- Speaker #0
Salut, bienvenue sur le podcast de à nous deux.
- Speaker #1
On est dans une société très normée, dans laquelle il faut être comme si, mais pas trop comme ça. Si tu débordes un peu, on te le fera remarquer. Si t'es à l'aise avec, on te rebrasse à bizarre. Aujourd'hui, j'avais envie de parler de ce que c'est que d'être gros ou grosse dans une société qui demande de faire un maximum à 42. Qu'est-ce que c'est que de vivre avec un corps jugé différent et qui rencontre beaucoup de violence au quotidien ? On en discute avec Daphné. Salut à tous, bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast. Je suis très contente aujourd'hui d'accueillir Daphné, qui a répondu à l'une de mes petites annonces quand je recherchais des nouveaux invités pour aborder des sujets particuliers. Aujourd'hui, Daphné a répondu présente pour parler d'un sujet qui me touche personnellement et qui me semble important de découvrir en fait et d'en parler. C'est le sujet du fait d'être gros ou grosse dans notre société. qu'est-ce que ça fait, comment on le vit, etc. Et en fait, Daphné est photographe. Et quand j'ai découvert son compte, ça m'a fait beaucoup de bien de voir des corps gros sur les réseaux et de voir qu'il n'y avait pas de soucis là-dessus. Donc, merci Daphné d'être ici.
- Speaker #0
Merci à toi. Je ne suis pas photographe, je suis modèle photo.
- Speaker #1
Je croyais que tu étais photographe.
- Speaker #0
Et non ! J'adorerais, mais en vrai, je ne suis pas assez patiente pour... pour avoir les compétences techniques et tout ça, mais je pose au final, ce qui est beaucoup. Et du coup, je travaille avec des photographes. Mais on en reparlera un peu après, justement, le fait que ce soit pas moi qui prenne en photo, ça a un petit impact.
- Speaker #1
Et effectivement, pourquoi est-ce que tu as répondu présente sur ce sujet ?
- Speaker #0
Pour plusieurs raisons. Déjà, parce que je suis concernée. Je me décris comme une femme grosse. Et aussi parce que je milite pour donner de la visibilité au corps gros, justement, par les photos, entre autres. Et aussi parce que j'ai un petit peu bossé, un petit peu beaucoup bossé le sujet. Il y a quelques temps, je me suis formée pour donner des conférences qui s'appellent des conférences gesticulées. C'est de l'éducation populaire militante. Et du coup, j'ai créé une conférence sur le sujet. Donc, j'ai bien bossé. Au-delà de bosser pour des raisons perso, parce que ça m'a fait du bien sur le moment, j'ai aussi pu prendre conscience du côté systémique et du côté... général du problème. Ce n'est pas que des petits problèmes à moi. Il va y avoir beaucoup de résonance avec plein de monde, avec plein de vécu. Et en fait, je me suis rendu compte que c'était un sujet politique.
- Speaker #1
Tout est politique.
- Speaker #0
Le corps en particulier. Ah là là ! Donc, c'est un sujet qui me touche particulièrement et qui me semble important d'évoquer en sécurité. En sécurité avec toi.
- Speaker #1
Merci de me faire confiance là-dessus et de faire confiance aux personnes qui nous écoutent aussi parce que c'est important. Quand on a discuté un petit peu en off en préparant l'épisode, j'ai fait un amalgame sur la définition de la grossophobie parce que ça va aussi faire partie du sujet de l'épisode parce que quand on est gros ou grosse souvent et régulièrement on est attaqué avec des attaques grossophobes. Est-ce que tu pourrais nous redéfinir ce que c'est la grossophobie et justement ... nous dire les différences entre, bon bah ça c'est entre guillemets une attaque grossophobe et ça, ça l'est pas forcément.
- Speaker #0
Alors, en fait la grossophobie c'est pas forcément quelque chose qui est une attaque, c'est pas forcément une action qu'on subit, c'est aussi, alors c'est ça d'une part, mais c'est également un climat général. En fait c'est, oui, des discriminations, donc le fait d'être pas traité comme les autres dans toutes les sphères de la vie sociale, mais... toutes les sphères, donc dans le côté travail, dans les loisirs, dans la santé. Mais c'est aussi tout un tas de stigmatisations qui vont avec des remarques, parce que tu m'avais posé des questions sur les remarques. Mais c'est des remarques, des attitudes, des croyances, des comportements négatifs. C'est tout ça la grossophobie. C'est plus que des insultes, c'est vraiment tout un climat. C'est basé énormément sur des croyances, fausses évidemment. pas forcément des croyances qu'on a sur soi-même. C'est des croyances que tout le monde, nous y compris, avons sur nous-mêmes, et des préjugés. Et en fait, c'est en ça que le mot grossophobie, ce n'est pas juste un petit adjectif à la légère. Ce n'est même pas un adjectif. Grossophobie, c'est un nom. Peu importe, on n'est pas là pour le faire. Un peu de grammaire. Voilà. Mais vraiment, c'est un système de pensée qui part du principe que les corps sont hiérarchisés. avec au plus haut de la hiérarchie les corps minces, les corps jeunes, les corps blancs, les corps lisses. Il y a vraiment cette hiérarchisation où au plus bas, quand on parle de la grossophobie, se trouvent les corps gros. On parlera de ce que c'est un corps gros après, mais il y a vraiment ce truc sur le préjugé. qui est hyper important, et sur la discrimination. Donc, le fait d'être discriminé, c'est d'être traité autrement, d'être traité moins bien, ce qui a des impacts sur le quotidien, donc dans toutes les sphères. Et j'étais en train de chercher, là, il y a un sociologue qui est le directeur de l'Observatoire des discriminations. Je ne sais plus s'il est directeur, mais il bosse là-bas, qui a juste dit que la grossophobie est très répandue car beaucoup la trouvent compréhensible et tolérable. Ah ! Donc, on parle d'une discrimination Merci beaucoup. mieux compréhensible et tolérable. Donc, on est comme, ok, ça se pose là. Et pourquoi c'est compréhensible et tolérable ? Parce qu'elle est nourrie par un ensemble de préjugés par rapport à l'intelligence, par rapport à la compétence des personnes grosses. Mais là, on arrive dans le deep, on y viendra un peu après. Mais du coup, les préjugés, c'est vraiment un truc... C'est surtout ça qu'il faut questionner, parce que ça se place comme des vérités universelles, incontestables, les gros sont. Donc ça. et c'est tout ça qu'il faut déconstruire c'est tout ça la grossophobie c'est vraiment un truc ambiant et après c'est juste un fond comme ça et puis il y a des petites piques des grosses piques de temps en temps et c'est ça la violence, c'est ça les insultes mais il y a tout dans le truc du fond c'est clair comme je raconte ou pas ? en tout cas moi je comprends il y a vraiment un vivier du truc dans ma con j'utilise l'image de l'arbre où il y a Il y a des racines et ça prend racine dans des trucs. Et il y a un gros tronc dégueu qui est la grossophobie. Après, il y a plein de petites branches. Et toutes les petites branches, c'est toutes les conséquences sur notre quotidien. Mais le tronc général, il est là. Et le fond, c'est le patriarcat, le capitalisme et le racisme. Enfin, toujours les mêmes, de toute façon. Toujours les mêmes. Voilà, c'est pas mal d'entrer en règle, non ? Ça aide à comprendre aussi.
- Speaker #1
Je trouve que c'est bien pour commencer l'épisode de poser les bases sur ça. Comme tu le dis, de toute façon, c'est de la discrimination qui se base, comme tu l'as très bien expliqué, sur des préjugés, comme des personnes racisées peuvent en subir, comme des personnes avec différentes sexualités peuvent le subir. Enfin bref, j'en passe et des meilleurs, parce que dès qu'on ne rentre pas dans une norme dans cette société, c'est compliqué. Donc, effectivement, j'imagine même pas, je trouvais ça intéressant, tu sais, que tu parles de cette hiérarchie... Oula, je vais avoir du mal. Hiérarchiration ? Non, j'y arriverai pas.
- Speaker #0
Cette hiérarchie, ça marche aussi. Cette hiérarchie. Cette hiérarchie. La pyramide.
- Speaker #1
Tu vois, quand tu l'expliquais, j'étais en train de me dire, mais... Enfin, je pensais à une femme, grosse, noire, avec des poils.
- Speaker #0
Lesbienne.
- Speaker #1
Lesbienne,
- Speaker #0
ouais. Handicapée. Bras.
- Speaker #1
Elle est en bas.
- Speaker #0
Et ben, horrible. Et ben, typiquement... C'est ce genre de personnes, tout en bas de cette hiérarchisation, qui ont créé un mot qui est beaucoup utilisé aujourd'hui et qui a complètement été vidé de son sens. Et c'est un mot que je n'utilise jamais, justement pour ça. Et le mot body positive. Dans les années 70, c'est des femmes noires, grosses. Il me semble qu'il y avait beaucoup de personnes queer dans ce groupe qui ont créé le mot body positive. Qui avait du coup... un gros gros truc politique parce qu'en termes de l'hierarchisation, on peut dire qu'elles étaient vraiment hyper opprimées, hyper oppressées. Et du coup, elles ont utilisé ce mot pour revendiquer un droit d'exister. C'est juste basique, normalement. Nos revendications, elles ne sont pas grandisées. Non, là-bas,
- Speaker #1
dans un être vivant, le droit d'exister ?
- Speaker #0
Voilà. Ah bon ? Quand on est une femme, c'est compliqué. Je précise que là, je parle en tant que personne non concernée. Je ne suis pas noire, mais je me sens Aum. Comment dire ? J'essaye de me placer au maximum comme alliée pour les personnes racines. Mais du coup, ce mot body positive, c'est un mot que je n'utilise plus du tout parce qu'en fait, il a été réutilisé complètement. Alors là, ça commence un peu à s'essouffler, cette tendance sur les réseaux sociaux. Mais il a été complètement réutilisé par des petites meufs blanches qui font un 38 et qui ont des plis de peau parce qu'elles se plient en deux, ce qui est un truc normal. Et je ne dis pas qu'on ne peut pas avoir des complexes et des ossexiques.
- Speaker #1
Bien sûr. Chacun ses complexes malgré sa morphologie.
- Speaker #0
Mais on n'est pas oppressé parce qu'on a des vergétures, parce qu'on a fait un 38, qu'on n'a pas mis de la crème hydratante et que machin. On a des complexes, on n'a pas des oppressions à cause de ça. Et en fait, je n'utilise plus ce mot de body positive, parce qu'il a été complètement... Déjà, il y a le côté positif qui induit un peu de la positivité toxique et de « aime-toi quoi qu'il arrive » , mais excuse-moi, non.
- Speaker #1
Ce n'est pas facile en fait.
- Speaker #0
Non. avoir un corps gros dans le monde dans lequel on vit, des fois, c'est vraiment compliqué. Ce mot body positive a tellement été vidé de son sens politique que du coup, moi, c'est quelque chose sous les photos que je poste sur mon Instagram. Il n'y a jamais le hashtag body positive parce que voilà.
- Speaker #1
Je peux complètement comprendre et je comprends complètement parce que je suis assez d'accord avec toi quand le mouvement... Déjà, rien que là, il y a un petit problème. Quand le mouvement body positive est arrivé, j'étais en mode... Ah ! bon bah ça peut faire un peu du bien tu vois c'est cool, on commence à avoir des nouvelles morphologies et franchement je parle de ça c'était il y a quoi, il y a une dizaine d'années j'ai l'impression en tout cas c'était il y a une dizaine d'années et je me dis ah cool, on va commencer à montrer des corps un petit peu différents des corps gros machin, cool et tout et puis alors là ça s'est ramassé mais c'est redescendu comme un soufflé parce que comme tu le dis, en fait c'est des nanas qui faisaient du 38 ou du 40 et qui disaient ah là là je suis grosse si tu te... tu as le droit de te sentir grosse en faisant un 38 ou un 40.
- Speaker #0
Même ça, je ne suis pas d'accord, mais on en reparlera après.
- Speaker #1
Moi, je me dis, après, c'est ta propre perception de ton corps, et tu peux te dire, putain, je fais un 38, mais je me trouve grosse. Moi, je le vois personnellement. Je me dis, bon, tu as le droit, OK. Mais ne faisons pas une généralité, parce que, comme tu disais, il y a la différence avec l'oppression. C'est que je ne pense pas que la société va te pointer du doigt en disant, toi, tu es grosse, parce que ce n'est pas vrai. Elle ne le fera jamais, tu fais un 38. Va parler à une nana qui fait un 46, un 48, un 50, un 52 et plus. Là, elle, elle va se prendre des remarques par la société, en fait. Et c'est là que le mouvement a perdu un petit peu de sa valeur à mes yeux aussi.
- Speaker #0
Il y a un vrai enjeu sur le fait que le mouvement body positive, il a été très dépolitisé, justement. Il était question beaucoup d'insatisfaction corporelle. Et c'est important de pouvoir s'empouvoirer par rapport à ça, de se dire, non mais ce n'est pas des complexes, ce n'est pas mes imperfections font ma perfection. Déjà, c'est questionnable sur pourquoi on parle d'une imperfection, en fait. Juste une variante d'un corps. Oui, en fait, la peau, elle n'est pas lisse. Mais en fait, aucune peau n'est lisse, vraiment. Même dans la constitution biochimique de la peau, ce n'est pas lisse. Ce n'est pas possible,
- Speaker #1
il y a des pores.
- Speaker #0
Voilà, en fait.
- Speaker #1
Il y a des pores.
- Speaker #0
par définition une peau c'est pas elle respire c'est incroyable mais pour revenir à ce je me sens grosse quand on est vraiment petit coeur sur les petites meufs qui font du 38 on a rien contre vous c'est pas le 38 le problème c'est le fait de vivre une oppression et de pas de réutiliser les mots de certaines médicantes et de certains médicaments Mais pour moi, le côté « je me sens grosse quand on n'est pas » , ce n'est pas OK pour moi. J'explique pourquoi. La grosseur, ce n'est pas un ressenti, ce n'est pas une émotion, ce n'est pas une sensation. La grosseur, être grosse, être gros, c'est une réalité concrète et matérielle. C'est une réalité concrète qui donne des possibilités ou des impossibilités d'accès au monde. C'est ça l'oppression. Le fait d'être oppressé, c'est de ne pas pouvoir accéder au monde. Et ces possibilités ou ces difficultés, ça varie en fonction d'où on se situe sur le spectre de la grosseur. Mais te sentir grosse, c'est plutôt je me sens ballonnée. Je ne me sens pas bien aujourd'hui. J'ai mal quelque part. Je ne me sens pas désirable. Je ne me sens pas désirée. Et ce travail sur le vocabulaire, sur les mots qu'on a pour se décrire, pour moi, c'est primordial de dire non. Alors, OK, tu te sens grosse, ça veut dire quoi ? Et en fait, est-ce que... Parce que... gros, vraiment, on va revenir au mot gros. C'est pas un gros mot.
- Speaker #1
Ouais, alors ça, purée. Ouais, j'en ai marre de ça.
- Speaker #0
Un adjectif.
- Speaker #1
J'en ai marre.
- Speaker #0
Mais oui, il faut en avoir marre que ce soit un gros mot. Même d'un gros mot, en fait. Il y a même un truc qui m'a pas... Si ça a été une insulte.
- Speaker #1
Ça l'est devenu, en fait.
