undefined cover
undefined cover
Épisode 32. Aliénor Vidal de La Blache : "Paris-Jérusalem seule et à pied" cover
Épisode 32. Aliénor Vidal de La Blache : "Paris-Jérusalem seule et à pied" cover
Zélie - Le Podcast

Épisode 32. Aliénor Vidal de La Blache : "Paris-Jérusalem seule et à pied"

Épisode 32. Aliénor Vidal de La Blache : "Paris-Jérusalem seule et à pied"

51min |01/04/2024
Play
undefined cover
undefined cover
Épisode 32. Aliénor Vidal de La Blache : "Paris-Jérusalem seule et à pied" cover
Épisode 32. Aliénor Vidal de La Blache : "Paris-Jérusalem seule et à pied" cover
Zélie - Le Podcast

Épisode 32. Aliénor Vidal de La Blache : "Paris-Jérusalem seule et à pied"

Épisode 32. Aliénor Vidal de La Blache : "Paris-Jérusalem seule et à pied"

51min |01/04/2024
Play

Description

Ce mois-ci, nous vous emmenons en voyage, mais pas n’importe lequel. Aux côtés d’Aliénor Vidal de La Blache, auteur de « Seule à pied vers Jérusalem » (Salvator), nous allons marcher sur les routes d’Europe et d’Israël, pendant neuf mois.

Authentique et passionnée, Aliénor – par ailleurs descendante du géographe Paul Vidal de La Blache – est partie vivre une aventure et un pèlerinage. « Dieu était un peu trop relégué à la périphérie de ma vie, raconte-t-elle. Pour Lui laisser plus de place, j’avais besoin de la marche, du silence, de la nature, de la contemplation, de la rencontre aussi. »

Dans ce podcast animé par Solange Pinilla, rédactrice en chef du magazine Zélie, Aliénor Vidal de La Blache nous fait traverser la France et le désert du Néguev (Israël), en passant par l’Italie, la Slovénie, la Bosnie ou encore la Grèce. Danger, gratitude, solitude, rencontres, fragilité, prière… La marche est un concentré de vie, où le temps et la distance prennent une densité nouvelle.

Bonne écoute !

Découvrir le numéro d’avril 2024 > www.magazine-zelie.com/zelie94

S’abonner gratuitement à Zélie > www.magazine-zelie.com

(Musique d'ouverture : "The Return" d'Alexander Nakarada CC BY 4.0
Photo © S. Pinilla)

Régie publicitaire : Tobie


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Solange Pinilla

    Sous-titrage ST'501 Dans le numéro d'avril 2024, nous parlons de la force du groupe. Dans notre société occidentale où l'individu prime sur le groupe, nous évoquons notamment deux lieux où le fait d'être à plusieurs est indispensable. D'une part dans le travail, on ne peut pas travailler absolument seul, même les mots que nous utilisons ont été inventés par d'autres. Et d'autre part dans les épreuves, Isor Armanet, dans ce numéro d'avril, nous parle du rôle décisif de son entourage. dans la sortie de deux dépressions post-partum qu'elle a traversées. Bref, si ce thème de la force du groupe vous parle, rendez-vous dans le numéro d'avril 2024, le lien est dans la description du podcast. Aujourd'hui, pour ce nouvel épisode de podcast, nous rencontrons Aliénor Vidal de la Blache, qui est partie marcher de Paris à Jérusalem il y a quelques années. Elle raconte ce voyage à pied dans un livre, Seul à pied vers Jérusalem, paru chez Salvatore. Aliénor, bonjour.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Bonjour.

  • Solange Pinilla

    Pour commencer, quels étaient vos rêves de petite fille ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Petite fille, j'étais un peu dans un petit monde parallèle, je lisais beaucoup. Je m'inventais beaucoup d'histoires et je crois que mes rêves de petite fille, c'est venu à travers les livres. J'adorais les récits un peu de voyages, d'aventures. Je rêvais de partir dans des conditions difficiles, rudimentaires, à l'autre bout du monde. J'adorais les histoires aussi de... de personnes qui allaient sauver les petits enfants pauvres à l'autre bout de la planète. Donc je voulais voyager, mais pas comme une aventurière. Pas dans des conditions de luxe, ça ne m'intéressait pas du tout. Et si possible, sauver le monde. Je crois que c'était ça mes rêves de petite fille.

  • Solange Pinilla

    Votre nom de famille n'est pas sans évoquer Paul Vidal de Lablache, un géographe français de la fin du XIXe siècle, connu notamment pour ses cartes. Vous-même, vous écrivez à un moment du livre que les cartes vous font rêver. Du coup, je me demandais, est-ce que vous êtes de la famille de ce géographe ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Alors oui, c'est mon ancêtre. J'arrive jamais à retenir exactement, c'est mon arrière-arrière-arrière-grand-père je crois. Il est mort il n'y a pas si longtemps, parce qu'il est mort en 1918, mais les générations étaient rapprochées. Et c'est vrai qu'il y a une tradition des cartes dans la famille. Alors moi j'étais nulle en géo, quand j'étais à l'école, ça a été un poids toute mon enfance. Tous les professeurs de géographie me disaient Ah, le nom des cartes ! Et après ils déchantaient en voyant que j'étais nulle. Mais en revanche j'ai grandi avec, il y avait souvent des cartes chez nous, les atlas de Paul Vidal de Lablache. et elle me faisait rêver. Je pense que... Je ne sais pas dans quelle mesure, inconsciemment, ça m'a impactée, mais c'est vrai qu'aujourd'hui, j'ai une carte de mon ancêtre chez moi, en Atlas, et je les trouve magnifiques. Ça donne envie, mais sans tout dévoiler. Vous voyez ? Pas comme Google Maps, quand on regarde, vous savez, en mettant des photos, on a l'impression qu'on n'a même plus besoin de voyager. On peut voir la couleur de l'herbe, en tout cas au moment où ça a été filmé. Et les cartes, c'est pas comme ça. Ça laisse un... ça ouvre l'imaginaire mais sans tout dévoiler et du coup j'adore et c'est vrai que ces cartes à lui je les trouve particulièrement belles

  • Solange Pinilla

    Qu'est-ce qui vous a amené à partir marcher jusqu'à Jérusalem ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Comme je vous l'ai dit, mon goût de l'aventure est vraiment né à travers les livres à travers les récits et les mots des autres Et j'ai fait un premier voyage en Amérique latine, j'avais 23 ans, j'étais avec des amis, un premier grand voyage. Et j'ai découvert la randonnée à ce moment-là, dans des paysages magnifiques. Et j'ai découvert que j'adorais ça. Moi, je n'avais jamais fait de randonnée jusqu'à mes 23 ans. Ou des petites balades, mais pas vraiment, où on part avec le sac sur le dos pendant plusieurs jours. Et j'ai adoré cette sensation de partir dans la nature, de marcher, d'avancer en marchant et pas avec un moteur. Et après, j'ai continué, j'ai découvert la montagne aussi avec des amis. Je suis allée en 2012 à Compostelle. Et donc ce goût de l'aventure et de la marche a continué à grandir peu à peu en moi. Et alors je ne sais plus quand c'était, en 2015 peut-être, j'étais au festival du film d'aventure à Dijon. C'était un moment où je n'étais pas complètement... j'étais un peu frustrée de ma vie, je n'étais pas complètement heureuse, je ne me sentais pas à ma place dans ma vie privée, au boulot, il y avait plein de choses qui ne me contenaient pas, et là d'un coup je voyais tous ces récits, ces films, ces livres d'aventures avec des images magnifiques, et il y a eu un déclic en moi, je me suis dit, mais en fait j'en rêve depuis si longtemps de faire vraiment un long voyage, une aventure, pourquoi je ne le vivrais pas ? En fait j'ai la liberté de le faire. et plutôt que de me plaindre, de maugrer sur moi-même, je pars. Donc il y a vraiment eu un déclic. Je ne pouvais pas partir tout de suite parce que j'avais commencé un travail pas si longtemps avant, que je me lançais dans une formation aussi. Mais c'était bien parce que ça m'a laissé le temps de mûrir. Peut-être que si j'étais partie trop vite, ça aurait été une fuite. Le fait qu'il y ait eu un an et demi entre ce déclic et le moment où je suis vraiment partie, ça m'a permis de vraiment mûrir mon projet, de me questionner sur ce que j'ai envie de vivre. Au départ, je partais dans tous les sens. J'étais plutôt dans l'esbrouf, un peu. Vous voyez, il fallait à tout prix que je dépasse mes limites, puis celles du monde entier, en fait. Je voulais dépasser les limites de tout le monde. Et peu à peu, je me suis rendue compte que c'était pas très intéressant, que c'était pas tellement ce que moi, je voulais vivre, et que ce que je voulais vraiment, c'était remettre l'essentiel au cœur de ma vie. Et dans cet essentiel, il y a Dieu. Dieu qui n'était pas absent de ma vie, mais qui était un peu trop relégué à la périphérie. Et Dieu, pour lui laisser plus de place, j'avais besoin de la nature, de la marche, du silence, de la contemplation, de la rencontre aussi. Et donc j'ai décidé que cette aventure serait un pèlerinage. Jérusalem, c'est venu un peu par opportunisme, parce que c'est suffisamment loin pour que ce soit l'aventure d'y aller, suffisamment symbolique spirituellement pour nourrir une réflexion. Je ne me suis pas plus posée de questions que ça, sur le fait d'aller là-bas. Le seul truc, c'est qu'aujourd'hui, d'aller à Jérusalem complètement à pied, c'est un peu compliqué avec les guerres. Donc moi, j'ai décidé de passer par la Grèce. voilà parce que ça me plaisait et de Grèce je me suis débrouillée pour rejoindre Chypre puis Israël mais voilà pourquoi Jérusalem ça a été tout un long cheminement et je trouve que ce temps de préparation mentale enfin en tout cas de maturation a été important

  • Solange Pinilla

    Partir à pied, seul, pendant neuf mois, en demandant chaque soir son hébergement, cela signifie évidemment sortir de sa zone de confort et non sans risque, comme on vous l'a souvent dit sur le chemin. Est-ce que vous aviez des craintes en partant dans cette aventure ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Je n'ai pas laissé beaucoup de place dans ma tête aux craintes. En fait, forcément, j'en avais parce que je sais très bien qu'une femme qui part seule en voyage comme ça, il peut y avoir des dangers. Donc, je le savais, mais je me suis dit que je ne voulais pas que ça m'empêche de partir. Après, ce qui me paraissait important, c'était par exemple d'avoir un sac suffisamment léger pour que physiquement ce soit supportable. Une de mes craintes aussi, parce que je suis partie en me fixant trois règles. La première, c'était de ne pas faire de stop. de tout faire à pied, ou si je faisais du stop, ce qui m'est arrivé deux ou trois fois, je revenais dans le sens inverse le lendemain pour repartir de là où je m'étais arrêtée. Donc tout faire à pied, ne pas payer pour dormir, donc demander l'hospitalité, ne pas aller à l'hôtel, ou alors si j'allais à l'hôtel, c'est qu'on m'y invitait. Et la troisième règle, c'est que j'avais 5 euros par jour maximum pour vivre. Et donc cette dépendance dans laquelle je me mettais, notamment pour la nuit, c'est vrai que ça, ça a été quelque chose d'à la fois magnifique et très difficile. Donc je crois que ma crainte, c'était de me dire, mais est-ce qu'on va m'accueillir ? En fait, je suis partie en 2017, et c'est vrai que j'étais fatiguée d'entendre de partout qu'on était une Europe qui accueillait pas, qui savait pas accueillir, d'entendre cette peur un peu de l'autre, de l'étranger, et moi ça me blesse d'entendre ça, je me dis mais je veux pas que l'humanité soit comme ça. Peut-être que je suis un peu bisounours, mais en fait, c'est pas ça. Moi, je n'ai pas envie de voir cette humanité-là. Et je me suis dit, je vais éprouver moi-même si on est capable d'hospitalité. Donc ça, c'était un vrai défi et un défi que je lançais à Dieu. Parce qu'en fait, j'ai un peu sauté sans filet en me disant, on va bien voir si tu me récupères et si tu es capable de m'aider. C'était peut-être pas très glorieux comme démarche, mais dans mon désir de me rapprocher de Dieu, il y avait ce désir de vérifier qu'il prenait soin de moi. Donc je crois que ma peur principale, c'était peut-être ça. C'était, est-ce qu'on va m'accueillir ? Et puis dans une démarche chrétienne, dans une France laïque, est-ce que aussi je vais être jugée ? J'avais cette crainte-là aussi. Après, le reste des peurs, est-ce que des chiens vont m'attaquer, est-ce que des hommes vont m'attaquer, est-ce que plein de choses, j'y pensais pas trop. Je pense que je suis pas d'une nature très craintive quand même. Donc c'est pas très compliqué pour moi de pas me laisser envahir par ça.

  • Solange Pinilla

    Partant de Paris, vous avez commencé par traverser la France en direction des Alpes, en passant par la Bourgogne. Est-ce que vous avez découvert un aspect de la France que vous ne connaissiez pas ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Euh, oui. Ce qui m'a beaucoup marquée, j'ai traversé une France rurale, une France dans laquelle, en tout cas jusqu'aux Alpes, il y a peu de marcheurs. et j'ai énormément été accueillie dans ma démarche de demande d'hospitalité j'ai beaucoup été accueillie dans les fermes et moi je suis une citadine je ne connais pas bien ce monde agricole et j'ai adoré me rapprocher de ce monde là entendre les questions les craintes vraiment j'ai été bien accueillie C'est-à-dire que, est-ce que c'est parce que c'est un métier qui vous amène à travailler dehors et que du coup, c'est plus facile de rencontrer les agriculteurs ? Est-ce que c'est parce que la porte d'une ferme est ouverte, parce que s'il y a une démarche commerciale, je ne sais pas ? En tout cas, très souvent, j'ai planté ma tente près d'une ferme, mais à chaque fois, on m'accueillait, on me donnait à manger, on me disait, oui, dépouille notre cerisier, il est pour toi, ou alors on me donnait du lait des vaches, et une vraie simplicité dans l'accueil. Et puis, ça, je crois que ça a été vraiment, pour moi, un regard ouvert sur cet univers que je connaissais plus par les médias qu'en direct. Et j'ai été frappée aussi, je suis partie en 2017, c'était après des élections présidentielles, et d'entendre à quel point ce monde se sentait peu écouté, peu reconnu, de voir leur peur, et ce n'était pas que dans la tête, je sentais qu'il y avait quelque chose aussi, un attachement viscéral à cette terre et à ce métier. J'ai été vraiment très touchée par ces rencontres.

  • Solange Pinilla

    Après quelques jours au foyer de charité de la Flatière face au Mont Blanc, vous passez la frontière et en Italie vous traversez le parc Val Grande, une des dernières zones sauvages d'Europe, qu'on vous déconseille de traverser car dangereux et trop isolé, mais vous dites que l'appel de la montagne est plus fort et vous y allez, est-ce que vous l'avez regretté ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    C'est vrai que j'ai fait le choix en Italie de passer par les montagnes, donc par le nord des grands lacs, par les Alpes, plutôt que par le sud, par la plaine du Pau, ce qui est un choix que font souvent les pèlerins quand ils vont à Jérusalem. Mais moi je trouve, j'aime pas marcher sur du plat en fait. Bon déjà je trouve que c'est un peu ennuyeux, et puis même physiquement je trouve ça plus dur, le corps fait toujours le même mouvement. Enfin moi j'ai plus facilement mal quand je marche sur du plat. Alors la montagne, je savais qu'il y a plus de danger et qu'il y a plus de fatigue peut-être quand même parce que c'est exigeant. Mais c'est tellement beau. En fait, moi, j'adore cet univers. Et la beauté fait partie de ce qui me rapproche de Dieu aussi. Et c'est peut-être dommage, mais le danger me rapproche de Dieu aussi. Alors, je ne cherchais pas le danger, je ne cherchais pas à le provoquer. Mais de fait, à certains moments où je me suis sentie en danger, c'est vers Dieu que je me tourne. mais c'est surtout la beauté qui m'attirait et je ne l'ai pas du tout regretté au contraire, ça a tellement été important dans mon voyage et puis ce monde de la montagne aussi dans les petits villages, dans les vallées d'altitude en Italie j'ai été très bien accueillie il y a des endroits encore qui restent très isolés et qui restent habités et j'ai adoré découvrir ces petits mondes qui sont quand même un peu coupés du reste du pays donc non non je ne l'ai absolument pas regretté alors c'est vrai que c'est un équilibre entre écouter les dangers et ce qu'on vous déconseille de faire mais pas trop les écouter quand même parce que les gens en tout cas moi j'ai ressenti que souvent les gens projetaient sur moi beaucoup de peur le fait que je sois seule que je sois une femme j'avais déjà un peu l'expérience de la montagne donc je sais très bien qu'il y a des dangers mais voilà je pense qu'il faut un peu écouter mais pas tout le temps non plus toutes les peurs qu'on projette. Moi, je trouve que marcher le long d'une route où les voitures et les camions vont vite en vous frôlant, c'est aussi dangereux que la montagne. Et j'ai parfois eu vraiment peur de ça. Après, je choisissais quand même mes chemins en fonction du fait que j'étais seule. J'essayais de ne pas faire n'importe quoi. Mais c'est vrai que je peux avoir un côté quand même un peu, parfois, fonceur. C'est-à-dire que ça m'attire. et là où ça a été parfois où je me suis posé des questions c'était depuis le début je voulais vivre à la fois une aventure un pèlerinage et parfois je me disais quel équilibre je garde c'est à dire parfois en montagne où je sens que j'allais trop loin dans des chemins difficiles et je me disais mais est-ce que là je bascule pas trop du côté de l'aventure Bon, ça, ce sont des questions très théoriques, parce qu'en fait, personne n'a jamais défini ce qu'est l'aventure et le pèlerinage. Mais moi, en tout cas, dans ma démarche personnelle, je sentais qu'à un moment donné, je donnais plus de place au défi qu'à la quête intérieure. Donc, ça a été un peu une question qui m'a travaillée. Je n'ai toujours pas répondu, d'ailleurs. Ça reste là.

  • Solange Pinilla

    Vous arrivez ensuite en Slovénie, c'est une nouvelle culture, une nouvelle langue. À un moment, vous êtes épuisé et en larmes devant un magasin fermé, vous n'arrivez plus à vous relever. C'est là qu'une petite voix intérieure prend le relais. Racontez-nous.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Effectivement, en Slovénie, j'ai beaucoup... Enfin, en fait, au niveau des Dolomites, je suis redescendue dans la plaine parce qu'il y avait énormément d'orages en montagne et que ça devenait trop difficile, trop dangereux. Donc, je suis redescendue. Et là, j'ai souffert de la canicule. C'était le mois de juillet, je crois, encore. Enfin, juillet, début août. Et il faisait plus de 40 degrés les après-midi. Et c'était vraiment difficile physiquement. Très, très éprouvant. J'aime pas trop la chaleur, en plus. et je trouve que marcher dans ces conditions, dans la plaine où il y avait peu d'ombre, c'est pas humain. Donc je suis arrivée en Slovénie, j'étais vraiment fatiguée, j'ai essayé de partir tôt le matin, de faire des plus petites journées, des grandes siestes, mais en fait comme je demandais l'hospitalité, je pouvais pas non plus arriver à midi chez les gens. Soit les gens sont pas chez eux, ou alors ils trouvent ça un peu étonnant que vous arrêtiez aussi tôt, enfin c'est pas facile de demander l'accueil tôt dans la journée, c'est plus facile quand on est en fin d'après-midi. Donc ce jour-là, j'avais pas dormi de la nuit à cause de la chaleur. J'avais prévu d'aller acheter 2-3 choses à manger dans un supermarché que j'avais repéré. Je m'étais levée très tôt pour profiter des heures fraîches, mais là, à 7h30 du matin, j'étais déjà en nage, et le supermarché était fermé. C'était rien, il fallait que j'attende une demi-heure qui s'ouvre. Mais c'était une demi-heure des heures un peu plus fraîches, et en fait, j'ai craqué. Je me suis assise, j'ai pleuré, et là... Donc je raconte dans le livre que depuis le début de mon voyage, dans les moments difficiles, j'ai une petite voix intérieure qui me guide, qui me houspille, qui me dit mais si, tu vas y arriver, allez, t'es courageuse, ou alors, bon maintenant tu vas t'arrêter un peu, t'as trop marché qui prend le relais de ma raison qui parfois est un peu fatiguée. Et ce jour-là, ma petite voix intérieure m'a dit mais arrête-toi, pourquoi tu fonces comme ça, pourquoi tu marches trop, tu peux faire deux, trois jours de pause, en fait, t'es épuisée Et j'ai décidé d'écouter cette voix, et j'arrive dans une ville, donc je continuais à marcher jusqu'à une petite ville plus loin, et je m'étais dit que je prendrais un bus jusqu'à Zagreb, où j'irais me poser en attendant une amie qui devait me rejoindre quelques jours. Dans cette ville, j'attends sur un banc, parce que le bus n'était pas tout de suite, et là j'entends les cloches. Et je réalise qu'on est dimanche. Moi, marchant comme ça, j'avais aucun repère dans le temps, je ne savais plus quel jour on était. Je me dis, tiens, c'est dimanche, je vais quand même aller à la messe. Même ça, j'avais peu le courage d'y aller, mais j'y vais. À la sortie de la messe, je n'avais pas le courage d'aller vers les gens, parce que je me suis dit, si ça se trouve, peut-être que des gens peuvent m'accueillir. Et je n'avais pas le courage, j'étais tellement fatiguée au bout du rouleau, c'est difficile de toujours expliquer sa démarche et demander. Et là, c'est une femme qui est venue vers moi et qui me dit... C'est vrai que je détonnais un peu avec mon sac à dos. et qui commence à me parler, et là quand même je lui explique, je lui dis voilà en fait je suis très fatiguée, je vais à Jérusalem mais j'ai besoin de me reposer deux trois jours, est-ce que vous pensez qu'il y a une salle de la paroisse où je pourrais me poser, j'ai pas besoin de grand chose. Et finalement ce sont des paroissiens qui m'ont accueillie chez eux pendant je sais plus trois jours, j'ai été accueillie merveilleusement bien, c'était incroyable, et je me suis dit ce jour-là en fait j'avais plus d'énergie pour rien, j'étais tellement fatiguée que j'arrivais même plus à prendre la décision de m'arrêter. je ne savais plus quel jour on était, ce sont les cloches qui m'ont appelée, je n'avais pas le courage d'aller vers les gens, c'est une dame qui est venue vers moi, et en fait j'ai trouvé ça incroyable. Et là, souvent quand je perds confiance en Dieu, j'essaie de me rappeler de ce jour-là, je me dis mais en fait à quel point il a pris soin de moi, en m'envoyant, je l'appelle mon petit coach personnel, mais je me dis que c'est peut-être mon ange gardien, je ne sais pas, ensuite les cloches, ensuite une femme qui est venue vers moi, puis des paroissiens qui m'ont accueillie. et je me dis, ben voilà, j'étais un peu au fond du seau mais même là, enfin surtout là, il y était lui aussi et il a pris le relais et c'est une immense confiance que ça me donne dans la vie, cette expérience et j'ai besoin de me la rappeler régulièrement pour me dire mais attends, arrête de stresser, d'avoir peur pour ce qui pourrait arriver parce qu'en fait, Dieu ne te lâche pas ça, ça a été très fort

  • Solange Pinilla

    Peu avant d'arriver en Bosnie, vous trouvez sur la carte un chemin qui part d'un village, mais ce chemin en vrai n'existe plus, et donc vous partez à l'azimut dans la forêt, vous prenez soudain conscience que ce chemin n'existe plus, mais c'est peut-être parce qu'il reste des mines de la guerre des Balkans, qui s'est déroulée dans les années 1990. Quelle marque a laissé cette guerre dans les paysages d'aperçu et les rencontres que vous avez faites dans ces régions ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    C'est vrai que j'ai été très marquée par la Bosnie, et donc il y a eu ce chemin inexistant où j'ai vraiment eu peur. En fait, j'étais à la frontière, j'étais encore côté Croatie, mais me dirigeant vers la Bosnie. Je n'ai jamais été aussi heureuse de retrouver une route, moi qui n'aime pas marcher sur des routes, là j'étais vraiment contente de m'y retrouver. Et puis ensuite, le deuxième jour en Bosnie, donc heureusement je n'étais pas toute seule, deux amis m'avaient rejoint. et on marche dans la forêt, et en fait, il y avait des panneaux pas diminés, donc attention, mine partout, donc il ne fallait surtout pas sortir du chemin. Les villages étaient inexistants, c'est-à-dire que le village où j'avais prévu de prendre de l'eau, que j'avais repéré sur la carte, n'existait plus. Il y avait des ruines et des arbres à la place. Et ensuite, même dans les villes, même dans les endroits habités, il y avait encore beaucoup de façades avec des impacts de balles, d'obus, on ne saura pas expliquer ce que c'est. Donc les traces étaient vraiment visibles sur les façades, les murs, même dans une forêt. Et puis, dans les rencontres avec les gens, on sentait que c'était là, mais qu'on ne pouvait pas en parler. Enfin, moi, en tout cas, c'est ce que je ressentais. C'était difficile d'en parler. Et puis, c'est vrai que derrière, il y a aussi... C'était une guerre civile. Et il continuait à cohabiter. Donc, vous savez, il y a les communautés serbes, croates et bosniaques. Communautés serbes qui sont orthodoxes, croates catholiques et bosniaques qui sont musulmanes. Et quand j'étais accueillie par des Bosniaques qui me disaient Le village suivant, c'est des Croates, je ne sais pas s'ils vont bien t'accueillir. Puis les Croates me disaient la même chose des Serbes. En fait, tout le monde disait ça de son voisin. Moi, j'étais bien accueillie partout. Et c'est vrai que c'est peut-être ça la douleur des guerres civiles. C'est qu'en fait, la cohabitation demeure derrière. Mais qu'est-ce qu'il reste de la peur, de la méfiance, de la rancœur ? J'ai vraiment senti à la fois des gens incroyables, d'une générosité. Par moments, je regardais les yeux par terre quand je traversais des villages, parce que sinon on m'interpellait trop, on m'invitait trop, j'arrivais plus à avancer. Donc des gens d'une grande générosité, beaucoup d'amour pour leur pays, et puis en même temps, cette blessure qui reste de la guerre. Et puis à Sarajevo, j'ai visité le musée qui retrace l'histoire de la guerre, et ça m'a bouleversée. C'est une guerre moderne, en fait, que quand j'étais moins enfant, donc c'est facile de s'y projeter. et vraiment j'ai été très impactée par ça et puis à quelques occasions j'ai été accueillie par exemple dans des monastères franciscains avec des religieuses qui parlaient anglais ou italien, langue que je parle donc ça a aidé parce que c'est vrai que sinon je ne parle pas le cerveau croate les échanges étaient plus compliqués et c'était chouette de rencontrer des personnes à qui je pouvais poser mes questions qui me racontaient leur expérience Pendant la guerre, ça a aidé à mettre des mots sur ce que je percevais et ce que je voyais, mais qui reste très dur à comprendre. La Bosnie ne s'est pas limitée aux traces de la guerre et à tout ça, mais il y avait bien plus que ça. Mais c'est vrai que ça m'a marquée.

