- Aurore Mayer
Bienvenue à l'émission À part égale, l'émission du réseau parité 1-1 du groupe La Poste. Aujourd'hui, j'ai l'honneur et la grande joie de recevoir parmi nous Gadha Hathem. Bonjour. Bonjour. Vous êtes gynécologue obstétricienne, Radha, et en 2016, vous sondez la Maison des Femmes à Saint-Denis. C'est la première structure en France à offrir une prise en charge globale des femmes victimes de violences et de l'excision. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ? C'est la première fois qu'il y a cette... prise en charge vraiment globale et je vous laisserai expliquer en quoi ça consistait pourquoi vous avez voulu lancer ça à ce moment là alors pourquoi parce que je suis donc gynécologue accoucheuse et les femmes sont ma
- Ghada Hatem
patientèle majoritaire donc ce qui est intéressant quand on accompagne des femmes pendant longtemps parce que c'est je suis plutôt en fin de carrière c'est qu'on prend conscience de tout l'impact de ce qu'elles peuvent vivre, de ce qu'elles ont vécu, sur leur santé, sur leur morale, sur plein de dimensions, comme leur autonomie, leur autonomie financière, etc. Et donc, mes patientes m'ont progressivement sensibilisée, alertée aux conditions de vie qu'elles pouvaient traverser, et puis parfois aux choses qu'elles avaient vécues et qui me permettaient de comprendre pourquoi elles étaient comme ça. pourquoi elles avaient mal, pourquoi elles avaient peur. Et c'est quelque chose qu'on n'apprend pas spécialement à la faculté de médecine. En tout cas, quand j'ai fait mes études, on ne l'évoquait même pas, ça n'existait pas. Et je me suis dit que ce serait intéressant d'offrir un parcours complètement centré sur ce que fait la violence à la santé des femmes. Alors évidemment, il n'y a pas que les femmes qui souffrent de la violence, les hommes sont confrontés à la violence, parfois de la part de femmes, mais aussi de la part... de la vie, de leur employeur, de la guerre, quand ils font la guerre, ou de n'importe quel événement hyper traumatique, on est tous égaux là-dessus, mais quand même les femmes payent un tribut un peu plus important, qu'on explique aisément par ce qu'on peut appeler aujourd'hui, même si c'est régrincé les dents, le patriarcat, des milliers d'années de répartition des rôles extrêmement genrés qui ne sont pas en faveur des femmes, c'est très clair. Donc les femmes sont numériquement la partie la plus concernée. Pour moi c'était normal, en plus c'est mes patients. Et donc je me suis mis en tête de créer ce parcours de soins, parce que dans les hôpitaux on a des parcours de soins pour tout. Pour les enfants qui ont des maladies congénitales, pour les obèses avant de les opérer, pour le cancer du sein, pour tout. Et donc j'ai pensé un parcours pour les femmes victimes de violences. Et c'est ça qui est devenu la Maison des Femmes.
- Aurore Mayer
Est-ce que le fait d'être une femme a permis à ces femmes de se confier ? Parce que vous parliez de femmes qui sont les patientes que vous receviez, qui se confiaient plus facilement. Je ne sais pas si vous pouvez répondre à ça, mais…
- Ghada Hatem
Je pense que spontanément, oui, ça peut paraître plus facile. On a toujours cette idée que l'autre me comprend mieux s'il fait un peu partie de mon écosystème. C'est une femme, je peux lui parler, elle va comprendre. Mais j'ai des collègues hommes qui font ça parfaitement bien. et qui recueillent la parole de leur patiente tout aussi bien que moi. Donc, il ne suffit pas d'être une femme. On peut être une femme pas très sympa, pas très empathique, et du coup, ne générer aucune confidence. Donc, c'est, je pense, plus la posture, et puis un petit peu la bouteille. C'est une facilité aussi. Il y a beaucoup de jeunes médecins qui disent, mais moi, je ne peux pas parler de ça. Comment tu veux que je lui demande si... Elle a été violée, c'est trop dur, qu'est-ce que je répondrais ? Elle va pleurer. Je pense qu'une certaine aisance professionnelle liée à des années de pratique peut aider aussi.