- Speaker #0
Pourquoi ? Parce que la hiérarchisation des corps. Mais c'est ça que quand on parle d'un corps. Quand on parle d'une maison, une grosse maison. On parle d'un salaire. Quand on parle d'une bite, je l'utilise, cette phrase-là, parce qu'en vrai, c'est marrant, en fonction des contextes, il n'y a pas de problème. C'est pas la taille qui compte. Pourquoi, quand il s'agit d'un corps, c'est une insulte ? Parce qu'il y a cette hiérarchisation, il y a tout ça derrière. Moi, je me définis comme grosse, parce que j'ai bien conscience que ça a été une insulte. Mais quand c'est dans ma bouche à moi, c'est une arme qu'en face, ils n'auront pas. Du coup... C'est vraiment un truc, et là, moi, je pense que toi aussi, tu as eu cette utilisation politique du mot, où on se le réapproprie. C'est comme les gars homosexuels, les gays, qui se déterminent comme pédés. Ça a été une insulte pendant longtemps. Et puis, on se réapproprie. Et ça, c'est vraiment un mouvement politique de se dire, on réutilise un mot qui a été une insulte, parce que du coup, il va perdre de sa valeur d'insulte, parce que dans ma bouche, si moi, je me décris comme grosse, et puis, c'est juste un fait, c'est un adjectif. Être grosse, c'est être au-delà de la norme. Ben oui, je suis au-delà des normes corporelles, quand bien même il y ait une norme. Mais c'est là où il y a cette idée d'hierarchie et puis qu'il y a toute cette histoire de préjugés, etc. C'est qu'il y a ce côté taille du corps, mais ce n'est pas un adjectif tout à fait pareil qu'être brune, porter des lunettes. avoir des tatouages. C'est marrant parce que j'ai l'impression que je te décris et que je me décris aussi, parce que j'ai complètement... T'as au piercing, moi aussi. Du coup, voilà. Eh bien, contrairement aux lunettes, contrairement à la couleur des cheveux, contrairement à la couleur de la peau, être gros, il y a une notion de choix qui n'est pas vraie. Mais en fait, quand on est gros, on est un peu considéré comme responsable de son état corporel. Comme s'il y avait ce truc de je refuse de me conformer. Et pourquoi tu fais pas ça ? Et du coup, les gens cherchent à expliquer pourquoi on est gros. Tu cherches à expliquer pourquoi je suis brune. Enfin, au bout d'un moment, ça s'appelle la génétique, ça s'appelle un tas de trucs.
- Speaker #1
Ouais, mais quand t'es gros, on considère que tu pourrais être mince. Ou normale. J'ai un peu de mal à utiliser le mot normale, mais être dans la norme.
- Speaker #0
On peut dire mince. Et que, en fait, c'est parce que c'est des choix ou des non-choix et que t'as pas fait assez ou que t'as trop fait quelque chose. De là découle aussi, enfin c'est pas de là où ça découle, mais ça, ça vient des préjugés. Les gros sont fainéants, n'ont pas de volonté, etc. Ils n'en regardent rien, ils ne font pas de sport. Exactement. Tout ça, c'est les préjugés qui viennent avec la grossophobie. Ce truc de fainéantise, d'improductivité, donc ça coucou le capitalisme. Ils ne sont pas compétents, donc ils ne sont pas intelligents. Parce qu'il y a... Qui voudrait être tout en bas de la... Personne.
- Speaker #1
Et en plus, si je peux me permettre... Les gros, souvent, ils sentent pas bon. Alors ça.
- Speaker #0
Ah là là. C'est un de mes points dans... Je suis un peu émue parce qu'il y a ce truc de... Je sais pas d'où ça vient, ce préjugé-là, mais je l'ai à fond pour moi aussi. Et c'est quelque chose où, avant de faire des photos ou de monter sur scène, je fais de l'effeuillage burlesque. Je me fous à poil sur scène remplie de paillettes pour militer, justement. Tata. Et bien, je suis en panique totale sur l'odeur. Et du coup, il faut que je mette trois couches de déo, machin et tout. Alors que vraiment, tout le monde sent la transpiration quand il fait 40 degrés, quand tu es sous des projecteurs, machin.
- Speaker #1
Mais bien sûr. Mais tu vois, ça fait partie, j'ai l'impression, des trucs qu'on nous a foutus dans le crâne. Et depuis qu'on est enfant, depuis qu'on est petit, toi, tu vois, tu as ce truc sur l'odeur corporelle, la transpiration et tout. Moi, j'ai vachement ce truc sur si tu es gros, ne fais pas de sport. Ça ne marchera pas. Et tu vois, pour mon exemple perso, ça fait un an maintenant que je me suis mise à la course. J'ai 34 ans.
- Speaker #0
T'applaudis, il trouve d'être bien. Merci.
- Speaker #1
Bah ouais, je suis trop contente. Mais j'ai mis des années avant de m'y mettre. En me disant, bah non, t'es pas capable, on va se foutre de ta gueule. T'as pas le corps fait pour, tu vas être essoufflée comme un gros bœuf. Waouh, franchement, j'ai mis un temps de ouf à m'y mettre. Et bah merci mon copain de m'avoir... pousser et booster et de m'avoir donné confiance là-dessus parce que lui, lui fait partie de la catégorie des gens minces, athlètes, musclés,
- Speaker #0
machin,
- Speaker #1
tout ce que tu veux, tu vois. Et il n'a pas arrêté de me dire « Vas-y, tu vois. Vas-y, on s'en fout. Vas-y, ça va te faire du bien. Fais-le. Si tu as envie de le faire, en fait, tu le fais, tu t'en fous. » Mais j'ai mis un temps, mais de malade avant de se débloquer.
- Speaker #0
Alors là, tu parles des pensées, mais il y a aussi un truc très concret dans l'accès au sport. Quand je disais qu'être gros, c'est une réalité concrète. Non mais les habits de sport là Et bah oui En fait Je pense que c'est dur Ah les gros Faut que vous vous mettiez au sport Comment ? Vas-y Comment ? Moi
- Speaker #1
Au niveau de taille de vêtement Je fais un 48 46 48 Donc je suis allée à Intersport Je nomme les marques Rien à foutre
- Speaker #0
Vas-y vas-y Non mais Intersport Décathlon Go Sport C'est bon voilà Comme ça Alors Merci. Ouais,
- Speaker #1
alors Intersport, GoSport, les deux. Genre le XL, c'est pas du XL. Je rentre pas dedans alors que d'habitude, je rentre dedans. Et Decathlon en magasin, de la merde aussi. Mais sur Internet, sur leur site, par contre, ils font des grandes tailles. Et ça m'a fait plaisir. Alors par contre, leurs tailles ne sont pas normées comme les autres. J'achète un XL à Decathlon. Je suis comme ça dedans.
- Speaker #0
Le truc, il remonte tout le temps.
- Speaker #1
J'ai dû prendre, je crois, un 3XL. Chez Decathlon, pour que ça corresponde à ma taille habituelle, en fait. Morphologie, exactement. Donc, tu vois, j'étais un peu en mode, bon, ils ont fait un effort, mais je ne sais pas, revoyez vos dénominations de taille, je n'en sais rien, vous êtes cheloues. Mais oui, c'est un sujet, les vêtements.
- Speaker #0
Eh bien, c'est un sujet et il y a vraiment un truc là, tu as abordé plein de points qui sont hyper, hyper caractéristiques et qui peuvent vraiment... C'est un élément en quoi la société est grossophobe. Enfin, vraiment. C'est ça. Les médecins, ce n'est pas qu'on est con et qu'on n'arrive pas à en trouver. Ce n'est pas ça.
- Speaker #1
C'est qu'on n'en a pas disposition, en fait.
- Speaker #0
Il n'existe pas. Et ça, c'est un mot qui est important à dire. Ça n'existe pas. Et si ça existe, quelle galère pour le trouver ? Combien de magasins tu as fait ? Et où est-ce que tu as trouvé finalement ? Oh, sur Internet, caché c'est gros, que je ne veux pas voir en magasin.
- Speaker #1
Et à quel prix ? Parce que souvent, c'est bien plus cher.
- Speaker #0
Systématiquement plus cher. Et les conneries de « il y a plus de tissus parce que… » Dans ce cas, s'il fallait faire varier les prix, une taille 34 coûterait moins cher qu'une taille 44. Ce n'est pas le cas, non ? Voilà. Par l'argument. Parce que c'est pas ça, c'est vraiment...
- Speaker #1
Et puis on fait pas ça pour les chaussures. Enfin, les chaussures, en fait, c'est pareil. Il y a des gens, ils font du 53 et d'autres, ils font du 36. Bah pourtant, le prix est le même. Alors pourquoi est-ce qu'on dirait ça sur les vêtements ? C'est ridicule, en fait.
- Speaker #0
Parce qu'il y a cette croyance pour choisir la taille de son corps. Et que t'as qu'à faire un effort aussi. Il y a vraiment ce truc. Et à propos des vêtements, c'est un des points que j'aborde dans ma courbe et du coup j'ai quelques chiffres. et je trouve qu'ils sont un peu significatifs et j'aime bien les dire. Très souvent, je faisais le geste parce que du coup, ça ne va pas être vu, mais pour se rendre compte. Parce que du coup, j'adore parler avec mon corps, mais du coup, à l'audio, ça n'entend pas les mouvements. Souvent, les chiffres-là, ça fait un peu froid dans le dos aux minces et ça fait un « bah ouais » aux personnes non minces parce que genre, bah oui, en fait, c'est bien ce que je dis, mais euh Donc l'Union française des industries de l'habillement qui explique que par rapport aux tailles 38, il y a trois fois moins de taille 44 en magasin en France. 44 étant la taille moyenne.
- Speaker #1
Des fois, c'est ce qui me semblait que le 44, c'était la moyenne.
- Speaker #0
C'est la moyenne. 44-46, c'est vraiment la taille moyenne des femmes en France. Il y a trois fois moins de vêtements en taille 44. En taille 46, par rapport aux tailles 38, il y a 15 fois moins. Et en taille 48, en rapport au 38, 71 fois moins. C'est fou, hein ? Ouais. Donc, c'est la taille que tu portes, ce que tu me disais. Tu as concrètement, je rappelle, être gros, c'est une réalité concrète d'accès au monde. Tu as concrètement 71 fois moins de possibilités de t'habiller une personne au corps normé.
- Speaker #1
De toute façon, tu me vois, hein ?
- Speaker #0
Et ça se voit. Et puis, au-delà de... C'est vraiment, il y a des vêtements qui n'existent pas. Il y a des enseignes qui ne font pas. Moi, j'ai ce souvenir. d'un truc... Je vais en magasin, je me fais scanner le corps visuellement par une vendeuse qui me fait nom de la tête. Je suis à la porte du magasin. Ce n'était même pas pour moi que j'entrais dans ce magasin parce que je n'avais même pas l'outrecuidance de me dire que j'allais me freiner à ce moment-là.
- Speaker #1
Puis tu le sais, tu sais aussi les enseignants qui font que je ne comprends pas. Tu les connais, mais horribles par contre.
- Speaker #0
Voilà. Alors, j'ai eu le regard désolé et plein de gêne de la part de la petite meuf qui était à ce moment-là adorable et qui me fait une petite tête désolée en me disant « non, on n'aura pas » , et qui s'excuse et tout ça. Mais ça, c'est l'option 1, et qui est l'option plutôt OK. Il y a l'option 2, où vraiment, il y a du jugement et du mépris dans le regard et dans le visage de la personne. Et qui est… Ah non, non, non, non, mais on ne fait pas. Il y a une… On ne fait pas. Merci. un jour qui m'a dit, je faisais du shopping avec ma mère, j'ai cru qu'elle allait décapiter la vendeuse. Ma mère qui n'est pas concernée, qui n'est pas grosse et du coup qui a pas pris conscience de tout. La nana me dit ah non mais on n'aura pas du plus ça parce que vous comprenez, nous on fait quand même des modèles de vêtements plutôt élégants.
- Speaker #1
Ah parce que quand on est gros on peut pas être élégant.
- Speaker #0
Et plutôt raffiné et puis parfois un peu sexy. juste allez faire un petit tour sur mon compte Instagram, dites-moi que je ne suis pas sexy, puis on en reparle après. Voilà, parenthèse fermée. Donc vraiment, il y a ce truc de... Je vais prononcer un peu en chuchotant, parce que c'est un peu honteux et dégoûtant quand même. C'est vraiment honteux, et en fait, je ne sais pas comment gérer cette situation. Il y a des personnes qui le font avec mépris, d'autres personnes qui le font avec gêne. Et au final, comment ça termine, les sessions shopping ? C'est les personnes concernées qui sont pleines de honte et pleines de gêne. C'est ça.
- Speaker #1
Tu te dis, je ne suis pas faite pour ça. Moi, je ne peux pas. Moi, je n'ai pas le droit.
- Speaker #0
Moi, je n'ai pas le droit. Moi, je ne mérite pas. Et le nombre de sessions shopping que j'ai terminées en pleurant, moi, en bad. Ça fait quelques années que je ne vais même plus m'exposer. Moi, je ne fais même plus mon shopping en magasin parce qu'au final, ça n'existe pas. Ou alors, c'est des magasins hyper moches ou hyper chers. Et du coup, je fais autrement pour trouver des vêtements. Et du coup, le faire autrement, c'est des trucs qui ne sont pas forcément très éthiques. Les vêtements, les boutiques, ce ne sont même pas des boutiques, mais les sites qui font des trucs. Mais en fait, là, en ce moment, c'est grave la mode du... Comment ça s'appelle ? Du vintage, du...
- Speaker #1
Ouais, la seconde mode, à toi.
- Speaker #0
Ah si, je te mets au défi. Non,
- Speaker #1
c'est pas facile.
- Speaker #0
Et de trouver... Je porte du 50, moi. Va trouver une taille 50.
- Speaker #1
C'est impossible, il n'y en a jamais. Il n'y en a jamais. Moi, quand je vais en fripe, ça va être pour me trouver un sac, un accessoire, en fait.
- Speaker #0
Un accessoire ? Une ceinture, mais encore, parce que...
- Speaker #1
Parce qu'elles sont petites,
- Speaker #0
on ne les a pas. Les barrettes, les machins, un petit châle, ça, c'est sympa, mais... Et juste, quand tu regardes que ça n'existe pas, en fait, ils n'étaient pas fabriqués de base. Et du coup, ils ne retournent pas en circuit de la seconde main.
- Speaker #1
En parlant de vêtements, la lingerie aussi. En fait, ça va avec ce truc de « non, mais une grosse ne peut pas être sexy, elle ne peut pas être désirable » . Donc la lingerie, c'est un vrai sujet aussi, je trouve. Moi, je trouve ça abusif.
- Speaker #0
Il y a vraiment cette croyance sur le... désir. Et vraiment, en plus, j'ai noté, tu me disais que ton chéri était plutôt mince, normé physiquement, etc. Eh ben, il y a un vrai truc autour des couples comme vous, où les gens pensent que c'est pas possible.
- Speaker #1
Ah, un mince et un gros ensemble ?
- Speaker #0
Ouais. Genre, mais comment, lui, attends, mais il a toutes les meufs qu'il veut pour le faire.
- Speaker #1
Mais il a toutes les meufs qu'il veut parce qu'il est mince.
