Speaker #1Je m'appelle Lynn, j'ai 22 ans et aujourd'hui je vis à Paris. Je finis mon master, mais je suis déjà à plein temps dans une entreprise qui fait des jeux vidéo. Et je suis produceur, donc je fais de la gestion de l'équipe, gestion de projet. Avant, je n'étais pas à Paris. J'ai grandi en campagne et j'ai fait une licence dans le Nord. En fait, j'ai fait tout avant Paris, c'était dans le Nord. Et je suis à Paris depuis 2022, donc ça fait deux ans. Aujourd'hui, on va parler de la manière dont j'ai accompagné ma grand-mère dans la... Dans ses dernières années de sa vie, seule la plupart du temps et sur un très jeune âge. Je suis née à Bagnolet, mais après je suis très vite partie vivre en Picardie, chez ma grand-mère, donc à Canectancourt, qui est un village à 15 minutes en voiture de la première boulangerie, au milieu de la forêt. Et jusqu'en 2018, il n'y avait aucun réseau, il fallait sortir de la maison, aller sur le trottoir d'en face pour pouvoir appeler quelqu'un ou avoir un tout petit peu de 4G. Ce qui a été très bien, parce que du coup j'ai pu vraiment grandir avec elle et avoir vraiment une enfance très artistique, où je faisais de la peinture, je lisais beaucoup. Le côté où il n'y a pas vraiment d'activité, il n'y a pas vraiment d'autres enfants. Mes relations sociales c'était surtout les petits vieux du petit village. Ma grand-mère m'a vraiment, vu que c'est elle qui avait fait mon éducation, elle m'a transmis énormément de choses, énormément de valeurs qui aujourd'hui me tiennent vraiment à cœur et qui se reflètent énormément dans ma personnalité je pense. Tout ce qui est social, aide à l'autre etc. C'est hyper important pour moi et ça l'était pour elle. Au quotidien on faisait notre marathon des mémés dans les petites rues du village de Canectancourt. où il y avait mémé Mireille, mémé Yvette, madame Bontemps, etc., qui avaient leurs petites fermes, leurs animaux et tout. Donc même pour un enfant, c'est juste super fun de rencontrer plein d'animaux. Et on prenait surtout énormément de contact avec eux parce que c'était pour eux hyper important d'avoir du contact régulier. Elle m'emmenait aussi les voir pour un peu renouveler leur conversation, aller un peu contre cet isolement qui arrive souvent chez les personnes âgées où les familles ne viennent plus trop les voir parce que les gens, parfois, ils perdent un petit peu la tête, ils sont... moins intéressants entre guillemets parce que bah ils font plus grand chose alors que pour avoir des discussions ou juste tu leur racontes ta vie ils sont trop contents parce qu'ils sont là en mode ah ouais c'est comme ça le monde de nos jours et tout et souvent aussi ils aiment bien raconter leur vie et ça c'est un plaisir d'avoir les histoires des petits vieux qui sont absolument tous adorables enfin pas tous tout ça en clair mais moi c'est vraiment mon kiff d'écouter les histoires des personnes âgées qui racontent toutes leurs aventures et tout On n'avait pas tant que ça en commun avec ma grand-mère. Elle aimait énormément ce que je faisais artistiquement parlant et elle m'encouragait énormément dedans. Mais elle, elle n'avait pas vraiment une fibre artistique. Ce qui nous reliait surtout, c'était le côté très sensible et le côté très sociable. On a toujours eu ce truc de... On savait en fait ce que pensait l'autre. Elle parlait très peu d'elle en soi, mais il y a eu tellement de moments un peu emblématiques qui m'ont marquée ou tout à coup à parler de sa vie de nulle part. et me sortait des événements de sa vie en trois phrases qui m'ont marquée. On savait toutes les deux que j'étais la personne la plus proche d'elle et qu'elle était la personne la plus proche de moi. Même la famille éloignée avec qui je ne parle plus aujourd'hui et qui connaissait ma grand-mère, pour eux, c'était une évidence. Il n'y avait pas elle sans moi et moi sans