undefined cover
undefined cover
Sur les pas des personnages de romans : Avec Bouvard et Pécuchet, boulevard Bourdon cover
Sur les pas des personnages de romans : Avec Bouvard et Pécuchet, boulevard Bourdon cover
Balades au fil des livres

Sur les pas des personnages de romans : Avec Bouvard et Pécuchet, boulevard Bourdon

Sur les pas des personnages de romans : Avec Bouvard et Pécuchet, boulevard Bourdon

06min |10/12/2024
Play
undefined cover
undefined cover
Sur les pas des personnages de romans : Avec Bouvard et Pécuchet, boulevard Bourdon cover
Sur les pas des personnages de romans : Avec Bouvard et Pécuchet, boulevard Bourdon cover
Balades au fil des livres

Sur les pas des personnages de romans : Avec Bouvard et Pécuchet, boulevard Bourdon

Sur les pas des personnages de romans : Avec Bouvard et Pécuchet, boulevard Bourdon

06min |10/12/2024
Play

Description

Partez en voyage aux côtés de François Sureau sur les traces du duo Bouvard et Pécuchet, célèbres personnages de Gustave Flaubert.


Cet épisode du podcast "Sur les pas des personnages de romans" nous plonge au XIX ème siècle, sur un banc du boulevard Bourdon, là où tout à commencé. Une rencontre inattendue entre deux hommes que tout semble rapprocher.

François Sureau nous transporte dans la drôle de rencontre de ces deux personnages, nous dépeint leur aventure, ainsi que leur carrière.


Vous souhaitez découvrir comment ces deux copistes se sont liés d'amitié et suivre leurs péripéties ?

N'attendez plus, laissez vous transporter par l'histoire de "Bouvard et Pécuchet"...



