- Speaker #0
C'est 22 heures dans ta cellule et c'est 2 heures de promenade. Tout ton corps, d'une certaine façon, dépérille.
- Speaker #1
Système punitif plutôt que préventif.
- Speaker #0
En haut, donner des clés.
- Speaker #1
Ce qu'on appelle la justice restaurative.
- Speaker #0
Garder les expériences traumatisantes de l'enfance.
- Speaker #1
La criminalité, elle est toujours nourrie par le trauma que la société crée.
- Speaker #0
Faire du yoga, c'est un cercle vertueux.
- Speaker #1
Et toi, tu fais comment du coup pour... prendre soin de toi.
- Speaker #0
Tu peux être traumatisé, travailler avec des personnes traumatisées.
- Speaker #2
Bienvenue, vous écoutez Safe Spaces, le podcast qui ouvre le dialogue sur le trauma et la santé mentale dans le milieu du yoga. Dans cet épisode, j'échange avec Prosper Matussière. Il est ancien gymnaste et entraîneur de niveau national. Aujourd'hui coach sportif et professeur de yoga. Passionné par le mouvement et la mécanique du corps humain, il partage son enseignement dans les studios parisiens, mais pas que. C'est aussi un professeur engagé et dévoué à une cause qui lui est chère. Prosper représente l'association Prison Yoga Project en France et chaque semaine, il se rend à la maison d'arrêt de Nanterre pour y donner des cours de yoga aux détenus. La mission du projet va à l'encontre de tous les préjugés pour proposer aux personnes incarcérées le yoga comme un outil d'aide à leur réinsertion future, grâce à un travail sur l'estime de soi et le lien social. Son témoignage m'a énormément touchée. À travers ses mots, on ressent la passion qu'il anime, l'envie d'aider par le biais du yoga, et aussi la grande difficulté de ce qu'implique d'enseigner à des publics dits « sensibles » en milieu fermé. Son projet, pour moi, s'inscrit aussi dans quelque chose de plus grand, qui est d'abord de se dire que c'est un travail de la vie, se questionner sur l'origine de la violence et de la criminalité, et sur l'influence majeure que les traumatismes liés aux disparités socio-économiques, raciales et culturelles peuvent avoir sur le comportement criminel. Ensuite, il expose les bénéfices d'une justice restauratrice dans le processus de réinsertion, en opposition à un système punitif et déshumanisant. L'emprisonnement augmente les traumatismes, et donc les risques de récidive, et constitue même un facteur d'aggravation de la délinquance. Cet épisode, il a pour but de donner un exemple concret de ce qu'est le yoga sensible au traumatisme, comment il est enseigné à un public vulnérable, et quels en sont les bienfaits sur les individus concernés, et comment aussi, potentiellement, une pratique inclusive du yoga peut servir une communauté au sens plus large. Je vous laisse maintenant plonger dans notre conversation, mais avant j'aimerais ajouter que depuis l'enregistrement de cet épisode en janvier, le gouvernement a annoncé l'arrêt des activités en prison, dont le yoga, niant leur rôle essentiel dans la réinsertion et la réduction de la récidive. Rappelons que le droit à la réinsertion constitue l'un des objectifs principaux de la pénologie en France. Bonne écoute.
- Speaker #1
Salut Prosper.
- Speaker #0
Hello.
- Speaker #1
Comment ça va ?
- Speaker #0
Ça va et toi ?
- Speaker #1
Ça va très bien. Je te remercie d'avoir accepté mon invitation. C'est la première fois que je te rencontre, mais j'ai beaucoup entendu parler de toi. Déjà parce que tu es un professeur de yoga et un coach respecté sur Paris. Mais j'ai surtout entendu parler de toi pour ton engagement pour un projet associatif qui s'appelle Prison Yoga Project. Moi, je suivais leur travail depuis un moment et quand on m'a dit que tu faisais ça à Paris, j'ai vraiment eu envie de sauter sur l'occasion pour t'inviter dans mon podcast et échanger pour en savoir plus sur ce que tu fais pour eux.
- Speaker #0
Oui, il y a tellement de choses à dire là-dessus que c'est déjà super sympa parce que ça va mettre en lumière un peu tout ça. Et ouais, c'est un projet, on pourrait appeler ça un projet de cœur. C'est une dimension surhumaine, pratiquement, en fait. Et c'est vraiment, moi, j'encourage tout le monde à aller faire ça. Surtout qu'on est très loin des clichés qu'on peut imaginer, finalement.
- Speaker #1
Ouais, parce que c'est pas forcément une population, enfin, un type de personnes qu'on va voir comme des gens vulnérables. Et du coup, on peut se poser la question de pourquoi, dans ce podcast, on en parle. Mais en fait, les personnes incarcérées, c'est souvent des personnes qui sont sujettes à des traumatismes. avant leur incarcération, pendant et après quand elles sortent. Donc moi, j'ai vraiment envie de savoir un petit peu ce que tu fais via le projet. Tu peux nous parler un petit peu du programme et du coup, juste en quelques mots, c'est la mission du programme ?
- Speaker #0
Déjà, nous, on est la petite sœur de la maison mère qui est aux États-Unis, qui est créée par James Fox et ça fait aujourd'hui, je pense, bientôt 25 ans qu'il existe. Et lui est principalement à Saint-Quentin et il fait aussi beaucoup. de couloirs de la mort ou de gens à faire pète. Et la mission, en fait, elle est finalement simple mais difficile. Elle est de soigner les traumas à travers le yoga et surtout, je pense, redonner de l'estime. Redonner un amour personnel à ces gens-là et une relation avec leur corps de plus en plus propre, si on peut dire. Parce que comme tu l'as dit, c'est des gens avec énormément de trauma. Et du coup, il y a beaucoup de dissociations, il y a beaucoup de fausses images de qui ils sont finalement. Et c'est quand même des images très négatives qu'ils ont d'eux-mêmes. Donc nous, on essaye de ramener un peu de bonheur dans tout ça à travers le yoga.
- Speaker #1
Ok. Toi, qu'est-ce qui t'a personnellement motivé à travailler avec des personnes incarcérées ? Est-ce qu'il y a eu une rencontre ou un événement qui a fait un peu de déclic chez toi ?