- Speaker #0
Bien sûr. Dans la réalité, c'est pas... C'est pas vrai, mais il y a une croyance autour du fait que les meufs grosses ne sont pas désirables et ne sont pas désirées, qui est complètement faux. Et j'ai rassemblé des témoignages et des choses complètement abjectes là-dessus. T'es prête ou pas ?
- Speaker #1
Moi, je suis prête. Même si je trouve que je vais être choquée et outrée, mais allons-y,
- Speaker #0
c'est outrant. C'est un vrai truc où... Quand j'ai commencé à faire du burlesque, de l'effeuillage burlesque, du cabaret, je me suis dit que tout ça, c'est pour attirer les garçons, c'est ça ? Parce que sinon, ils ne sont pas... Non, ce n'est pas pour ça. Enfin, vraiment. Pas d'autres raisons que je fais de l'effeuillage, mais il y a vraiment un truc de... Comme si j'avais besoin de faire plus pour attirer. Et il y a un vrai enjeu autour du rapport aux hommes. Alors... Moi, je vais parler de ce que je connais le plus, à savoir les rapports hétéronormés. Et gros, gros truc autour de ça, parce que ce n'est pas du tout les mêmes questionnements dans les relations queer. Il y a vraiment autour de... Les femmes grosses ont des vécus qui sont assez... Moi, en tout cas, pendant très longtemps, j'ai eu peur. J'ai eu peur de casser les garçons. Je pèse quasiment 100 kilos et du coup, je me dis, non, mais ils ne peuvent pas... Si je me mets sur eux, je vais les casser. Et en fait, ça, c'est un vécu qui a été vraiment dans beaucoup, beaucoup de témoignages que j'ai pu retrouver. Et j'en ai tiré la règle des trois P. Donc la peur, du vécu des femmes grosses. Donc la peur, je vais le casser. La pitié, la croyance que nos partenaires restent par pitié pour nous. Et le troisième P, c'est la proposition de relations cachées. Et j'appelle aussi ce troisième P comme pantoufles. Parce que les grosses, c'est comme les pantoufles. On est bien dedans, mais on ne sort pas avec. Personnellement, je me suis vraiment habituée à être en relation avec la maîtresse, à être celle qu'on ne montre pas, celle dont on a honte. J'ai clairement un gars que j'avais dédicté qui m'a dit « Qu'est-ce que les gens penseraient s'ils me voient avec une meuf comme toi ? »
- Speaker #1
La violence, quoi, putain.
- Speaker #0
Et vraiment, c'est où ? Sur des applis de rencontre ? Des trucs complètement... Il y a vraiment un imaginaire complètement erroné autour des femmes grosses. À savoir, derrière les 3 P, il y a vraiment ce côté de asexualisation. Oui. Vraiment, on est complètement invisibilisé là-dedans. On ne peut pas être désirable, on ne peut pas être désiré. On ne peut pas désirer. Ou alors, si on désire, ce n'est pas écouté. Parce que de toute façon, tu vas bien prendre ce qu'on te donne. Avec le corps que tu as, tu ne vas quand même pas faire la fine bouche.
- Speaker #1
Exactement. tu ne vas pas non plus avoir des critères.
- Speaker #0
Et vraiment, il y a ce que tu te... Et moi, pendant très longtemps, j'ai vraiment été dans... J'ai accepté, j'ai toléré des relations violentes, même, où j'ai été mise en danger, où j'ai été violentée, parce que j'avais vraiment cette croyance de... De toute façon, je... Si je pars, qui est-ce qui pourrait encore ? Et ce n'est même pas m'aimer, c'est juste me tolérer. Ce n'est même pas en capacité d'être aimée, c'est vraiment un truc genre... Il y a vraiment un impensé autour de la désirabilité des femmes grosses. Et il y a une vidéo qui montre ça hyper, hyper bien. Tu m'as dit ton âge, et du coup, je pense que tu es de la génération, tu l'as peut-être vu passer à l'époque. Ça date de 2017, et c'était la première du quotidien, le journal de Yann Barthès. Oui. Donc à l'époque c'était sur Canal. Et en fait, elle n'est plus trouvable sur YouTube. La vidéo, elle est juste trouvable sur Voici. Et c'est le témoignage d'une femme, noire et grosse, à propos de Usher, un rappeur. Un assez grand rappeur à l'époque, il était hyper connu en 2017. Et en fait, cette femme porte plainte contre Usher parce qu'il lui a refilé de l'herpès ou une IST. qui est aux États-Unis un truc pour lequel tu peux porter plainte parce qu'il n'a pas informé ses partenaires. Et cette femme témoigne. Elle est noire et elle est grosse. Sur le plateau du quotidien, il y a Jamel Debbouze qui se met à hurler de rire. Et à hurler, c'est impossible, menteuse, menteuse. Alors, c'est la vidéo de cette femme. C'est la vidéo de cette femme. Elle est parlée par les... C'est général. Et tout le plateau est... Parce que ouais, à ce moment-là, une meuf grosse qui témoigne d'avoir couché avec un mec connu, ce n'est pas possible. C'est un impensé. Ce n'est vraiment pas possible. Il y a aussi ce truc... Donc, il y a... Ou alors, ça n'existe pas et c'est aussi de l'accès à de la contraception et à des soins gynéco qui ne sont pas faits. Il y a plusieurs témoignages de femmes grosses qui disent que des gynécos ont refusé de leur prescrire la pilule. Parce que, enfin, en même...
- Speaker #1
Vous n'avez pas de rapport,
- Speaker #0
donc c'est pas possible. Vous n'avez pas de rapport, donc il n'y a pas à y protéger de quoi. Il y a une personne qui témoigne, Gabrielle Dédier, c'est elle qui témoigne de ça, qui est une autrice sur ces points, qui témoigne du fait d'avoir été aux urgences pour des maux de ventre un temps. Et c'était une grossesse extra-utérine. Et en fait, ils n'ont pas... gardaient ça, ils n'ont pas fait d'échographie parce que vous êtes grosse, vous allez mal au ventre parce que vous avez un gros ventre. Normal, vous êtes grosse.
- Speaker #1
C'est ça le problème.
- Speaker #0
Il n'y a peut-être pas trop de choses. C'est pensée qu'il pouvait y avoir une grossesse et une grossesse problématique parce qu'extra-utérine avec plein de conséquences, ça n'a même pas été dans les pensées médicales à ce moment-là. Donc ça, c'est pour tout le pan invisibilisation des corps gros en relation, mais il y a aussi l'autre pan. qui est l'hypersexualisation. Et en fait, il y a un entre-deux où à la fois, d'un point de vue social, ça n'existe pas. Et en fait, il y a tout l'envers du décor. Et il y a tout ce paradoxe où moi, j'ai été poule fétichisée. Les seins, le cul. Et vraiment, j'ai été une paire de boobs et une paire de fesses. Vraiment. Et qui y avait autour, peu importe. Il y a beaucoup... Ça, je l'ai tellement, tellement vu. Pendant un temps, j'étais sur Tinder, il y a dix ans de ça. Mais j'ai vu des dents grises où vraiment, il y avait des gars qui me parlaient direct et en me disant, au bout de trois messages, me disaient « Non, mais de toute façon, moi, j'aime bien les meufs un peu… » Donc, ils trouvaient plein de mots pour dire « grosses » parce que… Parce qu'on serait gourmandes et chaudes. Ben oui, parce qu'elles sont gourmandes, parce qu'elles sont grosses, donc elles mangent beaucoup avec leur bouche. Donc, elles aiment bien faire des pites. Et puis, on est un peu chaudes parce que quand même, ça ne doit pas arriver souvent.
- Speaker #1
Exactement, c'est ce que j'allais dire.
- Speaker #0
On a envie parce que…
- Speaker #1
Attends, mais quelle odeur tu fais ! Tu me portes de l'intérêt, tu me sexualises, mais merci, ça ne m'arrive jamais.
- Speaker #0
Là, je vais être... Il y a un podcast de Marie Debrower, qui est journaliste et réalisatrice. Je vais la suivre, cette meuf.
- Speaker #1
Je la connais, elle est super.
- Speaker #0
Elle est géniale. Et Kimis, qui est une autrice afro-féministe, elle discute à un moment sur un podcast et elle dit cette phrase. par rapport à la séduction, à la sexualité des femmes grosses. Et vraiment, moi, ça m'a fait exploser la tête d'entendre cette phrase. Il y a une expérience spécifique quand il s'agit d'évoluer dans un monde qui nous considère comme à l'opposé des standards de beauté. Et vraiment, c'est une expérience spécifique. Et c'est difficilement descriptible parce que, bah ouais, c'est un vrai truc. Enfin, moi, ça m'a fait un drôle de truc de m'en rendre compte. Je ne m'en étais pas rendue compte pendant très longtemps. Et c'est en écoutant un podcast aussi que je me suis rendu compte que ce n'était pas que moi. Parce que pendant un moment, j'ai cru que c'était moi toute seule. Plusieurs années en arrière, j'étais genre, non mais c'est mes démons persos et tout. C'est dans ma tête. Et je me rappelle vraiment de la prise de conscience du fait que c'était une expérience spécifique, mais collective. En écoutant une vidéo de Léa Bordier, c'est une nana qui faisait des vidéos sur YouTube qui s'appelait Cher Corps. C'était super d'ailleurs. Les vidéos étaient incroyables. Mais je me rappelle encore de découvrir le témoignage de Juliette Katz, anciennement Coucous.
- Speaker #1
Coucous les girls, oui.
- Speaker #0
Elle explique qu'elle se sent indigne d'attention, de désir. Elle exprime son vécu de se sentir dégoûtante et pas légitime. Et moi, vraiment, j'étais assise sur mon lit dans ma coloc de l'époque et vraiment, j'ai bloqué et ça m'a bouleversée. Ah mais je ne suis pas la seule.
- Speaker #1
Mais ça percute en fait quand tu te rends compte, parce que c'est exactement ça. J'ai eu les mêmes genres d'expérience que toi, évidemment, parce que j'ai toujours été grosse, depuis que je suis petite en fait. Et c'est exactement ça, quand justement Chercore, et puis cœur sur cette ancienne chaîne YouTube, cœur sur Juliette Katz, parce que ça a été une des premières femmes grosses que j'ai suivies et qui se revendiquaient en disant, bah ouais, je suis grosse, et je me mets en culotte sur Insta et tu vas faire quoi ? Bref. Merci à ces femmes parce que ça m'a énormément aidée, comme je pense beaucoup d'autres femmes. Et effectivement, Juliette Katz, elle a beaucoup partagé le fait que, je reviens aux histoires de couple et tout, qu'elle a souvent été l'autre en relation cachée. Et je me disais, putain, mais c'est quoi le problème en fait ? On ne peut pas être visible en fait. C'est honteux de nous tenir la main dans la rue, c'est honteux de dire qu'on sort avec nous, qu'on a des relations sexuelles avec nous. ça. Stop, en fait !
- Speaker #0
C'est de la honte ! Je me rappelle vraiment, quand elle parle du fait d'être l'autre, de prendre conscience à quel point moi, j'ai été l'autre. Et au point où, encore aujourd'hui, il y a des moments, il n'y a pas très longtemps, un de mes partenaires, on va dîner ensemble. Alors ça aussi, c'est tout un peu paquets, mais on en parlera un peu après peut-être. En sortant du restaurant, il me prend la main. Et il a une attitude normale. Il me prend par la taille ou il me prend la main. Et pour lui, c'était complètement anodin. Parce que, bah, juste, il se comporte bien, quoi. Ouais, il se comporte... Enfin, normal, quoi. C'est un pauvre rien. Et moi, à ce moment-là, j'ai checké tout autour en me disant « Ah, il fait ça parce qu'il n'y a personne qui nous voit. » Alors que pas du tout, quoi. On était dans le bar en bas de chez lui. Et du coup, c'est sa cantine. Enfin, le petit resto-bar en bas de chez lui. Et vraiment, la première pensée que j'ai eue... « Ah, il n'a pas honte de moi. » C'est horrible. Et... putain, ouais, c'est horrible. mais ça c'est de l'intériorisation de la grossophobe à force de vivre cette discrimination et cette violence au quotidien on a l'automatisme mais oui complètement c'est juste un fait et c'est les préjugés c'est ce truc qui est présent de vérité générale c'est comme ça et du coup c'était devenu pendant un temps ma norme d'être cachée et du coup c'était trop la fête quand quelqu'un se comportait normalement c'était même pas exceptionnel c'est juste euh à quelqu'un qui n'a pas envie de me cacher pour me baiser et qui, en fait, n'est pas juste en train de me fétichiser.
- Speaker #1
Oui, c'est ça.
- Speaker #0
Eh bien, je trouvais ça exceptionnel. Donc, c'est vraiment un gros temps de... J'ai un souvenir qui me revient d'être en covoite avec un de mes cousins qui est un petit peu plus âgé que moi et qui me demande très sincèrement et très premier degré, genre, « Ah, mais t'as des mecs ? » « Ah oui. » « Mais ils sont comment ? »
- Speaker #1
Est-ce qu'ils sont gros comme toi ?
- Speaker #0
Exactement. Mais oui, les gros, je m'imagine avec les gros. Ils sont produits entre eux. Et du coup,
- Speaker #1
ils font des gens gros parce que ça marche que comme ça.
- Speaker #0
Ah oui. Et alors, j'adore les mecs gros aussi. Je fonctionne beaucoup avec l'humour, mais c'est l'humour. Oui, il faut rire parce que sinon, on n'a pas le temps d'en pleurer. Moi, j'adore aussi les mecs gros. Je suis attirée par tout type de gars et je peux complètement envisager de sortir avec un mec gros aussi. complètement envisagé de sortir avec un mec mince, vraiment, mais dans la tête de mon cousin qui... J'en parle pas parce que c'est mon cousin, c'est dans la tête d'un mec lambda de 35 ans. C'était il y a 10 ans, en train, donc une quarantaine d'années. Et je lui dis « Ah ils sont comment ? Ils sont gros... » « Ah non, non, c'est des noirs en fait. » « Ou alors c'est des arabes, c'est ça ? » « Enfin, je veux dire, ils aiment bien ton... » Et là, il désigne mon corps. Et il termine par « Ah ouais, non mais c'est parce que les seins... » à ce moment là mon cousin il veut vraiment pas être il m'aime de tout son coeur il comprend rien de ce qu'il raconte c'est sûr la violence de ce que c'est Et en même temps, c'était pile à l'époque où moi, ma description sur Tinder, c'était il y a une dizaine d'années, c'était vraiment le « je suis généreuse, mais pas que pour ma morphologie, j'ai pas vraiment la taille mannequin, mais j'ai des gros seins » .
- Speaker #1
Mais tu sais que moi, quand j'étais sur des sites de rencontres à l'époque, Tinder pas trop, parce que je trouvais que les mecs, c'était vraiment que des gros Ausha et ça m'intéressait. Oui, j'ai quand même écumé pas mal de sites de rencontres à l'époque. Et je ne mettais aucune photo de moi en entier. Parce que je me disais,
- Speaker #0
ça va réduire mes chances.
