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L'actu des luttes - Radio Parleur

[REDIFF] Goliaths - Épisode 2 : au Qatar, l'esclavage au nom du sport ?

[REDIFF] Goliaths - Épisode 2 : au Qatar, l'esclavage au nom du sport ?

37min |23/05/2024
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37min |23/05/2024
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Description

Goliaths - le podcast d'enquête sur les multinationales et leur monde

Vinci… c’est une multinationale, une vraie. Une qui construit tout ce qui est possible d’imaginer : du nucléaire, des routes, des incinérateurs de déchets… des aéroports (sauf à Notre-dame des landes)… et même des stades. 

Au Qatar, là ou la culture du foot est née en même temps que l’organisation de la Coupe du monde il y a à peine dix ans, le géant français a flairé la bonne affaire. Dans un pays ou le travail forcé est la norme, où les entreprises s’épanouissent dans une culture de l’impunité totale… Vinci BTP a remporté un juteux marché, grâce à une de ses filiales : des stades, des hôtels de luxe, des infrastructures… de quoi s’enrichir à millions en quelques années. Mais la multinationale ne savait pas qu’elle allait croiser la route d’une femme entêtée qui allait devenir la nemesis du géant du BTP : Marie-Laure Guislain, qui travaillait à l'époque pour l'ONG Sherpa.

Un podcast écrit et raconté par Violette Voldoire. Production : Lora Verheecke et Violette Voldoire. Réalisation : Etienne Gratianette. 

Goliaths est une création originale de Radio Parleur et de l'Observatoire des multinationales. 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Si on vous dit

  • Speaker #1

    BTP, bien sûr vous pensez à nos magnifiques bâtiments en béton,

  • Speaker #0

    à la finesse du goudron de nos routes,

  • Speaker #1

    à la délicatesse de nos centrales nucléaires. Mais surtout, vous pensez à la subtile courbure de nos stades climatisés,

  • Speaker #0

    là où la magie du sport vous fait oublier les problèmes insignifiants du monde d'aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Moi, ça fait partie des enquêtes les plus difficiles. Pourtant, j'en ai fait un certain nombre. Parce qu'elle m'a montré l'ampleur du système et de sa violence.

  • Speaker #0

    Vous écoutez Goliath. C'est pas quelque chose qui est pas de pas de l'argent. Que cachent les multinationales ?

  • Speaker #1

    Je suis Laura Vérec.

  • Speaker #0

    Je suis Violette Voldoire. Bienvenue dans le podcast de l'Observatoire des multinationales et de Radioparleurs. Vinci, c'est une multinationale, une vraie. Une qui construit tout ce qui est possible d'imaginer. Du nucléaire, des routes, des incinérateurs de déchets, des aéroports, sauf à Notre-Dame-des-Landes, et même des stades. Au Qatar, là où la culture du foot est née en même temps que l'organisation de la Coupe du Monde il y a à peine dix ans, le géant français a flairé la bonne affaire. Dans un pays où le travail forcé est à la norme, où les entreprises s'épanouissent dans une culture de l'impunité totale, Vinci BTP a remporté un juteux marché grâce à une de ses filiales. Des stades, des hôtels de luxe, des infrastructures, de quoi s'enrichir à millions en quelques années seulement. Mais la multinationale ne savait pas qu'elle allait croiser la route d'une femme entêtée qui allait devenir la némésis du géant du BTP.

  • Speaker #1

    Je m'appelle Marie-Laure Guislain, j'étais l'ancienne responsable du contentieux stratégique à Sherpa pendant 8 ans et demi de 2012 à 2020, c'est-à-dire des enquêtes et des actions en justice contre les multinationales pour des graves violations de droits à l'étranger.

  • Speaker #0

    Sherpa, c'est une petite ONG, quelques salariés seulement. Marie-Laure Guislain y est juriste. Elle qui a toujours voulu être avocate veut y développer la stratégie du contentieux. En termes de contentieux, quand on regarde vers les multinationales, il y a l'embarras du choix.

  • Speaker #1

    Tu vas enquêter sur Vinci au Qatar. Est-ce que tu as une idée déjà de ce que fait Vinci avant de commencer ton enquête ? J'ai une idée comme tout français, je crois, autoroute, parking, mais je ne sais pas ce qu'ils font au Qatar en particulier. C'est grâce aux médias et à des enquêtes de Human Rights Watch notamment et à l'alerte de la CGT. que je m'y intéresse de plus près, et qu'on se rend compte que c'est tout à fait dans le mandat de Sherpa, et dans le mien en particulier.

  • Speaker #0

    En décembre 2014, une délégation de la Fédération du bois et du bâtiment obtient l'autorisation d'entrer au Qatar, de visiter les chantiers. Marie-Laure Guislain se glisse dans le groupe de syndicalistes pour s'infiltrer dans l'un des pires régimes despotiques du monde.

  • Speaker #1

    Ce qui a été très difficile, c'est de pouvoir parler à des travailleuses, travailleurs en particulier. Donc on accède à ces travailleurs en se cachant dans des centres commerciaux le soir. On a pu vraiment interviewer ces travailleurs pendant des heures pour avoir tous les détails dont on avait besoin pour porter plainte.

  • Speaker #0

    Marie-Laure Guislain se fait furtive pour aborder ces travailleurs étrangers. Des travailleurs qui constituent la deuxième ressource économique du pays, après le gaz qui en a fait la fortune à la fin des années 90. Ils et elles sont plus d'un million et demi à l'époque où elle arrive au Qatar. Classe laborieuse sans repos, exploitées, mal payées quand ils le sont, ils font tourner un pays de citoyens actionnaires. Restaurants, commerces, nettoyages et bien sûr construction de villes pseudo-futuristes démentielles. Un champ absurde de centres commerciaux lisses et climatisés. Seul lieu de rencontre possible avec les ouvriers qui les fréquentent, pour regarder l'opulence des autres sur leurs rares jours de congés.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce qu'ils t'ont raconté ou elles t'ont raconté ? Ils m'ont raconté comment se passaient leurs journées type, sans même se rendre compte combien ces journées type violaient leurs droits fondamentaux. C'est ça qui m'a le plus marquée et bouleversée. qui se lèvent à 4h du matin pour arriver à 6h sur les chantiers, 3h de transport par jour dans des bus qui ne sont pas climatisés, donc ils travaillent 11h par jour avec une heure de pause, parfois 77h par semaine parce que les travailleurs veulent faire des heures supplémentaires. D'ailleurs, au-delà de la limite légale qu'attarie, qui enjoint les entreprises de ne pas dépasser 60h. et donc 12 heures de travail supplémentaire par rapport aux 48 heures légales, à 40 degrés au soleil. Avec les milliards de chiffres d'affaires que Vinci fait, ce n'est pas très compliqué de mettre des bâches ou n'importe quoi. Je sais qu'il y a plein de façons de protéger du soleil. Conséquence de ce manque de protection contre la chaleur, il y a une population vulnérable qui a pourtant entre 20 et 40 ans et qui est en pleine forme physique, qui fait des crises cardiaques par milliers.

  • Speaker #0

    Des milliers très certainement, et plus probablement encore des dizaines de milliers. Seul le Guardian a tenté de chiffrer les morts tombés sur les chantiers de la Coupe du Monde. 6 500 entre 2011 et 2020. Tout aussi choquant, les autorités qatariennes n'ont pas très envie de savoir. Amnesty International produit un chiffre des plus inquiétants. Près des trois quarts des décès des travailleurs migrants sont inexpliqués. Combien de corps sont ainsi renvoyés ? Avec un simple coup de tampon, mort naturelle.

  • Speaker #1

    on a du mal à évaluer parce qu'il n'y a pas eu d'autopsie de la plupart des corps. Pour ces esclaves oubliés du système, ces esclaves modernes, l'autopsie, c'est un luxe, on va dire. Et je me souviens que tous les travailleurs et tous les témoignages qu'on a produits disent à quel point ils ont peur de finir comme les autres collègues, c'est-à-dire de tomber. Donc c'est vraiment le mot qu'ils emploient, tomber d'un coup et de mourir d'une crise cardiaque du jour au lendemain. La plupart du temps, ça ne se passe pas forcément sur les chantiers, ça se passe quand ils rentrent au camp, quand le corps s'apaise. Et raison pour laquelle Vinci classe ces morts comme des morts naturelles. et donc qui ne permettent pas d'indemniser les familles comme elles devraient l'être. Et ce qui m'a bouleversée, je me souviens, c'est que dans l'ambassade en Inde, l'ambassadeur nous explique que pour lui, il a changé de fonction, qu'il est devenu en fait un croque-mort qui renvoie les corps dans son pays.

  • Speaker #0

    Marie-Laure Guislain ne peut pas se contenter des interviews à la sauvette qu'elle arrive à glaner entre les deux portes vitrées des centres commerciaux. Ce que les ouvriers lui racontent est à peine croyable. Avec la délégation syndicale, elle réussit à en convaincre certains de l'emmener voir les logements. En fait, logements, ce sont des camps, les sols jonchés de détritus, les murs moisis et les paillasses en fer lui soulèvent le cœur.

  • Speaker #1

    Alors, moi, je n'ai jamais vu ça et pourtant, j'ai quand même fait plusieurs enquêtes. Et franchement, je n'ai jamais été aussi indignée de conditions de logement comme ça. On arrive dans une pièce où, en fait, il y a des lits superposés entassés. Et en plus, ce sont des lits superposés en métal très fragiles, donc réveillés forcément par les uns et les autres. Ils sont, la plupart du temps, huit par chambre. En plus, les conditions d'hygiène étaient vraiment, en tout cas, pour ce qu'on a pu qualifier ensuite dans la plainte, incompatibles avec la dignité humaine.

  • Speaker #0

    Et qui va les défendre ? L'enquêterie sait que dans ce pays, les syndicats sont interdits. Les ouvriers surpris à poster des photos pour critiquer leurs conditions d'hébergement sont expulsés. Manu militari. Les victimes d'esclavage forcé deviennent les témoins gênants de leurs propres conditions. Ils ne doivent pas parler, jamais et à personne. Pas de signe extérieur de misère ? Pour les multinationales, il n'y a donc pas de problème. Fin de l'histoire.

  • Speaker #1

    Pour moi, la négligence est maltraitance. Quand on sait, quand on est une multinationale qui a accès à tous les rapports, comme j'ai eu accès à ces rapports de l'OMS ou d'autres rapports qui sont libres d'accès et qui sont extrêmement faciles à lire, on sait très bien que lorsqu'on manque de sommeil, lorsque l'on est dans une chaleur accablante, 11 heures sans pause à l'ombre, eh bien on sait très bien les risques. qui existent. D'autant plus que les médias parlent, alertent sur les crises cardiaques, et pendant des années. C'est qu'on dit, voilà, il ne va pas changer. On a beau mettre quelques petits coups de peinture, le cœur des problèmes qui fondent cette pénibilité au travail est resté. Donc, ils ne pouvaient pas ignorer ces risques.

  • Speaker #0

    La crédulité apparente de Vinci agace beaucoup Marie-Laure Guislain. Pour une bonne et simple raison, les ouvriers étrangers sont toujours sous emprise de leur employeur. Au Qatar, cela s'appelle la règle de la kafala. Dès le départ, les employés qui arrivent au Qatar depuis l'Inde ou le Bangladesh ne savent pas pour quelle entreprise ils vont travailler. Non, ce sont les agences de recrutement qui décident. Une fois débarquées, la CAFALA stipule que l'employé est sous tutelle de son employeur. Les entreprises confisquent donc les passeports. Même si rien dans la loi Qatari n'impose cette pratique. Quand on travaille au Qatar et qu'on est un ouvrier ou un travailleur migrant, on vous explique que c'est comme ça que ça se passe, tout simplement.

  • Speaker #1

    Donc, c'est une pratique très répandue par les multinationales, mais elles savent qu'elles ont tout le pouvoir et que de toute façon, elles ne seront pas mises en cause si elles le font. Donc, jusqu'à 2015, jusqu'à la plainte aussi, jusqu'à janvier 2015, Vinci confisque les passeports. Et c'est très intéressant parce que Vinci nous dit mais on ne les confisque pas, on leur garde parce qu'ils ont peur d'être volés entre eux. Comme s'ils avaient peur qu'on leur pique leur passeport, alors que tous les travailleurs interrogés me disaient mais non, absolument pas On ne savait pas qu'on avait soi-disant le choix. On nous le prend dès qu'on arrive à la sortie de l'avion. En plus, ils signent des contrats à l'agence de recrutement dans leur pays d'origine, dans une langue qu'ils ne comprennent pas. Et non seulement leur passeport est confisqué, mais en plus, ils doivent demander une lettre pour pouvoir, par exemple en cas d'urgence, retourner dans leur pays et récupérer leur passeport.

  • Speaker #0

    Les ouvriers de Vinci ont donc tout intérêt à bien s'entendre avec leur employeur. Comme l'enquêtrice, eux aussi ont entendu les histoires des malchanceux qui n'ont jamais reçu leur salaire. et qui n'ont rien dit, sous la menace de se retrouver sans papier du jour au lendemain.

  • Speaker #1

    Toutes ces mesures représentent, c'est ce qu'on argumente en tout cas dans la plainte, et qui a soutenu cette mise en examen de Vinci. Des menaces et des pressions qui permettent à un employeur de contraindre une population vulnérable à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine ou de contraindre cette population à un travail fourni qui est sans rapport avec le salaire qu'ils reçoivent.

  • Speaker #0

    Voilà, c'est en équivalent français le salaire médian de ces hommes. C'est 4% du salaire médian qu'attarie. Il y a des chanceux, bien sûr, qui touchent un petit peu moins de 500 euros par mois. Quelques heureux élus, dont ne font pas partie les forçats des stades de la Coupe du Monde.

  • Speaker #1

    Et c'est bien la raison pour laquelle on a affaire à cette population vulnérable. C'est bien parce que les multinationales peuvent payer aussi peu les gens. qu'il n'y a pas de personnes qui pourraient demander des salaires décents sur ces chantiers. Donc on est bien face à un système d'exploitation d'une main-d'œuvre à un bas coût, comme si l'avis des actionnaires comptait bien plus que l'avis des travailleurs.

  • Speaker #0

    On ne marche pas librement dans les rues lorsqu'on est un ouvrier étranger au Qatar. Si un catarie vous surprend depuis son SUV à vous voir marcher le long d'une route, il appelle la police qui peut vous expulser si cela lui prend. Marie-Laure Guislain voit tout de suite que c'est la terreur, cette main de fer qui empêche les ouvriers de fuir. Car ce qu'elle entend de la bouche de ces ouvriers semble sorti d'un livre d'histoire au chapitre des camps de travail forcés du siècle dernier.

  • Speaker #1

    Et est-ce que ces travailleurs avaient peur de parler de leurs conditions ? Oui, il y en a qui ne voulaient pas parler et c'était très difficile de commencer à rentrer dans les détails de ce qu'ils vivaient parce qu'ils avaient besoin d'abord d'être vraiment rassurés sur... Ce qu'on allait faire de leurs témoignages, les représailles qu'ils allaient subir ou non, en fait, autour d'eux, il y avait des travailleurs qui avaient été bloqués au Qatar parce que leur passeport avait été confisqué et on leur avait enlevé leur salaire. Donc, ils avaient extrêmement peur d'être bloqués au Qatar, mais aussi de perdre tout simplement leur travail. Parce que même s'ils voulaient dénoncer les conditions dans lesquelles ils travaillaient, ils étaient tellement dépendants économiquement. La survie de leur famille dépendait tellement du travail qu'ils avaient réussi à avoir au Qatar, parfois en s'endettant même dans leur pays d'origine pour pouvoir payer l'agence de recrutement, que pour eux c'était inimaginable de perdre ce travail. Donc oui, c'était vraiment assez complexe d'avoir la confiance de ces travailleurs. Et d'autant plus que les entreprises donnaient des ordres de ne pas parler aux journalistes et aux ONG dans les rues. Donc il y avait des bus qui étaient prévus juste après les chantiers et on les invitait très gentiment à prendre ce bus pour qu'ils rentrent sur les camps et que justement ça soit assez difficile en fait de pouvoir leur parler et de les identifier.

  • Speaker #0

    Des camps de logement jusqu'aux chantiers poussiéreux, les caméras et les sociétés de sécurité privées maintiennent une surveillance continue. Curieux, se dit Marie-Laure Guislain, de la part d'entreprises qui clament haut et fort n'avoir rien à cacher.

  • Speaker #1

    Quand on a approché du Sheraton Park et voulu prendre des photos du chantier avec Gilles Letor et la délégation, on nous a bien fait comprendre qu'il fallait dégager. On sait que les visites des chantiers étaient uniquement guidées. Personne n'a pu faire des visites sans qu'il y ait du personnel de Vinci. Il y a eu énormément de contrôle, de maîtrise de Vinci, des travailleurs, des syndicats. de toute personne qui essayait d'approcher des chantiers, ça c'est clair.

  • Speaker #0

    Plus le temps passe et plus le risque d'être repéré se fait grand pour Marie-Laure Guislain. Par les autorités qataris, mais pas seulement.

  • Speaker #1

    Et lorsque tu es sur le terrain et que tu interviews tous ces travailleurs... Est-ce que tu as eu des problèmes, des soucis avec les autorités Qatari ? On a toujours pris soin de crypter les mails, d'avoir des appels cryptés, de faire attention à toujours être en mode avion ou sans batterie quand on parlait des dossiers. On a pris les mesures les plus basiques, mais ce qu'on pouvait faire pour protéger le plus possible ces travailleurs. L'œil de Doha, je ne l'ai pas senti. de Doha, je l'ai senti de Vinci.

  • Speaker #0

    Mais il est déjà trop tard pour dissuader l'enquêtrice. Sans laisser le temps à Vinci de réagir, Marie-Laure Guislain monte dans un avion pour la France, avec plus de témoignages qu'il n'en faut pour incriminer le géant du BTP. C'est une fois arrivée chez elle, qu'elle prend la mesure des horreurs qu'elle a vues et entendues. Elle s'effondre pendant quelques jours. puis se relève et monte la procédure judiciaire.

  • Speaker #1

    Donc on caractérise grâce à toutes les preuves, les photos que je récupère bien entendu, les visites, les témoignages aussi d'autres experts. On a passé des centaines d'heures à éplucher le droit qu'Atharie, faire des traductions. Tout ça nous permet en fait d'écrire une plainte de plus de 50 pages qui montre au juge qu'il y a lieu de mettre en examen Vinci, la filiale. de Vinci Construction Grands Projets, pour ces différentes infractions, et les dirigeants français.