- Speaker #0
Ouais, c'est peut-être le seul truc un peu positif que je garde de l'école. Il y a Madame Ismar, qui était ma professeure de sixième, qui pourtant me détestait. Moi, je suis dyslexique, donc j'avais beaucoup de mal à écrire, beaucoup de mal à lire. Donc même en sixième, finalement, je ne faisais même pas ces cours de français. J'étais envoyé au CDI pour apprendre à lire et à écrire. Et je la détestais, je pense que c'était réciproque, mais le jour où elle a dit qu'elle enseignait le yoga en prison, il y a eu un respect énorme pour cette personne et en fait je trouvais son engagement très fort. Et ça c'est un peu resté dans ma tête. Et après c'est aussi un peu un hasard, quand j'ai fait ma formation, en fait le fondateur James Fox était un invité et j'ai beaucoup aimé son approche du yoga, qui était finalement très simple. Il n'y a pas de spiritualité parce qu'on n'amène pas ça en milieu fermé. Donc, c'était vraiment du mouvement, mais réfléchi, simple, net et précis. Et on est quand même à Los Angeles pour 200 heures. Et le mec dit, j'ai une formation à Lyon dans deux mois. Et je me dis que c'est quand même un hasard assez fou que le mec soit aux États-Unis, américain, mais qu'il fasse une formation en France. Donc, je me suis inscrit à la formation. Et c'est comme ça que j'ai débarqué dans le milieu carcéral.
- Speaker #1
OK. Et du coup, pendant cette formation, tu apprends... À enseigner le yoga, enfin pas à enseigner le yoga puisque tu étais déjà professeur.
- Speaker #0
Oui, mais si, tu apprends à enseigner le yoga en milieu fermé, qui n'est vraiment pas le même yoga. Déjà pour soigner les traumas, c'est assez spécifique. On va se servir beaucoup du nerf vague, on va vous coller dans le sympathique, parasympathique. Donc il y a beaucoup de mouvements, puis après il y a beaucoup de lenteur, beaucoup d'introspection, etc. Donc c'est vraiment pas le même yoga. Quand j'ai fait la formation, j'étais là un peu, ça va, ils abusent. Il y a énormément de postures que tu ne peux pas faire. le langage, l'adaptation de la salle, énormément de choses, parce qu'un trauma peut revenir en un claquement de doigts. Donc il faut faire très attention finalement aux mots, aux postures. Première posture que je fais dans mon cours, c'est chat, vache, le dos creux. J'ai deux mecs qui se lèvent et qui me disent « tu crois que je suis une salope, moi ? » et qui veulent sortir du cours, parce que position inconfortable. Chez les femmes, on parle... pas, on n'aime pas la posture de l'enfant parce qu'il y a des enfants à l'extérieur. On ne fait pas le happy baby parce qu'il y a beaucoup de violences sexuelles, donc c'est des positions qui ne sont pas forcément agréables. Donc il y a énormément de choses à revoir et à revisiter. Tout est adapté en fait. Et effectivement quand j'ai fait la formation, j'étais là, non mais ça va, on va s'en sortir. Et en fait, je pense 80% de ce qui est dit dans la formation, je l'ai rencontré sur le terrain finalement. Donc, c'est vraiment un autre style de yoga.
- Speaker #1
Du coup, ça se passe comment quand tu arrives dans la prison et tu organises un cours de yoga ? Est-ce qu'en amont, tu es accompagné par des travailleurs sociaux ou des personnes au sein de la prison qui te mettent un petit peu en condition ?
- Speaker #0
Non, après, moi, ce que j'ai fait comme choix, c'est que je... Et ça qui est un peu compliqué, c'est que je suis Prison Yoga Project France. Je fais partie de l'association en tant que membre fondateur. Mais pour pouvoir rentrer en détention, c'est assez compliqué. Je suis passé via une association qui s'appelle Wake Up Café, qui est une association d'utilité publique pour la réinsertion. Et du coup, j'ai entre guillemets les portes ouvertes des prisons de l'Île-de-France. Et c'était beaucoup plus simple. Donc le premier cours, oui, je suis accompagné par eux, mais on va dire que c'est moi qui leur ai proposé de créer un programme de yoga. Donc je suis accompagné le premier cours. parce qu'il faut aussi présenter l'association, qu'est-ce qu'on y fait, etc. Mais après, non, je suis seul. Après, je suis avec tout le collectif français et américain même de Prison Yoga Project, où il y a des zooms, où on a un groupe où on peut échanger, on peut poser des questions. Mais finalement, on reste quand même assez seul.
- Speaker #1
J'aimerais bien savoir vraiment le détail de comment se passe ton cours. Mais avant qu'on rentre dans ça, en fait, vous, votre mission, c'est aussi un peu de... d'amener plus de ce type de programme au sein du système pénitentiaire, parce que c'est pas, surtout en France, c'est pas quelque chose qui existe depuis longtemps.
- Speaker #0
Non, alors après on a aussi, à force de faire un peu des recherches, on a réalisé qu'il y avait quand même pas mal de pionniers, si on peut dire là-dedans. Il y a des gens qui le font quand même depuis pas mal de temps. Certains ça fait 8 ans, certains ça fait 10 ans. Mais là, notre objectif en fait c'est de devenir une référence nationale et qu'en fait toute personne qui veut faire du yoga en prison passe par notre association. Parce que ce qu'on fait est validé par 25 ans de terrain aux Etats-Unis. Et ça fonctionne. Donc c'est vraiment ce truc-là. Et encore une fois, c'est parce que c'est une population particulière. Et si on se retrouve à faire un peu du yoga classique dans un milieu fermé, ça peut ne pas fonctionner.
- Speaker #1
J'imagine. Du coup, comment ça se passe avec les... À qui tu enseignes déjà ? C'est qui les personnes ? Les hommes ?
