y a trois textes que j'ai écrits, qui sont des textes littéraires. Et à la base, c'est un vrai choix aussi des éditeurs que de ne pas mettre un texte critique, mais d'assumer de faire un livre d'artiste. Moi je leur avais envoyé tous mes textes dès le départ parce que ils éditent aussi des textes et donc ils en ont pris connaissance. Et on s'est dit que c'était très bien d'avoir ça à la fin. Donc il y a « Premier porno » , un texte que j'avais déjà écrit pour un projet de roman, dont j'avais du mal à finalement le mettre dans un format plus long. Bref, je me suis dit qu'il marcherait bien seul. Et puis surtout, c'est un texte qui parle de mon premier jour sur mon premier porno, dès le réveil, et qui est une espèce de monologue presque... Enfin, il y a un tout petit peu de dialogue, mais on est vraiment dans la tête de la narratrice qui raconte à la première personne tout ce qu'elle voit, vit, projette, analyse et... Et du coup, en filigrane, je crois qu'on comprend tout ce qui lui échappe, tout ce qui m'a échappé, moi aussi, sur ce premier jour. Et puis c'est un texte que je trouve assez tendre et que je suis contente qu'on ait pu mettre en parallèle des photos parce que ça donne un peu plus de vulnérabilité et de sensibilité à mon travail. Et ça montre toute la zone que jamais on pourra montrer dans une photo de les doutes, les rêves, pourquoi on fait ces choses-là, pourquoi on croit qu'on les fait, pourquoi on les fait. parfois pas et en fait finalement on comprend pourquoi. Je le trouve aussi drôle, de toute façon j'aime écrire avec cette cette façon là quoi de aussi rire de moi et d'être ouais dans une forme de sérieux pas sérieux comme dans mes photos en fait c'est à la fois sérieux mais c'est quand même des photos qui sont pour moi extrêmement drôles j'espère que les gens le voient sinon je peux rien faire pour eux mais disons que dans les textes c'est plus facile aussi de vraiment être dans ce flot d'absurdités qui en deviennent comiques. Je pense que Premier Porno, il illustre très bien la personne que j'étais au moment où j'ai commencé à la fois la photo, qui allait de pair avec l'entrée dans la communauté queer, qui allait de pair avec ce premier documentaire dans lequel j'avais une scène porno et où j'ai aussi rencontré des lesbiennes. J'avais envie d'être vue comme lesbienne, mais c'était pas facile parce que j'avais les cheveux longs. Ce texte raconte tout ce... C'est presque comme un texte initiatique. En tout cas, ce tournage, ça a été le point de bascule. Il y a eu un avant et un après. En fait, j'aurais pu faire un livre photo sans texte. Voilà. Mais j'aime écrire, j'écris de plus en plus, et le fait d'avoir un moment, une possibilité de mettre un texte, si on trouve que ça a du sens, bien sûr, pour moi c'est génial, parce qu'il y a une finalité à l'écriture. Sinon, on écrit dans son coin, je trouve que c'est super dur. Et donc j'avais déjà ce premier texte, qui a été validé, il a fallu le réécrire, tout ça. Il y a un deuxième texte, « Je fais de la merde » , qui est issu de « Performance » , donc encore un autre ton, qui est plutôt fait pour être lu, performé. Et puis, il manquait un troisième texte. C'est en termes de pages. Donc, les éditeurs m'ont dit, tu te sens d'écrire un nouveau texte ? J'avais deux mois, un truc comme ça. Et sur le moment, je me suis dit, là, d'un coup, hyper stressant, de quoi je vais parler ? Il faut quand même qu'il y ait un lien avec ce bouquin. Est-ce qu'il faut qu'il y ait un lien aux images ? Donc, plein de questions. Et voilà, le 1er janvier, je me suis dit, allez, j'y vais. J'ai commencé à écrire. Et en fait, ce troisième texte, qui est encore un peu différent dans le style. il parle beaucoup de photographie parce qu'il parle de cet appartement de 24 mètres carrés dans lequel des choses s'empilent année après année des boîtes de négatifs des souvenirs liés à mes années de modèle photo des souvenirs liés à toutes les personnes qui sont venues dans cet appartement pour poser tous ces objets