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Zélie - Le Podcast

Épisode 35. Mathilde Hervouët : "Pendant mes deux années de mission au Brésil, je n'ai jamais vécu autant d'émotions"

Épisode 35. Mathilde Hervouët : "Pendant mes deux années de mission au Brésil, je n'ai jamais vécu autant d'émotions"

39min |03/07/2024
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Épisode 35. Mathilde Hervouët : "Pendant mes deux années de mission au Brésil, je n'ai jamais vécu autant d'émotions"

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39min |03/07/2024
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Description

Dans cet épisode du podcast de Zélie, nous partons au Brésil ! En 2019, Mathilde Hervouët quitte son poste d’avocate à Paris, pour y passer deux années dans une association qui aide les adolescentes enceintes de quartiers pauvres.

Quand l’ONG Fidesco, qui l’envoie comme volontaire, lui annonce qu’elle part au Brésil, elle est peu enthousiaste concernant ce choix. « En fait, c’est un pays merveilleux, nous raconte-t-elle. La terre est très rouge, le ciel très bleu, la verdure est très présente ! »

Dans ce podcast animé par Solange Pinilla, rédactrice en chef du magazine Zélie, Mathilde Hervouët se replonge dans ses souvenirs : des rencontres, un quotidien doté d’intensité, et bouleversé par la pandémie de Covid.

Avant de partir, elle avait peur de s’ennuyer intellectuellement en mission. « Là-bas, je me suis sentie tout le temps très animée, entraînée par des choses nouvelles, et avec la curiosité en éveil, explique-t-elle. Je me suis dit que lorsque je reviendrais dans la grisaille parisienne, cela allait être être vraiment difficile. »

Guidée par un souci de justice, éprise de liberté, Mathilde Hervouët nous raconte que sa foi a été bouleversée durant sa deuxième année de mission. Elle se confie sur les défis au Brésil, mais aussi en revenant en France, et sur les fruits qu’elle en retire aujourd’hui, trois ans après son retour.

Bonne écoute !

Découvrir le numéro de juillet-août 2024 > www.magazine-zelie.com/zelie97

S’abonner gratuitement à Zélie > www.magazine-zelie.com

En savoir plus sur Fidesco : https://www.fidesco.fr

(Musique d'ouverture : "The Return" d'Alexander Nakarada CC BY 4.0
Photo © Collection particulière)

Régie publicitaire : Tobie


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Solange Pinilla

    Bonjour à toutes et à tous, vous êtes sur le podcast de Zélie, où vous découvrez des conversations avec des femmes inspirées et inspirantes. Zélie est quant à lui un magazine numérique féminin chrétien que vous pouvez télécharger sur magazine-zélie.com. Dans le numéro de juillet-août 2024, nous parlons du thème Savourer la vie Quand nous nous levons le matin, est-ce que nous goûtons la joie d'être en vie ? La fatigue, les épreuves, les tâches quotidiennes nous font parfois perdre la légèreté et la joie de vivre l'instant présent. Dans le numéro, nous parlons de voir Dieu dans chaque chose et chaque être à l'école de Saint-François, de danses vitoses pour reposer son mental, des paysages pleins de joie de l'artiste-peintre Béatrice Rochegardy, du témoignage de Joël qui savoure la vie après deux embolis pulmonaires, Bref, je vous invite à télécharger gratuitement ce numéro, le lien est dans la description du podcast. Aujourd'hui, pour ce nouvel épisode de podcast, nous rencontrons Mathilde Hervouet, qui est partie deux années au Brésil en volontariat avec l'ONG Fidesco. Elle gérait une association de formation à la maternité pour les jeunes femmes enceintes des quartiers pauvres. Mathilde, bonjour !

  • Mathilde Hervouët

    Bonjour !

  • Solange Pinilla

    Pour commencer, quels étaient vos rêves de petite fille ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors quand j'étais petite fille, j'essaie de me souvenir, mais je pense que je rêvais de vivre à la campagne et d'être soit enseignante, plutôt institutrice en école primaire, parce que j'aimais bien l'école, soit d'être illustratrice et de dessiner pour des livres d'enfants.

  • Solange Pinilla

    Quel a été votre parcours professionnel jusqu'à votre départ pour le Brésil ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors quand je suis partie au Brésil, je travaillais depuis trois ans. J'étais avocate et je travaillais en propriété intellectuelle dans un cabinet à Paris, où je faisais surtout du droit de la musique. Et à côté, j'étais pas mal commis d'office pour des dossiers plus au pénal, donc je faisais des gardes à vue et un peu de comparution immédiate.

  • Solange Pinilla

    Alors pourquoi vouloir partir en volontariat alors que vous aviez une confortable situation professionnelle ?

  • Mathilde Hervouët

    Justement parce que c'était pas si confortable que ça je pense. A l'époque ça faisait du coup 3 ans, 2 ans que je travaillais quand j'ai décidé de partir, 3 ans quand je suis partie. Et je me reconnaissais pas du tout dans mon travail, je m'ennuyais en fait pas mal au cabinet. Le droit de la propriété intellectuelle c'était pas du tout mon truc. Et à côté de ça je pense que dans la vie parisienne il y a quelque chose qui me manquait, je me retrouvais plus vraiment dans le... dans cette vie et je me souviens rappelant de moi alors pas petite fille mais plus jeune en me disant que c'était pas du tout la vie que je voulais avoir à 27-28 ans et que du coup il fallait retrouver un nouvel élan et l'idée de la mission que

  • Solange Pinilla

    j'avais mise de côté qui m'avait pas mal tourné dans la tête quand j'avais 18-20 ans est revenue de plus en plus fort à ce moment là du coup qu'est-ce qui vous a amené à partir plutôt avec Fidesco ou

  • Mathilde Hervouët

    Alors, au tout début, je ne voulais pas du tout partir avec Fidesco, j'avais repéré une autre ONG qui faisait que de la réinsertion de jeunes des bidonvilles en Asie, et je m'étais dit que j'allais partir avec eux. Et puis, à ce moment-là, j'étais allée passer un week-end chez ma sœur qui partait juste après en mission Fidesco, avec son mari et deux enfants à l'époque, et qui m'avait donné les coordonnées d'une de ses amies qui était partie avec Fidesco détachée dans cette ONG. Et... L'ami en question m'avait posé quelques questions en me disant Est-ce que tu ne veux pas partir avec une ONG plutôt qu'à tôt ? Est-ce que tu es sûre que ce n'est pas important pour toi ? Et combien de temps tu veux partir ? Est-ce que tu es sûre de vouloir vraiment décider de ta mission ou te laisser un peu porter ? Et en fait, ça m'avait beaucoup travaillé, et notamment le fait de choisir sa mission. Et plus je réfléchissais, plus je me disais que partir deux ans, c'était mieux que partir un an. Et que partir avec Fidesco, où on ne choisit pas sa mission et on ne choisit pas son pays de destination, c'était finalement ce qui allait être plus beau, quelque chose de très beau dans la démarche de mission, puisqu'on est dans un lâcher-prise un peu complet en mission. Et ne pas choisir sa mission, c'est... En fait, toute ma mission, je me suis dit que ça avait été une grande chance.

  • Solange Pinilla

    Justement, comment est-ce que vous avez appris que vous partiez au Brésil ?

  • Mathilde Hervouët

    Je me souviens de ce moment très bien parce que c'était en décembre, il faisait très froid. Et j'attendais, je savais que j'allais partir, mais j'attendais de savoir où. Et j'ai vu que Fidesco m'appelait et que c'était la responsable de l'Amérique latine qui m'appelait. Et du coup moi je m'étais projetée beaucoup en Asie au début quand j'ai décidé de partir en mission. Et puis quand j'ai décidé de partir avec Fidesco je m'étais projetée beaucoup en Afrique parce que Fidesco envoyait beaucoup en Afrique. Et à aucun moment je m'étais projetée en Amérique Latine et j'avais pas du tout envie d'aller en Amérique Latine. J'avais pas du tout envie d'aller au Brésil parce que le portugais ça me paraissait... Enfin je voyais pas trop l'intérêt d'apprendre le portugais, le pays était immense. Vraiment le Brésil ça a été un grand moment de déception quand ils m'ont appris que je partais au Brésil. Donc... Pas du tout, j'étais pas du tout emballée par l'idée. Et puis en fait j'ai adoré ce pays et ça a été un pays merveilleux.

  • Solange Pinilla

    Du coup vous avez appris le portugais ?

  • Mathilde Hervouët

    Du coup ça, ça a été un des grands défis de la mission. J'avais fait un peu de Duolingo et de méthode à 6 000 avant de partir, mais je l'ai appris à l'oreille et j'ai pas une bonne oreille. Je l'ai appris sur place surtout. Ça a été assez difficile au début. Et je me suis pris une belle claque parce qu'apprendre une langue adulte, c'est vraiment pas du tout pareil que de l'apprendre enfant. Et donc, difficile.

  • Solange Pinilla

    Alors, racontez-nous le jour de votre arrivée à Redensao, je ne sais pas si je prononce bien, dans l'état du Para, dans le nord du Brésil.

  • Mathilde Hervouët

    Redensao, ça se prononce avec une sonorité un peu nasale comme le portugais. C'est très nasale comme langue. Alors Reden-San c'est au milieu de nulle part, c'est vraiment très très loin de tout. Du coup c'était à peu près deux jours de voyage pour arriver. Et je me souviens avant d'arriver à Reden-San de changer d'avion à l'aéroport de Sao Paulo. Et là je prenais un deuxième avion, c'est la seule fois de ma vie que ça m'est arrivé, qui faisait un peu l'omnibus, donc en fait il y avait plein de petits arrêts. Avant l'arrêt à Palmas qui était encore à 8h de route de Reden-San. Et donc j'étais montée dans l'avion. Complètement au hasard, en me disant je suis vraiment pas sûre que ce soit cet avion là, parce que la destination n'est pas la bonne, mais c'est le seul horaire qui correspond dans l'aéroport. Donc a priori c'est ça. Et puis j'étais descendue à Palmas, et là j'avais mis mon t-shirt Fidesco en me disant il faut quand même que je retrouve le partenaire Fidesco dans l'aéroport, ça risque d'être compliqué. Et en fait c'était un aéroport absolument minuscule, où on était trois à descendre de l'avion à ce moment là, et il n'y avait qu'une seule personne qui attendait quelqu'un, donc vraiment aucune difficulté. Et ensuite il faisait très très chaud, on avait roulé du coup 6 heures pour arriver non pas à Reden-San mais à Conseil-San, qui est la ville d'à côté où on œuvrait aussi beaucoup, et où j'avais retrouvé les co-volontaires Fidesco qui étaient à Conseil-San pour deux jours. Du coup on avait passé deux jours sur place à Conseil-San avant que j'arrive enfin à Reden-San. Et là, j'étais arrivée, j'avais découvert la maison, la ville, la rue en terre battue. Il faisait très chaud. Il y avait beaucoup de lumière et des couleurs très fortes. Les couleurs sont très saturées là où j'habitais. Et c'est quelque chose qui m'avait marquée à mon arrivée. La terre est très rouge, le ciel est très bleu. Et il y a beaucoup de verdure et le tout donne une impression vraiment très saturée.

  • Solange Pinilla

    Alors, quelles étaient vos missions sur place ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors sur place j'ai été coordinatrice de projet social il me semble et en fait il y avait à peu près trois casquettes je dirais à ma mission. La première c'était de gérer l'association qui était une association de formation pour les ados enceintes et les jeunes mères des quartiers pauvres de la ville. Donc là il y avait toute une partie comptabilité, communication, mise en place de partenariats, recherche de fonds, tout ça. Il y avait toute une partie animation et formation, animation d'atelier. On enseignait aux jeunes filles à faire de la couture. Elles cousaient tout le trousseau de leur bébé. Des petits vêtements, des serviettes, des linges, des draps pour l'enfant. Et troisième partie, c'était une casquette un peu plus assistante sociale. Là, on faisait des visites à domicile. On essayait d'aller voir chaque jeune fille deux fois. Une fois pendant sa grossesse et une fois juste après son accouchement, chez elles. Elles n'habitaient pas du tout dans l'association. On les accueillait vraiment une journée, un après-midi par semaine. Et on était sur cinq villes différentes de la région.

  • Solange Pinilla

    Cette association a été créée par qui ?

  • Mathilde Hervouët

    L'association s'appelait Sonia Jimay, ce qui veut dire rêve de maman en portugais. Elle avait été créée au début à Salvador, dans la Bahia, vraiment dans une autre région du Brésil, par des volontaires fidesco qui étaient au début dans la Bahia, avec l'évêque local qui était à l'époque prêtre dans une favela. de Salvador et ensuite il a été nommé prêtre dans le Pará, donc vraiment dans cette région très excentrée, très au milieu de nulle part. Et quand il est arrivé dans le Pará, il a amené avec lui l'idée de l'association qui s'est remontée très très vite dans le Pará, donc au début des années 2000, vers 2008 je crois, avec des volontaires fidesco qui sont venus très vite lui prêter main forte et qui se relaient depuis… Plus de 15 ans maintenant à Redencent et un peu partout dans le Parrain.

  • Solange Pinilla

    D'ailleurs, je me disais qu'en France, vous êtes avocate et au Brésil, vous aidiez des femmes enceintes en difficulté. Alors, le point commun, c'est peut-être le souci de justice. Qu'est-ce que vous en pensez ?

  • Mathilde Hervouët

    Oui, je crois que le désert de justice, c'est quelque chose qui anime beaucoup et qui nous fait vraiment porter des projets. avec beaucoup de cœur je dirais, et je retrouve des parallèles entre mon métier d'aujourd'hui puisque je suis redevenue avocate, mais en droit de la famille, et parfois on a des dossiers, plusieurs fois on a eu des dossiers de femmes enceintes qui vivaient des violences conjugales et qui partaient enceintes, et pour lesquelles je retrouvais vraiment ces petites jeunes filles du para qu'on accompagnait dans des moments tellement particuliers et tellement sensibles de leur vie.

  • Solange Pinilla

    Qu'est-ce que vous avez le plus aimé de cette mission ? N'hésitez pas à raconter des anecdotes.

  • Mathilde Hervouët

    Je pense que ce que j'ai le plus aimé de cette mission, c'est d'avoir appris à lâcher prise complètement et à me faire modeler par la différence, par les rencontres qui ont été faites, ce que j'ai pu faire là-bas. Je me souviens, au bout d'un an de mission à peu près, je me suis dit en fait je comprends que je comprends rien et que je comprendrais jamais rien à leur culture qui est tellement différente de la nôtre, mais c'est ça qui est extraordinaire et c'est ça qui est merveilleux. Et pendant toute cette deuxième année de mission, je m'ai sentie extrêmement portée par la curiosité qui en éveille tout le temps, tout le temps quand on est en mission, parce que tout est différent de ce qu'on vit, toutes les sensations, toutes les couleurs, les goûts. les choses auxquelles on est confronté au quotidien, tout est différent et on est dans cette vie vraiment très très haute en couleurs. Et je me souviens de quelque chose où... qui me portait beaucoup là-bas et où je me disais le retour va être difficile et qui était très paradoxal, c'est que là-bas du coup j'étais vraiment la vie était, la vie de mission c'est l'émotion tout le temps alors parfois c'est lourd parce que je pense que j'ai jamais autant pleuré dans ma vie que quand j'étais en mission, mais aussi rarement autant ri et tout avait pas mal de sens Et je me souvenais qu'avant de partir en mission, je m'étais dit j'ai peur de m'ennuyer en mission parce que je vais quitter un job super intellectuel, une avocate, je vais quitter une vie parisienne où on a une offre culturelle énorme, où j'ai mes amis, j'ai finalement une vie qui est très riche, pour aller au fin fond de la campagne dans une ville où culturellement il n'y avait vraiment rien à faire, puis en plus ça a été le Covid donc il y avait encore moins de choses à faire. et faire un job d'assistante sociale où je risque de vraiment m'ennuyer. Et en fait, ça a été tout le contraire. Je me suis sentie tout le temps hyper animée, hyper entraînée par des choses nouvelles, et avec la curiosité en éveil en permanence. Et je me suis dit, mais quand je vais rentrer, ça va être terrible, parce que je vais revenir dans la grisaille parisienne, dans le train-train quotidien. Ça va être vraiment difficile.

  • Solange Pinilla

    Et justement, quand on part en mission, on perd ses repères habituels complètement. Et du coup, comment est-ce qu'on arrive à se recréer de nouveaux repères ?

  • Mathilde Hervouët

    Au début, c'est un vrai défi, les premiers mois. Parce que, je me souviens, j'essayais de recalquer un peu mes habitudes parisiennes là-bas, puis ça ne marche pas. Et finalement, au fur et à mesure, j'avais trouvé ce qui me convenait quand j'avais des... Des moments où j'avais besoin de ressources, et Fidesco insista là-dessus avant qu'on parte aussi, en disant vraiment Trouvez vos moments et vos personnes ressources pour l'écoute blues Et moi j'avais des choses assez simples, j'allais marcher, beaucoup, parce que c'est quelque chose qui me ressource énormément. Donc j'allais me promener dans la ville, j'étais partie avec une liseuse, et ça c'est formidable parce que j'avais une bibliothèque gigantesque. Et ça pareil c'était très important. J'écoutais beaucoup de musique française et notamment la deuxième année puisque la deuxième année c'était la pandémie. Donc tous les français avaient fichu le camp du coup j'étais complètement seule. Et parfois la musicalité de la langue me manquait. Et je cuisinais beaucoup. J'avais appris à cuisiner un peu brésilien puis je faisais des mélanges avec la cuisine française. Et quand j'avais un coup de mou, je cuisinais en musique. Et ensuite, je m'étais fait quand même quelques très très bons amis, qui ont été des vraies personnes ressources là-bas, et des gens très variés. et parce que j'avais à la fois mes amis de l'association, avec qui j'allais partager les moments durs de l'association, et avec qui, je pense un peu comme tous les gens, quand on a des vies qui ne sont pas évidentes, et qu'on a des récits au quotidien qui sont lourds, on en rigole beaucoup, et on rigole de choses très lourdes, mais c'était très important. Puis à côté de ça, j'avais des amis qui étaient plus... J'avais une amie qui était l'équipement de ma meilleure amie en France, avec qui j'allais boire des bières quand j'avais un moment libre. avec qui j'allais aller faire les boutiques et sortir, et à qui j'allais raconter mes vacances et raconter ma vie. Et pareil, c'était quelqu'un de super important pour moi là-bas, parce que ça normalisait un peu ma vie.

  • Solange Pinilla

    À quel défi vous avez été particulièrement confrontés ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors, il y en a eu beaucoup, j'ai trouvé. Le premier, c'est la langue, on l'a déjà évoqué. Le deuxième, ça a été la pandémie, qui a complètement rabattu les cartes et bouleversé tout ce qui était prévu. Le troisième ça a été la vie quotidienne dans une maison où il faut se retrouver. Au début la vie de colocation parce que je travaillais et j'habitais avec les volontaires fidesco. Dans une maison on n'avait pas du tout d'intimité, il y avait un toit mais pas de plafond donc tout communiquait. On avait un peu de colère. Et ça, ça a été un vrai défi aussi, de trouver un équilibre entre nous. Dans les défis aussi, je dirais le rapport à la violence, qui n'est pas du tout le même là-bas qu'ici. Il y a une violence diffuse, et au début moi ça me faisait peur, et puis finalement j'ai eu toute une phase où j'étais dans le déni complet, et puis finalement je m'y suis un peu plus heurtée, et à la fin j'avais trouvé un bon équilibre. Je trouvais de ne pas en avoir trop peur, mais de ne pas non plus faire n'importe quoi. Il y avait aussi un vrai défi dans le fait de comprendre la mission et de comprendre à quoi on servait sur place. Et je pense qu'il y a une dimension du serviteur inutile la première année de mission qui est très forte. Puisque j'étais arrivée là en ne parlant pas cette langue, en ne comprenant pas vraiment à quoi servait la mission, à quoi ça servait d'apprendre la couture à ces ados qui étaient enceintes. et souvent qui revenaient un an après, qui avaient eu leur premier enfant à 14-15 ans, qui allaient revenir à 16-17 ans pour avoir un deuxième enfant. Et on se disait, mais en fait, si on... Enfin, mon premier réflexe de française, c'était de me dire, mais si elles étaient formées à la contraception, finalement, cette mission ne servirait à rien. Et c'était très difficile de trouver... Enfin, c'était difficile en tout cas au début de trouver... de trouver ma place. Et puis, au fur et à mesure des rencontres et de la mission, j'ai compris que la contraception, c'était une question très française, que la maternité de ces jeunes allait très au-delà de la question de la contraception, que la plupart de ces filles, elles étaient là parce qu'elles voulaient être mères, que leur grossesse était très souvent désirée, et que les accompagner, ça dépassait vraiment totalement la question de la contraception, qui était finalement un jugement qui était posé. qu'est notre jugement français, qu'à 15 ans on n'est pas apte à devenir mère, et qu'en fait il fallait le dépasser. Mais ça, ça prenait beaucoup de temps, et ça a été un vrai défi. Et ensuite il y a tous les petits défis de la vie quotidienne là-bas, la chaleur, il fait 35 degrés toute l'année, et c'est pas facile. La conduite, on avait une mission qui était sur 5 villes différentes, j'avais une voiture là-bas, il fallait conduire, moi je suis une vraie parisienne, j'ai passé mon permis à 25 ans, j'ai pas reconduit avant d'arriver en mission, je ne savais absolument pas conduire, j'étais un danger public, et du coup il est route. Les brésiliennes n'ont rien à voir avec la route française, et ça c'était un vrai défi en arrivant. Et chose que je n'aurais jamais imaginée, conduire est devenu un vrai plaisir et un vrai moment de détente à la fin de la mission. Je me détendais en prenant le volant, et ça c'était une des petites grâces de la mission.

  • Solange Pinilla

    Qu'est-ce qui vous a marqué au Brésil, qui est une culture différente de la nôtre, et puis en plus vous étiez dans un milieu social encore bien particulier également ?

