- Speaker #0
La dernière grande famine d'Europe a eu lieu en Ukraine, où 4 millions de personnes sont mortes de faim en 1932 et en 1933.
- Speaker #1
La particularité,
- Speaker #0
c'est que cette famine n'était pas due aux causes habituelles d'une famine, comme des problèmes climatiques, une guerre ou une épidémie qui auraient touché les récoltes. En fait, elle faisait partie d'autres famines qui se sont produites à la même époque en URSS et qui étaient dues à la politique agricole de Staline. Et en Ukraine, cette famine a été délibérément, volontairement aggravée par le pouvoir. D'où le nom qui lui a été donné de Holodomor, ce qui veut dire en ukrainien extermination par la faim Un nom qui sonne un peu comme holocauste. Et justement, la question qui se pose est, est-ce que cette famine était un génocide ? Est-ce que Staline a délibérément, volontairement fait mourir de faim des millions de personnes ? Et si oui, pourquoi ? Alors, pour essayer de comprendre le Holodomor, savoir pourquoi et comment il s'est produit et si ça a été un génocide, on va reprendre pas mal d'aimants de contexte, remonter aux relations assez compliquées entre le pouvoir bolchevique puis soviétique et les paysans. Je précise que pour désigner le gouvernement et les dirigeants issus de la révolution d'octobre 1917, je dis bolcheviks pour la période d'avant 1922 et soviétiques pour la période d'après, car l'URSS ou l'union des républiques socialistes soviétiques a été fondée en 1922. Déjà, ne croyez pas qu'à l'époque des tsars, les paysans de l'empire russe avaient la belle vie. Avant la révolution de 1937, l'agriculture russe était pas mal en retard sur celle d'autres pays d'Europe et sur celle des Etats-Unis. Pas très productive, pas ou pas beaucoup mécanisée, avec des grandes propriétés nobles qui pratiquaient une agriculture extensive et qui accaparaient pas mal de terres au dépôt des paysans. Ça ne s'est pas arrangé avec l'arrivée en masse de blé américain après 1875 qui a fait chuter les cours du blé russe. et pas non plus avec la forte hausse de la population qui a entraîné une baisse de la taille moyenne des exploitations agricoles. Moins de revenus, moins de terres, rien d'étonnant à ce qu'une famine touche l'Empire russe en 1891 et à ce que des révoltes paysannes éclatent en 1905. Les réformes du Premier ministre Stolipin en 1906, destinées à favoriser l'émergence d'une classe de paysans aisés, ne touchent pas au problème numéro 1, les grandes propriétés des nobles qui contribuent au retard de l'agriculture et au maintien des paysans dans la misère. Avec la révolution de février 1917 et la chute du tsar, les aspirations au changement vont s'exprimer de façon exacerbée. A partir de septembre 1917, dans tout l'Empire, les paysans s'attaquent aux propriétés des nobles et des paysans les plus riches. Les bolcheviques encouragent ces mouvements et les valident après leur prise du pouvoir en octobre 1917. Les paysans de l'Empire vont alors appliquer ce qu'on appelle le partage noir, la redistribution des terres aux familles paysannes en fonction de leurs besoins. Seulement, les paysans ne vont pas profiter de ça très longtemps, parce qu'à partir du printemps 1918, le gouvernement bolchevique va leur imposer des grosses réquisitions de blé. Pourquoi ? A cause du rétablissement des villes devenu difficile, et à cause aussi des préjugés des bolcheviques vis-à-vis des paysans. Parce que les bolcheviques avaient une vision bien à eux du marxisme. Une vision où c'était les ouvriers des villes qui formaient le vrai prolétariat révolutionnaire et où les paysans étaient vus comme un groupe social un peu secondaire. Le problème du rétablissement dans les villes est attribué aux paysans qu'à cas par le blé. Lénine dit des petits propriétaires qu'ils, je cite, horreurs de l'organisation, de la discipline Des comités chargés du ravitaillement vont, dans les campagnes, directement prendre le blé aux paysans. Ces mesures, vu comme du vol à grande échelle, auxquelles s'ajoute l'enrôlement obligatoire dans l'armée rouge, vont vite provoquer des révoltes paysannes. D'abord, d'été 1918 en Russie centrale, puis en 1919 en Ukraine. En 1920, les révoltes paysannes prennent une ampleur énorme dans les provinces de Tombov, de Saratov, dans l'Oural et en Sibérie occidentale. Les paysans rebelles réclament souvent le socialisme,
- Speaker #2
la socialité,
- Speaker #0
le pouvoir des soviétes sans communistes. À ça, les bolcheviks répondent par une répression féroce. Ça, plus des famines qui touchent l'Ukraine, la province de Tambov et les régions de la Volga, achèvent de mater les révoltes paysannes. Ces famines étaient dues aux requisitions du gouvernement bolchevique et à la guerre civile qui prend fin en 1921. Suite à la ruine du pays, à la famine, aux révoltes, le gouvernement bolchevique met en place en 1921 la Novaya Ekonomicheskaya Politika, en français, Nouvelle Politique Économique, abrégée en EPP. une politique de libéralisation économique et d'encouragement au commerce. Avec cette politique, les dirigeants bolcheviques espèrent un développement mutuel de l'agriculture et de l'industrie, ou, comme ils disent eux-mêmes, une alliance ouvrière et paysanne. C'est beau de rêver, parce que l'agriculture reste repliée sur elle-même, avec des changes commerciaux souvent très locaux. Suite au partage des terres, on comptait 