- Speaker #0
Oui, c'est des hommes parce que les hommes... Enfin, du moins dans notre association, les hommes ne sont pas autorisés à aller enseigner chez les femmes. OK. C'est que l'univers carcéral féminin est beaucoup plus violent que l'univers carcéral masculin. C'est beaucoup de femmes qui sont là aussi pour des crimes passionnels. Donc il y a une relation à l'homme qui peut être un peu particulière. Donc on évite que les hommes viennent, et je crois, alors à vérifier, mais je crois que les hommes surveillants aussi n'ont pas forcément le droit d'être chez les femmes, je crois. Après, les femmes peuvent être chez les hommes. Mais non, donc moi, j'enseigne qu'à des hommes. C'est sous système de volontariat. Donc déjà, personne n'est forcé à venir. J'ai deux cours. J'ai un cours où c'est ouvert à 18 détenus. Et j'ai un cours où c'est ouvert à 6 détenus. Mais tout homme, tout âge. Après, moi, je suis en maison d'arrêt. Donc il y a déjà trois types. Il y a les maisons d'arrêt, il y a les CD, c'est les centres de détention. Et après, on a les... les maisons centrales et en fonction de là où tu es, soit tu as fait des délits, soit tu as fait des crimes. Donc déjà, ta peine de prison n'est pas la même. Moi, à Nanterre, je suis en maison d'arrêt, donc j'ai principalement des délits. Donc ça reste quand même des courtes peines et ça reste vraiment monsieur et madame tout le monde.
- Speaker #1
Et des gens qui vont sortir aussi au bout d'un moment.
- Speaker #0
Des gens qui vont sortir au bout d'un moment. Après, il faut savoir qu'aujourd'hui, tu peux aussi aller en prison pour plein de choses. des contraventions pas payées, plein de choses. Ce n'est pas forcément ce qu'on s'imagine tout de suite, et c'est de la délinquance et c'est du crime. Tu peux te retrouver en détention pour pas grand-chose, entre guillemets. Donc là, c'est une population assez jeune à Nanterre, mais ça reste des hommes, principalement, le plus jeune, c'était Zidane, qui avait 18 ans, et je pense que le... plus vieux que j'ai dû avoir, on les appelle les anciens, il devait avoir je pense 60 ans, donc c'est vraiment très large finalement.
- Speaker #1
Et eux, quand on leur a dit tu vas faire du yoga, c'était quoi la réaction ?
- Speaker #0
Alors j'ai eu vraiment pas mal de choses, après aujourd'hui c'est ma cinquième année, donc ça a commencé à être vraiment installé. Aujourd'hui j'ai deux heures, mais ça m'est arrivé d'avoir six heures semaine, huit heures semaine, donc il y a vraiment eu plusieurs phases. Mais les premières réactions au début, c'était chaud. C'était chaud parce que c'est vraiment très éloigné de ce qu'ils peuvent imaginer. Moi déjà en tant que garçon, quand tu me parlais du yoga il y a quelques années, j'étais là « ah ah ah » . Eux, c'est des clichés encore plus décuplés. On est très loin du masculin alpha fort. Donc au début, ce n'était pas évident. Franchement, ce n'était pas facile. Et après, j'ai eu des super ambassadeurs, si on peut dire. J'étais le mec qui passait le mot en disant « Faites du yoga, c'est génial, c'est génial, c'est génial. » Et après le vrai coup d'accélération, j'ai eu un interview pour BFM TV. Et en fait, j'ai demandé aux gars de Nanterre si je pouvais parler d'eux et leur faire une dédicace. Et ils m'ont dit « Bien sûr. » Et donc, je l'ai fait. L'émission est passée samedi. Lundi, je suis retourné à Nanterre. Et là, c'était…
- Speaker #1
Tu as les 50 personnes dans le cours.
- Speaker #0
C'était insoli. Tout le monde voulait y aller. Tout le monde était là « Ouais, ouais, ouais. » Donc, c'était très drôle. Et en fait, depuis ça, ça tourne tout seul. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on arrive à un point où je me fais embrouiller parce qu'il y a un mec qui n'est toujours pas sur 10. Ça fait six mois, un an qu'il attend et qu'il est là à me dire « Vas-y, moi, je veux faire du yoga, je veux faire du yoga, je veux faire du yoga. » Donc aujourd'hui, je pense qu'on est arrivé à quelque chose auquel personne ne s'attendait, c'est que c'est l'activité un peu phare, finalement.
- Speaker #1
Et tu l'amènes comme du yoga ou tu le présentes comme quelque chose de plus accessible ? Peut-être si c'est vraiment connoté ?
- Speaker #0
Non, yoga. Vraiment, je leur dis on fait du yoga. Alors aujourd'hui, maintenant, je suis très à l'aise, etc. Je leur dis qu'on va éveiller leur conscience et ouvrir leur esprit. Avec un grand sourire, bien sûr. Au début, je n'étais pas du tout dans ça. Au début, je le mets toujours, mais des parties un petit peu fitness, entre guillemets, si on peut dire. On fait un chaturanga sur 10 secondes, on tient la fin du chaturanga 5 secondes pour qu'ils comprennent aussi que ça peut être quand même assez fort. Au début, je devais faire aussi un peu le show. Donc des handstands, des trucs, des machins. C'était incroyable, c'est ça le yoga, etc. Donc c'est des gens qui sont quand même aussi vachement curieux. Et après, le simple fait qu'ils réalisent que ça leur fait du bien, la promo est faite d'elle-même, on va dire. Mais au début, ce n'était pas si facile. Mon premier cours, vraiment, c'était pas évident. J'avais pas de montre. Moi, j'étais persuadé que j'aurais pu avoir mon téléphone ou qu'il y aurait l'heure dans la prison quelque part. Et j'ai donc deux gars qui sont levés quand on a fait un petit dos creux, dos rond. Mais sinon, aujourd'hui, ça se passe vraiment bien. J'ai 4-5 souvenirs un petit peu où c'est tendu. Mais ça s'est toujours bien passé, en vrai.
- Speaker #1
Et comment tu disais que tu dois aménager un petit peu l'espace ? Vous faites du yoga comment ? Avec des tapis ?
- Speaker #0
Oui, on fait des tapis en tenue, en chaussettes. C'est assez difficile de les mettre pieds nus. Certains le font d'eux-mêmes. Alors moi, le premier, je suis en chaussettes. Après, il y a aussi le problème du froid. Il fait extrêmement froid. Donc, il est difficile quand même d'être pieds nus. C'est-à-dire que ton tapis, il est quand même gelé. Et après, idéalement, tu arrondis ta salle pour qu'en fait on puisse tous se voir. Et je suis celui qui est devant la porte. Personne d'autre que moi, entre guillemets, est devant la porte. Parce que si ça s'ouvre, c'est moi le premier qui voit ce qui se passe ou qui se fait devant la porte. Parce que pareil, on peut avoir ces histoires de trauma, etc. Après, parfois la pratique est différente de la théorie. Tu n'as pas la place pour être en rond. tu te débrouilles un petit peu comme tu peux, mais idéalement, c'est qu'on sait d'être en rond. Et après, moi, je fais toute la séance. C'est vraiment le seul cours de yoga où je pratique de A à Z.
