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Une année en prépa

PHILOSOPHIE : Sur une remarque de Thomas d'Aquin

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06min |02/01/2025|

66

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Description

Une année d'immersion dans un cours de Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles.


Damien CLERGET-GURNAUD est professeur agrégé. Il enseigne la culture générale aux ECG du lycée Pothier d'Orleans. Il est l'auteur de deux ouvrages parus aux éditions eyrolles : Agir avec AristoteVivre passionnément avec Kierkegaard.


Une production COM'EN PREPA (Junior entreprise du lycée POTHIER d'Orleans).


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #1

    Lorsque Christophe Colomb a découvert l'Amérique, il ne savait pas encore ce qu'était l'Amérique. Il avait découvert l'existence d'un nouveau continent, mais par la force des choses, ce nouveau continent demeurait encore pour lui une terre à explorer. C'est ainsi que, en général, notre raison fonctionne. Pour connaître une chose, n'importe laquelle, il convient d'abord de reconnaître qu'elle existe. Avant de connaître quelque chose, il faut commencer par admettre qu'il y a quelque chose à connaître. Avant de se demander ce qu'est une chose, rappelle Thomas d'Aquin, on doit se demander si elle existe. Christophe Colomb, toutefois, aurait pu s'y prendre autrement. Il aurait pu commencer par concevoir dans son esprit l'idée d'un continent nouveau, peuplé de sauvages à quatre jambes et de plantes fabuleuses. Il aurait pu imaginer une terre enfouie sous les eaux ou posée sur des rochers navigant en plein ciel. Il aurait pu rêver d'un monde extraordinaire où les licornes existent et où les fées se mènent entre elles, une guerre impitoyable au milieu des centaures. Alors certainement la situation aurait été un peu différente pour lui. Au lieu de se demander ce qu'était l'Amérique, ce doux rêveur se serait sans doute demandé s'il y avait quelque part, niché dans l'obscurité, une réalité qui correspondait à sa vision enchantée de l'Amérique. Vu sous cet angle, il y a assurément quelques lubies de doudingues dans la volonté de croire aux contes de fées, ou même, simplement, dans la volonté de se demander si les fées existent, comme s'il y avait là matière sérieuse à discussion. Mais personne ne nous oblige à croire que les choses se passent ordinairement de cette manière. Personne ne nous oblige à croire que les hommes commencent par imaginer des fées dans leur tête, Avant de se demander ensuite, en guise de plaisanterie, si elles existent vraiment. Historiquement, à en croire les spécialistes de la préhistoire, les choses ne se sont pas passées dans cet ordre-là. Les hommes n'ont pas été poètes avant de devenir ensuite superstitieux. Tout porte plutôt à penser qu'ils ont d'abord été superstitieux avant de devenir ensuite des poètes. Ils ont commencé par constater l'existence de phénomènes étranges qui requieraient l'existence de causes inconnues, puis seulement après, ils ont entrepris d'habiller cet inconnu de leur fantaisie sans limite. Ils n'ont pas commencé par rêver d'un Jupiter qui lancerait des éclairs pour ensuite, à partir de là, expliquer les phénomènes météorologiques. Tout porte à croire qu'ils se sont d'abord interrogés sur la cause mystérieuse qui faisait tomber la foudre sur la Terre des Hommes, avant d'imaginer un Dieu farouche au sommet de l'Olympe. Eh bien, ce qui est vrai dans ce cas vaut aussi rigoureusement pour le problème de l'existence de Dieu. A la façon dont on présente ordinairement ce problème, tout se passe comme si nous partageons tous approximativement la même idée de Dieu. Seulement, à en croire les statistiques, de plus en plus nombreux sont ceux d'entre