- Speaker #1
Alors que si on discute un petit peu avec le mec, il va se rendre compte que je suis sympa, je suis rigolote, etc. Et puis bon, après, on verra ce qui se passe. Genre, je faisais de la tromperie sur les marchandises. Parce que je me disais, si je me montre en entier, je vais directement réduire mes chances. Et je me rendais bien compte que ce que je faisais, ce n'était pas forcément très honnête et tout. Mais en fait, déjà, je n'arrivais même pas à m'assumer, à me montrer en entier. J'allais très peu de photos de moi en entier parce que je ne m'aimais pas, en fait. Parce que mon corps est gros, donc ça ne va pas. Et encore moins de le montrer sur un site de rencontre où je vais avoir des mecs qui vont me dire « Ah bah non, t'es grosse. » Oui, et donc ?
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Alors que pourtant, ça faisait peut-être, allez, je te dis, une semaine qu'on se parlait par message, machin et tout, qu'on s'appelait des sœurs et tout, que le courant passate. à balle. Ah, mais t'es grosse. Ah. Après, je peux encore entendre que tu sois plus attirée par des personnes minces, que tu sois plus attirée par des personnes grosses. Je l'entends à mille balles, mais c'est vrai que tu te dis, putain, donc c'est problématique, quoi.
- Speaker #0
Et pourquoi il n'y a pas cette attirance sur les corps gros, c'est aussi par manque de représentation. En fait, quand tu questionnes plein de monde, Moi, je me suis rendue compte au fur et à mesure de mes rencontres qu'il y a beaucoup de personnes qui disent « Ah non, mais j'aime bien les meufs curvie, les meufs grosses. » Mais c'est juste qu'il le... Des fois, il ne le savait même pas ce qu'il fait. Parce qu'il y a vraiment une image biaisée et une illusion d'anormalité. Sur l'image biaisée et stigmatisée des femmes grosses, j'ai un mini-exemple là-dessus par rapport à la sexualité et la séduction. Tout en représentation... romantiques, érotico-romantiques. On n'a pas d'image de peuple ou de gars gros. Il n'y a pas de représentation de couple avec des morphos diverses. Là, ça commence un petit peu à changer dans la culture audiovisuelle, mais il y a eu une surreprésentation. On est de la même génération, donc je vais parler d'une série qui fait partie du paysage de base d'audiovisuel, Friends.
- Speaker #1
Ah ouais, ils sont tous minces, c'est bien.
- Speaker #0
Non, il y en a une qui était grosse. Ouais,
- Speaker #1
Rachel. Ah non, c'était Monica, pardon.
- Speaker #0
Et quand elle est grosse, comment quand elle est grosse ? Elle est naïve, grosse, vierge. Et quand il parle de Monica hyper naïve, on en rigole. Et puis Chandler, il se met à kiffer Monica uniquement quand elle devient mince.
- Speaker #1
Tout à fait.
- Speaker #0
Avant ça, il ne la calcule même pas. Et vraiment. toute la culture audiovisuelle, c'est vraiment un gros vecteur de normes. On ne voit pas de représentation de meufs grosses, sauf si c'est pour s'en moquer.
- Speaker #1
Exactement. Ou alors la méchante.
- Speaker #0
Ou alors la grosse méchante, Ursula.
- Speaker #1
Exactement. J'allais te parler des Disney, parce que moi, j'ai été biberonnée Disney. Bon, toutes les meufs, elles sont skinny, elles souhaitent. Les mecs, pareil. Mais par contre, quand c'est un méchant, souvent,
- Speaker #0
il est gros. Les vieux, gros, c'est des méchants. Il y a vraiment de l'ergisme et de la grossophobie surreprésentées. Mais du coup, le fait de pouvoir juste exister comme étant neutre, positivement, c'est même une représentation neutre, ce n'est pas possible. Les personnages, quand ils sont gros, sont forcément les gros rigolos, les gros sympas, la bonne copine, le gars ou la meuf un peu concon, ou alors la grosse gourmande, miam miam miam, qui a toujours des traces de bouffe, mais jamais comme étant... Le personnage principal qui fait autre chose que d'être gros, que d'être le gros ou la grosse. Et il y a aussi, si les personnages sont gros, ils arrêtent de l'être. Il y a des héroïnes, par exemple, qui sont grosses. La grosseur n'existe pas en tant que telle. Elle existe comme un état dont il faut absolument se débarrasser. Et ça, c'est un énorme truc de... Comment on peut se... C'est presque philosophique. Sur le truc, c'est... la grosseur qui est montrée que comme une condition à fuir.
- Speaker #1
La tâche à accomplir, c'est de mincir.
- Speaker #0
Exactement. Et tu ne seras valorisé, tu ne seras applaudi. tu n'auras le droit d'exister que si tu mincilles, que si tu cherches à mincir, que si tu ne te satisfais pas de ton état corporel là, et combien de démissions, de pertes de poids il y a, les relooking machin, et que si tu te relooks, c'est seulement en maigrissant. D'où tu changes un look ? Bien sûr que c'est plus facile de relooker une mince, au vu des fringues, ce qu'on disait plus tôt. Mais qu'est-ce qu'on intègre nous en tant que personnes grosses ? En termes de visualisation, on est les avant des avant-après. C'est ça. Mon corps n'existe que comme une condition à fuir. C'est d'une violence. Je suis ton repoussoir. L'image de mon corps est une motivation à ne pas se transformer en moi. Affame-toi. Mais ce n'est même pas l'histoire de bouffe, en fait. C'est vraiment juste la représentation et le visuel.
- Speaker #1
Non, mais je trouve que c'est... Hyper intéressant ce que tu dis, parce qu'en découle le fait de comment est-ce que vous voulez qu'on s'accepte ? Le chemin, il est extrêmement dur. Comment est-ce que vous voulez qu'on arrive à s'accepter ? Alors que, putain, ça devrait être juste la base. Ton corps, il est comme ça, en fait. Exactement. Et il y a des personnes minces qui vont avoir d'autres problèmes qu'on ne connaît pas, parce que ce n'est pas notre cas. Mais putain, on n'arrive pas à s'accepter. Mais en même temps, comment veux-tu ? Parce que, comme tu me dis, la représentation...
- Speaker #0
et tu n'as le droit d'exister que si tu veux arrêter d'être toi. C'est ça. Waouh ! Vraiment, en termes de construction psychique, en termes d'intériorisation, c'est un truc hyper violent. Comment on se retrouve ?
- Speaker #1
Je ne sais pas si toi, tu as eu ce truc de vouloir perdre du poids.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Mais moi, ça a été... Je vais en parler un petit peu au passé, mais encore un peu présent. Mais ça a été la quête de ma vie. Oui. Je pense que, franchement, tous les jours, tous les jours, je me dis, ça serait bien si... Ça serait bien,
- Speaker #0
ça serait bien. En même temps, on a parlé un peu avant de la pyramide. On a intégré cette pyramide. Et ce n'est pas qu'on est folle et qu'on est méchante et tout ça. C'est juste qu'on vit dans cette société qui a cette pyramide. Qu'on le veuille ou non. Alors, on fait des choses pour que ça arrête d'être comme ça. Mais juste, on a bien... Personnellement, j'ai bien conscience d'être en... en bas de la pyramide. Parce que je n'arrive pas à m'habiller. On a parlé des vêtements un peu plus tôt, mais il y a plein d'autres types de discrimination. Parce que quand je m'assois dans les transports en commun, j'ai mal au cul. Parce que quand je vais dans un resto ou dans une terrasse d'un café, s'il y a des chaises avec des accoudoirs, je sors avec des bleus. Et mon cul, il n'est pas excessivement grand. J'ai conscience complètement d'avoir plutôt une morpho plutôt harmonieuse et qui reste encore dans des... norme, j'ai la morpho en sablier et ça, je sais très bien que ça c'est valorisé. Donc, tu es ma chérie, blablabla. Quand je suis assise dans un train, et bien, la coudoir, il me rentre dans la hanche et que je suis plus confortable en première classe. Parce que si je veux faire un prêt immobilier, et bien mon poids sera un problème.
- Speaker #1
Ah ouais ? Je n'avais pas ça.
- Speaker #0
Considérer pour les assurances et tout ça, à partir d'un certain IMC, tu n'es pas assuré pareil. Déjà, la mesure de base de l'IMC, c'est vraiment du grand n'importe quoi parce que c'est une mesure pour de la démographie à la base. C'est un gars de... Il venait d'où ? Des pays scandinaves ou un Hollandais du siècle dernier qui a... Et il aimait bien les chiffres. Il s'est dit, tiens, je vais mesurer les gens de mon village et je vais leur faire des statistiques. Vraiment, c'est ça l'IMC. Donc l'IMC, pour rappel, c'est l'indice de masse corporelle. C'est le poids sur la taille au carré. Donc c'est un ratio. qui est aujourd'hui utilisée pour déterminer si tu es malade ou non, je mets entre guillemets, si tu es obèse ou non. C'est pour ça que je n'utilise pas le mot obèse, parce qu'en fait, c'est censé être une maladie, mais à partir de quel moment, un format corporel, ça détermine une maladie. Normalement, une maladie a des symptômes et tout ça. Et puis,
- Speaker #1
je veux aussi fermer aussi une parenthèse là-dessus, mais des gens qui font un bal du sport, ils vont avoir un IMC élevé, alors que pourtant, ils n'ont pas de gras. C'est que du vincule, en fait. Donc, comme quoi, ça ne veut rien dire, cette histoire de DMC.
- Speaker #0
Et en plus, il y a beaucoup d'études qui parlent de ce qui s'appelle le paradoxe de l'obésité, à savoir que, en fait, un léger poids et une légère masse graisseuse protègent de certaines choses. Oh, c'est paradoxal ? Ben non, peut-être que ce n'est juste pas forcément, pas systématiquement un problème de santé. Et il y a des personnes minces qui sont malades, il y a des personnes grosses qui sont malades. Bien sûr. L'hypertension, tous les facteurs de risque liés au surpoids, blablabla. En vrai, l'hypertension, le diabète, machin, quand on est mince, on a aussi des risques pour ça. Donc, il ne faut pas confondre facteur de risque et maladie. En étant un peu plus rigoureux scientifiquement, ça peut vraiment se questionner le concept d'obésité comme étant une maladie, comme étant une réalité même. Donc, moi, j'ai tendance à... Pas trop parler d'obésité parce que je parle de la taille du corps et pas de l'état de santé du corps. Et l'IMC, c'est ce qui détermine le fait d'être en obésité ou pas, alors qu'à la base, c'est un outil démographique et statistique. C'est un gars en Hollande qui s'est dit qu'il allait mesurer les gens de son village. Vraiment.
- Speaker #1
Il n'y avait pas du tout la base de l'IMC,
- Speaker #0
tu vois. Ça a été fait pour un... Vraiment, le gars, il était passionné d'un chiffre. Il faudrait que je retrouve son nom, mais... Et c'est devenu une mesure internationale. Donc ça ne prend pas du tout en considération toutes les réalités corporelles. Une personne asiatique qui a tendance à être plutôt menue et tout ça, excuse-moi, ce n'est pas du tout les mêmes morphotypes, les mêmes morphologies que je pense aux personnes des îles polynésiennes qui sont hyper massives. Oui, qui sont costauds. Excuse-moi, taille égale, bien sûr que les gens ne font pas les mêmes poids. C'est clair. C'est un outil complètement raciste. complètement désuet parce que ça date des années 1800 ou début 1900 ou 1890, un truc comme ça, et qui en plus de ça, met des normes corporelles. Donc en dessous d'un certain chiffre à l'IMC, tu es censé être en maigreur ou en minceur. Il y a une fourchette pour dire que tu es dans la norme. Au-dessus, tu es censé être en surpoids et en obésité. Et obésité bordée ! Bref ! Merci. On n'est pas que des chiffres, mais bon. Et en fait, les normes-là ont été décidées. Il y a eu une certaine limite disant que c'était ça, être en surpoids. Ça a été descendu d'un ou deux points dans les années 70, je crois, 70-80.
- Speaker #1
OK.
- Speaker #0
Cette limite-là. Et en fait, ça permettait à des millions d'Américains de passer en dessous. Et donc, ça permettait aux compagnies d'assurance ou aux compagnies de... Comment ça s'appelle ? Les assurances. et des crédits et tout ça. Du coup, de dire, vous avez un risque là, vu que vous êtes gros, du coup, on vous fait payer plus. Et vraiment, ça, c'était pour des raisons économiques que la norme a été baissée. Voilà sur quoi on se base pour nous dire qu'on n'est pas en bonne santé parce qu'on a du gras autour du cul.
- Speaker #1
Et pas que, mais bon. En tout cas, c'est nos culs qui n'arrivent pas à passer dans les chaises, ça, vraiment.
- Speaker #0
Je suis contente que tu en parles parce que je trouve qu'on n'en parle pas assez. Oui ! Dans les trains,
- Speaker #1
dans les adjus. Et ouais, même dans les cinés parfois. Dans les cinés, je suis en mode...
- Speaker #0
Oui. Pourtant,
- Speaker #1
j'ai pas un gros cul, tu vois.
- Speaker #0
Non, mais...
- Speaker #1
Et j'ai des grosses poignées d'amour. Et du coup, quand je m'assois,
- Speaker #0
je suis en mode... C'est vrai, là ? Les portiques du métro.
- Speaker #1
Ah, je suis pas dans une ville où il y a le métro, mais effectivement, quand je suis allée à Paris, je dois me mettre sur le côté.
- Speaker #0
Voilà.
- Speaker #1
Oui, oui, c'est vrai.
- Speaker #0
Tout ça, c'est ça, en fait, être gros et la réalité d'accès au monde, la réalité concrète. C'est ça, en fait. Enfin, à un moment, quand une personne me dit « Oui, je peux m'asseoir, oui, machin et tout » , bon, ben, on va questionner un peu le... Enfin, c'est quoi être gros ? Parce que les bancs, les dispositifs anti-SDF pour éviter que les gens s'allongent parce que c'est quand même horrible que des gens puissent se reposer, eh ben, c'est aussi des dispositifs anti-gros. et perso j'ai développé tout un tas de choses de technique. Un jour, je devais boire un verre en terrasse avec une copine. Je savais que sur cette terrasse, mon cul ne rentrait pas. J'ai prétexté, ce qui n'est pas un prétexte parce que je suis très allergique aux pollens. Oh, mais tu comprends, dehors, les allergies, nanani, nanana. Allons-y à l'intérieur parce que je peux m'attendre à une donké. Parce que je savais que mon cul ne rentrait pas.
- Speaker #1
Oui, et que t'en deviens honteux, en fait, alors que c'est pas de ta faute. mais c'est toi qui es honteuse de dire putain je passe pas dans la chaise alors
- Speaker #0
Là, maintenant, c'est un des trucs que je fais au quotidien, c'est de le dire suffisamment à haute voix pour que les gens autour entendent. De genre, ah bah tiens, ça rentre pas. Ah bah, je suis coincée à la chaise. Bah ouais. Et du coup, souvent, là, en gros, c'est plus moi qui suis gênée. Je renvoie la... Je la mets à l'extérieur. Et du coup, souvent, ça fait un peu réfléchir. Moi, dans des restaurants, la dernière fois, j'allais au resto avec mon père et un de ses potes. Et du coup, j'ai clairement demandé à... à mon père d'échanger sa chaise avec moi. Il m'a dit, d'accord. Il ne s'est pas posé la question. Et je lui ai dit, oui, parce que tu vois, sur cette chaise avec les accoudoirs, mon cul ne passe pas. Et vraiment, il a dit genre, oui, bien sûr, d'accord. Et le serveur a demandé si je voulais une autre chaise. J'étais là, non, non, moi, ça va. Maintenant, j'ai trouvé une chaise dans laquelle on passe.
