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Ville de Grenoble

Douce DIBONDO : La charge raciale

Douce DIBONDO : La charge raciale

1h40 |03/04/2025
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Description

Douce DIBONDO est essayiste et poète. Française d’origine congolaise, elle utilise ses expériences pour explorer des sujets de société avec un regard critique et ouvrir des espaces de réflexions sur les oppressions. Autrice de deux recueils poétiques, Métacures, et Infra/seum : une poésie fâchée avec tout le monde, elle a également publié en 2024 La charge raciale, vertige d’un silence écrasant. Elle est également connue pour son podcast « Extimité », créé avec Anthony Vincent (journaliste mode et militant queer), dans lequel ils donnent la parole aux personnes minorisées à la jonction de plusieurs rapports de dominations (racisme, misogynie, handiphobie, homophobie, transphobie).


« Toutes les personnes racisées sont des génies de l’adaptation. Penser à ne pas paraître « trop » noire, arabe ou asiatique, adopter une manière de parler, de s’habiller, de rire, réfléchir aux musiques choisies en soirée, renoncer à porter des capuches pour éviter la police… Bref, la charge raciale, c’est tout planifier quand on évolue dans des milieux majoritairement blancs et qu’on ne l’est pas. »


Le racisme aurait-il deux têtes ? Celle de la violence explicite, brutale, cyclique des morts et des agressions qui s’accumulent de la Méditerranée aux quartiers populaires. Puis celle d’une violence banale, plus taiseuse, qui se niche dans les relations quotidiennes et entrave la construction de son identité. À travers le concept de ‘charge raciale’ qu’elle emprunte à Maboula Soumahoro, elle questionne le manque de mot mis sur ce mal partagé par les personnes racisées : quotidiennement, les personnes non-blanches subissent des assignations raciales ou des micro-agressions et doivent non seulement endurer ces violences mais aussi prendre sur elles pour trouver des issues sans heurt à ces situations. Douce DIBONDO mêle psychanalyse, art et témoignages pour en montrer tout l'impact.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Dans le cadre du cycle de conférences Voix Off, la Ville de Grenoble vous propose d'écouter une discussion avec Douce Dibondo, essayiste, poète et podcasteuse, qui nous parle de son livre intitulé La charge raciale

  • Speaker #1

    Bonsoir tout le monde, on est très très heureuse de vous voir aussi nombreux, c'est assez impressionnant, ça fait très plaisir. Alors je vais commencer par me présenter, je suis Iris Ouédraogo, journaliste et documentariste sonore. Je suis aussi coprésidente de l'Ajart, qui est l'association des journalistes antiracistes et racisés, qui a pour but de lutter contre le racisme dans les médias. Donc ce soir on va discuter pendant une heure avec Douce Dibondo et puis on vous laissera la parole ensuite pendant une demi-heure si vous avez des questions, des remarques. à échanger. Alors je vais commencer par présenter 12Dibondo. On a décidé de se tutoyer, voilà je vous préviens. Donc 12, tu es écrivaine, poétesse, essayiste et militante et tu t'es fait connaître en 2018 avec la co-création du podcast Extimité qui donne la parole à des personnes minorisées à l'intersection de plusieurs oppressions. Tu as publié plusieurs ouvrages chez Blast Éditions de recueil de poésie. Métacure et infrasum, poésie fâchée avec tout le monde et tu as participé au recueil Fruits de la colère, embraser nos débordements Et l'ouvrage au cœur de notre conversation ce soir, c'est donc La charge raciale qui est sorti l'année dernière chez Fayard. Alors, ce que je vous propose pour commencer, c'est déjà de vous lire un petit extrait et puis on va en discuter ensuite avec douce. Lorsque ta collègue Eleonore t'invite à un apéro chez elle, tu hésites toute la journée. Tu sais que tu es la seule personne noire de son entourage. Tu hésites à y aller, tu pèses le pour et le contre. Tu ne sais pas à qui tu as affaire politiquement. Que redouter le plus Une soirée avec des blancs et blanches de gauche, un peu paternalistes sur les bords, qui te raconteront leur voyage au Mali, quand tu auras à peine évoqué les origines de tes parents centrafricains Ou débarquer en plein milieu d'une bande d'apolitiques, donc de droite, persuadés que le seul problème de la France, c'est l'économie et la perte des valeurs le déclin de la méritocratie. Bingo, tu gagnes le lot des paternalistes de gauche. Tu anticipes les questions sur tes origines, tu crains les blagues sur la musique de chez toi, tu es pétrifié à l'idée d'éventuels débats sur la classe avant la race. Tu comprends à quel point la spatialité coloniale n'est pas seulement dans les statues et les noms de rue. Dans cet espace intime, ta présence fait tâche, elle crie l'absence et l'anomalie, sans que personne d'autre s'en rende compte. Arrive le moment de choisir la musique. Tu évites de mettre de l'afro ou du rap. Tu te souviens de la menace du stéréotype. Tu ne veux pas le confirmer, ni pour toi, ni pour toutes et tous les autres noirs que tu es censé représenter. Alors j'ai choisi cet extrait parce que je me suis beaucoup retrouvée dans ce monologue intérieur et je trouve que c'est une manière de rendre compte de toutes les réflexions qui sont assez intimes et compliquées à retranscrire pour des personnes qui ne les vivent pas. Et je trouve aussi que c'est un extrait qui représente bien ce livre, et c'est très documenté et aussi une écriture très personnelle et très percutante. Et donc pour commencer, avant peut-être que tu nous expliques comment tu as eu l'idée de faire ce livre, est-ce que tu pourrais nous définir ce que tu entends par la notion de charge raciale

  • Speaker #0

    Merci déjà de ce souvenir, et ça m'a beaucoup replongée dans... dans l'état dans lequel j'écrivais cet extrait, entre humour cynique et réalité un peu fracassante, puisque c'est ce qu'on vit, que j'ai vécu, même si ce tu essaie de mettre de la distance entre moi et cette charge raciale. Oui, la charge raciale, en fait, quand je rencontre ce terme-là, j'ai idée de ce que ça veut dire, mais c'est très nébuleux pour moi, c'est cette hyper-vigilance. C'est la manière dont les personnes noires, les personnes racisées se doivent de scanner leur environnement pour ne pas correspondre justement aux stéréotypes par la peur de décevoir ou de confirmer certains préjugés par rapport à notre couleur de peau. C'est une manière de se suradapter en société, dans un environnement majoritairement blanc. C'est une charge qui est à la fois historique... à cause du passé colonial esclavagiste de l'Occident. Mais c'est aussi une charge qui se vit dans le présent, à travers notre rapport aux institutions. Aux institutions qui sont censées nous alléger la vie en société, les institutions que sont la police, que sont le système médical, mais aussi la famille, le couple, les relations interpersonnelles. Et enfin, cette charge très intime que je nomme une charge intra-personnelle qui se vit dans l'intimité de soi-même à soi-même. Comment l'on se voit quand on se regarde dans le miroir Qu'est-ce qu'on a intériorisé de nos traits, de notre couleur de peau, de nos cheveux, de notre ascendance Qu'est-ce qu'on voit de l'avenir Est-ce qu'on se sent capable de faire advenir un enfant noir ou un enfant racisé dans ce monde Voilà, c'est toutes ces questions qui traversent cette charge raciale-là, qui n'est pas seulement de l'ordre individuel, mais qui est toujours en mouvement entre cette part intime de nous et l'extériorité, la société, l'histoire, l'humanité, en gros.

  • Speaker #1

    Justement sur la question des enfants, il y a un exemple que tu donnes pour expliquer comment ça se manifeste concrètement dans la vie des personnes racisées, cette charge raciale. Et j'ai trouvé que c'était un exemple intéressant parce qu'il n'est pas souvent abordé, c'est celui de la PMA. Est-ce que tu pourrais développer comment est-ce que la charge raciale, elle peut se représenter concrètement dans ce domaine-là, peut-être pour que ce soit plus clair pour les personnes non concernées

  • Speaker #0

    Oui, alors. Pourquoi j'aborde la question de la PMA C'est évidemment un angle mort, pour ne pas dire un angle noir, de cette question de la procréation. Déjà, je vous donne schématiquement le design, ou en tout cas la manière dont on a construit le livre. On part d'une charge qui est historique, on se rapproche de plus en plus du quotidien, notamment avec cet exemple et cette narration avec un tu. Et puis, je montre à quel point aussi, à partir de... nos interactions, du couple, il se joue une charge raciale qui est sexisante. Donc en tant que personne, donc femme noire, si je suis en couple avec une personne blanche, cette charge raciale-là va ressortir, parce que la question du racisme est souvent tue, mise de côté, gaslightée par les partenaires blancs qui ne comprennent pas ce qu'on vit, nous soupçonnent d'exagération, nous soupçonnent de victimisation. Et donc ensuite j'aborde la question de la famille et de la charge intracommunautaire, en abordant à quel point, au sein même de nos familles, nous sommes souvent tiraillés entre cette culture de France, d'Occident, et ce qu'on est censé être comme vrai noir, comme vrai racisé. Et puis j'aborde la question du métissage, qui à mon sens est aussi une manière d'acculturer et d'avoir une injonction. par rapport à la famille noire. Je montre à quel point les politiques de messissage à travers le cinéma, à travers les œuvres qu'on nous vend, qu'on nous montre, sont des manières aussi de peindre un communautarisme qui n'existe pas. Au cinéma français notamment, voir un couple fait de personnes noires ou de personnes racisées, asiatiques, arabes, etc. Ça n'existe quasiment pas. Il faut de la blancheur pour légitimer. nos présences à l'écran. Donc j'aborde la question du métissage et ensuite je montre à quel point ces politiques publiques ces politiques culturelles sont aussi une manière de détruire la famille et donc enfin la question de la PMA comme dans toutes les sphères de la société il y a un déséquilibre en termes de discrimination quant à la procréation Il y a quelques années, j'avais écrit un article là-dessus en montrant que pour une femme hétéro blanche, il fallait entre deux à quatre ans d'attente pour obtenir justement des ovocytes pour avoir un enfant. Et pour une femme noire, il en fallait le double, donc soit entre quatre et huit ans. La PMA, désormais, a été promue, elle est légale. Il y a des conditions qui sont faites pour que le processus soit accéléré. Et pourtant, en termes de décision des médecins, les médecins peuvent demander à un couple de deux personnes noires, peuvent soit pousser à ce que les parents, ou en tout cas les futurs parents, s'accommodent d'un nouveau site blanc, parce que là, vous allez attendre beaucoup trop longtemps. Et si vous voulez vraiment un enfant, il n'y a pas le choix. Ou sinon... Quand les parents veulent bien accueillir un ovocyte blanc et avoir un enfant métis, ça va être mal perçu. On va dissuader souvent les parents en disant que le critère d'appareillement, qui n'avait pas été encadré par la loi, c'était au médecin de décider si c'était génétiquement compatible d'avoir un enfant. métisse de deux parents noirs et que ça pouvait troubler le psychisme de cet enfant blanc mais ce n'est jamais le cas quand il y a deux parents blancs qui vont adopter par exemple un enfant en Afrique là la dynamique n'est jamais questionnée en termes de peut-être du psychisme de l'enfant, de ce que ça veut dire socialement, communautairement etc et donc je montrais à quel point il y a des politiques même au sein de la famille noire Enfin, au sein de la famille et en tout cas au sein de l'État, il y a des politiques pour une destruction, une déstructuration de la famille à travers la PMA, mais pas que. Et donc, c'était aussi une critique de ce slogan qu'on entend souvent dans le féminisme de détruire la famille. Il faut détruire la famille, il faut abolir la famille. Mais oui, mais laquelle Parce qu'en tant que famille minorisée, minoritaire, cette question-là, c'est dans cet espace de la famille noire que je... je peux me décharger de cette charge raciale, parce qu'au sein de ma famille assisée, je me protège de l'État. Il y a des violences familiales, évidemment, on le sait, on les combat aussi, mais posons-nous la question de quelle famille on parle quand on parle d'abolir la famille. Je trouvais que c'était important de mettre l'accent sur cette question de la PMA, qui n'est pas vraiment abordée en termes de charges financières, émotionnelles. en termes de discrimination, des fois lesbophobe, raciale, etc.

  • Speaker #1

    Effectivement, je trouve que c'est un bon exemple aussi pour saisir que ce qui est déjà une difficulté importante d'accéder à la PMA pour beaucoup de couples, et encore plus pour des femmes seules ou pour des couples de femmes, il y a une charge en plus pour les personnes racisées qui est effectivement très peu abordée. Et ça veut dire concrètement, lorsque les personnes vont à leur rendez-vous, elles vont peut-être... déjà avoir en tête, déjà devoir se préparer mentalement à d'éventuelles discriminations, d'éventuelles remarques, etc. Ce que j'aimerais savoir à propos de ce concept de charge raciale que tu développes dans ton livre, c'est comment est-ce qu'on fait pour décrire quelque chose qui est aussi intime et aussi personnel à des lecteurs qui vont être concernés, pas concernés, même qui vont parfois être concernés mais ne pas... avoir conscientisé les choses en tant que telle. Ça m'intéresse un peu cet exercice aussi d'écrivaine, de réussir à expliquer quelque chose d'aussi intime. Comment est-ce que tu as fait

  • Speaker #0

    Je pense que c'était vraiment... Déjà, je n'aurais pas pu écrire cet ouvrage si je n'avais pas fait un travail de conscientisation, un travail émotionnel. Parce que c'était... super difficile de porter justement la charge de ce livre qui n'avait jamais été écrit, sur ce concept qui pourtant traverse des millions de vies en France et en Occident. Et je me suis sentie, oui, un peu écrasée déjà par cet acte-là, et en même temps cette urgence à me dire, mais depuis 2019... L'année où je rencontre ce terme, sous les mots de Maboula Soumaoro, jusqu'en 2023, où je prends la décision d'écrire ce livre, il y a des balbutiements, il y a des choses qui sont dites, il y a des articles dans le milieu militant. La charge raciale apparaît, mais de manière plutôt descriptive. Or, je me rends compte que même déjà en 2019, quand j'écris un article et que je reçois une vingtaine de témoignages via Twitter RIP, Rest in Peace, je me dis, mais wow, ok, je n'ai pas rêvé. C'est une réalité. On est tous traversés par ce poids-là. Mais le temps passe et il n'y a pas de recherche universitaire qui s'empare de la question. Donc quand je me mets face à mon syndrome de l'imposteur et que je me dis, bon, ben, on y va. Je suis à la fois sûre de moi, parce que je sais que c'est quelque chose qui me travaille depuis... Ouais. Trois ans. Et puis, je sens qu'il y a une fragilité parce qu'il faut repartir, il faut repartir, aller creuser dans les archives de violences policières, de violences médicales. Je l'écris aussi, évidemment, en plein génocide en Palestine. Et donc, il y a des choses que je n'ai pas pu dire parce qu'un livre, ce n'est pas infini. Il fallait faire des choix. Et donc, cette question-là de... de l'empathie, de l'apathie, de comment les corps racisés sont sont fongibles, sont de la chair qui nourrit l'humanité, qui nourrit l'Occident, qui nourrit une géopolitique du silence, de l'apathie, ça me traverse de la première phrase jusqu'à la dernière phrase. Et parce que peut-être j'ai cette formation à la fois en sociologie, et aussi de poète, je ne fuis pas cette fusion-là des mots. Je ne fais pas de dichotomie entre ma raison, l'objectivité, la neutralité, etc. Et ce qui semble pas très important, ou en tout cas délaissé, quand il s'agit d'écrire des essais, c'est-à-dire d'aller creuser avec l'intime, d'aller creuser avec la blesse dont je parle, avec la blessure, et d'aller jouer avec ça et de se dire qu'il y a des choses qui vont sortir. Et je vais offrir ça à la lecture, tout en apportant aussi des faits, des sources, de la documentation. Parce que l'un ne va pas sans l'autre. Pour parler de charges raciales, je ne pouvais pas me faire l'économie de ce qui nous traverse à chaque instant. Il fallait que ça se ressente. Et j'ai compris avec les discussions, avec les retours que j'ai eus de personnes racisées qui me disaient souvent Merci pour ce livre, mais je ne sais pas si je vais pouvoir le lire tout de suite. Et j'ai compris à quel point cette phrase-là, elle disait tout du vertige que c'était cette charge raciale pour nous.

  • Speaker #1

    C'est vrai que c'est intéressant parce qu'effectivement, je dois dire que je ne l'ai pas lu avant notre discussion. Parce que je savais justement que ça allait être difficile à lire. Alors que finalement, au contraire... pour les personnes racisées qui ne l'ont pas encore lu. Je dois dire que ce n'était pas si douloureux, mais plutôt libérateur. Mais on en parlera un peu plus tard. Alors, je voulais que peut-être tu nous racontes un petit peu aussi ton parcours à toi, avant qu'on creuse un peu plus dans tous les concepts que tu développes. Tu parles du fait que toi, tu es arrivée en France à l'âge de 12 ans. Donc, contrairement à beaucoup de récits de personnes racisées qu'on peut déjà entendre, tu n'as pas forcément eu ce choc de réaliser, toute petite, que tu étais noire, parce que tu n'as pas évolué dans un espace blanc. Et est-ce que tu as peut-être envie de nous raconter, quelles sont les stratégies que toi tu as adoptées, pour conjuguer avec cette charge raciale quand tu es arrivée en France, comment est-ce que ça s'est passé pour toi

  • Speaker #0

    Évidemment, je mets des mots d'adulte sur la moi de 12 ans, quand j'arrive en 2005 en France. J'arrive en Essonne, j'ai 12 ans, je suis en quatrième et je découvre un monde, littéralement un monde, dont je ne comprends pas les codes et qui me renvoie tout de suite, non pas seulement à ma couleur de peau, mais à la blédarde. Parce qu'au sein même de ma communauté, des personnes noires et des personnes racisées en général, évidemment, il y a des hiérarchies aussi. Et donc, moi qui arrive avec, sûrement un accent, je ne m'en rendais pas forcément compte, mais qui aussi parle plutôt bien le français, enfin, je suis un peu une anomalie. On me dit, mais tu n'es pas censée, pourquoi tu parles le français aussi bien Je me dis, mais en fait, le Congo-Brazzaville est une ex-colonie de la France. Et en fait, c'est une camarade du Congo RDC qui m'en parle. Et je me dis, mais donc en France, en fait, les gens ne sont pas instruits ou quoi Qu'est-ce qui se passe Non, vraiment, je m'interroge. Et donc, je suis tout le temps renvoyée comme ça à une Africaine qui n'est pas censée être éduquée, qui n'a pas les codes vestimentaires, etc. Et donc, la quatrième, c'est compliqué. La troisième... Je me suradapte et je crée un masque. sociale, je porte ce qu'on appelle en psychologie un faux self. Je me dissocie totalement de ma culture congolaise, j'adopte tous les codes de ce qui est censé être la culture française, puisque je débarque à Orléans, c'est pour vous dire. C'est compliqué, la ville de Jeanne d'Arc qui a été complètement récupérée. Et donc, je ne sais pas, à l'époque, c'était les Ben Simon, le Saclon-Champ, tout l'appareillage. Et en fait, j'efface toute cette identité-là et je diminue aussi cette part de Bounty. Vous savez, le Bounty, c'est noir à l'extérieur, blanc à l'intérieur. Parce que parler d'une certaine manière... Avoir des codes culturels, s'intéresser à plein de choses, c'est perçu comme ne pas être une vraie noire. Donc j'efface tout ça et je me rebelle aussi beaucoup contre les professeurs qui voient en moi une élève à la dérive sans comprendre le harcèlement que j'ai évité et pourquoi justement je sors de cette posture-là de la petite fille intello, etc. Et puis le temps passe, là c'est plutôt à l'université pareil aussi, je vais en sociologie. Et là, le monde universitaire, qui pour moi était censé être un monde d'ouverture, de curiosité, de pensée critique, je tombe des nues, avec des professeurs vraiment libidineux sur les corps des femmes noires qui nous sont présentées sur des grands écrans, où il y a tout le paternalisme de l'ethnologie, de l'anthropologie, etc. pas les mots pour me défendre. Je sais qu'il y a quelque chose qui coince, mais je n'arrive pas à verbaliser tout ça. Et puis, le monde du travail, du journalisme, est-ce que j'ai besoin de creuser la question de qui sont les journalistes qui sont mis en avant Quels sont les sujets Comment nos sujets sont retransformés, ne sont pas pris en compte, etc. Je me rends compte qu'en effet, c'est bien plus large que ça. La sociologie m'a permis de comprendre qu'il y avait des déterminismes de classe, mais à l'époque, cette question de... la race sociale, du féminisme, c'était très balbutiant. Et donc j'ai mis en place toutes ces stratégies-là, de devoir me lisser les cheveux, de devoir parler d'une certaine manière pour espérer être acceptée, et c'était jamais assez. Et puis j'ai travaillé un an à LCI, oui, oui, oui, pour David Pujadas. Et, bon... Un an, ça suffit. Je me suis dit, bah non, littéralement, comment me suradapter encore plus Si je le fais, je meurs. Si je le fais, la machine est en broie, c'est sûr. Je ne peux pas être à la fois, ne pas être prise en compte dans le travail que j'apportais en termes de recherche journalistique, de point de vue en fait sur ce que ça veut dire la race, quand il y avait des crises raciales, etc. Ce que j'appelle crise raciale dans des moments de... polémique raciale, et bien la douce était importante, sinon le reste du temps ma parole ne comptait pas et je me suis dit non non là je vais finir par être totalement dissociée et vivre cette névrose raciale dont je parle dans le bouquin, et puis je suis partie et j'ai fait mon coming out d'écrivaine et puis la suite j'espère que ça sera de l'histoire mais oui oui et c'est pour ça peut-être que ça se ressent aussi je ne prends pas de distance avec cette charge raciale parce que elle nous traverse tout le temps le temps et je n'ai pas voulu cacher cette vérité-là.

  • Speaker #1

    Justement, tout à l'heure, tu as évoqué ce mot, la blesse. Est-ce que tu peux un petit peu décrire ce que ça veut dire, d'où ça vient Parce que c'est un mot que je ne connaissais pas, qui permet de décrire cette blessure intime qu'on vit en tant que personne racisée, c'est le détachement de son identité. Est-ce que tu peux expliquer un petit peu plus pourquoi tu choisis d'adopter ce mot

  • Speaker #0

    Ce livre s'est construit malgré moi. Le terme de la blège, je le rencontre en 2019 à Dakar. Je suis au musée des civilisations noires à Dakar et là il y a une grande toile toute noire qui fait sûrement 3 mètres de haut sur 4 mètres de large et il y a des entailles rouges-vermeilles, il y en a 4 ou 5. Et ça me saisit, je comprends tout de suite la métaphore. de la blessure, et je m'approche limite solennel, et je lis le cartel, la blesse, la blesse. Et il y a marqué, voilà, la blesse, c'est cette entaille existentielle que portent en elle les personnes antillaises des Caraïbes, mais de manière générale aussi des personnes afrodescendantes noires. Je me dis oui, oui, cette déchirure historique, cette déchirure existentielle, on la vit plus ou moins. Et donc... Je garde cette œuvre-là et quand j'écris le livre, je me rappelle de ce concept et je creuse. Et là, il y a le travail de Patricia Donatien-Issa, qui est une chercheuse guadeloupéenne, qui, elle, a écrit sur cette esthétique de la blesse. Et elle montre à quel point, quand elle remonte le travail des poètes, poétesses caribéennes, Il y a un travail de la blesse, c'est-à-dire que ces artistes-là vont toujours creuser le pu. L'art, pour les personnes afrodescendantes, pour les personnes racisées, ce n'est pas un moyen de contemplation pure. C'est un moyen de sublimer le pu. Elle en parle, elle parle du pu, de l'histoire, du silence hérité, des traumas intergénérationnels. Et elle montre que tout leur travail est traversé par ça. Et donc, elle s'intéresse à cette question de la blesse. Et elle va interroger les anciens et les anciennes en Guadeloupe. Sauf qu'elle est accueillie, évidemment, par un silence. Parce qu'à la fois, c'est indicible de reparler de cette histoire qui est encore dans le corps des enfants qui ont des maladies dont on ne comprend pas l'origine, qui somatisent, ou des personnes qui ont des états comme ça, soit de léthargie, soit de ce qu'on appellerait de la folie, etc. Mais elle ne lâche pas. pas, elle creuse, elle en fait son terrain. Et petit à petit, les langues se délient. Et donc les anciens lui disent, voilà, la blesse c'est le fait, par exemple, des fois d'avoir des douleurs aux poignets, aux chevilles, qui symbolisent le poids des chaînes des anciennes personnes esclavagisées, par exemple. C'est cette... C'est le foie qui porte et qui travaille sans cesse le stress. minoritaire, le stress racial. Et donc, il lui explique tout ça. et donc elle comprend ensuite en relation, elle met en relation le travail littéraire de ces poètes, de ces écrivains et écrivaines. Et j'ai trouvé ça tellement juste, tellement parlant de voir à quel point les anciens, les aînés avaient déjà compris ce que désormais l'épigénétique tâtonne pour l'instant, même si évidemment la science fait son... enfin voilà... un temps qui lui est propre, mais on voit en tout cas qu'il y a des choses qui ressortent de ce qu'on savait déjà de ces traumas liés au colonialisme, liés à la période esclavagiste. Et la blesse me permet aussi d'introduire la part imagée, métaphorique, de ce problème qui est psycho-existentiel, qui est psycho-politique. Et je... Je parle beaucoup de Frantz Fanon aussi, qui, à mon sens, a tellement réussi à faire ressortir ces deux polarités-là, entre l'intériorité de cette charge, de ce tiraillement, même cette déchirure, entre nous et le monde extérieur, entre l'histoire.

  • Speaker #1

    J'ai l'impression que c'est une critique que tu fais beaucoup, surtout au début du livre, sur le fait qu'on a... On aborde beaucoup le racisme et on milite contre le racisme d'une manière où on évite de parler de son intériorité, de son intime, de la psychologie. Est-ce que pour toi, ce livre, c'est aussi une manière de ramener ça dans le discours Pourquoi est-ce que ça manque selon toi

  • Speaker #0

    Il faut qu'on me donne une heure de plus.

  • Speaker #1

    Il faut lire le livre.

  • Speaker #0

    Après, c'est des approches qu'on peut retrouver, j'invente rien évidemment, qu'on peut retrouver dans les critiques décoloniales, où cette philosophie-là, cette philosophie de la grande séparation, qui remonte pour certains, certaines, aux religions dites abramiques, où... Un peu plus récemment, autour du XVe siècle, notamment de la date de 1492 et la découverte des Amériques, où à partir de cette date-là, dite la date de l'institution de la modernité, on a scindé les corps, on a scindé les épistémologies, c'est-à-dire la manière de faire connaissance, de reproduire le savoir, et on a décrété qu'il fallait se séparer du corps, de l'intériorité. qu'il fallait toujours raison garder, littéralement, mettre en avant les formes de savoir qui étaient dites matérialistes, avec un objet scientifique bien défini, avec des protocoles, des programmes, etc. Et en fait, toute cette épistémologie de l'Occident fait qu'en tant que personne militante en France, on n'en échappe pas, évidemment. On voit à quel point il y a, depuis la sécularisation de la France, qu'il y a eu des bons, évidemment, le clergé, l'église, etc. Il y avait tout un système aussi de privilèges et d'exploitation des couches paysannes, etc. Évidemment. Mais en revanche, dans la question même du rapport à l'intériorité et à la nature, il y a eu une grande séparation. Et donc nous, ce qu'on reproduit, et c'est une critique qui est adressée à la gauche, parce que les autres en face, mes ennemis politiques... Ils grandent bien leur face, mais à la gauche, pour nous, pour dépasser, pour faire advenir des utopies, on reproduit les outils du maître, on y utilise des outils du maître, comme disait Audrey Lorne. Et on voit bien qu'à un moment, ça coince parce qu'on n'arrive pas, en tout cas, on n'ose pas faire appel à l'intériorité qui est un vaste champ. Je ne parle pas seulement selon des autérismes ou de spiritualité. Je parle des recherches qui sont un peu plus à la mode aussi maintenant, des neurosciences. mais aussi de ce que ça veut dire de vivre le racisme psychologiquement au niveau du corps. Comment nous reconnecter à ces parts émotionnelles et affectives qui ont été complètement coincées Aux États-Unis, les politiques des affects existent depuis les années fin 80, début 90. En France, ce n'est que récemment qu'on commence à aborder la question de l'amour, la question... de la joie, de la colère, mais avec une approche qui est toujours très distante, qui est toujours très loin du corps, de ce que ça veut dire phénoménologiquement. d'être un corps assisé, en fait. Et Fanon l'a fait, et puis on a coupé, parce qu'il est tombé dans l'oubli. Et moi, je me dis, mais oui, c'est important de remettre au centre cette question-là des affects, la politique des affects. Et je pense que ce livre est à la croisée des études noires, on va dire, des études noires, et de la politique des affects. Et donc, c'est pour ça que je parle vraiment de psychopolitique. Et si on ne... Si... Pour moi, si la gauche ne se réconcilie plus avec cette part-là d'elle-même, c'est-à-dire d'assumer les émotions, de ne pas laisser les émotions à un populisme, à un populisme extrémisme droit, on n'aura pas la chance de rattraper, on n'aura plus la chance d'attirer à nous des personnes qui ne sont pas forcément très au fait de concepts, d'un intellectualisme qui... perd les masses, etc. Comment on arrive à se reconnecter avec des gens en leur disant, voilà en fait le quotidien que moi je partage, voilà, ce que je peux vivre en tant que corps, femme, noire, assisée. Est-ce que ça résonne en toi Est-ce que ça te parle Est-ce qu'ensuite ça te donne la curiosité d'aller chercher par toi-même et de t'éduquer et de monter en conscience Est-ce que ça te donne envie de propager cette compréhension du monde avec l'éducation populaire, etc. Et pour moi, Voilà à quoi servent les livres, poser des petites bombes intellectuelles, évidemment, et à partager ce feu du changement, ce feu du mouvement. Mais le feu, il est nourri par les affects. Pour moi, la raison, c'est autre chose. Mais pour être magnétique, pour que nos combats soient magnétiques, il faut la politique des affects. Et j'espère qu'on... qu'on y arrivera de plus en plus et qu'on sera légion à le faire.

  • Speaker #1

    Justement, je trouve ça intéressant que tu parles autant de l'affect des émotions et que dans ton livre, tu exposes à quel point les personnes noires, on leur a nié ce droit à être des personnes avec des émotions, avec des affects, avec une intériorité. Et tu parles même d'une antithèse de la personne, que les Noirs, on les empêche de se définir en dehors du regard blanc. Et qu'une des choses importantes que j'ai retenues de ton livre, c'est qu'il y a une nécessité de se recréer son soi, en dehors de ce regard blanc, en dehors de cette définition qui nous colle des préjugés, des clichés. Est-ce que tu peux en dire un peu plus de cette expérience qui est quand même très particulière et peut-être difficile à comprendre, de ne pas avoir l'impression d'avoir une identité à soi

  • Speaker #0

    Oui, en fait, la race, quand on dit que la race biologique n'existe pas et que la race est une fiction, c'est vrai que socialement, on est discriminé, donc on ne peut pas faire l'économie de ce qu'on vit. Et pourtant, cette fiction-là, elle traverse tous nos sens, autant chez les personnes qui vivent. qui ne vivent pas le racisme directement, donc les personnes blanches, qui, elles, à travers leur regard, ou même parfois leur non-regard, c'est-à-dire détourner les yeux, ne pas s'intéresser à la question raciale parce qu'apparemment ça ne les concernerait pas, et pourtant, c'est une question de... Voilà, tous nos sens sont traversés par cette question raciale. Et nous, de l'autre côté du miroir, on a aiguisé nos sens. Donc... On n'est plus vraiment... Je dirais même qu'on est des super humains parce qu'on nous a retiré l'insouciance depuis l'enfance déjà. Où on a cette conversation, la fameuse conversation aux Etats-Unis, on parle de the talk, où à 7-8 ans, on va dire aux enfants, tu vas devoir faire 3-4 fois plus parce que voici ce qui risque d'arriver à cause de ta couleur de peau, etc. Mais sois fière de qui tu es. Mais voilà. la vie, le monde dans lequel on est. Et donc déjà, il y a cette perte d'individuation qui se crée chez l'enfant racisé, où il a deux choix. Soit il s'alienne, donc l'alienation de ce que Fanon dit, c'est de se rendre aveugle à sa condition noire, et d'adopter toutes les valeurs de la suprématie blanche, de ne pas voir des couleurs, de croire en la méritocratie. et que parce que tu es une noire capable, vaillante, tu arriveras au sommet de l'ascenseur social. En général, il y a un moment où ça craque, ça craque au sommet. Et il y a l'autre chemin où on se révolte contre ça, et on est investi d'une mission, et on veut changer les choses. Mais dans les deux cas, est-ce que c'est vraiment un choix Pas vraiment. Et donc rien que ça, cette névrose-là, cette névrose raciale, qui nous pousse à choisir et à nous scinder, et à tout le temps naviguer entre justement... le fait qu'on nous dénie une intériorité, donc à prouver qu'on a une humanité, à prouver qu'en fait on ne mérite pas de mourir sous les genoux d'un policier, qu'on est couru ou pas, que non, tout simplement. Et bien cette déchirure-là, cette déshumanisation-là, on l'intègre, et donc on est parfois obligé... de devoir arracher ces affects-là. Et c'est pour ça que je comprends les critiques où on dit que les personnes noires, les personnes racisées, elles sont souvent dans des milieux de divertissement, du sport, où la question de la corporalité, elle est présente, etc. Mais en même temps, si on prend du recul, c'est peut-être normal. Pour des personnes à qui on a dit votre jeu, votre incarnation, votre chair ne compte pas. Mais comment on récupère l'individualité Mais c'est par la corporalité, en se disant, voilà, je suis présent au monde, j'ai des choses à dire, je m'exprime, j'ai des émotions qui se doivent d'être partagées et je peux faire collectif avec. Et donc, cette question de l'individualité, elle est toujours paradoxale, à la fois, ou en tout cas de l'émotion. À la fois, on nous dit, je reprends les termes de Senghor, l'émotion nègre, la raison européenne. Donc, on serait à un surplus de vie, trop de vie, trop de vitalité, trop de corps, trop de libido, trop d'eux, et à la fois des êtres vides, des êtres qui se rapprocheraient plutôt du néant, c'est-à-dire pas... pas forcément intelligibles, sans histoire selon Sarkozy. Voilà, en fait, toujours tiraillé entre ces deux pôles-là, mais c'est le principe même du racisme et des discriminations en général, l'ambivalence. Et donc, oui, pour moi, les affects ont une part prépondérante, non pas seulement parce qu'il faut ressentir pour ressentir, mais montrer à quel point cette question de la réappropriation de l'intériorité est... éminemment politique.

  • Speaker #1

    Justement là-dessus, il y a aussi tout un chapitre dans ton livre que moi j'ai trouvé vraiment passionnant parce que j'avais jamais conçu les choses comme ça. C'est où tu réécris l'histoire de l'Occident en expliquant qu'au contraire, le vide et le trou existentiel il est plutôt de ce côté-là et que... Il y a eu nécessité à un moment de créer une figure de l'autre, donc en l'occurrence les Noirs lors de l'esclavage, pour combler un peu un vide. Et tu parles même d'un mouvement d'attraction, répulsion. Est-ce que tu peux expliciter un peu ça Et à quel point tout le contrat social s'est fondé là-dessus d'un contrat racial, qui est une thèse qui est développée par d'autres personnes aussi, mais est-ce que tu peux développer là-dessus

  • Speaker #0

    Oui, alors, je convoque cette autre histoire de l'Occident, parce que je trouvais ça intéressant, depuis toujours, depuis toute petite, notamment déjà au Congo, je posais souvent la question, je disais, mais pourquoi ça existait Pourquoi il y a eu l'esclavagisme, la période d'esclavage, la période de la colonisation, etc. Et on m'expliquait comment, comment. Voilà, mais oui, en fait, il y a eu une époque où les sociétés industrielles ont eu besoin de passer d'une économie marchande à une économie capitaliste, la naissance du bourgeois, blablabla. J'ai dit mais oui, mais quoi Vraiment, du haut de mes dix ans, je me suis demandé pourquoi. Et on ne m'a jamais vraiment expliqué pourquoi. Et donc dans ce chapitre-là, je vais le résumer de manière très brève, mais je montre à quel point, parce qu'on n'a jamais... aborder, ou en tout cas très peu, cette question-là de la propension de l'Occident à conquérir, à arracher la terre, à arracher des peuples pour le bien de ses propres terres, de sa civilisation. On a souvent donné des justifications économiques, notamment avec toute la... thèses, toutes les explications marxistes, etc., que je ne renie pas. Pour moi, les deux, il n'y a pas besoin d'être dans une explication binaire. Mais je trouvais que la part justement du pourquoi n'était pas assez abordée. Et là, je tombe sur les thèses de Carl Jung, qui est un psychiatre qui ensuite sera redéfini, renommé comme psychanalyste. Mais à l'époque, il est psychiatre. Et il a eu Lui, il se rend compte qu'au cours de ses sessions avec sa patientelle, il se rend compte qu'en fait, il va parler de certains sujets, il va les faire tomber en hypnose, ou en tout cas dans des exercices d'association d'idées, que sa patientelle se retrouvait à énoncer des symboles, à visualiser des choses qui n'étaient pas forcément dans leur culture, qui, la plupart du temps, ils étaient plutôt athées. Et donc, il se dit, mais là, il y a quelque chose qui m'échappe. je ne comprends pas ces associations d'idées. Et il tombe dans un travail qui durera toute sa vie, jusqu'en 1968, jusqu'à sa mort, où il remonte au premier siècle, il remonte des archives, des livres, des correspondances, de symboles alchimiques, et il montre à quel point sa patientèle était en fait... complètement traversé par ces symboles-là alchimiques. Il se dit, mais ce n'est pas normal. Comment ça se fait Donc, Jung montre à quel point la société suisse à l'époque était complètement traversée par des symboles qui étaient chrétiens d'apparence, mais qu'en fait, ces symboles chrétiens se basaient sur une lecture de l'alchimie. Et ce qui est... hyper intéressant pour moi à ce moment-là, c'est qu'en fait, il montre qu'il y a trois stades dans l'alchimie. Le premier, c'est le stade de la noirceur. Vous voyez où je... Le stade de la noirceur, donc le nigredo. Le stade de la blancheur, je ne me souviens plus du terme précis. Et puis, il y a le stade de la blancheur, l'albedo. Dans les termes utilisés, j'ai lu une thèse qui faisait 1000 pages, on ne pouvait plus, mais il y avait cette récurrence de termes sur la noirceur, à noyer, la matière première, à acheter, à vendre, comment il fallait polir la noirceur jusqu'à la blancheur, que la blancheur c'était le désir, c'était la rose, c'était la vie, c'était la vitalité, que la noirceur c'était un... C'était le roi des ténèbres, entre guillemets, c'était une royauté, c'était l'image régalienne de la noirceur des ténèbres. Et en fait, pour moi, ça résonne. Et je me dis, mais il a fallu d'abord que les inconscients des populations européennes soient totalement façonnés par cette obsession de la supériorité de la blancheur, pour qu'ensuite, ça soit légitime de rencontrer des corps noirs qui pourtant... ressembler à ces explorateurs slash colons slash alchimistes qui s'ignoraient et qu'en fait ils se rendent compte à quel point bah oui en effet la noirceur c'est légitime parce que depuis la chrétienté on nous a appris on a on a on a des expressions qui louent la blancheur blanche neige blanche colombe etc et qui vilipendent la noirceur et donc c'était plus facile d'arracher ces corps-là, de les voir sans âme. Et on le voit ensuite après avec toute la propagande religieuse de l'Église catholique, qui ensuite va postuler clairement que les Noirs n'avaient pas d'âme, mais que peut-être les natifs américains avaient, eux, potentiellement une âme. Donc on voyait bien que pour les personnes noires africaines à l'époque, c'était établi qu'elles n'avaient pas noir à cause de cette noirceur-là. Et je trouvais ça important de se dire, tiens, voilà, en fait, la cause unique n'existe pas. Il y a peut-être plusieurs entrées aussi à prendre en compte, dans ce qui fait que le racisme, l'esclavagisme... a été aussi acceptée, soutenue par une propagande à la fois économique, civilisationnelle, religieuse, etc. Et c'était important. Et je trouvais que Jung n'a pas été mise assez en valeur sur cette question-là de comment l'inconscient cognitif d'une civilisation, d'une société, peut être complètement traversé par des idées qui dataient d'il y a plusieurs siècles.