elle. Ils savaient que c'était une relation super forte. C'est pour ça aussi que quand la maladie a commencé à arriver, pour la famille, c'était une évidence que j'allais m'occuper d'elle. Alors que j'avais 18-19 ans à l'époque, elle vivait à Canectancourt et toute la famille était à Paris ou loin dans le sud de la France ou au fond de la Normandie. Du coup, il n'y avait que moi qui faisais acte de présence en soi. Tout le monde était en mode. De toute façon, elles ont toujours été ensemble. Et vu que je suis quelqu'un de plutôt responsable, elle va gérer. Personne ne se rendait vraiment compte de ce qui se passait au milieu de nulle part avec un acte en cours. J'ai entendu des choses aussi en mode en vrai, on ne préfère pas la voir comme ça, on verra quand elle ira mieux, mais ça nous fait trop de peine de la voir comme ça Et quand je prends du recul, je me dis ouais, mais moi j'avais 18-19 ans et personne n'avait de la peine que moi je vois les choses directement et que je m'en occupe de manière hyper directe Ça a commencé par la mâchoire. Elle avait du mal à parler. Elle parlait de manière plus en plus mâchée. Au début, on lui disait qu'elle avait soit fait un AVC, soit que ça avait été provoqué par un grand choc émotionnel, etc. Et d'ailleurs, cette période a été très difficile parce que quand le camp médical avait dit ça, mon père m'avait appelé pour me dire qu'en fait, ça avait sûrement été provoqué par le fait que je parte vivre à Valenciennes et que je la laisse toute seule. Et du coup, j'étais responsable de sa maladie. Un an après qu'il m'ait dit ça, on leur a dit Ouais non, en fait, c'est la maladie de Charcot. Il n'y a jamais eu de choc émotionnel ou quoi que ce soit, juste c'est la vie, c'est une maladie et on l'a et on fait avec après. Au niveau du diagnostic précis, des symptômes et tout, c'est une maladie qui paralyse petit à petit le corps. Et en fait ma grand-mère ça a commencé par la mâchoire, elle arrivait de moins en moins bien à parler, et après elle arrivait de moins en moins bien à déglutir, du coup à manger, du coup elle a perdu énormément de poids, et après la maladie de Tcherko le principe c'est que ça descend vers du coup les bronches, tout de la mâchoire vers le cœur petit à petit, et puis surtout quand on perd énormément de poids, on maigrit, du coup on devient plus faible, au final elle a faim faim, elle était souvent sous oxygène. Elle avait du mal à respirer, elle ne pouvait plus parler et du coup elle communiquait par ardoise. Je crois que c'est moi qui avais eu l'idée parce que justement on rangeait le grenier et j'ai trouvé une ardoise, mais vraiment c'était mon ardoise de quand j'étais en primaire, une vieille ardoise bleue, blanche et on a racheté des feutres. On essayait quand même de l'entraîner un petit peu et tout, mais on a vu que finalement en fait il n'y avait rien à faire et que ça partait. L'ardoise c'était un bon moyen de pallier à ça. C'était ma troisième année, du coup je devais faire un stage pour valider ma licence. Pour pouvoir être avec ma grand-mère, j'ai obtenu un stage à faire en télétravail. Et en fait je suis arrivée chez elle début mai et j'y suis restée jusqu'à fin août. À cette époque-là, elle était déjà très mal. Pour me remplacer pendant que je faisais mes études et que je ne pouvais pas être là, il y avait une de ses sœurs qui était venue pour l'aider à s'occuper d'elle. Et à un moment, c'était trop pour elle. Ça a commencé par une conversation de oui, je vais avoir besoin de rentrer pendant les deux mois. Est-ce que tu penses que ton père sera capable d'assumer ça tout seul ? Et j'étais là en mode no way ! Genre non, jamais en fait, parce que déjà, il est en 3-8, de 1. De 2, vraiment, il s'en occupe. Mon père, je ne lui parle plus aujourd'hui, hormis par mail. Donc on est vraiment à un point assez haut. Aussi grandement pour ça, parce