  • Mathilde Hervouët

    La première chose qui m'a marquée, je pense, c'est la joie des Brésiliens, qui se lamentent jamais, qui ne sont pas du tout dans la plainte, même quand leurs vies sont très dures, effectivement. La deuxième chose qui m'a marquée, je dirais, c'est leur manière de lâcher prise. Quand ils parlent, toutes leurs phrases sont toujours ponctuées par deux phrases qui reviennent tout le temps, c'est si Deus quiser donc si Dieu le veut et grâce à sa Deus qui est grâce à Dieu et leur vie a beau être difficile, ils sont dans ce lâcher prise et dans cette joie quotidienne et les choses sont comme ça parce que Dieu l'a voulu ou les choses sont comme ça grâce à Dieu et ça, nous français, très cartésiens, très dans la raison et dans la maîtrise c'est assez bluffant de voir ça et c'est quelque chose à garder derrière

  • Solange Pinilla

    Est-ce que vous pourriez nous raconter une rencontre qui vous a particulièrement marquée ?

  • Mathilde Hervouët

    La rencontre c'est vraiment le cœur de la mission, il y en a eu beaucoup. Mais dans celles qui m'ont le plus marquée, je pense à Bia, Béatrice qu'on appelait tous Bia, qui est une jeune femme que j'avais accueillie au projet à l'association. Je la rencontrais en l'accueillant à l'association, elle était enceinte, elle attendait son troisième enfant. Elle n'était pas toute toute jeune par rapport aux autres, elle avait 24 ans, il me semble, quand elle est arrivée. Et c'est une fille qui avait une vie difficile, elle avait perdu ses parents assez jeunes. Elle avait une sœur qui avait un handicap mental assez lourd. Sa mère était morte quand elle avait 15 ans, son père quand elle avait 20 ans. Et du coup, elle s'était retrouvée toute seule à gérer sa sœur. Et en plus, à la mort de son père, elle venait d'accoucher de sa première fille, quand elle avait 20 ans à peu près, qui n'avait pas de père. Donc elle avait découvert enceinte que le père avait en réalité une vie de famille ailleurs. qui n'avait pas reconnu la petite, et ensuite elle avait rencontré quelqu'un d'autre, elle avait eu deux enfants avec lui, puis au moment où elle arrivait à l'association, elle attendait le deuxième, elle était plus ou moins en train de se séparer de lui. Et donc la vie était assez difficile. Et en même temps, il y avait une douceur qui émanait de cette fille qui était très forte. C'est une fille qui était d'une beauté que moi je trouvais très très belle. Parce qu'elle dégageait vraiment quelque chose de très apaisé. Elle avait conscience que sa vie était difficile. Et elle n'était pas du tout dans le déni de ses difficultés. Mais en même temps, elle gérait sa vie de famille d'une manière qui était hyper admirable. Ses enfants, il n'y avait jamais un mot au-dessus de l'autre, il n'y avait jamais une paire de claques qui partait, sa maison était à peu près propre, ses enfants étaient toujours nickels. Et pareil avec sa sœur, il n'y avait jamais un moment d'impatience alors que tout ça était vraiment difficile. Et elle est venue à l'association pendant toute sa grossesse et puis à la fin quand elle a accouché de son petit garçon. Donc elle avait une petite fille et deux petits garçons. Elle a continué à venir et cette fois elle est devenue bénévole à l'association parce qu'elle avait besoin je pense de continuer à être entourée et parce qu'elle trouvait quelque chose à l'association. Et aussi parce qu'elle transmettait quelque chose aux filles qui était vraiment très beau. Elle était hyper méticuleuse, elle cousait super bien. Et ensuite on l'avait fait un peu évoluer et intégrer le reste de l'association parce qu'on avait aussi à Consection, là où elle habitait, il y avait tout un... un tissu associatif assez important. Et on s'était dit qu'on allait la former au secrétariat. Après, moi, je suis partie et j'ai gardé contact avec elle de loin. Je ne sais pas comment les choses ont évolué, mais cette rencontre m'a beaucoup marquée parce que cette fille avait cette vie qui était difficile et elle dégageait quelque chose de tellement paisible et de tellement doux. C'était vraiment très beau.

  • Solange Pinilla

    Vous êtes partie de 2019 à 2021, donc en pleine pandémie de... En pleine pandémie de Covid, quel a été l'impact de celle-ci pour vous ?

  • Mathilde Hervouët

    La pandémie, ça a été à la fois un vrai défi et une vraie chance. Un vrai défi au début, quand elle est arrivée en mars 2020, on a commencé par fermer l'association, parce que tout a fermé dans le Paras à ce moment-là, comme partout dans le monde. On a fermé les églises, on a fermé les boutiques, ça a duré quelques jours. Et puis finalement, la vie a commencé à reprendre un petit peu, alors que le virus n'était pas encore arrivé. Nous à l'association on a resté fermé pendant six mois, donc pendant six mois on n'a pas fait d'atelier. Et le premier mois, moi j'étais partie m'installer à Conseil 100 chez l'évêque avec d'autres volontaires qui étaient encore là. Et puis ma co-volontaire Fidesco, on était deux à ce moment-là à Fidesco, au tout début a dit qu'elle rentrait, elle était portugaise, qu'elle rentrait au Portugal. Donc elle est partie très vite, dès le mois de mars. Et on était encore deux français à ce moment-là, il y avait un séminariste. qui était volontaire d'ECC et qui était un très bon copain. Et puis au bout d'un mois, il a dit qu'il partait aussi. Et du coup, là, je me suis retrouvée toute seule au Brésil. Son départ a été hyper dur. Au même moment, il y avait deux volontaires brésiliens, enfin une volontaire brésilienne et un séminariste brésilien qui ont dit l'un et l'autre qu'ils rentraient chez eux. On était tous à Conseil 100 ensemble. Et moi, je suis rentrée. J'ai dit que je rentrais chez moi et que je rouvrais ma maison. où on m'avait dit que je ne pouvais pas vivre toute seule là-bas parce que c'était trop dangereux. Et puis en fait, ça faisait un mois que j'étais à Conseil 100 et que je tournais en rond. Et du coup, je suis rentrée chez moi, j'ai rouvert ma maison, et j'ai fait la même chose que ce que faisait tout le monde un peu partout dans le monde. Je me suis mise en télétravail, et je m'étais dit qu'en fait, on pouvait très bien remonter quelque chose avec au moins les filles de Red Sun, les filles de ma ville. en leur apportant à chacune à domicile le tissu et le matériel pour coudre. J'avais une voiture et du coup, avec une autre volontaire qui était jeune, on a monté des tutos couture qu'on a diffusés sur les réseaux sociaux de l'association. Et puis après, on a fait des découpes de tissu nous-mêmes avec une autre volontaire dont j'étais proche. Et ensuite, on a apporté aux filles, à chacune, le matériel pour coudre à la maison. Et puis, elles préparaient les choses, elles épinglaient, elles cousaient. à l'aiguille et ensuite je passais chez elles récupérer ce qu'elles avaient préparé et je les remenais chez les volontaires qui avaient des machines à coudre et qui passaient à la machine à coudre. Ça, ça a duré six mois. Au bout de deux mois, j'ai été rejointe par Mariana, qui était une volontaire brésilienne avec qui j'avais été confinée le premier mois à Conseil 100, qui est venue habiter pendant deux mois à la maison. Là, ça a été une période géniale de mission. Parce que pendant deux mois, on a fait la même chose et puis finalement on a accueilli des jeunes brésiliennes à la maison. On a remonté l'association ensemble petit à petit. Et puis en septembre, on a rouvert l'association à Redencent et à Conseil 100. Et puis Mariana est retournée à Conseil 100 là où elle habitait elle avec les jeunes. Elle s'occupait d'une autre association. Et moi j'ai continué seule pendant un an encore. Et je me suis dit que finalement, vivre la pandémie sur place, ça avait été une chance immense. D'abord parce que je n'ai jamais été vraiment confinée, et que je vous voyais en France, et ça me terrifiait. Je m'étais dit que je n'aurais jamais réussi à être enfermée chez moi pendant deux ou trois mois. J'aurais tourné en rond et je supporte très mal d'être enfermée. Et en plus, ce qui m'a fait très peur au début, c'est-à-dire de me retrouver toute seule au milieu de nulle part dans la pampa brésilienne. Finalement, ça a été une chance gigantesque. Parce que quand il n'y avait plus de français du tout, il y a les dernières barrières qui pour moi ont complètement sauté. D'abord mon niveau de brésilien, de portugais a décollé à ce moment-là. La langue est devenue fluide parce que j'habitais avec des brésiliens, parce que je ne parlais plus que brésilien. Toutes les petites tentations qu'on peut avoir de juger, de comparer, j'avais plus personne avec qui le faire. Du coup tout ça parait que ça a complètement disparu. Et ça m'a ouvert des portes complètement nouvelles et une nouvelle vision sur la mission. Et je me suis souvent dit qu'en fait on... se retrouver dans un univers où on ne croise pas un seul français, à part l'évêque local qui était français, mais qui vit au Brésil depuis 30 ans, et qui n'est plus vraiment français, pas tout à fait brésilien non plus, puis on se parlait en portugais ensemble et on ne se voyait pas très souvent, mais vivre loin de la France et ne pas croiser un français pendant des mois et des mois, c'est quelque chose qui n'arrive plus aujourd'hui, et en fait c'est une chance assez folle. Après, j'ai vu les volontaires fidesco de Salvador, où on a passé des vacances ensemble deux fois. Mais sinon, à chaque fois qu'on se quittait, pendant 3, 4, 5 mois, je voyais plus de Français. Et en fait, c'était assez génial.

  • Solange Pinilla

    En quoi votre foi a-t-elle été marquée par cette expérience de volontariat au Brésil ?

  • Mathilde Hervouët

    Ça, je pense que c'est un des aspects sur lesquels ma vie a été assez bouleversée. Il y a vraiment un avant et un après mission. Quand je suis partie en mission, c'est ce que je disais au début, au début je ne pensais pas partir avec une ONG catholique, je pensais partir avec une ONG laïque, et la question que m'avait posée Agathe, l'amie de ma soeur, en me disant t'es sûre que c'est pas important pour toi ? je me suis dit oh, moi j'ai grandi dans une famille catholique, mais à ce moment-là, j'étais assez éloignée de la foi, je pratiquais un peu de temps en temps par habitude, mais ça ne me parlait plus vraiment. Et puis quand Agathe m'a dit est-ce que tu es sûre que tu ne veux pas partir avec une ONG catholique ? Ça m'a un peu travaillée. Et je me suis dit que c'était peut-être la dernière chance que je donnais à l'Église. C'est un peu nul de dire ça, mais je m'étais dit bon, je reviens de mission, soit je tourne vraiment le dos, soit il s'est passé quelque chose et je me ferai confirmer, parce que je n'étais pas confirmée, et je retourne, j'y reviens. La première année, ça a été très dur parce qu'en mission Fidesco, on est vraiment au cœur de l'Église. On est tout le temps avec des bonnes sœurs, avec des prêtres. Et moi, c'était beaucoup trop pour moi. Et du coup, je saturais beaucoup. J'étais pas du tout au même niveau que mes binômes sur la vie de foi, enfin, vraiment, ça a été quelque chose de difficile. Et puis quand je me suis retrouvée toute seule là-bas, avec du coup mon pote qui venait de partir, et plus grand monde à qui me confier, et avec un énorme doute sur le fait de continuer ou de rentrer en France, puisque j'avais mes parents qui me mettaient à la pression pour que je revienne en France, enfin, rien n'allait. Là, finalement, il ne me restait plus trop que la prière, et du coup, je me suis mise à prier. Et cette deuxième année, j'ai rencontré aussi des gens qui avaient une foi extraordinaire. Je pense à la directrice de l'association qui est vraiment portée par sa foi. Et ça, ça m'avait quand même beaucoup interpellée. Elle est portée par quelque chose de supérieur, elle a quelque chose, waouh, c'est beau. Et dans sa vie, c'est un pilier. J'aimerais bien trouver ça aussi. Et puis mon regard sur l'église a changé aussi à ce moment-là, où je me suis dit en fait, parce que du coup j'avais toute cette saturation de l'église, et puis quand on est aussi proche de l'église, je pense qu'on voit l'église dans tout ce qu'elle a de beau, mais on la voit aussi et surtout dans tout ce qu'elle a de pauvre, dans toutes ses pauvretés, dans toutes ses limites, dans toutes ses petites mesquineries, et dans vraiment toutes ses limites.

  • Solange Pinilla

    Et ça c'est assez douloureux aussi. Et à ce moment-là de ma mission, je vois tout ça, et je m'étais dit, en fait, toutes ces pauvretés, c'est aussi ce qui fait la beauté de l'Église, parce qu'elle est quand même très humaine. Donc toute cette difficulté-là avait petit à petit disparu. Et finalement, je fais mon petit cheminement de foi toute ma deuxième année de mission, et je me suis fait confirmer, juste avant de revenir en France, en... En juin 2021, et aujourd'hui la foi est quelque chose qui est très important dans ma vie et qui est vraiment assez centrale. Et ça c'est une des grâces de la mission pour moi qui est immense, parce que sinon je pense que j'aurais juste arrêté, j'aurais juste complètement arrêté sans la mission.

  • Mathilde Hervouët

    Comment s'est passé justement le retour en France ? On dit souvent que c'est difficile d'atterrir et surtout de partager ce qu'on a vécu.

  • Solange Pinilla

    Oui je confirme, le retour est difficile. Le retour je pense que c'était particulièrement difficile en 2021, parce que je suis arrivée en août 2021. C'est la semaine d'entrée en vigueur du pass sanitaire. Je me suis retrouvée confinée, j'ai eu une quarantaine de 10 jours obligatoires. Donc je suis vraiment passée déjà très brutalement de l'immensité du Brésil, où j'avais une liberté gigantesque, j'avais ma voiture. Le Brésil c'est immense comme pays. Je voyageais tout le temps, j'étais tout le temps entre plusieurs villes. Je faisais des rencontres tout le temps et là d'un coup, très brutalement, je me suis retrouvée dans un studio parisien de moins de 30 mètres carrés avec interdiction de voir qui que ce soit pendant 10 jours. Ça a été super brutal. Et puis ensuite, il y a tout l'après, tout le fait de se réaccoutumer à la France. Et ça, c'est assez violent effectivement parce qu'on retrouve la vie qu'on avait avant. qui est notre vie, qui est une vie que moi j'aimais bien quelque part, dans laquelle j'aurais dû pouvoir me retrouver assez vite, puis en même temps les choses sont assez inconfortables, parce qu'on n'est pas tout à fait la même. Et puis j'arrivais en post-Covid, donc les gens n'étaient pas tout à fait les mêmes non plus. Il y avait vraiment un avant et un après 2020. Et du coup en arrivant... Il y avait beaucoup de défis à relever. Alors moi j'avais trouvé un truc qui a été plutôt pas mal, c'est que je... Je suis arrivée du coup mi-août et je suis repartie fin août donc très très vite en ayant vu Pag en monde. Et je suis allée marcher pendant deux mois, j'ai fait le chemin de Saint-Jacques. Et ça m'a permis pendant ces deux mois d'évacuer beaucoup de la colère qui était là. Parce que ça je crois que la colère du retour de mission c'est une des premières émotions qu'on a. On est très très en colère contre l'injustice avec plein de petits éléments qui nous révoltent. Ça va être... Le fait qu'on va faire la vaisselle à l'eau potable alors que la moitié de l'humanité manque d'eau potable. Nous, on arrose nos plantes à l'eau potable, nos chaseaux c'est de l'eau potable. Franchement, ça c'est révoltant. Ça va être le fait qu'on gaspille une nourriture incroyable alors qu'il y a plein de gens qui crèvent de faim. Et tout ça, ça m'est très très en colère. Et puis ensuite, il y a tout le décalage avec les copains et avec la famille. Et ça, c'est assez difficile aussi. Moi je me souviens qu'avant de partir en mission, le retour me faisait déjà peur. Et je m'étais dit avant de partir, surtout quand tu reviens, tu ne juges pas les gens. Parce que c'est nul de juger, c'est trop facile de se dire, ouais ils sont comme ci, ils sont comme ça. Et puis je suis revenue de mission et je me suis vu juger les gens et c'était super dur à accepter. Et du coup j'ai essayé de m'en détacher mais c'était pas évident. Et puis il y a un vrai décalage qui se fait où... Ce qu'il y a de plus beau en mission finalement c'est les rencontres et c'est aussi ce qu'il y a de plus difficile à raconter. C'est difficile de parler de la réalité de la vie là-bas en étant juste, en trouvant les mots qui reflètent vraiment ce qui est vécu. C'est assez facile de tomber dans le pâteau, c'est nul, c'est pas ce que je cherchais. Et du coup j'avoue que c'était pas hyper... Ce n'était pas forcément hyper adapté, mais le plus facile c'était de raconter mes voyages là-bas. Alors j'ai beaucoup raconté mes vacances. J'ai beaucoup raconté mes vacances à Rio. J'ai beaucoup raconté aussi un peu de ma vie quotidienne, l'état de la route, ce qu'on trouvait au supermarché, plutôt que de rentrer dans le concret de la mission. Et dans le cœur de la mission, parce que c'est beaucoup plus difficile d'en parler. Et en même temps, j'étais très frustrée, parce que souvent les copains me disaient Alors c'était bien ton voyage ? Et je me suis dit, ça ne peut pas être du tout un voyage. C'était deux ans et demi de ma vie et c'était la vraie vie, ce n'était pas un voyage. Donc tout ce petit décalage-là qui m'est... qui est assez douloureux et qui me met plusieurs mois avant de s'apaiser. Et puis au bout d'un an à peu près, je dirais en septembre 2022, ça faisait un an que j'étais arrivée, ça faisait six mois que je travaillais, quatre mois que je retravaillais, il y a eu un moment où je me suis dit tiens ça y est, les choses sont apaisées, je peux repenser au Brésil sans que ce soit douloureux, ça ne me manque plus. Je pourrais même envisager de commencer à relire mes notes de là-bas et à trier mes photos.

  • Mathilde Hervouët

    Quel fruit vous avez reçu de cette expérience depuis que vous êtes revenue ? Donc maintenant il y a près de trois ans.

  • Solange Pinilla

    Il y en a eu beaucoup, il y en a eu quelques-uns qui sont arrivés très vite. Il y a eu la foi déjà, vraiment. Dans ma vie spirituelle, il y a un avant et un après. Professionnellement, les choses ont beaucoup changé aussi. Parce que quand je suis revenue de mission, j'ai été très perdue sur ce que j'allais faire après. Ça n'a pas duré longtemps, mais pendant quelques mois, je me disais avocate mais alors plus jamais c'est terminé. Et puis finalement, j'y suis revenue. Je suis redevenue avocate, mais j'ai changé de matière et aujourd'hui, je fais du droit de la famille. Et je suis en train d'intégrer l'antenne des mineurs, donc pour être avocat d'enfant, ou donc m'occuper d'être l'avocat de l'enfant quand il est poursuivi au pénal parce qu'il... Il a commis des délits, ou avocat d'enfant dans le divorce de leurs parents, ou encore avocat d'enfant de mineurs isolés, de mineurs non accompagnés, qui demandent un placement. Et aussi les avocats des enfants quand ils sont placés. Et professionnellement, là ça y est, je me suis vraiment trouvée, c'est assez chouette, c'est une période qui est bien. où je vois où je vais, où je vois où je veux aller, où je m'amuse beaucoup dans mon métier. En tout cas, professionnellement, je me sens à ma place, alors que ce n'était pas du tout le cas avant de partir en mission. Et ensuite, il y a d'autres fruits, mais alors ça, je trouve qu'il faut tout le temps se remettre dans la mission pour remettre les choses en place. C'est le rapport qu'on a aux autres, le rapport qu'on a aux plus pauvres. le rapport à la vie aussi, de garder cette gratitude et cette joie qu'on a en mission, qui sont très présentes dans les mois qui suivent, et puis ensuite ça disparaît un peu. Le fait de poser un regard plus aimant, plus positif, beaucoup plus chrétien sur les gens, sur la pauvreté, sur la misère, et de ne plus avoir ce regard jugeant qu'on peut avoir, même si les automatismes d'avant-mission, ça revient très vite, et il faut souvent, soit avoir des petites actions, soit... Avoir des moments de pensée où on se dit non là je suis pas bien, là c'est pas la personne que j'étais quand je suis revenue de mission, il faut que je me reprenne un peu en main.

  • Mathilde Hervouët

    On va finir par question courte, réponse courte. Complétez cette phrase, la personne humaine est...

  • Solange Pinilla

    C'est très banal mais je dirais pleine de surprises. Et ça je l'ai vraiment vécu en mission et je le reviens au quotidien dans mes dossiers où assez souvent on se dit waouh les gens sont fous mais ils sont aussi très attendrissants et très drôles, ils sont vraiment plein de surprises.

  • Mathilde Hervouët

    Une saveur que vous aimez ?

  • Solange Pinilla

    La papaye, qui a un goût très particulier, mais ça c'est mon petit geste pas écolo. Quand j'ai un coup de blouse, je vais acheter une papaye.

  • Mathilde Hervouët

    Une femme qui vous inspire ?

  • Solange Pinilla

    Spontanément, j'aurais dit Lucia, qui était la directrice de toutes les associations et conseillers qui avaient abandonné son travail pour se mettre vraiment au service de la favela. de sa ville et qui s'était même mise à dépenser toutes ses économies pour remonter association sur association et donner un peu toujours plus à ces jeunes et en sauver toujours plus et qui était incroyablement portée et par les jeunes et par sa foi et qui était extraordinaire.

  • Mathilde Hervouët

    Un moment qui vous ressource ?

  • Solange Pinilla

    Aller marcher seule. Au Brésil, c'était le long de la rivière. En France, c'est en rentrant du boulot à pied.

  • Mathilde Hervouët

    Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?

  • Solange Pinilla

    Ça c'est une question difficile je trouve. Je pense... La première chose je pense que c'est de lui dire merci. Parce que... Parce que la mission, ça m'a quand même réalisé à quel point j'avais eu de la chance dans la vie. Et à quel point le monde était beau et vraiment magnifique. Et que pour ça, il faut avoir beaucoup de gratitude.

