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SOUS-TERRAIN

5# Femmes, Mères, Veuves : Santé mentale et changement climatique

5# Femmes, Mères, Veuves : Santé mentale et changement climatique

28min |04/03/2024
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5# Femmes, Mères, Veuves : Santé mentale et changement climatique

5# Femmes, Mères, Veuves : Santé mentale et changement climatique

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Description

Jean-Marc Goudet est l'invité du cinquième épisode de SOUS-TERRAIN, le podcast qui dévoile les rouages de l'enquête de terrain en sciences sociales.


Depuis des années, les images impressionnantes du Bangladesh où l'on voit des rues inondées par des torrents de boue, des toits arrachés par la violence des rafales de vent et des hommes et des femmes qui se serrent dans des gymnases de fortunes, nous sont de plus en plus familières. Pourtant, aussi marquantes soient-elles, ces images ne représentent que les effets immédiats de ces catastrophes climatiques et tendent à invisibiliser les répercussions de ces drames sur le long terme. On sait déjà, par exemple, que le changement climatique est lié à une augmentation de 7 à 40% des troubles mentaux, allant de l'anxiété au psycho-traumatisme et au suicide, avec des risques élevés d'abus de substances et de troubles du sommeil.

Jean-Marc Goudet est médecin et sociologue, et travaille précisément sur les façon dont le changement climatique affecte la santé mentale, notamment au prisme du genre. 


Un podcast écrit par l'équipe de Noria Research: Camille Abescat, Iris Lambert, Sixtine Deroure, Claire Lefort-Rieu et Cécile Jeanmougin.


Ce podcast est co-produit par Noria Research et le CEPED (Centre Population et Développement - IRD - Université de Paris)


Réalisation sonore: Loom audio   


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Sous-titrage ST'501 Bonjour et bienvenue dans Souterrain, le podcast qui dévoile les rouages de l'enquête de terrain en sciences sociales. Qu'est-ce que cela veut dire, faire du terrain ? Qui le chercheur rencontre-t-il au cours d'une enquête ? Au fond, comment fait-on concrètement pour produire des connaissances en sciences sociales ? Chaque épisode du podcast Souterrain vous propose une immersion sonore dans le quotidien d'un chercheur ou d'une chercheuse pour vous faire découvrir de façon inédite l'artisanat de la recherche.

  • Speaker #1

    Sajid Abaigam et sa famille n'ont pas réussi à s'en sortir quand la flotte de sang a touché leur maison. Comme beaucoup d'autres, elle et son mari essayent maintenant de reconstruire leur maison.

  • Speaker #0

    Le vent était presque à la hauteur. Nous n'avons pas eu le temps de salvager la plupart des objets. Quels que soient les objets, ils ont été dégagés.

  • Speaker #1

    Ces voix,

  • Speaker #0

    tirées d'un reportage de Tanvir Chaudhuri pour Al Jazeera, sont celles de deux femmes rescapées des inondations monstres qui ont frappé le sud-est du Bangladesh au mois d'août 2023. Au total, les pluies diluviennes ont entraîné la mort de 55 personnes et fait plus d'un million de sinistrés. Le Bangladesh accueille le plus grand delta du monde où vivent un peu plus de 173 millions d'habitants et d'habitantes. Prise en étau entre la fonte des neiges dans l'Himalaya, au nord du pays, et la montée des eaux de l'océan Indien, au sud, La population du Bangladesh se retrouve en première ligne des conséquences dramatiques du changement climatique. Depuis des années, les images impressionnantes de rues inondées par des torrents de boue, de toits arrachés par la violence des rafales de vent, et d'hommes et de femmes qui se serrent dans des gymnases de fortune encombrés des quelques biens qu'ils auront réussi à sauver, nous sont de plus en plus familières. Pourtant, aussi marquantes soient-elles, ces images ne représentent que les effets immédiats de ces catastrophes climatiques, et tendent à invisibiliser les répercussions de ces drames sur le long terme. Pourtant, on sait déjà par exemple que le changement climatique est lié à une augmentation de 7 à 40% des troubles mentaux, allant de l'anxiété au psychotraumatisme et au suicide, avec des risques élevés d'abus de substances et de troubles du sommeil. Notre invité d'aujourd'hui, Jean-Marc Goudet, est médecin et sociologue, actuellement post-doctorant au Centre Population et Développement de l'Université Paris-Cité. Il travaille précisément sur les façons dont le changement climatique affecte la santé mentale, notamment au prisme du genre. Jean-Marc, bonjour.

  • Speaker #2

    Bonjour Iris.

  • Speaker #0

    Et merci d'être avec nous pour ce nouvel épisode de Souterrain. Il existe une petite particularité dans ton parcours, je l'ai brièvement mentionné, c'est qu'avant d'être sociologue, tu es médecin. Compte tenu du regrettable manque de ponts qui existent actuellement entre sciences dites... Dure et sciences sociales, comment est-ce que tu as, toi, effectué cette transition ? Et puis, comment est-ce que ces deux casquettes se complètent, voire se répondent ?

  • Speaker #2

    Oui, merci pour cette question. En fait, l'histoire est ancienne. Les liens entre anthropologie et médecine, dès le XIXe, pas pour les plus belles pages de l'histoire d'ailleurs, toutes les questions d'eugénisme, il y avait déjà beaucoup de médecins. Donc, la question de l'humain, la façon dont on l'appréhende par les sciences médicales ou par les sciences sociales, C'est une question ancienne. Et personnellement, moi j'ai souhaité me lancer dans des études médicales de manière assez classique. J'ai été déçu assez rapidement. J'ai été déçu, je pense, justement pour ce rapport aux patients, en tout cas dans notre formation dans les années 2000. J'étais assez déçu aussi du pouvoir médical, de tout ce qui recouvrait, de l'interaction, des rapports de force entre médecins et patients. Évidemment qu'on peut faire une bonne médecine en tenant compte de tout ça, mais... La solution que moi j'avais trouvée, c'était de voir du côté des sciences sociales, comment on pouvait s'outiller pour interroger cette question du rapport entre médecins-patients et surtout pour regarder ce qui se passait en dehors de l'hôpital. Et je trouvais notamment que l'interrogatoire médical était souvent très limité, qu'on ne laissait pas le temps ou l'espace aux personnes pour soulever finalement leurs enjeux personnels qui rejoignent les questions de santé. Donc c'est comme ça que j'ai d'abord choisi un internat de santé publique. Donc je me suis, on va dire, éloigné des questions hospitalières. Et au sein de cet internat, j'ai fait des masters en sciences sociales, notamment un master, le master de l'interdisciplinarité en sciences sociales, de l'EHESS et l'ENS. Et là, j'ai été formé. aux outils des sciences sociales et j'ai pu continuer ensuite en sociologie.

  • Speaker #0

    Jusqu'au post-doctorat, donc, à ce stade. Le changement climatique, c'est une réalité pour 100% des personnes de cette planète. On le voit par exemple en France, les effets commencent à se faire sentir. Il y a des sécheresses, du rationnement de l'eau par période dans le sud du pays. Mais du coup, pourquoi est-ce que c'est important de s'intéresser à la question du changement climatique et de son articulation à la santé mentale dans les pays du sud, du sud global, plus particulièrement au Bangladesh ? Et comment est-ce que l'approche par le genre, elle fait sens ? Dans cette région particulièrement.

  • Speaker #2

    Donc c'est à la fois, comme souvent en fait, c'est des enjeux qui s'entrecroisent. Le premier enjeu pour moi, il est strictement professionnel. C'est comment je peux continuer à faire de la recherche en France sur les questions de la santé mentale. Je m'étais spécialisé en santé mentale avec les outils des sciences sociales. Et donc j'ai rejoint une équipe qui travaillait déjà sur ces questions de changement climatique et de santé. Donc, une équipe dirigée par Valérie Ryd, qui est également à l'IRD au CEPED. Et j'ai souhaité donc pouvoir... intégrer ces questions de santé mentale. Et quand j'avais contacté le chercheur, il m'avait dit Ah, les questions de santé mentale sont en train de se poser au Bangladesh, elles sont importantes pour nous, on n'a personne qui travaille sur ces questions, donc on serait ravi, si tu obtiens un financement, de rejoindre l'équipe. Donc, de manière très pragmatique, de l'intérieur, on va dire, voilà comment j'ai pu poser les premières questions. Et ensuite... C'est vrai que ça apparaît comme une question nouvelle qui émerge. Très souvent, on entend la question santé mentale et changement climatique au prisme de l'éco-anxiété. Donc ça, c'est quand on parle souvent des interrogations dans les Nords. C'est aussi toutes les revendications, en fait, de prendre en compte l'écologie au sérieux, des jeunesses, très souvent des femmes, des jeunes générations. Et des pays du Nord, en tout cas, ce qui a été médiatisé, c'est le plus souvent avec Greta, c'était des femmes des pays du Nord, même si ça existait en fait partout dans le monde. Et à ce moment-là, une des questions qui peut se poser, qui est intéressante quand on fait de la santé internationale ou de la santé mondiale, c'est de regarder ce qui se passe en dehors de l'Europe, c'est-à-dire auprès des pays qui sont les plus touchés par le changement climatique. Et le Bangladesh, c'est malheureusement dans le classement. un des dix pays les plus touchés, les plus vulnérables au risque climatique. Donc c'est comme ça que le projet s'est construit autour du Bangladesh et d'Haïti, deux pays parmi les plus touchés au monde sur le changement climatique. Et ensuite, la question du genre, c'est un résultat de l'enquête. Au départ, je voulais enquêter sur les questions des psychotraumas, donc du traumatisme après les forts événements climatiques, les événements... climatique extrême. Donc c'était en fait mon hypothèse et des idées qui sont très occidentales, qu'on voit dans les médias, qui existent bien sûr, mais le plus souvent c'est pas sous cette forme-là que ça s'exprime, c'est sur des formes plus lentes de transformation climatique, de transformation environnementale, et une des conséquences c'est les conséquences du climat sur certaines catégories de population, les femmes et les enfants. Et en fait les femmes sont parmi les plus touchées, peut-être qu'on reviendra à... Plus loin, de quelle manière ? C'est un résultat de l'enquête.

  • Speaker #0

    On reviendra effectivement un tout petit peu plus tard sur précisément les résultats de l'enquête. L'enquête a été menée au Bangladesh. Elle a vocation à se poursuivre sur d'autres théâtres. Tu as parlé d'Haïti. Pour l'instant, il me semble que l'accès est un peu compliqué en raison de la situation politique. Mais il y a des recherches qui vont se faire au Sénégal. Quoi qu'il arrive, c'est à la croisée des sciences sociales, des études de santé, des études sur l'environnement. Et donc, ça implique des approches à la fois... quantitatives et des approches plus qualitatives, compte tenu des rapports de force qui sont parfois difficiles entre ces différents champs de recherche. Comment est-ce que ça s'est articulé, cette interdisciplinarité, dans le cadre des recherches déjà effectuées au Bangladesh ?

  • Speaker #2

    Souvent, quand on soulève la question de l'interdisciplinarité, je me souviens, c'est Florence Weber qui expliquait ça, elle précise souvent que c'est la question de qui pose la question. Est-ce que ce sont les sciences biomédicales ? Est-ce que ce sont les sciences sociales ? Qui va poser, qui énonce la question ? De quelle manière ? Et la deuxième chose, qui est presque une prérogative, c'est la traduction des termes. En fait, c'est les deux difficultés qu'on rencontre toujours, c'est-à-dire qui pose la question, c'est aussi qui obtient le financement, est-ce que c'est une équipe de chercheurs, de biostatistiques, de sciences dites dures, ou au contraire d'anthropologues, de sociologues qui ont obtenu le financement avec une question ou une problématique de sciences sociales. Et ensuite, c'est la question du dialogue entre les chercheurs, comment on va arriver à se comprendre. Et c'est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît en fait. Très souvent, il peut y avoir beaucoup de confusion parce qu'on utilise des termes qui se ressemblent. On a l'impression de se comprendre, c'est au moment du résultat ou au moment de la mise en pratique, on se rend compte qu'on a... a vraiment des approches très différentes.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu aurais un exemple de ces termes qui ont eu du mal à avoir des résonances précisément dans les différents champs disciplinaires ?

  • Speaker #2

    Par exemple, une des difficultés, je trouve, et c'est quelque chose qu'on n'a pas précisé, c'est sur le terrain au Bangladesh, je travaille avec l'équipe de la BRAC Université, et donc avec des assistants de recherche qui sont bangladais, et donc qui me permettent également de traduire le bangla pour préparer l'enquête en santé publique ou dans les sciences dites plus dures, entre guillemets. Très souvent, quand on énonce les questions de l'entretien, il nous faut l'ensemble des questions de manière très précise, etc. En anthropologie, quand on fait de l'ethnographie, au contraire, on veut des formulations très larges, on veut que ce soit vraiment une discussion. Et ce qui peut paraître comme du bricolage pour des sciences dures, est en fait sans doute du bricolage, mais extrêmement important, parce qu'il permet au contraire d'établir de vraies relations avec les personnes. et donc aussi d'avoir une meilleure qualité des données, une fiabilité des données. Donc ce qui pourrait paraître comme quelque chose de l'à peu près, au contraire, est une garantie que le travail puisse ensuite se faire correctement et avec rigueur.

  • Speaker #0

    Cette interdisciplinarité précisément des termes, de la traduction des termes ou de la spécification des termes, il y a aussi les problèmes des différentes méthodes de collecte des données, puis de la gestion de ces dernières, le tout dans des lieux multiples, à la fois en zone rurale. En zone urbaine, comment est-ce qu'on mène une étude de cas multiples de cette ampleur ?

  • Speaker #2

    Alors oui, pour l'enquête, il y avait deux terrains qui avaient été choisis, un terrain en zone urbaine Dans un bidonville de la capitale, Dhaka, et un terrain dans une zone au sud-ouest du pays qui est plus touchée par les événements climatiques aigus, en zone rurale, c'était des manières de voir comment les transformations environnementales affectent différemment ces communautés, qui sont dans les deux cas des communautés pauvres, vulnérables. Dans le bidonville, très souvent les personnes venaient de la campagne, pas forcément du terrain où on était, mais d'autres endroits du Bangladesh. Alors il y avait... Donc c'est l'interdisciplinarité. Il y avait une partie, en tout cas pour l'équipe de santé publique, qui travaillait à partir de questionnaires et à partir de statistiques sur un échantillonnage, donc quelque chose qui est assez classique en sciences médicales ou en santé publique, sur 500 foyers, 500 ménages qui avaient été choisis dans chacun des deux sites. Et pour ma partie, pour l'ethnographie, j'ai fait ce qu'on fait toujours en ethnographie, on cherche à avoir un milieu d'interconnaissance, c'est-à-dire des personnes que l'on rencontre au même endroit, plusieurs fois au long cours. Et donc j'avais rencontré, et j'avais finalement pas vraiment choisi, en tout cas peut-être qu'on s'est choisi aussi, une quinzaine de personnes, une quinzaine de ménages, une quinzaine de familles dans chaque terrain, avec lesquelles j'ai eu des premières discussions, j'ai réalisé des entretiens, et je suis revenu trois fois, et à chaque fois j'allais auprès des mêmes personnes réaliser les entretiens au sein des familles, des entretiens avec la mère, le père, les adolescentes, etc.

  • Speaker #0

    Alors précisément, compte tenu du sujet même de ta recherche, ces ethnographies, elles se font auprès de personnes vulnérables qui habitent peut-être dans des habitats précaires, dans des zones à risque. Est-ce que tu pourrais nous raconter précisément où est-ce que tu as pu te rendre ? Donc on a eu un petit détail des interlocuteurs, mais si tu pourrais aussi nous en dire un peu plus. Aussi, si ton expérience de médecin t'a permis d'avoir quelques outils pour discuter avec ces personnes, sans prendre le risque d'exercer une forme de violence supplémentaire face à des personnages qui ont certainement été traumatisés.