16 millions d'exploitations agricoles en 1914, 26 millions en 1928. Donc beaucoup de petites, voire de très petites exploitations, ce qui n'encourage pas la production et l'exploit à grande échelle. Dans les années 1920, les paysans gardent 45% de leur récolte pour les semences et pour le bétail, 40 à 45% pour leur consommation personnelle, et n'en commercialisent que 10 à 15%. Bon, il faut dire aussi qu'après avoir obtenu le partage des terres, et être passé par une période de réquisition, de violence et par une famine, les paysans ont bien envie de profiter de leur récolte, d'en vivre. Pour ce qui est de commercialiser des excédents, on verra plus tard. Les prix agricoles bas n'encouragent pas non plus les paysans à vendre leur récolte. Et les prix industriels élevés, eux, n'encouragent pas l'achat de matériel agricole. En 1925, pour acheter une faux, les paysans doivent vendre 5 fois plus de seigle qu'en 1914. la productivité stagne. C'est toute l'économie agricole qui stagne et avec elle l'ensemble de l'économie soviétique. Face à cette situation, les dirigeants soviétiques sont partagés entre deux solutions. Certains, comme Trotsky, veulent donner la priorité au développement de l'industrie en pompant les revenus agricoles par des gros impôts sur les paysans les plus riches. Tandis que d'autres, comme Bukharine, eux, veulent au contraire donner la priorité au développement de l'agriculture. Ils veulent encourager les paysans à se regrouper en coopérative pour avancer lentement, mais sûrement vers le socialisme. La mort de Hénine en 1924 laisse pendant un moment un vide de pouvoir qui fait qu'entre ces deux points de vue, les choses ne sont pas tranchées. Entre temps, les relations avec les paysans se dégradent. En 1927, malgré une bonne récolte, la quantité de céréales vendues à l'État atteint le niveau le plus bas depuis 1921. La même année, les élections locales voient le succès de pas mal de candidats indépendants, ce qui est vu comme une expression d'opposition au pouvoir soviétique. Staline, qui entre temps est devenu le nouveau leader de l'URSS, attribue le manque de céréales collectées à la volonté délibérée de certains paysans ennemis du pouvoir. Du coup, il fait réquisitionner les céréales par la force. D'abord pendant l'hiver 1928 dans l'Oural et en Sibérie occidentale, puis après dans d'autres régions. pour les paysans qui refusent des réquisitions, amendes ou emprisonnements. En réaction, les paysans diminuent les surfaces cultivées. La quantité de céréales vendues baisse encore, à un tel point que les cartes de rationnement, qui avaient disparu en 1921, réapparaissent en février 1929. Et là, Staline accentue sa politique de répression. En octobre 1929, il décide d'une collectivisation générale de toute l'agriculture soviétique. Les petites exploitations individuelles vont être remplacées par des grandes exploitations collectives et sauf cause des fermes d'État où les travailleurs sont salariés et les colcoses des fermes collectives. Concrètement, la collectivisation se fait par des brigades envoyées dans les campagnes qui vont dans les villages pour pousser les paysans à former un colcose et à y adhérer. Je dis pousser car ce sont surtout les menaces et les pressions qui sont utilisées. Alors attention, quand je dis fermes collectives, ne pensez pas à des coopératives agricoles où l'achat de semences, de matériel, la vente des produits sont coopératifs et où chacun est propriétaire de ses terres, ses semences, son matériel et son geoptel. Non, dans les colcoses, à part les maisons d'habitation, quasiment tout est mis en commun. Les terres, le matériel, une partie des vêtements, les bâtiments d'exploitation. Et une fois entrés dans les colcos, les paysans ont besoin d'une autorisation pour en sortir. Le but de Staline, en fait, c'est mater la paysannerie, la mettre sous tutelle de l'État, lui prélever gratuitement autant de céréales que possible. Oui, parce que les colcos doivent reverser une partie de leur récolte à l'État. Comme ça, on espère financer l'industrialisation à grande échelle de l'URSS que Staline lance en même temps. Mais du point de vue des paysans, la collectivisation de masse, c'est la perte du grand acquis de la révolution de 1917, la terre à ceux qui la travaillent. La perte de tous leurs biens au profit des femmes collectives, qui des collectifs n'ont que le nom. C'est le passage à un nouveau servage, un servage d'État, un statut pire qu'avant la révolution de 1917. En même temps que la collectivisation généralisée, le pouvoir soviétique décide de, je cite, La liquidation des Kulaks en tant que classe. Dans la propagande soviétique, les Kulaks sont des paysans riches accusés d'exploiter, les paysans pauvres et de s'opposer au socialisme. Bon, la réalité c'est qu'en 1917, les nobles, les paysans les plus riches, ont été expropriés, leurs terres redistribuées. Alors oui, dans les villages, il y a bien des paysans un peu plus riches que les autres, qui possèdent un peu plus de terres, un peu plus de mètres. Mais pour les autres paysans, ce sont des voisins comme les autres. pas du tout des exploiteurs ou des ennemis du peuple. Les autorités et la police politique vont qualifier de coulac tous les paysans qui s'opposent à la collectivisation, ce qui va servir de prétexte à la répression. Pendant l'automne 1929, près de 100 000 personnes sont