- Speaker #0
Les zoos, au-delà des missions de conservation, c'est d'abord une mission pour permettre au grand public d'aimer la nature. On travaille avec certains parcs animaliers, certains aquariums qui respectent le bien-être animal. Ça, c'est absolument essentiel.
- Speaker #1
Une autre idée du zoo, le podcast du Bioparc de Doué-la-Fontaine. À quoi servent les zoos ? Quelles missions remplissent-ils au service de la biodiversité ? Comment concourent-ils à la sauvegarde des espèces menacées ? Afin de prendre de la hauteur sur le sujet et d'apporter un éclairage extérieur, Maud Lelièvre, présidente du Comité français de l'UICN, a accepté de répondre à ces questions. Bonjour Maud Lelièvre. Bonjour. Donc Maud Lelièvre, vous êtes présidente du Comité français de l'Union internationale de conservation de la nature, que l'on appelle couramment l'UICN, et vous êtes aussi membre du conseil... international de l'UICN. Vous êtes diplômée en sciences politiques, docteur en droit, avocate, spécialisée en droit de l'environnement. Vous avez défendu des dossiers environnementaux, notamment en Afrique. Durant vos 20 ans de carrière, dans la protection de l'environnement, vous avez participé à diverses COP biodiversité et de nombreuses négociations internationales et vous développez, en tant que déléguée générale, les politiques publiques d'une association de collectivité locale. Merci beaucoup d'avoir accepté de répondre à mes questions.
- Speaker #0
Merci à vous.
- Speaker #1
Alors pour commencer, est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qu'est l'UICN et en quoi consiste votre fonction ?
- Speaker #0
L'UICN, comme vous l'avez indiqué, c'est l'Union Internationale de Conservation de la Nature qui a été créée il y a un tout petit peu plus de 75 ans à Fontainebleau en France, dont aujourd'hui le siège est en Suisse, et qui regroupe 1300 organisations à travers le monde, des organisations qui sont des ONG importantes comme la LPO, au plan international qu'on appelle BirdLife, WWF, des grandes associations, mais aussi des agences d'États, des muséums d'histoire naturelle, évidemment des centres de conservation, des zoos, des aquariums, et puis composés également par les États. C'est une particularité, c'est la seule organisation internationale de ce genre qui lui permet d'ailleurs de délibérer, d'adopter des résolutions mondiales qui ont un statut et qui ont vocation à être appliquées.
- Speaker #1
Aujourd'hui, est-ce que les zoos font partie de ces institutions avec lesquelles l'UICN travaille ?
- Speaker #0
Oui, évidemment, parce que ça a d'ailleurs été grâce aux zoos et aux centres de conservation qu'on a eu un certain nombre d'experts à travers les années, qui ont permis notamment de créer ce qu'on appelle les listes rouges. Les listes rouges, c'est les baromètres des espèces. C'est un petit peu ce qui permet d'analyser ce qu'est l'état de la conservation, qui évalue de façon régulière les espèces animales et végétales. Et dans les années 60, les experts notamment, des parcs animaliers et des muséums, s'étaient rendus compte que pour protéger, il fallait trouver des voies à travers le droit. C'est peut-être la juriste que je suis qui parle. Et ils ont créé des systèmes de protection, notamment des éléphants, en créant d'abord un livre rouge, puis des listes rouges de l'UICN et en faisant adopter une conférence internationale qu'on appelle la CITES, qui gère l'achat, le transport, la vente d'un certain nombre d'espèces et qui permet de mieux les protéger. Si aujourd'hui on a encore des éléphants, c'est parce qu'on a eu des acteurs de terrain, des scientifiques, des spécialistes de la conservation et puis des acteurs du droit.
- Speaker #1
Ils se sont mobilisés pour classifier, indiquer quelles étaient les espèces les plus menacées. On entend souvent parler d'une espèce qui est en danger critique d'extinction ou qui est classée comme vulnérable par l'UICN. Et c'est donc ça...