- Speaker #1
Mais merci, quoi.
- Speaker #0
C'est un petit détail ?
- Speaker #1
C'est des petits détails, mais c'est du quotidien, en fait. Et c'est ça qui fait de notre vie.
- Speaker #0
à la pause. dans l'espace public.
- Speaker #1
Ça ne paraît pas si compliqué que ça, mais en fait, ça le devient.
- Speaker #0
Il y a ce truc d'anormalité quand on parlait des représentations en couple, mais même... au-delà des représentations en couple, des représentations tout court. L'absence ou le manque de représentations positives et l'absence de représentations tout court, parce qu'il y a aussi ça, ça, ça impacte beaucoup la façon dont on se voit et dont on est vu. J'y reviens juste après, je vais juste refaire un petit crochet par le fait qu'on soit invisibilisés. Les corps gros sont peu visibles. Ça vient nourrir une illusion. d'anormalité. Le fait qu'on voit moins, on trouve que c'est exceptionnel, dans le sens extraordinaire. Ce n'est pas ordinaire. Il y a en France, en surpoids, les derniers chiffres à peu près, c'est entre 20 et 25% en fonction d'où on est là, de personnes considérées comme grosses. Un cinquième. Cinq personnes, il y en a une qui est grosse. En temps de parole dans les médias, il n'y a que 3% de personnes grosses. Donc, vraiment, il y a une surreprésentation des corps minces. Et c'est important de se dire, je vois plus que la normale de corps minces. Donc, on le voit comme un standard. Ça, c'est vraiment un mécanisme cognitif. Si tu vois plein d'humains avec la peau bleue, tu te dis, c'est ça la norme, c'est d'avoir la peau bleue. C'est normal, bien sûr. C'est donc ça qui est normal. Si tu vois plein de personnes... Avec les cheveux perpendiculaires, tu te dis, c'est les cheveux perpendiculaires la norme, les miens, ils tombent comme ça. Mince, mes cheveux sont sujets à la gravité, c'est terrible. Même principe sur la taille des corps. Quand les gros, on est invisibilisés, nous les gros, et en plus, on est stigmatisés. Ça, ça participe aux préjugés, à la stigmatisation, et ça participe à la grossophobie ambiante. Quand on est montré, on est montré dans des situations très particulières. On est montré que comme... Des gens qui doivent maigrir. Ce que je disais un peu plus tôt, la grosseur est une condition à fuir. Donc vraiment comme le corps gros qui est anormal, qui est terrible, et qui est en souffrance. Qui est malade. Un corps malade, un corps avec des attitudes stéréotypées. Dans les images de reportages, quand des corps gros sont montrés, et que je te pince le bourrelet, et que je me mesure, et que tu vois des gros pieds qui montent sur une balance et qui est triste. et que je vois des gros qui sont en train de manger des gros burgers. Et quand il y a des gros qui mangent une petite salade, ah bon ? Mais qu'est-ce que tu choses ? Blablabla. Le père du poids, c'est bien. Les gros sont tous visibles pour autre chose que leur grosseur problématique, si tant est elle le soit. Mais on n'est pas montrés comme des humains normaux qui font des trucs normaux. On est montrés dans des situations... vraiment très stéréotypé et qui vient vraiment nourrir la grossophobie ambiante. Et oh mon Dieu, le pire truc du monde, ce serait de devenir comme moi. Très souvent, les corps gros sont montrés comme morcelés, en petits morceaux. Tu vois des jambes qui marchent difficilement. Tu vois un dos, parce que les jambes allaient être filmées de façon anonyme, donc tu vois juste une silhouette très grosse. En entier, s'ils sont filmés en gros plan comme ça... En pied, en fait, les personnes grosses, c'est vraiment du... Pour dans les shows discriminatoires, il faut perdre du poids, naninana. Le fait qu'on ne voit jamais de corps gros unifiés, du coup, moi, c'est ce que tu décrivais sur les sites de rencontres où tu ne te montrais pas en entier. Bah ouais, en fait, quand on n'a pas de représentation de c'est comment un corps gros en entier, on fait aussi ce découpage, ce morcellement qui participe à un vécu de déshumanisation aussi, Attention, tire un peu le... Ce gros ciltré, un corps en morceaux, ce n'est pas un corps humain, ce n'est pas un corps complet, ce n'est pas un corps vivant. Et effectivement, nos corps sont montrés comme des épouvantails et comme quelque chose qu'il faut cuire. Donc effectivement, on n'est pas des corps vivants, des corps normaux, etc. Moi, je l'ai vraiment vécu ça. À mes 20 ans, j'ai débarqué chez mon médecin traitant en lui disant « je suis monstrueuse, il faut changer ça » . Elle était là « monstrueuse ? Mais de quoi tu me parles ? » Ben ouais, cette anormalité. de ne pas être normale, de ne pas être dans les normes.
- Speaker #1
Et ton médecin a bien réagi en te disant « Non, mais vous n'êtes pas anormale » .
- Speaker #0
Elle n'a pas compris que je parlais de grossophobie. Mes 20 ans, c'était il y a 15 ans. Le mot, il n'existait même pas. Tu es d'accord, en fait ? Elle a été très désemparée. Elle m'a dit « Mais Daphné, votre visage, il est harmonieux. Vous avez deux bras, vous avez deux jambes. » Elle ne m'a pas du tout parlé de mon poids. Cette médecin était... elle ne m'a jamais parlé de mon poids comme étant un problème. Et du coup, je n'arrivais même pas à expliquer c'était quoi mon fucking problème. Est-ce que juste ? Et en fait, je pense qu'à ce moment-là, mon mal-être, c'était aussi. Je ne sais pas comment je dois être. Je ne me sens tellement pas représentée que je suis perdue.
- Speaker #1
À qui est-ce que je peux m'affilier ? À qui je peux me fier, entre guillemets ? De dire, ah tiens, cette personne me ressemble. À qui je m'identifiais ? C'est exactement le terme que je cherchais. C'est vrai que même encore aujourd'hui, il y en a de plus en plus. Et merci Instagram aussi, parce que j'ai l'impression que grâce à Instagram, il y a beaucoup de choses qui ont évolué et qui évoluent encore aujourd'hui. Même, tu vois, dans les débuts d'Insta, où je commençais à avoir des corps gros sur Insta, je vais te dire un truc que je déteste, mais ça me faisait bizarre. Parce que je me disais, ah,
- Speaker #0
ben, tu vois, c'est pas normal,
- Speaker #1
ça.
- Speaker #0
Je dis, ben voilà,
- Speaker #1
ça ressemble, mais c'est pas normal.
- Speaker #0
Ça, ce que tu décris là, le « ça me fait bizarre » , cette illusion d'anormalité. On a tellement été habitués, nos yeux ont tellement été biberonnés d'avoir des corps minces qu'on considère que c'est ça, la norme, et c'est la norme sociétale. Et du coup, un corps gros ou un corps même pas gros, un corps juste normal, parce qu'en plus, on voit des corps ultra minces. Vraiment, il y a des mannequins décrites comme curvy qui font un 38. On parlait un peu plus tôt des meufs qui font un 38. 38, c'est déjà considéré comme anormal, alors que vraiment, c'est mince. Mais du coup, cette absence de représentation positive et de représentation tout court, ça participe à... toute la grossophobie ambiante et de ne pas se trouver représentée et de trouver tant son corps que le corps des autres hors normes. Et du coup, ce qui n'est pas dans la norme, ce qui n'est pas dans l'ordinaire, c'est de l'extraordinaire. Et ça amène aussi ce truc de hors cadre qui ne correspond pas à l'ordre des choses, qui peut être presque dangereux quand on ne connaît pas. Enfin, ce truc de... C'est tellement étranger à la norme que peut-être que c'est dangereux. Si c'est caché, c'est qu'il y a quelque chose.
- Speaker #1
Et tu vois, il y a aussi toute la part esthétique où j'ai mis longtemps à trouver mon corps un peu joli. Et ce n'est pas encore le cas aujourd'hui. C'est pour ça que je dis un peu. À quand je vois des corps gros sur Instagram, par exemple, me dire oui, c'est joli. Parce que je le pense au fond de moi. Mais tu vois, je ne sais pas, quand ça remonte à mon cerveau, entre guillemets, genre tu as l'émotion qui va dire ah ouais, c'est beau. Et après, je ne sais pas, je conscientise mon ressenti et je me dis mais est-ce que ça peut être beau un corps gros ? Parce que moi, le mien, je ne l'aime pas. Il est gros. Enfin, tu vois, il y a aussi tout ce truc de l'esthétisme qui ressort et qui est très dur, en fait, pour les corps gros. Parce que oui, un corps gros peut être joli. Comme tu le disais tout à l'heure, toi, les photos que tu fais, genre, t'es trop belle, t'es hyper sexy. Enfin, ça donne envie. C'est horrible ce que je vais dire. Ça donne envie.
- Speaker #0
Pas de problème. C'est pour ça que je fais ça.
- Speaker #1
et c'est aussi en ça que ça fait du bien il y a aussi une autre nana que je suis sur les réseaux depuis plusieurs années qui s'appelle Camille Talks qui est photographe. Et pareil, j'adore parce que, bah oui, la nana est grosse et en fait, elle porte des vêtements, mais genre géniaux. Elle fait des photos magnifiques où elle se met en scène, en plus, dans ses photos. Et en fait, ça fait du bien. Et c'est grâce à ça et grâce à vous, en fait, où je pense que ça va faire évoluer le truc de, bah, un corps gros, c'est forcément moche. Et en fait, ça devient de moins en moins le cas. Mais il faut que ça évolue encore, quoi.
- Speaker #0
C'est cette histoire de représentation, là. En fait, il y a beaucoup. C'est une balance, en fait. Si on met beaucoup, beaucoup d'images de corps minces et peu d'images de corps gros, on a la norme qui penche du côté du mince. Si on met plus d'images de corps gros, du coup, à force d'habituer nos yeux, et vraiment, c'est une histoire d'habituation. Je fais un parallèle avec l'alimentation, sans dire que ça fait grossir la rince, pas du tout ça, mais la première fois qu'on goûte un nouveau goût, on le trouve étrange. Pas bon, pas... pas bon, juste étrange, juste différent. Et c'est à force de dire, avec nos goûts personnels, qui ne sont pas que nos goûts personnels, si on nous dit « Ah, le brocoli, c'est pas bon » , à force, on le trouvera pas bon. Et bien, si on nous dit « Ah, les corps gros, c'est moche » , et bien, mais du coup, voilà, comment on s'habitue à manger du brocoli ? Et bien, comment on s'habitue aux corps gros ? Et il y a tout un truc autour des corps gros, sur le fait que c'est un échec, un corps gros. C'est un échec à ne pas être mince. C'est un échec social, c'est une faute morale, on n'a pas de valeur. Il y a tout un truc très capitaliste autour de ça, parce que les corps gros ont beaucoup été montrés comme improductifs, donc pas assez pour la société. En plus de ça, c'est quand même hyper intéressant de nous faire penser à toujours maigrir. On achète des trucs pour maigrir, on n'est jamais... À force de provoquer un désir de changement de truc, ça fait consommer à fond les ballons. Bien sûr. Et au-delà de ça, il y a aussi la norme dominante, les personnes... socialement valorisés aujourd'hui sont des personnes minces parce que c'est considéré comme une faute morale d'être gros depuis les années 20 à peu près, où il y a eu un changement de la norme dans les corps très fort, où la grosseur n'était plus... où l'embonpoint n'était plus synonyme de bonhomie et de valorisation sociale. Mais il y a vraiment tout un changement parce que c'est devenu... L'accès à l'alimentation était moins compliqué pour les classes populaires. Et du coup, manger, pas forcément bien manger, mais manger, c'était OK maintenant pour les pauvres. Du coup, comment on fait quand on veut montrer qu'on n'est pas pauvre ? Un marqueur social aussi qui est sous-jacent à ça. Tout un pan raciste aussi et colonial de... certaines formes sont quand même caractéristiques de certaines ethnies. Et du coup, si on repart du principe de la pyramide et que dans l'imaginaire raciste, dans la norme raciste et être blanc qui est tout en haut, les corps blancs sont souvent des corps minces. Ou considérés comme minces. Et du coup, tout ce qui sort de cette norme-là... Il y a tout ça dans l'agro-sophobie aussi. Il y a tout le pan social, patriarcal aussi, sexiste... de... Si on est préoccupé par la taille de nos culs et notre désirabilité aux yeux des hommes, on n'est pas préoccupé à faire la révolution féministe.
- Speaker #1
C'est ça. On a moins de temps pour. C'est bizarre.
- Speaker #0
On a vraiment moins. Et puis surtout, on s'affame. Parce que quand on s'affame, on perd du poids. On est moins productif et tout ça. Il y a pas mal de bouquins sur le... Enfin, pas productif, mais on est moins...
- Speaker #1
On a moins d'énergie pour être combative.
- Speaker #0
Attentive au combat à mener, tout à fait. Il y a pas mal d'écrits sur la faim, le fait d'affamer les femmes, qui est un outil de domination. Parce qu'en fait, tout ça, c'est une histoire de domination. On y revient toujours. Toujours. Ah mais en vrai,
- Speaker #1
dans les sujets...
- Speaker #0
Mais tous les sujets, quand on parle d'oppression et de hors normes, c'est toujours ça, dans le fond. Cette histoire de hiérarchie, cette histoire de nomination et cette histoire de comment on reproduit aussi ces schémas et qu'on intègre. quand on veut maigrir, c'est aussi parce qu'à un moment, on en a marre d'être en bas de la hiérarchie. Tout à fait. Et on intériorise cette violence et ces normes. On les intériorise, on les légitime. Moi, j'avais complètement intégré l'idée que les gros valent moins. Et que oui, c'était normal qu'on me dise qu'il faille que je maigrisse et qu'on me dise un tas de remarques parce qu'au fond, c'est pour mon bien.
- Speaker #1
Bien sûr. Mais il y a un vrai truc de conscientiser le fait de vouloir perdre du poids. Enfin, comme je le disais un petit peu tout à l'heure, franchement, tous les jours de ma vie, je pense à me dire, enfin, tous les jours de ma vie, il y a au moins un moment où je me dis ça serait plus facile si t'étais plus mince, tu vois.
- Speaker #0
Ah oui,
- Speaker #1
mais bien sûr, ça serait complètement vrai. Mais il y a aussi, tu vois, l'autre version. Il y a aussi l'autre version où je me dis et pourquoi est-ce que t'essaierais pas de t'accepter un petit peu comme t'es en fait ? Pourquoi est-ce qu'il faudrait toujours faire plus ? pour appartenir à ce cercle, à ce truc, à cette société, machin et tout. Donc ça, c'est déjà un premier point. Mais parfois aussi, on est toujours en déconstruction, mais c'est très long, vraiment,
- Speaker #0
c'est long. Mais déjà, bravo pour ça.