que c'était sa mère, etc. Et il y a eu quand même une grande part d'indifférence, émotionnelle en tout cas, et d'ignorance de ce qui se passait vraiment. Parce qu'il passait une fois une heure par semaine. Tu ne vois pas en fait ce qui se passe. Et ça ne suffit pas en fait pour maintenir une personne. À ce moment-là, il était encore dans l'idée que les infirmières qui passent 30 minutes matin et soir, ça suffit. Je pense qu'il a vraiment commencé à se prendre compte à la fin que c'était lourd pour moi. c'était trop tard, quoi. Je n'allais pas me casser si je m'étais engagée autant et tout. Je sais que ma grand-mère, c'était sur moi qu'elle comptait à ce moment-là et je ne pouvais pas, en fait, me désengager de ce que j'avais commencé à faire. Pour moi, c'était ma priorité à ce moment-là. Et en vrai, mon père, il a toujours été tellement... En vrai, c'est la plupart des hommes de la soixantaine, très insensibles, très dans le factuel. Et au pire, ce n'est pas grave, quoi. Ma grand-mère, c'était quand même quelqu'un de très sensible et de très émotionnel et qui avait besoin de beaucoup de soutien et tout. Le grand truc, c'est que c'était son fils. Du coup, pour aller la laver, aller l'emmener aux toilettes, ce genre de choses, en fait, elle ne voulait pas que ce soit lui qui s'en occupe. Parce que c'est la fierté, en fait, quand même. Donc, pour elle, ce n'était pas possible. Donc, il fallait quand même une force et une proximité pour assumer ce rôle-là que peu en dehors de moi avait, même si d'une certaine manière, je pense que j'aurais quand même pu avoir... beaucoup plus de soutien à ce moment-là. Le reste de la famille, il est super loin ou désintéressé, en fait. J'ai deux grands frères qui sont aussi les petits-enfants de ma grand-mère, mais en fait, ils n'ont pas du tout grandi avec elles. Ils ont été élevés par leur mère. C'est pas qu'ils n'en avaient rien à foutre, mais ils étaient clairement dans leur vie professionnelle et pas du tout... Enfin, pour eux, ce n'était pas prioritaire. Pour moi, ça l'était. Et il y avait le reste de la famille et ses amis aussi. qui, eux, se dédouanaient un petit peu parce que c'est hyper dur de s'occuper de la santé d'une personne. Et quand elle a une maladie aussi grave, il y a beaucoup de personnes qui ne vont juste pas se sentir capables et ne pas se sentir à force de pouvoir assumer ça, en plus de leur vie en général. Quand je suis arrivée, elle pouvait encore marcher, elle pouvait encore me faire à manger parce que c'était évidemment une grand-mère gâteau qui voulait me faire à manger, qui voulait me faire mon tilleul tous les soirs, etc. C'était une femme admirable et pleine de gentillesse, de générosité envers les autres. Dans ces débuts-là, c'était beaucoup de l'accompagnement, continuer à lui parler, essayer de l'aider un petit peu aussi dans ses rendez-vous et dans ses interactions avec les autres personnes. Même il y a un moment où, quand on est suffisamment proche des gens, on devine un petit peu ce qu'ils veulent transmettre. Pour les rares, très rares visites qu'elle avait, ou les interactions avec les infirmières, j'essayais un petit peu de faire la transmission. Et au fur et à mesure, quand sa santé a commencé à se dégrader, Ça a commencé du coup par la pose de la sonde gastrique parce que vu qu'elle le refusait au début de se faire poser une sonde gastrique, elle a perdu énormément de poids, elle est devenue très maigre parce qu'elle ne pouvait plus manger. Du coup il y a eu le début de la sonde gastrique qui a été quelque chose. Je m'occupais de la nuit, parce que si ça bipait il fallait que je l'arrange, du coup je faisais les nuits blanches et je faisais mes nuits le matin. Après il y a eu cette difficulté à marcher, je devais l'accompagner un peu partout, si elle voulait se poser dans le salon, si elle voulait aller aux toilettes. Si elle