  • Speaker #2

    Oui, c'est exactement les enjeux que j'avais en tête, tu les énonces très bien. Effectivement, la pratique médicale socialiste nous permet peut-être, je ne sais pas comment le dire, mais on est amené à rencontrer des personnes en situation de grande vulnérabilité en France, en situation de très grande pauvreté. et il y a un interrogatoire médical qui est réalisé, c'est-à-dire qu'on est formé à ça. Pour autant, on ne tient pas forcément compte des rapports de force qu'on exerce quand on pose les questions, des rapports de force qui sont dans la relation entre médecin et patient. Donc on a fait une partie du travail, mais il reste toute la seconde partie, qu'on appelle parfois de la réflexivité. Donc dans l'ethnographie réflexive, ce qui va être très important, ça va être de penser la relation d'enquête et sa position, comment on est perçu par les autres. Comment notre recherche est-elle perçue ? par les populations que l'on enquête, et comment soi-même on est perçu. Donc moi, je suis un homme, je suis un homme noir, je suis franco-bourondais, je suis identifié, pas de la même manière que mes collègues qui sont par exemple français, qui sont blancs, et j'ai 38 ans. Et donc tout ça va jouer dans la relation avec les personnes. On va me demander par exemple si je suis marié, on va me demander si j'ai des enfants, etc. Et ensuite, la chose qui a été peut-être la plus difficile sur ce terrain-là, Et donc là, je peux rentrer un peu plus dans le détail. Dans le bidonville, on avait choisi les habitats les plus fragiles, qui étaient les plus exposés aux intempéries. Et donc, c'était des bidonvilles surpilotis. situé sur un lac, donc extrêmement vulnérable, puisque lors de fortes pluies, il y a une montée des eaux du lac, et également par le toit, puisque c'est très fragile et pas du tout imperméable. Et au sein de ces bidonvilles, donc c'est des chambres de peut-être 10 mètres carrés, il y a souvent une petite famille, une partie de la famille, donc souvent le couple avec un ou deux enfants. Parfois, les aînés sont toujours au village. Donc quatre personnes et ces chambres-là, très souvent on appelle ça des djouperies, il peut y avoir cinq, six chambres autour d'une courrée. Avec une cuisine collective, une cuisine commune. Et donc j'allais dans ces juperies et j'arpentais au sein de chaque chambre et j'essayais de rencontrer quand les personnes étaient disponibles. Je discutais avec les personnes et puis ensuite j'essayais de solliciter un entretien. Et surtout pour les questions de santé mentale, mais de manière générale, ce qui était très important c'était d'avoir le calme et d'être seul avec la personne, en tout cas avec le chercheur, mon collègue du Bangladesh. D'être seul avec la personne, ça c'était des questions qui étaient parfois difficiles. Et ensuite, pour répondre à ta question, parce que je n'ai toujours pas répondu, c'est les personnes elles-mêmes qui m'ont en fait soulevé ma position. À la fin de la première semaine d'enquête, dans ce bidonville, il y a quelqu'un qui est un leader que je rencontrerai un peu plus tard, qui m'a dit, qui s'est énervé et qui a dit, vous venez toujours poser des questions, il ne se passe toujours rien après votre présence. Donc c'est très facile pour vous de venir. poser ces questions. Dans le bidonville, on était plutôt identifiés comme des ONG, pas forcément étrangers, mais en tout cas vraiment des ONG. Et en gros, ils disaient, avec une énorme colère, Qu'est-ce que vous venez faire, si ce n'est que pour poser des questions ? Et ça, pour moi, ça m'a énormément questionné tout au long. Quelle est ma place ? Les personnes elles-mêmes, pas la première fois, mais au bout d'un moment, quand on a des relations avec elles, elles m'ont demandé de faire quelque chose pour elles. Pas simplement de donner de l'argent ou des choses qu'on retrouve plus classiquement en anthropologie, liées aux conditions climatiques. C'est-à-dire, quand on travaille sur le climat, on ne peut pas simplement dire, eh bien, je viens juste comprendre les effets et je repars. En tout cas, c'est très difficile. D'autant plus qu'on vient du Nord, qu'on sait très bien et que les communautés savent très bien qu'une partie des problèmes, il y a toute une question de justice sociale. C'est les pays du Nord qui ont aussi causé ces émissions de gaz à effet de serre, que les financements viennent du Nord pour le changement climatique, pour lutter contre les effets. Et donc, elles vous interrogent pour dire quelles solutions vous venez apporter. Alors, pour moi, c'était ça en fait la plus grande difficulté par rapport à ces situations, à ces écarts de niveau de vie. Le fait, bien sûr, que moi ensuite j'allais rentrer en France, mais surtout... En fait, je suis venu pourquoi ? Très souvent, on est habitué en ethnographie, en tout cas, on sait que chacun s'instrumentalise, c'est-à-dire on instrumentalise ces personnes parce qu'on souhaite quand même faire de la science et donc obtenir certaines informations, mais les personnes aussi, les personnes enquêtées aussi, même les plus vulnérables, elles vont vous instrumentaliser parce que ça fait vous appartenir à leur réseau, etc. Mais là, c'était un autre type de question, c'était vraiment la question concrètement maintenant, qu'est-ce que vous allez faire ? Donc moi, peut-être que ça, ça a été très important. Et je n'avais pas du tout été même formé, en tout cas pour faire de la recherche action, des recherches participatives, même si maintenant c'est de plus en plus important. J'étais obligé d'entendre ça.

  • Speaker #0

    C'est d'autant que les rapports de domination et la question de la vulnérabilité, elles ne se posent pas que vis-à-vis des enquêtés, mais peut-être aussi vis-à-vis des collaborateurs, puisque cette recherche a été le fruit d'un travail commun avec les universités, des partenariats avec des chercheurs et des chercheuses du Bangladesh. Comment est-ce qu'ils se sont manifestés ces rapports de force et de domination nord-sud dans ce cas de figure ? Et quels enjeux éthiques est-ce que toi, ça t'a posé sur le terrain ?

  • Speaker #2

    Oui, merci Ancoune-Mérisse. C'est une question qui est compliquée et qui est très importante. C'est les questions de la colonialité, c'est toutes les questions post-coloniales qui traversent aussi les questions en recherche, en santé mondiale. En tout cas, dans la recherche actuelle, la recherche est internationale, les financements sont internationaux, mais il y a des énormes inégalités. On reproduit en fait le monde social au sein de la recherche. Donc on reproduit les dominations de genre, bien sûr, de classe, et également toute l'histoire coloniale est reproduite puisque... Ce sont les grandes institutions internationales des Nords qui obtiennent les financements, qui sont souvent aussi à l'origine des financements, et qui vont imposer la question de recherche et très souvent la solution. Et c'est là où ça pose problème, c'est quand on vient avec notre solution pour l'imposer de nouveau auprès de ces communautés, auprès de ces personnes, mais aussi auprès des chercheurs parfois. C'est-à-dire qu'on ne fait pas forcément la science de la même façon, parce que la science dite moderne, elle est façonnée. par un ensemble de patterns, de recommandations qui sont établies par les grandes institutions nord-américaines et anglaises principalement. Et même la France en sciences sociales a résisté très longtemps. Et simplement la pression à la publication, c'est parce que c'est un business, bien sûr. C'est des questions économiques qui régissent la science. Et donc on va nous aussi imposer ces questions-là. Et concrètement, comment ça s'est posé ? De manière complexe, mais ça a été toujours présent, en tout cas de mon point de vue. C'était toujours présent parce que c'est un financement qui a été obtenu. par la France. C'est-à-dire que le Bangladesh n'a pas répondu au départ, en tout cas n'a pas décidé de répondre à ce financement, même si l'équipe a rejoint... Le projet a été écrit avec la France, le Bangladesh et Haïti. Mais la personne principale qui a obtenu le financement, c'est un laboratoire français et c'est un chercheur français. Et ensuite, la question du changement climatique, c'est aussi une question qui vient du Nord, pour la responsabilité historique, mais aussi parce que maintenant... Il y a des financements qui sont débloqués quand on parle de changement climatique. Et donc c'est très difficile pour les pays des Sud de dire ah ben non, on ne veut pas travailler là-dessus alors qu'ils sont touchés, mais ce n'est peut-être pas les priorités pour eux, pour le pays, pour la recherche. Ce n'est pas forcément les priorités. Et pour autant, les financements commencent à être conséquents. Et les rapports de force dans la recherche, ils s'expriment souvent sur... sur des choses très simples. Est-ce qu'on va utiliser votre questionnaire ou pas ? Est-ce que votre question de recherche va être prise au sérieux ou pas ? Moi, ce qui est un peu plus compliqué, c'est que je suis venu à la fin du projet. Je suis venu en 2022, le projet a débuté en 2019, même si avec le Covid, il y a eu des années qui ont été plus petites, le projet n'a pas pu avancer comme voulu. Les questions de santé mentale étaient un peu plus annexes et n'étaient pas prioritaires pour les chercheurs au départ, même si aujourd'hui elles sont reconnues comme très importantes par l'équipe de recherche au Bangladesh. Il y a des rapports de force entre les équipes, des rapports de force sur... finalement, comment on décide quelle est la question qui va être importante. À chaque fois, je n'ai pas de moment particulier, de décision, mais à chaque fois, en fait, quand on va sur le terrain, ces questions-là qui se reposent, qui se reformulent différemment. Et ce que ça m'a permis, en tout cas, de comprendre, c'est qu'il faut, à tout prix, que l'appropriation de la question de recherche, même si le projet, le financement a été obtenu par le Nord, puisse se faire par les pays des Sud. Mais c'est un dialogue et c'est un enjeu qui est constant et je pense qu'il est difficile d'avoir une solution.

  • Speaker #0

    En tout cas, bon an, mal an, il y a eu cette recherche qui est venue confirmer les effets dangereux du changement climatique pour la santé mentale de celles et ceux qui y sont immédiatement exposés. Peut-être que cette recherche a aussi permis de faire émerger des conséquences plus inattendues. Est-ce que tu pourrais nous en détailler quelques-uns de ces résultats et peut-être nous détailler les enjeux de genre de manière un peu plus précise ?

  • Speaker #2

    Le premier résultat pour moi, c'est le fait que les communautés, donc les plus vulnérables, avaient aucune difficulté à parler des questions de santé mentale. Et souvent, on m'avait dit d'ailleurs, pour ces questions aussi parfois coloniales, tu viens poser tes questions de santé mentale du Nord. Évidemment qu'elles se formulent différemment, mais elles étaient vraiment très bien comprises et surtout, je n'ai aucune difficulté à discuter avec les personnes sur ces enjeux-là. Et le premier résultat, c'est que les mères, en réalité, avaient énormément de choses à dire là-dessus. L'un des premiers constats, c'est le fait qu'on pourrait dire qu'elles souffraient silencieusement, qu'elles souffrent silencieusement. C'est-à-dire que c'était une question, elles étaient très surprises que je pose cette question. Souvent, j'ai néancé la question de santé mentale à la fin de la discussion en leur demandant... Comment dormaient les enfants ? Comment elles dormaient ? Et là, les choses étaient amenées, elles pouvaient sortir. Et ce qui revenait très souvent, c'était le fait que, par exemple, en cas de très forte chaleur, c'est très difficile pour elles de dormir, parce que les enfants eux-mêmes, en bas âge, pleurent toute la nuit. Il fait beaucoup trop chaud, il fait souvent 5 degrés de plus à l'intérieur de ces habitats-là qu'en extérieur. C'est 80% d'humidité, donc vraiment une température ressentie qui est très très élevée. et c'est les mères qui essayent de faire dormir les enfants, de ventiler manuellement parce qu'il y a des coupures d'électricité pour essayer de les rafraîchir. Et la journée, elles ont toute leur charge de travail qui est la même. Et donc, c'est une charge qui se rajoute la nuit et qui n'est pas prise en considération. Ce n'est pas pris en compte par les ONG qui sont très présentes sur les terrains sur lesquels j'étais, ce n'est pas pris en compte par les politiques, les professionnels de santé ne connaissent très peu sur ces effets climatiques, ne sont pas formés en fait sur les effets climatiques. Donc ça leur retombe dessus. Et au sein même du ménage, du foyer, c'est là où les questions de genre sont retrouvées. Quand j'interrogeais les pères, ils me disaient qu'il n'y avait aucun problème, qu'ils dormaient très bien la nuit.

  • Speaker #0

    Oui, c'est effectivement assez explicite. Tu parlais tout à l'heure de la recherche-action. Il y a de plus en plus de scientifiques aujourd'hui qui font des incursions dans la sphère politique pour aider, pour armer les prises de décisions, formuler des propositions législatives au regard de ces résultats de recherche. Est-ce qu'il y a des possibilités de faire des recommandations et de les rendre visibles et de faire en sorte qu'elles soient utilisées par les décideurs ? Et est-ce qu'il est aujourd'hui possible d'encourager les décideurs ? politique à adopter une approche qui soit sensible au genre pour traiter des impacts du changement climatique sur la santé mentale ?

  • Speaker #2

    Oui, alors déjà, pour ça, la recherche a un peu évolué. On parlait tout à l'heure de recherche participative. Il y a toute une question, au Canada, on appelle ça le transfert de connaissances. Le fait de pouvoir, non seulement faire plaidoyer, mais diffuser les résultats de la recherche auprès des décideurs, auprès des communautés. de tous les acteurs, tout au long de la recherche. Et donc maintenant, c'est pris en compte. Dès le moment où on va écrire son projet de recherche, on pense au fait de quelle façon on va chercher à diffuser la connaissance. Il y a même des courtiers en connaissance. Il y a des professionnels qui vont être formés pour pouvoir justement traduire les résultats de recherche en des pistes d'action, en des décisions politiques, en des recommandations qui pourraient être directement actionnales par les décideurs. Pour les questions de santé mentale, C'est en 2022, il y a un rapport de l'OMS qui a produit une policy brief, donc une note politique qui incite justement les décideurs à l'échelle nationale et aux échelles locales de tenir compte de l'impact du climat sur la santé mentale. C'est quelque chose de très important. C'est en train d'être reconnu aujourd'hui par toutes les instances internationales. En revanche, là où tu as raison, c'est que très souvent, malheureusement, les questions du genre ne sont pas reprises. C'est-à-dire qu'on a tendance... apercevoir le climat comme quelque chose qui touche toute la planète et tout le monde. Or, bien sûr, ça touche certes toute la planète, mais pas de la même manière, et toutes les populations pas de la même manière. Et ça impacte davantage les enfants et ça impacte davantage les femmes. Et pour ça, moi j'ai vu très peu de recommandations. Il y a des recommandations de l'OMS, mais au niveau politique, très peu qui tiennent compte vraiment du genre. Et peut-être une des premières choses, c'est... Et on le sait, c'est dans l'espace de décision, quelle est la place des femmes pour décider de ces questions de santé mentale et de changement climatique. Juste pour donner un exemple, pour la préparation de la COP 29, Le pays organisateur n'avait pas intégré de femmes dans son comité d'organisation. Et c'est le groupe activiste féministe SheChange qui a dénoncé ça. Et au final, sur les 28, il y a eu une intégration de 12 femmes. Donc ça, c'est un exemple, mais qui se repose constamment. Et encore plus sur ces questions de santé mentale et de changement climatique, dès que c'est un peu oublié de la sphère publique et de la sphère politique.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup Jean-Marc Goudet de nous avoir permis de mieux comprendre la façon dont les transformations environnementales peuvent générer des conséquences différenciées sur la santé mentale des femmes et de nous avoir souligné l'importance de la recherche-action dans ces domaines. On l'entendait au moins au niveau des décideurs. Je suis Iris Lambert et ce podcast produit par Noria Research a été préparé par Sixtine Derour, Cécile Jean-Mougin, Claire Lefort-Rieu et Camille Abesca. un grand merci à Martin Grandpéré à François-Xavier Bertin et à Robin Cordier de L'Homme Audio qui ont travaillé à la réalisation de cet épisode à bientôt

Description

Jean-Marc Goudet est l'invité du cinquième épisode de SOUS-TERRAIN, le podcast qui dévoile les rouages de l'enquête de terrain en sciences sociales.