nous qui n'y croient plus. Faut-il s'en étonner si nous présentons les choses de cette manière, partir de l'idée de Dieu, avant de nous demander ensuite, dans un deuxième temps, s'il existe, ne peut invariablement conduire qu'à la même conclusion. On ne pourra pas faire sortir l'existence de Dieu d'un joli livre d'images à l'intérieur duquel nous aurions commencé à le dessiner proprement. On ne pourra pas faire sortir l'existence d'une simple idée, comme le magicien sort le lapin de son chapeau. Si vous posez en premier l'idée de Dieu et qu'ensuite seulement vous vous demandez si quelque chose dans la réalité correspond à cette idée, la conclusion est à peu près inévitable. Même si l'existence de Dieu n'est pas impossible, elle est du moins hautement suspecte. Les choses iraient beaucoup plus naturellement si nous prenions le problème à l'envers. Que l'on commence à nous mettre en présence de Dieu, il sera toujours temps ensuite de nous faire une idée approximative de ce qu'il est véritablement. Autrement dit... Pour la connaissance, la question de l'existence est bel et bien impréalable. On ne peut pas commencer à connaître quelque chose à s'en faire la moindre idée, tant qu'on ne suspecte pas d'abord ou tant qu'on ignore seulement son existence. Aucun croyant ne part jamais de l'idée de Dieu pour en tirer ensuite d'on ne sait où la conviction qu'il existerait. Il fait l'inverse, la certitude que Dieu doit exister vient pour lui en premier, la détermination de ce qu'il est vient seulement en second. Dans l'immense Somme théologique, Saint Thomas ne consacre que cinq petites pages à la question de l'existence de Dieu. En revanche, il lui faut des centaines de pages pour parvenir à en esquisser le visage. Toute l'histoire religieuse de l'humanité se manifeste dans ce déséquilibre. Il a fallu des millénaires de gestations pour qu'émerge et se précise l'idée de Dieu telle que nous avons appris nous à la concevoir. La question de la juste représentation du divin a été l'objet d'une quête inlassable, où se sont succédés des réponses infiniment variées et complexes. En revanche, la question de l'existence de Dieu a, elle, été tranchée rapidement, de façon expéditive et péremptoire, comme une sorte de préalable unanimement acquis. Tant il semblait difficile pour les hommes d'échapper à la conviction tenace que ce monde devait son ordre et son existence à autre chose que lui-même. Ainsi, la question de l'existence de Dieu est très mal posée, parce qu'elle laisse entendre qu'il est facile de savoir ce qu'il est, mais qu'il est très difficile en revanche de savoir s'il existe. En fait, c'est exactement le contraire. Il est intellectuellement plus facile pour l'esprit d'en venir à la conclusion que Dieu existe, même si cette conclusion est fausse, que de savoir ce qu'il est vraiment. Le pressentiment rationnel de son existence demeure beaucoup plus accessible à chacun d'entre nous que la juste détermination de son identité. S'il était encore besoin d'une preuve, il suffirait de remarquer que même aujourd'hui, le recul de la croyance religieuse dans les sociétés occidentales ne s'accompagne pas d'un progrès parallèle de l'athéisme. Celui-ci demeure encore, même à notre époque, une position relativement marginale. Le terrain que perd la croyance religieuse est le plus souvent occupé par des formes de spiritualité alternative faites de briques et de brocs, de chamanisme et d'orientalisme, de pièces empruntées. à d'autres religions et composé dans un désordre artistique. On voit certes disparaître la vieille religion, mais la spiritualité en quitte, elle, a rarement eu autant d'adeptes. Nombreux sont ceux qui croient en Dieu, manifestement, mais de moins en moins nombreux sont ceux qui savent de quel Dieu il s'agit.

