- Speaker #0
Bienvenue à l'émission « À part égale » , l'émission du réseau parité 1-1 du groupe La Poste. Aujourd'hui, j'ai l'honneur de recevoir parmi nous Mathieu Palin. Mathieu, bonjour.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Mathieu Palin, vous êtes journaliste et romancier. Vous êtes auteur de la série-podcast « Des hommes violents » , mais aussi de « Nos pères, nos frères, nos amis » . sur la violence faite aux femmes qui est sorti en 2023 et puis récemment les hommes manquent de courage. Vous êtes rendu pendant quatre ans dans des groupes de paroles destinés à des hommes condamnés pour violence et donc vous avez toujours été autour de ce thème récurrent finalement autour de la violence des hommes. Pourquoi ? ce titre, Les Hommes manquent de courage, et pourquoi ce thème que vous travaillez régulièrement depuis quelques années ?
- Speaker #1
Alors le titre, c'est toujours quelque chose que je choisis en dernier, donc c'est une fois que le texte est terminé, on essaye de trouver le meilleur titre. J'avais un titre que j'estimais être magnifique et qui m'a été retoqué par tout le monde dans la maison d'édition en me disant personne ne comprendra rien, donc relis ton texte et tu trouveras le titre dedans. Et... Et c'est une phrase qui est prononcée par l'héroïne Jessie à un moment très particulier que je ne vais pas développer parce que c'est plutôt sur la fin du livre. Mais elle le dit pour une bonne raison. Et finalement, c'est vrai que l'actualité de ces derniers mois m'a plutôt donné raison quand j'ai choisi ce titre. C'est vrai que les hommes manquent de courage, c'est une généralité. Et donc, c'est à la fois faux et un peu vrai aussi, comme beaucoup de clichés. Disons que les hommes manquent pas de courage forcément pour aller faire la guerre mais il y en a un certain nombre qui manquent de courage parfois quand il s'agit d'assumer un enfant ou de tout simplement d'assumer ses responsabilités. C'est un peu ce qui arrive les deux d'ailleurs, ce qui arrive dans le cas de Jessie, l'héroïne de ce roman qui en effet est un personnage qui arrive aussi dans ma vie d'auteur parce que j'ai réalisé avant ce podcast et écrit ce livre sur les violences faites aux femmes. Donc il y a une certaine forme de continuité.
- Speaker #0
Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui vous a donné envie d'aller déjà faire de l'investigation sur ce thème-là ? Il y a quelque chose dans votre vie ?
- Speaker #1
Il y a quelque chose dans la vie en général qui s'appelle le mouvement MeToo, qui a commencé en 2017 aux Etats-Unis, qui a pris de l'ampleur. Et quand je commence cette première enquête sur les hommes violents, qui sortent à un groupe de parole que j'intègre, En septembre 2018, qui réunit 12 hommes qui sortent de prison et qui ont en commun d'avoir été condamnés pour violences conjugales, disons que ça fait un an qu'infuse en moi cette idée que peut-être, en tant que journaliste, je suis passé à côté d'un sujet qui concerne 52% de la population mondiale, qui sont les violences faites aux femmes, puisque ça faisait une dizaine d'années que je travaillais dans diverses rédactions et je pouvais quand même... Même pas me dire que j'avais couvert le sujet, j'avais pas écrit une ligne, ni sur les violences conjugales, ni sur le harcèlement sexuel, ni sur le harcèlement dans la rue, ni sur les viols, ni sur le féminicide, non plus sur l'inceste. J'étais quand même passé à côté. Donc je me demandais pourquoi, et en parallèle, j'ai pris conscience que si moi je me sentais pas concerné, c'est... Pas le cas de mes proches, puisque j'ai posé la question à ma mère, à mes sœurs, à ma conjointe, à mes amis autour de moi. Et toutes avaient des histoires à raconter, toutes se sentaient elles directement concernées, puisque les violences, elles les subissaient. Donc je me suis quand même dit qu'il était temps peut-être de réparer les choses, donc cette enquête, cette immersion était un point de départ. Et une fois que j'ai commencé à essayer de défricher un peu cette terre, qui était quand même une terre inconnue pour moi... j'ai commencé à comprendre un peu d'où venaient les violences, à me sentir moi aussi un petit peu concerné, à un peu scanner aussi ce qu'avait été ma vie jusqu'à présent, non pas en tant que journaliste, mais en tant que mec. Et donc est venue cette idée de peut-être engager une enquête de terrain qui allait prendre du temps, et au bout de cette enquête, il est difficile de redevenir la personne que j'étais avant. Donc en effet, il y a une sorte de continuité dans les projets. qui sont connectés à cette prise de conscience. C'est un peu un gros mot, mais je pense que c'est un... C'est réel aussi.
