- Speaker #0
Savez-vous combien coûte un lavage avec Oxifrox ? Elle élimine les traces de gras et de saleté pour un résultat impeccable, sans aucun impact sur votre budget. À ce prix-là, c'est de la magie ! Et si vous trouvez moins cher que gratuit, on vous rembourse la différence ! L'argent magique, vous n'y croyez pas ? Eh bien vous avez tort. En France, on lui donne même des petits noms, CICE, CVAE, ou plus généralement, Aide publique sans contrepartie pour entreprises de bonne volonté. Le jour où l'économie française s'est arrêtée en 2020, tout le tissu entrepreneurial français a tremblé. Comment allions-nous faire pour éviter les faillites ? Allions-nous tous et toutes perdre nos emplois ? Heureusement pas, car quoi qu'il en coûte, il a bien fallu trouver de la ressource. Et ce n'est pas dans la poche des actionnaires que Bercy est allé se servir, ça non, mais bien dans la manne providentielle et gigantesque des aides publiques. Vous écoutez
- Speaker #1
Goliath. Le seul danger de ce qui est fait, c'est pas quelque chose qui est palpable.
- Speaker #0
Que cachent les multinationales ? Je suis Laura Vérec. Je suis Violette Voldoire. Bienvenue dans le podcast de l'Observatoire des multinationales et de Radioparleurs. Dans ce troisième épisode de Goliath, il ne sera pas question d'une multinationale, mais de toutes celles qui ont profité du pipeline d'argent frais ouvert à l'occasion de la crise Covid et jamais refermé depuis. Une fuite massive de deniers publics, qui n'a rien d'illégal, mais qui a suscité l'interrogation d'un économiste aux aguets.
- Speaker #1
Bonjour, je m'appelle Maxime Camp, je suis économiste de formation. Et il y a 20 ans, à la sortie de mes études, j'ai bifurqué longtemps avant les camarades de AgroParisTech et décidé de travailler pour le monde associatif et faire de l'expertise citoyenne sur les questions internationales. sur les questions du commerce et de la mondialisation, sur les questions des entreprises multinationales et également sur les questions de climat et d'énergie ces dernières années.
- Speaker #0
Allocution du président de la République le 16 mars 2020.
- Speaker #2
L'épidémie de Covid-19 était peut-être pour certains d'entre vous une idée lointaine. Elle est devenue une réalité immédiate. Dès demain,
- Speaker #0
les gares sont bondées,
- Speaker #2
nos déplacements,
- Speaker #0
les portières claquent. Ce sont celles des voitures de celles et ceux qui ont les moyens de fuir les villes. Les premiers de corvée, eux, vont rester à l'arrière, derrière leur comptoir, leur blouse blanche, leur bleu de travail. Les Françaises et les Français sont confinés, et toutes les entreprises non essentielles figées. Maxime Combes, lui, sent tout de suite qu'il faut ouvrir son œil d'économiste. Tout de suite.
- Speaker #1
Parce qu'il y a une grosse crise arrivée, celle de la pandémie, et que face à ce genre de crise-là, confiner l'économie, justifier qu'il y ait beaucoup d'argent public qui soit mis sur la table, et qui dit beaucoup d'argent public, dit qu'il va y avoir des gagnants et des perdants. Et je fais partie des gens qui ont déjà vécu les crises financières du début des années 2000, mais également surtout la crise économique et financière de 2008-2009. Et l'expérience nous a appris, à l'Observatoire des multinationales, mais également dans nos organisations, qu'il fallait suivre l'argent dans ces moments-là pour comprendre comment, à la fois, il y aurait des gagnants et des perdants, mais aussi comprendre comment le capitalisme ou l'économie de nos pays allaient se reconfigurer à travers ce moment de grande incertitude, de déstabilisation extrêmement puissante de l'économie nationale, européenne et mondiale, et donc comment tout cela allait se réagencer. Et donc on savait que ce serait clé que de suivre l'argent public pour comprendre ce qui allait se passer.
- Speaker #0
L'avis des unes et des autres est entre parenthèses. Même pour les travailleuses et travailleurs encore en poste, plus rien n'est normal. Avec les réunions qui s'enchaînent en visio, les machines à café condamnées, les pauses en intérieur interdites. Pour les chefs d'entreprise non plus, la normalité n'existe plus. Et pourtant, il y a un monde parallèle qui regarde toute cette crise depuis son petit nuage, celui de l'actionnariat des groupes cotés en bourse.
- Speaker #1
On était aux prémices de la saison des assemblées générales des grands groupes du CAC 40, qui se déroule pour l'essentiel au mois d'avril et au mois de mai de chaque année. Et donc nous savions, si la pandémie n'avait pas été là, qu'ils allaient annoncer des records à la fois de profit pour l'année 2019, mais également de versements de dividendes et donc plus généralement de rémunération des actionnaires. Et donc toute la question a été de savoir, mais finalement, que va-t-il se passer ?
- Speaker #0
Maxime Combe a trouvé sa question, son point de départ. Le rigoureux chercheur a l'habitude de passer de longues heures derrière un ordinateur. Mais ce qu'il ne sait pas, c'est le vertige qui va le saisir, à mesure qu'il dévale les pentes par lesquelles les flots d'argent public se déversent.
