- Speaker #0
Investir, c'est avant tout une question de culture et lorsque l'on compare les approches européennes et américaines, on se rend vite compte qu'il existe des différences profondes dans la manière d'appréhender la prise de risque, le capitalisme et la création de valeur. Aux Etats-Unis, l'investissement est souvent perçu comme un moteur de croissance et d'opportunité, tandis qu'en Europe, il est parfois envisagé avec plus de prudence, voire de scepticisme. Qu'est-ce qui distingue fondamentalement un investisseur américain d'un investisseur européen Pour en parler, j'ai le plaisir d'accueillir Benjamin Robineau de Transatlantic Private Wealth aux Etats-Unis. Ensemble, nous allons décrypter ces différences et ce qu'elles impliquent pour les investisseurs européens qui souhaitent mieux comprendre ou pédétrer le marché américain. Bienvenue dans À l'écoute des marchés, un podcast de la banque Transatlantique. Allez, on se connecte tout de suite avec Boston aux Etats-Unis. Bonjour Benjamin, ravi de vous recevoir aujourd'hui.
- Speaker #1
Merci à vous Marc-Antoine de m'avoir invité.
- Speaker #0
Alors pour bien poser le décor Benjamin, on l'a évoqué en introduction, il y a une manière complètement différente d'investir quand on est américain ou européen, voire même français. Quelles sont selon vous les principales différences culturelles Alors la première qui me vient en tête,
- Speaker #1
Marc-Antoine, c'est l'influence d'Adam Smith qui est considéré comme le père du capitalisme ici, qui prenait l'idée des marchés libres, des free markets. La deuxième, c'est que c'est un pays qui a été constitué par des migrants, qui avaient tout à construire ici et ils devaient ne compter que sur eux-mêmes. Donc il y a cet esprit de nouvelles frontières et de conquête permanente qui est aussi très important. Et dans une troisième mesure, il y a l'influence de la religion. Le protestantisme a une influence considérable sur les fondements américains et prône des valeurs légèrement plus individualistes que le reste des religions. Merci. Par ailleurs, et pour finir, il y a le développement aussi d'une culture populaire ici, véhiculée par des films qui vantent le mérite du self-made man, donc celui ou celle qui a réussi à s'en sortir par soi-même.
- Speaker #0
Alors en tant qu'investisseur européen, on peut parfois se demander, Benjamin, est-ce que c'est le bon moment d'investir aux États-Unis On a l'impression que c'est toujours beaucoup trop cher. Quel regard vous portez-vous sur cette perception
- Speaker #1
Le fait que ça soit trop cher aux États-Unis est une question relative. C'est trop cher par rapport à d'autres zones géographiques qui sont moins bien loties en termes de valorisation boursière. Mais il faut savoir qu'aux États-Unis, cette richesse du marché est sous-tendue par la richesse sous-jacente de l'économie et de ses entreprises. Donc on est sur une économie qui a beaucoup cru sur les dernières années, qui croit encore au rythme de 2% annuel par rapport à 1% en Europe. Donc il y a un différentiel de croissance qui justifie une supériorité en prix. Et puis, c'est aussi des entreprises qui ont réussi à surfer sur des thèmes qui sont très, très porteurs, des entreprises de technologie notamment, qui, comme on a vu au cours des dernières années, se sont énormément affirmées et ont tiré une grosse partie de la richesse de cet écosystème américain.
- Speaker #0
Si on devait évoquer les différences structurelles entre les marchés américains et européens, Benjamin, quelles seraient-elles Alors,
- Speaker #1
la première qui me vient en tête, Marc-Antoine, c'est... le fait que les États-Unis sont le plus gros marché du monde. C'est le plus gros marché, la plus grosse capitalisation boursière mondiale, avec le plus de liquidités et le plus d'instruments financiers pour pouvoir la traiter, premièrement. Et deuxièmement, le deuxième point immédiat, qui est le plus flagrant en différence par rapport à l'Europe, c'est qu'il y a une approche de la réglementation qui est beaucoup plus, comment dire, modérée. et qui fait que les entreprises ont plus les coudées franches pour pouvoir se développer, investir aux États-Unis.
- Speaker #0
Et puis il y a un autre point frappant, Benjamin, peut-être, c'est la relation des Américains au succès. On n'a pas la même en Europe.
- Speaker #1
Oui, cette relation au succès est effectivement très forte ici aux États-Unis. On aime bien les gens qui réussissent, on aime bien les gens qui réussissent financièrement, et cette réussite financière vient valider la... qualité du business model qui a été mis en place. Donc on n'est pas dans une logique de savoir si on est dans le bien, dans le mal, si l'argent a été obtenu correctement. On est vraiment dans la logique de se dire, il a réussi ou elle a réussi. C'est donc que c'était une bonne personne.