arrêtées dans les campagnes. Ça ne va pas calmer le mécontentement des paysans. Ils tuent leurs cheptels, se débarrassent de leur matériel, attaquent les bâtiments officiels à la hache ou à la faute. exigent la libération des paysans arrêtés, la fin des réquisitions, la restitution de leurs terres et de leurs bêtes. En février 1930, la police politique recense plus de 1000 manifestations et révoltes paysannes, en mars plus de 6500. Le même mois, devant le risque de révolte généralisée, Staline accuse les responsables locaux d'excès de zèle dans le rythme de la collectivisation et il leur donne une pause. Les paysans sont autorisés à quitter les kolkhozes, ce qu'ils vont faire largement. Les manifestations et les révoltes paysannes diminuent largement, sans baisser. Dans les années qui suivent, le gouvernement continue quand même à pousser à la collectivisation, par des amendes sur les paysans qui restent en dehors des kolkhozes ou par la répression contre les pluricalcitrants. De 1931 à 1933, 2,5 millions de paysans vont être déportés dans des régions très accueillantes, comme le nord du Kazakhstan, ou la région d'Arkangelsk. Le mécontentement se calme sans disparaître. Alors que dans toute l'année 1930, on comptait près de 14 000 manifestations et révoltes paysannes, le chiffre tombe à 2000 en 1931. Même chiffre en 1932. Tout au coup se rebeller, beaucoup de paysans préfèrent quitter les campagnes. De 1930 à 1933, 12 millions d'entre eux partent s'installer en ville. Fin 1931, les deux tiers des paysans ont rejoint l'école cause, mais c'est vraiment surtout par résignation. Ils espèrent que ce nouveau servage ne va pas durer longtemps. En attendant, ils n'ont aucune motivation pour travailler dans l'école cause ou les sauve-causes. Écoutez ce rapport fait à Staline par la police politique en mars 1932. En deux ans à peine, les pisans sont d'avoir totalement désappris les gestes ancestraux. Les soins aux bêtes sont totalement négligés, depuis qu'elles n'appartiennent plus à personne. Les harnais et les selles traînent dans la boue. Les labours sont faits n'importe comment. La terre est à peine retournée et les herbes parasites ne sont plus enlevées, tant et si bien qu'une grande partie des semences est perdue. Résultat, l'agriculture va mal. De 1930 à 1932, le cheptel baisse de 40%. De 1928 à 1931, la production de céréales, elle, baisse de près de 17%. Mais qu'importe pour l'État le principal et de pouvoir se servir à volonté sur la production agricole. En 1930, l'État prélève 30% de récolte d'écolcose. En 1931, 35%. Et ces chiffres passent à plus de 40% dans les grosses régions pollutrices de blé, comme l'Ukraine et le Kouban, une région du nord du Caucase peuplée en majorité d'Ukrainiens. Rendement agricole en baisse, prélèvements de plus en plus importants, pour les paysans, il reste de moins en moins de choses pour la consommation personnelle. En 1932, trois familles kolkhoziennes sur quatre reçoivent moins de 100 kg de céréales par an. Trois fois moins que dans la seconde moitié des années 1920. Rapidement, des disettes, puis des famines apparaissent. En juin 1931, des responsables régionaux alertent Staline sur les risques de famines. Écoutez ce qu'il leur répond. La question de ce qui reste pour manger n'a aucune importance. L'important, c'est que les kolkhoziens comprennent que leur devoir sacré est de remplir le plan d'état socialiste. Les choses sont claires. C'est justement en juin 1831 qu'au Kazakhstan, l'accélération décidée du rythme de la collectivisation va plonger le pays dans la famine. Déjà, il faut savoir que là-bas, l'agriculture est surtout basée sur l'élevage extensif, la transhumance, avec beaucoup d'éleveurs qui ont un style de vie nomade ou semi-nomade. Donc la collectivisation lancée en 1929 est allée de pair avec la sédentarisation, donc ça a été bien plus brutal que dans le reste de l'Union soviétique. Beaucoup d'éleveurs préfèrent tuer leurs bêtes plutôt que de se les faire confisquer. Les bêtes qui ne sont pas tuées sont souvent mal soignées et meurent en masse. Bref, les circuits de production et de distribution sont largement plus désorganisés qu'ailleurs. Le cheptel, la quantité de céréales cultivées, baisse à vitesse accélérée, au point que les problèmes alimentaires arrivent vite. A partir de l'été 1930, pas mal d'éleveurs quittent le Kazakhstan pour partir vivre en Sibérie ou en Chine. Ces départs s'accélèrent pendant l'hiver de 1931. Les responsables communistes kazakhs sont en courant, mais pour eux, c'est le signe du passage du Kazakhstan à la modernité socialiste. Le gouvernement soviétique presse en même temps ses responsables communistes kazakhs d'accélérer les livraisons de céréales et de viande. En juin 1931, la direction du parti communiste kazakh décide d'accélérer le rythme de la collectivisation. La part du cheptel prélevé par l'État, pas de 30%. en 1930 à 40% en 1931. Elle monte même à 68% en 1932. Pour les céréales, on passe de 33% de prélèvements en 1930 à 39% en 1931. Dans ces conditions, les problèmes alimentaires s'aggravent. Le Kazakhstan plonge dans la famine. L'exode des éleveurs ruinés et affamés vers les régions voisines s'accélère. Mais comme ces régions connaissent elles aussi des difficultés alimentaires à cause de la collectivisation, vous imaginez que les migrants kazakhs ne sont pas très bien accueillis. Souvent, ils