- Speaker #1
Au début, c'est vraiment dans l'idée de rendre visible quelque chose qui passait sous les radars. Certains ont publié des recettes de cuisine ou des chansons ou des images de leurs enfants quotidiennement en train de faire ci ou de faire cela. Moi, c'était de produire un signalement sur une opération qui me paraissait extrêmement discutable, avec deux objectifs. Faire émerger le sujet en tant que tel. Il y a aussi sans doute l'idée que nous sommes tous unis par notre destin commun et embarqués sur le même bateau avec cette pandémie et tous touchés de la même manière et de la même façon. Non, c'est parce que la pandémie risque de nous toucher toutes et tous, que nous sommes tous égalitaires face à cette nouvelle situation et que nous avons toutes et tous les mêmes moyens d'y faire face. Eh bien non, un certain nombre d'acteurs économiques ont des capacités. assez incroyable, qui consiste à pouvoir avoir accès aux dispositifs d'aide publique tout en continuant à privatiser leurs profits.
- Speaker #0
Une fois qu'on sait ce qu'on cherche, il faut trouver une manière d'en parler, une forme qui puisse toucher le plus de monde possible. L'économiste va donc chercher des sources d'inspiration là où l'information se partage le plus en temps de confinement.
- Speaker #1
La première chose qui m'est venue à l'esprit, on a les réseaux sociaux, on a Twitter. Et comment s'en saisir ? en dupliquant ce que David Dufresne avait fait sur la question des violences policières pendant la mobilisation des Gilets jaunes. Et ce que David Dufresne a fait en fait avec ce qu'il a appelé Allô Beauvau, où il a interpellé de manière systématique sur Twitter le ministère de l'Intérieur sur le fait qu'il y avait finalement une accumulation de violences policières et que cette accumulation montrait bien que la question n'était pas une question de comportement à la marge, mais une question systémique. L'idée était de faire la même chose. Et donc du coup, c'est comme cela que ça a commencé, en demandant avis et autorisation à David, qui m'a dit qu'il voyait ça d'un très bon oeil et qu'il n'y avait pas de soucis, qu'il allait même relayer les premiers signalements, ce qu'il a fait. Et donc c'est comme ça que c'est parti, avec quelque chose d'emblée, de systématique, collant totalement à ce qu'il avait fait. Et là, ce n'était plus Allô Beauvau, le ministère de l'Intérieur, c'était Allô Bercy, le ministère de l'Économie, en essayant donc de prendre de manière un peu systématique les informations qui nous parvenaient.
- Speaker #0
Le hashtag Twitter Allo Bercy est né. Sur son compte personnel, Maxime Combe interpelle systématiquement, méthodiquement, avec la rigueur qui le caractérise, les costumes sombres de Bercy. Chaque message posté est un signalement, une alerte.
- Speaker #1
Allo Bercy, c'est pour un signalement numéro 73. Le groupe LVMH, qui a versé 2,42 milliards de dividendes en juillet, envisage un nouvel à compte.
- Speaker #0
1 milliard d'euros de dividendes à compte de 1 milliard en décembre, alors que le gouvernement avait promu que les entreprises dont l'état est actuel ne doivent pas verser de dividendes.
- Speaker #1
C'est très artisanal. C'est en faisant de la lecture de presse spécialisée, également de la presse quotidienne régionale, parce qu'un journal local va se faire l'écho d'une entreprise qui, dans un coin, effectivement, décide de fermer ou décide de mettre l'ensemble de ses salariés au chômage partiel. Et c'est de façon très artisanale au début de vérifier si ce n'est pas la filiale d'un grand groupe, pendant que ce grand groupe, lui, continuerait. à verser des dividendes et faire comme si finalement la situation économique ne devait pas impacter ses choix financiers. J'ai essayé donc du coup de documenter ce qui me passait sous la main en fonction y compris du calendrier des assemblées générales. Et donc une assemblée générale, elle décide de la rémunération du PDG, elle décide, elle valide ce qui est proposé en termes de rémunération des actionnaires, en termes d'orientation économique et donc de mettre en rapport à chacune de ces assemblées générales si, Des dividendes importants ont été maintenus alors qu'une des filiales de l'entreprise était sous chômage partiel. Et donc du coup, si la trésorerie est manquante, si les moyens sont manquants pour assurer la continuité de la rémunération des salariés qui sont dans l'entreprise, qui ont été formés par l'entreprise, donc qui disposent d'un savoir-faire qui est utile et que l'entreprise a tout intérêt à maintenir, eh bien si cette trésorerie, si ces moyens ne sont pas là, ils ne doivent pas être là pour rémunérer les actionnaires qui, au même moment, sont ceux qui devraient effectivement se serrer la ceinture. pour assurer la continuité et la pérennité de l'entreprise. Allô Bercy ? C'est pour un signalement, numéro 93. Le groupe Danone supprime 2000 emplois, dont 400 en France, après avoir versé 1,4 milliard de dividendes à ses actionnaires, en hausse de 8%, soit l'équivalent de 700 000 euros par emploi supprimé.
- Speaker #0
Des centaines de messages, tweets et réponses forment peu à peu un torrent qu'il convient de canaliser. Certes, petites et grandes entreprises remontent des sceaux débordants d'argent frais du puits sans fonds des aides publiques. Mais il faut aller plus loin. D'où vient donc toute cette manne ?