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je m'appelle François Sureau et aujourd'hui j'ai rendez-vous avec les grands personnages de notre littérature et je voudrais vous emmener avec moi. Nous sommes sur le boulevard Bourdon, par un temps qui commence à être hivernal. Le boulevard Bourdon est un boulevard qui jouxe le canal Saint-Martin. D'un côté il y a la Bastille, on voit le génie de la Bastille qui s'élève doucement dans la brume. Et puis de l'autre il y a les coupoles du Jardin des Plantes et nous sommes devant le 25 boulevard Bourdon, à l'endroit exact où se sont rencontrés, à la fin du XIXeme siècle, deux immenses aventuriers. Ces immenses aventuriers ont connu tous les mondes, toutes les époques, tous les désirs, tous les soucis, avant de revenir à leur point de départ, et je vais vous raconter leur vie. Nous sommes là, assis avec Vincent Decque, sur le banc où nos deux personnages se sont rencontrés. Le premier venait donc de la Bastille, le second venait du Jardin des Plantes. Et déjà dans cette double origine, on pressent qu'ils vont s'occuper d'une part de politique et d'autre part de la vie de la nature, mais n'anticipons pas. Je vous laisse maintenant les imaginer. Nous sommes en été, il fait 33 degrés sur le boulevard Bourdon. Le premier personnage est grand, il est vêtu de toile claire, il marche le chapeau en arrière, le gilet déboutonné et la cravate à la main, il transpire. Le second est petit, plus rond, engoncé dans une redingote marron, et il marche la tête basse sous une casquette à la visière pointue, ce qui est quand même passablement étrange. Et c'est en s'asseyant sur ce banc, alors qu'ils ne se connaissent pas jusque-là, que leur aventure commence. Ils voient qu'ils ont eu la même idée, celle d'inscrire leur nom à l'intérieur de leur couvre-chef. Le premier, le plus grand, s'appelle Bouvard. Le petit, celui qui porte la redingote, s'appelle Pécuchet. Bouvard a l'air aimable, les yeux bleus, les cheveux blonds frisés, un peu de ventre, il a quelque chose d'enfantin. Pécuchet, lui, a l'air plus sombre, l'air très sérieux, il a une voix forte et caverneuse. Bouvard est veuf et sans enfant, Pécuchet est resté célibataire. Et sur le boulevard, ils commencent à parler de manière un peu timide au début, ils observent les passants. Et ils s'aperçoivent qu'ils ont à peu près les mêmes opinions sur la politique, sur les femmes et sur la vie de famille. La religion seule les divise un peu. Ils voient passer un prêtre, comme aujourd'hui on verrait passer une femme voilée. Et Bouvard exprime son mépris de la religion, pendant que Pécuchet est plus tolérant. Ils s'en vont dîner ensemble et découvrent qu'ils sont tous les deux copistes. Bouvard est copiste dans une maison de commerce, Pécuchet est copiste au ministère de la Marine. Aujourd'hui, sans doute, il serait contrôleur de gestion, le premier à la Cour des Comptes, le second chez Bouygues. Et c'est ici que commence une aventure sans pareil. Ils veulent à la fois changer de vie et accéder à la vérité des choses. Ils nous ressemblent, les deux nouveaux amis quittent donc leur emploi et vont s'établir à Chavignolles, dans le Calvados. Là, il s'essaye à l'agriculture, sans autre bagage que la lecture d'ouvrages de vulgarisation, qui était très répandue à l'époque. On se souvient, par exemple, que quelques années plus tard, Rimbaud faisait expédier à Aden par sa famille tout un ensemble de manuels Rorais. Et eux se lancent dans l'agriculture à l'aide du manuel Rorais. Mais leur enthousiasme, leur niaiserie, leur inaptitude à toutes les choses matérielles entraînent évidemment les pires catastrophes. Alors, ils s'intéressent à tout, mais de manière bien plus abstraite. Ils s'intéressent aux sciences, à la religion, à l'histoire, à la littérature, et ils déploient en vain d'immenses efforts. La politique les emporte aussi, c'est l'époque de la révolution de 1848, comme des feuilles au vent. Et puis pour finir, soucieux de transmission, comme on dit aujourd'hui dans notre langage étrange, ils se vouent à l'éducation de deux orphelins qui se montrent évidemment rétifs à leur pédagogie. Leur échec radical est à présent consommé, ils reviennent à Paris, là où nous sommes, et ils reprennent leur activité de copistes avec le même enthousiasme. Eh bien me voilà sur ce banc, en compagnie de Vincent Decque, Bouvard et Pécuchet, c'est Vincent et moi. Et c'est vous aussi. Et c'est tous ceux que nous voyons s'agiter dans ce qu'on appelle l'espace médiatique. Comme nous, ils ont des opinions, mais ils en changent, avec à chaque fois le même enthousiasme autoritaire. Ils se font maoïstes avant de faire carrière dans la publicité. Ils se passionnent pour l'Albanie ou la Palestine. Ils ont des idées sur le climat, sur les centrales nucléaires, sur le fromage de chèvre, sur la bicyclette en ville. À chaque fois, ces idées sont les meilleures, leurs choix sont les plus incontestables, leurs adversaires d'un moment sont l'objet de tous les mépris. Et notre vie, celle de Vincent, la mienne, la vôtre, comme la leur, n'est qu'une immense conversation de café conclue par la catastrophe. Et c'est sans rapport avec la place de chacun sur l'échelle sociale. Bouvard et Pécuchet, c'est tout le monde. C'est à la fois le facteur complotiste, l'inspecteur des finances qui ruine le crédit lyonnais, le Premier ministre qui s'intéresse aux objets du quotidien, le littérateur qui n'a jamais passé la barrière de Clichy mais réglerait en deux coups de cuillère à peau les problèmes du Proche-Orient, le grand homme d'affaires international qui veut régler le sort des nations et échafaudre des combinaisons spatiales. C'est le ministre des Finances qui découvre surpris qu'il lui manque 50 milliards, c'est l'adepte du vivre ensemble et c'est l'adepte du grand remplacement. Et pour finir bien sûr, nous tous, éternels Bouvards et Pécuchet, nous devons bien convenir qu'après avoir classé, nommé, opiné, après nous être engagés comme des poissons dans notre bocal, nous sommes rendus à l'évidence : Seul ce banc du boulevard Bourdon où nous sommes à présent est réel, et pourtant, il nous faudra bien le quitter un jour. Bouvard et Pécuchet est un roman que Flaubert n'a jamais terminé, comme nous n'avons jamais terminé nos vies. On ne saurait trop le recommander comme antidote aux folies du temps, à la préoccupation de la Palestine, du réchauffement climatique, de la bicyclette, du fromage de chèvre, de la crise de la dette ou de l'incohérence du socle commun. Méfiez-vous pourtant. Celui qui lit Bouvard et Pécuchet avec sincérité s'y reconnaîtra et se verra vite incité au silence. Et c'est pourquoi je me tais à présent.