  • Mathilde Hervouët

    Merci beaucoup, Mathilde. Et merci à toutes et à tous de nous avoir écoutés. Nous espérons que cette conversation vous a plu. Nous vous donnons rendez-vous sur le site de Zélie pour que vous puissiez vous abonner gratuitement si vous le souhaitez. Le lien est dans la présentation. Et à bientôt pour un nouvel épisode.

Description

Dans cet épisode du podcast de Zélie, nous partons au Brésil ! En 2019, Mathilde Hervouët quitte son poste d’avocate à Paris, pour y passer deux années dans une association qui aide les adolescentes enceintes de quartiers pauvres.

Quand l’ONG Fidesco, qui l’envoie comme volontaire, lui annonce qu’elle part au Brésil, elle est peu enthousiaste concernant ce choix. « En fait, c’est un pays merveilleux, nous raconte-t-elle. La terre est très rouge, le ciel très bleu, la verdure est très présente ! »

Dans ce podcast animé par Solange Pinilla, rédactrice en chef du magazine Zélie, Mathilde Hervouët se replonge dans ses souvenirs : des rencontres, un quotidien doté d’intensité, et bouleversé par la pandémie de Covid.

Avant de partir, elle avait peur de s’ennuyer intellectuellement en mission. « Là-bas, je me suis sentie tout le temps très animée, entraînée par des choses nouvelles, et avec la curiosité en éveil, explique-t-elle. Je me suis dit que lorsque je reviendrais dans la grisaille parisienne, cela allait être être vraiment difficile. »

Guidée par un souci de justice, éprise de liberté, Mathilde Hervouët nous raconte que sa foi a été bouleversée durant sa deuxième année de mission. Elle se confie sur les défis au Brésil, mais aussi en revenant en France, et sur les fruits qu’elle en retire aujourd’hui, trois ans après son retour.

Bonne écoute !

Découvrir le numéro de juillet-août 2024 > www.magazine-zelie.com/zelie97

S’abonner gratuitement à Zélie > www.magazine-zelie.com

En savoir plus sur Fidesco : https://www.fidesco.fr

(Musique d'ouverture : "The Return" d'Alexander Nakarada CC BY 4.0
Photo © Collection particulière)

Régie publicitaire : Tobie


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Solange Pinilla

    Bonjour à toutes et à tous, vous êtes sur le podcast de Zélie, où vous découvrez des conversations avec des femmes inspirées et inspirantes. Zélie est quant à lui un magazine numérique féminin chrétien que vous pouvez télécharger sur magazine-zélie.com. Dans le numéro de juillet-août 2024, nous parlons du thème Savourer la vie Quand nous nous levons le matin, est-ce que nous goûtons la joie d'être en vie ? La fatigue, les épreuves, les tâches quotidiennes nous font parfois perdre la légèreté et la joie de vivre l'instant présent. Dans le numéro, nous parlons de voir Dieu dans chaque chose et chaque être à l'école de Saint-François, de danses vitoses pour reposer son mental, des paysages pleins de joie de l'artiste-peintre Béatrice Rochegardy, du témoignage de Joël qui savoure la vie après deux embolis pulmonaires, Bref, je vous invite à télécharger gratuitement ce numéro, le lien est dans la description du podcast. Aujourd'hui, pour ce nouvel épisode de podcast, nous rencontrons Mathilde Hervouet, qui est partie deux années au Brésil en volontariat avec l'ONG Fidesco. Elle gérait une association de formation à la maternité pour les jeunes femmes enceintes des quartiers pauvres. Mathilde, bonjour !

  • Mathilde Hervouët

    Bonjour !

  • Solange Pinilla

    Pour commencer, quels étaient vos rêves de petite fille ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors quand j'étais petite fille, j'essaie de me souvenir, mais je pense que je rêvais de vivre à la campagne et d'être soit enseignante, plutôt institutrice en école primaire, parce que j'aimais bien l'école, soit d'être illustratrice et de dessiner pour des livres d'enfants.

  • Solange Pinilla

    Quel a été votre parcours professionnel jusqu'à votre départ pour le Brésil ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors quand je suis partie au Brésil, je travaillais depuis trois ans. J'étais avocate et je travaillais en propriété intellectuelle dans un cabinet à Paris, où je faisais surtout du droit de la musique. Et à côté, j'étais pas mal commis d'office pour des dossiers plus au pénal, donc je faisais des gardes à vue et un peu de comparution immédiate.

  • Solange Pinilla

    Alors pourquoi vouloir partir en volontariat alors que vous aviez une confortable situation professionnelle ?

  • Mathilde Hervouët

    Justement parce que c'était pas si confortable que ça je pense. A l'époque ça faisait du coup 3 ans, 2 ans que je travaillais quand j'ai décidé de partir, 3 ans quand je suis partie. Et je me reconnaissais pas du tout dans mon travail, je m'ennuyais en fait pas mal au cabinet. Le droit de la propriété intellectuelle c'était pas du tout mon truc. Et à côté de ça je pense que dans la vie parisienne il y a quelque chose qui me manquait, je me retrouvais plus vraiment dans le... dans cette vie et je me souviens rappelant de moi alors pas petite fille mais plus jeune en me disant que c'était pas du tout la vie que je voulais avoir à 27-28 ans et que du coup il fallait retrouver un nouvel élan et l'idée de la mission que

  • Solange Pinilla

    j'avais mise de côté qui m'avait pas mal tourné dans la tête quand j'avais 18-20 ans est revenue de plus en plus fort à ce moment là du coup qu'est-ce qui vous a amené à partir plutôt avec Fidesco ou

  • Mathilde Hervouët

    Alors, au tout début, je ne voulais pas du tout partir avec Fidesco, j'avais repéré une autre ONG qui faisait que de la réinsertion de jeunes des bidonvilles en Asie, et je m'étais dit que j'allais partir avec eux. Et puis, à ce moment-là, j'étais allée passer un week-end chez ma sœur qui partait juste après en mission Fidesco, avec son mari et deux enfants à l'époque, et qui m'avait donné les coordonnées d'une de ses amies qui était partie avec Fidesco détachée dans cette ONG. Et... L'ami en question m'avait posé quelques questions en me disant Est-ce que tu ne veux pas partir avec une ONG plutôt qu'à tôt ? Est-ce que tu es sûre que ce n'est pas important pour toi ? Et combien de temps tu veux partir ? Est-ce que tu es sûre de vouloir vraiment décider de ta mission ou te laisser un peu porter ? Et en fait, ça m'avait beaucoup travaillé, et notamment le fait de choisir sa mission. Et plus je réfléchissais, plus je me disais que partir deux ans, c'était mieux que partir un an. Et que partir avec Fidesco, où on ne choisit pas sa mission et on ne choisit pas son pays de destination, c'était finalement ce qui allait être plus beau, quelque chose de très beau dans la démarche de mission, puisqu'on est dans un lâcher-prise un peu complet en mission. Et ne pas choisir sa mission, c'est... En fait, toute ma mission, je me suis dit que ça avait été une grande chance.

  • Solange Pinilla

    Justement, comment est-ce que vous avez appris que vous partiez au Brésil ?

  • Mathilde Hervouët

    Je me souviens de ce moment très bien parce que c'était en décembre, il faisait très froid. Et j'attendais, je savais que j'allais partir, mais j'attendais de savoir où. Et j'ai vu que Fidesco m'appelait et que c'était la responsable de l'Amérique latine qui m'appelait. Et du coup moi je m'étais projetée beaucoup en Asie au début quand j'ai décidé de partir en mission. Et puis quand j'ai décidé de partir avec Fidesco je m'étais projetée beaucoup en Afrique parce que Fidesco envoyait beaucoup en Afrique. Et à aucun moment je m'étais projetée en Amérique Latine et j'avais pas du tout envie d'aller en Amérique Latine. J'avais pas du tout envie d'aller au Brésil parce que le portugais ça me paraissait... Enfin je voyais pas trop l'intérêt d'apprendre le portugais, le pays était immense. Vraiment le Brésil ça a été un grand moment de déception quand ils m'ont appris que je partais au Brésil. Donc... Pas du tout, j'étais pas du tout emballée par l'idée. Et puis en fait j'ai adoré ce pays et ça a été un pays merveilleux.

  • Solange Pinilla

    Du coup vous avez appris le portugais ?

  • Mathilde Hervouët

    Du coup ça, ça a été un des grands défis de la mission. J'avais fait un peu de Duolingo et de méthode à 6 000 avant de partir, mais je l'ai appris à l'oreille et j'ai pas une bonne oreille. Je l'ai appris sur place surtout. Ça a été assez difficile au début. Et je me suis pris une belle claque parce qu'apprendre une langue adulte, c'est vraiment pas du tout pareil que de l'apprendre enfant. Et donc, difficile.

  • Solange Pinilla

    Alors, racontez-nous le jour de votre arrivée à Redensao, je ne sais pas si je prononce bien, dans l'état du Para, dans le nord du Brésil.

  • Mathilde Hervouët

    Redensao, ça se prononce avec une sonorité un peu nasale comme le portugais. C'est très nasale comme langue. Alors Reden-San c'est au milieu de nulle part, c'est vraiment très très loin de tout. Du coup c'était à peu près deux jours de voyage pour arriver. Et je me souviens avant d'arriver à Reden-San de changer d'avion à l'aéroport de Sao Paulo. Et là je prenais un deuxième avion, c'est la seule fois de ma vie que ça m'est arrivé, qui faisait un peu l'omnibus, donc en fait il y avait plein de petits arrêts. Avant l'arrêt à Palmas qui était encore à 8h de route de Reden-San. Et donc j'étais montée dans l'avion. Complètement au hasard, en me disant je suis vraiment pas sûre que ce soit cet avion là, parce que la destination n'est pas la bonne, mais c'est le seul horaire qui correspond dans l'aéroport. Donc a priori c'est ça. Et puis j'étais descendue à Palmas, et là j'avais mis mon t-shirt Fidesco en me disant il faut quand même que je retrouve le partenaire Fidesco dans l'aéroport, ça risque d'être compliqué. Et en fait c'était un aéroport absolument minuscule, où on était trois à descendre de l'avion à ce moment là, et il n'y avait qu'une seule personne qui attendait quelqu'un, donc vraiment aucune difficulté. Et ensuite il faisait très très chaud, on avait roulé du coup 6 heures pour arriver non pas à Reden-San mais à Conseil-San, qui est la ville d'à côté où on œuvrait aussi beaucoup, et où j'avais retrouvé les co-volontaires Fidesco qui étaient à Conseil-San pour deux jours. Du coup on avait passé deux jours sur place à Conseil-San avant que j'arrive enfin à Reden-San. Et là, j'étais arrivée, j'avais découvert la maison, la ville, la rue en terre battue. Il faisait très chaud. Il y avait beaucoup de lumière et des couleurs très fortes. Les couleurs sont très saturées là où j'habitais. Et c'est quelque chose qui m'avait marquée à mon arrivée. La terre est très rouge, le ciel est très bleu. Et il y a beaucoup de verdure et le tout donne une impression vraiment très saturée.

  • Solange Pinilla

    Alors, quelles étaient vos missions sur place ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors sur place j'ai été coordinatrice de projet social il me semble et en fait il y avait à peu près trois casquettes je dirais à ma mission. La première c'était de gérer l'association qui était une association de formation pour les ados enceintes et les jeunes mères des quartiers pauvres de la ville. Donc là il y avait toute une partie comptabilité, communication, mise en place de partenariats, recherche de fonds, tout ça. Il y avait toute une partie animation et formation, animation d'atelier. On enseignait aux jeunes filles à faire de la couture. Elles cousaient tout le trousseau de leur bébé. Des petits vêtements, des serviettes, des linges, des draps pour l'enfant. Et troisième partie, c'était une casquette un peu plus assistante sociale. Là, on faisait des visites à domicile. On essayait d'aller voir chaque jeune fille deux fois. Une fois pendant sa grossesse et une fois juste après son accouchement, chez elles. Elles n'habitaient pas du tout dans l'association. On les accueillait vraiment une journée, un après-midi par semaine. Et on était sur cinq villes différentes de la région.

  • Solange Pinilla

    Cette association a été créée par qui ?

  • Mathilde Hervouët

    L'association s'appelait Sonia Jimay, ce qui veut dire rêve de maman en portugais. Elle avait été créée au début à Salvador, dans la Bahia, vraiment dans une autre région du Brésil, par des volontaires fidesco qui étaient au début dans la Bahia, avec l'évêque local qui était à l'époque prêtre dans une favela. de Salvador et ensuite il a été nommé prêtre dans le Pará, donc vraiment dans cette région très excentrée, très au milieu de nulle part. Et quand il est arrivé dans le Pará, il a amené avec lui l'idée de l'association qui s'est remontée très très vite dans le Pará, donc au début des années 2000, vers 2008 je crois, avec des volontaires fidesco qui sont venus très vite lui prêter main forte et qui se relaient depuis… Plus de 15 ans maintenant à Redencent et un peu partout dans le Parrain.

  • Solange Pinilla

    D'ailleurs, je me disais qu'en France, vous êtes avocate et au Brésil, vous aidiez des femmes enceintes en difficulté. Alors, le point commun, c'est peut-être le souci de justice. Qu'est-ce que vous en pensez ?

  • Mathilde Hervouët

    Oui, je crois que le désert de justice, c'est quelque chose qui anime beaucoup et qui nous fait vraiment porter des projets. avec beaucoup de cœur je dirais, et je retrouve des parallèles entre mon métier d'aujourd'hui puisque je suis redevenue avocate, mais en droit de la famille, et parfois on a des dossiers, plusieurs fois on a eu des dossiers de femmes enceintes qui vivaient des violences conjugales et qui partaient enceintes, et pour lesquelles je retrouvais vraiment ces petites jeunes filles du para qu'on accompagnait dans des moments tellement particuliers et tellement sensibles de leur vie.

  • Solange Pinilla

    Qu'est-ce que vous avez le plus aimé de cette mission ? N'hésitez pas à raconter des anecdotes.

  • Mathilde Hervouët

    Je pense que ce que j'ai le plus aimé de cette mission, c'est d'avoir appris à lâcher prise complètement et à me faire modeler par la différence, par les rencontres qui ont été faites, ce que j'ai pu faire là-bas. Je me souviens, au bout d'un an de mission à peu près, je me suis dit en fait je comprends que je comprends rien et que je comprendrais jamais rien à leur culture qui est tellement différente de la nôtre, mais c'est ça qui est extraordinaire et c'est ça qui est merveilleux. Et pendant toute cette deuxième année de mission, je m'ai sentie extrêmement portée par la curiosité qui en éveille tout le temps, tout le temps quand on est en mission, parce que tout est différent de ce qu'on vit, toutes les sensations, toutes les couleurs, les goûts. les choses auxquelles on est confronté au quotidien, tout est différent et on est dans cette vie vraiment très très haute en couleurs. Et je me souviens de quelque chose où... qui me portait beaucoup là-bas et où je me disais le retour va être difficile et qui était très paradoxal, c'est que là-bas du coup j'étais vraiment la vie était, la vie de mission c'est l'émotion tout le temps alors parfois c'est lourd parce que je pense que j'ai jamais autant pleuré dans ma vie que quand j'étais en mission, mais aussi rarement autant ri et tout avait pas mal de sens Et je me souvenais qu'avant de partir en mission, je m'étais dit j'ai peur de m'ennuyer en mission parce que je vais quitter un job super intellectuel, une avocate, je vais quitter une vie parisienne où on a une offre culturelle énorme, où j'ai mes amis, j'ai finalement une vie qui est très riche, pour aller au fin fond de la campagne dans une ville où culturellement il n'y avait vraiment rien à faire, puis en plus ça a été le Covid donc il y avait encore moins de choses à faire. et faire un job d'assistante sociale où je risque de vraiment m'ennuyer. Et en fait, ça a été tout le contraire. Je me suis sentie tout le temps hyper animée, hyper entraînée par des choses nouvelles, et avec la curiosité en éveil en permanence. Et je me suis dit, mais quand je vais rentrer, ça va être terrible, parce que je vais revenir dans la grisaille parisienne, dans le train-train quotidien. Ça va être vraiment difficile.

  • Solange Pinilla

    Et justement, quand on part en mission, on perd ses repères habituels complètement. Et du coup, comment est-ce qu'on arrive à se recréer de nouveaux repères ?

  • Mathilde Hervouët

    Au début, c'est un vrai défi, les premiers mois. Parce que, je me souviens, j'essayais de recalquer un peu mes habitudes parisiennes là-bas, puis ça ne marche pas. Et finalement, au fur et à mesure, j'avais trouvé ce qui me convenait quand j'avais des... Des moments où j'avais besoin de ressources, et Fidesco insista là-dessus avant qu'on parte aussi, en disant vraiment Trouvez vos moments et vos personnes ressources pour l'écoute blues Et moi j'avais des choses assez simples, j'allais marcher, beaucoup, parce que c'est quelque chose qui me ressource énormément. Donc j'allais me promener dans la ville, j'étais partie avec une liseuse, et ça c'est formidable parce que j'avais une bibliothèque gigantesque. Et ça pareil c'était très important. J'écoutais beaucoup de musique française et notamment la deuxième année puisque la deuxième année c'était la pandémie. Donc tous les français avaient fichu le camp du coup j'étais complètement seule. Et parfois la musicalité de la langue me manquait. Et je cuisinais beaucoup. J'avais appris à cuisiner un peu brésilien puis je faisais des mélanges avec la cuisine française. Et quand j'avais un coup de mou, je cuisinais en musique. Et ensuite, je m'étais fait quand même quelques très très bons amis, qui ont été des vraies personnes ressources là-bas, et des gens très variés. et parce que j'avais à la fois mes amis de l'association, avec qui j'allais partager les moments durs de l'association, et avec qui, je pense un peu comme tous les gens, quand on a des vies qui ne sont pas évidentes, et qu'on a des récits au quotidien qui sont lourds, on en rigole beaucoup, et on rigole de choses très lourdes, mais c'était très important. Puis à côté de ça, j'avais des amis qui étaient plus... J'avais une amie qui était l'équipement de ma meilleure amie en France, avec qui j'allais boire des bières quand j'avais un moment libre. avec qui j'allais aller faire les boutiques et sortir, et à qui j'allais raconter mes vacances et raconter ma vie. Et pareil, c'était quelqu'un de super important pour moi là-bas, parce que ça normalisait un peu ma vie.

  • Solange Pinilla

    À quel défi vous avez été particulièrement confrontés ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors, il y en a eu beaucoup, j'ai trouvé. Le premier, c'est la langue, on l'a déjà évoqué. Le deuxième, ça a été la pandémie, qui a complètement rabattu les cartes et bouleversé tout ce qui était prévu. Le troisième ça a été la vie quotidienne dans une maison où il faut se retrouver. Au début la vie de colocation parce que je travaillais et j'habitais avec les volontaires fidesco. Dans une maison on n'avait pas du tout d'intimité, il y avait un toit mais pas de plafond donc tout communiquait. On avait un peu de colère. Et ça, ça a été un vrai défi aussi, de trouver un équilibre entre nous. Dans les défis aussi, je dirais le rapport à la violence, qui n'est pas du tout le même là-bas qu'ici. Il y a une violence diffuse, et au début moi ça me faisait peur, et puis finalement j'ai eu toute une phase où j'étais dans le déni complet, et puis finalement je m'y suis un peu plus heurtée, et à la fin j'avais trouvé un bon équilibre. Je trouvais de ne pas en avoir trop peur, mais de ne pas non plus faire n'importe quoi. Il y avait aussi un vrai défi dans le fait de comprendre la mission et de comprendre à quoi on servait sur place. Et je pense qu'il y a une dimension du serviteur inutile la première année de mission qui est très forte. Puisque j'étais arrivée là en ne parlant pas cette langue, en ne comprenant pas vraiment à quoi servait la mission, à quoi ça servait d'apprendre la couture à ces ados qui étaient enceintes. et souvent qui revenaient un an après, qui avaient eu leur premier enfant à 14-15 ans, qui allaient revenir à 16-17 ans pour avoir un deuxième enfant. Et on se disait, mais en fait, si on... Enfin, mon premier réflexe de française, c'était de me dire, mais si elles étaient formées à la contraception, finalement, cette mission ne servirait à rien. Et c'était très difficile de trouver... Enfin, c'était difficile en tout cas au début de trouver... de trouver ma place. Et puis, au fur et à mesure des rencontres et de la mission, j'ai compris que la contraception, c'était une question très française, que la maternité de ces jeunes allait très au-delà de la question de la contraception, que la plupart de ces filles, elles étaient là parce qu'elles voulaient être mères, que leur grossesse était très souvent désirée, et que les accompagner, ça dépassait vraiment totalement la question de la contraception, qui était finalement un jugement qui était posé. qu'est notre jugement français, qu'à 15 ans on n'est pas apte à devenir mère, et qu'en fait il fallait le dépasser. Mais ça, ça prenait beaucoup de temps, et ça a été un vrai défi. Et ensuite il y a tous les petits défis de la vie quotidienne là-bas, la chaleur, il fait 35 degrés toute l'année, et c'est pas facile. La conduite, on avait une mission qui était sur 5 villes différentes, j'avais une voiture là-bas, il fallait conduire, moi je suis une vraie parisienne, j'ai passé mon permis à 25 ans, j'ai pas reconduit avant d'arriver en mission, je ne savais absolument pas conduire, j'étais un danger public, et du coup il est route. Les brésiliennes n'ont rien à voir avec la route française, et ça c'était un vrai défi en arrivant. Et chose que je n'aurais jamais imaginée, conduire est devenu un vrai plaisir et un vrai moment de détente à la fin de la mission. Je me détendais en prenant le volant, et ça c'était une des petites grâces de la mission.

  • Solange Pinilla

    Qu'est-ce qui vous a marqué au Brésil, qui est une culture différente de la nôtre, et puis en plus vous étiez dans un milieu social encore bien particulier également ?