- Speaker #0
Ces fameux baromètres, ces fameuses listes rouges, ça permet surtout, lorsque c'est bien fait, que ça peut être partagé par les autres acteurs, de mettre en place des plans nationaux d'action. On est assez... On en a des assez élaborés en France, on est assez efficace et c'est le cas sur la plupart des pays qui sont membres de l'UICN. C'est faire en sorte qu'on attaque à la source les causes de disparition de la biodiversité. Et quand on a des fragmentations de l'habitat, par exemple, de mettre en place des mesures de préservation des terres pour éviter la disparition des espèces. On ne peut pas agir sur toutes les causes, mais on peut agir sur une partie.
- Speaker #1
À propos des plans nationaux d'action, une petite explication s'impose. Les plans nationaux d'action visent à assurer la conservation ou le rétablissement d'espèces de faune et de flore sauvage menacées ou faisant l'objet d'un intérêt particulier. Ces plans sont mobilisés lorsque les autres politiques publiques environnementales sont jugées insuffisantes pour aboutir à un état de conservation favorable. Le plan national d'action sera alors élaboré avec tous les acteurs disposant de leviers pour agir. Services de l'État, collectivités territoriales, acteurs socio-économiques, associations et ONG, avec des mesures sur 5 ou 10 ans. Plus de 1660 espèces sauvages sont actuellement considérées comme menacées de disparition dans la liste rouge de l'UICN pour la France. Environ la moitié concerne la métropole, l'autre moitié l'outre-mer. Une méthode de priorisation des espèces a été mise en œuvre par le Muséum national d'histoire naturelle, permettant d'aboutir à une liste de plus de 630 espèces de faune et de flore sauvage prioritaires pour l'action publique. Il existe aujourd'hui 71 plans nationaux d'action sur l'ensemble du territoire français. En tant que présidente du comité français de l'UICN, est-ce que vous pouvez nous expliquer les missions qui sont remplies par les zoos pour la biodiversité, puisque vous connaissez bien les contours de ces missions ?
- Speaker #0
Alors, elles sont nombreuses, parce que ce sont des acteurs importants, à la fois dans leur relation avec le grand public. Moi, je considère que les zoos, au-delà des missions de conservation, c'est d'abord une mission pour permettre au grand public d'aimer la nature. On ne connaît et on ne protège que ce que l'on aime. Et si on n'a jamais vu autrement que dans des livres d'images ou dans des documentaires, des espèces qu'on n'a jamais pu avoir cette interaction. On est fondamentalement des espèces animales avec des chimpanzés, avec des gorilles, pour voir que finalement ils nous ressemblent, on ne partage pas cette idée commune que nous faisons partie de la biodiversité. Donc c'est d'abord cette facilité pour le grand public de pouvoir avoir accès à des espèces. Évidemment, et on insiste beaucoup là-dessus à l'UICN, on travaille avec certains parcs animaliers, certains zoos, certains aquariums qui respectent les conditions du bien-être animal, la bonne conservation dans la durée, les bonnes méthodes de reproduction. Donc ça, c'est absolument essentiel. Tout zoo, évidemment, ne peut pas être membre de l'UICN. Et puis, ce sont des acteurs aussi essentiels puisqu'ils collaborent à l'expertise de la gestion in-situ et ex- situ, à la recherche, à l'engagement communautaire, c'est aussi un point important. Moi, j'ai la chance de pouvoir, comme vous l'avez indiqué, de siéger au Conseil international de l'UICN. Et en fait, on voit combien il faut travailler toute la chaîne, travailler avec les populations locales, travailler sur la défense sur le terrain des espèces, mettre en place des politiques de préservation, connaître les espèces qui évoluent aussi en raison des conditions extérieures, des changements des écosystèmes, du réchauffement climatique. Et puis, protéger sur toute la chaîne jusqu'au suivi de l'espèce animale. Il y a un sujet que j'aime bien évoquer, c'est celui du logiciel ZIMS. Alors pour les auditeurs, ça va être un peu technique, mais c'est un système de management de l'information qui a été produit par les zoos, les centres de conservation, et en gros, si on fait simple, ça permet d'analyser l'attitude, les conditions de vie, de santé des espèces et même de pouvoir en faire des extrapolations, les comparer avec celles qui sont à l'état sauvage. Et ça, c'est quand même important parce que souvent, on ne le sait pas, mais on a des espèces qui vivent plus âgées dans les zoos, parce que simplement il y a moins de prédateurs, parce qu'il y a moins de risques, il y a des soins vétérinaires, il y a moins de braconnage, c'est quand même une des sources premières de disparition d'un certain nombre de mammifères. Et un logiciel comme celui-ci, qui d'ailleurs a été traduit en partie avec les acteurs des zoos français pour qu'il soit accessible en français, on travaille mieux dans sa propre langue qu'en anglais. Et notamment, on a un vrai rôle, nous, en direction des populations des pays francophones. Ça permet d'avoir ce suivi et c'est absolument essentiel. Donc, c'est des missions qu'on ne connaît pas forcément quand on visite. Et que moi, j'ai eu la chance de découvrir en travaillant avec les acteurs.