Description

Partez en voyage aux côtés de François Sureau sur les traces du duo Bouvard et Pécuchet, célèbres personnages de Gustave Flaubert.


Cet épisode du podcast "Sur les pas des personnages de romans" nous plonge au XIX ème siècle, sur un banc du boulevard Bourdon, là où tout à commencé. Une rencontre inattendue entre deux hommes que tout semble rapprocher.

François Sureau nous transporte dans la drôle de rencontre de ces deux personnages, nous dépeint leur aventure, ainsi que leur carrière.


Vous souhaitez découvrir comment ces deux copistes se sont liés d'amitié et suivre leurs péripéties ?

N'attendez plus, laissez vous transporter par l'histoire de "Bouvard et Pécuchet"...



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je m'appelle François Sureau et aujourd'hui j'ai rendez-vous avec les grands personnages de notre littérature et je voudrais vous emmener avec moi. Nous sommes sur le boulevard Bourdon, par un temps qui commence à être hivernal. Le boulevard Bourdon est un boulevard qui jouxe le canal Saint-Martin. D'un côté il y a la Bastille, on voit le génie de la Bastille qui s'élève doucement dans la brume. Et puis de l'autre il y a les coupoles du Jardin des Plantes et nous sommes devant le 25 boulevard Bourdon, à l'endroit exact où se sont rencontrés, à la fin du XIXeme siècle, deux immenses aventuriers. Ces immenses aventuriers ont connu tous les mondes, toutes les époques, tous les désirs, tous les soucis, avant de revenir à leur point de départ, et je vais vous raconter leur vie. Nous sommes là, assis avec Vincent Decque, sur le banc où nos deux personnages se sont rencontrés. Le premier venait donc de la Bastille, le second venait du Jardin des Plantes. Et déjà dans cette double origine, on pressent qu'ils vont s'occuper d'une part de politique et d'autre part de la vie de la nature, mais n'anticipons pas. Je vous laisse maintenant les imaginer. Nous sommes en été, il fait 33 degrés sur le boulevard Bourdon. Le premier personnage est grand, il est vêtu de toile claire, il marche le chapeau en arrière, le gilet déboutonné et la cravate à la main, il transpire. Le second est petit, plus rond, engoncé dans une redingote marron, et il marche la tête basse sous une casquette à la visière pointue, ce qui est quand même passablement étrange. Et c'est en s'asseyant sur ce banc, alors qu'ils ne se connaissent pas jusque-là, que leur aventure commence. Ils voient qu'ils ont eu la même idée, celle d'inscrire leur nom à l'intérieur de leur couvre-chef. Le premier, le plus grand, s'appelle Bouvard. Le petit, celui qui porte la redingote, s'appelle Pécuchet. Bouvard a l'air aimable, les yeux bleus, les cheveux blonds frisés, un peu de ventre, il a quelque chose d'enfantin. Pécuchet, lui, a l'air plus sombre, l'air très sérieux, il a une voix forte et caverneuse. Bouvard est veuf et sans enfant, Pécuchet est resté célibataire. Et sur le boulevard, ils commencent à parler de manière un peu timide au début, ils observent les passants. Et ils s'aperçoivent qu'ils ont à peu près les mêmes opinions sur la politique, sur les femmes et sur la vie de famille. La religion seule les divise un peu. Ils voient passer un prêtre, comme aujourd'hui on verrait passer une femme voilée. Et Bouvard exprime son mépris de la religion, pendant que Pécuchet est plus tolérant. Ils s'en vont dîner ensemble et découvrent qu'ils sont tous les deux copistes. Bouvard est copiste dans une maison de commerce, Pécuchet est copiste au ministère de la Marine. Aujourd'hui, sans doute, il serait contrôleur de gestion, le premier à la Cour des Comptes, le second chez Bouygues. Et c'est ici que commence une aventure sans pareil. Ils veulent