sont physiquement agressés, parfois lynchés. Certains de ces migrants attaquent des magasins pour les piller. A partir du printemps 1932, les autorités sibériennes les renvoient en masse au Kazakhstan. En même temps, le pouvoir central soviétique, enfin au courant de la situation, débloque en juin 1932 une première aide alimentaire. En septembre, il autorise un allègement dans le rythme de la collectivisation. Mais c'est beaucoup trop modeste pour arranger les choses. Donc la famine, ainsi que l'immigration des Kazakhs ruinés et affamés continuent. Il faut un rapport clair sur la situation. Écrit par le chef communiste kazakh Ryskulov en mars 1933, pour que Moscou se décide à débloquer une aide alimentaire bien plus conséquente. De avril 1933 à juin 1934, 90 000 tonnes de fourrage, de semences et de céréales sont distribuées à un quart des éleveurs survivants. C'est conséquent, mais ça reste encore insuffisant. On fait aussi en sorte de rapatrier les migrants kazakhs, de les employer dans l'industrie ou de les intégrer dans les kolkhozes. Le Kazakhstan finit par sortir de la famine, mais au total, on aura compté 1,5 million de morts et de disparus de 1931 à 1933. En trois ans, le chèque-pelle-kazakh a baissé de 90%. L'économie pastorale traditionnelle est détruite. La famine au Kazakhstan est un bon exemple de jusqu'à quelle catastrophe la collectivisation a pu amener par sa brutalité. Malgré le drame humain qu'elle a été, cette famine n'a pas été volontairement aggravée par le pouvoir soviétique. Pour Staline, il n'y avait pas de danger d'un complot nationaliste ou contre-révolutionnaire kazakh, contrairement à l'Ukraine, région plus inquiétante. Écoutez ce que Staline écrivait en septembre 1133 au nouveau responsable du Parti communiste kazakh. La situation du Kazakhstan ne nécessite pas de changement radical de poétique des cadres. Il est en effet beaucoup plus difficile pour les aimants nationalistes kazakhs de développer des liens avec l'internationalisme international qu'il ne l'est pour les nationalistes ukrainiens. Si Staline faisait référence aux nationalistes ukrainiens plus inquiétants, c'est peut-être parce qu'il y avait en Ukraine un sentiment national assez fort. Ce n'est pas un hasard si la révolution de février 1917 en Russie s'est accompagnée en Ukraine de la formation d'un conseil central appelé l'ARADA qui demandait l'autonomie de l'Ukraine. Fin 1918, s'est formé un gouvernement nationaliste de gauche appelé le Directoire, dirigé par Simon Petliura, et qui avait formé la République Populaire d'Ukraine. Retenez ce nom de Simon Petliura, on va en parler tout à l'heure. Les bolcheviks reprendront le contrôle de l'Ukraine en 1920, mais ils auront pu constater la force du nationalisme ukrainien. En 1929, la création à Vienne de l'Union des Nationalistes Ukrainiens, organisation nationaliste, de temps plutôt fasciste, révèle que les aspirations à l'indépendance n'ont pas disparu. Et ça, Staline va pouvoir le constater avec la résistance à la collectivisation, qui sera particulièrement forte en Ukraine. En mars 1930, près de la moitié des 6500 révoltes paysannes contre la politique de collectivisation ont lieu en Ukraine. Certains de ces paysans rebelles brandissent des pancartes avec des slogans nationalistes. Pendant plusieurs semaines, le régime perd le contrôle de pas mal de districts frontaliers avec la Pologne. En 1931, même quand les manifestations et les révoltes paysannes sont largement moins nombreuses, 60% d'entre elles ont lieu en Ukraine. Cette même année 1931, 43% de la récolte ukrainienne est prélevée. Un chiffre énorme qui s'explique par, sur l'ensemble du territoire soviétique, la baisse d'ensemble de la production agricole, la réduction du cheptel, ce qui amène le pouvoir à compenser en augmentant les prélèvements sur les régions agricoles les plus riches, dont l'Ukraine. Au printemps 1932, les problèmes alimentaires, la disette, voire la famine, touchent plusieurs régions du RSS. Même des centres urbains sont touchés. En avril 1932, des émeutes de la faim éclatent dans des villes comme Borisov en Biélorussie ou Ivanovo à 300 km de Moscou. De quoi inquiéter le pouvoir et l'amener à durcir encore plus sa politique de prélèvement sur les paysans. Cela explique pourquoi le pouvoir prévoit de prélever pour 1932 29 millions de tonnes de céréales en Ukraine sur une récolte prévue de 90 millions de tonnes. Des chiffres largement au-dessus de ce que sera la réalité. De quoi ne pas arranger une situation alimentaire déjà grave, très grave. Le 10 juin 1932, Petrovski, responsable communiste ukrainien, écrit à Saline la lettre qui suit. J'ai visité beaucoup de villages et il y a partout des affamés. Les femmes pleurent, les hommes aussi parfois. La critique va très loin. Pourquoi avez-vous créé artificiellement la famine ? On avait une récolte. Pourquoi avez-vous tout confisqué ? Même sous l'Ancien Régime, personne n'aurait agi ainsi. Petrovski pointe le fait qu'avec des paysans affamés et donc affaiblis, la récolte risque de ne pas pouvoir se faire. Il demande une aide alimentaire d'urgence, même si ça reste dans les proportions très modestes. À ça, Molotov, un proche collaborateur de Staline, répond à un discours du 12 juin 1932. Même si nous sommes en ce moment confrontés au spectre de la famine, surtout dans les régions pollutrices de céréales, les