- Speaker #0
Vous êtes élu l'homme féministe de l'année par le Média Club L. Et vous avez dit, je n'ai pas tant de mérite que ça parce que je n'ai pas beaucoup de concurrence. Oui, ça va. Et est-ce que vous pensez que les hommes doivent plus prendre la parole ? On a entendu avec l'affaire Pelico, avec effectivement Me Too, Not All Men. Qu'est-ce que vous avez à répondre à ça ? Et pourquoi vous, vous trouvez que c'est important tant qu'homme de prendre la parole à ce sujet ?
- Speaker #1
Moi, en fait, ce que je viens de dire juste avant prouve que je faisais partie de ces hommes qui ne se sentaient pas concernés. J'ai la chance d'être journaliste, de pouvoir aller sur le terrain, de me confronter au réel. Et c'est cette confrontation au réel qui m'a permis de quand même prendre conscience que j'étais moi-même ce genre de mec qui, pour continuer à pouvoir se regarder dans la glace, continue à dire « toi, tu n'es pas concerné, toi, tu es un mec bien, tu n'es pas comme eux, ces gens moins intelligents, moins éduqués que toi » . Bon, derrière cette vision rassurante des choses, il y a quand même un déni. Et c'est vrai que je pense qu'on a fait beaucoup, on a avancé sur plein d'aspects, notamment dans la prise de conscience depuis MeToo, depuis 2018. Mais un point sur lequel on bute, c'est la prise de conscience des hommes comme faisant partie du problème. Il y a quelques mois, quand justement j'étais encore en promo pour ce dernier roman, j'avais été invité... Dans cette émission à 19h sur France Inter qui s'appelle Le Téléphone Sonne, où les auditeurs appellent pour donner leur avis. Et c'était une émission où la présentatrice de l'émission, Fabienne Sintès, avait demandé à ce qu'aucune femme n'appelle pour que seulement les hommes puissent s'exprimer sur la question. On était en plein dans l'affaire Pellico. Et quand je suis arrivé juste avant l'émission, elle me dit « C'est dingue, on n'a jamais eu autant d'appels, le standard explose. » Je me suis dit, c'est super, les hommes se sentent concernés, ils appellent. Et quand on a pris l'antenne, presque tous les mecs ont appelé pour dire, mais comment ça, il faudrait que je me sente concerné, c'est un scandale, mais ces mecs, c'est des malades mentaux, il faudrait leur mettre une balle dans la tête, la peine de mort. Donc je me suis dit, on n'est pas du tout sortis d'affaire.
- Speaker #0
C'est ça.
- Speaker #1
Donc c'est vrai que c'est un point sur lequel on pourrait avancer, mais c'est une vision rassurante de penser que... que l'agresseur, le violent, c'est forcément celui qui ne nous ressemble pas. Et chez les mecs, il y a vachement encore cette vision. Les femmes sont capables de dire « nous toutes » , quand bien même elles seraient à des années-lumières sur le spectre à la fois de la situation sociale, la situation professionnelle, la situation même ethnique. Et pour autant, elles se reconnaissent comme étant victimes des mêmes violences. Les mecs n'arrivent pas du tout à se reconnaître comme faisant partie du problème. C'est toujours l'autre le responsable. Je n'ai pas la solution miracle pour que ça change, mais je pense qu'il y a une histoire d'éducation. Et quand je parle d'éducation, je parle aussi d'un point de vue médiatique, au niveau des messages qu'on envoie, que la société envoie. Ce sont peut-être des leviers sur lesquels on pourrait appuyer pour que ça change.
