Speaker #0Et vous ? Vous souvenez-vous de ce moment où vous avez vraiment compris que même sans nous, le temps ne s'arrête jamais ?
Qu'il continue inexorablement et qu'on ne peut rien y faire ?
Ni figer l'instant, ni empêcher ce qui va arriver après ?
C'est entre 6 et 8 ans que l'enfant comprend que la mort, ce n'est pas juste dormir longtemps.
Ce n'est pas un cycle comme les saisons, c'est un point de non-retour.
Les enfants demandent souvent « qu'est-ce qu'on fait quand on est mort ? »
Ils reposent la question encore et encore, comme si la réponse pouvait changer. Comme si, en la posant suffisamment, ils finiraient par tomber sur une explication satisfaisante.
Sauf qu'il n'y en a pas. Ils doivent bien sentir, au fond, qu'on n'en sait rien, que personne ne sait.
Sauf peut-être ceux qui font tourner les tables et qui sont persuadés d'échanger avec un proche décédé.
La mort, c'est ce point aveugle. Héraclite l'avait dit: "Ni le soleil, ni la mort ne peuvent se regarder en face".
À 4 ou 5 ans, on commence à comprendre la mort des autres. Un poisson rouge, un oiseau dans le jardin.
On demande « il dort ? Il va revenir ? » Et on entend « non, il est mort » . Alors on l'enterre, on fait un petit rituel et on comprend sans tout comprendre. Parce que ce n'est pas encore notre propre mortalité qu'on réalise, juste celle des autres.
Puis, vers 6, 7, 8 ans, on fait le lien. Si les autres peuvent mourir, nous aussi. Et là, tout change.
Parce que Cronos, le temps, avale tout sur son passage. Goya l'a peint monstrueux, dévorant un de ses fils.
Le temps dévore le temps. Tout ce que le temps touche, il le détruit.
Arrêter le temps, le plus grand rêve de l'humanité. Plus encore que d'explorer l'espace.
On fantasme sur la possibilité de remonter le cours des choses, de figer un instant.
Qui ne s'est pas dit, dans des moments de bonheur, de joie, "j'aimerais tellement que le temps s'arrête".
Retour vers le futur, les machines à explorer le temps...
Les enfants aussi rêvent de fixer le présent.
Le soir, ma fille murmure des voeux à ses poupées. Elle ferme les yeux et chuchote: "Faites que ma mère soit morte quand je serai morte. Que ma famille reste comme elle est maintenant".
Elle voudrait un temps figé, une éternité douce où rien ne change.
Elle n'est pas la seule.
À l'adolescence, il y a un moment étrange. La conscience de la mort est là. Mais on fait tout pour l'oublier. On sait qu'on peut mourir. Si on saute du huitième étage, on sait comment ça finit.
Et pourtant, les adolescents prennent parfois des risques absurdes. Ils jouent avec la mort comme si elle ne les concernait pas. Comme s'ils étaient invincibles, immortels. Ils provoquent la mort. Même pas cap.
Et puis on vieillit. On met de la crème antiride, on fait du sport, on mange sainement.
On fait semblant d'avoir du contrôle. On tente de ralentir l'inévitable.
Parce que l'angoisse de mort est là, tapie. On sait qu'elle est cap.
Je pense à ce patient, obsédé. "Ce qui me hante, c'est ça. Quand je serai mort, la montre continuera de tourner".
Et c'est peut-être ça qui nous obsède? L'idée que tout continuera sans nous.
On espère maîtriser le temps, on essaie de le remplir, de l'étirer, de lui donner du sens.
Mais il y a juste cette course contre l'inexorable.
Alors comment vivre avec ça ?
Comment vit-on avec cette conscience de la fin ?
Qu'on le veuille ou non, dès notre naissance, on a fait un deal. À la vie, à la mort.
Nier la mort, c'est nier la vie.
Tout comme le monde continue de tourner à la mort d'un proche, la vie continuera aussi sans nous. On est tous égaux là-dessus, ni privilèges ni arrangements.
Une façon de nous apprendre l'humilité et de remettre les pendules à l'heure.
Aucun d'entre nous n'est indispensable au bon fonctionnement de l'univers, alors.
Françoise Dolto disait « On meurt quand on a fini de vivre » . Ça résume bien les choses.
Comme les enfants, tenter d'arrêter le temps, juste un instant.
Apprendre à savourer ce qui s'écoule.
Regarder les gens qu'on aime, peut-être leur dire qu'on les aime.
Partager, fermer les yeux en écoutant une chanson, s'arrêter quelques secondes et se dire « Là, maintenant, je suis vivant » .
À ceux et à celles qui essaient encore de rattraper le temps, bon jogging et n'oubliez pas de boire... de l'eau, of course !
C'était Vous m'avez dit.
On se retrouve dimanche prochain à 20h ou en replay.
Musique composée par Jean-Manuel Jiménez. Montage, Lucas Martinot. Arrangements et direction artistique, Brigitte Massiot.
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