  • Speaker #0

    Elle ne sait pas encore qu'elle a su faire trembler son adversaire, au point qu'il va l'attaquer personnellement. Vinci porte plainte contre l'enquêtrice pour diffamation.

  • Speaker #1

    Moi, je suis avocate de formation, donc c'est un tout petit peu moins intimidant d'être prévenue devant la chambre correctionnelle pour diffamation. Mais pour la plupart des gens, c'est quand même une sacrée bonne technique d'intimidation, sachant que j'en ai pour 15 ans de procès en diffamation.

  • Speaker #0

    Peu importe ces procédures baillons. En 2015, Sherpa dépose donc plainte contre Vinci pour travail forcé. La justice française va enfin s'en mêler. Marie-Laure Guislain est soulagée, car ce qu'elle a vu sur les chantiers qu'Atari était à peine croyable. Mais ce qu'il attend dans les bureaux de la police française est carrément surréaliste.

  • Speaker #1

    On a eu affaire à un commandant de police en charge de l'enquête sous les ordres de la procureure de Nanterre. Le commandant de police m'a auditionné à plusieurs reprises. pour que je puisse lui expliquer ce que j'avais vu sur place, et puis que je puisse aussi donner la parole des travailleurs, puisqu'on a fourni des témoignages anonymes. Malheureusement, le commandant m'explique au bout de plusieurs entretiens qu'il refuse de faire une perquisition dans les bureaux de Vinci parce qu'il ne voudrait pas, je le cite, que BFM et TF1 soient sur les lieux de la perquisition et que cela fasse baisser les actions de l'entreprise en bourse. Donc j'ai affaire à un commandant de police sous les ordres de magistrats du parquet chargé de la plupart des enquêtes en France qui me dit sans scrupule qu'il n'est pas indépendant et qu'il préfère protéger les intérêts économiques du multinational plutôt que de faire son travail comme il devrait le faire. Donc ça c'est la première chose. La deuxième chose, c'est qu'ils n'ont pas accepté les témoins anonymes, alors même qu'on leur a expliqué pourquoi on fournissait ces témoignages anonymes. Et alors même que dans le code de procédure pénale, dans le cadre de ces procédures travail forcé, on peut produire des témoignages sous X. et que de toute façon, la preuve est libre en droit pénal. Donc, on a expliqué aux procureurs et aux commandants qu'on pouvait fournir, évidemment, l'identité de toutes ces personnes, qu'on avait la photocopie de leur carte d'identité, les mandats donnés à Sherpa, etc. Enfin, on avait bien fait les choses, comme d'habitude. Mais que, dans ce cadre, on avait besoin d'anonymiser les témoignages parce que les travailleurs avaient extrêmement peur des représailles. Et ça, ça a été refusé. La troisième chose choquante, c'est que dans le classement sans suite, qui est survenu quelques années après en plus la première plainte, donc en 2018, la procureure explique qu'elle classe sans suite l'affaire parce que, notamment, l'entreprise s'est améliorée depuis l'époque de la plainte. Et alors ça, c'est très intéressant. Parce qu'on se rend compte que les procureurs suivent eux aussi le lobbying des multinationales qui disent mais vous savez, nous on est moins pire que les Chinois, mais regardez, on a fait plein d'efforts depuis Alors qu'on n'imaginerait même pas deux secondes quelqu'un accusé de terrorisme dire mais écoutez, madame le procureur... Je me suis améliorée, ça fait quand même trois ans que je n'ai pas posé de bombe. Voilà, soyez sympa, classez l'affaire sans suite. Donc, les faits n'étaient pas prescrits. Et pour autant, parce que l'entreprise s'était améliorée, le dossier a été classé sans suite. Et alors, ce qui est extrêmement important de noter, c'est sur quoi la procureure juge cette amélioration ? Sur la base d'audit fournie par l'entreprise. puisqu'il n'y a pas eu de perquisition de toute façon. Et ces audits sont faits dans quelles conditions ? Ils sont payés par l'entreprise, première chose, donc ils ne sont pas indépendants. Ils sont faits en présence des managers. Et donc les travailleurs ont extrêmement peur de répondre en présence des managers. Ils ne sont pas faits de manière anonyme. Donc même s'ils ne sont pas faits en présence des managers, un travailleur ne peut pas se livrer réellement sur ses conditions de travail ou de logement. Enfin, alors même que certains audits... soulève des irrégularités, comme par exemple des manques de médecins par rapport à la loi Qatari, qui est pourtant peu exigeante, on l'a dit, sur les chantiers, il n'y a pas de prise de mesures correctives pour venir respecter les droits qui auraient été violés. Donc tout ceci montre qu'il y a un énorme problème autour des audits. et autour des preuves, du coup, qui sont considérées par la justice française, alors même que la justice ne se base que sur ces documents, puisqu'elle a refusé de considérer tout le reste, d'aller sur place ou de faire une perquisition.

  • Speaker #0

    Trois ans de procédure pour accoucher d'une souris. Le parquet de Nanterre classe l'affaire sans suite. Une petite tape sur l'épaule du géant du BTP. Merci messieurs, et faites mieux la prochaine fois. Marie-Laure Guislain n'en revient pas. Mais la colère et la frustration peuvent être un bon carburant. Après réflexion, elle a une idée. Puisqu'on lui a refusé les témoignages anonymes, si elle allait en chercher d'autres ? Ceux des ex-travailleurs, libérés de l'épée de Damoclès de l'expulsion du Qatar. Avec l'aide de l'un d'entre eux, et de sa collègue Clara González, l'enquêtrice de Sherpa remonte une expédition. Cette fois-ci, direction Limbes.

  • Speaker #1

    On se retrouve à interviewer à nouveau des employés. de chez Vinci Construction, mais cette fois, qui sont partis du Qatar et qui acceptent d'être plaignants dans une nouvelle plainte, et cette fois, directement devant un juge d'instruction, c'est-à-dire qu'on dépose une plainte avec constitution de parti civil. En Cette plainte est recevable, reçue par le juge d'instruction. Et après des mois à nouveau d'enquête bien plus diligente par le juge d'instruction, qui nous reçoit également, et grâce aussi à une police qui est spécialisée en matière de travail forcé et d'esclavage moderne. Et ça, ça change tout, parce qu'ils connaissent un petit peu le travail et le système qui mène. à l'esclavage moderne, notamment d'une population migrante bien plus vulnérable que le reste de la population. Et grâce à ça, ces deux enquêtes à ces travailleurs vraiment organisés, courageux et toutes ces démarches, on a obtenu ce qu'on n'espérait plus obtenir, c'est-à-dire roulement de tambour. Le 10 novembre 2022, dix jours avant le lancement de la Coupe du Monde, La mise en examen de Vinci Construction Grand Projet, la filiale française de Vinci en matière de construction. Et donc c'est la première fois qu'une mise en examen est faite d'une multinationale sur ses fondements de travail forcé, réduction en servitude, qui est passible de réclusion criminelle, travail incompatible avec la dignité humaine, comme je l'ai dit, et salaire sans rapport avec le travail fourni.

  • Speaker #0

    La guerre de communication entre la petite association et le mastodonte du BTP a commencé. D'habitude, Vinci est plutôt de ces multinationales discrètes. Mais cette fois, son PDG Xavier Huillard montre les dents.

  • Speaker #1

    Le PDG de Vinci qui se déplace en personne au tribunal. Preuve que l'affaire est cruciale pour l'image du groupe.

  • Speaker #0

    Extrait d'un reportage de BFM TV, 29 juillet 2018.

  • Speaker #1

    Face aux accusations de travail forcé au Qatar, Xavier Huillard contre-attaque. Il assure que de nombreuses visites ont été faites sur place, notamment des syndicats qui n'ont rien relevé d'anormal.

  • Speaker #0

    Bien sûr que certaines choses sont encore perfectibles. Ce que je peux vous assurer, c'est que dans le périmètre que nous maîtrisons,

  • Speaker #1

    c'est-à-dire sur le périmètre de notre chantier,

  • Speaker #0

    les choses se font de façon tout à fait parfaite, conformément à nos normes, qui sont elles-mêmes très supérieures aux normes en vigueur au Qatar.

  • Speaker #1

    Les accusations de l'ONG Sherpa, contestées par Vinci, portent essentiellement sur la situation des salariés embauchés par des sous-traitants du groupe. Une équipe de BFM TV s'était rendue sur place en mars dernier. Certains travailleurs migrants dénonçaient alors des conditions difficiles. Vidéo amateur à l'appui. La nourriture qu'on nous donne n'est pas bonne. On est jusqu'à 8 dans les chambres. Il n'y a pas d'espace. On n'a pas d'équipement.

  • Speaker #0

    On se douche et on lave nos habits au même endroit.

  • Speaker #1

    Vinci poursuit Sherpa pour atteinte à la présomption d'innocence. La justice tranchera le 30 juin. Visée aussi pour diffamation, l'ONG défend son rôle de lanceur d'alerte. L'association a porté plainte pour travail forcé et réduction en servitude. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Nanterre. dans les plaintes que j'ai écrites, que ce soit contre Lafarge, BNP, Yves Rocher, Bolloré, Samsung, Auchan, toutes ces plaintes, j'ai passé avec, je tiens à les citer, parce qu'elles sont encore plus invisibilisées que d'autres femmes dans ce milieu, toutes les stagiaires qui ont travaillé avec moi, on a passé des heures et des heures, et des pages et des pages, à montrer le lien. qui existe de contrôle entre la maison mère et la filiale qui opère directement dans le pays ou le sous-traitant. Et c'est là-dessus aussi qu'a été basé le classement sans suite. C'est que la procureure a dit, elle a suivi l'entreprise. Bon, c'est surtout chez les sous-traitants qu'il y a des problèmes. Pas directement dans la filiale de Vinci. Et c'est là tout le problème de ces chaînes de valeurs qui ont des milliers de sous-traitants et de filiales à l'étranger, et de ce système néolibéral de façon générale, c'est qu'il n'y a pas de limite. de nombre de filiales et sous-traitants à l'étranger, et que les multinationales se servent de ce nombre pour se dédouaner complètement de leurs responsabilités.

  • Speaker #0

    Bizarre. Vinci proclame fièrement dans une charte disponible sur son site que l'entreprise ne travaille qu'avec des sous-traitants respectant les mêmes valeurs éthiques que le groupe. Des valeurs qu'il est facile de porter haut. Surtout quand les victimes qui pourraient casser l'ambiance crient dans le désert.

  • Speaker #1

    Donc imaginez, je suis une victime à l'autre bout du monde. Par exemple, je suis un ouvrier indien au Qatar. Je sais que ma violation de droit provient de la filiale qui est au Qatar, mais déjà c'est très très difficile pour moi de le prouver. Je n'ai pas les droits, je n'ai pas accès aux tribunaux, il n'y a pas de syndicat. Et en plus, imaginez comment je peux accéder à des tribunaux en France, montrer que c'est en fait in fine la faute d'une maison mère en France. C'est quasi impossible.

  • Speaker #0

    La loi devoir de vigilance qui arrive en 2017 permet de corriger un peu le tir. Les procédures sont longues et éprouvantes, certes. Marie-Laure Guislain le sait. Mais désormais, il y a un cadre juridique qui permet d'aller chercher les multinationales par le col pour les mettre face à leurs responsabilités.

  • Speaker #1

    Comme pour la Farge, les multinationales ne veulent plus contribuer aux conflits armés. Là, toutes les multinationales qui vont être sur des gros chantiers ou même dans les usines textiles, quand je suis allée au Bangladesh, c'est pareil. Eh bien, j'espère que ces multinationales se poseront la question, bien plus qu'avant, de savoir si elles n'ont pas un risque d'être attaquées. Pour travail forcé et réduction en servitude, la loi pénale permet particulièrement de les dissuader parce qu'il y a des peines spéciales pour les multinationales, notamment d'exclusion des marchés.

  • Speaker #0

    ou de suspension un temps des marchés, ou même des peines de prison pour les dirigeants. Et ça, c'est bien plus dissuasif que, par exemple, une seule amende, qui est parfois même provisionnée dans le budget des multinationales.

  • Speaker #1

    Et j'imagine que depuis l'éclatement de l'affaire, Vinci a fait des énormes communiqués de presse, des rapports en améliorant sa stratégie de responsabilité sociale. Est-ce qu'il y a une... de beaux discours de Vinci, mais des choses qui sont dites par Vinci, qui n'ont pas vraiment changé sur le terrain.

  • Speaker #0

    Dès la plainte initiale en 2015, on montre l'écart considérable qui existe entre les chartes éthiques de Vinci et le terrain. Donc pour nous, ça, ça n'a pas changé. Effectivement, ils ont essayé de renforcer leur communication, mais ils se sont enfoncés à plusieurs reprises en disant qu'ils avaient confisqué les passeports parce que les travailleurs avaient peur des vols. En fait, ils ont essayé d'expliquer plein de choses par des moyens qui les ont enfoncés. Vinci a aussi fait des faux pas à ce niveau-là, en communiquant vraiment largement, avant qu'on aille sur place et après, sur le fait qu'ils contrôlaient leurs sous-traitants et qu'ils offraient les mêmes conditions de travail à leurs sous-traitants qu'à leurs travailleurs directs. Et on a pu montrer l'inverse. Et à l'inverse, ça leur a permis de gagner énormément d'argent. de ne pas respecter cette communication en offrant des conditions bien moins intéressantes à quand même 60% de leurs main-d'oeuvre sur place. Donc à Sherpa à l'époque, on a toujours montré cet écart entre les engagements éthiques d'un côté des multinationales qu'on attaquait et la réalité sur place. Et c'est aussi grâce à ça qu'on a pu obtenir la loi sur le devoir de vigilance en montrant que ces engagements éthiques ne suffisent plus. On a à chaque fois un écart énorme entre ces engagements et la réalité. Le seul problème, c'est qu'il n'y a pas d'enquête suffisante parce qu'il n'y a pas de moyens. Donc on a besoin aussi que les financeurs, financeuses, les bailleurs, les fondations prennent conscience de l'importance de ce type d'enquête et du contentieux stratégique pour... changer l'état de respect des droits humains dans le monde, parce que sinon, de toute façon, on n'arrivera pas à gratter un petit peu sur l'impunité des multinationales.

  • Speaker #2

    Deux ans avant la Coupe du Monde, le Qatar a finalement entrepris quelques menus changements pour les travailleurs étrangers. Ils et elles peuvent désormais changer d'employeur sans demander la permission à celui qu'ils veulent quitter, Quelques salaires impayés ont été réglés. Un tribunal spécialisé en droit du travail a même fleuri à Doha. Du côté de Vinci, un petit effort est fait sur les logements, enfin mis aux normes. Un salaire minimum a été instauré. Et dans un communiqué, l'entreprise se vante même d'être la première entreprise sur le sol qatari à organiser des élections de représentants du personnel.

  • Speaker #0

    la plainte n'est pas la seule responsable et cause directe de tous ces changements. D'après les travailleurs et d'après l'IBB et les syndicats, elle y a contribué. Donc pour moi, ça confirme aussi l'importance de la complémentarité des actions, c'est-à-dire s'organiser sur place quand on est des travailleurs, travailleuses concernées. Ça, c'est la première chose. Sans ces travailleurs organisés, on n'aurait jamais pu faire cette plainte. Ensuite, les syndicats. Après, il y a dans plein d'autres combats, des occupations, des pétitions, et on voit aujourd'hui que le droit est quand même un des moyens d'action qui permet d'appuyer aussi d'autres types de luttes. C'est ce qui est ressorti par exemple d'un rapport de Terre de lutte, qui montre qu'aujourd'hui, pour les collectifs qui luttent contre les mégaprojets, le droit reste un des trois moyens privilégiés. d'action. Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis très contente d'inviter tous les collectifs qui le veulent à faire partie d'un espace de travail collectif droit et mouvements sociaux qu'on est en train de créer, avec le CAC et Sciences Citoyennes et Allumeuses, mon asso, pour justement renforcer cette stratégie juridique, que le droit ne soit pas pour les plus riches et les plus puissants, mais pour tous et par tous, et qu'on puisse créer un vrai rapport de force, aujourd'hui encore extrêmement déséquilibré. pour pouvoir rétablir une espèce d'équité et réduire les inégalités et les graves violations des droits humains dont je vous ai parlé.

  • Speaker #2

    Marie-Laure Guislain a porté tout ce dossier sur ses épaules, avec des petites mains pour l'aider. Sous pression dans son association, gardant en elle les souffrances de ses hommes, transformés en esclaves. au nom du sport.

  • Speaker #1

    Et depuis cette enquête et cette affaire judiciaire, comment tu te sens ? Comment cette enquête a changé ta vie ?

  • Speaker #0

    Cette enquête a changé ma vie sur plusieurs points. Déjà, j'étais tellement bouleversée par la compréhension de ce système d'esclavage et par ce qui l'alimentait que j'ai été vraiment motivée pour changer mon mode de consommation. Ce n'est vraiment pas la mesure la plus efficace, mais en tout cas... Je refuse qu'on m'ôte au moins ce pouvoir de ne plus jamais acheter dans une multinationale ou dans un supermarché ou acheter neuf pour entretenir le système d'esclavage moderne. Cette enquête m'a permis de mettre une pièce vraiment essentielle au puzzle plus grand de comment marche le système néolibéral et comment on peut en sortir. Donc ce système néolibéral, néocolonial, patriarcal produit 50 millions d'esclaves dans le monde. Pour moi, c'est de ne pas rester devant l'impuissance et de se dire de toute façon, on ne peut rien faire. Non, non, on peut faire plein de choses. Il ne s'agit que d'une question de volonté politique. Et comme le disait Margaret Mead... Ne doutez jamais qu'un petit groupe de gens déterminés peut changer le monde, c'est toujours comme ça que ça a commencé. Encore une fois, ce n'est qu'une question de volonté politique.

  • Speaker #2

    La mauvaise publicité d'une mise en examen ne fait pas assez peur aux multinationales. Et pour cause, après la mise en examen de Vinci et le coup de projecteur sur les morts de la Coupe du Monde repris dans le monde entier, les appels au boycott sont restés lettres mortes. Il y a bien eu quelques indécrotables pour tourner le dos aux télévisions qui retransmettaient les matchs. Mais ils n'ont pas dû être bien nombreux, à voir les audiences record et les recettes globales de l'événement, qui se sont chiffrées en milliards de dollars. Pourtant, Marie-Laure Guislain y croit, la justice pénale pourrait devenir l'un des grains de sable qui grippe cette grosse machine du travail forcé. Si le montant des amendes devient prohibitif, si les peines de prison menacent véritablement les dirigeants, et si l'activisme militant ne faiblit pas, il est possible de promettre des lendemains qui déchantent à ces entreprises confortablement installées dans leur culture de l'impunité. Ces entreprises qui continuent de raconter partout que des ouvriers réduits en servitude sont des salariés heureux et qui ont choisi d'être là.

