- Speaker #0
En fait, on a une ressource qui est considérable parce qu'elle représente en volume, c'est à peu près 35 millions de mètres cubes qui sont extraits chaque année en France. Ça représente à peu près ce qu'on consomme en béton prêt à l'emploi. Et c'est à l'échelle du problème qu'on adresse qu'il y a un enjeu vraiment global. Le secteur du bâtiment, c'est un des secteurs les plus polluants. Donc il y a des gros enjeux dans les années à venir si on veut réduire un peu l'impact global de nos sociétés.
- Speaker #1
Wilen, c'est le nom breton de la vilaine, le petit fleuve qui passe à Rennes pour se jeter ensuite dans l'Atlantique, dans le Morbihan. C'est aussi le nom de l'entreprise qu'a créée Yann Santerre avec son associé Mathieu Cabane à Brest en 2020. Architecte et ingénieur de formation, il a eu l'idée de valoriser les sédiments marins pour en faire des matériaux à faible impact environnemental, destinés à l'aménagement et à la construction. Des premiers essais en 2017, à la levée de fonds qui vient d'être lancée, Gülen a connu en quelques mois un développement considérable. Et c'est sans doute loin d'être fini, car l'ambition de Yann Santer et de ses associés n'est rien de moins que de révolutionner un secteur particulièrement polluant. Je suis Marion et je vous souhaite la bienvenue dans ce nouvel épisode de Synapse, le podcast sur les transitions en Bretagne.
- Speaker #0
Ayant grandi sur les rives de l'Estuaire, moi j'allais pêcher ou me promener à vélo vers le moustoir Penelan-Billiers, pour ceux qui connaissent le coin. On en avait parlé dans la presse d'associations qui traversaient l'Estuaire de la Vilaine à pied lors des grandes marées pour montrer à quel point l'envasement était critique. Et puis on le constatait aussi simplement, l'Estuaire est complètement envasé, donc l'eau est très marron, vraiment estuarienne. Et puis avec les études en architecture et en génie civil, Ça me posait des questions aussi sur le rapport qu'on entretenait à nos infrastructures, parce que c'est un barrage qui a été construit à Arzal en 1970. qui est une nécessité, c'est pour créer une importante réserve d'eau douce pour les deux départements du Morbihan et de la Loire-Atlantique. Donc c'est une nécessité pour nos sociétés que d'avoir de l'eau. Et en même temps, on construit des infrastructures qui sont à une échelle, qui impactent le territoire à tel point qu'un estuaire va modifier sa morphologie. Donc ça a un impact sur les écosystèmes, sur les oiseaux qui s'implantent, sur la polérisation. Aujourd'hui, il y a une polérisation de l'estuaire, donc on a vraiment modifié sa morphologie. Il y avait un paradoxe, les premiers échanges que j'ai eu avec le... Je me suis intéressé d'abord à l'estuaire, donc j'ai échangé avec l'organisme qui gère l'estuaire de la Villenne, et j'ai eu l'impression qu'il y avait aussi un changement de génération. J'étais un peu la dernière génération qui, petit, avait entendu ou entendu parler de l'estuaire avant le barrage, mais qu'en fait on était un peu aussi la génération qui a grandi avec le barrage. Et en fait aujourd'hui, l'estuaire a trouvé un nouvel équilibre, donc ça fait plus de 50 ans, mais... Il y a une poldérisation qui se met en place, donc il y a des nouveaux oiseaux nicheurs qui viennent s'implanter. C'est une zone nature à 2000 qui est assez protégée et préservée. Mais donc il y a un nouvel équilibre qui s'est fait avec l'infrastructure. Donc je trouvais que ça posait aussi cette question du rapport de nos infrastructures à l'environnement naturel, et du rapport au temps aussi, parce que finalement en 50 ans et grossièrement une ou deux générations, on a oublié la nature qui était avant. La nouvelle nature, c'est la nature avec l'infrastructure. Nos infrastructures font partie de cet écosystème. C'est aussi ce qu'on essaie de travailler avec le projet. On essaie d'avoir une réflexion systémique en se disant que nos infrastructures ne sont pas hors de la nature, elles en font partie. Aujourd'hui, les sédiments de dragage sont pour la plupart clapés en mer, on vient les rejeter au large. C'est un peu un travail de shaddock, on pompe et on relâche en permanence. On se dit que développer cette solution, c'est aussi une manière de... de faire travailler un peu en autarcie ces infrastructures, en se disant qu'on a des sédiments qui proviennent d'une infrastructure que nous avons créée, qui génèrent un déchet qui potentiellement peut perturber des écosystèmes marins qui sont assez fragiles. Donc pourquoi pas... plutôt que de les rejeter et de s'en débarrasser avec le coût que ça représente, en faire une ressource et se dire qu'on profite de cette aubaine, si on veut, pour éviter de consommer des ressources de carrière par ailleurs. Les matériaux traditionnels, la terre cuite ou le béton, on vient creuser des immenses trous pour extraire de la roche, de l'argile, etc. C'est aussi une réflexion sur notre rapport à la nature au travers de nos infrastructures. La question de l'impact se pose à l'échelle du matériau et du procédé qu'on a mis au point, mais aussi de la façon dont on transforme et la façon dont on implante des unités industrielles sur le territoire.