- Speaker #1
Mais tu vois, il y a aussi eu un moment où je me suis dit, pourquoi est-ce que tu veux perdre du poids ? Pourquoi est-ce que tu en as autant besoin ? Pourquoi est-ce que c'est autant central ? Alors bien sûr, il y a plein de choses. C'est parce que depuis que je suis petite, on me dit, ne mange pas ça, ce n'est pas bon pour ce que tu as. Tu ne devrais pas ça. « Non, Pauline, arrête. Fais pas ça, fais pas ci. Tu devrais peut-être faire ci, peut-être faire ça. »
- Speaker #0
« T'es sûre que tu veux manger ça comme entrée ? T'es sûre que tu veux pas une salade ? » « Non, mais en dessert, tu vas prendre une pâte de fruits, pas le gâteau au chocolat. » « Bien sûr. »
- Speaker #1
« Tout mon enfance, j'ai entendu, c'est pas bon pour ce que t'as. Ne mange pas ça, c'est pas bon pour ce que t'as. » Je jette pas la pierre à mes parents, parce qu'ils font partie aussi de ce système, et voilà, c'est comme ça. ils ne s'en rendent pas compte ils ne s'en rendaient pas compte Et encore aujourd'hui, j'ai deux nièces, dont une qui a huit ans. Et ça m'a frein du cœur à Noël. Elle a huit ans. Elle me dit, tata, je me trouve grosse. Et je lui dis, mais ma biche, c'est quoi ? D'où t'es grosse ? J'ai dit, regarde, tata, elle est grosse. Et genre, vraiment, je lui monte mes bourrelets, je lui monte mes cuisses et tout. Je lui dis, ça, tu vois, ma biche, ça, c'est gros. Je lui dis, mais c'est pas grave, en fait. Enfin, c'est pas grave. Regarde, tata, elle va bien. Elle joue avec toi. elle est en bonne santé bon je vais pas tout dire tout fait mon guillemot sanguin. Mais voilà, je lui ai dit Tata, alors bonne santé. Enfin, je cours, je... Tu vois, on fait plein d'activités ensemble. Ça n'empêche rien. J'ai dit et vraiment, toi, tu n'es pas grosse. et je lui ai dit, enfin, je ne veux pas dire son prénom, mais tu as 8 ans. J'ai dit à 8 ans, il n'y a pas encore d'histoire de t'es gros, t'es pas gros, t'es machin. Et là, je me suis dit,
- Speaker #0
mais à quel point ça infiltre ces croyances-là jusqu'à des louloutes de fucking 8 ans. C'était péril.
- Speaker #1
On est sortis de cette discussion, j'étais,
- Speaker #0
oh là là, ça a dû être bouleversant. C'est dur.
- Speaker #1
Ouais, franchement, c'est dur.
- Speaker #0
Et c'est pas juste. Et c'est pas juste pour les enfants, mais en même temps, c'est... tellement compliqué de vivre quand on est gros. Et vraiment, c'est Daria Marx, une militante, qui disait « Ah non, mais moi, je ne le recommande pas. Être gros, c'est difficile. Et puis, les minces ne le supporteraient pas. » C'est pas mal. En vrai, la violence, là, c'est trop cool. Et moi, je suis trop contente que cette petite fille dont tu parles, elle ait une tata qui ait pu lui dire ça un jour. Moi, j'aurais tellement aimé, à mes 8 ans, qu'on me dise « Eh, c'est OK, Daphné. » Parce que... En même temps, on a grandi, toi et moi, dans cette situation où nos parents, nos proches, ont reproduit ces oppressions, aussi parce qu'ils avaient bien conscience de cette pyramide et parce qu'ils voulaient nous en protéger. Et qu'il y a cette croyance d'être grosse et pas être en bonne santé.
- Speaker #1
Et donc,
- Speaker #0
la santé, c'est quand même un des trucs que tu peux souhaiter et que tu veux pour tes proches et pour ceux que tu aimes.
- Speaker #1
Bien sûr, c'est normal.
- Speaker #0
Voilà. On reproduit et on valide la violence et on l'intègre même pour nous-mêmes. Et c'est en ça aussi que la grossophobie, elle est vraiment ambiante et insidieuse. C'est que dès les toutes premières sphères de socialisation, en tant qu'enfant, les premiers liens que tu as, c'est avec les parents, les proches des parents, l'école, etc. Toutes les premières sphères de socialisation et de soins, et du care, du prendre soin, reproduisent aussi ces oppressions. Cette petite louloute, elle l'a entendue quelque part. Ça ne lui vient pas... Un enfant tout seul, il ne peut dire pas « je suis gros » . Elle a entendu, elle a vu des choses qui font... Et on souhaite en tant qu'adulte, en tant que parent, pour nos enfants qu'ils ne vivent pas mal leur vie. Et insidieusement, les gens ont bien conscience que ce n'est pas évident d'être gros. Donc on fait en sorte... On fait comme si c'était un choix. Et clairement, moi, si j'avais eu le choix, toute militante que je suis, et ben je... Je pense que je préférerais être mince.
- Speaker #1
La facilité, elle donne envie à tout le monde. Enfin, vraiment, si j'étais la pierre, c'est normal.
- Speaker #0
Attends, mais de ne pas être oppressée au quotidien et d'attendre mes 35 ans pour pouvoir juste me dire « Ah ben, c'est pas juste » . Et puis, quand bien même, me le dire, c'est super. Il n'empêche que mon cul, il ne rentre toujours pas dans les fauteuils. Au moins, d'arrêter de m'en vouloir et d'arrêter d'avoir honte d'évoluer dans l'espace public, parce que c'est ça. C'est vraiment de... la violence au quotidien, des micro-agressions comme on dit, des plus ou moins micro, parce que des fois c'est des agressions beaucoup plus directes. Et pourquoi cette envie de mincir et de maigrir, elle reste beaucoup là ? Quand on parlait des avant-après, de mon corps est un repoussoir, on passe notre vie à entendre, moi j'ai passé toute une partie de ma vie à entendre que mon corps, de comme je suis, ça ne devrait pas exister. À l'intérieur de chaque grosse, il y a une mince qui attend d'être révélée. Pour enlever la cape comme ça,
- Speaker #1
tu sais, genre, allez,
- Speaker #0
c'est bien. Voilà, mais oui, c'était ça. C'est parce qu'en fait, oui, je mange mes émotions, blablabla, mon cul sur la commode. Pardon. Mais non, mais ça va bien, la psychologisation de Fran. Est-ce que c'est parce que tu manges tes émotions que tu as les cheveux bruns ? Non ? Bon, alors.
- Speaker #1
Je ne sais pas, j'ai mangé beaucoup de Nutella, tu sais, alors que...
- Speaker #0
Elle ressort sur les cheveux bruns. Oui, oui, c'est ça. Mais au bout d'un moment, la psychologie a deux balles sur des trucs un peu plus complexes que ça, et sur quoi, etc. Mais quand on entend sans cesse que ce qu'on est ne doit pas exister, à un moment, on finit par le penser, carrément. Et du coup, cette violence-là à vivre, ça nous permet de légitimer tout ce qu'on entend aussi. Et du coup, tu peux me parler mal, tu peux me dire qu'il faut que je maigrisse, tu peux me dire qu'il ne faut pas que je sorte, que je marche dans l'espace public. Avec mes bras qui sont trop gros et qu'il faut que je couvre mes bras parce que, oh mon Dieu, cachez ce gras que je ne saurais voir. Et en vrai, à force de ne pas montrer des corps gros, à force de se cacher soi-même, même sans le vouloir, on donne aussi à voir à nos enfants cette honte-là d'être gros.
- Speaker #1
C'est exactement ça, on donne du cachet à tout ce qu'on nous dit, à tout ce qu'on nous met dans la tête. Mais encore... Encore la semaine dernière, tu vois, je suis allée sur Vinted pour faire un petit peu de shopping, parce que c'est l'été et que j'ai envie de robes. Bah, j'ai cherché des robes où il y a des manches. Parce que, mettons, en mode débardeur, et bah, je suis pas à l'aise, et je me dis, bah oui, mais le gras de mes bras et machin. Et j'ai vu des super belles robes avec des dos nus, des machins, et je me suis dit, ben non, parce que sur mon dos, il y a plein de pourlets et c'est moche. Et je les ai pas achetés. Et après, je me dis, mais... Et vraiment, je ne le fais pas parce que je n'y arrive pas à passer le cap. Et en même temps, je suis hyper énervée contre moi de me dire « Mais putain, mais Pauline, qu'est-ce que t'en as à foutre ? » Mais j'arrive pas encore à passer le cap, tu vois. C'est dur. En fait, t'as un petit tas d'émotions de merde.
- Speaker #0
Et c'est hyper contradictoire à vivre et c'est hyper dur. Et c'est hyper dur. Et vraiment, tu vois, moi, je pose à poil sur les réseaux sociaux quand même. Littéralement, mon compte Instagram, c'est... très peu d'habits, parce que, aussi, parce que c'est dur de trouver des habits bons quand on est gros, donc c'est beaucoup plus facile de boiser la poêle. Il y a des assises qui existent,
- Speaker #1
hein.
- Speaker #0
C'est ça ! L'indudité ! Non, mais au-delà de ça, et toute militante que je suis, et vraiment, je suis assez radicale sur certains points, eh ben, il y a quelques années, j'ai un autre de mes cousins qui se mariait, et le pataquès dans ma tête, mais autant te dire que c'était... compliqué comme pas possible de trouver une tenue. Et vraiment, il y a une robe que j'aurais adoré mettre, qui était décolletée jusqu'à l'arrêt de mes fesses, dans mon dos. Hyper moulante, bleue trop belle et tout, mais je n'ai pas pu la mettre. Elle était tellement moulante qu'on voyait la cellulite de mes cuisses au travers. Et ça, je savais que dans ma famille, ça n'allait pas être possible, que vraiment, j'aurais eu tellement de regards que je ne les aurais pas tolérés. et que je n'aurais pas pu gérer ça toute la soirée. J'ai opté pour une autre option, une option avec des toutes petites manches qui couvrent à peine le dessus des épaules et tous mes bras nus. Alors, mes bras sont tatoués, ce n'est pas pour rien que je les ai tatoués, c'est comme ça que je cache un peu mon gras, mine de rien. Mes bras sont tatoués au même endroit que les tiens. Regarde, hop là, des petites manches, des petites manches en tatou, là, sur les petites escalopes des bras qui... Mais du coup, déjà ça, ce petit haut un peu décolleté que j'ai porté sans soutien-gorge. Alors là, j'ai cru qu'une de mes tantes allait faire une syncope. Mon Dieu,
- Speaker #1
mes madames.
- Speaker #0
Mais madame, enfin ! Vous avez des seins, mais oh ! Et mes bras, ils blablotent. Et pas de soutien-gorge. Mais vraiment, déjà ça, ça a été compliqué. Et pour moi, je savais que je faisais un truc, un truc de ouf. Alors qu'en vrai, je pose à poil, mais bon, la majorité de ma famille ne le sait pas. Et à ce moment-là... Et bah tu sais quoi ? Ma petite nièce qui m'a dit « Tata, t'es trop belle ! » Et j'étais trop belle avec tout mon gras en fait aussi. Et c'était ça qu'elle me disait parce que la petite a 9 ans. Donc on n'est pas sur un enfant de 3 ans qui dit « On est heureuse comme une princesse. » Elle est consciente. Et là ce qu'elle me disait c'était « Hé ! » C'était en pleine canicule, il faisait hyper chaud, j'avais chaud même avec les mini-manches. J'aurais préféré être en bustier tu vois mais j'arrive pas à trouver de bustier. Sans être un détué vert pendant six mois. Oui, voilà. Et en fait, mais là, cette petite qui... Et je me dis, au moins, cette petite nièce, à un moment, aura vu le gras de mes bras.
- Speaker #1
Ouais.
- Speaker #0
Et elle ne voit pas ça dans le reste de ma famille. Et du coup, à ce moment-là, elle l'aura retenue. Et je pense que ça... Eh bien, voilà, j'ai une tata que j'ai trouvée trop belle et qui avait du gras aux bras. Pas mais, elle avait. Ouais. Et du coup, je me dis, cette petite, si un jour, elle a du gras au bras, peut-être qu'elle se dira, je vais être trop belle comme Tata Daphné. Mais en même temps, c'est aussi OK de ne pas tout le temps faire du militantisme. Parce que mettre un débardeur, c'est militant. C'est con, mais c'est ça de ne pas être dans la norme aussi. C'est que la moindre chose, comme anodine, comme s'habiller, s'habiller en débardeur parce qu'on a chaud, comme manger. Manger qui est un truc vital quand même. Quand on fait ça dans l'espace public, c'est presque militant. C'est vraiment un truc de... Elle ose montrer ses bras, elle ose se montrer en mangeant parce qu'il y a un gros truc autour des personnes grosses qui mangent et qui n'est pas en train de manger de la salade.
- Speaker #1
Manger en public, c'est toujours... Tu sens qu'il y a quelqu'un qui te regarde.
- Speaker #0
Ça, c'est à la fois on est regardé et à la fois... On pense qu'on est regardé, c'est deux choses. Oui, oui. C'est Solène Karoff qui est une sociologue et qui a fait une thèse sur... Je cite la thèse parce que c'est quand même pas inintéressant le titre. Le surpoids, un stigmate acceptable. Ça reprend aussi ce que disait le gars de l'Observatoire de la discrimination. Et Solène Karoff, elle explique que la grossophobie génère un rapport à la nourriture, au corps, à soi et aux autres. Donc ça génère un rapport emprunt de souffrance et de souffrance qui sont niées. On n'a même pas conscience qu'on souffre. Quand on intègre ces souffrances et cette hiérarchisation des corps, ça a des conséquences très concrètes sur nos comportements et nos pensées et sur nos pratiques. Et ça fait des pratiques d'auto-restriction et des pratiques d'auto-censure. On se censure quand on ne montre pas nos bras. On se censure quand on ne mange pas, tu as envie d'un burger et de ne pas manger un burger en public. Et rien que le fait d'aller au fucking resto et de manger, je ne sais pas, tu vas dans un resto de fromage, tu ne vas pas bouffer une salade. C'est normal de muscler du...
- Speaker #1
On a le droit de se faire plaisir, quoi. Ça ne veut pas dire qu'on mange ça tous les repas, toute la journée et tous les jours de l'année. Et même si c'était le cas, Foutez,
- Speaker #0
il y a des gens qui mangent ça tout le temps et qui sont minces. Donc, ce n'est pas ça, en fait. C'est bien plus compliqué que ça. Et du coup, le fait que nos corps, quand on disait au tout début, c'est politique. Ben ouais, nos corps sont politiques dans l'espace public. Rien que de marcher et de ne pas marcher la tête basse, de juste marcher dans l'espace public, de laisser nos bras, nos jambes, nos corps juste exister dans l'espace public. Rien que ça, c'est tellement compliqué à cause de cette hiérarchisation des corps que c'est politique, en fait. de ne pas cacher tout le temps nos bras. Et que des fois, il faut qu'on les cache. Parce que c'est fatigant d'être regardée tout le temps. Il y a des jours où, bah ouais, il y a des jours où flemme. Et je n'ai pas envie de dealer avec le regard des gens. Et ce n'est pas parce que j'ai des complexes. C'est juste que je sais qu'il y a des regards. Et que là, j'ai juste envie d'aller chercher du pain. Et du coup, je me couvre plus dans ces moments-là. Au-delà du fait d'être une meuf dans l'espace public.