- Speaker #1
Il n'y a pas de base de données extrêmement précise, des aides publiques existantes. En tout cas, de ce que chaque entreprise arrive à toucher sur chaque type d'aide publique. C'est même plutôt des données qui ne sont absolument pas publiques. Du coup, il a fallu aller à la pêche aux données, les rechercher. Mais qu'à force d'accumuler des signalements de ce type, un certain nombre d'informations nous sont revenues. De la part du monde syndical, de gens engagés et qui suivent les questions économiques sur un plan local et qui nous ont signalé des cas, mais également de l'intérieur même de Bercy, un certain nombre de personnes nous ont signalé qu'on devrait y regarder par-ci, par-là, bien entendu totalement off parce que ces gens-là n'ont pas le droit de faire cela par leur statut et leur fonction.
- Speaker #0
Ces gens-là, Maxime Combes aurait très bien pu être l'un d'entre eux. L'un de ses costumes sombres à l'attaché-caille sans simili-cuir vissé au bout du bras, il a fait les mêmes études que nombre d'entre eux à l'ENSAE, l'école des ingénieurs et statisticiens spécialisés en économie. Il aurait pu travailler à Bercy, mais non. Non seulement Maxime Combes n'est rien de tout ça, mais il utilise toute la finesse de sa compréhension de ce monde-là pour piquer là où ça fait mal.
- Speaker #1
Et après, en discutant avec Olivier Potigean, fondateur et animateur de l'Observatoire des multinationales, qu'on s'est réunis, comme on pouvait le faire sous confinement, c'est-à-dire au téléphone et via la visioconférence, pour se dire qu'on pourrait systématiser ces informations-là pour un minimal l'ensemble du CAC 40, et les mettre en rapport avec l'expertise qui est celle de l'Observatoire des multinationales, qui est en gros de faire un bilan du CAC 40 chaque année sur un certain nombre de critères économiques, sociaux, environnementaux, et de mettre ça en comparaison et de voir finalement est-ce qu'on a des tendances un peu générales qui seraient valables, non pas pour une accumulation d'entreprises, mais pour un panel bien défini qu'est le CAC 40, c'est-à-dire les 40 supposées plus importantes entreprises en France.
- Speaker #0
Le CAC 40, qui sert de terme de référence à la bonne santé de l'économie française. Et oui, si les gros vont bien, alors tout ira bien. Voilà en résumé l'état d'esprit qui préside à la distribution des deniers publics. Et ce n'est pas le premier confinement qui fera varier Emmanuel Macron d'un iota au regard de cette orthodoxie. Aucune entreprise,
- Speaker #2
quelle que soit sa taille, ne sera livrée au risque de faillite. Aucune française, aucun français ne sera laissé sans ressources. S'agissant des entreprises, nous mettons en place un dispositif exceptionnel de report de charges fiscales et sociales, de soutien au report d'échéance bancaire et de garantie de l'État à hauteur de 300 milliards d'euros pour tous les prêts bancaires contractés auprès des banques.
- Speaker #1
D'une manière générale, il y a eu sur la période de la pandémie, c'est-à-dire 2020-2022, pour faire simple et pour présenter les choses de manière également un peu caricaturale, il y a trois moments dans ces aides publiques. Le premier, c'est des dispositifs extrêmement larges qui se veulent finalement accessibles à toutes les entreprises, aussi bien à votre coiffeur que à Total Energy, si Total Energy en avait eu besoin. pour éviter qu'un maximum de gens se retrouvent au chômage et perdent leur emploi. Non pas parce qu'on craignait nécessairement qu'il y ait une augmentation du chômage, mais parce que si les entreprises avaient viré beaucoup de gens de leur appareil de production, ce sont autant de gens qu'il aurait fallu réembaucher par la suite, le jour d'après, après la pandémie, et qu'il aurait nécessité de reformer, de relancer. Et donc du coup, en fait... Il faut voir le chômage partiel moins comme une aide sociale qu'une aide économique qui permet aux entreprises de conserver les savoir-faire et l'investissement qu'ils ont fait dans le capital humain, pour reprendre leur terme, à l'intérieur de l'entreprise.
- Speaker #0
Jusqu'ici, tout semble justifié par l'urgence. Et si l'économie ne redémarrait pas ? La peur de se retrouver sans emploi, dans un pays où le contrat social de toute une société repose sur le travail. Ce n'est pas possible. Et cela balaie toutes les critiques. Les promesses d'une répartition juste de tous ces deniers, de la part d'un ministre de l'économie combatif, donnent l'illusion d'une maîtrise totale sur la situation. Il ne laissera pas les actionnaires en profiter, il le promet.
- Speaker #2
Bien sûr.
- Speaker #0
Bruno Le Maire, le 10 avril 2020, au micro-européen de Mathieu Béliard.
- Speaker #2
Les députés, par exemple, les causes sont très claires. Si une très grande entreprise demande le soutien de l'État en trésorerie, ou elle demande un prêt garanti par l'État, Il est hors de question que cette entreprise verse des dividendes. Et je ne le permettrai pas et nous ne l'autoriserons pas. Les prêts garantis par l'État pour ces très grandes entreprises, c'est moi qui les signe. Je peux vous garantir que je ne signerai aucun prêt garanti par l'État pour une entreprise qui verserait des dividendes à ses actionnaires. On n'a pas d'argent pour sa trésorerie, on n'en a pas pour ses actionnaires.