- Speaker #1
Et tu es dans le rond, non ?
- Speaker #0
Je suis dans le rond, oui. Je suis dans la ronde.
- Speaker #1
Tu sais d'être en rond, c'est pour enlever cette hiérarchie. Oui,
- Speaker #0
c'est pour enlever cette hiérarchie. Et puis, c'est aussi pour qu'en fait, on se voit un peu tous les uns les autres et qu'effectivement, il n'y ait pas quelqu'un... Dans ton dos. Oui, dans ton dos et qu'il n'y ait pas non plus... En fait, si je me retrouve au milieu, je deviens « surveillant » , chargé de l'autorité. Et moi, ce n'est vraiment pas ce que je veux amener. Donc non, je suis dans le cercle avec eux. On pratique ensemble. Il est très, très rare que je sorte de mon tapis, voire pratiquement jamais. Ou alors, si je le sors, je dis « les gars, là, je vais sortir du tapis, je m'avance vers toi, est-ce que c'est OK ? » « OK, est-ce que je peux juste… » Enfin, tout est verbalisé. Et après, le cours de yoga en soi… est beaucoup plus lent que le yoga, enfin on ne fait pas du vinyasa, on est beaucoup plus proche du hatha, et on est dans quelque chose quand même de très lent, de très long, et après il y a beaucoup de renforcement musculaire du dos, et après le côté qui kiffe c'est les twists. Les twists, ils sont fanatiques des twists.
- Speaker #1
Pourquoi ?
- Speaker #0
Ça les détend ? Parce que c'est celui qui fait le plus de bien. Si on théorise très rapidement, tu as ta colonne vertébrale, tu as un puits dans lequel coule le liquide synovial qui est l'huile qui va huiler toutes nos articulations. Et le fait de faire des twists, ça essore ce truc, donc ça coule en masse. Et donc les gars adorent. Et puis après, c'est qu'aussi, on cible le dos, beaucoup le bas du dos. Et c'est quand même la douleur numéro une qu'ils ont tous. Ils ont un sommier qui est... qui est tout sauf confortable. Donc les twists, ils sont passionnés par les twists. C'est assez drôle.
- Speaker #1
Un sommier qui n'est pas confortable, mais aussi j'imagine qu'en termes de mouvement, ce qu'il leur est donné chaque jour, ce n'est pas grand-chose. Ils ne doivent certainement pas sortir beaucoup.
- Speaker #0
Un régime de détention classique, c'est-à-dire que tu n'as pas d'activité, tu n'es pas en formation, tu n'es pas au scolaire, c'est 22 heures dans ta cellule et c'est deux heures de promenade. Aujourd'hui les cellules sont surpeuplées donc en plus t'es 3 voire 4 par cellule qui normalement sont des cellules individuelles. Ta capacité à te mouvoir elle est très faible finalement. En plus si t'es 4, bah 4 ça veut dire 2 matelas au sol quand même, dans 9 mètres carrés, donc ça veut dire que t'as plus de place en fait. Donc tu restes sur ton lit, tu restes assis, tu fais rien, bah c'est practice or lose it quoi en fait. Donc tout ton corps d'une certaine façon dépérée. C'est pour ça aussi qu'on ne peut pas faire un yoga trop dynamique, parce que sinon, tu peux faire plus de mal que de bien, finalement.
- Speaker #1
Du coup, la pratique est, j'imagine, assez simple ?
- Speaker #0
Très simple. C'est-à-dire que la seule folie, et c'est encore, quand je sens qu'ils commencent à comprendre, à connaître, déjà, c'est tout le temps le même cours, pratiquement. Parce qu'après, j'ai... Alors, ça dépend, mais la théorie voudrait que j'ai les gars trois mois. La pratique fait que je ne les ai pas trois mois. Certains, je les ai quatre séances. et certains je les ai 8 séances à raison d'une séance par semaine mais la folie qu'on peut faire à un moment c'est guerrier 3 et demi c'est les seuls trucs fous qu'on fait sinon c'est du guerrier 1 c'est du guerrier 2 c'est du renverser c'est du triangle c'est un petit peu de skandasana et encore mais ça reste vraiment simple simple simple parce que après tu vas proposer quelque chose et puis bah non je peux pas qu'est ce que tu as à coup Toute au, je me suis blessé en moto, j'ai pas fait ma rééducation, je me suis fait tirer dessus, j'ai ci, j'ai ça, j'ai des trucs. Donc en fait, c'est pas évident de commencer à balancer des trucs qu'on pourrait dire « intenses » et en fait, pour moi, ça n'a pas de raison d'être là-bas. Une posture finalement qui peut être un peu intense va presque remettre du stress. Donc c'est pour ça que ça reste simple, c'est toute une valorisation. Il faut aussi leur redonner le sentiment de réussite. Et tu le vois quand tu leur dis « c'était bien » , c'est des étoiles dans leurs yeux. Parce que c'est quand même des gens qui ont plus l'habitude qu'on leur dise « non, c'est nul, c'est pas bien, c'est mauvais, tu n'y arrives pas, etc. » Moi, je suis tout le temps là « waouh, waouh, waouh, exceptionnel, génial ! » Des fois, je leur demande si je peux m'arrêter et juste les regarder parce que des fois, c'est trop fou de les voir bouger. Ils m'ont sorti tous les noms, c'est-à-dire que le guerrier 2, c'est Bruce Lee, le guerrier renversé, c'est le disco boy, l'homme volant. Enfin, ils ont... celui qu'ils aiment bien, c'est le guerrier humble, parce que ça leur appelle les monotes. Donc en plus, ils sont très drôles. Moi, je me sers du yoga pour leur faire passer un bon moment, en gardant les principes, les préceptes qui m'ont été enseignés. Mais l'idée, c'est surtout qu'on passe un bon moment.