  • Solange Pinilla

    Vous arrivez ensuite au Monténégro. Vous écrivez à ce moment-là que vous n'avez de l'énergie que pour une journée et que le stock se renouvelle en dormant. Plus généralement, comment vous trouvez la force de continuer malgré la fatigue, les douleurs, la solitude ? C'est vrai que moi, en lisant votre livre, je me disais que je me serais arrêtée au bout de trois jours à cause des ampoules. Tellement c'est douloureux. Comment vous faisiez ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    C'est vrai que les ampoules, toute la partie française, j'ai eu des ampoules et ça a été dur. Là, j'avoue que... Je n'ai jamais pensé m'arrêter parce que je suis un peu trop têtue pour ça, je pense. Mais quand même, certains jours, j'avais vraiment envie de râler. Les ampoules, ça n'a l'air de rien, mais chaque pas est douloureux. Et quand on ne fait que ça toute la journée, de marcher dessus, ce n'est pas très agréable. C'est vrai que souvent, je recevais des messages, parce que j'avais un blog pendant mon voyage, et c'était un blog qui était plutôt pour les amis, mon environnement proche, mes amis, ma famille, mais c'était super parce que ça me permettait de réfléchir à la façon dont je pouvais partager ce que je vivais, à mettre des mots sur ce que je vivais, et puis, à l'inverse, de recevoir des messages qui me faisaient du bien. Et parfois, on m'envoyait des messages en me disant Waouh, qu'est-ce que t'es courageuse ! Moi, je ne me sentais pas plus courageuse, en fait, pas plus courageuse que n'importe qui qui se réveille le matin, a une grosse journée de s'occuper de ses enfants, de son travail, de... En fait, c'est chaque journée en soi qui compte. Et donc, un jour, un ami me demande où est-ce que je vais être dans quelques jours, et je me rends compte que ça m'angoisse de regarder la carte. Mais comme n'importe qui peut être angoissé devant la liste monstrueuse des choses à faire, vous voyez ? et je lui réponds je ne peux pas regarder la carte sur plusieurs jours parce que ça me fatigue à l'avance de regarder ça j'ai du courage que pour une journée et je me dis mais c'est vraiment ça en fait et aujourd'hui encore j'applique ça c'est à dire que quand la liste de tout ce que je veux faire est trop énorme je découpe et je me dis ok aujourd'hui ça va ressembler à quoi et là ça devient un peu plus réaliste Et puis c'est magique parce qu'en fait le nombre de fois où je me couchais le soir et j'étais mais crevée, le corps endolorie et je me disais mais comment je vais pouvoir marcher demain matin puis en fait le lendemain matin ça allait mieux La nuit, on est bien fichus. Et le sommeil, un bon sommeil, c'est magique. C'est vrai que j'ai quand même la chance d'avoir un bon sommeil, surtout quand j'ai marché toute la journée en général, je dors facilement. Et je crois que déjà ça, ça joue en fait, c'est de faire confiance, mais faire confiance pour la journée, pas trop se projeter, parfois c'est dangereux. En tout cas, moi j'essaie d'éviter. Et puis la force de continuer seule... C'est surtout, il y a eu un moment pendant le voyage où c'était vraiment très dur en Albanie, pendant plusieurs jours je supportais plus cette solitude, elle me pesait. Et je ne me suis pas dit que j'avais envie d'arrêter, mais je me suis demandé comment j'allais continuer comme ça. Je perdais le goût de mes journées du coup, j'arrivais plus à être heureuse de cette marche. Et la prière là m'a vraiment aidée. la prière moi j'hésite pas un peu à râler dans mes prières c'est à dire écoute là j'en peux plus faut que tu m'aides de râler auprès de quelqu'un on décharge un peu ce qui est dur et je me dis Dieu doit pouvoir encaisser ça j'espère en tout cas moi ça m'a vraiment aidé de confier cette solitude à Dieu et puis les rencontres parfois c'est des toutes petites rencontres c'est pas grand chose mais juste une petite mamie sur le bord du chemin qui me donne des noix, du raisin en me faisant un sourire en fait c'est déjà très fort et ou une belle nature. Moi, j'adore voir des animaux aussi. Ça me donnait beaucoup de joie. Je pense que ce qui aide et ce qui permet d'avancer, c'est très quotidien, en fait. C'est des petites joies dans le quotidien. Que ce soit une rencontre, une belle nature, une émotion sympa, enfin. Et de le reconnaître, de les voir, ces petits moments, moi, ça m'aide beaucoup. Parce qu'en fait... Si je focalise sur ce qui est dur, peut-être que je ne vais pas voir ce qui est beau. Donc c'est un peu une volonté aussi de se dire, bon, attends, j'arrête de râler. Qu'est-ce qui peut m'aider ?

  • Solange Pinilla

    En Albanie, les personnes sont très accueillantes, à quelques exceptions près, et vous n'avez pas eu à planter votre tente. Malgré leur pauvreté, certaines personnes prennent même sur leur nécessaire. Comment est-ce que vous l'avez vécu ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    J'ai été très touchée par l'accueil en Albanie. C'était... Souvent, je dormais dans le salon où la grand-mère dormait déjà. Donc, elle dormait sur un canapé, moi sur l'autre, dans la chambre avec les enfants. Et c'était d'une simplicité, d'un naturel incroyable. C'est le pays, voilà, c'est le seul pays, comme vous dites, où j'ai jamais planté ma tente. J'ai pas eu besoin. Les gens m'accueillaient chez eux. J'ai parfois dormi dans des monastères aussi. Un soir, j'ai été accueillie dans une petite ville par une famille. Il y avait les parents, la fille et la petite-fille. La fille qui devait avoir une trentaine d'années. Les parents étaient séparés, mais n'avaient pas les moyens d'avoir des logements séparés. Ils continuaient à habiter ensemble, le père dans le salon. Il y avait une chambre dans laquelle dormaient, dans un grand lit, la grand-mère, la mère et la petite. grande précarité et cette femme et sa petite fille avaient cherché à migrer en France et puis en Allemagne justement pour essayer d'avoir une vie meilleure, d'autres opportunités qu'elles n'avaient pas en Albanie. Et elles ont dormi dans la rue, elles ont été expulsées. Donc elles font partie de ces migrants qu'on voit dans la rue, de ces femmes avec enfants dont la présence me bouleverse. Et là, c'était inversé. C'était moi, la personne à accueillir, et elles m'ont accueillie. C'est-à-dire qu'elles n'ont pas prétexté, Ah non, il n'y a pas de place, on n'a pas le temps, je ne sais pas quoi. Elles ont poussé leur lit dans lequel elles dormaient à trois. Elles m'ont fait un petit espace par terre et j'ai dormi sur des coussins par terre. Et c'est vrai que c'est pas toujours facile d'être dans cette position de la personne qui demande, surtout quand on est accueilli par des personnes qu'on peut de moyens. Souvent on me donnait à manger, on me servait, mais c'était infini, il y avait énormément. Et je me disais, mais est-ce que ces personnes mangent tous les jours comme ça ? Je suis pas sûre qu'elles mangent de la viande à tous les repas. Ou alors est-ce que c'est parce que je suis là, mais dans ce cas, est-ce que je suis pas en train de les dépouiller ? sachant que cette décision de voyager avec peu de moyens je l'avais prise mais en fait si j'avais voulu me payer un resto j'aurais pu c'était un choix, c'était pas une obligation, c'était pas vital en fait donc parfois c'était dur, j'avais un peu de culpabilité et en même temps les rencontres étaient belles

  • Solange Pinilla

    Eux ne me faisaient jamais sentir que c'était un poids. Et puis je me disais, en fait, je n'ai pas grand-chose à rendre. Donc tout simplement, j'essayais vraiment d'être sincère dans mon intérêt envers les personnes qui m'accueillaient. Je trouve que de réellement les regarder m'intéressait à ce qu'elles vivaient. Alors les communications n'étaient pas toujours simples dans des langues étrangères. Mais puis de prier pour ces personnes, tous les jours je les confiais à Dieu. Et je ne pouvais rien faire d'autre en fait. Donc ce n'est pas si facile quand on dit non aussi. Quand on me disait non, c'était parfois dur. Ça demande d'être dans une position d'humilité qui n'est pas très naturelle. Je trouve en tout cas moi qui ne m'a pas... Dans mon éducation, j'ai l'impression qu'on m'a appris à ne pas trop dépendre des autres. En tout cas, moi je suis vraiment comme ça. Je n'aime pas trop dépendre des autres, je suis très indépendante, j'essaie plutôt d'être forte que dans mes fragilités. Et là, cette démarche c'était un peu l'inverse en fait. Et c'est vrai que ça bouscule beaucoup, ça amène beaucoup d'humilité. Mais je dirais que... Ce qui a été le plus beau là-dedans, c'est de me rendre compte à quel point une certaine humanité peut être généreuse et hospitalière. Et moi, ça m'a un peu soignée, ça m'a guérie dans ma confiance, dans mon rapport à l'être humain. Me dire, mais en fait, on a ça en nous. C'est juste que parfois, on laisse trop nos peurs nous bloquer. Et je crois que c'est le plus beau cadeau que ces personnes m'ont fait.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Dans les montagnes grecques, vous retrouvez Vincent, un ami français qui vous rejoint quelques jours. Et ce n'est pas le seul de vos proches qui vous a accompagné sur un bout de chemin. Qu'est-ce que vous apportez ces compagnons de marche que vous connaissiez déjà ?

  • Solange Pinilla

    Dès le départ, j'avais proposé à des amis de venir marcher avec moi. Et je leur avais juste dit, il faut essayer de respecter les trois règles que je me suis fixées, parce que je ne vais pas changer ma manière de marcher, puisque vous êtes là. Et puis, je trouvais ça beau de partager un petit bout de ce chemin avec des amis. Et c'est vrai que c'était chouette. Alors déjà, ça me faisait du bien parce que ça brisait un peu la solitude. J'ai vu une évolution entre ceux qui sont venus en France, où les séparations pour moi étaient très dures. C'était compliqué de me retrouver seule. Et puis peu à peu, en fait, me retrouver seule était devenu naturel. C'est-à-dire que bien sûr que j'étais triste de les voir partir. mais je retrouvais l'état dans lequel finalement c'était naturel d'avancer. Donc ça, j'ai vu une vraie évolution, et c'était super de partager mes journées. C'est très différent de marcher à plusieurs et de marcher tout seul. Il y a moins d'invitations spontanées. Tout seul, on me parlait énormément dans la rue, on m'invitait très facilement. Ça, quand je marchais à plusieurs, ça arrivait moins. mais du coup je partage d'une autre manière c'était intéressant aussi de partager mes questions un peu spirituelles ou éthiques enfin sur plein de sujets tous les amis qui sont venus marcher n'étaient pas croyants donc ça aussi c'est chouette de les inviter à partager un pèlerinage mais eux ne partagent pas forcément ma foi et je trouvais ça super de confronter, de leur dire de les interroger comment tu vis le fait d'être sur un pèlerinage mais qu'est-ce que ça veut dire pour toi Un voyage comme celui-là est une expérience qui m'a profondément marquée. Mais jusqu'à l'écriture du livre, j'étais très seule avec mes souvenirs. Très seule avec ce que j'avais vécu. On m'a souvent dit que je n'en parlais pas tant. Mais ce n'est pas simple d'en parler. En tout cas, sauf quand on me donne un micro et que je suis vraiment là pour ça. Mais dans le quotidien, ce n'est pas si facile. Et le fait d'avoir quand même des amis avec qui j'ai un peu marché, ça me permet d'avoir des petits moments où je pouvais partager. Des gens qui savent un tout petit peu ce que j'ai pu vivre. Et ça aussi, c'est important pour l'après. Et c'est vrai que là, aujourd'hui, le fait d'avoir écrit le livre, mes souvenirs deviennent partagés et c'est beau aussi.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Arrivé au Pyrrhée, le port d'Athènes, après presque six mois de marche, vous cherchez un bateau pour vous rendre à Jérusalem, mais les choses sont un peu plus compliquées que prévues. Pourquoi ?

  • Solange Pinilla

    J'avais pas du tout anticipé cette question de la traversée de la Méditerranée. J'avais pas beaucoup pensé à ça. C'est vrai qu'il y a plusieurs manières aujourd'hui d'arriver en Israël. Donc certains traversent la Turquie jusqu'au niveau de Chypre, ensuite passent par Chypre. Certains vont plutôt dans le sud de l'Italie, prennent des bateaux. Je sais pas trop comment ils font, mais voilà. Moi, j'ai choisi d'aller jusqu'en Grèce. Arrivé à Athènes, je m'étais dit, toujours dans mon envie d'aventure, je vais faire du bateau stop, j'ai bien réussi à trouver un cargo, je ne sais pas trop quoi, pour Israël, ou en passant par Chypre et tout ça. En fait, c'était beaucoup plus compliqué que ce que je pensais. Je n'avais pas pensé qu'il y avait une saison de la navigation. Donc il n'y avait pas beaucoup de bateaux qui naviguaient à ce moment-là, et encore moins qu'il y allait dans cette direction. C'est loin Chypre en fait, en bateau. il n'y avait pas de ferry il y a une compagnie de cargo qui a commencé par me dire oui avant de me dire finalement non on ne vous emmènera pas Tout ça m'a pris du temps. J'avais des contacts avec des compagnies croisières, notamment des croisières qui font... Enfin, à la thématique chrétienne. Mais pareil, c'était plus la saison, en fait. En novembre, ils partent plus. Et moi, j'avais pas du tout pensé qu'il y avait une saison pour ces choses-là. Et donc, ça a été compliqué, finalement. J'ai pris un ferry jusqu'à Rhodes. De là, j'ai rejoint la Turquie. Et j'ai été confrontée... À ce moment-là, j'ai été confrontée un peu à la question Mais pourquoi je vais en Terre Sainte ? et surtout à la limite de mes règles où je m'étais dit que je ferais tout à pied sauf quand j'étais obligée de prendre le bateau mais par exemple en Turquie j'avais je crois 600 ou 700 kilomètres à faire pour arriver jusqu'en face de Chypre et je m'étais dit que je marcherais pas en Turquie seule parce que j'ai entendu plusieurs fois des histoires de femmes qui se sont fait embêter là-bas j'avais pas envie de prendre ce risque là ça me rajoutait un mois de marche, pas loin de ça et bon j'avais le temps c'était pas très grave mais quand même c'était pas forcément ce que j'avais envie de faire donc là finalement en Turquie j'ai pris le bus donc pour moi ça a été très dur de me dire que je contournais les règles que je m'étais fixée de confier ma progression à un moteur je me suis rendue compte que mon pèlerinage c'était parce que je marchais et que sans la marche j'avais du mal à retrouver mon quotidien de pèlerine, j'étais vraiment perdue Chypre, j'ai traversé à pied, donc ça prend 4 jours, c'est très court, parce que je suis arrivée par le nord et je suis repartie par le sud. Et là, arrivant au sud de Chypre, en fait, pas de ferry, pas de bateau, et puis ce sont des zones un peu compliquées politiquement, que ce soit Chypre ou Israël. Et les cargos ont refusé de me prendre, et ça faisait déjà 15 jours que j'étais arrivée à Athènes, que je galérais un peu dans toute mon avancée. et j'étais là mais enfin comment je vais arriver en Terre Sainte et j'ai choisi finalement de prendre l'avion parce qu'à un moment donné je me suis dit je sais pas pourquoi je vais en Terre Sainte mais c'est là que je vais et c'est vrai que ça me perturbe déjà un peu par rapport à notre façon de vivre la planète pour une distance aussi courte de devoir prendre l'avion écologiquement je comprends pas que ce soit, alors un ferry est pas forcément beaucoup moins écolo que beaucoup plus écolo que l'avion mais euh... mais j'avais envie de garder le contact avec la planète. J'étais déçue de devoir prendre l'avion, et en même temps, à un moment donné, c'était en Terre Sainte que je voulais aller, et j'ai choisi d'y arriver par ce biais-là. Mais c'est vrai que ça m'a beaucoup questionnée sur mais qu'est-ce que ça veut dire qu'être pèlerine ? Pourquoi la marche ? Pourquoi la Terre Sainte ? Mais ça a été difficile, et puis peut-être un certain orgueil aussi faisait que j'avais envie d'y arriver par mes propres moyens et à l'aventure. sans prendre l'avion, et finalement j'ai renoncé.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    En Israël, deux ou trois jours de marche vous auraient conduit à Jérusalem, mais c'était trop rapide à votre goût, donc vous préférez à ce moment-là suivre en partie le Shevil, un chemin de randonnée qui traverse Israël du nord au sud, et d'ailleurs ce ne sera pas de tout repos. Du coup, pourquoi finalement vous voulez absolument marcher ? Qu'est-ce que vous procure la marche que vous ne trouvez pas ailleurs ?

  • Solange Pinilla

    Quand je suis arrivée en Israël, c'était après ces 15 jours de traversée un peu chaotique depuis Athènes, et je me sentais dépossédée de mon pèlerinage, d'avoir confié mon avancée à des bus, des bateaux, des avions, d'avoir dû expliquer tous les passages de frontières, pourquoi j'étais là, ce que je faisais là. ça me perturbait et j'ai choisi de faire ce voyage à pied et je voulais arriver à pied mais 2-3 jours depuis entre Tel Aviv et Jérusalem je savais que ça n'allait pas me permettre de retrouver la marche dans mon corps dans ma tête et moi je voulais vraiment arriver en ayant le sentiment d'avoir marché donc j'ai pris un dernier bus jusqu'à Elat au bord de la mer Rouge et là ensuite je suis partie j'ai traversé à pied c'était incroyable parce que j'ai traversé le désert du Negev et ça c'était une expérience super forte pas toujours facile parce qu'en fait comme vous dites il y a le cheville qui est un chemin de randonnée balisé et dans le désert du Negev les randonneurs souvent se mettent d'accord avec des agences qui leur livrent de l'eau en cours de route ou alors ils louent des voitures avant pour aller cacher de l'eau à certains endroits dans le désert comme ça ils le retrouvent pendant leur chemin moi évidemment j'ai pas fait tout ça mais je portais parfois deux jours d'eau en faisant des très grosses étapes donc physiquement c'était intense et intense Mais en même temps, du coup, c'était génial parce que ça m'a permis de retrouver ce rapport au monde très différent qu'on a quand on marche. Un peu comme quand on est en montagne ou on est dans un univers qui est sauvage. et là j'ai adoré bivouaquer dans le désert et me sentir un peu à l'écart du monde c'est un rapport au monde qui est vraiment différent je suis intensément dans l'instant dans ce que je vis et le fait de le faire à pied je sens la distance en fait chaque changement de paysage est important le désert ça a été très fort et puis après j'ai vraiment pu arriver à Jérusalem à pied des pieds ensanglantés d'ailleurs parce que le désert, le sable avait complètement détruit mes chaussures j'avais les pieds dans un état épouvantable et donc je suis arrivée en clopinant je me suis arrêtée 5 jours à Jérusalem et ensuite j'ai continué jusqu'à Tibériade depuis le début je savais que je voulais m'arrêter au bord du lac de Tibériade et donc j'ai marché encore une semaine je crois ou 10 jours je sais plus entre Jérusalem et Tibériade Et je suis passée par la Cisjordanie. C'était un choix, je ne voulais pas marcher que côté Israël, je voulais marcher en Palestine aussi. Et ça a été très dur parce que je me suis retrouvée dans les territoires occupés face à une guerre qui encore plus aujourd'hui est dure. Je me suis retrouvée face à des choses que je ne comprenais pas, à des violences, à un territoire ultra militarisé. Tous les hommes qui me parlaient étaient armés. Moralement, j'ai trouvé ça très difficile de me dire mais est-ce que je vais demander l'accueil dans les colonies ? Mais en même temps, où est-ce que je vais dormir si je ne vais pas dans une colonie ? C'est le désert, il n'y a pas d'eau. Donc ça a été moralement très dur. Et puis ensuite, voilà, l'arrivée au lac. Donc c'est vrai que ça n'a pas été de tourpeau, mais je ne regrette absolument pas d'avoir fait cette traversée d'Israël à pied. Parce que c'est ce qui m'a permis de vraiment sentir que je marchais sur la terre de Jésus. Mais c'est vrai que j'ai eu du mal à ressentir de l'émotion devant les bâtiments, les églises, les reconstructions. et moi c'est vraiment venu en marchant sur cette terre que j'ai un peu compris pourquoi j'étais venue pourquoi j'étais là comment votre relation à Dieu a évolué entre le début et la fin du voyage ? je dirais que c'est vraiment devenu un compagnon de route un compagnon de vie avant j'avais du mal à lui faire confiance je crois à me dire qu'il pouvait me rendre heureuse puis je croyais en lui mais sans trop penser à lui en fait il était là dans un coin de ma vie mais sans que je lui donne vraiment d'importance et en même temps je sentais bien que c'était pas bon que c'était pas ça que en tant que chrétien j'étais appelée à vivre en tant que chrétienne et là aujourd'hui il peut se passer des journées entières sans que j'y pense c'est pas magique ça a pas été une conversion fulgurante avec un grand moment mystique et tout ça j'ai pu Ça a plutôt été dans le quotidien, dans les galères du quotidien, dans les jolis moments de chaque jour, d'éprouver sa présence, de me rendre compte que je pouvais lui faire confiance. Et c'est vrai que ce qui a été fort pour moi pendant mon arrivée, c'était de me dire, un peu comme vous savez quand on fait un voyage pour aller sur la terre de ses ancêtres, comme on revient chercher ses racines. J'ai eu l'impression que c'était ça en fait, que je venais chercher mes racines de chrétienne et en allant sur la terre de Jésus homme. Moi je ne suis pas une mystique, Jésus Dieu s'il n'est pas un peu incarné j'ai du mal à le voir. J'ai besoin de le sentir à travers la nature, à travers les autres, à travers sa création. Et là, le fait d'aller sur la terre où il avait grandi, marché, vécu, mangé, souffert, etc., j'ai eu l'impression de faire ce pèlerinage, ce retour aux sources, un peu. Et c'est vrai que par exemple au Saint-Sépulcre à Jérusalem, moi je ne l'ai pas retrouvé. J'ai eu l'impression de me sentir, de comprendre un peu mieux notre histoire chrétienne, qui n'est pas toujours jolie jolie, c'est quand même un lieu de division souvent. Parfois je me dis, mon Dieu, c'est vraiment nous chrétiens, on arrive à tomber dans des écureuils de clochers comme ça, c'est terrible. donc c'est pas tellement ces lieux là qui m'ont porté, c'est vraiment plus par exemple de marcher j'ai marché dans le Wadi Kelt qui est cette vallée entre Jérusalem et Jéricho et c'est une route naturelle, donc Jésus y a marché quand il marchait entre Jérusalem et Jéricho l'histoire qu'il raconte du bon samaritain ça s'est passé là et ça n'a pas beaucoup changé, ça n'a pas été modernisé. Et j'étais bouleversée de me dire, en fait, ces paysages que je vois, lui aussi les voit. Il y a plein de grottes dedans. On voit encore passer des petits enfants bédouins avec des ânes, et ces images-là, je me disais qu'elles ne sont pas beaucoup évoluées depuis 2000 ans. Et ça, ça m'a touchée. Et c'est vrai que j'ai eu l'impression de me rapprocher de Jésus, en fait, dans ce qu'il avait vécu pendant sa vie terrestre. et dans ce qu'il m'apportait aujourd'hui, dans ce qu'il était aujourd'hui en tant que Dieu.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Vous avez décidé de quitter Paris et d'habiter Chambéry dans les montagnes. Est-ce que vous avez fait d'autres changements depuis que vous avez réalisé ce voyage en 2017 ?

  • Solange Pinilla

    C'est vrai que c'était difficile pour moi après avoir passé tant de temps tout le temps dehors, tout le temps un peu en liberté dans la nature. de me retrouver en ville, mais j'ai choisi d'habiter près des Alpes parce que, je vous l'ai dit, j'adore les montagnes. Et c'était... C'est quelque chose... Je n'avais pas tant pensé que ça pendant le voyage, mais au retour, l'envie était vraiment là, donc j'ai cherché un travail près des Alpes. Aujourd'hui, ce qui a pu changer dans mon mode de vie, c'est déjà que j'essaie vraiment souvent de passer du temps à marcher. D'essayer de partir seule aussi, souvent. Je ne marche pas tout le temps seule, mais je le vis différemment et j'aime bien ça. En fait, même si ce n'est pas en montagne, mais juste d'être dans la nature toute seule, en silence, ça me plaît beaucoup. C'est quelque chose qui me nourrit, qui me fait vivre. et qu'est-ce qui a pu changer d'autre c'est d'essayer de garder une simplicité de vie après c'est des changements on évitera très peu par le monde donc c'est tout le temps moi j'ai souvent besoin de me rappeler de me dire Aliénor attention t'achètes pas trop de choses ne sois pas trop dépendante du matériel Moi, je me dis, je passe trop de temps sur mon téléphone. J'ai l'impression que souvent, cet écartèlement entre un monde qui va vite, qui laisse peu de place au silence, à la contemplation. et d'un autre côté ce besoin de silence de contemplation de Dieu je continue à être écartelée comme vous savez s'il y avait deux aimants et que je passe ma vie à être attirée par un aimant plus qu'un autre donc j'ai souvent besoin de me rappeler que ce que j'aime en fait et ce qui me fait vivre c'est une vie plus simple avec moins de moins dépendante du matériel et l'écriture du livre m'a fait beaucoup de bien en fait ça m'a Ça m'a rappelé, j'avais jamais relu mes carnets de voyage, et le fait de les relire, de me rappeler à quel point cette vie-là m'avait rendue heureuse, ça m'a un peu... réparer ma boussole intérieure. Ça m'a un peu redit, mais en fait, voilà ce qui est important.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Est-ce que vous pouvez nous parler de votre travail actuel dans le monde associatif ?

  • Solange Pinilla

    Alors, en ce moment, je ne travaille pas. Mais j'ai toujours travaillé dans le monde associatif, dans le social, dans le médico-social. D'abord avec des personnes à la rue, avec des migrants, avec des jeunes, avec des personnes avec un handicap mental ces derniers temps. et moi je pense que je dis toujours les deux choses qui m'ont vraiment fait grandir dans ma vie c'est mon travail avec les personnes en précarité isolées ou fragiles et le voyage et la marche je pense que ce que je suis aujourd'hui et les livres c'est beaucoup lié à ces expériences et toute cette réflexion que j'ai un peu sur nos forces nos fragilités et l'importance de laisser une place à ce qui est fragile aussi en moi, en tout cas l'accepter Ça vient aussi de mes rencontres, de mon travail avec les personnes dont les fragilités sont parfois visibles. Donc c'est quelque chose qui est hyper important pour moi, et d'avoir expérimenté aussi, dans une toute petite mesure, ce que c'est que d'être dépendant, et un peu l'humilité, parfois l'humiliation, de devoir demander et d'entendre des noms. Ça me rend plus attentive à ce que moi je peux répondre, à ma manière de répondre aux sollicitations et une espèce de délicatesse à avoir avec les personnes en fragilité. En fait, je pense que quand je marchais, je demandais l'accueil le soir forcément, et en fin de journée, j'avais déjà une journée de marche derrière moi, donc c'est un moment où j'étais fatiguée. Pour peu que la météo soit pas bonne ou trop chaude ou pluvieuse, ça rajoutait encore un peu à mon... Mon inquiétude de trouver un endroit où dormir, j'étais vraiment vulnérable. Je me suis sentie vulnérable. Et un non qui m'arrivait à ce moment-là était très dur, selon la manière dont il était dit. Et cette vulnérabilité, les gens ne la connaissaient pas. Ils n'avaient pas de raison de savoir que moi, j'étais inquiète et fatiguée. mais aujourd'hui j'essaie toujours de me dire attention à ma façon de répondre aux gens parce que je ne connais pas leur fragilité, leur vulnérabilité et la façon dont je leur réponds peut les blesser au-delà de ce que j'imagine évidemment au-delà de mon intention parce que j'ai rarement l'intention de blesser les gens donc j'ai cette attention là et puis après c'est vrai l'envie d'accueillir aussi à mon tour et ça je sens bien que c'est difficile le rapport au chez-soi, à l'intimité n'est pas le même je pense en France que dans... de ce que j'ai vu en Bosnie, en Albanie, où en fait, la maison est un lieu ouvert. et ça je suis souvent je me frotte un peu à mon propre désir d'être tranquille chez moi dans mon petit nid mais c'est toujours un défi un rappel permanent de me dire laisse ta porte ouverte, accueille parce que c'est beau pour finir,

  • Aliénor Vidal de La Blache

    question courte,

  • Solange Pinilla

    réponse courte compléter cette phrase la personne humaine est la personne humaine est mystérieuse Moi, je me dis toujours, l'être humain est tellement complexe. Donc, il faut que je fasse court. Mystérieuse et belle.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Une odeur que vous aimez ?

  • Solange Pinilla

    Je crois que j'adore l'odeur de la forêt ou la terre après la pluie. Cette odeur un peu d'humus qui est très charnelle. Moi, j'aime beaucoup cette odeur.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Une femme qui vous inspire ?

  • Solange Pinilla

    Je parle pas mal dans mon livre de Etie Hillesum, cette jeune juive hollandaise qui a écrit un journal pendant la guerre, qui est décédée à Auschwitz. Son journal, son témoignage m'a bouleversée. Elle reste un modèle vraiment, à certains moments, un modèle d'espérance, de foi, de foi en Dieu et en l'homme aussi. C'est vraiment une femme qui m'inspire.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Un moment qui vous ressource ?

  • Solange Pinilla

    La sieste. En fait, quand je marche, j'adore faire des vraies pauses en milieu de journée. Et j'adore ce moment où souvent j'essaie de trouver un endroit beau, avec une belle vue, sous un arbre. Et j'adore ces moments de pause. Je les vis encore. Par exemple, j'ai marché une semaine en février et j'ai vécu ça chaque jour. Ce moment de pause quand je marche dans un bel endroit, j'adore.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?