à la fois changer de vie et accéder à la vérité des choses. Ils nous ressemblent, les deux nouveaux amis quittent donc leur emploi et vont s'établir à Chavignolles, dans le Calvados. Là, il s'essaye à l'agriculture, sans autre bagage que la lecture d'ouvrages de vulgarisation, qui était très répandue à l'époque. On se souvient, par exemple, que quelques années plus tard, Rimbaud faisait expédier à Aden par sa famille tout un ensemble de manuels Rorais. Et eux se lancent dans l'agriculture à l'aide du manuel Rorais. Mais leur enthousiasme, leur niaiserie, leur inaptitude à toutes les choses matérielles entraînent évidemment les pires catastrophes. Alors, ils s'intéressent à tout, mais de manière bien plus abstraite. Ils s'intéressent aux sciences, à la religion, à l'histoire, à la littérature, et ils déploient en vain d'immenses efforts. La politique les emporte aussi, c'est l'époque de la révolution de 1848, comme des feuilles au vent. Et puis pour finir, soucieux de transmission, comme on dit aujourd'hui dans notre langage étrange, ils se vouent à l'éducation de deux orphelins qui se montrent évidemment rétifs à leur pédagogie. Leur échec radical est à présent consommé, ils reviennent à Paris, là où nous sommes, et ils reprennent leur activité de copistes avec le même enthousiasme. Eh bien me voilà sur ce banc, en compagnie de Vincent Decque, Bouvard et Pécuchet, c'est Vincent et moi. Et c'est vous aussi. Et c'est tous ceux que nous voyons s'agiter dans ce qu'on appelle l'espace médiatique. Comme nous, ils ont des opinions, mais ils en changent, avec à chaque fois le même enthousiasme autoritaire. Ils se font maoïstes avant de faire carrière dans la publicité. Ils se passionnent pour l'Albanie ou la Palestine. Ils ont des idées sur le climat, sur les centrales nucléaires, sur le fromage de chèvre, sur la bicyclette en ville. À chaque fois, ces idées sont les meilleures, leurs choix sont les plus incontestables, leurs adversaires d'un moment sont l'objet de tous les mépris. Et notre vie, celle de Vincent, la mienne, la vôtre, comme la leur, n'est qu'une immense conversation de café conclue par la catastrophe. Et c'est sans rapport avec la place de chacun sur l'échelle sociale. Bouvard et Pécuchet, c'est tout le monde. C'est à la fois le facteur complotiste, l'inspecteur des finances qui ruine le crédit lyonnais, le Premier ministre qui s'intéresse aux objets du quotidien, le littérateur qui n'a jamais passé la barrière de Clichy mais réglerait en deux coups de cuillère à peau les problèmes du Proche-Orient, le grand homme d'affaires international qui veut régler le sort des nations et échafaudre des combinaisons spatiales. C'est le ministre des Finances qui découvre surpris qu'il lui manque 50 milliards, c'est l'adepte du vivre ensemble et c'est l'adepte du grand remplacement. Et pour finir bien sûr, nous tous, éternels Bouvards et Pécuchet, nous devons bien convenir qu'après avoir classé, nommé, opiné, après nous être engagés comme des poissons dans notre bocal, nous sommes rendus à l'évidence : Seul ce banc du boulevard Bourdon où nous sommes à présent est réel, et pourtant, il nous faudra bien le quitter un jour. Bouvard et Pécuchet est un roman que Flaubert n'a jamais terminé, comme nous n'avons jamais terminé nos vies. On ne saurait trop le recommander comme antidote aux folies du temps, à la préoccupation de la Palestine, du réchauffement climatique, de la bicyclette, du fromage de chèvre, de la crise de la dette ou de l'incohérence du socle commun. Méfiez-vous pourtant. Celui qui lit Bouvard et Pécuchet avec sincérité s'y reconnaîtra et se verra vite incité au silence. Et c'est pourquoi je me tais à présent.

