- Speaker #0
Bonjour à tous, je suis Jean-Baptiste Lottier et bienvenue dans Tech in Sport, un podcast Alliancy, médias numériques et business. Cet épisode est en partenariat avec Ypon Technologies, un cabinet d'expertise en services informatiques. Performance sportive, cybersécurité des événements, data, intelligence artificielle. Dans ce podcast, nous allons décrypter tous les impacts du numérique sur le monde du sport avec en ligne de mire les JO de Paris 2024. Alors aujourd'hui, on va évoquer l'importance qu'a pris la data dans le cyclisme professionnel. Et pour ça, on est avec Jean-Baptiste Kiklé, directeur de la performance au sein de l'équipe AG2R Citroën. Bonjour Jean-Baptiste.
- Speaker #1
Bonjour Jean-Baptiste.
- Speaker #0
Et donc pour évoquer l'importance qu'a pris la data, on est venu au sein de l'équipage E2R Citroën en Savoie. Donc ici on est dans le fief de votre équipe.
- Speaker #1
Donc nous sommes à Chambéry, à la mode Cervelex en Savoie, dans le berceau où est née cette équipe il y a 32 ans par l'initiative de Vincent Lavenu. Et vous êtes ici au centre de performance fraîchement rénové, qui nous permet de travailler dans de bonnes conditions du point de vue logistique, mais aussi au niveau de l'accompagnement de la performance de nos athlètes.
- Speaker #0
Et je crois que pour la petite anecdote, vous êtes la seule équipe à être implantée dans les Alpes, ce qui est plutôt important. Qu'est-ce que vous en pensez pour une équipe cycliste ?
- Speaker #1
On est clairement made in Alpes et on est fiers d'être l'équipe montagnarde du peloton World Tour.
- Speaker #0
Oui, parce qu'à G2R, quand même, il faut le dire, c'est une équipe World Tour. C'est une équipe qui compte des podiums sur le Tour de France il y a quelques années avec Romain Bardet. Je crois 8e place l'année dernière avec Félix Gall.
- Speaker #1
8e place avec Félix Gall, 4e place avec Ben O'Connor en 2021. Et effectivement, on a eu 4 podiums du Tour de France par le passé.
- Speaker #0
C'est vraiment une équipe de premier plan du cyclisme professionnel. On va parler de la data. Dans votre métier, on utilise des capteurs. On va parler des capteurs de puissance qui sont arrivés en masse dans le monde du cyclisme professionnel. Comment on les utilise ces capteurs ?
- Speaker #1
Le cyclisme a une particularité d'être fortement monitoré. Nous avons toujours eu une culture des indicateurs, des capteurs, des enregistrements, comme par exemple les compteurs ou les compteurs GPS. Et depuis quelques dizaines d'années, nous avons des capteurs de puissance qui nous permettent d'enregistrer l'énergie déployée par nos athlètes pendant leur pratique. Aujourd'hui, c'est un outil essentiel à l'accompagnement de nos coureurs vers la haute performance.
- Speaker #0
Voilà, donc ça donne des infos sur le moment. Pendant les entraînements, ils ont ce petit capteur, ça leur donne directement la puissance qu'ils développent. Donc pendant les entraînements, en course aussi ?
- Speaker #1
Pendant les entraînements, pendant les courses. Nous enregistrons l'énergie qui déploie, c'est une expression d'une puissance qui est enregistrée par un capteur qui est situé sur le pédalier. Grosso modo, lorsque le coureur appuie fort sur les pédales, ça engendre des déformations sur des pièces électroniques qui nous permettent d'avoir une évaluation de la puissance qui développe. Ça nous permet de réfléchir soit à la performance qui a été réalisée en compétition, soit de mettre en place un suivi d'entraînement précis pour préparer ces compétitions.
- Speaker #0
Il faut dire que le monde du vélo est adepte de ce genre de technologie. Ce n'est pas la première technologie qui est arrivée dans le monde du vélo ?
- Speaker #1
Non, bien sûr. Du fait que le cycliste se pratique avec un vélo, il est possible d'équiper notre équipement de capteurs. On a aussi des capteurs de fréquence cardiaque, nous avons aussi des capteurs GPS, nous avons des accéléromètres. En tout cas, il y a toujours eu une culture dans le cyclisme d'enregistrer de la data. On suit la tendance assez récente dans beaucoup de sports de monitorer tout ce qui est possible de monitorer. Maintenant, il y a aussi sur le corps humain des capteurs. Il y a des capteurs de glycémie, il y a des capteurs de saturation d'oxygène. Tous les outils qui nous permettront de maîtriser la performance, on les utilise. Le monde du cyclisme n'est pas à la traîne sur ces secteurs-là.