Description

Goliaths - le podcast d'enquête sur les multinationales et leur monde

Vinci… c’est une multinationale, une vraie. Une qui construit tout ce qui est possible d’imaginer : du nucléaire, des routes, des incinérateurs de déchets… des aéroports (sauf à Notre-dame des landes)… et même des stades. 

Au Qatar, là ou la culture du foot est née en même temps que l’organisation de la Coupe du monde il y a à peine dix ans, le géant français a flairé la bonne affaire. Dans un pays ou le travail forcé est la norme, où les entreprises s’épanouissent dans une culture de l’impunité totale… Vinci BTP a remporté un juteux marché, grâce à une de ses filiales : des stades, des hôtels de luxe, des infrastructures… de quoi s’enrichir à millions en quelques années. Mais la multinationale ne savait pas qu’elle allait croiser la route d’une femme entêtée qui allait devenir la nemesis du géant du BTP : Marie-Laure Guislain, qui travaillait à l'époque pour l'ONG Sherpa.

Un podcast écrit et raconté par Violette Voldoire. Production : Lora Verheecke et Violette Voldoire. Réalisation : Etienne Gratianette. 

Goliaths est une création originale de Radio Parleur et de l'Observatoire des multinationales. 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Si on vous dit

  • Speaker #1

    BTP, bien sûr vous pensez à nos magnifiques bâtiments en béton,

  • Speaker #0

    à la finesse du goudron de nos routes,

  • Speaker #1

    à la délicatesse de nos centrales nucléaires. Mais surtout, vous pensez à la subtile courbure de nos stades climatisés,

  • Speaker #0

    là où la magie du sport vous fait oublier les problèmes insignifiants du monde d'aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Moi, ça fait partie des enquêtes les plus difficiles. Pourtant, j'en ai fait un certain nombre. Parce qu'elle m'a montré l'ampleur du système et de sa violence.

  • Speaker #0

    Vous écoutez Goliath. C'est pas quelque chose qui est pas de pas de l'argent. Que cachent les multinationales ?

  • Speaker #1

    Je suis Laura Vérec.

  • Speaker #0

    Je suis Violette Voldoire. Bienvenue dans le podcast de l'Observatoire des multinationales et de Radioparleurs. Vinci, c'est une multinationale, une vraie. Une qui construit tout ce qui est possible d'imaginer. Du nucléaire, des routes, des incinérateurs de déchets, des aéroports, sauf à Notre-Dame-des-Landes, et même des stades. Au Qatar, là où la culture du foot est née en même temps que l'organisation de la Coupe du Monde il y a à peine dix ans, le géant français a flairé la bonne affaire. Dans un pays où le travail forcé est à la norme, où les entreprises s'épanouissent dans une culture de l'impunité totale, Vinci BTP a remporté un juteux marché grâce à une de ses filiales. Des stades, des hôtels de luxe, des infrastructures, de quoi s'enrichir à millions en quelques années seulement. Mais la multinationale ne savait pas qu'elle allait croiser la route d'une femme entêtée qui allait devenir la némésis du géant du BTP.

  • Speaker #1

    Je m'appelle Marie-Laure Guislain, j'étais l'ancienne responsable du contentieux stratégique à Sherpa pendant 8 ans et demi de 2012 à 2020, c'est-à-dire des enquêtes et des actions en justice contre les multinationales pour des graves violations de droits à l'étranger.

  • Speaker #0

    Sherpa, c'est une petite ONG, quelques salariés seulement. Marie-Laure Guislain y est juriste. Elle qui a toujours voulu être avocate veut y développer la stratégie du contentieux. En termes de contentieux, quand on regarde vers les multinationales, il y a l'embarras du choix.

  • Speaker #1

    Tu vas enquêter sur Vinci au Qatar. Est-ce que tu as une idée déjà de ce que fait Vinci avant de commencer ton enquête ? J'ai une idée comme tout français, je crois, autoroute, parking, mais je ne sais pas ce qu'ils font au Qatar en particulier. C'est grâce aux médias et à des enquêtes de Human Rights Watch notamment et à l'alerte de la CGT. que je m'y intéresse de plus près, et qu'on se rend compte que c'est tout à fait dans le mandat de Sherpa, et dans le mien en particulier.

  • Speaker #0

    En décembre 2014, une délégation de la Fédération du bois et du bâtiment obtient l'autorisation d'entrer au Qatar, de visiter les chantiers. Marie-Laure Guislain se glisse dans le groupe de syndicalistes pour s'infiltrer dans l'un des pires régimes despotiques du monde.

  • Speaker #1

    Ce qui a été très difficile, c'est de pouvoir parler à des travailleuses, travailleurs en particulier. Donc on accède à ces travailleurs en se cachant dans des centres commerciaux le soir. On a pu vraiment interviewer ces travailleurs pendant des heures pour avoir tous les détails dont on avait besoin pour porter plainte.

  • Speaker #0

    Marie-Laure Guislain se fait furtive pour aborder ces travailleurs étrangers. Des travailleurs qui constituent la deuxième ressource économique du pays, après le gaz qui en a fait la fortune à la fin des années 90. Ils et elles sont plus d'un million et demi à l'époque où elle arrive au Qatar. Classe laborieuse sans repos, exploitées, mal payées quand ils le sont, ils font tourner un pays de citoyens actionnaires. Restaurants, commerces, nettoyages et bien sûr construction de villes pseudo-futuristes démentielles. Un champ absurde de centres commerciaux lisses et climatisés. Seul lieu de rencontre possible avec les ouvriers qui les fréquentent, pour regarder l'opulence des autres sur leurs rares jours de congés.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce qu'ils t'ont raconté ou elles t'ont raconté ? Ils m'ont raconté comment se passaient leurs journées type, sans même se rendre compte combien ces journées type violaient leurs droits fondamentaux. C'est ça qui m'a le plus marquée et bouleversée. qui se lèvent à 4h du matin pour arriver à 6h sur les chantiers, 3h de transport par jour dans des bus qui ne sont pas climatisés, donc ils travaillent 11h par jour avec une heure de pause, parfois 77h par semaine parce que les travailleurs veulent faire des heures supplémentaires. D'ailleurs, au-delà de la limite légale qu'attarie, qui enjoint les entreprises de ne pas dépasser 60h. et donc 12 heures de travail supplémentaire par rapport aux 48 heures légales, à 40 degrés au soleil. Avec les milliards de chiffres d'affaires que Vinci fait, ce n'est pas très compliqué de mettre des bâches ou n'importe quoi. Je sais qu'il y a plein de façons de protéger du soleil. Conséquence de ce manque de protection contre la chaleur, il y a une population vulnérable qui a pourtant entre 20 et 40 ans et qui est en pleine forme physique, qui fait des crises cardiaques par milliers.

  • Speaker #0

    Des milliers très certainement, et plus probablement encore des dizaines de milliers. Seul le Guardian a tenté de chiffrer les morts tombés sur les chantiers de la Coupe du Monde. 6 500 entre 2011 et 2020. Tout aussi choquant, les autorités qatariennes n'ont pas très envie de savoir. Amnesty International produit un chiffre des plus inquiétants. Près des trois quarts des décès des travailleurs migrants sont inexpliqués. Combien de corps sont ainsi renvoyés ? Avec un simple coup de tampon, mort naturelle.

  • Speaker #1

    on a du mal à évaluer parce qu'il n'y a pas eu d'autopsie de la plupart des corps. Pour ces esclaves oubliés du système, ces esclaves modernes, l'autopsie, c'est un luxe, on va dire. Et je me souviens que tous les travailleurs et tous les témoignages qu'on a produits disent à quel point ils ont peur de finir comme les autres collègues, c'est-à-dire de tomber. Donc c'est vraiment le mot qu'ils emploient, tomber d'un coup et de mourir d'une crise cardiaque du jour au lendemain. La plupart du temps, ça ne se passe pas forcément sur les chantiers, ça se passe quand ils rentrent au camp, quand le corps s'apaise. Et raison pour laquelle Vinci classe ces morts comme des morts naturelles. et donc qui ne permettent pas d'indemniser les familles comme elles devraient l'être. Et ce qui m'a bouleversée, je me souviens, c'est que dans l'ambassade en Inde, l'ambassadeur nous explique que pour lui, il a changé de fonction, qu'il est devenu en fait un croque-mort qui renvoie les corps dans son pays.

  • Speaker #0

    Marie-Laure Guislain ne peut pas se contenter des interviews à la sauvette qu'elle arrive à glaner entre les deux portes vitrées des centres commerciaux. Ce que les ouvriers lui racontent est à peine croyable. Avec la délégation syndicale, elle réussit à en convaincre certains de l'emmener voir les logements. En fait, logements, ce sont des camps, les sols jonchés de détritus, les murs moisis et les paillasses en fer lui soulèvent le cœur.

  • Speaker #1

    Alors, moi, je n'ai jamais vu ça et pourtant, j'ai quand même fait plusieurs enquêtes. Et franchement, je n'ai jamais été aussi indignée de conditions de logement comme ça. On arrive dans une pièce où, en fait, il y a des lits superposés entassés. Et en plus, ce sont des lits superposés en métal très fragiles, donc réveillés forcément par les uns et les autres. Ils sont, la plupart du temps, huit par chambre. En plus, les conditions d'hygiène étaient vraiment, en tout cas, pour ce qu'on a pu qualifier ensuite dans la plainte, incompatibles avec la dignité humaine.

  • Speaker #0

    Et qui va les défendre ? L'enquêterie sait que dans ce pays, les syndicats sont interdits. Les ouvriers surpris à poster des photos pour critiquer leurs conditions d'hébergement sont expulsés. Manu militari. Les victimes d'esclavage forcé deviennent les témoins gênants de leurs propres conditions. Ils ne doivent pas parler, jamais et à personne. Pas de signe extérieur de misère ? Pour les multinationales, il n'y a donc pas de problème. Fin de l'histoire.

  • Speaker #1

    Pour moi, la négligence est maltraitance. Quand on sait, quand on est une multinationale qui a accès à tous les rapports, comme j'ai eu accès à ces rapports de l'OMS ou d'autres rapports qui sont libres d'accès et qui sont extrêmement faciles à lire, on sait très bien que lorsqu'on manque de sommeil, lorsque l'on est dans une chaleur accablante, 11 heures sans pause à l'ombre, eh bien on sait très bien les risques. qui existent. D'autant plus que les médias parlent, alertent sur les crises cardiaques, et pendant des années. C'est qu'on dit, voilà, il ne va pas changer. On a beau mettre quelques petits coups de peinture, le cœur des problèmes qui fondent cette pénibilité au travail est resté. Donc, ils ne pouvaient pas ignorer ces risques.

  • Speaker #0

    La crédulité apparente de Vinci agace beaucoup Marie-Laure Guislain. Pour une bonne et simple raison, les ouvriers étrangers sont toujours sous emprise de leur employeur. Au Qatar, cela s'appelle la règle de la kafala. Dès le départ, les employés qui arrivent au Qatar depuis l'Inde ou le Bangladesh ne savent pas pour quelle entreprise ils vont travailler. Non, ce sont les agences de recrutement qui décident. Une fois débarquées, la CAFALA stipule que l'employé est sous tutelle de son employeur. Les entreprises confisquent donc les passeports. Même si rien dans la loi Qatari n'impose cette pratique. Quand on travaille au Qatar et qu'on est un ouvrier ou un travailleur migrant, on vous explique que c'est comme ça que ça se passe, tout simplement.

  • Speaker #1

    Donc, c'est une pratique très répandue par les multinationales, mais elles savent qu'elles ont tout le pouvoir et que de toute façon, elles ne seront pas mises en cause si elles le font. Donc, jusqu'à 2015, jusqu'à la plainte aussi, jusqu'à janvier 2015, Vinci confisque les passeports. Et c'est très intéressant parce que Vinci nous dit mais on ne les confisque pas, on leur garde parce qu'ils ont peur d'être volés entre eux. Comme s'ils avaient peur qu'on leur pique leur passeport, alors que tous les travailleurs interrogés me disaient mais non, absolument pas On ne savait pas qu'on avait soi-disant le choix. On nous le prend dès qu'on arrive à la sortie de l'avion. En plus, ils signent des contrats à l'agence de recrutement dans leur pays d'origine, dans une langue qu'ils ne comprennent pas. Et non seulement leur passeport est confisqué, mais en plus, ils doivent demander une lettre pour pouvoir, par exemple en cas d'urgence, retourner dans leur pays et récupérer leur passeport.

  • Speaker #0

    Les ouvriers de Vinci ont donc tout intérêt à bien s'entendre avec leur employeur. Comme l'enquêtrice, eux aussi ont entendu les histoires des malchanceux qui n'ont jamais reçu leur salaire. et qui n'ont rien dit, sous la menace de se retrouver sans papier du jour au lendemain.

  • Speaker #1

    Toutes ces mesures représentent, c'est ce qu'on argumente en tout cas dans la plainte, et qui a soutenu cette mise en examen de Vinci. Des menaces et des pressions qui permettent à un employeur de contraindre une population vulnérable à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine ou de contraindre cette population à un travail fourni qui est sans rapport avec le salaire qu'ils reçoivent.

  • Speaker #0

    Voilà, c'est en équivalent français le salaire médian de ces hommes. C'est 4% du salaire médian qu'attarie. Il y a des chanceux, bien sûr, qui touchent un petit peu moins de 500 euros par mois. Quelques heureux élus, dont ne font pas partie les forçats des stades de la Coupe du Monde.

  • Speaker #1

    Et c'est bien la raison pour laquelle on a affaire à cette population vulnérable. C'est bien parce que les multinationales peuvent payer aussi peu les gens. qu'il n'y a pas de personnes qui pourraient demander des salaires décents sur ces chantiers. Donc on est bien face à un système d'exploitation d'une main-d'œuvre à un bas coût, comme si l'avis des actionnaires comptait bien plus que l'avis des travailleurs.

  • Speaker #0

    On ne marche pas librement dans les rues lorsqu'on est un ouvrier étranger au Qatar. Si un catarie vous surprend depuis son SUV à vous voir marcher le long d'une route, il appelle la police qui peut vous expulser si cela lui prend. Marie-Laure Guislain voit tout de suite que c'est la terreur, cette main de fer qui empêche les ouvriers de fuir. Car ce qu'elle entend de la bouche de ces ouvriers semble sorti d'un livre d'histoire au chapitre des camps de travail forcés du siècle dernier.

  • Speaker #1

    Et est-ce que ces travailleurs avaient peur de parler de leurs conditions ? Oui, il y en a qui ne voulaient pas parler et c'était très difficile de commencer à rentrer dans les détails de ce qu'ils vivaient parce qu'ils avaient besoin d'abord d'être vraiment rassurés sur... Ce qu'on allait faire de leurs témoignages, les représailles qu'ils allaient subir ou non, en fait, autour d'eux, il y avait des travailleurs qui avaient été bloqués au Qatar parce que leur passeport avait été confisqué et on leur avait enlevé leur salaire. Donc, ils avaient extrêmement peur d'être bloqués au Qatar, mais aussi de perdre tout simplement leur travail. Parce que même s'ils voulaient dénoncer les conditions dans lesquelles ils travaillaient, ils étaient tellement dépendants économiquement. La survie de leur famille dépendait tellement du travail qu'ils avaient réussi à avoir au Qatar, parfois en s'endettant même dans leur pays d'origine pour pouvoir payer l'agence de recrutement, que pour eux c'était inimaginable de perdre ce travail. Donc oui, c'était vraiment assez complexe d'avoir la confiance de ces travailleurs. Et d'autant plus que les entreprises donnaient des ordres de ne pas parler aux journalistes et aux ONG dans les rues. Donc il y avait des bus qui étaient prévus juste après les chantiers et on les invitait très gentiment à prendre ce bus pour qu'ils rentrent sur les camps et que justement ça soit assez difficile en fait de pouvoir leur parler et de les identifier.

  • Speaker #0

    Des camps de logement jusqu'aux chantiers poussiéreux, les caméras et les sociétés de sécurité privées maintiennent une surveillance continue. Curieux, se dit Marie-Laure Guislain, de la part d'entreprises qui clament haut et fort n'avoir rien à cacher.

  • Speaker #1

    Quand on a approché du Sheraton Park et voulu prendre des photos du chantier avec Gilles Letor et la délégation, on nous a bien fait comprendre qu'il fallait dégager. On sait que les visites des chantiers étaient uniquement guidées. Personne n'a pu faire des visites sans qu'il y ait du personnel de Vinci. Il y a eu énormément de contrôle, de maîtrise de Vinci, des travailleurs, des syndicats. de toute personne qui essayait d'approcher des chantiers, ça c'est clair.

  • Speaker #0

    Plus le temps passe et plus le risque d'être repéré se fait grand pour Marie-Laure Guislain. Par les autorités qataris, mais pas seulement.

  • Speaker #1

    Et lorsque tu es sur le terrain et que tu interviews tous ces travailleurs... Est-ce que tu as eu des problèmes, des soucis avec les autorités Qatari ? On a toujours pris soin de crypter les mails, d'avoir des appels cryptés, de faire attention à toujours être en mode avion ou sans batterie quand on parlait des dossiers. On a pris les mesures les plus basiques, mais ce qu'on pouvait faire pour protéger le plus possible ces travailleurs. L'œil de Doha, je ne l'ai pas senti. de Doha, je l'ai senti de Vinci.

  • Speaker #0

    Mais il est déjà trop tard pour dissuader l'enquêtrice. Sans laisser le temps à Vinci de réagir, Marie-Laure Guislain monte dans un avion pour la France, avec plus de témoignages qu'il n'en faut pour incriminer le géant du BTP. C'est une fois arrivée chez elle, qu'elle prend la mesure des horreurs qu'elle a vues et entendues. Elle s'effondre pendant quelques jours. puis se relève et monte la procédure judiciaire.

  • Speaker #1

    Donc on caractérise grâce à toutes les preuves, les photos que je récupère bien entendu, les visites, les témoignages aussi d'autres experts. On a passé des centaines d'heures à éplucher le droit qu'Atharie, faire des traductions. Tout ça nous permet en fait d'écrire une plainte de plus de 50 pages qui montre au juge qu'il y a lieu de mettre en examen Vinci, la filiale. de Vinci Construction Grands Projets, pour ces différentes infractions, et les dirigeants français.

  • Speaker #0

    Elle ne sait pas encore qu'elle a su faire trembler son adversaire, au point qu'il va l'attaquer personnellement. Vinci porte plainte contre l'enquêtrice pour diffamation.