Depuis des années, les images impressionnantes du Bangladesh où l'on voit des rues inondées par des torrents de boue, des toits arrachés par la violence des rafales de vent et des hommes et des femmes qui se serrent dans des gymnases de fortunes, nous sont de plus en plus familières. Pourtant, aussi marquantes soient-elles, ces images ne représentent que les effets immédiats de ces catastrophes climatiques et tendent à invisibiliser les répercussions de ces drames sur le long terme. On sait déjà, par exemple, que le changement climatique est lié à une augmentation de 7 à 40% des troubles mentaux, allant de l'anxiété au psycho-traumatisme et au suicide, avec des risques élevés d'abus de substances et de troubles du sommeil.

Jean-Marc Goudet est médecin et sociologue, et travaille précisément sur les façon dont le changement climatique affecte la santé mentale, notamment au prisme du genre. 


Un podcast écrit par l'équipe de Noria Research: Camille Abescat, Iris Lambert, Sixtine Deroure, Claire Lefort-Rieu et Cécile Jeanmougin.


Ce podcast est co-produit par Noria Research et le CEPED (Centre Population et Développement - IRD - Université de Paris)


Réalisation sonore: Loom audio   


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Sous-titrage ST'501 Bonjour et bienvenue dans Souterrain, le podcast qui dévoile les rouages de l'enquête de terrain en sciences sociales. Qu'est-ce que cela veut dire, faire du terrain ? Qui le chercheur rencontre-t-il au cours d'une enquête ? Au fond, comment fait-on concrètement pour produire des connaissances en sciences sociales ? Chaque épisode du podcast Souterrain vous propose une immersion sonore dans le quotidien d'un chercheur ou d'une chercheuse pour vous faire découvrir de façon inédite l'artisanat de la recherche.

  • Speaker #1

    Sajid Abaigam et sa famille n'ont pas réussi à s'en sortir quand la flotte de sang a touché leur maison. Comme beaucoup d'autres, elle et son mari essayent maintenant de reconstruire leur maison.

  • Speaker #0

    Le vent était presque à la hauteur. Nous n'avons pas eu le temps de salvager la plupart des objets. Quels que soient les objets, ils ont été dégagés.

  • Speaker #1

    Ces voix,

  • Speaker #0

    tirées d'un reportage de Tanvir Chaudhuri pour Al Jazeera, sont celles de deux femmes rescapées des inondations monstres qui ont frappé le sud-est du Bangladesh au mois d'août 2023. Au total, les pluies diluviennes ont entraîné la mort de 55 personnes et fait plus d'un million de sinistrés. Le Bangladesh accueille le plus grand delta du monde où vivent un peu plus de 173 millions d'habitants et d'habitantes. Prise en étau entre la fonte des neiges dans l'Himalaya, au nord du pays, et la montée des eaux de l'océan Indien, au sud, La population du Bangladesh se retrouve en première ligne des conséquences dramatiques du changement climatique. Depuis des années, les images impressionnantes de rues inondées par des torrents de boue, de toits arrachés par la violence des rafales de vent, et d'hommes et de femmes qui se serrent dans des gymnases de fortune encombrés des quelques biens qu'ils auront réussi à sauver, nous sont de plus en plus familières. Pourtant, aussi marquantes soient-elles, ces images ne représentent que les effets immédiats de ces catastrophes climatiques, et tendent à invisibiliser les répercussions de ces drames sur le long terme. Pourtant, on sait déjà par exemple que le changement climatique est lié à une augmentation de 7 à 40% des troubles mentaux, allant de l'anxiété au psychotraumatisme et au suicide, avec des risques élevés d'abus de substances et de troubles du sommeil. Notre invité d'aujourd'hui, Jean-Marc Goudet, est médecin et sociologue, actuellement post-doctorant au Centre Population et Développement de l'Université Paris-Cité. Il travaille précisément sur les façons dont le changement climatique affecte la santé mentale, notamment au prisme du genre. Jean-Marc, bonjour.

  • Speaker #2

    Bonjour Iris.

  • Speaker #0

    Et merci d'être avec nous pour ce nouvel épisode de Souterrain. Il existe une petite particularité dans ton parcours, je l'ai brièvement mentionné, c'est qu'avant d'être sociologue, tu es médecin. Compte tenu du regrettable manque de ponts qui existent actuellement entre sciences dites... Dure et sciences sociales, comment est-ce que tu as, toi, effectué cette transition ? Et puis, comment est-ce que ces deux casquettes se complètent, voire se répondent ?

  • Speaker #2

    Oui, merci pour cette question. En fait, l'histoire est ancienne. Les liens entre anthropologie et médecine, dès le XIXe, pas pour les plus belles pages de l'histoire d'ailleurs, toutes les questions d'eugénisme, il y avait déjà beaucoup de médecins. Donc, la question de l'humain, la façon dont on l'appréhende par les sciences médicales ou par les sciences sociales, C'est une question ancienne. Et personnellement, moi j'ai souhaité me lancer dans des études médicales de manière assez classique. J'ai été déçu assez rapidement. J'ai été déçu, je pense, justement pour ce rapport aux patients, en tout cas dans notre formation dans les années 2000. J'étais assez déçu aussi du pouvoir médical, de tout ce qui recouvrait, de l'interaction, des rapports de force entre médecins et patients. Évidemment qu'on peut faire une bonne médecine en tenant compte de tout ça, mais... La solution que moi j'avais trouvée, c'était de voir du côté des sciences sociales, comment on pouvait s'outiller pour interroger cette question du rapport entre médecins-patients et surtout pour regarder ce qui se passait en dehors de l'hôpital. Et je trouvais notamment que l'interrogatoire médical était souvent très limité, qu'on ne laissait pas le temps ou l'espace aux personnes pour soulever finalement leurs enjeux personnels qui rejoignent les questions de santé. Donc c'est comme ça que j'ai d'abord choisi un internat de santé publique. Donc je me suis, on va dire, éloigné des questions hospitalières. Et au sein de cet internat, j'ai fait des masters en sciences sociales, notamment un master, le master de l'interdisciplinarité en sciences sociales, de l'EHESS et l'ENS. Et là, j'ai été formé. aux outils des sciences sociales et j'ai pu continuer ensuite en sociologie.

  • Speaker #0

    Jusqu'au post-doctorat, donc, à ce stade. Le changement climatique, c'est une réalité pour 100% des personnes de cette planète. On le voit par exemple en France, les effets commencent à se faire sentir. Il y a des sécheresses, du rationnement de l'eau par période dans le sud du pays. Mais du coup, pourquoi est-ce que c'est important de s'intéresser à la question du changement climatique et de son articulation à la santé mentale dans les pays du sud, du sud global, plus particulièrement au Bangladesh ? Et comment est-ce que l'approche par le genre, elle fait sens ? Dans cette région particulièrement.

  • Speaker #2

    Donc c'est à la fois, comme souvent en fait, c'est des enjeux qui s'entrecroisent. Le premier enjeu pour moi, il est strictement professionnel. C'est comment je peux continuer à faire de la recherche en France sur les questions de la santé mentale. Je m'étais spécialisé en santé mentale avec les outils des sciences sociales. Et donc j'ai rejoint une équipe qui travaillait déjà sur ces questions de changement climatique et de santé. Donc, une équipe dirigée par Valérie Ryd, qui est également à l'IRD au CEPED. Et j'ai souhaité donc pouvoir... intégrer ces questions de santé mentale. Et quand j'avais contacté le chercheur, il m'avait dit Ah, les questions de santé mentale sont en train de se poser au Bangladesh, elles sont importantes pour nous, on n'a personne qui travaille sur ces questions, donc on serait ravi, si tu obtiens un financement, de rejoindre l'équipe. Donc, de manière très pragmatique, de l'intérieur, on va dire, voilà comment j'ai pu poser les premières questions. Et ensuite... C'est vrai que ça apparaît comme une question nouvelle qui émerge. Très souvent, on entend la question santé mentale et changement climatique au prisme de l'éco-anxiété. Donc ça, c'est quand on parle souvent des interrogations dans les Nords. C'est aussi toutes les revendications, en fait, de prendre en compte l'écologie au sérieux, des jeunesses, très souvent des femmes, des jeunes générations. Et des pays du Nord, en tout cas, ce qui a été médiatisé, c'est le plus souvent avec Greta, c'était des femmes des pays du Nord, même si ça existait en fait partout dans le monde. Et à ce moment-là, une des questions qui peut se poser, qui est intéressante quand on fait de la santé internationale ou de la santé mondiale, c'est de regarder ce qui se passe en dehors de l'Europe, c'est-à-dire auprès des pays qui sont les plus touchés par le changement climatique. Et le Bangladesh, c'est malheureusement dans le classement. un des dix pays les plus touchés, les plus vulnérables au risque climatique. Donc c'est comme ça que le projet s'est construit autour du Bangladesh et d'Haïti, deux pays parmi les plus touchés au monde sur le changement climatique. Et ensuite, la question du genre, c'est un résultat de l'enquête. Au départ, je voulais enquêter sur les questions des psychotraumas, donc du traumatisme après les forts événements climatiques, les événements... climatique extrême. Donc c'était en fait mon hypothèse et des idées qui sont très occidentales, qu'on voit dans les médias, qui existent bien sûr, mais le plus souvent c'est pas sous cette forme-là que ça s'exprime, c'est sur des formes plus lentes de transformation climatique, de transformation environnementale, et une des conséquences c'est les conséquences du climat sur certaines catégories de population, les femmes et les enfants. Et en fait les femmes sont parmi les plus touchées, peut-être qu'on reviendra à... Plus loin, de quelle manière ? C'est un résultat de l'enquête.

  • Speaker #0

    On reviendra effectivement un tout petit peu plus tard sur précisément les résultats de l'enquête. L'enquête a été menée au Bangladesh. Elle a vocation à se poursuivre sur d'autres théâtres. Tu as parlé d'Haïti. Pour l'instant, il me semble que l'accès est un peu compliqué en raison de la situation politique. Mais il y a des recherches qui vont se faire au Sénégal. Quoi qu'il arrive, c'est à la croisée des sciences sociales, des études de santé, des études sur l'environnement. Et donc, ça implique des approches à la fois... quantitatives et des approches plus qualitatives, compte tenu des rapports de force qui sont parfois difficiles entre ces différents champs de recherche. Comment est-ce que ça s'est articulé, cette interdisciplinarité, dans le cadre des recherches déjà effectuées au Bangladesh ?

  • Speaker #2

    Souvent, quand on soulève la question de l'interdisciplinarité, je me souviens, c'est Florence Weber qui expliquait ça, elle précise souvent que c'est la question de qui pose la question. Est-ce que ce sont les sciences biomédicales ? Est-ce que ce sont les sciences sociales ? Qui va poser, qui énonce la question ? De quelle manière ? Et la deuxième chose, qui est presque une prérogative, c'est la traduction des termes. En fait, c'est les deux difficultés qu'on rencontre toujours, c'est-à-dire qui pose la question, c'est aussi qui obtient le financement, est-ce que c'est une équipe de chercheurs, de biostatistiques, de sciences dites dures, ou au contraire d'anthropologues, de sociologues qui ont obtenu le financement avec une question ou une problématique de sciences sociales. Et ensuite, c'est la question du dialogue entre les chercheurs, comment on va arriver à se comprendre. Et c'est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît en fait. Très souvent, il peut y avoir beaucoup de confusion parce qu'on utilise des termes qui se ressemblent. On a l'impression de se comprendre, c'est au moment du résultat ou au moment de la mise en pratique, on se rend compte qu'on a... a vraiment des approches très différentes.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu aurais un exemple de ces termes qui ont eu du mal à avoir des résonances précisément dans les différents champs disciplinaires ?

  • Speaker #2

    Par exemple, une des difficultés, je trouve, et c'est quelque chose qu'on n'a pas précisé, c'est sur le terrain au Bangladesh, je travaille avec l'équipe de la BRAC Université, et donc avec des assistants de recherche qui sont bangladais, et donc qui me permettent également de traduire le bangla pour préparer l'enquête en santé publique ou dans les sciences dites plus dures, entre guillemets. Très souvent, quand on énonce les questions de l'entretien, il nous faut l'ensemble des questions de manière très précise, etc. En anthropologie, quand on fait de l'ethnographie, au contraire, on veut des formulations très larges, on veut que ce soit vraiment une discussion. Et ce qui peut paraître comme du bricolage pour des sciences dures, est en fait sans doute du bricolage, mais extrêmement important, parce qu'il permet au contraire d'établir de vraies relations avec les personnes. et donc aussi d'avoir une meilleure qualité des données, une fiabilité des données. Donc ce qui pourrait paraître comme quelque chose de l'à peu près, au contraire, est une garantie que le travail puisse ensuite se faire correctement et avec rigueur.

  • Speaker #0

    Cette interdisciplinarité précisément des termes, de la traduction des termes ou de la spécification des termes, il y a aussi les problèmes des différentes méthodes de collecte des données, puis de la gestion de ces dernières, le tout dans des lieux multiples, à la fois en zone rurale. En zone urbaine, comment est-ce qu'on mène une étude de cas multiples de cette ampleur ?

  • Speaker #2

    Alors oui, pour l'enquête, il y avait deux terrains qui avaient été choisis, un terrain en zone urbaine Dans un bidonville de la capitale, Dhaka, et un terrain dans une zone au sud-ouest du pays qui est plus touchée par les événements climatiques aigus, en zone rurale, c'était des manières de voir comment les transformations environnementales affectent différemment ces communautés, qui sont dans les deux cas des communautés pauvres, vulnérables. Dans le bidonville, très souvent les personnes venaient de la campagne, pas forcément du terrain où on était, mais d'autres endroits du Bangladesh. Alors il y avait... Donc c'est l'interdisciplinarité. Il y avait une partie, en tout cas pour l'équipe de santé publique, qui travaillait à partir de questionnaires et à partir de statistiques sur un échantillonnage, donc quelque chose qui est assez classique en sciences médicales ou en santé publique, sur 500 foyers, 500 ménages qui avaient été choisis dans chacun des deux sites. Et pour ma partie, pour l'ethnographie, j'ai fait ce qu'on fait toujours en ethnographie, on cherche à avoir un milieu d'interconnaissance, c'est-à-dire des personnes que l'on rencontre au même endroit, plusieurs fois au long cours. Et donc j'avais rencontré, et j'avais finalement pas vraiment choisi, en tout cas peut-être qu'on s'est choisi aussi, une quinzaine de personnes, une quinzaine de ménages, une quinzaine de familles dans chaque terrain, avec lesquelles j'ai eu des premières discussions, j'ai réalisé des entretiens, et je suis revenu trois fois, et à chaque fois j'allais auprès des mêmes personnes réaliser les entretiens au sein des familles, des entretiens avec la mère, le père, les adolescentes, etc.

  • Speaker #0

    Alors précisément, compte tenu du sujet même de ta recherche, ces ethnographies, elles se font auprès de personnes vulnérables qui habitent peut-être dans des habitats précaires, dans des zones à risque. Est-ce que tu pourrais nous raconter précisément où est-ce que tu as pu te rendre ? Donc on a eu un petit détail des interlocuteurs, mais si tu pourrais aussi nous en dire un peu plus. Aussi, si ton expérience de médecin t'a permis d'avoir quelques outils pour discuter avec ces personnes, sans prendre le risque d'exercer une forme de violence supplémentaire face à des personnages qui ont certainement été traumatisés.