- Speaker #0
Alors l'objectif de ces données, c'est quand même de connaître les performances des coureurs. Comment vous utilisez ça ? Qu'est-ce que vous en tirez au quotidien avec votre équipe, avec vos coureurs ?
- Speaker #1
Dans le cas du suivi de nos coureurs, lorsque nos coureurs pratiquent le cyclisme en compétition ou à l'entraînement, ils enregistrent un fichier. Ce fichier est envoyé sur nos serveurs et nous, on a un traitement en back-office avec les entraîneurs ou avec les data scientists. pour d'abord imaginer les meilleures préparations et apprendre de nos préparations précédentes et aussi de pouvoir situer le niveau de performance de nos coureurs pour savoir s'ils sont dans la cible qu'on s'est fixée pour atteindre nos objectifs. C'est d'abord un outil de suivi, d'encadrement et aussi de pouvoir apprécier le niveau de performance de nos coureurs et à adapter nos coachings, par exemple pour détecter un problème de santé si le coureur est en dessous de ses standards, quelquefois aussi pour donner de la motivation à nos coureurs en voyant des indicateurs positifs de l'évolution de leur niveau de forme. Donc... La data est vraiment au service de coaching pour à la fin que ça soit l'obtention du résultat et de la performance.
- Speaker #0
C'est-à-dire que... Pendant les entraînements, par exemple, si vous voyez que le coureur est plus en forme que ce qui était prévu, ou à l'inverse, moins en forme, vous allez l'adapter, l'envoyer sur une compétition ou pas ?
- Speaker #1
Voilà, exactement. Chaque coureur a une signature de niveau de performance maximale. Chaque séance d'entraînement ou chaque compétition, on est capable de dire à quel pourcentage de performance maximum il est. Et donc, en fonction de là où on en est dans une préparation ou dans une préparation finale, on sait dire si on est en avance ou en retard sur le cours. les temps de passage et à partir de là, on peut adapter les contenus d'entraînement pour réussir. Donc c'est vraiment intéressant et sécurisant pour la coureur dans son approche de l'objectif.
- Speaker #0
Est-ce que ça peut vous servir aussi à détecter des jeunes coureurs ?
- Speaker #1
Bien sûr, on s'en sert pour détecter les jeunes coureurs. AG2R Citroën a une filière de formation. On monite nos coureurs et nos jeunes coureurs très tôt pour avoir un historique et connaître et présager des progressions que nous pouvons espérer de ces coureurs dans le futur. A la fin, il ne faut pas se mentir, on reste dans une activité de sciences humaines. Il y a d'autres paramètres qui sont à prendre en compte, mais on va dire du point de vue des aptitudes athlétiques, le capteur de puissance, en tout cas la data, nous permet de nous orienter et surtout de profiler nos coureurs. Donc de mieux connaître là où ils sont forts, là où ils sont moins forts et de demander un rôle durant la compétition orienté. Il faut se concentrer sur les aptitudes qu'il a. Je m'explique, si demain son profil de puissance l'oriente vers un plutôt puncher que rouleur, automatiquement on va pouvoir passer un message au directeur sportif pour orienter le coaching et pour qu'il puisse utiliser l'athlète dans les meilleures aptitudes qu'on attend de lui par rapport à la physiognomie de la course et du coaching.
- Speaker #0
Une fois que toutes ces données sont récoltées, il y a un traitement qui est fait sur la base d'un traitement statistique, ce n'est pas encore de l'intelligence artificielle ?
- Speaker #1
On a succédé plusieurs aires dans le traitement des données, d'abord statistique. Après, on arrive dans l'ère du modèle prédictif avec X historique. On peut commencer à apercevoir lorsqu'on est dans la bonne cible ou lorsqu'on n'est pas dans la bonne cible dans la préparation de nos coureurs. On essaye de simuler ce qu'on va prévoir en termes de charge de travail auprès de nos coureurs. L'utilisation de la TADA nous permet de savoir si la trajectoire est plus... plutôt positive ou négative. Bien sûr, tout est bien théorique, bien sûr, des facteurs environnementaux, bien sûr, il y a des facteurs psychologiques chez l'athlète, mais en tout cas, du point de vue physique, on maîtrise de mieux en mieux. Et là, on commence à sentir, à toucher du bout du doigt, une nouvelle ère, l'ère de l'intelligence artificielle. En tout cas, une puissance d'analyse encore supplémentaire pour, par exemple, ne pas les mettre en surcharge de fatigue et les rendre moins performants, par exemple, pour percevoir un potentiel qui n'était pas perçu par le passé et par d'autres mécanismes. On sent bien... que cette ère-là arrive de plus en plus vite. Il y a déjà quelques outils qui existent, mais qui demandent à être encore validés.