- Speaker #1
C'est encore un autre sujet. Mais oui, bien sûr. On a un peu abordé par soupçon la partie médicale. Je ne sais pas toi de ton côté, mais moi, j'ai déjà eu des expériences, autant qu'avec les hommes d'ailleurs, nulles avec le corps médical. À base de, bah oui, mais là, vous avez ça, mais il faudrait perdre du poids. Alors que ce n'était pas du tout le sujet du rendez-vous. Et encore très récemment, l'année dernière, j'ai fait une dépression. Mon médecin a été super sur toute la partie dépression, franchement, au top, génial. Et puis, à un des derniers rendez-vous, elle me dit quand même, « Bon, une fois qu'on aura vraiment terminé ça, il faudra quand même qu'on reparle de votre poids. » Et je lui dis, « Bah pourquoi ? » « Ça va, vous voyez bien, on fait des prises de sang, on se voit tous les mois, vous voyez bien que... »
- Speaker #0
« Mais ok, parlons-en. »
- Speaker #1
« Les mentales ne vont pas, mais du coup, pour mon poids, on voit bien que la machine de mon corps fonctionne très bien. » Non mais oui, mais vous savez, ça serait bien et tout. J'ai dit ouais, on en reparlera. J'ai pas repris rendez-vous. Parce qu'en fait, pour moi, ça n'avait pas lieu d'être en fait. À chaque fois que je fais une prise de sang, mon médecin me dit « Ah bah elle est parfaite, on la garde comme référence. » Bah alors pourquoi est-ce que tu me fais chier en me disant qu'il faut que je perde du poids ? Crois bien que si j'y arrivais, bah en fait, je ferais déjà 20 kilos de moins quoi. Mais tu vois bien que mon corps, il n'y arrive pas, que j'ai des problèmes hormonaux qui font que... Tu es au courant de tout ça ? Pourquoi est-ce que tu me saoules encore avec mon poids ? Je ne sais pas. Il y a un lobby. Mais ça revient avec ce que tu disais tout à l'heure, que c'est un commerce, la diète, la perte de poids, le régime, tout ça. Mais oui, il y a vraiment un lobby sur les gros qui doivent perdre du poids et les médecins, consciemment ou pas, j'en sais rien,
- Speaker #0
ils y vont. Pour quelle raison médicale ?
- Speaker #1
C'est ça.
- Speaker #0
Il n'y a aucune raison médicale. Et quand bien même on me trouve des raisons médicales, alors trouvons un traitement. Il n'existe pas de traitement à une pathologie qui n'existe pas. C'est pour ça que je suis contre le terme obésité et le surpoids médical. En revanche, un truc qui a été très prouvé, c'est l'impact négatif des régimes restrictifs. Impact négatif sur la santé mentale et la santé physique. Il a été montré également que les... La grossophobie ambiante amène un taux de stress et donc un taux de cortisol plus élevé chez les personnes grosses. Et ça, c'est plus délétère à terme sur le système cardiovasculaire, le système respiratoire, etc. Donc en fait, on est plus en danger pour notre santé à cause de la grossophobie plutôt qu'à cause du fait d'être gros. Parce que, je le disais un peu plus tôt, le paradoxe de l'obésité, etc., il y a vraiment des études qui montrent que c'est protecteur. un petit surpoids. Pour les AVC, par exemple, il y a des meilleures récupérations et des moins grosses conséquences. Pour le coup, ça, c'est mon travail salarié. Je travaille en rééducation. Et voilà, c'est professionnel de santé. Donc, ne venez pas attraper ma veste. Et puis, si vous voulez venir l'attraper, n'hésitez pas. J'ai deux, trois trucs qui peuvent rentrer. Et vraiment, c'est... Là, dans ce que tu décris d'un point de vue médical, est-ce que c'est le médecin qui te parle ou est-ce que c'est l'humain derrière et ses croyances ? Parce qu'il y a très peu de cours sur le surpoids, sur l'obésité et sur les réelles conséquences. Il y a des croyances sur... mais enfin, faites un peu d'activité physique, etc. Puis ça ira. Sans connaître réellement les problématiques autour de la grosseur, les problématiques du surpoids, etc. Et clairement, j'ai eu cette chance-là, personnellement, d'être assez peu exposée à ça, quoique je pense que j'ai surtout vécu des... Quand j'ai vécu des expériences négatives, je les trouvais tellement normales que je ne m'en souviens même plus. Depuis que je suis assez informée par rapport à ça... J'avoue que je biaise complètement le contact médical dans le sens où, quand je rencontre un nouveau professionnel de santé, je lui dis « je suis militante anti-grossophobie » , d'emblée.
- Speaker #1
Ça réagit comment en face quand tu dis ça ?
- Speaker #0
Alors, souvent, les professionnels que je rencontre sont des personnes qui m'ont été conseillées, donc je sais que je suis en santé. Et les personnes, j'ai des super réactions des soignants qui me disent « ok, dites-moi » . Moi, je ne suis pas assez formée, informée. Si il y a le moindre truc, dites-moi. Et ça, c'est trop cool. J'ai mon ancienne médecin traitant qui est en retraite, hélas, qui, elle, a été formée et elle ne me l'avait pas dit, qu'elle était formée à l'accueil des personnes grosses. Et pas une fois, dans toute la prison. J'en ai pleuré quand elle m'a dit qu'elle partait en retraite parce que je lui ai dit, mais comment je vais faire sans vous ? Et je lui ai dit, mais juste, ça n'a jamais été. Une question, ça n'a jamais été un problème. Les fois où elle m'a pesée, c'est parce qu'il y avait des traitements qui pouvaient engendrer une prise de poids. Et elle me l'a dit. Elle m'a demandé, est-ce que vous voulez savoir votre poids ou pas ? Moi, j'en ai besoin pour moi. Parce que le traitement que je vais vous prescrire peut amener une prise de poids et de la rétention d'eau. Et ça, ce ne sera pas bon pour votre cœur. Donc, j'ai besoin de savoir s'il y a une prise de poids. C'est quoi la... apaise-moi dans ces moments-là, j'ai aucun problème. Et ça, je le comprends. Oui, il y a des traitements qui font de la rétention d'eau, c'est pas bon, machin. Et bien sûr qu'il faut voir s'il reste pareil. Pas, est-ce qu'il descend, est-ce qu'il monte, il faut descendre. Ça reste hyper rare, les soignants... J'ai jamais eu le cas. La seule chose qui me console dans cette histoire de retraite pour cette médecin, c'est que... Elle continue à exercer à 20% à peu près au planning familial. Et donc, je me dis qu'il y a des petites meufs qui seront très accueillies. Cette dame absolument exceptionnelle, cette médecin génique. Du coup, je me dis, bon, d'accord, exerce pure libérale, mais au moins, il faut y aguer. Et en même temps, ça m'a fait prendre conscience, cette expérience positive-là, que c'était ça la norme. Ce n'était même pas une expérience positive, c'était une expérience normale. Et du coup, mon niveau d'exigence, il est là maintenant. Et là, ma nouvelle médecin traitante, il n'y a pas très longtemps, m'a fait une mini-remarque qui n'était pas... À chaque fois, les gens ne pensent pas à mal. Il y a vraiment ce truc de... Ce n'est pas que c'est des connards et que c'est des gens méchants. C'est juste des gens qui sont dans cette pyramide de croyance, dans la hiérarchisation des corps et dans la croyance que le corps gros est un corps qu'on choisit ou le manque de volonté ou la fainéantise ou la nanny ou on ne mange pas bien et blablabli et blablabla. Cette médecin... m'a fait une petite recommandation sur un truc par rapport à un petit point dermatologique. J'avais une petite plaque qui était vraiment sur mon porse, au niveau de mon sternum. Donc, un des seuls endroits de mon corps où il n'y a pas de plis. Quand même, hein ? C'est bien là. C'est très plat, c'est un peu dur, même, il y a un autre pas loin.
- Speaker #1
Comme chez tout le monde.
- Speaker #0
Oui, voilà. Mais du coup, parce que moi, je suis un charpaille, je sais, j'ai des plis, j'ai du... Mais c'est trop mignon, un charté ! Du coup... Et j'avais une petite mecque à cet endroit-là. Du coup, je lui demande qu'est-ce que c'est, une crème et tout. Et là, elle me dit oui, parce que quand même, des fois, quand on transpire... Je ne dis pas, moi, je transpire de fou dessous les seins. Parce que, ben, ils sont là, mes seins, et puis... On se sait. Et puis, ils pampent parce que il y a un truc quand même phénoménal qui s'appelle la gravité, qui fait que Oui ! Ils ne sont pas perpendiculaires au sol, enfin bref. Du coup, oui, je transpire de fou les seins. Et là, elle me fait un petit topo sur, oui, les plis, machin, bien se sécher entre les plis, machin. Je n'ai rien dit sur le coup parce que ça m'a mouché. Et elle était accompagnée d'une interne. Et du coup, une personne extrêmement mince aussi, et du coup, ça m'a un peu trigger la fois d'après. Je dois l'avoir régulièrement pour des traitements.
- Speaker #1
Donc, je la revois trois semaines après.
- Speaker #0
Et là, j'avais préparé mon petit topo. J'avais écrit sur mon téléphone une petite note. Et je lui ai dit, avant de commencer, alors, peut-être que je vais un peu pleurer parce que c'est quelque chose qui me touche, mais ça va et je ne suis pas en colère. Mais je voulais vous dire, et j'ai sorti mon téléphone, j'ai pris le respirateur. En fait, là, je n'ai pas mis la crème que vous m'aviez prescrite parce que j'estime que ce n'était pas un truc adapté. Parce que là, moi, je ne transpire pas du pexus. Du sternum, je ne transpire pas. Et puis, ben... Vous savez pas le nombre de fois qu'on dit aux personnes grosses de s'essuyer les plis parce que quand même ça pue et puis c'est sale et puis ça fait des mycoses et tout ? Et en fait, les deux sont tombés des nues parce qu'il y en a une qui est mince, l'autre qui est très mince et qui ont fait « Pardon, on se rendait pas compte » . La jeune interne qui est une professionnelle en formation qui commence à dire « Oui, mais parce que mes machins… » Elle a essayé de se justifier alors que… Et là, ma médecin, que j'ai trouvé trop chouette, a répondu, a mis sa main sur l'avant-bras de sa stagiaire en disant « Non » . Non, là juste on dit pardon. Il a donné un conseil non sollicité. Et juste pardon. J'avais aucune conscience que c'était des conseils que vous aviez déjà entendus. Et du coup je lui ai rappelé que je travaillais auprès de personnes âgées qui en plus ont des plis de peau parce qu'ils sont âgés et que du coup les recommandations de « faut bien s'essuyer parce que les nicos » j'étais une des premières personnes à les donner. Et là, j'aurais jamais pu faire ça il y a cinq ans. Et c'était difficile de dire ça parce que j'ai eu peur qu'après, elles me considèrent comme une patiente réfractaire. Oui,
- Speaker #1
c'est ça en fait, tu as peur de passer pour la meuf chiante.
- Speaker #0
Cette grossophobie médicale, c'est un des premiers sujets de non-accès aux soins. On se prive de soins en tant que personne brousse. Parce qu'il y a cette peur-là. Et que si à chaque fois que tu vas chez le médecin pour une otite, on te dit « monter sur la balance » , il y a un livre qui s'appelle « Monter sur la balance » d'abord. Il est sorti il n'y a pas longtemps. Je n'ai pas eu encore le temps de le lire, mais je sais qu'il est hyper chouette de toutes les militantes. Vraiment, quand tu as une otite, pas parce que tu es grosse. Et tous nos problèmes de santé, il y a quand même cette tendance à ne pas aller explorer les problèmes de santé. Et il y a vraiment un délai, un retard diagnostique qui a été montré, qui vient même... Si on a peur d'aller consulter, on va moins souvent chez le médecin. Si le médecin, pendant cinq consultes, il nous dit « perdez du poids, vous avez mal au genou, perdez du poids, vous avez mal au genou, perdez du poids. » Bon d'accord, on va faire une IRM. « Oh, vous avez ça en fait au genou ? » Et en plus de ça, on peut même se poser une question. Est-ce que quand on nous dit « le poids, c'est un facteur de risque pour telle maladie, Est-ce que c'est le poids ou est-ce que c'est le retard diagnostic ? La maladie, elle s'est empirée, qui n'a pas de rapport de causalité avec le poids, mais plus de la conséquence de, bah oui, si tu vas consulter beaucoup plus tard parce que tu as mal au bide et en fait, tu es en train de te taper, je ne sais pas quoi, dans ton estomac, un ulcère, un truc. Et en fait, tu sais très bien qu'on va te dire, est-ce que vous avez une grande pernée du poids, madame ? Ça, c'est une part des discriminations médicales qui sont à questionner aussi. Et de façon très concrète, la discrimination médicale, la grossophobie médicale, c'est aussi les brassards de prise de tension qui ne sont pas à la bonne taille.
- Speaker #1
Je l'aurais aimé, oui. La dernière fois, elle en avait un nouveau. Ça ne passait pas. Elle m'a dit, je vais prendre mon sien. Ah bah oui. Ah oui. Mais pourquoi est-ce que ce n'est pas adapté, madame ? Je ne comprends pas. Pourtant, j'en avais des patients gros, minces. Je ne vais pas être toute morpho.
- Speaker #0
C'est pas un fou. de la population. Ça veut dire qu'il y a un cinquième de la population.
- Speaker #1
Pardon, il y a mon chien, il grogne, il n'est pas content. Il en a marre, lui aussi.
- Speaker #0
Oui, tu as raison, le chien. Lui aussi,
- Speaker #1
on le considère comme gros, d'ailleurs. Il en a marre.
- Speaker #0
La dernière fois que je suis allée consulter mon sage-femme, c'était une des premières fois que je le consultais et absolument un praticien absolument exceptionnel qui est hyper inclusif sans s'en rendre compte. La table d'auscultation était suffisamment solide pour pas trembler quand je me suis assise dessus.
- Speaker #1
Tu sais, c'est vrai qu'il y a ça aussi. Ou même quand je vais me faire tatouer. La table du tatoueur, à chaque fois je suis en mode... Elle va tonder ou...
- Speaker #0
Il y a ça, cette charge mentale là, sur la solidité des meubles. Qu'ils soient des meubles d'auscultation médicale ou des meubles...
- Speaker #1
C'est vrai, hein.
- Speaker #0
Oui. Oui.
- Speaker #1
Tu vois, j'y ai même pas pensé, mais quand t'en parles, je suis en mode... Bah oui, c'est vrai qu'à chaque fois, je me pose la question de me dire, la chaise, elle va être assez solide là ?
- Speaker #0
Quelle charge mentale ! Et l'ascenseur aussi ! André, les ascenseurs, c'est hyper solide !
- Speaker #1
Ouais, mais tu sais, quand t'es 2-3 à rentrer dedans, et tu regardes les autres et tu dis « Hum, ça va pas te passer là si vous montez, monsieur. On va pas aller. »
- Speaker #0
On évolue dans un monde qui est fait par et pour les minces.
- Speaker #1
Et pour les hommes aussi. Mais ce n'est pas le sujet. Mais j'aime bien le dire, j'aime bien le rappeler.
- Speaker #0
Mais si, et c'est complètement lié. En fait, ça me paraît tellement évident que je ne le dis même plus.
- Speaker #1
Moi, j'adore le rappeler, je trouve que c'est très important.
- Speaker #0
Mais tu as entièrement raison. À propos de par et pour les hommes, d'ailleurs. Pareil pour les hommes minces, les ceintures de sécurité dans les bagnoles, c'est testé, pas pour nous. C'est fait sur des mannequins masculins minces. Donc clairement, un coup de frein, ce n'est pas les mêmes... Ça ne va pas être les autres progrès.