- Speaker #0
Quelques semaines plus tard, les promesses se fracassent sur la réalité. Les règles qui empêchent les entreprises de verser de l'argent à leurs actionnaires ne sont pas si contraignantes que Bruno Le Maire le martèle, avec toute la force de sa conviction. Il est interdit de verser des dividendes à ses actionnaires si, et seulement si, on a profité d'un report de charge fiscale ou d'un prêt garanti par l'État. Les entreprises qui ont mis leurs salariés au chômage partiel, elles, n'ont pas cette pression. L'économiste découvre ainsi que 80% d'entre elles ont bien versé des dividendes à leurs actionnaires.
- Speaker #1
Puis sont venus très rapidement de nouveaux dispositifs, beaucoup plus spécifiques. Dans la première phase, il y a des groupes qui ont été un peu oubliés. Le secteur de la culture, par exemple. Ça a été le cas également des librairies. Ça a été le cas de, vous vous souvenez peut-être du débat sur quelles sont les activités économiques essentielles et non essentielles. Tous ces débats-là sont arrivés, mais globalement, la première phase était relativement ouverte. La seconde phase l'est beaucoup moins et on voit apparaître des dispositifs d'intervention qui visent certains secteurs en particulier. Des secteurs extrêmement... Touchés par la pandémie et les conséquences économiques, ce sont les secteurs de l'aviation, de l'industrie aéronautique, le secteur du tourisme, le secteur automobile. Et là, on a des dispositifs qui sont construits de manière différente. Il s'est déjà passé un mois et demi depuis le début de la pandémie, et en fait il s'est trouvé que ces entreprises-là, qui étaient en situation extrêmement difficile, ont co-construit en fait les dispositifs avec Bercy directement. C'est moins du lobbying en fait que clairement de la co-construction de politiques publiques, en disant, ben voilà, notre secteur il est en situation difficile, et donc nous avons besoin de ci, de ça, de ça, et globalement les pouvoirs publics ont mis sur la table ce que ces acteurs économiques attendaient. Et donc là on a des dispositifs qui se comptent tous en milliards d'euros, Là, il ne s'agit plus d'arroser nécessairement tout le monde et de sauver tout le monde, mais de passer par les grands acteurs privés. Dans le secteur aéronautique, c'est de dire que si on permet à Airbus, Dassault et les autres de bien passer la crise, l'ensemble de leurs sous-traitants, l'ensemble de leurs filiales, l'ensemble du tissu économique qui dépendent de ces grands groupes vont très bien supporter la crise. C'est un peu l'idée du ruissellement à poser sur la crise économique liée à la pandémie. Et en fait, ce n'est pas vraiment ce qui va se passer. Notamment dans le secteur automobile, vous vous souvenez, on a sauvé Renault. Il y a des milliards d'euros qui ont été mis sur la table pour sauver Renault. Et dans le même temps, les grands acteurs économiques de l'industrie automobile français ont abandonné un nombre incroyable d'entreprises sous-traitantes, notamment dans la fonderie. Et les pouvoirs publics ont dit Ah mais non, nous on a sauvé le secteur automobile, on a mis des milliards sur la table, maintenant voyez avec Renault pour que vous décidez votre avenir. Et là on retrouve en fait un principe assez important, c'est le principe de il ne faut jamais gâcher une bonne crise Et une crise comme cela, c'est l'occasion en fait de vous séparer de ces activités les moins profitables, ou de vous sous-traitant les plus coûteux, et de finalement utiliser la crise comme une occasion d'augmenter votre profitabilité globale.
- Speaker #0
Pas de monde d'après alors ? Après la crise, les petits deviendront plus petits ou disparaîtront ? Atrophiés, étouffés par les gros, qui deviendront plus gros encore grâce à l'argent public ?
- Speaker #1
100% des groupes du CAC 40 ont été soutenus directement par les pouvoirs publics et par les aides mises en place. par l'échelon français et l'échelon européen, que ce soit le gouvernement français, que ce soit la Commission européenne ou que ce soit la Banque centrale européenne. 100% des groupes, alors que toute une série de ces grands groupes ont dit qu'ils n'avaient pas besoin des aides publiques et du soutien public pendant la pandémie. C'est le cas de TotalEnergie. Mais TotalEnergie, comme d'autres, ont été très largement soutenus par la Banque centrale européenne, ce qui leur a permis de protéger leur trésorerie avec une intervention via les marchés financiers. Ces grands groupes dont on raconte une histoire qui explique que finalement leur réussite est le fruit simplement de leur extraordinaire capacité d'innovation, de création de nouveaux marchés, de développement de nouveaux produits, parce qu'ils ont des capitaines d'industrie extrêmement valeureux et incroyables d'efficacité et de compétences. Là on voit que pendant la pandémie, l'essentiel de ces grands groupes survivent dans cette période extrêmement... spécifique parce que les pouvoirs publics sont là.
- Speaker #0
Les grands groupes, ils sont pleins de belles promesses. Total Energy, Danone, Vinci, Lafarge, toutes leurs publicités font miroiter des jours heureux à base de technologies libératrices et de bifidus actifs. Il y a bien une promesse qu'ils vont pouvoir tenir à leurs actionnaires, augmenter toujours plus leurs dividendes. Car entre les confinements, Bercy a concocté une nouvelle marmite d'argent frais.