  • Speaker #2

    Oui, c'est exactement les enjeux que j'avais en tête, tu les énonces très bien. Effectivement, la pratique médicale socialiste nous permet peut-être, je ne sais pas comment le dire, mais on est amené à rencontrer des personnes en situation de grande vulnérabilité en France, en situation de très grande pauvreté. et il y a un interrogatoire médical qui est réalisé, c'est-à-dire qu'on est formé à ça. Pour autant, on ne tient pas forcément compte des rapports de force qu'on exerce quand on pose les questions, des rapports de force qui sont dans la relation entre médecin et patient. Donc on a fait une partie du travail, mais il reste toute la seconde partie, qu'on appelle parfois de la réflexivité. Donc dans l'ethnographie réflexive, ce qui va être très important, ça va être de penser la relation d'enquête et sa position, comment on est perçu par les autres. Comment notre recherche est-elle perçue ? par les populations que l'on enquête, et comment soi-même on est perçu. Donc moi, je suis un homme, je suis un homme noir, je suis franco-bourondais, je suis identifié, pas de la même manière que mes collègues qui sont par exemple français, qui sont blancs, et j'ai 38 ans. Et donc tout ça va jouer dans la relation avec les personnes. On va me demander par exemple si je suis marié, on va me demander si j'ai des enfants, etc. Et ensuite, la chose qui a été peut-être la plus difficile sur ce terrain-là, Et donc là, je peux rentrer un peu plus dans le détail. Dans le bidonville, on avait choisi les habitats les plus fragiles, qui étaient les plus exposés aux intempéries. Et donc, c'était des bidonvilles surpilotis. situé sur un lac, donc extrêmement vulnérable, puisque lors de fortes pluies, il y a une montée des eaux du lac, et également par le toit, puisque c'est très fragile et pas du tout imperméable. Et au sein de ces bidonvilles, donc c'est des chambres de peut-être 10 mètres carrés, il y a souvent une petite famille, une partie de la famille, donc souvent le couple avec un ou deux enfants. Parfois, les aînés sont toujours au village. Donc quatre personnes et ces chambres-là, très souvent on appelle ça des djouperies, il peut y avoir cinq, six chambres autour d'une courrée. Avec une cuisine collective, une cuisine commune. Et donc j'allais dans ces juperies et j'arpentais au sein de chaque chambre et j'essayais de rencontrer quand les personnes étaient disponibles. Je discutais avec les personnes et puis ensuite j'essayais de solliciter un entretien. Et surtout pour les questions de santé mentale, mais de manière générale, ce qui était très important c'était d'avoir le calme et d'être seul avec la personne, en tout cas avec le chercheur, mon collègue du Bangladesh. D'être seul avec la personne, ça c'était des questions qui étaient parfois difficiles. Et ensuite, pour répondre à ta question, parce que je n'ai toujours pas répondu, c'est les personnes elles-mêmes qui m'ont en fait soulevé ma position. À la fin de la première semaine d'enquête, dans ce bidonville, il y a quelqu'un qui est un leader que je rencontrerai un peu plus tard, qui m'a dit, qui s'est énervé et qui a dit, vous venez toujours poser des questions, il ne se passe toujours rien après votre présence. Donc c'est très facile pour vous de venir. poser ces questions. Dans le bidonville, on était plutôt identifiés comme des ONG, pas forcément étrangers, mais en tout cas vraiment des ONG. Et en gros, ils disaient, avec une énorme colère, Qu'est-ce que vous venez faire, si ce n'est que pour poser des questions ? Et ça, pour moi, ça m'a énormément questionné tout au long. Quelle est ma place ? Les personnes elles-mêmes, pas la première fois, mais au bout d'un moment, quand on a des relations avec elles, elles m'ont demandé de faire quelque chose pour elles. Pas simplement de donner de l'argent ou des choses qu'on retrouve plus classiquement en anthropologie, liées aux conditions climatiques. C'est-à-dire, quand on travaille sur le climat, on ne peut pas simplement dire, eh bien, je viens juste comprendre les effets et je repars. En tout cas, c'est très difficile. D'autant plus qu'on vient du Nord, qu'on sait très bien et que les communautés savent très bien qu'une partie des problèmes, il y a toute une question de justice sociale. C'est les pays du Nord qui ont aussi causé ces émissions de gaz à effet de serre, que les financements viennent du Nord pour le changement climatique, pour lutter contre les effets. Et donc, elles vous interrogent pour dire quelles solutions vous venez apporter. Alors, pour moi, c'était ça en fait la plus grande difficulté par rapport à ces situations, à ces écarts de niveau de vie. Le fait, bien sûr, que moi ensuite j'allais rentrer en France, mais surtout... En fait, je suis venu pourquoi ? Très souvent, on est habitué en ethnographie, en tout cas, on sait que chacun s'instrumentalise, c'est-à-dire on instrumentalise ces personnes parce qu'on souhaite quand même faire de la science et donc obtenir certaines informations, mais les personnes aussi, les personnes enquêtées aussi, même les plus vulnérables, elles vont vous instrumentaliser parce que ça fait vous appartenir à leur réseau, etc. Mais là, c'était un autre type de question, c'était vraiment la question concrètement maintenant, qu'est-ce que vous allez faire ? Donc moi, peut-être que ça, ça a été très important. Et je n'avais pas du tout été même formé, en tout cas pour faire de la recherche action, des recherches participatives, même si maintenant c'est de plus en plus important. J'étais obligé d'entendre ça.

  • Speaker #0

    C'est d'autant que les rapports de domination et la question de la vulnérabilité, elles ne se posent pas que vis-à-vis des enquêtés, mais peut-être aussi vis-à-vis des collaborateurs, puisque cette recherche a été le fruit d'un travail commun avec les universités, des partenariats avec des chercheurs et des chercheuses du Bangladesh. Comment est-ce qu'ils se sont manifestés ces rapports de force et de domination nord-sud dans ce cas de figure ? Et quels enjeux éthiques est-ce que toi, ça t'a posé sur le terrain ?

  • Speaker #2

    Oui, merci Ancoune-Mérisse. C'est une question qui est compliquée et qui est très importante. C'est les questions de la colonialité, c'est toutes les questions post-coloniales qui traversent aussi les questions en recherche, en santé mondiale. En tout cas, dans la recherche actuelle, la recherche est internationale, les financements sont internationaux, mais il y a des énormes inégalités. On reproduit en fait le monde social au sein de la recherche. Donc on reproduit les dominations de genre, bien sûr, de classe, et également toute l'histoire coloniale est reproduite puisque... Ce sont les grandes institutions internationales des Nords qui obtiennent les financements, qui sont souvent aussi à l'origine des financements, et qui vont imposer la question de recherche et très souvent la solution. Et c'est là où ça pose problème, c'est quand on vient avec notre solution pour l'imposer de nouveau auprès de ces communautés, auprès de ces personnes, mais aussi auprès des chercheurs parfois. C'est-à-dire qu'on ne fait pas forcément la science de la même façon, parce que la science dite moderne, elle est façonnée. par un ensemble de patterns, de recommandations qui sont établies par les grandes institutions nord-américaines et anglaises principalement. Et même la France en sciences sociales a résisté très longtemps. Et simplement la pression à la publication, c'est parce que c'est un business, bien sûr. C'est des questions économiques qui régissent la science. Et donc on va nous aussi imposer ces questions-là. Et concrètement, comment ça s'est posé ? De manière complexe, mais ça a été toujours présent, en tout cas de mon point de vue. C'était toujours présent parce que c'est un financement qui a été obtenu. par la France. C'est-à-dire que le Bangladesh n'a pas répondu au départ, en tout cas n'a pas décidé de répondre à ce financement, même si l'équipe a rejoint... Le projet a été écrit avec la France, le Bangladesh et Haïti. Mais la personne principale qui a obtenu le financement, c'est un laboratoire français et c'est un chercheur français. Et ensuite, la question du changement climatique, c'est aussi une question qui vient du Nord, pour la responsabilité historique, mais aussi parce que maintenant... Il y a des financements qui sont débloqués quand on parle de changement climatique. Et donc c'est très difficile pour les pays des Sud de dire ah ben non, on ne veut pas travailler là-dessus alors qu'ils sont touchés, mais ce n'est peut-être pas les priorités pour eux, pour le pays, pour la recherche. Ce n'est pas forcément les priorités. Et pour autant, les financements commencent à être conséquents. Et les rapports de force dans la recherche, ils s'expriment souvent sur... sur des choses très simples. Est-ce qu'on va utiliser votre questionnaire ou pas ? Est-ce que votre question de recherche va être prise au sérieux ou pas ? Moi, ce qui est un peu plus compliqué, c'est que je suis venu à la fin du projet. Je suis venu en 2022, le projet a débuté en 2019, même si avec le Covid, il y a eu des années qui ont été plus petites, le projet n'a pas pu avancer comme voulu. Les questions de santé mentale étaient un peu plus annexes et n'étaient pas prioritaires pour les chercheurs au départ, même si aujourd'hui elles sont reconnues comme très importantes par l'équipe de recherche au Bangladesh. Il y a des rapports de force entre les équipes, des rapports de force sur... finalement, comment on décide quelle est la question qui va être importante. À chaque fois, je n'ai pas de moment particulier, de décision, mais à chaque fois, en fait, quand on va sur le terrain, ces questions-là qui se reposent, qui se reformulent différemment. Et ce que ça m'a permis, en tout cas, de comprendre, c'est qu'il faut, à tout prix, que l'appropriation de la question de recherche, même si le projet, le financement a été obtenu par le Nord, puisse se faire par les pays des Sud. Mais c'est un dialogue et c'est un enjeu qui est constant et je pense qu'il est difficile d'avoir une solution.

  • Speaker #0

    En tout cas, bon an, mal an, il y a eu cette recherche qui est venue confirmer les effets dangereux du changement climatique pour la santé mentale de celles et ceux qui y sont immédiatement exposés. Peut-être que cette recherche a aussi permis de faire émerger des conséquences plus inattendues. Est-ce que tu pourrais nous en détailler quelques-uns de ces résultats et peut-être nous détailler les enjeux de genre de manière un peu plus précise ?

  • Speaker #2

    Le premier résultat pour moi, c'est le fait que les communautés, donc les plus vulnérables, avaient aucune difficulté à parler des questions de santé mentale. Et souvent, on m'avait dit d'ailleurs, pour ces questions aussi parfois coloniales, tu viens poser tes questions de santé mentale du Nord. Évidemment qu'elles se formulent différemment, mais elles étaient vraiment très bien comprises et surtout, je n'ai aucune difficulté à discuter avec les personnes sur ces enjeux-là. Et le premier résultat, c'est que les mères, en réalité, avaient énormément de choses à dire là-dessus. L'un des premiers constats, c'est le fait qu'on pourrait dire qu'elles souffraient silencieusement, qu'elles souffrent silencieusement. C'est-à-dire que c'était une question, elles étaient très surprises que je pose cette question. Souvent, j'ai néancé la question de santé mentale à la fin de la discussion en leur demandant... Comment dormaient les enfants ? Comment elles dormaient ? Et là, les choses étaient amenées, elles pouvaient sortir. Et ce qui revenait très souvent, c'était le fait que, par exemple, en cas de très forte chaleur, c'est très difficile pour elles de dormir, parce que les enfants eux-mêmes, en bas âge, pleurent toute la nuit. Il fait beaucoup trop chaud, il fait souvent 5 degrés de plus à l'intérieur de ces habitats-là qu'en extérieur. C'est 80% d'humidité, donc vraiment une température ressentie qui est très très élevée. et c'est les mères qui essayent de faire dormir les enfants, de ventiler manuellement parce qu'il y a des coupures d'électricité pour essayer de les rafraîchir. Et la journée, elles ont toute leur charge de travail qui est la même. Et donc, c'est une charge qui se rajoute la nuit et qui n'est pas prise en considération. Ce n'est pas pris en compte par les ONG qui sont très présentes sur les terrains sur lesquels j'étais, ce n'est pas pris en compte par les politiques, les professionnels de santé ne connaissent très peu sur ces effets climatiques, ne sont pas formés en fait sur les effets climatiques. Donc ça leur retombe dessus. Et au sein même du ménage, du foyer, c'est là où les questions de genre sont retrouvées. Quand j'interrogeais les pères, ils me disaient qu'il n'y avait aucun problème, qu'ils dormaient très bien la nuit.

  • Speaker #0

    Oui, c'est effectivement assez explicite. Tu parlais tout à l'heure de la recherche-action. Il y a de plus en plus de scientifiques aujourd'hui qui font des incursions dans la sphère politique pour aider, pour armer les prises de décisions, formuler des propositions législatives au regard de ces résultats de recherche. Est-ce qu'il y a des possibilités de faire des recommandations et de les rendre visibles et de faire en sorte qu'elles soient utilisées par les décideurs ? Et est-ce qu'il est aujourd'hui possible d'encourager les décideurs ? politique à adopter une approche qui soit sensible au genre pour traiter des impacts du changement climatique sur la santé mentale ?

  • Speaker #2

    Oui, alors déjà, pour ça, la recherche a un peu évolué. On parlait tout à l'heure de recherche participative. Il y a toute une question, au Canada, on appelle ça le transfert de connaissances. Le fait de pouvoir, non seulement faire plaidoyer, mais diffuser les résultats de la recherche auprès des décideurs, auprès des communautés. de tous les acteurs, tout au long de la recherche. Et donc maintenant, c'est pris en compte. Dès le moment où on va écrire son projet de recherche, on pense au fait de quelle façon on va chercher à diffuser la connaissance. Il y a même des courtiers en connaissance. Il y a des professionnels qui vont être formés pour pouvoir justement traduire les résultats de recherche en des pistes d'action, en des décisions politiques, en des recommandations qui pourraient être directement actionnales par les décideurs. Pour les questions de santé mentale, C'est en 2022, il y a un rapport de l'OMS qui a produit une policy brief, donc une note politique qui incite justement les décideurs à l'échelle nationale et aux échelles locales de tenir compte de l'impact du climat sur la santé mentale. C'est quelque chose de très important. C'est en train d'être reconnu aujourd'hui par toutes les instances internationales. En revanche, là où tu as raison, c'est que très souvent, malheureusement, les questions du genre ne sont pas reprises. C'est-à-dire qu'on a tendance... apercevoir le climat comme quelque chose qui touche toute la planète et tout le monde. Or, bien sûr, ça touche certes toute la planète, mais pas de la même manière, et toutes les populations pas de la même manière. Et ça impacte davantage les enfants et ça impacte davantage les femmes. Et pour ça, moi j'ai vu très peu de recommandations. Il y a des recommandations de l'OMS, mais au niveau politique, très peu qui tiennent compte vraiment du genre. Et peut-être une des premières choses, c'est... Et on le sait, c'est dans l'espace de décision, quelle est la place des femmes pour décider de ces questions de santé mentale et de changement climatique. Juste pour donner un exemple, pour la préparation de la COP 29, Le pays organisateur n'avait pas intégré de femmes dans son comité d'organisation. Et c'est le groupe activiste féministe SheChange qui a dénoncé ça. Et au final, sur les 28, il y a eu une intégration de 12 femmes. Donc ça, c'est un exemple, mais qui se repose constamment. Et encore plus sur ces questions de santé mentale et de changement climatique, dès que c'est un peu oublié de la sphère publique et de la sphère politique.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup Jean-Marc Goudet de nous avoir permis de mieux comprendre la façon dont les transformations environnementales peuvent générer des conséquences différenciées sur la santé mentale des femmes et de nous avoir souligné l'importance de la recherche-action dans ces domaines. On l'entendait au moins au niveau des décideurs. Je suis Iris Lambert et ce podcast produit par Noria Research a été préparé par Sixtine Derour, Cécile Jean-Mougin, Claire Lefort-Rieu et Camille Abesca. un grand merci à Martin Grandpéré à François-Xavier Bertin et à Robin Cordier de L'Homme Audio qui ont travaillé à la réalisation de cet épisode à bientôt

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Description

Jean-Marc Goudet est l'invité du cinquième épisode de SOUS-TERRAIN, le podcast qui dévoile les rouages de l'enquête de terrain en sciences sociales.