  • Speaker #1

    Moi, je suis avocate de formation, donc c'est un tout petit peu moins intimidant d'être prévenue devant la chambre correctionnelle pour diffamation. Mais pour la plupart des gens, c'est quand même une sacrée bonne technique d'intimidation, sachant que j'en ai pour 15 ans de procès en diffamation.

  • Speaker #0

    Peu importe ces procédures baillons. En 2015, Sherpa dépose donc plainte contre Vinci pour travail forcé. La justice française va enfin s'en mêler. Marie-Laure Guislain est soulagée, car ce qu'elle a vu sur les chantiers qu'Atari était à peine croyable. Mais ce qu'il attend dans les bureaux de la police française est carrément surréaliste.

  • Speaker #1

    On a eu affaire à un commandant de police en charge de l'enquête sous les ordres de la procureure de Nanterre. Le commandant de police m'a auditionné à plusieurs reprises. pour que je puisse lui expliquer ce que j'avais vu sur place, et puis que je puisse aussi donner la parole des travailleurs, puisqu'on a fourni des témoignages anonymes. Malheureusement, le commandant m'explique au bout de plusieurs entretiens qu'il refuse de faire une perquisition dans les bureaux de Vinci parce qu'il ne voudrait pas, je le cite, que BFM et TF1 soient sur les lieux de la perquisition et que cela fasse baisser les actions de l'entreprise en bourse. Donc j'ai affaire à un commandant de police sous les ordres de magistrats du parquet chargé de la plupart des enquêtes en France qui me dit sans scrupule qu'il n'est pas indépendant et qu'il préfère protéger les intérêts économiques du multinational plutôt que de faire son travail comme il devrait le faire. Donc ça c'est la première chose. La deuxième chose, c'est qu'ils n'ont pas accepté les témoins anonymes, alors même qu'on leur a expliqué pourquoi on fournissait ces témoignages anonymes. Et alors même que dans le code de procédure pénale, dans le cadre de ces procédures travail forcé, on peut produire des témoignages sous X. et que de toute façon, la preuve est libre en droit pénal. Donc, on a expliqué aux procureurs et aux commandants qu'on pouvait fournir, évidemment, l'identité de toutes ces personnes, qu'on avait la photocopie de leur carte d'identité, les mandats donnés à Sherpa, etc. Enfin, on avait bien fait les choses, comme d'habitude. Mais que, dans ce cadre, on avait besoin d'anonymiser les témoignages parce que les travailleurs avaient extrêmement peur des représailles. Et ça, ça a été refusé. La troisième chose choquante, c'est que dans le classement sans suite, qui est survenu quelques années après en plus la première plainte, donc en 2018, la procureure explique qu'elle classe sans suite l'affaire parce que, notamment, l'entreprise s'est améliorée depuis l'époque de la plainte. Et alors ça, c'est très intéressant. Parce qu'on se rend compte que les procureurs suivent eux aussi le lobbying des multinationales qui disent mais vous savez, nous on est moins pire que les Chinois, mais regardez, on a fait plein d'efforts depuis Alors qu'on n'imaginerait même pas deux secondes quelqu'un accusé de terrorisme dire mais écoutez, madame le procureur... Je me suis améliorée, ça fait quand même trois ans que je n'ai pas posé de bombe. Voilà, soyez sympa, classez l'affaire sans suite. Donc, les faits n'étaient pas prescrits. Et pour autant, parce que l'entreprise s'était améliorée, le dossier a été classé sans suite. Et alors, ce qui est extrêmement important de noter, c'est sur quoi la procureure juge cette amélioration ? Sur la base d'audit fournie par l'entreprise. puisqu'il n'y a pas eu de perquisition de toute façon. Et ces audits sont faits dans quelles conditions ? Ils sont payés par l'entreprise, première chose, donc ils ne sont pas indépendants. Ils sont faits en présence des managers. Et donc les travailleurs ont extrêmement peur de répondre en présence des managers. Ils ne sont pas faits de manière anonyme. Donc même s'ils ne sont pas faits en présence des managers, un travailleur ne peut pas se livrer réellement sur ses conditions de travail ou de logement. Enfin, alors même que certains audits... soulève des irrégularités, comme par exemple des manques de médecins par rapport à la loi Qatari, qui est pourtant peu exigeante, on l'a dit, sur les chantiers, il n'y a pas de prise de mesures correctives pour venir respecter les droits qui auraient été violés. Donc tout ceci montre qu'il y a un énorme problème autour des audits. et autour des preuves, du coup, qui sont considérées par la justice française, alors même que la justice ne se base que sur ces documents, puisqu'elle a refusé de considérer tout le reste, d'aller sur place ou de faire une perquisition.

  • Speaker #0

    Trois ans de procédure pour accoucher d'une souris. Le parquet de Nanterre classe l'affaire sans suite. Une petite tape sur l'épaule du géant du BTP. Merci messieurs, et faites mieux la prochaine fois. Marie-Laure Guislain n'en revient pas. Mais la colère et la frustration peuvent être un bon carburant. Après réflexion, elle a une idée. Puisqu'on lui a refusé les témoignages anonymes, si elle allait en chercher d'autres ? Ceux des ex-travailleurs, libérés de l'épée de Damoclès de l'expulsion du Qatar. Avec l'aide de l'un d'entre eux, et de sa collègue Clara González, l'enquêtrice de Sherpa remonte une expédition. Cette fois-ci, direction Limbes.

  • Speaker #1

    On se retrouve à interviewer à nouveau des employés. de chez Vinci Construction, mais cette fois, qui sont partis du Qatar et qui acceptent d'être plaignants dans une nouvelle plainte, et cette fois, directement devant un juge d'instruction, c'est-à-dire qu'on dépose une plainte avec constitution de parti civil. En Cette plainte est recevable, reçue par le juge d'instruction. Et après des mois à nouveau d'enquête bien plus diligente par le juge d'instruction, qui nous reçoit également, et grâce aussi à une police qui est spécialisée en matière de travail forcé et d'esclavage moderne. Et ça, ça change tout, parce qu'ils connaissent un petit peu le travail et le système qui mène. à l'esclavage moderne, notamment d'une population migrante bien plus vulnérable que le reste de la population. Et grâce à ça, ces deux enquêtes à ces travailleurs vraiment organisés, courageux et toutes ces démarches, on a obtenu ce qu'on n'espérait plus obtenir, c'est-à-dire roulement de tambour. Le 10 novembre 2022, dix jours avant le lancement de la Coupe du Monde, La mise en examen de Vinci Construction Grand Projet, la filiale française de Vinci en matière de construction. Et donc c'est la première fois qu'une mise en examen est faite d'une multinationale sur ses fondements de travail forcé, réduction en servitude, qui est passible de réclusion criminelle, travail incompatible avec la dignité humaine, comme je l'ai dit, et salaire sans rapport avec le travail fourni.

  • Speaker #0

    La guerre de communication entre la petite association et le mastodonte du BTP a commencé. D'habitude, Vinci est plutôt de ces multinationales discrètes. Mais cette fois, son PDG Xavier Huillard montre les dents.

  • Speaker #1

    Le PDG de Vinci qui se déplace en personne au tribunal. Preuve que l'affaire est cruciale pour l'image du groupe.

  • Speaker #0

    Extrait d'un reportage de BFM TV, 29 juillet 2018.

  • Speaker #1

    Face aux accusations de travail forcé au Qatar, Xavier Huillard contre-attaque. Il assure que de nombreuses visites ont été faites sur place, notamment des syndicats qui n'ont rien relevé d'anormal.

  • Speaker #0

    Bien sûr que certaines choses sont encore perfectibles. Ce que je peux vous assurer, c'est que dans le périmètre que nous maîtrisons,

  • Speaker #1

    c'est-à-dire sur le périmètre de notre chantier,

  • Speaker #0

    les choses se font de façon tout à fait parfaite, conformément à nos normes, qui sont elles-mêmes très supérieures aux normes en vigueur au Qatar.

  • Speaker #1

    Les accusations de l'ONG Sherpa, contestées par Vinci, portent essentiellement sur la situation des salariés embauchés par des sous-traitants du groupe. Une équipe de BFM TV s'était rendue sur place en mars dernier. Certains travailleurs migrants dénonçaient alors des conditions difficiles. Vidéo amateur à l'appui. La nourriture qu'on nous donne n'est pas bonne. On est jusqu'à 8 dans les chambres. Il n'y a pas d'espace. On n'a pas d'équipement.

  • Speaker #0

    On se douche et on lave nos habits au même endroit.

  • Speaker #1

    Vinci poursuit Sherpa pour atteinte à la présomption d'innocence. La justice tranchera le 30 juin. Visée aussi pour diffamation, l'ONG défend son rôle de lanceur d'alerte. L'association a porté plainte pour travail forcé et réduction en servitude. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Nanterre. dans les plaintes que j'ai écrites, que ce soit contre Lafarge, BNP, Yves Rocher, Bolloré, Samsung, Auchan, toutes ces plaintes, j'ai passé avec, je tiens à les citer, parce qu'elles sont encore plus invisibilisées que d'autres femmes dans ce milieu, toutes les stagiaires qui ont travaillé avec moi, on a passé des heures et des heures, et des pages et des pages, à montrer le lien. qui existe de contrôle entre la maison mère et la filiale qui opère directement dans le pays ou le sous-traitant. Et c'est là-dessus aussi qu'a été basé le classement sans suite. C'est que la procureure a dit, elle a suivi l'entreprise. Bon, c'est surtout chez les sous-traitants qu'il y a des problèmes. Pas directement dans la filiale de Vinci. Et c'est là tout le problème de ces chaînes de valeurs qui ont des milliers de sous-traitants et de filiales à l'étranger, et de ce système néolibéral de façon générale, c'est qu'il n'y a pas de limite. de nombre de filiales et sous-traitants à l'étranger, et que les multinationales se servent de ce nombre pour se dédouaner complètement de leurs responsabilités.

  • Speaker #0

    Bizarre. Vinci proclame fièrement dans une charte disponible sur son site que l'entreprise ne travaille qu'avec des sous-traitants respectant les mêmes valeurs éthiques que le groupe. Des valeurs qu'il est facile de porter haut. Surtout quand les victimes qui pourraient casser l'ambiance crient dans le désert.

  • Speaker #1

    Donc imaginez, je suis une victime à l'autre bout du monde. Par exemple, je suis un ouvrier indien au Qatar. Je sais que ma violation de droit provient de la filiale qui est au Qatar, mais déjà c'est très très difficile pour moi de le prouver. Je n'ai pas les droits, je n'ai pas accès aux tribunaux, il n'y a pas de syndicat. Et en plus, imaginez comment je peux accéder à des tribunaux en France, montrer que c'est en fait in fine la faute d'une maison mère en France. C'est quasi impossible.

  • Speaker #0

    La loi devoir de vigilance qui arrive en 2017 permet de corriger un peu le tir. Les procédures sont longues et éprouvantes, certes. Marie-Laure Guislain le sait. Mais désormais, il y a un cadre juridique qui permet d'aller chercher les multinationales par le col pour les mettre face à leurs responsabilités.

  • Speaker #1

    Comme pour la Farge, les multinationales ne veulent plus contribuer aux conflits armés. Là, toutes les multinationales qui vont être sur des gros chantiers ou même dans les usines textiles, quand je suis allée au Bangladesh, c'est pareil. Eh bien, j'espère que ces multinationales se poseront la question, bien plus qu'avant, de savoir si elles n'ont pas un risque d'être attaquées. Pour travail forcé et réduction en servitude, la loi pénale permet particulièrement de les dissuader parce qu'il y a des peines spéciales pour les multinationales, notamment d'exclusion des marchés.

  • Speaker #0

    ou de suspension un temps des marchés, ou même des peines de prison pour les dirigeants. Et ça, c'est bien plus dissuasif que, par exemple, une seule amende, qui est parfois même provisionnée dans le budget des multinationales.

  • Speaker #1

    Et j'imagine que depuis l'éclatement de l'affaire, Vinci a fait des énormes communiqués de presse, des rapports en améliorant sa stratégie de responsabilité sociale. Est-ce qu'il y a une... de beaux discours de Vinci, mais des choses qui sont dites par Vinci, qui n'ont pas vraiment changé sur le terrain.

  • Speaker #0

    Dès la plainte initiale en 2015, on montre l'écart considérable qui existe entre les chartes éthiques de Vinci et le terrain. Donc pour nous, ça, ça n'a pas changé. Effectivement, ils ont essayé de renforcer leur communication, mais ils se sont enfoncés à plusieurs reprises en disant qu'ils avaient confisqué les passeports parce que les travailleurs avaient peur des vols. En fait, ils ont essayé d'expliquer plein de choses par des moyens qui les ont enfoncés. Vinci a aussi fait des faux pas à ce niveau-là, en communiquant vraiment largement, avant qu'on aille sur place et après, sur le fait qu'ils contrôlaient leurs sous-traitants et qu'ils offraient les mêmes conditions de travail à leurs sous-traitants qu'à leurs travailleurs directs. Et on a pu montrer l'inverse. Et à l'inverse, ça leur a permis de gagner énormément d'argent. de ne pas respecter cette communication en offrant des conditions bien moins intéressantes à quand même 60% de leurs main-d'oeuvre sur place. Donc à Sherpa à l'époque, on a toujours montré cet écart entre les engagements éthiques d'un côté des multinationales qu'on attaquait et la réalité sur place. Et c'est aussi grâce à ça qu'on a pu obtenir la loi sur le devoir de vigilance en montrant que ces engagements éthiques ne suffisent plus. On a à chaque fois un écart énorme entre ces engagements et la réalité. Le seul problème, c'est qu'il n'y a pas d'enquête suffisante parce qu'il n'y a pas de moyens. Donc on a besoin aussi que les financeurs, financeuses, les bailleurs, les fondations prennent conscience de l'importance de ce type d'enquête et du contentieux stratégique pour... changer l'état de respect des droits humains dans le monde, parce que sinon, de toute façon, on n'arrivera pas à gratter un petit peu sur l'impunité des multinationales.

  • Speaker #2

    Deux ans avant la Coupe du Monde, le Qatar a finalement entrepris quelques menus changements pour les travailleurs étrangers. Ils et elles peuvent désormais changer d'employeur sans demander la permission à celui qu'ils veulent quitter, Quelques salaires impayés ont été réglés. Un tribunal spécialisé en droit du travail a même fleuri à Doha. Du côté de Vinci, un petit effort est fait sur les logements, enfin mis aux normes. Un salaire minimum a été instauré. Et dans un communiqué, l'entreprise se vante même d'être la première entreprise sur le sol qatari à organiser des élections de représentants du personnel.

  • Speaker #0

    la plainte n'est pas la seule responsable et cause directe de tous ces changements. D'après les travailleurs et d'après l'IBB et les syndicats, elle y a contribué. Donc pour moi, ça confirme aussi l'importance de la complémentarité des actions, c'est-à-dire s'organiser sur place quand on est des travailleurs, travailleuses concernées. Ça, c'est la première chose. Sans ces travailleurs organisés, on n'aurait jamais pu faire cette plainte. Ensuite, les syndicats. Après, il y a dans plein d'autres combats, des occupations, des pétitions, et on voit aujourd'hui que le droit est quand même un des moyens d'action qui permet d'appuyer aussi d'autres types de luttes. C'est ce qui est ressorti par exemple d'un rapport de Terre de lutte, qui montre qu'aujourd'hui, pour les collectifs qui luttent contre les mégaprojets, le droit reste un des trois moyens privilégiés. d'action. Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis très contente d'inviter tous les collectifs qui le veulent à faire partie d'un espace de travail collectif droit et mouvements sociaux qu'on est en train de créer, avec le CAC et Sciences Citoyennes et Allumeuses, mon asso, pour justement renforcer cette stratégie juridique, que le droit ne soit pas pour les plus riches et les plus puissants, mais pour tous et par tous, et qu'on puisse créer un vrai rapport de force, aujourd'hui encore extrêmement déséquilibré. pour pouvoir rétablir une espèce d'équité et réduire les inégalités et les graves violations des droits humains dont je vous ai parlé.

  • Speaker #2

    Marie-Laure Guislain a porté tout ce dossier sur ses épaules, avec des petites mains pour l'aider. Sous pression dans son association, gardant en elle les souffrances de ses hommes, transformés en esclaves. au nom du sport.

  • Speaker #1

    Et depuis cette enquête et cette affaire judiciaire, comment tu te sens ? Comment cette enquête a changé ta vie ?

  • Speaker #0

    Cette enquête a changé ma vie sur plusieurs points. Déjà, j'étais tellement bouleversée par la compréhension de ce système d'esclavage et par ce qui l'alimentait que j'ai été vraiment motivée pour changer mon mode de consommation. Ce n'est vraiment pas la mesure la plus efficace, mais en tout cas... Je refuse qu'on m'ôte au moins ce pouvoir de ne plus jamais acheter dans une multinationale ou dans un supermarché ou acheter neuf pour entretenir le système d'esclavage moderne. Cette enquête m'a permis de mettre une pièce vraiment essentielle au puzzle plus grand de comment marche le système néolibéral et comment on peut en sortir. Donc ce système néolibéral, néocolonial, patriarcal produit 50 millions d'esclaves dans le monde. Pour moi, c'est de ne pas rester devant l'impuissance et de se dire de toute façon, on ne peut rien faire. Non, non, on peut faire plein de choses. Il ne s'agit que d'une question de volonté politique. Et comme le disait Margaret Mead... Ne doutez jamais qu'un petit groupe de gens déterminés peut changer le monde, c'est toujours comme ça que ça a commencé. Encore une fois, ce n'est qu'une question de volonté politique.

  • Speaker #2

    La mauvaise publicité d'une mise en examen ne fait pas assez peur aux multinationales. Et pour cause, après la mise en examen de Vinci et le coup de projecteur sur les morts de la Coupe du Monde repris dans le monde entier, les appels au boycott sont restés lettres mortes. Il y a bien eu quelques indécrotables pour tourner le dos aux télévisions qui retransmettaient les matchs. Mais ils n'ont pas dû être bien nombreux, à voir les audiences record et les recettes globales de l'événement, qui se sont chiffrées en milliards de dollars. Pourtant, Marie-Laure Guislain y croit, la justice pénale pourrait devenir l'un des grains de sable qui grippe cette grosse machine du travail forcé. Si le montant des amendes devient prohibitif, si les peines de prison menacent véritablement les dirigeants, et si l'activisme militant ne faiblit pas, il est possible de promettre des lendemains qui déchantent à ces entreprises confortablement installées dans leur culture de l'impunité. Ces entreprises qui continuent de raconter partout que des ouvriers réduits en servitude sont des salariés heureux et qui ont choisi d'être là.