voulait des trucs dans la maison, l'accompagner aussi dans la douche pour éviter qu'elle glisse. Même au début, c'était juste voir si ça se passait bien, c'était rester dans la salle de bain, taper la discute, enfin, pas la discute, parler seule et l'entendre me répondre par des bruits. À un moment, il a fallu que j'aide à se laver et tout parce que c'était devenu trop compliqué pour elle. Quand elle tombait, je ne pouvais pas la ramasser, du coup je devais appeler les voisins, j'ai dû appeler plusieurs fois le SAMU. Le SAMU qui mettait 45 minutes à venir parce que c'est un putain de trou paumé et on ne peut pas trop faire entrement. Et elle ne voulait pas quitter sa maison parce que, évidemment, c'est une grand-mère attachée à sa maison. Même si elle était parisienne à la base, ça faisait 30 ans qu'elle vivait dans cette maison, du coup elle ne voulait pas la quitter. Elle ne voulait pas non plus aller dans un hôpital, elle ne voulait pas aller dans un EHPAD, parce qu'elle ne voulait pas être dépendante et fermée au reste du monde. Même si j'étais là tout le temps, je pense que ça aurait été mieux à l'époque, mais je n'avais pas les moyens ni la légitimité de lui dire de partir de chez elle et que je ne pouvais plus m'occuper d'elle. Les soirs, c'était hyper difficile parce que ma grand-mère, elle ne voulait pas dormir et j'étais obligée de lui tenir la main en lui disant que ça allait aller parce qu'en fait, elle avait peur de mourir dans son sommeil. Moi, après, une fois qu'elle s'endormait, je restais à côté, pas loin, histoire d'entendre si la sonde gastrique allait sonner. Les seuls contacts que j'avais vraiment à ce moment-là extérieurs, c'était les infirmières qui venaient le matin et le soir pour du coup enlever ou retirer la sonde gastrique. Au fur et à mesure, les infirmières ont commencé à m'apprendre ce qu'il fallait faire. Du coup, il y a vraiment une transmission un peu de qu'est-ce qui se passe quand la sonde elle bip, comment est-ce que je peux remettre de l'eau dans la sonde, qu'est-ce qui se passe s'il y a un grumeau, entre guillemets, dans la sonde qui se fait, comment est-ce qu'on le débloque, quelles sont toutes les raisons pour lesquelles ça peut biper, qu'est-ce qui est dangereux. J'avais déjà, entre guillemets, de l'expérience auprès de personnes âgées qui étaient en difficulté, parce que tous les amis de ma grand-mère s'occupaient d'eux. Et du coup, comment les déplacer, comment soutenir une personne, comment l'accompagner même, on a déjà accompagné des amis à elle, aux toilettes, faire des petits lavages, etc. Du coup, en fait, en vrai, ce que j'ai fait avec ma grand-mère, ça a aussi été des choses que j'avais apprises avec elle, avec ses amis. En fait, il y a un côté où je n'étais pas dans une nouveauté absolue, mais... C'était ma grand-mère quoi. Du coup, il y a tout de suite un poids émotionnel qui est énorme. Il y a une anecdote pendant que je l'accompagnais dans sa maladie qui me fait toujours rire et que je raconte souvent pour expliquer à quel point c'était quand même une femme super drôle. À un moment, quand elle pouvait encore cuisiner pour moi, enfin prendre le plaisir de cuisiner pour moi parce qu'elle ne mangeait plus, à un moment on était dans la cuisine et je la vois commencer à faire des trucs. Du coup je lui demande qu'est-ce qu'on va manger et elle me monte son cul. Et je suis en mode mais attends quoi ? Et après elle me remonte son cul et je suis en mode ah on mange de la riz ! Et tout ça parce qu'elle ne pouvait plus parler. Mais en vrai, super langage des signes. Moi, je valide de ouf. Et c'était super drôle. Elle relativisait de ouf de sa propre condition. À ce moment-là, elle était encore vraiment dans ce côté où de toute façon, c'est comme ça, ça arrive. Et je ne vais pas perdre ma joie de vivre parce que c'est comme ça. Il y a un côté où on se