plantes de collecte en l'état actuel doivent à tout prix être remplies. Staline, lui, paraît pendant un moment assez sensible aux alertes sur la famine en Ukraine. Écoutez ce qu'écrit un autre de ses proches collaborateurs, Kakanovitch, le 18 juin 1932. La situation réelle de chaque holocauste n'a pas été prise en compte. En conséquence de quoi, malgré une récolte qui n'était pas mauvaise, un certain nombre de districts ukrainiens se sont retrouvés ruinés et touchés par la famine. Quelques jours après, changement de ton, Staline et Molotov envoient à la direction du Parti communiste ukrainien, le 21 juin 1932, le télégramme qui suit. Aucune diminution du plan de livraison dû par les colcoses et les sauve-causes ne sera tolérée et aucun délai supplémentaire accordé. Dans une lettre du 1er juillet 1932 adressée à Kaganovitch, Staline enfonce le clou en écrivant que un coup décisif doit être porté contre le ministère ukrainien Pendant la conférence du parti communiste ukrainien qui a lieu à Kharkiv quelques jours après, la grande majorité des dégués présents s'opposent au plan de collecte prévu par Moscou. le déclare irréaliste et alerte sur la famine qui risque de provoquer. Staline répond en envoyant sur place Molotov et Kaganovitch, qui, par la pression, par les menaces, amènent finalement l'Assemblée à accepter le plan de collecte. Le 5 août 1932, Yagoda, le chef de la police politique, écrit à Staline que Une partie des cadres communistes ukrainiens est aux ordres de l'état-major polonais.
- Speaker #1
Le 11 août, Staline écrit à Kaganovitch une lettre assez longue où il explique ce qu'il pense sur la situation. Le plus important maintenant, c'est l'Ukraine. Les affaires de l'Ukraine vont lamentablement mal. 50 comités de district sont prononcés contre le plan de collecte après l'avoir déclaré non réaliste. A quoi ça ressemble ? Ce n'est plus un parti, c'est un parlement, une caricature de parlement. Si nous n'en comprenons pas... immédiatement le redressement de la situation en Ukraine, nous pouvons perdre l'Ukraine. Il est également à l'esprit que, dans le parti communiste ukrainien, 500 000 membres en droite, on trouve pas mal, oui, pas mal, d'éléments pourris. de partisans de Simon Pelletier, conscients ou inconscients, et enfin des espions du gouvernement. Si tout que les choses empireront, ces éléments ne traîneront pas pour... Il faut transformer l'Ukraine en une porte-resse de l'URSS, une République véritablement exemplaire. On ne peut pas lésiner sur les moyens. Le 7 septembre 1932, 746 conseils de village d'Ukraine refusent d'approuver le plan de collecte. Ce même mois de septembre, les objectifs de collecte sont remplis à 32% en Ukraine, 28% dans le Kouban. En octobre, ces chiffres tombent encore plus bas. Finalement, le 22 octobre 1932, Molotov et Kaganovitch sont envoyés comme commissaires plénipotentiaires, envoyés exceptionnels du gouvernement, en Ukraine et dans le Kuban pour reprendre le contrôle de la situation. Et là, l'Ukraine va plonger dans le pire de la famine. Molotov et Kaganovitch imposent deux mesures. La première, c'est l'obligation pour les colcos qui n'ont pas rempli le plan de collecte de faire rendre par les paysans les avances en nature, c'est comme ça qu'on les appelle, qui ont été reçues pendant les semaines précédentes. La deuxième, c'est pour les districts qui, de manière délibérée, c'est le terme employé, n'ont pas rempli le plan de collecte, l'arrêt de l'approvisionnement, l'arrêt du commerce, le retrait de tous les produits des magasins, le remboursement de tous les crédits en cours, l'imposition d'une amende exceptionnelle qui correspond à 15 fois, oui, 15 fois, le montant de l'impôt mensuel en viande et en pommes de terre. La récupération de ces amendes, le remboursement de ces prêts, s'applique concrètement par des fouilles systématiques chez les paysans des villages concernés. Des fouilles où tout ce qui se mange est confisqué. Les recoins, les fonds de meubles, les sols, tout est fouillé, sondé, de façon à ne rien oublier, à récupérer toute la nourriture que les paysans pourraient cacher. On confisque aussi les objets personnels, les icônes religieuses, les manteaux,
- Speaker #0
les tapis,
- Speaker #1
les linges de maison. Tous les survivants ont témoigné de la violence de ces confiscations. Et qui les mène ces confiscations ? Des groupes formés d'activistes politiques communistes, de fonctionnaires, de membres de la police politique, mais aussi parfois d'autres paysans pour qui participer à ces confiscations est un moyen d'éviter la famine, car ils reçoivent une partie de la nourriture confisquée. On a le témoignage d'un nommé Lev Kopelev, journaliste à Kharkiv, qui a fait partie en décembre 1932 d'une de ses brigades de fouilles chez les paysans. Il a décrit comment les fouilles se passaient. La violence exercée contre les paysans, la confiscation de toutes les réserves de nourriture, de toutes les bêtes d'élevage, vaches, chevaux, cochons, la confiscation des objets personnels. Il a parlé des femmes victimes de ces confiscations qui hurlaient. Kopelev participait à ces confiscations par conviction politique, mais... pas de gaieté de cœur. Il dira plus tard que c'était même un supplice, mais il faisait en sorte de s'endurcir, de garder le sens de ce qu'il pense être son devoir. Voilà par exemple ce qu'il écrira dessus.