  • Speaker #1

    Et pour toi, c'est là-dessus aussi que... Ce contrat racial qui fait qu'on a tous implicitement accepté, entre guillemets, ou subi de vivre dans une société où les noirs sont en bas de l'échelle sociale et les blancs sont en haut. Et tu parles du fait qu'on a tous accepté de vivre dans ce monde où on différencie les blancs, les civilisés et les autres qui seraient restés à l'état de nature. Et que même si on a l'impression... d'être antiraciste, progressiste. En réalité, on vit dans un monde où on en est encore à ce stade-là. Est-ce que tu peux peut-être parler un peu plus de cette idée de contrat racial qui est implicitement présente dans les sociétés occidentales

  • Speaker #0

    Oui, quand on part de cette question des biais, en tout cas de l'inconscient cognitif à cette époque-là à travers Jung, le contrat racial... met en lumière la période plutôt du XVIIIe siècle jusqu'à nos jours. Et donc ce contrat racial, il a été théorisé par Charles Mills, qui est un penseur jamaïcain d'origine et anglais, s'il ne dit pas de bêtises, qui lui montre à quel point, en fait, derrière le contrat social qui a constitué, on va dire, les nations étrangères, européenne, notamment le contrat social fait par tous les contractualistes, Rousseau, Locke, etc. Il montre à quel point, en fait, ce besoin d'affirmer la civilisation à travers le contrat social, à travers l'état de droit, c'était une manière de se démarquer des sauvages, des bons sauvages. Ces mêmes philosophes, ces sociologues, Durkheim, Weber, etc., sont complètement traversés par l'impérialisme, par le colonialisme de leur société, de l'époque, mais construisent, notamment la sociologie par exemple, construisent leur science sociale par le progrès. Donc, ils trouvent une manière, une identité. en opposition avec ce qui est censé être, si il y a le progrès, qu'est-ce qu'il y a de l'autre côté Je ne sais pas comment on pourrait appeler ça. Le sous-développement, ce n'était même pas ça, c'était vraiment cette question de la sauvagerie, le sauvage et le progrès. Et donc, il montre à quel point il y avait une hypocrisie à travers les écrits et les pensées dites rationnelles des Lumières qui, en fait, promouvaient une... un homme universel, moral, vertueux, mais qui pourtant acceptait de faire partie du commerce triangulaire, de bénéficier du commerce des bateaux négriers, etc. Et je trouvais ça très intéressant qu'il montre à quel point ce contrat racial, donc c'était un contrat juridique, épistémologique, en termes de production de savoir, de s'opposer au... et d'être du bon côté, entre guillemets, du progrès de la civilisation, et que ça a façonné aussi le silence autour. Parce que si les sociétés se pensaient à travers leurs philosophes comme des sociétés moralement vertueuses, s'il n'y avait pas d'esclavage sur la terre de la liberté qu'est la France, mais qu'on ne voyait pas tout à fait les Antilles, même si c'était connu, mais que les philosophes ne dénonçaient pas ça, parce qu'apparemment la France était un état de droit et de liberté, C'était une hypocrisie, c'était un silence immoral. Et Mills le montre très bien. Et il montre à quel point on en hérite encore jusqu'à maintenant de cette dissonance. À la fois des faits, de la violence raciale qu'on subit, et des intellectuels, et notamment des partis, j'allais pas dire des partis, mais des personnes, en tout cas de gauche, des militants, des personnes engagées, qui vont souvent... diminuer cette question du racisme, la diluer, user de subterfuges pour parler de victimisation, etc. Ou pire... ne tout simplement pas admettre qu'il y a des différences, qu'il y a des discriminations raciales. Et donc, on voit à quel point, oui, le poids de l'histoire, jusqu'à nos jours, infuse, et que cette charge raciale-là, malheureusement, pèse encore sur notre dos.

  • Speaker #1

    Tout à l'heure, tu parlais de noirceur, et dans le livre, toi, tu préfères parler de noirité. Est-ce que tu peux expliquer la différence Et pourquoi est-ce que tu revendiques ce terme-là de noirité pour définir la condition noire C'est comme ça qu'on a pu l'appeler aussi en France

  • Speaker #0

    Moi, j'aime bien le contre-discours. J'aime bien le pas de côté, se dire, tiens, pourquoi on se répète des mots comme des incantations Pourquoi parler de condition noire Déjà que je paye une dette à travers un contrat racial, une dette que je n'ai pas signée à cause de cette couleur de peau. Et en plus, il faudrait que je me pense dans des termes sociologiques que je n'ai pas choisi de conditions. Et si on parle de conditions noires, en anglais, on va parler de blackness. Et blackness recouvre tellement de choses de fierté. de pouvoir noir parfois, de conditions noires, de fierté, de pouvoir noir, de la question noire aussi, de toutes ces époques qui ont façonné justement les prises de position des militants, des droits civiques, etc. Blackness recouvre ça et j'ai l'impression que le monde anglo-saxon arrive à se retrouver autour de cette question de la blackness. En France, la traduction est... hyper difficile, en tout cas dans le monde francophone. On a parlé de négritude, évidemment, grâce aux sœurs Nardal et ensuite Césaire, Saint-Gaure, etc. Mais je trouvais que c'était un peu désuet et que ça disait... Enfin, la négritude, ça a été censé être un mouvement philosophique et finalement, c'est un peu décrépit. Merci Sartre. Et puis... Je me suis dit, bon, noirceur, mais pourquoi Je n'entends jamais les gens, des personnes noires, dire oui, je suis fière de ma noirceur C'est bizarre. Pourtant, nous, on n'a aucun mal à dire noir, contrairement à d'autres personnes qui disent black Du coup, pourquoi ce terme-là Pourquoi il n'y a pas cette traduction-là Et je me suis dit, je me suis souvenu aussi qu'à l'époque sur Twitter, on parlait de noirance par exemple. Oui, ma noirance, mais c'était un peu ironique. Voilà, on n'arrivait pas à trouver de terme. Et en fait, je montre à quel point la noirceur, en fait, c'est une traduction qui s'inscrit dans une école de pensée dite afro-pessimiste. Les afro-pessimistes, ce sont des penseurs... et penseuse afro-américaine qui voit dans la blackness, la noirceur, une condition qui est indépassable. Pour elles, pour eux, la noirceur, c'est-à-dire la négrophobie qu'on subit, c'est la base même de l'ordre du monde, c'est la force de gravitation qui tient le monde. Cette noirceur-là, les corps noirs fongibles, sont les vecteurs du néant, de la mort sociale. Être une personne noire, au final, que ce soit sous la dictature d'un pays d'où je viens, du Congo, où des millions de personnes ont été massacrées à tour de bras par des dictatures soutenues par la France, ou en France, à cause des violences policières, des violences médicales, il y a une mort effective. Il y a une peur de la mort prématurée, il y a aussi une peur de la mort sociale, parce que pas de parole politique. Quand elle commence à s'organiser, attention séparatisme, attention cession, etc. Et ça, c'est une vision qui naît, évidemment, après le rapte, après le kidnapping de millions d'Africains vers les côtes américaines. Donc il fallait bien que dans cette... dans cette folie, dans cette irrationalité, construire quelque chose de la noirceur. Donc ces penseurs viennent avec cette idée-là. Ils parlent de l'an zéro de la noirceur. Donc à partir du moment où les personnes africaines sortent des bateaux négriers et arrivent dans les Amériques, le noir existe. La figure de l'esclave éternelle, en gros. Ça se fige. Et moi je me dis, je regarde de l'autre côté de la matrice. le continent où je suis née, où à travers les langues, à travers le Lingala, à travers le Lari, à travers les incantations autour de moi. J'ai été décrite d'une certaine manière. Ma couleur de peau, certes, n'était pas racialisée, comme on a pu le voir avec des hiérarchies, etc. Mais pourtant, il y a un mot, il y a des mots qui disent que... Donc, mojindo, par exemple, ça veut dire noir, littéralement. Mais ça veut aussi dire le foyer du soleil. Donc, mes ancêtres comprenaient déjà qu'un corps noir, un corps physique, mais notre couleur de peau aussi, renfermait quelque chose du soleil. Et je trouve ça déjà hyper poétique, hyper beau. Je me dis... En fait, il y a une conversation à avoir. Il y a la noirceur, il y a la condition noire, il y a la condition sociologique, matérielle de cette lourdeur, de cette charge, du poids. Et puis, il y a la noirité, cette part incassable, insondable, indicible, même au-delà du silence du poids de la race, mais qui fait qu'on est là parce que nous n'étions pas censés survivre. Et pourtant, on se tient debout. On s'exprime, on est sans cesse en train de devenir, parce qu'on nous arrache même, on nous interdit même le devenir noir. Qu'est-ce que ça veut dire, devenir noir Parce que normalement, on est censé devenir humain, c'est-à-dire s'affranchir des codes, se libérer, être des humains libres. Mais devenir noir, c'est quelque chose déjà... On sent bien qu'il y a quelque chose qui retient, parce qu'on n'est pas censé nous définir par notre couleur de peau. Et pourtant... Et donc la noirité pour moi c'est ça, c'est... Après je fais des analogies et tout ça, je me suis lâchée, je parle de trou noir, etc. Enfin voilà, vous découvrirez par vous-même, mais cette singularité en fait. Et moi c'est ça qui m'a touchée, et ce terme de noirité je le trouve sous les mots de Mame Fatounian, qui est une chercheuse française qui travaille aux Etats-Unis, qui parle de qualité de l'être, pour parler de la noirité. au-delà même de cette condition noire et qui est d'origine sénégalaise aussi, même Fatou Niang. Et je pense qu'on nous appelle souvent les africanistes, ceux qui vont souvent ou celles qui vont se repérer sur la question de la blackness, plutôt du côté de l'Afrique. Et donc cette conversation-là, on aimerait la voir un peu plus entre la part de la noirceur aux États-Unis. Mais c'est toute la question aussi de la traduction littéralement. Est-ce qu'on arrive à traduire des ouvrages comme ça Pour qu'il y ait des réponses, pour qu'entre la diaspora et ce triangle justement de l'Atlantique, que ça circule à nouveau et qu'on ait d'autres productions sur ce que ça veut dire, cette blackness, cette noirceur, cette noirité.

  • Speaker #1

    Une autre chose qui m'a beaucoup surpris dans ce livre, c'est la conclusion. En fait, ce que tu proposes comme solution pour les personnes racisées, qui ont besoin de se libérer de cette charge, de ce poids, de la charge raciale, c'est le silence. Et c'est intéressant parce que tu parles sous titre d'un silence écrasant, et en même temps tu le revendiques comme une arme, comme une solution pour s'extraire de ce regard blanc. Et c'est la première fois que j'entendais ça, parce que c'est vrai qu'on nous encourage plutôt à parler, témoigner, communiquer. Et toi tu dis qu'en fait... on parle trop, on communique trop sur nos souffrances, sur nos vécus, et que c'est presque comme si plus on parlait, moins on avançait. Est-ce que tu peux expliquer cette thèse-là

  • Speaker #0

    Oui, alors, c'est un peu... Je crois que l'épilogue s'appelle Et les subalternes se tuent Parce que je trouvais que, évidemment, qu'il y a la question de la silenciation. Donc là, c'est un silence qui nous est imposé, qu'on subit, on se cogne au mur de la blanchité dans ces espaces où, à partir du moment où tu dénonces quelque chose, où tu dis que quelque chose est raciste, là, c'est les feux bleus. Il y a tout qui flambe. Donc, on s'auto-censure beaucoup. On cache notre intériorité par rapport à ce stress racial, à cette charge. Mais il y a aussi de récupérer le silence. Parce qu'il y a quelque chose de l'ordre du pouvoir, à mon sens, dans le silence. Quand le silence, il est choisi. Quand on prend le temps de se recueillir et de faire silence communautaire. Oui, j'ose le terme, même si ce n'est pas bien vu en France. C'est-à-dire qu'on se regroupe en non-mixité, par des personnes qui vivent certaines choses et qui ont envie de... Oui, de dépasser ces problématiques et de se dépasser. Mais il faut du temps pour se recueillir, il faut du temps pour guérir la blesse, il faut du temps pour comprendre les... les poisons ou en tout cas le mal-être qu'on a reçu de nos ancêtres, mais aussi les dons qu'on a reçus. Comment on arrive à allier un militantisme existentiel, c'est-à-dire partir de l'intériorité pour se construire, à un militantisme, on va dire, un peu plus matériel, c'est-à-dire avoir des agendas politiques, mettre en place des actions de désobéissance civile, etc. Mais en fait, réussir à naviguer entre ces... ces deux modes d'action, ou de non-action d'ailleurs, parce que le silence, ça peut être aussi une forme d'action qui est dans le retrait, mais faire tout ça, ça prend du temps. Et je dis souvent que j'aimerais, je rêverais de ça, d'assises où on se rencontre toutes les factions, tous les collectifs racisés sur la question de l'antiracisme, de l'antifascisme, etc., et qu'on... On se dit, ben voilà, sur deux ans, sur trois ans, voilà l'agenda politique. Ce serait bien que toutes nos productions culturelles, audiovisuelles, les films, etc. parlent de telles thématiques. On en choisit, je ne sais pas, deux, trois, et on bombarde. Mais pour ça, pour se préparer à ça, il faut l'ombre. Il ne faut pas avoir peur de l'anonymat, il ne faut pas avoir peur de ne plus nourrir la parole médiatique de son misérabilisme. de nos corps qui disent, c'est-à-dire qui incarnent une part politique, on fait peur. On l'a vu avec Merwan Ben Lazar. Au-delà même de ce qu'il a dit, c'était juste son apparence en tant que corps assisé qui a apparemment excité toute la mécanique d'extrême droite qui veut polir et qui veut effacer nos corps. Et donc, pour ça... Je ne dis pas qu'il faut aller dans un effacement et un silence total, mais moi je prends l'exemple des marrons, je prends l'exemple des guerres anticoloniales au Congo, au Cameroun, où il fallait se réfugier, il fallait marronner, il fallait fuir, partir de la plantation. Et ce n'était pas en jouant du gros cas sur la plantation, en disant bon ben voilà, salut, on y va maintenant. Non, non, c'était pendant la nuit, dans l'ombre, On partait et ensuite, par surprise, on détruisait, on mettait des actions en place pour libérer les autres, etc. Et donc, cette question de l'ombre, c'est Olivier Marbeuf d'ailleurs qui en parle beaucoup, de comment chérir l'écologie de l'ombre, du silence, d'apprendre à se dire, enfin, en collectif, en cohésion, que cette parole prenne plus de poids. Et ça, pour l'instant, j'ai l'impression que c'est le silence qui nous permet de le faire, ce silence, ce retrait, le temps de lécher les blessures et de fomenter des révolutions.

  • Speaker #1

    Tout à l'heure, je te demandais si tu avais d'autres projets en cours et tu me disais que justement, tu avais besoin de te retirer un peu, au moins de laisser et peut-être d'aller plutôt dans la fiction. J'ai quand même l'impression que dans ce besoin de silence ou de retrait, l'art peut permettre aussi de s'exprimer, mais peut-être d'une autre manière. Est-ce que c'est aussi le message que tu aimerais donner Dans ton livre, il y a quand même, ce que je disais tout à l'heure, un mélange entre essai et écriture personnelle, poétique. Est-ce que c'est à travers ça que tu penses que tu pourrais te libérer de cette charge qui pèse sur tes épaules

  • Speaker #0

    Moi, tant qu'on n'est pas tous libres, je ne suis pas libre. Donc, disons que j'arrive à créer un espace en moi pour porter des projets comme ça, pour me présenter face à vous et, comme ils disent en anglais, hold the space, c'est-à-dire pouvoir maintenir la pression que de se faire... La voix de quelque chose, d'un concept, etc., de défendre tout ça, c'est aussi de l'énergie. Mais ma charge raciale, elle ne s'évaporera pas parce que j'aurais écrit de la fiction ou je me serais levée dans le silence seule. Au contraire, en revanche, oui, l'art, dans ce qu'il a pour moi de rituel, de magique, je n'ai pas peur d'employer ces termes, de dames. d'un portail qui convoque l'invisible, oui, parce que ça me reconnecte en fait à... J'arrive à me... à retracer la lignée de pourquoi je suis ici, pourquoi je me sens être le rêve de mes ancêtres. Et c'est par l'art, par la poésie que... En fait, il y a une ligne temporelle que j'arrive à brouiller comme ça. Et je me dis, plus on arrivera à faire des performances aussi collectives, plus on arrivera à brouiller les pistes de comment on dit devoir résister, plus ce sera moins lourd, j'ai l'impression, parce qu'on remettra du souffle dans nos expressions politiques, dans nos revendications, parce qu'on remettra de l'émerveillement à travers les chants révolutionnaires qu'on pourra entonner en manifestation. mais à travers les sorts qu'on lancera aussi à Macron, à travers... Oui, pour moi, rien n'est... On peut jouer de cette dualité-là, on peut essayer de... Parce que plus on se sépare et plus on est fatigué, on est en dissonance dans ce monde capitaliste, et donc retrouver ce souffle-là artistique, j'ai l'impression que c'est ça qui m'allège et qui allège pas mal d'autres personnes autour de moi aussi, clairement.

  • Speaker #1

    J'avais une dernière question, mais ce n'est pas grave. Je te laisse la parole, douce, parce que je me sens que tu voulais partager un petit quelque chose à nos histoires.

  • Speaker #0

    Je voudrais juste lire la fin de l'ouvrage. En général, ça permet de souffler un peu. Depuis le bleu des mythes, la noirceur et la gravité indicibles du monde. Le liant, la chaleur, le mouvement qui fait tourner l'écosystème. Le pesant, la douleur, l'émolument d'où naît la charge de la haine. Quel monde invoqué après l'effondrement de celui que personne ne veut abandonner. La fin de ce monde, prophétie factice entre deux slogans révolutionnaires. La matière noire gluante fuse de mes pores lourds de refus. Partout, la blancheur est louée, collée à chaque atome du fardeau. La fin de ce monde, je l'attends, les jambes bien en face du précipice. L'instabilité, la noirceur, à ce qui pue une promesse. À tous les évadés de la plantation, nous entendons une rumeur converger. Mais qui aura le courage d'évider la société du spectacle, de son divertissement, de ce monde blanc colonial blême de peur et du désir livide de mort noire Qui pourra dire je renonce sur l'autel de la libération Je renonce à ma persona, à mon moi blanc, à mes lignées, à ma réputation, à ma famille, la danse affolante des chiffres de nos... capitaux, l'entre-soi aveugle du noir qui fera tourner nos téléphones, qui remplira les ruines et les rangs écrasés du lupen prolétariat, qui osera donner son sang dans l'abîmé, au seuil de la précarité, qui votera noir face aux lois nécro-existentielles qui ploient nos genoux et notre repos. Et lorsque la terre et la Méditerranée vomiront toutes les mers, les enfants sirènes aux écailles noires d'avoir pleuré la lumière, et lorsque les monstres marins de l'Atlantique verront enfin leur peau translucide tourner au noir amer, et lorsque les arbres auront repris forme humaine après des années d'exil, qui saura embrasser la noirmalité complice Psst Alors c'est le temps des questions du public. On va faire circuler un micro. J'ai une petite demande qui est aussi partagée par 12. C'est d'abord de privilégier la parole des personnes racisées. Avant que les blancs puissent s'exprimer, on change un peu d'habitude, ok ? Donc si vous voulez poser une question, levez la main, un micro va arriver. Et voilà, il faut juste laisser le temps aux personnes de transmettre le micro.

  • Speaker #1

    Merci Douce. Je voulais te dire que j'ai été très touchée par cette question de revenir au corps. parce que nos corps ont été instrumentalisés, utilisés, et que je pense que le premier mouvement qu'on a à faire, et c'est ce que tu disais là, de faire un pas de côté, c'était déjà de se réapproprier notre corps, et de trouver notre place déjà dans notre propre corps, et le fait de faire ce mouvement-là, de fait, dans la société, on sera déjà beaucoup plus visible. Et qu'en reprenant cette place dans notre corps, on va aussi... Il y a la question du silence dont tu parlais. Et je trouvais que dans ce silence-là, on retrouve aussi ce temps où on peut aller prendre soin de notre corps. Et en prenant soin de notre corps, on prend soin du corps de nos ancêtres. Et que si on fait ce mouvement-là aussi, d'aller penser les blessures de nos ancêtres, en mettant un peu de baume sur nos chevilles... et nos poignets, on les soigne un peu eux et finalement on se soigne un peu nous. Et que ça, il n'y a personne qui pourra le faire. Aucune politique, aucune personne extérieure ne peut le faire, il n'y a que nous qui pouvons le faire. Et vraiment, je suis très touchée que le premier mouvement, pour moi, c'est déjà ça. C'est déjà me réapproprier mon corps, penser les blessures de mes ancêtres. Et je pense que... La posture est complètement différente après dans la société.

  • Speaker #2

    Merci. Je voulais juste savoir, quand vous parlez de vos ancêtres, vous parlez de quel background ?

  • Speaker #1

    Moi, mon grand-père est vietnamien.

  • Speaker #2

    D'accord. Je suis en train de m'éduquer vraiment sur la question de la décolonialité et la question du corps et de la terre sont beaucoup, enfin cette question est beaucoup abordée. En revanche, j'ai l'impression aussi que notre lecture de ce que ça veut dire la guérison à travers le corps et le silence et la solitude est très imprégnée d'une vision très individualiste occidentale. Parce que je trouve que c'est déjà porter un poids que de se dire « ce n'est que par moi que je pourrais guérir » . Évidemment qu'il y a une impulsion, évidemment que la curiosité... L'émerveillement, ça se nourrit en général, ça vient d'abord de nous, sinon on ne serait pas individuel, comme des corps singuliers. Mais ensuite, tout le cheminement qui n'est porté que par soi-même, je trouve vraiment que c'est une charge qui peut être difficile à porter. Par exemple, j'en fais plus partie, mais pendant 3-4 ans, j'étais dans une chorale apopéministe. où la question du chant, de la vibration, je me suis rendue compte avec le temps à quel point ça a guéri les choses, par exemple mon diaphragme complètement bloqué, parce que traumatisme dans l'enfance, il y a une guerre civile au Congo, etc. J'ai compris plein de choses, mais parce qu'il y avait des corps autour de moi qui n'avaient pas partagé cette histoire traumatique, évidemment, mais qui... par le fait de se sentir en vulnérabilité, de chanter à la fois dans ce cocon-là, où on guérissait collectivement, et parfois en allait chanter en manifestation, et en récupérait des sous pour tel ou tel collectif. En fait, ça montrait à quel point il y avait cette circularité-là de la guérison, qui, je me suis rendue compte que j'étais un atome, mais qui était en lien avec d'autres atomes, et du coup, ça faisait une onde. et qui circulait et ça créait autre chose que seulement être une particule qui... qui virevoltent dans l'espace seul. Vous voyez, je prends la question des métaphores pour que ça soit plus parlant, mais je suis d'accord qu'il faut ce mouvement-là du corps, qu'il faut avoir conscience, un déclencheur de « Ok, je me mets en mouvement, je me mets en mouvement, mais est-ce que ce mouvement-là s'arrête seulement à moi-même ou est-ce que c'est un jeu qui rencontre un nous ? »

  • Speaker #1

    Voilà.

  • Speaker #2

    C'est pour ça que je voulais préciser. Mais oui, oui, c'est... Enfin, je pense que... Et peut-être que... Et c'est ce que je déplore aussi, c'est que ces discours-là, ce discours-là qu'on tient, moi, je l'entends beaucoup dans la sphère soit spirituelle, mais qui est très individualiste, à mon sens, soit dans le côté artistique, dans les sphères artistiques, mais on n'arrive pas à communier et à faire circuler militantisme. artistique, comme je disais, pour que ce feu-là reprenne, ce feu des affects. Donc je me dis, s'il y a des artistes ici, voilà, merci. Et je sais qu'en général, pour moi, un, une vraie artiste, c'est une personne qui a une conscience politique. Enfin, c'est limite tautologique de dire ça. Parce que pour moi, artiste, ça veut dire forcément conscience politique, vous voyez. Mim. Et de l'autre côté, du niveau du militantisme, on regarde un peu en chien de faïence les artistes, et c'est dommage. Mais vraiment, on a tellement de choses à se dire. Donc j'espère qu'on arrivera à créer des dialogues plus pérennes. Mais merci pour votre partage.

  • Speaker #3

    Bonsoir à tous. Bonsoir, Douce. Je voulais te remercier. Parce qu'en fait, on sort d'un discours de victimisation, et ça fait du bien. Vraiment. Aujourd'hui, je suis fin. Là, ce soir, je suis... D'habitude je suis très fière d'être noire, mais là je le suis encore plus. J'ai plein de questions à te poser, mais je pense qu'on n'aura pas le temps. Étant maman de deux enfants métis, moi je leur apprends l'estime de soi. Ça vient de là en fait. Parce que les métis, ils sont balottés. Pour les noirs, ils sont des blancs. Sauf qu'en fait, pour se construire, c'est compliqué. Et du coup, la question que je me pose, c'est qu'est-ce que tu fais des interventions, par exemple, dans le milieu scolaire ? Première question.

  • Speaker #2

    Eh bien, avec le pass culture, c'est pas près d'arriver, puisque... Voilà. Tu devrais. Oui, il y a eu... Voilà, j'avais comme ça des projets et pour l'instant, ça n'a pas pris, notamment au niveau collège et lycée. J'en ai fait dans le cadre de ma résidence. J'ai une résidence artistique mensuelle. en région centre, à Vendôme, j'interviens. Mais c'est vrai que oui, ça c'est un de mes souhaits, puisque l'éducation populaire, on parle d'éducation populaire, mais si on peut un peu hacker le système de l'éducation nationale, avec plaisir. C'est compliqué, j'ai l'impression, d'y accéder, de mettre en forme toute la bureaucratie, le côté administratif. Pour répondre à cette interrogation-là que j'ai cru déceler, après c'est peut-être une position qui est un peu radicale, et ça a déchiré pas mal dans nos mouvements afroféministes, antiracistes, c'est que la question du métissage, c'est Solène Brun qui a écrit un livre, je pense que vous l'avez lu, et moi je me dis toujours... Une fois de plus, cette question du contre-discours, pourquoi utiliser un terme aussi barbare du métissage ? Qu'est-ce que ça nous dit ? Qu'est-ce qu'on accepte ? Pourquoi on qualifie des personnes avec un terme zoologique, littéralement ? Et si le métissage, si la race n'existe pas, pourquoi le métissage, en général, c'est souvent une personne blanche et une personne noire ? et pas une personne noire du Cameroun ou une personne noire de Centrafrique. C'est un métissage culturel, non ? En fait, c'est quoi le curseur ? Qu'est-ce qu'on accepte ? Ça, c'est les critiques que je ne vais pas forcément développer parce qu'on n'a pas le temps. Et aussi, quand j'étais à Moissy, c'est un collectif afroféministe qui existe toujours, on avait pris le parti de dire que les personnes noires étaient des personnes métisses, étaient des personnes noires parce que ... La société ne pouvait pas s'empêcher de les... notamment la France, de les altériser et de les renvoyer à quelque chose de différent. Mais indifférent qui est exotique, qui n'est pas du côté de la blancheur, parce que vous n'êtes pas tout à fait comme nous, parce que vous avez quand même un peu quelque chose de trouble de ces gens-là-bas, de la noirie. Et donc, on disait, oui, certes, les personnes métisses peuvent bénéficier, entre guillemets, de certains privilèges avec le colorisme et tout ça. Mais en attendant, nous sommes dans le même bateau. Et donc, nous, on parlait plutôt de personnes afrodescendantes. Et donc, peut-être qu'à travers ce curseur-là, comment on arrive à déplacer avec la définition, l'autodéfinition aussi, ça peut peut-être aussi aider. Parce que si on est afrodescendant, afrodescendante, on hérite de quelque chose, on se sait appartenir. à quelque chose de géographiquement situé, donc l'Afrique, comme avec les Afro-Américains. Et donc la question du mestissage, elle peut être un peu, oui, mise de côté, parce que bon, est-ce que je suis à 50% ceci, 50% cela ? Ben non, t'es afrodescendante. Moi aussi, je suis afrodescendante, mais j'ai la peau foncée, mais toi, t'es afrodescendante, t'as la peau un peu plus claire. Bon, voilà. Après, culturellement... Ça s'apprend. Est-ce qu'il y a un parent qui est plus présent que l'autre ? Est-ce qu'il y a un vide par rapport à ça ? En termes culturels, c'est autre chose. Mais sur la définition même de qui on est en termes d'identité, de race sociale, on avait pris ce parti-là. Après, vous voyez ce qui vous sied.

  • Speaker #3

    Merci. Tu comptes te présenter aux prochaines élections ou pas ?

  • Speaker #2

    Jamais ! Le piège !

  • Speaker #4

    Bonsoir. Du coup, je voulais juste rebondir sur un truc. Tout à l'heure, la dame a parlé de la notion de victimisation. J'ai un peu du mal avec ça. Moi, je suis née en Italie, j'ai grandi en Italie. Je suis arrivée en France à 15 ans. Et en fait, jusqu'à maintenant, je n'arrive pas à comprendre en quoi dénoncer, même si ça emboucle quelque chose, c'est se victimiser parce que... En fait, on a tous des notions, enfin, on a des sensibilités très différentes. Moi, je suis née dans un pays ou dans une ville où je voyais des gens venir faire du pèlerinage pour voir la tour de Mussolini. Depuis que je suis enfant, j'ai appris que j'étais noire avant de savoir que j'étais moi. Et en fait, à un moment, j'étais tellement détachée de moi, enfin, de mon moi en tant qu'être humain, que ça ne m'affectait plus. Non, parce que j'étais habituée ou parce que c'était bien, c'est juste que... C'était tellement douloureux que je n'arrivais plus à en parler. Et quand je suis arrivée en France, j'ai voulu me réapproprier ce côté africain parce que j'étais très détachée. Du coup, quand je suis arrivée à la fac, j'étais vraiment beaucoup avec des jeunes de la diaspora, etc. Et bizarrement, c'était eux les premiers à dire, ah bah oui, vous les enfants de la diaspora, vous êtes très dans la victimisation, vous vous plaignez tout le temps et tout. Et en fait, à chaque fois, ce truc de devoir expliquer aux gens... « En fait, toi, tu as compris que tu étais noire quand tu es arrivée à l'aéroport. » Alors que moi-même, avant de naître, cette notion était là pour me protéger. Du coup, la notion de victimisation, ce n'est pas une critique. Je ne la comprends pas. Je ne sais pas ce que ça signifie. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ça s'est utilisé comme argument. limite pour décriviliser quelque chose ou même contre-argument, je ne comprends pas.

  • Speaker #2

    Oui, en fait, vous avez raison de pointer ça du doigt que c'est souvent les personnes de la diaspora qui vont avoir ces réflexes-là. Et j'ai eu des discussions avec des intellectuels, ou en tout cas des personnes engagées sur ces questions-là, panafricaines, etc. Et en fait, la manière dont elles abordent la question du racisme, ça va être plutôt sur la volonté de puissance. Elles se disent, voilà, on a fait le constat, c'est comme ça, ce pays ne nous appartient pas, on est là pour ci, on est là pour ça. Ensuite... nous on aimerait bien retourner en Afrique ou si c'est pas un retour mais qu'est-ce qu'on peut faire pour s'émanciper économiquement politiquement etc et en général C'est une posture que je trouve viriliste, puisqu'en général, ce sont des hommes noirs qui vont adopter cette posture-là et qui vont nous renvoyer cette question de la victimisation. Sans comprendre que le fait de, je dirais, brûler les étapes, même si ce n'est pas le terme adéquat, mais il y a comme un tabou. sur le fait, une fois de plus, de l'intériorité, de se rendre compte, ah non, mais psychologiquement, ça nous impacte, et c'est pour ça qu'au sein même de nos communautés, on reproduit, on produit des violences, parce que le pays dans lequel on vit est déjà assez violent contre nous, mais toi, en tant qu'homme noir, en tant que personne de la diaspora, tu te coupes de cette part de l'intériorité, tu ne vois pas toutes les... justement toutes les discriminations, toutes les micro-agressions, toute la violence raciale de la police, parce que tu es dans un discours intégrationniste, il y a un moment où ça explose. Il y a un moment où, littéralement, ça explose. Cette question de l'intériorité, où par exemple les jeunes de banlieue qui, beaucoup, n'ont pas accès à cette... à cette parole de l'intériorité. On ne va jamais donner beaucoup l'occasion aux jeunes garçons racisés de parler de ça, de leur santé mentale. Et ce sont... En région parisienne, la majorité des personnes en hôpital psychiatrique, ce sont des jeunes de banlieue qui n'ont pas eu... d'accompagnement qui n'ont pas eu donc la question de la masculinité revient beaucoup sur les masculinités racisées minorisées notamment qu'est ce que ça veut dire de ne pas avoir accès à cette intériorité là et donc ça cristallise énormément la question de la victimisation mais littéralement nous sommes victimes qu'est ce que je mets vertu à dire à chaque fois nous sommes victimes parce que ben en fait dans un état de droit quand il ya une discrimination ça veut dire qu'il ya quelqu'un qui discrimine il ya quelqu'un qui est discriminé donc victime en revanche évidemment Si on dénonce, si on constate, on dénonce et on se bat contre ça, ça veut dire qu'on a conscience de notre état de victime, mais qu'on n'est pas OK, qu'on n'est pas d'accord avec ça, que cette colère, elle vient nous dire ceci n'est pas normal. Donc, on va dénoncer. Et rien que ça, ce n'est pas accepté dans nos milieux. On nous fait comprendre que dénoncer ces injustices, c'est quémander, en gros. C'est quémander de la justice, alors que non, on l'exige, bien au contraire. Et donc, c'est peut-être pour ça que, oui, cette question de la victimisation, elle revient beaucoup. Mais moi, je n'ai pas honte de dire que oui, non, je suis victime du racisme. Je suis victime du sexisme, je suis victime de plein de choses. Et c'est pour ça que je m'engage littéralement tous les jours à dénoncer et à dire je ne suis pas d'accord. Je suis en rupture. Je vais déranger. Je vais vous embêter jusqu'au bout. Tant que ça continue, moi, je continue aussi à dénoncer. Je ne sais pas si c'est... Après, est-ce qu'il y a des bonnes victimes, des mauvaises victimes ? Ça, c'est encore une autre question. Est-ce qu'il y a une ou deux questions pour terminer ?

  • Speaker #5

    Bonsoir à tous, bonsoir Douce, merci en tout cas pour ton ouvrage. Moi, je n'ai pas lu ton livre, mais je te suis sur les réseaux sociaux. Et je me suis rendu compte en fait que parfois on s'adapte tellement à l'environnement, à son travail, qu'on oublie en fait qui on est, en fait, dans son origine. Et moi, j'ai juste une question, je ne sais pas si tu en parles dans ton livre. Est-ce que tu penses que les personnes noires se sont adaptées, ou du moins se sont suradaptées aussi parce que dans certaines cultures africaines, donc noires, on a eu des croyances ? religieuse au niveau des religions importées. Et on a aussi oublié notre spiritualité africaine. Ce qui fait que comme on n'en a pas, on va aussi se comment dire, se rapprocher des religions importées. Et on peut avoir aussi, comme tu parlais de dichotomie, de se dire mais en fait, je crois quoi ? Est ce que je crois en moi ? Est ce que je crois en mes ancêtres ? Est ce que... Enfin voilà, c'est un petit peu une grosse question qui est aussi quand même assez personnelle. Mais à force de s'adapter, moi je me suis rendu compte que je me suis un peu trop adaptée au niveau de mon travail, au niveau des gens que je côtoie. Et des fois on s'oublie en fait. Est-ce que tu parles de ça dans ton livre ? Parce que je trouve que c'est un sujet qui est quand même assez... pour moi, important, et qui est l'essence même de qui on va être, en fait. On nous a quand même beaucoup empêchés de croire en nous, en fait. Et voilà, donc c'est une question. Merci.

  • Speaker #2

    Merci à toi. J'en parle pas spécifiquement dans le livre en termes de, voilà, un chapitre dédié, tout ça. J'en parle à la fin, quand je parle des solutions. vers quoi on se retourne. Et je dis qu'en gros, en général, en tout cas dans ma conception de l'avenir, du « progrès » , c'est qu'on est dans un temps occidental qui nous fait croire que le futur est à conquérir. Donc, tout ce qu'on fait en termes de militantisme, de changement, de révolution du quotidien, etc., se doit d'être linéaire avec cette vision de très hiérarchiques, de même des religions qui nous traversent, on ne s'en rend pas compte, d'ascensions. Apparemment, on est en bas et on doit aller quelque part. Ça, c'est des constructions qui sont des religions dites abramiques. Et je dis qu'en fait, ce qu'il nous reste à faire, c'est de nous souvenir. Et donc, ce souvenir, c'est regarder vers le passé, mais pas seulement en tant qu'État. état victimaire permanent, c'est-à-dire nostalgique, c'était mieux avant, on était idéalement les rois, on inventait tout ce qu'il faut, dans une vision un peu afrocentrique du passé de l'Afrique, quoi que ça veuille dire. En revanche, nous souvenir, ça commence déjà par ce temps que moi je considère cyclique et qui... qu'on peut « mesurer » à travers l'anthropologie, où on voit que dans certaines sociétés, en Afrique, en Asie, le temps, lui, est cyclique, c'est-à-dire qu'il revisite le passé. Et donc, à partir du moment où on se dit « tiens, ma présence ici sur Terre, c'est le continuum de mes ancêtres, Qu'est-ce qu'ils pensaient ? Est-ce que je peux interroger ma mère ? Est-ce que je peux interroger ma grand-mère ? Si j'ai la chance encore d'avoir mes grands-parents autour, à quoi ils croyaient ? Quels étaient leurs rituels, leur manière de concevoir la vie ? Est-ce qu'ils avaient des livres fétiches ? Est-ce que je peux les retrouver ? Est-ce que je peux enregistrer ces bibliothèques vivantes tant que j'ai l'occasion ? Pour moi, ça c'est déjà de la spiritualité pour moi. Et notamment, comme je disais, à travers l'art. Et donc, d'aller faire ce travail archéologique du soi, non pas dans un besoin nombriliste, mais pour comprendre ce qui se répète à travers cette spirale du temps, de l'histoire, de ce qu'on vit, de ce qu'on croit inventé, mais en fait, on hérite de choses, etc. Et ça, pour moi, c'est déjà... Après, si on a la chance, l'occasion d'avoir accès à des archives, d'avoir accès à des connaissances au niveau traditionnel, oui. Pourquoi pas se reconnecter à ça ? Mais de manière individuelle, j'ai l'impression qu'il y a des choses dont on ne peut plus avoir accès de cette Afrique que parfois on idéalise. En revanche, oui, de manière sociale, sociologique, les nations en Afrique, je vais parler du Congo que je connais, il y a une spiritualité qu'on appelle Congo, avec un K, qui a été aussi une spiritualité anticoloniale, notamment par une... militante prophétesse Kimpavita qui, elle, s'est levée et qui a levé un mouvement anticolonial par la spiritualité Congo. Oh, désolée, je parle beaucoup. Et donc, voilà, ça ensuite, on peut au niveau sociétal, on pourrait en parler mais c'est vrai qu'on a été déconnectés de ça et que ça nous a voilà. En termes d'épistémologie, de manière du rapport à la nature, aux autres, à la politique. Mais oui, je m'intéresse à ces sujets-là, donc ce sera peut-être un prochain ouvrage. Merci.

  • Speaker #6

    On prend une dernière question. Alors, bonsoir, merci encore pour ce moment-là. Je vais essayer d'être rapide sur un petit témoignage et une question par la suite, par laquelle tu as déjà partiellement répondu. Je suis rayonnaise. Et rapidement, pour... Une partie, ils savent déjà, mais moi, ma charge raciale, c'est tous les jours. au quotidien. C'est avoir un rayon ethnique pour mes produits cosmétiques et cheveux qui sont plus chers. Trouver un médecin généraliste ou gynécologue qui connaît aussi les maladies liées à mon héritage d'ADN, enfin à mon héritage génétique. Trouver un dermatologue qui va pas trouver que mes marques de pigmentation c'est une maladie ou de la nécrose. C'est être en hyper vigilance à chaque soirée parce que les gens vont mettre leurs mains dans mes cheveux sans mon consentement et ne pas être trop agressif parce que sinon on va me dire que je suis trop sauvage, je suis la femme noire qui se rebelle. C'est plein de petites choses comme ça au quotidien, des remarques clichés qu'on est obligé de garder et qu'on ne peut pas se décharger avec un conjoint blanc. Et que si on se rassemble avec des gens de notre communauté, tout de suite c'est mal vu. parce qu'on veut s'isoler. Et c'est aussi, on parlait pour ce que le corps garde, se réveiller d'un cauchemar ou de crise de pleurs, en ayant en soi une rage et un mode de survie qu'on sait qui ne nous appartient pas. Mais en même temps, on me fait comprendre que je suis métisse, comme si c'était un 50-50. et que portant le sang de l'esclave et du volontaire ainsi que du bourreau, du colon, je devrais prendre ça de façon positive et avancer. Et en fait, je voudrais savoir quelle posture aussi avoir ça quand moi, ma charge raciale est beaucoup plus forte que je pense que la touche de blanc que j'ai. Quand par exemple j'ai la boule au ventre parce que j'ai pas ma pièce d'identité quand je sors la nuit ou que j'ai dû apprendre et m'entraîner sur un comportement et un discours à avoir quand j'ai habité aux Etats-Unis au cas où je rencontre la police. Donc quelle posture à avoir quand on en a marre aussi d'éduquer les gens en face et pas se dire que je suis 50-50. Parce que ce que je vis au quotidien, c'est pas du 50-50.

  • Speaker #2

    Merci. C'est ce que je disais par rapport, oui, au terme du métissage et à quel point c'est pernicieux, en fait, de nous... Enfin, quand je dis nous, c'est en tout cas les personnes afrodescendantes et donc les personnes dites métisses d'être renvoyées. Ah, bah tiens, il y a quand même cette part-là de privilège, donc regarde, ça devrait être bien. Évidemment que de manière... Si on comparait entre toi et moi, il y a des choses que je vivrais à cause du colorisme que tu ne vis pas. Mais pour la société encore traversée par son racisme, aux États-Unis comme en France, on fait partie de la même équipe. Et donc moi, j'ai envie de te poser la question. Qui es-tu ? C'est la question de toute une vie. J'en ai conscience. Vraiment. Et d'aller creuser en radicalité. Et quand je dis radicalité, c'est pas de la colère, c'est pas de la rage, c'est... C'est un choix, en fait. Et ce choix-là, c'est... J'ai envie de dire, ce n'est pas parce que tu vis une charge raciale plus forte que tu te définis par rapport à cette charge raciale-là. C'est qui je suis, qu'est-ce que je porte, qu'est-ce que j'ai envie de léguer en termes d'héritage collectif par rapport à comment je me lis à mes communautés. Et à partir de là, il y aura peut-être un peu de soulagement aussi. Parce que finalement, la charge raciale, elle ne va pas changer. Je dirais que ce sera la même. En revanche, la manière dont tu vas incarner, t'ancrer dans cette identité-là, qui pourra forcément évoluer parce qu'on grandit avec notre prise de conscience, etc. Je pense que ça va apporter quelque chose de soulageant. Après, pour la pédagogie, ce que je dis, quand je suis payée, j'éduque. Quand je ne suis pas payée, je me tais. Merci à toi. Force.