rend compte que peu importe ce qui se passe, Bah faut continuer de toute façon. Et quand tu vois quelqu'un qui a une maladie aussi grave que celle de Charcot et qui continue en fait à être d'aussi bonne humeur et tout, enfin franchement ça donne la pêche quoi. T'es en mode, il y a des gens il leur arrive un dixième de ça et ils sont au bout du rouleau et tu vois ça et ça donne aussi de la force. Au début, ça allait. J'étais vraiment heureuse d'être dans la maison où j'ai grandi, avec ma grand-mère, de pouvoir être là pour elle et tout, surtout qu'il y avait encore de l'espoir à ce moment-là. Pour moi, c'était normal. J'étais dans une situation normale parce que ce n'était pas encore catastrophique. Mais quand on est arrivé à un certain point, il y a de la fatigue parce que je ne dormais pas la nuit, je dormais les matins. C'est assez difficile. Émotionnellement, c'est super difficile de voir sa grand-mère qui a peur de mourir dans son sommeil, qui a peur de mourir tout le temps, alors que quand j'étais plus jeune, elle me disait toujours que... elle n'aurait pas peur de la mort, que Dieu allait l'accueillir et que tout se passerait bien, mais c'est quand on est confronté à la mort en elle-même, en face de nous, que tous ces propos-là et toute cette foi-là deviennent un peu moins palpables, entre guillemets. On perd ce côté-là où on croit en plein de choses et tout. À la fin, c'était vraiment très difficile pour moi. Je sentais qu'arriver un petit peu aux limites de ce que je pouvais faire et de ce que je pouvais supporter aussi. parce que évidemment une fois ma mie endormie je me faisais des crises de larmes histoire de décompresser parce qu'il fallait après penser au lendemain j'avais quand même un peu de travail à faire pour mon stage en distanciel il fallait réussir un petit peu à assumer l'ensemble je me souviens même à un moment j'avais appelé ma grande tante pour lui demander si elle pouvait revenir histoire que je me fasse des vacances entre guillemets et elle était revenue à un moment pendant deux semaines où j'étais partie à Paris pour voir des amis ça m'a vraiment beaucoup détendue j'avais besoin de pause à ce moment là sauf que c'était super compliqué d'en prendre parce que la santé elle ne prend pas de pause et c'est difficile de trouver des gens qui sont à même de bien vouloir s'occuper de ce genre de cas ma grande tante est revenue pour s'occuper d'elle et en fait ça a vraiment pas duré longtemps parce qu'une semaine après que je sois partie elle est allée à l'hôpital ça a commencé à être vraiment grave entre guillemets et ma grande tante elle savait pas trop quoi faire du coup ils étaient en mode bon on va la mettre en hospitalisé histoire que on s'occupe d'elle pendant deux semaines mais vraiment bien ou elle reprend un petit peu de poids ou on la remet un peu en forme etc au final elle sortira jamais de l'hôpital on allait la voir à l'hôpital. Et c'est là qu'il y a la famille qui a commencé à venir parce qu'ils étaient là en mode Oh, peut-être que maintenant qu'elle est à l'hôpital, il faut peut-être aller la voir une dernière fois. Alors qu'ils auraient pu venir quand elle était encore à peu près capable d'écrire sur une ardoise, de faire des trucs, etc. Ou même juste de communiquer un petit peu et tout. Et là, ça a commencé à être un peu la fin. J'allais l'avoir le plus souvent possible, j'ai séché entre guillemets, enfin je sais pas si on peut vraiment appeler ça sécher, je trouve que c'est quand même une raison valable pour y aller. Dans les salles d'hôpital, des services, je ne sais plus si c'est gériatrique ou... Enfin, les services pour les personnes âgées. Il y a des grands tableaux blancs devant et j'avais commencé à dessiner les portraits de chacune des personnes qui venaient la voir sur le tableau blanc pour qu'elles les voient quand elles ouvrent les yeux. C'était