- Speaker #0
C'est-à-dire que pour l'instant, est-ce que vous arrivez déjà à prévoir, par exemple, un pic de forme avec des modèles ? Vous vous dites, tiens, là, il sera pour juillet, par exemple, pour le Tour de France, ce sera là son pic de forme ?
- Speaker #1
Complètement. On est dans cette planification annualisée avec des marqueurs qu'on sait définir, une utilisation de la data qui nous permet de tracer ces scénarios. Ce qui est le plus difficile dans cet exercice, c'est d'abord construire l'aspect théorique, mais après, il y a une saison qui avance et automatiquement, il y a des facteurs qui... qui évolue et donc nos logiciels et l'approche statistique de nos données nous permettent, lorsqu'un facteur bouge, de bien le prendre en considération plus globale pour revoir nos modèles au fur et à mesure que la saison avance jusqu'à l'objectif ultime.
- Speaker #0
Vous l'évoquiez un peu plus tôt, la data ça ne fait pas tout, il y a l'aspect humain. On ne peut pas tout encadrer avec la data, c'est un peu ce que vous disiez tout à l'heure. Il y a aussi les sensations, il y a aussi l'effet de course. Pendant les courses, la météo, des chutes, les conditions qui peuvent changer. Comment vous essayez d'appréhender ça avec vos coureurs ?
- Speaker #1
On reste un sport outdoor où à un moment donné, il y a la place à la compétition, il y a la place aux imprévus, il y a la place à l'évolution des environnements. Il y a aussi des actions stratégiques que peuvent engager les concurrents que nous, on doit intégrer rapidement ou spontanément. Le sport de haut niveau, c'est une science humaine. Il y a des choses de l'ordre de la science dure et des choses qui sont de l'ordre de la science molle. Les sciences dures, on essaye de les monitorer, de les cadrer, de les rendre ultra rigoureux, de les rendre optimisés. Et puis, il y a tout ce qui est de l'ordre de la science molle, l'approche psychologique de l'athlète de haut niveau, son encadrement, le feeling, la relation entre les hommes, la cohésion avec les équipiers, les coéquipiers, tout cela. Aujourd'hui, il n'y a pas de modèle qui existe dans la data, donc on doit faire confiance à l'expérience de l'équipe, à l'encadrement de l'équipe. Très souvent, dans les débats publics, on oppose un peu les deux mondes, de ce qui serait rationnel et ce qui serait irrationnel. Aujourd'hui, clairement, la data est mise en place pour donner de la sérénité, pour que tout ce qui serait de l'ordre de l'irrationnel, en tout cas des choses qui ne sont pas calculables, on puisse laisser place à la révélation, laisser place aux intuitions, laisser place aux émotions, pour réussir la performance. Donc grosso modo on essaie de codifier tout ce qui est codifiable, mais le reste on sait très bien que ça se passe ailleurs et on y accorde autant d'importance.
- Speaker #0
C'est ce que racontait Aurélie Jean, qui est une scientifique spécialisée dans le numérique, qui a sorti un livre qui s'appelle Data et Sport avec Yannick Nianga. Yannick Nianga, on le connaît comme un ancien rugbyman. Et elle avait dit, utiliser la data c'est pour révéler ce qu'il y a de plus humain en nous, c'est-à-dire l'instinct et l'intuition. Donc c'est ça que vous essayez de continuer à mettre en place au sein de votre équipe auprès de vos coureurs ?
- Speaker #1
Oui, c'est pour ça qu'on doit, en tout cas les coachs et directeurs sportifs, mettre un point de vigilance là-dedans, dans l'encadrement des coureurs par exemple, savoir interpréter la data sans en être un esclave. Pour les athlètes, on a des actions de pédagogie auprès de nos coureurs pour qu'ils sachent prendre le recul sur la data. Et comme nous sommes aussi, je dirais en 2023, dans l'ère du tout quantifiable, du tout numérique, on a des jeunes promotions, des jeunes coureurs qui sont un peu accros à tout ça. Et quelquefois, un mauvais indicateur ou une mauvaise donnée vont les emmener dans des pensées négatives ou dans des motivations qui n'ont pas lieu d'être. Donc on a besoin d'être derrière eux et aussi prendre notre place en tant que coach. Et puis aussi, je dirais dans les compétitions. De toute façon, il n'y a pas de performance s'il n'y a pas d'intuition et de spontanéité. Donc à partir de là, lorsque la performance se fait, de toute façon, l'athlète est sur son vélo, il est à l'effort maximum. Et là, il faut laisser place à ce que le corps peut donner dans l'effort.