- Speaker #1
Mais rien que pour la poitrine, les ceintures de sécurité, gros sujet, insupportable.
- Speaker #0
Et oui. Pour en revenir au pan médical, tous les médicaments sont testés, pas sur les gros. Il y a certaines pilules qui ne fonctionnent pas pareil. Des pilules compréhensives ? Oui, et des pilules abortives. En fait, le tissu adipeux est un tissu qui produit des hormones, et du coup, ça change l'état hormono, etc. D'une part. Et d'autre part, ce n'est pas testé. Certains médicaments sont... pas adaptées et ne fonctionnent pas. Il y a plusieurs cas d'IVG qui n'ont pas été efficaces parce que les pieds ne sont pas suffisamment dosés. Ça n'est pas du dialogue. Tout le plan gynécologique, il y a un gros, gros pan VSS, les violences gynéco et obstétriques. Ça, ça peut faire l'objet d'un... Tellement de sujets et petites spécificités aux personnes grosses aussi. Mais alors, ça ne m'est pas arrivé personnellement, mais il y a beaucoup de femmes grosses qui sont enceintes. Déjà, l'accès à la maternité et tout ça, c'est hyper compliqué. L'aide à la grossesse, si tu es au-dessus d'un certain IMC, tu n'as pas accès. Je ne suis pas directement concernée, donc je n'ai pas tous les pitchs. pas la mieux placée pour en parler, mais les personnes qui te disent quand ils font une échographie, je ne vois rien au travers de votre gras. Il y a beaucoup de femmes grosses qui ont entendu ça. Et personnellement, s'il y a une violence que j'ai vécue, d'un point de vue médical, c'est à la période Covid. J'ai eu le Covid très fort et très violent au tout début de l'épidémie en France, donc en mars 2020. Ça m'a laissé des séquelles importantes. Et ma médecin, dont je te parlais avant, qui était une médecin absolument géniale, vraiment, et non grossophobe. Donc, ce n'est pas ma médecin le problème. C'est le système. À un moment, j'étais en arrêt. Elle m'appelait tous les deux heures pour savoir si je respirais encore.
- Speaker #1
Ok. Ah oui, effectivement. Et t'as très grave.
- Speaker #0
Voilà. À ce moment-là, j'étais chez moi. Pourquoi je n'étais pas à l'hôpital ? Parce qu'on était fin mars, début avril 2020. Le service hospitalier était plus que complet. Et ma médecin m'a expliqué qu'en fait, elle n'appellerait pas le SAMU pour me transporter parce qu'ils n'accepteraient pas. D'une part, parce que j'étais trop faible pour être transportée et d'autre part, parce que pour m'emmener où, aucun service hospitalier ne m'accepterait parce que les personnes grosses étaient considérées comme plus à risque d'être porteurs que les services hospitaliers ne m'accepteraient pas pour me soigner. Il fallait trier les places à l'hôpital. Et c'était un des critères d'exclusion. Le fait d'être une femme et le fait d'être grosse. Et en plus de ça, je suis allergique au latex. Et du coup, c'était un facteur de risque parce qu'il n'y avait que des masques latex et des gants latex qui étaient dispo. Donc, quand on parle de discrimination médicale, c'est ça aussi. C'est qu'à la période Covid, les personnes brosses étaient considérées comme plus à risque et à moitié responsables. Enfin, il y avait un flou artistique. Je pense que je n'ai pas eu accès aux soins. que j'aurais pu avoir, juste parce qu'il fallait trier et qu'il y avait des critères. Il y a eu des critères d'exclusion, comme l'âge aussi. À partir d'un certain âge, les salariés n'acceptaient pas les vieux en réa parce que moi, j'étais une des personnes pas acceptées en réa.
- Speaker #1
C'était indécent. Oui. Après, ça a été une période aussi où...
- Speaker #0
Où l'indécent, c'était... C'était au sens post-cisme. Ça a exacerbé tout les...
- Speaker #1
Énormément de choses.
- Speaker #0
Oui. Et tous les trucs de la société. le racisme décomplexé sur les personnes asiatiques.
- Speaker #1
Exactement.
- Speaker #0
Ça, c'était une période qui a juste mis le...
- Speaker #1
Ça a ressorti tous les... Truc un peu caché, mauvais caché. Alors là, c'était... Pas mis qu'à bord, donc l'être humain était à son comble de sa beauté.
- Speaker #0
Voilà, exactement.
- Speaker #1
Mais je suis désolée que tu aies vécu ça, déjà, parce que c'est nul, vraiment moche. Et je suis contente que ça ait mis au jour,
- Speaker #0
tu sais. Ça m'a nettement mis au... Et ça a permis, cette période, mine de rien, j'avais pas encore pris conscience de tout l'enjeu politique et systémique de... corps gros et ça a été une des périodes de prise de conscience aussi de « Ah mais c'est plus grand que moi » et tout ça. Ça a permis ça, entre guillemets.
- Speaker #1
Dans la douleur, mais j'entends. Oui, oui. C'est souvent comme ça de toute façon qu'il y a les déclics qui se font. Malheureusement, c'est souvent comme ça.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Est-ce que tu avais des choses à rajouter ou est-ce que tu veux qu'on conclue ?
- Speaker #0
En choses à ajouter, un des trucs qui est très très important et qu'on s'est dit en off, c'est que la grossophobie, c'est notre mode par défaut à tous. Vraiment. Et que c'est hyper violent de prendre conscience d'à quel point on a été violent avec nous-mêmes. Et je ne dis même pas qu'on n'a pas été suffisamment bienveillant. Non, qu'on a été violent avec nous-mêmes. C'est de la violence. C'est une violence qui est invisibilisée et c'est une violence qu'on reproduit sur nous-mêmes et sur les autres. Mais voilà. Être gros, ça ne veut pas dire qu'on n'est pas grossophobe. Vraiment. C'est vrai,
- Speaker #1
t'as raison de le dire.
- Speaker #0
Et ça, c'est notre mode, par défaut, à tous. On grandit dans un monde qui est tellement grossophobe que c'est intériorisé et que ça demande du temps, beaucoup de travail et des confrontations avec soi-même, avec nos idées, nos croyances, qui piquent, clairement. Ça pique, c'est pas agréable et des fois, on peut pas le faire parce que... on a d'autres choses à foutre dans la vie que de s'éprouver et d'aller trifouiller dans nos croyances et tout ça. Donc voilà, je pose ça là. Et vraiment, aimons-nous déjà avec le fait d'en entendre parler, d'accepter, d'écouter. Je vais dire un petit truc sur les mots qu'on utilise. Parler de nous. Moi, il y a un mot que j'aimerais bien qu'on interdise pour parler de nous-mêmes. C'est le mot assumer.
- Speaker #1
Oui, c'est un truc que j'ai utilisé en off, et même peut-être dans cet épisode.
- Speaker #0
Oui, peut-être. Mais en vrai, c'est parce que c'est le mot qu'on entend tout le temps, mais en vrai, on assume un fardeau. On assume une responsabilité. On assume une erreur. Étymologiquement, ça veut dire prendre à sa charge. Nos corps ne sont pas des erreurs. Nos corps ne sont pas des erreurs à assumer. Déjà, de changer les mots pour parler de nous-mêmes, de s'autoriser à dire qu'on est grosse. Voilà, ce qu'on disait au début de l'épisode. Et non, on n'est plus en train de s'assumer. Non. On assume une erreur, c'est un comportement, c'est quelque chose qu'on choisit. Quand on assume quelque chose, c'est j'ai fait une erreur, j'ai pas fait le bon choix quelque part. Mince, je me rends compte de mes ex-fils et tout ça. Eh ben non, nos corps font pas des erreurs. On n'a pas choisi le corps qu'on a quand on est gros. Vraiment, si on avait le choix, je connais très peu de grosses qui voudraient rester grosses. Si on n'était pas dans une société grossophobe, je dis pas. Viens, on se dit que nos corps ne sont pas des heures. Et ça commence par là aussi, le choix des mots. Les choix des mots pour comment on accepte de ce qu'on entend aussi, ce qu'on dit de soi et ce qu'on entend des autres. Les petits mots sur le fat talk. Ah là, on a mangé comme des gros. Non. Ça mange comment ? Moi, maintenant, je reprends mes potes et tout. Ça mange comment les gros ? Parce que moi, je suis grosse et du coup, je mange comment ? Vas-y, dis-moi. Juste... Et ça, ça vient te faire perdre de cette valeur négative et insulte au mot gros. Je te dire aussi, mais non, mais toi, t'es pas grosse, t'es belle. Ah oui, oui ? Ah non, mais je sais que je suis belle. Et ça m'empêche pas d'être grosse. Et l'un n'empêche pas l'autre. Et puis, en fait, l'inverse de beau, c'est laid. L'inverse de gros, c'est mince. De plus accepter les... Oh, t'as un si joli visage, c'est dommage.
- Speaker #1
Je l'ai entendu 56 000 fois.
- Speaker #0
Et ça... Et les gens... pensent qu'ils nous font des compliments en disant ça. Et ça, c'est des compli-merdes. C'est pas des compliments.
- Speaker #1
J'adore ce mot. Compli-merde.
- Speaker #0
On n'experte plus. Mais toi, c'est trop bien parce que tu t'assumes pour une grosse. Non, ça, c'est un compli-merde. Les grosses, on devrait se cacher, on ne devrait pas exister, mais non. Non, non, non, non. Compli-merde. Donc, c'est de changer, de le dire, de signifier des fois quand on a l'énergie, quand on peut. Pour les personnes pas concernée par la grosseur, donc pas concernée par cette réalité d'accès au monde. C'est tout ce qu'on a dit là. Et pour nous, les personnes grosses, qui ne sommes pas concernées par d'autres oppressions aussi, en vendant aux œillères de non-concernées, et vraiment de tenter d'écouter sans contredire, de juste écouter. Écoutez-nous les minces quand on vous dit qu'il y a des choses qui sont compliquées, et dites pas « oui, parce que moi aussi, quand je m'épris, j'ai un bourrelet » . Tais-toi, écoute, sans interpréter les explications. sans essayer de relater et de dire « oui, moi aussi pareil » . Non, toi pas pareil, parce que toi, tu n'es pas grosse. Laisse-moi de l'espace, parce que je suis invisibilisée partout, s'il te plaît, quand je te parle de mon expérience. Écoute,
- Speaker #1
on est comme les minces, on peut se parler en disant « j'ai du mal à m'habiller parce que je fais un 32 et que c'est la galère » .
- Speaker #0
Exactement, mais ça c'est du body shaming, c'est de l'accès et c'est de la diversité des corps. Ce n'est pas une histoire de grossophobie. Et on n'est pas discriminés pareil parce qu'on est minces. On n'est pas discriminés pareil. Quand on parle de discrimination, et ça dépend de quoi on parle. Moi, quand je viens parler de l'accès aux vêtements, ce n'est pas juste pour me plaindre que j'ai envie de m'habiller, d'être une princesse et d'avoir plein de robes. C'est juste que non, ça n'existe pas. Et je ne peux pas m'habiller, alors que c'est la loi de s'habiller en France. On n'a pas le droit d'évoluer tout nu. Non mais franchement, je serais bien moins embêtée si... on avait le droit de se balader tout du tout le temps, et que ce n'était pas un problème, et qu'on n'était pas en danger dans l'espace public si on avait du LR. Et vraiment, gardons à l'esprit que cette oppression et cette discrimination, elles ont été très très longtemps invisibilisées. La grossophobie, ça vient depuis les années 2000 seulement comme un mot, ça n'existait pas avant. Et c'est très très très récent dans les études sociologiques, ça date de 2010, les premières études sociologiques. Donc, c'est encore tout frais comme discrimination. Ce n'est pas dans la loi. Il y a plein de discriminations qui sont punissables par la loi. Celles-ci, non. Peut-être pour les personnes minces aussi, de relayer le discours des personnes grosses, sans le prendre pour soi, mais de juste relayer. Parce que le grand public a tendance à quand même plus écouter les personnes pas concernées par un sujet. Aussi parce que les militantes grosses sont souvent taxées de « prôner l'obésité » . Je fais les guillemets. Mais perso, je ne prône pas l'obésité. Là, je reprends les mots de Daria Marx, qui est une militante de Gras politique, un collectif très important, qui explique juste que on se bat pour que un Français sur cinq ait le droit d'exister sans être jugé ou moqué. On ne prône rien du tout, juste le droit d'exister. Aujourd'hui, par rapport au droit français, ce n'est pas illégal d'être discriminé ou insulté en raison de son poids. Donc il y a un truc à faire peut-être aussi au niveau des pouvoirs publics, mais ça c'est...
- Speaker #1
C'est une autre histoire, c'est encore plus haut que nous.
- Speaker #0
Oh oui. Et vraiment, d'habituer nos yeux, ça c'est un truc qui me paraît primordial. D'habituer nos yeux pour que ça ne fasse plus bizarre quand on voit des gros. Et quand on se voit nous-mêmes, de se dire...
- Speaker #1
S'habituer à se regarder.
- Speaker #0
Aussi. Pas forcément de façon positive. Parce qu'on a tellement été habitués à se voir négativement. Se voir positivement, c'est l'autre côté du continuum, c'est chaud. C'est juste de se voir déjà de façon neutre.
- Speaker #1
Oui, c'est ça. Juste se dire que c'est un fait. Bon, là, il y a ça, là, il y a ci. Et sans se dire c'est mal ou c'est bien, juste mon corps va comme ça.
- Speaker #0
Et je le vois, juste pour que ça s'imprime sur nos rétines et que ça devienne moins anormal. Et pour ça, emporons-nous de représentations de personnes grosses aussi. Dans nos filles d'insta, des maîtres. Voilà ce que je voulais ajouter.
- Speaker #1
C'est une très belle conclusion, je trouve.
- Speaker #0
Et puis, ensemble, si on peut, pas forcément lutter contre, mais lutter pour. Lutter pour de la visibilité, des canaux de prise de pouvoir, lutter pour habituer nos yeux, lutter pour se poser des questions ensemble et questionner aussi soi-même sur son rapport au corps gros. Voilà, qu'on puisse un peu révolutionner tout ça. dans notre intime, parce que l'intime, c'est politique.
- Speaker #1
Merci beaucoup, très fort. Merci vraiment beaucoup, Daphné. N'hésitez pas, effectivement, à partager cet épisode, parce qu'il me tient à cœur, et je pense qu'il tient aussi à cœur à Daphné, et que c'était important qu'on en parle aujourd'hui, et que la parole aussi se libère là-dessus, sur les gens gros, parce qu'on n'est pas des mauvaises personnes. On est super sympas, ok ? On est juste des humains, quoi.
- Speaker #0
On est des humains, ok ?
- Speaker #1
Mais en tout cas, merci à tous pour votre écoute. Merci encore, Daphné, d'être intervenue et d'avoir partagé tout ça.
- Speaker #0
Merci beaucoup de m'inviter et de me laisser cet espace de visibilité.
- Speaker #1
C'est avec plaisir. Je vous dis à très bientôt. Merci d'avoir partagé ce moment avec nous. Si cet épisode vous a plu, n'hésitez pas à en parler autour de vous et sur les réseaux sociaux.
- Speaker #0
Et pour rappel,
- Speaker #1
le podcast à nous deux, c'est un mardi sur deux.