- Aurore Mayer
Oui, on n'est pas prêt. J'entendais que dans les études, mais je peux faire le parallèle peut-être nous dans le monde de l'entreprise par rapport à des managers aussi qui verraient des signaux faibles, on n'est pas préparé à accueillir ou à aller chercher peut-être des paroles. C'est compliqué quand même.
- Ghada Hatem
C'est plus que compliqué parce que vous l'avez dit, vous n'êtes pas préparée, même dans le monde de la santé, tout le monde n'est pas préparé. Mais dans le monde de l'entreprise, encore moins. Et puis il y a cette idée aussi qui est très prégnante, c'est « et si elle me raconte un truc horrible, qu'est-ce que je fais ? » C'est ça. « Qu'est-ce que j'en fais ? » Et puis quand on n'est pas du tout professionnel, c'est « est-ce que je ne vais pas lui donner des conseils stupides ? » « Est-ce que je ne vais pas aggraver la situation ? » Le problème de ce genre de pensée, c'est que c'est paradisant. Et du coup, on va plutôt être dans l'évitement. Je vois bien qu'elle ne va pas très bien, mais je ne sais pas quoi lui dire. Et puis finalement, je préfère ne pas être trop près d'elle, parce que je n'ai pas du tout envie de recueillir des confidences. Et ça, c'est très dommage. Parce que ce qui est important aujourd'hui, c'est de prendre conscience que cette violence, elle est tellement banale, elle est tellement partout, tout le temps, qu'on est tous un peu à la fois complices, si on ferme les yeux. et concerner parce qu'on pourrait agir, on pourrait donner du soutien, donner un feedback quelconque à quelqu'un qui est complètement paumé parce que quand on vit dans la violence, on ne peut pas penser. On a besoin d'être accompagné. Ce qui est intéressant, c'est que les entreprises, mais vous devez le savoir, ont créé des phénomènes comme 1 in 3, etc. Et ça, c'est très bien. Et nous, on intervient souvent en entreprise pour justement parler des signaux faibles. de comment se comporter, comment agir. Et les questions qui reviennent souvent, c'est « je vois bien que ma collègue, elle ne va pas bien. Je me doute bien que... parce que... elle est tout le temps sur le qui-vive, parce que son téléphone sonne toutes les 10 minutes, parce que... parce que... elle n'est plus comme avant, elle n'a plus la joie de vivre, etc. Et je ne sais pas quoi faire. » Donc, c'est toujours intéressant de pouvoir outiller tous les citoyens. Bien sûr. C'est pareil, tu entends des coups. Dans l'appartement d'à côté, alors tu mets des boules caisse si tu veux, mais si tu n'es pas à l'aise, il vaut mieux appeler la police pour rien que de se dire « ah mince, si j'avais appelé la police hier, peut-être que ça ne serait pas terminé comme ça » .
- Aurore Mayer
Oui. Nous, effectivement, aussi à La Poste, on a mis en place pas mal de choses pour détecter ces signaux faibles, pour nous former à la lutte contre le sexisme. Et ce que vous pensez d'ailleurs, c'est des choses que… sur lesquels on réfléchit, que la première étape, c'est quand on laisse passer des choses anecdotiques, enfin qu'on pense sur le sexisme, de l'humour, et puis après on va du harcèlement, etc. Est-ce que ce n'est pas le premier pas vers des choses plus importantes, plus graves ?