Depuis des années, les images impressionnantes du Bangladesh où l'on voit des rues inondées par des torrents de boue, des toits arrachés par la violence des rafales de vent et des hommes et des femmes qui se serrent dans des gymnases de fortunes, nous sont de plus en plus familières. Pourtant, aussi marquantes soient-elles, ces images ne représentent que les effets immédiats de ces catastrophes climatiques et tendent à invisibiliser les répercussions de ces drames sur le long terme. On sait déjà, par exemple, que le changement climatique est lié à une augmentation de 7 à 40% des troubles mentaux, allant de l'anxiété au psycho-traumatisme et au suicide, avec des risques élevés d'abus de substances et de troubles du sommeil.

Jean-Marc Goudet est médecin et sociologue, et travaille précisément sur les façon dont le changement climatique affecte la santé mentale, notamment au prisme du genre. 


Un podcast écrit par l'équipe de Noria Research: Camille Abescat, Iris Lambert, Sixtine Deroure, Claire Lefort-Rieu et Cécile Jeanmougin.


Ce podcast est co-produit par Noria Research et le CEPED (Centre Population et Développement - IRD - Université de Paris)


Réalisation sonore: Loom audio   


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Sous-titrage ST'501 Bonjour et bienvenue dans Souterrain, le podcast qui dévoile les rouages de l'enquête de terrain en sciences sociales. Qu'est-ce que cela veut dire, faire du terrain ? Qui le chercheur rencontre-t-il au cours d'une enquête ? Au fond, comment fait-on concrètement pour produire des connaissances en sciences sociales ? Chaque épisode du podcast Souterrain vous propose une immersion sonore dans le quotidien d'un chercheur ou d'une chercheuse pour vous faire découvrir de façon inédite l'artisanat de la recherche.

  • Speaker #1

    Sajid Abaigam et sa famille n'ont pas réussi à s'en sortir quand la flotte de sang a touché leur maison. Comme beaucoup d'autres, elle et son mari essayent maintenant de reconstruire leur maison.

  • Speaker #0

    Le vent était presque à la hauteur. Nous n'avons pas eu le temps de salvager la plupart des objets. Quels que soient les objets, ils ont été dégagés.

  • Speaker #1

    Ces voix,

  • Speaker #0

    tirées d'un reportage de Tanvir Chaudhuri pour Al Jazeera, sont celles de deux femmes rescapées des inondations monstres qui ont frappé le sud-est du Bangladesh au mois d'août 2023. Au total, les pluies diluviennes ont entraîné la mort de 55 personnes et fait plus d'un million de sinistrés. Le Bangladesh accueille le plus grand delta du monde où vivent un peu plus de 173 millions d'habitants et d'habitantes. Prise en étau entre la fonte des neiges dans l'Himalaya, au nord du pays, et la montée des eaux de l'océan Indien, au sud, La population du Bangladesh se retrouve en première ligne des conséquences dramatiques du changement climatique. Depuis des années, les images impressionnantes de rues inondées par des torrents de boue, de toits arrachés par la violence des rafales de vent, et d'hommes et de femmes qui se serrent dans des gymnases de fortune encombrés des quelques biens qu'ils auront réussi à sauver, nous sont de plus en plus familières. Pourtant, aussi marquantes soient-elles, ces images ne représentent que les effets immédiats de ces catastrophes climatiques, et tendent à invisibiliser les répercussions de ces drames sur le long terme. Pourtant, on sait déjà par exemple que le changement climatique est lié à une augmentation de 7 à 40% des troubles mentaux, allant de l'anxiété au psychotraumatisme et au suicide, avec des risques élevés d'abus de substances et de troubles du sommeil. Notre invité d'aujourd'hui, Jean-Marc Goudet, est médecin et sociologue, actuellement post-doctorant au Centre Population et Développement de l'Université Paris-Cité. Il travaille précisément sur les façons dont le changement climatique affecte la santé mentale, notamment au prisme du genre. Jean-Marc, bonjour.

  • Speaker #2

    Bonjour Iris.

  • Speaker #0

    Et merci d'être avec nous pour ce nouvel épisode de Souterrain. Il existe une petite particularité dans ton parcours, je l'ai brièvement mentionné, c'est qu'avant d'être sociologue, tu es médecin. Compte tenu du regrettable manque de ponts qui existent actuellement entre sciences dites... Dure et sciences sociales, comment est-ce que tu as, toi, effectué cette transition ? Et puis, comment est-ce que ces deux casquettes se complètent, voire se répondent ?

  • Speaker #2

    Oui, merci pour cette question. En fait, l'histoire est ancienne. Les liens entre anthropologie et médecine, dès le XIXe, pas pour les plus belles pages de l'histoire d'ailleurs, toutes les questions d'eugénisme, il y avait déjà beaucoup de médecins. Donc, la question de l'humain, la façon dont on l'appréhende par les sciences médicales ou par les sciences sociales, C'est une question ancienne. Et personnellement, moi j'ai souhaité me lancer dans des études médicales de manière assez classique. J'ai été déçu assez rapidement. J'ai été déçu, je pense, justement pour ce rapport aux patients, en tout cas dans notre formation dans les années 2000. J'étais assez déçu aussi du pouvoir médical, de tout ce qui recouvrait, de l'interaction, des rapports de force entre médecins et patients. Évidemment qu'on peut faire une bonne médecine en tenant compte de tout ça, mais... La solution que moi j'avais trouvée, c'était de voir du côté des sciences sociales, comment on pouvait s'outiller pour interroger cette question du rapport entre médecins-patients et surtout pour regarder ce qui se passait en dehors de l'hôpital. Et je trouvais notamment que l'interrogatoire médical était souvent très limité, qu'on ne laissait pas le temps ou l'espace aux personnes pour soulever finalement leurs enjeux personnels qui rejoignent les questions de santé. Donc c'est comme ça que j'ai d'abord choisi un internat de santé publique. Donc je me suis, on va dire, éloigné des questions hospitalières. Et au sein de cet internat, j'ai fait des masters en sciences sociales, notamment un master, le master de l'interdisciplinarité en sciences sociales, de l'EHESS et l'ENS. Et là, j'ai été formé. aux outils des sciences sociales et j'ai pu continuer ensuite en sociologie.

  • Speaker #0

    Jusqu'au post-doctorat, donc, à ce stade. Le changement climatique, c'est une réalité pour 100% des personnes de cette planète. On le voit par exemple en France, les effets commencent à se faire sentir. Il y a des sécheresses, du rationnement de l'eau par période dans le sud du pays. Mais du coup, pourquoi est-ce que c'est important de s'intéresser à la question du changement climatique et de son articulation à la santé mentale dans les pays du sud, du sud global, plus particulièrement au Bangladesh ? Et comment est-ce que l'approche par le genre, elle fait sens ? Dans cette région particulièrement.

  • Speaker #2

    Donc c'est à la fois, comme souvent en fait, c'est des enjeux qui s'entrecroisent. Le premier enjeu pour moi, il est strictement professionnel. C'est comment je peux continuer à faire de la recherche en France sur les questions de la santé mentale. Je m'étais spécialisé en santé mentale avec les outils des sciences sociales. Et donc j'ai rejoint une équipe qui travaillait déjà sur ces questions de changement climatique et de santé. Donc, une équipe dirigée par Valérie Ryd, qui est également à l'IRD au CEPED. Et j'ai souhaité donc pouvoir... intégrer ces questions de santé mentale. Et quand j'avais contacté le chercheur, il m'avait dit Ah, les questions de santé mentale sont en train de se poser au Bangladesh, elles sont importantes pour nous, on n'a personne qui travaille sur ces questions, donc on serait ravi, si tu obtiens un financement, de rejoindre l'équipe. Donc, de manière très pragmatique, de l'intérieur, on va dire, voilà comment j'ai pu poser les premières questions. Et ensuite... C'est vrai que ça apparaît comme une question nouvelle qui émerge. Très souvent, on entend la question santé mentale et changement climatique au prisme de l'éco-anxiété. Donc ça, c'est quand on parle souvent des interrogations dans les Nords. C'est aussi toutes les revendications, en fait, de prendre en compte l'écologie au sérieux, des jeunesses, très souvent des femmes, des jeunes générations. Et des pays du Nord, en tout cas, ce qui a été médiatisé, c'est le plus souvent avec Greta, c'était des femmes des pays du Nord, même si ça existait en fait partout dans le monde. Et à ce moment-là, une des questions qui peut se poser, qui est intéressante quand on fait de la santé internationale ou de la santé mondiale, c'est de regarder ce qui se passe en dehors de l'Europe, c'est-à-dire auprès des pays qui sont les plus touchés par le changement climatique. Et le Bangladesh, c'est malheureusement dans le classement. un des dix pays les plus touchés, les plus vulnérables au risque climatique. Donc c'est comme ça que le projet s'est construit autour du Bangladesh et d'Haïti, deux pays parmi les plus touchés au monde sur le changement climatique. Et ensuite, la question du genre, c'est un résultat de l'enquête. Au départ, je voulais enquêter sur les questions des psychotraumas, donc du traumatisme après les forts événements climatiques, les événements... climatique extrême. Donc c'était en fait mon hypothèse et des idées qui sont très occidentales, qu'on voit dans les médias, qui existent bien sûr, mais le plus souvent c'est pas sous cette forme-là que ça s'exprime, c'est sur des formes plus lentes de transformation climatique, de transformation environnementale, et une des conséquences c'est les conséquences du climat sur certaines catégories de population, les femmes et les enfants. Et en fait les femmes sont parmi les plus touchées, peut-être qu'on reviendra à... Plus loin, de quelle manière ? C'est un résultat de l'enquête.

  • Speaker #0

    On reviendra effectivement un tout petit peu plus tard sur précisément les résultats de l'enquête. L'enquête a été menée au Bangladesh. Elle a vocation à se poursuivre sur d'autres théâtres. Tu as parlé d'Haïti. Pour l'instant, il me semble que l'accès est un peu compliqué en raison de la situation politique. Mais il y a des recherches qui vont se faire au Sénégal. Quoi qu'il arrive, c'est à la croisée des sciences sociales, des études de santé, des études sur l'environnement. Et donc, ça implique des approches à la fois... quantitatives et des approches plus qualitatives, compte tenu des rapports de force qui sont parfois difficiles entre ces différents champs de recherche. Comment est-ce que ça s'est articulé, cette interdisciplinarité, dans le cadre des recherches déjà effectuées au Bangladesh ?

  • Speaker #2

    Souvent, quand on soulève la question de l'interdisciplinarité, je me souviens, c'est Florence Weber qui expliquait ça, elle précise souvent que c'est la question de qui pose la question. Est-ce que ce sont les sciences biomédicales ? Est-ce que ce sont les sciences sociales ? Qui va poser, qui énonce la question ? De quelle manière ? Et la deuxième chose, qui est presque une prérogative, c'est la traduction des termes. En fait, c'est les deux difficultés qu'on rencontre toujours, c'est-à-dire qui pose la question, c'est aussi qui obtient le financement, est-ce que c'est une équipe de chercheurs, de biostatistiques, de sciences dites dures, ou au contraire d'anthropologues, de sociologues qui ont obtenu le financement avec une question ou une problématique de sciences sociales. Et ensuite, c'est la question du dialogue entre les chercheurs, comment on va arriver à se comprendre. Et c'est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît en fait. Très souvent, il peut y avoir beaucoup de confusion parce qu'on utilise des termes qui se ressemblent. On a l'impression de se comprendre, c'est au moment du résultat ou au moment de la mise en pratique, on se rend compte qu'on a... a vraiment des approches très différentes.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu aurais un exemple de ces termes qui ont eu du mal à avoir des résonances précisément dans les différents champs disciplinaires ?

  • Speaker #2

    Par exemple, une des difficultés, je trouve, et c'est quelque chose qu'on n'a pas précisé, c'est sur le terrain au Bangladesh, je travaille avec l'équipe de la BRAC Université, et donc avec des assistants de recherche qui sont bangladais, et donc qui me permettent également de traduire le bangla pour préparer l'enquête en santé publique ou dans les sciences dites plus dures, entre guillemets. Très souvent, quand on énonce les questions de l'entretien, il nous faut l'ensemble des questions de manière très précise, etc. En anthropologie, quand on fait de l'ethnographie, au contraire, on veut des formulations très larges, on veut que ce soit vraiment une discussion. Et ce qui peut paraître comme du bricolage pour des sciences dures, est en fait sans doute du bricolage, mais extrêmement important, parce qu'il permet au contraire d'établir de vraies relations avec les personnes. et donc aussi d'avoir une meilleure qualité des données, une fiabilité des données. Donc ce qui pourrait paraître comme quelque chose de l'à peu près, au contraire, est une garantie que le travail puisse ensuite se faire correctement et avec rigueur.

  • Speaker #0

    Cette interdisciplinarité précisément des termes, de la traduction des termes ou de la spécification des termes, il y a aussi les problèmes des différentes méthodes de collecte des données, puis de la gestion de ces dernières, le tout dans des lieux multiples, à la fois en zone rurale. En zone urbaine, comment est-ce qu'on mène une étude de cas multiples de cette ampleur ?

  • Speaker #2

    Alors oui, pour l'enquête, il y avait deux terrains qui avaient été choisis, un terrain en zone urbaine Dans un bidonville de la capitale, Dhaka, et un terrain dans une zone au sud-ouest du pays qui est plus touchée par les événements climatiques aigus, en zone rurale, c'était des manières de voir comment les transformations environnementales affectent différemment ces communautés, qui sont dans les deux cas des communautés pauvres, vulnérables. Dans le bidonville, très souvent les personnes venaient de la campagne, pas forcément du terrain où on était, mais d'autres endroits du Bangladesh. Alors il y avait... Donc c'est l'interdisciplinarité. Il y avait une partie, en tout cas pour l'équipe de santé publique, qui travaillait à partir de questionnaires et à partir de statistiques sur un échantillonnage, donc quelque chose qui est assez classique en sciences médicales ou en santé publique, sur 500 foyers, 500 ménages qui avaient été choisis dans chacun des deux sites. Et pour ma partie, pour l'ethnographie, j'ai fait ce qu'on fait toujours en ethnographie, on cherche à avoir un milieu d'interconnaissance, c'est-à-dire des personnes que l'on rencontre au même endroit, plusieurs fois au long cours. Et donc j'avais rencontré, et j'avais finalement pas vraiment choisi, en tout cas peut-être qu'on s'est choisi aussi, une quinzaine de personnes, une quinzaine de ménages, une quinzaine de familles dans chaque terrain, avec lesquelles j'ai eu des premières discussions, j'ai réalisé des entretiens, et je suis revenu trois fois, et à chaque fois j'allais auprès des mêmes personnes réaliser les entretiens au sein des familles, des entretiens avec la mère, le père, les adolescentes, etc.

  • Speaker #0

    Alors précisément, compte tenu du sujet même de ta recherche, ces ethnographies, elles se font auprès de personnes vulnérables qui habitent peut-être dans des habitats précaires, dans des zones à risque. Est-ce que tu pourrais nous raconter précisément où est-ce que tu as pu te rendre ? Donc on a eu un petit détail des interlocuteurs, mais si tu pourrais aussi nous en dire un peu plus. Aussi, si ton expérience de médecin t'a permis d'avoir quelques outils pour discuter avec ces personnes, sans prendre le risque d'exercer une forme de violence supplémentaire face à des personnages qui ont certainement été traumatisés.