qui racontent ma vie et ça parle donc aussi de mon rapport à la photographie pas que, ça parle aussi de travail en tant qu'artiste, de travail alimentaire mais c'est un peu un texte bilan qui conclut le livre. J'avais envie qu'il y ait un truc sur l'image sans parler de mon travail. Mais parler de la photographie aussi comme quelque chose qui m'a tellement fait de bien et que j'aime tellement au premier degré, j'aime avoir des images dans les mains. Donc de tous ces négatifs mal rangés chez moi, ces petits tirages par-ci par-là, de toutes les photos sur les murs, de toutes les présences qu'il y a eu dans cet appartement et qui sont aussi la raison pour laquelle j'ai fait de la photographie. Je photographie avant tout des gens, c'est quand même la majorité de ma pratique, même si je me mets au caillou. C'est quand même dix ans de photos, d'autoportraits. Je parle de ça à un moment, je pense à toutes ces versions de moi-même que j'ai dessinées sur un papier et que je regarde. Il y en a que j'aime, que je n'aime pas, que j'ai triées. J'aime bien la fin parce que je regardais la série Silo, donc un truc d'anticipation. J'imaginais qu'à un moment, le monde s'écroule et peut-être que quelqu'un va retrouver mes boîtes, mes classeurs de négatifs parce que j'ai une peur. panique que mon travail finisse à la poubelle. J'ai hyper peur de ça. Moi, j'adore collectionner les vieilles photos. Je ne suis pas une grosse collectionneuse, mais même une photo d'un inconnu, si ça finit à la poubelle, ça me brise le cœur. Et donc, j'imagine cette scène où, en fait, on va être trouvé aussi par quelqu'un dans, je ne sais pas moi, des millénaires et on verra nos têtes et la personne se demandera pourquoi on est nus tout le temps. Parce que c'est drôle. D'imaginer aussi ce que deviennent les images qu'on crée. Quelles histoires elles vont raconter quand on n'aura plus que ça et qu'on n'aura peut-être pas, je ne sais pas, les textes. Est-ce qu'une image se suffira à elle-même pour raconter une époque, une vie ? En fait, là où j'aime le noir et blanc, particulièrement par rapport à mon travail, c'est que je trouve que ça le sort, ça le décale de l'époque. Et que la même chose en couleur au flash, tu vois immédiatement où c'est pris, quand est-ce que c'est pris, quel tout, qui on est, je ne sais pas. J'ai l'impression que c'est si lisible que du coup, il n'y a plus de couche de lecture sur mes photos. Parce que par exemple, sur la photo avec la tour Eiffel en plastique. Ça demande un peu, si tu veux, la datée, puisqu'en plus, j'ai souvent un stylisme vintage, donc qui joue. Et puis, j'ai les cheveux bouclés, tout brun. Je joue aussi sur, tu vois, des images anciennes. Enfin, disons, une espèce de... L'idée qu'on se fait de photos anciennes de nues, parce que j'ai beaucoup d'habits de ces époques. Et donc, ça me permet de jouer un peu plus sur un truc troublant. Et c'est là où, moi, je trouve un truc intéressant. Je ne parle même pas du flash, qui est aussi utilisé pour lisser, surexposer le contenu. Ça ne veut pas dire que je n'aime pas des travaux en couleurs. Il y en a plein, j'adore, mais je sens que c'est compliqué pour moi. C'est comme ajouter des couches, ça dénature presque mon geste. J'utilise la couleur dans le portrait de presse parce que je suis bien obligée. Même si je fais du noir et blanc de temps en temps, mais quand même, en portrait, on nous demande de faire de la couleur. Donc, je retouche très peu. J'ai toujours la même pellicule, quasiment. Et il y a des photos que j'aime bien, vraiment. Mais ça ne me déclenche pas l'envie de travailler la couleur dans mon travail personnel, pour autant. Parce que par ailleurs, la couleur, elle est hyper présente pour moi. Dans la performance, tout est ultra coloré. Oui, en plus, c'est comme un espèce d'autre moi, la photo. Et c'est vrai que dans la vraie vie, j'ai été gothique, certes, mais actuellement, je suis quand même quelqu'un qui est très couleur. Même chez moi, c'est méga coloré. Et donc, c'est très drôle