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Description

Goliaths - le podcast d'enquête sur les multinationales et leur monde

Vinci… c’est une multinationale, une vraie. Une qui construit tout ce qui est possible d’imaginer : du nucléaire, des routes, des incinérateurs de déchets… des aéroports (sauf à Notre-dame des landes)… et même des stades. 

Au Qatar, là ou la culture du foot est née en même temps que l’organisation de la Coupe du monde il y a à peine dix ans, le géant français a flairé la bonne affaire. Dans un pays ou le travail forcé est la norme, où les entreprises s’épanouissent dans une culture de l’impunité totale… Vinci BTP a remporté un juteux marché, grâce à une de ses filiales : des stades, des hôtels de luxe, des infrastructures… de quoi s’enrichir à millions en quelques années. Mais la multinationale ne savait pas qu’elle allait croiser la route d’une femme entêtée qui allait devenir la nemesis du géant du BTP : Marie-Laure Guislain, qui travaillait à l'époque pour l'ONG Sherpa.

Un podcast écrit et raconté par Violette Voldoire. Production : Lora Verheecke et Violette Voldoire. Réalisation : Etienne Gratianette. 

Goliaths est une création originale de Radio Parleur et de l'Observatoire des multinationales. 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Si on vous dit

  • Speaker #1

    BTP, bien sûr vous pensez à nos magnifiques bâtiments en béton,

  • Speaker #0

    à la finesse du goudron de nos routes,

  • Speaker #1

    à la délicatesse de nos centrales nucléaires. Mais surtout, vous pensez à la subtile courbure de nos stades climatisés,

  • Speaker #0

    là où la magie du sport vous fait oublier les problèmes insignifiants du monde d'aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Moi, ça fait partie des enquêtes les plus difficiles. Pourtant, j'en ai fait un certain nombre. Parce qu'elle m'a montré l'ampleur du système et de sa violence.

  • Speaker #0

    Vous écoutez Goliath. C'est pas quelque chose qui est pas de pas de l'argent. Que cachent les multinationales ?

  • Speaker #1

    Je suis Laura Vérec.

  • Speaker #0

    Je suis Violette Voldoire. Bienvenue dans le podcast de l'Observatoire des multinationales et de Radioparleurs. Vinci, c'est une multinationale, une vraie. Une qui construit tout ce qui est possible d'imaginer. Du nucléaire, des routes, des incinérateurs de déchets, des aéroports, sauf à Notre-Dame-des-Landes, et même des stades. Au Qatar, là où la culture du foot est née en même temps que l'organisation de la Coupe du Monde il y a à peine dix ans, le géant français a flairé la bonne affaire. Dans un pays où le travail forcé est à la norme, où les entreprises s'épanouissent dans une culture de l'impunité totale, Vinci BTP a remporté un juteux marché grâce à une de ses filiales. Des stades, des hôtels de luxe, des infrastructures, de quoi s'enrichir à millions en quelques années seulement. Mais la multinationale ne savait pas qu'elle allait croiser la route d'une femme entêtée qui allait devenir la némésis du géant du BTP.

  • Speaker #1

    Je m'appelle Marie-Laure Guislain, j'étais l'ancienne responsable du contentieux stratégique à Sherpa pendant 8 ans et demi de 2012 à 2020, c'est-à-dire des enquêtes et des actions en justice contre les multinationales pour des graves violations de droits à l'étranger.

  • Speaker #0

    Sherpa, c'est une petite ONG, quelques salariés seulement. Marie-Laure Guislain y est juriste. Elle qui a toujours voulu être avocate veut y développer la stratégie du contentieux. En termes de contentieux, quand on regarde vers les multinationales, il y a l'embarras du choix.

  • Speaker #1

    Tu vas enquêter sur Vinci au Qatar. Est-ce que tu as une idée déjà de ce que fait Vinci avant de commencer ton enquête ? J'ai une idée comme tout français, je crois, autoroute, parking, mais je ne sais pas ce qu'ils font au Qatar en particulier. C'est grâce aux médias et à des enquêtes de Human Rights Watch notamment et à l'alerte de la CGT. que je m'y intéresse de plus près, et qu'on se rend compte que c'est tout à fait dans le mandat de Sherpa, et dans le mien en particulier.

  • Speaker #0

    En décembre 2014, une délégation de la Fédération du bois et du bâtiment obtient l'autorisation d'entrer au Qatar, de visiter les chantiers. Marie-Laure Guislain se glisse dans le groupe de syndicalistes pour s'infiltrer dans l'un des pires régimes despotiques du monde.

  • Speaker #1

    Ce qui a été très difficile, c'est de pouvoir parler à des travailleuses, travailleurs en particulier. Donc on accède à ces travailleurs en se cachant dans des centres commerciaux le soir. On a pu vraiment interviewer ces travailleurs pendant des heures pour avoir tous les détails dont on avait besoin pour porter plainte.

  • Speaker #0

    Marie-Laure Guislain se fait furtive pour aborder ces travailleurs étrangers. Des travailleurs qui constituent la deuxième ressource économique du pays, après le gaz qui en a fait la fortune à la fin des années 90. Ils et elles sont plus d'un million et demi à l'époque où elle arrive au Qatar. Classe laborieuse sans repos, exploitées, mal payées quand ils le sont, ils font tourner un pays de citoyens actionnaires. Restaurants, commerces, nettoyages et bien sûr construction de villes pseudo-futuristes démentielles. Un champ absurde de centres commerciaux lisses et climatisés. Seul lieu de rencontre possible avec les ouvriers qui les fréquentent, pour regarder l'opulence des autres sur leurs rares jours de congés.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce qu'ils t'ont raconté ou elles t'ont raconté ? Ils m'ont raconté comment se passaient leurs journées type, sans même se rendre compte combien ces journées type violaient leurs droits fondamentaux. C'est ça qui m'a le plus marquée et bouleversée. qui se lèvent à 4h du matin pour arriver à 6h sur les chantiers, 3h de transport par jour dans des bus qui ne sont pas climatisés, donc ils travaillent 11h par jour avec une heure de pause, parfois 77h par semaine parce que les travailleurs veulent faire des heures supplémentaires. D'ailleurs, au-delà de la limite légale qu'attarie, qui enjoint les entreprises de ne pas dépasser 60h. et donc 12 heures de travail supplémentaire par rapport aux 48 heures légales, à 40 degrés au soleil. Avec les milliards de chiffres d'affaires que Vinci fait, ce n'est pas très compliqué de mettre des bâches ou n'importe quoi. Je sais qu'il y a plein de façons de protéger du soleil. Conséquence de ce manque de protection contre la chaleur, il y a une population vulnérable qui a pourtant entre 20 et 40 ans et qui est en pleine forme physique, qui fait des crises cardiaques par milliers.

  • Speaker #0

    Des milliers très certainement, et plus probablement encore des dizaines de milliers. Seul le Guardian a tenté de chiffrer les morts tombés sur les chantiers de la Coupe du Monde. 6 500 entre 2011 et 2020. Tout aussi choquant, les autorités qatariennes n'ont pas très envie de savoir. Amnesty International produit un chiffre des plus inquiétants. Près des trois quarts des décès des travailleurs migrants sont inexpliqués. Combien de corps sont ainsi renvoyés ? Avec un simple coup de tampon, mort naturelle.

  • Speaker #1

    on a du mal à évaluer parce qu'il n'y a pas eu d'autopsie de la plupart des corps. Pour ces esclaves oubliés du système, ces esclaves modernes, l'autopsie, c'est un luxe, on va dire. Et je me souviens que tous les travailleurs et tous les témoignages qu'on a produits disent à quel point ils ont peur de finir comme les autres collègues, c'est-à-dire de tomber. Donc c'est vraiment le mot qu'ils emploient, tomber d'un coup et de mourir d'une crise cardiaque du jour au lendemain. La plupart du temps, ça ne se passe pas forcément sur les chantiers, ça se passe quand ils rentrent au camp, quand le corps s'apaise. Et raison pour laquelle Vinci classe ces morts comme des morts naturelles. et donc qui ne permettent pas d'indemniser les familles comme elles devraient l'être. Et ce qui m'a bouleversée, je me souviens, c'est que dans l'ambassade en Inde, l'ambassadeur nous explique que pour lui, il a changé de fonction, qu'il est devenu en fait un croque-mort qui renvoie les corps dans son pays.

  • Speaker #0

    Marie-Laure Guislain ne peut pas se contenter des interviews à la sauvette qu'elle arrive à glaner entre les deux portes vitrées des centres commerciaux. Ce que les ouvriers lui racontent est à peine croyable. Avec la délégation syndicale, elle réussit à en convaincre certains de l'emmener voir les logements. En fait, logements, ce sont des camps, les sols jonchés de détritus, les murs moisis et les paillasses en fer lui soulèvent le cœur.

  • Speaker #1

    Alors, moi, je n'ai jamais vu ça et pourtant, j'ai quand même fait plusieurs enquêtes. Et franchement, je n'ai jamais été aussi indignée de conditions de logement comme ça. On arrive dans une pièce où, en fait, il y a des lits superposés entassés. Et en plus, ce sont des lits superposés en métal très fragiles, donc réveillés forcément par les uns et les autres. Ils sont, la plupart du temps, huit par chambre. En plus, les conditions d'hygiène étaient vraiment, en tout cas, pour ce qu'on a pu qualifier ensuite dans la plainte, incompatibles avec la dignité humaine.

  • Speaker #0

    Et qui va les défendre ? L'enquêterie sait que dans ce pays, les syndicats sont interdits. Les ouvriers surpris à poster des photos pour critiquer leurs conditions d'hébergement sont expulsés. Manu militari. Les victimes d'esclavage forcé deviennent les témoins gênants de leurs propres conditions. Ils ne doivent pas parler, jamais et à personne. Pas de signe extérieur de misère ? Pour les multinationales, il n'y a donc pas de problème. Fin de l'histoire.

  • Speaker #1

    Pour moi, la négligence est maltraitance. Quand on sait, quand on est une multinationale qui a accès à tous les rapports, comme j'ai eu accès à ces rapports de l'OMS ou d'autres rapports qui sont libres d'accès et qui sont extrêmement faciles à lire, on sait très bien que lorsqu'on manque de sommeil, lorsque l'on est dans une chaleur accablante, 11 heures sans pause à l'ombre, eh bien on sait très bien les risques. qui existent. D'autant plus que les médias parlent, alertent sur les crises cardiaques, et pendant des années. C'est qu'on dit, voilà, il ne va pas changer. On a beau mettre quelques petits coups de peinture, le cœur des problèmes qui fondent cette pénibilité au travail est resté. Donc, ils ne pouvaient pas ignorer ces risques.

  • Speaker #0

    La crédulité apparente de Vinci agace beaucoup Marie-Laure Guislain. Pour une bonne et simple raison, les ouvriers étrangers sont toujours sous emprise de leur employeur. Au Qatar, cela s'appelle la règle de la kafala. Dès le départ, les employés qui arrivent au Qatar depuis l'Inde ou le Bangladesh ne savent pas pour quelle entreprise ils vont travailler. Non, ce sont les agences de recrutement qui décident. Une fois débarquées, la CAFALA stipule que l'employé est sous tutelle de son employeur. Les entreprises confisquent donc les passeports. Même si rien dans la loi Qatari n'impose cette pratique. Quand on travaille au Qatar et qu'on est un ouvrier ou un travailleur migrant, on vous explique que c'est comme ça que ça se passe, tout simplement.

  • Speaker #1

    Donc, c'est une pratique très répandue par les multinationales, mais elles savent qu'elles ont tout le pouvoir et que de toute façon, elles ne seront pas mises en cause si elles le font. Donc, jusqu'à 2015, jusqu'à la plainte aussi, jusqu'à janvier 2015, Vinci confisque les passeports. Et c'est très intéressant parce que Vinci nous dit mais on ne les confisque pas, on leur garde parce qu'ils ont peur d'être volés entre eux. Comme s'ils avaient peur qu'on leur pique leur passeport, alors que tous les travailleurs interrogés me disaient mais non, absolument pas On ne savait pas qu'on avait soi-disant le choix. On nous le prend dès qu'on arrive à la sortie de l'avion. En plus, ils signent des contrats à l'agence de recrutement dans leur pays d'origine, dans une langue qu'ils ne comprennent pas. Et non seulement leur passeport est confisqué, mais en plus, ils doivent demander une lettre pour pouvoir, par exemple en cas d'urgence, retourner dans leur pays et récupérer leur passeport.

  • Speaker #0

    Les ouvriers de Vinci ont donc tout intérêt à bien s'entendre avec leur employeur. Comme l'enquêtrice, eux aussi ont entendu les histoires des malchanceux qui n'ont jamais reçu leur salaire. et qui n'ont rien dit, sous la menace de se retrouver sans papier du jour au lendemain.

  • Speaker #1

    Toutes ces mesures représentent, c'est ce qu'on argumente en tout cas dans la plainte, et qui a soutenu cette mise en examen de Vinci. Des menaces et des pressions qui permettent à un employeur de contraindre une population vulnérable à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine ou de contraindre cette population à un travail fourni qui est sans rapport avec le salaire qu'ils reçoivent.

  • Speaker #0

    Voilà, c'est en équivalent français le salaire médian de ces hommes. C'est 4% du salaire médian qu'attarie. Il y a des chanceux, bien sûr, qui touchent un petit peu moins de 500 euros par mois. Quelques heureux élus, dont ne font pas partie les forçats des stades de la Coupe du Monde.

  • Speaker #1

    Et c'est bien la raison pour laquelle on a affaire à cette population vulnérable. C'est bien parce que les multinationales peuvent payer aussi peu les gens. qu'il n'y a pas de personnes qui pourraient demander des salaires décents sur ces chantiers. Donc on est bien face à un système d'exploitation d'une main-d'œuvre à un bas coût, comme si l'avis des actionnaires comptait bien plus que l'avis des travailleurs.

  • Speaker #0

    On ne marche pas librement dans les rues lorsqu'on est un ouvrier étranger au Qatar. Si un catarie vous surprend depuis son SUV à vous voir marcher le long d'une route, il appelle la police qui peut vous expulser si cela lui prend. Marie-Laure Guislain voit tout de suite que c'est la terreur, cette main de fer qui empêche les ouvriers de fuir. Car ce qu'elle entend de la bouche de ces ouvriers semble sorti d'un livre d'histoire au chapitre des camps de travail forcés du siècle dernier.

  • Speaker #1

    Et est-ce que ces travailleurs avaient peur de parler de leurs conditions ? Oui, il y en a qui ne voulaient pas parler et c'était très difficile de commencer à rentrer dans les détails de ce qu'ils vivaient parce qu'ils avaient besoin d'abord d'être vraiment rassurés sur... Ce qu'on allait faire de leurs témoignages, les représailles qu'ils allaient subir ou non, en fait, autour d'eux, il y avait des travailleurs qui avaient été bloqués au Qatar parce que leur passeport avait été confisqué et on leur avait enlevé leur salaire. Donc, ils avaient extrêmement peur d'être bloqués au Qatar, mais aussi de perdre tout simplement leur travail. Parce que même s'ils voulaient dénoncer les conditions dans lesquelles ils travaillaient, ils étaient tellement dépendants économiquement. La survie de leur famille dépendait tellement du travail qu'ils avaient réussi à avoir au Qatar, parfois en s'endettant même dans leur pays d'origine pour pouvoir payer l'agence de recrutement, que pour eux c'était inimaginable de perdre ce travail. Donc oui, c'était vraiment assez complexe d'avoir la confiance de ces travailleurs. Et d'autant plus que les entreprises donnaient des ordres de ne pas parler aux journalistes et aux ONG dans les rues. Donc il y avait des bus qui étaient prévus juste après les chantiers et on les invitait très gentiment à prendre ce bus pour qu'ils rentrent sur les camps et que justement ça soit assez difficile en fait de pouvoir leur parler et de les identifier.

  • Speaker #0

    Des camps de logement jusqu'aux chantiers poussiéreux, les caméras et les sociétés de sécurité privées maintiennent une surveillance continue. Curieux, se dit Marie-Laure Guislain, de la part d'entreprises qui clament haut et fort n'avoir rien à cacher.

  • Speaker #1

    Quand on a approché du Sheraton Park et voulu prendre des photos du chantier avec Gilles Letor et la délégation, on nous a bien fait comprendre qu'il fallait dégager. On sait que les visites des chantiers étaient uniquement guidées. Personne n'a pu faire des visites sans qu'il y ait du personnel de Vinci. Il y a eu énormément de contrôle, de maîtrise de Vinci, des travailleurs, des syndicats. de toute personne qui essayait d'approcher des chantiers, ça c'est clair.

  • Speaker #0

    Plus le temps passe et plus le risque d'être repéré se fait grand pour Marie-Laure Guislain. Par les autorités qataris, mais pas seulement.

  • Speaker #1

    Et lorsque tu es sur le terrain et que tu interviews tous ces travailleurs... Est-ce que tu as eu des problèmes, des soucis avec les autorités Qatari ? On a toujours pris soin de crypter les mails, d'avoir des appels cryptés, de faire attention à toujours être en mode avion ou sans batterie quand on parlait des dossiers. On a pris les mesures les plus basiques, mais ce qu'on pouvait faire pour protéger le plus possible ces travailleurs. L'œil de Doha, je ne l'ai pas senti. de Doha, je l'ai senti de Vinci.

  • Speaker #0

    Mais il est déjà trop tard pour dissuader l'enquêtrice. Sans laisser le temps à Vinci de réagir, Marie-Laure Guislain monte dans un avion pour la France, avec plus de témoignages qu'il n'en faut pour incriminer le géant du BTP. C'est une fois arrivée chez elle, qu'elle prend la mesure des horreurs qu'elle a vues et entendues. Elle s'effondre pendant quelques jours. puis se relève et monte la procédure judiciaire.

  • Speaker #1

    Donc on caractérise grâce à toutes les preuves, les photos que je récupère bien entendu, les visites, les témoignages aussi d'autres experts. On a passé des centaines d'heures à éplucher le droit qu'Atharie, faire des traductions. Tout ça nous permet en fait d'écrire une plainte de plus de 50 pages qui montre au juge qu'il y a lieu de mettre en examen Vinci, la filiale. de Vinci Construction Grands Projets, pour ces différentes infractions, et les dirigeants français.

  • Speaker #0

    Elle ne sait pas encore qu'elle a su faire trembler son adversaire, au point qu'il va l'attaquer personnellement. Vinci porte plainte contre l'enquêtrice pour diffamation.