- Speaker #0
Déjà, de prendre la parole, c'est déjà un grand pas. Ça nous concerne tous. Vous dites notamment qu'il ne faut pas recréer, enfin faire en sorte aussi que les petits, ça fait suite à ce que vous dites, les petits garçons ne deviennent pas des hommes violents. Est-ce que vous pensez que cette violence est liée au système viriliste, patriarcal ? Comment vous l'expliquez, vous qui avez été en immersion au plus près ? Comment ils l'expliquent ces hommes qui ont des violences ? Est-ce qu'ils vous parlent ? Est-ce qu'ils ont une analyse ?
- Speaker #1
Non, il y a beaucoup d'hommes qui sont violents mais qui disent qu'ils ne le sont pas. donc Non, en fait, c'est pas tellement chez eux que... Alors, il y en a qui sont capables de l'expliquer, et il y en a qui expliquent que leur violence... Il y en a un, je pense à lui, qui s'appelle Romain, qui m'a dit, moi, la petite graine de la violence, je sais qu'elle est en moi depuis longtemps, et je sais d'où elle vient. Et très souvent, j'ai entendu ça très souvent chez plein de mecs, le responsable, c'est le père. C'est-à-dire qu'ils disent, mon père, je l'ai détesté, dès que j'ai eu la force de m'opposer à lui, il a traversé la baie vitrée, on s'est battus à main nue et tout. Et je m'étais juré de ne jamais lui ressembler. Et puis la première personne à qui j'ai pensé en garde à vue, c'est lui. Parce que voilà, j'étais en fait comme s'il y avait une sorte de fatalité grecque, tragédie, la prophétie qui se perpétuait. Et ils finissaient dans la même situation, c'est-à-dire être eux-mêmes violents sur leurs proches, leurs femmes, leurs enfants. Donc ça, c'est une partie de la réponse. C'est-à-dire d'où vient la violence ? La violence, vous ne l'essayez pas avec. à la maternité vous n'avez pas en vous le gène de la violence comme vous avez le gène des cheveux blonds ou des cheveux bleus mais c'est un comportement et vous pouvez très vite vous en saisir de ce comportement l'adopter à force d'y être exposé c'est à dire que vous grandissez dans une famille où votre père tabasse votre mère où vous prenez des tartes parce que vous ramenez des mauvaises notes à l'école vous vous êtes hurlé dessus ça va devenir votre quotidien et ça va devenir complètement banal, vous n'allez plus y faire attention puisque c'est comme l'air qu'on respire Merci. Ça c'est une première raison quand même qui vous permet de rencontrer la violence et les risques de la perpétuité ensuite sont démultipliés. Mais en effet, il y a une autre raison, c'est qu'on grandit dans une société qui offre la possibilité aux petits garçons de se saisir de la violence pour résoudre leurs problèmes. On a été encouragés quand même beaucoup par cette société, déjà dans les modèles qui nous ont été présentés, mais aussi à plein d'endroits, parce qu'il y a une forme d'impunité aussi chez les garçons à se saisir de la violence. pour dominer ceux qui le considèrent comme étant plus faible, c'est-à-dire les femmes et les enfants. Et donc, oui, on n'a pas forcément besoin d'avoir grandi sous la terreur d'un père tyrannique pour devenir soi-même violent, en fait. La société, dans les années... J'ai même pas besoin de revenir à 200 ans. Non, juste la société d'après-guerre française est une société... extrêmement hiérarchisé dans lequel le petit garçon comprend que son rôle qui lui a été assigné en tout cas même si on lui a pas murmuré à l'oreille c'est ce qu'il comprend c'est quand même de devenir le chef de famille au dessus des membres de la famille et donc il va asseoir son autorité notamment par une certaine forme de violence qui n'est pas forcément une violence de je mets un coup qui est une violence de domination et ça je pense que Il y en a beaucoup qui se cachent derrière l'idée qu'ils ne sont pas violents puisqu'ils n'ont jamais mis un coquard à la fille avec laquelle ils vivent. Mais la violence, ce n'est pas que ça. Si vous l'empêchez de vivre et que vous la surveillez, et qu'elle n'a le droit à rien et juste à s'occuper des gamins, c'est de la violence. Donc oui, la société jusqu'à présent, qui est une société extrêmement genrée, patriarcale, a quand même envoyé un message qui était celui d'une domination des hommes sur les femmes.