Description

Douce DIBONDO est essayiste et poète. Française d’origine congolaise, elle utilise ses expériences pour explorer des sujets de société avec un regard critique et ouvrir des espaces de réflexions sur les oppressions. Autrice de deux recueils poétiques, Métacures, et Infra/seum : une poésie fâchée avec tout le monde, elle a également publié en 2024 La charge raciale, vertige d’un silence écrasant. Elle est également connue pour son podcast « Extimité », créé avec Anthony Vincent (journaliste mode et militant queer), dans lequel ils donnent la parole aux personnes minorisées à la jonction de plusieurs rapports de dominations (racisme, misogynie, handiphobie, homophobie, transphobie).


« Toutes les personnes racisées sont des génies de l’adaptation. Penser à ne pas paraître « trop » noire, arabe ou asiatique, adopter une manière de parler, de s’habiller, de rire, réfléchir aux musiques choisies en soirée, renoncer à porter des capuches pour éviter la police… Bref, la charge raciale, c’est tout planifier quand on évolue dans des milieux majoritairement blancs et qu’on ne l’est pas. »


Le racisme aurait-il deux têtes ? Celle de la violence explicite, brutale, cyclique des morts et des agressions qui s’accumulent de la Méditerranée aux quartiers populaires. Puis celle d’une violence banale, plus taiseuse, qui se niche dans les relations quotidiennes et entrave la construction de son identité. À travers le concept de ‘charge raciale’ qu’elle emprunte à Maboula Soumahoro, elle questionne le manque de mot mis sur ce mal partagé par les personnes racisées : quotidiennement, les personnes non-blanches subissent des assignations raciales ou des micro-agressions et doivent non seulement endurer ces violences mais aussi prendre sur elles pour trouver des issues sans heurt à ces situations. Douce DIBONDO mêle psychanalyse, art et témoignages pour en montrer tout l'impact.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Dans le cadre du cycle de conférences Voix Off, la Ville de Grenoble vous propose d'écouter une discussion avec Douce Dibondo, essayiste, poète et podcasteuse, qui nous parle de son livre intitulé La charge raciale

  • Speaker #1

    Bonsoir tout le monde, on est très très heureuse de vous voir aussi nombreux, c'est assez impressionnant, ça fait très plaisir. Alors je vais commencer par me présenter, je suis Iris Ouédraogo, journaliste et documentariste sonore. Je suis aussi coprésidente de l'Ajart, qui est l'association des journalistes antiracistes et racisés, qui a pour but de lutter contre le racisme dans les médias. Donc ce soir on va discuter pendant une heure avec Douce Dibondo et puis on vous laissera la parole ensuite pendant une demi-heure si vous avez des questions, des remarques. à échanger. Alors je vais commencer par présenter 12Dibondo. On a décidé de se tutoyer, voilà je vous préviens. Donc 12, tu es écrivaine, poétesse, essayiste et militante et tu t'es fait connaître en 2018 avec la co-création du podcast Extimité qui donne la parole à des personnes minorisées à l'intersection de plusieurs oppressions. Tu as publié plusieurs ouvrages chez Blast Éditions de recueil de poésie. Métacure et infrasum, poésie fâchée avec tout le monde et tu as participé au recueil Fruits de la colère, embraser nos débordements Et l'ouvrage au cœur de notre conversation ce soir, c'est donc La charge raciale qui est sorti l'année dernière chez Fayard. Alors, ce que je vous propose pour commencer, c'est déjà de vous lire un petit extrait et puis on va en discuter ensuite avec douce. Lorsque ta collègue Eleonore t'invite à un apéro chez elle, tu hésites toute la journée. Tu sais que tu es la seule personne noire de son entourage. Tu hésites à y aller, tu pèses le pour et le contre. Tu ne sais pas à qui tu as affaire politiquement. Que redouter le plus Une soirée avec des blancs et blanches de gauche, un peu paternalistes sur les bords, qui te raconteront leur voyage au Mali, quand tu auras à peine évoqué les origines de tes parents centrafricains Ou débarquer en plein milieu d'une bande d'apolitiques, donc de droite, persuadés que le seul problème de la France, c'est l'économie et la perte des valeurs le déclin de la méritocratie. Bingo, tu gagnes le lot des paternalistes de gauche. Tu anticipes les questions sur tes origines, tu crains les blagues sur la musique de chez toi, tu es pétrifié à l'idée d'éventuels débats sur la classe avant la race. Tu comprends à quel point la spatialité coloniale n'est pas seulement dans les statues et les noms de rue. Dans cet espace intime, ta présence fait tâche, elle crie l'absence et l'anomalie, sans que personne d'autre s'en rende compte. Arrive le moment de choisir la musique. Tu évites de mettre de l'afro ou du rap. Tu te souviens de la menace du stéréotype. Tu ne veux pas le confirmer, ni pour toi, ni pour toutes et tous les autres noirs que tu es censé représenter. Alors j'ai choisi cet extrait parce que je me suis beaucoup retrouvée dans ce monologue intérieur et je trouve que c'est une manière de rendre compte de toutes les réflexions qui sont assez intimes et compliquées à retranscrire pour des personnes qui ne les vivent pas. Et je trouve aussi que c'est un extrait qui représente bien ce livre, et c'est très documenté et aussi une écriture très personnelle et très percutante. Et donc pour commencer, avant peut-être que tu nous expliques comment tu as eu l'idée de faire ce livre, est-ce que tu pourrais nous définir ce que tu entends par la notion de charge raciale

  • Speaker #0

    Merci déjà de ce souvenir, et ça m'a beaucoup replongée dans... dans l'état dans lequel j'écrivais cet extrait, entre humour cynique et réalité un peu fracassante, puisque c'est ce qu'on vit, que j'ai vécu, même si ce tu essaie de mettre de la distance entre moi et cette charge raciale. Oui, la charge raciale, en fait, quand je rencontre ce terme-là, j'ai idée de ce que ça veut dire, mais c'est très nébuleux pour moi, c'est cette hyper-vigilance. C'est la manière dont les personnes noires, les personnes racisées se doivent de scanner leur environnement pour ne pas correspondre justement aux stéréotypes par la peur de décevoir ou de confirmer certains préjugés par rapport à notre couleur de peau. C'est une manière de se suradapter en société, dans un environnement majoritairement blanc. C'est une charge qui est à la fois historique... à cause du passé colonial esclavagiste de l'Occident. Mais c'est aussi une charge qui se vit dans le présent, à travers notre rapport aux institutions. Aux institutions qui sont censées nous alléger la vie en société, les institutions que sont la police, que sont le système médical, mais aussi la famille, le couple, les relations interpersonnelles. Et enfin, cette charge très intime que je nomme une charge intra-personnelle qui se vit dans l'intimité de soi-même à soi-même. Comment l'on se voit quand on se regarde dans le miroir Qu'est-ce qu'on a intériorisé de nos traits, de notre couleur de peau, de nos cheveux, de notre ascendance Qu'est-ce qu'on voit de l'avenir Est-ce qu'on se sent capable de faire advenir un enfant noir ou un enfant racisé dans ce monde Voilà, c'est toutes ces questions qui traversent cette charge raciale-là, qui n'est pas seulement de l'ordre individuel, mais qui est toujours en mouvement entre cette part intime de nous et l'extériorité, la société, l'histoire, l'humanité, en gros.

  • Speaker #1

    Justement sur la question des enfants, il y a un exemple que tu donnes pour expliquer comment ça se manifeste concrètement dans la vie des personnes racisées, cette charge raciale. Et j'ai trouvé que c'était un exemple intéressant parce qu'il n'est pas souvent abordé, c'est celui de la PMA. Est-ce que tu pourrais développer comment est-ce que la charge raciale, elle peut se représenter concrètement dans ce domaine-là, peut-être pour que ce soit plus clair pour les personnes non concernées

  • Speaker #0

    Oui, alors. Pourquoi j'aborde la question de la PMA C'est évidemment un angle mort, pour ne pas dire un angle noir, de cette question de la procréation. Déjà, je vous donne schématiquement le design, ou en tout cas la manière dont on a construit le livre. On part d'une charge qui est historique, on se rapproche de plus en plus du quotidien, notamment avec cet exemple et cette narration avec un tu. Et puis, je montre à quel point aussi, à partir de... nos interactions, du couple, il se joue une charge raciale qui est sexisante. Donc en tant que personne, donc femme noire, si je suis en couple avec une personne blanche, cette charge raciale-là va ressortir, parce que la question du racisme est souvent tue, mise de côté, gaslightée par les partenaires blancs qui ne comprennent pas ce qu'on vit, nous soupçonnent d'exagération, nous soupçonnent de victimisation. Et donc ensuite j'aborde la question de la famille et de la charge intracommunautaire, en abordant à quel point, au sein même de nos familles, nous sommes souvent tiraillés entre cette culture de France, d'Occident, et ce qu'on est censé être comme vrai noir, comme vrai racisé. Et puis j'aborde la question du métissage, qui à mon sens est aussi une manière d'acculturer et d'avoir une injonction. par rapport à la famille noire. Je montre à quel point les politiques de messissage à travers le cinéma, à travers les œuvres qu'on nous vend, qu'on nous montre, sont des manières aussi de peindre un communautarisme qui n'existe pas. Au cinéma français notamment, voir un couple fait de personnes noires ou de personnes racisées, asiatiques, arabes, etc. Ça n'existe quasiment pas. Il faut de la blancheur pour légitimer. nos présences à l'écran. Donc j'aborde la question du métissage et ensuite je montre à quel point ces politiques publiques ces politiques culturelles sont aussi une manière de détruire la famille et donc enfin la question de la PMA comme dans toutes les sphères de la société il y a un déséquilibre en termes de discrimination quant à la procréation Il y a quelques années, j'avais écrit un article là-dessus en montrant que pour une femme hétéro blanche, il fallait entre deux à quatre ans d'attente pour obtenir justement des ovocytes pour avoir un enfant. Et pour une femme noire, il en fallait le double, donc soit entre quatre et huit ans. La PMA, désormais, a été promue, elle est légale. Il y a des conditions qui sont faites pour que le processus soit accéléré. Et pourtant, en termes de décision des médecins, les médecins peuvent demander à un couple de deux personnes noires, peuvent soit pousser à ce que les parents, ou en tout cas les futurs parents, s'accommodent d'un nouveau site blanc, parce que là, vous allez attendre beaucoup trop longtemps. Et si vous voulez vraiment un enfant, il n'y a pas le choix. Ou sinon... Quand les parents veulent bien accueillir un ovocyte blanc et avoir un enfant métis, ça va être mal perçu. On va dissuader souvent les parents en disant que le critère d'appareillement, qui n'avait pas été encadré par la loi, c'était au médecin de décider si c'était génétiquement compatible d'avoir un enfant. métisse de deux parents noirs et que ça pouvait troubler le psychisme de cet enfant blanc mais ce n'est jamais le cas quand il y a deux parents blancs qui vont adopter par exemple un enfant en Afrique là la dynamique n'est jamais questionnée en termes de peut-être du psychisme de l'enfant, de ce que ça veut dire socialement, communautairement etc et donc je montrais à quel point il y a des politiques même au sein de la famille noire Enfin, au sein de la famille et en tout cas au sein de l'État, il y a des politiques pour une destruction, une déstructuration de la famille à travers la PMA, mais pas que. Et donc, c'était aussi une critique de ce slogan qu'on entend souvent dans le féminisme de détruire la famille. Il faut détruire la famille, il faut abolir la famille. Mais oui, mais laquelle Parce qu'en tant que famille minorisée, minoritaire, cette question-là, c'est dans cet espace de la famille noire que je... je peux me décharger de cette charge raciale, parce qu'au sein de ma famille assisée, je me protège de l'État. Il y a des violences familiales, évidemment, on le sait, on les combat aussi, mais posons-nous la question de quelle famille on parle quand on parle d'abolir la famille. Je trouvais que c'était important de mettre l'accent sur cette question de la PMA, qui n'est pas vraiment abordée en termes de charges financières, émotionnelles. en termes de discrimination, des fois lesbophobe, raciale, etc.

  • Speaker #1

    Effectivement, je trouve que c'est un bon exemple aussi pour saisir que ce qui est déjà une difficulté importante d'accéder à la PMA pour beaucoup de couples, et encore plus pour des femmes seules ou pour des couples de femmes, il y a une charge en plus pour les personnes racisées qui est effectivement très peu abordée. Et ça veut dire concrètement, lorsque les personnes vont à leur rendez-vous, elles vont peut-être... déjà avoir en tête, déjà devoir se préparer mentalement à d'éventuelles discriminations, d'éventuelles remarques, etc. Ce que j'aimerais savoir à propos de ce concept de charge raciale que tu développes dans ton livre, c'est comment est-ce qu'on fait pour décrire quelque chose qui est aussi intime et aussi personnel à des lecteurs qui vont être concernés, pas concernés, même qui vont parfois être concernés mais ne pas... avoir conscientisé les choses en tant que telle. Ça m'intéresse un peu cet exercice aussi d'écrivaine, de réussir à expliquer quelque chose d'aussi intime. Comment est-ce que tu as fait

  • Speaker #0

    Je pense que c'était vraiment... Déjà, je n'aurais pas pu écrire cet ouvrage si je n'avais pas fait un travail de conscientisation, un travail émotionnel. Parce que c'était... super difficile de porter justement la charge de ce livre qui n'avait jamais été écrit, sur ce concept qui pourtant traverse des millions de vies en France et en Occident. Et je me suis sentie, oui, un peu écrasée déjà par cet acte-là, et en même temps cette urgence à me dire, mais depuis 2019... L'année où je rencontre ce terme, sous les mots de Maboula Soumaoro, jusqu'en 2023, où je prends la décision d'écrire ce livre, il y a des balbutiements, il y a des choses qui sont dites, il y a des articles dans le milieu militant. La charge raciale apparaît, mais de manière plutôt descriptive. Or, je me rends compte que même déjà en 2019, quand j'écris un article et que je reçois une vingtaine de témoignages via Twitter RIP, Rest in Peace, je me dis, mais wow, ok, je n'ai pas rêvé. C'est une réalité. On est tous traversés par ce poids-là. Mais le temps passe et il n'y a pas de recherche universitaire qui s'empare de la question. Donc quand je me mets face à mon syndrome de l'imposteur et que je me dis, bon, ben, on y va. Je suis à la fois sûre de moi, parce que je sais que c'est quelque chose qui me travaille depuis... Ouais. Trois ans. Et puis, je sens qu'il y a une fragilité parce qu'il faut repartir, il faut repartir, aller creuser dans les archives de violences policières, de violences médicales. Je l'écris aussi, évidemment, en plein génocide en Palestine. Et donc, il y a des choses que je n'ai pas pu dire parce qu'un livre, ce n'est pas infini. Il fallait faire des choix. Et donc, cette question-là de... de l'empathie, de l'apathie, de comment les corps racisés sont sont fongibles, sont de la chair qui nourrit l'humanité, qui nourrit l'Occident, qui nourrit une géopolitique du silence, de l'apathie, ça me traverse de la première phrase jusqu'à la dernière phrase. Et parce que peut-être j'ai cette formation à la fois en sociologie, et aussi de poète, je ne fuis pas cette fusion-là des mots. Je ne fais pas de dichotomie entre ma raison, l'objectivité, la neutralité, etc. Et ce qui semble pas très important, ou en tout cas délaissé, quand il s'agit d'écrire des essais, c'est-à-dire d'aller creuser avec l'intime, d'aller creuser avec la blesse dont je parle, avec la blessure, et d'aller jouer avec ça et de se dire qu'il y a des choses qui vont sortir. Et je vais offrir ça à la lecture, tout en apportant aussi des faits, des sources, de la documentation. Parce que l'un ne va pas sans l'autre. Pour parler de charges raciales, je ne pouvais pas me faire l'économie de ce qui nous traverse à chaque instant. Il fallait que ça se ressente. Et j'ai compris avec les discussions, avec les retours que j'ai eus de personnes racisées qui me disaient souvent Merci pour ce livre, mais je ne sais pas si je vais pouvoir le lire tout de suite. Et j'ai compris à quel point cette phrase-là, elle disait tout du vertige que c'était cette charge raciale pour nous.

  • Speaker #1

    C'est vrai que c'est intéressant parce qu'effectivement, je dois dire que je ne l'ai pas lu avant notre discussion. Parce que je savais justement que ça allait être difficile à lire. Alors que finalement, au contraire... pour les personnes racisées qui ne l'ont pas encore lu. Je dois dire que ce n'était pas si douloureux, mais plutôt libérateur. Mais on en parlera un peu plus tard. Alors, je voulais que peut-être tu nous racontes un petit peu aussi ton parcours à toi, avant qu'on creuse un peu plus dans tous les concepts que tu développes. Tu parles du fait que toi, tu es arrivée en France à l'âge de 12 ans. Donc, contrairement à beaucoup de récits de personnes racisées qu'on peut déjà entendre, tu n'as pas forcément eu ce choc de réaliser, toute petite, que tu étais noire, parce que tu n'as pas évolué dans un espace blanc. Et est-ce que tu as peut-être envie de nous raconter, quelles sont les stratégies que toi tu as adoptées, pour conjuguer avec cette charge raciale quand tu es arrivée en France, comment est-ce que ça s'est passé pour toi

  • Speaker #0

    Évidemment, je mets des mots d'adulte sur la moi de 12 ans, quand j'arrive en 2005 en France. J'arrive en Essonne, j'ai 12 ans, je suis en quatrième et je découvre un monde, littéralement un monde, dont je ne comprends pas les codes et qui me renvoie tout de suite, non pas seulement à ma couleur de peau, mais à la blédarde. Parce qu'au sein même de ma communauté, des personnes noires et des personnes racisées en général, évidemment, il y a des hiérarchies aussi. Et donc, moi qui arrive avec, sûrement un accent, je ne m'en rendais pas forcément compte, mais qui aussi parle plutôt bien le français, enfin, je suis un peu une anomalie. On me dit, mais tu n'es pas censée, pourquoi tu parles le français aussi bien Je me dis, mais en fait, le Congo-Brazzaville est une ex-colonie de la France. Et en fait, c'est une camarade du Congo RDC qui m'en parle. Et je me dis, mais donc en France, en fait, les gens ne sont pas instruits ou quoi Qu'est-ce qui se passe Non, vraiment, je m'interroge. Et donc, je suis tout le temps renvoyée comme ça à une Africaine qui n'est pas censée être éduquée, qui n'a pas les codes vestimentaires, etc. Et donc, la quatrième, c'est compliqué. La troisième... Je me suradapte et je crée un masque. sociale, je porte ce qu'on appelle en psychologie un faux self. Je me dissocie totalement de ma culture congolaise, j'adopte tous les codes de ce qui est censé être la culture française, puisque je débarque à Orléans, c'est pour vous dire. C'est compliqué, la ville de Jeanne d'Arc qui a été complètement récupérée. Et donc, je ne sais pas, à l'époque, c'était les Ben Simon, le Saclon-Champ, tout l'appareillage. Et en fait, j'efface toute cette identité-là et je diminue aussi cette part de Bounty. Vous savez, le Bounty, c'est noir à l'extérieur, blanc à l'intérieur. Parce que parler d'une certaine manière... Avoir des codes culturels, s'intéresser à plein de choses, c'est perçu comme ne pas être une vraie noire. Donc j'efface tout ça et je me rebelle aussi beaucoup contre les professeurs qui voient en moi une élève à la dérive sans comprendre le harcèlement que j'ai évité et pourquoi justement je sors de cette posture-là de la petite fille intello, etc. Et puis le temps passe, là c'est plutôt à l'université pareil aussi, je vais en sociologie. Et là, le monde universitaire, qui pour moi était censé être un monde d'ouverture, de curiosité, de pensée critique, je tombe des nues, avec des professeurs vraiment libidineux sur les corps des femmes noires qui nous sont présentées sur des grands écrans, où il y a tout le paternalisme de l'ethnologie, de l'anthropologie, etc. pas les mots pour me défendre. Je sais qu'il y a quelque chose qui coince, mais je n'arrive pas à verbaliser tout ça. Et puis, le monde du travail, du journalisme, est-ce que j'ai besoin de creuser la question de qui sont les journalistes qui sont mis en avant Quels sont les sujets Comment nos sujets sont retransformés, ne sont pas pris en compte, etc. Je me rends compte qu'en effet, c'est bien plus large que ça. La sociologie m'a permis de comprendre qu'il y avait des déterminismes de classe, mais à l'époque, cette question de... la race sociale, du féminisme, c'était très balbutiant. Et donc j'ai mis en place toutes ces stratégies-là, de devoir me lisser les cheveux, de devoir parler d'une certaine manière pour espérer être acceptée, et c'était jamais assez. Et puis j'ai travaillé un an à LCI, oui, oui, oui, pour David Pujadas. Et, bon... Un an, ça suffit. Je me suis dit, bah non, littéralement, comment me suradapter encore plus Si je le fais, je meurs. Si je le fais, la machine est en broie, c'est sûr. Je ne peux pas être à la fois, ne pas être prise en compte dans le travail que j'apportais en termes de recherche journalistique, de point de vue en fait sur ce que ça veut dire la race, quand il y avait des crises raciales, etc. Ce que j'appelle crise raciale dans des moments de... polémique raciale, et bien la douce était importante, sinon le reste du temps ma parole ne comptait pas et je me suis dit non non là je vais finir par être totalement dissociée et vivre cette névrose raciale dont je parle dans le bouquin, et puis je suis partie et j'ai fait mon coming out d'écrivaine et puis la suite j'espère que ça sera de l'histoire mais oui oui et c'est pour ça peut-être que ça se ressent aussi je ne prends pas de distance avec cette charge raciale parce que elle nous traverse tout le temps le temps et je n'ai pas voulu cacher cette vérité-là.

  • Speaker #1

    Justement, tout à l'heure, tu as évoqué ce mot, la blesse. Est-ce que tu peux un petit peu décrire ce que ça veut dire, d'où ça vient Parce que c'est un mot que je ne connaissais pas, qui permet de décrire cette blessure intime qu'on vit en tant que personne racisée, c'est le détachement de son identité. Est-ce que tu peux expliquer un petit peu plus pourquoi tu choisis d'adopter ce mot

  • Speaker #0

    Ce livre s'est construit malgré moi. Le terme de la blège, je le rencontre en 2019 à Dakar. Je suis au musée des civilisations noires à Dakar et là il y a une grande toile toute noire qui fait sûrement 3 mètres de haut sur 4 mètres de large et il y a des entailles rouges-vermeilles, il y en a 4 ou 5. Et ça me saisit, je comprends tout de suite la métaphore. de la blessure, et je m'approche limite solennel, et je lis le cartel, la blesse, la blesse. Et il y a marqué, voilà, la blesse, c'est cette entaille existentielle que portent en elle les personnes antillaises des Caraïbes, mais de manière générale aussi des personnes afrodescendantes noires. Je me dis oui, oui, cette déchirure historique, cette déchirure existentielle, on la vit plus ou moins. Et donc... Je garde cette œuvre-là et quand j'écris le livre, je me rappelle de ce concept et je creuse. Et là, il y a le travail de Patricia Donatien-Issa, qui est une chercheuse guadeloupéenne, qui, elle, a écrit sur cette esthétique de la blesse. Et elle montre à quel point, quand elle remonte le travail des poètes, poétesses caribéennes, Il y a un travail de la blesse, c'est-à-dire que ces artistes-là vont toujours creuser le pu. L'art, pour les personnes afrodescendantes, pour les personnes racisées, ce n'est pas un moyen de contemplation pure. C'est un moyen de sublimer le pu. Elle en parle, elle parle du pu, de l'histoire, du silence hérité, des traumas intergénérationnels. Et elle montre que tout leur travail est traversé par ça. Et donc, elle s'intéresse à cette question de la blesse. Et elle va interroger les anciens et les anciennes en Guadeloupe. Sauf qu'elle est accueillie, évidemment, par un silence. Parce qu'à la fois, c'est indicible de reparler de cette histoire qui est encore dans le corps des enfants qui ont des maladies dont on ne comprend pas l'origine, qui somatisent, ou des personnes qui ont des états comme ça, soit de léthargie, soit de ce qu'on appellerait de la folie, etc. Mais elle ne lâche pas. pas, elle creuse, elle en fait son terrain. Et petit à petit, les langues se délient. Et donc les anciens lui disent, voilà, la blesse c'est le fait, par exemple, des fois d'avoir des douleurs aux poignets, aux chevilles, qui symbolisent le poids des chaînes des anciennes personnes esclavagisées, par exemple. C'est cette... C'est le foie qui porte et qui travaille sans cesse le stress. minoritaire, le stress racial. Et donc, il lui explique tout ça. et donc elle comprend ensuite en relation, elle met en relation le travail littéraire de ces poètes, de ces écrivains et écrivaines. Et j'ai trouvé ça tellement juste, tellement parlant de voir à quel point les anciens, les aînés avaient déjà compris ce que désormais l'épigénétique tâtonne pour l'instant, même si évidemment la science fait son... enfin voilà... un temps qui lui est propre, mais on voit en tout cas qu'il y a des choses qui ressortent de ce qu'on savait déjà de ces traumas liés au colonialisme, liés à la période esclavagiste. Et la blesse me permet aussi d'introduire la part imagée, métaphorique, de ce problème qui est psycho-existentiel, qui est psycho-politique. Et je... Je parle beaucoup de Frantz Fanon aussi, qui, à mon sens, a tellement réussi à faire ressortir ces deux polarités-là, entre l'intériorité de cette charge, de ce tiraillement, même cette déchirure, entre nous et le monde extérieur, entre l'histoire.

  • Speaker #1

    J'ai l'impression que c'est une critique que tu fais beaucoup, surtout au début du livre, sur le fait qu'on a... On aborde beaucoup le racisme et on milite contre le racisme d'une manière où on évite de parler de son intériorité, de son intime, de la psychologie. Est-ce que pour toi, ce livre, c'est aussi une manière de ramener ça dans le discours Pourquoi est-ce que ça manque selon toi

  • Speaker #0

    Il faut qu'on me donne une heure de plus.

  • Speaker #1

    Il faut lire le livre.

  • Speaker #0

    Après, c'est des approches qu'on peut retrouver, j'invente rien évidemment, qu'on peut retrouver dans les critiques décoloniales, où cette philosophie-là, cette philosophie de la grande séparation, qui remonte pour certains, certaines, aux religions dites abramiques, où... Un peu plus récemment, autour du XVe siècle, notamment de la date de 1492 et la découverte des Amériques, où à partir de cette date-là, dite la date de l'institution de la modernité, on a scindé les corps, on a scindé les épistémologies, c'est-à-dire la manière de faire connaissance, de reproduire le savoir, et on a décrété qu'il fallait se séparer du corps, de l'intériorité. qu'il fallait toujours raison garder, littéralement, mettre en avant les formes de savoir qui étaient dites matérialistes, avec un objet scientifique bien défini, avec des protocoles, des programmes, etc. Et en fait, toute cette épistémologie de l'Occident fait qu'en tant que personne militante en France, on n'en échappe pas, évidemment. On voit à quel point il y a, depuis la sécularisation de la France, qu'il y a eu des bons, évidemment, le clergé, l'église, etc. Il y avait tout un système aussi de privilèges et d'exploitation des couches paysannes, etc. Évidemment. Mais en revanche, dans la question même du rapport à l'intériorité et à la nature, il y a eu une grande séparation. Et donc nous, ce qu'on reproduit, et c'est une critique qui est adressée à la gauche, parce que les autres en face, mes ennemis politiques... Ils grandent bien leur face, mais à la gauche, pour nous, pour dépasser, pour faire advenir des utopies, on reproduit les outils du maître, on y utilise des outils du maître, comme disait Audrey Lorne. Et on voit bien qu'à un moment, ça coince parce qu'on n'arrive pas, en tout cas, on n'ose pas faire appel à l'intériorité qui est un vaste champ. Je ne parle pas seulement selon des autérismes ou de spiritualité. Je parle des recherches qui sont un peu plus à la mode aussi maintenant, des neurosciences. mais aussi de ce que ça veut dire de vivre le racisme psychologiquement au niveau du corps. Comment nous reconnecter à ces parts émotionnelles et affectives qui ont été complètement coincées Aux États-Unis, les politiques des affects existent depuis les années fin 80, début 90. En France, ce n'est que récemment qu'on commence à aborder la question de l'amour, la question... de la joie, de la colère, mais avec une approche qui est toujours très distante, qui est toujours très loin du corps, de ce que ça veut dire phénoménologiquement. d'être un corps assisé, en fait. Et Fanon l'a fait, et puis on a coupé, parce qu'il est tombé dans l'oubli. Et moi, je me dis, mais oui, c'est important de remettre au centre cette question-là des affects, la politique des affects. Et je pense que ce livre est à la croisée des études noires, on va dire, des études noires, et de la politique des affects. Et donc, c'est pour ça que je parle vraiment de psychopolitique. Et si on ne... Si... Pour moi, si la gauche ne se réconcilie plus avec cette part-là d'elle-même, c'est-à-dire d'assumer les émotions, de ne pas laisser les émotions à un populisme, à un populisme extrémisme droit, on n'aura pas la chance de rattraper, on n'aura plus la chance d'attirer à nous des personnes qui ne sont pas forcément très au fait de concepts, d'un intellectualisme qui... perd les masses, etc. Comment on arrive à se reconnecter avec des gens en leur disant, voilà en fait le quotidien que moi je partage, voilà, ce que je peux vivre en tant que corps, femme, noire, assisée. Est-ce que ça résonne en toi Est-ce que ça te parle Est-ce qu'ensuite ça te donne la curiosité d'aller chercher par toi-même et de t'éduquer et de monter en conscience Est-ce que ça te donne envie de propager cette compréhension du monde avec l'éducation populaire, etc. Et pour moi, Voilà à quoi servent les livres, poser des petites bombes intellectuelles, évidemment, et à partager ce feu du changement, ce feu du mouvement. Mais le feu, il est nourri par les affects. Pour moi, la raison, c'est autre chose. Mais pour être magnétique, pour que nos combats soient magnétiques, il faut la politique des affects. Et j'espère qu'on... qu'on y arrivera de plus en plus et qu'on sera légion à le faire.

  • Speaker #1

    Justement, je trouve ça intéressant que tu parles autant de l'affect des émotions et que dans ton livre, tu exposes à quel point les personnes noires, on leur a nié ce droit à être des personnes avec des émotions, avec des affects, avec une intériorité. Et tu parles même d'une antithèse de la personne, que les Noirs, on les empêche de se définir en dehors du regard blanc. Et qu'une des choses importantes que j'ai retenues de ton livre, c'est qu'il y a une nécessité de se recréer son soi, en dehors de ce regard blanc, en dehors de cette définition qui nous colle des préjugés, des clichés. Est-ce que tu peux en dire un peu plus de cette expérience qui est quand même très particulière et peut-être difficile à comprendre, de ne pas avoir l'impression d'avoir une identité à soi

  • Speaker #0

    Oui, en fait, la race, quand on dit que la race biologique n'existe pas et que la race est une fiction, c'est vrai que socialement, on est discriminé, donc on ne peut pas faire l'économie de ce qu'on vit. Et pourtant, cette fiction-là, elle traverse tous nos sens, autant chez les personnes qui vivent. qui ne vivent pas le racisme directement, donc les personnes blanches, qui, elles, à travers leur regard, ou même parfois leur non-regard, c'est-à-dire détourner les yeux, ne pas s'intéresser à la question raciale parce qu'apparemment ça ne les concernerait pas, et pourtant, c'est une question de... Voilà, tous nos sens sont traversés par cette question raciale. Et nous, de l'autre côté du miroir, on a aiguisé nos sens. Donc... On n'est plus vraiment... Je dirais même qu'on est des super humains parce qu'on nous a retiré l'insouciance depuis l'enfance déjà. Où on a cette conversation, la fameuse conversation aux Etats-Unis, on parle de the talk, où à 7-8 ans, on va dire aux enfants, tu vas devoir faire 3-4 fois plus parce que voici ce qui risque d'arriver à cause de ta couleur de peau, etc. Mais sois fière de qui tu es. Mais voilà. la vie, le monde dans lequel on est. Et donc déjà, il y a cette perte d'individuation qui se crée chez l'enfant racisé, où il a deux choix. Soit il s'alienne, donc l'alienation de ce que Fanon dit, c'est de se rendre aveugle à sa condition noire, et d'adopter toutes les valeurs de la suprématie blanche, de ne pas voir des couleurs, de croire en la méritocratie. et que parce que tu es une noire capable, vaillante, tu arriveras au sommet de l'ascenseur social. En général, il y a un moment où ça craque, ça craque au sommet. Et il y a l'autre chemin où on se révolte contre ça, et on est investi d'une mission, et on veut changer les choses. Mais dans les deux cas, est-ce que c'est vraiment un choix Pas vraiment. Et donc rien que ça, cette névrose-là, cette névrose raciale, qui nous pousse à choisir et à nous scinder, et à tout le temps naviguer entre justement... le fait qu'on nous dénie une intériorité, donc à prouver qu'on a une humanité, à prouver qu'en fait on ne mérite pas de mourir sous les genoux d'un policier, qu'on est couru ou pas, que non, tout simplement. Et bien cette déchirure-là, cette déshumanisation-là, on l'intègre, et donc on est parfois obligé... de devoir arracher ces affects-là. Et c'est pour ça que je comprends les critiques où on dit que les personnes noires, les personnes racisées, elles sont souvent dans des milieux de divertissement, du sport, où la question de la corporalité, elle est présente, etc. Mais en même temps, si on prend du recul, c'est peut-être normal. Pour des personnes à qui on a dit votre jeu, votre incarnation, votre chair ne compte pas. Mais comment on récupère l'individualité Mais c'est par la corporalité, en se disant, voilà, je suis présent au monde, j'ai des choses à dire, je m'exprime, j'ai des émotions qui se doivent d'être partagées et je peux faire collectif avec. Et donc, cette question de l'individualité, elle est toujours paradoxale, à la fois, ou en tout cas de l'émotion. À la fois, on nous dit, je reprends les termes de Senghor, l'émotion nègre, la raison européenne. Donc, on serait à un surplus de vie, trop de vie, trop de vitalité, trop de corps, trop de libido, trop d'eux, et à la fois des êtres vides, des êtres qui se rapprocheraient plutôt du néant, c'est-à-dire pas... pas forcément intelligibles, sans histoire selon Sarkozy. Voilà, en fait, toujours tiraillé entre ces deux pôles-là, mais c'est le principe même du racisme et des discriminations en général, l'ambivalence. Et donc, oui, pour moi, les affects ont une part prépondérante, non pas seulement parce qu'il faut ressentir pour ressentir, mais montrer à quel point cette question de la réappropriation de l'intériorité est... éminemment politique.

  • Speaker #1

    Justement là-dessus, il y a aussi tout un chapitre dans ton livre que moi j'ai trouvé vraiment passionnant parce que j'avais jamais conçu les choses comme ça. C'est où tu réécris l'histoire de l'Occident en expliquant qu'au contraire, le vide et le trou existentiel il est plutôt de ce côté-là et que... Il y a eu nécessité à un moment de créer une figure de l'autre, donc en l'occurrence les Noirs lors de l'esclavage, pour combler un peu un vide. Et tu parles même d'un mouvement d'attraction, répulsion. Est-ce que tu peux expliciter un peu ça Et à quel point tout le contrat social s'est fondé là-dessus d'un contrat racial, qui est une thèse qui est développée par d'autres personnes aussi, mais est-ce que tu peux développer là-dessus

  • Speaker #0

    Oui, alors, je convoque cette autre histoire de l'Occident, parce que je trouvais ça intéressant, depuis toujours, depuis toute petite, notamment déjà au Congo, je posais souvent la question, je disais, mais pourquoi ça existait Pourquoi il y a eu l'esclavagisme, la période d'esclavage, la période de la colonisation, etc. Et on m'expliquait comment, comment. Voilà, mais oui, en fait, il y a eu une époque où les sociétés industrielles ont eu besoin de passer d'une économie marchande à une économie capitaliste, la naissance du bourgeois, blablabla. J'ai dit mais oui, mais quoi Vraiment, du haut de mes dix ans, je me suis demandé pourquoi. Et on ne m'a jamais vraiment expliqué pourquoi. Et donc dans ce chapitre-là, je vais le résumer de manière très brève, mais je montre à quel point, parce qu'on n'a jamais... aborder, ou en tout cas très peu, cette question-là de la propension de l'Occident à conquérir, à arracher la terre, à arracher des peuples pour le bien de ses propres terres, de sa civilisation. On a souvent donné des justifications économiques, notamment avec toute la... thèses, toutes les explications marxistes, etc., que je ne renie pas. Pour moi, les deux, il n'y a pas besoin d'être dans une explication binaire. Mais je trouvais que la part justement du pourquoi n'était pas assez abordée. Et là, je tombe sur les thèses de Carl Jung, qui est un psychiatre qui ensuite sera redéfini, renommé comme psychanalyste. Mais à l'époque, il est psychiatre. Et il a eu Lui, il se rend compte qu'au cours de ses sessions avec sa patientelle, il se rend compte qu'en fait, il va parler de certains sujets, il va les faire tomber en hypnose, ou en tout cas dans des exercices d'association d'idées, que sa patientelle se retrouvait à énoncer des symboles, à visualiser des choses qui n'étaient pas forcément dans leur culture, qui, la plupart du temps, ils étaient plutôt athées. Et donc, il se dit, mais là, il y a quelque chose qui m'échappe. je ne comprends pas ces associations d'idées. Et il tombe dans un travail qui durera toute sa vie, jusqu'en 1968, jusqu'à sa mort, où il remonte au premier siècle, il remonte des archives, des livres, des correspondances, de symboles alchimiques, et il montre à quel point sa patientèle était en fait... complètement traversé par ces symboles-là alchimiques. Il se dit, mais ce n'est pas normal. Comment ça se fait Donc, Jung montre à quel point la société suisse à l'époque était complètement traversée par des symboles qui étaient chrétiens d'apparence, mais qu'en fait, ces symboles chrétiens se basaient sur une lecture de l'alchimie. Et ce qui est... hyper intéressant pour moi à ce moment-là, c'est qu'en fait, il montre qu'il y a trois stades dans l'alchimie. Le premier, c'est le stade de la noirceur. Vous voyez où je... Le stade de la noirceur, donc le nigredo. Le stade de la blancheur, je ne me souviens plus du terme précis. Et puis, il y a le stade de la blancheur, l'albedo. Dans les termes utilisés, j'ai lu une thèse qui faisait 1000 pages, on ne pouvait plus, mais il y avait cette récurrence de termes sur la noirceur, à noyer, la matière première, à acheter, à vendre, comment il fallait polir la noirceur jusqu'à la blancheur, que la blancheur c'était le désir, c'était la rose, c'était la vie, c'était la vitalité, que la noirceur c'était un... C'était le roi des ténèbres, entre guillemets, c'était une royauté, c'était l'image régalienne de la noirceur des ténèbres. Et en fait, pour moi, ça résonne. Et je me dis, mais il a fallu d'abord que les inconscients des populations européennes soient totalement façonnés par cette obsession de la supériorité de la blancheur, pour qu'ensuite, ça soit légitime de rencontrer des corps noirs qui pourtant... ressembler à ces explorateurs slash colons slash alchimistes qui s'ignoraient et qu'en fait ils se rendent compte à quel point bah oui en effet la noirceur c'est légitime parce que depuis la chrétienté on nous a appris on a on a on a des expressions qui louent la blancheur blanche neige blanche colombe etc et qui vilipendent la noirceur et donc c'était plus facile d'arracher ces corps-là, de les voir sans âme. Et on le voit ensuite après avec toute la propagande religieuse de l'Église catholique, qui ensuite va postuler clairement que les Noirs n'avaient pas d'âme, mais que peut-être les natifs américains avaient, eux, potentiellement une âme. Donc on voyait bien que pour les personnes noires africaines à l'époque, c'était établi qu'elles n'avaient pas noir à cause de cette noirceur-là. Et je trouvais ça important de se dire, tiens, voilà, en fait, la cause unique n'existe pas. Il y a peut-être plusieurs entrées aussi à prendre en compte, dans ce qui fait que le racisme, l'esclavagisme... a été aussi acceptée, soutenue par une propagande à la fois économique, civilisationnelle, religieuse, etc. Et c'était important. Et je trouvais que Jung n'a pas été mise assez en valeur sur cette question-là de comment l'inconscient cognitif d'une civilisation, d'une société, peut être complètement traversé par des idées qui dataient d'il y a plusieurs siècles.