- Ghada Hatem
Si, parce que le sexisme, ça banalise. Les petites choses dont vous parlez, qu'on les a toutes, partout, dans tous les environnements professionnels, et parfois même amicaux. Je crois surtout qu'on n'anticipe pas le fait qu'on n'est pas tous pareils, on n'a pas tous le même vécu, et on ne va pas tous réagir de la même façon. Et là, par exemple, je travaille avec les militaires, et les militaires, ils sont assez démunis, parce que l'armée s'est féminisée. Et ils voient bien que, par exemple, une jeune femme qui va se faire un peu, comme ils disent, frotter dans les écoutilles d'un sous-marin, bon, certaines vont... soit donner un coup de pied ou rigoler et d'autres vont être complètement démunis et très agressés. Mais parce que ces traumas viennent réveiller d'autres traumas et on ne va pas réagir pareil. Donc, les blagues sexistes, ça peut faire rigoler des femmes qui sont totalement à l'aise et qui sont capables de renvoyer la balle. Et ça peut complètement anéantir quelqu'un qui est plus vulnérable. Donc, je pense qu'il faut lutter contre ces petites choses. Parce qu'en fait, elles ... En soi, elles ne sont pas catastrophiques, mais elles légitiment des choses de plus en plus marquées. Et finalement, elles légitiment ces comportements violents, où les gens se disent « mais c'est normal, c'est comme ça, la société est comme ça, les femmes sont comme ça, les hommes sont comme ça, et tout va bien » .
- Aurore Mayer
J'avais une question dans la quantité de ce que vous dites. Vous défendez les femmes et les enfants, parce que malgré tout, même si vous l'avez très justement dit, des hommes subissent aussi des violences, mais malgré tout, dans les statistiques, en tout cas, que l'on voit, et toutes les femmes et tous les enfants… ne remontent pas malheureusement à ce qu'il se passe, parfois dans un cercle d'ailleurs privé ou autre. C'est un combat pour vous de chaque instant, donc j'entends votre engagement, mais au-delà de ça, c'est un engagement qui est très fort. On pourrait juste, vous voyez, par exemple, être médecin, prendre les paroles, écouter ces femmes et donner des conseils. Vous êtes allé beaucoup plus loin. D'où ça vient ? Qu'est-ce qui vous anime vraiment ? Pourquoi cet engagement qui va bien plus loin ?
- Ghada Hatem
Alors ça, c'est… Je ne sais pas, mais je voudrais juste revenir un peu sur les hommes. Je pense que les hommes, on sous-estime beaucoup les violences sexuelles que subissent les hommes. Parce que vous dites, est-ce qu'une femme va parler facilement à une femme ? Est-ce qu'un homme va confier avoir subi un viol ? Et notamment dans les milieux de pouvoir, je repense à l'armée, mais je repense aussi aux scouts, à tous les endroits où les enfants sont enfermés. Et donc je pense qu'on est... pas du tout, on n'a pas les bons chiffres pour les hommes, et que parfois, ça ne justifie rien, mais ça peut expliquer, des comportements masculins extrêmement violents trouvent leur racine dans des violences subies, il ne faut pas le négliger. C'est pour ça aussi qu'il faut être très engagé auprès des enfants, parce que si on veut arrêter ce cercle vicieux, il faut agir à la racine, donc pour les petites filles, pour les petits garçons. Pareillement. Alors moi, pourquoi je suis allée au-delà ? Je pense que je dois avoir une petite fibre entrepreneuriale. Quand on fait un truc et puis que ça a l'air de fonctionner, on se dit « mais pourquoi on ne ferait pas plus et plus ? » Et on peut faire ça, on peut faire ça. Et tant que ça marche, même si ça demande de l'énergie, du temps, de la conviction, mais quand un projet fonctionne bien, c'est sûr qu'on a envie de le déployer, on a envie de le dupliquer, on a envie de… de le faire reconnaître aussi auprès du gouvernement parce que qui dit projet dit ressources humaines dit argent c'est là un gros mot et à l'hôpital dès qu'on dit argent la réponse est il n'y en a pas donc il n'y en a plus on a mangé les vaches grasses maintenant c'est vaches maigres donc ça c'est très très très fort à l'hôpital et c'est très déprimant donc quand on a pu trouver nous en en agissant vraiment des soutiens auprès d'entreprises engagées elles-mêmes, eh bien, on se dit, pourquoi ne pas en faire profiter tout le monde ? Et c'est un petit peu comme ça que ce projet, qui au début était un projet très modeste, loco-local pour l'hôpital de Saint-Di, aujourd'hui est devenu un projet national, voire un tout petit peu international, puisqu'on intéresse d'autres pays, le Mexique, l'Arabie Saoudite, le Liban. Et puis en France, on a 30 structures comme la nôtre maintenant. Donc, on se dit, on continue à se battre, on continue à déployer. C'est plutôt gratifiant, en fait. Ça redonne de l'énergie.