- Speaker #1
Et tu sens du coup, si tu les suis pendant trois mois par exemple, qu'il y a une amélioration de leur santé mentale ? Tu arrives un peu à...
- Speaker #0
C'est eux qui me l'ont dit.
- Speaker #1
Vous avez changé sur ça, comment ça se passe ?
- Speaker #0
J'ai eu un groupe pendant 4 mois, et les témoignages que j'en avais eus étaient assez forts et fous. Pour tous, c'est moins de stress, moins de douleur, des meilleures nuits. J'ai même eu un mec qui m'avait dit, on a commencé à apprendre à respirer par le ventre, parce que finalement, ils sont dans une respiration qui est très thoracique, qui est un peu la respiration du stress. Et je me souviens d'un mec qui me dit « ouais, je voulais me battre » et puis je me suis dit « attends, vas-y, ferme les yeux, respire par le ventre, ok, ouais, et puis ça allait mieux, je ne me suis pas battu, je vous la fais très courte, mais voilà, ça, moi, quand on me sort ça, ça justifie ma venue en détention. »
- Speaker #1
Oui, parce que l'idée, en fait, le but de tout ça, c'est quand même de leur redonner un petit peu cette compréhension de leurs émotions. J'imagine qu'ils sont très sujets à... l'impulsivité, l'agressivité et ce genre d'émotions-là. Est-ce que du coup, le yoga, ça leur permet d'avoir un peu ce recul et de se dire, OK...
- Speaker #0
Pour ceux pour qui ça fonctionne et ceux, on va dire, qui font le travail, entre guillemets, parce qu'après, il y a le nombre de séances que j'ai, tu ne peux pas tous y accéder, il suffit que tu aies un parloir, tu es malade, bref, la théorie, la pratique est toujours différente. Mais si vraiment, on prend un groupe qui fait 12 séances, ma main a coupé que tous les participants ont... ont leur vie en détention totalement changée, parce que ça t'amène plus de lenteur, ça t'amène le fait de savoir respirer, de ne plus être dans la poitrine, de comprendre que ce qui est lent, c'est cool. Donc non, ça impacte complètement la vie en détention, et nous, c'est aussi notre grande mission, entre guillemets, c'est ça, c'est de faire comprendre à l'administration pénitentiaire que de faire du yoga, c'est un cercle vertueux pour tout le monde. pour les détenus, pour les surveillants, pour l'administration pénitentiaire, parce que tu te sens mieux, du coup, tu es moins colérique, et du coup, voilà, le cercle vertueux est en place.
- Speaker #1
Tout ce que tu dis, finalement, la mission du programme, ça s'instaure un peu dans ce qu'on appelle la justice restaurative.
- Speaker #0
Oui, totalement.
- Speaker #1
Et ça, pour les personnes qui ne te connaissent pas, c'est quelque chose qui est proposé aux victimes, mais aussi aux auteurs, et qui permet en fait de... ramener une sorte de médiation entre les deux via le dialogue via la libération de la parole je sais pas si les personnes avec qui je travaille elles font ça nécessairement mais je trouve que ça 5 ça s'intègre un petit peu dans ce ça s'intègre totalement dedans ça s'intègre totalement dedans alors après
- Speaker #0
On n'est pas au point de réussir à échanger avec des personnes qui ont pu subir des délits que certains ont commis. Mais nous, notre approche, elle est quand même totalement restaurative. Elle est donc au contraire de la justice punitive. Moi, je n'appelle pas par les numéros des crews. Je ne sais pas pourquoi ils sont là. Moi, je suis que dans le positif, à essayer de leur redonner plus, on va dire, de l'envie, de l'espoir. plutôt que de « non, t'es là parce que t'es condamné, parce que t'as fait de la merde » . Et surtout qu'eux, on est pleinement conscients de leurs erreurs. Donc l'idée, oui, c'est plus d'amener quelque chose de restauratif. Et encore une fois, c'est pour l'image personnelle qu'ils ont d'eux-mêmes, une image négative de soi-même. Tu ne peux pas faire des choses positives. C'est QFD, quoi.
- Speaker #1
Et le fait d'être dans ce système punitif plutôt que préventif, en fait… C'est limite, tu mets les gens finalement pour les punir dans un environnement qui va encore plus les traumatiser, les exclure, les déshumaniser exactement. Et dans un contexte où les gens sont potentiellement déjà traumatisés, sujets à des troubles de la santé mentale, du comportement, quand ils ressortent, en fait, ils ont encore plus de colère en eux et encore plus de chances de réciver.
- Speaker #0
Et puis surtout, la fin de ta peine, finalement, elle n'existe pas en fait. Pour eux, ils ont l'impression qu'il y a écrit prisonnier sur leur tête. Et finalement, ils sont punis toute leur vie. Comment aller expliquer après dans un entretien que tu n'étais pas là pendant deux ans, trois ans, quatre ans ? C'est très compliqué pour eux. Donc en fait, leur peine ne s'arrête même pas à la sortie. Donc c'est là où ça devient très intéressant d'être plutôt dans quelque chose de positif, donc de restauratif, pour vraiment essayer de leur redonner des clés pour qu'en fait, bah, là... la vie puisse continuer une fois la peine finie.
- Speaker #1
C'est surtout qu'en mettant en place des systèmes comme ça, déjà tu fais gagner de l'argent aux contribuables parce qu'une personne qui ne va pas retourner en prison, finalement, c'est de l'argent économisé.
- Speaker #0
Exactement.
- Speaker #1
Mais je trouve que cette empathie qui se crée, elle se crée des deux côtés. Donc tu as le fait que la personne qui a commis des délits, des crimes, elle va peut-être prendre conscience de la conséquence de ses actes. et se responsabiliser, mais de l'autre côté, entendre les deux points de vue, ça permet aussi à la société et aux communautés, aux victimes, de comprendre les causes de la criminalité, au moins prendre conscience collectivement qu'il y a certains problèmes structurels qui vont faire que la criminalité est toujours nourrie par le trauma que la société crée.