- Speaker #2
C'est ce qu'on appelle un socialiste.
- Speaker #1
Ces confiscations vont de pair avec une intensification de la répression policière. En novembre 1932, il y aura 50 000 condamnations à la déportation ou à la mort, en décembre 72 000. Parfois, c'est l'ensemble des habitants de certains villages qui sont déportés collectivement. C'est comme ça que 45 000 habitants du Kouban seront déportés, début décembre 1932, vers l'Oural,
- Speaker #0
la Sibérie et le Kazakhstan.
- Speaker #1
Les présidents de Kolkoz eux-mêmes sont souvent limogés et arrêtés. En même temps, la politique dite d'ukrainisation menée depuis 1923, c'est-à-dire de promotion de la langue et de la culture ukrainienne, de mise en avant de cadres régionaux de langue et de culture ukrainienne, cette politique donc est brutalement arrêtée par décision du bureau politique du Parti communiste soviétique le 14 décembre 1932.
- Speaker #0
C'est le début d'une vague d'arrestations dans les milieux intellectuels et décideurs d'Ukraine. Un tiers des membres du parti communiste ukrainien seront exclus. En même temps, les campagnes de confiscation chez les paysans amènent des résultats largement en dessous de ce qui est attendu. Ça n'empêche pas la répression contre les paysans de s'accentuer. Le 29 décembre 1932, les kolkhozes qui n'ont pas rempli le plan de collecte reçoivent l'ordre de rendre leurs fonds de semences sous 5 jours. Le 1er janvier 1933, Staline ordonne une accélération des fouilles dans les maisons des paysans, une répression encore plus dure contre les paysans chez qui auraient été trouvés des produits agricoles cachés. Pour ça, les paysans risquent des années de camp, voire la peine de mort. C'est l'application avec une rigueur extrême de la loi du 7 août 1932, dite loi des épis qui condamne le vol de produits agricoles aux dépens des récoltes des Golgoses. Une loi valable pour tout le territoire soviétique, mais que Staline tient à faire particulièrement appliquer en Ukraine. Face à ça, vu la violence des confiscations et de la répression, vu l'extension de la famine, les paysans ukrainiens n'ont même plus la force de se révolter et ils préfèrent fuir vers les villes. En masse. quitter leur village devenu pour eux un enfer quotidien. Le 21 janvier 1933, le chef de la police politique d'Ukraine rapporte à Staline que, rien que d'un petit gare de Lozovaya vers Kharkiv, 16 500 billets de très longue distance ont été vendus pendant les deux dernières semaines. Il explique ça bien sûr à sa façon. Dès le lendemain, 22 janvier, Staline ordonne de mettre fin à ces départs en masse des paysans d'Ukraine et du Couban. Le 23 janvier, une directive suspend la vente de billets de chemin de fer aux paysans. On s'occupe de repérer et d'intercepter les paysans en fuite sur les routes et aux abords des gares. C'est comme ça que pendant la dernière semaine de janvier 1933, 25 000 personnes vont être arrêtées. Certains paysans sont envoyés dans ce qu'on appelle des villages spéciaux de peuplement, d'autres en camp, d'autres enfin renvoyés dans leur village. Enfin, ceux qui ont encore l'énergie de se déplacer, parce que la famine les a tellement affaiblis que... Écoutez ce qu'en dit un rapport de patrouille de la police politique de ce qu'elle voit à la gare de Berdichev.
- Speaker #1
Je suis le C. Je suis le C.
- Speaker #0
C'est à partir de janvier que la famine va être en Ukraine à sa plus grande ampleur, que les gens vont le plus mourir de faim. Il faut essayer d'imaginer ce que pouvait être la vie dans tous ces villages où les paysans avaient l'obligation de travailler, avec interdiction de sortir et étaient soumis au passage des brigades de réquisition qui les privaient de toute nourriture. Je dis il faut essayer d'imaginer parce qu'on ne sait pas encore en détail comment se passait la vie quotidienne. Mais on a pas mal de témoignages qui nous en donnent une idée. certains sont hallucinants par ce qu'ils révèlent. Je vous préviens, les personnes sensibles ou les enfants feraient mieux de ne pas écouter ce qui va suivre. Voilà par exemple, daté de février 1933, la lettre envoyée à une jeune recrue qui faisait son service militaire à Stavropol par un de ses camarades restés au village. On ne nous laisse pas sortir du village. Il y a des patrouilles partout. C'est-à-dire que la vie est très dure. Très, très dure. Toujours en février 1933, autre lettre envoyée à une autre recrue qui faisait aussi son 16 000 terres à Savropole, cette fois par ses parents. Au Cold Cause, on ne nous a pas dit ce qui se passait chez nous.
- Speaker #1
On s'est passé sur le cadre de la situation.