- Aurore Mayer
Vous parlez effectivement d'investissement. Et c'est très juste parce que souvent, dans des sujets où c'est plutôt des causes, des combats, on a tendance à parler de bénévolat. Et puis que tout se fait comme ça et qu'il n'y a pas besoin d'argent. Non,
- Ghada Hatem
jamais.
- Aurore Mayer
Donc, effectivement, vous avez raison, il y a besoin de financement. Et... Et aussi, ça me fait penser au sujet de l'indépendance économique aussi des femmes. Et peut-être, nous, en tant qu'entreprise, évidemment, permettre à des femmes d'avoir tout type de postes, de pouvoir s'épanouir et donc d'avoir des postes aussi à responsabilité, les plus rémunérateurs. Parce que, est-ce que vous mettez un lien entre l'indépendance économique, la liberté et le fait de s'affranchir de violences ? Ou ce n'est pas si évident ? Non,
- Ghada Hatem
ce n'est pas évident. Alors, soyons très clairs. La violence, c'est chez tout le monde. Les CSP++, les PDGET, comme les autres. Après, si vous êtes très pauvre ou si vous êtes migrant, c'est beaucoup plus difficile de s'en sortir. Très évident. Une femme qui a les moyens et qui a une certaine autonomie, elle ne va pas avoir besoin d'une association, par exemple, immédiatement. Elle peut déménager, elle peut prendre un avocat, elle peut changer les enfants d'école et se faire aider, etc. Ce qu'une autre femme ne pourra pas. Elle va... agir différemment. Et puis les femmes qui en général ont un niveau de vie satisfaisant n'ont jamais affaire à la police, ça ne leur vient pas à l'idée. Quand elles se retrouvent au commissariat, elles ne sont pas bien, elles disent « mais qu'est-ce que je fous là ? Ce n'est pas ma place » . Donc ça ne règle pas tout, mais ça rend les choses quand même un peu plus faciles. Et par contre, oui, il faut donner aux femmes le pouvoir, la puissance, l'argent, parce qu'en général elles s'en servent pas. pas trop mal en tout cas pas moins bien que les hommes c'est sûr et puis il ya beaucoup d'hommes aussi qui utilise cet argument économique pour maintenir une pression c'est à dire que la violence c'est pas que des coups c'est pas que des bleus c'est très insidieux la violence psychologique c'est beaucoup plus répandu et dans cette violence psychologique le fait par exemple d'empêcher sa femme de travailler ou de mettre la main sur sa paye ou parfois même il y a des La perversion, on n'a pas de limite. Il y a des hommes qui sont capables de prendre l'argent d'une femme et de s'acheter des biens, mais à eux tout seuls. Et donc la femme qui pense avoir économisé, qui pense que le bien a été acheté en commun, ou je ne sais pas quoi, on fait confiance. Et surtout quand on est amoureuse. et se retrouvent avec des malversations pas possibles. Parfois, elles sont, comment dire, PDG de la boîte, mais elles ne savent même pas comment ça marche. Et quand tout s'effondre, elles se retrouvent avec des dettes. Enfin, la violence économique fait quand même beaucoup, beaucoup de dégâts. Et là, les entreprises ont quand même un rôle à jouer aussi. Et notamment, quand ça ne va pas, de pouvoir faire des avances sur salaire. Vous, la Poste, vous pouvez les changer de bureau, les changer de ville. C'est ce qu'on fait. Vous avez peut-être la possibilité de les héberger. Plein de petites choses qui vont changer la donne.