- Speaker #0
Alors si l'on parle de stratégie d'investissement, nous savons que les Américains sont plus exposés au marché financier alors que les Européens privilégient encore beaucoup les fonds en euros et les placements sécurisés. Quels impacts cela a-t-il justement sur la performance à long terme
- Speaker #1
Oui, c'est assez flagrant. En Europe, on est encore très arc-bouté sur des fonds euros. Et alors qu'aux États-Unis, c'est beaucoup moins le cas. Il y a 20% à peu près de l'investissement des foyers français qui se font encore en fonds euros. Aux États-Unis, on est beaucoup plus en exposition à une allocation d'actifs sur une classe d'actifs equity, action, à peu près deux fois en taille par rapport à la moyenne des pays du G7. Donc ce qui fait que ça porte beaucoup plus la performance des portefeuilles d'investissement, surtout sur des périodes de long terme. Parce qu'on sait que la classe d'actifs action est plus volatile, mais en revanche, sur des périodes de long terme, amène à des rendements beaucoup plus élevés. Donc on a un fossé qui se creuse, et il se creuse d'autant plus que... Les entreprises américaines qui constituent le gros de ces allocations sont plus performantes et délivrent beaucoup plus de performances que leurs consœurs européennes.
- Speaker #0
On a l'impression qu'au niveau des résultats aussi, Benjamin, l'investissement est moins mobile et que sur 10, 20 ans, peut-être que ça marche mieux côté américain.
- Speaker #1
Alors, en termes de mobilité, effectivement, je pense qu'il y a ce côté qui est combiné avec le côté opportuniste qu'on peut prêter aux Américains de pouvoir... rapidement saisir un mouvement, saisir une affaire. Et disons que les instruments permettent une certaine agilité. On peut effectivement, à travers certains instruments, soit être exposé via des trackers sur le S&P 500, mais aussi avoir des instruments qui permettent de jouer deux fois la hausse de Nvidia. Donc, on prend beaucoup plus de risques, mais on a cette agilité dans les instruments qui sont mis à disposition pour pouvoir constituer son portefeuille en saisissant les opportunités qui nous intéressent.
- Speaker #0
Alors pour un investisseur européen qui s'intéresse au marché américain, Benjamin, quelles sont les principales dynamiques, si on peut parler de dynamiques vraiment à prendre en compte
- Speaker #1
Disons que les portefeuilles sont beaucoup plus larges typiquement aux États-Unis. Donc il faut savoir que les classes d'actifs qui constituent ces portefeuilles sont beaucoup plus nombreuses, notamment beaucoup plus présentes dans les catégories Venture Capital, Private Equity, Private Credit, qui sont des catégories d'investissement alternatif. qui permettent, bien sûr, un risque assez important d'avoir une espérance de rendement plus forte. Notamment dans les classes d'actifs de Venture Capital, il y a cette startup culture qui sous-tend l'écosystème américain, qui est mise à disposition en termes d'investissement pour l'investisseur de plus en plus lambda, on va dire. Donc, traditionnellement réservé aux institutionnels, cette catégorie s'est étendue depuis les quelques dernières années, aussi aux particuliers.
- Speaker #0
Et en Europe, à contrario, on a une culture qui est beaucoup plus... patrimonial, beaucoup plus à l'ancienne.
- Speaker #1
Effectivement, je pense que on a ce conservatisme qui s'applique aussi à l'allocation d'actifs et qui reflète moins, disons, l'appétit pour prendre du risque, notamment dans des jeunes pousses.
- Speaker #0
Et on va parler évidemment de Donald Trump, qui vient d'être élu en janvier. Donald Trump, quel impact cette élection peut-elle réellement avoir sur les décisions d'investissement aux Etats-Unis Et comment elle est perçue justement aux États-Unis Est-ce qu'elle est perçue différemment qu'en Europe Oui,
- Speaker #1
le phénomène Trump est un phénomène qui s'est déjà réalisé puisqu'il a déjà été président une fois, c'est son deuxième mandat. La deuxième chose, c'est que c'est une personne qui flatte le retour de l'Amérique en force. Il est appuyé par la supériorité économique de l'Amérique à l'heure actuelle, qui effectivement, comme je le disais, croit à peu près deux fois plus vite que l'Europe à l'heure actuelle. Et puis, la troisième chose, d'un point de vue politique et politique économique, c'est quelqu'un qui veut investir fortement aux États-Unis et qui veut forcer aussi les partenaires américains à réinvestir aux États-Unis. Donc, il y a des phénomènes de reshoring et des phénomènes de développement fort d'infrastructures qui ont déjà été commencés sous l'ère Biden à travers le CHIPS Act, mais qui continuent avec Stargate, qui est ce projet d'investissement de 500 milliards de dollars. dans l'infrastructure d'intelligence artificielle ici aux États-Unis pour développer les data centers. Donc le phénomène Trump, il est vu positivement d'un point de vue économique, peut-être un peu moins d'un point de vue politique, et certainement politique étrangère. Donc là, le distinguo est très fort par rapport au sentiment que peut créer Trump à l'international. Ici, on en fait moins les frais.