- Speaker #0
Et alors avec ce qui se passe actuellement dans le monde, avec tous les mouvements qui se passent aux États-Unis ou évidemment dans d'autres pays, et même en France, d'ailleurs, il y a un rapport qui vient de sortir sur les jeunes hommes, l'autorité pour l'égalité entre les femmes et les hommes, les jeunes hommes qui reviennent à ces modèles et qui parlent notamment de violences qu'ils assument vis-à-vis de femmes. Qu'est-ce que vous pensez ? On avait l'impression qu'il y avait une avancée. On a l'impression qu'il y a un très grand retour en arrière. comment on peut... Faire bouger les lignes et aller vers plus d'égalité, c'est d'autant plus difficile actuellement.
- Speaker #1
Le discours féministe qui est un discours justement qui rêve un avenir vers l'égalité, avec une égalité salariale, une égalité de statut, une égalité aussi dans les tâches assignées au sein du couple, dans la famille. Si on réfléchit en termes de vases communicants, ça veut aussi dire, pour un certain nombre de mecs, perdre des privilèges qui sont là depuis très longtemps. Donc il y en a plein qui ne sont pas d'accord. Et vraiment, il y en a énormément. C'est un mouvement de résistance très conservateur qu'on voit aux États-Unis, qu'on voit en France et qu'on voit aussi chez un certain nombre de jeunes garçons parce que le message envoyé par les masculinistes, c'est un message très simple. pour reprendre les mots de Donald Trump, c'est presque un message de bon sens. C'est-à-dire, un mec, un vrai, c'est gagner beaucoup d'argent, rouler dans une Ferrari et être autoritaire parce que les femmes, elles aiment l'autorité. Bon, ce message-là, il est simple et il est presque risible, tellement il est caricatural, mais en fait, il est facile à comprendre. Si vous êtes avec un contre-discours féministe... qui dit mais en fait la société dans laquelle on pourrait tous être heureux c'est pas une société dans laquelle on a une norme comme ça qui est faite d'injonction à la masculinité, d'injonction à la féminité dans laquelle finalement tout le monde est un peu malheureux parce que c'est un idéal inatteignable mais vous allez voir à force de travail et d'éducation bon bah ce message là il est pas simple à comprendre en fait il est, et puis il est beaucoup moins sexy que le message de mais... T'inquiète, suis mes conseils et tu vas gagner beaucoup de thunes et tu vas rouler un Ferrari. Donc que les gamins, entre guillemets, de 10, 11, 12, 13, 14 ans, aient envie de croire à ce modèle qui ferait d'eux des champions, et des hommes forts et respectés et virils, des mâles alpha, ça ne m'étonne pas tant que ça en fait. Ce qui... C'est pas pour autant qu'il faut abandonner le combat. Parce que moi je fais beaucoup de rencontres dans des collèges et des lycées. Hier j'étais encore dans une classe de 6ème, dans le 20ème à Paris. On voit quand même que les filles, même de cet âge-là, de 11-12 ans, elles sont assez politisées aujourd'hui. Parce qu'elles baignent dans ce monde-là, quel monde post-me-too. Donc en effet, il y a des jeunes garçons, et je me remets moi dans la peau de ce jeune garçon-là de 12-13 ans, j'étais probablement exactement comme eux. C'est pas non plus un âge, c'est un âge dans lequel on est en pleine construction, c'est la puberté. Donc on... On est attiré aussi par ces modèles de vie qui nous envoient des paillettes dans les yeux. Ce n'est pas pour autant qu'il faut se dire que tout est perdu. Je pense que le plus gros danger, ce n'est pas tellement les jeunes garçons qui rêvent de rouler en Ferrari et de devenir les mal-alpha de la famille, mais plutôt les hommes qui sont au pouvoir aujourd'hui et qui ne font rien pour que les choses changent. Il y a un mouvement de recul qui est énorme. Ce ne sont pas les gamins de 14 ans qui sont au pouvoir, c'est vraiment ceux qui sont là aujourd'hui et qui mènent une politique qu'on voit en Argentine. Le président Millet qui veut enlever le droit à l'avortement, qui veut enlever la notion de féminicide du droit pénal. Aux États-Unis, c'est déjà à l'œuvre. On est sur un mouvement de recul, un mouvement de backlash qui est assez classique, mais qui est extrêmement fort. C'est assez... Ouais, c'était prévisible, mais c'est assez triste.