- Speaker #1
On parlait de sensibilisation auprès du grand public. Est-ce que ça veut dire que le lien avec la nature est coupé entre l'humain et la nature ? Et que c'est important que les gens viennent dans les parcs zoologiques, justement ?
- Speaker #0
On est à une époque où les gens ont perdu le lien direct avec la nature. Moi, je suis de cette génération encore où mes grands-parents étaient agriculteurs, mon père était agriculteur. Donc la nature, on la connaissait, on la fréquentait, on la voyait, on avait une idée aussi des saisons. On attendait l'arrivée des cerises, les moissons. Il y avait un rythme qui était lié à la nature qu'aujourd'hui, on a perdu. On s'achemine vers une société qui ne va vivre qu'en ville. Dans quelques années, on aura 90% de la population française qui vivra dans des villes, qui d'ailleurs implique un certain nombre aussi de changements de comportement de la société. Donc pour ce lien avec la nature, il s'est un peu perdu. Et le lien en général avec la biodiversité n'est pas très clair. D'abord parce qu'on vit dans des méconnaissances culturelles. Je vais prendre un exemple, peut-être que ça sensibilisera, peut-être les mamans qui nous écoutent et qui lisent des histoires à leurs enfants. C'est qu'on répète à travers des contes, des histoires pour enfants, des préjugés ou des peurs ancestrales, par exemple sur le loup. Moi, je dis, mais non, il faut arrêter de véhiculer cette image du loup, parce que si on a peur de loup, alors l'ours, on trouve que ça ressemble un peu au Teddy Bear, c'est un petit peu mieux. C'est mignon l'ours. Mais comme on trouve le vison très mignon, alors que pas forcément à l'état naturel. Mais le loup ou d'autres espèces, ou le requin, on a des peurs liées à la méconnaissance qui induisent ensuite des politiques. Et on le voit même en France sur protéger le loup aujourd'hui, ce n'est pas une question scientifique, c'est une question culturelle. Évidemment avec des moyens financiers, mais c'est une question culturelle et on n'a pas retrouvé cet équilibre. Et puis sur la méconnaissance de la biodiversité, il y a eu une idée, parce que les politiques de préservation du climat étaient très en avance sur les politiques de préservation de la biodiversité, l'idée qu'il fallait avant tout protéger le climat. Mais si on a, d'abord les deux sujets sont liés, bien évidemment, on a beaucoup travaillé à rapprocher les experts du GIEC et de l'IPBES. Moi, j'ai participé à des négociations pendant les COP internationales pour faire en sorte que les notions biodiversité apparaissent dans les clubs climat. Le sens de la nature, les solutions fondées sur la nature, un certain nombre de sujets qui étaient la protection de la biodiversité. Et puis, on ne vivra pas sur une planète, certes, avec des températures maintenues, s'il n'y a plus de vivants. Il faut protéger le vivant. Donc, les sujets sont liés. Donc, cette connaissance de la biodiversité, il faut vraiment pouvoir la partager. Non, les araignées, il ne faut pas les écraser. Il faut vivre dans des écosystèmes qui sont protégés. Et les zoos peuvent contribuer à cette précieuse sensibilisation pour montrer que nous vivons dans un ensemble qui est lié.