  • Solange Pinilla

    C'est une bonne question et peut-être merci. J'aurais envie de lui dire un grand merci. Et peut-être aussi parfois tes messages ne sont pas clairs. Moi dans mes prières, souvent je lui dis, je veux bien faire ta volonté, mais il faut que tu me le dises clairement parce que je suis un peu têtue et bornée. Et souvent, ta volonté, je n'arrive pas à la comprendre. Donc peut-être merci et n'hésite pas à être plus claire.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Merci beaucoup, Aliénor. Et merci à toutes et à tous de nous avoir écoutés. Nous espérons que cette conversation vous a plu. Nous vous donnons rendez-vous dans le numéro d'avril 2024, comme nous l'évoquions au début de ce podcast. Le lien est dans la présentation du podcast. Et à bientôt pour un nouvel épisode.

Description

Ce mois-ci, nous vous emmenons en voyage, mais pas n’importe lequel. Aux côtés d’Aliénor Vidal de La Blache, auteur de « Seule à pied vers Jérusalem » (Salvator), nous allons marcher sur les routes d’Europe et d’Israël, pendant neuf mois.

Authentique et passionnée, Aliénor – par ailleurs descendante du géographe Paul Vidal de La Blache – est partie vivre une aventure et un pèlerinage. « Dieu était un peu trop relégué à la périphérie de ma vie, raconte-t-elle. Pour Lui laisser plus de place, j’avais besoin de la marche, du silence, de la nature, de la contemplation, de la rencontre aussi. »

Dans ce podcast animé par Solange Pinilla, rédactrice en chef du magazine Zélie, Aliénor Vidal de La Blache nous fait traverser la France et le désert du Néguev (Israël), en passant par l’Italie, la Slovénie, la Bosnie ou encore la Grèce. Danger, gratitude, solitude, rencontres, fragilité, prière… La marche est un concentré de vie, où le temps et la distance prennent une densité nouvelle.

Bonne écoute !

Découvrir le numéro d’avril 2024 > www.magazine-zelie.com/zelie94

S’abonner gratuitement à Zélie > www.magazine-zelie.com

(Musique d'ouverture : "The Return" d'Alexander Nakarada CC BY 4.0
Photo © S. Pinilla)

Régie publicitaire : Tobie


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Solange Pinilla

    Sous-titrage ST'501 Dans le numéro d'avril 2024, nous parlons de la force du groupe. Dans notre société occidentale où l'individu prime sur le groupe, nous évoquons notamment deux lieux où le fait d'être à plusieurs est indispensable. D'une part dans le travail, on ne peut pas travailler absolument seul, même les mots que nous utilisons ont été inventés par d'autres. Et d'autre part dans les épreuves, Isor Armanet, dans ce numéro d'avril, nous parle du rôle décisif de son entourage. dans la sortie de deux dépressions post-partum qu'elle a traversées. Bref, si ce thème de la force du groupe vous parle, rendez-vous dans le numéro d'avril 2024, le lien est dans la description du podcast. Aujourd'hui, pour ce nouvel épisode de podcast, nous rencontrons Aliénor Vidal de la Blache, qui est partie marcher de Paris à Jérusalem il y a quelques années. Elle raconte ce voyage à pied dans un livre, Seul à pied vers Jérusalem, paru chez Salvatore. Aliénor, bonjour.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Bonjour.

  • Solange Pinilla

    Pour commencer, quels étaient vos rêves de petite fille ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Petite fille, j'étais un peu dans un petit monde parallèle, je lisais beaucoup. Je m'inventais beaucoup d'histoires et je crois que mes rêves de petite fille, c'est venu à travers les livres. J'adorais les récits un peu de voyages, d'aventures. Je rêvais de partir dans des conditions difficiles, rudimentaires, à l'autre bout du monde. J'adorais les histoires aussi de... de personnes qui allaient sauver les petits enfants pauvres à l'autre bout de la planète. Donc je voulais voyager, mais pas comme une aventurière. Pas dans des conditions de luxe, ça ne m'intéressait pas du tout. Et si possible, sauver le monde. Je crois que c'était ça mes rêves de petite fille.

  • Solange Pinilla

    Votre nom de famille n'est pas sans évoquer Paul Vidal de Lablache, un géographe français de la fin du XIXe siècle, connu notamment pour ses cartes. Vous-même, vous écrivez à un moment du livre que les cartes vous font rêver. Du coup, je me demandais, est-ce que vous êtes de la famille de ce géographe ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Alors oui, c'est mon ancêtre. J'arrive jamais à retenir exactement, c'est mon arrière-arrière-arrière-grand-père je crois. Il est mort il n'y a pas si longtemps, parce qu'il est mort en 1918, mais les générations étaient rapprochées. Et c'est vrai qu'il y a une tradition des cartes dans la famille. Alors moi j'étais nulle en géo, quand j'étais à l'école, ça a été un poids toute mon enfance. Tous les professeurs de géographie me disaient Ah, le nom des cartes ! Et après ils déchantaient en voyant que j'étais nulle. Mais en revanche j'ai grandi avec, il y avait souvent des cartes chez nous, les atlas de Paul Vidal de Lablache. et elle me faisait rêver. Je pense que... Je ne sais pas dans quelle mesure, inconsciemment, ça m'a impactée, mais c'est vrai qu'aujourd'hui, j'ai une carte de mon ancêtre chez moi, en Atlas, et je les trouve magnifiques. Ça donne envie, mais sans tout dévoiler. Vous voyez ? Pas comme Google Maps, quand on regarde, vous savez, en mettant des photos, on a l'impression qu'on n'a même plus besoin de voyager. On peut voir la couleur de l'herbe, en tout cas au moment où ça a été filmé. Et les cartes, c'est pas comme ça. Ça laisse un... ça ouvre l'imaginaire mais sans tout dévoiler et du coup j'adore et c'est vrai que ces cartes à lui je les trouve particulièrement belles

  • Solange Pinilla

    Qu'est-ce qui vous a amené à partir marcher jusqu'à Jérusalem ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Comme je vous l'ai dit, mon goût de l'aventure est vraiment né à travers les livres à travers les récits et les mots des autres Et j'ai fait un premier voyage en Amérique latine, j'avais 23 ans, j'étais avec des amis, un premier grand voyage. Et j'ai découvert la randonnée à ce moment-là, dans des paysages magnifiques. Et j'ai découvert que j'adorais ça. Moi, je n'avais jamais fait de randonnée jusqu'à mes 23 ans. Ou des petites balades, mais pas vraiment, où on part avec le sac sur le dos pendant plusieurs jours. Et j'ai adoré cette sensation de partir dans la nature, de marcher, d'avancer en marchant et pas avec un moteur. Et après, j'ai continué, j'ai découvert la montagne aussi avec des amis. Je suis allée en 2012 à Compostelle. Et donc ce goût de l'aventure et de la marche a continué à grandir peu à peu en moi. Et alors je ne sais plus quand c'était, en 2015 peut-être, j'étais au festival du film d'aventure à Dijon. C'était un moment où je n'étais pas complètement... j'étais un peu frustrée de ma vie, je n'étais pas complètement heureuse, je ne me sentais pas à ma place dans ma vie privée, au boulot, il y avait plein de choses qui ne me contenaient pas, et là d'un coup je voyais tous ces récits, ces films, ces livres d'aventures avec des images magnifiques, et il y a eu un déclic en moi, je me suis dit, mais en fait j'en rêve depuis si longtemps de faire vraiment un long voyage, une aventure, pourquoi je ne le vivrais pas ? En fait j'ai la liberté de le faire. et plutôt que de me plaindre, de maugrer sur moi-même, je pars. Donc il y a vraiment eu un déclic. Je ne pouvais pas partir tout de suite parce que j'avais commencé un travail pas si longtemps avant, que je me lançais dans une formation aussi. Mais c'était bien parce que ça m'a laissé le temps de mûrir. Peut-être que si j'étais partie trop vite, ça aurait été une fuite. Le fait qu'il y ait eu un an et demi entre ce déclic et le moment où je suis vraiment partie, ça m'a permis de vraiment mûrir mon projet, de me questionner sur ce que j'ai envie de vivre. Au départ, je partais dans tous les sens. J'étais plutôt dans l'esbrouf, un peu. Vous voyez, il fallait à tout prix que je dépasse mes limites, puis celles du monde entier, en fait. Je voulais dépasser les limites de tout le monde. Et peu à peu, je me suis rendue compte que c'était pas très intéressant, que c'était pas tellement ce que moi, je voulais vivre, et que ce que je voulais vraiment, c'était remettre l'essentiel au cœur de ma vie. Et dans cet essentiel, il y a Dieu. Dieu qui n'était pas absent de ma vie, mais qui était un peu trop relégué à la périphérie. Et Dieu, pour lui laisser plus de place, j'avais besoin de la nature, de la marche, du silence, de la contemplation, de la rencontre aussi. Et donc j'ai décidé que cette aventure serait un pèlerinage. Jérusalem, c'est venu un peu par opportunisme, parce que c'est suffisamment loin pour que ce soit l'aventure d'y aller, suffisamment symbolique spirituellement pour nourrir une réflexion. Je ne me suis pas plus posée de questions que ça, sur le fait d'aller là-bas. Le seul truc, c'est qu'aujourd'hui, d'aller à Jérusalem complètement à pied, c'est un peu compliqué avec les guerres. Donc moi, j'ai décidé de passer par la Grèce. voilà parce que ça me plaisait et de Grèce je me suis débrouillée pour rejoindre Chypre puis Israël mais voilà pourquoi Jérusalem ça a été tout un long cheminement et je trouve que ce temps de préparation mentale enfin en tout cas de maturation a été important

  • Solange Pinilla

    Partir à pied, seul, pendant neuf mois, en demandant chaque soir son hébergement, cela signifie évidemment sortir de sa zone de confort et non sans risque, comme on vous l'a souvent dit sur le chemin. Est-ce que vous aviez des craintes en partant dans cette aventure ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Je n'ai pas laissé beaucoup de place dans ma tête aux craintes. En fait, forcément, j'en avais parce que je sais très bien qu'une femme qui part seule en voyage comme ça, il peut y avoir des dangers. Donc, je le savais, mais je me suis dit que je ne voulais pas que ça m'empêche de partir. Après, ce qui me paraissait important, c'était par exemple d'avoir un sac suffisamment léger pour que physiquement ce soit supportable. Une de mes craintes aussi, parce que je suis partie en me fixant trois règles. La première, c'était de ne pas faire de stop. de tout faire à pied, ou si je faisais du stop, ce qui m'est arrivé deux ou trois fois, je revenais dans le sens inverse le lendemain pour repartir de là où je m'étais arrêtée. Donc tout faire à pied, ne pas payer pour dormir, donc demander l'hospitalité, ne pas aller à l'hôtel, ou alors si j'allais à l'hôtel, c'est qu'on m'y invitait. Et la troisième règle, c'est que j'avais 5 euros par jour maximum pour vivre. Et donc cette dépendance dans laquelle je me mettais, notamment pour la nuit, c'est vrai que ça, ça a été quelque chose d'à la fois magnifique et très difficile. Donc je crois que ma crainte, c'était de me dire, mais est-ce qu'on va m'accueillir ? En fait, je suis partie en 2017, et c'est vrai que j'étais fatiguée d'entendre de partout qu'on était une Europe qui accueillait pas, qui savait pas accueillir, d'entendre cette peur un peu de l'autre, de l'étranger, et moi ça me blesse d'entendre ça, je me dis mais je veux pas que l'humanité soit comme ça. Peut-être que je suis un peu bisounours, mais en fait, c'est pas ça. Moi, je n'ai pas envie de voir cette humanité-là. Et je me suis dit, je vais éprouver moi-même si on est capable d'hospitalité. Donc ça, c'était un vrai défi et un défi que je lançais à Dieu. Parce qu'en fait, j'ai un peu sauté sans filet en me disant, on va bien voir si tu me récupères et si tu es capable de m'aider. C'était peut-être pas très glorieux comme démarche, mais dans mon désir de me rapprocher de Dieu, il y avait ce désir de vérifier qu'il prenait soin de moi. Donc je crois que ma peur principale, c'était peut-être ça. C'était, est-ce qu'on va m'accueillir ? Et puis dans une démarche chrétienne, dans une France laïque, est-ce que aussi je vais être jugée ? J'avais cette crainte-là aussi. Après, le reste des peurs, est-ce que des chiens vont m'attaquer, est-ce que des hommes vont m'attaquer, est-ce que plein de choses, j'y pensais pas trop. Je pense que je suis pas d'une nature très craintive quand même. Donc c'est pas très compliqué pour moi de pas me laisser envahir par ça.

  • Solange Pinilla

    Partant de Paris, vous avez commencé par traverser la France en direction des Alpes, en passant par la Bourgogne. Est-ce que vous avez découvert un aspect de la France que vous ne connaissiez pas ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Euh, oui. Ce qui m'a beaucoup marquée, j'ai traversé une France rurale, une France dans laquelle, en tout cas jusqu'aux Alpes, il y a peu de marcheurs. et j'ai énormément été accueillie dans ma démarche de demande d'hospitalité j'ai beaucoup été accueillie dans les fermes et moi je suis une citadine je ne connais pas bien ce monde agricole et j'ai adoré me rapprocher de ce monde là entendre les questions les craintes vraiment j'ai été bien accueillie C'est-à-dire que, est-ce que c'est parce que c'est un métier qui vous amène à travailler dehors et que du coup, c'est plus facile de rencontrer les agriculteurs ? Est-ce que c'est parce que la porte d'une ferme est ouverte, parce que s'il y a une démarche commerciale, je ne sais pas ? En tout cas, très souvent, j'ai planté ma tente près d'une ferme, mais à chaque fois, on m'accueillait, on me donnait à manger, on me disait, oui, dépouille notre cerisier, il est pour toi, ou alors on me donnait du lait des vaches, et une vraie simplicité dans l'accueil. Et puis, ça, je crois que ça a été vraiment, pour moi, un regard ouvert sur cet univers que je connaissais plus par les médias qu'en direct. Et j'ai été frappée aussi, je suis partie en 2017, c'était après des élections présidentielles, et d'entendre à quel point ce monde se sentait peu écouté, peu reconnu, de voir leur peur, et ce n'était pas que dans la tête, je sentais qu'il y avait quelque chose aussi, un attachement viscéral à cette terre et à ce métier. J'ai été vraiment très touchée par ces rencontres.

  • Solange Pinilla

    Après quelques jours au foyer de charité de la Flatière face au Mont Blanc, vous passez la frontière et en Italie vous traversez le parc Val Grande, une des dernières zones sauvages d'Europe, qu'on vous déconseille de traverser car dangereux et trop isolé, mais vous dites que l'appel de la montagne est plus fort et vous y allez, est-ce que vous l'avez regretté ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    C'est vrai que j'ai fait le choix en Italie de passer par les montagnes, donc par le nord des grands lacs, par les Alpes, plutôt que par le sud, par la plaine du Pau, ce qui est un choix que font souvent les pèlerins quand ils vont à Jérusalem. Mais moi je trouve, j'aime pas marcher sur du plat en fait. Bon déjà je trouve que c'est un peu ennuyeux, et puis même physiquement je trouve ça plus dur, le corps fait toujours le même mouvement. Enfin moi j'ai plus facilement mal quand je marche sur du plat. Alors la montagne, je savais qu'il y a plus de danger et qu'il y a plus de fatigue peut-être quand même parce que c'est exigeant. Mais c'est tellement beau. En fait, moi, j'adore cet univers. Et la beauté fait partie de ce qui me rapproche de Dieu aussi. Et c'est peut-être dommage, mais le danger me rapproche de Dieu aussi. Alors, je ne cherchais pas le danger, je ne cherchais pas à le provoquer. Mais de fait, à certains moments où je me suis sentie en danger, c'est vers Dieu que je me tourne. mais c'est surtout la beauté qui m'attirait et je ne l'ai pas du tout regretté au contraire, ça a tellement été important dans mon voyage et puis ce monde de la montagne aussi dans les petits villages, dans les vallées d'altitude en Italie j'ai été très bien accueillie il y a des endroits encore qui restent très isolés et qui restent habités et j'ai adoré découvrir ces petits mondes qui sont quand même un peu coupés du reste du pays donc non non je ne l'ai absolument pas regretté alors c'est vrai que c'est un équilibre entre écouter les dangers et ce qu'on vous déconseille de faire mais pas trop les écouter quand même parce que les gens en tout cas moi j'ai ressenti que souvent les gens projetaient sur moi beaucoup de peur le fait que je sois seule que je sois une femme j'avais déjà un peu l'expérience de la montagne donc je sais très bien qu'il y a des dangers mais voilà je pense qu'il faut un peu écouter mais pas tout le temps non plus toutes les peurs qu'on projette. Moi, je trouve que marcher le long d'une route où les voitures et les camions vont vite en vous frôlant, c'est aussi dangereux que la montagne. Et j'ai parfois eu vraiment peur de ça. Après, je choisissais quand même mes chemins en fonction du fait que j'étais seule. J'essayais de ne pas faire n'importe quoi. Mais c'est vrai que je peux avoir un côté quand même un peu, parfois, fonceur. C'est-à-dire que ça m'attire. et là où ça a été parfois où je me suis posé des questions c'était depuis le début je voulais vivre à la fois une aventure un pèlerinage et parfois je me disais quel équilibre je garde c'est à dire parfois en montagne où je sens que j'allais trop loin dans des chemins difficiles et je me disais mais est-ce que là je bascule pas trop du côté de l'aventure Bon, ça, ce sont des questions très théoriques, parce qu'en fait, personne n'a jamais défini ce qu'est l'aventure et le pèlerinage. Mais moi, en tout cas, dans ma démarche personnelle, je sentais qu'à un moment donné, je donnais plus de place au défi qu'à la quête intérieure. Donc, ça a été un peu une question qui m'a travaillée. Je n'ai toujours pas répondu, d'ailleurs. Ça reste là.

  • Solange Pinilla

    Vous arrivez ensuite en Slovénie, c'est une nouvelle culture, une nouvelle langue. À un moment, vous êtes épuisé et en larmes devant un magasin fermé, vous n'arrivez plus à vous relever. C'est là qu'une petite voix intérieure prend le relais. Racontez-nous.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Effectivement, en Slovénie, j'ai beaucoup... Enfin, en fait, au niveau des Dolomites, je suis redescendue dans la plaine parce qu'il y avait énormément d'orages en montagne et que ça devenait trop difficile, trop dangereux. Donc, je suis redescendue. Et là, j'ai souffert de la canicule. C'était le mois de juillet, je crois, encore. Enfin, juillet, début août. Et il faisait plus de 40 degrés les après-midi. Et c'était vraiment difficile physiquement. Très, très éprouvant. J'aime pas trop la chaleur, en plus. et je trouve que marcher dans ces conditions, dans la plaine où il y avait peu d'ombre, c'est pas humain. Donc je suis arrivée en Slovénie, j'étais vraiment fatiguée, j'ai essayé de partir tôt le matin, de faire des plus petites journées, des grandes siestes, mais en fait comme je demandais l'hospitalité, je pouvais pas non plus arriver à midi chez les gens. Soit les gens sont pas chez eux, ou alors ils trouvent ça un peu étonnant que vous arrêtiez aussi tôt, enfin c'est pas facile de demander l'accueil tôt dans la journée, c'est plus facile quand on est en fin d'après-midi. Donc ce jour-là, j'avais pas dormi de la nuit à cause de la chaleur. J'avais prévu d'aller acheter 2-3 choses à manger dans un supermarché que j'avais repéré. Je m'étais levée très tôt pour profiter des heures fraîches, mais là, à 7h30 du matin, j'étais déjà en nage, et le supermarché était fermé. C'était rien, il fallait que j'attende une demi-heure qui s'ouvre. Mais c'était une demi-heure des heures un peu plus fraîches, et en fait, j'ai craqué. Je me suis assise, j'ai pleuré, et là... Donc je raconte dans le livre que depuis le début de mon voyage, dans les moments difficiles, j'ai une petite voix intérieure qui me guide, qui me houspille, qui me dit mais si, tu vas y arriver, allez, t'es courageuse, ou alors, bon maintenant tu vas t'arrêter un peu, t'as trop marché qui prend le relais de ma raison qui parfois est un peu fatiguée. Et ce jour-là, ma petite voix intérieure m'a dit mais arrête-toi, pourquoi tu fonces comme ça, pourquoi tu marches trop, tu peux faire deux, trois jours de pause, en fait, t'es épuisée Et j'ai décidé d'écouter cette voix, et j'arrive dans une ville, donc je continuais à marcher jusqu'à une petite ville plus loin, et je m'étais dit que je prendrais un bus jusqu'à Zagreb, où j'irais me poser en attendant une amie qui devait me rejoindre quelques jours. Dans cette ville, j'attends sur un banc, parce que le bus n'était pas tout de suite, et là j'entends les cloches. Et je réalise qu'on est dimanche. Moi, marchant comme ça, j'avais aucun repère dans le temps, je ne savais plus quel jour on était. Je me dis, tiens, c'est dimanche, je vais quand même aller à la messe. Même ça, j'avais peu le courage d'y aller, mais j'y vais. À la sortie de la messe, je n'avais pas le courage d'aller vers les gens, parce que je me suis dit, si ça se trouve, peut-être que des gens peuvent m'accueillir. Et je n'avais pas le courage, j'étais tellement fatiguée au bout du rouleau, c'est difficile de toujours expliquer sa démarche et demander. Et là, c'est une femme qui est venue vers moi et qui me dit... C'est vrai que je détonnais un peu avec mon sac à dos. et qui commence à me parler, et là quand même je lui explique, je lui dis voilà en fait je suis très fatiguée, je vais à Jérusalem mais j'ai besoin de me reposer deux trois jours, est-ce que vous pensez qu'il y a une salle de la paroisse où je pourrais me poser, j'ai pas besoin de grand chose. Et finalement ce sont des paroissiens qui m'ont accueillie chez eux pendant je sais plus trois jours, j'ai été accueillie merveilleusement bien, c'était incroyable, et je me suis dit ce jour-là en fait j'avais plus d'énergie pour rien, j'étais tellement fatiguée que j'arrivais même plus à prendre la décision de m'arrêter. je ne savais plus quel jour on était, ce sont les cloches qui m'ont appelée, je n'avais pas le courage d'aller vers les gens, c'est une dame qui est venue vers moi, et en fait j'ai trouvé ça incroyable. Et là, souvent quand je perds confiance en Dieu, j'essaie de me rappeler de ce jour-là, je me dis mais en fait à quel point il a pris soin de moi, en m'envoyant, je l'appelle mon petit coach personnel, mais je me dis que c'est peut-être mon ange gardien, je ne sais pas, ensuite les cloches, ensuite une femme qui est venue vers moi, puis des paroissiens qui m'ont accueillie. et je me dis, ben voilà, j'étais un peu au fond du seau mais même là, enfin surtout là, il y était lui aussi et il a pris le relais et c'est une immense confiance que ça me donne dans la vie, cette expérience et j'ai besoin de me la rappeler régulièrement pour me dire mais attends, arrête de stresser, d'avoir peur pour ce qui pourrait arriver parce qu'en fait, Dieu ne te lâche pas ça, ça a été très fort

  • Solange Pinilla

    Peu avant d'arriver en Bosnie, vous trouvez sur la carte un chemin qui part d'un village, mais ce chemin en vrai n'existe plus, et donc vous partez à l'azimut dans la forêt, vous prenez soudain conscience que ce chemin n'existe plus, mais c'est peut-être parce qu'il reste des mines de la guerre des Balkans, qui s'est déroulée dans les années 1990. Quelle marque a laissé cette guerre dans les paysages d'aperçu et les rencontres que vous avez faites dans ces régions ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    C'est vrai que j'ai été très marquée par la Bosnie, et donc il y a eu ce chemin inexistant où j'ai vraiment eu peur. En fait, j'étais à la frontière, j'étais encore côté Croatie, mais me dirigeant vers la Bosnie. Je n'ai jamais été aussi heureuse de retrouver une route, moi qui n'aime pas marcher sur des routes, là j'étais vraiment contente de m'y retrouver. Et puis ensuite, le deuxième jour en Bosnie, donc heureusement je n'étais pas toute seule, deux amis m'avaient rejoint. et on marche dans la forêt, et en fait, il y avait des panneaux pas diminés, donc attention, mine partout, donc il ne fallait surtout pas sortir du chemin. Les villages étaient inexistants, c'est-à-dire que le village où j'avais prévu de prendre de l'eau, que j'avais repéré sur la carte, n'existait plus. Il y avait des ruines et des arbres à la place. Et ensuite, même dans les villes, même dans les endroits habités, il y avait encore beaucoup de façades avec des impacts de balles, d'obus, on ne saura pas expliquer ce que c'est. Donc les traces étaient vraiment visibles sur les façades, les murs, même dans une forêt. Et puis, dans les rencontres avec les gens, on sentait que c'était là, mais qu'on ne pouvait pas en parler. Enfin, moi, en tout cas, c'est ce que je ressentais. C'était difficile d'en parler. Et puis, c'est vrai que derrière, il y a aussi... C'était une guerre civile. Et il continuait à cohabiter. Donc, vous savez, il y a les communautés serbes, croates et bosniaques. Communautés serbes qui sont orthodoxes, croates catholiques et bosniaques qui sont musulmanes. Et quand j'étais accueillie par des Bosniaques qui me disaient Le village suivant, c'est des Croates, je ne sais pas s'ils vont bien t'accueillir. Puis les Croates me disaient la même chose des Serbes. En fait, tout le monde disait ça de son voisin. Moi, j'étais bien accueillie partout. Et c'est vrai que c'est peut-être ça la douleur des guerres civiles. C'est qu'en fait, la cohabitation demeure derrière. Mais qu'est-ce qu'il reste de la peur, de la méfiance, de la rancœur ? J'ai vraiment senti à la fois des gens incroyables, d'une générosité. Par moments, je regardais les yeux par terre quand je traversais des villages, parce que sinon on m'interpellait trop, on m'invitait trop, j'arrivais plus à avancer. Donc des gens d'une grande générosité, beaucoup d'amour pour leur pays, et puis en même temps, cette blessure qui reste de la guerre. Et puis à Sarajevo, j'ai visité le musée qui retrace l'histoire de la guerre, et ça m'a bouleversée. C'est une guerre moderne, en fait, que quand j'étais moins enfant, donc c'est facile de s'y projeter. et vraiment j'ai été très impactée par ça et puis à quelques occasions j'ai été accueillie par exemple dans des monastères franciscains avec des religieuses qui parlaient anglais ou italien, langue que je parle donc ça a aidé parce que c'est vrai que sinon je ne parle pas le cerveau croate les échanges étaient plus compliqués et c'était chouette de rencontrer des personnes à qui je pouvais poser mes questions qui me racontaient leur expérience Pendant la guerre, ça a aidé à mettre des mots sur ce que je percevais et ce que je voyais, mais qui reste très dur à comprendre. La Bosnie ne s'est pas limitée aux traces de la guerre et à tout ça, mais il y avait bien plus que ça. Mais c'est vrai que ça m'a marquée.