  • Speaker #1

    Et pour toi, c'est là-dessus aussi que... Ce contrat racial qui fait qu'on a tous implicitement accepté, entre guillemets, ou subi de vivre dans une société où les noirs sont en bas de l'échelle sociale et les blancs sont en haut. Et tu parles du fait qu'on a tous accepté de vivre dans ce monde où on différencie les blancs, les civilisés et les autres qui seraient restés à l'état de nature. Et que même si on a l'impression... d'être antiraciste, progressiste. En réalité, on vit dans un monde où on en est encore à ce stade-là. Est-ce que tu peux peut-être parler un peu plus de cette idée de contrat racial qui est implicitement présente dans les sociétés occidentales

  • Speaker #0

    Oui, quand on part de cette question des biais, en tout cas de l'inconscient cognitif à cette époque-là à travers Jung, le contrat racial... met en lumière la période plutôt du XVIIIe siècle jusqu'à nos jours. Et donc ce contrat racial, il a été théorisé par Charles Mills, qui est un penseur jamaïcain d'origine et anglais, s'il ne dit pas de bêtises, qui lui montre à quel point, en fait, derrière le contrat social qui a constitué, on va dire, les nations étrangères, européenne, notamment le contrat social fait par tous les contractualistes, Rousseau, Locke, etc. Il montre à quel point, en fait, ce besoin d'affirmer la civilisation à travers le contrat social, à travers l'état de droit, c'était une manière de se démarquer des sauvages, des bons sauvages. Ces mêmes philosophes, ces sociologues, Durkheim, Weber, etc., sont complètement traversés par l'impérialisme, par le colonialisme de leur société, de l'époque, mais construisent, notamment la sociologie par exemple, construisent leur science sociale par le progrès. Donc, ils trouvent une manière, une identité. en opposition avec ce qui est censé être, si il y a le progrès, qu'est-ce qu'il y a de l'autre côté Je ne sais pas comment on pourrait appeler ça. Le sous-développement, ce n'était même pas ça, c'était vraiment cette question de la sauvagerie, le sauvage et le progrès. Et donc, il montre à quel point il y avait une hypocrisie à travers les écrits et les pensées dites rationnelles des Lumières qui, en fait, promouvaient une... un homme universel, moral, vertueux, mais qui pourtant acceptait de faire partie du commerce triangulaire, de bénéficier du commerce des bateaux négriers, etc. Et je trouvais ça très intéressant qu'il montre à quel point ce contrat racial, donc c'était un contrat juridique, épistémologique, en termes de production de savoir, de s'opposer au... et d'être du bon côté, entre guillemets, du progrès de la civilisation, et que ça a façonné aussi le silence autour. Parce que si les sociétés se pensaient à travers leurs philosophes comme des sociétés moralement vertueuses, s'il n'y avait pas d'esclavage sur la terre de la liberté qu'est la France, mais qu'on ne voyait pas tout à fait les Antilles, même si c'était connu, mais que les philosophes ne dénonçaient pas ça, parce qu'apparemment la France était un état de droit et de liberté, C'était une hypocrisie, c'était un silence immoral. Et Mills le montre très bien. Et il montre à quel point on en hérite encore jusqu'à maintenant de cette dissonance. À la fois des faits, de la violence raciale qu'on subit, et des intellectuels, et notamment des partis, j'allais pas dire des partis, mais des personnes, en tout cas de gauche, des militants, des personnes engagées, qui vont souvent... diminuer cette question du racisme, la diluer, user de subterfuges pour parler de victimisation, etc. Ou pire... ne tout simplement pas admettre qu'il y a des différences, qu'il y a des discriminations raciales. Et donc, on voit à quel point, oui, le poids de l'histoire, jusqu'à nos jours, infuse, et que cette charge raciale-là, malheureusement, pèse encore sur notre dos.

  • Speaker #1

    Tout à l'heure, tu parlais de noirceur, et dans le livre, toi, tu préfères parler de noirité. Est-ce que tu peux expliquer la différence Et pourquoi est-ce que tu revendiques ce terme-là de noirité pour définir la condition noire C'est comme ça qu'on a pu l'appeler aussi en France

  • Speaker #0

    Moi, j'aime bien le contre-discours. J'aime bien le pas de côté, se dire, tiens, pourquoi on se répète des mots comme des incantations Pourquoi parler de condition noire Déjà que je paye une dette à travers un contrat racial, une dette que je n'ai pas signée à cause de cette couleur de peau. Et en plus, il faudrait que je me pense dans des termes sociologiques que je n'ai pas choisi de conditions. Et si on parle de conditions noires, en anglais, on va parler de blackness. Et blackness recouvre tellement de choses de fierté. de pouvoir noir parfois, de conditions noires, de fierté, de pouvoir noir, de la question noire aussi, de toutes ces époques qui ont façonné justement les prises de position des militants, des droits civiques, etc. Blackness recouvre ça et j'ai l'impression que le monde anglo-saxon arrive à se retrouver autour de cette question de la blackness. En France, la traduction est... hyper difficile, en tout cas dans le monde francophone. On a parlé de négritude, évidemment, grâce aux sœurs Nardal et ensuite Césaire, Saint-Gaure, etc. Mais je trouvais que c'était un peu désuet et que ça disait... Enfin, la négritude, ça a été censé être un mouvement philosophique et finalement, c'est un peu décrépit. Merci Sartre. Et puis... Je me suis dit, bon, noirceur, mais pourquoi Je n'entends jamais les gens, des personnes noires, dire oui, je suis fière de ma noirceur C'est bizarre. Pourtant, nous, on n'a aucun mal à dire noir, contrairement à d'autres personnes qui disent black Du coup, pourquoi ce terme-là Pourquoi il n'y a pas cette traduction-là Et je me suis dit, je me suis souvenu aussi qu'à l'époque sur Twitter, on parlait de noirance par exemple. Oui, ma noirance, mais c'était un peu ironique. Voilà, on n'arrivait pas à trouver de terme. Et en fait, je montre à quel point la noirceur, en fait, c'est une traduction qui s'inscrit dans une école de pensée dite afro-pessimiste. Les afro-pessimistes, ce sont des penseurs... et penseuse afro-américaine qui voit dans la blackness, la noirceur, une condition qui est indépassable. Pour elles, pour eux, la noirceur, c'est-à-dire la négrophobie qu'on subit, c'est la base même de l'ordre du monde, c'est la force de gravitation qui tient le monde. Cette noirceur-là, les corps noirs fongibles, sont les vecteurs du néant, de la mort sociale. Être une personne noire, au final, que ce soit sous la dictature d'un pays d'où je viens, du Congo, où des millions de personnes ont été massacrées à tour de bras par des dictatures soutenues par la France, ou en France, à cause des violences policières, des violences médicales, il y a une mort effective. Il y a une peur de la mort prématurée, il y a aussi une peur de la mort sociale, parce que pas de parole politique. Quand elle commence à s'organiser, attention séparatisme, attention cession, etc. Et ça, c'est une vision qui naît, évidemment, après le rapte, après le kidnapping de millions d'Africains vers les côtes américaines. Donc il fallait bien que dans cette... dans cette folie, dans cette irrationalité, construire quelque chose de la noirceur. Donc ces penseurs viennent avec cette idée-là. Ils parlent de l'an zéro de la noirceur. Donc à partir du moment où les personnes africaines sortent des bateaux négriers et arrivent dans les Amériques, le noir existe. La figure de l'esclave éternelle, en gros. Ça se fige. Et moi je me dis, je regarde de l'autre côté de la matrice. le continent où je suis née, où à travers les langues, à travers le Lingala, à travers le Lari, à travers les incantations autour de moi. J'ai été décrite d'une certaine manière. Ma couleur de peau, certes, n'était pas racialisée, comme on a pu le voir avec des hiérarchies, etc. Mais pourtant, il y a un mot, il y a des mots qui disent que... Donc, mojindo, par exemple, ça veut dire noir, littéralement. Mais ça veut aussi dire le foyer du soleil. Donc, mes ancêtres comprenaient déjà qu'un corps noir, un corps physique, mais notre couleur de peau aussi, renfermait quelque chose du soleil. Et je trouve ça déjà hyper poétique, hyper beau. Je me dis... En fait, il y a une conversation à avoir. Il y a la noirceur, il y a la condition noire, il y a la condition sociologique, matérielle de cette lourdeur, de cette charge, du poids. Et puis, il y a la noirité, cette part incassable, insondable, indicible, même au-delà du silence du poids de la race, mais qui fait qu'on est là parce que nous n'étions pas censés survivre. Et pourtant, on se tient debout. On s'exprime, on est sans cesse en train de devenir, parce qu'on nous arrache même, on nous interdit même le devenir noir. Qu'est-ce que ça veut dire, devenir noir Parce que normalement, on est censé devenir humain, c'est-à-dire s'affranchir des codes, se libérer, être des humains libres. Mais devenir noir, c'est quelque chose déjà... On sent bien qu'il y a quelque chose qui retient, parce qu'on n'est pas censé nous définir par notre couleur de peau. Et pourtant... Et donc la noirité pour moi c'est ça, c'est... Après je fais des analogies et tout ça, je me suis lâchée, je parle de trou noir, etc. Enfin voilà, vous découvrirez par vous-même, mais cette singularité en fait. Et moi c'est ça qui m'a touchée, et ce terme de noirité je le trouve sous les mots de Mame Fatounian, qui est une chercheuse française qui travaille aux Etats-Unis, qui parle de qualité de l'être, pour parler de la noirité. au-delà même de cette condition noire et qui est d'origine sénégalaise aussi, même Fatou Niang. Et je pense qu'on nous appelle souvent les africanistes, ceux qui vont souvent ou celles qui vont se repérer sur la question de la blackness, plutôt du côté de l'Afrique. Et donc cette conversation-là, on aimerait la voir un peu plus entre la part de la noirceur aux États-Unis. Mais c'est toute la question aussi de la traduction littéralement. Est-ce qu'on arrive à traduire des ouvrages comme ça Pour qu'il y ait des réponses, pour qu'entre la diaspora et ce triangle justement de l'Atlantique, que ça circule à nouveau et qu'on ait d'autres productions sur ce que ça veut dire, cette blackness, cette noirceur, cette noirité.

  • Speaker #1

    Une autre chose qui m'a beaucoup surpris dans ce livre, c'est la conclusion. En fait, ce que tu proposes comme solution pour les personnes racisées, qui ont besoin de se libérer de cette charge, de ce poids, de la charge raciale, c'est le silence. Et c'est intéressant parce que tu parles sous titre d'un silence écrasant, et en même temps tu le revendiques comme une arme, comme une solution pour s'extraire de ce regard blanc. Et c'est la première fois que j'entendais ça, parce que c'est vrai qu'on nous encourage plutôt à parler, témoigner, communiquer. Et toi tu dis qu'en fait... on parle trop, on communique trop sur nos souffrances, sur nos vécus, et que c'est presque comme si plus on parlait, moins on avançait. Est-ce que tu peux expliquer cette thèse-là

  • Speaker #0

    Oui, alors, c'est un peu... Je crois que l'épilogue s'appelle Et les subalternes se tuent Parce que je trouvais que, évidemment, qu'il y a la question de la silenciation. Donc là, c'est un silence qui nous est imposé, qu'on subit, on se cogne au mur de la blanchité dans ces espaces où, à partir du moment où tu dénonces quelque chose, où tu dis que quelque chose est raciste, là, c'est les feux bleus. Il y a tout qui flambe. Donc, on s'auto-censure beaucoup. On cache notre intériorité par rapport à ce stress racial, à cette charge. Mais il y a aussi de récupérer le silence. Parce qu'il y a quelque chose de l'ordre du pouvoir, à mon sens, dans le silence. Quand le silence, il est choisi. Quand on prend le temps de se recueillir et de faire silence communautaire. Oui, j'ose le terme, même si ce n'est pas bien vu en France. C'est-à-dire qu'on se regroupe en non-mixité, par des personnes qui vivent certaines choses et qui ont envie de... Oui, de dépasser ces problématiques et de se dépasser. Mais il faut du temps pour se recueillir, il faut du temps pour guérir la blesse, il faut du temps pour comprendre les... les poisons ou en tout cas le mal-être qu'on a reçu de nos ancêtres, mais aussi les dons qu'on a reçus. Comment on arrive à allier un militantisme existentiel, c'est-à-dire partir de l'intériorité pour se construire, à un militantisme, on va dire, un peu plus matériel, c'est-à-dire avoir des agendas politiques, mettre en place des actions de désobéissance civile, etc. Mais en fait, réussir à naviguer entre ces... ces deux modes d'action, ou de non-action d'ailleurs, parce que le silence, ça peut être aussi une forme d'action qui est dans le retrait, mais faire tout ça, ça prend du temps. Et je dis souvent que j'aimerais, je rêverais de ça, d'assises où on se rencontre toutes les factions, tous les collectifs racisés sur la question de l'antiracisme, de l'antifascisme, etc., et qu'on... On se dit, ben voilà, sur deux ans, sur trois ans, voilà l'agenda politique. Ce serait bien que toutes nos productions culturelles, audiovisuelles, les films, etc. parlent de telles thématiques. On en choisit, je ne sais pas, deux, trois, et on bombarde. Mais pour ça, pour se préparer à ça, il faut l'ombre. Il ne faut pas avoir peur de l'anonymat, il ne faut pas avoir peur de ne plus nourrir la parole médiatique de son misérabilisme. de nos corps qui disent, c'est-à-dire qui incarnent une part politique, on fait peur. On l'a vu avec Merwan Ben Lazar. Au-delà même de ce qu'il a dit, c'était juste son apparence en tant que corps assisé qui a apparemment excité toute la mécanique d'extrême droite qui veut polir et qui veut effacer nos corps. Et donc, pour ça... Je ne dis pas qu'il faut aller dans un effacement et un silence total, mais moi je prends l'exemple des marrons, je prends l'exemple des guerres anticoloniales au Congo, au Cameroun, où il fallait se réfugier, il fallait marronner, il fallait fuir, partir de la plantation. Et ce n'était pas en jouant du gros cas sur la plantation, en disant bon ben voilà, salut, on y va maintenant. Non, non, c'était pendant la nuit, dans l'ombre, On partait et ensuite, par surprise, on détruisait, on mettait des actions en place pour libérer les autres, etc. Et donc, cette question de l'ombre, c'est Olivier Marbeuf d'ailleurs qui en parle beaucoup, de comment chérir l'écologie de l'ombre, du silence, d'apprendre à se dire, enfin, en collectif, en cohésion, que cette parole prenne plus de poids. Et ça, pour l'instant, j'ai l'impression que c'est le silence qui nous permet de le faire, ce silence, ce retrait, le temps de lécher les blessures et de fomenter des révolutions.

  • Speaker #1

    Tout à l'heure, je te demandais si tu avais d'autres projets en cours et tu me disais que justement, tu avais besoin de te retirer un peu, au moins de laisser et peut-être d'aller plutôt dans la fiction. J'ai quand même l'impression que dans ce besoin de silence ou de retrait, l'art peut permettre aussi de s'exprimer, mais peut-être d'une autre manière. Est-ce que c'est aussi le message que tu aimerais donner Dans ton livre, il y a quand même, ce que je disais tout à l'heure, un mélange entre essai et écriture personnelle, poétique. Est-ce que c'est à travers ça que tu penses que tu pourrais te libérer de cette charge qui pèse sur tes épaules

  • Speaker #0

    Moi, tant qu'on n'est pas tous libres, je ne suis pas libre. Donc, disons que j'arrive à créer un espace en moi pour porter des projets comme ça, pour me présenter face à vous et, comme ils disent en anglais, hold the space, c'est-à-dire pouvoir maintenir la pression que de se faire... La voix de quelque chose, d'un concept, etc., de défendre tout ça, c'est aussi de l'énergie. Mais ma charge raciale, elle ne s'évaporera pas parce que j'aurais écrit de la fiction ou je me serais levée dans le silence seule. Au contraire, en revanche, oui, l'art, dans ce qu'il a pour moi de rituel, de magique, je n'ai pas peur d'employer ces termes, de dames. d'un portail qui convoque l'invisible, oui, parce que ça me reconnecte en fait à... J'arrive à me... à retracer la lignée de pourquoi je suis ici, pourquoi je me sens être le rêve de mes ancêtres. Et c'est par l'art, par la poésie que... En fait, il y a une ligne temporelle que j'arrive à brouiller comme ça. Et je me dis, plus on arrivera à faire des performances aussi collectives, plus on arrivera à brouiller les pistes de comment on dit devoir résister, plus ce sera moins lourd, j'ai l'impression, parce qu'on remettra du souffle dans nos expressions politiques, dans nos revendications, parce qu'on remettra de l'émerveillement à travers les chants révolutionnaires qu'on pourra entonner en manifestation. mais à travers les sorts qu'on lancera aussi à Macron, à travers... Oui, pour moi, rien n'est... On peut jouer de cette dualité-là, on peut essayer de... Parce que plus on se sépare et plus on est fatigué, on est en dissonance dans ce monde capitaliste, et donc retrouver ce souffle-là artistique, j'ai l'impression que c'est ça qui m'allège et qui allège pas mal d'autres personnes autour de moi aussi, clairement.

  • Speaker #1

    J'avais une dernière question, mais ce n'est pas grave. Je te laisse la parole, douce, parce que je me sens que tu voulais partager un petit quelque chose à nos histoires.

  • Speaker #0

    Je voudrais juste lire la fin de l'ouvrage. En général, ça permet de souffler un peu. Depuis le bleu des mythes, la noirceur et la gravité indicibles du monde. Le liant, la chaleur, le mouvement qui fait tourner l'écosystème. Le pesant, la douleur, l'émolument d'où naît la charge de la haine. Quel monde invoqué après l'effondrement de celui que personne ne veut abandonner. La fin de ce monde, prophétie factice entre deux slogans révolutionnaires. La matière noire gluante fuse de mes pores lourds de refus. Partout, la blancheur est louée, collée à chaque atome du fardeau. La fin de ce monde, je l'attends, les jambes bien en face du précipice. L'instabilité, la noirceur, à ce qui pue une promesse. À tous les évadés de la plantation, nous entendons une rumeur converger. Mais qui aura le courage d'évider la société du spectacle, de son divertissement, de ce monde blanc colonial blême de peur et du désir livide de mort noire Qui pourra dire je renonce sur l'autel de la libération Je renonce à ma persona, à mon moi blanc, à mes lignées, à ma réputation, à ma famille, la danse affolante des chiffres de nos... capitaux, l'entre-soi aveugle du noir qui fera tourner nos téléphones, qui remplira les ruines et les rangs écrasés du lupen prolétariat, qui osera donner son sang dans l'abîmé, au seuil de la précarité, qui votera noir face aux lois nécro-existentielles qui ploient nos genoux et notre repos. Et lorsque la terre et la Méditerranée vomiront toutes les mers, les enfants sirènes aux écailles noires d'avoir pleuré la lumière, et lorsque les monstres marins de l'Atlantique verront enfin leur peau translucide tourner au noir amer, et lorsque les arbres auront repris forme humaine après des années d'exil, qui saura embrasser la noirmalité complice Psst Alors c'est le temps des questions du public. On va faire circuler un micro. J'ai une petite demande qui est aussi partagée par 12. C'est d'abord de privilégier la parole des personnes racisées. Avant que les blancs puissent s'exprimer, on change un peu d'habitude, ok ? Donc si vous voulez poser une question, levez la main, un micro va arriver. Et voilà, il faut juste laisser le temps aux personnes de transmettre le micro.

  • Speaker #1

    Merci Douce. Je voulais te dire que j'ai été très touchée par cette question de revenir au corps. parce que nos corps ont été instrumentalisés, utilisés, et que je pense que le premier mouvement qu'on a à faire, et c'est ce que tu disais là, de faire un pas de côté, c'était déjà de se réapproprier notre corps, et de trouver notre place déjà dans notre propre corps, et le fait de faire ce mouvement-là, de fait, dans la société, on sera déjà beaucoup plus visible. Et qu'en reprenant cette place dans notre corps, on va aussi... Il y a la question du silence dont tu parlais. Et je trouvais que dans ce silence-là, on retrouve aussi ce temps où on peut aller prendre soin de notre corps. Et en prenant soin de notre corps, on prend soin du corps de nos ancêtres. Et que si on fait ce mouvement-là aussi, d'aller penser les blessures de nos ancêtres, en mettant un peu de baume sur nos chevilles... et nos poignets, on les soigne un peu eux et finalement on se soigne un peu nous. Et que ça, il n'y a personne qui pourra le faire. Aucune politique, aucune personne extérieure ne peut le faire, il n'y a que nous qui pouvons le faire. Et vraiment, je suis très touchée que le premier mouvement, pour moi, c'est déjà ça. C'est déjà me réapproprier mon corps, penser les blessures de mes ancêtres. Et je pense que... La posture est complètement différente après dans la société.

  • Speaker #2

    Merci. Je voulais juste savoir, quand vous parlez de vos ancêtres, vous parlez de quel background ?

  • Speaker #1

    Moi, mon grand-père est vietnamien.

  • Speaker #2

    D'accord. Je suis en train de m'éduquer vraiment sur la question de la décolonialité et la question du corps et de la terre sont beaucoup, enfin cette question est beaucoup abordée. En revanche, j'ai l'impression aussi que notre lecture de ce que ça veut dire la guérison à travers le corps et le silence et la solitude est très imprégnée d'une vision très individualiste occidentale. Parce que je trouve que c'est déjà porter un poids que de se dire « ce n'est que par moi que je pourrais guérir » . Évidemment qu'il y a une impulsion, évidemment que la curiosité... L'émerveillement, ça se nourrit en général, ça vient d'abord de nous, sinon on ne serait pas individuel, comme des corps singuliers. Mais ensuite, tout le cheminement qui n'est porté que par soi-même, je trouve vraiment que c'est une charge qui peut être difficile à porter. Par exemple, j'en fais plus partie, mais pendant 3-4 ans, j'étais dans une chorale apopéministe. où la question du chant, de la vibration, je me suis rendue compte avec le temps à quel point ça a guéri les choses, par exemple mon diaphragme complètement bloqué, parce que traumatisme dans l'enfance, il y a une guerre civile au Congo, etc. J'ai compris plein de choses, mais parce qu'il y avait des corps autour de moi qui n'avaient pas partagé cette histoire traumatique, évidemment, mais qui... par le fait de se sentir en vulnérabilité, de chanter à la fois dans ce cocon-là, où on guérissait collectivement, et parfois en allait chanter en manifestation, et en récupérait des sous pour tel ou tel collectif. En fait, ça montrait à quel point il y avait cette circularité-là de la guérison, qui, je me suis rendue compte que j'étais un atome, mais qui était en lien avec d'autres atomes, et du coup, ça faisait une onde. et qui circulait et ça créait autre chose que seulement être une particule qui... qui virevoltent dans l'espace seul. Vous voyez, je prends la question des métaphores pour que ça soit plus parlant, mais je suis d'accord qu'il faut ce mouvement-là du corps, qu'il faut avoir conscience, un déclencheur de « Ok, je me mets en mouvement, je me mets en mouvement, mais est-ce que ce mouvement-là s'arrête seulement à moi-même ou est-ce que c'est un jeu qui rencontre un nous ? »

  • Speaker #1

    Voilà.

  • Speaker #2

    C'est pour ça que je voulais préciser. Mais oui, oui, c'est... Enfin, je pense que... Et peut-être que... Et c'est ce que je déplore aussi, c'est que ces discours-là, ce discours-là qu'on tient, moi, je l'entends beaucoup dans la sphère soit spirituelle, mais qui est très individualiste, à mon sens, soit dans le côté artistique, dans les sphères artistiques, mais on n'arrive pas à communier et à faire circuler militantisme. artistique, comme je disais, pour que ce feu-là reprenne, ce feu des affects. Donc je me dis, s'il y a des artistes ici, voilà, merci. Et je sais qu'en général, pour moi, un, une vraie artiste, c'est une personne qui a une conscience politique. Enfin, c'est limite tautologique de dire ça. Parce que pour moi, artiste, ça veut dire forcément conscience politique, vous voyez. Mim. Et de l'autre côté, du niveau du militantisme, on regarde un peu en chien de faïence les artistes, et c'est dommage. Mais vraiment, on a tellement de choses à se dire. Donc j'espère qu'on arrivera à créer des dialogues plus pérennes. Mais merci pour votre partage.

  • Speaker #3

    Bonsoir à tous. Bonsoir, Douce. Je voulais te remercier. Parce qu'en fait, on sort d'un discours de victimisation, et ça fait du bien. Vraiment. Aujourd'hui, je suis fin. Là, ce soir, je suis... D'habitude je suis très fière d'être noire, mais là je le suis encore plus. J'ai plein de questions à te poser, mais je pense qu'on n'aura pas le temps. Étant maman de deux enfants métis, moi je leur apprends l'estime de soi. Ça vient de là en fait. Parce que les métis, ils sont balottés. Pour les noirs, ils sont des blancs. Sauf qu'en fait, pour se construire, c'est compliqué. Et du coup, la question que je me pose, c'est qu'est-ce que tu fais des interventions, par exemple, dans le milieu scolaire ? Première question.

  • Speaker #2

    Eh bien, avec le pass culture, c'est pas près d'arriver, puisque... Voilà. Tu devrais. Oui, il y a eu... Voilà, j'avais comme ça des projets et pour l'instant, ça n'a pas pris, notamment au niveau collège et lycée. J'en ai fait dans le cadre de ma résidence. J'ai une résidence artistique mensuelle. en région centre, à Vendôme, j'interviens. Mais c'est vrai que oui, ça c'est un de mes souhaits, puisque l'éducation populaire, on parle d'éducation populaire, mais si on peut un peu hacker le système de l'éducation nationale, avec plaisir. C'est compliqué, j'ai l'impression, d'y accéder, de mettre en forme toute la bureaucratie, le côté administratif. Pour répondre à cette interrogation-là que j'ai cru déceler, après c'est peut-être une position qui est un peu radicale, et ça a déchiré pas mal dans nos mouvements afroféministes, antiracistes, c'est que la question du métissage, c'est Solène Brun qui a écrit un livre, je pense que vous l'avez lu, et moi je me dis toujours... Une fois de plus, cette question du contre-discours, pourquoi utiliser un terme aussi barbare du métissage ? Qu'est-ce que ça nous dit ? Qu'est-ce qu'on accepte ? Pourquoi on qualifie des personnes avec un terme zoologique, littéralement ? Et si le métissage, si la race n'existe pas, pourquoi le métissage, en général, c'est souvent une personne blanche et une personne noire ? et pas une personne noire du Cameroun ou une personne noire de Centrafrique. C'est un métissage culturel, non ? En fait, c'est quoi le curseur ? Qu'est-ce qu'on accepte ? Ça, c'est les critiques que je ne vais pas forcément développer parce qu'on n'a pas le temps. Et aussi, quand j'étais à Moissy, c'est un collectif afroféministe qui existe toujours, on avait pris le parti de dire que les personnes noires étaient des personnes métisses, étaient des personnes noires parce que ... La société ne pouvait pas s'empêcher de les... notamment la France, de les altériser et de les renvoyer à quelque chose de différent. Mais indifférent qui est exotique, qui n'est pas du côté de la blancheur, parce que vous n'êtes pas tout à fait comme nous, parce que vous avez quand même un peu quelque chose de trouble de ces gens-là-bas, de la noirie. Et donc, on disait, oui, certes, les personnes métisses peuvent bénéficier, entre guillemets, de certains privilèges avec le colorisme et tout ça. Mais en attendant, nous sommes dans le même bateau. Et donc, nous, on parlait plutôt de personnes afrodescendantes. Et donc, peut-être qu'à travers ce curseur-là, comment on arrive à déplacer avec la définition, l'autodéfinition aussi, ça peut peut-être aussi aider. Parce que si on est afrodescendant, afrodescendante, on hérite de quelque chose, on se sait appartenir. à quelque chose de géographiquement situé, donc l'Afrique, comme avec les Afro-Américains. Et donc la question du mestissage, elle peut être un peu, oui, mise de côté, parce que bon, est-ce que je suis à 50% ceci, 50% cela ? Ben non, t'es afrodescendante. Moi aussi, je suis afrodescendante, mais j'ai la peau foncée, mais toi, t'es afrodescendante, t'as la peau un peu plus claire. Bon, voilà. Après, culturellement... Ça s'apprend. Est-ce qu'il y a un parent qui est plus présent que l'autre ? Est-ce qu'il y a un vide par rapport à ça ? En termes culturels, c'est autre chose. Mais sur la définition même de qui on est en termes d'identité, de race sociale, on avait pris ce parti-là. Après, vous voyez ce qui vous sied.

  • Speaker #3

    Merci. Tu comptes te présenter aux prochaines élections ou pas ?

  • Speaker #2

    Jamais ! Le piège !

  • Speaker #4

    Bonsoir. Du coup, je voulais juste rebondir sur un truc. Tout à l'heure, la dame a parlé de la notion de victimisation. J'ai un peu du mal avec ça. Moi, je suis née en Italie, j'ai grandi en Italie. Je suis arrivée en France à 15 ans. Et en fait, jusqu'à maintenant, je n'arrive pas à comprendre en quoi dénoncer, même si ça emboucle quelque chose, c'est se victimiser parce que... En fait, on a tous des notions, enfin, on a des sensibilités très différentes. Moi, je suis née dans un pays ou dans une ville où je voyais des gens venir faire du pèlerinage pour voir la tour de Mussolini. Depuis que je suis enfant, j'ai appris que j'étais noire avant de savoir que j'étais moi. Et en fait, à un moment, j'étais tellement détachée de moi, enfin, de mon moi en tant qu'être humain, que ça ne m'affectait plus. Non, parce que j'étais habituée ou parce que c'était bien, c'est juste que... C'était tellement douloureux que je n'arrivais plus à en parler. Et quand je suis arrivée en France, j'ai voulu me réapproprier ce côté africain parce que j'étais très détachée. Du coup, quand je suis arrivée à la fac, j'étais vraiment beaucoup avec des jeunes de la diaspora, etc. Et bizarrement, c'était eux les premiers à dire, ah bah oui, vous les enfants de la diaspora, vous êtes très dans la victimisation, vous vous plaignez tout le temps et tout. Et en fait, à chaque fois, ce truc de devoir expliquer aux gens... « En fait, toi, tu as compris que tu étais noire quand tu es arrivée à l'aéroport. » Alors que moi-même, avant de naître, cette notion était là pour me protéger. Du coup, la notion de victimisation, ce n'est pas une critique. Je ne la comprends pas. Je ne sais pas ce que ça signifie. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ça s'est utilisé comme argument. limite pour décriviliser quelque chose ou même contre-argument, je ne comprends pas.

  • Speaker #2

    Oui, en fait, vous avez raison de pointer ça du doigt que c'est souvent les personnes de la diaspora qui vont avoir ces réflexes-là. Et j'ai eu des discussions avec des intellectuels, ou en tout cas des personnes engagées sur ces questions-là, panafricaines, etc. Et en fait, la manière dont elles abordent la question du racisme, ça va être plutôt sur la volonté de puissance. Elles se disent, voilà, on a fait le constat, c'est comme ça, ce pays ne nous appartient pas, on est là pour ci, on est là pour ça. Ensuite... nous on aimerait bien retourner en Afrique ou si c'est pas un retour mais qu'est-ce qu'on peut faire pour s'émanciper économiquement politiquement etc et en général C'est une posture que je trouve viriliste, puisqu'en général, ce sont des hommes noirs qui vont adopter cette posture-là et qui vont nous renvoyer cette question de la victimisation. Sans comprendre que le fait de, je dirais, brûler les étapes, même si ce n'est pas le terme adéquat, mais il y a comme un tabou. sur le fait, une fois de plus, de l'intériorité, de se rendre compte, ah non, mais psychologiquement, ça nous impacte, et c'est pour ça qu'au sein même de nos communautés, on reproduit, on produit des violences, parce que le pays dans lequel on vit est déjà assez violent contre nous, mais toi, en tant qu'homme noir, en tant que personne de la diaspora, tu te coupes de cette part de l'intériorité, tu ne vois pas toutes les... justement toutes les discriminations, toutes les micro-agressions, toute la violence raciale de la police, parce que tu es dans un discours intégrationniste, il y a un moment où ça explose. Il y a un moment où, littéralement, ça explose. Cette question de l'intériorité, où par exemple les jeunes de banlieue qui, beaucoup, n'ont pas accès à cette... à cette parole de l'intériorité. On ne va jamais donner beaucoup l'occasion aux jeunes garçons racisés de parler de ça, de leur santé mentale. Et ce sont... En région parisienne, la majorité des personnes en hôpital psychiatrique, ce sont des jeunes de banlieue qui n'ont pas eu... d'accompagnement qui n'ont pas eu donc la question de la masculinité revient beaucoup sur les masculinités racisées minorisées notamment qu'est ce que ça veut dire de ne pas avoir accès à cette intériorité là et donc ça cristallise énormément la question de la victimisation mais littéralement nous sommes victimes qu'est ce que je mets vertu à dire à chaque fois nous sommes victimes parce que ben en fait dans un état de droit quand il ya une discrimination ça veut dire qu'il ya quelqu'un qui discrimine il ya quelqu'un qui est discriminé donc victime en revanche évidemment Si on dénonce, si on constate, on dénonce et on se bat contre ça, ça veut dire qu'on a conscience de notre état de victime, mais qu'on n'est pas OK, qu'on n'est pas d'accord avec ça, que cette colère, elle vient nous dire ceci n'est pas normal. Donc, on va dénoncer. Et rien que ça, ce n'est pas accepté dans nos milieux. On nous fait comprendre que dénoncer ces injustices, c'est quémander, en gros. C'est quémander de la justice, alors que non, on l'exige, bien au contraire. Et donc, c'est peut-être pour ça que, oui, cette question de la victimisation, elle revient beaucoup. Mais moi, je n'ai pas honte de dire que oui, non, je suis victime du racisme. Je suis victime du sexisme, je suis victime de plein de choses. Et c'est pour ça que je m'engage littéralement tous les jours à dénoncer et à dire je ne suis pas d'accord. Je suis en rupture. Je vais déranger. Je vais vous embêter jusqu'au bout. Tant que ça continue, moi, je continue aussi à dénoncer. Je ne sais pas si c'est... Après, est-ce qu'il y a des bonnes victimes, des mauvaises victimes ? Ça, c'est encore une autre question. Est-ce qu'il y a une ou deux questions pour terminer ?

  • Speaker #5

    Bonsoir à tous, bonsoir Douce, merci en tout cas pour ton ouvrage. Moi, je n'ai pas lu ton livre, mais je te suis sur les réseaux sociaux. Et je me suis rendu compte en fait que parfois on s'adapte tellement à l'environnement, à son travail, qu'on oublie en fait qui on est, en fait, dans son origine. Et moi, j'ai juste une question, je ne sais pas si tu en parles dans ton livre. Est-ce que tu penses que les personnes noires se sont adaptées, ou du moins se sont suradaptées aussi parce que dans certaines cultures africaines, donc noires, on a eu des croyances ? religieuse au niveau des religions importées. Et on a aussi oublié notre spiritualité africaine. Ce qui fait que comme on n'en a pas, on va aussi se comment dire, se rapprocher des religions importées. Et on peut avoir aussi, comme tu parlais de dichotomie, de se dire mais en fait, je crois quoi ? Est ce que je crois en moi ? Est ce que je crois en mes ancêtres ? Est ce que... Enfin voilà, c'est un petit peu une grosse question qui est aussi quand même assez personnelle. Mais à force de s'adapter, moi je me suis rendu compte que je me suis un peu trop adaptée au niveau de mon travail, au niveau des gens que je côtoie. Et des fois on s'oublie en fait. Est-ce que tu parles de ça dans ton livre ? Parce que je trouve que c'est un sujet qui est quand même assez... pour moi, important, et qui est l'essence même de qui on va être, en fait. On nous a quand même beaucoup empêchés de croire en nous, en fait. Et voilà, donc c'est une question. Merci.

  • Speaker #2

    Merci à toi. J'en parle pas spécifiquement dans le livre en termes de, voilà, un chapitre dédié, tout ça. J'en parle à la fin, quand je parle des solutions. vers quoi on se retourne. Et je dis qu'en gros, en général, en tout cas dans ma conception de l'avenir, du « progrès » , c'est qu'on est dans un temps occidental qui nous fait croire que le futur est à conquérir. Donc, tout ce qu'on fait en termes de militantisme, de changement, de révolution du quotidien, etc., se doit d'être linéaire avec cette vision de très hiérarchiques, de même des religions qui nous traversent, on ne s'en rend pas compte, d'ascensions. Apparemment, on est en bas et on doit aller quelque part. Ça, c'est des constructions qui sont des religions dites abramiques. Et je dis qu'en fait, ce qu'il nous reste à faire, c'est de nous souvenir. Et donc, ce souvenir, c'est regarder vers le passé, mais pas seulement en tant qu'État. état victimaire permanent, c'est-à-dire nostalgique, c'était mieux avant, on était idéalement les rois, on inventait tout ce qu'il faut, dans une vision un peu afrocentrique du passé de l'Afrique, quoi que ça veuille dire. En revanche, nous souvenir, ça commence déjà par ce temps que moi je considère cyclique et qui... qu'on peut « mesurer » à travers l'anthropologie, où on voit que dans certaines sociétés, en Afrique, en Asie, le temps, lui, est cyclique, c'est-à-dire qu'il revisite le passé. Et donc, à partir du moment où on se dit « tiens, ma présence ici sur Terre, c'est le continuum de mes ancêtres, Qu'est-ce qu'ils pensaient ? Est-ce que je peux interroger ma mère ? Est-ce que je peux interroger ma grand-mère ? Si j'ai la chance encore d'avoir mes grands-parents autour, à quoi ils croyaient ? Quels étaient leurs rituels, leur manière de concevoir la vie ? Est-ce qu'ils avaient des livres fétiches ? Est-ce que je peux les retrouver ? Est-ce que je peux enregistrer ces bibliothèques vivantes tant que j'ai l'occasion ? Pour moi, ça c'est déjà de la spiritualité pour moi. Et notamment, comme je disais, à travers l'art. Et donc, d'aller faire ce travail archéologique du soi, non pas dans un besoin nombriliste, mais pour comprendre ce qui se répète à travers cette spirale du temps, de l'histoire, de ce qu'on vit, de ce qu'on croit inventé, mais en fait, on hérite de choses, etc. Et ça, pour moi, c'est déjà... Après, si on a la chance, l'occasion d'avoir accès à des archives, d'avoir accès à des connaissances au niveau traditionnel, oui. Pourquoi pas se reconnecter à ça ? Mais de manière individuelle, j'ai l'impression qu'il y a des choses dont on ne peut plus avoir accès de cette Afrique que parfois on idéalise. En revanche, oui, de manière sociale, sociologique, les nations en Afrique, je vais parler du Congo que je connais, il y a une spiritualité qu'on appelle Congo, avec un K, qui a été aussi une spiritualité anticoloniale, notamment par une... militante prophétesse Kimpavita qui, elle, s'est levée et qui a levé un mouvement anticolonial par la spiritualité Congo. Oh, désolée, je parle beaucoup. Et donc, voilà, ça ensuite, on peut au niveau sociétal, on pourrait en parler mais c'est vrai qu'on a été déconnectés de ça et que ça nous a voilà. En termes d'épistémologie, de manière du rapport à la nature, aux autres, à la politique. Mais oui, je m'intéresse à ces sujets-là, donc ce sera peut-être un prochain ouvrage. Merci.

  • Speaker #6

    On prend une dernière question. Alors, bonsoir, merci encore pour ce moment-là. Je vais essayer d'être rapide sur un petit témoignage et une question par la suite, par laquelle tu as déjà partiellement répondu. Je suis rayonnaise. Et rapidement, pour... Une partie, ils savent déjà, mais moi, ma charge raciale, c'est tous les jours. au quotidien. C'est avoir un rayon ethnique pour mes produits cosmétiques et cheveux qui sont plus chers. Trouver un médecin généraliste ou gynécologue qui connaît aussi les maladies liées à mon héritage d'ADN, enfin à mon héritage génétique. Trouver un dermatologue qui va pas trouver que mes marques de pigmentation c'est une maladie ou de la nécrose. C'est être en hyper vigilance à chaque soirée parce que les gens vont mettre leurs mains dans mes cheveux sans mon consentement et ne pas être trop agressif parce que sinon on va me dire que je suis trop sauvage, je suis la femme noire qui se rebelle. C'est plein de petites choses comme ça au quotidien, des remarques clichés qu'on est obligé de garder et qu'on ne peut pas se décharger avec un conjoint blanc. Et que si on se rassemble avec des gens de notre communauté, tout de suite c'est mal vu. parce qu'on veut s'isoler. Et c'est aussi, on parlait pour ce que le corps garde, se réveiller d'un cauchemar ou de crise de pleurs, en ayant en soi une rage et un mode de survie qu'on sait qui ne nous appartient pas. Mais en même temps, on me fait comprendre que je suis métisse, comme si c'était un 50-50. et que portant le sang de l'esclave et du volontaire ainsi que du bourreau, du colon, je devrais prendre ça de façon positive et avancer. Et en fait, je voudrais savoir quelle posture aussi avoir ça quand moi, ma charge raciale est beaucoup plus forte que je pense que la touche de blanc que j'ai. Quand par exemple j'ai la boule au ventre parce que j'ai pas ma pièce d'identité quand je sors la nuit ou que j'ai dû apprendre et m'entraîner sur un comportement et un discours à avoir quand j'ai habité aux Etats-Unis au cas où je rencontre la police. Donc quelle posture à avoir quand on en a marre aussi d'éduquer les gens en face et pas se dire que je suis 50-50. Parce que ce que je vis au quotidien, c'est pas du 50-50.

  • Speaker #2

    Merci. C'est ce que je disais par rapport, oui, au terme du métissage et à quel point c'est pernicieux, en fait, de nous... Enfin, quand je dis nous, c'est en tout cas les personnes afrodescendantes et donc les personnes dites métisses d'être renvoyées. Ah, bah tiens, il y a quand même cette part-là de privilège, donc regarde, ça devrait être bien. Évidemment que de manière... Si on comparait entre toi et moi, il y a des choses que je vivrais à cause du colorisme que tu ne vis pas. Mais pour la société encore traversée par son racisme, aux États-Unis comme en France, on fait partie de la même équipe. Et donc moi, j'ai envie de te poser la question. Qui es-tu ? C'est la question de toute une vie. J'en ai conscience. Vraiment. Et d'aller creuser en radicalité. Et quand je dis radicalité, c'est pas de la colère, c'est pas de la rage, c'est... C'est un choix, en fait. Et ce choix-là, c'est... J'ai envie de dire, ce n'est pas parce que tu vis une charge raciale plus forte que tu te définis par rapport à cette charge raciale-là. C'est qui je suis, qu'est-ce que je porte, qu'est-ce que j'ai envie de léguer en termes d'héritage collectif par rapport à comment je me lis à mes communautés. Et à partir de là, il y aura peut-être un peu de soulagement aussi. Parce que finalement, la charge raciale, elle ne va pas changer. Je dirais que ce sera la même. En revanche, la manière dont tu vas incarner, t'ancrer dans cette identité-là, qui pourra forcément évoluer parce qu'on grandit avec notre prise de conscience, etc. Je pense que ça va apporter quelque chose de soulageant. Après, pour la pédagogie, ce que je dis, quand je suis payée, j'éduque. Quand je ne suis pas payée, je me tais. Merci à toi. Force.