- Aurore Mayer
Oui, bien sûr. Effectivement, on met en place pas mal de choses et on permet des mobilités.
- Ghada Hatem
Ça, c'est très précieux.
- Aurore Mayer
Ça, c'est précieux. Et puis maintenant, il y a l'obligation, il y a même un moment, d'ailleurs, que les salaires soient versés à la bonne personne. Ce qui était quand même assez incroyable.
- Ghada Hatem
Mais ce qui paraît fou, c'est qu'à l'époque, ça ne choquait pas.
- Aurore Mayer
C'est ça. Oui, ce qui paraît fou à notre époque. Et en fait, c'est quand même... Assez extraordinaire. On parle de plus en plus justement de sexisme ordinaire et vous, en pleine période de Covid, en 2020, vous avez écrit « Au pays du machisme ordinaire » , ce que je trouve très intéressant parce qu'en fait, vous parlez donc du machisme et du coup, vous nommez, plutôt que sexisme, vous parlez de machisme, ce que je trouve…
- Ghada Hatem
C'est une attitude. Et puis c'est une conviction. J'ai le droit, je suis le plus fort.
- Aurore Mayer
Bien sûr. Et avec la montée que l'on aperçoit actuellement, que l'on constate des mouvements masculinistes, est-ce que vous êtes inquiète ? Qu'est-ce que vous en pensez ? Par rapport à vos réflexions, à votre accompagnement des femmes ?
- Ghada Hatem
On est, je ne suis pas la seule, on est très inquiets. On est très inquiets. Moi, j'ai le sentiment qu'on pédale à l'envers. Je n'aurais jamais imaginé il y a 30 ans que la jeune génération, qui gagne en liberté, en autonomie, liberté sexuelle, sécurité, le sida, on a à peu près réglé le problème, j'aurais jamais imaginé qu'on ferait le chemin inverse, comme si trop de liberté c'était trop stressant, c'était trop angoissant. et qu'il fallait revenir à un cadre et le seul cadre qu'on connaît, c'est les garçons font ci, les filles font ça, et les vaches sont bien gardées, et ça c'est extrêmement déprimant. Et vous avez vu toutes les enquêtes actuelles, le montre. Déjà ça commence avec la sexualité par exemple, l'entrée dans la sexualité, on avait imaginé que ça allait se faire de plus en plus jeune, et bien pas du tout, c'est de plus en plus tard maintenant. voire une absence totale de sexualité. Et ce n'est pas grave en soi. Mais en fait, pourquoi ? Probablement parce que la relation humaine devient compliquée, angoissante. On préfère se masturber devant YouPorn que prendre le risque de se frotter à l'autre, faire des concessions, prendre des risques. Et ça en dit long quand même sur cet enfermement. C'est sûr. Et le reste est à l'avenant. Donc, oui. que des jeunes aient voté pour des chefs d'État totalitaires, réactionnaires et rétrogrades.
- Aurore Mayer
Et c'est vrai qu'on entendait souvent, même moi dans l'entreprise, « au moins les jeunes vont nous permettre d'avancer, d'acquérir plus d'égalité » , etc. Et pas du tout, en fait, on regarde dans l'étude. Enfin, plus du tout.
- Ghada Hatem
La machine s'est grippée. On a sûrement une part de responsabilité, je ne sais pas encore exactement laquelle. Ça n'aurait pas dû évoluer comme ça. Il s'est passé un truc là, une rupture.
- Aurore Mayer
Est-ce qu'il y a eu des avancées avec le mouvement MeToo ? Est-ce qu'il y a eu une influence ? Est-ce qu'il y a le Covid qui a fait que les gens étaient enfermés ? Je ne sais pas.