de voir que finalement, ça donne des images en noir et blanc où tout est un peu vaporeux. Est-ce que, je ne sais pas si c'est une bonne réponse, mais est-ce qu'il y a un truc, pour moi, c'est là où il y a une forme de vérité qui émerge ? En fait, tout le monde a un problème de légitimité actuellement, c'est fou. Même des gens qui ont fait un paquet d'études, qui ont toutes les références, même un CV conséquent, disent douter et se sentir une imposture. Donc moi, quand on me dit « moi aussi je peux machin » , je dis « imagine-toi donc quand tu n'as pas les grosses références sur le CV, quand tu n'as pas fait les grosses résidences qu'il faut faire, quand tu n'as pas fait l'école d'Arles ou les Gobelins, quand tu n'as pas quelqu'un dans ta famille qui t'a appris... » te cultiver, à comprendre l'art et l'image. Et je leur dis, mets-toi dans mon cerveau deux secondes. Et ce n'est pas pour faire un concours. C'est pour dire que moi, je pense qu'il y a des périodes où vraiment j'en ai chié avec ça. Et j'en ai chié aussi parce que le contenu de mes images, c'était une perche énorme pour se faire tirer dessus. Et je pense qu'on a forcément rencontré toutes et tous des personnes qui ont pu être dures sur notre travail. et nous faire perdre confiance. J'imagine qu'à l'école, il y a des rapports avec des profs qui sont très durs. Ça, j'en doute pas. Et moi, je l'ai eu, donc pas à l'école, mais des fois des retours pros, où je ne sais pas comment derrière, on est censé faire, mais qui ont été si douloureux que je me suis vraiment dit, mais qui suis-je là pour prétendre, en fait, être photographe et être intéressante ? Et c'est vrai que j'en suis revenue quand même et je trouve que le livre, il sert aussi à ça, à valoriser un travail et à se dire en fait, toutes les photographes ont une manière de faire différente, même des ambitions de carrière différentes. Et il faut, je pense, réussir à trouver sa façon de faire plutôt qu'essayer de coller à ce que le milieu voudrait qu'on fasse. Par exemple, moi, je me pose beaucoup de questions sur les résidences. où il faut faire des projets pour un lieu, pour un public, alors que moi, je ne viens pas de là, tu vois. J'ai participé à la résidence de la Villa Perrochon en 2023. Donc, on est huit photographes et on a un projet à faire sur place. Et c'est trop marrant parce que je m'étais dit, ouais, je vais rencontrer des gens, faire sur les couples et tout. Puis, j'ai fait des photos. Et finalement, j'ai travaillé sur le manque que j'avais de ma copine. à travers des objets que j'avais ramenés dans mon sac. Et en fait, j'ai fait toutes les photos en intérieur. Pas du tout mon regard sur la ville ou sur les habitants de New York. Je crois que je suis quand même quelqu'un qui est très dans l'introspection et très dans mes petits, je ne sais pas. Mais est-ce que ça répond vraiment à ta question ? En tout cas, je pense que le doute, la légitimité, on se démène en permanence. Je n'ai pas la sensation d'avoir... une grande place dans la photographie contemporaine actuelle. Et peut-être, pour les autres, j'en ai une, mais moi, j'ai l'impression de toujours un peu galérer à ce que mon travail photographique soit reconnu par le milieu de la photographie. Et on pourrait me dire, tu fais des portraits chez Libé, machin. Pour moi, ça n'a rien à voir. Je suis très contente de faire du portrait pour la presse, mais je trouve que c'est vraiment deux jobs très différents. Alors que dans la radio, on m'a fait confiance. Et même dans la performance, je trouve que c'est un peu plus facile. Et souvent, je dis, j'en ai marre de la photo. Ça fait dix ans que je fais ça et j'ai l'impression qu'il ne se passe rien de concret, alors que là, on me fait faire des documentaires pour la radio alors que je n'ai jamais étudié le son. J'écris un scénario, j'ai l'impression que c'est plus simple, les boîtes de prod sont à l'écoute. On m'a déjà dit, envoie-moi, je vais écrire un roman et des éditrices qui veulent bien me lire. Performance, ok. J'ai