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Description

Douce DIBONDO est essayiste et poète. Française d’origine congolaise, elle utilise ses expériences pour explorer des sujets de société avec un regard critique et ouvrir des espaces de réflexions sur les oppressions. Autrice de deux recueils poétiques, Métacures, et Infra/seum : une poésie fâchée avec tout le monde, elle a également publié en 2024 La charge raciale, vertige d’un silence écrasant. Elle est également connue pour son podcast « Extimité », créé avec Anthony Vincent (journaliste mode et militant queer), dans lequel ils donnent la parole aux personnes minorisées à la jonction de plusieurs rapports de dominations (racisme, misogynie, handiphobie, homophobie, transphobie).


« Toutes les personnes racisées sont des génies de l’adaptation. Penser à ne pas paraître « trop » noire, arabe ou asiatique, adopter une manière de parler, de s’habiller, de rire, réfléchir aux musiques choisies en soirée, renoncer à porter des capuches pour éviter la police… Bref, la charge raciale, c’est tout planifier quand on évolue dans des milieux majoritairement blancs et qu’on ne l’est pas. »


Le racisme aurait-il deux têtes ? Celle de la violence explicite, brutale, cyclique des morts et des agressions qui s’accumulent de la Méditerranée aux quartiers populaires. Puis celle d’une violence banale, plus taiseuse, qui se niche dans les relations quotidiennes et entrave la construction de son identité. À travers le concept de ‘charge raciale’ qu’elle emprunte à Maboula Soumahoro, elle questionne le manque de mot mis sur ce mal partagé par les personnes racisées : quotidiennement, les personnes non-blanches subissent des assignations raciales ou des micro-agressions et doivent non seulement endurer ces violences mais aussi prendre sur elles pour trouver des issues sans heurt à ces situations. Douce DIBONDO mêle psychanalyse, art et témoignages pour en montrer tout l'impact.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Dans le cadre du cycle de conférences Voix Off, la Ville de Grenoble vous propose d'écouter une discussion avec Douce Dibondo, essayiste, poète et podcasteuse, qui nous parle de son livre intitulé La charge raciale

  • Speaker #1

    Bonsoir tout le monde, on est très très heureuse de vous voir aussi nombreux, c'est assez impressionnant, ça fait très plaisir. Alors je vais commencer par me présenter, je suis Iris Ouédraogo, journaliste et documentariste sonore. Je suis aussi coprésidente de l'Ajart, qui est l'association des journalistes antiracistes et racisés, qui a pour but de lutter contre le racisme dans les médias. Donc ce soir on va discuter pendant une heure avec Douce Dibondo et puis on vous laissera la parole ensuite pendant une demi-heure si vous avez des questions, des remarques. à échanger. Alors je vais commencer par présenter 12Dibondo. On a décidé de se tutoyer, voilà je vous préviens. Donc 12, tu es écrivaine, poétesse, essayiste et militante et tu t'es fait connaître en 2018 avec la co-création du podcast Extimité qui donne la parole à des personnes minorisées à l'intersection de plusieurs oppressions. Tu as publié plusieurs ouvrages chez Blast Éditions de recueil de poésie. Métacure et infrasum, poésie fâchée avec tout le monde et tu as participé au recueil Fruits de la colère, embraser nos débordements Et l'ouvrage au cœur de notre conversation ce soir, c'est donc La charge raciale qui est sorti l'année dernière chez Fayard. Alors, ce que je vous propose pour commencer, c'est déjà de vous lire un petit extrait et puis on va en discuter ensuite avec douce. Lorsque ta collègue Eleonore t'invite à un apéro chez elle, tu hésites toute la journée. Tu sais que tu es la seule personne noire de son entourage. Tu hésites à y aller, tu pèses le pour et le contre. Tu ne sais pas à qui tu as affaire politiquement. Que redouter le plus Une soirée avec des blancs et blanches de gauche, un peu paternalistes sur les bords, qui te raconteront leur voyage au Mali, quand tu auras à peine évoqué les origines de tes parents centrafricains Ou débarquer en plein milieu d'une bande d'apolitiques, donc de droite, persuadés que le seul problème de la France, c'est l'économie et la perte des valeurs le déclin de la méritocratie. Bingo, tu gagnes le lot des paternalistes de gauche. Tu anticipes les questions sur tes origines, tu crains les blagues sur la musique de chez toi, tu es pétrifié à l'idée d'éventuels débats sur la classe avant la race. Tu comprends à quel point la spatialité coloniale n'est pas seulement dans les statues et les noms de rue. Dans cet espace intime, ta présence fait tâche, elle crie l'absence et l'anomalie, sans que personne d'autre s'en rende compte. Arrive le moment de choisir la musique. Tu évites de mettre de l'afro ou du rap. Tu te souviens de la menace du stéréotype. Tu ne veux pas le confirmer, ni pour toi, ni pour toutes et tous les autres noirs que tu es censé représenter. Alors j'ai choisi cet extrait parce que je me suis beaucoup retrouvée dans ce monologue intérieur et je trouve que c'est une manière de rendre compte de toutes les réflexions qui sont assez intimes et compliquées à retranscrire pour des personnes qui ne les vivent pas. Et je trouve aussi que c'est un extrait qui représente bien ce livre, et c'est très documenté et aussi une écriture très personnelle et très percutante. Et donc pour commencer, avant peut-être que tu nous expliques comment tu as eu l'idée de faire ce livre, est-ce que tu pourrais nous définir ce que tu entends par la notion de charge raciale

  • Speaker #0

    Merci déjà de ce souvenir, et ça m'a beaucoup replongée dans... dans l'état dans lequel j'écrivais cet extrait, entre humour cynique et réalité un peu fracassante, puisque c'est ce qu'on vit, que j'ai vécu, même si ce tu essaie de mettre de la distance entre moi et cette charge raciale. Oui, la charge raciale, en fait, quand je rencontre ce terme-là, j'ai idée de ce que ça veut dire, mais c'est très nébuleux pour moi, c'est cette hyper-vigilance. C'est la manière dont les personnes noires, les personnes racisées se doivent de scanner leur environnement pour ne pas correspondre justement aux stéréotypes par la peur de décevoir ou de confirmer certains préjugés par rapport à notre couleur de peau. C'est une manière de se suradapter en société, dans un environnement majoritairement blanc. C'est une charge qui est à la fois historique... à cause du passé colonial esclavagiste de l'Occident. Mais c'est aussi une charge qui se vit dans le présent, à travers notre rapport aux institutions. Aux institutions qui sont censées nous alléger la vie en société, les institutions que sont la police, que sont le système médical, mais aussi la famille, le couple, les relations interpersonnelles. Et enfin, cette charge très intime que je nomme une charge intra-personnelle qui se vit dans l'intimité de soi-même à soi-même. Comment l'on se voit quand on se regarde dans le miroir Qu'est-ce qu'on a intériorisé de nos traits, de notre couleur de peau, de nos cheveux, de notre ascendance Qu'est-ce qu'on voit de l'avenir Est-ce qu'on se sent capable de faire advenir un enfant noir ou un enfant racisé dans ce monde Voilà, c'est toutes ces questions qui traversent cette charge raciale-là, qui n'est pas seulement de l'ordre individuel, mais qui est toujours en mouvement entre cette part intime de nous et l'extériorité, la société, l'histoire, l'humanité, en gros.

  • Speaker #1

    Justement sur la question des enfants, il y a un exemple que tu donnes pour expliquer comment ça se manifeste concrètement dans la vie des personnes racisées, cette charge raciale. Et j'ai trouvé que c'était un exemple intéressant parce qu'il n'est pas souvent abordé, c'est celui de la PMA. Est-ce que tu pourrais développer comment est-ce que la charge raciale, elle peut se représenter concrètement dans ce domaine-là, peut-être pour que ce soit plus clair pour les personnes non concernées

  • Speaker #0

    Oui, alors. Pourquoi j'aborde la question de la PMA C'est évidemment un angle mort, pour ne pas dire un angle noir, de cette question de la procréation. Déjà, je vous donne schématiquement le design, ou en tout cas la manière dont on a construit le livre. On part d'une charge qui est historique, on se rapproche de plus en plus du quotidien, notamment avec cet exemple et cette narration avec un tu. Et puis, je montre à quel point aussi, à partir de... nos interactions, du couple, il se joue une charge raciale qui est sexisante. Donc en tant que personne, donc femme noire, si je suis en couple avec une personne blanche, cette charge raciale-là va ressortir, parce que la question du racisme est souvent tue, mise de côté, gaslightée par les partenaires blancs qui ne comprennent pas ce qu'on vit, nous soupçonnent d'exagération, nous soupçonnent de victimisation. Et donc ensuite j'aborde la question de la famille et de la charge intracommunautaire, en abordant à quel point, au sein même de nos familles, nous sommes souvent tiraillés entre cette culture de France, d'Occident, et ce qu'on est censé être comme vrai noir, comme vrai racisé. Et puis j'aborde la question du métissage, qui à mon sens est aussi une manière d'acculturer et d'avoir une injonction. par rapport à la famille noire. Je montre à quel point les politiques de messissage à travers le cinéma, à travers les œuvres qu'on nous vend, qu'on nous montre, sont des manières aussi de peindre un communautarisme qui n'existe pas. Au cinéma français notamment, voir un couple fait de personnes noires ou de personnes racisées, asiatiques, arabes, etc. Ça n'existe quasiment pas. Il faut de la blancheur pour légitimer. nos présences à l'écran. Donc j'aborde la question du métissage et ensuite je montre à quel point ces politiques publiques ces politiques culturelles sont aussi une manière de détruire la famille et donc enfin la question de la PMA comme dans toutes les sphères de la société il y a un déséquilibre en termes de discrimination quant à la procréation Il y a quelques années, j'avais écrit un article là-dessus en montrant que pour une femme hétéro blanche, il fallait entre deux à quatre ans d'attente pour obtenir justement des ovocytes pour avoir un enfant. Et pour une femme noire, il en fallait le double, donc soit entre quatre et huit ans. La PMA, désormais, a été promue, elle est légale. Il y a des conditions qui sont faites pour que le processus soit accéléré. Et pourtant, en termes de décision des médecins, les médecins peuvent demander à un couple de deux personnes noires, peuvent soit pousser à ce que les parents, ou en tout cas les futurs parents, s'accommodent d'un nouveau site blanc, parce que là, vous allez attendre beaucoup trop longtemps. Et si vous voulez vraiment un enfant, il n'y a pas le choix. Ou sinon... Quand les parents veulent bien accueillir un ovocyte blanc et avoir un enfant métis, ça va être mal perçu. On va dissuader souvent les parents en disant que le critère d'appareillement, qui n'avait pas été encadré par la loi, c'était au médecin de décider si c'était génétiquement compatible d'avoir un enfant. métisse de deux parents noirs et que ça pouvait troubler le psychisme de cet enfant blanc mais ce n'est jamais le cas quand il y a deux parents blancs qui vont adopter par exemple un enfant en Afrique là la dynamique n'est jamais questionnée en termes de peut-être du psychisme de l'enfant, de ce que ça veut dire socialement, communautairement etc et donc je montrais à quel point il y a des politiques même au sein de la famille noire Enfin, au sein de la famille et en tout cas au sein de l'État, il y a des politiques pour une destruction, une déstructuration de la famille à travers la PMA, mais pas que. Et donc, c'était aussi une critique de ce slogan qu'on entend souvent dans le féminisme de détruire la famille. Il faut détruire la famille, il faut abolir la famille. Mais oui, mais laquelle Parce qu'en tant que famille minorisée, minoritaire, cette question-là, c'est dans cet espace de la famille noire que je... je peux me décharger de cette charge raciale, parce qu'au sein de ma famille assisée, je me protège de l'État. Il y a des violences familiales, évidemment, on le sait, on les combat aussi, mais posons-nous la question de quelle famille on parle quand on parle d'abolir la famille. Je trouvais que c'était important de mettre l'accent sur cette question de la PMA, qui n'est pas vraiment abordée en termes de charges financières, émotionnelles. en termes de discrimination, des fois lesbophobe, raciale, etc.

  • Speaker #1

    Effectivement, je trouve que c'est un bon exemple aussi pour saisir que ce qui est déjà une difficulté importante d'accéder à la PMA pour beaucoup de couples, et encore plus pour des femmes seules ou pour des couples de femmes, il y a une charge en plus pour les personnes racisées qui est effectivement très peu abordée. Et ça veut dire concrètement, lorsque les personnes vont à leur rendez-vous, elles vont peut-être... déjà avoir en tête, déjà devoir se préparer mentalement à d'éventuelles discriminations, d'éventuelles remarques, etc. Ce que j'aimerais savoir à propos de ce concept de charge raciale que tu développes dans ton livre, c'est comment est-ce qu'on fait pour décrire quelque chose qui est aussi intime et aussi personnel à des lecteurs qui vont être concernés, pas concernés, même qui vont parfois être concernés mais ne pas... avoir conscientisé les choses en tant que telle. Ça m'intéresse un peu cet exercice aussi d'écrivaine, de réussir à expliquer quelque chose d'aussi intime. Comment est-ce que tu as fait

  • Speaker #0

    Je pense que c'était vraiment... Déjà, je n'aurais pas pu écrire cet ouvrage si je n'avais pas fait un travail de conscientisation, un travail émotionnel. Parce que c'était... super difficile de porter justement la charge de ce livre qui n'avait jamais été écrit, sur ce concept qui pourtant traverse des millions de vies en France et en Occident. Et je me suis sentie, oui, un peu écrasée déjà par cet acte-là, et en même temps cette urgence à me dire, mais depuis 2019... L'année où je rencontre ce terme, sous les mots de Maboula Soumaoro, jusqu'en 2023, où je prends la décision d'écrire ce livre, il y a des balbutiements, il y a des choses qui sont dites, il y a des articles dans le milieu militant. La charge raciale apparaît, mais de manière plutôt descriptive. Or, je me rends compte que même déjà en 2019, quand j'écris un article et que je reçois une vingtaine de témoignages via Twitter RIP, Rest in Peace, je me dis, mais wow, ok, je n'ai pas rêvé. C'est une réalité. On est tous traversés par ce poids-là. Mais le temps passe et il n'y a pas de recherche universitaire qui s'empare de la question. Donc quand je me mets face à mon syndrome de l'imposteur et que je me dis, bon, ben, on y va. Je suis à la fois sûre de moi, parce que je sais que c'est quelque chose qui me travaille depuis... Ouais. Trois ans. Et puis, je sens qu'il y a une fragilité parce qu'il faut repartir, il faut repartir, aller creuser dans les archives de violences policières, de violences médicales. Je l'écris aussi, évidemment, en plein génocide en Palestine. Et donc, il y a des choses que je n'ai pas pu dire parce qu'un livre, ce n'est pas infini. Il fallait faire des choix. Et donc, cette question-là de... de l'empathie, de l'apathie, de comment les corps racisés sont sont fongibles, sont de la chair qui nourrit l'humanité, qui nourrit l'Occident, qui nourrit une géopolitique du silence, de l'apathie, ça me traverse de la première phrase jusqu'à la dernière phrase. Et parce que peut-être j'ai cette formation à la fois en sociologie, et aussi de poète, je ne fuis pas cette fusion-là des mots. Je ne fais pas de dichotomie entre ma raison, l'objectivité, la neutralité, etc. Et ce qui semble pas très important, ou en tout cas délaissé, quand il s'agit d'écrire des essais, c'est-à-dire d'aller creuser avec l'intime, d'aller creuser avec la blesse dont je parle, avec la blessure, et d'aller jouer avec ça et de se dire qu'il y a des choses qui vont sortir. Et je vais offrir ça à la lecture, tout en apportant aussi des faits, des sources, de la documentation. Parce que l'un ne va pas sans l'autre. Pour parler de charges raciales, je ne pouvais pas me faire l'économie de ce qui nous traverse à chaque instant. Il fallait que ça se ressente. Et j'ai compris avec les discussions, avec les retours que j'ai eus de personnes racisées qui me disaient souvent Merci pour ce livre, mais je ne sais pas si je vais pouvoir le lire tout de suite. Et j'ai compris à quel point cette phrase-là, elle disait tout du vertige que c'était cette charge raciale pour nous.

  • Speaker #1

    C'est vrai que c'est intéressant parce qu'effectivement, je dois dire que je ne l'ai pas lu avant notre discussion. Parce que je savais justement que ça allait être difficile à lire. Alors que finalement, au contraire... pour les personnes racisées qui ne l'ont pas encore lu. Je dois dire que ce n'était pas si douloureux, mais plutôt libérateur. Mais on en parlera un peu plus tard. Alors, je voulais que peut-être tu nous racontes un petit peu aussi ton parcours à toi, avant qu'on creuse un peu plus dans tous les concepts que tu développes. Tu parles du fait que toi, tu es arrivée en France à l'âge de 12 ans. Donc, contrairement à beaucoup de récits de personnes racisées qu'on peut déjà entendre, tu n'as pas forcément eu ce choc de réaliser, toute petite, que tu étais noire, parce que tu n'as pas évolué dans un espace blanc. Et est-ce que tu as peut-être envie de nous raconter, quelles sont les stratégies que toi tu as adoptées, pour conjuguer avec cette charge raciale quand tu es arrivée en France, comment est-ce que ça s'est passé pour toi

  • Speaker #0

    Évidemment, je mets des mots d'adulte sur la moi de 12 ans, quand j'arrive en 2005 en France. J'arrive en Essonne, j'ai 12 ans, je suis en quatrième et je découvre un monde, littéralement un monde, dont je ne comprends pas les codes et qui me renvoie tout de suite, non pas seulement à ma couleur de peau, mais à la blédarde. Parce qu'au sein même de ma communauté, des personnes noires et des personnes racisées en général, évidemment, il y a des hiérarchies aussi. Et donc, moi qui arrive avec, sûrement un accent, je ne m'en rendais pas forcément compte, mais qui aussi parle plutôt bien le français, enfin, je suis un peu une anomalie. On me dit, mais tu n'es pas censée, pourquoi tu parles le français aussi bien Je me dis, mais en fait, le Congo-Brazzaville est une ex-colonie de la France. Et en fait, c'est une camarade du Congo RDC qui m'en parle. Et je me dis, mais donc en France, en fait, les gens ne sont pas instruits ou quoi Qu'est-ce qui se passe Non, vraiment, je m'interroge. Et donc, je suis tout le temps renvoyée comme ça à une Africaine qui n'est pas censée être éduquée, qui n'a pas les codes vestimentaires, etc. Et donc, la quatrième, c'est compliqué. La troisième... Je me suradapte et je crée un masque. sociale, je porte ce qu'on appelle en psychologie un faux self. Je me dissocie totalement de ma culture congolaise, j'adopte tous les codes de ce qui est censé être la culture française, puisque je débarque à Orléans, c'est pour vous dire. C'est compliqué, la ville de Jeanne d'Arc qui a été complètement récupérée. Et donc, je ne sais pas, à l'époque, c'était les Ben Simon, le Saclon-Champ, tout l'appareillage. Et en fait, j'efface toute cette identité-là et je diminue aussi cette part de Bounty. Vous savez, le Bounty, c'est noir à l'extérieur, blanc à l'intérieur. Parce que parler d'une certaine manière... Avoir des codes culturels, s'intéresser à plein de choses, c'est perçu comme ne pas être une vraie noire. Donc j'efface tout ça et je me rebelle aussi beaucoup contre les professeurs qui voient en moi une élève à la dérive sans comprendre le harcèlement que j'ai évité et pourquoi justement je sors de cette posture-là de la petite fille intello, etc. Et puis le temps passe, là c'est plutôt à l'université pareil aussi, je vais en sociologie. Et là, le monde universitaire, qui pour moi était censé être un monde d'ouverture, de curiosité, de pensée critique, je tombe des nues, avec des professeurs vraiment libidineux sur les corps des femmes noires qui nous sont présentées sur des grands écrans, où il y a tout le paternalisme de l'ethnologie, de l'anthropologie, etc. pas les mots pour me défendre. Je sais qu'il y a quelque chose qui coince, mais je n'arrive pas à verbaliser tout ça. Et puis, le monde du travail, du journalisme, est-ce que j'ai besoin de creuser la question de qui sont les journalistes qui sont mis en avant Quels sont les sujets Comment nos sujets sont retransformés, ne sont pas pris en compte, etc. Je me rends compte qu'en effet, c'est bien plus large que ça. La sociologie m'a permis de comprendre qu'il y avait des déterminismes de classe, mais à l'époque, cette question de... la race sociale, du féminisme, c'était très balbutiant. Et donc j'ai mis en place toutes ces stratégies-là, de devoir me lisser les cheveux, de devoir parler d'une certaine manière pour espérer être acceptée, et c'était jamais assez. Et puis j'ai travaillé un an à LCI, oui, oui, oui, pour David Pujadas. Et, bon... Un an, ça suffit. Je me suis dit, bah non, littéralement, comment me suradapter encore plus Si je le fais, je meurs. Si je le fais, la machine est en broie, c'est sûr. Je ne peux pas être à la fois, ne pas être prise en compte dans le travail que j'apportais en termes de recherche journalistique, de point de vue en fait sur ce que ça veut dire la race, quand il y avait des crises raciales, etc. Ce que j'appelle crise raciale dans des moments de... polémique raciale, et bien la douce était importante, sinon le reste du temps ma parole ne comptait pas et je me suis dit non non là je vais finir par être totalement dissociée et vivre cette névrose raciale dont je parle dans le bouquin, et puis je suis partie et j'ai fait mon coming out d'écrivaine et puis la suite j'espère que ça sera de l'histoire mais oui oui et c'est pour ça peut-être que ça se ressent aussi je ne prends pas de distance avec cette charge raciale parce que elle nous traverse tout le temps le temps et je n'ai pas voulu cacher cette vérité-là.

  • Speaker #1

    Justement, tout à l'heure, tu as évoqué ce mot, la blesse. Est-ce que tu peux un petit peu décrire ce que ça veut dire, d'où ça vient Parce que c'est un mot que je ne connaissais pas, qui permet de décrire cette blessure intime qu'on vit en tant que personne racisée, c'est le détachement de son identité. Est-ce que tu peux expliquer un petit peu plus pourquoi tu choisis d'adopter ce mot

  • Speaker #0

    Ce livre s'est construit malgré moi. Le terme de la blège, je le rencontre en 2019 à Dakar. Je suis au musée des civilisations noires à Dakar et là il y a une grande toile toute noire qui fait sûrement 3 mètres de haut sur 4 mètres de large et il y a des entailles rouges-vermeilles, il y en a 4 ou 5. Et ça me saisit, je comprends tout de suite la métaphore. de la blessure, et je m'approche limite solennel, et je lis le cartel, la blesse, la blesse. Et il y a marqué, voilà, la blesse, c'est cette entaille existentielle que portent en elle les personnes antillaises des Caraïbes, mais de manière générale aussi des personnes afrodescendantes noires. Je me dis oui, oui, cette déchirure historique, cette déchirure existentielle, on la vit plus ou moins. Et donc... Je garde cette œuvre-là et quand j'écris le livre, je me rappelle de ce concept et je creuse. Et là, il y a le travail de Patricia Donatien-Issa, qui est une chercheuse guadeloupéenne, qui, elle, a écrit sur cette esthétique de la blesse. Et elle montre à quel point, quand elle remonte le travail des poètes, poétesses caribéennes, Il y a un travail de la blesse, c'est-à-dire que ces artistes-là vont toujours creuser le pu. L'art, pour les personnes afrodescendantes, pour les personnes racisées, ce n'est pas un moyen de contemplation pure. C'est un moyen de sublimer le pu. Elle en parle, elle parle du pu, de l'histoire, du silence hérité, des traumas intergénérationnels. Et elle montre que tout leur travail est traversé par ça. Et donc, elle s'intéresse à cette question de la blesse. Et elle va interroger les anciens et les anciennes en Guadeloupe. Sauf qu'elle est accueillie, évidemment, par un silence. Parce qu'à la fois, c'est indicible de reparler de cette histoire qui est encore dans le corps des enfants qui ont des maladies dont on ne comprend pas l'origine, qui somatisent, ou des personnes qui ont des états comme ça, soit de léthargie, soit de ce qu'on appellerait de la folie, etc. Mais elle ne lâche pas. pas, elle creuse, elle en fait son terrain. Et petit à petit, les langues se délient. Et donc les anciens lui disent, voilà, la blesse c'est le fait, par exemple, des fois d'avoir des douleurs aux poignets, aux chevilles, qui symbolisent le poids des chaînes des anciennes personnes esclavagisées, par exemple. C'est cette... C'est le foie qui porte et qui travaille sans cesse le stress. minoritaire, le stress racial. Et donc, il lui explique tout ça. et donc elle comprend ensuite en relation, elle met en relation le travail littéraire de ces poètes, de ces écrivains et écrivaines. Et j'ai trouvé ça tellement juste, tellement parlant de voir à quel point les anciens, les aînés avaient déjà compris ce que désormais l'épigénétique tâtonne pour l'instant, même si évidemment la science fait son... enfin voilà... un temps qui lui est propre, mais on voit en tout cas qu'il y a des choses qui ressortent de ce qu'on savait déjà de ces traumas liés au colonialisme, liés à la période esclavagiste. Et la blesse me permet aussi d'introduire la part imagée, métaphorique, de ce problème qui est psycho-existentiel, qui est psycho-politique. Et je... Je parle beaucoup de Frantz Fanon aussi, qui, à mon sens, a tellement réussi à faire ressortir ces deux polarités-là, entre l'intériorité de cette charge, de ce tiraillement, même cette déchirure, entre nous et le monde extérieur, entre l'histoire.

  • Speaker #1

    J'ai l'impression que c'est une critique que tu fais beaucoup, surtout au début du livre, sur le fait qu'on a... On aborde beaucoup le racisme et on milite contre le racisme d'une manière où on évite de parler de son intériorité, de son intime, de la psychologie. Est-ce que pour toi, ce livre, c'est aussi une manière de ramener ça dans le discours Pourquoi est-ce que ça manque selon toi

  • Speaker #0

    Il faut qu'on me donne une heure de plus.

  • Speaker #1

    Il faut lire le livre.

  • Speaker #0

    Après, c'est des approches qu'on peut retrouver, j'invente rien évidemment, qu'on peut retrouver dans les critiques décoloniales, où cette philosophie-là, cette philosophie de la grande séparation, qui remonte pour certains, certaines, aux religions dites abramiques, où... Un peu plus récemment, autour du XVe siècle, notamment de la date de 1492 et la découverte des Amériques, où à partir de cette date-là, dite la date de l'institution de la modernité, on a scindé les corps, on a scindé les épistémologies, c'est-à-dire la manière de faire connaissance, de reproduire le savoir, et on a décrété qu'il fallait se séparer du corps, de l'intériorité. qu'il fallait toujours raison garder, littéralement, mettre en avant les formes de savoir qui étaient dites matérialistes, avec un objet scientifique bien défini, avec des protocoles, des programmes, etc. Et en fait, toute cette épistémologie de l'Occident fait qu'en tant que personne militante en France, on n'en échappe pas, évidemment. On voit à quel point il y a, depuis la sécularisation de la France, qu'il y a eu des bons, évidemment, le clergé, l'église, etc. Il y avait tout un système aussi de privilèges et d'exploitation des couches paysannes, etc. Évidemment. Mais en revanche, dans la question même du rapport à l'intériorité et à la nature, il y a eu une grande séparation. Et donc nous, ce qu'on reproduit, et c'est une critique qui est adressée à la gauche, parce que les autres en face, mes ennemis politiques... Ils grandent bien leur face, mais à la gauche, pour nous, pour dépasser, pour faire advenir des utopies, on reproduit les outils du maître, on y utilise des outils du maître, comme disait Audrey Lorne. Et on voit bien qu'à un moment, ça coince parce qu'on n'arrive pas, en tout cas, on n'ose pas faire appel à l'intériorité qui est un vaste champ. Je ne parle pas seulement selon des autérismes ou de spiritualité. Je parle des recherches qui sont un peu plus à la mode aussi maintenant, des neurosciences. mais aussi de ce que ça veut dire de vivre le racisme psychologiquement au niveau du corps. Comment nous reconnecter à ces parts émotionnelles et affectives qui ont été complètement coincées Aux États-Unis, les politiques des affects existent depuis les années fin 80, début 90. En France, ce n'est que récemment qu'on commence à aborder la question de l'amour, la question... de la joie, de la colère, mais avec une approche qui est toujours très distante, qui est toujours très loin du corps, de ce que ça veut dire phénoménologiquement. d'être un corps assisé, en fait. Et Fanon l'a fait, et puis on a coupé, parce qu'il est tombé dans l'oubli. Et moi, je me dis, mais oui, c'est important de remettre au centre cette question-là des affects, la politique des affects. Et je pense que ce livre est à la croisée des études noires, on va dire, des études noires, et de la politique des affects. Et donc, c'est pour ça que je parle vraiment de psychopolitique. Et si on ne... Si... Pour moi, si la gauche ne se réconcilie plus avec cette part-là d'elle-même, c'est-à-dire d'assumer les émotions, de ne pas laisser les émotions à un populisme, à un populisme extrémisme droit, on n'aura pas la chance de rattraper, on n'aura plus la chance d'attirer à nous des personnes qui ne sont pas forcément très au fait de concepts, d'un intellectualisme qui... perd les masses, etc. Comment on arrive à se reconnecter avec des gens en leur disant, voilà en fait le quotidien que moi je partage, voilà, ce que je peux vivre en tant que corps, femme, noire, assisée. Est-ce que ça résonne en toi Est-ce que ça te parle Est-ce qu'ensuite ça te donne la curiosité d'aller chercher par toi-même et de t'éduquer et de monter en conscience Est-ce que ça te donne envie de propager cette compréhension du monde avec l'éducation populaire, etc. Et pour moi, Voilà à quoi servent les livres, poser des petites bombes intellectuelles, évidemment, et à partager ce feu du changement, ce feu du mouvement. Mais le feu, il est nourri par les affects. Pour moi, la raison, c'est autre chose. Mais pour être magnétique, pour que nos combats soient magnétiques, il faut la politique des affects. Et j'espère qu'on... qu'on y arrivera de plus en plus et qu'on sera légion à le faire.

  • Speaker #1

    Justement, je trouve ça intéressant que tu parles autant de l'affect des émotions et que dans ton livre, tu exposes à quel point les personnes noires, on leur a nié ce droit à être des personnes avec des émotions, avec des affects, avec une intériorité. Et tu parles même d'une antithèse de la personne, que les Noirs, on les empêche de se définir en dehors du regard blanc. Et qu'une des choses importantes que j'ai retenues de ton livre, c'est qu'il y a une nécessité de se recréer son soi, en dehors de ce regard blanc, en dehors de cette définition qui nous colle des préjugés, des clichés. Est-ce que tu peux en dire un peu plus de cette expérience qui est quand même très particulière et peut-être difficile à comprendre, de ne pas avoir l'impression d'avoir une identité à soi

  • Speaker #0

    Oui, en fait, la race, quand on dit que la race biologique n'existe pas et que la race est une fiction, c'est vrai que socialement, on est discriminé, donc on ne peut pas faire l'économie de ce qu'on vit. Et pourtant, cette fiction-là, elle traverse tous nos sens, autant chez les personnes qui vivent. qui ne vivent pas le racisme directement, donc les personnes blanches, qui, elles, à travers leur regard, ou même parfois leur non-regard, c'est-à-dire détourner les yeux, ne pas s'intéresser à la question raciale parce qu'apparemment ça ne les concernerait pas, et pourtant, c'est une question de... Voilà, tous nos sens sont traversés par cette question raciale. Et nous, de l'autre côté du miroir, on a aiguisé nos sens. Donc... On n'est plus vraiment... Je dirais même qu'on est des super humains parce qu'on nous a retiré l'insouciance depuis l'enfance déjà. Où on a cette conversation, la fameuse conversation aux Etats-Unis, on parle de the talk, où à 7-8 ans, on va dire aux enfants, tu vas devoir faire 3-4 fois plus parce que voici ce qui risque d'arriver à cause de ta couleur de peau, etc. Mais sois fière de qui tu es. Mais voilà. la vie, le monde dans lequel on est. Et donc déjà, il y a cette perte d'individuation qui se crée chez l'enfant racisé, où il a deux choix. Soit il s'alienne, donc l'alienation de ce que Fanon dit, c'est de se rendre aveugle à sa condition noire, et d'adopter toutes les valeurs de la suprématie blanche, de ne pas voir des couleurs, de croire en la méritocratie. et que parce que tu es une noire capable, vaillante, tu arriveras au sommet de l'ascenseur social. En général, il y a un moment où ça craque, ça craque au sommet. Et il y a l'autre chemin où on se révolte contre ça, et on est investi d'une mission, et on veut changer les choses. Mais dans les deux cas, est-ce que c'est vraiment un choix Pas vraiment. Et donc rien que ça, cette névrose-là, cette névrose raciale, qui nous pousse à choisir et à nous scinder, et à tout le temps naviguer entre justement... le fait qu'on nous dénie une intériorité, donc à prouver qu'on a une humanité, à prouver qu'en fait on ne mérite pas de mourir sous les genoux d'un policier, qu'on est couru ou pas, que non, tout simplement. Et bien cette déchirure-là, cette déshumanisation-là, on l'intègre, et donc on est parfois obligé... de devoir arracher ces affects-là. Et c'est pour ça que je comprends les critiques où on dit que les personnes noires, les personnes racisées, elles sont souvent dans des milieux de divertissement, du sport, où la question de la corporalité, elle est présente, etc. Mais en même temps, si on prend du recul, c'est peut-être normal. Pour des personnes à qui on a dit votre jeu, votre incarnation, votre chair ne compte pas. Mais comment on récupère l'individualité Mais c'est par la corporalité, en se disant, voilà, je suis présent au monde, j'ai des choses à dire, je m'exprime, j'ai des émotions qui se doivent d'être partagées et je peux faire collectif avec. Et donc, cette question de l'individualité, elle est toujours paradoxale, à la fois, ou en tout cas de l'émotion. À la fois, on nous dit, je reprends les termes de Senghor, l'émotion nègre, la raison européenne. Donc, on serait à un surplus de vie, trop de vie, trop de vitalité, trop de corps, trop de libido, trop d'eux, et à la fois des êtres vides, des êtres qui se rapprocheraient plutôt du néant, c'est-à-dire pas... pas forcément intelligibles, sans histoire selon Sarkozy. Voilà, en fait, toujours tiraillé entre ces deux pôles-là, mais c'est le principe même du racisme et des discriminations en général, l'ambivalence. Et donc, oui, pour moi, les affects ont une part prépondérante, non pas seulement parce qu'il faut ressentir pour ressentir, mais montrer à quel point cette question de la réappropriation de l'intériorité est... éminemment politique.

  • Speaker #1

    Justement là-dessus, il y a aussi tout un chapitre dans ton livre que moi j'ai trouvé vraiment passionnant parce que j'avais jamais conçu les choses comme ça. C'est où tu réécris l'histoire de l'Occident en expliquant qu'au contraire, le vide et le trou existentiel il est plutôt de ce côté-là et que... Il y a eu nécessité à un moment de créer une figure de l'autre, donc en l'occurrence les Noirs lors de l'esclavage, pour combler un peu un vide. Et tu parles même d'un mouvement d'attraction, répulsion. Est-ce que tu peux expliciter un peu ça Et à quel point tout le contrat social s'est fondé là-dessus d'un contrat racial, qui est une thèse qui est développée par d'autres personnes aussi, mais est-ce que tu peux développer là-dessus

  • Speaker #0

    Oui, alors, je convoque cette autre histoire de l'Occident, parce que je trouvais ça intéressant, depuis toujours, depuis toute petite, notamment déjà au Congo, je posais souvent la question, je disais, mais pourquoi ça existait Pourquoi il y a eu l'esclavagisme, la période d'esclavage, la période de la colonisation, etc. Et on m'expliquait comment, comment. Voilà, mais oui, en fait, il y a eu une époque où les sociétés industrielles ont eu besoin de passer d'une économie marchande à une économie capitaliste, la naissance du bourgeois, blablabla. J'ai dit mais oui, mais quoi Vraiment, du haut de mes dix ans, je me suis demandé pourquoi. Et on ne m'a jamais vraiment expliqué pourquoi. Et donc dans ce chapitre-là, je vais le résumer de manière très brève, mais je montre à quel point, parce qu'on n'a jamais... aborder, ou en tout cas très peu, cette question-là de la propension de l'Occident à conquérir, à arracher la terre, à arracher des peuples pour le bien de ses propres terres, de sa civilisation. On a souvent donné des justifications économiques, notamment avec toute la... thèses, toutes les explications marxistes, etc., que je ne renie pas. Pour moi, les deux, il n'y a pas besoin d'être dans une explication binaire. Mais je trouvais que la part justement du pourquoi n'était pas assez abordée. Et là, je tombe sur les thèses de Carl Jung, qui est un psychiatre qui ensuite sera redéfini, renommé comme psychanalyste. Mais à l'époque, il est psychiatre. Et il a eu Lui, il se rend compte qu'au cours de ses sessions avec sa patientelle, il se rend compte qu'en fait, il va parler de certains sujets, il va les faire tomber en hypnose, ou en tout cas dans des exercices d'association d'idées, que sa patientelle se retrouvait à énoncer des symboles, à visualiser des choses qui n'étaient pas forcément dans leur culture, qui, la plupart du temps, ils étaient plutôt athées. Et donc, il se dit, mais là, il y a quelque chose qui m'échappe. je ne comprends pas ces associations d'idées. Et il tombe dans un travail qui durera toute sa vie, jusqu'en 1968, jusqu'à sa mort, où il remonte au premier siècle, il remonte des archives, des livres, des correspondances, de symboles alchimiques, et il montre à quel point sa patientèle était en fait... complètement traversé par ces symboles-là alchimiques. Il se dit, mais ce n'est pas normal. Comment ça se fait Donc, Jung montre à quel point la société suisse à l'époque était complètement traversée par des symboles qui étaient chrétiens d'apparence, mais qu'en fait, ces symboles chrétiens se basaient sur une lecture de l'alchimie. Et ce qui est... hyper intéressant pour moi à ce moment-là, c'est qu'en fait, il montre qu'il y a trois stades dans l'alchimie. Le premier, c'est le stade de la noirceur. Vous voyez où je... Le stade de la noirceur, donc le nigredo. Le stade de la blancheur, je ne me souviens plus du terme précis. Et puis, il y a le stade de la blancheur, l'albedo. Dans les termes utilisés, j'ai lu une thèse qui faisait 1000 pages, on ne pouvait plus, mais il y avait cette récurrence de termes sur la noirceur, à noyer, la matière première, à acheter, à vendre, comment il fallait polir la noirceur jusqu'à la blancheur, que la blancheur c'était le désir, c'était la rose, c'était la vie, c'était la vitalité, que la noirceur c'était un... C'était le roi des ténèbres, entre guillemets, c'était une royauté, c'était l'image régalienne de la noirceur des ténèbres. Et en fait, pour moi, ça résonne. Et je me dis, mais il a fallu d'abord que les inconscients des populations européennes soient totalement façonnés par cette obsession de la supériorité de la blancheur, pour qu'ensuite, ça soit légitime de rencontrer des corps noirs qui pourtant... ressembler à ces explorateurs slash colons slash alchimistes qui s'ignoraient et qu'en fait ils se rendent compte à quel point bah oui en effet la noirceur c'est légitime parce que depuis la chrétienté on nous a appris on a on a on a des expressions qui louent la blancheur blanche neige blanche colombe etc et qui vilipendent la noirceur et donc c'était plus facile d'arracher ces corps-là, de les voir sans âme. Et on le voit ensuite après avec toute la propagande religieuse de l'Église catholique, qui ensuite va postuler clairement que les Noirs n'avaient pas d'âme, mais que peut-être les natifs américains avaient, eux, potentiellement une âme. Donc on voyait bien que pour les personnes noires africaines à l'époque, c'était établi qu'elles n'avaient pas noir à cause de cette noirceur-là. Et je trouvais ça important de se dire, tiens, voilà, en fait, la cause unique n'existe pas. Il y a peut-être plusieurs entrées aussi à prendre en compte, dans ce qui fait que le racisme, l'esclavagisme... a été aussi acceptée, soutenue par une propagande à la fois économique, civilisationnelle, religieuse, etc. Et c'était important. Et je trouvais que Jung n'a pas été mise assez en valeur sur cette question-là de comment l'inconscient cognitif d'une civilisation, d'une société, peut être complètement traversé par des idées qui dataient d'il y a plusieurs siècles.