Share

Embed

You may also like

Description

Partez en voyage aux côtés de François Sureau sur les traces du duo Bouvard et Pécuchet, célèbres personnages de Gustave Flaubert.


Cet épisode du podcast "Sur les pas des personnages de romans" nous plonge au XIX ème siècle, sur un banc du boulevard Bourdon, là où tout à commencé. Une rencontre inattendue entre deux hommes que tout semble rapprocher.

François Sureau nous transporte dans la drôle de rencontre de ces deux personnages, nous dépeint leur aventure, ainsi que leur carrière.


Vous souhaitez découvrir comment ces deux copistes se sont liés d'amitié et suivre leurs péripéties ?

N'attendez plus, laissez vous transporter par l'histoire de "Bouvard et Pécuchet"...



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je m'appelle François Sureau et aujourd'hui j'ai rendez-vous avec les grands personnages de notre littérature et je voudrais vous emmener avec moi. Nous sommes sur le boulevard Bourdon, par un temps qui commence à être hivernal. Le boulevard Bourdon est un boulevard qui jouxe le canal Saint-Martin. D'un côté il y a la Bastille, on voit le génie de la Bastille qui s'élève doucement dans la brume. Et puis de l'autre il y a les coupoles du Jardin des Plantes et nous sommes devant le 25 boulevard Bourdon, à l'endroit exact où se sont rencontrés, à la fin du XIXeme siècle, deux immenses aventuriers. Ces immenses aventuriers ont connu tous les mondes, toutes les époques, tous les désirs, tous les soucis, avant de revenir à leur point de départ, et je vais vous raconter leur vie. Nous sommes là, assis avec Vincent Decque, sur le banc où nos deux personnages se sont rencontrés. Le premier venait donc de la Bastille, le second venait du Jardin des Plantes. Et déjà dans cette double origine, on pressent qu'ils vont s'occuper d'une part de politique et d'autre part de la vie de la nature, mais n'anticipons pas. Je vous laisse maintenant les imaginer. Nous sommes en été, il fait 33 degrés sur le boulevard Bourdon. Le premier personnage est grand, il est vêtu de toile claire, il marche le chapeau en arrière, le gilet déboutonné et la cravate à la main, il transpire. Le second est petit, plus rond, engoncé dans une redingote marron, et il marche la tête basse sous une casquette à la visière pointue, ce qui est quand même passablement étrange. Et c'est en s'asseyant sur ce banc, alors qu'ils ne se connaissent pas jusque-là, que leur aventure commence. Ils voient qu'ils ont eu la même idée, celle d'inscrire leur nom à l'intérieur de leur couvre-chef. Le premier, le plus grand, s'appelle Bouvard. Le petit, celui qui porte la redingote, s'appelle Pécuchet. Bouvard a l'air aimable, les yeux bleus, les cheveux blonds frisés, un peu de ventre, il a quelque chose d'enfantin. Pécuchet, lui, a l'air plus sombre, l'air très sérieux, il a une voix forte et caverneuse. Bouvard est veuf et sans enfant, Pécuchet est resté célibataire. Et sur le boulevard, ils commencent à parler de manière un peu timide au début, ils observent les passants. Et ils s'aperçoivent qu'ils ont à peu près les mêmes opinions sur la politique, sur les femmes et sur la vie de famille. La religion seule les divise un peu. Ils voient passer un prêtre, comme aujourd'hui on verrait passer une femme voilée. Et Bouvard exprime son mépris de la religion, pendant que Pécuchet est plus tolérant. Ils s'en vont dîner ensemble et découvrent qu'ils sont tous les deux copistes. Bouvard est copiste dans une maison de commerce, Pécuchet est copiste au ministère de la Marine. Aujourd'hui, sans doute, il serait contrôleur de gestion, le premier à la Cour des Comptes, le second chez Bouygues. Et c'est ici que commence une aventure sans