- Speaker #0
Mais alors, qu'est-ce qui fait qu'en Europe, en France particulièrement aussi, l'arrivée de Trump soit peut-être... mal perçue, alors qu'aux États-Unis, elle est vue plutôt de manière positive.
- Speaker #1
Oui, je pense qu'il y a toujours le switch of the pendulum, c'est-à-dire que la balance était peut-être, d'un point de vue politique, idéologique, allée trop loin du côté démocratique, on va dire gauche, pour faire simple, même si les choses sont un petit peu différentes ici aux États-Unis. Et donc, il y a ce retour de balancier qui est assez naturel, donc il y a un souffle nouveau, on va dire. pas différent, qui s'exprime à travers la mandature Trump ici aux États-Unis. Donc pour cette raison-là, et comme à chaque changement d'investiture, il y a toujours un espoir de la population que les choses aillent mieux. Après, elles vont bien, que ce soit sous Biden ou Trump, l'économie américaine s'est bien portée, avec effectivement des entreprises qui continuent à carré-coller en tête.
- Speaker #0
Alors si on s'intéresse à la France et l'investissement en France est souvent perçu comme un sujet réservé à une élite. Et puis on a le sentiment aussi que l'accès au marché financier reste plus limité qu'aux États-Unis. Selon vous Benjamin, qu'est-ce qui freine encore cette démocratisation et comment cela pourrait-il évoluer à l'avenir
- Speaker #1
Aux États-Unis, il y a quelque chose d'assez extraordinaire. Quand on arrive, on est tout de suite dans le bain des marchés financiers, avec beaucoup de produits qui sont mis à disposition pour investir dans ces marchés-là, qui sont, comme je l'ai dit tout à l'heure, très vastes. Donc on a une connaissance financière qui se développe de manière beaucoup plus rapide. Et la différence flagrante, c'est qu'en comparaison, l'AMF, dans un rapport de 2024, disait que 59% des Français connaissaient pas ou mal les produits qui étaient mis à leur disposition pour investir. Donc ici, on a un écart de connaissances financières qui est assez important. Et il est galvanisé par le fait que, puisque les marchés financiers américains ont eu beaucoup de succès au cours des 10-20 dernières années, l'effet boule de neige de recommandation d'un investisseur particulier à sa famille ou ses amis est beaucoup plus important qu'un investisseur européen. essayez de recommander un fonds euro à votre meilleur ami en disant que c'est un super placement. Je pense qu'il vous regardera deux fois.
- Speaker #0
En revanche, les nouvelles générations semblent plutôt ouvertes à l'investissement.
- Speaker #1
Oui, il y a quelque chose qui se passe qui est de la nature des États-Unis, quelque chose qui arrive en Europe avec le développement des ETF, notamment Exchange Traded Funds, qui permettent par exemple de l'investissement indiciel et d'avoir des portefeuilles relativement diversifiées avec une petite bourse pour commencer. Donc... Donc, il y a ces phénomènes-là et il y a des plateformes qui permettent d'investir, mais beaucoup moins qu'aux États-Unis en comparaison. Donc, il y a encore beaucoup d'efforts à faire sur à la fois l'éducation, mais aussi la mise à disposition d'outils aux investisseurs particuliers.
- Speaker #0
On va donc terminer là-dessus, ce qui laissera matière à réflexion à nos investisseurs français ou européens. Ce que l'on va retenir en tout cas aujourd'hui de cet échange, c'est que l'investissement est aussi une question de culture, alors que les Européens... privilégie souvent la prudence et la stabilité, les Américains ont une approche plus dynamique et plus tournée vers l'opportunité. Investir aux Etats-Unis peut être donc une excellente décision, mais à condition de bien comprendre ses différences culturelles et d'adapter sa stratégie en conséquence. Merci beaucoup Benjamin et au plaisir de vous recevoir à nouveau ici.
- Speaker #1
Merci beaucoup Marc-Antoine.
- Speaker #0
Et merci également à tous pour votre écoute. Rendez-vous très bientôt pour un nouvel épisode d'À l'écoute des marchés, un podcast de la Banque Transatlantique.