l'époque où on devait encore porter des masques obligatoirement à l'hôpital. C'est peut-être encore le cas, je ne sais plus. Mais en tout cas, c'était des moments où à chaque fois, elle tirait mon masque pour voir mon visage. On essayait quand même de communiquer par les regards et moi je lui parlais autant que je pouvais. Et elle me le rendait, il y avait quand même, on ressent toutes ces choses, toutes ces pressions de main, tous ces regards et tout. C'est des choses qui marquent de ouf parce qu'on est si proche de la mort et en même temps on s'accroche tellement à ces personnes qu'on aime, qu'on veut voir et qui comptent pour nous. Quand elle était malade, elle commençait à ne plus pouvoir parler, mais elle conduisait encore. Elle a conduit jusqu'à 82 ans, c'est indécent. Elle m'accompagnait à la gare à ce moment-là, et elle m'avait dit De toute façon, je ne serai sûrement pas là pour voir la fin de tes études. J'étais encore dans ce laps de temps où j'étais dans le délit en mode De toute façon, il y a toujours un moyen que ça aille mieux. Et quand ta grand-mère te dit Je pense que je ne verrai pas la fin de tes études. Tu commences à être un peu rappelée. Et à la réalité qu'elle, elle-même, elle commence déjà à accepter un peu. En fait, une semaine j'étais retournée en cours et je me souviens de ouf de cette journée-là. J'étais en classe et mon père m'appelle. Du coup, je suis en cours, du coup je réponds pas. Et les cours en jeu vidéo c'est très chill. C'était vraiment, on était en genre de TP et tout, mais on écoute notre musique, on fait notre vie et tout. Et je vois qu'il me laisse un message vocal. Du coup, je me dis bon, je vais l'écouter, il y a quelque chose à me dire tu vois. Donc j'écoute le message vocal, il me dit d'une voix tremblotante Oui, ta grand-mère, elle vient de tomber dans le coma, c'est peu probable qu'elle en sorte, on approche de la fin. Et là, j'explose en larmes, je tape ma meilleure crise d'angoisse, je suis au bout de ma vie. On me sort de la salle et tout, et c'était hyper puissant comme truc, le soir même, je suis partie de Balenciennes, je suis rentrée et tout. Du coup, ce qui s'était passé, c'était que, en gros, les infirmières devaient faire sa toilette. Et en fait, en la relevant pour l'emmener vers les toilettes, ma grand-mère est tombée. Et en fait, sa sonde gastrique s'est arrachée. Et elle en est tombée dans le coma. Et elle est restée, je crois, deux semaines dans le coma. Et ça a été tout un débat où je trouve que certaines personnes n'avaient juste pas le droit de se prononcer sur si on devait la débrancher ou ne pas la débrancher. C'est dans ces moments-là qu'on se souvient un petit peu aussi de toutes ces discussions et tout, parce qu'on en avait déjà parlé en fait de ça avec ma grand-mère. Et elle n'en avait parlé qu'à moi, donc je ne vois pas pourquoi les autres personnes se prononçaient. Et ma grand-mère m'avait dit que si jamais je la voyais en état de légume dans un hôpital, elle voudrait être débranchée. Et d'autres personnes étaient là en mode non, mais ça serait horrible de faire ça Et je suis en mode mais ce n'est pas votre choix en fait Et moi ça ne me fait pas plaisir de vous dire ça. C'était tout un bordel. On a réussi, au bout de deux semaines, à décider de la débrancher. Et c'était la fin. Après ça, il a fallu faire toute l'organisation de l'enterrement. Et c'est hyper difficile, après, d'affronter ce côté factuel et administratif de la mort. On doit aller tout récupérer dans une maison dans laquelle on a grandi. La chaîne que je porte tous les jours depuis le décès de ma grand-mère, c'est la chaîne qu'elle a portée toute sa vie. Et qu'elle voulait que je porte à mon tour. Donc il y a des petits trucs très symboliques comme ça et je veux toujours avoir un petit morceau d'elle sur moi. La cérémonie a eu lieu dans l'église de Canectancourt, qui