pareil. Ils veulent à la fois changer de vie et accéder à la vérité des choses. Ils nous ressemblent, les deux nouveaux amis quittent donc leur emploi et vont s'établir à Chavignolles, dans le Calvados. Là, il s'essaye à l'agriculture, sans autre bagage que la lecture d'ouvrages de vulgarisation, qui était très répandue à l'époque. On se souvient, par exemple, que quelques années plus tard, Rimbaud faisait expédier à Aden par sa famille tout un ensemble de manuels Rorais. Et eux se lancent dans l'agriculture à l'aide du manuel Rorais. Mais leur enthousiasme, leur niaiserie, leur inaptitude à toutes les choses matérielles entraînent évidemment les pires catastrophes. Alors, ils s'intéressent à tout, mais de manière bien plus abstraite. Ils s'intéressent aux sciences, à la religion, à l'histoire, à la littérature, et ils déploient en vain d'immenses efforts. La politique les emporte aussi, c'est l'époque de la révolution de 1848, comme des feuilles au vent. Et puis pour finir, soucieux de transmission, comme on dit aujourd'hui dans notre langage étrange, ils se vouent à l'éducation de deux orphelins qui se montrent évidemment rétifs à leur pédagogie. Leur échec radical est à présent consommé, ils reviennent à Paris, là où nous sommes, et ils reprennent leur activité de copistes avec le même enthousiasme. Eh bien me voilà sur ce banc, en compagnie de Vincent Decque, Bouvard et Pécuchet, c'est Vincent et moi. Et c'est vous aussi. Et c'est tous ceux que nous voyons s'agiter dans ce qu'on appelle l'espace médiatique. Comme nous, ils ont des opinions, mais ils en changent, avec à chaque fois le même enthousiasme autoritaire. Ils se font maoïstes avant de faire carrière dans la publicité. Ils se passionnent pour l'Albanie ou la Palestine. Ils ont des idées sur le climat, sur les centrales nucléaires, sur le fromage de chèvre, sur la bicyclette en ville. À chaque fois, ces idées sont les meilleures, leurs choix sont les plus incontestables, leurs adversaires d'un moment sont l'objet de tous les mépris. Et notre vie, celle de Vincent, la mienne, la vôtre, comme la leur, n'est qu'une immense conversation de café conclue par la catastrophe. Et c'est sans rapport avec la place de chacun sur l'échelle sociale. Bouvard et Pécuchet, c'est tout le monde. C'est à la fois le facteur complotiste, l'inspecteur des finances qui ruine le crédit lyonnais, le Premier ministre qui s'intéresse aux objets du quotidien, le littérateur qui n'a jamais passé la barrière de Clichy mais réglerait en deux coups de cuillère à peau les problèmes du Proche-Orient, le grand homme d'affaires international qui veut régler le sort des nations et échafaudre des combinaisons spatiales. C'est le ministre des Finances qui découvre surpris qu'il lui manque 50 milliards, c'est l'adepte du vivre ensemble et c'est l'adepte du grand remplacement. Et pour finir bien sûr, nous tous, éternels Bouvards et Pécuchet, nous devons bien convenir qu'après avoir classé, nommé, opiné, après nous être engagés comme des poissons dans notre bocal, nous sommes rendus à l'évidence : Seul ce banc du boulevard Bourdon où nous sommes à présent est réel, et pourtant, il nous faudra bien le quitter un jour. Bouvard et Pécuchet est un roman que Flaubert n'a jamais terminé, comme nous n'avons jamais terminé nos vies. On ne saurait trop le recommander comme antidote aux folies du temps, à la préoccupation de la Palestine, du réchauffement climatique, de la bicyclette, du fromage de chèvre, de la crise de la dette ou de l'incohérence du socle commun. Méfiez-vous pourtant. Celui qui lit Bouvard et Pécuchet avec sincérité s'y reconnaîtra et se verra vite incité au silence. Et c'est pourquoi je me tais à présent.