  • Mathilde Hervouët

    La première chose qui m'a marquée, je pense, c'est la joie des Brésiliens, qui se lamentent jamais, qui ne sont pas du tout dans la plainte, même quand leurs vies sont très dures, effectivement. La deuxième chose qui m'a marquée, je dirais, c'est leur manière de lâcher prise. Quand ils parlent, toutes leurs phrases sont toujours ponctuées par deux phrases qui reviennent tout le temps, c'est si Deus quiser donc si Dieu le veut et grâce à sa Deus qui est grâce à Dieu et leur vie a beau être difficile, ils sont dans ce lâcher prise et dans cette joie quotidienne et les choses sont comme ça parce que Dieu l'a voulu ou les choses sont comme ça grâce à Dieu et ça, nous français, très cartésiens, très dans la raison et dans la maîtrise c'est assez bluffant de voir ça et c'est quelque chose à garder derrière

  • Solange Pinilla

    Est-ce que vous pourriez nous raconter une rencontre qui vous a particulièrement marquée ?

  • Mathilde Hervouët

    La rencontre c'est vraiment le cœur de la mission, il y en a eu beaucoup. Mais dans celles qui m'ont le plus marquée, je pense à Bia, Béatrice qu'on appelait tous Bia, qui est une jeune femme que j'avais accueillie au projet à l'association. Je la rencontrais en l'accueillant à l'association, elle était enceinte, elle attendait son troisième enfant. Elle n'était pas toute toute jeune par rapport aux autres, elle avait 24 ans, il me semble, quand elle est arrivée. Et c'est une fille qui avait une vie difficile, elle avait perdu ses parents assez jeunes. Elle avait une sœur qui avait un handicap mental assez lourd. Sa mère était morte quand elle avait 15 ans, son père quand elle avait 20 ans. Et du coup, elle s'était retrouvée toute seule à gérer sa sœur. Et en plus, à la mort de son père, elle venait d'accoucher de sa première fille, quand elle avait 20 ans à peu près, qui n'avait pas de père. Donc elle avait découvert enceinte que le père avait en réalité une vie de famille ailleurs. qui n'avait pas reconnu la petite, et ensuite elle avait rencontré quelqu'un d'autre, elle avait eu deux enfants avec lui, puis au moment où elle arrivait à l'association, elle attendait le deuxième, elle était plus ou moins en train de se séparer de lui. Et donc la vie était assez difficile. Et en même temps, il y avait une douceur qui émanait de cette fille qui était très forte. C'est une fille qui était d'une beauté que moi je trouvais très très belle. Parce qu'elle dégageait vraiment quelque chose de très apaisé. Elle avait conscience que sa vie était difficile. Et elle n'était pas du tout dans le déni de ses difficultés. Mais en même temps, elle gérait sa vie de famille d'une manière qui était hyper admirable. Ses enfants, il n'y avait jamais un mot au-dessus de l'autre, il n'y avait jamais une paire de claques qui partait, sa maison était à peu près propre, ses enfants étaient toujours nickels. Et pareil avec sa sœur, il n'y avait jamais un moment d'impatience alors que tout ça était vraiment difficile. Et elle est venue à l'association pendant toute sa grossesse et puis à la fin quand elle a accouché de son petit garçon. Donc elle avait une petite fille et deux petits garçons. Elle a continué à venir et cette fois elle est devenue bénévole à l'association parce qu'elle avait besoin je pense de continuer à être entourée et parce qu'elle trouvait quelque chose à l'association. Et aussi parce qu'elle transmettait quelque chose aux filles qui était vraiment très beau. Elle était hyper méticuleuse, elle cousait super bien. Et ensuite on l'avait fait un peu évoluer et intégrer le reste de l'association parce qu'on avait aussi à Consection, là où elle habitait, il y avait tout un... un tissu associatif assez important. Et on s'était dit qu'on allait la former au secrétariat. Après, moi, je suis partie et j'ai gardé contact avec elle de loin. Je ne sais pas comment les choses ont évolué, mais cette rencontre m'a beaucoup marquée parce que cette fille avait cette vie qui était difficile et elle dégageait quelque chose de tellement paisible et de tellement doux. C'était vraiment très beau.

  • Solange Pinilla

    Vous êtes partie de 2019 à 2021, donc en pleine pandémie de... En pleine pandémie de Covid, quel a été l'impact de celle-ci pour vous ?

  • Mathilde Hervouët

    La pandémie, ça a été à la fois un vrai défi et une vraie chance. Un vrai défi au début, quand elle est arrivée en mars 2020, on a commencé par fermer l'association, parce que tout a fermé dans le Paras à ce moment-là, comme partout dans le monde. On a fermé les églises, on a fermé les boutiques, ça a duré quelques jours. Et puis finalement, la vie a commencé à reprendre un petit peu, alors que le virus n'était pas encore arrivé. Nous à l'association on a resté fermé pendant six mois, donc pendant six mois on n'a pas fait d'atelier. Et le premier mois, moi j'étais partie m'installer à Conseil 100 chez l'évêque avec d'autres volontaires qui étaient encore là. Et puis ma co-volontaire Fidesco, on était deux à ce moment-là à Fidesco, au tout début a dit qu'elle rentrait, elle était portugaise, qu'elle rentrait au Portugal. Donc elle est partie très vite, dès le mois de mars. Et on était encore deux français à ce moment-là, il y avait un séminariste. qui était volontaire d'ECC et qui était un très bon copain. Et puis au bout d'un mois, il a dit qu'il partait aussi. Et du coup, là, je me suis retrouvée toute seule au Brésil. Son départ a été hyper dur. Au même moment, il y avait deux volontaires brésiliens, enfin une volontaire brésilienne et un séminariste brésilien qui ont dit l'un et l'autre qu'ils rentraient chez eux. On était tous à Conseil 100 ensemble. Et moi, je suis rentrée. J'ai dit que je rentrais chez moi et que je rouvrais ma maison. où on m'avait dit que je ne pouvais pas vivre toute seule là-bas parce que c'était trop dangereux. Et puis en fait, ça faisait un mois que j'étais à Conseil 100 et que je tournais en rond. Et du coup, je suis rentrée chez moi, j'ai rouvert ma maison, et j'ai fait la même chose que ce que faisait tout le monde un peu partout dans le monde. Je me suis mise en télétravail, et je m'étais dit qu'en fait, on pouvait très bien remonter quelque chose avec au moins les filles de Red Sun, les filles de ma ville. en leur apportant à chacune à domicile le tissu et le matériel pour coudre. J'avais une voiture et du coup, avec une autre volontaire qui était jeune, on a monté des tutos couture qu'on a diffusés sur les réseaux sociaux de l'association. Et puis après, on a fait des découpes de tissu nous-mêmes avec une autre volontaire dont j'étais proche. Et ensuite, on a apporté aux filles, à chacune, le matériel pour coudre à la maison. Et puis, elles préparaient les choses, elles épinglaient, elles cousaient. à l'aiguille et ensuite je passais chez elles récupérer ce qu'elles avaient préparé et je les remenais chez les volontaires qui avaient des machines à coudre et qui passaient à la machine à coudre. Ça, ça a duré six mois. Au bout de deux mois, j'ai été rejointe par Mariana, qui était une volontaire brésilienne avec qui j'avais été confinée le premier mois à Conseil 100, qui est venue habiter pendant deux mois à la maison. Là, ça a été une période géniale de mission. Parce que pendant deux mois, on a fait la même chose et puis finalement on a accueilli des jeunes brésiliennes à la maison. On a remonté l'association ensemble petit à petit. Et puis en septembre, on a rouvert l'association à Redencent et à Conseil 100. Et puis Mariana est retournée à Conseil 100 là où elle habitait elle avec les jeunes. Elle s'occupait d'une autre association. Et moi j'ai continué seule pendant un an encore. Et je me suis dit que finalement, vivre la pandémie sur place, ça avait été une chance immense. D'abord parce que je n'ai jamais été vraiment confinée, et que je vous voyais en France, et ça me terrifiait. Je m'étais dit que je n'aurais jamais réussi à être enfermée chez moi pendant deux ou trois mois. J'aurais tourné en rond et je supporte très mal d'être enfermée. Et en plus, ce qui m'a fait très peur au début, c'est-à-dire de me retrouver toute seule au milieu de nulle part dans la pampa brésilienne. Finalement, ça a été une chance gigantesque. Parce que quand il n'y avait plus de français du tout, il y a les dernières barrières qui pour moi ont complètement sauté. D'abord mon niveau de brésilien, de portugais a décollé à ce moment-là. La langue est devenue fluide parce que j'habitais avec des brésiliens, parce que je ne parlais plus que brésilien. Toutes les petites tentations qu'on peut avoir de juger, de comparer, j'avais plus personne avec qui le faire. Du coup tout ça parait que ça a complètement disparu. Et ça m'a ouvert des portes complètement nouvelles et une nouvelle vision sur la mission. Et je me suis souvent dit qu'en fait on... se retrouver dans un univers où on ne croise pas un seul français, à part l'évêque local qui était français, mais qui vit au Brésil depuis 30 ans, et qui n'est plus vraiment français, pas tout à fait brésilien non plus, puis on se parlait en portugais ensemble et on ne se voyait pas très souvent, mais vivre loin de la France et ne pas croiser un français pendant des mois et des mois, c'est quelque chose qui n'arrive plus aujourd'hui, et en fait c'est une chance assez folle. Après, j'ai vu les volontaires fidesco de Salvador, où on a passé des vacances ensemble deux fois. Mais sinon, à chaque fois qu'on se quittait, pendant 3, 4, 5 mois, je voyais plus de Français. Et en fait, c'était assez génial.

  • Solange Pinilla

    En quoi votre foi a-t-elle été marquée par cette expérience de volontariat au Brésil ?

  • Mathilde Hervouët

    Ça, je pense que c'est un des aspects sur lesquels ma vie a été assez bouleversée. Il y a vraiment un avant et un après mission. Quand je suis partie en mission, c'est ce que je disais au début, au début je ne pensais pas partir avec une ONG catholique, je pensais partir avec une ONG laïque, et la question que m'avait posée Agathe, l'amie de ma soeur, en me disant t'es sûre que c'est pas important pour toi ? je me suis dit oh, moi j'ai grandi dans une famille catholique, mais à ce moment-là, j'étais assez éloignée de la foi, je pratiquais un peu de temps en temps par habitude, mais ça ne me parlait plus vraiment. Et puis quand Agathe m'a dit est-ce que tu es sûre que tu ne veux pas partir avec une ONG catholique ? Ça m'a un peu travaillée. Et je me suis dit que c'était peut-être la dernière chance que je donnais à l'Église. C'est un peu nul de dire ça, mais je m'étais dit bon, je reviens de mission, soit je tourne vraiment le dos, soit il s'est passé quelque chose et je me ferai confirmer, parce que je n'étais pas confirmée, et je retourne, j'y reviens. La première année, ça a été très dur parce qu'en mission Fidesco, on est vraiment au cœur de l'Église. On est tout le temps avec des bonnes sœurs, avec des prêtres. Et moi, c'était beaucoup trop pour moi. Et du coup, je saturais beaucoup. J'étais pas du tout au même niveau que mes binômes sur la vie de foi, enfin, vraiment, ça a été quelque chose de difficile. Et puis quand je me suis retrouvée toute seule là-bas, avec du coup mon pote qui venait de partir, et plus grand monde à qui me confier, et avec un énorme doute sur le fait de continuer ou de rentrer en France, puisque j'avais mes parents qui me mettaient à la pression pour que je revienne en France, enfin, rien n'allait. Là, finalement, il ne me restait plus trop que la prière, et du coup, je me suis mise à prier. Et cette deuxième année, j'ai rencontré aussi des gens qui avaient une foi extraordinaire. Je pense à la directrice de l'association qui est vraiment portée par sa foi. Et ça, ça m'avait quand même beaucoup interpellée. Elle est portée par quelque chose de supérieur, elle a quelque chose, waouh, c'est beau. Et dans sa vie, c'est un pilier. J'aimerais bien trouver ça aussi. Et puis mon regard sur l'église a changé aussi à ce moment-là, où je me suis dit en fait, parce que du coup j'avais toute cette saturation de l'église, et puis quand on est aussi proche de l'église, je pense qu'on voit l'église dans tout ce qu'elle a de beau, mais on la voit aussi et surtout dans tout ce qu'elle a de pauvre, dans toutes ses pauvretés, dans toutes ses limites, dans toutes ses petites mesquineries, et dans vraiment toutes ses limites.

  • Solange Pinilla

    Et ça c'est assez douloureux aussi. Et à ce moment-là de ma mission, je vois tout ça, et je m'étais dit, en fait, toutes ces pauvretés, c'est aussi ce qui fait la beauté de l'Église, parce qu'elle est quand même très humaine. Donc toute cette difficulté-là avait petit à petit disparu. Et finalement, je fais mon petit cheminement de foi toute ma deuxième année de mission, et je me suis fait confirmer, juste avant de revenir en France, en... En juin 2021, et aujourd'hui la foi est quelque chose qui est très important dans ma vie et qui est vraiment assez centrale. Et ça c'est une des grâces de la mission pour moi qui est immense, parce que sinon je pense que j'aurais juste arrêté, j'aurais juste complètement arrêté sans la mission.

  • Mathilde Hervouët

    Comment s'est passé justement le retour en France ? On dit souvent que c'est difficile d'atterrir et surtout de partager ce qu'on a vécu.

  • Solange Pinilla

    Oui je confirme, le retour est difficile. Le retour je pense que c'était particulièrement difficile en 2021, parce que je suis arrivée en août 2021. C'est la semaine d'entrée en vigueur du pass sanitaire. Je me suis retrouvée confinée, j'ai eu une quarantaine de 10 jours obligatoires. Donc je suis vraiment passée déjà très brutalement de l'immensité du Brésil, où j'avais une liberté gigantesque, j'avais ma voiture. Le Brésil c'est immense comme pays. Je voyageais tout le temps, j'étais tout le temps entre plusieurs villes. Je faisais des rencontres tout le temps et là d'un coup, très brutalement, je me suis retrouvée dans un studio parisien de moins de 30 mètres carrés avec interdiction de voir qui que ce soit pendant 10 jours. Ça a été super brutal. Et puis ensuite, il y a tout l'après, tout le fait de se réaccoutumer à la France. Et ça, c'est assez violent effectivement parce qu'on retrouve la vie qu'on avait avant. qui est notre vie, qui est une vie que moi j'aimais bien quelque part, dans laquelle j'aurais dû pouvoir me retrouver assez vite, puis en même temps les choses sont assez inconfortables, parce qu'on n'est pas tout à fait la même. Et puis j'arrivais en post-Covid, donc les gens n'étaient pas tout à fait les mêmes non plus. Il y avait vraiment un avant et un après 2020. Et du coup en arrivant... Il y avait beaucoup de défis à relever. Alors moi j'avais trouvé un truc qui a été plutôt pas mal, c'est que je... Je suis arrivée du coup mi-août et je suis repartie fin août donc très très vite en ayant vu Pag en monde. Et je suis allée marcher pendant deux mois, j'ai fait le chemin de Saint-Jacques. Et ça m'a permis pendant ces deux mois d'évacuer beaucoup de la colère qui était là. Parce que ça je crois que la colère du retour de mission c'est une des premières émotions qu'on a. On est très très en colère contre l'injustice avec plein de petits éléments qui nous révoltent. Ça va être... Le fait qu'on va faire la vaisselle à l'eau potable alors que la moitié de l'humanité manque d'eau potable. Nous, on arrose nos plantes à l'eau potable, nos chaseaux c'est de l'eau potable. Franchement, ça c'est révoltant. Ça va être le fait qu'on gaspille une nourriture incroyable alors qu'il y a plein de gens qui crèvent de faim. Et tout ça, ça m'est très très en colère. Et puis ensuite, il y a tout le décalage avec les copains et avec la famille. Et ça, c'est assez difficile aussi. Moi je me souviens qu'avant de partir en mission, le retour me faisait déjà peur. Et je m'étais dit avant de partir, surtout quand tu reviens, tu ne juges pas les gens. Parce que c'est nul de juger, c'est trop facile de se dire, ouais ils sont comme ci, ils sont comme ça. Et puis je suis revenue de mission et je me suis vu juger les gens et c'était super dur à accepter. Et du coup j'ai essayé de m'en détacher mais c'était pas évident. Et puis il y a un vrai décalage qui se fait où... Ce qu'il y a de plus beau en mission finalement c'est les rencontres et c'est aussi ce qu'il y a de plus difficile à raconter. C'est difficile de parler de la réalité de la vie là-bas en étant juste, en trouvant les mots qui reflètent vraiment ce qui est vécu. C'est assez facile de tomber dans le pâteau, c'est nul, c'est pas ce que je cherchais. Et du coup j'avoue que c'était pas hyper... Ce n'était pas forcément hyper adapté, mais le plus facile c'était de raconter mes voyages là-bas. Alors j'ai beaucoup raconté mes vacances. J'ai beaucoup raconté mes vacances à Rio. J'ai beaucoup raconté aussi un peu de ma vie quotidienne, l'état de la route, ce qu'on trouvait au supermarché, plutôt que de rentrer dans le concret de la mission. Et dans le cœur de la mission, parce que c'est beaucoup plus difficile d'en parler. Et en même temps, j'étais très frustrée, parce que souvent les copains me disaient Alors c'était bien ton voyage ? Et je me suis dit, ça ne peut pas être du tout un voyage. C'était deux ans et demi de ma vie et c'était la vraie vie, ce n'était pas un voyage. Donc tout ce petit décalage-là qui m'est... qui est assez douloureux et qui me met plusieurs mois avant de s'apaiser. Et puis au bout d'un an à peu près, je dirais en septembre 2022, ça faisait un an que j'étais arrivée, ça faisait six mois que je travaillais, quatre mois que je retravaillais, il y a eu un moment où je me suis dit tiens ça y est, les choses sont apaisées, je peux repenser au Brésil sans que ce soit douloureux, ça ne me manque plus. Je pourrais même envisager de commencer à relire mes notes de là-bas et à trier mes photos.

  • Mathilde Hervouët

    Quel fruit vous avez reçu de cette expérience depuis que vous êtes revenue ? Donc maintenant il y a près de trois ans.

  • Solange Pinilla

    Il y en a eu beaucoup, il y en a eu quelques-uns qui sont arrivés très vite. Il y a eu la foi déjà, vraiment. Dans ma vie spirituelle, il y a un avant et un après. Professionnellement, les choses ont beaucoup changé aussi. Parce que quand je suis revenue de mission, j'ai été très perdue sur ce que j'allais faire après. Ça n'a pas duré longtemps, mais pendant quelques mois, je me disais avocate mais alors plus jamais c'est terminé. Et puis finalement, j'y suis revenue. Je suis redevenue avocate, mais j'ai changé de matière et aujourd'hui, je fais du droit de la famille. Et je suis en train d'intégrer l'antenne des mineurs, donc pour être avocat d'enfant, ou donc m'occuper d'être l'avocat de l'enfant quand il est poursuivi au pénal parce qu'il... Il a commis des délits, ou avocat d'enfant dans le divorce de leurs parents, ou encore avocat d'enfant de mineurs isolés, de mineurs non accompagnés, qui demandent un placement. Et aussi les avocats des enfants quand ils sont placés. Et professionnellement, là ça y est, je me suis vraiment trouvée, c'est assez chouette, c'est une période qui est bien. où je vois où je vais, où je vois où je veux aller, où je m'amuse beaucoup dans mon métier. En tout cas, professionnellement, je me sens à ma place, alors que ce n'était pas du tout le cas avant de partir en mission. Et ensuite, il y a d'autres fruits, mais alors ça, je trouve qu'il faut tout le temps se remettre dans la mission pour remettre les choses en place. C'est le rapport qu'on a aux autres, le rapport qu'on a aux plus pauvres. le rapport à la vie aussi, de garder cette gratitude et cette joie qu'on a en mission, qui sont très présentes dans les mois qui suivent, et puis ensuite ça disparaît un peu. Le fait de poser un regard plus aimant, plus positif, beaucoup plus chrétien sur les gens, sur la pauvreté, sur la misère, et de ne plus avoir ce regard jugeant qu'on peut avoir, même si les automatismes d'avant-mission, ça revient très vite, et il faut souvent, soit avoir des petites actions, soit... Avoir des moments de pensée où on se dit non là je suis pas bien, là c'est pas la personne que j'étais quand je suis revenue de mission, il faut que je me reprenne un peu en main.

  • Mathilde Hervouët

    On va finir par question courte, réponse courte. Complétez cette phrase, la personne humaine est...

  • Solange Pinilla

    C'est très banal mais je dirais pleine de surprises. Et ça je l'ai vraiment vécu en mission et je le reviens au quotidien dans mes dossiers où assez souvent on se dit waouh les gens sont fous mais ils sont aussi très attendrissants et très drôles, ils sont vraiment plein de surprises.

  • Mathilde Hervouët

    Une saveur que vous aimez ?

  • Solange Pinilla

    La papaye, qui a un goût très particulier, mais ça c'est mon petit geste pas écolo. Quand j'ai un coup de blouse, je vais acheter une papaye.

  • Mathilde Hervouët

    Une femme qui vous inspire ?

  • Solange Pinilla

    Spontanément, j'aurais dit Lucia, qui était la directrice de toutes les associations et conseillers qui avaient abandonné son travail pour se mettre vraiment au service de la favela. de sa ville et qui s'était même mise à dépenser toutes ses économies pour remonter association sur association et donner un peu toujours plus à ces jeunes et en sauver toujours plus et qui était incroyablement portée et par les jeunes et par sa foi et qui était extraordinaire.

  • Mathilde Hervouët

    Un moment qui vous ressource ?

  • Solange Pinilla

    Aller marcher seule. Au Brésil, c'était le long de la rivière. En France, c'est en rentrant du boulot à pied.

  • Mathilde Hervouët

    Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?

  • Solange Pinilla

    Ça c'est une question difficile je trouve. Je pense... La première chose je pense que c'est de lui dire merci. Parce que... Parce que la mission, ça m'a quand même réalisé à quel point j'avais eu de la chance dans la vie. Et à quel point le monde était beau et vraiment magnifique. Et que pour ça, il faut avoir beaucoup de gratitude.