- Speaker #1
La troisième vague d'aides publiques aux entreprises liées à la pandémie vient à un plan de relance en septembre 2020 qui vise à dire ok, on vient de passer la pandémie, on ne sait pas combien il va y avoir de nouvelles phases, mais en tout cas il faut relancer l'économie. Et alors là, autant votre coiffeur, votre boulanger, votre restaurateur pouvaient avoir accès à la première phase des aides pour un certain nombre de petites entreprises éventuellement espérer que ça ruisselle dans la deuxième phase. Autant la troisième phase, là, il s'agit de financer ce que finalement le capitalisme français avait dans les cartons pour l'économie du monde d'après. Et donc, du coup, sur l'agriculture, ce qui va sauver l'agriculture, ce n'est pas d'installer un million de paysans comme le réclame, par exemple, la Confédération Paysanne. C'est d'investir sur la robotique, la génétique et le numérique parce que ça, c'est l'agriculture de demain. Et donc, du coup, ce sont des start-up du monde agricole. qui viennent récupérer une partie de ces financements.
- Speaker #0
Ces financements, faudra-t-il être une start-up pour y puiser ? Ou être un grand groupe et se parer des atours de l'innovation suffira-t-il ? En octobre 2021, le chef de l'État révèle dans une conférence millimétrée sur un fonds bleu roi le détail des mesures qui absorberont 34 milliards d'euros d'investissement de la première mouture du plan France 2030. Intelligence artificielle, biomédicaments, avions à hydrogène, je crois que c'est le terme. avec quelque chose qui relève en fermant les yeux du rêve possible on rêve du futur avec Macron de l'ambition faisable un futur de tech pour notre nation en aluminium brossé je vous remercie la République est d'accord
- Speaker #1
Et donc on a cette histoire qui nous raconte qu'effectivement, à travers le plan de relance et le plan France 2030, c'est effectivement cette économie du monde d'après que nous allons financer. La réalité, c'est que dans ces dispositifs-là, globalement, il n'y a que des grands groupes qui peuvent émarger, qui ont sorti de leur carton des projets qu'ils n'avaient pas nécessairement mis sur la table pour l'instant ou qu'ils n'avaient pas forcément déployé à grande échelle, notamment les gigafactories de batteries électriques, pour se les faire très largement financer par les pouvoirs publics. Total Energy, en alliance avec Mercedes et Stellantis, vient d'inaugurer sa première gigafactory, sa gigahusine de batteries électriques. Et quasiment 25% de l'investissement total va être couvert par des aides publiques aux entreprises. Et ça se compte autour de 800 millions d'euros pour les aides publiques qui viennent de l'État français. Et quasiment 150 millions d'euros qui vont venir des collectivités publiques. Donc près d'un milliard d'euros. Ils vont aller financer l'installation d'une usine de batterie électrique pour la création sans doute à terme de 2000 emplois, ce qui fait 400 000 à 500 000 euros par emploi créé. Est-ce qu'on avait réellement besoin de mettre sur la table tant d'argent pour financer des entreprises qui par ailleurs se soustraient à l'effort collectif en ne payant pas d'impôts sur le territoire national, comme on l'a montré pour Total Energy sur les années 2019 et 2020, qui par ailleurs accumulent des dizaines de milliards d'euros ? De bénéfices, Total Energy 20 milliards d'euros, Stellantis 17, Mercedes 20, pour simplement cette gigafactory de batteries électriques à Douvrin. Et on a mis quand même 800 millions d'euros sur la table. N'avaient-ils pas les moyens de financer leur propre usine ?
- Speaker #0
Et si ces entreprises font des profits ? Dans quelles poches iront-ils ? Et si l'usine est délocalisée, qui va payer pour les emplois détruits ? Ces multinationales ? Qui paie si rarement leurs imposées charges rubis sur l'ongle ? Oui, des rubis, car rien n'est trop beau pour ces grands groupes.
- Speaker #1
Pris dans leur globalité, les aides publiques qui ont été débloquées pendant la pandémie, si on additionne tout, en sachant qu'on additionne des choux et des carottes, des choses qui n'ont strictement rien à voir, puisque des prêts et des subventions, ça n'a pas la même fonction et ça n'aura pas le même impact derrière. sur les comptes de l'État. Mais si on met tout sur la table, en France, on a globalement mis 400 milliards d'euros pour venir en aide à l'économie nationale. Mais 400 milliards d'euros, c'est énorme. C'est 20 à 25 du PIB national. C'est la raison pour laquelle on peut parler d'un champ magique, on peut parler d'un pognon de dingue, alors que ça faisait des années qu'on nous expliquait qu'il fallait... réduire les dépenses publiques, les contraindre au maximum, parce que sinon, à force de déraper, l'État n'aurait plus les moyens et allait faire faillite. C'est bien la preuve que l'État n'était pas prêt de faire faillite, qu'il est possible de trouver des ressources quand on en a vraiment besoin et qu'il est nécessaire d'agir. Et la preuve, donc, du coup, qu'il n'y a pas de limite indépassable ni dans le budget que l'État peut se donner, ni dans l'endettement qu'il peut accumuler. ni donc du coup dans les dispositifs de soutien qu'il peut créer. La question qui se pose à travers la pandémie, c'est pourquoi a-t-on mis autant d'argent sur la table pour les acteurs économiques privés et qu'on n'en a pas mis autant pour les services publics, pour celles et ceux qui finalement ont tenu le pays à bout de bras pendant qu'une partie de la population a été confinée, une partie de l'activité économique arrêtée, à savoir celles et ceux qui se sont occupés de nous à l'hôpital, qui se sont occupés de nous dans les services publics, qui ont fait que le pays... ait pu continuer à tourner et surtout qu'il ait pu se relever maintenant que la pandémie est supposée être derrière nous, en tout cas internalisée.