  • Speaker #2

    Oui, c'est exactement les enjeux que j'avais en tête, tu les énonces très bien. Effectivement, la pratique médicale socialiste nous permet peut-être, je ne sais pas comment le dire, mais on est amené à rencontrer des personnes en situation de grande vulnérabilité en France, en situation de très grande pauvreté. et il y a un interrogatoire médical qui est réalisé, c'est-à-dire qu'on est formé à ça. Pour autant, on ne tient pas forcément compte des rapports de force qu'on exerce quand on pose les questions, des rapports de force qui sont dans la relation entre médecin et patient. Donc on a fait une partie du travail, mais il reste toute la seconde partie, qu'on appelle parfois de la réflexivité. Donc dans l'ethnographie réflexive, ce qui va être très important, ça va être de penser la relation d'enquête et sa position, comment on est perçu par les autres. Comment notre recherche est-elle perçue ? par les populations que l'on enquête, et comment soi-même on est perçu. Donc moi, je suis un homme, je suis un homme noir, je suis franco-bourondais, je suis identifié, pas de la même manière que mes collègues qui sont par exemple français, qui sont blancs, et j'ai 38 ans. Et donc tout ça va jouer dans la relation avec les personnes. On va me demander par exemple si je suis marié, on va me demander si j'ai des enfants, etc. Et ensuite, la chose qui a été peut-être la plus difficile sur ce terrain-là, Et donc là, je peux rentrer un peu plus dans le détail. Dans le bidonville, on avait choisi les habitats les plus fragiles, qui étaient les plus exposés aux intempéries. Et donc, c'était des bidonvilles surpilotis. situé sur un lac, donc extrêmement vulnérable, puisque lors de fortes pluies, il y a une montée des eaux du lac, et également par le toit, puisque c'est très fragile et pas du tout imperméable. Et au sein de ces bidonvilles, donc c'est des chambres de peut-être 10 mètres carrés, il y a souvent une petite famille, une partie de la famille, donc souvent le couple avec un ou deux enfants. Parfois, les aînés sont toujours au village. Donc quatre personnes et ces chambres-là, très souvent on appelle ça des djouperies, il peut y avoir cinq, six chambres autour d'une courrée. Avec une cuisine collective, une cuisine commune. Et donc j'allais dans ces juperies et j'arpentais au sein de chaque chambre et j'essayais de rencontrer quand les personnes étaient disponibles. Je discutais avec les personnes et puis ensuite j'essayais de solliciter un entretien. Et surtout pour les questions de santé mentale, mais de manière générale, ce qui était très important c'était d'avoir le calme et d'être seul avec la personne, en tout cas avec le chercheur, mon collègue du Bangladesh. D'être seul avec la personne, ça c'était des questions qui étaient parfois difficiles. Et ensuite, pour répondre à ta question, parce que je n'ai toujours pas répondu, c'est les personnes elles-mêmes qui m'ont en fait soulevé ma position. À la fin de la première semaine d'enquête, dans ce bidonville, il y a quelqu'un qui est un leader que je rencontrerai un peu plus tard, qui m'a dit, qui s'est énervé et qui a dit, vous venez toujours poser des questions, il ne se passe toujours rien après votre présence. Donc c'est très facile pour vous de venir. poser ces questions. Dans le bidonville, on était plutôt identifiés comme des ONG, pas forcément étrangers, mais en tout cas vraiment des ONG. Et en gros, ils disaient, avec une énorme colère, Qu'est-ce que vous venez faire, si ce n'est que pour poser des questions ? Et ça, pour moi, ça m'a énormément questionné tout au long. Quelle est ma place ? Les personnes elles-mêmes, pas la première fois, mais au bout d'un moment, quand on a des relations avec elles, elles m'ont demandé de faire quelque chose pour elles. Pas simplement de donner de l'argent ou des choses qu'on retrouve plus classiquement en anthropologie, liées aux conditions climatiques. C'est-à-dire, quand on travaille sur le climat, on ne peut pas simplement dire, eh bien, je viens juste comprendre les effets et je repars. En tout cas, c'est très difficile. D'autant plus qu'on vient du Nord, qu'on sait très bien et que les communautés savent très bien qu'une partie des problèmes, il y a toute une question de justice sociale. C'est les pays du Nord qui ont aussi causé ces émissions de gaz à effet de serre, que les financements viennent du Nord pour le changement climatique, pour lutter contre les effets. Et donc, elles vous interrogent pour dire quelles solutions vous venez apporter. Alors, pour moi, c'était ça en fait la plus grande difficulté par rapport à ces situations, à ces écarts de niveau de vie. Le fait, bien sûr, que moi ensuite j'allais rentrer en France, mais surtout... En fait, je suis venu pourquoi ? Très souvent, on est habitué en ethnographie, en tout cas, on sait que chacun s'instrumentalise, c'est-à-dire on instrumentalise ces personnes parce qu'on souhaite quand même faire de la science et donc obtenir certaines informations, mais les personnes aussi, les personnes enquêtées aussi, même les plus vulnérables, elles vont vous instrumentaliser parce que ça fait vous appartenir à leur réseau, etc. Mais là, c'était un autre type de question, c'était vraiment la question concrètement maintenant, qu'est-ce que vous allez faire ? Donc moi, peut-être que ça, ça a été très important. Et je n'avais pas du tout été même formé, en tout cas pour faire de la recherche action, des recherches participatives, même si maintenant c'est de plus en plus important. J'étais obligé d'entendre ça.

  • Speaker #0

    C'est d'autant que les rapports de domination et la question de la vulnérabilité, elles ne se posent pas que vis-à-vis des enquêtés, mais peut-être aussi vis-à-vis des collaborateurs, puisque cette recherche a été le fruit d'un travail commun avec les universités, des partenariats avec des chercheurs et des chercheuses du Bangladesh. Comment est-ce qu'ils se sont manifestés ces rapports de force et de domination nord-sud dans ce cas de figure ? Et quels enjeux éthiques est-ce que toi, ça t'a posé sur le terrain ?

  • Speaker #2

    Oui, merci Ancoune-Mérisse. C'est une question qui est compliquée et qui est très importante. C'est les questions de la colonialité, c'est toutes les questions post-coloniales qui traversent aussi les questions en recherche, en santé mondiale. En tout cas, dans la recherche actuelle, la recherche est internationale, les financements sont internationaux, mais il y a des énormes inégalités. On reproduit en fait le monde social au sein de la recherche. Donc on reproduit les dominations de genre, bien sûr, de classe, et également toute l'histoire coloniale est reproduite puisque... Ce sont les grandes institutions internationales des Nords qui obtiennent les financements, qui sont souvent aussi à l'origine des financements, et qui vont imposer la question de recherche et très souvent la solution. Et c'est là où ça pose problème, c'est quand on vient avec notre solution pour l'imposer de nouveau auprès de ces communautés, auprès de ces personnes, mais aussi auprès des chercheurs parfois. C'est-à-dire qu'on ne fait pas forcément la science de la même façon, parce que la science dite moderne, elle est façonnée. par un ensemble de patterns, de recommandations qui sont établies par les grandes institutions nord-américaines et anglaises principalement. Et même la France en sciences sociales a résisté très longtemps. Et simplement la pression à la publication, c'est parce que c'est un business, bien sûr. C'est des questions économiques qui régissent la science. Et donc on va nous aussi imposer ces questions-là. Et concrètement, comment ça s'est posé ? De manière complexe, mais ça a été toujours présent, en tout cas de mon point de vue. C'était toujours présent parce que c'est un financement qui a été obtenu. par la France. C'est-à-dire que le Bangladesh n'a pas répondu au départ, en tout cas n'a pas décidé de répondre à ce financement, même si l'équipe a rejoint... Le projet a été écrit avec la France, le Bangladesh et Haïti. Mais la personne principale qui a obtenu le financement, c'est un laboratoire français et c'est un chercheur français. Et ensuite, la question du changement climatique, c'est aussi une question qui vient du Nord, pour la responsabilité historique, mais aussi parce que maintenant... Il y a des financements qui sont débloqués quand on parle de changement climatique. Et donc c'est très difficile pour les pays des Sud de dire ah ben non, on ne veut pas travailler là-dessus alors qu'ils sont touchés, mais ce n'est peut-être pas les priorités pour eux, pour le pays, pour la recherche. Ce n'est pas forcément les priorités. Et pour autant, les financements commencent à être conséquents. Et les rapports de force dans la recherche, ils s'expriment souvent sur... sur des choses très simples. Est-ce qu'on va utiliser votre questionnaire ou pas ? Est-ce que votre question de recherche va être prise au sérieux ou pas ? Moi, ce qui est un peu plus compliqué, c'est que je suis venu à la fin du projet. Je suis venu en 2022, le projet a débuté en 2019, même si avec le Covid, il y a eu des années qui ont été plus petites, le projet n'a pas pu avancer comme voulu. Les questions de santé mentale étaient un peu plus annexes et n'étaient pas prioritaires pour les chercheurs au départ, même si aujourd'hui elles sont reconnues comme très importantes par l'équipe de recherche au Bangladesh. Il y a des rapports de force entre les équipes, des rapports de force sur... finalement, comment on décide quelle est la question qui va être importante. À chaque fois, je n'ai pas de moment particulier, de décision, mais à chaque fois, en fait, quand on va sur le terrain, ces questions-là qui se reposent, qui se reformulent différemment. Et ce que ça m'a permis, en tout cas, de comprendre, c'est qu'il faut, à tout prix, que l'appropriation de la question de recherche, même si le projet, le financement a été obtenu par le Nord, puisse se faire par les pays des Sud. Mais c'est un dialogue et c'est un enjeu qui est constant et je pense qu'il est difficile d'avoir une solution.

  • Speaker #0

    En tout cas, bon an, mal an, il y a eu cette recherche qui est venue confirmer les effets dangereux du changement climatique pour la santé mentale de celles et ceux qui y sont immédiatement exposés. Peut-être que cette recherche a aussi permis de faire émerger des conséquences plus inattendues. Est-ce que tu pourrais nous en détailler quelques-uns de ces résultats et peut-être nous détailler les enjeux de genre de manière un peu plus précise ?

  • Speaker #2

    Le premier résultat pour moi, c'est le fait que les communautés, donc les plus vulnérables, avaient aucune difficulté à parler des questions de santé mentale. Et souvent, on m'avait dit d'ailleurs, pour ces questions aussi parfois coloniales, tu viens poser tes questions de santé mentale du Nord. Évidemment qu'elles se formulent différemment, mais elles étaient vraiment très bien comprises et surtout, je n'ai aucune difficulté à discuter avec les personnes sur ces enjeux-là. Et le premier résultat, c'est que les mères, en réalité, avaient énormément de choses à dire là-dessus. L'un des premiers constats, c'est le fait qu'on pourrait dire qu'elles souffraient silencieusement, qu'elles souffrent silencieusement. C'est-à-dire que c'était une question, elles étaient très surprises que je pose cette question. Souvent, j'ai néancé la question de santé mentale à la fin de la discussion en leur demandant... Comment dormaient les enfants ? Comment elles dormaient ? Et là, les choses étaient amenées, elles pouvaient sortir. Et ce qui revenait très souvent, c'était le fait que, par exemple, en cas de très forte chaleur, c'est très difficile pour elles de dormir, parce que les enfants eux-mêmes, en bas âge, pleurent toute la nuit. Il fait beaucoup trop chaud, il fait souvent 5 degrés de plus à l'intérieur de ces habitats-là qu'en extérieur. C'est 80% d'humidité, donc vraiment une température ressentie qui est très très élevée. et c'est les mères qui essayent de faire dormir les enfants, de ventiler manuellement parce qu'il y a des coupures d'électricité pour essayer de les rafraîchir. Et la journée, elles ont toute leur charge de travail qui est la même. Et donc, c'est une charge qui se rajoute la nuit et qui n'est pas prise en considération. Ce n'est pas pris en compte par les ONG qui sont très présentes sur les terrains sur lesquels j'étais, ce n'est pas pris en compte par les politiques, les professionnels de santé ne connaissent très peu sur ces effets climatiques, ne sont pas formés en fait sur les effets climatiques. Donc ça leur retombe dessus. Et au sein même du ménage, du foyer, c'est là où les questions de genre sont retrouvées. Quand j'interrogeais les pères, ils me disaient qu'il n'y avait aucun problème, qu'ils dormaient très bien la nuit.

  • Speaker #0

    Oui, c'est effectivement assez explicite. Tu parlais tout à l'heure de la recherche-action. Il y a de plus en plus de scientifiques aujourd'hui qui font des incursions dans la sphère politique pour aider, pour armer les prises de décisions, formuler des propositions législatives au regard de ces résultats de recherche. Est-ce qu'il y a des possibilités de faire des recommandations et de les rendre visibles et de faire en sorte qu'elles soient utilisées par les décideurs ? Et est-ce qu'il est aujourd'hui possible d'encourager les décideurs ? politique à adopter une approche qui soit sensible au genre pour traiter des impacts du changement climatique sur la santé mentale ?

  • Speaker #2

    Oui, alors déjà, pour ça, la recherche a un peu évolué. On parlait tout à l'heure de recherche participative. Il y a toute une question, au Canada, on appelle ça le transfert de connaissances. Le fait de pouvoir, non seulement faire plaidoyer, mais diffuser les résultats de la recherche auprès des décideurs, auprès des communautés. de tous les acteurs, tout au long de la recherche. Et donc maintenant, c'est pris en compte. Dès le moment où on va écrire son projet de recherche, on pense au fait de quelle façon on va chercher à diffuser la connaissance. Il y a même des courtiers en connaissance. Il y a des professionnels qui vont être formés pour pouvoir justement traduire les résultats de recherche en des pistes d'action, en des décisions politiques, en des recommandations qui pourraient être directement actionnales par les décideurs. Pour les questions de santé mentale, C'est en 2022, il y a un rapport de l'OMS qui a produit une policy brief, donc une note politique qui incite justement les décideurs à l'échelle nationale et aux échelles locales de tenir compte de l'impact du climat sur la santé mentale. C'est quelque chose de très important. C'est en train d'être reconnu aujourd'hui par toutes les instances internationales. En revanche, là où tu as raison, c'est que très souvent, malheureusement, les questions du genre ne sont pas reprises. C'est-à-dire qu'on a tendance... apercevoir le climat comme quelque chose qui touche toute la planète et tout le monde. Or, bien sûr, ça touche certes toute la planète, mais pas de la même manière, et toutes les populations pas de la même manière. Et ça impacte davantage les enfants et ça impacte davantage les femmes. Et pour ça, moi j'ai vu très peu de recommandations. Il y a des recommandations de l'OMS, mais au niveau politique, très peu qui tiennent compte vraiment du genre. Et peut-être une des premières choses, c'est... Et on le sait, c'est dans l'espace de décision, quelle est la place des femmes pour décider de ces questions de santé mentale et de changement climatique. Juste pour donner un exemple, pour la préparation de la COP 29, Le pays organisateur n'avait pas intégré de femmes dans son comité d'organisation. Et c'est le groupe activiste féministe SheChange qui a dénoncé ça. Et au final, sur les 28, il y a eu une intégration de 12 femmes. Donc ça, c'est un exemple, mais qui se repose constamment. Et encore plus sur ces questions de santé mentale et de changement climatique, dès que c'est un peu oublié de la sphère publique et de la sphère politique.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup Jean-Marc Goudet de nous avoir permis de mieux comprendre la façon dont les transformations environnementales peuvent générer des conséquences différenciées sur la santé mentale des femmes et de nous avoir souligné l'importance de la recherche-action dans ces domaines. On l'entendait au moins au niveau des décideurs. Je suis Iris Lambert et ce podcast produit par Noria Research a été préparé par Sixtine Derour, Cécile Jean-Mougin, Claire Lefort-Rieu et Camille Abesca. un grand merci à Martin Grandpéré à François-Xavier Bertin et à Robin Cordier de L'Homme Audio qui ont travaillé à la réalisation de cet épisode à bientôt

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Jean-Marc Goudet est l'invité du cinquième épisode de SOUS-TERRAIN, le podcast qui dévoile les rouages de l'enquête de terrain en sciences sociales.