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Une année d'immersion dans un cours de Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles.


Damien CLERGET-GURNAUD est professeur agrégé. Il enseigne la culture générale aux ECG du lycée Pothier d'Orleans. Il est l'auteur de deux ouvrages parus aux éditions eyrolles : Agir avec AristoteVivre passionnément avec Kierkegaard.


Une production COM'EN PREPA (Junior entreprise du lycée POTHIER d'Orleans).


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #1

    Lorsque Christophe Colomb a découvert l'Amérique, il ne savait pas encore ce qu'était l'Amérique. Il avait découvert l'existence d'un nouveau continent, mais par la force des choses, ce nouveau continent demeurait encore pour lui une terre à explorer. C'est ainsi que, en général, notre raison fonctionne. Pour connaître une chose, n'importe laquelle, il convient d'abord de reconnaître qu'elle existe. Avant de connaître quelque chose, il faut commencer par admettre qu'il y a quelque chose à connaître. Avant de se demander ce qu'est une chose, rappelle Thomas d'Aquin, on doit se demander si elle existe. Christophe Colomb, toutefois, aurait pu s'y prendre autrement. Il aurait pu commencer par concevoir dans son esprit l'idée d'un continent nouveau, peuplé de sauvages à quatre jambes et de plantes fabuleuses. Il aurait pu imaginer une terre enfouie sous les eaux ou posée sur des rochers navigant en plein ciel. Il aurait pu rêver d'un monde extraordinaire où les licornes existent et où les fées se mènent entre elles, une guerre impitoyable au milieu des centaures. Alors certainement la situation aurait été un peu différente pour lui. Au lieu de se demander ce qu'était l'Amérique, ce doux rêveur se serait sans doute demandé s'il y avait quelque part, niché dans l'obscurité, une réalité qui correspondait à sa vision enchantée de l'Amérique. Vu sous cet angle, il y a assurément quelques lubies de doudingues dans la volonté de croire aux contes de fées, ou même, simplement, dans la volonté de se demander si les fées existent, comme s'il y avait là matière sérieuse à discussion. Mais personne ne nous oblige à croire que les choses se passent ordinairement de cette manière. Personne ne nous oblige à croire que les hommes commencent par imaginer des fées dans leur tête, Avant de se demander ensuite, en guise de plaisanterie, si elles existent vraiment. Historiquement, à en croire les spécialistes de la préhistoire, les choses ne se sont pas passées dans cet ordre-là. Les hommes n'ont pas été poètes avant de devenir ensuite superstitieux. Tout porte plutôt à penser qu'ils ont d'abord été superstitieux avant de devenir ensuite des poètes. Ils ont commencé par constater l'existence de phénomènes étranges qui requieraient l'existence de causes inconnues, puis seulement après, ils ont entrepris d'habiller cet inconnu de leur fantaisie sans limite. Ils n'ont pas commencé par rêver d'un Jupiter qui lancerait des éclairs pour ensuite, à partir de là, expliquer les phénomènes météorologiques. Tout porte à croire qu'ils se sont d'abord interrogés sur la cause mystérieuse qui faisait tomber la foudre sur la Terre des Hommes, avant d'imaginer un Dieu farouche au sommet de l'Olympe. Eh bien, ce qui est vrai dans ce cas vaut aussi rigoureusement pour le problème de l'existence de Dieu. A la façon dont on présente ordinairement ce problème, tout se passe comme si nous partageons tous approximativement la même idée de Dieu. Seulement, à en croire les statistiques, de plus en plus nombreux sont ceux d'entre nous qui n'y croient plus. Faut-il s'en étonner si nous présentons les choses de cette manière, partir de