- Speaker #0
Tout d'un coup, peut-être qu'on se dit qu'on a été un peu trop généreux ?
- Speaker #3
Alors, c'est vrai qu'objectivement, oui, on en a fait sans doute beau.
- Speaker #0
Emmanuel Lechypre, éditorialiste économique en septembre 2021 sur BFM TV.
- Speaker #1
2020,
- Speaker #3
s'effondre de presque 10%, on a 25 000 faillites de moins que d'habitude. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'en fait, on a sauvé des entreprises qui, en temps normal, auraient périclité. Des canards boiteux qui, finalement, auraient fait faillite s'il n'y avait pas eu ces aides. La rentabilité des entreprises a explosé. On est sur les plus hauts niveaux historiques jamais connus. Le record précédent datait de 1951. Si vous regardez, la trésorerie, elle n'a jamais été aussi confortable. Depuis qu'on la mesure, et puis quand vous prenez le fameux prêt garanti par l'État, il y a la moitié des entreprises qui l'ont pris par précaution, mais qui n'en ont pas dépensé le premier centime. Donc oui, on peut dire qu'effectivement, on en a sans doute fait un peu trop.
- Speaker #0
Donc la Cour des comptes dit rends l'argent Mais la Cour des comptes n'est pas la seule à froncer les sourcils face à l'ouverture des vannes d'argent public.
- Speaker #1
Par ailleurs, cet argent public, il a été débloqué pour l'essentiel, sans aucune conditionnalité auprès des acteurs privés. C'est-à-dire que pour toucher des aides publiques, on n'a pas demandé aux entreprises, en tout cas ça n'a pas été fait de manière systématique pour l'ensemble des aides, qu'elles nous garantissent qu'elles n'utilisaient pas les paradis fiscaux, qu'elles respectaient la loi égalité femmes-hommes. d'égalité salariale, ce qui veut dire qu'on a débloqué des aides pour un certain nombre d'entreprises qui sont hors la loi. Quand on entend tous les discours qu'il peut y avoir sur les bénéficiaires du RSA qui profiteraient du dispositif pour vivre un peu en France et vivre un peu ailleurs, on se rend compte qu'en fait, il y a un deux poids deux mesures, que la question du droit et des devoirs, elle s'applique surtout aux bénéficiaires sociaux, aux bénéficiaires du chômage, mais rarement aux entreprises. Les entreprises privées, finalement, elles n'ont que... Des droits, elles n'ont qu'accès à des aides publiques et on leur pose rarement des devoirs face à cela. On aurait pu dire, ok, on va mettre beaucoup d'argent sur la table. Nous avons besoin de transformer notre modèle économique, conditionnant l'ensemble de ces aides au fait que les entreprises se donnent une perspective de réduction d'émissions de gaz à effet de serre, de moindre impact sur la biodiversité, de transformation de l'appareil productif, de meilleure prise en cause des enjeux sociaux, y compris dans leur production. Ça n'a pas été le cas.
- Speaker #0
Cette absence de contrepartie demandée aux entreprises, quasi systématique d'ailleurs lorsque l'on parle des aides publiques, et qui avait déjà fait scandale au moment du CICE de François Hollande. Maxime Combes sait que c'est le coin qu'il faut enfoncer systématiquement, mettre le projecteur sur ceux qui abusent. Et petit à petit, certains signalements, à l'Aubercy, deviennent des sortes de témoins gênants, qu'il n'est plus possible d'ignorer.
- Speaker #1
Je me souviens avoir fait un signalement, je crois, sur Transdev, qui est une entreprise... qui en plus dépend de la Caisse des dépôts et consignations, qui avait prévu de ne pas changer son dividende de mémoire. Je fais le signalement le matin et ça avait changé l'après-midi. Alors est-ce que ça a changé à cause du signalement et de certaines montées au créneau d'un certain nombre de députés parlementaires ou pas ? On ne sait rien. Mais donc du coup, dès l'après-midi, j'avais... des démentis sur le fait que ce qui était signalé n'est pas vrai, puisque la décision avait été prise, mais la décision était postérieure. Donc il y a eu quelques petites choses comme cela. Enfin, après, j'ai essayé d'éviter de pouvoir être poursuivi en diffamation. Pour un tweet comme cela, en plus qui n'était pas adressé à l'entreprise, mais qui était adressé à Bercy sur le mode mais vérifiez à qui vous donnez de l'argent un, il n'y avait pas beaucoup de risques, et deux, en fait, c'est l'entreprise qui avait le plus à perdre.
- Speaker #0
Derrière son ordinateur, l'économiste compte ses maigres victoires. Ses fois où ses signalements, pourtant très relayés sur Twitter, ont limité la casse. Mais c'est à un système qu'il fait face, et ses petites victoires sont noyées dans la masse.
- Speaker #1
Donc en fait, on a sauvé l'économie.
- Speaker #0
du monde d'hier ? Dans quel objectif ? Pour s'assurer que les entreprises françaises puissent immédiatement se repositionner à l'international et regagner des parts de marché à l'international, soit à l'export, soit en matière de capacité de faire venir les investissements étrangers. Finalement, cette bonne crise, elle doit aider le capitalisme français à être encore plus compétitif à l'international et s'assurer qu'il ne soit pas largué sur ce que seront peut-être les marchés émergents de la décennie à venir.