- Speaker #0
Ça va vite et c'est encore plus... C'était prévisible, mais pas à ce point-là. En tout cas, j'en ai pas forcément imaginé que ça pourrait être à ce point-là, ne serait-ce qu'il y a un an. Et vous parliez justement de courage. Je pense aux jeunes garçons dont vous parliez. Il faut être courageux aussi pour s'opposer à ça. Et même en tant que politique, comme il faut avoir du courage. Le courage, vous disiez, c'est aussi assumer ses enfants, assumer ses parents vieillissants. affronter les difficultés ? Est-ce que ça ne serait pas intéressant d'avoir de plus en plus de modèles d'hommes comme vous qui montrent que le courage... On a reçu une invitée, notamment Noémie Delattre, qui disait aussi de montrer que c'est plus sexy d'avoir un homme, d'inverser les modèles, de montrer que c'est plus sexy d'avoir un homme qui s'occupe de ses enfants, que c'est plus courageux de s'occuper de ses parents, d'arriver à changer ses modèles.
- Speaker #1
Là-dessus, l'industrie du cinéma, de tout ce qu'on peut appeler le soft power, c'est-à-dire la publicité, le cinéma, les séries télé... jouent un rôle quand même important parce que dans les années 50 jusqu'à aujourd'hui, les modèles masculins ont été une sorte de copie conforme de modèles clichés de virilité, c'est-à-dire John Wayne, Clint Eastwood, Brad Pitt, Johnny Depp, la liste est longue de mecs qui finalement sont rarement confrontés à des questions triviales peut-être, mais des questions de gestion du conflit. Comment est-ce qu'on gère un conflit ? C'est-à-dire que la violence dans un couple, c'est très souvent un moment où la femme s'en va, où la femme dit tout simplement « je ne t'aime plus » . Ce sont quand même des moments qui sont déterminants dans le passage à l'acte violent, puisque c'est votre égo qui est touché.
- Speaker #0
C'est l'égo ou c'est un sentiment d'avoir la propriété que la femme ou que l'enfant soient la propriété ?
- Speaker #1
Les deux sont liés en fait. C'est-à-dire que si vous considérez que cette femme, c'est la vôtre, qu'elle s'en va, vous avez un sentiment d'abandon. C'est-à-dire que c'est comme si vous avez été abandonné par votre mère. Vous considérez qu'il y a un truc pas normal. La société, normalement, vous a lié et ça devrait rester comme ça. Il y a ce sentiment d'abandon qui est vraiment une blessure d'ego. est liée à une volonté immédiate de posséder l'autre. Et donc la possession, c'est aussi énormément de féminicide qui arrive à ce moment-là, c'est-à-dire dans le moment où la femme veut partir. Et ça, c'est en fait, quand j'ai commencé à réfléchir à ces questions de représentation, on voit très peu de situations dans lesquelles Brad Pitt se fait quitter et il doit gérer ça, dans lesquelles Johnny Depp se fait quitter et il doit gérer le conflit. Donc il y a des situations de la vie de tous les jours qui échappent complètement à ce spectre-là, qui est celui des influences, ou en tout cas des représentations. Donc je pense qu'il y a tout un champ de possibles à inventer, et peut-être sortir aussi de cette espèce de représentation d'une masculinité virile, hégémonique, qui est tout le temps la même en fait. Moi je discutais avec un médecin hier... qui me disait que lui, il voit passer beaucoup de patients qui lui disent « Mais moi, je ne comprends pas pourquoi mon taux de testostérone, il est à 7 picogrammes. » C'est pas vrai. Alors que la norme, c'est entre 7 et 14. Je lui disais « Mais vous êtes dans la norme, en fait. » « Ah mais non, ça ne va pas du tout, ce n'est pas assez. » « Moi, je suis un 14, je ne peux pas être un 7. » C'est fou,
- Speaker #0
ça.