- Speaker #1
Depuis 1999, un décret européen a confié aux parcs zoologiques les missions de conservation de la biodiversité, d'éducation des publics et de recherche scientifique. Les parcs animaliers s'y engagent quotidiennement, tout en respectant le bien-être de leurs animaux et en mettant en œuvre des pratiques écologiques durables. Au fur et à mesure des années, les zoos élargissent leur périmètre d'action en mettant leur expertise au service du monde animal dans son ensemble.
- Speaker #0
On ne le sait pas forcément, mais en zoo, on n'a pas toujours des espèces qui sont visibles du grand public. Je pense notamment à des grands centres de soins comme ceux de Beauval, où chaque animal a sa place. Et notamment lorsqu'ils récupèrent des animaux issus du trafic, vous en avez aussi ici au Bioparc, il faut les soigner. Chaque vie compte. Et puis dans un certain nombre de zoos, on a des animaux qu'on considère comme semi-sauvages, qui ont des contacts occasionnels avec l'Homme et qui peuvent... être une composante bénéfique et appropriée d'une stratégie de conservation des espèces. Et au-delà, on a quand même cette action qui a été menée pour permettre la réintroduction. Parce qu'on a beaucoup parlé des établissements, mais il y a évidemment tout le travail qui est fait, les exemples concrets qui permettent de lutter contre la disparition sur le terrain d'un certain nombre d'espèces, mais aussi de permettre leur réintroduction, comme le cheval de Przewalski, par exemple, ou le ara bleu, celui de "Rio", j'aime bien dire, parce que ça parle un petit peu aux gens. Mais on a aussi des crapauds, des pigeons roses qui étaient présents à l'île Maurice...
- Speaker #1
Des vautours qui ont été introduits en France dans les années 80 avec la LPO et avec le FIR, qui venaient du Bioparc, qui étaient nés au Bioparc à l'époque, dans les années 80.
- Speaker #0
Donc ça aussi, c'est une composante scientifique essentielle avec la connaissance que j'évoquais tout à l'heure. Et puis la connaissance de façon générale. Aujourd'hui, ce que je regarde quand je visite un zoo, c'est souvent les panneaux, qui sont très pédagogiques, bien faits, sur les listes rouges de l'UICN, qui expliquent aux gens ce que c'est, dans quel endroit du monde se trouvent ces espèces, est-ce qu'elles sont en danger. Quand on partage cette connaissance, penser que le diable de Tasmanie va être sujet à une disparition en raison d'une bactérie, ou que le dragon de Komodo, celui de Mulan cette fois, je suis très Disney, est soumis sous la pression du réchauffement climatique, va disparaître alors même qu'il est protégé. Ça permet de faire comprendre des grands enjeux au public et ça c'est essentiel parce que tant qu'on n'est pas sur des enjeux partagés, sur lesquels il va falloir faire des efforts, on n'avancera pas. Et mettre en place des plans d'action nationaux, internationaux passe par cette compréhension globale.
- Speaker #1
On entend souvent aussi que les animaux de parcs animaliers ne sont pas de bons candidats pour les études scientifiques, car ils auraient des comportements qui ne sont pas naturels, puisque forcément ils ne sont pas dans un espace infini. Est-ce que c'est le cas ou est-ce que ça dépend des conditions dans lesquelles ils sont élevés ?
- Speaker #0
Oui, il faut répéter qu'il faut quand même des établissements, et se battre d'ailleurs pour la fermeture des établissements qui ne correspondent pas aux normes de conservation et scientifique et du bien-être. Et puis, moi, j'ai envie qu'on rappelle un petit peu l'expertise de l'UICN international, celle de la SSC, qui est la Commission internationale des espèces, qui est une grande commission qui compte à l'UICN, qui compte tous les plus grands scientifiques du monde et qui explique que l'approche intégrée de préservation implique la participation active de toutes les parties prenantes et considère qu'il faut... avoir toutes les mesures de conservation potentielles avec des plans d'action, mais aussi avec la connaissance. Donc, pouvoir connaître des espèces auxquelles on n'aurait pas forcément accès, ça permet aussi de faire évoluer nos connaissances. Je vais prendre un exemple, si vous voulez, celui du vison d'Europe. Le vison, je pense que les gens, avec un V, le vison, on voit bien à peu près à quoi ça ressemble. Aujourd'hui, on est pratiquement sûr qu'il est disparu à l'état sauvage avec des petits doutes encore. Et il est à Zoodyssée en train d'être reproduit pour pouvoir être relâché. Cette proximité, avec une espèce qu'on voit assez peu, qui vit de façon isolée, permet d'avoir une connaissance qu'on n'aurait pas forcément pu acquérir autrement.