- Speaker #1
Après des centaines de signalements à l'Aubercy sur Twitter, il est grand temps pour Maxime Combes de sortir la tête des réseaux sociaux. Le jour de la grande conférence d'Emmanuel Macron, fanfaronnant sur son plan France 2030, il publie un article co-écrit avec Olivier Petitjean de l'Observatoire des multinationales, qui pose une question gênante. Est-ce la fin de l'état-providence au profit d'un corporate welfare, c'est-à-dire un état providentiel, mais pour les multinationales ?
- Speaker #0
Les tweets, c'était pour partager une forme d'indignation et du coup, accumuler des données. Quand on a accumulé ces données et qu'on a discuté avec Olivier Petitjean, de l'Observatoire des multinationales, on s'est dit qu'on allait systématiser ces données-là et faire ce que font les ONG classiquement, lorsqu'elles commencent à avoir des informations sur un sujet, c'est produire une note. La note... Ça n'a pas l'objectif de toucher les 60 millions de Français. La note, c'est un objectif, c'est de toucher quelques journalistes qui vont y trouver un intérêt. Par exemple, l'Obs, le grand, l'historique, pas l'Observatoire des multinationales, l'Obs, parce qu'une de ses journalistes était très intéressée par ce que nous faisions, de grandes rédactions se sont intéressées à notre travail. L'Observatoire des multinationales, c'est une toute petite structure qui fonctionne avec très peu de moyens et comme on l'a expliqué, ce travail-là, à la base, était relativement artisanal. C'était déjà relativement... intéressant pour nous de voir qu'on était capable d'intéresser des journalistes qui, en général, vont plutôt s'intéresser à un rapport d'une très grosse ONG.
- Speaker #1
Et oui, dans les médias comme ailleurs, on ne prête qu'aux riches. En tout cas, on ne prête pas à ceux qui critiquent les fleurons français de l'industrie et de la tech.
- Speaker #0
Mais là, tout de suite, on a été confrontés à une difficulté. Ces grands médias qui étaient intéressés et qui voulaient faire, à un moment donné, écho à notre travail, ont cherché à avoir... une parole contradictoire à la nôtre, de manière systématique. C'est-à-dire que, par exemple, une télé qui venait faire un reportage avec nous, nous interroger pour rendre compte de nos résultats, nous disait, écoutez, pour l'instant, je ne suis pas sûr que notre sujet passe, parce que personne ne veut répondre. aux données que vous rendez publiques. Ni le MEDEF, ni l'AFEP, qui est la grande structure de lobbying regroupant les très grandes entreprises françaises, ni un patron de multinationales. Finalement, personne ne voulait répondre. Et parce que ces grands médias pensent que le contradictoire, dans ce cas-là, est obligatoire, le sujet ne passait pas. Ou à la fin, parce qu'un journaliste est bien dépatouillé, il a réussi à faire passer un sujet, mais parce qu'il est allé chercher l'économiste classique français qui répond à toutes les questions, même sur les sujets qu'il ne connaît rien. Et ça, c'est très étonnant, parce qu'à rebours, quand ces grands groupes font une communication institutionnelle, Ces grands médias reprennent cette communication institutionnelle la plupart du temps sans contradictoire.
- Speaker #1
Mise à part quelques journalistes économiques passionnés par la question, personne ne semble s'affoler du montant de ces aides publiques, qui enfle pourtant, lentement mais sûrement. Maxime Combes remonte sur les 20 dernières années et montre qu'en 2006, l'État dépense déjà 60 milliards d'euros. Près de dix ans plus tard, elle dépasse les 140 milliards d'euros. Nous sommes en 2018, à la veille de la crise Covid. Et depuis, les chiffres s'envolent et donnent le tournis. Mais tout cet argent est très sûrement employé à bon escient.
- Speaker #0
Toute une série de ces aides publiques sont relativement inefficaces. Il y a des études économiques qui ont montré que le crédit impôt compétitif des emplois, le CICE, était inefficace, ce qui montre que l'exonération des cotisations sociales... Sur les salaires, dès que les salaires dépassent 1,2, 1,3 ou 1,5 fois le SMIC, que ces exonérations de cotisations sociales sont en fait des effets d'aubaine pour les entreprises. Elles sont inefficaces et ne créent pas plus d'emplois que cela. Que le crédit impôt recherche, qui est aujourd'hui un des dispositifs les plus onéreux qui existent en France, c'est 8 à 9 milliards d'euros par an, le crédit impôt recherche finance toute une série d'entreprises qui fondamentalement ne font pas de la recherche. C'est qu'en fait, on a là une dynamique. D'un côté, la réduction, la mise à mal, le fait de conditionner toujours plus et de rendre plus difficile d'accès les aides sociales. Et ça, on le voit à travers la réforme récente de l'assurance chômage, la réforme récente des retraites et de l'autre côté, des aides publiques aux entreprises dont le montant explose et dont les devoirs, les conditionnalités, les contreparties sont extrêmement limitées. Donc du coup, c'est open bar et toutes ces entreprises y ont accès sans avoir besoin finalement de rendre des comptes.