  • Speaker #1

    Moi, je suis avocate de formation, donc c'est un tout petit peu moins intimidant d'être prévenue devant la chambre correctionnelle pour diffamation. Mais pour la plupart des gens, c'est quand même une sacrée bonne technique d'intimidation, sachant que j'en ai pour 15 ans de procès en diffamation.

  • Speaker #0

    Peu importe ces procédures baillons. En 2015, Sherpa dépose donc plainte contre Vinci pour travail forcé. La justice française va enfin s'en mêler. Marie-Laure Guislain est soulagée, car ce qu'elle a vu sur les chantiers qu'Atari était à peine croyable. Mais ce qu'il attend dans les bureaux de la police française est carrément surréaliste.

  • Speaker #1

    On a eu affaire à un commandant de police en charge de l'enquête sous les ordres de la procureure de Nanterre. Le commandant de police m'a auditionné à plusieurs reprises. pour que je puisse lui expliquer ce que j'avais vu sur place, et puis que je puisse aussi donner la parole des travailleurs, puisqu'on a fourni des témoignages anonymes. Malheureusement, le commandant m'explique au bout de plusieurs entretiens qu'il refuse de faire une perquisition dans les bureaux de Vinci parce qu'il ne voudrait pas, je le cite, que BFM et TF1 soient sur les lieux de la perquisition et que cela fasse baisser les actions de l'entreprise en bourse. Donc j'ai affaire à un commandant de police sous les ordres de magistrats du parquet chargé de la plupart des enquêtes en France qui me dit sans scrupule qu'il n'est pas indépendant et qu'il préfère protéger les intérêts économiques du multinational plutôt que de faire son travail comme il devrait le faire. Donc ça c'est la première chose. La deuxième chose, c'est qu'ils n'ont pas accepté les témoins anonymes, alors même qu'on leur a expliqué pourquoi on fournissait ces témoignages anonymes. Et alors même que dans le code de procédure pénale, dans le cadre de ces procédures travail forcé, on peut produire des témoignages sous X. et que de toute façon, la preuve est libre en droit pénal. Donc, on a expliqué aux procureurs et aux commandants qu'on pouvait fournir, évidemment, l'identité de toutes ces personnes, qu'on avait la photocopie de leur carte d'identité, les mandats donnés à Sherpa, etc. Enfin, on avait bien fait les choses, comme d'habitude. Mais que, dans ce cadre, on avait besoin d'anonymiser les témoignages parce que les travailleurs avaient extrêmement peur des représailles. Et ça, ça a été refusé. La troisième chose choquante, c'est que dans le classement sans suite, qui est survenu quelques années après en plus la première plainte, donc en 2018, la procureure explique qu'elle classe sans suite l'affaire parce que, notamment, l'entreprise s'est améliorée depuis l'époque de la plainte. Et alors ça, c'est très intéressant. Parce qu'on se rend compte que les procureurs suivent eux aussi le lobbying des multinationales qui disent mais vous savez, nous on est moins pire que les Chinois, mais regardez, on a fait plein d'efforts depuis Alors qu'on n'imaginerait même pas deux secondes quelqu'un accusé de terrorisme dire mais écoutez, madame le procureur... Je me suis améliorée, ça fait quand même trois ans que je n'ai pas posé de bombe. Voilà, soyez sympa, classez l'affaire sans suite. Donc, les faits n'étaient pas prescrits. Et pour autant, parce que l'entreprise s'était améliorée, le dossier a été classé sans suite. Et alors, ce qui est extrêmement important de noter, c'est sur quoi la procureure juge cette amélioration ? Sur la base d'audit fournie par l'entreprise. puisqu'il n'y a pas eu de perquisition de toute façon. Et ces audits sont faits dans quelles conditions ? Ils sont payés par l'entreprise, première chose, donc ils ne sont pas indépendants. Ils sont faits en présence des managers. Et donc les travailleurs ont extrêmement peur de répondre en présence des managers. Ils ne sont pas faits de manière anonyme. Donc même s'ils ne sont pas faits en présence des managers, un travailleur ne peut pas se livrer réellement sur ses conditions de travail ou de logement. Enfin, alors même que certains audits... soulève des irrégularités, comme par exemple des manques de médecins par rapport à la loi Qatari, qui est pourtant peu exigeante, on l'a dit, sur les chantiers, il n'y a pas de prise de mesures correctives pour venir respecter les droits qui auraient été violés. Donc tout ceci montre qu'il y a un énorme problème autour des audits. et autour des preuves, du coup, qui sont considérées par la justice française, alors même que la justice ne se base que sur ces documents, puisqu'elle a refusé de considérer tout le reste, d'aller sur place ou de faire une perquisition.

  • Speaker #0

    Trois ans de procédure pour accoucher d'une souris. Le parquet de Nanterre classe l'affaire sans suite. Une petite tape sur l'épaule du géant du BTP. Merci messieurs, et faites mieux la prochaine fois. Marie-Laure Guislain n'en revient pas. Mais la colère et la frustration peuvent être un bon carburant. Après réflexion, elle a une idée. Puisqu'on lui a refusé les témoignages anonymes, si elle allait en chercher d'autres ? Ceux des ex-travailleurs, libérés de l'épée de Damoclès de l'expulsion du Qatar. Avec l'aide de l'un d'entre eux, et de sa collègue Clara González, l'enquêtrice de Sherpa remonte une expédition. Cette fois-ci, direction Limbes.

  • Speaker #1

    On se retrouve à interviewer à nouveau des employés. de chez Vinci Construction, mais cette fois, qui sont partis du Qatar et qui acceptent d'être plaignants dans une nouvelle plainte, et cette fois, directement devant un juge d'instruction, c'est-à-dire qu'on dépose une plainte avec constitution de parti civil. En Cette plainte est recevable, reçue par le juge d'instruction. Et après des mois à nouveau d'enquête bien plus diligente par le juge d'instruction, qui nous reçoit également, et grâce aussi à une police qui est spécialisée en matière de travail forcé et d'esclavage moderne. Et ça, ça change tout, parce qu'ils connaissent un petit peu le travail et le système qui mène. à l'esclavage moderne, notamment d'une population migrante bien plus vulnérable que le reste de la population. Et grâce à ça, ces deux enquêtes à ces travailleurs vraiment organisés, courageux et toutes ces démarches, on a obtenu ce qu'on n'espérait plus obtenir, c'est-à-dire roulement de tambour. Le 10 novembre 2022, dix jours avant le lancement de la Coupe du Monde, La mise en examen de Vinci Construction Grand Projet, la filiale française de Vinci en matière de construction. Et donc c'est la première fois qu'une mise en examen est faite d'une multinationale sur ses fondements de travail forcé, réduction en servitude, qui est passible de réclusion criminelle, travail incompatible avec la dignité humaine, comme je l'ai dit, et salaire sans rapport avec le travail fourni.

  • Speaker #0

    La guerre de communication entre la petite association et le mastodonte du BTP a commencé. D'habitude, Vinci est plutôt de ces multinationales discrètes. Mais cette fois, son PDG Xavier Huillard montre les dents.

  • Speaker #1

    Le PDG de Vinci qui se déplace en personne au tribunal. Preuve que l'affaire est cruciale pour l'image du groupe.

  • Speaker #0

    Extrait d'un reportage de BFM TV, 29 juillet 2018.

  • Speaker #1

    Face aux accusations de travail forcé au Qatar, Xavier Huillard contre-attaque. Il assure que de nombreuses visites ont été faites sur place, notamment des syndicats qui n'ont rien relevé d'anormal.

  • Speaker #0

    Bien sûr que certaines choses sont encore perfectibles. Ce que je peux vous assurer, c'est que dans le périmètre que nous maîtrisons,

  • Speaker #1

    c'est-à-dire sur le périmètre de notre chantier,

  • Speaker #0

    les choses se font de façon tout à fait parfaite, conformément à nos normes, qui sont elles-mêmes très supérieures aux normes en vigueur au Qatar.

  • Speaker #1

    Les accusations de l'ONG Sherpa, contestées par Vinci, portent essentiellement sur la situation des salariés embauchés par des sous-traitants du groupe. Une équipe de BFM TV s'était rendue sur place en mars dernier. Certains travailleurs migrants dénonçaient alors des conditions difficiles. Vidéo amateur à l'appui. La nourriture qu'on nous donne n'est pas bonne. On est jusqu'à 8 dans les chambres. Il n'y a pas d'espace. On n'a pas d'équipement.

  • Speaker #0

    On se douche et on lave nos habits au même endroit.

  • Speaker #1

    Vinci poursuit Sherpa pour atteinte à la présomption d'innocence. La justice tranchera le 30 juin. Visée aussi pour diffamation, l'ONG défend son rôle de lanceur d'alerte. L'association a porté plainte pour travail forcé et réduction en servitude. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Nanterre. dans les plaintes que j'ai écrites, que ce soit contre Lafarge, BNP, Yves Rocher, Bolloré, Samsung, Auchan, toutes ces plaintes, j'ai passé avec, je tiens à les citer, parce qu'elles sont encore plus invisibilisées que d'autres femmes dans ce milieu, toutes les stagiaires qui ont travaillé avec moi, on a passé des heures et des heures, et des pages et des pages, à montrer le lien. qui existe de contrôle entre la maison mère et la filiale qui opère directement dans le pays ou le sous-traitant. Et c'est là-dessus aussi qu'a été basé le classement sans suite. C'est que la procureure a dit, elle a suivi l'entreprise. Bon, c'est surtout chez les sous-traitants qu'il y a des problèmes. Pas directement dans la filiale de Vinci. Et c'est là tout le problème de ces chaînes de valeurs qui ont des milliers de sous-traitants et de filiales à l'étranger, et de ce système néolibéral de façon générale, c'est qu'il n'y a pas de limite. de nombre de filiales et sous-traitants à l'étranger, et que les multinationales se servent de ce nombre pour se dédouaner complètement de leurs responsabilités.

  • Speaker #0

    Bizarre. Vinci proclame fièrement dans une charte disponible sur son site que l'entreprise ne travaille qu'avec des sous-traitants respectant les mêmes valeurs éthiques que le groupe. Des valeurs qu'il est facile de porter haut. Surtout quand les victimes qui pourraient casser l'ambiance crient dans le désert.

  • Speaker #1

    Donc imaginez, je suis une victime à l'autre bout du monde. Par exemple, je suis un ouvrier indien au Qatar. Je sais que ma violation de droit provient de la filiale qui est au Qatar, mais déjà c'est très très difficile pour moi de le prouver. Je n'ai pas les droits, je n'ai pas accès aux tribunaux, il n'y a pas de syndicat. Et en plus, imaginez comment je peux accéder à des tribunaux en France, montrer que c'est en fait in fine la faute d'une maison mère en France. C'est quasi impossible.

  • Speaker #0

    La loi devoir de vigilance qui arrive en 2017 permet de corriger un peu le tir. Les procédures sont longues et éprouvantes, certes. Marie-Laure Guislain le sait. Mais désormais, il y a un cadre juridique qui permet d'aller chercher les multinationales par le col pour les mettre face à leurs responsabilités.

  • Speaker #1

    Comme pour la Farge, les multinationales ne veulent plus contribuer aux conflits armés. Là, toutes les multinationales qui vont être sur des gros chantiers ou même dans les usines textiles, quand je suis allée au Bangladesh, c'est pareil. Eh bien, j'espère que ces multinationales se poseront la question, bien plus qu'avant, de savoir si elles n'ont pas un risque d'être attaquées. Pour travail forcé et réduction en servitude, la loi pénale permet particulièrement de les dissuader parce qu'il y a des peines spéciales pour les multinationales, notamment d'exclusion des marchés.

  • Speaker #0

    ou de suspension un temps des marchés, ou même des peines de prison pour les dirigeants. Et ça, c'est bien plus dissuasif que, par exemple, une seule amende, qui est parfois même provisionnée dans le budget des multinationales.

  • Speaker #1

    Et j'imagine que depuis l'éclatement de l'affaire, Vinci a fait des énormes communiqués de presse, des rapports en améliorant sa stratégie de responsabilité sociale. Est-ce qu'il y a une... de beaux discours de Vinci, mais des choses qui sont dites par Vinci, qui n'ont pas vraiment changé sur le terrain.

  • Speaker #0

    Dès la plainte initiale en 2015, on montre l'écart considérable qui existe entre les chartes éthiques de Vinci et le terrain. Donc pour nous, ça, ça n'a pas changé. Effectivement, ils ont essayé de renforcer leur communication, mais ils se sont enfoncés à plusieurs reprises en disant qu'ils avaient confisqué les passeports parce que les travailleurs avaient peur des vols. En fait, ils ont essayé d'expliquer plein de choses par des moyens qui les ont enfoncés. Vinci a aussi fait des faux pas à ce niveau-là, en communiquant vraiment largement, avant qu'on aille sur place et après, sur le fait qu'ils contrôlaient leurs sous-traitants et qu'ils offraient les mêmes conditions de travail à leurs sous-traitants qu'à leurs travailleurs directs. Et on a pu montrer l'inverse. Et à l'inverse, ça leur a permis de gagner énormément d'argent. de ne pas respecter cette communication en offrant des conditions bien moins intéressantes à quand même 60% de leurs main-d'oeuvre sur place. Donc à Sherpa à l'époque, on a toujours montré cet écart entre les engagements éthiques d'un côté des multinationales qu'on attaquait et la réalité sur place. Et c'est aussi grâce à ça qu'on a pu obtenir la loi sur le devoir de vigilance en montrant que ces engagements éthiques ne suffisent plus. On a à chaque fois un écart énorme entre ces engagements et la réalité. Le seul problème, c'est qu'il n'y a pas d'enquête suffisante parce qu'il n'y a pas de moyens. Donc on a besoin aussi que les financeurs, financeuses, les bailleurs, les fondations prennent conscience de l'importance de ce type d'enquête et du contentieux stratégique pour... changer l'état de respect des droits humains dans le monde, parce que sinon, de toute façon, on n'arrivera pas à gratter un petit peu sur l'impunité des multinationales.

  • Speaker #2

    Deux ans avant la Coupe du Monde, le Qatar a finalement entrepris quelques menus changements pour les travailleurs étrangers. Ils et elles peuvent désormais changer d'employeur sans demander la permission à celui qu'ils veulent quitter, Quelques salaires impayés ont été réglés. Un tribunal spécialisé en droit du travail a même fleuri à Doha. Du côté de Vinci, un petit effort est fait sur les logements, enfin mis aux normes. Un salaire minimum a été instauré. Et dans un communiqué, l'entreprise se vante même d'être la première entreprise sur le sol qatari à organiser des élections de représentants du personnel.

  • Speaker #0

    la plainte n'est pas la seule responsable et cause directe de tous ces changements. D'après les travailleurs et d'après l'IBB et les syndicats, elle y a contribué. Donc pour moi, ça confirme aussi l'importance de la complémentarité des actions, c'est-à-dire s'organiser sur place quand on est des travailleurs, travailleuses concernées. Ça, c'est la première chose. Sans ces travailleurs organisés, on n'aurait jamais pu faire cette plainte. Ensuite, les syndicats. Après, il y a dans plein d'autres combats, des occupations, des pétitions, et on voit aujourd'hui que le droit est quand même un des moyens d'action qui permet d'appuyer aussi d'autres types de luttes. C'est ce qui est ressorti par exemple d'un rapport de Terre de lutte, qui montre qu'aujourd'hui, pour les collectifs qui luttent contre les mégaprojets, le droit reste un des trois moyens privilégiés. d'action. Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis très contente d'inviter tous les collectifs qui le veulent à faire partie d'un espace de travail collectif droit et mouvements sociaux qu'on est en train de créer, avec le CAC et Sciences Citoyennes et Allumeuses, mon asso, pour justement renforcer cette stratégie juridique, que le droit ne soit pas pour les plus riches et les plus puissants, mais pour tous et par tous, et qu'on puisse créer un vrai rapport de force, aujourd'hui encore extrêmement déséquilibré. pour pouvoir rétablir une espèce d'équité et réduire les inégalités et les graves violations des droits humains dont je vous ai parlé.

  • Speaker #2

    Marie-Laure Guislain a porté tout ce dossier sur ses épaules, avec des petites mains pour l'aider. Sous pression dans son association, gardant en elle les souffrances de ses hommes, transformés en esclaves. au nom du sport.

  • Speaker #1

    Et depuis cette enquête et cette affaire judiciaire, comment tu te sens ? Comment cette enquête a changé ta vie ?

  • Speaker #0

    Cette enquête a changé ma vie sur plusieurs points. Déjà, j'étais tellement bouleversée par la compréhension de ce système d'esclavage et par ce qui l'alimentait que j'ai été vraiment motivée pour changer mon mode de consommation. Ce n'est vraiment pas la mesure la plus efficace, mais en tout cas... Je refuse qu'on m'ôte au moins ce pouvoir de ne plus jamais acheter dans une multinationale ou dans un supermarché ou acheter neuf pour entretenir le système d'esclavage moderne. Cette enquête m'a permis de mettre une pièce vraiment essentielle au puzzle plus grand de comment marche le système néolibéral et comment on peut en sortir. Donc ce système néolibéral, néocolonial, patriarcal produit 50 millions d'esclaves dans le monde. Pour moi, c'est de ne pas rester devant l'impuissance et de se dire de toute façon, on ne peut rien faire. Non, non, on peut faire plein de choses. Il ne s'agit que d'une question de volonté politique. Et comme le disait Margaret Mead... Ne doutez jamais qu'un petit groupe de gens déterminés peut changer le monde, c'est toujours comme ça que ça a commencé. Encore une fois, ce n'est qu'une question de volonté politique.

  • Speaker #2

    La mauvaise publicité d'une mise en examen ne fait pas assez peur aux multinationales. Et pour cause, après la mise en examen de Vinci et le coup de projecteur sur les morts de la Coupe du Monde repris dans le monde entier, les appels au boycott sont restés lettres mortes. Il y a bien eu quelques indécrotables pour tourner le dos aux télévisions qui retransmettaient les matchs. Mais ils n'ont pas dû être bien nombreux, à voir les audiences record et les recettes globales de l'événement, qui se sont chiffrées en milliards de dollars. Pourtant, Marie-Laure Guislain y croit, la justice pénale pourrait devenir l'un des grains de sable qui grippe cette grosse machine du travail forcé. Si le montant des amendes devient prohibitif, si les peines de prison menacent véritablement les dirigeants, et si l'activisme militant ne faiblit pas, il est possible de promettre des lendemains qui déchantent à ces entreprises confortablement installées dans leur culture de l'impunité. Ces entreprises qui continuent de raconter partout que des ouvriers réduits en servitude sont des salariés heureux et qui ont choisi d'être là.