  • Solange Pinilla

    Vous arrivez ensuite au Monténégro. Vous écrivez à ce moment-là que vous n'avez de l'énergie que pour une journée et que le stock se renouvelle en dormant. Plus généralement, comment vous trouvez la force de continuer malgré la fatigue, les douleurs, la solitude ? C'est vrai que moi, en lisant votre livre, je me disais que je me serais arrêtée au bout de trois jours à cause des ampoules. Tellement c'est douloureux. Comment vous faisiez ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    C'est vrai que les ampoules, toute la partie française, j'ai eu des ampoules et ça a été dur. Là, j'avoue que... Je n'ai jamais pensé m'arrêter parce que je suis un peu trop têtue pour ça, je pense. Mais quand même, certains jours, j'avais vraiment envie de râler. Les ampoules, ça n'a l'air de rien, mais chaque pas est douloureux. Et quand on ne fait que ça toute la journée, de marcher dessus, ce n'est pas très agréable. C'est vrai que souvent, je recevais des messages, parce que j'avais un blog pendant mon voyage, et c'était un blog qui était plutôt pour les amis, mon environnement proche, mes amis, ma famille, mais c'était super parce que ça me permettait de réfléchir à la façon dont je pouvais partager ce que je vivais, à mettre des mots sur ce que je vivais, et puis, à l'inverse, de recevoir des messages qui me faisaient du bien. Et parfois, on m'envoyait des messages en me disant Waouh, qu'est-ce que t'es courageuse ! Moi, je ne me sentais pas plus courageuse, en fait, pas plus courageuse que n'importe qui qui se réveille le matin, a une grosse journée de s'occuper de ses enfants, de son travail, de... En fait, c'est chaque journée en soi qui compte. Et donc, un jour, un ami me demande où est-ce que je vais être dans quelques jours, et je me rends compte que ça m'angoisse de regarder la carte. Mais comme n'importe qui peut être angoissé devant la liste monstrueuse des choses à faire, vous voyez ? et je lui réponds je ne peux pas regarder la carte sur plusieurs jours parce que ça me fatigue à l'avance de regarder ça j'ai du courage que pour une journée et je me dis mais c'est vraiment ça en fait et aujourd'hui encore j'applique ça c'est à dire que quand la liste de tout ce que je veux faire est trop énorme je découpe et je me dis ok aujourd'hui ça va ressembler à quoi et là ça devient un peu plus réaliste Et puis c'est magique parce qu'en fait le nombre de fois où je me couchais le soir et j'étais mais crevée, le corps endolorie et je me disais mais comment je vais pouvoir marcher demain matin puis en fait le lendemain matin ça allait mieux La nuit, on est bien fichus. Et le sommeil, un bon sommeil, c'est magique. C'est vrai que j'ai quand même la chance d'avoir un bon sommeil, surtout quand j'ai marché toute la journée en général, je dors facilement. Et je crois que déjà ça, ça joue en fait, c'est de faire confiance, mais faire confiance pour la journée, pas trop se projeter, parfois c'est dangereux. En tout cas, moi j'essaie d'éviter. Et puis la force de continuer seule... C'est surtout, il y a eu un moment pendant le voyage où c'était vraiment très dur en Albanie, pendant plusieurs jours je supportais plus cette solitude, elle me pesait. Et je ne me suis pas dit que j'avais envie d'arrêter, mais je me suis demandé comment j'allais continuer comme ça. Je perdais le goût de mes journées du coup, j'arrivais plus à être heureuse de cette marche. Et la prière là m'a vraiment aidée. la prière moi j'hésite pas un peu à râler dans mes prières c'est à dire écoute là j'en peux plus faut que tu m'aides de râler auprès de quelqu'un on décharge un peu ce qui est dur et je me dis Dieu doit pouvoir encaisser ça j'espère en tout cas moi ça m'a vraiment aidé de confier cette solitude à Dieu et puis les rencontres parfois c'est des toutes petites rencontres c'est pas grand chose mais juste une petite mamie sur le bord du chemin qui me donne des noix, du raisin en me faisant un sourire en fait c'est déjà très fort et ou une belle nature. Moi, j'adore voir des animaux aussi. Ça me donnait beaucoup de joie. Je pense que ce qui aide et ce qui permet d'avancer, c'est très quotidien, en fait. C'est des petites joies dans le quotidien. Que ce soit une rencontre, une belle nature, une émotion sympa, enfin. Et de le reconnaître, de les voir, ces petits moments, moi, ça m'aide beaucoup. Parce qu'en fait... Si je focalise sur ce qui est dur, peut-être que je ne vais pas voir ce qui est beau. Donc c'est un peu une volonté aussi de se dire, bon, attends, j'arrête de râler. Qu'est-ce qui peut m'aider ?

  • Solange Pinilla

    En Albanie, les personnes sont très accueillantes, à quelques exceptions près, et vous n'avez pas eu à planter votre tente. Malgré leur pauvreté, certaines personnes prennent même sur leur nécessaire. Comment est-ce que vous l'avez vécu ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    J'ai été très touchée par l'accueil en Albanie. C'était... Souvent, je dormais dans le salon où la grand-mère dormait déjà. Donc, elle dormait sur un canapé, moi sur l'autre, dans la chambre avec les enfants. Et c'était d'une simplicité, d'un naturel incroyable. C'est le pays, voilà, c'est le seul pays, comme vous dites, où j'ai jamais planté ma tente. J'ai pas eu besoin. Les gens m'accueillaient chez eux. J'ai parfois dormi dans des monastères aussi. Un soir, j'ai été accueillie dans une petite ville par une famille. Il y avait les parents, la fille et la petite-fille. La fille qui devait avoir une trentaine d'années. Les parents étaient séparés, mais n'avaient pas les moyens d'avoir des logements séparés. Ils continuaient à habiter ensemble, le père dans le salon. Il y avait une chambre dans laquelle dormaient, dans un grand lit, la grand-mère, la mère et la petite. grande précarité et cette femme et sa petite fille avaient cherché à migrer en France et puis en Allemagne justement pour essayer d'avoir une vie meilleure, d'autres opportunités qu'elles n'avaient pas en Albanie. Et elles ont dormi dans la rue, elles ont été expulsées. Donc elles font partie de ces migrants qu'on voit dans la rue, de ces femmes avec enfants dont la présence me bouleverse. Et là, c'était inversé. C'était moi, la personne à accueillir, et elles m'ont accueillie. C'est-à-dire qu'elles n'ont pas prétexté, Ah non, il n'y a pas de place, on n'a pas le temps, je ne sais pas quoi. Elles ont poussé leur lit dans lequel elles dormaient à trois. Elles m'ont fait un petit espace par terre et j'ai dormi sur des coussins par terre. Et c'est vrai que c'est pas toujours facile d'être dans cette position de la personne qui demande, surtout quand on est accueilli par des personnes qu'on peut de moyens. Souvent on me donnait à manger, on me servait, mais c'était infini, il y avait énormément. Et je me disais, mais est-ce que ces personnes mangent tous les jours comme ça ? Je suis pas sûre qu'elles mangent de la viande à tous les repas. Ou alors est-ce que c'est parce que je suis là, mais dans ce cas, est-ce que je suis pas en train de les dépouiller ? sachant que cette décision de voyager avec peu de moyens je l'avais prise mais en fait si j'avais voulu me payer un resto j'aurais pu c'était un choix, c'était pas une obligation, c'était pas vital en fait donc parfois c'était dur, j'avais un peu de culpabilité et en même temps les rencontres étaient belles

  • Solange Pinilla

    Eux ne me faisaient jamais sentir que c'était un poids. Et puis je me disais, en fait, je n'ai pas grand-chose à rendre. Donc tout simplement, j'essayais vraiment d'être sincère dans mon intérêt envers les personnes qui m'accueillaient. Je trouve que de réellement les regarder m'intéressait à ce qu'elles vivaient. Alors les communications n'étaient pas toujours simples dans des langues étrangères. Mais puis de prier pour ces personnes, tous les jours je les confiais à Dieu. Et je ne pouvais rien faire d'autre en fait. Donc ce n'est pas si facile quand on dit non aussi. Quand on me disait non, c'était parfois dur. Ça demande d'être dans une position d'humilité qui n'est pas très naturelle. Je trouve en tout cas moi qui ne m'a pas... Dans mon éducation, j'ai l'impression qu'on m'a appris à ne pas trop dépendre des autres. En tout cas, moi je suis vraiment comme ça. Je n'aime pas trop dépendre des autres, je suis très indépendante, j'essaie plutôt d'être forte que dans mes fragilités. Et là, cette démarche c'était un peu l'inverse en fait. Et c'est vrai que ça bouscule beaucoup, ça amène beaucoup d'humilité. Mais je dirais que... Ce qui a été le plus beau là-dedans, c'est de me rendre compte à quel point une certaine humanité peut être généreuse et hospitalière. Et moi, ça m'a un peu soignée, ça m'a guérie dans ma confiance, dans mon rapport à l'être humain. Me dire, mais en fait, on a ça en nous. C'est juste que parfois, on laisse trop nos peurs nous bloquer. Et je crois que c'est le plus beau cadeau que ces personnes m'ont fait.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Dans les montagnes grecques, vous retrouvez Vincent, un ami français qui vous rejoint quelques jours. Et ce n'est pas le seul de vos proches qui vous a accompagné sur un bout de chemin. Qu'est-ce que vous apportez ces compagnons de marche que vous connaissiez déjà ?

  • Solange Pinilla

    Dès le départ, j'avais proposé à des amis de venir marcher avec moi. Et je leur avais juste dit, il faut essayer de respecter les trois règles que je me suis fixées, parce que je ne vais pas changer ma manière de marcher, puisque vous êtes là. Et puis, je trouvais ça beau de partager un petit bout de ce chemin avec des amis. Et c'est vrai que c'était chouette. Alors déjà, ça me faisait du bien parce que ça brisait un peu la solitude. J'ai vu une évolution entre ceux qui sont venus en France, où les séparations pour moi étaient très dures. C'était compliqué de me retrouver seule. Et puis peu à peu, en fait, me retrouver seule était devenu naturel. C'est-à-dire que bien sûr que j'étais triste de les voir partir. mais je retrouvais l'état dans lequel finalement c'était naturel d'avancer. Donc ça, j'ai vu une vraie évolution, et c'était super de partager mes journées. C'est très différent de marcher à plusieurs et de marcher tout seul. Il y a moins d'invitations spontanées. Tout seul, on me parlait énormément dans la rue, on m'invitait très facilement. Ça, quand je marchais à plusieurs, ça arrivait moins. mais du coup je partage d'une autre manière c'était intéressant aussi de partager mes questions un peu spirituelles ou éthiques enfin sur plein de sujets tous les amis qui sont venus marcher n'étaient pas croyants donc ça aussi c'est chouette de les inviter à partager un pèlerinage mais eux ne partagent pas forcément ma foi et je trouvais ça super de confronter, de leur dire de les interroger comment tu vis le fait d'être sur un pèlerinage mais qu'est-ce que ça veut dire pour toi Un voyage comme celui-là est une expérience qui m'a profondément marquée. Mais jusqu'à l'écriture du livre, j'étais très seule avec mes souvenirs. Très seule avec ce que j'avais vécu. On m'a souvent dit que je n'en parlais pas tant. Mais ce n'est pas simple d'en parler. En tout cas, sauf quand on me donne un micro et que je suis vraiment là pour ça. Mais dans le quotidien, ce n'est pas si facile. Et le fait d'avoir quand même des amis avec qui j'ai un peu marché, ça me permet d'avoir des petits moments où je pouvais partager. Des gens qui savent un tout petit peu ce que j'ai pu vivre. Et ça aussi, c'est important pour l'après. Et c'est vrai que là, aujourd'hui, le fait d'avoir écrit le livre, mes souvenirs deviennent partagés et c'est beau aussi.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Arrivé au Pyrrhée, le port d'Athènes, après presque six mois de marche, vous cherchez un bateau pour vous rendre à Jérusalem, mais les choses sont un peu plus compliquées que prévues. Pourquoi ?

  • Solange Pinilla

    J'avais pas du tout anticipé cette question de la traversée de la Méditerranée. J'avais pas beaucoup pensé à ça. C'est vrai qu'il y a plusieurs manières aujourd'hui d'arriver en Israël. Donc certains traversent la Turquie jusqu'au niveau de Chypre, ensuite passent par Chypre. Certains vont plutôt dans le sud de l'Italie, prennent des bateaux. Je sais pas trop comment ils font, mais voilà. Moi, j'ai choisi d'aller jusqu'en Grèce. Arrivé à Athènes, je m'étais dit, toujours dans mon envie d'aventure, je vais faire du bateau stop, j'ai bien réussi à trouver un cargo, je ne sais pas trop quoi, pour Israël, ou en passant par Chypre et tout ça. En fait, c'était beaucoup plus compliqué que ce que je pensais. Je n'avais pas pensé qu'il y avait une saison de la navigation. Donc il n'y avait pas beaucoup de bateaux qui naviguaient à ce moment-là, et encore moins qu'il y allait dans cette direction. C'est loin Chypre en fait, en bateau. il n'y avait pas de ferry il y a une compagnie de cargo qui a commencé par me dire oui avant de me dire finalement non on ne vous emmènera pas Tout ça m'a pris du temps. J'avais des contacts avec des compagnies croisières, notamment des croisières qui font... Enfin, à la thématique chrétienne. Mais pareil, c'était plus la saison, en fait. En novembre, ils partent plus. Et moi, j'avais pas du tout pensé qu'il y avait une saison pour ces choses-là. Et donc, ça a été compliqué, finalement. J'ai pris un ferry jusqu'à Rhodes. De là, j'ai rejoint la Turquie. Et j'ai été confrontée... À ce moment-là, j'ai été confrontée un peu à la question Mais pourquoi je vais en Terre Sainte ? et surtout à la limite de mes règles où je m'étais dit que je ferais tout à pied sauf quand j'étais obligée de prendre le bateau mais par exemple en Turquie j'avais je crois 600 ou 700 kilomètres à faire pour arriver jusqu'en face de Chypre et je m'étais dit que je marcherais pas en Turquie seule parce que j'ai entendu plusieurs fois des histoires de femmes qui se sont fait embêter là-bas j'avais pas envie de prendre ce risque là ça me rajoutait un mois de marche, pas loin de ça et bon j'avais le temps c'était pas très grave mais quand même c'était pas forcément ce que j'avais envie de faire donc là finalement en Turquie j'ai pris le bus donc pour moi ça a été très dur de me dire que je contournais les règles que je m'étais fixée de confier ma progression à un moteur je me suis rendue compte que mon pèlerinage c'était parce que je marchais et que sans la marche j'avais du mal à retrouver mon quotidien de pèlerine, j'étais vraiment perdue Chypre, j'ai traversé à pied, donc ça prend 4 jours, c'est très court, parce que je suis arrivée par le nord et je suis repartie par le sud. Et là, arrivant au sud de Chypre, en fait, pas de ferry, pas de bateau, et puis ce sont des zones un peu compliquées politiquement, que ce soit Chypre ou Israël. Et les cargos ont refusé de me prendre, et ça faisait déjà 15 jours que j'étais arrivée à Athènes, que je galérais un peu dans toute mon avancée. et j'étais là mais enfin comment je vais arriver en Terre Sainte et j'ai choisi finalement de prendre l'avion parce qu'à un moment donné je me suis dit je sais pas pourquoi je vais en Terre Sainte mais c'est là que je vais et c'est vrai que ça me perturbe déjà un peu par rapport à notre façon de vivre la planète pour une distance aussi courte de devoir prendre l'avion écologiquement je comprends pas que ce soit, alors un ferry est pas forcément beaucoup moins écolo que beaucoup plus écolo que l'avion mais euh... mais j'avais envie de garder le contact avec la planète. J'étais déçue de devoir prendre l'avion, et en même temps, à un moment donné, c'était en Terre Sainte que je voulais aller, et j'ai choisi d'y arriver par ce biais-là. Mais c'est vrai que ça m'a beaucoup questionnée sur mais qu'est-ce que ça veut dire qu'être pèlerine ? Pourquoi la marche ? Pourquoi la Terre Sainte ? Mais ça a été difficile, et puis peut-être un certain orgueil aussi faisait que j'avais envie d'y arriver par mes propres moyens et à l'aventure. sans prendre l'avion, et finalement j'ai renoncé.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    En Israël, deux ou trois jours de marche vous auraient conduit à Jérusalem, mais c'était trop rapide à votre goût, donc vous préférez à ce moment-là suivre en partie le Shevil, un chemin de randonnée qui traverse Israël du nord au sud, et d'ailleurs ce ne sera pas de tout repos. Du coup, pourquoi finalement vous voulez absolument marcher ? Qu'est-ce que vous procure la marche que vous ne trouvez pas ailleurs ?

  • Solange Pinilla

    Quand je suis arrivée en Israël, c'était après ces 15 jours de traversée un peu chaotique depuis Athènes, et je me sentais dépossédée de mon pèlerinage, d'avoir confié mon avancée à des bus, des bateaux, des avions, d'avoir dû expliquer tous les passages de frontières, pourquoi j'étais là, ce que je faisais là. ça me perturbait et j'ai choisi de faire ce voyage à pied et je voulais arriver à pied mais 2-3 jours depuis entre Tel Aviv et Jérusalem je savais que ça n'allait pas me permettre de retrouver la marche dans mon corps dans ma tête et moi je voulais vraiment arriver en ayant le sentiment d'avoir marché donc j'ai pris un dernier bus jusqu'à Elat au bord de la mer Rouge et là ensuite je suis partie j'ai traversé à pied c'était incroyable parce que j'ai traversé le désert du Negev et ça c'était une expérience super forte pas toujours facile parce qu'en fait comme vous dites il y a le cheville qui est un chemin de randonnée balisé et dans le désert du Negev les randonneurs souvent se mettent d'accord avec des agences qui leur livrent de l'eau en cours de route ou alors ils louent des voitures avant pour aller cacher de l'eau à certains endroits dans le désert comme ça ils le retrouvent pendant leur chemin moi évidemment j'ai pas fait tout ça mais je portais parfois deux jours d'eau en faisant des très grosses étapes donc physiquement c'était intense et intense Mais en même temps, du coup, c'était génial parce que ça m'a permis de retrouver ce rapport au monde très différent qu'on a quand on marche. Un peu comme quand on est en montagne ou on est dans un univers qui est sauvage. et là j'ai adoré bivouaquer dans le désert et me sentir un peu à l'écart du monde c'est un rapport au monde qui est vraiment différent je suis intensément dans l'instant dans ce que je vis et le fait de le faire à pied je sens la distance en fait chaque changement de paysage est important le désert ça a été très fort et puis après j'ai vraiment pu arriver à Jérusalem à pied des pieds ensanglantés d'ailleurs parce que le désert, le sable avait complètement détruit mes chaussures j'avais les pieds dans un état épouvantable et donc je suis arrivée en clopinant je me suis arrêtée 5 jours à Jérusalem et ensuite j'ai continué jusqu'à Tibériade depuis le début je savais que je voulais m'arrêter au bord du lac de Tibériade et donc j'ai marché encore une semaine je crois ou 10 jours je sais plus entre Jérusalem et Tibériade Et je suis passée par la Cisjordanie. C'était un choix, je ne voulais pas marcher que côté Israël, je voulais marcher en Palestine aussi. Et ça a été très dur parce que je me suis retrouvée dans les territoires occupés face à une guerre qui encore plus aujourd'hui est dure. Je me suis retrouvée face à des choses que je ne comprenais pas, à des violences, à un territoire ultra militarisé. Tous les hommes qui me parlaient étaient armés. Moralement, j'ai trouvé ça très difficile de me dire mais est-ce que je vais demander l'accueil dans les colonies ? Mais en même temps, où est-ce que je vais dormir si je ne vais pas dans une colonie ? C'est le désert, il n'y a pas d'eau. Donc ça a été moralement très dur. Et puis ensuite, voilà, l'arrivée au lac. Donc c'est vrai que ça n'a pas été de tourpeau, mais je ne regrette absolument pas d'avoir fait cette traversée d'Israël à pied. Parce que c'est ce qui m'a permis de vraiment sentir que je marchais sur la terre de Jésus. Mais c'est vrai que j'ai eu du mal à ressentir de l'émotion devant les bâtiments, les églises, les reconstructions. et moi c'est vraiment venu en marchant sur cette terre que j'ai un peu compris pourquoi j'étais venue pourquoi j'étais là comment votre relation à Dieu a évolué entre le début et la fin du voyage ? je dirais que c'est vraiment devenu un compagnon de route un compagnon de vie avant j'avais du mal à lui faire confiance je crois à me dire qu'il pouvait me rendre heureuse puis je croyais en lui mais sans trop penser à lui en fait il était là dans un coin de ma vie mais sans que je lui donne vraiment d'importance et en même temps je sentais bien que c'était pas bon que c'était pas ça que en tant que chrétien j'étais appelée à vivre en tant que chrétienne et là aujourd'hui il peut se passer des journées entières sans que j'y pense c'est pas magique ça a pas été une conversion fulgurante avec un grand moment mystique et tout ça j'ai pu Ça a plutôt été dans le quotidien, dans les galères du quotidien, dans les jolis moments de chaque jour, d'éprouver sa présence, de me rendre compte que je pouvais lui faire confiance. Et c'est vrai que ce qui a été fort pour moi pendant mon arrivée, c'était de me dire, un peu comme vous savez quand on fait un voyage pour aller sur la terre de ses ancêtres, comme on revient chercher ses racines. J'ai eu l'impression que c'était ça en fait, que je venais chercher mes racines de chrétienne et en allant sur la terre de Jésus homme. Moi je ne suis pas une mystique, Jésus Dieu s'il n'est pas un peu incarné j'ai du mal à le voir. J'ai besoin de le sentir à travers la nature, à travers les autres, à travers sa création. Et là, le fait d'aller sur la terre où il avait grandi, marché, vécu, mangé, souffert, etc., j'ai eu l'impression de faire ce pèlerinage, ce retour aux sources, un peu. Et c'est vrai que par exemple au Saint-Sépulcre à Jérusalem, moi je ne l'ai pas retrouvé. J'ai eu l'impression de me sentir, de comprendre un peu mieux notre histoire chrétienne, qui n'est pas toujours jolie jolie, c'est quand même un lieu de division souvent. Parfois je me dis, mon Dieu, c'est vraiment nous chrétiens, on arrive à tomber dans des écureuils de clochers comme ça, c'est terrible. donc c'est pas tellement ces lieux là qui m'ont porté, c'est vraiment plus par exemple de marcher j'ai marché dans le Wadi Kelt qui est cette vallée entre Jérusalem et Jéricho et c'est une route naturelle, donc Jésus y a marché quand il marchait entre Jérusalem et Jéricho l'histoire qu'il raconte du bon samaritain ça s'est passé là et ça n'a pas beaucoup changé, ça n'a pas été modernisé. Et j'étais bouleversée de me dire, en fait, ces paysages que je vois, lui aussi les voit. Il y a plein de grottes dedans. On voit encore passer des petits enfants bédouins avec des ânes, et ces images-là, je me disais qu'elles ne sont pas beaucoup évoluées depuis 2000 ans. Et ça, ça m'a touchée. Et c'est vrai que j'ai eu l'impression de me rapprocher de Jésus, en fait, dans ce qu'il avait vécu pendant sa vie terrestre. et dans ce qu'il m'apportait aujourd'hui, dans ce qu'il était aujourd'hui en tant que Dieu.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Vous avez décidé de quitter Paris et d'habiter Chambéry dans les montagnes. Est-ce que vous avez fait d'autres changements depuis que vous avez réalisé ce voyage en 2017 ?

  • Solange Pinilla

    C'est vrai que c'était difficile pour moi après avoir passé tant de temps tout le temps dehors, tout le temps un peu en liberté dans la nature. de me retrouver en ville, mais j'ai choisi d'habiter près des Alpes parce que, je vous l'ai dit, j'adore les montagnes. Et c'était... C'est quelque chose... Je n'avais pas tant pensé que ça pendant le voyage, mais au retour, l'envie était vraiment là, donc j'ai cherché un travail près des Alpes. Aujourd'hui, ce qui a pu changer dans mon mode de vie, c'est déjà que j'essaie vraiment souvent de passer du temps à marcher. D'essayer de partir seule aussi, souvent. Je ne marche pas tout le temps seule, mais je le vis différemment et j'aime bien ça. En fait, même si ce n'est pas en montagne, mais juste d'être dans la nature toute seule, en silence, ça me plaît beaucoup. C'est quelque chose qui me nourrit, qui me fait vivre. et qu'est-ce qui a pu changer d'autre c'est d'essayer de garder une simplicité de vie après c'est des changements on évitera très peu par le monde donc c'est tout le temps moi j'ai souvent besoin de me rappeler de me dire Aliénor attention t'achètes pas trop de choses ne sois pas trop dépendante du matériel Moi, je me dis, je passe trop de temps sur mon téléphone. J'ai l'impression que souvent, cet écartèlement entre un monde qui va vite, qui laisse peu de place au silence, à la contemplation. et d'un autre côté ce besoin de silence de contemplation de Dieu je continue à être écartelée comme vous savez s'il y avait deux aimants et que je passe ma vie à être attirée par un aimant plus qu'un autre donc j'ai souvent besoin de me rappeler que ce que j'aime en fait et ce qui me fait vivre c'est une vie plus simple avec moins de moins dépendante du matériel et l'écriture du livre m'a fait beaucoup de bien en fait ça m'a Ça m'a rappelé, j'avais jamais relu mes carnets de voyage, et le fait de les relire, de me rappeler à quel point cette vie-là m'avait rendue heureuse, ça m'a un peu... réparer ma boussole intérieure. Ça m'a un peu redit, mais en fait, voilà ce qui est important.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Est-ce que vous pouvez nous parler de votre travail actuel dans le monde associatif ?

  • Solange Pinilla

    Alors, en ce moment, je ne travaille pas. Mais j'ai toujours travaillé dans le monde associatif, dans le social, dans le médico-social. D'abord avec des personnes à la rue, avec des migrants, avec des jeunes, avec des personnes avec un handicap mental ces derniers temps. et moi je pense que je dis toujours les deux choses qui m'ont vraiment fait grandir dans ma vie c'est mon travail avec les personnes en précarité isolées ou fragiles et le voyage et la marche je pense que ce que je suis aujourd'hui et les livres c'est beaucoup lié à ces expériences et toute cette réflexion que j'ai un peu sur nos forces nos fragilités et l'importance de laisser une place à ce qui est fragile aussi en moi, en tout cas l'accepter Ça vient aussi de mes rencontres, de mon travail avec les personnes dont les fragilités sont parfois visibles. Donc c'est quelque chose qui est hyper important pour moi, et d'avoir expérimenté aussi, dans une toute petite mesure, ce que c'est que d'être dépendant, et un peu l'humilité, parfois l'humiliation, de devoir demander et d'entendre des noms. Ça me rend plus attentive à ce que moi je peux répondre, à ma manière de répondre aux sollicitations et une espèce de délicatesse à avoir avec les personnes en fragilité. En fait, je pense que quand je marchais, je demandais l'accueil le soir forcément, et en fin de journée, j'avais déjà une journée de marche derrière moi, donc c'est un moment où j'étais fatiguée. Pour peu que la météo soit pas bonne ou trop chaude ou pluvieuse, ça rajoutait encore un peu à mon... Mon inquiétude de trouver un endroit où dormir, j'étais vraiment vulnérable. Je me suis sentie vulnérable. Et un non qui m'arrivait à ce moment-là était très dur, selon la manière dont il était dit. Et cette vulnérabilité, les gens ne la connaissaient pas. Ils n'avaient pas de raison de savoir que moi, j'étais inquiète et fatiguée. mais aujourd'hui j'essaie toujours de me dire attention à ma façon de répondre aux gens parce que je ne connais pas leur fragilité, leur vulnérabilité et la façon dont je leur réponds peut les blesser au-delà de ce que j'imagine évidemment au-delà de mon intention parce que j'ai rarement l'intention de blesser les gens donc j'ai cette attention là et puis après c'est vrai l'envie d'accueillir aussi à mon tour et ça je sens bien que c'est difficile le rapport au chez-soi, à l'intimité n'est pas le même je pense en France que dans... de ce que j'ai vu en Bosnie, en Albanie, où en fait, la maison est un lieu ouvert. et ça je suis souvent je me frotte un peu à mon propre désir d'être tranquille chez moi dans mon petit nid mais c'est toujours un défi un rappel permanent de me dire laisse ta porte ouverte, accueille parce que c'est beau pour finir,

  • Aliénor Vidal de La Blache

    question courte,

  • Solange Pinilla

    réponse courte compléter cette phrase la personne humaine est la personne humaine est mystérieuse Moi, je me dis toujours, l'être humain est tellement complexe. Donc, il faut que je fasse court. Mystérieuse et belle.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Une odeur que vous aimez ?

  • Solange Pinilla

    Je crois que j'adore l'odeur de la forêt ou la terre après la pluie. Cette odeur un peu d'humus qui est très charnelle. Moi, j'aime beaucoup cette odeur.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Une femme qui vous inspire ?

  • Solange Pinilla

    Je parle pas mal dans mon livre de Etie Hillesum, cette jeune juive hollandaise qui a écrit un journal pendant la guerre, qui est décédée à Auschwitz. Son journal, son témoignage m'a bouleversée. Elle reste un modèle vraiment, à certains moments, un modèle d'espérance, de foi, de foi en Dieu et en l'homme aussi. C'est vraiment une femme qui m'inspire.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Un moment qui vous ressource ?

  • Solange Pinilla

    La sieste. En fait, quand je marche, j'adore faire des vraies pauses en milieu de journée. Et j'adore ce moment où souvent j'essaie de trouver un endroit beau, avec une belle vue, sous un arbre. Et j'adore ces moments de pause. Je les vis encore. Par exemple, j'ai marché une semaine en février et j'ai vécu ça chaque jour. Ce moment de pause quand je marche dans un bel endroit, j'adore.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?