- Speaker #1
Pas pu observer facilement dans la nature.
- Speaker #0
Et qui permet finalement d'avoir les meilleurs apports scientifiques pour pouvoir, je l'espère, le réintroduire très rapidement et peut-être dès l'année prochaine.
- Speaker #1
Alors ça passe aussi par un peu de sensibilisation, là, pour le coup, des habitants qui vivraient à proximité de l'endroit où il serait réintroduit, parce qu'évidemment, la pédagogie, ça fait partie intégrante d'un projet de conservation et de réintroduction comme celui-là, pour qu'il fonctionne sur le long terme.
- Speaker #0
Des habitants, des élus locaux aussi, parce qu'on a toujours peur en France que l'on gèle, les projets, les choses, les aménagements. Et en fait, il faut trouver d'autres formes de cohabitation. Si on avait pu anticiper, peut-être travailler différemment, pour le hamster d'Alsace, par exemple.
- Speaker #1
Oui, qui est lui aussi en danger critique.
- Speaker #0
En danger critique, et notamment parce qu'on a totalement fragmenté son habitat, on aurait peut-être pu permettre un meilleur état de conservation plus longtemps. Il faut de la connaissance, et cette connaissance, on ne l'a pas toujours. Donc, il faut mettre tous les acteurs autour de la table.
- Speaker #1
La commission de sauvegarde des espèces de l'UICN a publié une prise de position il y a quelques mois au sujet du rôle des parcs zoologiques. Est-ce que cette prise de position était vraiment nécessaire ?
- Speaker #0
Oui, je pense que c'est utile. Je ne sais pas moi qui, acteur international de l'UICN, va vous dire le contraire. C'est quand même bien, à un moment donné, d'avoir des positions partagées. L'approche de l'UICN, c'est vraiment cette "one plan approach" qui est de reconnaître les avantages de la conservation, impliquant l'expertise disponible, de la prioriser, d'avoir de la planification in situ et ex situ. Et je crois qu'aujourd'hui encore, notamment lorsqu'on discute avec des gens qui ne sont pas favorables aux parcs zoologiques, à la conservation, toutes les opinions sont respectables, mais c'est souvent lié à une méconnaissance. Moi, j'ai discuté avec des gens qui pensaient que l'objectif d'un parc, c'était de faire du bénéfice et qu'il n'y avait aucun plan de préservation. C'est intéressant, quand on discute, on s'aperçoit que les gens pensent d'ailleurs que dans les zoos, on va chasser.
- Speaker #1
Qui, qu'on achète encore les animaux.
- Speaker #0
Qu'on achète les animaux, au fin fond de l'Afrique, en allant les chasser. Et pas du tout que ce sont des animaux de reproduction. Et que lorsqu'on a, parce que je travaille beaucoup sur la question du trafic entre l'Afrique et la France, c'est-à-dire cette importation illégale d'animaux morts ou vivants, soit à but de consommation alimentaire, soit pour être revendus dans des réseaux de trafic, pour être mis dans des aquariums, ou dans des vivariums, ou pour être élevés à la maison, ou parfois pour des petits félins, des petits singes. Lorsqu'ils sont repris par les forces de police, de gendarmerie, ils sont confiés aux zoos parce qu'on ne sait pas quoi en faire. Et contrairement à l'idéal imaginaire, on ne peut pas les réintroduire. Réintroduire une espèce nécessite que ce soit la deuxième, la troisième génération, comme ce qui est fait sur le panda, par exemple. Et qu'un animal qui va avoir été imprégné par l'Homme, qui va avoir vécu en captivité, n'est pas en capacité d'être relâché n'importe où. L'image que je donne, c'est si vous avez un petit chaton à la maison, ou un petit chat qui a vécu uniquement en appartement, vous n'allez pas pouvoir le relâcher dans la forêt des Vosges. Il va se faire manger par un renard, il va se faire bousculer. Donc voilà, les animaux ne se réintroduisent pas forcément dans le milieu dont ils sont originels.