Description

Partez en voyage aux côtés de François Sureau sur les traces du duo Bouvard et Pécuchet, célèbres personnages de Gustave Flaubert.


Cet épisode du podcast "Sur les pas des personnages de romans" nous plonge au XIX ème siècle, sur un banc du boulevard Bourdon, là où tout à commencé. Une rencontre inattendue entre deux hommes que tout semble rapprocher.

François Sureau nous transporte dans la drôle de rencontre de ces deux personnages, nous dépeint leur aventure, ainsi que leur carrière.


Vous souhaitez découvrir comment ces deux copistes se sont liés d'amitié et suivre leurs péripéties ?

N'attendez plus, laissez vous transporter par l'histoire de "Bouvard et Pécuchet"...



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je m'appelle François Sureau et aujourd'hui j'ai rendez-vous avec les grands personnages de notre littérature et je voudrais vous emmener avec moi. Nous sommes sur le boulevard Bourdon, par un temps qui commence à être hivernal. Le boulevard Bourdon est un boulevard qui jouxe le canal Saint-Martin. D'un côté il y a la Bastille, on voit le génie de la Bastille qui s'élève doucement dans la brume. Et puis de l'autre il y a les coupoles du Jardin des Plantes et nous sommes devant le 25 boulevard Bourdon, à l'endroit exact où se sont rencontrés, à la fin du XIXeme siècle, deux immenses aventuriers. Ces immenses aventuriers ont connu tous les mondes, toutes les époques, tous les désirs, tous les soucis, avant de revenir à leur point de départ, et je vais vous raconter leur vie. Nous sommes là, assis avec Vincent Decque, sur le banc où nos deux personnages se sont rencontrés. Le premier venait donc de la Bastille, le second venait du Jardin des Plantes. Et déjà dans cette double origine, on pressent qu'ils vont s'occuper d'une part de politique et d'autre part de la vie de la nature, mais n'anticipons pas. Je vous laisse maintenant les imaginer. Nous sommes en été, il fait 33 degrés sur le boulevard Bourdon. Le premier personnage est grand, il est vêtu de toile claire, il marche le chapeau en arrière, le gilet déboutonné et la cravate à la main, il transpire. Le second est petit, plus rond, engoncé dans une redingote marron, et il marche la tête basse sous une casquette à la visière pointue, ce qui est quand même passablement étrange. Et c'est en s'asseyant sur ce banc, alors qu'ils ne se connaissent pas jusque-là, que leur aventure commence. Ils voient qu'ils ont eu la même idée, celle d'inscrire leur nom à l'intérieur de leur couvre-chef. Le premier, le plus grand, s'appelle Bouvard. Le petit, celui qui porte la redingote, s'appelle Pécuchet. Bouvard a l'air aimable, les yeux bleus, les cheveux blonds frisés, un peu de ventre, il a quelque chose d'enfantin. Pécuchet, lui, a l'air plus sombre, l'air très sérieux, il a une voix forte et caverneuse. Bouvard est veuf et sans enfant, Pécuchet est resté célibataire. Et sur le boulevard, ils commencent à parler de manière un peu timide au début, ils observent les passants. Et ils s'aperçoivent qu'ils ont à peu près les mêmes opinions sur la politique, sur les femmes et sur la vie de famille. La religion seule les divise un peu. Ils voient passer un prêtre, comme aujourd'hui on verrait passer une femme voilée. Et Bouvard exprime son mépris de la religion, pendant que Pécuchet est plus tolérant. Ils s'en vont dîner ensemble et découvrent qu'ils sont tous les deux copistes. Bouvard est copiste dans une maison de commerce, Pécuchet est copiste au ministère de la Marine. Aujourd'hui, sans doute, il serait contrôleur de gestion, le premier à la Cour des Comptes, le second chez Bouygues. Et c'est ici que commence une aventure sans pareil. Ils veulent à la fois