  • Solange Pinilla

    C'est une bonne question et peut-être merci. J'aurais envie de lui dire un grand merci. Et peut-être aussi parfois tes messages ne sont pas clairs. Moi dans mes prières, souvent je lui dis, je veux bien faire ta volonté, mais il faut que tu me le dises clairement parce que je suis un peu têtue et bornée. Et souvent, ta volonté, je n'arrive pas à la comprendre. Donc peut-être merci et n'hésite pas à être plus claire.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Merci beaucoup, Aliénor. Et merci à toutes et à tous de nous avoir écoutés. Nous espérons que cette conversation vous a plu. Nous vous donnons rendez-vous dans le numéro d'avril 2024, comme nous l'évoquions au début de ce podcast. Le lien est dans la présentation du podcast. Et à bientôt pour un nouvel épisode.

Share

Embed

You may also like

Description

Ce mois-ci, nous vous emmenons en voyage, mais pas n’importe lequel. Aux côtés d’Aliénor Vidal de La Blache, auteur de « Seule à pied vers Jérusalem » (Salvator), nous allons marcher sur les routes d’Europe et d’Israël, pendant neuf mois.

Authentique et passionnée, Aliénor – par ailleurs descendante du géographe Paul Vidal de La Blache – est partie vivre une aventure et un pèlerinage. « Dieu était un peu trop relégué à la périphérie de ma vie, raconte-t-elle. Pour Lui laisser plus de place, j’avais besoin de la marche, du silence, de la nature, de la contemplation, de la rencontre aussi. »

Dans ce podcast animé par Solange Pinilla, rédactrice en chef du magazine Zélie, Aliénor Vidal de La Blache nous fait traverser la France et le désert du Néguev (Israël), en passant par l’Italie, la Slovénie, la Bosnie ou encore la Grèce. Danger, gratitude, solitude, rencontres, fragilité, prière… La marche est un concentré de vie, où le temps et la distance prennent une densité nouvelle.

Bonne écoute !

Découvrir le numéro d’avril 2024 > www.magazine-zelie.com/zelie94

S’abonner gratuitement à Zélie > www.magazine-zelie.com

(Musique d'ouverture : "The Return" d'Alexander Nakarada CC BY 4.0
Photo © S. Pinilla)

Régie publicitaire : Tobie


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Solange Pinilla

    Sous-titrage ST'501 Dans le numéro d'avril 2024, nous parlons de la force du groupe. Dans notre société occidentale où l'individu prime sur le groupe, nous évoquons notamment deux lieux où le fait d'être à plusieurs est indispensable. D'une part dans le travail, on ne peut pas travailler absolument seul, même les mots que nous utilisons ont été inventés par d'autres. Et d'autre part dans les épreuves, Isor Armanet, dans ce numéro d'avril, nous parle du rôle décisif de son entourage. dans la sortie de deux dépressions post-partum qu'elle a traversées. Bref, si ce thème de la force du groupe vous parle, rendez-vous dans le numéro d'avril 2024, le lien est dans la description du podcast. Aujourd'hui, pour ce nouvel épisode de podcast, nous rencontrons Aliénor Vidal de la Blache, qui est partie marcher de Paris à Jérusalem il y a quelques années. Elle raconte ce voyage à pied dans un livre, Seul à pied vers Jérusalem, paru chez Salvatore. Aliénor, bonjour.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Bonjour.

  • Solange Pinilla

    Pour commencer, quels étaient vos rêves de petite fille ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Petite fille, j'étais un peu dans un petit monde parallèle, je lisais beaucoup. Je m'inventais beaucoup d'histoires et je crois que mes rêves de petite fille, c'est venu à travers les livres. J'adorais les récits un peu de voyages, d'aventures. Je rêvais de partir dans des conditions difficiles, rudimentaires, à l'autre bout du monde. J'adorais les histoires aussi de... de personnes qui allaient sauver les petits enfants pauvres à l'autre bout de la planète. Donc je voulais voyager, mais pas comme une aventurière. Pas dans des conditions de luxe, ça ne m'intéressait pas du tout. Et si possible, sauver le monde. Je crois que c'était ça mes rêves de petite fille.

  • Solange Pinilla

    Votre nom de famille n'est pas sans évoquer Paul Vidal de Lablache, un géographe français de la fin du XIXe siècle, connu notamment pour ses cartes. Vous-même, vous écrivez à un moment du livre que les cartes vous font rêver. Du coup, je me demandais, est-ce que vous êtes de la famille de ce géographe ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Alors oui, c'est mon ancêtre. J'arrive jamais à retenir exactement, c'est mon arrière-arrière-arrière-grand-père je crois. Il est mort il n'y a pas si longtemps, parce qu'il est mort en 1918, mais les générations étaient rapprochées. Et c'est vrai qu'il y a une tradition des cartes dans la famille. Alors moi j'étais nulle en géo, quand j'étais à l'école, ça a été un poids toute mon enfance. Tous les professeurs de géographie me disaient Ah, le nom des cartes ! Et après ils déchantaient en voyant que j'étais nulle. Mais en revanche j'ai grandi avec, il y avait souvent des cartes chez nous, les atlas de Paul Vidal de Lablache. et elle me faisait rêver. Je pense que... Je ne sais pas dans quelle mesure, inconsciemment, ça m'a impactée, mais c'est vrai qu'aujourd'hui, j'ai une carte de mon ancêtre chez moi, en Atlas, et je les trouve magnifiques. Ça donne envie, mais sans tout dévoiler. Vous voyez ? Pas comme Google Maps, quand on regarde, vous savez, en mettant des photos, on a l'impression qu'on n'a même plus besoin de voyager. On peut voir la couleur de l'herbe, en tout cas au moment où ça a été filmé. Et les cartes, c'est pas comme ça. Ça laisse un... ça ouvre l'imaginaire mais sans tout dévoiler et du coup j'adore et c'est vrai que ces cartes à lui je les trouve particulièrement belles

  • Solange Pinilla

    Qu'est-ce qui vous a amené à partir marcher jusqu'à Jérusalem ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Comme je vous l'ai dit, mon goût de l'aventure est vraiment né à travers les livres à travers les récits et les mots des autres Et j'ai fait un premier voyage en Amérique latine, j'avais 23 ans, j'étais avec des amis, un premier grand voyage. Et j'ai découvert la randonnée à ce moment-là, dans des paysages magnifiques. Et j'ai découvert que j'adorais ça. Moi, je n'avais jamais fait de randonnée jusqu'à mes 23 ans. Ou des petites balades, mais pas vraiment, où on part avec le sac sur le dos pendant plusieurs jours. Et j'ai adoré cette sensation de partir dans la nature, de marcher, d'avancer en marchant et pas avec un moteur. Et après, j'ai continué, j'ai découvert la montagne aussi avec des amis. Je suis allée en 2012 à Compostelle. Et donc ce goût de l'aventure et de la marche a continué à grandir peu à peu en moi. Et alors je ne sais plus quand c'était, en 2015 peut-être, j'étais au festival du film d'aventure à Dijon. C'était un moment où je n'étais pas complètement... j'étais un peu frustrée de ma vie, je n'étais pas complètement heureuse, je ne me sentais pas à ma place dans ma vie privée, au boulot, il y avait plein de choses qui ne me contenaient pas, et là d'un coup je voyais tous ces récits, ces films, ces livres d'aventures avec des images magnifiques, et il y a eu un déclic en moi, je me suis dit, mais en fait j'en rêve depuis si longtemps de faire vraiment un long voyage, une aventure, pourquoi je ne le vivrais pas ? En fait j'ai la liberté de le faire. et plutôt que de me plaindre, de maugrer sur moi-même, je pars. Donc il y a vraiment eu un déclic. Je ne pouvais pas partir tout de suite parce que j'avais commencé un travail pas si longtemps avant, que je me lançais dans une formation aussi. Mais c'était bien parce que ça m'a laissé le temps de mûrir. Peut-être que si j'étais partie trop vite, ça aurait été une fuite. Le fait qu'il y ait eu un an et demi entre ce déclic et le moment où je suis vraiment partie, ça m'a permis de vraiment mûrir mon projet, de me questionner sur ce que j'ai envie de vivre. Au départ, je partais dans tous les sens. J'étais plutôt dans l'esbrouf, un peu. Vous voyez, il fallait à tout prix que je dépasse mes limites, puis celles du monde entier, en fait. Je voulais dépasser les limites de tout le monde. Et peu à peu, je me suis rendue compte que c'était pas très intéressant, que c'était pas tellement ce que moi, je voulais vivre, et que ce que je voulais vraiment, c'était remettre l'essentiel au cœur de ma vie. Et dans cet essentiel, il y a Dieu. Dieu qui n'était pas absent de ma vie, mais qui était un peu trop relégué à la périphérie. Et Dieu, pour lui laisser plus de place, j'avais besoin de la nature, de la marche, du silence, de la contemplation, de la rencontre aussi. Et donc j'ai décidé que cette aventure serait un pèlerinage. Jérusalem, c'est venu un peu par opportunisme, parce que c'est suffisamment loin pour que ce soit l'aventure d'y aller, suffisamment symbolique spirituellement pour nourrir une réflexion. Je ne me suis pas plus posée de questions que ça, sur le fait d'aller là-bas. Le seul truc, c'est qu'aujourd'hui, d'aller à Jérusalem complètement à pied, c'est un peu compliqué avec les guerres. Donc moi, j'ai décidé de passer par la Grèce. voilà parce que ça me plaisait et de Grèce je me suis débrouillée pour rejoindre Chypre puis Israël mais voilà pourquoi Jérusalem ça a été tout un long cheminement et je trouve que ce temps de préparation mentale enfin en tout cas de maturation a été important

  • Solange Pinilla

    Partir à pied, seul, pendant neuf mois, en demandant chaque soir son hébergement, cela signifie évidemment sortir de sa zone de confort et non sans risque, comme on vous l'a souvent dit sur le chemin. Est-ce que vous aviez des craintes en partant dans cette aventure ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Je n'ai pas laissé beaucoup de place dans ma tête aux craintes. En fait, forcément, j'en avais parce que je sais très bien qu'une femme qui part seule en voyage comme ça, il peut y avoir des dangers. Donc, je le savais, mais je me suis dit que je ne voulais pas que ça m'empêche de partir. Après, ce qui me paraissait important, c'était par exemple d'avoir un sac suffisamment léger pour que physiquement ce soit supportable. Une de mes craintes aussi, parce que je suis partie en me fixant trois règles. La première, c'était de ne pas faire de stop. de tout faire à pied, ou si je faisais du stop, ce qui m'est arrivé deux ou trois fois, je revenais dans le sens inverse le lendemain pour repartir de là où je m'étais arrêtée. Donc tout faire à pied, ne pas payer pour dormir, donc demander l'hospitalité, ne pas aller à l'hôtel, ou alors si j'allais à l'hôtel, c'est qu'on m'y invitait. Et la troisième règle, c'est que j'avais 5 euros par jour maximum pour vivre. Et donc cette dépendance dans laquelle je me mettais, notamment pour la nuit, c'est vrai que ça, ça a été quelque chose d'à la fois magnifique et très difficile. Donc je crois que ma crainte, c'était de me dire, mais est-ce qu'on va m'accueillir ? En fait, je suis partie en 2017, et c'est vrai que j'étais fatiguée d'entendre de partout qu'on était une Europe qui accueillait pas, qui savait pas accueillir, d'entendre cette peur un peu de l'autre, de l'étranger, et moi ça me blesse d'entendre ça, je me dis mais je veux pas que l'humanité soit comme ça. Peut-être que je suis un peu bisounours, mais en fait, c'est pas ça. Moi, je n'ai pas envie de voir cette humanité-là. Et je me suis dit, je vais éprouver moi-même si on est capable d'hospitalité. Donc ça, c'était un vrai défi et un défi que je lançais à Dieu. Parce qu'en fait, j'ai un peu sauté sans filet en me disant, on va bien voir si tu me récupères et si tu es capable de m'aider. C'était peut-être pas très glorieux comme démarche, mais dans mon désir de me rapprocher de Dieu, il y avait ce désir de vérifier qu'il prenait soin de moi. Donc je crois que ma peur principale, c'était peut-être ça. C'était, est-ce qu'on va m'accueillir ? Et puis dans une démarche chrétienne, dans une France laïque, est-ce que aussi je vais être jugée ? J'avais cette crainte-là aussi. Après, le reste des peurs, est-ce que des chiens vont m'attaquer, est-ce que des hommes vont m'attaquer, est-ce que plein de choses, j'y pensais pas trop. Je pense que je suis pas d'une nature très craintive quand même. Donc c'est pas très compliqué pour moi de pas me laisser envahir par ça.

  • Solange Pinilla

    Partant de Paris, vous avez commencé par traverser la France en direction des Alpes, en passant par la Bourgogne. Est-ce que vous avez découvert un aspect de la France que vous ne connaissiez pas ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Euh, oui. Ce qui m'a beaucoup marquée, j'ai traversé une France rurale, une France dans laquelle, en tout cas jusqu'aux Alpes, il y a peu de marcheurs. et j'ai énormément été accueillie dans ma démarche de demande d'hospitalité j'ai beaucoup été accueillie dans les fermes et moi je suis une citadine je ne connais pas bien ce monde agricole et j'ai adoré me rapprocher de ce monde là entendre les questions les craintes vraiment j'ai été bien accueillie C'est-à-dire que, est-ce que c'est parce que c'est un métier qui vous amène à travailler dehors et que du coup, c'est plus facile de rencontrer les agriculteurs ? Est-ce que c'est parce que la porte d'une ferme est ouverte, parce que s'il y a une démarche commerciale, je ne sais pas ? En tout cas, très souvent, j'ai planté ma tente près d'une ferme, mais à chaque fois, on m'accueillait, on me donnait à manger, on me disait, oui, dépouille notre cerisier, il est pour toi, ou alors on me donnait du lait des vaches, et une vraie simplicité dans l'accueil. Et puis, ça, je crois que ça a été vraiment, pour moi, un regard ouvert sur cet univers que je connaissais plus par les médias qu'en direct. Et j'ai été frappée aussi, je suis partie en 2017, c'était après des élections présidentielles, et d'entendre à quel point ce monde se sentait peu écouté, peu reconnu, de voir leur peur, et ce n'était pas que dans la tête, je sentais qu'il y avait quelque chose aussi, un attachement viscéral à cette terre et à ce métier. J'ai été vraiment très touchée par ces rencontres.

  • Solange Pinilla

    Après quelques jours au foyer de charité de la Flatière face au Mont Blanc, vous passez la frontière et en Italie vous traversez le parc Val Grande, une des dernières zones sauvages d'Europe, qu'on vous déconseille de traverser car dangereux et trop isolé, mais vous dites que l'appel de la montagne est plus fort et vous y allez, est-ce que vous l'avez regretté ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    C'est vrai que j'ai fait le choix en Italie de passer par les montagnes, donc par le nord des grands lacs, par les Alpes, plutôt que par le sud, par la plaine du Pau, ce qui est un choix que font souvent les pèlerins quand ils vont à Jérusalem. Mais moi je trouve, j'aime pas marcher sur du plat en fait. Bon déjà je trouve que c'est un peu ennuyeux, et puis même physiquement je trouve ça plus dur, le corps fait toujours le même mouvement. Enfin moi j'ai plus facilement mal quand je marche sur du plat. Alors la montagne, je savais qu'il y a plus de danger et qu'il y a plus de fatigue peut-être quand même parce que c'est exigeant. Mais c'est tellement beau. En fait, moi, j'adore cet univers. Et la beauté fait partie de ce qui me rapproche de Dieu aussi. Et c'est peut-être dommage, mais le danger me rapproche de Dieu aussi. Alors, je ne cherchais pas le danger, je ne cherchais pas à le provoquer. Mais de fait, à certains moments où je me suis sentie en danger, c'est vers Dieu que je me tourne. mais c'est surtout la beauté qui m'attirait et je ne l'ai pas du tout regretté au contraire, ça a tellement été important dans mon voyage et puis ce monde de la montagne aussi dans les petits villages, dans les vallées d'altitude en Italie j'ai été très bien accueillie il y a des endroits encore qui restent très isolés et qui restent habités et j'ai adoré découvrir ces petits mondes qui sont quand même un peu coupés du reste du pays donc non non je ne l'ai absolument pas regretté alors c'est vrai que c'est un équilibre entre écouter les dangers et ce qu'on vous déconseille de faire mais pas trop les écouter quand même parce que les gens en tout cas moi j'ai ressenti que souvent les gens projetaient sur moi beaucoup de peur le fait que je sois seule que je sois une femme j'avais déjà un peu l'expérience de la montagne donc je sais très bien qu'il y a des dangers mais voilà je pense qu'il faut un peu écouter mais pas tout le temps non plus toutes les peurs qu'on projette. Moi, je trouve que marcher le long d'une route où les voitures et les camions vont vite en vous frôlant, c'est aussi dangereux que la montagne. Et j'ai parfois eu vraiment peur de ça. Après, je choisissais quand même mes chemins en fonction du fait que j'étais seule. J'essayais de ne pas faire n'importe quoi. Mais c'est vrai que je peux avoir un côté quand même un peu, parfois, fonceur. C'est-à-dire que ça m'attire. et là où ça a été parfois où je me suis posé des questions c'était depuis le début je voulais vivre à la fois une aventure un pèlerinage et parfois je me disais quel équilibre je garde c'est à dire parfois en montagne où je sens que j'allais trop loin dans des chemins difficiles et je me disais mais est-ce que là je bascule pas trop du côté de l'aventure Bon, ça, ce sont des questions très théoriques, parce qu'en fait, personne n'a jamais défini ce qu'est l'aventure et le pèlerinage. Mais moi, en tout cas, dans ma démarche personnelle, je sentais qu'à un moment donné, je donnais plus de place au défi qu'à la quête intérieure. Donc, ça a été un peu une question qui m'a travaillée. Je n'ai toujours pas répondu, d'ailleurs. Ça reste là.

  • Solange Pinilla

    Vous arrivez ensuite en Slovénie, c'est une nouvelle culture, une nouvelle langue. À un moment, vous êtes épuisé et en larmes devant un magasin fermé, vous n'arrivez plus à vous relever. C'est là qu'une petite voix intérieure prend le relais. Racontez-nous.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Effectivement, en Slovénie, j'ai beaucoup... Enfin, en fait, au niveau des Dolomites, je suis redescendue dans la plaine parce qu'il y avait énormément d'orages en montagne et que ça devenait trop difficile, trop dangereux. Donc, je suis redescendue. Et là, j'ai souffert de la canicule. C'était le mois de juillet, je crois, encore. Enfin, juillet, début août. Et il faisait plus de 40 degrés les après-midi. Et c'était vraiment difficile physiquement. Très, très éprouvant. J'aime pas trop la chaleur, en plus. et je trouve que marcher dans ces conditions, dans la plaine où il y avait peu d'ombre, c'est pas humain. Donc je suis arrivée en Slovénie, j'étais vraiment fatiguée, j'ai essayé de partir tôt le matin, de faire des plus petites journées, des grandes siestes, mais en fait comme je demandais l'hospitalité, je pouvais pas non plus arriver à midi chez les gens. Soit les gens sont pas chez eux, ou alors ils trouvent ça un peu étonnant que vous arrêtiez aussi tôt, enfin c'est pas facile de demander l'accueil tôt dans la journée, c'est plus facile quand on est en fin d'après-midi. Donc ce jour-là, j'avais pas dormi de la nuit à cause de la chaleur. J'avais prévu d'aller acheter 2-3 choses à manger dans un supermarché que j'avais repéré. Je m'étais levée très tôt pour profiter des heures fraîches, mais là, à 7h30 du matin, j'étais déjà en nage, et le supermarché était fermé. C'était rien, il fallait que j'attende une demi-heure qui s'ouvre. Mais c'était une demi-heure des heures un peu plus fraîches, et en fait, j'ai craqué. Je me suis assise, j'ai pleuré, et là... Donc je raconte dans le livre que depuis le début de mon voyage, dans les moments difficiles, j'ai une petite voix intérieure qui me guide, qui me houspille, qui me dit mais si, tu vas y arriver, allez, t'es courageuse, ou alors, bon maintenant tu vas t'arrêter un peu, t'as trop marché qui prend le relais de ma raison qui parfois est un peu fatiguée. Et ce jour-là, ma petite voix intérieure m'a dit mais arrête-toi, pourquoi tu fonces comme ça, pourquoi tu marches trop, tu peux faire deux, trois jours de pause, en fait, t'es épuisée Et j'ai décidé d'écouter cette voix, et j'arrive dans une ville, donc je continuais à marcher jusqu'à une petite ville plus loin, et je m'étais dit que je prendrais un bus jusqu'à Zagreb, où j'irais me poser en attendant une amie qui devait me rejoindre quelques jours. Dans cette ville, j'attends sur un banc, parce que le bus n'était pas tout de suite, et là j'entends les cloches. Et je réalise qu'on est dimanche. Moi, marchant comme ça, j'avais aucun repère dans le temps, je ne savais plus quel jour on était. Je me dis, tiens, c'est dimanche, je vais quand même aller à la messe. Même ça, j'avais peu le courage d'y aller, mais j'y vais. À la sortie de la messe, je n'avais pas le courage d'aller vers les gens, parce que je me suis dit, si ça se trouve, peut-être que des gens peuvent m'accueillir. Et je n'avais pas le courage, j'étais tellement fatiguée au bout du rouleau, c'est difficile de toujours expliquer sa démarche et demander. Et là, c'est une femme qui est venue vers moi et qui me dit... C'est vrai que je détonnais un peu avec mon sac à dos. et qui commence à me parler, et là quand même je lui explique, je lui dis voilà en fait je suis très fatiguée, je vais à Jérusalem mais j'ai besoin de me reposer deux trois jours, est-ce que vous pensez qu'il y a une salle de la paroisse où je pourrais me poser, j'ai pas besoin de grand chose. Et finalement ce sont des paroissiens qui m'ont accueillie chez eux pendant je sais plus trois jours, j'ai été accueillie merveilleusement bien, c'était incroyable, et je me suis dit ce jour-là en fait j'avais plus d'énergie pour rien, j'étais tellement fatiguée que j'arrivais même plus à prendre la décision de m'arrêter. je ne savais plus quel jour on était, ce sont les cloches qui m'ont appelée, je n'avais pas le courage d'aller vers les gens, c'est une dame qui est venue vers moi, et en fait j'ai trouvé ça incroyable. Et là, souvent quand je perds confiance en Dieu, j'essaie de me rappeler de ce jour-là, je me dis mais en fait à quel point il a pris soin de moi, en m'envoyant, je l'appelle mon petit coach personnel, mais je me dis que c'est peut-être mon ange gardien, je ne sais pas, ensuite les cloches, ensuite une femme qui est venue vers moi, puis des paroissiens qui m'ont accueillie. et je me dis, ben voilà, j'étais un peu au fond du seau mais même là, enfin surtout là, il y était lui aussi et il a pris le relais et c'est une immense confiance que ça me donne dans la vie, cette expérience et j'ai besoin de me la rappeler régulièrement pour me dire mais attends, arrête de stresser, d'avoir peur pour ce qui pourrait arriver parce qu'en fait, Dieu ne te lâche pas ça, ça a été très fort

  • Solange Pinilla

    Peu avant d'arriver en Bosnie, vous trouvez sur la carte un chemin qui part d'un village, mais ce chemin en vrai n'existe plus, et donc vous partez à l'azimut dans la forêt, vous prenez soudain conscience que ce chemin n'existe plus, mais c'est peut-être parce qu'il reste des mines de la guerre des Balkans, qui s'est déroulée dans les années 1990. Quelle marque a laissé cette guerre dans les paysages d'aperçu et les rencontres que vous avez faites dans ces régions ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    C'est vrai que j'ai été très marquée par la Bosnie, et donc il y a eu ce chemin inexistant où j'ai vraiment eu peur. En fait, j'étais à la frontière, j'étais encore côté Croatie, mais me dirigeant vers la Bosnie. Je n'ai jamais été aussi heureuse de retrouver une route, moi qui n'aime pas marcher sur des routes, là j'étais vraiment contente de m'y retrouver. Et puis ensuite, le deuxième jour en Bosnie, donc heureusement je n'étais pas toute seule, deux amis m'avaient rejoint. et on marche dans la forêt, et en fait, il y avait des panneaux pas diminés, donc attention, mine partout, donc il ne fallait surtout pas sortir du chemin. Les villages étaient inexistants, c'est-à-dire que le village où j'avais prévu de prendre de l'eau, que j'avais repéré sur la carte, n'existait plus. Il y avait des ruines et des arbres à la place. Et ensuite, même dans les villes, même dans les endroits habités, il y avait encore beaucoup de façades avec des impacts de balles, d'obus, on ne saura pas expliquer ce que c'est. Donc les traces étaient vraiment visibles sur les façades, les murs, même dans une forêt. Et puis, dans les rencontres avec les gens, on sentait que c'était là, mais qu'on ne pouvait pas en parler. Enfin, moi, en tout cas, c'est ce que je ressentais. C'était difficile d'en parler. Et puis, c'est vrai que derrière, il y a aussi... C'était une guerre civile. Et il continuait à cohabiter. Donc, vous savez, il y a les communautés serbes, croates et bosniaques. Communautés serbes qui sont orthodoxes, croates catholiques et bosniaques qui sont musulmanes. Et quand j'étais accueillie par des Bosniaques qui me disaient Le village suivant, c'est des Croates, je ne sais pas s'ils vont bien t'accueillir. Puis les Croates me disaient la même chose des Serbes. En fait, tout le monde disait ça de son voisin. Moi, j'étais bien accueillie partout. Et c'est vrai que c'est peut-être ça la douleur des guerres civiles. C'est qu'en fait, la cohabitation demeure derrière. Mais qu'est-ce qu'il reste de la peur, de la méfiance, de la rancœur ? J'ai vraiment senti à la fois des gens incroyables, d'une générosité. Par moments, je regardais les yeux par terre quand je traversais des villages, parce que sinon on m'interpellait trop, on m'invitait trop, j'arrivais plus à avancer. Donc des gens d'une grande générosité, beaucoup d'amour pour leur pays, et puis en même temps, cette blessure qui reste de la guerre. Et puis à Sarajevo, j'ai visité le musée qui retrace l'histoire de la guerre, et ça m'a bouleversée. C'est une guerre moderne, en fait, que quand j'étais moins enfant, donc c'est facile de s'y projeter. et vraiment j'ai été très impactée par ça et puis à quelques occasions j'ai été accueillie par exemple dans des monastères franciscains avec des religieuses qui parlaient anglais ou italien, langue que je parle donc ça a aidé parce que c'est vrai que sinon je ne parle pas le cerveau croate les échanges étaient plus compliqués et c'était chouette de rencontrer des personnes à qui je pouvais poser mes questions qui me racontaient leur expérience Pendant la guerre, ça a aidé à mettre des mots sur ce que je percevais et ce que je voyais, mais qui reste très dur à comprendre. La Bosnie ne s'est pas limitée aux traces de la guerre et à tout ça, mais il y avait bien plus que ça. Mais c'est vrai que ça m'a marquée.