Depuis des années, les images impressionnantes du Bangladesh où l'on voit des rues inondées par des torrents de boue, des toits arrachés par la violence des rafales de vent et des hommes et des femmes qui se serrent dans des gymnases de fortunes, nous sont de plus en plus familières. Pourtant, aussi marquantes soient-elles, ces images ne représentent que les effets immédiats de ces catastrophes climatiques et tendent à invisibiliser les répercussions de ces drames sur le long terme. On sait déjà, par exemple, que le changement climatique est lié à une augmentation de 7 à 40% des troubles mentaux, allant de l'anxiété au psycho-traumatisme et au suicide, avec des risques élevés d'abus de substances et de troubles du sommeil.

Jean-Marc Goudet est médecin et sociologue, et travaille précisément sur les façon dont le changement climatique affecte la santé mentale, notamment au prisme du genre. 


Un podcast écrit par l'équipe de Noria Research: Camille Abescat, Iris Lambert, Sixtine Deroure, Claire Lefort-Rieu et Cécile Jeanmougin.


Ce podcast est co-produit par Noria Research et le CEPED (Centre Population et Développement - IRD - Université de Paris)


Réalisation sonore: Loom audio   


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Sous-titrage ST'501 Bonjour et bienvenue dans Souterrain, le podcast qui dévoile les rouages de l'enquête de terrain en sciences sociales. Qu'est-ce que cela veut dire, faire du terrain ? Qui le chercheur rencontre-t-il au cours d'une enquête ? Au fond, comment fait-on concrètement pour produire des connaissances en sciences sociales ? Chaque épisode du podcast Souterrain vous propose une immersion sonore dans le quotidien d'un chercheur ou d'une chercheuse pour vous faire découvrir de façon inédite l'artisanat de la recherche.

  • Speaker #1

    Sajid Abaigam et sa famille n'ont pas réussi à s'en sortir quand la flotte de sang a touché leur maison. Comme beaucoup d'autres, elle et son mari essayent maintenant de reconstruire leur maison.

  • Speaker #0

    Le vent était presque à la hauteur. Nous n'avons pas eu le temps de salvager la plupart des objets. Quels que soient les objets, ils ont été dégagés.

  • Speaker #1

    Ces voix,

  • Speaker #0

    tirées d'un reportage de Tanvir Chaudhuri pour Al Jazeera, sont celles de deux femmes rescapées des inondations monstres qui ont frappé le sud-est du Bangladesh au mois d'août 2023. Au total, les pluies diluviennes ont entraîné la mort de 55 personnes et fait plus d'un million de sinistrés. Le Bangladesh accueille le plus grand delta du monde où vivent un peu plus de 173 millions d'habitants et d'habitantes. Prise en étau entre la fonte des neiges dans l'Himalaya, au nord du pays, et la montée des eaux de l'océan Indien, au sud, La population du Bangladesh se retrouve en première ligne des conséquences dramatiques du changement climatique. Depuis des années, les images impressionnantes de rues inondées par des torrents de boue, de toits arrachés par la violence des rafales de vent, et d'hommes et de femmes qui se serrent dans des gymnases de fortune encombrés des quelques biens qu'ils auront réussi à sauver, nous sont de plus en plus familières. Pourtant, aussi marquantes soient-elles, ces images ne représentent que les effets immédiats de ces catastrophes climatiques, et tendent à invisibiliser les répercussions de ces drames sur le long terme. Pourtant, on sait déjà par exemple que le changement climatique est lié à une augmentation de 7 à 40% des troubles mentaux, allant de l'anxiété au psychotraumatisme et au suicide, avec des risques élevés d'abus de substances et de troubles du sommeil. Notre invité d'aujourd'hui, Jean-Marc Goudet, est médecin et sociologue, actuellement post-doctorant au Centre Population et Développement de l'Université Paris-Cité. Il travaille précisément sur les façons dont le changement climatique affecte la santé mentale, notamment au prisme du genre. Jean-Marc, bonjour.

  • Speaker #2

    Bonjour Iris.

  • Speaker #0

    Et merci d'être avec nous pour ce nouvel épisode de Souterrain. Il existe une petite particularité dans ton parcours, je l'ai brièvement mentionné, c'est qu'avant d'être sociologue, tu es médecin. Compte tenu du regrettable manque de ponts qui existent actuellement entre sciences dites... Dure et sciences sociales, comment est-ce que tu as, toi, effectué cette transition ? Et puis, comment est-ce que ces deux casquettes se complètent, voire se répondent ?

  • Speaker #2

    Oui, merci pour cette question. En fait, l'histoire est ancienne. Les liens entre anthropologie et médecine, dès le XIXe, pas pour les plus belles pages de l'histoire d'ailleurs, toutes les questions d'eugénisme, il y avait déjà beaucoup de médecins. Donc, la question de l'humain, la façon dont on l'appréhende par les sciences médicales ou par les sciences sociales, C'est une question ancienne. Et personnellement, moi j'ai souhaité me lancer dans des études médicales de manière assez classique. J'ai été déçu assez rapidement. J'ai été déçu, je pense, justement pour ce rapport aux patients, en tout cas dans notre formation dans les années 2000. J'étais assez déçu aussi du pouvoir médical, de tout ce qui recouvrait, de l'interaction, des rapports de force entre médecins et patients. Évidemment qu'on peut faire une bonne médecine en tenant compte de tout ça, mais... La solution que moi j'avais trouvée, c'était de voir du côté des sciences sociales, comment on pouvait s'outiller pour interroger cette question du rapport entre médecins-patients et surtout pour regarder ce qui se passait en dehors de l'hôpital. Et je trouvais notamment que l'interrogatoire médical était souvent très limité, qu'on ne laissait pas le temps ou l'espace aux personnes pour soulever finalement leurs enjeux personnels qui rejoignent les questions de santé. Donc c'est comme ça que j'ai d'abord choisi un internat de santé publique. Donc je me suis, on va dire, éloigné des questions hospitalières. Et au sein de cet internat, j'ai fait des masters en sciences sociales, notamment un master, le master de l'interdisciplinarité en sciences sociales, de l'EHESS et l'ENS. Et là, j'ai été formé. aux outils des sciences sociales et j'ai pu continuer ensuite en sociologie.

  • Speaker #0

    Jusqu'au post-doctorat, donc, à ce stade. Le changement climatique, c'est une réalité pour 100% des personnes de cette planète. On le voit par exemple en France, les effets commencent à se faire sentir. Il y a des sécheresses, du rationnement de l'eau par période dans le sud du pays. Mais du coup, pourquoi est-ce que c'est important de s'intéresser à la question du changement climatique et de son articulation à la santé mentale dans les pays du sud, du sud global, plus particulièrement au Bangladesh ? Et comment est-ce que l'approche par le genre, elle fait sens ? Dans cette région particulièrement.

  • Speaker #2

    Donc c'est à la fois, comme souvent en fait, c'est des enjeux qui s'entrecroisent. Le premier enjeu pour moi, il est strictement professionnel. C'est comment je peux continuer à faire de la recherche en France sur les questions de la santé mentale. Je m'étais spécialisé en santé mentale avec les outils des sciences sociales. Et donc j'ai rejoint une équipe qui travaillait déjà sur ces questions de changement climatique et de santé. Donc, une équipe dirigée par Valérie Ryd, qui est également à l'IRD au CEPED. Et j'ai souhaité donc pouvoir... intégrer ces questions de santé mentale. Et quand j'avais contacté le chercheur, il m'avait dit Ah, les questions de santé mentale sont en train de se poser au Bangladesh, elles sont importantes pour nous, on n'a personne qui travaille sur ces questions, donc on serait ravi, si tu obtiens un financement, de rejoindre l'équipe. Donc, de manière très pragmatique, de l'intérieur, on va dire, voilà comment j'ai pu poser les premières questions. Et ensuite... C'est vrai que ça apparaît comme une question nouvelle qui émerge. Très souvent, on entend la question santé mentale et changement climatique au prisme de l'éco-anxiété. Donc ça, c'est quand on parle souvent des interrogations dans les Nords. C'est aussi toutes les revendications, en fait, de prendre en compte l'écologie au sérieux, des jeunesses, très souvent des femmes, des jeunes générations. Et des pays du Nord, en tout cas, ce qui a été médiatisé, c'est le plus souvent avec Greta, c'était des femmes des pays du Nord, même si ça existait en fait partout dans le monde. Et à ce moment-là, une des questions qui peut se poser, qui est intéressante quand on fait de la santé internationale ou de la santé mondiale, c'est de regarder ce qui se passe en dehors de l'Europe, c'est-à-dire auprès des pays qui sont les plus touchés par le changement climatique. Et le Bangladesh, c'est malheureusement dans le classement. un des dix pays les plus touchés, les plus vulnérables au risque climatique. Donc c'est comme ça que le projet s'est construit autour du Bangladesh et d'Haïti, deux pays parmi les plus touchés au monde sur le changement climatique. Et ensuite, la question du genre, c'est un résultat de l'enquête. Au départ, je voulais enquêter sur les questions des psychotraumas, donc du traumatisme après les forts événements climatiques, les événements... climatique extrême. Donc c'était en fait mon hypothèse et des idées qui sont très occidentales, qu'on voit dans les médias, qui existent bien sûr, mais le plus souvent c'est pas sous cette forme-là que ça s'exprime, c'est sur des formes plus lentes de transformation climatique, de transformation environnementale, et une des conséquences c'est les conséquences du climat sur certaines catégories de population, les femmes et les enfants. Et en fait les femmes sont parmi les plus touchées, peut-être qu'on reviendra à... Plus loin, de quelle manière ? C'est un résultat de l'enquête.

  • Speaker #0

    On reviendra effectivement un tout petit peu plus tard sur précisément les résultats de l'enquête. L'enquête a été menée au Bangladesh. Elle a vocation à se poursuivre sur d'autres théâtres. Tu as parlé d'Haïti. Pour l'instant, il me semble que l'accès est un peu compliqué en raison de la situation politique. Mais il y a des recherches qui vont se faire au Sénégal. Quoi qu'il arrive, c'est à la croisée des sciences sociales, des études de santé, des études sur l'environnement. Et donc, ça implique des approches à la fois... quantitatives et des approches plus qualitatives, compte tenu des rapports de force qui sont parfois difficiles entre ces différents champs de recherche. Comment est-ce que ça s'est articulé, cette interdisciplinarité, dans le cadre des recherches déjà effectuées au Bangladesh ?

  • Speaker #2

    Souvent, quand on soulève la question de l'interdisciplinarité, je me souviens, c'est Florence Weber qui expliquait ça, elle précise souvent que c'est la question de qui pose la question. Est-ce que ce sont les sciences biomédicales ? Est-ce que ce sont les sciences sociales ? Qui va poser, qui énonce la question ? De quelle manière ? Et la deuxième chose, qui est presque une prérogative, c'est la traduction des termes. En fait, c'est les deux difficultés qu'on rencontre toujours, c'est-à-dire qui pose la question, c'est aussi qui obtient le financement, est-ce que c'est une équipe de chercheurs, de biostatistiques, de sciences dites dures, ou au contraire d'anthropologues, de sociologues qui ont obtenu le financement avec une question ou une problématique de sciences sociales. Et ensuite, c'est la question du dialogue entre les chercheurs, comment on va arriver à se comprendre. Et c'est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît en fait. Très souvent, il peut y avoir beaucoup de confusion parce qu'on utilise des termes qui se ressemblent. On a l'impression de se comprendre, c'est au moment du résultat ou au moment de la mise en pratique, on se rend compte qu'on a... a vraiment des approches très différentes.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu aurais un exemple de ces termes qui ont eu du mal à avoir des résonances précisément dans les différents champs disciplinaires ?

  • Speaker #2

    Par exemple, une des difficultés, je trouve, et c'est quelque chose qu'on n'a pas précisé, c'est sur le terrain au Bangladesh, je travaille avec l'équipe de la BRAC Université, et donc avec des assistants de recherche qui sont bangladais, et donc qui me permettent également de traduire le bangla pour préparer l'enquête en santé publique ou dans les sciences dites plus dures, entre guillemets. Très souvent, quand on énonce les questions de l'entretien, il nous faut l'ensemble des questions de manière très précise, etc. En anthropologie, quand on fait de l'ethnographie, au contraire, on veut des formulations très larges, on veut que ce soit vraiment une discussion. Et ce qui peut paraître comme du bricolage pour des sciences dures, est en fait sans doute du bricolage, mais extrêmement important, parce qu'il permet au contraire d'établir de vraies relations avec les personnes. et donc aussi d'avoir une meilleure qualité des données, une fiabilité des données. Donc ce qui pourrait paraître comme quelque chose de l'à peu près, au contraire, est une garantie que le travail puisse ensuite se faire correctement et avec rigueur.

  • Speaker #0

    Cette interdisciplinarité précisément des termes, de la traduction des termes ou de la spécification des termes, il y a aussi les problèmes des différentes méthodes de collecte des données, puis de la gestion de ces dernières, le tout dans des lieux multiples, à la fois en zone rurale. En zone urbaine, comment est-ce qu'on mène une étude de cas multiples de cette ampleur ?

  • Speaker #2

    Alors oui, pour l'enquête, il y avait deux terrains qui avaient été choisis, un terrain en zone urbaine Dans un bidonville de la capitale, Dhaka, et un terrain dans une zone au sud-ouest du pays qui est plus touchée par les événements climatiques aigus, en zone rurale, c'était des manières de voir comment les transformations environnementales affectent différemment ces communautés, qui sont dans les deux cas des communautés pauvres, vulnérables. Dans le bidonville, très souvent les personnes venaient de la campagne, pas forcément du terrain où on était, mais d'autres endroits du Bangladesh. Alors il y avait... Donc c'est l'interdisciplinarité. Il y avait une partie, en tout cas pour l'équipe de santé publique, qui travaillait à partir de questionnaires et à partir de statistiques sur un échantillonnage, donc quelque chose qui est assez classique en sciences médicales ou en santé publique, sur 500 foyers, 500 ménages qui avaient été choisis dans chacun des deux sites. Et pour ma partie, pour l'ethnographie, j'ai fait ce qu'on fait toujours en ethnographie, on cherche à avoir un milieu d'interconnaissance, c'est-à-dire des personnes que l'on rencontre au même endroit, plusieurs fois au long cours. Et donc j'avais rencontré, et j'avais finalement pas vraiment choisi, en tout cas peut-être qu'on s'est choisi aussi, une quinzaine de personnes, une quinzaine de ménages, une quinzaine de familles dans chaque terrain, avec lesquelles j'ai eu des premières discussions, j'ai réalisé des entretiens, et je suis revenu trois fois, et à chaque fois j'allais auprès des mêmes personnes réaliser les entretiens au sein des familles, des entretiens avec la mère, le père, les adolescentes, etc.

  • Speaker #0

    Alors précisément, compte tenu du sujet même de ta recherche, ces ethnographies, elles se font auprès de personnes vulnérables qui habitent peut-être dans des habitats précaires, dans des zones à risque. Est-ce que tu pourrais nous raconter précisément où est-ce que tu as pu te rendre ? Donc on a eu un petit détail des interlocuteurs, mais si tu pourrais aussi nous en dire un peu plus. Aussi, si ton expérience de médecin t'a permis d'avoir quelques outils pour discuter avec ces personnes, sans prendre le risque d'exercer une forme de violence supplémentaire face à des personnages qui ont certainement été traumatisés.