- Speaker #1
Oui, mais en fait, c'est fou. fou et c'est banal, vous poussez la porte de n'importe quelle salle de sport, vous voyez que des mecs qui rêvent que d'être des 14. C'est vrai. Et donc, c'est… Des 14, ouais. Et je veux dire, je leur jette pas la pierre. Ce n'est pas eux qui sont seuls comme ça, comme des graines germées dans du coton, qui se sont dit « je veux devenir comme ça » . Il y a des milliards d'influences qui rentrent en ligne de mien pour que… Le corps qu'ils veulent, c'est celui de Schwarzenegger. Et encore, c'est une référence de vieux mec, de sortir ce noir. J'imagine qu'ils ont des références encore beaucoup plus actuelles. Oui,
- Speaker #0
tout ce qui est sur les TikTok et compagnie, dans les réseaux aussi.
- Speaker #1
Je pense qu'en effet, là-dessus, il y a énormément de choses à faire. et à inventer en... En termes de scénario, en termes de mise en scène, de dialogue, on est sur la question du consentement par exemple. J'ai entendu beaucoup de discussions de scénaristes qui se disent comment est-ce qu'on pourrait rendre sexy le consentement sans passer par cette espèce de cliché de il faut vous signer un contrat avant qu'on puisse faire l'amour. Ben non, il y a potentiellement des trucs qui peuvent être... inventés qui n'ont jamais été mis en scène pour jusqu'à présent mettre en scène deux personnes qui qui font l'amour c'est souvent quand même le mec qui va prendre la femme et la forcer jusqu'à ce qu'elle cède et que finalement ça se passe bien bon bah je sais pas il ya des trucs à inventer et des scénarios aussi à écrire pour que l'on propose au public des manières de faire qui soit pas systématiquement celle qu'on avait déjà il ya 10 15 20 30 ans
- Speaker #0
Et ça ne bouge pas beaucoup quand même, parce que même dans les films récents, on a toujours quand même ce modèle de l'homme fort.
- Speaker #1
Ça bouge un peu, parce qu'il y a plus de femmes qui ont le droit d'écrire des films et de les réaliser. Mais ça reste aussi un milieu, il n'y a pas que la politique, ça reste un milieu assez conservateur aussi, le cinéma.
- Speaker #0
Et il y a des femmes aussi qui ne veulent pas que ça bouge. Comment vous expliquez ça ?