- Speaker #0
Ça fait, t'as une... It's not a shame, c'est une Américaine qui fait ça, et c'est step into the circle. Et en fait, c'est en rapport avec les expériences traumatisantes de l'enfance. Et en fonction de... Il y a une dizaine de questions, je crois. Et en fonction des réponses que tu donnes, ton potentiel d'aller en prison, ton potentiel de faire des délits, ton potentiel d'être alcoolique, d'être toxicomane, évolue énormément. Et cette vidéo, la fille est à 50 ans. Et en fait, donc, elles demandent, voilà, si jamais dans votre famille, il manquait quelqu'un, faites un pas. Si jamais vous avez subi des violences physiques, verbales, faites un pas. Et en fait, tout le monde ne fait que des pas. Et en fait, ils sont responsables, mais pas forcément coupables. Parce qu'en fait, de par l'environnement dans lequel ils ont été, la logique voudrait presque que ça se finisse comme ça. Alors, ça n'excuse pas tout et il y a des exceptions, etc. Mais... La détention, c'est un truc beaucoup plus grand que la prison. En fait, il faut vraiment dézoomer sur ça et regarder les racines de ça. Et en fait, il faut regarder les expériences traumatisantes de l'enfance. Et tout s'explique. Et moi, j'ai les mêmes publics. C'est les mêmes histoires, c'est les mêmes vécus, c'est les mêmes trucs. Et ils répondent tous à ces questions-là, en fait. Donc, c'est presque un travail en amont qu'il faudrait faire.
- Speaker #1
Bien sûr. Enfin,
- Speaker #0
c'est même pas presque, c'est sûr. Mais du coup c'est compliqué et c'est là aussi c'est pas frustrant mais c'est dur de travailler dans des milieux comme ça. Parce que tu veux en faire plus mais c'est pas facile, puis quelle est ta place, où est-ce que tu te situes, est-ce que c'est tes potes, est-ce que c'est pas tes potes, non c'est pas tes potes, donc faut faire gaffe, donc c'est très déstabilisant. Moi j'aime l'univers de la rue, je m'y sens bien. Donc je me sens très bien avec eux. Et finalement, c'est là où c'est très difficile. Tu viens, le mec, il est au cours de yoga, il est en jean parce qu'il dit qu'il n'a pas de jogging. Je n'ai je ne sais combien de jogging chez moi. C'est là où ça devient très tricky à un moment que tout ne devienne pas personnel. Et c'est ça aussi qui n'est pas évident dans le travail en milieu fermé ou dans le travail avec des personnes traumatisées. D'ailleurs, je ne sais plus le nom de ce trauma, mais tu peux être traumatisé de travailler avec des personnes traumatisées.
- Speaker #1
C'est le trauma vicarien, ça.
- Speaker #0
Exactement, voilà. Donc, c'est humainement merveilleux. Franchement, moi, c'est mes cours de yoga préférés. C'est l'un des trucs où finalement, je suis vraiment le plus… Si tu me dis que tu es fier de quoi, c'est de donner ces cours-là. Mais c'est dur. C'est dur parce que tu as une charge mentale et émotionnelle qui peut quand même être assez forte. Parce que tu te lies finalement d'amitié avec certains et tu apprends des histoires et franchement, ce n'est pas facile. Tu vois des trucs complètement fous, mais on n'en parle pas du tout. Donc c'est un lieu très particulier, très fermé. Moi, je suis au courant de tout par les détenus, finalement. Moi, je suis la salle de... On balance tout, tu vois. On vit tout ce qu'on a sur le cœur, on balance tout, que j'ai envie d'entendre ou pas. Mais je suis au courant de toutes les histoires. Il y a un côté, voilà, c'est prenant, mais c'est aussi drainant, finalement. Parce que t'es humain, ils sont humains, c'est pas évident, leurs histoires, quoi.
- Speaker #1
Et toi, tu fais comment, du coup, pour prendre soin de toi ? Parce que c'est vrai que c'est hyper lourd, tu absorbes les situations super... Ouais. violente et lourde dans laquelle les élèves sont ?
- Speaker #0
Ouais, ouais, ouais. Alors déjà, la petite chance que j'ai, c'est que c'est à Nanterre. Donc je traverse la fac de Nanterre pour me rendre à la maison d'arrêt de Nanterre. Et il y a un petit parc dans la fac de Nanterre. Donc déjà, je prends 30 minutes après chaque cours et je me pose juste sur un banc et je profite un peu de l'air extérieur. Après, je suis en thérapie depuis deux ans. Pas forcément lié à ça. Mais en tout cas, c'est un sujet sur lequel tu en parles. Et après, c'est réussir à faire un peu la part des choses. Et là, entre guillemets, c'est plus simple parce que je n'ai plus que deux heures par semaine. Avant, j'en avais six. Et donc, six, je revoyais beaucoup les mêmes têtes. Et là, c'était plus difficile. Mais il faut juste ce petit moment où je sors, j'ai mes 30 minutes, pas de téléphone, tu es assis sur un banc. Tu fais une mini-médite parce que ce n'est pas évident. Des fois, tu sors de là. T'as appris plein d'histoires et tu as presque envie de dire « J'avoue, il faut tout brûler, c'est de la merde, quel pays de merde ! » Voilà, c'est pour ça qu'avoir cette petite pause, elle est assez importante. Parce que tu peux vite te faire prendre par les émotions toi aussi, finalement.
- Speaker #1
Et il y a des choses, des moments qui t'ont marqué ou des témoignages de tes élèves qui t'ont vraiment touché ?
- Speaker #0
Ouais, quand même beaucoup, tu vois. En fait, déjà, quand tu vois que ça... impacte leur vie de façon positive, qu'ils dorment mieux, qu'ils font... enfin ouais, qu'ils dorment mieux, qu'ils respirent mieux, qu'ils ont moins de douleurs etc. Ça déjà c'est quand même vachement cool. Après les entendre dire namasté pour se dire bonjour les uns les autres, bah c'est quand même vachement drôle maintenant. C'est plus toutes ces petites blagues qui sont assez drôles, tous les noms qu'ils ont pu me trouver pour les postures du yoga sont assez cool. Après dans les trucs moins fun, bah ça peut être ceux que tu vois sortir puis revenir. Ce qui est difficile aujourd'hui, c'est les doubles nationalités. Il y en a beaucoup qui finalement sont expulsés à la sortie de prison. Et pourtant, ils peuvent avoir famille, enfants. Donc ça, c'est pas facile. Moi, mon numéro, en plus, se trouve sur Internet très facilement. Donc j'ai déjà reçu des nouvelles de personnes qui n'étaient plus en France, alors qu'ils sont domiciliés en France. Donc ça, ça peut être un peu difficile. où c'est humainement en fait que c'est difficile.