- Speaker #1
Attendons-nous à présent sur la méthode. Si l'idée de valoriser les sédiments marins n'est pas nouvelle, le procédé développé par Gouy-Len, lui, l'est beaucoup plus.
- Speaker #0
Qu'à longtemps qu'on essaie de valoriser les sédiments de dargage sans succès ? Il y a des pistes aujourd'hui les plus utilisées, c'est de l'amendement agricole. Ça se fait dans certaines régions, mais ça dépend vraiment du type de sol que l'on a. Il y a deux raisons qui peuvent permettre de l'amendement. Soit c'est pour restructurer des sols, quand on a des sols trop sableux, on vient rajouter de l'argile pour leur redonner de la cohésion. Ou faire de l'apport en carbonate, pour réguler le pH des sols. Donc ça se faisait historiquement dans certaines régions, mais c'est difficile de systématiser un peu ce principe. Il y a des essais qui ont été faits aussi sur de la sous-couche routière pour remplacer des granulats de carrière. Sauf qu'en fait ça coûte très très cher parce qu'il faut extraire le sédiment, il faut le traiter, il faut le transformer, il faut le déplacer. Et donc c'est pas du tout compétitif d'un point de vue économique. Et ensuite il y a eu aussi des essais pour la valorisation dans des bétons ou dans des tercuites. Donc les filières traditionnelles ont un peu essayé de se dire est-ce qu'on peut pas exploiter cette ressource. Sauf qu'en fait dans les bétons on a la problématique du sel qui pose un vrai problème de durabilité. Et puis sur les terres cuites, il y avait des problèmes dus aux matières organiques qui sont présentes dans les sédiments, qui à la cuisson faisaient éclater les terres cuites. Donc en fait les fières traditionnelles ne savaient pas bien utiliser ou incorporer ces matériaux. Ce qui est logique aussi parce qu'ils sont des procédés qui n'ont pas été conçus pour cette ressource. Donc on s'est dit qu'il fallait vraiment partir de la ressource et s'inspirer de procédés naturels ou des qualités de cette matière pour mettre au point un procédé vraiment... dédié à ces propriétés. Et donc c'est ce qu'on a fait en s'inspirant de la diagénaise qui, dans la nature, transforme ces sédiments en roches, ce qui fait qu'on arrive à un... Un produit qui a des propriétés entre une terre cuite et une pierre sédimentaire. On retrouve des propriétés mécaniques ou d'absorption qui sont un peu entre ces deux matériaux. Et c'est un procédé qui ne nécessite pas de cuisson haute température, ce qui est un vrai avantage par rapport au procédé traditionnel, parce qu'on économise beaucoup d'énergie et donc on rejette beaucoup moins de CO2 que les procédés traditionnels. On avait fait une ACV, une analyse du cycle de vie sur notre procédé en 2021, qui montrait qu'on émet... On émet 4 fois moins de CO2 qu'une terre cuite et à peu près 12 fois moins qu'un ciment. Donc il y a un vrai intérêt sur l'aspect énergétique en plus de l'aspect ressources. C'est vraiment les deux sujets qu'on met en avant, en tout cas sur la réduction de l'impact. C'est de valoriser une ressource, donc éviter de consommer des ressources de carrière, et puis de consommer moins d'énergie, donc rejeter moins de CO2 que les produits traditionnels. On a fait le choix d'aller progressivement sur des marchés de volume. On aurait pu faire le choix de se dire, allez, on va développer tout de suite un parpaing pour la construction. Mais il nous semble qu'en fait, il y a beaucoup de produits qui peuvent être substitués. Et puis, c'était aussi une stratégie de notre entreprise, en tout cas, de se dire, on va démontrer déjà sur des premiers marchés que l'on sait produire, on sait commercialiser. On a mis au point le procédé. On a su passer à une échelle de production. Aujourd'hui, on a un atelier qui est plutôt artisanal. C'est beaucoup du travail manuel. Ça rappelle un peu les éliges marocains ou les carreaux de ciment qui sont faits de manière artisanale. C'est un peu ce qu'on essaie de mettre en avant. On essaie aussi de développer au travers de ça une nouvelle esthétique à ce matériau. On ne veut pas être juste une solution technique avec un chiffre carbone, un chiffre ressource d'impact. Ce n'est pas que des chiffres, c'est quand même de la matière. Ça nous semble important aussi de la travailler. On travaille aussi en partenariat