l'idée de Dieu, avant de nous demander ensuite, dans un deuxième temps, s'il existe, ne peut invariablement conduire qu'à la même conclusion. On ne pourra pas faire sortir l'existence de Dieu d'un joli livre d'images à l'intérieur duquel nous aurions commencé à le dessiner proprement. On ne pourra pas faire sortir l'existence d'une simple idée, comme le magicien sort le lapin de son chapeau. Si vous posez en premier l'idée de Dieu et qu'ensuite seulement vous vous demandez si quelque chose dans la réalité correspond à cette idée, la conclusion est à peu près inévitable. Même si l'existence de Dieu n'est pas impossible, elle est du moins hautement suspecte. Les choses iraient beaucoup plus naturellement si nous prenions le problème à l'envers. Que l'on commence à nous mettre en présence de Dieu, il sera toujours temps ensuite de nous faire une idée approximative de ce qu'il est véritablement. Autrement dit... Pour la connaissance, la question de l'existence est bel et bien impréalable. On ne peut pas commencer à connaître quelque chose à s'en faire la moindre idée, tant qu'on ne suspecte pas d'abord ou tant qu'on ignore seulement son existence. Aucun croyant ne part jamais de l'idée de Dieu pour en tirer ensuite d'on ne sait où la conviction qu'il existerait. Il fait l'inverse, la certitude que Dieu doit exister vient pour lui en premier, la détermination de ce qu'il est vient seulement en second. Dans l'immense Somme théologique, Saint Thomas ne consacre que cinq petites pages à la question de l'existence de Dieu. En revanche, il lui faut des centaines de pages pour parvenir à en esquisser le visage. Toute l'histoire religieuse de l'humanité se manifeste dans ce déséquilibre. Il a fallu des millénaires de gestations pour qu'émerge et se précise l'idée de Dieu telle que nous avons appris nous à la concevoir. La question de la juste représentation du divin a été l'objet d'une quête inlassable, où se sont succédés des réponses infiniment variées et complexes. En revanche, la question de l'existence de Dieu a, elle, été tranchée rapidement, de façon expéditive et péremptoire, comme une sorte de préalable unanimement acquis. Tant il semblait difficile pour les hommes d'échapper à la conviction tenace que ce monde devait son ordre et son existence à autre chose que lui-même. Ainsi, la question de l'existence de Dieu est très mal posée, parce qu'elle laisse entendre qu'il est facile de savoir ce qu'il est, mais qu'il est très difficile en revanche de savoir s'il existe. En fait, c'est exactement le contraire. Il est intellectuellement plus facile pour l'esprit d'en venir à la conclusion que Dieu existe, même si cette conclusion est fausse, que de savoir ce qu'il est vraiment. Le pressentiment rationnel de son existence demeure beaucoup plus accessible à chacun d'entre nous que la juste détermination de son identité. S'il était encore besoin d'une preuve, il suffirait de remarquer que même aujourd'hui, le recul de la croyance religieuse dans les sociétés occidentales ne s'accompagne pas d'un progrès parallèle de l'athéisme. Celui-ci demeure encore, même à notre époque, une position relativement marginale. Le terrain que perd la croyance religieuse est le plus souvent occupé par des formes de spiritualité alternative faites de briques et de brocs, de chamanisme et d'orientalisme, de pièces empruntées. à d'autres religions et composé dans un désordre artistique. On voit certes disparaître la vieille religion, mais la spiritualité en quitte, elle, a rarement eu autant d'adeptes. Nombreux sont ceux qui croient en Dieu, manifestement, mais de moins en moins nombreux sont ceux qui savent de quel Dieu il s'agit.