- Ghada Hatem
Le MeToo a sûrement agacé les hommes qui n'étaient pas prêts à reconnaître des choses qui sont quand même évidentes dans les comportements masculins problématiques. Même si pas tous les hommes, même si nous avons des alliés, même si un monde sans hommes serait pour moi un monde très triste. Mais peut-être aussi cette angoisse de cette vie moderne, de ces réseaux sociaux qui véhiculent de l'anxiété en permanence. Et puis, le manque de règles. Je ne sais pas, on fait un peu le parallèle avec ceux qui s'engagent, par exemple, auprès de trucs comme Daesh ou autres. Comme s'ils recherchaient une contrainte. Parce que dans leur vie, il n'y en a pas assez. Que c'est bancal et qu'ils ont vraiment besoin qu'on leur dise comme ça. Tu fais ci, tu fais ça, et là, ça va aller bien. C'est sécurisant. J'ai le sentiment que c'est un peu la même chose qu'on recherche, c'est-à-dire un cadre bien plus rigide, parce qu'on a très peur.
- Aurore Mayer
Et vous parliez d'éducation, d'aller vers les plus jeunes générations. Comment ? Ce n'est pas facile comme sujet, parce qu'effectivement, il y a le monde de l'éducation, il y a la sensibilisation, et puis il y a ce qu'on voit sur les réseaux qui ont finalement, autant voir plus d'influence peut-être que des paroles.
- Ghada Hatem
Parce qu'ils sont là tout le temps.
- Aurore Mayer
Ils sont là tout le temps.
- Ghada Hatem
Il faudrait que les éducateurs soient avec les enfants en permanence. Parce qu'en fait, on fait un pas vers eux, on arrive à les convaincre parfois avec beaucoup de pédagogie, beaucoup d'arguments, que leur pensée, leur vision de la femme n'est pas tout à fait juste. Et on sent parfois qu'on les a ébranlés. Mais bon, on est passé deux heures dans une classe, on s'en va, et tout le reste du temps, ils entendent le contraire. Parfois à la maison. Parfois, il y en a aussi sur les réseaux. Oui. La lutte est totalement inégale.
- Aurore Mayer
C'est sûr. Et c'est vrai qu'on voit les chiffres, une femme sur trois, c'est ça, subit des violences, c'est ça.
- Ghada Hatem
Ce qui est plus grave, c'est que je crois que deux tiers des garçons trouvent ça normal. Oui. Le côté, finalement, c'est normal. Ces rôles sont normaux et nous les reconnaissons comme tels. C'est ça que nous dit la jeune génération. C'est ça qui fait peur.
- Aurore Mayer
Bien sûr. Effectivement, c'est assez compliqué. Nous, à La Poste, dans le réseau Parité, on a des hommes et des femmes. On est encore heureux. Oui, mais il y a des réseaux qui sont féminins.
- Ghada Hatem
C'est vrai, mais ce n'est pas le même objectif.
- Aurore Mayer
Ce n'est pas le même objectif. Même si on a des moments où on n'est qu'entre femmes, il y a des moments où les hommes ne sont qu'entre eux. Et puis, il y a vraiment ces moments mix d'échanges et on pense que les hommes ne sont pas nos alliés. Et puis ils sont aussi concernés bien souvent et n'osent pas aussi, de par ces injonctions patriarcales, vous le disiez, assumer d'être peut-être un homme sensible ou d'avoir envie d'occuper des métiers plus…
- Ghada Hatem
Un homme violenté. Un homme violenté. Je veux dire, ça ferait du bien à tout le monde de se dire que oui, on peut être tous concernés par la violence.
- Aurore Mayer
Vous êtes quand même un exemple, parce que je ne connais pas les chiffres, mais dans le milieu aussi… médicales, il y a beaucoup d'hommes gynécologues me semble-t-il, plus d'hommes ou c'est de moins en moins le cas ?
- Ghada Hatem
Il y a beaucoup plus de femmes médecins.
- Aurore Mayer
Il y a plus de femmes médecins mais dans toutes les spécialités.
- Ghada Hatem
Il commence à y avoir des femmes chirurgiennes, peut-être pas encore à parité mais comme dans toutes les entreprises, plus on grimpe dans la hiérarchie, il y a plus de professeurs hommes que femmes.