- Speaker #1
Et s'il y a des choses positives, par exemple, est-ce que tu as des élèves qui en sortant de prison ont continué le yoga avec ou sans toi ou est-ce qu'il y a des projets qui se sont faits ?
- Speaker #0
Il y a mon gars Bakary qui vient souvent à mes cours, qui veut se former au yoga. Génial. Il y a pas Rachid Naya parce que lui c'est vraiment un bel humain. J'ai le droit de ramener des gens de Nanterre à mes cours chez Naya sans qu'ils payent. Donc certains viennent, après ils viennent une ou deux fois, ils ne reviennent pas forcément, mais il y en a pour qui ça a quand même impacté leur vie. Et même si c'est que deux ou trois ou quatre, pour moi c'est déjà vachement merveilleux. Et voir Bakary qui venait au cours de yoga à Bastille, qui est tout sauf son environnement en plus dans lequel il peut traîner, c'est trop drôle. C'est trop drôle parce que je l'ai rencontré dans une prison et là je le vois faire du yoga avec monsieur et madame tout le monde. Et là faire un yoga qui n'est pas celui en plus qu'on a appris entre guillemets. en détention, donc c'est assez drôle. Et Bakary, pour la petite histoire assez marrante aussi, on lui a fourni... Parce qu'à un moment, il est sorti de Nanterre. Il y a aussi ça, beaucoup de transferts. C'est-à-dire qu'il change d'établissement. Il était dans un nouveau établissement et en fait, on lui a envoyé le livre du yoga des bons hommes que j'ai écrit. Donc c'était quand même très drôle que le mec pratiquait avec le livre que j'ai écrit. Et donc c'est... C'est tous ces petits trucs-là qui me donnent aussi l'envie de continuer, de me dire, OK, il y a quand même un truc qui en sort. Et c'est ça qui est vachement cool, c'est d'avoir un impact. Et donc, des bons souvenirs, j'en ai beaucoup.
- Speaker #1
C'est incroyable, le mec qui sort de prison et qui vient faire du yoga avec toi à Bastille et qui veut devenir prof de yoga, en fait, c'est un peu une forme de réinsertion, finalement.
- Speaker #0
Ah ouais, total.
- Speaker #1
Il sera intact dans un groupe qui n'est pas le sien. Il va se former. Peut-être que ça se trouve, il deviendra prof de yoga et il en vivra. C'est quand même génial. Ça donne du sens à tout ce que tu fais.
- Speaker #0
Après, c'est ce que je leur dis. C'est des êtres d'une résilience. Je crois que je ne connais pas plus résilient que ces mecs-là. Ils sont dans des conditions folles, mais ils sont là, debout. Je vais parler pour moi. Je pense que je vais m'effondre en détention. Humainement, ils sont très… très costauds finalement. Donc ils sont presque... Enfin, c'est des yogis en fait. Ils ne sont même pas au courant, mais c'est déjà des yogis les mecs. Ils sont là dans une vie très austère, c'est presque de l'ascétisme. Ils sont dans une grotte de 9 mètres carrés. Donc sans le savoir, en fait, c'est des yogis. Et moi, je suis juste là pour essayer de leur mettre des petites graines.
- Speaker #1
Et tu as d'autres projets ? Du coup, il y a d'autres initiatives que tu voudrais développer via ce programme-là ou autre ?
- Speaker #0
Là, ce qu'on aimerait déjà beaucoup, c'est... Moi, j'aimerais faire venir un photographe. Déjà, pareil, au-delà de pouvoir avoir des images, c'est surtout pour eux. C'est comme faire de la photothérapie, finalement. C'est une belle photo, c'est une autre image de toi, dans une pratique qu'ils n'ont pas forcément l'habitude de faire. Donc ça, j'aimerais beaucoup réussir à faire rentrer un photographe en détention. Et après, les projets, on va dire plus pour l'association. C'est de continuer à grossir et d'un moment vraiment devenir la référence en France, de les faire durer en détention. Ok, il faut passer par Prison Yoga Project France parce qu'ils vont vous donner les bonnes billes et d'essayer d'avoir plus de cours, d'avoir plus d'heures, plus de possibilités. Le mezette des détenus, ce n'est pas forcément quelque chose qui est important pour une administration pénitentiaire. Donc c'est continuer le combat. Et je pense que James en est un très bon exemple. Aujourd'hui, ça fait 24-25 ans qu'il le fait.
- Speaker #1
James,
- Speaker #0
le fondateur aux États-Unis. Et je pense que ce n'était pas tout rose non plus pour lui au début. Donc, il ne faut juste pas lâcher l'affaire. Et j'ai bon espoir qu'à un moment, on sera... on sera référencés, ou du moins qu'on sera en tous les cas assez établis pour qu'on nous sollicite dans divers milieux fermés, si on peut dire.
- Speaker #1
Et pour finir, si tu as un conseil à donner à des personnes, des professeurs qui veulent s'investir dans le yoga solidaire, alors ça peut être en prison, ça peut être ailleurs, mais j'ai bien compris qu'il y a un peu deux facettes de l'expérience, c'est très dur. émotionnellement, il faut se protéger et savoir aussi mettre de la distance avec ce qu'on fait. Et tu as ce côté hyper gratifiant de servir des gens, de les faire aller mieux et de les aider, les accompagner dans leur mieux-être. Tu leur donnerais quoi comme conseil ?
- Speaker #0
Déjà, je leur dirais de lire une lettre de Rachel Naomi Raymond qui s'appelle « Au service de la vie » . Et elle fait la différence entre servir, aider et réparer. Et ça, c'est vachement intéressant. Moi, ça a totalement changé aussi ma vision. Pour résumer, très simple, aider, c'est le travail de l'ego, servir, c'est le travail de l'âme. Et la relation à la personne que tu vas aider, en fait, tu vas l'aider parce qu'elle est en galère. Par contre, si tu le sers, tu sers tout le temps la même chose, en galère ou pas en galère. Aider, ça met tout de suite une différence. Je viens t'aider parce que finalement, je suis plus fort que toi, donc je viens t'aider.