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Damien CLERGET-GURNAUD est professeur agrégé. Il enseigne la culture générale aux ECG du lycée Pothier d'Orleans. Il est l'auteur de deux ouvrages parus aux éditions eyrolles : Agir avec AristoteVivre passionnément avec Kierkegaard.


Une production COM'EN PREPA (Junior entreprise du lycée POTHIER d'Orleans).


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  • Speaker #1

    Lorsque Christophe Colomb a découvert l'Amérique, il ne savait pas encore ce qu'était l'Amérique. Il avait découvert l'existence d'un nouveau continent, mais par la force des choses, ce nouveau continent demeurait encore pour lui une terre à explorer. C'est ainsi que, en général, notre raison fonctionne. Pour connaître une chose, n'importe laquelle, il convient d'abord de reconnaître qu'elle existe. Avant de connaître quelque chose, il faut commencer par admettre qu'il y a quelque chose à connaître. Avant de se demander ce qu'est une chose, rappelle Thomas d'Aquin, on doit se demander si elle existe. Christophe Colomb, toutefois, aurait pu s'y prendre autrement. Il aurait pu commencer par concevoir dans son esprit l'idée d'un continent nouveau, peuplé de sauvages à quatre jambes et de plantes fabuleuses. Il aurait pu imaginer une terre enfouie sous les eaux ou posée sur des rochers navigant en plein ciel. Il aurait pu rêver d'un monde extraordinaire où les licornes existent et où les fées se mènent entre elles, une guerre impitoyable au milieu des centaures. Alors certainement la situation aurait été un peu différente pour lui. Au lieu de se demander ce qu'était l'Amérique, ce doux rêveur se serait sans doute demandé s'il y avait quelque part, niché dans l'obscurité, une réalité qui correspondait à sa vision enchantée de l'Amérique. Vu sous cet angle, il y a assurément quelques lubies de doudingues dans la volonté de croire aux contes de fées, ou même, simplement, dans la volonté de se demander si les fées existent, comme s'il y avait là matière sérieuse à discussion. Mais personne ne nous oblige à croire que les choses se passent ordinairement de cette manière. Personne ne nous oblige à croire que les hommes commencent par imaginer des fées dans leur tête, Avant de se demander ensuite, en guise de plaisanterie, si elles existent vraiment. Historiquement, à en croire les spécialistes de la préhistoire, les choses ne se sont pas passées dans cet ordre-là. Les hommes n'ont pas été poètes avant de devenir ensuite superstitieux. Tout porte plutôt à penser qu'ils ont d'abord été superstitieux avant de devenir ensuite des poètes. Ils ont commencé par constater l'existence de phénomènes étranges qui requieraient l'existence de causes inconnues, puis seulement après, ils ont entrepris d'habiller cet inconnu de leur fantaisie sans limite. Ils n'ont pas commencé par rêver d'un Jupiter qui lancerait des éclairs pour ensuite, à partir de là, expliquer les phénomènes météorologiques. Tout porte à croire qu'ils se sont d'abord interrogés sur la cause mystérieuse qui faisait tomber la foudre sur la Terre des Hommes, avant d'imaginer un Dieu farouche au sommet de l'Olympe. Eh bien, ce qui est vrai dans ce cas vaut aussi rigoureusement pour le problème de l'existence de Dieu. A la façon dont on présente ordinairement ce problème, tout se passe comme si nous partageons tous approximativement la même idée de Dieu. Seulement, à en croire les statistiques, de plus en plus nombreux sont ceux d'entre nous qui n'y croient plus. Faut-il s'en étonner si nous présentons les choses de cette manière, partir de l'idée de Dieu, avant de nous demander ensuite, dans un deuxième temps, s'il existe, ne peut invariablement conduire qu'à la même conclusion. On ne pourra pas faire sortir l'existence de Dieu d'un joli livre d'images à l'intérieur duquel nous aurions commencé à le dessiner proprement. On ne pourra pas faire sortir l'existence d'une simple idée, comme le magicien sort le lapin de son chapeau. Si vous posez en premier l'idée de Dieu et qu'ensuite seulement vous vous demandez si quelque chose dans la réalité correspond à cette idée, la conclusion est à peu près inévitable. Même si l'existence de Dieu n'est pas impossible, elle est du moins hautement suspecte. Les choses iraient beaucoup plus naturellement si nous prenions le problème à l'envers. Que l'on commence à nous mettre en présence de Dieu, il sera toujours temps ensuite de nous faire une idée approximative de ce qu'il est véritablement. Autrement dit... Pour la connaissance, la question de l'existence est bel et bien impréalable. On ne peut pas commencer à connaître quelque chose à s'en faire la moindre idée, tant qu'on ne suspecte pas d'abord ou tant qu'on ignore seulement son existence. Aucun croyant ne part jamais de l'idée de Dieu pour en tirer ensuite d'on ne sait où la conviction qu'il existerait. Il fait l'inverse, la certitude que Dieu doit exister vient pour lui en premier, la détermination de ce qu'il est vient seulement en second. Dans l'immense Somme théologique, Saint Thomas ne consacre que cinq petites pages à la question de l'existence de Dieu. En revanche, il lui faut des centaines de pages pour parvenir à en esquisser le visage. Toute l'histoire religieuse de l'humanité se manifeste dans ce déséquilibre. Il a fallu des millénaires de gestations pour qu'émerge et se précise l'idée de Dieu telle que nous avons appris nous à la concevoir. La question de la juste représentation du divin a été l'objet d'une quête inlassable, où se sont succédés des réponses infiniment variées et complexes. En revanche, la question de l'existence de Dieu a, elle, été tranchée rapidement, de façon expéditive et péremptoire, comme une sorte de préalable unanimement acquis. Tant il semblait difficile pour les hommes d'échapper à la conviction tenace que ce monde devait son ordre et son existence à autre chose que lui-même. Ainsi, la question de l'existence de Dieu est très mal posée, parce qu'elle laisse entendre qu'il est facile de savoir ce qu'il est, mais qu'il est très difficile en revanche de savoir s'il existe. En fait, c'est exactement le contraire. Il est intellectuellement plus facile pour l'esprit d'en venir à la conclusion que Dieu existe, même si cette conclusion est fausse, que de savoir ce qu'il est vraiment. Le pressentiment rationnel de son existence demeure beaucoup plus accessible à chacun d'entre nous que la juste détermination de son identité. S'il était encore besoin d'une preuve, il suffirait de remarquer que même aujourd'hui, le recul de la croyance religieuse dans les sociétés occidentales ne s'accompagne pas d'un progrès parallèle de l'athéisme. Celui-ci demeure encore, même à notre époque, une position relativement marginale. Le terrain que perd la croyance religieuse est le plus souvent occupé par des formes de spiritualité alternative faites de briques et de brocs, de chamanisme et d'orientalisme, de pièces empruntées. à d'autres religions et composé dans un désordre artistique. On voit certes disparaître la vieille religion, mais la spiritualité en quitte, elle, a rarement eu autant d'adeptes. Nombreux sont ceux qui croient en Dieu, manifestement, mais de moins en moins nombreux sont ceux qui savent de quel Dieu il s'agit.