changer de vie et accéder à la vérité des choses. Ils nous ressemblent, les deux nouveaux amis quittent donc leur emploi et vont s'établir à Chavignolles, dans le Calvados. Là, il s'essaye à l'agriculture, sans autre bagage que la lecture d'ouvrages de vulgarisation, qui était très répandue à l'époque. On se souvient, par exemple, que quelques années plus tard, Rimbaud faisait expédier à Aden par sa famille tout un ensemble de manuels Rorais. Et eux se lancent dans l'agriculture à l'aide du manuel Rorais. Mais leur enthousiasme, leur niaiserie, leur inaptitude à toutes les choses matérielles entraînent évidemment les pires catastrophes. Alors, ils s'intéressent à tout, mais de manière bien plus abstraite. Ils s'intéressent aux sciences, à la religion, à l'histoire, à la littérature, et ils déploient en vain d'immenses efforts. La politique les emporte aussi, c'est l'époque de la révolution de 1848, comme des feuilles au vent. Et puis pour finir, soucieux de transmission, comme on dit aujourd'hui dans notre langage étrange, ils se vouent à l'éducation de deux orphelins qui se montrent évidemment rétifs à leur pédagogie. Leur échec radical est à présent consommé, ils reviennent à Paris, là où nous sommes, et ils reprennent leur activité de copistes avec le même enthousiasme. Eh bien me voilà sur ce banc, en compagnie de Vincent Decque, Bouvard et Pécuchet, c'est Vincent et moi. Et c'est vous aussi. Et c'est tous ceux que nous voyons s'agiter dans ce qu'on appelle l'espace médiatique. Comme nous, ils ont des opinions, mais ils en changent, avec à chaque fois le même enthousiasme autoritaire. Ils se font maoïstes avant de faire carrière dans la publicité. Ils se passionnent pour l'Albanie ou la Palestine. Ils ont des idées sur le climat, sur les centrales nucléaires, sur le fromage de chèvre, sur la bicyclette en ville. À chaque fois, ces idées sont les meilleures, leurs choix sont les plus incontestables, leurs adversaires d'un moment sont l'objet de tous les mépris. Et notre vie, celle de Vincent, la mienne, la vôtre, comme la leur, n'est qu'une immense conversation de café conclue par la catastrophe. Et c'est sans rapport avec la place de chacun sur l'échelle sociale. Bouvard et Pécuchet, c'est tout le monde. C'est à la fois le facteur complotiste, l'inspecteur des finances qui ruine le crédit lyonnais, le Premier ministre qui s'intéresse aux objets du quotidien, le littérateur qui n'a jamais passé la barrière de Clichy mais réglerait en deux coups de cuillère à peau les problèmes du Proche-Orient, le grand homme d'affaires international qui veut régler le sort des nations et échafaudre des combinaisons spatiales. C'est le ministre des Finances qui découvre surpris qu'il lui manque 50 milliards, c'est l'adepte du vivre ensemble et c'est l'adepte du grand remplacement. Et pour finir bien sûr, nous tous, éternels Bouvards et Pécuchet, nous devons bien convenir qu'après avoir classé, nommé, opiné, après nous être engagés comme des poissons dans notre bocal, nous sommes rendus à l'évidence : Seul ce banc du boulevard Bourdon où nous sommes à présent est réel, et pourtant, il nous faudra bien le quitter un jour. Bouvard et Pécuchet est un roman que Flaubert n'a jamais terminé, comme nous n'avons jamais terminé nos vies. On ne saurait trop le recommander comme antidote aux folies du temps, à la préoccupation de la Palestine, du réchauffement climatique, de la bicyclette, du fromage de chèvre, de la crise de la dette ou de l'incohérence du socle commun. Méfiez-vous pourtant. Celui qui lit Bouvard et Pécuchet avec sincérité s'y reconnaîtra et se verra vite incité au silence. Et c'est pourquoi je me tais à présent.

Share

Embed

You may also like