est une église absolument minuscule, où l'église était pleine à craquer. Tout le monde était collé, tout le monde était debout, parce qu'il y avait un monde de malades. Il y avait eu tous ses amis, toute la famille qui était venue. Ils m'ont tous dit la même chose, ils m'ont tous dit que je pouvais être fière de ce que j'avais fait. Mais moi, j'avais tellement ce côté de reproche que je les ai écoutés sans vraiment les écouter. Pour moi, c'était un peu... Je clôturais cette partie de ma vie et du coup, je clôturais un petit peu les relations avec cette partie de la famille aussi que je voyais, surtout pour faire plaisir à ma grand-mère. Du coup, pour moi, c'était un petit peu un au revoir aussi auprès d'eux d'une certaine manière. Je pense qu'il y a un côté où le deuil a été par exemple plus dur pour mon père que pour moi, parce que lui il avait des regrets. Moi en fait, il y a un côté où après que ma grand-mère soit décédée, j'ai pas fait de pause dans mes études, j'ai direct repris. C'était super dur, j'étais un peu vide, mais je l'ai fait, j'ai eu ma licence, etc. Je l'ai accompagnée pendant tous les derniers mois de sa vie et j'étais hyper préparée à ça et je savais qu'elle voulait que je continue à vivre, etc. Mon deuil, je l'ai fait un peu de manière secondaire parce que j'avais des objectifs qu'elle voulait vraiment que j'accomplisse et il y a un côté où ça faisait encore partie de la redevabilité que j'avais envers elle. En fait, ce qui est bien avec la relation que j'ai eue avec ma grand-mère et l'accompagnement de fin et tout, c'est qu'on a pu se dire absolument tout ce qu'on voulait se dire sur ce qu'on ressentait l'une pour l'autre, etc. On s'est tout dit. Elle m'avait remercié et tout pour tout ce que je faisais. Elle me disait très souvent à quel point elle était fière de moi. Elle me donnait beaucoup d'amour et de courage dans tout ça. C'était vraiment quand même de l'ambition ce qu'elle me donnait. Elle avait confiance en moi et elle avait une fierté qui était hyper palpable. Tout le monde le savait à quel point elle était fière de moi et même après l'enterrement, tout le monde m'a redit qu'à chaque fois qu'elle parlait de moi, elle était tellement fière. On avait vraiment une relation qui était hyper positive et il n'y avait rien… Moi j'aurais pu lui reprocher des choses mais franchement c'est des choses tellement nulles quoi. Et elle aussi je pense qu'elle m'aurait reproché des choses nulles mais c'est aussi tout le charme de ce genre de relation quoi. Déjà, même avant qu'elle ait la mariée de Charcot, j'avais déjà une réalisation du fait que ma grand-mère, c'était toute ma vie. À chaque fois que je lui disais au revoir, je lui disais que je l'aimais, je lui disais je t'aime, parce que pour moi, c'était un truc... Il fallait absolument qu'à chaque fois que je la voyais, nos derniers mots, ça soit je t'aime. Et ça, même encore avant sa maladie et tout. Mais la relation a évidemment quand même continué d'évoluer parce que c'est hyper puissant d'accompagner quelqu'un dans sa maladie parce que ça rapproche, ça crée une proximité. Ça va être bizarre ce que je vais dire, mais quand on emmène quelqu'un dans les toilettes et qu'on le lave, ça crée de la proximité. On avait déjà confiance l'une en l'autre, mais ça crée encore une dimension supérieure où ma grand-mère me confiait sa vie. Quand on est responsable d'une vie, qu'on aime aussi fort depuis aussi longtemps, d'autant plus, et qu'on arrive à ce genre de limite, entre guillemets, parce que c'est difficile de faire encore plus que ça, on se rend compte de tout ce qu'on a vécu ensemble aussi, et de tout ce que ça représente, parce qu'en vrai, on ne se rend jamais vraiment compte, jusqu'à ce qu'on arrive à ce genre de point-là, qu'est-ce qu'on peut faire pour quelqu'un ? À quel point on peut... accompagner quelqu'un et souffrir