- Speaker #1
Donc Maud, on parle de trafic animal et de l'impossibilité de réintroduire dans la nature des animaux qui ont été saisis. Il y a quand même des exemples positifs parfois.
- Speaker #0
Ça arrive, ça arrive et c'est souvent des jolies histoires. Je pense notamment au lionceau qui avait été saisi à Marseille en 2018. Il avait été retrouvé dans un garage, dans une mauvaise condition. Il avait juste quelques mois et il a été accueilli à "Tonga, terre d'accueil", que vous connaissez bien. Il a été soigné, il n'était même pas sevré. Et ensuite, il a été renvoyé en Afrique du Sud et aujourd'hui dans une réserve protégée. Et c'est une histoire qui finit bien, parce que c'est rarement le cas. On a longtemps opposé écologie et social. Maintenant, on oppose économie et biodiversité. Ce n'est pas possible. On le voit à travers les exemples en matière de trafic. On ne change pas les politiques bagages des avions parce que ça rapporte plus d'argent de ne rien faire. On le voit sur... la déforestation, on le voit sur les aires protégées, lorsqu'il y a des projets comme EACOP qui sont mis en place. Donc non, on ne peut pas opposer économie et biodiversité, sinon on oppose Hommes et économies.
- Speaker #1
Oui, les parcs zoologiques tiennent un rôle important depuis quelques années pour la lutte contre le trafic animal. Je crois que vous avez quelques chiffres à propos du trafic qui est un gros enjeu aujourd'hui de la protection des espèces menacées.
- Speaker #0
Alors, le trafic, il est important en France pour des raisons historiques et surtout parce qu'on a un certain nombre de vols aériens qui sont directs depuis un certain nombre de pays vers la France, sans escale, qui permettent aux gens qui utilisent ces avions de rentrer directement dans la zone Schengen. et donc de ne pas faire l'objet de contrôle ensuite s'il se redéplace sur le sol européen. Il faut savoir, ce sont des chiffres partiels, donc il faut bien arriver à se dire que c'est beaucoup plus important, qu'on a à peu près une tonne d'animaux qui arrivent par semaine, par semaine, juste à l'aéroport Charles de Gaulle et juste au terminal T3. Ça veut dire qu'une tonne saisie, on peut imaginer qu'on est à 3-5 tonnes qui arrivent. Si on multiplie par le nombre d'aéroports, en regardant les autres aéroports internationaux, Nice notamment, Orly évidemment, plus les ports qui restent des ports d'entrée, plus les aéroports d'outre-mer qui sont à proximité de zones de trafic, on peut imaginer 10 à 15 tonnes par semaine d'animaux vivants ou morts. Alors malheureusement, la majeure partie sont des animaux morts qui sont à l'état de ce qu'on appelle de viande de brousse, c'est-à-dire ils ont été transformés en... parfois déjà cuits, transformés en produits alimentaires. Parfois, ce sont des morceaux de viande qui arrivent, qui n'ont pas été traités, du poisson également. Et puis, on a un certain nombre d'animaux vivants qui finissent dans des mauvaises conditions et que lorsqu'on a la chance de les retrouver, ils sont souvent morts ou en conditions de survie difficiles parce qu'ils n'ont pas été... nourris et élevés dans des conditions qui sont propres à leur espèce.
- Speaker #1
Et d'ailleurs, pour préciser, c'est des animaux qui voyagent généralement dans les bagages des passagers, dans les 25 kilos autorisés en bagages en soute. Ce serait quoi la solution pour endiguer un peu ce phénomène de trafic par le biais des aéroports, justement ?