- Speaker #1
Elles ont baigné dans la même société que les mecs. Il y a aussi un phénomène assez naturel. J'ai relu cette tribune qui était parue en janvier 2018, qui était signée par 100 femmes sur la liberté d'être importuné et la culture de la galanterie à la française. Elle a vraiment vieilli cette tribune. Aujourd'hui, on se rend compte en 2025 que... probablement la majorité des femmes qui ont signé ce tribunal la signerait peut-être plus mais mais ce qui ressort de ces mots et de cette prise de parole c'est quand même l'idée que nous de la vieille génération Avons survécu à cette société masculiniste et on n'en est pas morte donc pourquoi vous les jeunes vous vous plaignez aujourd'hui vous pouvez tout à fait être comme nous et devenir quelqu'un Mais ce qui, à mon sens, n'est pas tellement une solution. Ce n'est pas parce que tout le monde n'en est pas mort qu'il faudrait faire la même chose. Donc, il y a un certain nombre de femmes de pouvoir, qui ont été qualifiées d'ailleurs de femmes puissantes, qui finalement ont réussi à atteindre ces sommets-là en devenant des hommes, presque. En acceptant de répéter une espèce de... de mécanique de domination qui est une mécanique assez masculine. Bon, je pense que c'est pas forcément la solution et c'est pas forcément un modèle qu'il faudrait montrer pour dire voilà les petites filles, si vous voulez devenir quelqu'un, devenez cette femme qui a renoncé à tout, et qui a en effet un poste de direction, mais en devenant un homme comme les autres, c'est peut être pas la solution.
- Speaker #0
Est-ce que vous pensez, s'il y a plus de femmes, parce que nous on est un réseau parité, on a vocation à favoriser l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et aussi à faire monter des femmes dans la hiérarchie, prendre des postes de direction, mais des femmes qui soient comme elles sont et diverses. Est-ce que vous pensez que ça, ça aura quand même un impact sur l'évolution aussi de la société ? Est-ce que vous avez un avis à ce sujet ?
- Speaker #1
J'ai un avis, oui. Mon avis, c'est qu'il faudrait que cette société soit égalitaire pour qu'elle puisse l'être aussi dans les familles. C'est-à-dire qu'on parle de violence, mais la société déjà est violente. Une société dans laquelle tous les postes de direction sont occupés par des mecs en costard de 50 ans, chauves, c'est une société quand même qui envoie un message. Donc il faut bien sûr qu'on arrive à une égalité aussi dans les représentations. Et ça ne veut pas dire... Je le dis crûment, mais ça ne veut aussi pas dire uniquement des hommes et des femmes blancs. Ça veut dire une représentativité aussi du pays, une diversité, parce que donner envie, c'est aussi un jour voir quelqu'un qui te ressemble. Je pense au tennis, par exemple, qui est un sport qui a été exclusivement blanc et un sport de catégorie socio-professionnelle assez élevée. Billie Jean King, quand les sœurs Williams sont arrivées sur le circuit, elles ont donné aussi envie à des petites filles noires de jouer au tennis. Et on a eu des premiers numéros à un mondial depuis noires. Donc pour donner envie, il faut avoir des modèles. Pour se dire, c'est possible. Et donc c'est à tous les niveaux justement de direction qu'il faut qu'on puisse avoir accès à des modèles et pouvoir se dire, cette fille, elle me ressemble. J'ai bien envie de devenir comme elle, d'arriver à son niveau.
- Speaker #0
Justement, je pose toujours cette question, est-ce que vous avez un rôle modèle ou quelqu'un qui vous inspire encore aujourd'hui ?
- Speaker #1
Oui, j'en ai eu plein en fait. À différents moments de ma vie, quand j'étais petit et que j'étais à fond dans le foot, mon rêve c'était de faire un contrôle orienté comme Zinedine Zidane. sur un terrain de football. Ensuite, j'ai voulu devenir journaliste et j'avais Florence Obna comme ça, tout en haut de la pyramide de ce qui pouvait se faire dans ce métier. Et je continue de penser qu'elle est encore très au-dessus du lot. Donc une femme. Donc une femme,
- Speaker #0
bien sûr.
- Speaker #1
Après, il y a beaucoup de gens que j'admire. Je suis en grandissant un peu moins. Je pense que c'est bien d'avoir des idoles quand on est petit. parce que ça permet d'être amené à rencontrer ces gens, à lire ce qu'ils font, à regarder ce qu'ils font, à en être inspiré. Et on est, nous, des machines à imiter, je veux dire, les êtres humains. Donc admirer quelqu'un, c'est aussi essayer de prendre tout ce qu'il y a de bon chez lui. Donc j'ai beaucoup eu ça quand j'étais petit, à plein de niveaux. Je l'ai un peu moins maintenant parce que je suis peut-être un peu plus lucide et je sais que... ça reste des êtres humains avec leurs qualités et leurs défauts. Mais oui, j'ai des gens que j'admire et que je respecte beaucoup.