  • Solange Pinilla

    Vous arrivez ensuite au Monténégro. Vous écrivez à ce moment-là que vous n'avez de l'énergie que pour une journée et que le stock se renouvelle en dormant. Plus généralement, comment vous trouvez la force de continuer malgré la fatigue, les douleurs, la solitude ? C'est vrai que moi, en lisant votre livre, je me disais que je me serais arrêtée au bout de trois jours à cause des ampoules. Tellement c'est douloureux. Comment vous faisiez ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    C'est vrai que les ampoules, toute la partie française, j'ai eu des ampoules et ça a été dur. Là, j'avoue que... Je n'ai jamais pensé m'arrêter parce que je suis un peu trop têtue pour ça, je pense. Mais quand même, certains jours, j'avais vraiment envie de râler. Les ampoules, ça n'a l'air de rien, mais chaque pas est douloureux. Et quand on ne fait que ça toute la journée, de marcher dessus, ce n'est pas très agréable. C'est vrai que souvent, je recevais des messages, parce que j'avais un blog pendant mon voyage, et c'était un blog qui était plutôt pour les amis, mon environnement proche, mes amis, ma famille, mais c'était super parce que ça me permettait de réfléchir à la façon dont je pouvais partager ce que je vivais, à mettre des mots sur ce que je vivais, et puis, à l'inverse, de recevoir des messages qui me faisaient du bien. Et parfois, on m'envoyait des messages en me disant Waouh, qu'est-ce que t'es courageuse ! Moi, je ne me sentais pas plus courageuse, en fait, pas plus courageuse que n'importe qui qui se réveille le matin, a une grosse journée de s'occuper de ses enfants, de son travail, de... En fait, c'est chaque journée en soi qui compte. Et donc, un jour, un ami me demande où est-ce que je vais être dans quelques jours, et je me rends compte que ça m'angoisse de regarder la carte. Mais comme n'importe qui peut être angoissé devant la liste monstrueuse des choses à faire, vous voyez ? et je lui réponds je ne peux pas regarder la carte sur plusieurs jours parce que ça me fatigue à l'avance de regarder ça j'ai du courage que pour une journée et je me dis mais c'est vraiment ça en fait et aujourd'hui encore j'applique ça c'est à dire que quand la liste de tout ce que je veux faire est trop énorme je découpe et je me dis ok aujourd'hui ça va ressembler à quoi et là ça devient un peu plus réaliste Et puis c'est magique parce qu'en fait le nombre de fois où je me couchais le soir et j'étais mais crevée, le corps endolorie et je me disais mais comment je vais pouvoir marcher demain matin puis en fait le lendemain matin ça allait mieux La nuit, on est bien fichus. Et le sommeil, un bon sommeil, c'est magique. C'est vrai que j'ai quand même la chance d'avoir un bon sommeil, surtout quand j'ai marché toute la journée en général, je dors facilement. Et je crois que déjà ça, ça joue en fait, c'est de faire confiance, mais faire confiance pour la journée, pas trop se projeter, parfois c'est dangereux. En tout cas, moi j'essaie d'éviter. Et puis la force de continuer seule... C'est surtout, il y a eu un moment pendant le voyage où c'était vraiment très dur en Albanie, pendant plusieurs jours je supportais plus cette solitude, elle me pesait. Et je ne me suis pas dit que j'avais envie d'arrêter, mais je me suis demandé comment j'allais continuer comme ça. Je perdais le goût de mes journées du coup, j'arrivais plus à être heureuse de cette marche. Et la prière là m'a vraiment aidée. la prière moi j'hésite pas un peu à râler dans mes prières c'est à dire écoute là j'en peux plus faut que tu m'aides de râler auprès de quelqu'un on décharge un peu ce qui est dur et je me dis Dieu doit pouvoir encaisser ça j'espère en tout cas moi ça m'a vraiment aidé de confier cette solitude à Dieu et puis les rencontres parfois c'est des toutes petites rencontres c'est pas grand chose mais juste une petite mamie sur le bord du chemin qui me donne des noix, du raisin en me faisant un sourire en fait c'est déjà très fort et ou une belle nature. Moi, j'adore voir des animaux aussi. Ça me donnait beaucoup de joie. Je pense que ce qui aide et ce qui permet d'avancer, c'est très quotidien, en fait. C'est des petites joies dans le quotidien. Que ce soit une rencontre, une belle nature, une émotion sympa, enfin. Et de le reconnaître, de les voir, ces petits moments, moi, ça m'aide beaucoup. Parce qu'en fait... Si je focalise sur ce qui est dur, peut-être que je ne vais pas voir ce qui est beau. Donc c'est un peu une volonté aussi de se dire, bon, attends, j'arrête de râler. Qu'est-ce qui peut m'aider ?

  • Solange Pinilla

    En Albanie, les personnes sont très accueillantes, à quelques exceptions près, et vous n'avez pas eu à planter votre tente. Malgré leur pauvreté, certaines personnes prennent même sur leur nécessaire. Comment est-ce que vous l'avez vécu ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    J'ai été très touchée par l'accueil en Albanie. C'était... Souvent, je dormais dans le salon où la grand-mère dormait déjà. Donc, elle dormait sur un canapé, moi sur l'autre, dans la chambre avec les enfants. Et c'était d'une simplicité, d'un naturel incroyable. C'est le pays, voilà, c'est le seul pays, comme vous dites, où j'ai jamais planté ma tente. J'ai pas eu besoin. Les gens m'accueillaient chez eux. J'ai parfois dormi dans des monastères aussi. Un soir, j'ai été accueillie dans une petite ville par une famille. Il y avait les parents, la fille et la petite-fille. La fille qui devait avoir une trentaine d'années. Les parents étaient séparés, mais n'avaient pas les moyens d'avoir des logements séparés. Ils continuaient à habiter ensemble, le père dans le salon. Il y avait une chambre dans laquelle dormaient, dans un grand lit, la grand-mère, la mère et la petite. grande précarité et cette femme et sa petite fille avaient cherché à migrer en France et puis en Allemagne justement pour essayer d'avoir une vie meilleure, d'autres opportunités qu'elles n'avaient pas en Albanie. Et elles ont dormi dans la rue, elles ont été expulsées. Donc elles font partie de ces migrants qu'on voit dans la rue, de ces femmes avec enfants dont la présence me bouleverse. Et là, c'était inversé. C'était moi, la personne à accueillir, et elles m'ont accueillie. C'est-à-dire qu'elles n'ont pas prétexté, Ah non, il n'y a pas de place, on n'a pas le temps, je ne sais pas quoi. Elles ont poussé leur lit dans lequel elles dormaient à trois. Elles m'ont fait un petit espace par terre et j'ai dormi sur des coussins par terre. Et c'est vrai que c'est pas toujours facile d'être dans cette position de la personne qui demande, surtout quand on est accueilli par des personnes qu'on peut de moyens. Souvent on me donnait à manger, on me servait, mais c'était infini, il y avait énormément. Et je me disais, mais est-ce que ces personnes mangent tous les jours comme ça ? Je suis pas sûre qu'elles mangent de la viande à tous les repas. Ou alors est-ce que c'est parce que je suis là, mais dans ce cas, est-ce que je suis pas en train de les dépouiller ? sachant que cette décision de voyager avec peu de moyens je l'avais prise mais en fait si j'avais voulu me payer un resto j'aurais pu c'était un choix, c'était pas une obligation, c'était pas vital en fait donc parfois c'était dur, j'avais un peu de culpabilité et en même temps les rencontres étaient belles

  • Solange Pinilla

    Eux ne me faisaient jamais sentir que c'était un poids. Et puis je me disais, en fait, je n'ai pas grand-chose à rendre. Donc tout simplement, j'essayais vraiment d'être sincère dans mon intérêt envers les personnes qui m'accueillaient. Je trouve que de réellement les regarder m'intéressait à ce qu'elles vivaient. Alors les communications n'étaient pas toujours simples dans des langues étrangères. Mais puis de prier pour ces personnes, tous les jours je les confiais à Dieu. Et je ne pouvais rien faire d'autre en fait. Donc ce n'est pas si facile quand on dit non aussi. Quand on me disait non, c'était parfois dur. Ça demande d'être dans une position d'humilité qui n'est pas très naturelle. Je trouve en tout cas moi qui ne m'a pas... Dans mon éducation, j'ai l'impression qu'on m'a appris à ne pas trop dépendre des autres. En tout cas, moi je suis vraiment comme ça. Je n'aime pas trop dépendre des autres, je suis très indépendante, j'essaie plutôt d'être forte que dans mes fragilités. Et là, cette démarche c'était un peu l'inverse en fait. Et c'est vrai que ça bouscule beaucoup, ça amène beaucoup d'humilité. Mais je dirais que... Ce qui a été le plus beau là-dedans, c'est de me rendre compte à quel point une certaine humanité peut être généreuse et hospitalière. Et moi, ça m'a un peu soignée, ça m'a guérie dans ma confiance, dans mon rapport à l'être humain. Me dire, mais en fait, on a ça en nous. C'est juste que parfois, on laisse trop nos peurs nous bloquer. Et je crois que c'est le plus beau cadeau que ces personnes m'ont fait.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Dans les montagnes grecques, vous retrouvez Vincent, un ami français qui vous rejoint quelques jours. Et ce n'est pas le seul de vos proches qui vous a accompagné sur un bout de chemin. Qu'est-ce que vous apportez ces compagnons de marche que vous connaissiez déjà ?

  • Solange Pinilla

    Dès le départ, j'avais proposé à des amis de venir marcher avec moi. Et je leur avais juste dit, il faut essayer de respecter les trois règles que je me suis fixées, parce que je ne vais pas changer ma manière de marcher, puisque vous êtes là. Et puis, je trouvais ça beau de partager un petit bout de ce chemin avec des amis. Et c'est vrai que c'était chouette. Alors déjà, ça me faisait du bien parce que ça brisait un peu la solitude. J'ai vu une évolution entre ceux qui sont venus en France, où les séparations pour moi étaient très dures. C'était compliqué de me retrouver seule. Et puis peu à peu, en fait, me retrouver seule était devenu naturel. C'est-à-dire que bien sûr que j'étais triste de les voir partir. mais je retrouvais l'état dans lequel finalement c'était naturel d'avancer. Donc ça, j'ai vu une vraie évolution, et c'était super de partager mes journées. C'est très différent de marcher à plusieurs et de marcher tout seul. Il y a moins d'invitations spontanées. Tout seul, on me parlait énormément dans la rue, on m'invitait très facilement. Ça, quand je marchais à plusieurs, ça arrivait moins. mais du coup je partage d'une autre manière c'était intéressant aussi de partager mes questions un peu spirituelles ou éthiques enfin sur plein de sujets tous les amis qui sont venus marcher n'étaient pas croyants donc ça aussi c'est chouette de les inviter à partager un pèlerinage mais eux ne partagent pas forcément ma foi et je trouvais ça super de confronter, de leur dire de les interroger comment tu vis le fait d'être sur un pèlerinage mais qu'est-ce que ça veut dire pour toi Un voyage comme celui-là est une expérience qui m'a profondément marquée. Mais jusqu'à l'écriture du livre, j'étais très seule avec mes souvenirs. Très seule avec ce que j'avais vécu. On m'a souvent dit que je n'en parlais pas tant. Mais ce n'est pas simple d'en parler. En tout cas, sauf quand on me donne un micro et que je suis vraiment là pour ça. Mais dans le quotidien, ce n'est pas si facile. Et le fait d'avoir quand même des amis avec qui j'ai un peu marché, ça me permet d'avoir des petits moments où je pouvais partager. Des gens qui savent un tout petit peu ce que j'ai pu vivre. Et ça aussi, c'est important pour l'après. Et c'est vrai que là, aujourd'hui, le fait d'avoir écrit le livre, mes souvenirs deviennent partagés et c'est beau aussi.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Arrivé au Pyrrhée, le port d'Athènes, après presque six mois de marche, vous cherchez un bateau pour vous rendre à Jérusalem, mais les choses sont un peu plus compliquées que prévues. Pourquoi ?

  • Solange Pinilla

    J'avais pas du tout anticipé cette question de la traversée de la Méditerranée. J'avais pas beaucoup pensé à ça. C'est vrai qu'il y a plusieurs manières aujourd'hui d'arriver en Israël. Donc certains traversent la Turquie jusqu'au niveau de Chypre, ensuite passent par Chypre. Certains vont plutôt dans le sud de l'Italie, prennent des bateaux. Je sais pas trop comment ils font, mais voilà. Moi, j'ai choisi d'aller jusqu'en Grèce. Arrivé à Athènes, je m'étais dit, toujours dans mon envie d'aventure, je vais faire du bateau stop, j'ai bien réussi à trouver un cargo, je ne sais pas trop quoi, pour Israël, ou en passant par Chypre et tout ça. En fait, c'était beaucoup plus compliqué que ce que je pensais. Je n'avais pas pensé qu'il y avait une saison de la navigation. Donc il n'y avait pas beaucoup de bateaux qui naviguaient à ce moment-là, et encore moins qu'il y allait dans cette direction. C'est loin Chypre en fait, en bateau. il n'y avait pas de ferry il y a une compagnie de cargo qui a commencé par me dire oui avant de me dire finalement non on ne vous emmènera pas Tout ça m'a pris du temps. J'avais des contacts avec des compagnies croisières, notamment des croisières qui font... Enfin, à la thématique chrétienne. Mais pareil, c'était plus la saison, en fait. En novembre, ils partent plus. Et moi, j'avais pas du tout pensé qu'il y avait une saison pour ces choses-là. Et donc, ça a été compliqué, finalement. J'ai pris un ferry jusqu'à Rhodes. De là, j'ai rejoint la Turquie. Et j'ai été confrontée... À ce moment-là, j'ai été confrontée un peu à la question Mais pourquoi je vais en Terre Sainte ? et surtout à la limite de mes règles où je m'étais dit que je ferais tout à pied sauf quand j'étais obligée de prendre le bateau mais par exemple en Turquie j'avais je crois 600 ou 700 kilomètres à faire pour arriver jusqu'en face de Chypre et je m'étais dit que je marcherais pas en Turquie seule parce que j'ai entendu plusieurs fois des histoires de femmes qui se sont fait embêter là-bas j'avais pas envie de prendre ce risque là ça me rajoutait un mois de marche, pas loin de ça et bon j'avais le temps c'était pas très grave mais quand même c'était pas forcément ce que j'avais envie de faire donc là finalement en Turquie j'ai pris le bus donc pour moi ça a été très dur de me dire que je contournais les règles que je m'étais fixée de confier ma progression à un moteur je me suis rendue compte que mon pèlerinage c'était parce que je marchais et que sans la marche j'avais du mal à retrouver mon quotidien de pèlerine, j'étais vraiment perdue Chypre, j'ai traversé à pied, donc ça prend 4 jours, c'est très court, parce que je suis arrivée par le nord et je suis repartie par le sud. Et là, arrivant au sud de Chypre, en fait, pas de ferry, pas de bateau, et puis ce sont des zones un peu compliquées politiquement, que ce soit Chypre ou Israël. Et les cargos ont refusé de me prendre, et ça faisait déjà 15 jours que j'étais arrivée à Athènes, que je galérais un peu dans toute mon avancée. et j'étais là mais enfin comment je vais arriver en Terre Sainte et j'ai choisi finalement de prendre l'avion parce qu'à un moment donné je me suis dit je sais pas pourquoi je vais en Terre Sainte mais c'est là que je vais et c'est vrai que ça me perturbe déjà un peu par rapport à notre façon de vivre la planète pour une distance aussi courte de devoir prendre l'avion écologiquement je comprends pas que ce soit, alors un ferry est pas forcément beaucoup moins écolo que beaucoup plus écolo que l'avion mais euh... mais j'avais envie de garder le contact avec la planète. J'étais déçue de devoir prendre l'avion, et en même temps, à un moment donné, c'était en Terre Sainte que je voulais aller, et j'ai choisi d'y arriver par ce biais-là. Mais c'est vrai que ça m'a beaucoup questionnée sur mais qu'est-ce que ça veut dire qu'être pèlerine ? Pourquoi la marche ? Pourquoi la Terre Sainte ? Mais ça a été difficile, et puis peut-être un certain orgueil aussi faisait que j'avais envie d'y arriver par mes propres moyens et à l'aventure. sans prendre l'avion, et finalement j'ai renoncé.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    En Israël, deux ou trois jours de marche vous auraient conduit à Jérusalem, mais c'était trop rapide à votre goût, donc vous préférez à ce moment-là suivre en partie le Shevil, un chemin de randonnée qui traverse Israël du nord au sud, et d'ailleurs ce ne sera pas de tout repos. Du coup, pourquoi finalement vous voulez absolument marcher ? Qu'est-ce que vous procure la marche que vous ne trouvez pas ailleurs ?

  • Solange Pinilla

    Quand je suis arrivée en Israël, c'était après ces 15 jours de traversée un peu chaotique depuis Athènes, et je me sentais dépossédée de mon pèlerinage, d'avoir confié mon avancée à des bus, des bateaux, des avions, d'avoir dû expliquer tous les passages de frontières, pourquoi j'étais là, ce que je faisais là. ça me perturbait et j'ai choisi de faire ce voyage à pied et je voulais arriver à pied mais 2-3 jours depuis entre Tel Aviv et Jérusalem je savais que ça n'allait pas me permettre de retrouver la marche dans mon corps dans ma tête et moi je voulais vraiment arriver en ayant le sentiment d'avoir marché donc j'ai pris un dernier bus jusqu'à Elat au bord de la mer Rouge et là ensuite je suis partie j'ai traversé à pied c'était incroyable parce que j'ai traversé le désert du Negev et ça c'était une expérience super forte pas toujours facile parce qu'en fait comme vous dites il y a le cheville qui est un chemin de randonnée balisé et dans le désert du Negev les randonneurs souvent se mettent d'accord avec des agences qui leur livrent de l'eau en cours de route ou alors ils louent des voitures avant pour aller cacher de l'eau à certains endroits dans le désert comme ça ils le retrouvent pendant leur chemin moi évidemment j'ai pas fait tout ça mais je portais parfois deux jours d'eau en faisant des très grosses étapes donc physiquement c'était intense et intense Mais en même temps, du coup, c'était génial parce que ça m'a permis de retrouver ce rapport au monde très différent qu'on a quand on marche. Un peu comme quand on est en montagne ou on est dans un univers qui est sauvage. et là j'ai adoré bivouaquer dans le désert et me sentir un peu à l'écart du monde c'est un rapport au monde qui est vraiment différent je suis intensément dans l'instant dans ce que je vis et le fait de le faire à pied je sens la distance en fait chaque changement de paysage est important le désert ça a été très fort et puis après j'ai vraiment pu arriver à Jérusalem à pied des pieds ensanglantés d'ailleurs parce que le désert, le sable avait complètement détruit mes chaussures j'avais les pieds dans un état épouvantable et donc je suis arrivée en clopinant je me suis arrêtée 5 jours à Jérusalem et ensuite j'ai continué jusqu'à Tibériade depuis le début je savais que je voulais m'arrêter au bord du lac de Tibériade et donc j'ai marché encore une semaine je crois ou 10 jours je sais plus entre Jérusalem et Tibériade Et je suis passée par la Cisjordanie. C'était un choix, je ne voulais pas marcher que côté Israël, je voulais marcher en Palestine aussi. Et ça a été très dur parce que je me suis retrouvée dans les territoires occupés face à une guerre qui encore plus aujourd'hui est dure. Je me suis retrouvée face à des choses que je ne comprenais pas, à des violences, à un territoire ultra militarisé. Tous les hommes qui me parlaient étaient armés. Moralement, j'ai trouvé ça très difficile de me dire mais est-ce que je vais demander l'accueil dans les colonies ? Mais en même temps, où est-ce que je vais dormir si je ne vais pas dans une colonie ? C'est le désert, il n'y a pas d'eau. Donc ça a été moralement très dur. Et puis ensuite, voilà, l'arrivée au lac. Donc c'est vrai que ça n'a pas été de tourpeau, mais je ne regrette absolument pas d'avoir fait cette traversée d'Israël à pied. Parce que c'est ce qui m'a permis de vraiment sentir que je marchais sur la terre de Jésus. Mais c'est vrai que j'ai eu du mal à ressentir de l'émotion devant les bâtiments, les églises, les reconstructions. et moi c'est vraiment venu en marchant sur cette terre que j'ai un peu compris pourquoi j'étais venue pourquoi j'étais là comment votre relation à Dieu a évolué entre le début et la fin du voyage ? je dirais que c'est vraiment devenu un compagnon de route un compagnon de vie avant j'avais du mal à lui faire confiance je crois à me dire qu'il pouvait me rendre heureuse puis je croyais en lui mais sans trop penser à lui en fait il était là dans un coin de ma vie mais sans que je lui donne vraiment d'importance et en même temps je sentais bien que c'était pas bon que c'était pas ça que en tant que chrétien j'étais appelée à vivre en tant que chrétienne et là aujourd'hui il peut se passer des journées entières sans que j'y pense c'est pas magique ça a pas été une conversion fulgurante avec un grand moment mystique et tout ça j'ai pu Ça a plutôt été dans le quotidien, dans les galères du quotidien, dans les jolis moments de chaque jour, d'éprouver sa présence, de me rendre compte que je pouvais lui faire confiance. Et c'est vrai que ce qui a été fort pour moi pendant mon arrivée, c'était de me dire, un peu comme vous savez quand on fait un voyage pour aller sur la terre de ses ancêtres, comme on revient chercher ses racines. J'ai eu l'impression que c'était ça en fait, que je venais chercher mes racines de chrétienne et en allant sur la terre de Jésus homme. Moi je ne suis pas une mystique, Jésus Dieu s'il n'est pas un peu incarné j'ai du mal à le voir. J'ai besoin de le sentir à travers la nature, à travers les autres, à travers sa création. Et là, le fait d'aller sur la terre où il avait grandi, marché, vécu, mangé, souffert, etc., j'ai eu l'impression de faire ce pèlerinage, ce retour aux sources, un peu. Et c'est vrai que par exemple au Saint-Sépulcre à Jérusalem, moi je ne l'ai pas retrouvé. J'ai eu l'impression de me sentir, de comprendre un peu mieux notre histoire chrétienne, qui n'est pas toujours jolie jolie, c'est quand même un lieu de division souvent. Parfois je me dis, mon Dieu, c'est vraiment nous chrétiens, on arrive à tomber dans des écureuils de clochers comme ça, c'est terrible. donc c'est pas tellement ces lieux là qui m'ont porté, c'est vraiment plus par exemple de marcher j'ai marché dans le Wadi Kelt qui est cette vallée entre Jérusalem et Jéricho et c'est une route naturelle, donc Jésus y a marché quand il marchait entre Jérusalem et Jéricho l'histoire qu'il raconte du bon samaritain ça s'est passé là et ça n'a pas beaucoup changé, ça n'a pas été modernisé. Et j'étais bouleversée de me dire, en fait, ces paysages que je vois, lui aussi les voit. Il y a plein de grottes dedans. On voit encore passer des petits enfants bédouins avec des ânes, et ces images-là, je me disais qu'elles ne sont pas beaucoup évoluées depuis 2000 ans. Et ça, ça m'a touchée. Et c'est vrai que j'ai eu l'impression de me rapprocher de Jésus, en fait, dans ce qu'il avait vécu pendant sa vie terrestre. et dans ce qu'il m'apportait aujourd'hui, dans ce qu'il était aujourd'hui en tant que Dieu.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Vous avez décidé de quitter Paris et d'habiter Chambéry dans les montagnes. Est-ce que vous avez fait d'autres changements depuis que vous avez réalisé ce voyage en 2017 ?

  • Solange Pinilla

    C'est vrai que c'était difficile pour moi après avoir passé tant de temps tout le temps dehors, tout le temps un peu en liberté dans la nature. de me retrouver en ville, mais j'ai choisi d'habiter près des Alpes parce que, je vous l'ai dit, j'adore les montagnes. Et c'était... C'est quelque chose... Je n'avais pas tant pensé que ça pendant le voyage, mais au retour, l'envie était vraiment là, donc j'ai cherché un travail près des Alpes. Aujourd'hui, ce qui a pu changer dans mon mode de vie, c'est déjà que j'essaie vraiment souvent de passer du temps à marcher. D'essayer de partir seule aussi, souvent. Je ne marche pas tout le temps seule, mais je le vis différemment et j'aime bien ça. En fait, même si ce n'est pas en montagne, mais juste d'être dans la nature toute seule, en silence, ça me plaît beaucoup. C'est quelque chose qui me nourrit, qui me fait vivre. et qu'est-ce qui a pu changer d'autre c'est d'essayer de garder une simplicité de vie après c'est des changements on évitera très peu par le monde donc c'est tout le temps moi j'ai souvent besoin de me rappeler de me dire Aliénor attention t'achètes pas trop de choses ne sois pas trop dépendante du matériel Moi, je me dis, je passe trop de temps sur mon téléphone. J'ai l'impression que souvent, cet écartèlement entre un monde qui va vite, qui laisse peu de place au silence, à la contemplation. et d'un autre côté ce besoin de silence de contemplation de Dieu je continue à être écartelée comme vous savez s'il y avait deux aimants et que je passe ma vie à être attirée par un aimant plus qu'un autre donc j'ai souvent besoin de me rappeler que ce que j'aime en fait et ce qui me fait vivre c'est une vie plus simple avec moins de moins dépendante du matériel et l'écriture du livre m'a fait beaucoup de bien en fait ça m'a Ça m'a rappelé, j'avais jamais relu mes carnets de voyage, et le fait de les relire, de me rappeler à quel point cette vie-là m'avait rendue heureuse, ça m'a un peu... réparer ma boussole intérieure. Ça m'a un peu redit, mais en fait, voilà ce qui est important.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Est-ce que vous pouvez nous parler de votre travail actuel dans le monde associatif ?

  • Solange Pinilla

    Alors, en ce moment, je ne travaille pas. Mais j'ai toujours travaillé dans le monde associatif, dans le social, dans le médico-social. D'abord avec des personnes à la rue, avec des migrants, avec des jeunes, avec des personnes avec un handicap mental ces derniers temps. et moi je pense que je dis toujours les deux choses qui m'ont vraiment fait grandir dans ma vie c'est mon travail avec les personnes en précarité isolées ou fragiles et le voyage et la marche je pense que ce que je suis aujourd'hui et les livres c'est beaucoup lié à ces expériences et toute cette réflexion que j'ai un peu sur nos forces nos fragilités et l'importance de laisser une place à ce qui est fragile aussi en moi, en tout cas l'accepter Ça vient aussi de mes rencontres, de mon travail avec les personnes dont les fragilités sont parfois visibles. Donc c'est quelque chose qui est hyper important pour moi, et d'avoir expérimenté aussi, dans une toute petite mesure, ce que c'est que d'être dépendant, et un peu l'humilité, parfois l'humiliation, de devoir demander et d'entendre des noms. Ça me rend plus attentive à ce que moi je peux répondre, à ma manière de répondre aux sollicitations et une espèce de délicatesse à avoir avec les personnes en fragilité. En fait, je pense que quand je marchais, je demandais l'accueil le soir forcément, et en fin de journée, j'avais déjà une journée de marche derrière moi, donc c'est un moment où j'étais fatiguée. Pour peu que la météo soit pas bonne ou trop chaude ou pluvieuse, ça rajoutait encore un peu à mon... Mon inquiétude de trouver un endroit où dormir, j'étais vraiment vulnérable. Je me suis sentie vulnérable. Et un non qui m'arrivait à ce moment-là était très dur, selon la manière dont il était dit. Et cette vulnérabilité, les gens ne la connaissaient pas. Ils n'avaient pas de raison de savoir que moi, j'étais inquiète et fatiguée. mais aujourd'hui j'essaie toujours de me dire attention à ma façon de répondre aux gens parce que je ne connais pas leur fragilité, leur vulnérabilité et la façon dont je leur réponds peut les blesser au-delà de ce que j'imagine évidemment au-delà de mon intention parce que j'ai rarement l'intention de blesser les gens donc j'ai cette attention là et puis après c'est vrai l'envie d'accueillir aussi à mon tour et ça je sens bien que c'est difficile le rapport au chez-soi, à l'intimité n'est pas le même je pense en France que dans... de ce que j'ai vu en Bosnie, en Albanie, où en fait, la maison est un lieu ouvert. et ça je suis souvent je me frotte un peu à mon propre désir d'être tranquille chez moi dans mon petit nid mais c'est toujours un défi un rappel permanent de me dire laisse ta porte ouverte, accueille parce que c'est beau pour finir,

  • Aliénor Vidal de La Blache

    question courte,

  • Solange Pinilla

    réponse courte compléter cette phrase la personne humaine est la personne humaine est mystérieuse Moi, je me dis toujours, l'être humain est tellement complexe. Donc, il faut que je fasse court. Mystérieuse et belle.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Une odeur que vous aimez ?

  • Solange Pinilla

    Je crois que j'adore l'odeur de la forêt ou la terre après la pluie. Cette odeur un peu d'humus qui est très charnelle. Moi, j'aime beaucoup cette odeur.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Une femme qui vous inspire ?

  • Solange Pinilla

    Je parle pas mal dans mon livre de Etie Hillesum, cette jeune juive hollandaise qui a écrit un journal pendant la guerre, qui est décédée à Auschwitz. Son journal, son témoignage m'a bouleversée. Elle reste un modèle vraiment, à certains moments, un modèle d'espérance, de foi, de foi en Dieu et en l'homme aussi. C'est vraiment une femme qui m'inspire.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Un moment qui vous ressource ?

  • Solange Pinilla

    La sieste. En fait, quand je marche, j'adore faire des vraies pauses en milieu de journée. Et j'adore ce moment où souvent j'essaie de trouver un endroit beau, avec une belle vue, sous un arbre. Et j'adore ces moments de pause. Je les vis encore. Par exemple, j'ai marché une semaine en février et j'ai vécu ça chaque jour. Ce moment de pause quand je marche dans un bel endroit, j'adore.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?

  • Solange Pinilla

    C'est une bonne question et peut-être merci. J'aurais envie de lui dire un grand merci. Et peut-être aussi parfois tes messages ne sont pas clairs. Moi dans mes prières, souvent je lui dis, je veux bien faire ta volonté, mais il faut que tu me le dises clairement parce que je suis un peu têtue et bornée. Et souvent, ta volonté, je n'arrive pas à la comprendre. Donc peut-être merci et n'hésite pas à être plus claire.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Merci beaucoup, Aliénor. Et merci à toutes et à tous de nous avoir écoutés. Nous espérons que cette conversation vous a plu. Nous vous donnons rendez-vous dans le numéro d'avril 2024, comme nous l'évoquions au début de ce podcast. Le lien est dans la présentation du podcast. Et à bientôt pour un nouvel épisode.