avec des designers ou des architectes sur des projets sur mesure. On fait de la sous-traitance pour des éditeurs de mobilier. Et le but de tous ces projets, c'est de montrer un peu aussi tous les potentiels de cette nouvelle matière. C'est une matière d'origine marine, donc il y a aussi tout un univers à créer autour de ce matériau. Et donc aujourd'hui, on a trois activités principales. On fait des carreaux pour des applications murales et sol. Pour l'instant c'est de l'intérieur mais on va sortir bientôt les applications extérieures. Donc on a un produit qui ressemble un peu au tomate traditionnel, on a un rendu qui est entre une terre cuite et un ciment, des carreaux de ciment, c'est un peu dans cet esprit là. On a un aspect qui est assez mat, puis surtout on a développé une gamme de couleurs assez large, on a pour nos applications murales 21 teintes, et puis on a une deuxième activité qui est une activité de sous-traitance, donc là on vient fabriquer des pièces pour des mobiliers. Pour des éditeurs, donc des éditeurs c'est des gens qui distribuent ou commercialisent des mobiliers. Et nous on va par exemple pour une table, on peut faire un plateau. Pour une lampe, on va faire un pied, que l'on envoie à quelqu'un qui assemble ces éléments et qui va ensuite les distribuer, les commercialiser. Donc là, vraiment une activité de production. Et puis une troisième activité qui est un peu plus ponctuelle, qui est de faire du sur-mesure, ce que je disais sur des projets avec des architectes ou des designers. Quand il y a des projets un peu particuliers, qui résonnent aussi avec notre démarche, on aime bien... Travailler des choses un peu plus culturales et explorer un peu tous les potentiels de cette matière. Donc c'est vraiment une première phase assez artisanale et on est en train de lancer une deuxième phase plus industrielle. Donc on est en train de lever des fonds pour ça, pour financer toute la R&D et puis la partie industrialisation qui va nous permettre de passer de cet atelier un peu artisanal à une unité industrielle pilote qui permettra de démontrer qu'on peut passer à une échelle industrielle et donc qu'on peut... vraiment envisager d'utiliser ça en substitution de produits de béton ou de tercuites dans le bâtiment.
- Speaker #1
C'est donc une nouvelle étape qui s'amorce pour Gwylaine, un moment charnière pour son fondateur.
- Speaker #0
La société a été créée il y a 4 ans, on a commencé la commercialisation en 2022 sur du sur-mesure, ça fait 2 ans à peu près qu'on commercialise. On a présenté une gamme un peu plus étoffée il y a un an, donc à chaque fois c'est un redémarrage et là cette nouvelle étape, cette levée de fonds et cet début d'industrialisation, c'est aussi un nouveau démarrage si on veut, donc on a l'impression de nouveau lancer le projet. Mais effectivement c'est... Une période assez cruciale parce qu'on va changer d'échelle. Il y a des paliers qui sont vraiment très importants. Entre l'étape où on était faire des essais dans un laboratoire, on a été incubé notamment à l'ENSTA Bretagne, une école d'ingénieurs ici à Brest. Pour nos essais, nos caractérisations au tout démarrage, on faisait des tout petits volumes. En 2019, avant de créer la société, j'avais été présenter le matériau à Milan dans un salon de design. Donc là c'était des tout petits carreaux, on essayait juste de présenter l'idée. Et donc chaque palier est vraiment important et là c'est un très gros palier parce qu'on va essayer de démontrer justement qu'on peut industrialiser, donc il va falloir intégrer aussi des contraintes que peuvent avoir des préfabricants. Des contraintes d'échelle, des contraintes aussi de logistique. Aujourd'hui on s'approvisionne pour la plupart à proximité de Brest. On a quelques essais avec d'autres ports aussi en Bretagne. Mais donc il va y avoir avec le passage à cette échelle plus industrielle des vrais sujets aussi logistiques, des vrais sujets de foncier, où est-ce qu'on s'implante, où est-ce que c'est le plus pertinent pour réduire aussi l'impact de manière globale en limitant le transport. Donc c'est un vrai enjeu et en même temps c'est très stimulant parce que depuis le démarrage du projet, quand avec Mathieu on s'est dit qu'on créait cette société, c'était vraiment pour