aussi, entre guillemets, pour cette personne, parce que pour moi, ce n'était pas non plus une partie de plaisir. J'ai laissé ma vie sociale, ma vie relationnelle et plein d'autres choses de côté pour pouvoir faire tout ça pour ma grand-mère. Elle s'est donnée de tout son temps à moi aussi pour que j'en sois là aujourd'hui. Elle m'a donné quand même une éducation dont je suis. hyper fière et c'est elle aussi qui m'a donné l'humour que j'ai aujourd'hui la bonne humeur que j'ai aujourd'hui et aussi l'énergie parce qu'il y avait aussi ce côté où on parle d'une femme qui a fait 30 métiers dans sa vie et qui avait une niaque de malade elle a fait babysitter, elle a fait femme de ménage, elle a travaillé dans les usines elle a fait couturière elle a fait mille choses, petits métiers elle m'a donné ce courage de me battre pour atteindre mes objectifs. Malgré tout, si elle n'avait pas fait tout ça, je n'aurais pas cette assurance que j'ai aujourd'hui, parce que je bosse dans une boîte où il y a 11 mecs et moi. Je suis chef d'équipe, chef de projet. Bon, je ne vais pas dire que je les mène à la baguette, mais je prends quand même des responsabilités. je m'en sens capable. Ce côté aussi de réussir très facilement à prendre des grosses responsabilités aujourd'hui, je pense que ça vient aussi du coup de l'expérience que j'ai eue avec elle sur tout l'accompagnement que j'ai fait sur les deux ans avec elle, parce que... Après avoir pris la responsabilité d'une vie, franchement toutes les responsabilités à côté, ok c'est de la pression, mais j'ai mis deux ans de temps de cerveau dans ma grand-mère, c'était énorme. Maintenant tout me semble un petit peu moins important en termes de responsabilité que ce que c'était. Quand je repense à tout ça, il y a vraiment ce côté où, de un, je suis super fière de ce que j'ai fait, parce que je sais très bien que tout le monde n'aurait pas été forcément capable de faire ça. Moi, je suis super fière d'être restée jusqu'au bout et d'avoir pris cette responsabilité. Il y a un petit peu l'âge qui fait aussi, parce que je me rends plus compte aujourd'hui que à ce moment-là de ce que ça représentait pour l'âge que j'avais. et à quel point je n'aurais pas dû faire ça en vrai, mais qu'au final, ça m'a fait grandir, ça m'a fait apprendre énormément de choses, ça m'a fait prendre beaucoup de recul aussi, parce que du coup, les responsabilités, la mort, la manière dont on vit ce genre de situation, tu prends un recul près derrière qui est tellement énorme qu'il y a plein de choses qui perdent de l'importance. Enfin, c'est pas que tout devient dérisoire, mais c'est que tout devient une bonne raison d'être heureux, d'une certaine manière. J'ai de la chance d'être en bonne santé, d'avoir un appartement, d'avoir des relations sociales qui seront riches. Je sais pas, genre, il y a un côté où ma situation aujourd'hui, moi je la dédie d'une certaine manière à ma grand-mère. En arrivant à Paris, j'ai cherché un petit peu à retrouver ce que j'avais avec ma grand-mère quand j'étais dans mon enfance, du coup, ce côté d'aller voir les personnes âgées, etc. Par hasard, je suis tombée sur, je crois que c'était une publication Insta de Paris en compagnie, et vraiment, elle m'est tombée dessus de manière hyper hasardeuse, et je me suis dit, ok, ça c'est pour moi. Je suis entrée dans l'association qui propose de faire des missions avec des personnes âgées, de les emmener dans des musées, de les emmener dans des cafés, de se balader dans leur quartier, etc. Et c'est vraiment de la mission individuelle, en mode il y a juste l'aîné et moi, on fait des sorties de 1h à 4h. Au début j'avais quand même super peur, parce que ça faisait un an que ma grand-mère était décédée, j'avais cette peur d'aller voir quelqu'un, une personne âgée, et revoir en quelque sorte dans mon esprit ma grand-mère et me mettre à chialer.