Description

Ce mois-ci, nous vous emmenons en voyage, mais pas n’importe lequel. Aux côtés d’Aliénor Vidal de La Blache, auteur de « Seule à pied vers Jérusalem » (Salvator), nous allons marcher sur les routes d’Europe et d’Israël, pendant neuf mois.

Authentique et passionnée, Aliénor – par ailleurs descendante du géographe Paul Vidal de La Blache – est partie vivre une aventure et un pèlerinage. « Dieu était un peu trop relégué à la périphérie de ma vie, raconte-t-elle. Pour Lui laisser plus de place, j’avais besoin de la marche, du silence, de la nature, de la contemplation, de la rencontre aussi. »

Dans ce podcast animé par Solange Pinilla, rédactrice en chef du magazine Zélie, Aliénor Vidal de La Blache nous fait traverser la France et le désert du Néguev (Israël), en passant par l’Italie, la Slovénie, la Bosnie ou encore la Grèce. Danger, gratitude, solitude, rencontres, fragilité, prière… La marche est un concentré de vie, où le temps et la distance prennent une densité nouvelle.

Bonne écoute !

Découvrir le numéro d’avril 2024 > www.magazine-zelie.com/zelie94

S’abonner gratuitement à Zélie > www.magazine-zelie.com

(Musique d'ouverture : "The Return" d'Alexander Nakarada CC BY 4.0
Photo © S. Pinilla)

Régie publicitaire : Tobie


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Solange Pinilla

    Sous-titrage ST'501 Dans le numéro d'avril 2024, nous parlons de la force du groupe. Dans notre société occidentale où l'individu prime sur le groupe, nous évoquons notamment deux lieux où le fait d'être à plusieurs est indispensable. D'une part dans le travail, on ne peut pas travailler absolument seul, même les mots que nous utilisons ont été inventés par d'autres. Et d'autre part dans les épreuves, Isor Armanet, dans ce numéro d'avril, nous parle du rôle décisif de son entourage. dans la sortie de deux dépressions post-partum qu'elle a traversées. Bref, si ce thème de la force du groupe vous parle, rendez-vous dans le numéro d'avril 2024, le lien est dans la description du podcast. Aujourd'hui, pour ce nouvel épisode de podcast, nous rencontrons Aliénor Vidal de la Blache, qui est partie marcher de Paris à Jérusalem il y a quelques années. Elle raconte ce voyage à pied dans un livre, Seul à pied vers Jérusalem, paru chez Salvatore. Aliénor, bonjour.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Bonjour.

  • Solange Pinilla

    Pour commencer, quels étaient vos rêves de petite fille ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Petite fille, j'étais un peu dans un petit monde parallèle, je lisais beaucoup. Je m'inventais beaucoup d'histoires et je crois que mes rêves de petite fille, c'est venu à travers les livres. J'adorais les récits un peu de voyages, d'aventures. Je rêvais de partir dans des conditions difficiles, rudimentaires, à l'autre bout du monde. J'adorais les histoires aussi de... de personnes qui allaient sauver les petits enfants pauvres à l'autre bout de la planète. Donc je voulais voyager, mais pas comme une aventurière. Pas dans des conditions de luxe, ça ne m'intéressait pas du tout. Et si possible, sauver le monde. Je crois que c'était ça mes rêves de petite fille.

  • Solange Pinilla

    Votre nom de famille n'est pas sans évoquer Paul Vidal de Lablache, un géographe français de la fin du XIXe siècle, connu notamment pour ses cartes. Vous-même, vous écrivez à un moment du livre que les cartes vous font rêver. Du coup, je me demandais, est-ce que vous êtes de la famille de ce géographe ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Alors oui, c'est mon ancêtre. J'arrive jamais à retenir exactement, c'est mon arrière-arrière-arrière-grand-père je crois. Il est mort il n'y a pas si longtemps, parce qu'il est mort en 1918, mais les générations étaient rapprochées. Et c'est vrai qu'il y a une tradition des cartes dans la famille. Alors moi j'étais nulle en géo, quand j'étais à l'école, ça a été un poids toute mon enfance. Tous les professeurs de géographie me disaient Ah, le nom des cartes ! Et après ils déchantaient en voyant que j'étais nulle. Mais en revanche j'ai grandi avec, il y avait souvent des cartes chez nous, les atlas de Paul Vidal de Lablache. et elle me faisait rêver. Je pense que... Je ne sais pas dans quelle mesure, inconsciemment, ça m'a impactée, mais c'est vrai qu'aujourd'hui, j'ai une carte de mon ancêtre chez moi, en Atlas, et je les trouve magnifiques. Ça donne envie, mais sans tout dévoiler. Vous voyez ? Pas comme Google Maps, quand on regarde, vous savez, en mettant des photos, on a l'impression qu'on n'a même plus besoin de voyager. On peut voir la couleur de l'herbe, en tout cas au moment où ça a été filmé. Et les cartes, c'est pas comme ça. Ça laisse un... ça ouvre l'imaginaire mais sans tout dévoiler et du coup j'adore et c'est vrai que ces cartes à lui je les trouve particulièrement belles

  • Solange Pinilla

    Qu'est-ce qui vous a amené à partir marcher jusqu'à Jérusalem ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Comme je vous l'ai dit, mon goût de l'aventure est vraiment né à travers les livres à travers les récits et les mots des autres Et j'ai fait un premier voyage en Amérique latine, j'avais 23 ans, j'étais avec des amis, un premier grand voyage. Et j'ai découvert la randonnée à ce moment-là, dans des paysages magnifiques. Et j'ai découvert que j'adorais ça. Moi, je n'avais jamais fait de randonnée jusqu'à mes 23 ans. Ou des petites balades, mais pas vraiment, où on part avec le sac sur le dos pendant plusieurs jours. Et j'ai adoré cette sensation de partir dans la nature, de marcher, d'avancer en marchant et pas avec un moteur. Et après, j'ai continué, j'ai découvert la montagne aussi avec des amis. Je suis allée en 2012 à Compostelle. Et donc ce goût de l'aventure et de la marche a continué à grandir peu à peu en moi. Et alors je ne sais plus quand c'était, en 2015 peut-être, j'étais au festival du film d'aventure à Dijon. C'était un moment où je n'étais pas complètement... j'étais un peu frustrée de ma vie, je n'étais pas complètement heureuse, je ne me sentais pas à ma place dans ma vie privée, au boulot, il y avait plein de choses qui ne me contenaient pas, et là d'un coup je voyais tous ces récits, ces films, ces livres d'aventures avec des images magnifiques, et il y a eu un déclic en moi, je me suis dit, mais en fait j'en rêve depuis si longtemps de faire vraiment un long voyage, une aventure, pourquoi je ne le vivrais pas ? En fait j'ai la liberté de le faire. et plutôt que de me plaindre, de maugrer sur moi-même, je pars. Donc il y a vraiment eu un déclic. Je ne pouvais pas partir tout de suite parce que j'avais commencé un travail pas si longtemps avant, que je me lançais dans une formation aussi. Mais c'était bien parce que ça m'a laissé le temps de mûrir. Peut-être que si j'étais partie trop vite, ça aurait été une fuite. Le fait qu'il y ait eu un an et demi entre ce déclic et le moment où je suis vraiment partie, ça m'a permis de vraiment mûrir mon projet, de me questionner sur ce que j'ai envie de vivre. Au départ, je partais dans tous les sens. J'étais plutôt dans l'esbrouf, un peu. Vous voyez, il fallait à tout prix que je dépasse mes limites, puis celles du monde entier, en fait. Je voulais dépasser les limites de tout le monde. Et peu à peu, je me suis rendue compte que c'était pas très intéressant, que c'était pas tellement ce que moi, je voulais vivre, et que ce que je voulais vraiment, c'était remettre l'essentiel au cœur de ma vie. Et dans cet essentiel, il y a Dieu. Dieu qui n'était pas absent de ma vie, mais qui était un peu trop relégué à la périphérie. Et Dieu, pour lui laisser plus de place, j'avais besoin de la nature, de la marche, du silence, de la contemplation, de la rencontre aussi. Et donc j'ai décidé que cette aventure serait un pèlerinage. Jérusalem, c'est venu un peu par opportunisme, parce que c'est suffisamment loin pour que ce soit l'aventure d'y aller, suffisamment symbolique spirituellement pour nourrir une réflexion. Je ne me suis pas plus posée de questions que ça, sur le fait d'aller là-bas. Le seul truc, c'est qu'aujourd'hui, d'aller à Jérusalem complètement à pied, c'est un peu compliqué avec les guerres. Donc moi, j'ai décidé de passer par la Grèce. voilà parce que ça me plaisait et de Grèce je me suis débrouillée pour rejoindre Chypre puis Israël mais voilà pourquoi Jérusalem ça a été tout un long cheminement et je trouve que ce temps de préparation mentale enfin en tout cas de maturation a été important

  • Solange Pinilla

    Partir à pied, seul, pendant neuf mois, en demandant chaque soir son hébergement, cela signifie évidemment sortir de sa zone de confort et non sans risque, comme on vous l'a souvent dit sur le chemin. Est-ce que vous aviez des craintes en partant dans cette aventure ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Je n'ai pas laissé beaucoup de place dans ma tête aux craintes. En fait, forcément, j'en avais parce que je sais très bien qu'une femme qui part seule en voyage comme ça, il peut y avoir des dangers. Donc, je le savais, mais je me suis dit que je ne voulais pas que ça m'empêche de partir. Après, ce qui me paraissait important, c'était par exemple d'avoir un sac suffisamment léger pour que physiquement ce soit supportable. Une de mes craintes aussi, parce que je suis partie en me fixant trois règles. La première, c'était de ne pas faire de stop. de tout faire à pied, ou si je faisais du stop, ce qui m'est arrivé deux ou trois fois, je revenais dans le sens inverse le lendemain pour repartir de là où je m'étais arrêtée. Donc tout faire à pied, ne pas payer pour dormir, donc demander l'hospitalité, ne pas aller à l'hôtel, ou alors si j'allais à l'hôtel, c'est qu'on m'y invitait. Et la troisième règle, c'est que j'avais 5 euros par jour maximum pour vivre. Et donc cette dépendance dans laquelle je me mettais, notamment pour la nuit, c'est vrai que ça, ça a été quelque chose d'à la fois magnifique et très difficile. Donc je crois que ma crainte, c'était de me dire, mais est-ce qu'on va m'accueillir ? En fait, je suis partie en 2017, et c'est vrai que j'étais fatiguée d'entendre de partout qu'on était une Europe qui accueillait pas, qui savait pas accueillir, d'entendre cette peur un peu de l'autre, de l'étranger, et moi ça me blesse d'entendre ça, je me dis mais je veux pas que l'humanité soit comme ça. Peut-être que je suis un peu bisounours, mais en fait, c'est pas ça. Moi, je n'ai pas envie de voir cette humanité-là. Et je me suis dit, je vais éprouver moi-même si on est capable d'hospitalité. Donc ça, c'était un vrai défi et un défi que je lançais à Dieu. Parce qu'en fait, j'ai un peu sauté sans filet en me disant, on va bien voir si tu me récupères et si tu es capable de m'aider. C'était peut-être pas très glorieux comme démarche, mais dans mon désir de me rapprocher de Dieu, il y avait ce désir de vérifier qu'il prenait soin de moi. Donc je crois que ma peur principale, c'était peut-être ça. C'était, est-ce qu'on va m'accueillir ? Et puis dans une démarche chrétienne, dans une France laïque, est-ce que aussi je vais être jugée ? J'avais cette crainte-là aussi. Après, le reste des peurs, est-ce que des chiens vont m'attaquer, est-ce que des hommes vont m'attaquer, est-ce que plein de choses, j'y pensais pas trop. Je pense que je suis pas d'une nature très craintive quand même. Donc c'est pas très compliqué pour moi de pas me laisser envahir par ça.

  • Solange Pinilla

    Partant de Paris, vous avez commencé par traverser la France en direction des Alpes, en passant par la Bourgogne. Est-ce que vous avez découvert un aspect de la France que vous ne connaissiez pas ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Euh, oui. Ce qui m'a beaucoup marquée, j'ai traversé une France rurale, une France dans laquelle, en tout cas jusqu'aux Alpes, il y a peu de marcheurs. et j'ai énormément été accueillie dans ma démarche de demande d'hospitalité j'ai beaucoup été accueillie dans les fermes et moi je suis une citadine je ne connais pas bien ce monde agricole et j'ai adoré me rapprocher de ce monde là entendre les questions les craintes vraiment j'ai été bien accueillie C'est-à-dire que, est-ce que c'est parce que c'est un métier qui vous amène à travailler dehors et que du coup, c'est plus facile de rencontrer les agriculteurs ? Est-ce que c'est parce que la porte d'une ferme est ouverte, parce que s'il y a une démarche commerciale, je ne sais pas ? En tout cas, très souvent, j'ai planté ma tente près d'une ferme, mais à chaque fois, on m'accueillait, on me donnait à manger, on me disait, oui, dépouille notre cerisier, il est pour toi, ou alors on me donnait du lait des vaches, et une vraie simplicité dans l'accueil. Et puis, ça, je crois que ça a été vraiment, pour moi, un regard ouvert sur cet univers que je connaissais plus par les médias qu'en direct. Et j'ai été frappée aussi, je suis partie en 2017, c'était après des élections présidentielles, et d'entendre à quel point ce monde se sentait peu écouté, peu reconnu, de voir leur peur, et ce n'était pas que dans la tête, je sentais qu'il y avait quelque chose aussi, un attachement viscéral à cette terre et à ce métier. J'ai été vraiment très touchée par ces rencontres.

  • Solange Pinilla

    Après quelques jours au foyer de charité de la Flatière face au Mont Blanc, vous passez la frontière et en Italie vous traversez le parc Val Grande, une des dernières zones sauvages d'Europe, qu'on vous déconseille de traverser car dangereux et trop isolé, mais vous dites que l'appel de la montagne est plus fort et vous y allez, est-ce que vous l'avez regretté ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    C'est vrai que j'ai fait le choix en Italie de passer par les montagnes, donc par le nord des grands lacs, par les Alpes, plutôt que par le sud, par la plaine du Pau, ce qui est un choix que font souvent les pèlerins quand ils vont à Jérusalem. Mais moi je trouve, j'aime pas marcher sur du plat en fait. Bon déjà je trouve que c'est un peu ennuyeux, et puis même physiquement je trouve ça plus dur, le corps fait toujours le même mouvement. Enfin moi j'ai plus facilement mal quand je marche sur du plat. Alors la montagne, je savais qu'il y a plus de danger et qu'il y a plus de fatigue peut-être quand même parce que c'est exigeant. Mais c'est tellement beau. En fait, moi, j'adore cet univers. Et la beauté fait partie de ce qui me rapproche de Dieu aussi. Et c'est peut-être dommage, mais le danger me rapproche de Dieu aussi. Alors, je ne cherchais pas le danger, je ne cherchais pas à le provoquer. Mais de fait, à certains moments où je me suis sentie en danger, c'est vers Dieu que je me tourne. mais c'est surtout la beauté qui m'attirait et je ne l'ai pas du tout regretté au contraire, ça a tellement été important dans mon voyage et puis ce monde de la montagne aussi dans les petits villages, dans les vallées d'altitude en Italie j'ai été très bien accueillie il y a des endroits encore qui restent très isolés et qui restent habités et j'ai adoré découvrir ces petits mondes qui sont quand même un peu coupés du reste du pays donc non non je ne l'ai absolument pas regretté alors c'est vrai que c'est un équilibre entre écouter les dangers et ce qu'on vous déconseille de faire mais pas trop les écouter quand même parce que les gens en tout cas moi j'ai ressenti que souvent les gens projetaient sur moi beaucoup de peur le fait que je sois seule que je sois une femme j'avais déjà un peu l'expérience de la montagne donc je sais très bien qu'il y a des dangers mais voilà je pense qu'il faut un peu écouter mais pas tout le temps non plus toutes les peurs qu'on projette. Moi, je trouve que marcher le long d'une route où les voitures et les camions vont vite en vous frôlant, c'est aussi dangereux que la montagne. Et j'ai parfois eu vraiment peur de ça. Après, je choisissais quand même mes chemins en fonction du fait que j'étais seule. J'essayais de ne pas faire n'importe quoi. Mais c'est vrai que je peux avoir un côté quand même un peu, parfois, fonceur. C'est-à-dire que ça m'attire. et là où ça a été parfois où je me suis posé des questions c'était depuis le début je voulais vivre à la fois une aventure un pèlerinage et parfois je me disais quel équilibre je garde c'est à dire parfois en montagne où je sens que j'allais trop loin dans des chemins difficiles et je me disais mais est-ce que là je bascule pas trop du côté de l'aventure Bon, ça, ce sont des questions très théoriques, parce qu'en fait, personne n'a jamais défini ce qu'est l'aventure et le pèlerinage. Mais moi, en tout cas, dans ma démarche personnelle, je sentais qu'à un moment donné, je donnais plus de place au défi qu'à la quête intérieure. Donc, ça a été un peu une question qui m'a travaillée. Je n'ai toujours pas répondu, d'ailleurs. Ça reste là.

  • Solange Pinilla

    Vous arrivez ensuite en Slovénie, c'est une nouvelle culture, une nouvelle langue. À un moment, vous êtes épuisé et en larmes devant un magasin fermé, vous n'arrivez plus à vous relever. C'est là qu'une petite voix intérieure prend le relais. Racontez-nous.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Effectivement, en Slovénie, j'ai beaucoup... Enfin, en fait, au niveau des Dolomites, je suis redescendue dans la plaine parce qu'il y avait énormément d'orages en montagne et que ça devenait trop difficile, trop dangereux. Donc, je suis redescendue. Et là, j'ai souffert de la canicule. C'était le mois de juillet, je crois, encore. Enfin, juillet, début août. Et il faisait plus de 40 degrés les après-midi. Et c'était vraiment difficile physiquement. Très, très éprouvant. J'aime pas trop la chaleur, en plus. et je trouve que marcher dans ces conditions, dans la plaine où il y avait peu d'ombre, c'est pas humain. Donc je suis arrivée en Slovénie, j'étais vraiment fatiguée, j'ai essayé de partir tôt le matin, de faire des plus petites journées, des grandes siestes, mais en fait comme je demandais l'hospitalité, je pouvais pas non plus arriver à midi chez les gens. Soit les gens sont pas chez eux, ou alors ils trouvent ça un peu étonnant que vous arrêtiez aussi tôt, enfin c'est pas facile de demander l'accueil tôt dans la journée, c'est plus facile quand on est en fin d'après-midi. Donc ce jour-là, j'avais pas dormi de la nuit à cause de la chaleur. J'avais prévu d'aller acheter 2-3 choses à manger dans un supermarché que j'avais repéré. Je m'étais levée très tôt pour profiter des heures fraîches, mais là, à 7h30 du matin, j'étais déjà en nage, et le supermarché était fermé. C'était rien, il fallait que j'attende une demi-heure qui s'ouvre. Mais c'était une demi-heure des heures un peu plus fraîches, et en fait, j'ai craqué. Je me suis assise, j'ai pleuré, et là... Donc je raconte dans le livre que depuis le début de mon voyage, dans les moments difficiles, j'ai une petite voix intérieure qui me guide, qui me houspille, qui me dit mais si, tu vas y arriver, allez, t'es courageuse, ou alors, bon maintenant tu vas t'arrêter un peu, t'as trop marché qui prend le relais de ma raison qui parfois est un peu fatiguée. Et ce jour-là, ma petite voix intérieure m'a dit mais arrête-toi, pourquoi tu fonces comme ça, pourquoi tu marches trop, tu peux faire deux, trois jours de pause, en fait, t'es épuisée Et j'ai décidé d'écouter cette voix, et j'arrive dans une ville, donc je continuais à marcher jusqu'à une petite ville plus loin, et je m'étais dit que je prendrais un bus jusqu'à Zagreb, où j'irais me poser en attendant une amie qui devait me rejoindre quelques jours. Dans cette ville, j'attends sur un banc, parce que le bus n'était pas tout de suite, et là j'entends les cloches. Et je réalise qu'on est dimanche. Moi, marchant comme ça, j'avais aucun repère dans le temps, je ne savais plus quel jour on était. Je me dis, tiens, c'est dimanche, je vais quand même aller à la messe. Même ça, j'avais peu le courage d'y aller, mais j'y vais. À la sortie de la messe, je n'avais pas le courage d'aller vers les gens, parce que je me suis dit, si ça se trouve, peut-être que des gens peuvent m'accueillir. Et je n'avais pas le courage, j'étais tellement fatiguée au bout du rouleau, c'est difficile de toujours expliquer sa démarche et demander. Et là, c'est une femme qui est venue vers moi et qui me dit... C'est vrai que je détonnais un peu avec mon sac à dos. et qui commence à me parler, et là quand même je lui explique, je lui dis voilà en fait je suis très fatiguée, je vais à Jérusalem mais j'ai besoin de me reposer deux trois jours, est-ce que vous pensez qu'il y a une salle de la paroisse où je pourrais me poser, j'ai pas besoin de grand chose. Et finalement ce sont des paroissiens qui m'ont accueillie chez eux pendant je sais plus trois jours, j'ai été accueillie merveilleusement bien, c'était incroyable, et je me suis dit ce jour-là en fait j'avais plus d'énergie pour rien, j'étais tellement fatiguée que j'arrivais même plus à prendre la décision de m'arrêter. je ne savais plus quel jour on était, ce sont les cloches qui m'ont appelée, je n'avais pas le courage d'aller vers les gens, c'est une dame qui est venue vers moi, et en fait j'ai trouvé ça incroyable. Et là, souvent quand je perds confiance en Dieu, j'essaie de me rappeler de ce jour-là, je me dis mais en fait à quel point il a pris soin de moi, en m'envoyant, je l'appelle mon petit coach personnel, mais je me dis que c'est peut-être mon ange gardien, je ne sais pas, ensuite les cloches, ensuite une femme qui est venue vers moi, puis des paroissiens qui m'ont accueillie. et je me dis, ben voilà, j'étais un peu au fond du seau mais même là, enfin surtout là, il y était lui aussi et il a pris le relais et c'est une immense confiance que ça me donne dans la vie, cette expérience et j'ai besoin de me la rappeler régulièrement pour me dire mais attends, arrête de stresser, d'avoir peur pour ce qui pourrait arriver parce qu'en fait, Dieu ne te lâche pas ça, ça a été très fort

  • Solange Pinilla

    Peu avant d'arriver en Bosnie, vous trouvez sur la carte un chemin qui part d'un village, mais ce chemin en vrai n'existe plus, et donc vous partez à l'azimut dans la forêt, vous prenez soudain conscience que ce chemin n'existe plus, mais c'est peut-être parce qu'il reste des mines de la guerre des Balkans, qui s'est déroulée dans les années 1990. Quelle marque a laissé cette guerre dans les paysages d'aperçu et les rencontres que vous avez faites dans ces régions ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    C'est vrai que j'ai été très marquée par la Bosnie, et donc il y a eu ce chemin inexistant où j'ai vraiment eu peur. En fait, j'étais à la frontière, j'étais encore côté Croatie, mais me dirigeant vers la Bosnie. Je n'ai jamais été aussi heureuse de retrouver une route, moi qui n'aime pas marcher sur des routes, là j'étais vraiment contente de m'y retrouver. Et puis ensuite, le deuxième jour en Bosnie, donc heureusement je n'étais pas toute seule, deux amis m'avaient rejoint. et on marche dans la forêt, et en fait, il y avait des panneaux pas diminés, donc attention, mine partout, donc il ne fallait surtout pas sortir du chemin. Les villages étaient inexistants, c'est-à-dire que le village où j'avais prévu de prendre de l'eau, que j'avais repéré sur la carte, n'existait plus. Il y avait des ruines et des arbres à la place. Et ensuite, même dans les villes, même dans les endroits habités, il y avait encore beaucoup de façades avec des impacts de balles, d'obus, on ne saura pas expliquer ce que c'est. Donc les traces étaient vraiment visibles sur les façades, les murs, même dans une forêt. Et puis, dans les rencontres avec les gens, on sentait que c'était là, mais qu'on ne pouvait pas en parler. Enfin, moi, en tout cas, c'est ce que je ressentais. C'était difficile d'en parler. Et puis, c'est vrai que derrière, il y a aussi... C'était une guerre civile. Et il continuait à cohabiter. Donc, vous savez, il y a les communautés serbes, croates et bosniaques. Communautés serbes qui sont orthodoxes, croates catholiques et bosniaques qui sont musulmanes. Et quand j'étais accueillie par des Bosniaques qui me disaient Le village suivant, c'est des Croates, je ne sais pas s'ils vont bien t'accueillir. Puis les Croates me disaient la même chose des Serbes. En fait, tout le monde disait ça de son voisin. Moi, j'étais bien accueillie partout. Et c'est vrai que c'est peut-être ça la douleur des guerres civiles. C'est qu'en fait, la cohabitation demeure derrière. Mais qu'est-ce qu'il reste de la peur, de la méfiance, de la rancœur ? J'ai vraiment senti à la fois des gens incroyables, d'une générosité. Par moments, je regardais les yeux par terre quand je traversais des villages, parce que sinon on m'interpellait trop, on m'invitait trop, j'arrivais plus à avancer. Donc des gens d'une grande générosité, beaucoup d'amour pour leur pays, et puis en même temps, cette blessure qui reste de la guerre. Et puis à Sarajevo, j'ai visité le musée qui retrace l'histoire de la guerre, et ça m'a bouleversée. C'est une guerre moderne, en fait, que quand j'étais moins enfant, donc c'est facile de s'y projeter. et vraiment j'ai été très impactée par ça et puis à quelques occasions j'ai été accueillie par exemple dans des monastères franciscains avec des religieuses qui parlaient anglais ou italien, langue que je parle donc ça a aidé parce que c'est vrai que sinon je ne parle pas le cerveau croate les échanges étaient plus compliqués et c'était chouette de rencontrer des personnes à qui je pouvais poser mes questions qui me racontaient leur expérience Pendant la guerre, ça a aidé à mettre des mots sur ce que je percevais et ce que je voyais, mais qui reste très dur à comprendre. La Bosnie ne s'est pas limitée aux traces de la guerre et à tout ça, mais il y avait bien plus que ça. Mais c'est vrai que ça m'a marquée.