  • Mathilde Hervouët

    Merci beaucoup, Mathilde. Et merci à toutes et à tous de nous avoir écoutés. Nous espérons que cette conversation vous a plu. Nous vous donnons rendez-vous sur le site de Zélie pour que vous puissiez vous abonner gratuitement si vous le souhaitez. Le lien est dans la présentation. Et à bientôt pour un nouvel épisode.

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Description

Dans cet épisode du podcast de Zélie, nous partons au Brésil ! En 2019, Mathilde Hervouët quitte son poste d’avocate à Paris, pour y passer deux années dans une association qui aide les adolescentes enceintes de quartiers pauvres.

Quand l’ONG Fidesco, qui l’envoie comme volontaire, lui annonce qu’elle part au Brésil, elle est peu enthousiaste concernant ce choix. « En fait, c’est un pays merveilleux, nous raconte-t-elle. La terre est très rouge, le ciel très bleu, la verdure est très présente ! »

Dans ce podcast animé par Solange Pinilla, rédactrice en chef du magazine Zélie, Mathilde Hervouët se replonge dans ses souvenirs : des rencontres, un quotidien doté d’intensité, et bouleversé par la pandémie de Covid.

Avant de partir, elle avait peur de s’ennuyer intellectuellement en mission. « Là-bas, je me suis sentie tout le temps très animée, entraînée par des choses nouvelles, et avec la curiosité en éveil, explique-t-elle. Je me suis dit que lorsque je reviendrais dans la grisaille parisienne, cela allait être être vraiment difficile. »

Guidée par un souci de justice, éprise de liberté, Mathilde Hervouët nous raconte que sa foi a été bouleversée durant sa deuxième année de mission. Elle se confie sur les défis au Brésil, mais aussi en revenant en France, et sur les fruits qu’elle en retire aujourd’hui, trois ans après son retour.

Bonne écoute !

Découvrir le numéro de juillet-août 2024 > www.magazine-zelie.com/zelie97

S’abonner gratuitement à Zélie > www.magazine-zelie.com

En savoir plus sur Fidesco : https://www.fidesco.fr

(Musique d'ouverture : "The Return" d'Alexander Nakarada CC BY 4.0
Photo © Collection particulière)

Régie publicitaire : Tobie


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Solange Pinilla

    Bonjour à toutes et à tous, vous êtes sur le podcast de Zélie, où vous découvrez des conversations avec des femmes inspirées et inspirantes. Zélie est quant à lui un magazine numérique féminin chrétien que vous pouvez télécharger sur magazine-zélie.com. Dans le numéro de juillet-août 2024, nous parlons du thème Savourer la vie Quand nous nous levons le matin, est-ce que nous goûtons la joie d'être en vie ? La fatigue, les épreuves, les tâches quotidiennes nous font parfois perdre la légèreté et la joie de vivre l'instant présent. Dans le numéro, nous parlons de voir Dieu dans chaque chose et chaque être à l'école de Saint-François, de danses vitoses pour reposer son mental, des paysages pleins de joie de l'artiste-peintre Béatrice Rochegardy, du témoignage de Joël qui savoure la vie après deux embolis pulmonaires, Bref, je vous invite à télécharger gratuitement ce numéro, le lien est dans la description du podcast. Aujourd'hui, pour ce nouvel épisode de podcast, nous rencontrons Mathilde Hervouet, qui est partie deux années au Brésil en volontariat avec l'ONG Fidesco. Elle gérait une association de formation à la maternité pour les jeunes femmes enceintes des quartiers pauvres. Mathilde, bonjour !

  • Mathilde Hervouët

    Bonjour !

  • Solange Pinilla

    Pour commencer, quels étaient vos rêves de petite fille ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors quand j'étais petite fille, j'essaie de me souvenir, mais je pense que je rêvais de vivre à la campagne et d'être soit enseignante, plutôt institutrice en école primaire, parce que j'aimais bien l'école, soit d'être illustratrice et de dessiner pour des livres d'enfants.

  • Solange Pinilla

    Quel a été votre parcours professionnel jusqu'à votre départ pour le Brésil ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors quand je suis partie au Brésil, je travaillais depuis trois ans. J'étais avocate et je travaillais en propriété intellectuelle dans un cabinet à Paris, où je faisais surtout du droit de la musique. Et à côté, j'étais pas mal commis d'office pour des dossiers plus au pénal, donc je faisais des gardes à vue et un peu de comparution immédiate.

  • Solange Pinilla

    Alors pourquoi vouloir partir en volontariat alors que vous aviez une confortable situation professionnelle ?

  • Mathilde Hervouët

    Justement parce que c'était pas si confortable que ça je pense. A l'époque ça faisait du coup 3 ans, 2 ans que je travaillais quand j'ai décidé de partir, 3 ans quand je suis partie. Et je me reconnaissais pas du tout dans mon travail, je m'ennuyais en fait pas mal au cabinet. Le droit de la propriété intellectuelle c'était pas du tout mon truc. Et à côté de ça je pense que dans la vie parisienne il y a quelque chose qui me manquait, je me retrouvais plus vraiment dans le... dans cette vie et je me souviens rappelant de moi alors pas petite fille mais plus jeune en me disant que c'était pas du tout la vie que je voulais avoir à 27-28 ans et que du coup il fallait retrouver un nouvel élan et l'idée de la mission que

  • Solange Pinilla

    j'avais mise de côté qui m'avait pas mal tourné dans la tête quand j'avais 18-20 ans est revenue de plus en plus fort à ce moment là du coup qu'est-ce qui vous a amené à partir plutôt avec Fidesco ou

  • Mathilde Hervouët

    Alors, au tout début, je ne voulais pas du tout partir avec Fidesco, j'avais repéré une autre ONG qui faisait que de la réinsertion de jeunes des bidonvilles en Asie, et je m'étais dit que j'allais partir avec eux. Et puis, à ce moment-là, j'étais allée passer un week-end chez ma sœur qui partait juste après en mission Fidesco, avec son mari et deux enfants à l'époque, et qui m'avait donné les coordonnées d'une de ses amies qui était partie avec Fidesco détachée dans cette ONG. Et... L'ami en question m'avait posé quelques questions en me disant Est-ce que tu ne veux pas partir avec une ONG plutôt qu'à tôt ? Est-ce que tu es sûre que ce n'est pas important pour toi ? Et combien de temps tu veux partir ? Est-ce que tu es sûre de vouloir vraiment décider de ta mission ou te laisser un peu porter ? Et en fait, ça m'avait beaucoup travaillé, et notamment le fait de choisir sa mission. Et plus je réfléchissais, plus je me disais que partir deux ans, c'était mieux que partir un an. Et que partir avec Fidesco, où on ne choisit pas sa mission et on ne choisit pas son pays de destination, c'était finalement ce qui allait être plus beau, quelque chose de très beau dans la démarche de mission, puisqu'on est dans un lâcher-prise un peu complet en mission. Et ne pas choisir sa mission, c'est... En fait, toute ma mission, je me suis dit que ça avait été une grande chance.

  • Solange Pinilla

    Justement, comment est-ce que vous avez appris que vous partiez au Brésil ?

  • Mathilde Hervouët

    Je me souviens de ce moment très bien parce que c'était en décembre, il faisait très froid. Et j'attendais, je savais que j'allais partir, mais j'attendais de savoir où. Et j'ai vu que Fidesco m'appelait et que c'était la responsable de l'Amérique latine qui m'appelait. Et du coup moi je m'étais projetée beaucoup en Asie au début quand j'ai décidé de partir en mission. Et puis quand j'ai décidé de partir avec Fidesco je m'étais projetée beaucoup en Afrique parce que Fidesco envoyait beaucoup en Afrique. Et à aucun moment je m'étais projetée en Amérique Latine et j'avais pas du tout envie d'aller en Amérique Latine. J'avais pas du tout envie d'aller au Brésil parce que le portugais ça me paraissait... Enfin je voyais pas trop l'intérêt d'apprendre le portugais, le pays était immense. Vraiment le Brésil ça a été un grand moment de déception quand ils m'ont appris que je partais au Brésil. Donc... Pas du tout, j'étais pas du tout emballée par l'idée. Et puis en fait j'ai adoré ce pays et ça a été un pays merveilleux.

  • Solange Pinilla

    Du coup vous avez appris le portugais ?

  • Mathilde Hervouët

    Du coup ça, ça a été un des grands défis de la mission. J'avais fait un peu de Duolingo et de méthode à 6 000 avant de partir, mais je l'ai appris à l'oreille et j'ai pas une bonne oreille. Je l'ai appris sur place surtout. Ça a été assez difficile au début. Et je me suis pris une belle claque parce qu'apprendre une langue adulte, c'est vraiment pas du tout pareil que de l'apprendre enfant. Et donc, difficile.

  • Solange Pinilla

    Alors, racontez-nous le jour de votre arrivée à Redensao, je ne sais pas si je prononce bien, dans l'état du Para, dans le nord du Brésil.

  • Mathilde Hervouët

    Redensao, ça se prononce avec une sonorité un peu nasale comme le portugais. C'est très nasale comme langue. Alors Reden-San c'est au milieu de nulle part, c'est vraiment très très loin de tout. Du coup c'était à peu près deux jours de voyage pour arriver. Et je me souviens avant d'arriver à Reden-San de changer d'avion à l'aéroport de Sao Paulo. Et là je prenais un deuxième avion, c'est la seule fois de ma vie que ça m'est arrivé, qui faisait un peu l'omnibus, donc en fait il y avait plein de petits arrêts. Avant l'arrêt à Palmas qui était encore à 8h de route de Reden-San. Et donc j'étais montée dans l'avion. Complètement au hasard, en me disant je suis vraiment pas sûre que ce soit cet avion là, parce que la destination n'est pas la bonne, mais c'est le seul horaire qui correspond dans l'aéroport. Donc a priori c'est ça. Et puis j'étais descendue à Palmas, et là j'avais mis mon t-shirt Fidesco en me disant il faut quand même que je retrouve le partenaire Fidesco dans l'aéroport, ça risque d'être compliqué. Et en fait c'était un aéroport absolument minuscule, où on était trois à descendre de l'avion à ce moment là, et il n'y avait qu'une seule personne qui attendait quelqu'un, donc vraiment aucune difficulté. Et ensuite il faisait très très chaud, on avait roulé du coup 6 heures pour arriver non pas à Reden-San mais à Conseil-San, qui est la ville d'à côté où on œuvrait aussi beaucoup, et où j'avais retrouvé les co-volontaires Fidesco qui étaient à Conseil-San pour deux jours. Du coup on avait passé deux jours sur place à Conseil-San avant que j'arrive enfin à Reden-San. Et là, j'étais arrivée, j'avais découvert la maison, la ville, la rue en terre battue. Il faisait très chaud. Il y avait beaucoup de lumière et des couleurs très fortes. Les couleurs sont très saturées là où j'habitais. Et c'est quelque chose qui m'avait marquée à mon arrivée. La terre est très rouge, le ciel est très bleu. Et il y a beaucoup de verdure et le tout donne une impression vraiment très saturée.

  • Solange Pinilla

    Alors, quelles étaient vos missions sur place ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors sur place j'ai été coordinatrice de projet social il me semble et en fait il y avait à peu près trois casquettes je dirais à ma mission. La première c'était de gérer l'association qui était une association de formation pour les ados enceintes et les jeunes mères des quartiers pauvres de la ville. Donc là il y avait toute une partie comptabilité, communication, mise en place de partenariats, recherche de fonds, tout ça. Il y avait toute une partie animation et formation, animation d'atelier. On enseignait aux jeunes filles à faire de la couture. Elles cousaient tout le trousseau de leur bébé. Des petits vêtements, des serviettes, des linges, des draps pour l'enfant. Et troisième partie, c'était une casquette un peu plus assistante sociale. Là, on faisait des visites à domicile. On essayait d'aller voir chaque jeune fille deux fois. Une fois pendant sa grossesse et une fois juste après son accouchement, chez elles. Elles n'habitaient pas du tout dans l'association. On les accueillait vraiment une journée, un après-midi par semaine. Et on était sur cinq villes différentes de la région.

  • Solange Pinilla

    Cette association a été créée par qui ?

  • Mathilde Hervouët

    L'association s'appelait Sonia Jimay, ce qui veut dire rêve de maman en portugais. Elle avait été créée au début à Salvador, dans la Bahia, vraiment dans une autre région du Brésil, par des volontaires fidesco qui étaient au début dans la Bahia, avec l'évêque local qui était à l'époque prêtre dans une favela. de Salvador et ensuite il a été nommé prêtre dans le Pará, donc vraiment dans cette région très excentrée, très au milieu de nulle part. Et quand il est arrivé dans le Pará, il a amené avec lui l'idée de l'association qui s'est remontée très très vite dans le Pará, donc au début des années 2000, vers 2008 je crois, avec des volontaires fidesco qui sont venus très vite lui prêter main forte et qui se relaient depuis… Plus de 15 ans maintenant à Redencent et un peu partout dans le Parrain.

  • Solange Pinilla

    D'ailleurs, je me disais qu'en France, vous êtes avocate et au Brésil, vous aidiez des femmes enceintes en difficulté. Alors, le point commun, c'est peut-être le souci de justice. Qu'est-ce que vous en pensez ?

  • Mathilde Hervouët

    Oui, je crois que le désert de justice, c'est quelque chose qui anime beaucoup et qui nous fait vraiment porter des projets. avec beaucoup de cœur je dirais, et je retrouve des parallèles entre mon métier d'aujourd'hui puisque je suis redevenue avocate, mais en droit de la famille, et parfois on a des dossiers, plusieurs fois on a eu des dossiers de femmes enceintes qui vivaient des violences conjugales et qui partaient enceintes, et pour lesquelles je retrouvais vraiment ces petites jeunes filles du para qu'on accompagnait dans des moments tellement particuliers et tellement sensibles de leur vie.

  • Solange Pinilla

    Qu'est-ce que vous avez le plus aimé de cette mission ? N'hésitez pas à raconter des anecdotes.

  • Mathilde Hervouët

    Je pense que ce que j'ai le plus aimé de cette mission, c'est d'avoir appris à lâcher prise complètement et à me faire modeler par la différence, par les rencontres qui ont été faites, ce que j'ai pu faire là-bas. Je me souviens, au bout d'un an de mission à peu près, je me suis dit en fait je comprends que je comprends rien et que je comprendrais jamais rien à leur culture qui est tellement différente de la nôtre, mais c'est ça qui est extraordinaire et c'est ça qui est merveilleux. Et pendant toute cette deuxième année de mission, je m'ai sentie extrêmement portée par la curiosité qui en éveille tout le temps, tout le temps quand on est en mission, parce que tout est différent de ce qu'on vit, toutes les sensations, toutes les couleurs, les goûts. les choses auxquelles on est confronté au quotidien, tout est différent et on est dans cette vie vraiment très très haute en couleurs. Et je me souviens de quelque chose où... qui me portait beaucoup là-bas et où je me disais le retour va être difficile et qui était très paradoxal, c'est que là-bas du coup j'étais vraiment la vie était, la vie de mission c'est l'émotion tout le temps alors parfois c'est lourd parce que je pense que j'ai jamais autant pleuré dans ma vie que quand j'étais en mission, mais aussi rarement autant ri et tout avait pas mal de sens Et je me souvenais qu'avant de partir en mission, je m'étais dit j'ai peur de m'ennuyer en mission parce que je vais quitter un job super intellectuel, une avocate, je vais quitter une vie parisienne où on a une offre culturelle énorme, où j'ai mes amis, j'ai finalement une vie qui est très riche, pour aller au fin fond de la campagne dans une ville où culturellement il n'y avait vraiment rien à faire, puis en plus ça a été le Covid donc il y avait encore moins de choses à faire. et faire un job d'assistante sociale où je risque de vraiment m'ennuyer. Et en fait, ça a été tout le contraire. Je me suis sentie tout le temps hyper animée, hyper entraînée par des choses nouvelles, et avec la curiosité en éveil en permanence. Et je me suis dit, mais quand je vais rentrer, ça va être terrible, parce que je vais revenir dans la grisaille parisienne, dans le train-train quotidien. Ça va être vraiment difficile.

  • Solange Pinilla

    Et justement, quand on part en mission, on perd ses repères habituels complètement. Et du coup, comment est-ce qu'on arrive à se recréer de nouveaux repères ?

  • Mathilde Hervouët

    Au début, c'est un vrai défi, les premiers mois. Parce que, je me souviens, j'essayais de recalquer un peu mes habitudes parisiennes là-bas, puis ça ne marche pas. Et finalement, au fur et à mesure, j'avais trouvé ce qui me convenait quand j'avais des... Des moments où j'avais besoin de ressources, et Fidesco insista là-dessus avant qu'on parte aussi, en disant vraiment Trouvez vos moments et vos personnes ressources pour l'écoute blues Et moi j'avais des choses assez simples, j'allais marcher, beaucoup, parce que c'est quelque chose qui me ressource énormément. Donc j'allais me promener dans la ville, j'étais partie avec une liseuse, et ça c'est formidable parce que j'avais une bibliothèque gigantesque. Et ça pareil c'était très important. J'écoutais beaucoup de musique française et notamment la deuxième année puisque la deuxième année c'était la pandémie. Donc tous les français avaient fichu le camp du coup j'étais complètement seule. Et parfois la musicalité de la langue me manquait. Et je cuisinais beaucoup. J'avais appris à cuisiner un peu brésilien puis je faisais des mélanges avec la cuisine française. Et quand j'avais un coup de mou, je cuisinais en musique. Et ensuite, je m'étais fait quand même quelques très très bons amis, qui ont été des vraies personnes ressources là-bas, et des gens très variés. et parce que j'avais à la fois mes amis de l'association, avec qui j'allais partager les moments durs de l'association, et avec qui, je pense un peu comme tous les gens, quand on a des vies qui ne sont pas évidentes, et qu'on a des récits au quotidien qui sont lourds, on en rigole beaucoup, et on rigole de choses très lourdes, mais c'était très important. Puis à côté de ça, j'avais des amis qui étaient plus... J'avais une amie qui était l'équipement de ma meilleure amie en France, avec qui j'allais boire des bières quand j'avais un moment libre. avec qui j'allais aller faire les boutiques et sortir, et à qui j'allais raconter mes vacances et raconter ma vie. Et pareil, c'était quelqu'un de super important pour moi là-bas, parce que ça normalisait un peu ma vie.

  • Solange Pinilla

    À quel défi vous avez été particulièrement confrontés ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors, il y en a eu beaucoup, j'ai trouvé. Le premier, c'est la langue, on l'a déjà évoqué. Le deuxième, ça a été la pandémie, qui a complètement rabattu les cartes et bouleversé tout ce qui était prévu. Le troisième ça a été la vie quotidienne dans une maison où il faut se retrouver. Au début la vie de colocation parce que je travaillais et j'habitais avec les volontaires fidesco. Dans une maison on n'avait pas du tout d'intimité, il y avait un toit mais pas de plafond donc tout communiquait. On avait un peu de colère. Et ça, ça a été un vrai défi aussi, de trouver un équilibre entre nous. Dans les défis aussi, je dirais le rapport à la violence, qui n'est pas du tout le même là-bas qu'ici. Il y a une violence diffuse, et au début moi ça me faisait peur, et puis finalement j'ai eu toute une phase où j'étais dans le déni complet, et puis finalement je m'y suis un peu plus heurtée, et à la fin j'avais trouvé un bon équilibre. Je trouvais de ne pas en avoir trop peur, mais de ne pas non plus faire n'importe quoi. Il y avait aussi un vrai défi dans le fait de comprendre la mission et de comprendre à quoi on servait sur place. Et je pense qu'il y a une dimension du serviteur inutile la première année de mission qui est très forte. Puisque j'étais arrivée là en ne parlant pas cette langue, en ne comprenant pas vraiment à quoi servait la mission, à quoi ça servait d'apprendre la couture à ces ados qui étaient enceintes. et souvent qui revenaient un an après, qui avaient eu leur premier enfant à 14-15 ans, qui allaient revenir à 16-17 ans pour avoir un deuxième enfant. Et on se disait, mais en fait, si on... Enfin, mon premier réflexe de française, c'était de me dire, mais si elles étaient formées à la contraception, finalement, cette mission ne servirait à rien. Et c'était très difficile de trouver... Enfin, c'était difficile en tout cas au début de trouver... de trouver ma place. Et puis, au fur et à mesure des rencontres et de la mission, j'ai compris que la contraception, c'était une question très française, que la maternité de ces jeunes allait très au-delà de la question de la contraception, que la plupart de ces filles, elles étaient là parce qu'elles voulaient être mères, que leur grossesse était très souvent désirée, et que les accompagner, ça dépassait vraiment totalement la question de la contraception, qui était finalement un jugement qui était posé. qu'est notre jugement français, qu'à 15 ans on n'est pas apte à devenir mère, et qu'en fait il fallait le dépasser. Mais ça, ça prenait beaucoup de temps, et ça a été un vrai défi. Et ensuite il y a tous les petits défis de la vie quotidienne là-bas, la chaleur, il fait 35 degrés toute l'année, et c'est pas facile. La conduite, on avait une mission qui était sur 5 villes différentes, j'avais une voiture là-bas, il fallait conduire, moi je suis une vraie parisienne, j'ai passé mon permis à 25 ans, j'ai pas reconduit avant d'arriver en mission, je ne savais absolument pas conduire, j'étais un danger public, et du coup il est route. Les brésiliennes n'ont rien à voir avec la route française, et ça c'était un vrai défi en arrivant. Et chose que je n'aurais jamais imaginée, conduire est devenu un vrai plaisir et un vrai moment de détente à la fin de la mission. Je me détendais en prenant le volant, et ça c'était une des petites grâces de la mission.

  • Solange Pinilla

    Qu'est-ce qui vous a marqué au Brésil, qui est une culture différente de la nôtre, et puis en plus vous étiez dans un milieu social encore bien particulier également ?