- Speaker #0
Il faut diminuer le nombre de kilos de bagages par personne. Alors, sur certains vols, c'est même 2 fois 23 kilos, 2 fois 32 kilos. Et si vous voyagez avec un enfant qui va payer un billet un peu moins cher, un enfant de 7-8 ans, vous avez autant de bagages que d'enfants qui voyagent avec vous. Donc, on a des gens qui arrivent avec 300 kilos de bagages composés pour la plupart de viande de brousse. Il y a plusieurs catégories de trafiquants. Il y a ceux que j'aime bien et j'espère que les gens écoutent, comme ça, peut-être que ça les fera réfléchir à leurs achats. Il y a ceux qui viennent parfois du Maroc ou de Madagascar qui achètent pour planter dans leur jardin des espèces, des plantes qu'ils trouvent assez jolies ou qui peuvent ramener à leurs petits-enfants de petites tortues. On ne peut pas non plus les acheter, les transporter pour des tas de raisons. Parce qu'à la fois, ça abîme l'écosystème local, ça conduit à des trafics parce que les gens qui voulaient vendre les sont allés les prélever. Et puis parce que ça peut faire des espèces exotiques envahissantes demain qui, relâchées dans la nature, ne sont pas du tout compatibles. avec les animaux locaux du territoire français. Donc il y a ça, et puis après il y a les trafics plus importants, derrière lesquels il y a des gens, des réseaux de trafiquants organisés, et il faut savoir que chaque kilo de bagage peut s'acheter, peut se vendre, on peut transporter à l'aller des médicaments, des couches, du lait pour bébé, et au retour de cette viande de brousse qu'on peut retrouver dans des restaurants, dans des lieux d'achat, très facilement en Ile-de-France. avec la facilité de transport en Belgique, en Allemagne et sur tout le territoire français. Et puis il y a le dernier échelon, il y a les gros trafiquants qui eux vont viser plutôt le rhinocéros, l'éléphant, les singes magots qui finissent dans des zoos privés, alors pas tellement en France parce que c'est contrôlé, mais un peu en Europe de l'Est, un peu dans la pénisule arabique et qui se vendent très cher. Donc à chaque fois qu'on achète une espèce à l'étranger... et peut-être même avant de l'acheter, se dire que ce n'est pas parce qu'elle se vend dans des états, que c'est autorisé de la transporter et se demander, y compris lorsqu'on est sur la place à Marrakech, quand on achète des oiseaux pour les relâcher parce que ça fait une jolie photo Instagram, si on ne contribue pas à être un acteur nous-mêmes du trafic.
- Speaker #1
Oui, parce qu'on a l'impression de faire quelque chose de bien en les relâchant, mais finalement, ça leur donne envie d'en attraper d'autres pour plus tard les revendre à leur tour.
- Speaker #0
Exactement.
- Speaker #1
Donc, effectivement, il y a une grande problématique sur le trafic des espèces menacées, qui est, je crois, le quatrième trafic dans le monde après la drogue, les armes et le trafic d'êtres humains, il me semble.
- Speaker #0
Et qui progresse parce qu'il devient plus rentable, notamment parce que le marché de la drogue, les experts avec lesquels on travaille sur le plan de l'armée nous disent que c'est un marché de plus en plus compétitif, c'est un marché saturé et dangereux. Donc, c'est moins risqué de faire du trafic d'animaux. Donc, on aura un marché en expansion les prochaines années.
- Speaker #1
Oui, et puis les sanctions sont pour l'instant moins lourdes que pour les autres trafics.
- Speaker #0
Totalement inefficaces. Il n'y a pas de contrôle, pas de possibilité de contrôle, les douanes manquent de moyens, le système judiciaire français n'est pas adapté à ce nouveau trafic, donc il y a urgence à agir.
- Speaker #1
Et donc c'est l'UICN qui endosse ses responsabilités en demandant des lois sur ces sujets au niveau international en fait.