Description

Goliaths - le podcast d'enquête sur les multinationales et leur monde

Vinci… c’est une multinationale, une vraie. Une qui construit tout ce qui est possible d’imaginer : du nucléaire, des routes, des incinérateurs de déchets… des aéroports (sauf à Notre-dame des landes)… et même des stades. 

Au Qatar, là ou la culture du foot est née en même temps que l’organisation de la Coupe du monde il y a à peine dix ans, le géant français a flairé la bonne affaire. Dans un pays ou le travail forcé est la norme, où les entreprises s’épanouissent dans une culture de l’impunité totale… Vinci BTP a remporté un juteux marché, grâce à une de ses filiales : des stades, des hôtels de luxe, des infrastructures… de quoi s’enrichir à millions en quelques années. Mais la multinationale ne savait pas qu’elle allait croiser la route d’une femme entêtée qui allait devenir la nemesis du géant du BTP : Marie-Laure Guislain, qui travaillait à l'époque pour l'ONG Sherpa.

Un podcast écrit et raconté par Violette Voldoire. Production : Lora Verheecke et Violette Voldoire. Réalisation : Etienne Gratianette. 

Goliaths est une création originale de Radio Parleur et de l'Observatoire des multinationales. 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Si on vous dit

  • Speaker #1

    BTP, bien sûr vous pensez à nos magnifiques bâtiments en béton,

  • Speaker #0

    à la finesse du goudron de nos routes,

  • Speaker #1

    à la délicatesse de nos centrales nucléaires. Mais surtout, vous pensez à la subtile courbure de nos stades climatisés,

  • Speaker #0

    là où la magie du sport vous fait oublier les problèmes insignifiants du monde d'aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Moi, ça fait partie des enquêtes les plus difficiles. Pourtant, j'en ai fait un certain nombre. Parce qu'elle m'a montré l'ampleur du système et de sa violence.

  • Speaker #0

    Vous écoutez Goliath. C'est pas quelque chose qui est pas de pas de l'argent. Que cachent les multinationales ?

  • Speaker #1

    Je suis Laura Vérec.

  • Speaker #0

    Je suis Violette Voldoire. Bienvenue dans le podcast de l'Observatoire des multinationales et de Radioparleurs. Vinci, c'est une multinationale, une vraie. Une qui construit tout ce qui est possible d'imaginer. Du nucléaire, des routes, des incinérateurs de déchets, des aéroports, sauf à Notre-Dame-des-Landes, et même des stades. Au Qatar, là où la culture du foot est née en même temps que l'organisation de la Coupe du Monde il y a à peine dix ans, le géant français a flairé la bonne affaire. Dans un pays où le travail forcé est à la norme, où les entreprises s'épanouissent dans une culture de l'impunité totale, Vinci BTP a remporté un juteux marché grâce à une de ses filiales. Des stades, des hôtels de luxe, des infrastructures, de quoi s'enrichir à millions en quelques années seulement. Mais la multinationale ne savait pas qu'elle allait croiser la route d'une femme entêtée qui allait devenir la némésis du géant du BTP.

  • Speaker #1

    Je m'appelle Marie-Laure Guislain, j'étais l'ancienne responsable du contentieux stratégique à Sherpa pendant 8 ans et demi de 2012 à 2020, c'est-à-dire des enquêtes et des actions en justice contre les multinationales pour des graves violations de droits à l'étranger.

  • Speaker #0

    Sherpa, c'est une petite ONG, quelques salariés seulement. Marie-Laure Guislain y est juriste. Elle qui a toujours voulu être avocate veut y développer la stratégie du contentieux. En termes de contentieux, quand on regarde vers les multinationales, il y a l'embarras du choix.

  • Speaker #1

    Tu vas enquêter sur Vinci au Qatar. Est-ce que tu as une idée déjà de ce que fait Vinci avant de commencer ton enquête ? J'ai une idée comme tout français, je crois, autoroute, parking, mais je ne sais pas ce qu'ils font au Qatar en particulier. C'est grâce aux médias et à des enquêtes de Human Rights Watch notamment et à l'alerte de la CGT. que je m'y intéresse de plus près, et qu'on se rend compte que c'est tout à fait dans le mandat de Sherpa, et dans le mien en particulier.

  • Speaker #0

    En décembre 2014, une délégation de la Fédération du bois et du bâtiment obtient l'autorisation d'entrer au Qatar, de visiter les chantiers. Marie-Laure Guislain se glisse dans le groupe de syndicalistes pour s'infiltrer dans l'un des pires régimes despotiques du monde.

  • Speaker #1

    Ce qui a été très difficile, c'est de pouvoir parler à des travailleuses, travailleurs en particulier. Donc on accède à ces travailleurs en se cachant dans des centres commerciaux le soir. On a pu vraiment interviewer ces travailleurs pendant des heures pour avoir tous les détails dont on avait besoin pour porter plainte.

  • Speaker #0

    Marie-Laure Guislain se fait furtive pour aborder ces travailleurs étrangers. Des travailleurs qui constituent la deuxième ressource économique du pays, après le gaz qui en a fait la fortune à la fin des années 90. Ils et elles sont plus d'un million et demi à l'époque où elle arrive au Qatar. Classe laborieuse sans repos, exploitées, mal payées quand ils le sont, ils font tourner un pays de citoyens actionnaires. Restaurants, commerces, nettoyages et bien sûr construction de villes pseudo-futuristes démentielles. Un champ absurde de centres commerciaux lisses et climatisés. Seul lieu de rencontre possible avec les ouvriers qui les fréquentent, pour regarder l'opulence des autres sur leurs rares jours de congés.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce qu'ils t'ont raconté ou elles t'ont raconté ? Ils m'ont raconté comment se passaient leurs journées type, sans même se rendre compte combien ces journées type violaient leurs droits fondamentaux. C'est ça qui m'a le plus marquée et bouleversée. qui se lèvent à 4h du matin pour arriver à 6h sur les chantiers, 3h de transport par jour dans des bus qui ne sont pas climatisés, donc ils travaillent 11h par jour avec une heure de pause, parfois 77h par semaine parce que les travailleurs veulent faire des heures supplémentaires. D'ailleurs, au-delà de la limite légale qu'attarie, qui enjoint les entreprises de ne pas dépasser 60h. et donc 12 heures de travail supplémentaire par rapport aux 48 heures légales, à 40 degrés au soleil. Avec les milliards de chiffres d'affaires que Vinci fait, ce n'est pas très compliqué de mettre des bâches ou n'importe quoi. Je sais qu'il y a plein de façons de protéger du soleil. Conséquence de ce manque de protection contre la chaleur, il y a une population vulnérable qui a pourtant entre 20 et 40 ans et qui est en pleine forme physique, qui fait des crises cardiaques par milliers.

  • Speaker #0

    Des milliers très certainement, et plus probablement encore des dizaines de milliers. Seul le Guardian a tenté de chiffrer les morts tombés sur les chantiers de la Coupe du Monde. 6 500 entre 2011 et 2020. Tout aussi choquant, les autorités qatariennes n'ont pas très envie de savoir. Amnesty International produit un chiffre des plus inquiétants. Près des trois quarts des décès des travailleurs migrants sont inexpliqués. Combien de corps sont ainsi renvoyés ? Avec un simple coup de tampon, mort naturelle.

  • Speaker #1

    on a du mal à évaluer parce qu'il n'y a pas eu d'autopsie de la plupart des corps. Pour ces esclaves oubliés du système, ces esclaves modernes, l'autopsie, c'est un luxe, on va dire. Et je me souviens que tous les travailleurs et tous les témoignages qu'on a produits disent à quel point ils ont peur de finir comme les autres collègues, c'est-à-dire de tomber. Donc c'est vraiment le mot qu'ils emploient, tomber d'un coup et de mourir d'une crise cardiaque du jour au lendemain. La plupart du temps, ça ne se passe pas forcément sur les chantiers, ça se passe quand ils rentrent au camp, quand le corps s'apaise. Et raison pour laquelle Vinci classe ces morts comme des morts naturelles. et donc qui ne permettent pas d'indemniser les familles comme elles devraient l'être. Et ce qui m'a bouleversée, je me souviens, c'est que dans l'ambassade en Inde, l'ambassadeur nous explique que pour lui, il a changé de fonction, qu'il est devenu en fait un croque-mort qui renvoie les corps dans son pays.

  • Speaker #0

    Marie-Laure Guislain ne peut pas se contenter des interviews à la sauvette qu'elle arrive à glaner entre les deux portes vitrées des centres commerciaux. Ce que les ouvriers lui racontent est à peine croyable. Avec la délégation syndicale, elle réussit à en convaincre certains de l'emmener voir les logements. En fait, logements, ce sont des camps, les sols jonchés de détritus, les murs moisis et les paillasses en fer lui soulèvent le cœur.

  • Speaker #1

    Alors, moi, je n'ai jamais vu ça et pourtant, j'ai quand même fait plusieurs enquêtes. Et franchement, je n'ai jamais été aussi indignée de conditions de logement comme ça. On arrive dans une pièce où, en fait, il y a des lits superposés entassés. Et en plus, ce sont des lits superposés en métal très fragiles, donc réveillés forcément par les uns et les autres. Ils sont, la plupart du temps, huit par chambre. En plus, les conditions d'hygiène étaient vraiment, en tout cas, pour ce qu'on a pu qualifier ensuite dans la plainte, incompatibles avec la dignité humaine.

  • Speaker #0

    Et qui va les défendre ? L'enquêterie sait que dans ce pays, les syndicats sont interdits. Les ouvriers surpris à poster des photos pour critiquer leurs conditions d'hébergement sont expulsés. Manu militari. Les victimes d'esclavage forcé deviennent les témoins gênants de leurs propres conditions. Ils ne doivent pas parler, jamais et à personne. Pas de signe extérieur de misère ? Pour les multinationales, il n'y a donc pas de problème. Fin de l'histoire.

  • Speaker #1

    Pour moi, la négligence est maltraitance. Quand on sait, quand on est une multinationale qui a accès à tous les rapports, comme j'ai eu accès à ces rapports de l'OMS ou d'autres rapports qui sont libres d'accès et qui sont extrêmement faciles à lire, on sait très bien que lorsqu'on manque de sommeil, lorsque l'on est dans une chaleur accablante, 11 heures sans pause à l'ombre, eh bien on sait très bien les risques. qui existent. D'autant plus que les médias parlent, alertent sur les crises cardiaques, et pendant des années. C'est qu'on dit, voilà, il ne va pas changer. On a beau mettre quelques petits coups de peinture, le cœur des problèmes qui fondent cette pénibilité au travail est resté. Donc, ils ne pouvaient pas ignorer ces risques.

  • Speaker #0

    La crédulité apparente de Vinci agace beaucoup Marie-Laure Guislain. Pour une bonne et simple raison, les ouvriers étrangers sont toujours sous emprise de leur employeur. Au Qatar, cela s'appelle la règle de la kafala. Dès le départ, les employés qui arrivent au Qatar depuis l'Inde ou le Bangladesh ne savent pas pour quelle entreprise ils vont travailler. Non, ce sont les agences de recrutement qui décident. Une fois débarquées, la CAFALA stipule que l'employé est sous tutelle de son employeur. Les entreprises confisquent donc les passeports. Même si rien dans la loi Qatari n'impose cette pratique. Quand on travaille au Qatar et qu'on est un ouvrier ou un travailleur migrant, on vous explique que c'est comme ça que ça se passe, tout simplement.

  • Speaker #1

    Donc, c'est une pratique très répandue par les multinationales, mais elles savent qu'elles ont tout le pouvoir et que de toute façon, elles ne seront pas mises en cause si elles le font. Donc, jusqu'à 2015, jusqu'à la plainte aussi, jusqu'à janvier 2015, Vinci confisque les passeports. Et c'est très intéressant parce que Vinci nous dit mais on ne les confisque pas, on leur garde parce qu'ils ont peur d'être volés entre eux. Comme s'ils avaient peur qu'on leur pique leur passeport, alors que tous les travailleurs interrogés me disaient mais non, absolument pas On ne savait pas qu'on avait soi-disant le choix. On nous le prend dès qu'on arrive à la sortie de l'avion. En plus, ils signent des contrats à l'agence de recrutement dans leur pays d'origine, dans une langue qu'ils ne comprennent pas. Et non seulement leur passeport est confisqué, mais en plus, ils doivent demander une lettre pour pouvoir, par exemple en cas d'urgence, retourner dans leur pays et récupérer leur passeport.

  • Speaker #0

    Les ouvriers de Vinci ont donc tout intérêt à bien s'entendre avec leur employeur. Comme l'enquêtrice, eux aussi ont entendu les histoires des malchanceux qui n'ont jamais reçu leur salaire. et qui n'ont rien dit, sous la menace de se retrouver sans papier du jour au lendemain.

  • Speaker #1

    Toutes ces mesures représentent, c'est ce qu'on argumente en tout cas dans la plainte, et qui a soutenu cette mise en examen de Vinci. Des menaces et des pressions qui permettent à un employeur de contraindre une population vulnérable à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine ou de contraindre cette population à un travail fourni qui est sans rapport avec le salaire qu'ils reçoivent.

  • Speaker #0

    Voilà, c'est en équivalent français le salaire médian de ces hommes. C'est 4% du salaire médian qu'attarie. Il y a des chanceux, bien sûr, qui touchent un petit peu moins de 500 euros par mois. Quelques heureux élus, dont ne font pas partie les forçats des stades de la Coupe du Monde.

  • Speaker #1

    Et c'est bien la raison pour laquelle on a affaire à cette population vulnérable. C'est bien parce que les multinationales peuvent payer aussi peu les gens. qu'il n'y a pas de personnes qui pourraient demander des salaires décents sur ces chantiers. Donc on est bien face à un système d'exploitation d'une main-d'œuvre à un bas coût, comme si l'avis des actionnaires comptait bien plus que l'avis des travailleurs.

  • Speaker #0

    On ne marche pas librement dans les rues lorsqu'on est un ouvrier étranger au Qatar. Si un catarie vous surprend depuis son SUV à vous voir marcher le long d'une route, il appelle la police qui peut vous expulser si cela lui prend. Marie-Laure Guislain voit tout de suite que c'est la terreur, cette main de fer qui empêche les ouvriers de fuir. Car ce qu'elle entend de la bouche de ces ouvriers semble sorti d'un livre d'histoire au chapitre des camps de travail forcés du siècle dernier.

  • Speaker #1

    Et est-ce que ces travailleurs avaient peur de parler de leurs conditions ? Oui, il y en a qui ne voulaient pas parler et c'était très difficile de commencer à rentrer dans les détails de ce qu'ils vivaient parce qu'ils avaient besoin d'abord d'être vraiment rassurés sur... Ce qu'on allait faire de leurs témoignages, les représailles qu'ils allaient subir ou non, en fait, autour d'eux, il y avait des travailleurs qui avaient été bloqués au Qatar parce que leur passeport avait été confisqué et on leur avait enlevé leur salaire. Donc, ils avaient extrêmement peur d'être bloqués au Qatar, mais aussi de perdre tout simplement leur travail. Parce que même s'ils voulaient dénoncer les conditions dans lesquelles ils travaillaient, ils étaient tellement dépendants économiquement. La survie de leur famille dépendait tellement du travail qu'ils avaient réussi à avoir au Qatar, parfois en s'endettant même dans leur pays d'origine pour pouvoir payer l'agence de recrutement, que pour eux c'était inimaginable de perdre ce travail. Donc oui, c'était vraiment assez complexe d'avoir la confiance de ces travailleurs. Et d'autant plus que les entreprises donnaient des ordres de ne pas parler aux journalistes et aux ONG dans les rues. Donc il y avait des bus qui étaient prévus juste après les chantiers et on les invitait très gentiment à prendre ce bus pour qu'ils rentrent sur les camps et que justement ça soit assez difficile en fait de pouvoir leur parler et de les identifier.

  • Speaker #0

    Des camps de logement jusqu'aux chantiers poussiéreux, les caméras et les sociétés de sécurité privées maintiennent une surveillance continue. Curieux, se dit Marie-Laure Guislain, de la part d'entreprises qui clament haut et fort n'avoir rien à cacher.

  • Speaker #1

    Quand on a approché du Sheraton Park et voulu prendre des photos du chantier avec Gilles Letor et la délégation, on nous a bien fait comprendre qu'il fallait dégager. On sait que les visites des chantiers étaient uniquement guidées. Personne n'a pu faire des visites sans qu'il y ait du personnel de Vinci. Il y a eu énormément de contrôle, de maîtrise de Vinci, des travailleurs, des syndicats. de toute personne qui essayait d'approcher des chantiers, ça c'est clair.

  • Speaker #0

    Plus le temps passe et plus le risque d'être repéré se fait grand pour Marie-Laure Guislain. Par les autorités qataris, mais pas seulement.

  • Speaker #1

    Et lorsque tu es sur le terrain et que tu interviews tous ces travailleurs... Est-ce que tu as eu des problèmes, des soucis avec les autorités Qatari ? On a toujours pris soin de crypter les mails, d'avoir des appels cryptés, de faire attention à toujours être en mode avion ou sans batterie quand on parlait des dossiers. On a pris les mesures les plus basiques, mais ce qu'on pouvait faire pour protéger le plus possible ces travailleurs. L'œil de Doha, je ne l'ai pas senti. de Doha, je l'ai senti de Vinci.

  • Speaker #0

    Mais il est déjà trop tard pour dissuader l'enquêtrice. Sans laisser le temps à Vinci de réagir, Marie-Laure Guislain monte dans un avion pour la France, avec plus de témoignages qu'il n'en faut pour incriminer le géant du BTP. C'est une fois arrivée chez elle, qu'elle prend la mesure des horreurs qu'elle a vues et entendues. Elle s'effondre pendant quelques jours. puis se relève et monte la procédure judiciaire.

  • Speaker #1

    Donc on caractérise grâce à toutes les preuves, les photos que je récupère bien entendu, les visites, les témoignages aussi d'autres experts. On a passé des centaines d'heures à éplucher le droit qu'Atharie, faire des traductions. Tout ça nous permet en fait d'écrire une plainte de plus de 50 pages qui montre au juge qu'il y a lieu de mettre en examen Vinci, la filiale. de Vinci Construction Grands Projets, pour ces différentes infractions, et les dirigeants français.

  • Speaker #0

    Elle ne sait pas encore qu'elle a su faire trembler son adversaire, au point qu'il va l'attaquer personnellement. Vinci porte plainte contre l'enquêtrice pour diffamation.