  • Solange Pinilla

    Vous arrivez ensuite au Monténégro. Vous écrivez à ce moment-là que vous n'avez de l'énergie que pour une journée et que le stock se renouvelle en dormant. Plus généralement, comment vous trouvez la force de continuer malgré la fatigue, les douleurs, la solitude ? C'est vrai que moi, en lisant votre livre, je me disais que je me serais arrêtée au bout de trois jours à cause des ampoules. Tellement c'est douloureux. Comment vous faisiez ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    C'est vrai que les ampoules, toute la partie française, j'ai eu des ampoules et ça a été dur. Là, j'avoue que... Je n'ai jamais pensé m'arrêter parce que je suis un peu trop têtue pour ça, je pense. Mais quand même, certains jours, j'avais vraiment envie de râler. Les ampoules, ça n'a l'air de rien, mais chaque pas est douloureux. Et quand on ne fait que ça toute la journée, de marcher dessus, ce n'est pas très agréable. C'est vrai que souvent, je recevais des messages, parce que j'avais un blog pendant mon voyage, et c'était un blog qui était plutôt pour les amis, mon environnement proche, mes amis, ma famille, mais c'était super parce que ça me permettait de réfléchir à la façon dont je pouvais partager ce que je vivais, à mettre des mots sur ce que je vivais, et puis, à l'inverse, de recevoir des messages qui me faisaient du bien. Et parfois, on m'envoyait des messages en me disant Waouh, qu'est-ce que t'es courageuse ! Moi, je ne me sentais pas plus courageuse, en fait, pas plus courageuse que n'importe qui qui se réveille le matin, a une grosse journée de s'occuper de ses enfants, de son travail, de... En fait, c'est chaque journée en soi qui compte. Et donc, un jour, un ami me demande où est-ce que je vais être dans quelques jours, et je me rends compte que ça m'angoisse de regarder la carte. Mais comme n'importe qui peut être angoissé devant la liste monstrueuse des choses à faire, vous voyez ? et je lui réponds je ne peux pas regarder la carte sur plusieurs jours parce que ça me fatigue à l'avance de regarder ça j'ai du courage que pour une journée et je me dis mais c'est vraiment ça en fait et aujourd'hui encore j'applique ça c'est à dire que quand la liste de tout ce que je veux faire est trop énorme je découpe et je me dis ok aujourd'hui ça va ressembler à quoi et là ça devient un peu plus réaliste Et puis c'est magique parce qu'en fait le nombre de fois où je me couchais le soir et j'étais mais crevée, le corps endolorie et je me disais mais comment je vais pouvoir marcher demain matin puis en fait le lendemain matin ça allait mieux La nuit, on est bien fichus. Et le sommeil, un bon sommeil, c'est magique. C'est vrai que j'ai quand même la chance d'avoir un bon sommeil, surtout quand j'ai marché toute la journée en général, je dors facilement. Et je crois que déjà ça, ça joue en fait, c'est de faire confiance, mais faire confiance pour la journée, pas trop se projeter, parfois c'est dangereux. En tout cas, moi j'essaie d'éviter. Et puis la force de continuer seule... C'est surtout, il y a eu un moment pendant le voyage où c'était vraiment très dur en Albanie, pendant plusieurs jours je supportais plus cette solitude, elle me pesait. Et je ne me suis pas dit que j'avais envie d'arrêter, mais je me suis demandé comment j'allais continuer comme ça. Je perdais le goût de mes journées du coup, j'arrivais plus à être heureuse de cette marche. Et la prière là m'a vraiment aidée. la prière moi j'hésite pas un peu à râler dans mes prières c'est à dire écoute là j'en peux plus faut que tu m'aides de râler auprès de quelqu'un on décharge un peu ce qui est dur et je me dis Dieu doit pouvoir encaisser ça j'espère en tout cas moi ça m'a vraiment aidé de confier cette solitude à Dieu et puis les rencontres parfois c'est des toutes petites rencontres c'est pas grand chose mais juste une petite mamie sur le bord du chemin qui me donne des noix, du raisin en me faisant un sourire en fait c'est déjà très fort et ou une belle nature. Moi, j'adore voir des animaux aussi. Ça me donnait beaucoup de joie. Je pense que ce qui aide et ce qui permet d'avancer, c'est très quotidien, en fait. C'est des petites joies dans le quotidien. Que ce soit une rencontre, une belle nature, une émotion sympa, enfin. Et de le reconnaître, de les voir, ces petits moments, moi, ça m'aide beaucoup. Parce qu'en fait... Si je focalise sur ce qui est dur, peut-être que je ne vais pas voir ce qui est beau. Donc c'est un peu une volonté aussi de se dire, bon, attends, j'arrête de râler. Qu'est-ce qui peut m'aider ?

  • Solange Pinilla

    En Albanie, les personnes sont très accueillantes, à quelques exceptions près, et vous n'avez pas eu à planter votre tente. Malgré leur pauvreté, certaines personnes prennent même sur leur nécessaire. Comment est-ce que vous l'avez vécu ?

  • Aliénor Vidal de La Blache

    J'ai été très touchée par l'accueil en Albanie. C'était... Souvent, je dormais dans le salon où la grand-mère dormait déjà. Donc, elle dormait sur un canapé, moi sur l'autre, dans la chambre avec les enfants. Et c'était d'une simplicité, d'un naturel incroyable. C'est le pays, voilà, c'est le seul pays, comme vous dites, où j'ai jamais planté ma tente. J'ai pas eu besoin. Les gens m'accueillaient chez eux. J'ai parfois dormi dans des monastères aussi. Un soir, j'ai été accueillie dans une petite ville par une famille. Il y avait les parents, la fille et la petite-fille. La fille qui devait avoir une trentaine d'années. Les parents étaient séparés, mais n'avaient pas les moyens d'avoir des logements séparés. Ils continuaient à habiter ensemble, le père dans le salon. Il y avait une chambre dans laquelle dormaient, dans un grand lit, la grand-mère, la mère et la petite. grande précarité et cette femme et sa petite fille avaient cherché à migrer en France et puis en Allemagne justement pour essayer d'avoir une vie meilleure, d'autres opportunités qu'elles n'avaient pas en Albanie. Et elles ont dormi dans la rue, elles ont été expulsées. Donc elles font partie de ces migrants qu'on voit dans la rue, de ces femmes avec enfants dont la présence me bouleverse. Et là, c'était inversé. C'était moi, la personne à accueillir, et elles m'ont accueillie. C'est-à-dire qu'elles n'ont pas prétexté, Ah non, il n'y a pas de place, on n'a pas le temps, je ne sais pas quoi. Elles ont poussé leur lit dans lequel elles dormaient à trois. Elles m'ont fait un petit espace par terre et j'ai dormi sur des coussins par terre. Et c'est vrai que c'est pas toujours facile d'être dans cette position de la personne qui demande, surtout quand on est accueilli par des personnes qu'on peut de moyens. Souvent on me donnait à manger, on me servait, mais c'était infini, il y avait énormément. Et je me disais, mais est-ce que ces personnes mangent tous les jours comme ça ? Je suis pas sûre qu'elles mangent de la viande à tous les repas. Ou alors est-ce que c'est parce que je suis là, mais dans ce cas, est-ce que je suis pas en train de les dépouiller ? sachant que cette décision de voyager avec peu de moyens je l'avais prise mais en fait si j'avais voulu me payer un resto j'aurais pu c'était un choix, c'était pas une obligation, c'était pas vital en fait donc parfois c'était dur, j'avais un peu de culpabilité et en même temps les rencontres étaient belles

  • Solange Pinilla

    Eux ne me faisaient jamais sentir que c'était un poids. Et puis je me disais, en fait, je n'ai pas grand-chose à rendre. Donc tout simplement, j'essayais vraiment d'être sincère dans mon intérêt envers les personnes qui m'accueillaient. Je trouve que de réellement les regarder m'intéressait à ce qu'elles vivaient. Alors les communications n'étaient pas toujours simples dans des langues étrangères. Mais puis de prier pour ces personnes, tous les jours je les confiais à Dieu. Et je ne pouvais rien faire d'autre en fait. Donc ce n'est pas si facile quand on dit non aussi. Quand on me disait non, c'était parfois dur. Ça demande d'être dans une position d'humilité qui n'est pas très naturelle. Je trouve en tout cas moi qui ne m'a pas... Dans mon éducation, j'ai l'impression qu'on m'a appris à ne pas trop dépendre des autres. En tout cas, moi je suis vraiment comme ça. Je n'aime pas trop dépendre des autres, je suis très indépendante, j'essaie plutôt d'être forte que dans mes fragilités. Et là, cette démarche c'était un peu l'inverse en fait. Et c'est vrai que ça bouscule beaucoup, ça amène beaucoup d'humilité. Mais je dirais que... Ce qui a été le plus beau là-dedans, c'est de me rendre compte à quel point une certaine humanité peut être généreuse et hospitalière. Et moi, ça m'a un peu soignée, ça m'a guérie dans ma confiance, dans mon rapport à l'être humain. Me dire, mais en fait, on a ça en nous. C'est juste que parfois, on laisse trop nos peurs nous bloquer. Et je crois que c'est le plus beau cadeau que ces personnes m'ont fait.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Dans les montagnes grecques, vous retrouvez Vincent, un ami français qui vous rejoint quelques jours. Et ce n'est pas le seul de vos proches qui vous a accompagné sur un bout de chemin. Qu'est-ce que vous apportez ces compagnons de marche que vous connaissiez déjà ?

  • Solange Pinilla

    Dès le départ, j'avais proposé à des amis de venir marcher avec moi. Et je leur avais juste dit, il faut essayer de respecter les trois règles que je me suis fixées, parce que je ne vais pas changer ma manière de marcher, puisque vous êtes là. Et puis, je trouvais ça beau de partager un petit bout de ce chemin avec des amis. Et c'est vrai que c'était chouette. Alors déjà, ça me faisait du bien parce que ça brisait un peu la solitude. J'ai vu une évolution entre ceux qui sont venus en France, où les séparations pour moi étaient très dures. C'était compliqué de me retrouver seule. Et puis peu à peu, en fait, me retrouver seule était devenu naturel. C'est-à-dire que bien sûr que j'étais triste de les voir partir. mais je retrouvais l'état dans lequel finalement c'était naturel d'avancer. Donc ça, j'ai vu une vraie évolution, et c'était super de partager mes journées. C'est très différent de marcher à plusieurs et de marcher tout seul. Il y a moins d'invitations spontanées. Tout seul, on me parlait énormément dans la rue, on m'invitait très facilement. Ça, quand je marchais à plusieurs, ça arrivait moins. mais du coup je partage d'une autre manière c'était intéressant aussi de partager mes questions un peu spirituelles ou éthiques enfin sur plein de sujets tous les amis qui sont venus marcher n'étaient pas croyants donc ça aussi c'est chouette de les inviter à partager un pèlerinage mais eux ne partagent pas forcément ma foi et je trouvais ça super de confronter, de leur dire de les interroger comment tu vis le fait d'être sur un pèlerinage mais qu'est-ce que ça veut dire pour toi Un voyage comme celui-là est une expérience qui m'a profondément marquée. Mais jusqu'à l'écriture du livre, j'étais très seule avec mes souvenirs. Très seule avec ce que j'avais vécu. On m'a souvent dit que je n'en parlais pas tant. Mais ce n'est pas simple d'en parler. En tout cas, sauf quand on me donne un micro et que je suis vraiment là pour ça. Mais dans le quotidien, ce n'est pas si facile. Et le fait d'avoir quand même des amis avec qui j'ai un peu marché, ça me permet d'avoir des petits moments où je pouvais partager. Des gens qui savent un tout petit peu ce que j'ai pu vivre. Et ça aussi, c'est important pour l'après. Et c'est vrai que là, aujourd'hui, le fait d'avoir écrit le livre, mes souvenirs deviennent partagés et c'est beau aussi.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Arrivé au Pyrrhée, le port d'Athènes, après presque six mois de marche, vous cherchez un bateau pour vous rendre à Jérusalem, mais les choses sont un peu plus compliquées que prévues. Pourquoi ?

  • Solange Pinilla

    J'avais pas du tout anticipé cette question de la traversée de la Méditerranée. J'avais pas beaucoup pensé à ça. C'est vrai qu'il y a plusieurs manières aujourd'hui d'arriver en Israël. Donc certains traversent la Turquie jusqu'au niveau de Chypre, ensuite passent par Chypre. Certains vont plutôt dans le sud de l'Italie, prennent des bateaux. Je sais pas trop comment ils font, mais voilà. Moi, j'ai choisi d'aller jusqu'en Grèce. Arrivé à Athènes, je m'étais dit, toujours dans mon envie d'aventure, je vais faire du bateau stop, j'ai bien réussi à trouver un cargo, je ne sais pas trop quoi, pour Israël, ou en passant par Chypre et tout ça. En fait, c'était beaucoup plus compliqué que ce que je pensais. Je n'avais pas pensé qu'il y avait une saison de la navigation. Donc il n'y avait pas beaucoup de bateaux qui naviguaient à ce moment-là, et encore moins qu'il y allait dans cette direction. C'est loin Chypre en fait, en bateau. il n'y avait pas de ferry il y a une compagnie de cargo qui a commencé par me dire oui avant de me dire finalement non on ne vous emmènera pas Tout ça m'a pris du temps. J'avais des contacts avec des compagnies croisières, notamment des croisières qui font... Enfin, à la thématique chrétienne. Mais pareil, c'était plus la saison, en fait. En novembre, ils partent plus. Et moi, j'avais pas du tout pensé qu'il y avait une saison pour ces choses-là. Et donc, ça a été compliqué, finalement. J'ai pris un ferry jusqu'à Rhodes. De là, j'ai rejoint la Turquie. Et j'ai été confrontée... À ce moment-là, j'ai été confrontée un peu à la question Mais pourquoi je vais en Terre Sainte ? et surtout à la limite de mes règles où je m'étais dit que je ferais tout à pied sauf quand j'étais obligée de prendre le bateau mais par exemple en Turquie j'avais je crois 600 ou 700 kilomètres à faire pour arriver jusqu'en face de Chypre et je m'étais dit que je marcherais pas en Turquie seule parce que j'ai entendu plusieurs fois des histoires de femmes qui se sont fait embêter là-bas j'avais pas envie de prendre ce risque là ça me rajoutait un mois de marche, pas loin de ça et bon j'avais le temps c'était pas très grave mais quand même c'était pas forcément ce que j'avais envie de faire donc là finalement en Turquie j'ai pris le bus donc pour moi ça a été très dur de me dire que je contournais les règles que je m'étais fixée de confier ma progression à un moteur je me suis rendue compte que mon pèlerinage c'était parce que je marchais et que sans la marche j'avais du mal à retrouver mon quotidien de pèlerine, j'étais vraiment perdue Chypre, j'ai traversé à pied, donc ça prend 4 jours, c'est très court, parce que je suis arrivée par le nord et je suis repartie par le sud. Et là, arrivant au sud de Chypre, en fait, pas de ferry, pas de bateau, et puis ce sont des zones un peu compliquées politiquement, que ce soit Chypre ou Israël. Et les cargos ont refusé de me prendre, et ça faisait déjà 15 jours que j'étais arrivée à Athènes, que je galérais un peu dans toute mon avancée. et j'étais là mais enfin comment je vais arriver en Terre Sainte et j'ai choisi finalement de prendre l'avion parce qu'à un moment donné je me suis dit je sais pas pourquoi je vais en Terre Sainte mais c'est là que je vais et c'est vrai que ça me perturbe déjà un peu par rapport à notre façon de vivre la planète pour une distance aussi courte de devoir prendre l'avion écologiquement je comprends pas que ce soit, alors un ferry est pas forcément beaucoup moins écolo que beaucoup plus écolo que l'avion mais euh... mais j'avais envie de garder le contact avec la planète. J'étais déçue de devoir prendre l'avion, et en même temps, à un moment donné, c'était en Terre Sainte que je voulais aller, et j'ai choisi d'y arriver par ce biais-là. Mais c'est vrai que ça m'a beaucoup questionnée sur mais qu'est-ce que ça veut dire qu'être pèlerine ? Pourquoi la marche ? Pourquoi la Terre Sainte ? Mais ça a été difficile, et puis peut-être un certain orgueil aussi faisait que j'avais envie d'y arriver par mes propres moyens et à l'aventure. sans prendre l'avion, et finalement j'ai renoncé.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    En Israël, deux ou trois jours de marche vous auraient conduit à Jérusalem, mais c'était trop rapide à votre goût, donc vous préférez à ce moment-là suivre en partie le Shevil, un chemin de randonnée qui traverse Israël du nord au sud, et d'ailleurs ce ne sera pas de tout repos. Du coup, pourquoi finalement vous voulez absolument marcher ? Qu'est-ce que vous procure la marche que vous ne trouvez pas ailleurs ?

  • Solange Pinilla

    Quand je suis arrivée en Israël, c'était après ces 15 jours de traversée un peu chaotique depuis Athènes, et je me sentais dépossédée de mon pèlerinage, d'avoir confié mon avancée à des bus, des bateaux, des avions, d'avoir dû expliquer tous les passages de frontières, pourquoi j'étais là, ce que je faisais là. ça me perturbait et j'ai choisi de faire ce voyage à pied et je voulais arriver à pied mais 2-3 jours depuis entre Tel Aviv et Jérusalem je savais que ça n'allait pas me permettre de retrouver la marche dans mon corps dans ma tête et moi je voulais vraiment arriver en ayant le sentiment d'avoir marché donc j'ai pris un dernier bus jusqu'à Elat au bord de la mer Rouge et là ensuite je suis partie j'ai traversé à pied c'était incroyable parce que j'ai traversé le désert du Negev et ça c'était une expérience super forte pas toujours facile parce qu'en fait comme vous dites il y a le cheville qui est un chemin de randonnée balisé et dans le désert du Negev les randonneurs souvent se mettent d'accord avec des agences qui leur livrent de l'eau en cours de route ou alors ils louent des voitures avant pour aller cacher de l'eau à certains endroits dans le désert comme ça ils le retrouvent pendant leur chemin moi évidemment j'ai pas fait tout ça mais je portais parfois deux jours d'eau en faisant des très grosses étapes donc physiquement c'était intense et intense Mais en même temps, du coup, c'était génial parce que ça m'a permis de retrouver ce rapport au monde très différent qu'on a quand on marche. Un peu comme quand on est en montagne ou on est dans un univers qui est sauvage. et là j'ai adoré bivouaquer dans le désert et me sentir un peu à l'écart du monde c'est un rapport au monde qui est vraiment différent je suis intensément dans l'instant dans ce que je vis et le fait de le faire à pied je sens la distance en fait chaque changement de paysage est important le désert ça a été très fort et puis après j'ai vraiment pu arriver à Jérusalem à pied des pieds ensanglantés d'ailleurs parce que le désert, le sable avait complètement détruit mes chaussures j'avais les pieds dans un état épouvantable et donc je suis arrivée en clopinant je me suis arrêtée 5 jours à Jérusalem et ensuite j'ai continué jusqu'à Tibériade depuis le début je savais que je voulais m'arrêter au bord du lac de Tibériade et donc j'ai marché encore une semaine je crois ou 10 jours je sais plus entre Jérusalem et Tibériade Et je suis passée par la Cisjordanie. C'était un choix, je ne voulais pas marcher que côté Israël, je voulais marcher en Palestine aussi. Et ça a été très dur parce que je me suis retrouvée dans les territoires occupés face à une guerre qui encore plus aujourd'hui est dure. Je me suis retrouvée face à des choses que je ne comprenais pas, à des violences, à un territoire ultra militarisé. Tous les hommes qui me parlaient étaient armés. Moralement, j'ai trouvé ça très difficile de me dire mais est-ce que je vais demander l'accueil dans les colonies ? Mais en même temps, où est-ce que je vais dormir si je ne vais pas dans une colonie ? C'est le désert, il n'y a pas d'eau. Donc ça a été moralement très dur. Et puis ensuite, voilà, l'arrivée au lac. Donc c'est vrai que ça n'a pas été de tourpeau, mais je ne regrette absolument pas d'avoir fait cette traversée d'Israël à pied. Parce que c'est ce qui m'a permis de vraiment sentir que je marchais sur la terre de Jésus. Mais c'est vrai que j'ai eu du mal à ressentir de l'émotion devant les bâtiments, les églises, les reconstructions. et moi c'est vraiment venu en marchant sur cette terre que j'ai un peu compris pourquoi j'étais venue pourquoi j'étais là comment votre relation à Dieu a évolué entre le début et la fin du voyage ? je dirais que c'est vraiment devenu un compagnon de route un compagnon de vie avant j'avais du mal à lui faire confiance je crois à me dire qu'il pouvait me rendre heureuse puis je croyais en lui mais sans trop penser à lui en fait il était là dans un coin de ma vie mais sans que je lui donne vraiment d'importance et en même temps je sentais bien que c'était pas bon que c'était pas ça que en tant que chrétien j'étais appelée à vivre en tant que chrétienne et là aujourd'hui il peut se passer des journées entières sans que j'y pense c'est pas magique ça a pas été une conversion fulgurante avec un grand moment mystique et tout ça j'ai pu Ça a plutôt été dans le quotidien, dans les galères du quotidien, dans les jolis moments de chaque jour, d'éprouver sa présence, de me rendre compte que je pouvais lui faire confiance. Et c'est vrai que ce qui a été fort pour moi pendant mon arrivée, c'était de me dire, un peu comme vous savez quand on fait un voyage pour aller sur la terre de ses ancêtres, comme on revient chercher ses racines. J'ai eu l'impression que c'était ça en fait, que je venais chercher mes racines de chrétienne et en allant sur la terre de Jésus homme. Moi je ne suis pas une mystique, Jésus Dieu s'il n'est pas un peu incarné j'ai du mal à le voir. J'ai besoin de le sentir à travers la nature, à travers les autres, à travers sa création. Et là, le fait d'aller sur la terre où il avait grandi, marché, vécu, mangé, souffert, etc., j'ai eu l'impression de faire ce pèlerinage, ce retour aux sources, un peu. Et c'est vrai que par exemple au Saint-Sépulcre à Jérusalem, moi je ne l'ai pas retrouvé. J'ai eu l'impression de me sentir, de comprendre un peu mieux notre histoire chrétienne, qui n'est pas toujours jolie jolie, c'est quand même un lieu de division souvent. Parfois je me dis, mon Dieu, c'est vraiment nous chrétiens, on arrive à tomber dans des écureuils de clochers comme ça, c'est terrible. donc c'est pas tellement ces lieux là qui m'ont porté, c'est vraiment plus par exemple de marcher j'ai marché dans le Wadi Kelt qui est cette vallée entre Jérusalem et Jéricho et c'est une route naturelle, donc Jésus y a marché quand il marchait entre Jérusalem et Jéricho l'histoire qu'il raconte du bon samaritain ça s'est passé là et ça n'a pas beaucoup changé, ça n'a pas été modernisé. Et j'étais bouleversée de me dire, en fait, ces paysages que je vois, lui aussi les voit. Il y a plein de grottes dedans. On voit encore passer des petits enfants bédouins avec des ânes, et ces images-là, je me disais qu'elles ne sont pas beaucoup évoluées depuis 2000 ans. Et ça, ça m'a touchée. Et c'est vrai que j'ai eu l'impression de me rapprocher de Jésus, en fait, dans ce qu'il avait vécu pendant sa vie terrestre. et dans ce qu'il m'apportait aujourd'hui, dans ce qu'il était aujourd'hui en tant que Dieu.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Vous avez décidé de quitter Paris et d'habiter Chambéry dans les montagnes. Est-ce que vous avez fait d'autres changements depuis que vous avez réalisé ce voyage en 2017 ?

  • Solange Pinilla

    C'est vrai que c'était difficile pour moi après avoir passé tant de temps tout le temps dehors, tout le temps un peu en liberté dans la nature. de me retrouver en ville, mais j'ai choisi d'habiter près des Alpes parce que, je vous l'ai dit, j'adore les montagnes. Et c'était... C'est quelque chose... Je n'avais pas tant pensé que ça pendant le voyage, mais au retour, l'envie était vraiment là, donc j'ai cherché un travail près des Alpes. Aujourd'hui, ce qui a pu changer dans mon mode de vie, c'est déjà que j'essaie vraiment souvent de passer du temps à marcher. D'essayer de partir seule aussi, souvent. Je ne marche pas tout le temps seule, mais je le vis différemment et j'aime bien ça. En fait, même si ce n'est pas en montagne, mais juste d'être dans la nature toute seule, en silence, ça me plaît beaucoup. C'est quelque chose qui me nourrit, qui me fait vivre. et qu'est-ce qui a pu changer d'autre c'est d'essayer de garder une simplicité de vie après c'est des changements on évitera très peu par le monde donc c'est tout le temps moi j'ai souvent besoin de me rappeler de me dire Aliénor attention t'achètes pas trop de choses ne sois pas trop dépendante du matériel Moi, je me dis, je passe trop de temps sur mon téléphone. J'ai l'impression que souvent, cet écartèlement entre un monde qui va vite, qui laisse peu de place au silence, à la contemplation. et d'un autre côté ce besoin de silence de contemplation de Dieu je continue à être écartelée comme vous savez s'il y avait deux aimants et que je passe ma vie à être attirée par un aimant plus qu'un autre donc j'ai souvent besoin de me rappeler que ce que j'aime en fait et ce qui me fait vivre c'est une vie plus simple avec moins de moins dépendante du matériel et l'écriture du livre m'a fait beaucoup de bien en fait ça m'a Ça m'a rappelé, j'avais jamais relu mes carnets de voyage, et le fait de les relire, de me rappeler à quel point cette vie-là m'avait rendue heureuse, ça m'a un peu... réparer ma boussole intérieure. Ça m'a un peu redit, mais en fait, voilà ce qui est important.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Est-ce que vous pouvez nous parler de votre travail actuel dans le monde associatif ?

  • Solange Pinilla

    Alors, en ce moment, je ne travaille pas. Mais j'ai toujours travaillé dans le monde associatif, dans le social, dans le médico-social. D'abord avec des personnes à la rue, avec des migrants, avec des jeunes, avec des personnes avec un handicap mental ces derniers temps. et moi je pense que je dis toujours les deux choses qui m'ont vraiment fait grandir dans ma vie c'est mon travail avec les personnes en précarité isolées ou fragiles et le voyage et la marche je pense que ce que je suis aujourd'hui et les livres c'est beaucoup lié à ces expériences et toute cette réflexion que j'ai un peu sur nos forces nos fragilités et l'importance de laisser une place à ce qui est fragile aussi en moi, en tout cas l'accepter Ça vient aussi de mes rencontres, de mon travail avec les personnes dont les fragilités sont parfois visibles. Donc c'est quelque chose qui est hyper important pour moi, et d'avoir expérimenté aussi, dans une toute petite mesure, ce que c'est que d'être dépendant, et un peu l'humilité, parfois l'humiliation, de devoir demander et d'entendre des noms. Ça me rend plus attentive à ce que moi je peux répondre, à ma manière de répondre aux sollicitations et une espèce de délicatesse à avoir avec les personnes en fragilité. En fait, je pense que quand je marchais, je demandais l'accueil le soir forcément, et en fin de journée, j'avais déjà une journée de marche derrière moi, donc c'est un moment où j'étais fatiguée. Pour peu que la météo soit pas bonne ou trop chaude ou pluvieuse, ça rajoutait encore un peu à mon... Mon inquiétude de trouver un endroit où dormir, j'étais vraiment vulnérable. Je me suis sentie vulnérable. Et un non qui m'arrivait à ce moment-là était très dur, selon la manière dont il était dit. Et cette vulnérabilité, les gens ne la connaissaient pas. Ils n'avaient pas de raison de savoir que moi, j'étais inquiète et fatiguée. mais aujourd'hui j'essaie toujours de me dire attention à ma façon de répondre aux gens parce que je ne connais pas leur fragilité, leur vulnérabilité et la façon dont je leur réponds peut les blesser au-delà de ce que j'imagine évidemment au-delà de mon intention parce que j'ai rarement l'intention de blesser les gens donc j'ai cette attention là et puis après c'est vrai l'envie d'accueillir aussi à mon tour et ça je sens bien que c'est difficile le rapport au chez-soi, à l'intimité n'est pas le même je pense en France que dans... de ce que j'ai vu en Bosnie, en Albanie, où en fait, la maison est un lieu ouvert. et ça je suis souvent je me frotte un peu à mon propre désir d'être tranquille chez moi dans mon petit nid mais c'est toujours un défi un rappel permanent de me dire laisse ta porte ouverte, accueille parce que c'est beau pour finir,

  • Aliénor Vidal de La Blache

    question courte,

  • Solange Pinilla

    réponse courte compléter cette phrase la personne humaine est la personne humaine est mystérieuse Moi, je me dis toujours, l'être humain est tellement complexe. Donc, il faut que je fasse court. Mystérieuse et belle.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Une odeur que vous aimez ?

  • Solange Pinilla

    Je crois que j'adore l'odeur de la forêt ou la terre après la pluie. Cette odeur un peu d'humus qui est très charnelle. Moi, j'aime beaucoup cette odeur.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Une femme qui vous inspire ?

  • Solange Pinilla

    Je parle pas mal dans mon livre de Etie Hillesum, cette jeune juive hollandaise qui a écrit un journal pendant la guerre, qui est décédée à Auschwitz. Son journal, son témoignage m'a bouleversée. Elle reste un modèle vraiment, à certains moments, un modèle d'espérance, de foi, de foi en Dieu et en l'homme aussi. C'est vraiment une femme qui m'inspire.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Un moment qui vous ressource ?

  • Solange Pinilla

    La sieste. En fait, quand je marche, j'adore faire des vraies pauses en milieu de journée. Et j'adore ce moment où souvent j'essaie de trouver un endroit beau, avec une belle vue, sous un arbre. Et j'adore ces moments de pause. Je les vis encore. Par exemple, j'ai marché une semaine en février et j'ai vécu ça chaque jour. Ce moment de pause quand je marche dans un bel endroit, j'adore.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?

  • Solange Pinilla

    C'est une bonne question et peut-être merci. J'aurais envie de lui dire un grand merci. Et peut-être aussi parfois tes messages ne sont pas clairs. Moi dans mes prières, souvent je lui dis, je veux bien faire ta volonté, mais il faut que tu me le dises clairement parce que je suis un peu têtue et bornée. Et souvent, ta volonté, je n'arrive pas à la comprendre. Donc peut-être merci et n'hésite pas à être plus claire.

  • Aliénor Vidal de La Blache

    Merci beaucoup, Aliénor. Et merci à toutes et à tous de nous avoir écoutés. Nous espérons que cette conversation vous a plu. Nous vous donnons rendez-vous dans le numéro d'avril 2024, comme nous l'évoquions au début de ce podcast. Le lien est dans la présentation du podcast. Et à bientôt pour un nouvel épisode.

Share

Embed

You may also like