- Speaker #1
Syndrome du sauveur un peu.
- Speaker #0
Syndrome du sauveur, que j'ai très très fort. Donc servir, ce n'est pas la même chose. Donc déjà juste lire cette lettre de Rachel Naomi Raymond, qui est juste incroyable sur la différence entre ça. Après, se former. Se former parce que, en fait c'est très subtil, mais un trauma, ça se réactive à une vitesse grand V. Je ne sais pas, on donne un exemple. tiré par les cheveux quelqu'un qui s'est fait abuser dans un champ de lavande fin de cours de yoga moi j'adore la lavande je vais vous mettre un peu de la rente dans les narines ma paf cette personne là tu réactive un trauma donc finalement c'est se former pour vraiment comprendre l'impact est déjà comprendre ce qu'est un trauma comment ça se vit dans un corps et après basse et idéalement faire la formation de paysannia france mais c'est surtout à se renseigner se renseigner parce que C'est un peu ce qu'on disait au début, c'est qu'être sûr de son intention, si tu enseignes dans ces milieux-là. Être sûr que ce n'est pas un délire de l'ego, mais que justement, c'est un truc où tu vas aller servir les gens. Et pour ça, je pense que se former, se renseigner, lire le livre de Le corps n'oublie rien. Mais après, si l'intention est bonne, y aller, mais y aller avec les bonnes cartes quand même. Parce que même rempli de bonnes intentions, parfois on peut faire des mauvaises choses. Une âme traumatisée, c'est quand même quelque chose de très sensible. Donc faire finalement très attention à la façon dont on y va. Donc je dirais juste aux gens de se former et après de toujours garder en tête qu'on ne fait que suggérer. On n'impose jamais rien. On suggère. Et moi, ça m'arrive dans des cours, au bout de 10 minutes, le mec, il en a marre, il se lève, il se met à la fenêtre. Il n'y a aucun souci. Tu te mets à la fenêtre. Si tu ne les perturbes pas, le cours, franchement, pas de problème. Et c'est ça qui est vachement intéressant dans cette pratique. C'est juste qu'il faut, si on pourrait dire, il faut qu'une fois que le cours commence, comprendre que finalement, c'est toi l'élève et c'est eux les maîtres. Et finalement, en fait, les laisser être et ne pas vouloir imposer ta patte ou ton style ou ton truc parce que... tu serais soi-disant la référence parce que oui, c'est toi le prof de yoga. Mais c'est là où ça serait l'erreur, je pense. C'est que c'est un échange finalement. Donc c'est ce... Je me fais un grand monologue. Se former, s'informer et après y aller finalement.
- Speaker #1
Oui, se former, déconstruire un peu peut-être ce qu'on sait en tant que prof de yoga classique.
- Speaker #0
Exactement. Exactement parce que... Tu as moi l'un des premiers cours, alors pas en détention, mais en milieu semi-ouvert. C'est-à-dire des gens qui sont en réinsertion, soit avec bracelet électronique, soit tu peux sortir et tu rentres dormir le soir. L'une des premières séances que j'ai. Bon allez, on s'assoit tranquille en tailleur, puis fermez les yeux. Et bien, au bout d'un moment, je me dis, attends, je vais peut-être quand même ouvrir les yeux. Il n'y en a pas un qui a les yeux fermés, tout le monde est allongé. Et en fait, si tu penses, je sais tout, je sors d'un 200 heures, c'est bon les gars. Non. Donc c'est vraiment se former et s'informer. Je pense que c'est vraiment le truc le plus important. Mais après, moi j'encourage tout le monde. Franchement, humainement, c'est merveilleux comme expérience. Et puis ça fait du bien à leur âme, ça fait du bien à mon âme, ça fait du bien à tout le monde en fait. On s'auto-soigne les uns les autres finalement.
- Speaker #1
En tout cas, on sent que c'est vraiment un projet qui te tient à cœur, qui te nourrit l'âme. Et merci beaucoup pour tout ce que tu nous as raconté. C'est hyper intéressant.
- Speaker #0
Bah ouais, merci à eux surtout. Moi je finis toujours, merci à vous, à nous, à eux, aux autres. Voilà, c'est un travail global, donc merci à eux finalement, parce que c'est vraiment un échange. Mais ouais, c'est un projet qui, je pourrais t'en parler des heures encore. C'est assez fou de faire ça en fait. Et c'est surtout des gens qu'on a besoin, et nous aussi on en a besoin finalement. En tant que prof, je pense que c'est une très belle leçon de vie. que d'aller dans des milieux comme ceux-là. Tu descends de ton piédestal, tu n'as plus ce rapport prof, prof un peu gourou, qui sait tout. Là, c'est au même niveau que tout le monde. Moi, je trouve ça très cool.
- Speaker #1
Si on veut soutenir ton travail, celui de l'association, on fait comment ?
- Speaker #0
On a le site français, Prison Yoga Project France. Après, on a une possibilité de faire des subventions. Parce qu'après aussi l'un des projets nous c'est de pouvoir imprimer le livre. On a un livre qu'on envoie gratuitement aux détenus qui en font la demande pour qu'ils puissent pratiquer seuls. Mais pour ça il faut de l'argent pour imprimer, expédier, etc. Donc c'est faire des dons à l'association. Finalement c'est l'un des meilleurs moyens de nous aider, d'en parler et d'écouter le podcast. Et changer peut-être aussi l'idée qu'on peut avoir des détenus, qui est aussi, nous, un travail très important de cette association.
- Speaker #1
Trop bien. Merci, Prosper.
- Speaker #0
Merci, Alice. Merci à toi, à moi, à eux, à nous.
- Speaker #2
Merci d'avoir écouté cet épisode. Le plus important pour moi, c'est de sensibiliser et d'aider les personnes qui luttent ou ont lutté avec le stress post-traumatique. Si tu penses à quelqu'un qui a besoin d'écouter ce podcast, n'hésite pas à le partager. Et si tu veux soutenir mon travail, abonne-toi au podcast et n'hésite pas à me laisser un commentaire pour me dire ce que tu en as pensé.