  • Speaker #2

    Oui, c'est exactement les enjeux que j'avais en tête, tu les énonces très bien. Effectivement, la pratique médicale socialiste nous permet peut-être, je ne sais pas comment le dire, mais on est amené à rencontrer des personnes en situation de grande vulnérabilité en France, en situation de très grande pauvreté. et il y a un interrogatoire médical qui est réalisé, c'est-à-dire qu'on est formé à ça. Pour autant, on ne tient pas forcément compte des rapports de force qu'on exerce quand on pose les questions, des rapports de force qui sont dans la relation entre médecin et patient. Donc on a fait une partie du travail, mais il reste toute la seconde partie, qu'on appelle parfois de la réflexivité. Donc dans l'ethnographie réflexive, ce qui va être très important, ça va être de penser la relation d'enquête et sa position, comment on est perçu par les autres. Comment notre recherche est-elle perçue ? par les populations que l'on enquête, et comment soi-même on est perçu. Donc moi, je suis un homme, je suis un homme noir, je suis franco-bourondais, je suis identifié, pas de la même manière que mes collègues qui sont par exemple français, qui sont blancs, et j'ai 38 ans. Et donc tout ça va jouer dans la relation avec les personnes. On va me demander par exemple si je suis marié, on va me demander si j'ai des enfants, etc. Et ensuite, la chose qui a été peut-être la plus difficile sur ce terrain-là, Et donc là, je peux rentrer un peu plus dans le détail. Dans le bidonville, on avait choisi les habitats les plus fragiles, qui étaient les plus exposés aux intempéries. Et donc, c'était des bidonvilles surpilotis. situé sur un lac, donc extrêmement vulnérable, puisque lors de fortes pluies, il y a une montée des eaux du lac, et également par le toit, puisque c'est très fragile et pas du tout imperméable. Et au sein de ces bidonvilles, donc c'est des chambres de peut-être 10 mètres carrés, il y a souvent une petite famille, une partie de la famille, donc souvent le couple avec un ou deux enfants. Parfois, les aînés sont toujours au village. Donc quatre personnes et ces chambres-là, très souvent on appelle ça des djouperies, il peut y avoir cinq, six chambres autour d'une courrée. Avec une cuisine collective, une cuisine commune. Et donc j'allais dans ces juperies et j'arpentais au sein de chaque chambre et j'essayais de rencontrer quand les personnes étaient disponibles. Je discutais avec les personnes et puis ensuite j'essayais de solliciter un entretien. Et surtout pour les questions de santé mentale, mais de manière générale, ce qui était très important c'était d'avoir le calme et d'être seul avec la personne, en tout cas avec le chercheur, mon collègue du Bangladesh. D'être seul avec la personne, ça c'était des questions qui étaient parfois difficiles. Et ensuite, pour répondre à ta question, parce que je n'ai toujours pas répondu, c'est les personnes elles-mêmes qui m'ont en fait soulevé ma position. À la fin de la première semaine d'enquête, dans ce bidonville, il y a quelqu'un qui est un leader que je rencontrerai un peu plus tard, qui m'a dit, qui s'est énervé et qui a dit, vous venez toujours poser des questions, il ne se passe toujours rien après votre présence. Donc c'est très facile pour vous de venir. poser ces questions. Dans le bidonville, on était plutôt identifiés comme des ONG, pas forcément étrangers, mais en tout cas vraiment des ONG. Et en gros, ils disaient, avec une énorme colère, Qu'est-ce que vous venez faire, si ce n'est que pour poser des questions ? Et ça, pour moi, ça m'a énormément questionné tout au long. Quelle est ma place ? Les personnes elles-mêmes, pas la première fois, mais au bout d'un moment, quand on a des relations avec elles, elles m'ont demandé de faire quelque chose pour elles. Pas simplement de donner de l'argent ou des choses qu'on retrouve plus classiquement en anthropologie, liées aux conditions climatiques. C'est-à-dire, quand on travaille sur le climat, on ne peut pas simplement dire, eh bien, je viens juste comprendre les effets et je repars. En tout cas, c'est très difficile. D'autant plus qu'on vient du Nord, qu'on sait très bien et que les communautés savent très bien qu'une partie des problèmes, il y a toute une question de justice sociale. C'est les pays du Nord qui ont aussi causé ces émissions de gaz à effet de serre, que les financements viennent du Nord pour le changement climatique, pour lutter contre les effets. Et donc, elles vous interrogent pour dire quelles solutions vous venez apporter. Alors, pour moi, c'était ça en fait la plus grande difficulté par rapport à ces situations, à ces écarts de niveau de vie. Le fait, bien sûr, que moi ensuite j'allais rentrer en France, mais surtout... En fait, je suis venu pourquoi ? Très souvent, on est habitué en ethnographie, en tout cas, on sait que chacun s'instrumentalise, c'est-à-dire on instrumentalise ces personnes parce qu'on souhaite quand même faire de la science et donc obtenir certaines informations, mais les personnes aussi, les personnes enquêtées aussi, même les plus vulnérables, elles vont vous instrumentaliser parce que ça fait vous appartenir à leur réseau, etc. Mais là, c'était un autre type de question, c'était vraiment la question concrètement maintenant, qu'est-ce que vous allez faire ? Donc moi, peut-être que ça, ça a été très important. Et je n'avais pas du tout été même formé, en tout cas pour faire de la recherche action, des recherches participatives, même si maintenant c'est de plus en plus important. J'étais obligé d'entendre ça.

  • Speaker #0

    C'est d'autant que les rapports de domination et la question de la vulnérabilité, elles ne se posent pas que vis-à-vis des enquêtés, mais peut-être aussi vis-à-vis des collaborateurs, puisque cette recherche a été le fruit d'un travail commun avec les universités, des partenariats avec des chercheurs et des chercheuses du Bangladesh. Comment est-ce qu'ils se sont manifestés ces rapports de force et de domination nord-sud dans ce cas de figure ? Et quels enjeux éthiques est-ce que toi, ça t'a posé sur le terrain ?

  • Speaker #2

    Oui, merci Ancoune-Mérisse. C'est une question qui est compliquée et qui est très importante. C'est les questions de la colonialité, c'est toutes les questions post-coloniales qui traversent aussi les questions en recherche, en santé mondiale. En tout cas, dans la recherche actuelle, la recherche est internationale, les financements sont internationaux, mais il y a des énormes inégalités. On reproduit en fait le monde social au sein de la recherche. Donc on reproduit les dominations de genre, bien sûr, de classe, et également toute l'histoire coloniale est reproduite puisque... Ce sont les grandes institutions internationales des Nords qui obtiennent les financements, qui sont souvent aussi à l'origine des financements, et qui vont imposer la question de recherche et très souvent la solution. Et c'est là où ça pose problème, c'est quand on vient avec notre solution pour l'imposer de nouveau auprès de ces communautés, auprès de ces personnes, mais aussi auprès des chercheurs parfois. C'est-à-dire qu'on ne fait pas forcément la science de la même façon, parce que la science dite moderne, elle est façonnée. par un ensemble de patterns, de recommandations qui sont établies par les grandes institutions nord-américaines et anglaises principalement. Et même la France en sciences sociales a résisté très longtemps. Et simplement la pression à la publication, c'est parce que c'est un business, bien sûr. C'est des questions économiques qui régissent la science. Et donc on va nous aussi imposer ces questions-là. Et concrètement, comment ça s'est posé ? De manière complexe, mais ça a été toujours présent, en tout cas de mon point de vue. C'était toujours présent parce que c'est un financement qui a été obtenu. par la France. C'est-à-dire que le Bangladesh n'a pas répondu au départ, en tout cas n'a pas décidé de répondre à ce financement, même si l'équipe a rejoint... Le projet a été écrit avec la France, le Bangladesh et Haïti. Mais la personne principale qui a obtenu le financement, c'est un laboratoire français et c'est un chercheur français. Et ensuite, la question du changement climatique, c'est aussi une question qui vient du Nord, pour la responsabilité historique, mais aussi parce que maintenant... Il y a des financements qui sont débloqués quand on parle de changement climatique. Et donc c'est très difficile pour les pays des Sud de dire ah ben non, on ne veut pas travailler là-dessus alors qu'ils sont touchés, mais ce n'est peut-être pas les priorités pour eux, pour le pays, pour la recherche. Ce n'est pas forcément les priorités. Et pour autant, les financements commencent à être conséquents. Et les rapports de force dans la recherche, ils s'expriment souvent sur... sur des choses très simples. Est-ce qu'on va utiliser votre questionnaire ou pas ? Est-ce que votre question de recherche va être prise au sérieux ou pas ? Moi, ce qui est un peu plus compliqué, c'est que je suis venu à la fin du projet. Je suis venu en 2022, le projet a débuté en 2019, même si avec le Covid, il y a eu des années qui ont été plus petites, le projet n'a pas pu avancer comme voulu. Les questions de santé mentale étaient un peu plus annexes et n'étaient pas prioritaires pour les chercheurs au départ, même si aujourd'hui elles sont reconnues comme très importantes par l'équipe de recherche au Bangladesh. Il y a des rapports de force entre les équipes, des rapports de force sur... finalement, comment on décide quelle est la question qui va être importante. À chaque fois, je n'ai pas de moment particulier, de décision, mais à chaque fois, en fait, quand on va sur le terrain, ces questions-là qui se reposent, qui se reformulent différemment. Et ce que ça m'a permis, en tout cas, de comprendre, c'est qu'il faut, à tout prix, que l'appropriation de la question de recherche, même si le projet, le financement a été obtenu par le Nord, puisse se faire par les pays des Sud. Mais c'est un dialogue et c'est un enjeu qui est constant et je pense qu'il est difficile d'avoir une solution.

  • Speaker #0

    En tout cas, bon an, mal an, il y a eu cette recherche qui est venue confirmer les effets dangereux du changement climatique pour la santé mentale de celles et ceux qui y sont immédiatement exposés. Peut-être que cette recherche a aussi permis de faire émerger des conséquences plus inattendues. Est-ce que tu pourrais nous en détailler quelques-uns de ces résultats et peut-être nous détailler les enjeux de genre de manière un peu plus précise ?

  • Speaker #2

    Le premier résultat pour moi, c'est le fait que les communautés, donc les plus vulnérables, avaient aucune difficulté à parler des questions de santé mentale. Et souvent, on m'avait dit d'ailleurs, pour ces questions aussi parfois coloniales, tu viens poser tes questions de santé mentale du Nord. Évidemment qu'elles se formulent différemment, mais elles étaient vraiment très bien comprises et surtout, je n'ai aucune difficulté à discuter avec les personnes sur ces enjeux-là. Et le premier résultat, c'est que les mères, en réalité, avaient énormément de choses à dire là-dessus. L'un des premiers constats, c'est le fait qu'on pourrait dire qu'elles souffraient silencieusement, qu'elles souffrent silencieusement. C'est-à-dire que c'était une question, elles étaient très surprises que je pose cette question. Souvent, j'ai néancé la question de santé mentale à la fin de la discussion en leur demandant... Comment dormaient les enfants ? Comment elles dormaient ? Et là, les choses étaient amenées, elles pouvaient sortir. Et ce qui revenait très souvent, c'était le fait que, par exemple, en cas de très forte chaleur, c'est très difficile pour elles de dormir, parce que les enfants eux-mêmes, en bas âge, pleurent toute la nuit. Il fait beaucoup trop chaud, il fait souvent 5 degrés de plus à l'intérieur de ces habitats-là qu'en extérieur. C'est 80% d'humidité, donc vraiment une température ressentie qui est très très élevée. et c'est les mères qui essayent de faire dormir les enfants, de ventiler manuellement parce qu'il y a des coupures d'électricité pour essayer de les rafraîchir. Et la journée, elles ont toute leur charge de travail qui est la même. Et donc, c'est une charge qui se rajoute la nuit et qui n'est pas prise en considération. Ce n'est pas pris en compte par les ONG qui sont très présentes sur les terrains sur lesquels j'étais, ce n'est pas pris en compte par les politiques, les professionnels de santé ne connaissent très peu sur ces effets climatiques, ne sont pas formés en fait sur les effets climatiques. Donc ça leur retombe dessus. Et au sein même du ménage, du foyer, c'est là où les questions de genre sont retrouvées. Quand j'interrogeais les pères, ils me disaient qu'il n'y avait aucun problème, qu'ils dormaient très bien la nuit.

  • Speaker #0

    Oui, c'est effectivement assez explicite. Tu parlais tout à l'heure de la recherche-action. Il y a de plus en plus de scientifiques aujourd'hui qui font des incursions dans la sphère politique pour aider, pour armer les prises de décisions, formuler des propositions législatives au regard de ces résultats de recherche. Est-ce qu'il y a des possibilités de faire des recommandations et de les rendre visibles et de faire en sorte qu'elles soient utilisées par les décideurs ? Et est-ce qu'il est aujourd'hui possible d'encourager les décideurs ? politique à adopter une approche qui soit sensible au genre pour traiter des impacts du changement climatique sur la santé mentale ?

  • Speaker #2

    Oui, alors déjà, pour ça, la recherche a un peu évolué. On parlait tout à l'heure de recherche participative. Il y a toute une question, au Canada, on appelle ça le transfert de connaissances. Le fait de pouvoir, non seulement faire plaidoyer, mais diffuser les résultats de la recherche auprès des décideurs, auprès des communautés. de tous les acteurs, tout au long de la recherche. Et donc maintenant, c'est pris en compte. Dès le moment où on va écrire son projet de recherche, on pense au fait de quelle façon on va chercher à diffuser la connaissance. Il y a même des courtiers en connaissance. Il y a des professionnels qui vont être formés pour pouvoir justement traduire les résultats de recherche en des pistes d'action, en des décisions politiques, en des recommandations qui pourraient être directement actionnales par les décideurs. Pour les questions de santé mentale, C'est en 2022, il y a un rapport de l'OMS qui a produit une policy brief, donc une note politique qui incite justement les décideurs à l'échelle nationale et aux échelles locales de tenir compte de l'impact du climat sur la santé mentale. C'est quelque chose de très important. C'est en train d'être reconnu aujourd'hui par toutes les instances internationales. En revanche, là où tu as raison, c'est que très souvent, malheureusement, les questions du genre ne sont pas reprises. C'est-à-dire qu'on a tendance... apercevoir le climat comme quelque chose qui touche toute la planète et tout le monde. Or, bien sûr, ça touche certes toute la planète, mais pas de la même manière, et toutes les populations pas de la même manière. Et ça impacte davantage les enfants et ça impacte davantage les femmes. Et pour ça, moi j'ai vu très peu de recommandations. Il y a des recommandations de l'OMS, mais au niveau politique, très peu qui tiennent compte vraiment du genre. Et peut-être une des premières choses, c'est... Et on le sait, c'est dans l'espace de décision, quelle est la place des femmes pour décider de ces questions de santé mentale et de changement climatique. Juste pour donner un exemple, pour la préparation de la COP 29, Le pays organisateur n'avait pas intégré de femmes dans son comité d'organisation. Et c'est le groupe activiste féministe SheChange qui a dénoncé ça. Et au final, sur les 28, il y a eu une intégration de 12 femmes. Donc ça, c'est un exemple, mais qui se repose constamment. Et encore plus sur ces questions de santé mentale et de changement climatique, dès que c'est un peu oublié de la sphère publique et de la sphère politique.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup Jean-Marc Goudet de nous avoir permis de mieux comprendre la façon dont les transformations environnementales peuvent générer des conséquences différenciées sur la santé mentale des femmes et de nous avoir souligné l'importance de la recherche-action dans ces domaines. On l'entendait au moins au niveau des décideurs. Je suis Iris Lambert et ce podcast produit par Noria Research a été préparé par Sixtine Derour, Cécile Jean-Mougin, Claire Lefort-Rieu et Camille Abesca. un grand merci à Martin Grandpéré à François-Xavier Bertin et à Robin Cordier de L'Homme Audio qui ont travaillé à la réalisation de cet épisode à bientôt

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