- Speaker #0
Vous parliez de data excessive auprès des jeunes. On peut parler d'hyperdata. Quelle stratégie vous mettez en place pour éviter une analyse excessive qui justement pourrait désorienter les coureurs ? Cette question, elle nous vient de notre partenaire Ypon Technologies.
- Speaker #1
Alors effectivement, nous, à GDR Citroën, on a une filière de formation. On engage d'abord une... Sous-tit Une action de pédagogie, de formation auprès de nos jeunes, de savoir quels curseurs il faut mettre dans l'importance de la data et quels sont les effets pervers. Ce qu'on initie, c'est d'abord que les athlètes doivent prendre du recul vis-à-vis de ça et que le coach est là pour voir la data, l'analyser et répercuter des orientations stratégiques de préparation. Bien sûr qu'il doit être expliqué à l'athlète, mais ils ne doivent pas connaître le cheminement qui nous a mené à ces choix-là. Par exemple, par le passé, j'ai pris quelques initiatives, par exemple de cacher le compteur de mes athlètes lors de compétitions ou de réduire la visibilité du dashboard de nos coureurs pour pas qu'ils... qui accordent trop de temps à ça et qui soient concentrés sur eux, leur hygiène de vie, sur leur vie de jeunes athlètes. sur leur sensation de décorréler data et sensations ça c'est très important pour qu'ils puissent se connaître vraiment pour qu'ils puissent se connaître et pouvoir aussi ne pas être dépendant de la data ça m'était déjà arrivé aussi que des athlètes leur capteur de puissance était en panne ou en panne de batterie et ils pouvaient être déstabilisés à cause de ça parce que les sites internet créent des rankings de niveau de performance de nos coureurs les plateformes d'entraînement communautaires valorisent les performances athlétiques à travers la data nous bien sûr On engage des réflexions de détection ou de re-signature de contrat. Donc les athlètes ont une inquiétude de voir leurs statistiques baisser dans le cadre de leurs contrats sportifs. De toute façon, tout se passe à partir de là dans le management et dans les discours qui sont menés auprès des coureurs par rapport à tout ça.
- Speaker #0
La data est même observée. On l'a vu pendant le dernier Tour de France. En fait, on peut calculer avec une formule le temps d'une ascension, avec le pourcentage de cette ascension. On peut calculer le nombre de watts moyens sur cette ascension. Et on a beaucoup parlé des performances de Jonas Vingard et Tadej Pogacar l'année dernière. qui ont eu des niveaux de puissance très très élevés. C'est vrai que tout le monde observe ce genre de critères ?
- Speaker #1
Oui, c'est clair qu'aujourd'hui tout le monde est curieux, je dirais un peu à l'image de la F1, où les réglages, les coachings en course, les choix stratégiques des ingénieurs, ça intéresse, et on reste un sport extrêmement télévisuel, donc bien sûr les gens sont passionnés et veulent suivre ça. Par rapport à l'évaluation de niveau de performance des coureurs sur le Tour de France, ça reste un calcul indirect. Donc il y a des éléments qu'on ne maîtrise pas, comme par exemple le rendement des équipements sportifs, ou la qualité des routes, ou les conditions atmosphériques. Donc quelquefois, il y a quand même des larges biais dans les estimations qui sont faites par les observateurs extérieurs. La seule évaluation que nous pouvons faire, c'est la donnée que nos athlètes nous donnent. C'est là où on arrive à situer le niveau de la course et leur niveau à eux. Et même à l'intérieur de ça, il y a des athlètes qui ont aussi leur propre rendement interne. Donc tu peux développer une puissance élevée si dans la transmission biomécanique de ton effort tu n'es pas efficace, tu peux aller moins vite que d'autres athlètes qui produiseraient moins de puissance. Donc en tout cas il faut être extrêmement prudent dans l'usage de la donnée du point de vue public dans l'évaluation du niveau de performance d'un ou des coureurs.
- Speaker #0
Merci Jean-Baptiste de nous avoir accueillis.
- Speaker #1
Merci beaucoup. J'étais très heureux de pouvoir échanger sur ces sujets qui m'intéressent grandement.
- Speaker #0
Et qui vont intéresser nos auditeurs. Merci à vous de nous avoir écoutés. C'était Jean-Baptiste Lottier dans Tech in Sport, un podcast Alliancy, médias numériques et business et en partenariat avec Ypon Technologies. N'hésitez pas à partager ce podcast et à vous abonner sur toutes les plateformes et on se retrouve très vite avec un nouvel invité pour décrypter la montée en puissance de la tech dans le monde du sport.