  • Mathilde Hervouët

    La première chose qui m'a marquée, je pense, c'est la joie des Brésiliens, qui se lamentent jamais, qui ne sont pas du tout dans la plainte, même quand leurs vies sont très dures, effectivement. La deuxième chose qui m'a marquée, je dirais, c'est leur manière de lâcher prise. Quand ils parlent, toutes leurs phrases sont toujours ponctuées par deux phrases qui reviennent tout le temps, c'est si Deus quiser donc si Dieu le veut et grâce à sa Deus qui est grâce à Dieu et leur vie a beau être difficile, ils sont dans ce lâcher prise et dans cette joie quotidienne et les choses sont comme ça parce que Dieu l'a voulu ou les choses sont comme ça grâce à Dieu et ça, nous français, très cartésiens, très dans la raison et dans la maîtrise c'est assez bluffant de voir ça et c'est quelque chose à garder derrière

  • Solange Pinilla

    Est-ce que vous pourriez nous raconter une rencontre qui vous a particulièrement marquée ?

  • Mathilde Hervouët

    La rencontre c'est vraiment le cœur de la mission, il y en a eu beaucoup. Mais dans celles qui m'ont le plus marquée, je pense à Bia, Béatrice qu'on appelait tous Bia, qui est une jeune femme que j'avais accueillie au projet à l'association. Je la rencontrais en l'accueillant à l'association, elle était enceinte, elle attendait son troisième enfant. Elle n'était pas toute toute jeune par rapport aux autres, elle avait 24 ans, il me semble, quand elle est arrivée. Et c'est une fille qui avait une vie difficile, elle avait perdu ses parents assez jeunes. Elle avait une sœur qui avait un handicap mental assez lourd. Sa mère était morte quand elle avait 15 ans, son père quand elle avait 20 ans. Et du coup, elle s'était retrouvée toute seule à gérer sa sœur. Et en plus, à la mort de son père, elle venait d'accoucher de sa première fille, quand elle avait 20 ans à peu près, qui n'avait pas de père. Donc elle avait découvert enceinte que le père avait en réalité une vie de famille ailleurs. qui n'avait pas reconnu la petite, et ensuite elle avait rencontré quelqu'un d'autre, elle avait eu deux enfants avec lui, puis au moment où elle arrivait à l'association, elle attendait le deuxième, elle était plus ou moins en train de se séparer de lui. Et donc la vie était assez difficile. Et en même temps, il y avait une douceur qui émanait de cette fille qui était très forte. C'est une fille qui était d'une beauté que moi je trouvais très très belle. Parce qu'elle dégageait vraiment quelque chose de très apaisé. Elle avait conscience que sa vie était difficile. Et elle n'était pas du tout dans le déni de ses difficultés. Mais en même temps, elle gérait sa vie de famille d'une manière qui était hyper admirable. Ses enfants, il n'y avait jamais un mot au-dessus de l'autre, il n'y avait jamais une paire de claques qui partait, sa maison était à peu près propre, ses enfants étaient toujours nickels. Et pareil avec sa sœur, il n'y avait jamais un moment d'impatience alors que tout ça était vraiment difficile. Et elle est venue à l'association pendant toute sa grossesse et puis à la fin quand elle a accouché de son petit garçon. Donc elle avait une petite fille et deux petits garçons. Elle a continué à venir et cette fois elle est devenue bénévole à l'association parce qu'elle avait besoin je pense de continuer à être entourée et parce qu'elle trouvait quelque chose à l'association. Et aussi parce qu'elle transmettait quelque chose aux filles qui était vraiment très beau. Elle était hyper méticuleuse, elle cousait super bien. Et ensuite on l'avait fait un peu évoluer et intégrer le reste de l'association parce qu'on avait aussi à Consection, là où elle habitait, il y avait tout un... un tissu associatif assez important. Et on s'était dit qu'on allait la former au secrétariat. Après, moi, je suis partie et j'ai gardé contact avec elle de loin. Je ne sais pas comment les choses ont évolué, mais cette rencontre m'a beaucoup marquée parce que cette fille avait cette vie qui était difficile et elle dégageait quelque chose de tellement paisible et de tellement doux. C'était vraiment très beau.

  • Solange Pinilla

    Vous êtes partie de 2019 à 2021, donc en pleine pandémie de... En pleine pandémie de Covid, quel a été l'impact de celle-ci pour vous ?

  • Mathilde Hervouët

    La pandémie, ça a été à la fois un vrai défi et une vraie chance. Un vrai défi au début, quand elle est arrivée en mars 2020, on a commencé par fermer l'association, parce que tout a fermé dans le Paras à ce moment-là, comme partout dans le monde. On a fermé les églises, on a fermé les boutiques, ça a duré quelques jours. Et puis finalement, la vie a commencé à reprendre un petit peu, alors que le virus n'était pas encore arrivé. Nous à l'association on a resté fermé pendant six mois, donc pendant six mois on n'a pas fait d'atelier. Et le premier mois, moi j'étais partie m'installer à Conseil 100 chez l'évêque avec d'autres volontaires qui étaient encore là. Et puis ma co-volontaire Fidesco, on était deux à ce moment-là à Fidesco, au tout début a dit qu'elle rentrait, elle était portugaise, qu'elle rentrait au Portugal. Donc elle est partie très vite, dès le mois de mars. Et on était encore deux français à ce moment-là, il y avait un séminariste. qui était volontaire d'ECC et qui était un très bon copain. Et puis au bout d'un mois, il a dit qu'il partait aussi. Et du coup, là, je me suis retrouvée toute seule au Brésil. Son départ a été hyper dur. Au même moment, il y avait deux volontaires brésiliens, enfin une volontaire brésilienne et un séminariste brésilien qui ont dit l'un et l'autre qu'ils rentraient chez eux. On était tous à Conseil 100 ensemble. Et moi, je suis rentrée. J'ai dit que je rentrais chez moi et que je rouvrais ma maison. où on m'avait dit que je ne pouvais pas vivre toute seule là-bas parce que c'était trop dangereux. Et puis en fait, ça faisait un mois que j'étais à Conseil 100 et que je tournais en rond. Et du coup, je suis rentrée chez moi, j'ai rouvert ma maison, et j'ai fait la même chose que ce que faisait tout le monde un peu partout dans le monde. Je me suis mise en télétravail, et je m'étais dit qu'en fait, on pouvait très bien remonter quelque chose avec au moins les filles de Red Sun, les filles de ma ville. en leur apportant à chacune à domicile le tissu et le matériel pour coudre. J'avais une voiture et du coup, avec une autre volontaire qui était jeune, on a monté des tutos couture qu'on a diffusés sur les réseaux sociaux de l'association. Et puis après, on a fait des découpes de tissu nous-mêmes avec une autre volontaire dont j'étais proche. Et ensuite, on a apporté aux filles, à chacune, le matériel pour coudre à la maison. Et puis, elles préparaient les choses, elles épinglaient, elles cousaient. à l'aiguille et ensuite je passais chez elles récupérer ce qu'elles avaient préparé et je les remenais chez les volontaires qui avaient des machines à coudre et qui passaient à la machine à coudre. Ça, ça a duré six mois. Au bout de deux mois, j'ai été rejointe par Mariana, qui était une volontaire brésilienne avec qui j'avais été confinée le premier mois à Conseil 100, qui est venue habiter pendant deux mois à la maison. Là, ça a été une période géniale de mission. Parce que pendant deux mois, on a fait la même chose et puis finalement on a accueilli des jeunes brésiliennes à la maison. On a remonté l'association ensemble petit à petit. Et puis en septembre, on a rouvert l'association à Redencent et à Conseil 100. Et puis Mariana est retournée à Conseil 100 là où elle habitait elle avec les jeunes. Elle s'occupait d'une autre association. Et moi j'ai continué seule pendant un an encore. Et je me suis dit que finalement, vivre la pandémie sur place, ça avait été une chance immense. D'abord parce que je n'ai jamais été vraiment confinée, et que je vous voyais en France, et ça me terrifiait. Je m'étais dit que je n'aurais jamais réussi à être enfermée chez moi pendant deux ou trois mois. J'aurais tourné en rond et je supporte très mal d'être enfermée. Et en plus, ce qui m'a fait très peur au début, c'est-à-dire de me retrouver toute seule au milieu de nulle part dans la pampa brésilienne. Finalement, ça a été une chance gigantesque. Parce que quand il n'y avait plus de français du tout, il y a les dernières barrières qui pour moi ont complètement sauté. D'abord mon niveau de brésilien, de portugais a décollé à ce moment-là. La langue est devenue fluide parce que j'habitais avec des brésiliens, parce que je ne parlais plus que brésilien. Toutes les petites tentations qu'on peut avoir de juger, de comparer, j'avais plus personne avec qui le faire. Du coup tout ça parait que ça a complètement disparu. Et ça m'a ouvert des portes complètement nouvelles et une nouvelle vision sur la mission. Et je me suis souvent dit qu'en fait on... se retrouver dans un univers où on ne croise pas un seul français, à part l'évêque local qui était français, mais qui vit au Brésil depuis 30 ans, et qui n'est plus vraiment français, pas tout à fait brésilien non plus, puis on se parlait en portugais ensemble et on ne se voyait pas très souvent, mais vivre loin de la France et ne pas croiser un français pendant des mois et des mois, c'est quelque chose qui n'arrive plus aujourd'hui, et en fait c'est une chance assez folle. Après, j'ai vu les volontaires fidesco de Salvador, où on a passé des vacances ensemble deux fois. Mais sinon, à chaque fois qu'on se quittait, pendant 3, 4, 5 mois, je voyais plus de Français. Et en fait, c'était assez génial.

  • Solange Pinilla

    En quoi votre foi a-t-elle été marquée par cette expérience de volontariat au Brésil ?

  • Mathilde Hervouët

    Ça, je pense que c'est un des aspects sur lesquels ma vie a été assez bouleversée. Il y a vraiment un avant et un après mission. Quand je suis partie en mission, c'est ce que je disais au début, au début je ne pensais pas partir avec une ONG catholique, je pensais partir avec une ONG laïque, et la question que m'avait posée Agathe, l'amie de ma soeur, en me disant t'es sûre que c'est pas important pour toi ? je me suis dit oh, moi j'ai grandi dans une famille catholique, mais à ce moment-là, j'étais assez éloignée de la foi, je pratiquais un peu de temps en temps par habitude, mais ça ne me parlait plus vraiment. Et puis quand Agathe m'a dit est-ce que tu es sûre que tu ne veux pas partir avec une ONG catholique ? Ça m'a un peu travaillée. Et je me suis dit que c'était peut-être la dernière chance que je donnais à l'Église. C'est un peu nul de dire ça, mais je m'étais dit bon, je reviens de mission, soit je tourne vraiment le dos, soit il s'est passé quelque chose et je me ferai confirmer, parce que je n'étais pas confirmée, et je retourne, j'y reviens. La première année, ça a été très dur parce qu'en mission Fidesco, on est vraiment au cœur de l'Église. On est tout le temps avec des bonnes sœurs, avec des prêtres. Et moi, c'était beaucoup trop pour moi. Et du coup, je saturais beaucoup. J'étais pas du tout au même niveau que mes binômes sur la vie de foi, enfin, vraiment, ça a été quelque chose de difficile. Et puis quand je me suis retrouvée toute seule là-bas, avec du coup mon pote qui venait de partir, et plus grand monde à qui me confier, et avec un énorme doute sur le fait de continuer ou de rentrer en France, puisque j'avais mes parents qui me mettaient à la pression pour que je revienne en France, enfin, rien n'allait. Là, finalement, il ne me restait plus trop que la prière, et du coup, je me suis mise à prier. Et cette deuxième année, j'ai rencontré aussi des gens qui avaient une foi extraordinaire. Je pense à la directrice de l'association qui est vraiment portée par sa foi. Et ça, ça m'avait quand même beaucoup interpellée. Elle est portée par quelque chose de supérieur, elle a quelque chose, waouh, c'est beau. Et dans sa vie, c'est un pilier. J'aimerais bien trouver ça aussi. Et puis mon regard sur l'église a changé aussi à ce moment-là, où je me suis dit en fait, parce que du coup j'avais toute cette saturation de l'église, et puis quand on est aussi proche de l'église, je pense qu'on voit l'église dans tout ce qu'elle a de beau, mais on la voit aussi et surtout dans tout ce qu'elle a de pauvre, dans toutes ses pauvretés, dans toutes ses limites, dans toutes ses petites mesquineries, et dans vraiment toutes ses limites.

  • Solange Pinilla

    Et ça c'est assez douloureux aussi. Et à ce moment-là de ma mission, je vois tout ça, et je m'étais dit, en fait, toutes ces pauvretés, c'est aussi ce qui fait la beauté de l'Église, parce qu'elle est quand même très humaine. Donc toute cette difficulté-là avait petit à petit disparu. Et finalement, je fais mon petit cheminement de foi toute ma deuxième année de mission, et je me suis fait confirmer, juste avant de revenir en France, en... En juin 2021, et aujourd'hui la foi est quelque chose qui est très important dans ma vie et qui est vraiment assez centrale. Et ça c'est une des grâces de la mission pour moi qui est immense, parce que sinon je pense que j'aurais juste arrêté, j'aurais juste complètement arrêté sans la mission.

  • Mathilde Hervouët

    Comment s'est passé justement le retour en France ? On dit souvent que c'est difficile d'atterrir et surtout de partager ce qu'on a vécu.

  • Solange Pinilla

    Oui je confirme, le retour est difficile. Le retour je pense que c'était particulièrement difficile en 2021, parce que je suis arrivée en août 2021. C'est la semaine d'entrée en vigueur du pass sanitaire. Je me suis retrouvée confinée, j'ai eu une quarantaine de 10 jours obligatoires. Donc je suis vraiment passée déjà très brutalement de l'immensité du Brésil, où j'avais une liberté gigantesque, j'avais ma voiture. Le Brésil c'est immense comme pays. Je voyageais tout le temps, j'étais tout le temps entre plusieurs villes. Je faisais des rencontres tout le temps et là d'un coup, très brutalement, je me suis retrouvée dans un studio parisien de moins de 30 mètres carrés avec interdiction de voir qui que ce soit pendant 10 jours. Ça a été super brutal. Et puis ensuite, il y a tout l'après, tout le fait de se réaccoutumer à la France. Et ça, c'est assez violent effectivement parce qu'on retrouve la vie qu'on avait avant. qui est notre vie, qui est une vie que moi j'aimais bien quelque part, dans laquelle j'aurais dû pouvoir me retrouver assez vite, puis en même temps les choses sont assez inconfortables, parce qu'on n'est pas tout à fait la même. Et puis j'arrivais en post-Covid, donc les gens n'étaient pas tout à fait les mêmes non plus. Il y avait vraiment un avant et un après 2020. Et du coup en arrivant... Il y avait beaucoup de défis à relever. Alors moi j'avais trouvé un truc qui a été plutôt pas mal, c'est que je... Je suis arrivée du coup mi-août et je suis repartie fin août donc très très vite en ayant vu Pag en monde. Et je suis allée marcher pendant deux mois, j'ai fait le chemin de Saint-Jacques. Et ça m'a permis pendant ces deux mois d'évacuer beaucoup de la colère qui était là. Parce que ça je crois que la colère du retour de mission c'est une des premières émotions qu'on a. On est très très en colère contre l'injustice avec plein de petits éléments qui nous révoltent. Ça va être... Le fait qu'on va faire la vaisselle à l'eau potable alors que la moitié de l'humanité manque d'eau potable. Nous, on arrose nos plantes à l'eau potable, nos chaseaux c'est de l'eau potable. Franchement, ça c'est révoltant. Ça va être le fait qu'on gaspille une nourriture incroyable alors qu'il y a plein de gens qui crèvent de faim. Et tout ça, ça m'est très très en colère. Et puis ensuite, il y a tout le décalage avec les copains et avec la famille. Et ça, c'est assez difficile aussi. Moi je me souviens qu'avant de partir en mission, le retour me faisait déjà peur. Et je m'étais dit avant de partir, surtout quand tu reviens, tu ne juges pas les gens. Parce que c'est nul de juger, c'est trop facile de se dire, ouais ils sont comme ci, ils sont comme ça. Et puis je suis revenue de mission et je me suis vu juger les gens et c'était super dur à accepter. Et du coup j'ai essayé de m'en détacher mais c'était pas évident. Et puis il y a un vrai décalage qui se fait où... Ce qu'il y a de plus beau en mission finalement c'est les rencontres et c'est aussi ce qu'il y a de plus difficile à raconter. C'est difficile de parler de la réalité de la vie là-bas en étant juste, en trouvant les mots qui reflètent vraiment ce qui est vécu. C'est assez facile de tomber dans le pâteau, c'est nul, c'est pas ce que je cherchais. Et du coup j'avoue que c'était pas hyper... Ce n'était pas forcément hyper adapté, mais le plus facile c'était de raconter mes voyages là-bas. Alors j'ai beaucoup raconté mes vacances. J'ai beaucoup raconté mes vacances à Rio. J'ai beaucoup raconté aussi un peu de ma vie quotidienne, l'état de la route, ce qu'on trouvait au supermarché, plutôt que de rentrer dans le concret de la mission. Et dans le cœur de la mission, parce que c'est beaucoup plus difficile d'en parler. Et en même temps, j'étais très frustrée, parce que souvent les copains me disaient Alors c'était bien ton voyage ? Et je me suis dit, ça ne peut pas être du tout un voyage. C'était deux ans et demi de ma vie et c'était la vraie vie, ce n'était pas un voyage. Donc tout ce petit décalage-là qui m'est... qui est assez douloureux et qui me met plusieurs mois avant de s'apaiser. Et puis au bout d'un an à peu près, je dirais en septembre 2022, ça faisait un an que j'étais arrivée, ça faisait six mois que je travaillais, quatre mois que je retravaillais, il y a eu un moment où je me suis dit tiens ça y est, les choses sont apaisées, je peux repenser au Brésil sans que ce soit douloureux, ça ne me manque plus. Je pourrais même envisager de commencer à relire mes notes de là-bas et à trier mes photos.

  • Mathilde Hervouët

    Quel fruit vous avez reçu de cette expérience depuis que vous êtes revenue ? Donc maintenant il y a près de trois ans.

  • Solange Pinilla

    Il y en a eu beaucoup, il y en a eu quelques-uns qui sont arrivés très vite. Il y a eu la foi déjà, vraiment. Dans ma vie spirituelle, il y a un avant et un après. Professionnellement, les choses ont beaucoup changé aussi. Parce que quand je suis revenue de mission, j'ai été très perdue sur ce que j'allais faire après. Ça n'a pas duré longtemps, mais pendant quelques mois, je me disais avocate mais alors plus jamais c'est terminé. Et puis finalement, j'y suis revenue. Je suis redevenue avocate, mais j'ai changé de matière et aujourd'hui, je fais du droit de la famille. Et je suis en train d'intégrer l'antenne des mineurs, donc pour être avocat d'enfant, ou donc m'occuper d'être l'avocat de l'enfant quand il est poursuivi au pénal parce qu'il... Il a commis des délits, ou avocat d'enfant dans le divorce de leurs parents, ou encore avocat d'enfant de mineurs isolés, de mineurs non accompagnés, qui demandent un placement. Et aussi les avocats des enfants quand ils sont placés. Et professionnellement, là ça y est, je me suis vraiment trouvée, c'est assez chouette, c'est une période qui est bien. où je vois où je vais, où je vois où je veux aller, où je m'amuse beaucoup dans mon métier. En tout cas, professionnellement, je me sens à ma place, alors que ce n'était pas du tout le cas avant de partir en mission. Et ensuite, il y a d'autres fruits, mais alors ça, je trouve qu'il faut tout le temps se remettre dans la mission pour remettre les choses en place. C'est le rapport qu'on a aux autres, le rapport qu'on a aux plus pauvres. le rapport à la vie aussi, de garder cette gratitude et cette joie qu'on a en mission, qui sont très présentes dans les mois qui suivent, et puis ensuite ça disparaît un peu. Le fait de poser un regard plus aimant, plus positif, beaucoup plus chrétien sur les gens, sur la pauvreté, sur la misère, et de ne plus avoir ce regard jugeant qu'on peut avoir, même si les automatismes d'avant-mission, ça revient très vite, et il faut souvent, soit avoir des petites actions, soit... Avoir des moments de pensée où on se dit non là je suis pas bien, là c'est pas la personne que j'étais quand je suis revenue de mission, il faut que je me reprenne un peu en main.

  • Mathilde Hervouët

    On va finir par question courte, réponse courte. Complétez cette phrase, la personne humaine est...

  • Solange Pinilla

    C'est très banal mais je dirais pleine de surprises. Et ça je l'ai vraiment vécu en mission et je le reviens au quotidien dans mes dossiers où assez souvent on se dit waouh les gens sont fous mais ils sont aussi très attendrissants et très drôles, ils sont vraiment plein de surprises.

  • Mathilde Hervouët

    Une saveur que vous aimez ?

  • Solange Pinilla

    La papaye, qui a un goût très particulier, mais ça c'est mon petit geste pas écolo. Quand j'ai un coup de blouse, je vais acheter une papaye.

  • Mathilde Hervouët

    Une femme qui vous inspire ?

  • Solange Pinilla

    Spontanément, j'aurais dit Lucia, qui était la directrice de toutes les associations et conseillers qui avaient abandonné son travail pour se mettre vraiment au service de la favela. de sa ville et qui s'était même mise à dépenser toutes ses économies pour remonter association sur association et donner un peu toujours plus à ces jeunes et en sauver toujours plus et qui était incroyablement portée et par les jeunes et par sa foi et qui était extraordinaire.

  • Mathilde Hervouët

    Un moment qui vous ressource ?

  • Solange Pinilla

    Aller marcher seule. Au Brésil, c'était le long de la rivière. En France, c'est en rentrant du boulot à pied.

  • Mathilde Hervouët

    Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?

  • Solange Pinilla

    Ça c'est une question difficile je trouve. Je pense... La première chose je pense que c'est de lui dire merci. Parce que... Parce que la mission, ça m'a quand même réalisé à quel point j'avais eu de la chance dans la vie. Et à quel point le monde était beau et vraiment magnifique. Et que pour ça, il faut avoir beaucoup de gratitude.

  • Mathilde Hervouët

    Merci beaucoup, Mathilde. Et merci à toutes et à tous de nous avoir écoutés. Nous espérons que cette conversation vous a plu. Nous vous donnons rendez-vous sur le site de Zélie pour que vous puissiez vous abonner gratuitement si vous le souhaitez. Le lien est dans la présentation. Et à bientôt pour un nouvel épisode.