- Aurore Mayer
Et alors vous en pensez quoi ? Est-ce que vous pensez que d'atteindre cette parité, ça permettrait d'avoir des approches différentes, complémentaires ou ? Est-ce qu'il y a encore ce plafond de verre, même dans des milieux où il y a plus de femmes médecins à la base ?
- Ghada Hatem
Alors, à l'hôpital et dans tous les endroits où on est salarié, le plafond de verre des salaires n'existe pas. Puisqu'on a une grille, elle est asexuée. Après, c'est le pouvoir, en fait. C'est l'accès au pouvoir. Et être professeur, être doyen, être président de la CME, ça reste encore souvent des prérogatives masculines, même si les femmes commencent à faire leur place au soleil, et c'est tant mieux. mouvement est en leur faveur, parce que de toute façon, il y a 80% de femmes, au moins 70% d'étudiantes en médecine, versus 20% il y a 50 ans. Donc on a beaucoup changé la répartition.
- Aurore Mayer
Est-ce que vous avez des conseils à donner ? Parce que vous avez eu un parcours assez incroyable. Et en plus, dans des années, peut-être que c'était plus difficile. Vous veniez du Liban aussi. Vous aviez certainement été confrontée, j'imagine, à des choses qui vous ont peut-être rendu plus solide. Je ne sais pas comment le dire.
- Ghada Hatem
Plus énervée.
- Aurore Mayer
Plus énervée.
- Ghada Hatem
Plus combative. Oui, bien sûr. Le conseil, ce qui est intéressant aujourd'hui, c'est d'essayer de... de combiner un métier avec un engagement. Et les jeunes sont très sensibles à ça, c'est-à-dire qu'ils n'ont plus envie de faire un boulot qui ne les fasse pas rêver, qui ne fasse pas sens. Et je vois bien dans les jeunes médecins, par exemple, qui viennent travailler à la maison des femmes, comment lorsqu'ils ont une sensibilité autour de l'égalité, autour du droit des femmes, immédiatement, ils sont très heureux là, ils disent « Ah, mais c'est comme ça que j'ai envie de travailler, c'est comme ça que j'ai envie d'exercer mon métier. » Donc, je n'ai plus envie de faire quelque chose. qui est trop banal, répétitif, qui peut-être au bout d'un moment me lasse. Là, il trouve du sens et ça me fait plaisir. Il faut trouver du sens, il faut avoir envie, il faut y croire. Après, il ne faut pas se mettre beaucoup de pression. Et parfois, les femmes, quand elles ont cravaché dur pour arriver à certains postes, Parce que la valeur travail, on leur a inculqué, puis elles ont compris. Les femmes comprennent assez vite que l'école et le travail, c'est quand même des vecteurs d'émancipation ultra puissants. Mais il faut aussi, je le vois avec certaines jeunes collègues ou très jeunes femmes que je peux accompagner, elles ont après du mal à rétro-pédaler un tout petit peu. Il y a des moments dans la vie, quand on est une femme, notamment quand on a la chance, la malchance d'avoir des enfants, il faut arriver à tout combiner. Et elles ont une telle pression en fait qu'elles n'osent pas lâcher professionnellement. Ça les rend hyper malheureuses. Et le fait de leur dire, tu sais, il y a des moments où tu peux ralentir un peu, ce n'est pas très grave. Et les enfants, ils partent un jour. Quand on a 30 ans et des petits, on ne sait pas. On ne sait pas qu'un jour, ils vont partir et qu'on va se retrouver avec un capital temps énorme. Et qu'on pourra. là, reprendre une carrière, beaucoup d'ambition, etc. Et je trouve que ça me fait de la peine quand je les vois complètement déchirés, partagés. Je veux tout réussir, je n'y arrive pas, je suis nulle. Accepter, accepter qu'il y a des rythmes, que la vie, elle n'est pas linéaire. Et qu'il faut savoir profiter de ce qui se passe là.