  • Speaker #1

    Et pour toi, c'est là-dessus aussi que... Ce contrat racial qui fait qu'on a tous implicitement accepté, entre guillemets, ou subi de vivre dans une société où les noirs sont en bas de l'échelle sociale et les blancs sont en haut. Et tu parles du fait qu'on a tous accepté de vivre dans ce monde où on différencie les blancs, les civilisés et les autres qui seraient restés à l'état de nature. Et que même si on a l'impression... d'être antiraciste, progressiste. En réalité, on vit dans un monde où on en est encore à ce stade-là. Est-ce que tu peux peut-être parler un peu plus de cette idée de contrat racial qui est implicitement présente dans les sociétés occidentales

  • Speaker #0

    Oui, quand on part de cette question des biais, en tout cas de l'inconscient cognitif à cette époque-là à travers Jung, le contrat racial... met en lumière la période plutôt du XVIIIe siècle jusqu'à nos jours. Et donc ce contrat racial, il a été théorisé par Charles Mills, qui est un penseur jamaïcain d'origine et anglais, s'il ne dit pas de bêtises, qui lui montre à quel point, en fait, derrière le contrat social qui a constitué, on va dire, les nations étrangères, européenne, notamment le contrat social fait par tous les contractualistes, Rousseau, Locke, etc. Il montre à quel point, en fait, ce besoin d'affirmer la civilisation à travers le contrat social, à travers l'état de droit, c'était une manière de se démarquer des sauvages, des bons sauvages. Ces mêmes philosophes, ces sociologues, Durkheim, Weber, etc., sont complètement traversés par l'impérialisme, par le colonialisme de leur société, de l'époque, mais construisent, notamment la sociologie par exemple, construisent leur science sociale par le progrès. Donc, ils trouvent une manière, une identité. en opposition avec ce qui est censé être, si il y a le progrès, qu'est-ce qu'il y a de l'autre côté Je ne sais pas comment on pourrait appeler ça. Le sous-développement, ce n'était même pas ça, c'était vraiment cette question de la sauvagerie, le sauvage et le progrès. Et donc, il montre à quel point il y avait une hypocrisie à travers les écrits et les pensées dites rationnelles des Lumières qui, en fait, promouvaient une... un homme universel, moral, vertueux, mais qui pourtant acceptait de faire partie du commerce triangulaire, de bénéficier du commerce des bateaux négriers, etc. Et je trouvais ça très intéressant qu'il montre à quel point ce contrat racial, donc c'était un contrat juridique, épistémologique, en termes de production de savoir, de s'opposer au... et d'être du bon côté, entre guillemets, du progrès de la civilisation, et que ça a façonné aussi le silence autour. Parce que si les sociétés se pensaient à travers leurs philosophes comme des sociétés moralement vertueuses, s'il n'y avait pas d'esclavage sur la terre de la liberté qu'est la France, mais qu'on ne voyait pas tout à fait les Antilles, même si c'était connu, mais que les philosophes ne dénonçaient pas ça, parce qu'apparemment la France était un état de droit et de liberté, C'était une hypocrisie, c'était un silence immoral. Et Mills le montre très bien. Et il montre à quel point on en hérite encore jusqu'à maintenant de cette dissonance. À la fois des faits, de la violence raciale qu'on subit, et des intellectuels, et notamment des partis, j'allais pas dire des partis, mais des personnes, en tout cas de gauche, des militants, des personnes engagées, qui vont souvent... diminuer cette question du racisme, la diluer, user de subterfuges pour parler de victimisation, etc. Ou pire... ne tout simplement pas admettre qu'il y a des différences, qu'il y a des discriminations raciales. Et donc, on voit à quel point, oui, le poids de l'histoire, jusqu'à nos jours, infuse, et que cette charge raciale-là, malheureusement, pèse encore sur notre dos.

  • Speaker #1

    Tout à l'heure, tu parlais de noirceur, et dans le livre, toi, tu préfères parler de noirité. Est-ce que tu peux expliquer la différence Et pourquoi est-ce que tu revendiques ce terme-là de noirité pour définir la condition noire C'est comme ça qu'on a pu l'appeler aussi en France

  • Speaker #0

    Moi, j'aime bien le contre-discours. J'aime bien le pas de côté, se dire, tiens, pourquoi on se répète des mots comme des incantations Pourquoi parler de condition noire Déjà que je paye une dette à travers un contrat racial, une dette que je n'ai pas signée à cause de cette couleur de peau. Et en plus, il faudrait que je me pense dans des termes sociologiques que je n'ai pas choisi de conditions. Et si on parle de conditions noires, en anglais, on va parler de blackness. Et blackness recouvre tellement de choses de fierté. de pouvoir noir parfois, de conditions noires, de fierté, de pouvoir noir, de la question noire aussi, de toutes ces époques qui ont façonné justement les prises de position des militants, des droits civiques, etc. Blackness recouvre ça et j'ai l'impression que le monde anglo-saxon arrive à se retrouver autour de cette question de la blackness. En France, la traduction est... hyper difficile, en tout cas dans le monde francophone. On a parlé de négritude, évidemment, grâce aux sœurs Nardal et ensuite Césaire, Saint-Gaure, etc. Mais je trouvais que c'était un peu désuet et que ça disait... Enfin, la négritude, ça a été censé être un mouvement philosophique et finalement, c'est un peu décrépit. Merci Sartre. Et puis... Je me suis dit, bon, noirceur, mais pourquoi Je n'entends jamais les gens, des personnes noires, dire oui, je suis fière de ma noirceur C'est bizarre. Pourtant, nous, on n'a aucun mal à dire noir, contrairement à d'autres personnes qui disent black Du coup, pourquoi ce terme-là Pourquoi il n'y a pas cette traduction-là Et je me suis dit, je me suis souvenu aussi qu'à l'époque sur Twitter, on parlait de noirance par exemple. Oui, ma noirance, mais c'était un peu ironique. Voilà, on n'arrivait pas à trouver de terme. Et en fait, je montre à quel point la noirceur, en fait, c'est une traduction qui s'inscrit dans une école de pensée dite afro-pessimiste. Les afro-pessimistes, ce sont des penseurs... et penseuse afro-américaine qui voit dans la blackness, la noirceur, une condition qui est indépassable. Pour elles, pour eux, la noirceur, c'est-à-dire la négrophobie qu'on subit, c'est la base même de l'ordre du monde, c'est la force de gravitation qui tient le monde. Cette noirceur-là, les corps noirs fongibles, sont les vecteurs du néant, de la mort sociale. Être une personne noire, au final, que ce soit sous la dictature d'un pays d'où je viens, du Congo, où des millions de personnes ont été massacrées à tour de bras par des dictatures soutenues par la France, ou en France, à cause des violences policières, des violences médicales, il y a une mort effective. Il y a une peur de la mort prématurée, il y a aussi une peur de la mort sociale, parce que pas de parole politique. Quand elle commence à s'organiser, attention séparatisme, attention cession, etc. Et ça, c'est une vision qui naît, évidemment, après le rapte, après le kidnapping de millions d'Africains vers les côtes américaines. Donc il fallait bien que dans cette... dans cette folie, dans cette irrationalité, construire quelque chose de la noirceur. Donc ces penseurs viennent avec cette idée-là. Ils parlent de l'an zéro de la noirceur. Donc à partir du moment où les personnes africaines sortent des bateaux négriers et arrivent dans les Amériques, le noir existe. La figure de l'esclave éternelle, en gros. Ça se fige. Et moi je me dis, je regarde de l'autre côté de la matrice. le continent où je suis née, où à travers les langues, à travers le Lingala, à travers le Lari, à travers les incantations autour de moi. J'ai été décrite d'une certaine manière. Ma couleur de peau, certes, n'était pas racialisée, comme on a pu le voir avec des hiérarchies, etc. Mais pourtant, il y a un mot, il y a des mots qui disent que... Donc, mojindo, par exemple, ça veut dire noir, littéralement. Mais ça veut aussi dire le foyer du soleil. Donc, mes ancêtres comprenaient déjà qu'un corps noir, un corps physique, mais notre couleur de peau aussi, renfermait quelque chose du soleil. Et je trouve ça déjà hyper poétique, hyper beau. Je me dis... En fait, il y a une conversation à avoir. Il y a la noirceur, il y a la condition noire, il y a la condition sociologique, matérielle de cette lourdeur, de cette charge, du poids. Et puis, il y a la noirité, cette part incassable, insondable, indicible, même au-delà du silence du poids de la race, mais qui fait qu'on est là parce que nous n'étions pas censés survivre. Et pourtant, on se tient debout. On s'exprime, on est sans cesse en train de devenir, parce qu'on nous arrache même, on nous interdit même le devenir noir. Qu'est-ce que ça veut dire, devenir noir Parce que normalement, on est censé devenir humain, c'est-à-dire s'affranchir des codes, se libérer, être des humains libres. Mais devenir noir, c'est quelque chose déjà... On sent bien qu'il y a quelque chose qui retient, parce qu'on n'est pas censé nous définir par notre couleur de peau. Et pourtant... Et donc la noirité pour moi c'est ça, c'est... Après je fais des analogies et tout ça, je me suis lâchée, je parle de trou noir, etc. Enfin voilà, vous découvrirez par vous-même, mais cette singularité en fait. Et moi c'est ça qui m'a touchée, et ce terme de noirité je le trouve sous les mots de Mame Fatounian, qui est une chercheuse française qui travaille aux Etats-Unis, qui parle de qualité de l'être, pour parler de la noirité. au-delà même de cette condition noire et qui est d'origine sénégalaise aussi, même Fatou Niang. Et je pense qu'on nous appelle souvent les africanistes, ceux qui vont souvent ou celles qui vont se repérer sur la question de la blackness, plutôt du côté de l'Afrique. Et donc cette conversation-là, on aimerait la voir un peu plus entre la part de la noirceur aux États-Unis. Mais c'est toute la question aussi de la traduction littéralement. Est-ce qu'on arrive à traduire des ouvrages comme ça Pour qu'il y ait des réponses, pour qu'entre la diaspora et ce triangle justement de l'Atlantique, que ça circule à nouveau et qu'on ait d'autres productions sur ce que ça veut dire, cette blackness, cette noirceur, cette noirité.

  • Speaker #1

    Une autre chose qui m'a beaucoup surpris dans ce livre, c'est la conclusion. En fait, ce que tu proposes comme solution pour les personnes racisées, qui ont besoin de se libérer de cette charge, de ce poids, de la charge raciale, c'est le silence. Et c'est intéressant parce que tu parles sous titre d'un silence écrasant, et en même temps tu le revendiques comme une arme, comme une solution pour s'extraire de ce regard blanc. Et c'est la première fois que j'entendais ça, parce que c'est vrai qu'on nous encourage plutôt à parler, témoigner, communiquer. Et toi tu dis qu'en fait... on parle trop, on communique trop sur nos souffrances, sur nos vécus, et que c'est presque comme si plus on parlait, moins on avançait. Est-ce que tu peux expliquer cette thèse-là

  • Speaker #0

    Oui, alors, c'est un peu... Je crois que l'épilogue s'appelle Et les subalternes se tuent Parce que je trouvais que, évidemment, qu'il y a la question de la silenciation. Donc là, c'est un silence qui nous est imposé, qu'on subit, on se cogne au mur de la blanchité dans ces espaces où, à partir du moment où tu dénonces quelque chose, où tu dis que quelque chose est raciste, là, c'est les feux bleus. Il y a tout qui flambe. Donc, on s'auto-censure beaucoup. On cache notre intériorité par rapport à ce stress racial, à cette charge. Mais il y a aussi de récupérer le silence. Parce qu'il y a quelque chose de l'ordre du pouvoir, à mon sens, dans le silence. Quand le silence, il est choisi. Quand on prend le temps de se recueillir et de faire silence communautaire. Oui, j'ose le terme, même si ce n'est pas bien vu en France. C'est-à-dire qu'on se regroupe en non-mixité, par des personnes qui vivent certaines choses et qui ont envie de... Oui, de dépasser ces problématiques et de se dépasser. Mais il faut du temps pour se recueillir, il faut du temps pour guérir la blesse, il faut du temps pour comprendre les... les poisons ou en tout cas le mal-être qu'on a reçu de nos ancêtres, mais aussi les dons qu'on a reçus. Comment on arrive à allier un militantisme existentiel, c'est-à-dire partir de l'intériorité pour se construire, à un militantisme, on va dire, un peu plus matériel, c'est-à-dire avoir des agendas politiques, mettre en place des actions de désobéissance civile, etc. Mais en fait, réussir à naviguer entre ces... ces deux modes d'action, ou de non-action d'ailleurs, parce que le silence, ça peut être aussi une forme d'action qui est dans le retrait, mais faire tout ça, ça prend du temps. Et je dis souvent que j'aimerais, je rêverais de ça, d'assises où on se rencontre toutes les factions, tous les collectifs racisés sur la question de l'antiracisme, de l'antifascisme, etc., et qu'on... On se dit, ben voilà, sur deux ans, sur trois ans, voilà l'agenda politique. Ce serait bien que toutes nos productions culturelles, audiovisuelles, les films, etc. parlent de telles thématiques. On en choisit, je ne sais pas, deux, trois, et on bombarde. Mais pour ça, pour se préparer à ça, il faut l'ombre. Il ne faut pas avoir peur de l'anonymat, il ne faut pas avoir peur de ne plus nourrir la parole médiatique de son misérabilisme. de nos corps qui disent, c'est-à-dire qui incarnent une part politique, on fait peur. On l'a vu avec Merwan Ben Lazar. Au-delà même de ce qu'il a dit, c'était juste son apparence en tant que corps assisé qui a apparemment excité toute la mécanique d'extrême droite qui veut polir et qui veut effacer nos corps. Et donc, pour ça... Je ne dis pas qu'il faut aller dans un effacement et un silence total, mais moi je prends l'exemple des marrons, je prends l'exemple des guerres anticoloniales au Congo, au Cameroun, où il fallait se réfugier, il fallait marronner, il fallait fuir, partir de la plantation. Et ce n'était pas en jouant du gros cas sur la plantation, en disant bon ben voilà, salut, on y va maintenant. Non, non, c'était pendant la nuit, dans l'ombre, On partait et ensuite, par surprise, on détruisait, on mettait des actions en place pour libérer les autres, etc. Et donc, cette question de l'ombre, c'est Olivier Marbeuf d'ailleurs qui en parle beaucoup, de comment chérir l'écologie de l'ombre, du silence, d'apprendre à se dire, enfin, en collectif, en cohésion, que cette parole prenne plus de poids. Et ça, pour l'instant, j'ai l'impression que c'est le silence qui nous permet de le faire, ce silence, ce retrait, le temps de lécher les blessures et de fomenter des révolutions.

  • Speaker #1

    Tout à l'heure, je te demandais si tu avais d'autres projets en cours et tu me disais que justement, tu avais besoin de te retirer un peu, au moins de laisser et peut-être d'aller plutôt dans la fiction. J'ai quand même l'impression que dans ce besoin de silence ou de retrait, l'art peut permettre aussi de s'exprimer, mais peut-être d'une autre manière. Est-ce que c'est aussi le message que tu aimerais donner Dans ton livre, il y a quand même, ce que je disais tout à l'heure, un mélange entre essai et écriture personnelle, poétique. Est-ce que c'est à travers ça que tu penses que tu pourrais te libérer de cette charge qui pèse sur tes épaules

  • Speaker #0

    Moi, tant qu'on n'est pas tous libres, je ne suis pas libre. Donc, disons que j'arrive à créer un espace en moi pour porter des projets comme ça, pour me présenter face à vous et, comme ils disent en anglais, hold the space, c'est-à-dire pouvoir maintenir la pression que de se faire... La voix de quelque chose, d'un concept, etc., de défendre tout ça, c'est aussi de l'énergie. Mais ma charge raciale, elle ne s'évaporera pas parce que j'aurais écrit de la fiction ou je me serais levée dans le silence seule. Au contraire, en revanche, oui, l'art, dans ce qu'il a pour moi de rituel, de magique, je n'ai pas peur d'employer ces termes, de dames. d'un portail qui convoque l'invisible, oui, parce que ça me reconnecte en fait à... J'arrive à me... à retracer la lignée de pourquoi je suis ici, pourquoi je me sens être le rêve de mes ancêtres. Et c'est par l'art, par la poésie que... En fait, il y a une ligne temporelle que j'arrive à brouiller comme ça. Et je me dis, plus on arrivera à faire des performances aussi collectives, plus on arrivera à brouiller les pistes de comment on dit devoir résister, plus ce sera moins lourd, j'ai l'impression, parce qu'on remettra du souffle dans nos expressions politiques, dans nos revendications, parce qu'on remettra de l'émerveillement à travers les chants révolutionnaires qu'on pourra entonner en manifestation. mais à travers les sorts qu'on lancera aussi à Macron, à travers... Oui, pour moi, rien n'est... On peut jouer de cette dualité-là, on peut essayer de... Parce que plus on se sépare et plus on est fatigué, on est en dissonance dans ce monde capitaliste, et donc retrouver ce souffle-là artistique, j'ai l'impression que c'est ça qui m'allège et qui allège pas mal d'autres personnes autour de moi aussi, clairement.

  • Speaker #1

    J'avais une dernière question, mais ce n'est pas grave. Je te laisse la parole, douce, parce que je me sens que tu voulais partager un petit quelque chose à nos histoires.

  • Speaker #0

    Je voudrais juste lire la fin de l'ouvrage. En général, ça permet de souffler un peu. Depuis le bleu des mythes, la noirceur et la gravité indicibles du monde. Le liant, la chaleur, le mouvement qui fait tourner l'écosystème. Le pesant, la douleur, l'émolument d'où naît la charge de la haine. Quel monde invoqué après l'effondrement de celui que personne ne veut abandonner. La fin de ce monde, prophétie factice entre deux slogans révolutionnaires. La matière noire gluante fuse de mes pores lourds de refus. Partout, la blancheur est louée, collée à chaque atome du fardeau. La fin de ce monde, je l'attends, les jambes bien en face du précipice. L'instabilité, la noirceur, à ce qui pue une promesse. À tous les évadés de la plantation, nous entendons une rumeur converger. Mais qui aura le courage d'évider la société du spectacle, de son divertissement, de ce monde blanc colonial blême de peur et du désir livide de mort noire Qui pourra dire je renonce sur l'autel de la libération Je renonce à ma persona, à mon moi blanc, à mes lignées, à ma réputation, à ma famille, la danse affolante des chiffres de nos... capitaux, l'entre-soi aveugle du noir qui fera tourner nos téléphones, qui remplira les ruines et les rangs écrasés du lupen prolétariat, qui osera donner son sang dans l'abîmé, au seuil de la précarité, qui votera noir face aux lois nécro-existentielles qui ploient nos genoux et notre repos. Et lorsque la terre et la Méditerranée vomiront toutes les mers, les enfants sirènes aux écailles noires d'avoir pleuré la lumière, et lorsque les monstres marins de l'Atlantique verront enfin leur peau translucide tourner au noir amer, et lorsque les arbres auront repris forme humaine après des années d'exil, qui saura embrasser la noirmalité complice Psst Alors c'est le temps des questions du public. On va faire circuler un micro. J'ai une petite demande qui est aussi partagée par 12. C'est d'abord de privilégier la parole des personnes racisées. Avant que les blancs puissent s'exprimer, on change un peu d'habitude, ok ? Donc si vous voulez poser une question, levez la main, un micro va arriver. Et voilà, il faut juste laisser le temps aux personnes de transmettre le micro.

  • Speaker #1

    Merci Douce. Je voulais te dire que j'ai été très touchée par cette question de revenir au corps. parce que nos corps ont été instrumentalisés, utilisés, et que je pense que le premier mouvement qu'on a à faire, et c'est ce que tu disais là, de faire un pas de côté, c'était déjà de se réapproprier notre corps, et de trouver notre place déjà dans notre propre corps, et le fait de faire ce mouvement-là, de fait, dans la société, on sera déjà beaucoup plus visible. Et qu'en reprenant cette place dans notre corps, on va aussi... Il y a la question du silence dont tu parlais. Et je trouvais que dans ce silence-là, on retrouve aussi ce temps où on peut aller prendre soin de notre corps. Et en prenant soin de notre corps, on prend soin du corps de nos ancêtres. Et que si on fait ce mouvement-là aussi, d'aller penser les blessures de nos ancêtres, en mettant un peu de baume sur nos chevilles... et nos poignets, on les soigne un peu eux et finalement on se soigne un peu nous. Et que ça, il n'y a personne qui pourra le faire. Aucune politique, aucune personne extérieure ne peut le faire, il n'y a que nous qui pouvons le faire. Et vraiment, je suis très touchée que le premier mouvement, pour moi, c'est déjà ça. C'est déjà me réapproprier mon corps, penser les blessures de mes ancêtres. Et je pense que... La posture est complètement différente après dans la société.

  • Speaker #2

    Merci. Je voulais juste savoir, quand vous parlez de vos ancêtres, vous parlez de quel background ?

  • Speaker #1

    Moi, mon grand-père est vietnamien.

  • Speaker #2

    D'accord. Je suis en train de m'éduquer vraiment sur la question de la décolonialité et la question du corps et de la terre sont beaucoup, enfin cette question est beaucoup abordée. En revanche, j'ai l'impression aussi que notre lecture de ce que ça veut dire la guérison à travers le corps et le silence et la solitude est très imprégnée d'une vision très individualiste occidentale. Parce que je trouve que c'est déjà porter un poids que de se dire « ce n'est que par moi que je pourrais guérir » . Évidemment qu'il y a une impulsion, évidemment que la curiosité... L'émerveillement, ça se nourrit en général, ça vient d'abord de nous, sinon on ne serait pas individuel, comme des corps singuliers. Mais ensuite, tout le cheminement qui n'est porté que par soi-même, je trouve vraiment que c'est une charge qui peut être difficile à porter. Par exemple, j'en fais plus partie, mais pendant 3-4 ans, j'étais dans une chorale apopéministe. où la question du chant, de la vibration, je me suis rendue compte avec le temps à quel point ça a guéri les choses, par exemple mon diaphragme complètement bloqué, parce que traumatisme dans l'enfance, il y a une guerre civile au Congo, etc. J'ai compris plein de choses, mais parce qu'il y avait des corps autour de moi qui n'avaient pas partagé cette histoire traumatique, évidemment, mais qui... par le fait de se sentir en vulnérabilité, de chanter à la fois dans ce cocon-là, où on guérissait collectivement, et parfois en allait chanter en manifestation, et en récupérait des sous pour tel ou tel collectif. En fait, ça montrait à quel point il y avait cette circularité-là de la guérison, qui, je me suis rendue compte que j'étais un atome, mais qui était en lien avec d'autres atomes, et du coup, ça faisait une onde. et qui circulait et ça créait autre chose que seulement être une particule qui... qui virevoltent dans l'espace seul. Vous voyez, je prends la question des métaphores pour que ça soit plus parlant, mais je suis d'accord qu'il faut ce mouvement-là du corps, qu'il faut avoir conscience, un déclencheur de « Ok, je me mets en mouvement, je me mets en mouvement, mais est-ce que ce mouvement-là s'arrête seulement à moi-même ou est-ce que c'est un jeu qui rencontre un nous ? »

  • Speaker #1

    Voilà.

  • Speaker #2

    C'est pour ça que je voulais préciser. Mais oui, oui, c'est... Enfin, je pense que... Et peut-être que... Et c'est ce que je déplore aussi, c'est que ces discours-là, ce discours-là qu'on tient, moi, je l'entends beaucoup dans la sphère soit spirituelle, mais qui est très individualiste, à mon sens, soit dans le côté artistique, dans les sphères artistiques, mais on n'arrive pas à communier et à faire circuler militantisme. artistique, comme je disais, pour que ce feu-là reprenne, ce feu des affects. Donc je me dis, s'il y a des artistes ici, voilà, merci. Et je sais qu'en général, pour moi, un, une vraie artiste, c'est une personne qui a une conscience politique. Enfin, c'est limite tautologique de dire ça. Parce que pour moi, artiste, ça veut dire forcément conscience politique, vous voyez. Mim. Et de l'autre côté, du niveau du militantisme, on regarde un peu en chien de faïence les artistes, et c'est dommage. Mais vraiment, on a tellement de choses à se dire. Donc j'espère qu'on arrivera à créer des dialogues plus pérennes. Mais merci pour votre partage.

  • Speaker #3

    Bonsoir à tous. Bonsoir, Douce. Je voulais te remercier. Parce qu'en fait, on sort d'un discours de victimisation, et ça fait du bien. Vraiment. Aujourd'hui, je suis fin. Là, ce soir, je suis... D'habitude je suis très fière d'être noire, mais là je le suis encore plus. J'ai plein de questions à te poser, mais je pense qu'on n'aura pas le temps. Étant maman de deux enfants métis, moi je leur apprends l'estime de soi. Ça vient de là en fait. Parce que les métis, ils sont balottés. Pour les noirs, ils sont des blancs. Sauf qu'en fait, pour se construire, c'est compliqué. Et du coup, la question que je me pose, c'est qu'est-ce que tu fais des interventions, par exemple, dans le milieu scolaire ? Première question.

  • Speaker #2

    Eh bien, avec le pass culture, c'est pas près d'arriver, puisque... Voilà. Tu devrais. Oui, il y a eu... Voilà, j'avais comme ça des projets et pour l'instant, ça n'a pas pris, notamment au niveau collège et lycée. J'en ai fait dans le cadre de ma résidence. J'ai une résidence artistique mensuelle. en région centre, à Vendôme, j'interviens. Mais c'est vrai que oui, ça c'est un de mes souhaits, puisque l'éducation populaire, on parle d'éducation populaire, mais si on peut un peu hacker le système de l'éducation nationale, avec plaisir. C'est compliqué, j'ai l'impression, d'y accéder, de mettre en forme toute la bureaucratie, le côté administratif. Pour répondre à cette interrogation-là que j'ai cru déceler, après c'est peut-être une position qui est un peu radicale, et ça a déchiré pas mal dans nos mouvements afroféministes, antiracistes, c'est que la question du métissage, c'est Solène Brun qui a écrit un livre, je pense que vous l'avez lu, et moi je me dis toujours... Une fois de plus, cette question du contre-discours, pourquoi utiliser un terme aussi barbare du métissage ? Qu'est-ce que ça nous dit ? Qu'est-ce qu'on accepte ? Pourquoi on qualifie des personnes avec un terme zoologique, littéralement ? Et si le métissage, si la race n'existe pas, pourquoi le métissage, en général, c'est souvent une personne blanche et une personne noire ? et pas une personne noire du Cameroun ou une personne noire de Centrafrique. C'est un métissage culturel, non ? En fait, c'est quoi le curseur ? Qu'est-ce qu'on accepte ? Ça, c'est les critiques que je ne vais pas forcément développer parce qu'on n'a pas le temps. Et aussi, quand j'étais à Moissy, c'est un collectif afroféministe qui existe toujours, on avait pris le parti de dire que les personnes noires étaient des personnes métisses, étaient des personnes noires parce que ... La société ne pouvait pas s'empêcher de les... notamment la France, de les altériser et de les renvoyer à quelque chose de différent. Mais indifférent qui est exotique, qui n'est pas du côté de la blancheur, parce que vous n'êtes pas tout à fait comme nous, parce que vous avez quand même un peu quelque chose de trouble de ces gens-là-bas, de la noirie. Et donc, on disait, oui, certes, les personnes métisses peuvent bénéficier, entre guillemets, de certains privilèges avec le colorisme et tout ça. Mais en attendant, nous sommes dans le même bateau. Et donc, nous, on parlait plutôt de personnes afrodescendantes. Et donc, peut-être qu'à travers ce curseur-là, comment on arrive à déplacer avec la définition, l'autodéfinition aussi, ça peut peut-être aussi aider. Parce que si on est afrodescendant, afrodescendante, on hérite de quelque chose, on se sait appartenir. à quelque chose de géographiquement situé, donc l'Afrique, comme avec les Afro-Américains. Et donc la question du mestissage, elle peut être un peu, oui, mise de côté, parce que bon, est-ce que je suis à 50% ceci, 50% cela ? Ben non, t'es afrodescendante. Moi aussi, je suis afrodescendante, mais j'ai la peau foncée, mais toi, t'es afrodescendante, t'as la peau un peu plus claire. Bon, voilà. Après, culturellement... Ça s'apprend. Est-ce qu'il y a un parent qui est plus présent que l'autre ? Est-ce qu'il y a un vide par rapport à ça ? En termes culturels, c'est autre chose. Mais sur la définition même de qui on est en termes d'identité, de race sociale, on avait pris ce parti-là. Après, vous voyez ce qui vous sied.

  • Speaker #3

    Merci. Tu comptes te présenter aux prochaines élections ou pas ?

  • Speaker #2

    Jamais ! Le piège !

  • Speaker #4

    Bonsoir. Du coup, je voulais juste rebondir sur un truc. Tout à l'heure, la dame a parlé de la notion de victimisation. J'ai un peu du mal avec ça. Moi, je suis née en Italie, j'ai grandi en Italie. Je suis arrivée en France à 15 ans. Et en fait, jusqu'à maintenant, je n'arrive pas à comprendre en quoi dénoncer, même si ça emboucle quelque chose, c'est se victimiser parce que... En fait, on a tous des notions, enfin, on a des sensibilités très différentes. Moi, je suis née dans un pays ou dans une ville où je voyais des gens venir faire du pèlerinage pour voir la tour de Mussolini. Depuis que je suis enfant, j'ai appris que j'étais noire avant de savoir que j'étais moi. Et en fait, à un moment, j'étais tellement détachée de moi, enfin, de mon moi en tant qu'être humain, que ça ne m'affectait plus. Non, parce que j'étais habituée ou parce que c'était bien, c'est juste que... C'était tellement douloureux que je n'arrivais plus à en parler. Et quand je suis arrivée en France, j'ai voulu me réapproprier ce côté africain parce que j'étais très détachée. Du coup, quand je suis arrivée à la fac, j'étais vraiment beaucoup avec des jeunes de la diaspora, etc. Et bizarrement, c'était eux les premiers à dire, ah bah oui, vous les enfants de la diaspora, vous êtes très dans la victimisation, vous vous plaignez tout le temps et tout. Et en fait, à chaque fois, ce truc de devoir expliquer aux gens... « En fait, toi, tu as compris que tu étais noire quand tu es arrivée à l'aéroport. » Alors que moi-même, avant de naître, cette notion était là pour me protéger. Du coup, la notion de victimisation, ce n'est pas une critique. Je ne la comprends pas. Je ne sais pas ce que ça signifie. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ça s'est utilisé comme argument. limite pour décriviliser quelque chose ou même contre-argument, je ne comprends pas.

  • Speaker #2

    Oui, en fait, vous avez raison de pointer ça du doigt que c'est souvent les personnes de la diaspora qui vont avoir ces réflexes-là. Et j'ai eu des discussions avec des intellectuels, ou en tout cas des personnes engagées sur ces questions-là, panafricaines, etc. Et en fait, la manière dont elles abordent la question du racisme, ça va être plutôt sur la volonté de puissance. Elles se disent, voilà, on a fait le constat, c'est comme ça, ce pays ne nous appartient pas, on est là pour ci, on est là pour ça. Ensuite... nous on aimerait bien retourner en Afrique ou si c'est pas un retour mais qu'est-ce qu'on peut faire pour s'émanciper économiquement politiquement etc et en général C'est une posture que je trouve viriliste, puisqu'en général, ce sont des hommes noirs qui vont adopter cette posture-là et qui vont nous renvoyer cette question de la victimisation. Sans comprendre que le fait de, je dirais, brûler les étapes, même si ce n'est pas le terme adéquat, mais il y a comme un tabou. sur le fait, une fois de plus, de l'intériorité, de se rendre compte, ah non, mais psychologiquement, ça nous impacte, et c'est pour ça qu'au sein même de nos communautés, on reproduit, on produit des violences, parce que le pays dans lequel on vit est déjà assez violent contre nous, mais toi, en tant qu'homme noir, en tant que personne de la diaspora, tu te coupes de cette part de l'intériorité, tu ne vois pas toutes les... justement toutes les discriminations, toutes les micro-agressions, toute la violence raciale de la police, parce que tu es dans un discours intégrationniste, il y a un moment où ça explose. Il y a un moment où, littéralement, ça explose. Cette question de l'intériorité, où par exemple les jeunes de banlieue qui, beaucoup, n'ont pas accès à cette... à cette parole de l'intériorité. On ne va jamais donner beaucoup l'occasion aux jeunes garçons racisés de parler de ça, de leur santé mentale. Et ce sont... En région parisienne, la majorité des personnes en hôpital psychiatrique, ce sont des jeunes de banlieue qui n'ont pas eu... d'accompagnement qui n'ont pas eu donc la question de la masculinité revient beaucoup sur les masculinités racisées minorisées notamment qu'est ce que ça veut dire de ne pas avoir accès à cette intériorité là et donc ça cristallise énormément la question de la victimisation mais littéralement nous sommes victimes qu'est ce que je mets vertu à dire à chaque fois nous sommes victimes parce que ben en fait dans un état de droit quand il ya une discrimination ça veut dire qu'il ya quelqu'un qui discrimine il ya quelqu'un qui est discriminé donc victime en revanche évidemment Si on dénonce, si on constate, on dénonce et on se bat contre ça, ça veut dire qu'on a conscience de notre état de victime, mais qu'on n'est pas OK, qu'on n'est pas d'accord avec ça, que cette colère, elle vient nous dire ceci n'est pas normal. Donc, on va dénoncer. Et rien que ça, ce n'est pas accepté dans nos milieux. On nous fait comprendre que dénoncer ces injustices, c'est quémander, en gros. C'est quémander de la justice, alors que non, on l'exige, bien au contraire. Et donc, c'est peut-être pour ça que, oui, cette question de la victimisation, elle revient beaucoup. Mais moi, je n'ai pas honte de dire que oui, non, je suis victime du racisme. Je suis victime du sexisme, je suis victime de plein de choses. Et c'est pour ça que je m'engage littéralement tous les jours à dénoncer et à dire je ne suis pas d'accord. Je suis en rupture. Je vais déranger. Je vais vous embêter jusqu'au bout. Tant que ça continue, moi, je continue aussi à dénoncer. Je ne sais pas si c'est... Après, est-ce qu'il y a des bonnes victimes, des mauvaises victimes ? Ça, c'est encore une autre question. Est-ce qu'il y a une ou deux questions pour terminer ?

  • Speaker #5

    Bonsoir à tous, bonsoir Douce, merci en tout cas pour ton ouvrage. Moi, je n'ai pas lu ton livre, mais je te suis sur les réseaux sociaux. Et je me suis rendu compte en fait que parfois on s'adapte tellement à l'environnement, à son travail, qu'on oublie en fait qui on est, en fait, dans son origine. Et moi, j'ai juste une question, je ne sais pas si tu en parles dans ton livre. Est-ce que tu penses que les personnes noires se sont adaptées, ou du moins se sont suradaptées aussi parce que dans certaines cultures africaines, donc noires, on a eu des croyances ? religieuse au niveau des religions importées. Et on a aussi oublié notre spiritualité africaine. Ce qui fait que comme on n'en a pas, on va aussi se comment dire, se rapprocher des religions importées. Et on peut avoir aussi, comme tu parlais de dichotomie, de se dire mais en fait, je crois quoi ? Est ce que je crois en moi ? Est ce que je crois en mes ancêtres ? Est ce que... Enfin voilà, c'est un petit peu une grosse question qui est aussi quand même assez personnelle. Mais à force de s'adapter, moi je me suis rendu compte que je me suis un peu trop adaptée au niveau de mon travail, au niveau des gens que je côtoie. Et des fois on s'oublie en fait. Est-ce que tu parles de ça dans ton livre ? Parce que je trouve que c'est un sujet qui est quand même assez... pour moi, important, et qui est l'essence même de qui on va être, en fait. On nous a quand même beaucoup empêchés de croire en nous, en fait. Et voilà, donc c'est une question. Merci.

  • Speaker #2

    Merci à toi. J'en parle pas spécifiquement dans le livre en termes de, voilà, un chapitre dédié, tout ça. J'en parle à la fin, quand je parle des solutions. vers quoi on se retourne. Et je dis qu'en gros, en général, en tout cas dans ma conception de l'avenir, du « progrès » , c'est qu'on est dans un temps occidental qui nous fait croire que le futur est à conquérir. Donc, tout ce qu'on fait en termes de militantisme, de changement, de révolution du quotidien, etc., se doit d'être linéaire avec cette vision de très hiérarchiques, de même des religions qui nous traversent, on ne s'en rend pas compte, d'ascensions. Apparemment, on est en bas et on doit aller quelque part. Ça, c'est des constructions qui sont des religions dites abramiques. Et je dis qu'en fait, ce qu'il nous reste à faire, c'est de nous souvenir. Et donc, ce souvenir, c'est regarder vers le passé, mais pas seulement en tant qu'État. état victimaire permanent, c'est-à-dire nostalgique, c'était mieux avant, on était idéalement les rois, on inventait tout ce qu'il faut, dans une vision un peu afrocentrique du passé de l'Afrique, quoi que ça veuille dire. En revanche, nous souvenir, ça commence déjà par ce temps que moi je considère cyclique et qui... qu'on peut « mesurer » à travers l'anthropologie, où on voit que dans certaines sociétés, en Afrique, en Asie, le temps, lui, est cyclique, c'est-à-dire qu'il revisite le passé. Et donc, à partir du moment où on se dit « tiens, ma présence ici sur Terre, c'est le continuum de mes ancêtres, Qu'est-ce qu'ils pensaient ? Est-ce que je peux interroger ma mère ? Est-ce que je peux interroger ma grand-mère ? Si j'ai la chance encore d'avoir mes grands-parents autour, à quoi ils croyaient ? Quels étaient leurs rituels, leur manière de concevoir la vie ? Est-ce qu'ils avaient des livres fétiches ? Est-ce que je peux les retrouver ? Est-ce que je peux enregistrer ces bibliothèques vivantes tant que j'ai l'occasion ? Pour moi, ça c'est déjà de la spiritualité pour moi. Et notamment, comme je disais, à travers l'art. Et donc, d'aller faire ce travail archéologique du soi, non pas dans un besoin nombriliste, mais pour comprendre ce qui se répète à travers cette spirale du temps, de l'histoire, de ce qu'on vit, de ce qu'on croit inventé, mais en fait, on hérite de choses, etc. Et ça, pour moi, c'est déjà... Après, si on a la chance, l'occasion d'avoir accès à des archives, d'avoir accès à des connaissances au niveau traditionnel, oui. Pourquoi pas se reconnecter à ça ? Mais de manière individuelle, j'ai l'impression qu'il y a des choses dont on ne peut plus avoir accès de cette Afrique que parfois on idéalise. En revanche, oui, de manière sociale, sociologique, les nations en Afrique, je vais parler du Congo que je connais, il y a une spiritualité qu'on appelle Congo, avec un K, qui a été aussi une spiritualité anticoloniale, notamment par une... militante prophétesse Kimpavita qui, elle, s'est levée et qui a levé un mouvement anticolonial par la spiritualité Congo. Oh, désolée, je parle beaucoup. Et donc, voilà, ça ensuite, on peut au niveau sociétal, on pourrait en parler mais c'est vrai qu'on a été déconnectés de ça et que ça nous a voilà. En termes d'épistémologie, de manière du rapport à la nature, aux autres, à la politique. Mais oui, je m'intéresse à ces sujets-là, donc ce sera peut-être un prochain ouvrage. Merci.

  • Speaker #6

    On prend une dernière question. Alors, bonsoir, merci encore pour ce moment-là. Je vais essayer d'être rapide sur un petit témoignage et une question par la suite, par laquelle tu as déjà partiellement répondu. Je suis rayonnaise. Et rapidement, pour... Une partie, ils savent déjà, mais moi, ma charge raciale, c'est tous les jours. au quotidien. C'est avoir un rayon ethnique pour mes produits cosmétiques et cheveux qui sont plus chers. Trouver un médecin généraliste ou gynécologue qui connaît aussi les maladies liées à mon héritage d'ADN, enfin à mon héritage génétique. Trouver un dermatologue qui va pas trouver que mes marques de pigmentation c'est une maladie ou de la nécrose. C'est être en hyper vigilance à chaque soirée parce que les gens vont mettre leurs mains dans mes cheveux sans mon consentement et ne pas être trop agressif parce que sinon on va me dire que je suis trop sauvage, je suis la femme noire qui se rebelle. C'est plein de petites choses comme ça au quotidien, des remarques clichés qu'on est obligé de garder et qu'on ne peut pas se décharger avec un conjoint blanc. Et que si on se rassemble avec des gens de notre communauté, tout de suite c'est mal vu. parce qu'on veut s'isoler. Et c'est aussi, on parlait pour ce que le corps garde, se réveiller d'un cauchemar ou de crise de pleurs, en ayant en soi une rage et un mode de survie qu'on sait qui ne nous appartient pas. Mais en même temps, on me fait comprendre que je suis métisse, comme si c'était un 50-50. et que portant le sang de l'esclave et du volontaire ainsi que du bourreau, du colon, je devrais prendre ça de façon positive et avancer. Et en fait, je voudrais savoir quelle posture aussi avoir ça quand moi, ma charge raciale est beaucoup plus forte que je pense que la touche de blanc que j'ai. Quand par exemple j'ai la boule au ventre parce que j'ai pas ma pièce d'identité quand je sors la nuit ou que j'ai dû apprendre et m'entraîner sur un comportement et un discours à avoir quand j'ai habité aux Etats-Unis au cas où je rencontre la police. Donc quelle posture à avoir quand on en a marre aussi d'éduquer les gens en face et pas se dire que je suis 50-50. Parce que ce que je vis au quotidien, c'est pas du 50-50.

  • Speaker #2

    Merci. C'est ce que je disais par rapport, oui, au terme du métissage et à quel point c'est pernicieux, en fait, de nous... Enfin, quand je dis nous, c'est en tout cas les personnes afrodescendantes et donc les personnes dites métisses d'être renvoyées. Ah, bah tiens, il y a quand même cette part-là de privilège, donc regarde, ça devrait être bien. Évidemment que de manière... Si on comparait entre toi et moi, il y a des choses que je vivrais à cause du colorisme que tu ne vis pas. Mais pour la société encore traversée par son racisme, aux États-Unis comme en France, on fait partie de la même équipe. Et donc moi, j'ai envie de te poser la question. Qui es-tu ? C'est la question de toute une vie. J'en ai conscience. Vraiment. Et d'aller creuser en radicalité. Et quand je dis radicalité, c'est pas de la colère, c'est pas de la rage, c'est... C'est un choix, en fait. Et ce choix-là, c'est... J'ai envie de dire, ce n'est pas parce que tu vis une charge raciale plus forte que tu te définis par rapport à cette charge raciale-là. C'est qui je suis, qu'est-ce que je porte, qu'est-ce que j'ai envie de léguer en termes d'héritage collectif par rapport à comment je me lis à mes communautés. Et à partir de là, il y aura peut-être un peu de soulagement aussi. Parce que finalement, la charge raciale, elle ne va pas changer. Je dirais que ce sera la même. En revanche, la manière dont tu vas incarner, t'ancrer dans cette identité-là, qui pourra forcément évoluer parce qu'on grandit avec notre prise de conscience, etc. Je pense que ça va apporter quelque chose de soulageant. Après, pour la pédagogie, ce que je dis, quand je suis payée, j'éduque. Quand je ne suis pas payée, je me tais. Merci à toi. Force.