Description

Dans cet épisode du podcast de Zélie, nous partons au Brésil ! En 2019, Mathilde Hervouët quitte son poste d’avocate à Paris, pour y passer deux années dans une association qui aide les adolescentes enceintes de quartiers pauvres.

Quand l’ONG Fidesco, qui l’envoie comme volontaire, lui annonce qu’elle part au Brésil, elle est peu enthousiaste concernant ce choix. « En fait, c’est un pays merveilleux, nous raconte-t-elle. La terre est très rouge, le ciel très bleu, la verdure est très présente ! »

Dans ce podcast animé par Solange Pinilla, rédactrice en chef du magazine Zélie, Mathilde Hervouët se replonge dans ses souvenirs : des rencontres, un quotidien doté d’intensité, et bouleversé par la pandémie de Covid.

Avant de partir, elle avait peur de s’ennuyer intellectuellement en mission. « Là-bas, je me suis sentie tout le temps très animée, entraînée par des choses nouvelles, et avec la curiosité en éveil, explique-t-elle. Je me suis dit que lorsque je reviendrais dans la grisaille parisienne, cela allait être être vraiment difficile. »

Guidée par un souci de justice, éprise de liberté, Mathilde Hervouët nous raconte que sa foi a été bouleversée durant sa deuxième année de mission. Elle se confie sur les défis au Brésil, mais aussi en revenant en France, et sur les fruits qu’elle en retire aujourd’hui, trois ans après son retour.

Bonne écoute !

Découvrir le numéro de juillet-août 2024 > www.magazine-zelie.com/zelie97

S’abonner gratuitement à Zélie > www.magazine-zelie.com

En savoir plus sur Fidesco : https://www.fidesco.fr

(Musique d'ouverture : "The Return" d'Alexander Nakarada CC BY 4.0
Photo © Collection particulière)

Régie publicitaire : Tobie


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Solange Pinilla

    Bonjour à toutes et à tous, vous êtes sur le podcast de Zélie, où vous découvrez des conversations avec des femmes inspirées et inspirantes. Zélie est quant à lui un magazine numérique féminin chrétien que vous pouvez télécharger sur magazine-zélie.com. Dans le numéro de juillet-août 2024, nous parlons du thème Savourer la vie Quand nous nous levons le matin, est-ce que nous goûtons la joie d'être en vie ? La fatigue, les épreuves, les tâches quotidiennes nous font parfois perdre la légèreté et la joie de vivre l'instant présent. Dans le numéro, nous parlons de voir Dieu dans chaque chose et chaque être à l'école de Saint-François, de danses vitoses pour reposer son mental, des paysages pleins de joie de l'artiste-peintre Béatrice Rochegardy, du témoignage de Joël qui savoure la vie après deux embolis pulmonaires, Bref, je vous invite à télécharger gratuitement ce numéro, le lien est dans la description du podcast. Aujourd'hui, pour ce nouvel épisode de podcast, nous rencontrons Mathilde Hervouet, qui est partie deux années au Brésil en volontariat avec l'ONG Fidesco. Elle gérait une association de formation à la maternité pour les jeunes femmes enceintes des quartiers pauvres. Mathilde, bonjour !

  • Mathilde Hervouët

    Bonjour !

  • Solange Pinilla

    Pour commencer, quels étaient vos rêves de petite fille ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors quand j'étais petite fille, j'essaie de me souvenir, mais je pense que je rêvais de vivre à la campagne et d'être soit enseignante, plutôt institutrice en école primaire, parce que j'aimais bien l'école, soit d'être illustratrice et de dessiner pour des livres d'enfants.

  • Solange Pinilla

    Quel a été votre parcours professionnel jusqu'à votre départ pour le Brésil ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors quand je suis partie au Brésil, je travaillais depuis trois ans. J'étais avocate et je travaillais en propriété intellectuelle dans un cabinet à Paris, où je faisais surtout du droit de la musique. Et à côté, j'étais pas mal commis d'office pour des dossiers plus au pénal, donc je faisais des gardes à vue et un peu de comparution immédiate.

  • Solange Pinilla

    Alors pourquoi vouloir partir en volontariat alors que vous aviez une confortable situation professionnelle ?

  • Mathilde Hervouët

    Justement parce que c'était pas si confortable que ça je pense. A l'époque ça faisait du coup 3 ans, 2 ans que je travaillais quand j'ai décidé de partir, 3 ans quand je suis partie. Et je me reconnaissais pas du tout dans mon travail, je m'ennuyais en fait pas mal au cabinet. Le droit de la propriété intellectuelle c'était pas du tout mon truc. Et à côté de ça je pense que dans la vie parisienne il y a quelque chose qui me manquait, je me retrouvais plus vraiment dans le... dans cette vie et je me souviens rappelant de moi alors pas petite fille mais plus jeune en me disant que c'était pas du tout la vie que je voulais avoir à 27-28 ans et que du coup il fallait retrouver un nouvel élan et l'idée de la mission que

  • Solange Pinilla

    j'avais mise de côté qui m'avait pas mal tourné dans la tête quand j'avais 18-20 ans est revenue de plus en plus fort à ce moment là du coup qu'est-ce qui vous a amené à partir plutôt avec Fidesco ou

  • Mathilde Hervouët

    Alors, au tout début, je ne voulais pas du tout partir avec Fidesco, j'avais repéré une autre ONG qui faisait que de la réinsertion de jeunes des bidonvilles en Asie, et je m'étais dit que j'allais partir avec eux. Et puis, à ce moment-là, j'étais allée passer un week-end chez ma sœur qui partait juste après en mission Fidesco, avec son mari et deux enfants à l'époque, et qui m'avait donné les coordonnées d'une de ses amies qui était partie avec Fidesco détachée dans cette ONG. Et... L'ami en question m'avait posé quelques questions en me disant Est-ce que tu ne veux pas partir avec une ONG plutôt qu'à tôt ? Est-ce que tu es sûre que ce n'est pas important pour toi ? Et combien de temps tu veux partir ? Est-ce que tu es sûre de vouloir vraiment décider de ta mission ou te laisser un peu porter ? Et en fait, ça m'avait beaucoup travaillé, et notamment le fait de choisir sa mission. Et plus je réfléchissais, plus je me disais que partir deux ans, c'était mieux que partir un an. Et que partir avec Fidesco, où on ne choisit pas sa mission et on ne choisit pas son pays de destination, c'était finalement ce qui allait être plus beau, quelque chose de très beau dans la démarche de mission, puisqu'on est dans un lâcher-prise un peu complet en mission. Et ne pas choisir sa mission, c'est... En fait, toute ma mission, je me suis dit que ça avait été une grande chance.

  • Solange Pinilla

    Justement, comment est-ce que vous avez appris que vous partiez au Brésil ?

  • Mathilde Hervouët

    Je me souviens de ce moment très bien parce que c'était en décembre, il faisait très froid. Et j'attendais, je savais que j'allais partir, mais j'attendais de savoir où. Et j'ai vu que Fidesco m'appelait et que c'était la responsable de l'Amérique latine qui m'appelait. Et du coup moi je m'étais projetée beaucoup en Asie au début quand j'ai décidé de partir en mission. Et puis quand j'ai décidé de partir avec Fidesco je m'étais projetée beaucoup en Afrique parce que Fidesco envoyait beaucoup en Afrique. Et à aucun moment je m'étais projetée en Amérique Latine et j'avais pas du tout envie d'aller en Amérique Latine. J'avais pas du tout envie d'aller au Brésil parce que le portugais ça me paraissait... Enfin je voyais pas trop l'intérêt d'apprendre le portugais, le pays était immense. Vraiment le Brésil ça a été un grand moment de déception quand ils m'ont appris que je partais au Brésil. Donc... Pas du tout, j'étais pas du tout emballée par l'idée. Et puis en fait j'ai adoré ce pays et ça a été un pays merveilleux.

  • Solange Pinilla

    Du coup vous avez appris le portugais ?

  • Mathilde Hervouët

    Du coup ça, ça a été un des grands défis de la mission. J'avais fait un peu de Duolingo et de méthode à 6 000 avant de partir, mais je l'ai appris à l'oreille et j'ai pas une bonne oreille. Je l'ai appris sur place surtout. Ça a été assez difficile au début. Et je me suis pris une belle claque parce qu'apprendre une langue adulte, c'est vraiment pas du tout pareil que de l'apprendre enfant. Et donc, difficile.

  • Solange Pinilla

    Alors, racontez-nous le jour de votre arrivée à Redensao, je ne sais pas si je prononce bien, dans l'état du Para, dans le nord du Brésil.

  • Mathilde Hervouët

    Redensao, ça se prononce avec une sonorité un peu nasale comme le portugais. C'est très nasale comme langue. Alors Reden-San c'est au milieu de nulle part, c'est vraiment très très loin de tout. Du coup c'était à peu près deux jours de voyage pour arriver. Et je me souviens avant d'arriver à Reden-San de changer d'avion à l'aéroport de Sao Paulo. Et là je prenais un deuxième avion, c'est la seule fois de ma vie que ça m'est arrivé, qui faisait un peu l'omnibus, donc en fait il y avait plein de petits arrêts. Avant l'arrêt à Palmas qui était encore à 8h de route de Reden-San. Et donc j'étais montée dans l'avion. Complètement au hasard, en me disant je suis vraiment pas sûre que ce soit cet avion là, parce que la destination n'est pas la bonne, mais c'est le seul horaire qui correspond dans l'aéroport. Donc a priori c'est ça. Et puis j'étais descendue à Palmas, et là j'avais mis mon t-shirt Fidesco en me disant il faut quand même que je retrouve le partenaire Fidesco dans l'aéroport, ça risque d'être compliqué. Et en fait c'était un aéroport absolument minuscule, où on était trois à descendre de l'avion à ce moment là, et il n'y avait qu'une seule personne qui attendait quelqu'un, donc vraiment aucune difficulté. Et ensuite il faisait très très chaud, on avait roulé du coup 6 heures pour arriver non pas à Reden-San mais à Conseil-San, qui est la ville d'à côté où on œuvrait aussi beaucoup, et où j'avais retrouvé les co-volontaires Fidesco qui étaient à Conseil-San pour deux jours. Du coup on avait passé deux jours sur place à Conseil-San avant que j'arrive enfin à Reden-San. Et là, j'étais arrivée, j'avais découvert la maison, la ville, la rue en terre battue. Il faisait très chaud. Il y avait beaucoup de lumière et des couleurs très fortes. Les couleurs sont très saturées là où j'habitais. Et c'est quelque chose qui m'avait marquée à mon arrivée. La terre est très rouge, le ciel est très bleu. Et il y a beaucoup de verdure et le tout donne une impression vraiment très saturée.

  • Solange Pinilla

    Alors, quelles étaient vos missions sur place ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors sur place j'ai été coordinatrice de projet social il me semble et en fait il y avait à peu près trois casquettes je dirais à ma mission. La première c'était de gérer l'association qui était une association de formation pour les ados enceintes et les jeunes mères des quartiers pauvres de la ville. Donc là il y avait toute une partie comptabilité, communication, mise en place de partenariats, recherche de fonds, tout ça. Il y avait toute une partie animation et formation, animation d'atelier. On enseignait aux jeunes filles à faire de la couture. Elles cousaient tout le trousseau de leur bébé. Des petits vêtements, des serviettes, des linges, des draps pour l'enfant. Et troisième partie, c'était une casquette un peu plus assistante sociale. Là, on faisait des visites à domicile. On essayait d'aller voir chaque jeune fille deux fois. Une fois pendant sa grossesse et une fois juste après son accouchement, chez elles. Elles n'habitaient pas du tout dans l'association. On les accueillait vraiment une journée, un après-midi par semaine. Et on était sur cinq villes différentes de la région.

  • Solange Pinilla

    Cette association a été créée par qui ?

  • Mathilde Hervouët

    L'association s'appelait Sonia Jimay, ce qui veut dire rêve de maman en portugais. Elle avait été créée au début à Salvador, dans la Bahia, vraiment dans une autre région du Brésil, par des volontaires fidesco qui étaient au début dans la Bahia, avec l'évêque local qui était à l'époque prêtre dans une favela. de Salvador et ensuite il a été nommé prêtre dans le Pará, donc vraiment dans cette région très excentrée, très au milieu de nulle part. Et quand il est arrivé dans le Pará, il a amené avec lui l'idée de l'association qui s'est remontée très très vite dans le Pará, donc au début des années 2000, vers 2008 je crois, avec des volontaires fidesco qui sont venus très vite lui prêter main forte et qui se relaient depuis… Plus de 15 ans maintenant à Redencent et un peu partout dans le Parrain.

  • Solange Pinilla

    D'ailleurs, je me disais qu'en France, vous êtes avocate et au Brésil, vous aidiez des femmes enceintes en difficulté. Alors, le point commun, c'est peut-être le souci de justice. Qu'est-ce que vous en pensez ?

  • Mathilde Hervouët

    Oui, je crois que le désert de justice, c'est quelque chose qui anime beaucoup et qui nous fait vraiment porter des projets. avec beaucoup de cœur je dirais, et je retrouve des parallèles entre mon métier d'aujourd'hui puisque je suis redevenue avocate, mais en droit de la famille, et parfois on a des dossiers, plusieurs fois on a eu des dossiers de femmes enceintes qui vivaient des violences conjugales et qui partaient enceintes, et pour lesquelles je retrouvais vraiment ces petites jeunes filles du para qu'on accompagnait dans des moments tellement particuliers et tellement sensibles de leur vie.

  • Solange Pinilla

    Qu'est-ce que vous avez le plus aimé de cette mission ? N'hésitez pas à raconter des anecdotes.

  • Mathilde Hervouët

    Je pense que ce que j'ai le plus aimé de cette mission, c'est d'avoir appris à lâcher prise complètement et à me faire modeler par la différence, par les rencontres qui ont été faites, ce que j'ai pu faire là-bas. Je me souviens, au bout d'un an de mission à peu près, je me suis dit en fait je comprends que je comprends rien et que je comprendrais jamais rien à leur culture qui est tellement différente de la nôtre, mais c'est ça qui est extraordinaire et c'est ça qui est merveilleux. Et pendant toute cette deuxième année de mission, je m'ai sentie extrêmement portée par la curiosité qui en éveille tout le temps, tout le temps quand on est en mission, parce que tout est différent de ce qu'on vit, toutes les sensations, toutes les couleurs, les goûts. les choses auxquelles on est confronté au quotidien, tout est différent et on est dans cette vie vraiment très très haute en couleurs. Et je me souviens de quelque chose où... qui me portait beaucoup là-bas et où je me disais le retour va être difficile et qui était très paradoxal, c'est que là-bas du coup j'étais vraiment la vie était, la vie de mission c'est l'émotion tout le temps alors parfois c'est lourd parce que je pense que j'ai jamais autant pleuré dans ma vie que quand j'étais en mission, mais aussi rarement autant ri et tout avait pas mal de sens Et je me souvenais qu'avant de partir en mission, je m'étais dit j'ai peur de m'ennuyer en mission parce que je vais quitter un job super intellectuel, une avocate, je vais quitter une vie parisienne où on a une offre culturelle énorme, où j'ai mes amis, j'ai finalement une vie qui est très riche, pour aller au fin fond de la campagne dans une ville où culturellement il n'y avait vraiment rien à faire, puis en plus ça a été le Covid donc il y avait encore moins de choses à faire. et faire un job d'assistante sociale où je risque de vraiment m'ennuyer. Et en fait, ça a été tout le contraire. Je me suis sentie tout le temps hyper animée, hyper entraînée par des choses nouvelles, et avec la curiosité en éveil en permanence. Et je me suis dit, mais quand je vais rentrer, ça va être terrible, parce que je vais revenir dans la grisaille parisienne, dans le train-train quotidien. Ça va être vraiment difficile.

  • Solange Pinilla

    Et justement, quand on part en mission, on perd ses repères habituels complètement. Et du coup, comment est-ce qu'on arrive à se recréer de nouveaux repères ?

  • Mathilde Hervouët

    Au début, c'est un vrai défi, les premiers mois. Parce que, je me souviens, j'essayais de recalquer un peu mes habitudes parisiennes là-bas, puis ça ne marche pas. Et finalement, au fur et à mesure, j'avais trouvé ce qui me convenait quand j'avais des... Des moments où j'avais besoin de ressources, et Fidesco insista là-dessus avant qu'on parte aussi, en disant vraiment Trouvez vos moments et vos personnes ressources pour l'écoute blues Et moi j'avais des choses assez simples, j'allais marcher, beaucoup, parce que c'est quelque chose qui me ressource énormément. Donc j'allais me promener dans la ville, j'étais partie avec une liseuse, et ça c'est formidable parce que j'avais une bibliothèque gigantesque. Et ça pareil c'était très important. J'écoutais beaucoup de musique française et notamment la deuxième année puisque la deuxième année c'était la pandémie. Donc tous les français avaient fichu le camp du coup j'étais complètement seule. Et parfois la musicalité de la langue me manquait. Et je cuisinais beaucoup. J'avais appris à cuisiner un peu brésilien puis je faisais des mélanges avec la cuisine française. Et quand j'avais un coup de mou, je cuisinais en musique. Et ensuite, je m'étais fait quand même quelques très très bons amis, qui ont été des vraies personnes ressources là-bas, et des gens très variés. et parce que j'avais à la fois mes amis de l'association, avec qui j'allais partager les moments durs de l'association, et avec qui, je pense un peu comme tous les gens, quand on a des vies qui ne sont pas évidentes, et qu'on a des récits au quotidien qui sont lourds, on en rigole beaucoup, et on rigole de choses très lourdes, mais c'était très important. Puis à côté de ça, j'avais des amis qui étaient plus... J'avais une amie qui était l'équipement de ma meilleure amie en France, avec qui j'allais boire des bières quand j'avais un moment libre. avec qui j'allais aller faire les boutiques et sortir, et à qui j'allais raconter mes vacances et raconter ma vie. Et pareil, c'était quelqu'un de super important pour moi là-bas, parce que ça normalisait un peu ma vie.

  • Solange Pinilla

    À quel défi vous avez été particulièrement confrontés ?

  • Mathilde Hervouët

    Alors, il y en a eu beaucoup, j'ai trouvé. Le premier, c'est la langue, on l'a déjà évoqué. Le deuxième, ça a été la pandémie, qui a complètement rabattu les cartes et bouleversé tout ce qui était prévu. Le troisième ça a été la vie quotidienne dans une maison où il faut se retrouver. Au début la vie de colocation parce que je travaillais et j'habitais avec les volontaires fidesco. Dans une maison on n'avait pas du tout d'intimité, il y avait un toit mais pas de plafond donc tout communiquait. On avait un peu de colère. Et ça, ça a été un vrai défi aussi, de trouver un équilibre entre nous. Dans les défis aussi, je dirais le rapport à la violence, qui n'est pas du tout le même là-bas qu'ici. Il y a une violence diffuse, et au début moi ça me faisait peur, et puis finalement j'ai eu toute une phase où j'étais dans le déni complet, et puis finalement je m'y suis un peu plus heurtée, et à la fin j'avais trouvé un bon équilibre. Je trouvais de ne pas en avoir trop peur, mais de ne pas non plus faire n'importe quoi. Il y avait aussi un vrai défi dans le fait de comprendre la mission et de comprendre à quoi on servait sur place. Et je pense qu'il y a une dimension du serviteur inutile la première année de mission qui est très forte. Puisque j'étais arrivée là en ne parlant pas cette langue, en ne comprenant pas vraiment à quoi servait la mission, à quoi ça servait d'apprendre la couture à ces ados qui étaient enceintes. et souvent qui revenaient un an après, qui avaient eu leur premier enfant à 14-15 ans, qui allaient revenir à 16-17 ans pour avoir un deuxième enfant. Et on se disait, mais en fait, si on... Enfin, mon premier réflexe de française, c'était de me dire, mais si elles étaient formées à la contraception, finalement, cette mission ne servirait à rien. Et c'était très difficile de trouver... Enfin, c'était difficile en tout cas au début de trouver... de trouver ma place. Et puis, au fur et à mesure des rencontres et de la mission, j'ai compris que la contraception, c'était une question très française, que la maternité de ces jeunes allait très au-delà de la question de la contraception, que la plupart de ces filles, elles étaient là parce qu'elles voulaient être mères, que leur grossesse était très souvent désirée, et que les accompagner, ça dépassait vraiment totalement la question de la contraception, qui était finalement un jugement qui était posé. qu'est notre jugement français, qu'à 15 ans on n'est pas apte à devenir mère, et qu'en fait il fallait le dépasser. Mais ça, ça prenait beaucoup de temps, et ça a été un vrai défi. Et ensuite il y a tous les petits défis de la vie quotidienne là-bas, la chaleur, il fait 35 degrés toute l'année, et c'est pas facile. La conduite, on avait une mission qui était sur 5 villes différentes, j'avais une voiture là-bas, il fallait conduire, moi je suis une vraie parisienne, j'ai passé mon permis à 25 ans, j'ai pas reconduit avant d'arriver en mission, je ne savais absolument pas conduire, j'étais un danger public, et du coup il est route. Les brésiliennes n'ont rien à voir avec la route française, et ça c'était un vrai défi en arrivant. Et chose que je n'aurais jamais imaginée, conduire est devenu un vrai plaisir et un vrai moment de détente à la fin de la mission. Je me détendais en prenant le volant, et ça c'était une des petites grâces de la mission.

  • Solange Pinilla

    Qu'est-ce qui vous a marqué au Brésil, qui est une culture différente de la nôtre, et puis en plus vous étiez dans un milieu social encore bien particulier également ?