Description

Une année d'immersion dans un cours de Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles.


Damien CLERGET-GURNAUD est professeur agrégé. Il enseigne la culture générale aux ECG du lycée Pothier d'Orleans. Il est l'auteur de deux ouvrages parus aux éditions eyrolles : Agir avec AristoteVivre passionnément avec Kierkegaard.


Une production COM'EN PREPA (Junior entreprise du lycée POTHIER d'Orleans).


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #1

    Lorsque Christophe Colomb a découvert l'Amérique, il ne savait pas encore ce qu'était l'Amérique. Il avait découvert l'existence d'un nouveau continent, mais par la force des choses, ce nouveau continent demeurait encore pour lui une terre à explorer. C'est ainsi que, en général, notre raison fonctionne. Pour connaître une chose, n'importe laquelle, il convient d'abord de reconnaître qu'elle existe. Avant de connaître quelque chose, il faut commencer par admettre qu'il y a quelque chose à connaître. Avant de se demander ce qu'est une chose, rappelle Thomas d'Aquin, on doit se demander si elle existe. Christophe Colomb, toutefois, aurait pu s'y prendre autrement. Il aurait pu commencer par concevoir dans son esprit l'idée d'un continent nouveau, peuplé de sauvages à quatre jambes et de plantes fabuleuses. Il aurait pu imaginer une terre enfouie sous les eaux ou posée sur des rochers navigant en plein ciel. Il aurait pu rêver d'un monde extraordinaire où les licornes existent et où les fées se mènent entre elles, une guerre impitoyable au milieu des centaures. Alors certainement la situation aurait été un peu différente pour lui. Au lieu de se demander ce qu'était l'Amérique, ce doux rêveur se serait sans doute demandé s'il y avait quelque part, niché dans l'obscurité, une réalité qui correspondait à sa vision enchantée de l'Amérique. Vu sous cet angle, il y a assurément quelques lubies de doudingues dans la volonté de croire aux contes de fées, ou même, simplement, dans la volonté de se demander si les fées existent, comme s'il y avait là matière sérieuse à discussion. Mais personne ne nous oblige à croire que les choses se passent ordinairement de cette manière. Personne ne nous oblige à croire que les hommes commencent par imaginer des fées dans leur tête, Avant de se demander ensuite, en guise de plaisanterie, si elles existent vraiment. Historiquement, à en croire les spécialistes de la préhistoire, les choses ne se sont pas passées dans cet ordre-là. Les hommes n'ont pas été poètes avant de devenir ensuite superstitieux. Tout porte plutôt à penser qu'ils ont d'abord été superstitieux avant de devenir ensuite des poètes. Ils ont commencé par constater l'existence de phénomènes étranges qui requieraient l'existence de causes inconnues, puis seulement après, ils ont entrepris d'habiller cet inconnu de leur fantaisie sans limite. Ils n'ont pas commencé par rêver d'un Jupiter qui lancerait des éclairs pour ensuite, à partir de là, expliquer les phénomènes météorologiques. Tout porte à croire qu'ils se sont d'abord interrogés sur la cause mystérieuse qui faisait tomber la foudre sur la Terre des Hommes, avant d'imaginer un Dieu farouche au sommet de l'Olympe. Eh bien, ce qui est vrai dans ce cas vaut aussi rigoureusement pour le problème de l'existence de Dieu. A la façon dont on présente ordinairement ce problème, tout se passe comme si nous partageons tous approximativement la même idée de Dieu. Seulement, à en croire les statistiques, de plus en plus nombreux sont ceux d'entre nous qui n'y croient plus. Faut-il s'en étonner si nous présentons les choses de cette manière, partir de l'idée de Dieu, avant de nous demander ensuite, dans