Description

Douce DIBONDO est essayiste et poète. Française d’origine congolaise, elle utilise ses expériences pour explorer des sujets de société avec un regard critique et ouvrir des espaces de réflexions sur les oppressions. Autrice de deux recueils poétiques, Métacures, et Infra/seum : une poésie fâchée avec tout le monde, elle a également publié en 2024 La charge raciale, vertige d’un silence écrasant. Elle est également connue pour son podcast « Extimité », créé avec Anthony Vincent (journaliste mode et militant queer), dans lequel ils donnent la parole aux personnes minorisées à la jonction de plusieurs rapports de dominations (racisme, misogynie, handiphobie, homophobie, transphobie).


« Toutes les personnes racisées sont des génies de l’adaptation. Penser à ne pas paraître « trop » noire, arabe ou asiatique, adopter une manière de parler, de s’habiller, de rire, réfléchir aux musiques choisies en soirée, renoncer à porter des capuches pour éviter la police… Bref, la charge raciale, c’est tout planifier quand on évolue dans des milieux majoritairement blancs et qu’on ne l’est pas. »


Le racisme aurait-il deux têtes ? Celle de la violence explicite, brutale, cyclique des morts et des agressions qui s’accumulent de la Méditerranée aux quartiers populaires. Puis celle d’une violence banale, plus taiseuse, qui se niche dans les relations quotidiennes et entrave la construction de son identité. À travers le concept de ‘charge raciale’ qu’elle emprunte à Maboula Soumahoro, elle questionne le manque de mot mis sur ce mal partagé par les personnes racisées : quotidiennement, les personnes non-blanches subissent des assignations raciales ou des micro-agressions et doivent non seulement endurer ces violences mais aussi prendre sur elles pour trouver des issues sans heurt à ces situations. Douce DIBONDO mêle psychanalyse, art et témoignages pour en montrer tout l'impact.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Dans le cadre du cycle de conférences Voix Off, la Ville de Grenoble vous propose d'écouter une discussion avec Douce Dibondo, essayiste, poète et podcasteuse, qui nous parle de son livre intitulé La charge raciale

  • Speaker #1

    Bonsoir tout le monde, on est très très heureuse de vous voir aussi nombreux, c'est assez impressionnant, ça fait très plaisir. Alors je vais commencer par me présenter, je suis Iris Ouédraogo, journaliste et documentariste sonore. Je suis aussi coprésidente de l'Ajart, qui est l'association des journalistes antiracistes et racisés, qui a pour but de lutter contre le racisme dans les médias. Donc ce soir on va discuter pendant une heure avec Douce Dibondo et puis on vous laissera la parole ensuite pendant une demi-heure si vous avez des questions, des remarques. à échanger. Alors je vais commencer par présenter 12Dibondo. On a décidé de se tutoyer, voilà je vous préviens. Donc 12, tu es écrivaine, poétesse, essayiste et militante et tu t'es fait connaître en 2018 avec la co-création du podcast Extimité qui donne la parole à des personnes minorisées à l'intersection de plusieurs oppressions. Tu as publié plusieurs ouvrages chez Blast Éditions de recueil de poésie. Métacure et infrasum, poésie fâchée avec tout le monde et tu as participé au recueil Fruits de la colère, embraser nos débordements Et l'ouvrage au cœur de notre conversation ce soir, c'est donc La charge raciale qui est sorti l'année dernière chez Fayard. Alors, ce que je vous propose pour commencer, c'est déjà de vous lire un petit extrait et puis on va en discuter ensuite avec douce. Lorsque ta collègue Eleonore t'invite à un apéro chez elle, tu hésites toute la journée. Tu sais que tu es la seule personne noire de son entourage. Tu hésites à y aller, tu pèses le pour et le contre. Tu ne sais pas à qui tu as affaire politiquement. Que redouter le plus Une soirée avec des blancs et blanches de gauche, un peu paternalistes sur les bords, qui te raconteront leur voyage au Mali, quand tu auras à peine évoqué les origines de tes parents centrafricains Ou débarquer en plein milieu d'une bande d'apolitiques, donc de droite, persuadés que le seul problème de la France, c'est l'économie et la perte des valeurs le déclin de la méritocratie. Bingo, tu gagnes le lot des paternalistes de gauche. Tu anticipes les questions sur tes origines, tu crains les blagues sur la musique de chez toi, tu es pétrifié à l'idée d'éventuels débats sur la classe avant la race. Tu comprends à quel point la spatialité coloniale n'est pas seulement dans les statues et les noms de rue. Dans cet espace intime, ta présence fait tâche, elle crie l'absence et l'anomalie, sans que personne d'autre s'en rende compte. Arrive le moment de choisir la musique. Tu évites de mettre de l'afro ou du rap. Tu te souviens de la menace du stéréotype. Tu ne veux pas le confirmer, ni pour toi, ni pour toutes et tous les autres noirs que tu es censé représenter. Alors j'ai choisi cet extrait parce que je me suis beaucoup retrouvée dans ce monologue intérieur et je trouve que c'est une manière de rendre compte de toutes les réflexions qui sont assez intimes et compliquées à retranscrire pour des personnes qui ne les vivent pas. Et je trouve aussi que c'est un extrait qui représente bien ce livre, et c'est très documenté et aussi une écriture très personnelle et très percutante. Et donc pour commencer, avant peut-être que tu nous expliques comment tu as eu l'idée de faire ce livre, est-ce que tu pourrais nous définir ce que tu entends par la notion de charge raciale

  • Speaker #0

    Merci déjà de ce souvenir, et ça m'a beaucoup replongée dans... dans l'état dans lequel j'écrivais cet extrait, entre humour cynique et réalité un peu fracassante, puisque c'est ce qu'on vit, que j'ai vécu, même si ce tu essaie de mettre de la distance entre moi et cette charge raciale. Oui, la charge raciale, en fait, quand je rencontre ce terme-là, j'ai idée de ce que ça veut dire, mais c'est très nébuleux pour moi, c'est cette hyper-vigilance. C'est la manière dont les personnes noires, les personnes racisées se doivent de scanner leur environnement pour ne pas correspondre justement aux stéréotypes par la peur de décevoir ou de confirmer certains préjugés par rapport à notre couleur de peau. C'est une manière de se suradapter en société, dans un environnement majoritairement blanc. C'est une charge qui est à la fois historique... à cause du passé colonial esclavagiste de l'Occident. Mais c'est aussi une charge qui se vit dans le présent, à travers notre rapport aux institutions. Aux institutions qui sont censées nous alléger la vie en société, les institutions que sont la police, que sont le système médical, mais aussi la famille, le couple, les relations interpersonnelles. Et enfin, cette charge très intime que je nomme une charge intra-personnelle qui se vit dans l'intimité de soi-même à soi-même. Comment l'on se voit quand on se regarde dans le miroir Qu'est-ce qu'on a intériorisé de nos traits, de notre couleur de peau, de nos cheveux, de notre ascendance Qu'est-ce qu'on voit de l'avenir Est-ce qu'on se sent capable de faire advenir un enfant noir ou un enfant racisé dans ce monde Voilà, c'est toutes ces questions qui traversent cette charge raciale-là, qui n'est pas seulement de l'ordre individuel, mais qui est toujours en mouvement entre cette part intime de nous et l'extériorité, la société, l'histoire, l'humanité, en gros.

  • Speaker #1

    Justement sur la question des enfants, il y a un exemple que tu donnes pour expliquer comment ça se manifeste concrètement dans la vie des personnes racisées, cette charge raciale. Et j'ai trouvé que c'était un exemple intéressant parce qu'il n'est pas souvent abordé, c'est celui de la PMA. Est-ce que tu pourrais développer comment est-ce que la charge raciale, elle peut se représenter concrètement dans ce domaine-là, peut-être pour que ce soit plus clair pour les personnes non concernées

  • Speaker #0

    Oui, alors. Pourquoi j'aborde la question de la PMA C'est évidemment un angle mort, pour ne pas dire un angle noir, de cette question de la procréation. Déjà, je vous donne schématiquement le design, ou en tout cas la manière dont on a construit le livre. On part d'une charge qui est historique, on se rapproche de plus en plus du quotidien, notamment avec cet exemple et cette narration avec un tu. Et puis, je montre à quel point aussi, à partir de... nos interactions, du couple, il se joue une charge raciale qui est sexisante. Donc en tant que personne, donc femme noire, si je suis en couple avec une personne blanche, cette charge raciale-là va ressortir, parce que la question du racisme est souvent tue, mise de côté, gaslightée par les partenaires blancs qui ne comprennent pas ce qu'on vit, nous soupçonnent d'exagération, nous soupçonnent de victimisation. Et donc ensuite j'aborde la question de la famille et de la charge intracommunautaire, en abordant à quel point, au sein même de nos familles, nous sommes souvent tiraillés entre cette culture de France, d'Occident, et ce qu'on est censé être comme vrai noir, comme vrai racisé. Et puis j'aborde la question du métissage, qui à mon sens est aussi une manière d'acculturer et d'avoir une injonction. par rapport à la famille noire. Je montre à quel point les politiques de messissage à travers le cinéma, à travers les œuvres qu'on nous vend, qu'on nous montre, sont des manières aussi de peindre un communautarisme qui n'existe pas. Au cinéma français notamment, voir un couple fait de personnes noires ou de personnes racisées, asiatiques, arabes, etc. Ça n'existe quasiment pas. Il faut de la blancheur pour légitimer. nos présences à l'écran. Donc j'aborde la question du métissage et ensuite je montre à quel point ces politiques publiques ces politiques culturelles sont aussi une manière de détruire la famille et donc enfin la question de la PMA comme dans toutes les sphères de la société il y a un déséquilibre en termes de discrimination quant à la procréation Il y a quelques années, j'avais écrit un article là-dessus en montrant que pour une femme hétéro blanche, il fallait entre deux à quatre ans d'attente pour obtenir justement des ovocytes pour avoir un enfant. Et pour une femme noire, il en fallait le double, donc soit entre quatre et huit ans. La PMA, désormais, a été promue, elle est légale. Il y a des conditions qui sont faites pour que le processus soit accéléré. Et pourtant, en termes de décision des médecins, les médecins peuvent demander à un couple de deux personnes noires, peuvent soit pousser à ce que les parents, ou en tout cas les futurs parents, s'accommodent d'un nouveau site blanc, parce que là, vous allez attendre beaucoup trop longtemps. Et si vous voulez vraiment un enfant, il n'y a pas le choix. Ou sinon... Quand les parents veulent bien accueillir un ovocyte blanc et avoir un enfant métis, ça va être mal perçu. On va dissuader souvent les parents en disant que le critère d'appareillement, qui n'avait pas été encadré par la loi, c'était au médecin de décider si c'était génétiquement compatible d'avoir un enfant. métisse de deux parents noirs et que ça pouvait troubler le psychisme de cet enfant blanc mais ce n'est jamais le cas quand il y a deux parents blancs qui vont adopter par exemple un enfant en Afrique là la dynamique n'est jamais questionnée en termes de peut-être du psychisme de l'enfant, de ce que ça veut dire socialement, communautairement etc et donc je montrais à quel point il y a des politiques même au sein de la famille noire Enfin, au sein de la famille et en tout cas au sein de l'État, il y a des politiques pour une destruction, une déstructuration de la famille à travers la PMA, mais pas que. Et donc, c'était aussi une critique de ce slogan qu'on entend souvent dans le féminisme de détruire la famille. Il faut détruire la famille, il faut abolir la famille. Mais oui, mais laquelle Parce qu'en tant que famille minorisée, minoritaire, cette question-là, c'est dans cet espace de la famille noire que je... je peux me décharger de cette charge raciale, parce qu'au sein de ma famille assisée, je me protège de l'État. Il y a des violences familiales, évidemment, on le sait, on les combat aussi, mais posons-nous la question de quelle famille on parle quand on parle d'abolir la famille. Je trouvais que c'était important de mettre l'accent sur cette question de la PMA, qui n'est pas vraiment abordée en termes de charges financières, émotionnelles. en termes de discrimination, des fois lesbophobe, raciale, etc.

  • Speaker #1

    Effectivement, je trouve que c'est un bon exemple aussi pour saisir que ce qui est déjà une difficulté importante d'accéder à la PMA pour beaucoup de couples, et encore plus pour des femmes seules ou pour des couples de femmes, il y a une charge en plus pour les personnes racisées qui est effectivement très peu abordée. Et ça veut dire concrètement, lorsque les personnes vont à leur rendez-vous, elles vont peut-être... déjà avoir en tête, déjà devoir se préparer mentalement à d'éventuelles discriminations, d'éventuelles remarques, etc. Ce que j'aimerais savoir à propos de ce concept de charge raciale que tu développes dans ton livre, c'est comment est-ce qu'on fait pour décrire quelque chose qui est aussi intime et aussi personnel à des lecteurs qui vont être concernés, pas concernés, même qui vont parfois être concernés mais ne pas... avoir conscientisé les choses en tant que telle. Ça m'intéresse un peu cet exercice aussi d'écrivaine, de réussir à expliquer quelque chose d'aussi intime. Comment est-ce que tu as fait

  • Speaker #0

    Je pense que c'était vraiment... Déjà, je n'aurais pas pu écrire cet ouvrage si je n'avais pas fait un travail de conscientisation, un travail émotionnel. Parce que c'était... super difficile de porter justement la charge de ce livre qui n'avait jamais été écrit, sur ce concept qui pourtant traverse des millions de vies en France et en Occident. Et je me suis sentie, oui, un peu écrasée déjà par cet acte-là, et en même temps cette urgence à me dire, mais depuis 2019... L'année où je rencontre ce terme, sous les mots de Maboula Soumaoro, jusqu'en 2023, où je prends la décision d'écrire ce livre, il y a des balbutiements, il y a des choses qui sont dites, il y a des articles dans le milieu militant. La charge raciale apparaît, mais de manière plutôt descriptive. Or, je me rends compte que même déjà en 2019, quand j'écris un article et que je reçois une vingtaine de témoignages via Twitter RIP, Rest in Peace, je me dis, mais wow, ok, je n'ai pas rêvé. C'est une réalité. On est tous traversés par ce poids-là. Mais le temps passe et il n'y a pas de recherche universitaire qui s'empare de la question. Donc quand je me mets face à mon syndrome de l'imposteur et que je me dis, bon, ben, on y va. Je suis à la fois sûre de moi, parce que je sais que c'est quelque chose qui me travaille depuis... Ouais. Trois ans. Et puis, je sens qu'il y a une fragilité parce qu'il faut repartir, il faut repartir, aller creuser dans les archives de violences policières, de violences médicales. Je l'écris aussi, évidemment, en plein génocide en Palestine. Et donc, il y a des choses que je n'ai pas pu dire parce qu'un livre, ce n'est pas infini. Il fallait faire des choix. Et donc, cette question-là de... de l'empathie, de l'apathie, de comment les corps racisés sont sont fongibles, sont de la chair qui nourrit l'humanité, qui nourrit l'Occident, qui nourrit une géopolitique du silence, de l'apathie, ça me traverse de la première phrase jusqu'à la dernière phrase. Et parce que peut-être j'ai cette formation à la fois en sociologie, et aussi de poète, je ne fuis pas cette fusion-là des mots. Je ne fais pas de dichotomie entre ma raison, l'objectivité, la neutralité, etc. Et ce qui semble pas très important, ou en tout cas délaissé, quand il s'agit d'écrire des essais, c'est-à-dire d'aller creuser avec l'intime, d'aller creuser avec la blesse dont je parle, avec la blessure, et d'aller jouer avec ça et de se dire qu'il y a des choses qui vont sortir. Et je vais offrir ça à la lecture, tout en apportant aussi des faits, des sources, de la documentation. Parce que l'un ne va pas sans l'autre. Pour parler de charges raciales, je ne pouvais pas me faire l'économie de ce qui nous traverse à chaque instant. Il fallait que ça se ressente. Et j'ai compris avec les discussions, avec les retours que j'ai eus de personnes racisées qui me disaient souvent Merci pour ce livre, mais je ne sais pas si je vais pouvoir le lire tout de suite. Et j'ai compris à quel point cette phrase-là, elle disait tout du vertige que c'était cette charge raciale pour nous.

  • Speaker #1

    C'est vrai que c'est intéressant parce qu'effectivement, je dois dire que je ne l'ai pas lu avant notre discussion. Parce que je savais justement que ça allait être difficile à lire. Alors que finalement, au contraire... pour les personnes racisées qui ne l'ont pas encore lu. Je dois dire que ce n'était pas si douloureux, mais plutôt libérateur. Mais on en parlera un peu plus tard. Alors, je voulais que peut-être tu nous racontes un petit peu aussi ton parcours à toi, avant qu'on creuse un peu plus dans tous les concepts que tu développes. Tu parles du fait que toi, tu es arrivée en France à l'âge de 12 ans. Donc, contrairement à beaucoup de récits de personnes racisées qu'on peut déjà entendre, tu n'as pas forcément eu ce choc de réaliser, toute petite, que tu étais noire, parce que tu n'as pas évolué dans un espace blanc. Et est-ce que tu as peut-être envie de nous raconter, quelles sont les stratégies que toi tu as adoptées, pour conjuguer avec cette charge raciale quand tu es arrivée en France, comment est-ce que ça s'est passé pour toi

  • Speaker #0

    Évidemment, je mets des mots d'adulte sur la moi de 12 ans, quand j'arrive en 2005 en France. J'arrive en Essonne, j'ai 12 ans, je suis en quatrième et je découvre un monde, littéralement un monde, dont je ne comprends pas les codes et qui me renvoie tout de suite, non pas seulement à ma couleur de peau, mais à la blédarde. Parce qu'au sein même de ma communauté, des personnes noires et des personnes racisées en général, évidemment, il y a des hiérarchies aussi. Et donc, moi qui arrive avec, sûrement un accent, je ne m'en rendais pas forcément compte, mais qui aussi parle plutôt bien le français, enfin, je suis un peu une anomalie. On me dit, mais tu n'es pas censée, pourquoi tu parles le français aussi bien Je me dis, mais en fait, le Congo-Brazzaville est une ex-colonie de la France. Et en fait, c'est une camarade du Congo RDC qui m'en parle. Et je me dis, mais donc en France, en fait, les gens ne sont pas instruits ou quoi Qu'est-ce qui se passe Non, vraiment, je m'interroge. Et donc, je suis tout le temps renvoyée comme ça à une Africaine qui n'est pas censée être éduquée, qui n'a pas les codes vestimentaires, etc. Et donc, la quatrième, c'est compliqué. La troisième... Je me suradapte et je crée un masque. sociale, je porte ce qu'on appelle en psychologie un faux self. Je me dissocie totalement de ma culture congolaise, j'adopte tous les codes de ce qui est censé être la culture française, puisque je débarque à Orléans, c'est pour vous dire. C'est compliqué, la ville de Jeanne d'Arc qui a été complètement récupérée. Et donc, je ne sais pas, à l'époque, c'était les Ben Simon, le Saclon-Champ, tout l'appareillage. Et en fait, j'efface toute cette identité-là et je diminue aussi cette part de Bounty. Vous savez, le Bounty, c'est noir à l'extérieur, blanc à l'intérieur. Parce que parler d'une certaine manière... Avoir des codes culturels, s'intéresser à plein de choses, c'est perçu comme ne pas être une vraie noire. Donc j'efface tout ça et je me rebelle aussi beaucoup contre les professeurs qui voient en moi une élève à la dérive sans comprendre le harcèlement que j'ai évité et pourquoi justement je sors de cette posture-là de la petite fille intello, etc. Et puis le temps passe, là c'est plutôt à l'université pareil aussi, je vais en sociologie. Et là, le monde universitaire, qui pour moi était censé être un monde d'ouverture, de curiosité, de pensée critique, je tombe des nues, avec des professeurs vraiment libidineux sur les corps des femmes noires qui nous sont présentées sur des grands écrans, où il y a tout le paternalisme de l'ethnologie, de l'anthropologie, etc. pas les mots pour me défendre. Je sais qu'il y a quelque chose qui coince, mais je n'arrive pas à verbaliser tout ça. Et puis, le monde du travail, du journalisme, est-ce que j'ai besoin de creuser la question de qui sont les journalistes qui sont mis en avant Quels sont les sujets Comment nos sujets sont retransformés, ne sont pas pris en compte, etc. Je me rends compte qu'en effet, c'est bien plus large que ça. La sociologie m'a permis de comprendre qu'il y avait des déterminismes de classe, mais à l'époque, cette question de... la race sociale, du féminisme, c'était très balbutiant. Et donc j'ai mis en place toutes ces stratégies-là, de devoir me lisser les cheveux, de devoir parler d'une certaine manière pour espérer être acceptée, et c'était jamais assez. Et puis j'ai travaillé un an à LCI, oui, oui, oui, pour David Pujadas. Et, bon... Un an, ça suffit. Je me suis dit, bah non, littéralement, comment me suradapter encore plus Si je le fais, je meurs. Si je le fais, la machine est en broie, c'est sûr. Je ne peux pas être à la fois, ne pas être prise en compte dans le travail que j'apportais en termes de recherche journalistique, de point de vue en fait sur ce que ça veut dire la race, quand il y avait des crises raciales, etc. Ce que j'appelle crise raciale dans des moments de... polémique raciale, et bien la douce était importante, sinon le reste du temps ma parole ne comptait pas et je me suis dit non non là je vais finir par être totalement dissociée et vivre cette névrose raciale dont je parle dans le bouquin, et puis je suis partie et j'ai fait mon coming out d'écrivaine et puis la suite j'espère que ça sera de l'histoire mais oui oui et c'est pour ça peut-être que ça se ressent aussi je ne prends pas de distance avec cette charge raciale parce que elle nous traverse tout le temps le temps et je n'ai pas voulu cacher cette vérité-là.

  • Speaker #1

    Justement, tout à l'heure, tu as évoqué ce mot, la blesse. Est-ce que tu peux un petit peu décrire ce que ça veut dire, d'où ça vient Parce que c'est un mot que je ne connaissais pas, qui permet de décrire cette blessure intime qu'on vit en tant que personne racisée, c'est le détachement de son identité. Est-ce que tu peux expliquer un petit peu plus pourquoi tu choisis d'adopter ce mot

  • Speaker #0

    Ce livre s'est construit malgré moi. Le terme de la blège, je le rencontre en 2019 à Dakar. Je suis au musée des civilisations noires à Dakar et là il y a une grande toile toute noire qui fait sûrement 3 mètres de haut sur 4 mètres de large et il y a des entailles rouges-vermeilles, il y en a 4 ou 5. Et ça me saisit, je comprends tout de suite la métaphore. de la blessure, et je m'approche limite solennel, et je lis le cartel, la blesse, la blesse. Et il y a marqué, voilà, la blesse, c'est cette entaille existentielle que portent en elle les personnes antillaises des Caraïbes, mais de manière générale aussi des personnes afrodescendantes noires. Je me dis oui, oui, cette déchirure historique, cette déchirure existentielle, on la vit plus ou moins. Et donc... Je garde cette œuvre-là et quand j'écris le livre, je me rappelle de ce concept et je creuse. Et là, il y a le travail de Patricia Donatien-Issa, qui est une chercheuse guadeloupéenne, qui, elle, a écrit sur cette esthétique de la blesse. Et elle montre à quel point, quand elle remonte le travail des poètes, poétesses caribéennes, Il y a un travail de la blesse, c'est-à-dire que ces artistes-là vont toujours creuser le pu. L'art, pour les personnes afrodescendantes, pour les personnes racisées, ce n'est pas un moyen de contemplation pure. C'est un moyen de sublimer le pu. Elle en parle, elle parle du pu, de l'histoire, du silence hérité, des traumas intergénérationnels. Et elle montre que tout leur travail est traversé par ça. Et donc, elle s'intéresse à cette question de la blesse. Et elle va interroger les anciens et les anciennes en Guadeloupe. Sauf qu'elle est accueillie, évidemment, par un silence. Parce qu'à la fois, c'est indicible de reparler de cette histoire qui est encore dans le corps des enfants qui ont des maladies dont on ne comprend pas l'origine, qui somatisent, ou des personnes qui ont des états comme ça, soit de léthargie, soit de ce qu'on appellerait de la folie, etc. Mais elle ne lâche pas. pas, elle creuse, elle en fait son terrain. Et petit à petit, les langues se délient. Et donc les anciens lui disent, voilà, la blesse c'est le fait, par exemple, des fois d'avoir des douleurs aux poignets, aux chevilles, qui symbolisent le poids des chaînes des anciennes personnes esclavagisées, par exemple. C'est cette... C'est le foie qui porte et qui travaille sans cesse le stress. minoritaire, le stress racial. Et donc, il lui explique tout ça. et donc elle comprend ensuite en relation, elle met en relation le travail littéraire de ces poètes, de ces écrivains et écrivaines. Et j'ai trouvé ça tellement juste, tellement parlant de voir à quel point les anciens, les aînés avaient déjà compris ce que désormais l'épigénétique tâtonne pour l'instant, même si évidemment la science fait son... enfin voilà... un temps qui lui est propre, mais on voit en tout cas qu'il y a des choses qui ressortent de ce qu'on savait déjà de ces traumas liés au colonialisme, liés à la période esclavagiste. Et la blesse me permet aussi d'introduire la part imagée, métaphorique, de ce problème qui est psycho-existentiel, qui est psycho-politique. Et je... Je parle beaucoup de Frantz Fanon aussi, qui, à mon sens, a tellement réussi à faire ressortir ces deux polarités-là, entre l'intériorité de cette charge, de ce tiraillement, même cette déchirure, entre nous et le monde extérieur, entre l'histoire.

  • Speaker #1

    J'ai l'impression que c'est une critique que tu fais beaucoup, surtout au début du livre, sur le fait qu'on a... On aborde beaucoup le racisme et on milite contre le racisme d'une manière où on évite de parler de son intériorité, de son intime, de la psychologie. Est-ce que pour toi, ce livre, c'est aussi une manière de ramener ça dans le discours Pourquoi est-ce que ça manque selon toi

  • Speaker #0

    Il faut qu'on me donne une heure de plus.

  • Speaker #1

    Il faut lire le livre.

  • Speaker #0

    Après, c'est des approches qu'on peut retrouver, j'invente rien évidemment, qu'on peut retrouver dans les critiques décoloniales, où cette philosophie-là, cette philosophie de la grande séparation, qui remonte pour certains, certaines, aux religions dites abramiques, où... Un peu plus récemment, autour du XVe siècle, notamment de la date de 1492 et la découverte des Amériques, où à partir de cette date-là, dite la date de l'institution de la modernité, on a scindé les corps, on a scindé les épistémologies, c'est-à-dire la manière de faire connaissance, de reproduire le savoir, et on a décrété qu'il fallait se séparer du corps, de l'intériorité. qu'il fallait toujours raison garder, littéralement, mettre en avant les formes de savoir qui étaient dites matérialistes, avec un objet scientifique bien défini, avec des protocoles, des programmes, etc. Et en fait, toute cette épistémologie de l'Occident fait qu'en tant que personne militante en France, on n'en échappe pas, évidemment. On voit à quel point il y a, depuis la sécularisation de la France, qu'il y a eu des bons, évidemment, le clergé, l'église, etc. Il y avait tout un système aussi de privilèges et d'exploitation des couches paysannes, etc. Évidemment. Mais en revanche, dans la question même du rapport à l'intériorité et à la nature, il y a eu une grande séparation. Et donc nous, ce qu'on reproduit, et c'est une critique qui est adressée à la gauche, parce que les autres en face, mes ennemis politiques... Ils grandent bien leur face, mais à la gauche, pour nous, pour dépasser, pour faire advenir des utopies, on reproduit les outils du maître, on y utilise des outils du maître, comme disait Audrey Lorne. Et on voit bien qu'à un moment, ça coince parce qu'on n'arrive pas, en tout cas, on n'ose pas faire appel à l'intériorité qui est un vaste champ. Je ne parle pas seulement selon des autérismes ou de spiritualité. Je parle des recherches qui sont un peu plus à la mode aussi maintenant, des neurosciences. mais aussi de ce que ça veut dire de vivre le racisme psychologiquement au niveau du corps. Comment nous reconnecter à ces parts émotionnelles et affectives qui ont été complètement coincées Aux États-Unis, les politiques des affects existent depuis les années fin 80, début 90. En France, ce n'est que récemment qu'on commence à aborder la question de l'amour, la question... de la joie, de la colère, mais avec une approche qui est toujours très distante, qui est toujours très loin du corps, de ce que ça veut dire phénoménologiquement. d'être un corps assisé, en fait. Et Fanon l'a fait, et puis on a coupé, parce qu'il est tombé dans l'oubli. Et moi, je me dis, mais oui, c'est important de remettre au centre cette question-là des affects, la politique des affects. Et je pense que ce livre est à la croisée des études noires, on va dire, des études noires, et de la politique des affects. Et donc, c'est pour ça que je parle vraiment de psychopolitique. Et si on ne... Si... Pour moi, si la gauche ne se réconcilie plus avec cette part-là d'elle-même, c'est-à-dire d'assumer les émotions, de ne pas laisser les émotions à un populisme, à un populisme extrémisme droit, on n'aura pas la chance de rattraper, on n'aura plus la chance d'attirer à nous des personnes qui ne sont pas forcément très au fait de concepts, d'un intellectualisme qui... perd les masses, etc. Comment on arrive à se reconnecter avec des gens en leur disant, voilà en fait le quotidien que moi je partage, voilà, ce que je peux vivre en tant que corps, femme, noire, assisée. Est-ce que ça résonne en toi Est-ce que ça te parle Est-ce qu'ensuite ça te donne la curiosité d'aller chercher par toi-même et de t'éduquer et de monter en conscience Est-ce que ça te donne envie de propager cette compréhension du monde avec l'éducation populaire, etc. Et pour moi, Voilà à quoi servent les livres, poser des petites bombes intellectuelles, évidemment, et à partager ce feu du changement, ce feu du mouvement. Mais le feu, il est nourri par les affects. Pour moi, la raison, c'est autre chose. Mais pour être magnétique, pour que nos combats soient magnétiques, il faut la politique des affects. Et j'espère qu'on... qu'on y arrivera de plus en plus et qu'on sera légion à le faire.

  • Speaker #1

    Justement, je trouve ça intéressant que tu parles autant de l'affect des émotions et que dans ton livre, tu exposes à quel point les personnes noires, on leur a nié ce droit à être des personnes avec des émotions, avec des affects, avec une intériorité. Et tu parles même d'une antithèse de la personne, que les Noirs, on les empêche de se définir en dehors du regard blanc. Et qu'une des choses importantes que j'ai retenues de ton livre, c'est qu'il y a une nécessité de se recréer son soi, en dehors de ce regard blanc, en dehors de cette définition qui nous colle des préjugés, des clichés. Est-ce que tu peux en dire un peu plus de cette expérience qui est quand même très particulière et peut-être difficile à comprendre, de ne pas avoir l'impression d'avoir une identité à soi

  • Speaker #0

    Oui, en fait, la race, quand on dit que la race biologique n'existe pas et que la race est une fiction, c'est vrai que socialement, on est discriminé, donc on ne peut pas faire l'économie de ce qu'on vit. Et pourtant, cette fiction-là, elle traverse tous nos sens, autant chez les personnes qui vivent. qui ne vivent pas le racisme directement, donc les personnes blanches, qui, elles, à travers leur regard, ou même parfois leur non-regard, c'est-à-dire détourner les yeux, ne pas s'intéresser à la question raciale parce qu'apparemment ça ne les concernerait pas, et pourtant, c'est une question de... Voilà, tous nos sens sont traversés par cette question raciale. Et nous, de l'autre côté du miroir, on a aiguisé nos sens. Donc... On n'est plus vraiment... Je dirais même qu'on est des super humains parce qu'on nous a retiré l'insouciance depuis l'enfance déjà. Où on a cette conversation, la fameuse conversation aux Etats-Unis, on parle de the talk, où à 7-8 ans, on va dire aux enfants, tu vas devoir faire 3-4 fois plus parce que voici ce qui risque d'arriver à cause de ta couleur de peau, etc. Mais sois fière de qui tu es. Mais voilà. la vie, le monde dans lequel on est. Et donc déjà, il y a cette perte d'individuation qui se crée chez l'enfant racisé, où il a deux choix. Soit il s'alienne, donc l'alienation de ce que Fanon dit, c'est de se rendre aveugle à sa condition noire, et d'adopter toutes les valeurs de la suprématie blanche, de ne pas voir des couleurs, de croire en la méritocratie. et que parce que tu es une noire capable, vaillante, tu arriveras au sommet de l'ascenseur social. En général, il y a un moment où ça craque, ça craque au sommet. Et il y a l'autre chemin où on se révolte contre ça, et on est investi d'une mission, et on veut changer les choses. Mais dans les deux cas, est-ce que c'est vraiment un choix Pas vraiment. Et donc rien que ça, cette névrose-là, cette névrose raciale, qui nous pousse à choisir et à nous scinder, et à tout le temps naviguer entre justement... le fait qu'on nous dénie une intériorité, donc à prouver qu'on a une humanité, à prouver qu'en fait on ne mérite pas de mourir sous les genoux d'un policier, qu'on est couru ou pas, que non, tout simplement. Et bien cette déchirure-là, cette déshumanisation-là, on l'intègre, et donc on est parfois obligé... de devoir arracher ces affects-là. Et c'est pour ça que je comprends les critiques où on dit que les personnes noires, les personnes racisées, elles sont souvent dans des milieux de divertissement, du sport, où la question de la corporalité, elle est présente, etc. Mais en même temps, si on prend du recul, c'est peut-être normal. Pour des personnes à qui on a dit votre jeu, votre incarnation, votre chair ne compte pas. Mais comment on récupère l'individualité Mais c'est par la corporalité, en se disant, voilà, je suis présent au monde, j'ai des choses à dire, je m'exprime, j'ai des émotions qui se doivent d'être partagées et je peux faire collectif avec. Et donc, cette question de l'individualité, elle est toujours paradoxale, à la fois, ou en tout cas de l'émotion. À la fois, on nous dit, je reprends les termes de Senghor, l'émotion nègre, la raison européenne. Donc, on serait à un surplus de vie, trop de vie, trop de vitalité, trop de corps, trop de libido, trop d'eux, et à la fois des êtres vides, des êtres qui se rapprocheraient plutôt du néant, c'est-à-dire pas... pas forcément intelligibles, sans histoire selon Sarkozy. Voilà, en fait, toujours tiraillé entre ces deux pôles-là, mais c'est le principe même du racisme et des discriminations en général, l'ambivalence. Et donc, oui, pour moi, les affects ont une part prépondérante, non pas seulement parce qu'il faut ressentir pour ressentir, mais montrer à quel point cette question de la réappropriation de l'intériorité est... éminemment politique.

  • Speaker #1

    Justement là-dessus, il y a aussi tout un chapitre dans ton livre que moi j'ai trouvé vraiment passionnant parce que j'avais jamais conçu les choses comme ça. C'est où tu réécris l'histoire de l'Occident en expliquant qu'au contraire, le vide et le trou existentiel il est plutôt de ce côté-là et que... Il y a eu nécessité à un moment de créer une figure de l'autre, donc en l'occurrence les Noirs lors de l'esclavage, pour combler un peu un vide. Et tu parles même d'un mouvement d'attraction, répulsion. Est-ce que tu peux expliciter un peu ça Et à quel point tout le contrat social s'est fondé là-dessus d'un contrat racial, qui est une thèse qui est développée par d'autres personnes aussi, mais est-ce que tu peux développer là-dessus

  • Speaker #0

    Oui, alors, je convoque cette autre histoire de l'Occident, parce que je trouvais ça intéressant, depuis toujours, depuis toute petite, notamment déjà au Congo, je posais souvent la question, je disais, mais pourquoi ça existait Pourquoi il y a eu l'esclavagisme, la période d'esclavage, la période de la colonisation, etc. Et on m'expliquait comment, comment. Voilà, mais oui, en fait, il y a eu une époque où les sociétés industrielles ont eu besoin de passer d'une économie marchande à une économie capitaliste, la naissance du bourgeois, blablabla. J'ai dit mais oui, mais quoi Vraiment, du haut de mes dix ans, je me suis demandé pourquoi. Et on ne m'a jamais vraiment expliqué pourquoi. Et donc dans ce chapitre-là, je vais le résumer de manière très brève, mais je montre à quel point, parce qu'on n'a jamais... aborder, ou en tout cas très peu, cette question-là de la propension de l'Occident à conquérir, à arracher la terre, à arracher des peuples pour le bien de ses propres terres, de sa civilisation. On a souvent donné des justifications économiques, notamment avec toute la... thèses, toutes les explications marxistes, etc., que je ne renie pas. Pour moi, les deux, il n'y a pas besoin d'être dans une explication binaire. Mais je trouvais que la part justement du pourquoi n'était pas assez abordée. Et là, je tombe sur les thèses de Carl Jung, qui est un psychiatre qui ensuite sera redéfini, renommé comme psychanalyste. Mais à l'époque, il est psychiatre. Et il a eu Lui, il se rend compte qu'au cours de ses sessions avec sa patientelle, il se rend compte qu'en fait, il va parler de certains sujets, il va les faire tomber en hypnose, ou en tout cas dans des exercices d'association d'idées, que sa patientelle se retrouvait à énoncer des symboles, à visualiser des choses qui n'étaient pas forcément dans leur culture, qui, la plupart du temps, ils étaient plutôt athées. Et donc, il se dit, mais là, il y a quelque chose qui m'échappe. je ne comprends pas ces associations d'idées. Et il tombe dans un travail qui durera toute sa vie, jusqu'en 1968, jusqu'à sa mort, où il remonte au premier siècle, il remonte des archives, des livres, des correspondances, de symboles alchimiques, et il montre à quel point sa patientèle était en fait... complètement traversé par ces symboles-là alchimiques. Il se dit, mais ce n'est pas normal. Comment ça se fait Donc, Jung montre à quel point la société suisse à l'époque était complètement traversée par des symboles qui étaient chrétiens d'apparence, mais qu'en fait, ces symboles chrétiens se basaient sur une lecture de l'alchimie. Et ce qui est... hyper intéressant pour moi à ce moment-là, c'est qu'en fait, il montre qu'il y a trois stades dans l'alchimie. Le premier, c'est le stade de la noirceur. Vous voyez où je... Le stade de la noirceur, donc le nigredo. Le stade de la blancheur, je ne me souviens plus du terme précis. Et puis, il y a le stade de la blancheur, l'albedo. Dans les termes utilisés, j'ai lu une thèse qui faisait 1000 pages, on ne pouvait plus, mais il y avait cette récurrence de termes sur la noirceur, à noyer, la matière première, à acheter, à vendre, comment il fallait polir la noirceur jusqu'à la blancheur, que la blancheur c'était le désir, c'était la rose, c'était la vie, c'était la vitalité, que la noirceur c'était un... C'était le roi des ténèbres, entre guillemets, c'était une royauté, c'était l'image régalienne de la noirceur des ténèbres. Et en fait, pour moi, ça résonne. Et je me dis, mais il a fallu d'abord que les inconscients des populations européennes soient totalement façonnés par cette obsession de la supériorité de la blancheur, pour qu'ensuite, ça soit légitime de rencontrer des corps noirs qui pourtant... ressembler à ces explorateurs slash colons slash alchimistes qui s'ignoraient et qu'en fait ils se rendent compte à quel point bah oui en effet la noirceur c'est légitime parce que depuis la chrétienté on nous a appris on a on a on a des expressions qui louent la blancheur blanche neige blanche colombe etc et qui vilipendent la noirceur et donc c'était plus facile d'arracher ces corps-là, de les voir sans âme. Et on le voit ensuite après avec toute la propagande religieuse de l'Église catholique, qui ensuite va postuler clairement que les Noirs n'avaient pas d'âme, mais que peut-être les natifs américains avaient, eux, potentiellement une âme. Donc on voyait bien que pour les personnes noires africaines à l'époque, c'était établi qu'elles n'avaient pas noir à cause de cette noirceur-là. Et je trouvais ça important de se dire, tiens, voilà, en fait, la cause unique n'existe pas. Il y a peut-être plusieurs entrées aussi à prendre en compte, dans ce qui fait que le racisme, l'esclavagisme... a été aussi acceptée, soutenue par une propagande à la fois économique, civilisationnelle, religieuse, etc. Et c'était important. Et je trouvais que Jung n'a pas été mise assez en valeur sur cette question-là de comment l'inconscient cognitif d'une civilisation, d'une société, peut être complètement traversé par des idées qui dataient d'il y a plusieurs siècles.