- Speaker #1
Sauf que tout cela commence à se voir. Comment supporter, dans les services publics, de la santé, de l'éducation, du social, du transport, de voir tout cet argent filer vers le secteur privé, quand les salaires permettent à peine de survivre ? L'année suivante, 2022, les secteurs stratégiques vont peu à peu se mettre en grève, les uns après les autres. Les pénuries d'essence paralysent des régions entières pendant plusieurs semaines. Les profs, puis les sans-papiers exploités de chronopostes se révoltent. Partout, chacune et chacun réclame un meilleur revenu et a en tête les profits délirants du CAC 40 et de leurs acolytes émargents dans les autres places financières mondiales.
- Speaker #0
Tout notre travail sur les aides publiques aux entreprises pourrait laisser penser que finalement on irait mieux s'il n'y avait pas d'aides publiques au secteur privé. Ce n'est absolument pas notre propos, c'est plutôt de considérer qu'il faut faire aujourd'hui un vaste état des lieux, aussi précis que possible des aides qui existent, parce qu'il existe un maquis. des aides publiques aux entreprises. On en compte plus de 2000 sur le territoire national en comptant les aides publiques au niveau national, au niveau régional et au niveau local. Personne ne s'y retrouve. Il y a tellement de types d'aides publiques que personne ne sait ce à quoi il a droit ou pas droit et que c'est à la demande de ces acteurs économiques qu'un site internet a enfin été mis en ligne et qu'on sait aujourd'hui. Le nombre d'aides publiques existantes, mais on n'en est même pas certain, on en a peut-être oublié, il n'y a pas de suivi systématique de cette question-là.
- Speaker #1
Pour rester correct, c'est un sacré bazar. Comme une grande maison remplie de bibelots et d'objets variés, dont on aurait bourré les placards avant de bien fermer la porte. Et comment savoir quels sont les objets qui sont à leur place, et ceux qui n'ont rien à faire là ?
- Speaker #0
Moi ce qui peut être dévorant, c'est que finalement, comme ce sont des données qui ne sont pas transparentes, Comme c'est des informations qui ne sont pas nécessairement recoupées par personne d'autre, il y a un côté un peu seul face à la falaise et donc la crainte de dire des bêtises. Et après, il y a le côté de où est-ce que je m'arrête ? Est-ce que j'en fais réellement un par jour, ou autant que faire se peut ? Est-ce qu'on fait le CAC 40, plus que le CAC 40, ceux qui sont juste en dehors ? Est-ce qu'on va jusqu'aux 120 plus grosses entreprises ? Mais alors 120, c'est énorme, c'est un travail de dingue. Donc il y a toute cette question, effectivement, de la limite et de là où on s'arrête. Effectivement, c'est chronophage, c'est énergivore. Donc ça, oui, c'est pesant. Bon, au bout d'un moment, j'en ai marre. J'ai l'impression de tourner en rond. Alors, c'est cool. Entre-temps, le compte Twitter a pris de l'importance. Donc, il y a plus de followers. Donc, il y a plus de gens qui retweetent, voient les signalements. Et donc, du coup, se trouvent intéressés à la question. Mais il y a une fatigue personnelle qui s'est installée. C'est-à-dire que, oui, là, cette année, je crois, j'ai dû faire 2-3 signalements sur la saison des assemblées générales. Là où j'en faisais un minimum 30 à 40. Par rapport à moi qui ai vécu un monde sans réseaux sociaux, un monde où il n'y avait que l'email et le site internet, le côté réseaux sociaux pour des gens comme moi c'est très intéressant parce qu'on peut être directement en lien avec toute une série de journalistes, de faiseurs d'opinion, de relais d'opinion, mais il y a aussi un côté tout petit monde, très limité et qui interroge sur le sens et la portée de l'énergie qu'on y met. Merci. au bout d'un moment, on a envie de faire autre chose que faire des signalements sur Twitter.
- Speaker #1
L'enquête sur Twitter, qui a duré plusieurs mois, est devenue un livre. Un pognon de dingue, mais pour qui ? Co-écrit avec Olivier Petitjean. Les deux auteurs y déplient leur thèse, celle de la mort de l'État-providence, au profit d'une protection des intérêts des grands groupes à grands coûts d'argent public.
- Speaker #0
Le débat a avancé en deux ans. Il a avancé dans les programmes économiques d'un certain nombre de forces politiques. Il est beaucoup plus présent dans les revendications des organisations syndicales. Tout n'est pas lié à nous, mais on a joué notre petit rôle là-dedans et le fait de légitimer un certain nombre de prises de position pour faire monter ce sujet à l'agenda. Là où il y a de l'insatisfaction, c'est de se rendre compte que deux ans et demi après, rien n'a bougé. Rien n'a changé et qu'on n'est pas sur le point de gagner une bataille sur la conditionnalisation systématique des aides publiques au secteur privé, puisqu'on est même plutôt en train de voir apparaître de nouvelles aides, de nouveaux dispositifs ou l'expansion de dispositifs existants, toujours sans conditionnaliser. Donc il y a beaucoup à faire encore pour transformer notre système économique.
- Speaker #1
Avec cette enquête, les costumes sombres de Bercy se sont-ils émus du manque de transparence du millefeuille des aides publiques ? En septembre 2023, sur le site du ministère de l'Économie, une tentative de recensement de ces aides fait l'objet d'une page. Une page sur laquelle le montant global des aides n'est toujours pas communiqué. Mais que les multinationales se rassurent, elles pourront encore sonner aux multiples guichets de Bercy. Car de l'argent, il y en a dans les caisses des aides publiques.
- Speaker #2
Écriture et narration Violette Voldoire Entretien Laura Verec Réalisation Étienne Grationnette