  • Speaker #1

    Moi, je suis avocate de formation, donc c'est un tout petit peu moins intimidant d'être prévenue devant la chambre correctionnelle pour diffamation. Mais pour la plupart des gens, c'est quand même une sacrée bonne technique d'intimidation, sachant que j'en ai pour 15 ans de procès en diffamation.

  • Speaker #0

    Peu importe ces procédures baillons. En 2015, Sherpa dépose donc plainte contre Vinci pour travail forcé. La justice française va enfin s'en mêler. Marie-Laure Guislain est soulagée, car ce qu'elle a vu sur les chantiers qu'Atari était à peine croyable. Mais ce qu'il attend dans les bureaux de la police française est carrément surréaliste.

  • Speaker #1

    On a eu affaire à un commandant de police en charge de l'enquête sous les ordres de la procureure de Nanterre. Le commandant de police m'a auditionné à plusieurs reprises. pour que je puisse lui expliquer ce que j'avais vu sur place, et puis que je puisse aussi donner la parole des travailleurs, puisqu'on a fourni des témoignages anonymes. Malheureusement, le commandant m'explique au bout de plusieurs entretiens qu'il refuse de faire une perquisition dans les bureaux de Vinci parce qu'il ne voudrait pas, je le cite, que BFM et TF1 soient sur les lieux de la perquisition et que cela fasse baisser les actions de l'entreprise en bourse. Donc j'ai affaire à un commandant de police sous les ordres de magistrats du parquet chargé de la plupart des enquêtes en France qui me dit sans scrupule qu'il n'est pas indépendant et qu'il préfère protéger les intérêts économiques du multinational plutôt que de faire son travail comme il devrait le faire. Donc ça c'est la première chose. La deuxième chose, c'est qu'ils n'ont pas accepté les témoins anonymes, alors même qu'on leur a expliqué pourquoi on fournissait ces témoignages anonymes. Et alors même que dans le code de procédure pénale, dans le cadre de ces procédures travail forcé, on peut produire des témoignages sous X. et que de toute façon, la preuve est libre en droit pénal. Donc, on a expliqué aux procureurs et aux commandants qu'on pouvait fournir, évidemment, l'identité de toutes ces personnes, qu'on avait la photocopie de leur carte d'identité, les mandats donnés à Sherpa, etc. Enfin, on avait bien fait les choses, comme d'habitude. Mais que, dans ce cadre, on avait besoin d'anonymiser les témoignages parce que les travailleurs avaient extrêmement peur des représailles. Et ça, ça a été refusé. La troisième chose choquante, c'est que dans le classement sans suite, qui est survenu quelques années après en plus la première plainte, donc en 2018, la procureure explique qu'elle classe sans suite l'affaire parce que, notamment, l'entreprise s'est améliorée depuis l'époque de la plainte. Et alors ça, c'est très intéressant. Parce qu'on se rend compte que les procureurs suivent eux aussi le lobbying des multinationales qui disent mais vous savez, nous on est moins pire que les Chinois, mais regardez, on a fait plein d'efforts depuis Alors qu'on n'imaginerait même pas deux secondes quelqu'un accusé de terrorisme dire mais écoutez, madame le procureur... Je me suis améliorée, ça fait quand même trois ans que je n'ai pas posé de bombe. Voilà, soyez sympa, classez l'affaire sans suite. Donc, les faits n'étaient pas prescrits. Et pour autant, parce que l'entreprise s'était améliorée, le dossier a été classé sans suite. Et alors, ce qui est extrêmement important de noter, c'est sur quoi la procureure juge cette amélioration ? Sur la base d'audit fournie par l'entreprise. puisqu'il n'y a pas eu de perquisition de toute façon. Et ces audits sont faits dans quelles conditions ? Ils sont payés par l'entreprise, première chose, donc ils ne sont pas indépendants. Ils sont faits en présence des managers. Et donc les travailleurs ont extrêmement peur de répondre en présence des managers. Ils ne sont pas faits de manière anonyme. Donc même s'ils ne sont pas faits en présence des managers, un travailleur ne peut pas se livrer réellement sur ses conditions de travail ou de logement. Enfin, alors même que certains audits... soulève des irrégularités, comme par exemple des manques de médecins par rapport à la loi Qatari, qui est pourtant peu exigeante, on l'a dit, sur les chantiers, il n'y a pas de prise de mesures correctives pour venir respecter les droits qui auraient été violés. Donc tout ceci montre qu'il y a un énorme problème autour des audits. et autour des preuves, du coup, qui sont considérées par la justice française, alors même que la justice ne se base que sur ces documents, puisqu'elle a refusé de considérer tout le reste, d'aller sur place ou de faire une perquisition.

  • Speaker #0

    Trois ans de procédure pour accoucher d'une souris. Le parquet de Nanterre classe l'affaire sans suite. Une petite tape sur l'épaule du géant du BTP. Merci messieurs, et faites mieux la prochaine fois. Marie-Laure Guislain n'en revient pas. Mais la colère et la frustration peuvent être un bon carburant. Après réflexion, elle a une idée. Puisqu'on lui a refusé les témoignages anonymes, si elle allait en chercher d'autres ? Ceux des ex-travailleurs, libérés de l'épée de Damoclès de l'expulsion du Qatar. Avec l'aide de l'un d'entre eux, et de sa collègue Clara González, l'enquêtrice de Sherpa remonte une expédition. Cette fois-ci, direction Limbes.

  • Speaker #1

    On se retrouve à interviewer à nouveau des employés. de chez Vinci Construction, mais cette fois, qui sont partis du Qatar et qui acceptent d'être plaignants dans une nouvelle plainte, et cette fois, directement devant un juge d'instruction, c'est-à-dire qu'on dépose une plainte avec constitution de parti civil. En Cette plainte est recevable, reçue par le juge d'instruction. Et après des mois à nouveau d'enquête bien plus diligente par le juge d'instruction, qui nous reçoit également, et grâce aussi à une police qui est spécialisée en matière de travail forcé et d'esclavage moderne. Et ça, ça change tout, parce qu'ils connaissent un petit peu le travail et le système qui mène. à l'esclavage moderne, notamment d'une population migrante bien plus vulnérable que le reste de la population. Et grâce à ça, ces deux enquêtes à ces travailleurs vraiment organisés, courageux et toutes ces démarches, on a obtenu ce qu'on n'espérait plus obtenir, c'est-à-dire roulement de tambour. Le 10 novembre 2022, dix jours avant le lancement de la Coupe du Monde, La mise en examen de Vinci Construction Grand Projet, la filiale française de Vinci en matière de construction. Et donc c'est la première fois qu'une mise en examen est faite d'une multinationale sur ses fondements de travail forcé, réduction en servitude, qui est passible de réclusion criminelle, travail incompatible avec la dignité humaine, comme je l'ai dit, et salaire sans rapport avec le travail fourni.

  • Speaker #0

    La guerre de communication entre la petite association et le mastodonte du BTP a commencé. D'habitude, Vinci est plutôt de ces multinationales discrètes. Mais cette fois, son PDG Xavier Huillard montre les dents.

  • Speaker #1

    Le PDG de Vinci qui se déplace en personne au tribunal. Preuve que l'affaire est cruciale pour l'image du groupe.

  • Speaker #0

    Extrait d'un reportage de BFM TV, 29 juillet 2018.

  • Speaker #1

    Face aux accusations de travail forcé au Qatar, Xavier Huillard contre-attaque. Il assure que de nombreuses visites ont été faites sur place, notamment des syndicats qui n'ont rien relevé d'anormal.

  • Speaker #0

    Bien sûr que certaines choses sont encore perfectibles. Ce que je peux vous assurer, c'est que dans le périmètre que nous maîtrisons,

  • Speaker #1

    c'est-à-dire sur le périmètre de notre chantier,

  • Speaker #0

    les choses se font de façon tout à fait parfaite, conformément à nos normes, qui sont elles-mêmes très supérieures aux normes en vigueur au Qatar.

  • Speaker #1

    Les accusations de l'ONG Sherpa, contestées par Vinci, portent essentiellement sur la situation des salariés embauchés par des sous-traitants du groupe. Une équipe de BFM TV s'était rendue sur place en mars dernier. Certains travailleurs migrants dénonçaient alors des conditions difficiles. Vidéo amateur à l'appui. La nourriture qu'on nous donne n'est pas bonne. On est jusqu'à 8 dans les chambres. Il n'y a pas d'espace. On n'a pas d'équipement.

  • Speaker #0

    On se douche et on lave nos habits au même endroit.

  • Speaker #1

    Vinci poursuit Sherpa pour atteinte à la présomption d'innocence. La justice tranchera le 30 juin. Visée aussi pour diffamation, l'ONG défend son rôle de lanceur d'alerte. L'association a porté plainte pour travail forcé et réduction en servitude. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Nanterre. dans les plaintes que j'ai écrites, que ce soit contre Lafarge, BNP, Yves Rocher, Bolloré, Samsung, Auchan, toutes ces plaintes, j'ai passé avec, je tiens à les citer, parce qu'elles sont encore plus invisibilisées que d'autres femmes dans ce milieu, toutes les stagiaires qui ont travaillé avec moi, on a passé des heures et des heures, et des pages et des pages, à montrer le lien. qui existe de contrôle entre la maison mère et la filiale qui opère directement dans le pays ou le sous-traitant. Et c'est là-dessus aussi qu'a été basé le classement sans suite. C'est que la procureure a dit, elle a suivi l'entreprise. Bon, c'est surtout chez les sous-traitants qu'il y a des problèmes. Pas directement dans la filiale de Vinci. Et c'est là tout le problème de ces chaînes de valeurs qui ont des milliers de sous-traitants et de filiales à l'étranger, et de ce système néolibéral de façon générale, c'est qu'il n'y a pas de limite. de nombre de filiales et sous-traitants à l'étranger, et que les multinationales se servent de ce nombre pour se dédouaner complètement de leurs responsabilités.

  • Speaker #0

    Bizarre. Vinci proclame fièrement dans une charte disponible sur son site que l'entreprise ne travaille qu'avec des sous-traitants respectant les mêmes valeurs éthiques que le groupe. Des valeurs qu'il est facile de porter haut. Surtout quand les victimes qui pourraient casser l'ambiance crient dans le désert.

  • Speaker #1

    Donc imaginez, je suis une victime à l'autre bout du monde. Par exemple, je suis un ouvrier indien au Qatar. Je sais que ma violation de droit provient de la filiale qui est au Qatar, mais déjà c'est très très difficile pour moi de le prouver. Je n'ai pas les droits, je n'ai pas accès aux tribunaux, il n'y a pas de syndicat. Et en plus, imaginez comment je peux accéder à des tribunaux en France, montrer que c'est en fait in fine la faute d'une maison mère en France. C'est quasi impossible.

  • Speaker #0

    La loi devoir de vigilance qui arrive en 2017 permet de corriger un peu le tir. Les procédures sont longues et éprouvantes, certes. Marie-Laure Guislain le sait. Mais désormais, il y a un cadre juridique qui permet d'aller chercher les multinationales par le col pour les mettre face à leurs responsabilités.

  • Speaker #1

    Comme pour la Farge, les multinationales ne veulent plus contribuer aux conflits armés. Là, toutes les multinationales qui vont être sur des gros chantiers ou même dans les usines textiles, quand je suis allée au Bangladesh, c'est pareil. Eh bien, j'espère que ces multinationales se poseront la question, bien plus qu'avant, de savoir si elles n'ont pas un risque d'être attaquées. Pour travail forcé et réduction en servitude, la loi pénale permet particulièrement de les dissuader parce qu'il y a des peines spéciales pour les multinationales, notamment d'exclusion des marchés.

  • Speaker #0

    ou de suspension un temps des marchés, ou même des peines de prison pour les dirigeants. Et ça, c'est bien plus dissuasif que, par exemple, une seule amende, qui est parfois même provisionnée dans le budget des multinationales.

  • Speaker #1

    Et j'imagine que depuis l'éclatement de l'affaire, Vinci a fait des énormes communiqués de presse, des rapports en améliorant sa stratégie de responsabilité sociale. Est-ce qu'il y a une... de beaux discours de Vinci, mais des choses qui sont dites par Vinci, qui n'ont pas vraiment changé sur le terrain.

  • Speaker #0

    Dès la plainte initiale en 2015, on montre l'écart considérable qui existe entre les chartes éthiques de Vinci et le terrain. Donc pour nous, ça, ça n'a pas changé. Effectivement, ils ont essayé de renforcer leur communication, mais ils se sont enfoncés à plusieurs reprises en disant qu'ils avaient confisqué les passeports parce que les travailleurs avaient peur des vols. En fait, ils ont essayé d'expliquer plein de choses par des moyens qui les ont enfoncés. Vinci a aussi fait des faux pas à ce niveau-là, en communiquant vraiment largement, avant qu'on aille sur place et après, sur le fait qu'ils contrôlaient leurs sous-traitants et qu'ils offraient les mêmes conditions de travail à leurs sous-traitants qu'à leurs travailleurs directs. Et on a pu montrer l'inverse. Et à l'inverse, ça leur a permis de gagner énormément d'argent. de ne pas respecter cette communication en offrant des conditions bien moins intéressantes à quand même 60% de leurs main-d'oeuvre sur place. Donc à Sherpa à l'époque, on a toujours montré cet écart entre les engagements éthiques d'un côté des multinationales qu'on attaquait et la réalité sur place. Et c'est aussi grâce à ça qu'on a pu obtenir la loi sur le devoir de vigilance en montrant que ces engagements éthiques ne suffisent plus. On a à chaque fois un écart énorme entre ces engagements et la réalité. Le seul problème, c'est qu'il n'y a pas d'enquête suffisante parce qu'il n'y a pas de moyens. Donc on a besoin aussi que les financeurs, financeuses, les bailleurs, les fondations prennent conscience de l'importance de ce type d'enquête et du contentieux stratégique pour... changer l'état de respect des droits humains dans le monde, parce que sinon, de toute façon, on n'arrivera pas à gratter un petit peu sur l'impunité des multinationales.

  • Speaker #2

    Deux ans avant la Coupe du Monde, le Qatar a finalement entrepris quelques menus changements pour les travailleurs étrangers. Ils et elles peuvent désormais changer d'employeur sans demander la permission à celui qu'ils veulent quitter, Quelques salaires impayés ont été réglés. Un tribunal spécialisé en droit du travail a même fleuri à Doha. Du côté de Vinci, un petit effort est fait sur les logements, enfin mis aux normes. Un salaire minimum a été instauré. Et dans un communiqué, l'entreprise se vante même d'être la première entreprise sur le sol qatari à organiser des élections de représentants du personnel.

  • Speaker #0

    la plainte n'est pas la seule responsable et cause directe de tous ces changements. D'après les travailleurs et d'après l'IBB et les syndicats, elle y a contribué. Donc pour moi, ça confirme aussi l'importance de la complémentarité des actions, c'est-à-dire s'organiser sur place quand on est des travailleurs, travailleuses concernées. Ça, c'est la première chose. Sans ces travailleurs organisés, on n'aurait jamais pu faire cette plainte. Ensuite, les syndicats. Après, il y a dans plein d'autres combats, des occupations, des pétitions, et on voit aujourd'hui que le droit est quand même un des moyens d'action qui permet d'appuyer aussi d'autres types de luttes. C'est ce qui est ressorti par exemple d'un rapport de Terre de lutte, qui montre qu'aujourd'hui, pour les collectifs qui luttent contre les mégaprojets, le droit reste un des trois moyens privilégiés. d'action. Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis très contente d'inviter tous les collectifs qui le veulent à faire partie d'un espace de travail collectif droit et mouvements sociaux qu'on est en train de créer, avec le CAC et Sciences Citoyennes et Allumeuses, mon asso, pour justement renforcer cette stratégie juridique, que le droit ne soit pas pour les plus riches et les plus puissants, mais pour tous et par tous, et qu'on puisse créer un vrai rapport de force, aujourd'hui encore extrêmement déséquilibré. pour pouvoir rétablir une espèce d'équité et réduire les inégalités et les graves violations des droits humains dont je vous ai parlé.

  • Speaker #2

    Marie-Laure Guislain a porté tout ce dossier sur ses épaules, avec des petites mains pour l'aider. Sous pression dans son association, gardant en elle les souffrances de ses hommes, transformés en esclaves. au nom du sport.

  • Speaker #1

    Et depuis cette enquête et cette affaire judiciaire, comment tu te sens ? Comment cette enquête a changé ta vie ?

  • Speaker #0

    Cette enquête a changé ma vie sur plusieurs points. Déjà, j'étais tellement bouleversée par la compréhension de ce système d'esclavage et par ce qui l'alimentait que j'ai été vraiment motivée pour changer mon mode de consommation. Ce n'est vraiment pas la mesure la plus efficace, mais en tout cas... Je refuse qu'on m'ôte au moins ce pouvoir de ne plus jamais acheter dans une multinationale ou dans un supermarché ou acheter neuf pour entretenir le système d'esclavage moderne. Cette enquête m'a permis de mettre une pièce vraiment essentielle au puzzle plus grand de comment marche le système néolibéral et comment on peut en sortir. Donc ce système néolibéral, néocolonial, patriarcal produit 50 millions d'esclaves dans le monde. Pour moi, c'est de ne pas rester devant l'impuissance et de se dire de toute façon, on ne peut rien faire. Non, non, on peut faire plein de choses. Il ne s'agit que d'une question de volonté politique. Et comme le disait Margaret Mead... Ne doutez jamais qu'un petit groupe de gens déterminés peut changer le monde, c'est toujours comme ça que ça a commencé. Encore une fois, ce n'est qu'une question de volonté politique.

  • Speaker #2

    La mauvaise publicité d'une mise en examen ne fait pas assez peur aux multinationales. Et pour cause, après la mise en examen de Vinci et le coup de projecteur sur les morts de la Coupe du Monde repris dans le monde entier, les appels au boycott sont restés lettres mortes. Il y a bien eu quelques indécrotables pour tourner le dos aux télévisions qui retransmettaient les matchs. Mais ils n'ont pas dû être bien nombreux, à voir les audiences record et les recettes globales de l'événement, qui se sont chiffrées en milliards de dollars. Pourtant, Marie-Laure Guislain y croit, la justice pénale pourrait devenir l'un des grains de sable qui grippe cette grosse machine du travail forcé. Si le montant des amendes devient prohibitif, si les peines de prison menacent véritablement les dirigeants, et si l'activisme militant ne faiblit pas, il est possible de promettre des lendemains qui déchantent à ces entreprises confortablement installées dans leur culture de l'impunité. Ces entreprises qui continuent de raconter partout que des ouvriers réduits en servitude sont des salariés heureux et qui ont choisi d'être là.

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