- Speaker #0
On s'est fait foutre de toutes les mesures. Et vous voyez ce qui se passe chez nous. Les gens mangent de la charogne de cheval. Et encore, le cheval, c'est de la première qualité. Et c'est dur d'en obtenir. Les gens font la queue près de la fosse aux chevaux et vont jusqu'à se battre. C'est au plus fort qu'il en revient un morceau. Sinon, les gens mangent des chiens. Les chiens, ils n'ont pas de poids. Alors, ils se sont mis à faire des rats et ils les mangent. C'est vrai. Les gens sont devenus à moitié fous. En plus, s'ils ne travaillent pas, ils les chassent du col-cause, les enferment en prison et confisquent tout. Et qu'est-ce qu'ils font en prison ? Ils fusillent les gens et font comme des femmes. Si la vache était le seul espoir quand on parle de ce témoignage, c'est parce qu'avec son lait, elle était une source régulière d'alimentation. La possibilité d'être sauvée en l'absence d'aucune autre source de nourriture. Donc vous imaginez la catastrophe que pouvait être la confiscation de la vache. On va s'arrêter un peu, si vous le permettez, sur la phrase les gens font des choses qui sont difficiles Parce qu'avec la famine qui s'étendait, qui se prolongeait, beaucoup de gens devenaient irrationnels, violents, indifférents à ce qui, en temps normal, aurait été horrible, répugnant. Ils oubliaient les règles de la morale ordinaire. On a des témoignages qui rapportent par exemple que des paysans surpris à voler ou à seulement tenter de voler un peu de nourriture étaient tués, lynchés. qu'un paysan essaya de tuer ses propres enfants pour qu'ils ne meurent pas de faim. Plus question de se faire des visites entre voisins comme avant, chacun se tairait chez soi. Avec la mortalité qui grimpait en flèche, avec tous les gens qui mourraient de faim tous les jours, plus question de célébrer les funérailles avec solennité et respect comme avant. On ramassait les morts et on les jetait à la fosse commune. On y jetait même parfois des gens encore vivants pour éviter d'avoir à les jeter le lendemain quand ils seraient morts de faim. L'exemple, à mon avis, le plus extrême d'adhésion à ce qui aurait été en temps normal horrible, répugnant, monstrueux même, et qui était aussi une stratégie de survie, a été la généralisation du cannibalisme, la consommation de viande humaine. Écoutez par exemple ce rapport du chef du département régional de la police politique de Tienopetrovsk. District de Vysokopolsk, le 16 février 1933. À Zagradovka est mort le jeune Nicolas, 12 ans, dans la famille d'un paysan pauvre. La mère de famille, en compagnie de sa voisine, a découpé le cadavre du fils et en a servi des morceaux de la nourriture qu'elle a préparée. La quasi-totalité du cadavre a été consommée. Il n'en reste que la tête, les pieds, une partie d'une épaule, une paume de main, la cône vertébrale et quelques côtes. Toutes ces parties ont été retrouvées dans le sous-sol de la maison. La mère de famille a expliqué son acte par une absence totale de nourriture. Il lui reste trois enfants, tous très gonflés. Une aide a été apportée à cette famille. Très souvent, on n'attendait pas que les gens soient morts pour manger leur corps. On les agressait pour les tuer et les manger. Les enfants étaient la première cible de ces agressions et de ces meurtres. Agressions et meurtres parfois commis par des proches, voire par leurs propres parents. Écoutez ce qu'écrivait à ce sujet le chef de la police politique de Kiev au printemps 1933.
- Speaker #1
On constate que le cannabis est un des produits qui sont souvent disparus.
- Speaker #0
Le cannibalisme se pratiquait aussi en ville. D'après le consul italien Carcif, les parents d'élèves accompagnaient leurs enfants à l'école et même ailleurs pour éviter que des gens affamés ne les agressent pour les tuer et les manger. Ce même consul parlait de, je cite, Bon, vous savez quoi, on ne va pas s'étendre là-dessus. Il y a eu d'autres techniques de survie moins monstrueuses. Beaucoup de gens consommaient n'importe quoi. Des animaux sauvages, des insectes, des herbes sauvages, des déchets d'abattoir. Certains paysans réussirent à garder leurs vaches dont le lait leur sauva la vie. D'autres reçurent de l'aide de membres de leur famille qui habitaient en Ukraine, voire hors de l'Ukraine. Parfois même de voisins qui n'étaient pas paysans et donc pas soumis aux réquisitions ou à l'intradition de se déplacer. Les orphelinats permirent aussi à pas mal d'enfants de rester en vie. Alors que 250 000 personnes étaient mortes de faim en Ukraine pendant toute l'année 1932, ce nombre passa à 3 200 000 entre janvier et juillet 1933. 3 200 000 morts de faim en 7 mois, soit en moyenne 13 000 par jour. Les seules régions où la famine a été aussi meurtrière qu'en Ukraine et dans le Kouban auront été la région allemande de la Volga, celle de Saratov et celle de Krasnodar. Cette mortalité littéralement effrayante qui touche les hommes et les bêtes finit par risquer de compromettre les futures récoltes. Avec tellement de gens morts ou tellement affaiblis qui ne peuvent plus travailler, on risque de manquer de bras pour les futures semailles et la future récolte. Ça explique probablement pourquoi, le 1er mars 1933, le bureau politique du parti communiste soviétique décide d'accorder une aide alimentaire à l'Ukraine. Plutôt qu'une aide, c'est un prêt de semences, de fourrage et de grains. dont une partie est destinée aux semailles et aux chevaux de trait. Ce qui est destiné à l'alimentation des paysans se monte