- Speaker #0
En tout cas, c'est intéressant d'entendre que c'était une femme journaliste, comme quoi le genre, effectivement, moi j'y crois, mais voilà, n'est pas une fin en soi. Est-ce que, qu'est-ce que vous pourriez dire en quelques mots aux hommes ? sur comment les convaincre d'agir avec nous pour favoriser l'égalité, permettre à des femmes d'avoir la même égalité professionnelle ou même à tous les niveaux de la société avec les hommes. Qu'est-ce que vous pourriez leur dire ?
- Speaker #1
Quand on me pose cette question, je pense que le plus efficace, et ce qui a été efficace pour moi en tout cas, c'est de réaliser que ce ne sont pas forcément les autres qui sont concernés, puisque si vous posez des questions, ne serait-ce qu'aux vôtres, C'est-à-dire... à votre mère, à vos soeurs, à votre conjointe, à vos amis, et que vous vous rendez compte que oui, elles ont des histoires à raconter, que oui, elles ont subi des violences, et que ces violences-là, elles n'ont pas forcément été perpétrées par cet autre malveillant qui ne vous ressemble pas, qui vit dans une grotte et qui rôde la nuit à la recherche de sa prochaine proie, que c'est quelqu'un qui, en général, est dans le cercle très proche, quelqu'un qu'elle connaissait. Ça va, je pense, pour certains... vous faire prendre conscience de pas mal de choses et peut-être vous amener à vous interroger, vous, sur les femmes avec lesquelles vous avez travaillé, les femmes avec lesquelles vous êtes sorties, les femmes avec lesquelles vous avez eu des relations amoureuses, sexuelles. Et que peut-être, si vous faisiez l'exercice de scanner vos 20, 30, 40 dernières années de vie amoureuse, peut-être que oui, en allant toutes les recontacter, il y en aurait peut-être une ou deux qui diraient « Ah bah oui, là, tu t'es pas très bien comportée. » Et ça... Ça va peut-être mettre un coup de canif dans cette image reluisante de... Moi, je suis un mec bien, je me suis toujours bien comporté avec les femmes de mon entourage et je n'ai jamais rien à me reprocher. Mais peut-être que c'est un premier pas vers une prise de conscience et vers un travail un peu introspectif qui nous permet de ne pas passer à côté de quelque chose de central, je pense.
- Speaker #0
C'est-à-dire que chacun doit aussi se prendre en main et avoir sa position.
- Speaker #1
Oui. Moi, j'ai du mal à croire que tous les mecs... là, qui disent ne pas se sentir concernés, n'ont jamais exercé, non pas une violence physique, mais, puisqu'on parlait tout à l'heure de domination, un rapport de domination. C'est-à-dire que moi, je l'ai vu dans les entreprises dans lesquelles je suis passé. J'ai deux petites sœurs qui m'ont bien répété. Oui, moi, j'ai exercé un rapport de domination sur plusieurs femmes avec lesquelles j'ai bossé, avec lesquelles même je suis sorti. Et tout ça sans en avoir vraiment conscience, peut-être en répétant un schéma classique que j'estimais peut-être être le schéma normal. Maintenant, on ne peut pas faire comme si on vivait encore en 2008. En fait, on est en 2025, on est sept ans après MeToo et c'est un mouvement qui continue de bouillonner autour de nous, qui est très actuel. Il est temps de prendre conscience qu'on fait partie du problème. Donc, je les encourage à faire cet exercice.
- Speaker #0
Merci beaucoup Mathieu Palin, merci pour vos mots, pour cette prise de conscience qui est d'une maturité, d'une avancée, qui nous fait je pense vraiment avancer collectivement. Merci pour ces mots pour toutes les femmes, pour tous les hommes et je vous donne rendez-vous pour une prochaine émission d'Appareil Galle le mois prochain.