  • Speaker #1

    Et pour toi, c'est là-dessus aussi que... Ce contrat racial qui fait qu'on a tous implicitement accepté, entre guillemets, ou subi de vivre dans une société où les noirs sont en bas de l'échelle sociale et les blancs sont en haut. Et tu parles du fait qu'on a tous accepté de vivre dans ce monde où on différencie les blancs, les civilisés et les autres qui seraient restés à l'état de nature. Et que même si on a l'impression... d'être antiraciste, progressiste. En réalité, on vit dans un monde où on en est encore à ce stade-là. Est-ce que tu peux peut-être parler un peu plus de cette idée de contrat racial qui est implicitement présente dans les sociétés occidentales

  • Speaker #0

    Oui, quand on part de cette question des biais, en tout cas de l'inconscient cognitif à cette époque-là à travers Jung, le contrat racial... met en lumière la période plutôt du XVIIIe siècle jusqu'à nos jours. Et donc ce contrat racial, il a été théorisé par Charles Mills, qui est un penseur jamaïcain d'origine et anglais, s'il ne dit pas de bêtises, qui lui montre à quel point, en fait, derrière le contrat social qui a constitué, on va dire, les nations étrangères, européenne, notamment le contrat social fait par tous les contractualistes, Rousseau, Locke, etc. Il montre à quel point, en fait, ce besoin d'affirmer la civilisation à travers le contrat social, à travers l'état de droit, c'était une manière de se démarquer des sauvages, des bons sauvages. Ces mêmes philosophes, ces sociologues, Durkheim, Weber, etc., sont complètement traversés par l'impérialisme, par le colonialisme de leur société, de l'époque, mais construisent, notamment la sociologie par exemple, construisent leur science sociale par le progrès. Donc, ils trouvent une manière, une identité. en opposition avec ce qui est censé être, si il y a le progrès, qu'est-ce qu'il y a de l'autre côté Je ne sais pas comment on pourrait appeler ça. Le sous-développement, ce n'était même pas ça, c'était vraiment cette question de la sauvagerie, le sauvage et le progrès. Et donc, il montre à quel point il y avait une hypocrisie à travers les écrits et les pensées dites rationnelles des Lumières qui, en fait, promouvaient une... un homme universel, moral, vertueux, mais qui pourtant acceptait de faire partie du commerce triangulaire, de bénéficier du commerce des bateaux négriers, etc. Et je trouvais ça très intéressant qu'il montre à quel point ce contrat racial, donc c'était un contrat juridique, épistémologique, en termes de production de savoir, de s'opposer au... et d'être du bon côté, entre guillemets, du progrès de la civilisation, et que ça a façonné aussi le silence autour. Parce que si les sociétés se pensaient à travers leurs philosophes comme des sociétés moralement vertueuses, s'il n'y avait pas d'esclavage sur la terre de la liberté qu'est la France, mais qu'on ne voyait pas tout à fait les Antilles, même si c'était connu, mais que les philosophes ne dénonçaient pas ça, parce qu'apparemment la France était un état de droit et de liberté, C'était une hypocrisie, c'était un silence immoral. Et Mills le montre très bien. Et il montre à quel point on en hérite encore jusqu'à maintenant de cette dissonance. À la fois des faits, de la violence raciale qu'on subit, et des intellectuels, et notamment des partis, j'allais pas dire des partis, mais des personnes, en tout cas de gauche, des militants, des personnes engagées, qui vont souvent... diminuer cette question du racisme, la diluer, user de subterfuges pour parler de victimisation, etc. Ou pire... ne tout simplement pas admettre qu'il y a des différences, qu'il y a des discriminations raciales. Et donc, on voit à quel point, oui, le poids de l'histoire, jusqu'à nos jours, infuse, et que cette charge raciale-là, malheureusement, pèse encore sur notre dos.

  • Speaker #1

    Tout à l'heure, tu parlais de noirceur, et dans le livre, toi, tu préfères parler de noirité. Est-ce que tu peux expliquer la différence Et pourquoi est-ce que tu revendiques ce terme-là de noirité pour définir la condition noire C'est comme ça qu'on a pu l'appeler aussi en France

  • Speaker #0

    Moi, j'aime bien le contre-discours. J'aime bien le pas de côté, se dire, tiens, pourquoi on se répète des mots comme des incantations Pourquoi parler de condition noire Déjà que je paye une dette à travers un contrat racial, une dette que je n'ai pas signée à cause de cette couleur de peau. Et en plus, il faudrait que je me pense dans des termes sociologiques que je n'ai pas choisi de conditions. Et si on parle de conditions noires, en anglais, on va parler de blackness. Et blackness recouvre tellement de choses de fierté. de pouvoir noir parfois, de conditions noires, de fierté, de pouvoir noir, de la question noire aussi, de toutes ces époques qui ont façonné justement les prises de position des militants, des droits civiques, etc. Blackness recouvre ça et j'ai l'impression que le monde anglo-saxon arrive à se retrouver autour de cette question de la blackness. En France, la traduction est... hyper difficile, en tout cas dans le monde francophone. On a parlé de négritude, évidemment, grâce aux sœurs Nardal et ensuite Césaire, Saint-Gaure, etc. Mais je trouvais que c'était un peu désuet et que ça disait... Enfin, la négritude, ça a été censé être un mouvement philosophique et finalement, c'est un peu décrépit. Merci Sartre. Et puis... Je me suis dit, bon, noirceur, mais pourquoi Je n'entends jamais les gens, des personnes noires, dire oui, je suis fière de ma noirceur C'est bizarre. Pourtant, nous, on n'a aucun mal à dire noir, contrairement à d'autres personnes qui disent black Du coup, pourquoi ce terme-là Pourquoi il n'y a pas cette traduction-là Et je me suis dit, je me suis souvenu aussi qu'à l'époque sur Twitter, on parlait de noirance par exemple. Oui, ma noirance, mais c'était un peu ironique. Voilà, on n'arrivait pas à trouver de terme. Et en fait, je montre à quel point la noirceur, en fait, c'est une traduction qui s'inscrit dans une école de pensée dite afro-pessimiste. Les afro-pessimistes, ce sont des penseurs... et penseuse afro-américaine qui voit dans la blackness, la noirceur, une condition qui est indépassable. Pour elles, pour eux, la noirceur, c'est-à-dire la négrophobie qu'on subit, c'est la base même de l'ordre du monde, c'est la force de gravitation qui tient le monde. Cette noirceur-là, les corps noirs fongibles, sont les vecteurs du néant, de la mort sociale. Être une personne noire, au final, que ce soit sous la dictature d'un pays d'où je viens, du Congo, où des millions de personnes ont été massacrées à tour de bras par des dictatures soutenues par la France, ou en France, à cause des violences policières, des violences médicales, il y a une mort effective. Il y a une peur de la mort prématurée, il y a aussi une peur de la mort sociale, parce que pas de parole politique. Quand elle commence à s'organiser, attention séparatisme, attention cession, etc. Et ça, c'est une vision qui naît, évidemment, après le rapte, après le kidnapping de millions d'Africains vers les côtes américaines. Donc il fallait bien que dans cette... dans cette folie, dans cette irrationalité, construire quelque chose de la noirceur. Donc ces penseurs viennent avec cette idée-là. Ils parlent de l'an zéro de la noirceur. Donc à partir du moment où les personnes africaines sortent des bateaux négriers et arrivent dans les Amériques, le noir existe. La figure de l'esclave éternelle, en gros. Ça se fige. Et moi je me dis, je regarde de l'autre côté de la matrice. le continent où je suis née, où à travers les langues, à travers le Lingala, à travers le Lari, à travers les incantations autour de moi. J'ai été décrite d'une certaine manière. Ma couleur de peau, certes, n'était pas racialisée, comme on a pu le voir avec des hiérarchies, etc. Mais pourtant, il y a un mot, il y a des mots qui disent que... Donc, mojindo, par exemple, ça veut dire noir, littéralement. Mais ça veut aussi dire le foyer du soleil. Donc, mes ancêtres comprenaient déjà qu'un corps noir, un corps physique, mais notre couleur de peau aussi, renfermait quelque chose du soleil. Et je trouve ça déjà hyper poétique, hyper beau. Je me dis... En fait, il y a une conversation à avoir. Il y a la noirceur, il y a la condition noire, il y a la condition sociologique, matérielle de cette lourdeur, de cette charge, du poids. Et puis, il y a la noirité, cette part incassable, insondable, indicible, même au-delà du silence du poids de la race, mais qui fait qu'on est là parce que nous n'étions pas censés survivre. Et pourtant, on se tient debout. On s'exprime, on est sans cesse en train de devenir, parce qu'on nous arrache même, on nous interdit même le devenir noir. Qu'est-ce que ça veut dire, devenir noir Parce que normalement, on est censé devenir humain, c'est-à-dire s'affranchir des codes, se libérer, être des humains libres. Mais devenir noir, c'est quelque chose déjà... On sent bien qu'il y a quelque chose qui retient, parce qu'on n'est pas censé nous définir par notre couleur de peau. Et pourtant... Et donc la noirité pour moi c'est ça, c'est... Après je fais des analogies et tout ça, je me suis lâchée, je parle de trou noir, etc. Enfin voilà, vous découvrirez par vous-même, mais cette singularité en fait. Et moi c'est ça qui m'a touchée, et ce terme de noirité je le trouve sous les mots de Mame Fatounian, qui est une chercheuse française qui travaille aux Etats-Unis, qui parle de qualité de l'être, pour parler de la noirité. au-delà même de cette condition noire et qui est d'origine sénégalaise aussi, même Fatou Niang. Et je pense qu'on nous appelle souvent les africanistes, ceux qui vont souvent ou celles qui vont se repérer sur la question de la blackness, plutôt du côté de l'Afrique. Et donc cette conversation-là, on aimerait la voir un peu plus entre la part de la noirceur aux États-Unis. Mais c'est toute la question aussi de la traduction littéralement. Est-ce qu'on arrive à traduire des ouvrages comme ça Pour qu'il y ait des réponses, pour qu'entre la diaspora et ce triangle justement de l'Atlantique, que ça circule à nouveau et qu'on ait d'autres productions sur ce que ça veut dire, cette blackness, cette noirceur, cette noirité.

  • Speaker #1

    Une autre chose qui m'a beaucoup surpris dans ce livre, c'est la conclusion. En fait, ce que tu proposes comme solution pour les personnes racisées, qui ont besoin de se libérer de cette charge, de ce poids, de la charge raciale, c'est le silence. Et c'est intéressant parce que tu parles sous titre d'un silence écrasant, et en même temps tu le revendiques comme une arme, comme une solution pour s'extraire de ce regard blanc. Et c'est la première fois que j'entendais ça, parce que c'est vrai qu'on nous encourage plutôt à parler, témoigner, communiquer. Et toi tu dis qu'en fait... on parle trop, on communique trop sur nos souffrances, sur nos vécus, et que c'est presque comme si plus on parlait, moins on avançait. Est-ce que tu peux expliquer cette thèse-là

  • Speaker #0

    Oui, alors, c'est un peu... Je crois que l'épilogue s'appelle Et les subalternes se tuent Parce que je trouvais que, évidemment, qu'il y a la question de la silenciation. Donc là, c'est un silence qui nous est imposé, qu'on subit, on se cogne au mur de la blanchité dans ces espaces où, à partir du moment où tu dénonces quelque chose, où tu dis que quelque chose est raciste, là, c'est les feux bleus. Il y a tout qui flambe. Donc, on s'auto-censure beaucoup. On cache notre intériorité par rapport à ce stress racial, à cette charge. Mais il y a aussi de récupérer le silence. Parce qu'il y a quelque chose de l'ordre du pouvoir, à mon sens, dans le silence. Quand le silence, il est choisi. Quand on prend le temps de se recueillir et de faire silence communautaire. Oui, j'ose le terme, même si ce n'est pas bien vu en France. C'est-à-dire qu'on se regroupe en non-mixité, par des personnes qui vivent certaines choses et qui ont envie de... Oui, de dépasser ces problématiques et de se dépasser. Mais il faut du temps pour se recueillir, il faut du temps pour guérir la blesse, il faut du temps pour comprendre les... les poisons ou en tout cas le mal-être qu'on a reçu de nos ancêtres, mais aussi les dons qu'on a reçus. Comment on arrive à allier un militantisme existentiel, c'est-à-dire partir de l'intériorité pour se construire, à un militantisme, on va dire, un peu plus matériel, c'est-à-dire avoir des agendas politiques, mettre en place des actions de désobéissance civile, etc. Mais en fait, réussir à naviguer entre ces... ces deux modes d'action, ou de non-action d'ailleurs, parce que le silence, ça peut être aussi une forme d'action qui est dans le retrait, mais faire tout ça, ça prend du temps. Et je dis souvent que j'aimerais, je rêverais de ça, d'assises où on se rencontre toutes les factions, tous les collectifs racisés sur la question de l'antiracisme, de l'antifascisme, etc., et qu'on... On se dit, ben voilà, sur deux ans, sur trois ans, voilà l'agenda politique. Ce serait bien que toutes nos productions culturelles, audiovisuelles, les films, etc. parlent de telles thématiques. On en choisit, je ne sais pas, deux, trois, et on bombarde. Mais pour ça, pour se préparer à ça, il faut l'ombre. Il ne faut pas avoir peur de l'anonymat, il ne faut pas avoir peur de ne plus nourrir la parole médiatique de son misérabilisme. de nos corps qui disent, c'est-à-dire qui incarnent une part politique, on fait peur. On l'a vu avec Merwan Ben Lazar. Au-delà même de ce qu'il a dit, c'était juste son apparence en tant que corps assisé qui a apparemment excité toute la mécanique d'extrême droite qui veut polir et qui veut effacer nos corps. Et donc, pour ça... Je ne dis pas qu'il faut aller dans un effacement et un silence total, mais moi je prends l'exemple des marrons, je prends l'exemple des guerres anticoloniales au Congo, au Cameroun, où il fallait se réfugier, il fallait marronner, il fallait fuir, partir de la plantation. Et ce n'était pas en jouant du gros cas sur la plantation, en disant bon ben voilà, salut, on y va maintenant. Non, non, c'était pendant la nuit, dans l'ombre, On partait et ensuite, par surprise, on détruisait, on mettait des actions en place pour libérer les autres, etc. Et donc, cette question de l'ombre, c'est Olivier Marbeuf d'ailleurs qui en parle beaucoup, de comment chérir l'écologie de l'ombre, du silence, d'apprendre à se dire, enfin, en collectif, en cohésion, que cette parole prenne plus de poids. Et ça, pour l'instant, j'ai l'impression que c'est le silence qui nous permet de le faire, ce silence, ce retrait, le temps de lécher les blessures et de fomenter des révolutions.

  • Speaker #1

    Tout à l'heure, je te demandais si tu avais d'autres projets en cours et tu me disais que justement, tu avais besoin de te retirer un peu, au moins de laisser et peut-être d'aller plutôt dans la fiction. J'ai quand même l'impression que dans ce besoin de silence ou de retrait, l'art peut permettre aussi de s'exprimer, mais peut-être d'une autre manière. Est-ce que c'est aussi le message que tu aimerais donner Dans ton livre, il y a quand même, ce que je disais tout à l'heure, un mélange entre essai et écriture personnelle, poétique. Est-ce que c'est à travers ça que tu penses que tu pourrais te libérer de cette charge qui pèse sur tes épaules

  • Speaker #0

    Moi, tant qu'on n'est pas tous libres, je ne suis pas libre. Donc, disons que j'arrive à créer un espace en moi pour porter des projets comme ça, pour me présenter face à vous et, comme ils disent en anglais, hold the space, c'est-à-dire pouvoir maintenir la pression que de se faire... La voix de quelque chose, d'un concept, etc., de défendre tout ça, c'est aussi de l'énergie. Mais ma charge raciale, elle ne s'évaporera pas parce que j'aurais écrit de la fiction ou je me serais levée dans le silence seule. Au contraire, en revanche, oui, l'art, dans ce qu'il a pour moi de rituel, de magique, je n'ai pas peur d'employer ces termes, de dames. d'un portail qui convoque l'invisible, oui, parce que ça me reconnecte en fait à... J'arrive à me... à retracer la lignée de pourquoi je suis ici, pourquoi je me sens être le rêve de mes ancêtres. Et c'est par l'art, par la poésie que... En fait, il y a une ligne temporelle que j'arrive à brouiller comme ça. Et je me dis, plus on arrivera à faire des performances aussi collectives, plus on arrivera à brouiller les pistes de comment on dit devoir résister, plus ce sera moins lourd, j'ai l'impression, parce qu'on remettra du souffle dans nos expressions politiques, dans nos revendications, parce qu'on remettra de l'émerveillement à travers les chants révolutionnaires qu'on pourra entonner en manifestation. mais à travers les sorts qu'on lancera aussi à Macron, à travers... Oui, pour moi, rien n'est... On peut jouer de cette dualité-là, on peut essayer de... Parce que plus on se sépare et plus on est fatigué, on est en dissonance dans ce monde capitaliste, et donc retrouver ce souffle-là artistique, j'ai l'impression que c'est ça qui m'allège et qui allège pas mal d'autres personnes autour de moi aussi, clairement.

  • Speaker #1

    J'avais une dernière question, mais ce n'est pas grave. Je te laisse la parole, douce, parce que je me sens que tu voulais partager un petit quelque chose à nos histoires.

  • Speaker #0

    Je voudrais juste lire la fin de l'ouvrage. En général, ça permet de souffler un peu. Depuis le bleu des mythes, la noirceur et la gravité indicibles du monde. Le liant, la chaleur, le mouvement qui fait tourner l'écosystème. Le pesant, la douleur, l'émolument d'où naît la charge de la haine. Quel monde invoqué après l'effondrement de celui que personne ne veut abandonner. La fin de ce monde, prophétie factice entre deux slogans révolutionnaires. La matière noire gluante fuse de mes pores lourds de refus. Partout, la blancheur est louée, collée à chaque atome du fardeau. La fin de ce monde, je l'attends, les jambes bien en face du précipice. L'instabilité, la noirceur, à ce qui pue une promesse. À tous les évadés de la plantation, nous entendons une rumeur converger. Mais qui aura le courage d'évider la société du spectacle, de son divertissement, de ce monde blanc colonial blême de peur et du désir livide de mort noire Qui pourra dire je renonce sur l'autel de la libération Je renonce à ma persona, à mon moi blanc, à mes lignées, à ma réputation, à ma famille, la danse affolante des chiffres de nos... capitaux, l'entre-soi aveugle du noir qui fera tourner nos téléphones, qui remplira les ruines et les rangs écrasés du lupen prolétariat, qui osera donner son sang dans l'abîmé, au seuil de la précarité, qui votera noir face aux lois nécro-existentielles qui ploient nos genoux et notre repos. Et lorsque la terre et la Méditerranée vomiront toutes les mers, les enfants sirènes aux écailles noires d'avoir pleuré la lumière, et lorsque les monstres marins de l'Atlantique verront enfin leur peau translucide tourner au noir amer, et lorsque les arbres auront repris forme humaine après des années d'exil, qui saura embrasser la noirmalité complice Psst Alors c'est le temps des questions du public. On va faire circuler un micro. J'ai une petite demande qui est aussi partagée par 12. C'est d'abord de privilégier la parole des personnes racisées. Avant que les blancs puissent s'exprimer, on change un peu d'habitude, ok ? Donc si vous voulez poser une question, levez la main, un micro va arriver. Et voilà, il faut juste laisser le temps aux personnes de transmettre le micro.

  • Speaker #1

    Merci Douce. Je voulais te dire que j'ai été très touchée par cette question de revenir au corps. parce que nos corps ont été instrumentalisés, utilisés, et que je pense que le premier mouvement qu'on a à faire, et c'est ce que tu disais là, de faire un pas de côté, c'était déjà de se réapproprier notre corps, et de trouver notre place déjà dans notre propre corps, et le fait de faire ce mouvement-là, de fait, dans la société, on sera déjà beaucoup plus visible. Et qu'en reprenant cette place dans notre corps, on va aussi... Il y a la question du silence dont tu parlais. Et je trouvais que dans ce silence-là, on retrouve aussi ce temps où on peut aller prendre soin de notre corps. Et en prenant soin de notre corps, on prend soin du corps de nos ancêtres. Et que si on fait ce mouvement-là aussi, d'aller penser les blessures de nos ancêtres, en mettant un peu de baume sur nos chevilles... et nos poignets, on les soigne un peu eux et finalement on se soigne un peu nous. Et que ça, il n'y a personne qui pourra le faire. Aucune politique, aucune personne extérieure ne peut le faire, il n'y a que nous qui pouvons le faire. Et vraiment, je suis très touchée que le premier mouvement, pour moi, c'est déjà ça. C'est déjà me réapproprier mon corps, penser les blessures de mes ancêtres. Et je pense que... La posture est complètement différente après dans la société.

  • Speaker #2

    Merci. Je voulais juste savoir, quand vous parlez de vos ancêtres, vous parlez de quel background ?

  • Speaker #1

    Moi, mon grand-père est vietnamien.

  • Speaker #2

    D'accord. Je suis en train de m'éduquer vraiment sur la question de la décolonialité et la question du corps et de la terre sont beaucoup, enfin cette question est beaucoup abordée. En revanche, j'ai l'impression aussi que notre lecture de ce que ça veut dire la guérison à travers le corps et le silence et la solitude est très imprégnée d'une vision très individualiste occidentale. Parce que je trouve que c'est déjà porter un poids que de se dire « ce n'est que par moi que je pourrais guérir » . Évidemment qu'il y a une impulsion, évidemment que la curiosité... L'émerveillement, ça se nourrit en général, ça vient d'abord de nous, sinon on ne serait pas individuel, comme des corps singuliers. Mais ensuite, tout le cheminement qui n'est porté que par soi-même, je trouve vraiment que c'est une charge qui peut être difficile à porter. Par exemple, j'en fais plus partie, mais pendant 3-4 ans, j'étais dans une chorale apopéministe. où la question du chant, de la vibration, je me suis rendue compte avec le temps à quel point ça a guéri les choses, par exemple mon diaphragme complètement bloqué, parce que traumatisme dans l'enfance, il y a une guerre civile au Congo, etc. J'ai compris plein de choses, mais parce qu'il y avait des corps autour de moi qui n'avaient pas partagé cette histoire traumatique, évidemment, mais qui... par le fait de se sentir en vulnérabilité, de chanter à la fois dans ce cocon-là, où on guérissait collectivement, et parfois en allait chanter en manifestation, et en récupérait des sous pour tel ou tel collectif. En fait, ça montrait à quel point il y avait cette circularité-là de la guérison, qui, je me suis rendue compte que j'étais un atome, mais qui était en lien avec d'autres atomes, et du coup, ça faisait une onde. et qui circulait et ça créait autre chose que seulement être une particule qui... qui virevoltent dans l'espace seul. Vous voyez, je prends la question des métaphores pour que ça soit plus parlant, mais je suis d'accord qu'il faut ce mouvement-là du corps, qu'il faut avoir conscience, un déclencheur de « Ok, je me mets en mouvement, je me mets en mouvement, mais est-ce que ce mouvement-là s'arrête seulement à moi-même ou est-ce que c'est un jeu qui rencontre un nous ? »

  • Speaker #1

    Voilà.

  • Speaker #2

    C'est pour ça que je voulais préciser. Mais oui, oui, c'est... Enfin, je pense que... Et peut-être que... Et c'est ce que je déplore aussi, c'est que ces discours-là, ce discours-là qu'on tient, moi, je l'entends beaucoup dans la sphère soit spirituelle, mais qui est très individualiste, à mon sens, soit dans le côté artistique, dans les sphères artistiques, mais on n'arrive pas à communier et à faire circuler militantisme. artistique, comme je disais, pour que ce feu-là reprenne, ce feu des affects. Donc je me dis, s'il y a des artistes ici, voilà, merci. Et je sais qu'en général, pour moi, un, une vraie artiste, c'est une personne qui a une conscience politique. Enfin, c'est limite tautologique de dire ça. Parce que pour moi, artiste, ça veut dire forcément conscience politique, vous voyez. Mim. Et de l'autre côté, du niveau du militantisme, on regarde un peu en chien de faïence les artistes, et c'est dommage. Mais vraiment, on a tellement de choses à se dire. Donc j'espère qu'on arrivera à créer des dialogues plus pérennes. Mais merci pour votre partage.

  • Speaker #3

    Bonsoir à tous. Bonsoir, Douce. Je voulais te remercier. Parce qu'en fait, on sort d'un discours de victimisation, et ça fait du bien. Vraiment. Aujourd'hui, je suis fin. Là, ce soir, je suis... D'habitude je suis très fière d'être noire, mais là je le suis encore plus. J'ai plein de questions à te poser, mais je pense qu'on n'aura pas le temps. Étant maman de deux enfants métis, moi je leur apprends l'estime de soi. Ça vient de là en fait. Parce que les métis, ils sont balottés. Pour les noirs, ils sont des blancs. Sauf qu'en fait, pour se construire, c'est compliqué. Et du coup, la question que je me pose, c'est qu'est-ce que tu fais des interventions, par exemple, dans le milieu scolaire ? Première question.

  • Speaker #2

    Eh bien, avec le pass culture, c'est pas près d'arriver, puisque... Voilà. Tu devrais. Oui, il y a eu... Voilà, j'avais comme ça des projets et pour l'instant, ça n'a pas pris, notamment au niveau collège et lycée. J'en ai fait dans le cadre de ma résidence. J'ai une résidence artistique mensuelle. en région centre, à Vendôme, j'interviens. Mais c'est vrai que oui, ça c'est un de mes souhaits, puisque l'éducation populaire, on parle d'éducation populaire, mais si on peut un peu hacker le système de l'éducation nationale, avec plaisir. C'est compliqué, j'ai l'impression, d'y accéder, de mettre en forme toute la bureaucratie, le côté administratif. Pour répondre à cette interrogation-là que j'ai cru déceler, après c'est peut-être une position qui est un peu radicale, et ça a déchiré pas mal dans nos mouvements afroféministes, antiracistes, c'est que la question du métissage, c'est Solène Brun qui a écrit un livre, je pense que vous l'avez lu, et moi je me dis toujours... Une fois de plus, cette question du contre-discours, pourquoi utiliser un terme aussi barbare du métissage ? Qu'est-ce que ça nous dit ? Qu'est-ce qu'on accepte ? Pourquoi on qualifie des personnes avec un terme zoologique, littéralement ? Et si le métissage, si la race n'existe pas, pourquoi le métissage, en général, c'est souvent une personne blanche et une personne noire ? et pas une personne noire du Cameroun ou une personne noire de Centrafrique. C'est un métissage culturel, non ? En fait, c'est quoi le curseur ? Qu'est-ce qu'on accepte ? Ça, c'est les critiques que je ne vais pas forcément développer parce qu'on n'a pas le temps. Et aussi, quand j'étais à Moissy, c'est un collectif afroféministe qui existe toujours, on avait pris le parti de dire que les personnes noires étaient des personnes métisses, étaient des personnes noires parce que ... La société ne pouvait pas s'empêcher de les... notamment la France, de les altériser et de les renvoyer à quelque chose de différent. Mais indifférent qui est exotique, qui n'est pas du côté de la blancheur, parce que vous n'êtes pas tout à fait comme nous, parce que vous avez quand même un peu quelque chose de trouble de ces gens-là-bas, de la noirie. Et donc, on disait, oui, certes, les personnes métisses peuvent bénéficier, entre guillemets, de certains privilèges avec le colorisme et tout ça. Mais en attendant, nous sommes dans le même bateau. Et donc, nous, on parlait plutôt de personnes afrodescendantes. Et donc, peut-être qu'à travers ce curseur-là, comment on arrive à déplacer avec la définition, l'autodéfinition aussi, ça peut peut-être aussi aider. Parce que si on est afrodescendant, afrodescendante, on hérite de quelque chose, on se sait appartenir. à quelque chose de géographiquement situé, donc l'Afrique, comme avec les Afro-Américains. Et donc la question du mestissage, elle peut être un peu, oui, mise de côté, parce que bon, est-ce que je suis à 50% ceci, 50% cela ? Ben non, t'es afrodescendante. Moi aussi, je suis afrodescendante, mais j'ai la peau foncée, mais toi, t'es afrodescendante, t'as la peau un peu plus claire. Bon, voilà. Après, culturellement... Ça s'apprend. Est-ce qu'il y a un parent qui est plus présent que l'autre ? Est-ce qu'il y a un vide par rapport à ça ? En termes culturels, c'est autre chose. Mais sur la définition même de qui on est en termes d'identité, de race sociale, on avait pris ce parti-là. Après, vous voyez ce qui vous sied.

  • Speaker #3

    Merci. Tu comptes te présenter aux prochaines élections ou pas ?

  • Speaker #2

    Jamais ! Le piège !

  • Speaker #4

    Bonsoir. Du coup, je voulais juste rebondir sur un truc. Tout à l'heure, la dame a parlé de la notion de victimisation. J'ai un peu du mal avec ça. Moi, je suis née en Italie, j'ai grandi en Italie. Je suis arrivée en France à 15 ans. Et en fait, jusqu'à maintenant, je n'arrive pas à comprendre en quoi dénoncer, même si ça emboucle quelque chose, c'est se victimiser parce que... En fait, on a tous des notions, enfin, on a des sensibilités très différentes. Moi, je suis née dans un pays ou dans une ville où je voyais des gens venir faire du pèlerinage pour voir la tour de Mussolini. Depuis que je suis enfant, j'ai appris que j'étais noire avant de savoir que j'étais moi. Et en fait, à un moment, j'étais tellement détachée de moi, enfin, de mon moi en tant qu'être humain, que ça ne m'affectait plus. Non, parce que j'étais habituée ou parce que c'était bien, c'est juste que... C'était tellement douloureux que je n'arrivais plus à en parler. Et quand je suis arrivée en France, j'ai voulu me réapproprier ce côté africain parce que j'étais très détachée. Du coup, quand je suis arrivée à la fac, j'étais vraiment beaucoup avec des jeunes de la diaspora, etc. Et bizarrement, c'était eux les premiers à dire, ah bah oui, vous les enfants de la diaspora, vous êtes très dans la victimisation, vous vous plaignez tout le temps et tout. Et en fait, à chaque fois, ce truc de devoir expliquer aux gens... « En fait, toi, tu as compris que tu étais noire quand tu es arrivée à l'aéroport. » Alors que moi-même, avant de naître, cette notion était là pour me protéger. Du coup, la notion de victimisation, ce n'est pas une critique. Je ne la comprends pas. Je ne sais pas ce que ça signifie. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ça s'est utilisé comme argument. limite pour décriviliser quelque chose ou même contre-argument, je ne comprends pas.

  • Speaker #2

    Oui, en fait, vous avez raison de pointer ça du doigt que c'est souvent les personnes de la diaspora qui vont avoir ces réflexes-là. Et j'ai eu des discussions avec des intellectuels, ou en tout cas des personnes engagées sur ces questions-là, panafricaines, etc. Et en fait, la manière dont elles abordent la question du racisme, ça va être plutôt sur la volonté de puissance. Elles se disent, voilà, on a fait le constat, c'est comme ça, ce pays ne nous appartient pas, on est là pour ci, on est là pour ça. Ensuite... nous on aimerait bien retourner en Afrique ou si c'est pas un retour mais qu'est-ce qu'on peut faire pour s'émanciper économiquement politiquement etc et en général C'est une posture que je trouve viriliste, puisqu'en général, ce sont des hommes noirs qui vont adopter cette posture-là et qui vont nous renvoyer cette question de la victimisation. Sans comprendre que le fait de, je dirais, brûler les étapes, même si ce n'est pas le terme adéquat, mais il y a comme un tabou. sur le fait, une fois de plus, de l'intériorité, de se rendre compte, ah non, mais psychologiquement, ça nous impacte, et c'est pour ça qu'au sein même de nos communautés, on reproduit, on produit des violences, parce que le pays dans lequel on vit est déjà assez violent contre nous, mais toi, en tant qu'homme noir, en tant que personne de la diaspora, tu te coupes de cette part de l'intériorité, tu ne vois pas toutes les... justement toutes les discriminations, toutes les micro-agressions, toute la violence raciale de la police, parce que tu es dans un discours intégrationniste, il y a un moment où ça explose. Il y a un moment où, littéralement, ça explose. Cette question de l'intériorité, où par exemple les jeunes de banlieue qui, beaucoup, n'ont pas accès à cette... à cette parole de l'intériorité. On ne va jamais donner beaucoup l'occasion aux jeunes garçons racisés de parler de ça, de leur santé mentale. Et ce sont... En région parisienne, la majorité des personnes en hôpital psychiatrique, ce sont des jeunes de banlieue qui n'ont pas eu... d'accompagnement qui n'ont pas eu donc la question de la masculinité revient beaucoup sur les masculinités racisées minorisées notamment qu'est ce que ça veut dire de ne pas avoir accès à cette intériorité là et donc ça cristallise énormément la question de la victimisation mais littéralement nous sommes victimes qu'est ce que je mets vertu à dire à chaque fois nous sommes victimes parce que ben en fait dans un état de droit quand il ya une discrimination ça veut dire qu'il ya quelqu'un qui discrimine il ya quelqu'un qui est discriminé donc victime en revanche évidemment Si on dénonce, si on constate, on dénonce et on se bat contre ça, ça veut dire qu'on a conscience de notre état de victime, mais qu'on n'est pas OK, qu'on n'est pas d'accord avec ça, que cette colère, elle vient nous dire ceci n'est pas normal. Donc, on va dénoncer. Et rien que ça, ce n'est pas accepté dans nos milieux. On nous fait comprendre que dénoncer ces injustices, c'est quémander, en gros. C'est quémander de la justice, alors que non, on l'exige, bien au contraire. Et donc, c'est peut-être pour ça que, oui, cette question de la victimisation, elle revient beaucoup. Mais moi, je n'ai pas honte de dire que oui, non, je suis victime du racisme. Je suis victime du sexisme, je suis victime de plein de choses. Et c'est pour ça que je m'engage littéralement tous les jours à dénoncer et à dire je ne suis pas d'accord. Je suis en rupture. Je vais déranger. Je vais vous embêter jusqu'au bout. Tant que ça continue, moi, je continue aussi à dénoncer. Je ne sais pas si c'est... Après, est-ce qu'il y a des bonnes victimes, des mauvaises victimes ? Ça, c'est encore une autre question. Est-ce qu'il y a une ou deux questions pour terminer ?

  • Speaker #5

    Bonsoir à tous, bonsoir Douce, merci en tout cas pour ton ouvrage. Moi, je n'ai pas lu ton livre, mais je te suis sur les réseaux sociaux. Et je me suis rendu compte en fait que parfois on s'adapte tellement à l'environnement, à son travail, qu'on oublie en fait qui on est, en fait, dans son origine. Et moi, j'ai juste une question, je ne sais pas si tu en parles dans ton livre. Est-ce que tu penses que les personnes noires se sont adaptées, ou du moins se sont suradaptées aussi parce que dans certaines cultures africaines, donc noires, on a eu des croyances ? religieuse au niveau des religions importées. Et on a aussi oublié notre spiritualité africaine. Ce qui fait que comme on n'en a pas, on va aussi se comment dire, se rapprocher des religions importées. Et on peut avoir aussi, comme tu parlais de dichotomie, de se dire mais en fait, je crois quoi ? Est ce que je crois en moi ? Est ce que je crois en mes ancêtres ? Est ce que... Enfin voilà, c'est un petit peu une grosse question qui est aussi quand même assez personnelle. Mais à force de s'adapter, moi je me suis rendu compte que je me suis un peu trop adaptée au niveau de mon travail, au niveau des gens que je côtoie. Et des fois on s'oublie en fait. Est-ce que tu parles de ça dans ton livre ? Parce que je trouve que c'est un sujet qui est quand même assez... pour moi, important, et qui est l'essence même de qui on va être, en fait. On nous a quand même beaucoup empêchés de croire en nous, en fait. Et voilà, donc c'est une question. Merci.

  • Speaker #2

    Merci à toi. J'en parle pas spécifiquement dans le livre en termes de, voilà, un chapitre dédié, tout ça. J'en parle à la fin, quand je parle des solutions. vers quoi on se retourne. Et je dis qu'en gros, en général, en tout cas dans ma conception de l'avenir, du « progrès » , c'est qu'on est dans un temps occidental qui nous fait croire que le futur est à conquérir. Donc, tout ce qu'on fait en termes de militantisme, de changement, de révolution du quotidien, etc., se doit d'être linéaire avec cette vision de très hiérarchiques, de même des religions qui nous traversent, on ne s'en rend pas compte, d'ascensions. Apparemment, on est en bas et on doit aller quelque part. Ça, c'est des constructions qui sont des religions dites abramiques. Et je dis qu'en fait, ce qu'il nous reste à faire, c'est de nous souvenir. Et donc, ce souvenir, c'est regarder vers le passé, mais pas seulement en tant qu'État. état victimaire permanent, c'est-à-dire nostalgique, c'était mieux avant, on était idéalement les rois, on inventait tout ce qu'il faut, dans une vision un peu afrocentrique du passé de l'Afrique, quoi que ça veuille dire. En revanche, nous souvenir, ça commence déjà par ce temps que moi je considère cyclique et qui... qu'on peut « mesurer » à travers l'anthropologie, où on voit que dans certaines sociétés, en Afrique, en Asie, le temps, lui, est cyclique, c'est-à-dire qu'il revisite le passé. Et donc, à partir du moment où on se dit « tiens, ma présence ici sur Terre, c'est le continuum de mes ancêtres, Qu'est-ce qu'ils pensaient ? Est-ce que je peux interroger ma mère ? Est-ce que je peux interroger ma grand-mère ? Si j'ai la chance encore d'avoir mes grands-parents autour, à quoi ils croyaient ? Quels étaient leurs rituels, leur manière de concevoir la vie ? Est-ce qu'ils avaient des livres fétiches ? Est-ce que je peux les retrouver ? Est-ce que je peux enregistrer ces bibliothèques vivantes tant que j'ai l'occasion ? Pour moi, ça c'est déjà de la spiritualité pour moi. Et notamment, comme je disais, à travers l'art. Et donc, d'aller faire ce travail archéologique du soi, non pas dans un besoin nombriliste, mais pour comprendre ce qui se répète à travers cette spirale du temps, de l'histoire, de ce qu'on vit, de ce qu'on croit inventé, mais en fait, on hérite de choses, etc. Et ça, pour moi, c'est déjà... Après, si on a la chance, l'occasion d'avoir accès à des archives, d'avoir accès à des connaissances au niveau traditionnel, oui. Pourquoi pas se reconnecter à ça ? Mais de manière individuelle, j'ai l'impression qu'il y a des choses dont on ne peut plus avoir accès de cette Afrique que parfois on idéalise. En revanche, oui, de manière sociale, sociologique, les nations en Afrique, je vais parler du Congo que je connais, il y a une spiritualité qu'on appelle Congo, avec un K, qui a été aussi une spiritualité anticoloniale, notamment par une... militante prophétesse Kimpavita qui, elle, s'est levée et qui a levé un mouvement anticolonial par la spiritualité Congo. Oh, désolée, je parle beaucoup. Et donc, voilà, ça ensuite, on peut au niveau sociétal, on pourrait en parler mais c'est vrai qu'on a été déconnectés de ça et que ça nous a voilà. En termes d'épistémologie, de manière du rapport à la nature, aux autres, à la politique. Mais oui, je m'intéresse à ces sujets-là, donc ce sera peut-être un prochain ouvrage. Merci.

  • Speaker #6

    On prend une dernière question. Alors, bonsoir, merci encore pour ce moment-là. Je vais essayer d'être rapide sur un petit témoignage et une question par la suite, par laquelle tu as déjà partiellement répondu. Je suis rayonnaise. Et rapidement, pour... Une partie, ils savent déjà, mais moi, ma charge raciale, c'est tous les jours. au quotidien. C'est avoir un rayon ethnique pour mes produits cosmétiques et cheveux qui sont plus chers. Trouver un médecin généraliste ou gynécologue qui connaît aussi les maladies liées à mon héritage d'ADN, enfin à mon héritage génétique. Trouver un dermatologue qui va pas trouver que mes marques de pigmentation c'est une maladie ou de la nécrose. C'est être en hyper vigilance à chaque soirée parce que les gens vont mettre leurs mains dans mes cheveux sans mon consentement et ne pas être trop agressif parce que sinon on va me dire que je suis trop sauvage, je suis la femme noire qui se rebelle. C'est plein de petites choses comme ça au quotidien, des remarques clichés qu'on est obligé de garder et qu'on ne peut pas se décharger avec un conjoint blanc. Et que si on se rassemble avec des gens de notre communauté, tout de suite c'est mal vu. parce qu'on veut s'isoler. Et c'est aussi, on parlait pour ce que le corps garde, se réveiller d'un cauchemar ou de crise de pleurs, en ayant en soi une rage et un mode de survie qu'on sait qui ne nous appartient pas. Mais en même temps, on me fait comprendre que je suis métisse, comme si c'était un 50-50. et que portant le sang de l'esclave et du volontaire ainsi que du bourreau, du colon, je devrais prendre ça de façon positive et avancer. Et en fait, je voudrais savoir quelle posture aussi avoir ça quand moi, ma charge raciale est beaucoup plus forte que je pense que la touche de blanc que j'ai. Quand par exemple j'ai la boule au ventre parce que j'ai pas ma pièce d'identité quand je sors la nuit ou que j'ai dû apprendre et m'entraîner sur un comportement et un discours à avoir quand j'ai habité aux Etats-Unis au cas où je rencontre la police. Donc quelle posture à avoir quand on en a marre aussi d'éduquer les gens en face et pas se dire que je suis 50-50. Parce que ce que je vis au quotidien, c'est pas du 50-50.

  • Speaker #2

    Merci. C'est ce que je disais par rapport, oui, au terme du métissage et à quel point c'est pernicieux, en fait, de nous... Enfin, quand je dis nous, c'est en tout cas les personnes afrodescendantes et donc les personnes dites métisses d'être renvoyées. Ah, bah tiens, il y a quand même cette part-là de privilège, donc regarde, ça devrait être bien. Évidemment que de manière... Si on comparait entre toi et moi, il y a des choses que je vivrais à cause du colorisme que tu ne vis pas. Mais pour la société encore traversée par son racisme, aux États-Unis comme en France, on fait partie de la même équipe. Et donc moi, j'ai envie de te poser la question. Qui es-tu ? C'est la question de toute une vie. J'en ai conscience. Vraiment. Et d'aller creuser en radicalité. Et quand je dis radicalité, c'est pas de la colère, c'est pas de la rage, c'est... C'est un choix, en fait. Et ce choix-là, c'est... J'ai envie de dire, ce n'est pas parce que tu vis une charge raciale plus forte que tu te définis par rapport à cette charge raciale-là. C'est qui je suis, qu'est-ce que je porte, qu'est-ce que j'ai envie de léguer en termes d'héritage collectif par rapport à comment je me lis à mes communautés. Et à partir de là, il y aura peut-être un peu de soulagement aussi. Parce que finalement, la charge raciale, elle ne va pas changer. Je dirais que ce sera la même. En revanche, la manière dont tu vas incarner, t'ancrer dans cette identité-là, qui pourra forcément évoluer parce qu'on grandit avec notre prise de conscience, etc. Je pense que ça va apporter quelque chose de soulageant. Après, pour la pédagogie, ce que je dis, quand je suis payée, j'éduque. Quand je ne suis pas payée, je me tais. Merci à toi. Force.

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