  • Mathilde Hervouët

    La première chose qui m'a marquée, je pense, c'est la joie des Brésiliens, qui se lamentent jamais, qui ne sont pas du tout dans la plainte, même quand leurs vies sont très dures, effectivement. La deuxième chose qui m'a marquée, je dirais, c'est leur manière de lâcher prise. Quand ils parlent, toutes leurs phrases sont toujours ponctuées par deux phrases qui reviennent tout le temps, c'est si Deus quiser donc si Dieu le veut et grâce à sa Deus qui est grâce à Dieu et leur vie a beau être difficile, ils sont dans ce lâcher prise et dans cette joie quotidienne et les choses sont comme ça parce que Dieu l'a voulu ou les choses sont comme ça grâce à Dieu et ça, nous français, très cartésiens, très dans la raison et dans la maîtrise c'est assez bluffant de voir ça et c'est quelque chose à garder derrière

  • Solange Pinilla

    Est-ce que vous pourriez nous raconter une rencontre qui vous a particulièrement marquée ?

  • Mathilde Hervouët

    La rencontre c'est vraiment le cœur de la mission, il y en a eu beaucoup. Mais dans celles qui m'ont le plus marquée, je pense à Bia, Béatrice qu'on appelait tous Bia, qui est une jeune femme que j'avais accueillie au projet à l'association. Je la rencontrais en l'accueillant à l'association, elle était enceinte, elle attendait son troisième enfant. Elle n'était pas toute toute jeune par rapport aux autres, elle avait 24 ans, il me semble, quand elle est arrivée. Et c'est une fille qui avait une vie difficile, elle avait perdu ses parents assez jeunes. Elle avait une sœur qui avait un handicap mental assez lourd. Sa mère était morte quand elle avait 15 ans, son père quand elle avait 20 ans. Et du coup, elle s'était retrouvée toute seule à gérer sa sœur. Et en plus, à la mort de son père, elle venait d'accoucher de sa première fille, quand elle avait 20 ans à peu près, qui n'avait pas de père. Donc elle avait découvert enceinte que le père avait en réalité une vie de famille ailleurs. qui n'avait pas reconnu la petite, et ensuite elle avait rencontré quelqu'un d'autre, elle avait eu deux enfants avec lui, puis au moment où elle arrivait à l'association, elle attendait le deuxième, elle était plus ou moins en train de se séparer de lui. Et donc la vie était assez difficile. Et en même temps, il y avait une douceur qui émanait de cette fille qui était très forte. C'est une fille qui était d'une beauté que moi je trouvais très très belle. Parce qu'elle dégageait vraiment quelque chose de très apaisé. Elle avait conscience que sa vie était difficile. Et elle n'était pas du tout dans le déni de ses difficultés. Mais en même temps, elle gérait sa vie de famille d'une manière qui était hyper admirable. Ses enfants, il n'y avait jamais un mot au-dessus de l'autre, il n'y avait jamais une paire de claques qui partait, sa maison était à peu près propre, ses enfants étaient toujours nickels. Et pareil avec sa sœur, il n'y avait jamais un moment d'impatience alors que tout ça était vraiment difficile. Et elle est venue à l'association pendant toute sa grossesse et puis à la fin quand elle a accouché de son petit garçon. Donc elle avait une petite fille et deux petits garçons. Elle a continué à venir et cette fois elle est devenue bénévole à l'association parce qu'elle avait besoin je pense de continuer à être entourée et parce qu'elle trouvait quelque chose à l'association. Et aussi parce qu'elle transmettait quelque chose aux filles qui était vraiment très beau. Elle était hyper méticuleuse, elle cousait super bien. Et ensuite on l'avait fait un peu évoluer et intégrer le reste de l'association parce qu'on avait aussi à Consection, là où elle habitait, il y avait tout un... un tissu associatif assez important. Et on s'était dit qu'on allait la former au secrétariat. Après, moi, je suis partie et j'ai gardé contact avec elle de loin. Je ne sais pas comment les choses ont évolué, mais cette rencontre m'a beaucoup marquée parce que cette fille avait cette vie qui était difficile et elle dégageait quelque chose de tellement paisible et de tellement doux. C'était vraiment très beau.

  • Solange Pinilla

    Vous êtes partie de 2019 à 2021, donc en pleine pandémie de... En pleine pandémie de Covid, quel a été l'impact de celle-ci pour vous ?

  • Mathilde Hervouët

    La pandémie, ça a été à la fois un vrai défi et une vraie chance. Un vrai défi au début, quand elle est arrivée en mars 2020, on a commencé par fermer l'association, parce que tout a fermé dans le Paras à ce moment-là, comme partout dans le monde. On a fermé les églises, on a fermé les boutiques, ça a duré quelques jours. Et puis finalement, la vie a commencé à reprendre un petit peu, alors que le virus n'était pas encore arrivé. Nous à l'association on a resté fermé pendant six mois, donc pendant six mois on n'a pas fait d'atelier. Et le premier mois, moi j'étais partie m'installer à Conseil 100 chez l'évêque avec d'autres volontaires qui étaient encore là. Et puis ma co-volontaire Fidesco, on était deux à ce moment-là à Fidesco, au tout début a dit qu'elle rentrait, elle était portugaise, qu'elle rentrait au Portugal. Donc elle est partie très vite, dès le mois de mars. Et on était encore deux français à ce moment-là, il y avait un séminariste. qui était volontaire d'ECC et qui était un très bon copain. Et puis au bout d'un mois, il a dit qu'il partait aussi. Et du coup, là, je me suis retrouvée toute seule au Brésil. Son départ a été hyper dur. Au même moment, il y avait deux volontaires brésiliens, enfin une volontaire brésilienne et un séminariste brésilien qui ont dit l'un et l'autre qu'ils rentraient chez eux. On était tous à Conseil 100 ensemble. Et moi, je suis rentrée. J'ai dit que je rentrais chez moi et que je rouvrais ma maison. où on m'avait dit que je ne pouvais pas vivre toute seule là-bas parce que c'était trop dangereux. Et puis en fait, ça faisait un mois que j'étais à Conseil 100 et que je tournais en rond. Et du coup, je suis rentrée chez moi, j'ai rouvert ma maison, et j'ai fait la même chose que ce que faisait tout le monde un peu partout dans le monde. Je me suis mise en télétravail, et je m'étais dit qu'en fait, on pouvait très bien remonter quelque chose avec au moins les filles de Red Sun, les filles de ma ville. en leur apportant à chacune à domicile le tissu et le matériel pour coudre. J'avais une voiture et du coup, avec une autre volontaire qui était jeune, on a monté des tutos couture qu'on a diffusés sur les réseaux sociaux de l'association. Et puis après, on a fait des découpes de tissu nous-mêmes avec une autre volontaire dont j'étais proche. Et ensuite, on a apporté aux filles, à chacune, le matériel pour coudre à la maison. Et puis, elles préparaient les choses, elles épinglaient, elles cousaient. à l'aiguille et ensuite je passais chez elles récupérer ce qu'elles avaient préparé et je les remenais chez les volontaires qui avaient des machines à coudre et qui passaient à la machine à coudre. Ça, ça a duré six mois. Au bout de deux mois, j'ai été rejointe par Mariana, qui était une volontaire brésilienne avec qui j'avais été confinée le premier mois à Conseil 100, qui est venue habiter pendant deux mois à la maison. Là, ça a été une période géniale de mission. Parce que pendant deux mois, on a fait la même chose et puis finalement on a accueilli des jeunes brésiliennes à la maison. On a remonté l'association ensemble petit à petit. Et puis en septembre, on a rouvert l'association à Redencent et à Conseil 100. Et puis Mariana est retournée à Conseil 100 là où elle habitait elle avec les jeunes. Elle s'occupait d'une autre association. Et moi j'ai continué seule pendant un an encore. Et je me suis dit que finalement, vivre la pandémie sur place, ça avait été une chance immense. D'abord parce que je n'ai jamais été vraiment confinée, et que je vous voyais en France, et ça me terrifiait. Je m'étais dit que je n'aurais jamais réussi à être enfermée chez moi pendant deux ou trois mois. J'aurais tourné en rond et je supporte très mal d'être enfermée. Et en plus, ce qui m'a fait très peur au début, c'est-à-dire de me retrouver toute seule au milieu de nulle part dans la pampa brésilienne. Finalement, ça a été une chance gigantesque. Parce que quand il n'y avait plus de français du tout, il y a les dernières barrières qui pour moi ont complètement sauté. D'abord mon niveau de brésilien, de portugais a décollé à ce moment-là. La langue est devenue fluide parce que j'habitais avec des brésiliens, parce que je ne parlais plus que brésilien. Toutes les petites tentations qu'on peut avoir de juger, de comparer, j'avais plus personne avec qui le faire. Du coup tout ça parait que ça a complètement disparu. Et ça m'a ouvert des portes complètement nouvelles et une nouvelle vision sur la mission. Et je me suis souvent dit qu'en fait on... se retrouver dans un univers où on ne croise pas un seul français, à part l'évêque local qui était français, mais qui vit au Brésil depuis 30 ans, et qui n'est plus vraiment français, pas tout à fait brésilien non plus, puis on se parlait en portugais ensemble et on ne se voyait pas très souvent, mais vivre loin de la France et ne pas croiser un français pendant des mois et des mois, c'est quelque chose qui n'arrive plus aujourd'hui, et en fait c'est une chance assez folle. Après, j'ai vu les volontaires fidesco de Salvador, où on a passé des vacances ensemble deux fois. Mais sinon, à chaque fois qu'on se quittait, pendant 3, 4, 5 mois, je voyais plus de Français. Et en fait, c'était assez génial.

  • Solange Pinilla

    En quoi votre foi a-t-elle été marquée par cette expérience de volontariat au Brésil ?

  • Mathilde Hervouët

    Ça, je pense que c'est un des aspects sur lesquels ma vie a été assez bouleversée. Il y a vraiment un avant et un après mission. Quand je suis partie en mission, c'est ce que je disais au début, au début je ne pensais pas partir avec une ONG catholique, je pensais partir avec une ONG laïque, et la question que m'avait posée Agathe, l'amie de ma soeur, en me disant t'es sûre que c'est pas important pour toi ? je me suis dit oh, moi j'ai grandi dans une famille catholique, mais à ce moment-là, j'étais assez éloignée de la foi, je pratiquais un peu de temps en temps par habitude, mais ça ne me parlait plus vraiment. Et puis quand Agathe m'a dit est-ce que tu es sûre que tu ne veux pas partir avec une ONG catholique ? Ça m'a un peu travaillée. Et je me suis dit que c'était peut-être la dernière chance que je donnais à l'Église. C'est un peu nul de dire ça, mais je m'étais dit bon, je reviens de mission, soit je tourne vraiment le dos, soit il s'est passé quelque chose et je me ferai confirmer, parce que je n'étais pas confirmée, et je retourne, j'y reviens. La première année, ça a été très dur parce qu'en mission Fidesco, on est vraiment au cœur de l'Église. On est tout le temps avec des bonnes sœurs, avec des prêtres. Et moi, c'était beaucoup trop pour moi. Et du coup, je saturais beaucoup. J'étais pas du tout au même niveau que mes binômes sur la vie de foi, enfin, vraiment, ça a été quelque chose de difficile. Et puis quand je me suis retrouvée toute seule là-bas, avec du coup mon pote qui venait de partir, et plus grand monde à qui me confier, et avec un énorme doute sur le fait de continuer ou de rentrer en France, puisque j'avais mes parents qui me mettaient à la pression pour que je revienne en France, enfin, rien n'allait. Là, finalement, il ne me restait plus trop que la prière, et du coup, je me suis mise à prier. Et cette deuxième année, j'ai rencontré aussi des gens qui avaient une foi extraordinaire. Je pense à la directrice de l'association qui est vraiment portée par sa foi. Et ça, ça m'avait quand même beaucoup interpellée. Elle est portée par quelque chose de supérieur, elle a quelque chose, waouh, c'est beau. Et dans sa vie, c'est un pilier. J'aimerais bien trouver ça aussi. Et puis mon regard sur l'église a changé aussi à ce moment-là, où je me suis dit en fait, parce que du coup j'avais toute cette saturation de l'église, et puis quand on est aussi proche de l'église, je pense qu'on voit l'église dans tout ce qu'elle a de beau, mais on la voit aussi et surtout dans tout ce qu'elle a de pauvre, dans toutes ses pauvretés, dans toutes ses limites, dans toutes ses petites mesquineries, et dans vraiment toutes ses limites.

  • Solange Pinilla

    Et ça c'est assez douloureux aussi. Et à ce moment-là de ma mission, je vois tout ça, et je m'étais dit, en fait, toutes ces pauvretés, c'est aussi ce qui fait la beauté de l'Église, parce qu'elle est quand même très humaine. Donc toute cette difficulté-là avait petit à petit disparu. Et finalement, je fais mon petit cheminement de foi toute ma deuxième année de mission, et je me suis fait confirmer, juste avant de revenir en France, en... En juin 2021, et aujourd'hui la foi est quelque chose qui est très important dans ma vie et qui est vraiment assez centrale. Et ça c'est une des grâces de la mission pour moi qui est immense, parce que sinon je pense que j'aurais juste arrêté, j'aurais juste complètement arrêté sans la mission.

  • Mathilde Hervouët

    Comment s'est passé justement le retour en France ? On dit souvent que c'est difficile d'atterrir et surtout de partager ce qu'on a vécu.

  • Solange Pinilla

    Oui je confirme, le retour est difficile. Le retour je pense que c'était particulièrement difficile en 2021, parce que je suis arrivée en août 2021. C'est la semaine d'entrée en vigueur du pass sanitaire. Je me suis retrouvée confinée, j'ai eu une quarantaine de 10 jours obligatoires. Donc je suis vraiment passée déjà très brutalement de l'immensité du Brésil, où j'avais une liberté gigantesque, j'avais ma voiture. Le Brésil c'est immense comme pays. Je voyageais tout le temps, j'étais tout le temps entre plusieurs villes. Je faisais des rencontres tout le temps et là d'un coup, très brutalement, je me suis retrouvée dans un studio parisien de moins de 30 mètres carrés avec interdiction de voir qui que ce soit pendant 10 jours. Ça a été super brutal. Et puis ensuite, il y a tout l'après, tout le fait de se réaccoutumer à la France. Et ça, c'est assez violent effectivement parce qu'on retrouve la vie qu'on avait avant. qui est notre vie, qui est une vie que moi j'aimais bien quelque part, dans laquelle j'aurais dû pouvoir me retrouver assez vite, puis en même temps les choses sont assez inconfortables, parce qu'on n'est pas tout à fait la même. Et puis j'arrivais en post-Covid, donc les gens n'étaient pas tout à fait les mêmes non plus. Il y avait vraiment un avant et un après 2020. Et du coup en arrivant... Il y avait beaucoup de défis à relever. Alors moi j'avais trouvé un truc qui a été plutôt pas mal, c'est que je... Je suis arrivée du coup mi-août et je suis repartie fin août donc très très vite en ayant vu Pag en monde. Et je suis allée marcher pendant deux mois, j'ai fait le chemin de Saint-Jacques. Et ça m'a permis pendant ces deux mois d'évacuer beaucoup de la colère qui était là. Parce que ça je crois que la colère du retour de mission c'est une des premières émotions qu'on a. On est très très en colère contre l'injustice avec plein de petits éléments qui nous révoltent. Ça va être... Le fait qu'on va faire la vaisselle à l'eau potable alors que la moitié de l'humanité manque d'eau potable. Nous, on arrose nos plantes à l'eau potable, nos chaseaux c'est de l'eau potable. Franchement, ça c'est révoltant. Ça va être le fait qu'on gaspille une nourriture incroyable alors qu'il y a plein de gens qui crèvent de faim. Et tout ça, ça m'est très très en colère. Et puis ensuite, il y a tout le décalage avec les copains et avec la famille. Et ça, c'est assez difficile aussi. Moi je me souviens qu'avant de partir en mission, le retour me faisait déjà peur. Et je m'étais dit avant de partir, surtout quand tu reviens, tu ne juges pas les gens. Parce que c'est nul de juger, c'est trop facile de se dire, ouais ils sont comme ci, ils sont comme ça. Et puis je suis revenue de mission et je me suis vu juger les gens et c'était super dur à accepter. Et du coup j'ai essayé de m'en détacher mais c'était pas évident. Et puis il y a un vrai décalage qui se fait où... Ce qu'il y a de plus beau en mission finalement c'est les rencontres et c'est aussi ce qu'il y a de plus difficile à raconter. C'est difficile de parler de la réalité de la vie là-bas en étant juste, en trouvant les mots qui reflètent vraiment ce qui est vécu. C'est assez facile de tomber dans le pâteau, c'est nul, c'est pas ce que je cherchais. Et du coup j'avoue que c'était pas hyper... Ce n'était pas forcément hyper adapté, mais le plus facile c'était de raconter mes voyages là-bas. Alors j'ai beaucoup raconté mes vacances. J'ai beaucoup raconté mes vacances à Rio. J'ai beaucoup raconté aussi un peu de ma vie quotidienne, l'état de la route, ce qu'on trouvait au supermarché, plutôt que de rentrer dans le concret de la mission. Et dans le cœur de la mission, parce que c'est beaucoup plus difficile d'en parler. Et en même temps, j'étais très frustrée, parce que souvent les copains me disaient Alors c'était bien ton voyage ? Et je me suis dit, ça ne peut pas être du tout un voyage. C'était deux ans et demi de ma vie et c'était la vraie vie, ce n'était pas un voyage. Donc tout ce petit décalage-là qui m'est... qui est assez douloureux et qui me met plusieurs mois avant de s'apaiser. Et puis au bout d'un an à peu près, je dirais en septembre 2022, ça faisait un an que j'étais arrivée, ça faisait six mois que je travaillais, quatre mois que je retravaillais, il y a eu un moment où je me suis dit tiens ça y est, les choses sont apaisées, je peux repenser au Brésil sans que ce soit douloureux, ça ne me manque plus. Je pourrais même envisager de commencer à relire mes notes de là-bas et à trier mes photos.

  • Mathilde Hervouët

    Quel fruit vous avez reçu de cette expérience depuis que vous êtes revenue ? Donc maintenant il y a près de trois ans.

  • Solange Pinilla

    Il y en a eu beaucoup, il y en a eu quelques-uns qui sont arrivés très vite. Il y a eu la foi déjà, vraiment. Dans ma vie spirituelle, il y a un avant et un après. Professionnellement, les choses ont beaucoup changé aussi. Parce que quand je suis revenue de mission, j'ai été très perdue sur ce que j'allais faire après. Ça n'a pas duré longtemps, mais pendant quelques mois, je me disais avocate mais alors plus jamais c'est terminé. Et puis finalement, j'y suis revenue. Je suis redevenue avocate, mais j'ai changé de matière et aujourd'hui, je fais du droit de la famille. Et je suis en train d'intégrer l'antenne des mineurs, donc pour être avocat d'enfant, ou donc m'occuper d'être l'avocat de l'enfant quand il est poursuivi au pénal parce qu'il... Il a commis des délits, ou avocat d'enfant dans le divorce de leurs parents, ou encore avocat d'enfant de mineurs isolés, de mineurs non accompagnés, qui demandent un placement. Et aussi les avocats des enfants quand ils sont placés. Et professionnellement, là ça y est, je me suis vraiment trouvée, c'est assez chouette, c'est une période qui est bien. où je vois où je vais, où je vois où je veux aller, où je m'amuse beaucoup dans mon métier. En tout cas, professionnellement, je me sens à ma place, alors que ce n'était pas du tout le cas avant de partir en mission. Et ensuite, il y a d'autres fruits, mais alors ça, je trouve qu'il faut tout le temps se remettre dans la mission pour remettre les choses en place. C'est le rapport qu'on a aux autres, le rapport qu'on a aux plus pauvres. le rapport à la vie aussi, de garder cette gratitude et cette joie qu'on a en mission, qui sont très présentes dans les mois qui suivent, et puis ensuite ça disparaît un peu. Le fait de poser un regard plus aimant, plus positif, beaucoup plus chrétien sur les gens, sur la pauvreté, sur la misère, et de ne plus avoir ce regard jugeant qu'on peut avoir, même si les automatismes d'avant-mission, ça revient très vite, et il faut souvent, soit avoir des petites actions, soit... Avoir des moments de pensée où on se dit non là je suis pas bien, là c'est pas la personne que j'étais quand je suis revenue de mission, il faut que je me reprenne un peu en main.

  • Mathilde Hervouët

    On va finir par question courte, réponse courte. Complétez cette phrase, la personne humaine est...

  • Solange Pinilla

    C'est très banal mais je dirais pleine de surprises. Et ça je l'ai vraiment vécu en mission et je le reviens au quotidien dans mes dossiers où assez souvent on se dit waouh les gens sont fous mais ils sont aussi très attendrissants et très drôles, ils sont vraiment plein de surprises.

  • Mathilde Hervouët

    Une saveur que vous aimez ?

  • Solange Pinilla

    La papaye, qui a un goût très particulier, mais ça c'est mon petit geste pas écolo. Quand j'ai un coup de blouse, je vais acheter une papaye.

  • Mathilde Hervouët

    Une femme qui vous inspire ?

  • Solange Pinilla

    Spontanément, j'aurais dit Lucia, qui était la directrice de toutes les associations et conseillers qui avaient abandonné son travail pour se mettre vraiment au service de la favela. de sa ville et qui s'était même mise à dépenser toutes ses économies pour remonter association sur association et donner un peu toujours plus à ces jeunes et en sauver toujours plus et qui était incroyablement portée et par les jeunes et par sa foi et qui était extraordinaire.

  • Mathilde Hervouët

    Un moment qui vous ressource ?

  • Solange Pinilla

    Aller marcher seule. Au Brésil, c'était le long de la rivière. En France, c'est en rentrant du boulot à pied.

  • Mathilde Hervouët

    Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?

  • Solange Pinilla

    Ça c'est une question difficile je trouve. Je pense... La première chose je pense que c'est de lui dire merci. Parce que... Parce que la mission, ça m'a quand même réalisé à quel point j'avais eu de la chance dans la vie. Et à quel point le monde était beau et vraiment magnifique. Et que pour ça, il faut avoir beaucoup de gratitude.

  • Mathilde Hervouët

    Merci beaucoup, Mathilde. Et merci à toutes et à tous de nous avoir écoutés. Nous espérons que cette conversation vous a plu. Nous vous donnons rendez-vous sur le site de Zélie pour que vous puissiez vous abonner gratuitement si vous le souhaitez. Le lien est dans la présentation. Et à bientôt pour un nouvel épisode.

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