- Aurore Mayer
C'est très juste, mais... Il y a des injonctions et c'est vrai que beaucoup de femmes ont peur d'avoir un frein dans leur évolution, de lâcher.
- Ghada Hatem
Et qu'est-ce qu'on va penser de moi ?
- Aurore Mayer
C'est ça.
- Ghada Hatem
Alors les gens ne vont pas comprendre. J'étais la super PDG et là je prends un boulot moins sexy. Ouais, tu as fait un choix. De toute façon, tu es obligée à chaque étape de faire un choix. Oui. Ce qui m'amène à dire deux mots de la ménopause, parce qu'on parle beaucoup de la ménopause comme étant un moment terrible,
- Aurore Mayer
la fin du monde,
- Ghada Hatem
la fin de la séduction. Mais ce n'est pas vrai. C'est pas vrai. C'est aussi un moment de grande liberté, parce que c'est le moment où, déjà, on a un peu de recul, on est moins dans la séduction qui nous permettrait peut-être d'arriver à nos fins. Et puis les enfants sont partis. Donc toute cette charge mentale de « je gère tout avant d'aller bosser, quand je suis au boulot, je suis quand même en alerte parce que des fois que la nounou m'appelle, ou l'école, ou je ne sais pas quoi, et je rentre et rebelote, et ensuite j'attaque ma cinquième journée » , c'est fini. On n'a plus que nous à s'occuper. C'est pas mal.
- Aurore Mayer
C'est vrai, c'est vrai. Et c'est là où, mais des fois, enfin c'est plus le cas, et nous en tout cas à la poste c'est pas le cas, puis je pense que dans les hôpitaux pareil, mais il y a des endroits dans des métiers où on arrive à 50 ans, on est un peu laissé sur le carreau, et d'autant plus lorsque l'on est une femme. Oui,
- Ghada Hatem
et ça c'est terrible. Et justement s'il y a un lieu de pouvoir à reprendre, je pense que c'est celui-là. C'est-à-dire que c'est un moment où on est plus sereine, où on a du temps, on a accumulé une belle expérience, et on peut faire de très chouettes choses.
- Aurore Mayer
Rada, est-ce que vous avez un rôle modèle, vous ? Quelqu'un qui vous a inspiré dans votre parcours ? Ou toujours ?
- Ghada Hatem
Non, non, mais il y a les traditionnels, les Simone, Marie Curie. Parce que j'ai une grosse tendresse pour Marie Curie, parce que vraiment pour moi, elle représente la migrante, pauvre. À l'époque, les Polonais, c'était la migration absolument sans intérêt. et qui arrivent à avoir deux prix Nobel quand même. Oui, c'est vrai. C'est pas rien. Il n'y a pas beaucoup d'hommes qui ont deux prix Nobel. Et aussi, ce que j'aime chez elle, c'est ce côté complètement frondeur. Elle pensait hors de la boîte. Elle avait inventé une école pour ses filles. Elle ne voulait pas qu'elles aient une éducation traditionnelle. Quand il y a eu la guerre, elle n'a pas hésité à partir au combat avec ses petites curies pour faire des radios pour les blessés. Elle était une liberté folle et quand elle a pris un amant et que ça a scandalisé tout Paris, bravo Marie ! Donc oui, ce n'est pas que la scientifique que j'admire, il y a vraiment la femme qui n'a peur de rien. Ça, je trouve que c'est des superbes rôles modèles. Après, j'ai eu des médecins plus âgés que moi qui m'ont montré le chemin. ouvert des portes. Et ça aussi, dans une vie professionnelle, c'est très chouette d'avoir des juste devant qui t'ouvrent la voie.
- Aurore Mayer
Merci beaucoup, Radha Athem. Merci pour cet échange qui nous a appris beaucoup de choses. Merci d'avoir pris de votre temps qui, je sais, est très précieux. Et puis, je vous donne rendez-vous lors d'une prochaine émission, le mois prochain, avec, à part égale, une nouvelle invitée. Merci. Merci, Radha.
- Ghada Hatem
Merci de m'avoir invitée.