un deuxième temps, s'il existe, ne peut invariablement conduire qu'à la même conclusion. On ne pourra pas faire sortir l'existence de Dieu d'un joli livre d'images à l'intérieur duquel nous aurions commencé à le dessiner proprement. On ne pourra pas faire sortir l'existence d'une simple idée, comme le magicien sort le lapin de son chapeau. Si vous posez en premier l'idée de Dieu et qu'ensuite seulement vous vous demandez si quelque chose dans la réalité correspond à cette idée, la conclusion est à peu près inévitable. Même si l'existence de Dieu n'est pas impossible, elle est du moins hautement suspecte. Les choses iraient beaucoup plus naturellement si nous prenions le problème à l'envers. Que l'on commence à nous mettre en présence de Dieu, il sera toujours temps ensuite de nous faire une idée approximative de ce qu'il est véritablement. Autrement dit... Pour la connaissance, la question de l'existence est bel et bien impréalable. On ne peut pas commencer à connaître quelque chose à s'en faire la moindre idée, tant qu'on ne suspecte pas d'abord ou tant qu'on ignore seulement son existence. Aucun croyant ne part jamais de l'idée de Dieu pour en tirer ensuite d'on ne sait où la conviction qu'il existerait. Il fait l'inverse, la certitude que Dieu doit exister vient pour lui en premier, la détermination de ce qu'il est vient seulement en second. Dans l'immense Somme théologique, Saint Thomas ne consacre que cinq petites pages à la question de l'existence de Dieu. En revanche, il lui faut des centaines de pages pour parvenir à en esquisser le visage. Toute l'histoire religieuse de l'humanité se manifeste dans ce déséquilibre. Il a fallu des millénaires de gestations pour qu'émerge et se précise l'idée de Dieu telle que nous avons appris nous à la concevoir. La question de la juste représentation du divin a été l'objet d'une quête inlassable, où se sont succédés des réponses infiniment variées et complexes. En revanche, la question de l'existence de Dieu a, elle, été tranchée rapidement, de façon expéditive et péremptoire, comme une sorte de préalable unanimement acquis. Tant il semblait difficile pour les hommes d'échapper à la conviction tenace que ce monde devait son ordre et son existence à autre chose que lui-même. Ainsi, la question de l'existence de Dieu est très mal posée, parce qu'elle laisse entendre qu'il est facile de savoir ce qu'il est, mais qu'il est très difficile en revanche de savoir s'il existe. En fait, c'est exactement le contraire. Il est intellectuellement plus facile pour l'esprit d'en venir à la conclusion que Dieu existe, même si cette conclusion est fausse, que de savoir ce qu'il est vraiment. Le pressentiment rationnel de son existence demeure beaucoup plus accessible à chacun d'entre nous que la juste détermination de son identité. S'il était encore besoin d'une preuve, il suffirait de remarquer que même aujourd'hui, le recul de la croyance religieuse dans les sociétés occidentales ne s'accompagne pas d'un progrès parallèle de l'athéisme. Celui-ci demeure encore, même à notre époque, une position relativement marginale. Le terrain que perd la croyance religieuse est le plus souvent occupé par des formes de spiritualité alternative faites de briques et de brocs, de chamanisme et d'orientalisme, de pièces empruntées. à d'autres religions et composé dans un désordre artistique. On voit certes disparaître la vieille religion, mais la spiritualité en quitte, elle, a rarement eu autant d'adeptes. Nombreux sont ceux qui croient en Dieu, manifestement, mais de moins en moins nombreux sont ceux qui savent de quel Dieu il s'agit.

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