- Speaker #0
On a la chance d'avoir des parlementaires, là je vais aller voir les nouveaux députés, mais qui ont été ces dernières années assez sensibles à cette question parce que c'était une question peu connue, y compris des acteurs publics et à la fois les députés et les sénateurs ont déposé un certain nombre de questions écrites qui sont des questions qu'on adresse au gouvernement. On a rencontré les acteurs ministériels, obtenu la création d'une mission d'inspection générale pour au moins faire progresser la connaissance et savoir où étaient les trous, en fait, où étaient les points noirs qu'il fallait traiter ? Le bilan est clair. Il faut changer le système des sanctions, il faut redonner plus de moyens aux douanes, et il faut travailler en coopération avec les acteurs locaux en connaissant les endroits où on peut intervenir. Aujourd'hui, avec l'UICN, on finance des programmes qu'on appelle des programmes PPI, des programmes de petits investissements avec les populations locales, avec les ONG locales, pour les aider sur le conflit Homme-animal et pour les aider également à lutter contre le trafic, en développant des alternatives économiques. Par exemple, un restaurant communautaire qu'on a fait ouvrir à Lambaréné, là où il y avait l'hôpital du docteur Schweitzer, où il y a des femmes aujourd'hui qui ont un restaurant communautaire et qui, finalement, les hommes arrêtent de chasser en brousse et les femmes font un restaurant communautaire avec du poulet. Ça fonctionne très bien, c'est une très bonne alternative. Et donc, il faut travailler avec les populations locales parce que ce n'est pas contre les populations locales, mais c'est avec elles. Et une nouvelle fois, c'est souvent avec les parcs animaliers qu'on arrive aussi à trouver trouver des fonds, faire ces levées de fonds et travailler pour les populations locales. Si on ne laisse pas d'alternatives aux gens, il leur reste le choix d'utiliser les dernières ressources qui sont à leur disposition ou de migrer vers les grandes villes et ça n'accélérera qu'un problème mondial de suroccupation des villes qu'on ne sait pas non plus gérer.
- Speaker #1
Et travailler avec les populations locales, c'est exactement ce qu'on fait avec les projets nature du Bioparc et ce que Pierre Guay développe depuis maintenant plus de 20 ans avec nos projets de conservation sur le terrain, que ce soit justement au Niger, à Madagascar, ou en Bulgarie, où on travaille avec les communautés locales pour préserver la biodiversité. Effectivement, c'est en passant par ces communautés qu'on peut trouver des solutions pérennes et efficaces. Pour conclure, Maud, selon vous, quel rôle joueront les parcs zoologiques à l'avenir pour la biodiversité ?
- Speaker #0
Un lieu de connaissance. Pour moi, vraiment, un lieu de connaissance, à la fois celle du grand public, mais aussi du suivi des espèces. Je n'aimerais pas terminer sur une note triste, mais on est quand même aujourd'hui dans ce qu'on appelle la sixième extinction, c'est-à-dire la disparition accélérée de la biodiversité, et que malheureusement, on le sait nous, avec nos indicateurs, on aura un certain nombre d'espèces qui vont disparaître, celles qu'on a déjà vues éteindre définitivement, et puis celles qui vont continuer à disparaître. Et peut-être que pour un certain nombre d'espèces, le seul endroit où on aura de la conservation génétique, des espèces encore existantes, ce sera dans ces centres de conservation. Donc, on va regarder l'étape d'après, se dire que ce sera les acteurs de la réintroduction. Et c'est là-dessus qu'il faut rester optimiste.
- Speaker #1
Souvent remis en question par une poignée d'opposants, les parcs zoologiques remplissent de nombreuses missions qui peuvent varier selon leur implantation géographique, la taille de leur structure, leur collection animale, leurs installations techniques. Ils sont les partenaires des plus hautes instances nationales de protection de l'environnement, experts dans leur domaine, et participent activement aux stratégies de conservation mondiale. Est-ce que vous vouliez ajouter quelque chose ?
- Speaker #0
Non, merci. Merci à vous en tout cas et merci d'être là en tant qu'acteur ici et puis loin, parce que les programmes aussi lointains, dont j'espère que les visiteurs se souviennent lorsqu'ils sortent de leur visite du zoo, sont aussi des programmes essentiels.
- Speaker #1
Merci beaucoup, Maud.
- Speaker #0
Au revoir.
- Speaker #1
Voilà, c'est la fin de cet épisode. Merci de l'avoir écouté jusqu'au bout. Abonnez-vous s'il vous a plu et pour en savoir plus sur le Bioparc, rendez-vous sur www.bioparc-zoo.fr !