à 175 000 tonnes de céréales distribuées de mars à juillet 1933. Ça peut paraître beaucoup, mais ça ne représente que 2,5% de la consommation annuelle d'un paysan. En privé, Staline ne plaint absolument pas les paysans morts de faim. Au printemps 1933, l'écrivain Mikhail Cholokhov lui écrit la lettre qui suit. Dans ce district, comme en d'autres, les familles collectives et indépendants meurent de faim. Adultes et enfants ont le corps gonflé et mangent des choses qu'aucun être humain ne devrait manger. A commencer par des charognes pour finir par des écorces de chêne et toutes sortes de racines beaux. Staline lui répond le 6 mai 1933. Ces réaliers, au Riveau, passent seulement de la brousse, du sabotage et étaient prêts à laisser les ouvriers et l'armée rouge sans pain. Le fait que ce sabotage était silencieux et apparemment pacifique ne change rien au fond de l'affaire. A savoir que les respectés céréaliers menaient une guerre de sape contre le pouvoir soviétique. Une guerre à mort, cher camarade Cholokov. On comprend pourquoi l'aide alimentaire prêtée à l'Ukraine est très réduite. Mais il faut quand même des bras pour les semailles et les récoltes. Donc l'État met aussi en place un programme de repeuplement. En 1933 et en 1934, plusieurs centaines de milliers de paysans seront envoyés repeupler les régions et les villages d'Ukraine dévastés par la famine. L'Ukraine commence à vraiment sortir de la famine à partir de août 1933, quand les taux de mortalité baissent de façon très nette. Dans les sources auxquelles je me suis référé pour écrire cet épisode, je n'ai pas trouvé d'explication, de mention d'un changement clair de politique du gouvernement soviétique. Mais on peut supposer que les confiscations se sont arrêtées, et que les paysans ont vu une partie de la récolte des kolkhozes leur être à nouveau redistribuée. Avec les récoltes d'été, les autorités avaient besoin de gens assez en forme pour travailler, et donc assez alimenté. J'ai expliqué que les taux de mortalité baissent de façon très nette en comparaison à la première moitié de 1933, mais ils restent quand même élevés. Alors qu'on comptait 3 200 000 morts de faim entre janvier et juillet 1933, soit en moyenne 13 000 par jour, on en compte 250 000 de août à décembre 1933, soit 1634 par jour. En 1934, la surmortalité due à la famine touchera encore 150 000 personnes, soit en moyenne 411 par jour. Vous voyez que la sortie de la famine sera lente et progressive. Autant en privé, Staline et ses proches collaborateurs étaient parfaitement au courant de la famine, autant en public, cette famine était complètement niée. Même si la propagande officielle vantait une vie devenue meilleure des paysans enthousiasmés de la vie dans les colcoses, elle n'a pas pu complètement cacher la réalité. Un journaliste comme le Galois Gareth Jones a visité pendant trois jours, en mars 1933, les campagnes affamées d'Ukraine et rapporté après à la presse britannique ce qu'il a vu. Des Ukrainiens survivants du Holodomor et réfugiés à l'étranger pourront témoigner de ce qu'ils ont vu et vécu. L'archipel du goulag d'Alexandre Sojenitsyn, paru dans les années 70, évoquera le Holodomor. Bien avant la disparition de l'URSS, on savait qu'il y avait eu une famine meurtrière en Ukraine en 1932 et en 1933, mais c'est l'ouverture des archésolytiques après 1991 qui permettra de découvrir son côté volontaire, provoqué ou en tout cas... aggravé délibérément. De la question qui fait débat, est-ce que cette grande famine d'Ukraine en 1932 et en 1933 a été un génocide ? Vu le nombre énorme de morts, a priori oui. Seulement un génocide, ça n'est pas ça. Ça n'est pas une hécatombe de masse, contrairement à l'emploi déformé souvent fait de ce mot dans les médias mainstream ou sur internet. Un génocide ? C'est l'extermination physique voulue, planifiée, d'un groupe ethnique, culturel, national ou religieux ciblé en tant que tel. Le génocide arménien, perpétré par les autorités ottomanes pendant la Première Guerre mondiale, était un génocide. car les Arméniens étaient visés en tant qu'Arméniens. C'est pour les mêmes raisons que le génocide juif perpétré par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale a été un génocide. Mais pour le Holodomor d'Ukraine, la qualification de génocide est moins évidente, parce qu'on cherchait d'abord à soumettre les paysans vus comme des ennemis du pouvoir soviétique, parce que le gouvernement de Staline pensait d'abord attraquer ce qu'il croyait être des comploteurs coulacs et contre-révolutionnaires. Seulement, cette volonté répressive a aussi été encouragée par la crainte qu'avait Staline du sentiment national ukrainien. C'était les paysans ukrainiens en tant qu'Ukrainiens qui étaient visés, tout comme les élites intellectuelles d'Ukraine, cibles d'arrestations et de déportations. L'extermination de masse décidée par Staline visait aussi à faire disparaître le sentiment national ukrainien. Rien à voir avec la grande famine au Kazakhstan qui, bien que meurtrière, n'a pas du tout été intentionnellement aggravée par le pouvoir soviétique dans le but de faire disparaître la culture kazakh. Pour cette raison, le Holodomor peut être qualifié de génocide. Je vous remercie d'avoir écouté cet épisode, j'espère qu'il vous a plu. Si oui, partagez-le sur vos réseaux sociaux, likez-le, notez-le, commentez-le sur la plateforme d'écoute et de téléchargement de votre choix. Merci. Abonnez-vous aussi au podcast. A très bientôt pour le prochain épisode. Ciao !