viser cette échelle et viser cet impact, donc de ne pas avoir qu'un impact symbolique. Il y a un impact sur nos carreaux puisqu'ils consomment moins d'énergie que des carreaux traditionnels mais ça reste très anecdotique à l'échelle des marchés français et puis bien plus globalement. C'est un objectif depuis le démarrage, donc on est content d'arriver à cette étape, d'avoir passé toutes les étapes précédentes, et de se dire que là on passe un vrai cap et on se rapproche un peu plus de notre but qui est d'avoir une solution qui est à l'échelle de l'enjeu et à l'échelle du secteur du bâtiment. On est content et excité de cette nouvelle étape. On est architecte de formation, donc cette question un peu sociétale, elle est importante et on essaie aussi de la porter dans le projet, de se poser la question du territoire, de la collectivité et de proposer une solution au port déjà pour mieux gérer leurs infrastructures et puis proposer des matériaux à l'échelle locale, créer de l'activité sur les territoires, c'est aussi important pour nous. Donc on essaie de... Travailler avec la région sur ces sujets aussi. Le passage à l'échelle, il se fait en plusieurs étapes. Parce qu'ensuite, si on sait proposer une solution à l'échelle de la région, si on prend la Belgique, qui a la même surface que la région Bretagne, ils ont aussi des gros sujets d'envasement. Donc on peut dupliquer après ce modèle. Les sujets d'envasement sont des sujets qu'il y a partout dans le monde, parce que c'est un sujet de physique, c'est-à-dire que l'envasement résulte d'un ralentissement du courant. Quand on construit un port, on vient ralentir les courants, diminuer la houle, protéger les bateaux. C'est un port qui fonctionne bien, génère des sédiments et de l'envasement, et donc tous les ports du monde s'envasent. Ensuite, cette échelle de réflexion permettrait de pouvoir dupliquer le modèle. potentiellement partout dans le monde, dans d'autres régions de France, dans d'autres régions en Europe, et puis ensuite ça peut se dupliquer, la solution sera la même, les ressources sont assez similaires, ça reste de l'argile, du sable, avec des compositions et des proportions un peu différentes, mais ça reste les mêmes matériaux que l'on va retrouver un peu partout. Ce qu'on souhaiterait, disons, d'une perspective plus long terme, c'est de pouvoir développer cette solution, s'appuyer sur des partenaires qui puissent nous permettre de nous développer aussi à une échelle plus importante pour être une vraie solution industrielle et une vraie alternative aux matériaux de construction. Brest, qui est une ville reconstruite, symbole un peu du béton, qui est le symbole du XXe siècle. Le XIXe siècle, c'était un peu le siècle de l'acier. Peut-être que le XXIe siècle sera le siècle du sédiment. En tout cas, c'est ce qu'on souhaite développer. J'ai toujours rêvé de réaliser des choses et c'était aussi une des raisons pour lesquelles je m'étais orienté vers l'architecture. C'est un domaine où à la fois on est entrepreneur quand on est architecte, on crée des bâtiments et c'est quelque chose de très concret. On construit des bâtiments et faire une entreprise industrielle c'est aussi un peu dans cette même veine. C'est-à-dire que c'est de pouvoir... avoir un impact le plus positif possible. C'est un peu ça qui m'anime depuis que je suis petit, c'est de réaliser des choses concrètes et de trouver des solutions aussi. En se disant, quand je constatais l'envasement, les associations disaient que ce n'était pas possible. Et en même temps, on a besoin de ces infrastructures. Il y a un état de fait de se dire qu'on en a besoin, c'est bien, ça crée des problèmes, mais comment résoudre ces problèmes ? Ça, c'est peut-être plus mon côté... ingénieur, donc la deuxième formation de résoudre des problèmes mais résoudre des problèmes et résoudre des problèmes concrets en tout cas c'est ce qui peut-être aurait satisfait ce petit enfant qui se promenait sur les riviers de l'histoire à l'époque
- Speaker #1
C'était Synapse, le podcast de l'agence conseil en transition Hippocampe. Merci à notre invité, le fondateur de l'entreprise Güylène, Yann Santer. A très vite pour un nouveau parcours inspirant. Et si cet épisode vous a plu, n'hésitez pas à en parler autour de vous.