joué quand même dans pas mal de festivals. J'ai plus d'ouverture sur les autres disciplines que sur la photographie, alors que c'est censé être la mienne. En fait, là où c'est intéressant, je pense, dans mon cas, être une femme photographe, c'est que je fais de l'autoportrait. Et que j'ai choisi de... Ça a une place majeure dans ma pratique, même dans mon projet actuel, même si je ne suis pas au centre. Et en fait, c'est compliqué pour plein de personnes d'avoir une artiste femme qui veut se prendre en photo, qui plus est, dans des contextes qui parlent de sexualité ou de désir. Il n'y a pas très longtemps, j'ai montré mon travail actuel en cours à un jury. Il y a un des mecs qui est venu me voir après et qui m'a dit, alors que je ne suis pas sur toutes les photos, je suis sur deux photos et je crois qu'il y en avait dix, le reste, en fait, il a cru que c'était moins sur toutes. Donc déjà, voilà. Et il me dit, mais ça ne vous intéresse pas de travailler sur autre chose que vous, vous ouvrir ? Ça, c'est le retour, tu vois. Et toi, tu es là, tu te dis, ok, donc il me prend juste pour une débile, narcissique, quoi. Je trouve que ça invalide la démarche. De une. Pour moi, il y a de la misogyne derrière. Il y a le fait que je ne montre pas non plus ce qu'on a envie de voir d'une femme photographe. Parce que je ne suis pas une meuf... dans les canons de beauté non plus. Je ne suis pas une mannequin qui se reconvertit en photographe. Donc, voilà. Bref, j'ai le corps que j'ai. Surtout, je n'inclue pas d'hommes. On travaille déjà de lesbien. En fait, il y a toujours une couche de quelque chose qui fait que, je pense que dans mon cas, ce n'est pas simple. Mais je crois que c'est aussi une force. En tout cas, il ne faut pas me victimiser, me dire que c'est horrible. Je ne vais pas faire semblant de m'intéresser à autre chose non plus. Et j'accepte que ça fasse partie des difficultés. Et avec mes éditeurs, on en avait aussi parlé. Parce que je leur avais dit, vous savez, mon travail, il a été critiqué par le passé. Il y a plein de personnes que ça irrite. Et je leur ai dit, ce n'est pas si simple de faire un livre de mes photos. Enfin, dans le sens, comment il va être reçu ou perçu. Et j'ai dit, il y a toujours des gens qui ne comprennent pas. Ils ne comprennent pas pourquoi je fais ça. De toute façon, il y a plein de gens qui ne comprennent pas qu'on puisse parler au jeu, même dans la littérature. Après une expo, j'ai déjà lu dans un livre d'or, quand je vais chez le coiffeur, est-ce que je mets ça sur les murs d'une expo ? C'est pour ça que je pense qu'il faut que je fasse de la médiation à chaque fois, parce que ça me chagrine qu'on puisse ne pas comprendre, ou qu'on puisse plaquer des choses sur moi, qui je trouve sont des choses qu'on plaque en général que sur les meufs, alors qu'on va sûrement applaudir un mec qui se montre, parce qu'on va se dire, un mec qui ose montrer, mais évidemment nous on est aux premières loges pour se faire. critiquée et un peu rabaissée. Et je trouve que c'est le truc que j'ai le plus retenu sur les années, c'est à quel point, pour ne pas parler de la morale et du problème profond des gens avec le sexe, on va parler de toute autre chose. Sauf que dans le fond, c'est jamais que l'expression d'une forme de misogynie et aussi de la part de femmes. Mais j'en fais pas... À partir du moment où on m'avait dit que j'étais trop photogénique et que c'était un peu gênant pour mon... projet, je me suis dit, ok, des fois il ne faut pas chercher, il ne faut pas lutter, il faut faire son truc. Les bonnes personnes sont, je pense, toujours là pour nous pousser. Moi, je pense que c'est des personnes très précises qui m'accompagnent et qui me permettent d'être un peu plus en confiance comme Bérangère Fromont, qui est une de mes meilleures amies, qui est photographe aussi et qui, moi je pense, son jugement est plus important que celui de... de gens très haut placés parce que je lui fais confiance et que c'est l'amitié aussi qui aide.