- Marion Watras
Brest dans l'oreillette, le podcast qui révèle les dessous de l'art et des patrimoines de Brest.
- Jean-Yves Besselièvre
L'expédition de Lapérouse, c'est un sujet qui passionne. L'inconnu, l'aventure, ça je pense, interpelle ou fait rêver les visiteurs.
- Maël Kerguillec
L'inconnu de Vanikoro, ce sont les ossements qui ont été trouvés sur le site du naufrage de la Boussole. C'est de l'ordre de l'Arc de triomphe. Un inconnu représente tous les autres.
- Jean-Yves Besselièvre
On a coutume aujourd'hui de faire le parallèle entre ces voyages d'expédition du XIXe siècle et les voyages vers la Lune.
- Marion Watras
Si l'expédition Lapérouse fait encore parler d'elle aujourd'hui, c'est sans doute en raison des mystères qui planent toujours sur les circonstances exactes de son destin tragique. Mais c'est aussi parce que ce tour du monde portait en lui un projet admirable, celui de découvrir le monde, ses habitants, sa faune, sa flore. Soigneusement préparée par l'Académie royale de Marine, commanditée par Louis XVI lui-même, l'expédition se démarque à plus d'un titre. Une salle entière du musée de la Marine de Brest lui est d'ailleurs consacrée. Et c'est justement là que nous avons rendez-vous avec Jean-Yves Besselièvre, l'administrateur du musée.
- Jean-Yves Besselièvre
L'expédition Lapérouse est l'expédition scientifique française la plus importante du XVIIIe siècle par à la fois la préparation de l'expédition, les moyens qui sont confiés à Lapérouse, aussi bien en termes de navire, de marins, mais d'instruments de navigation, de documents et de bibliothèques de bord. Et puis l'ambition de cette expédition est très grande puisqu'il s'agit pour lui en gros de faire en un voyage de quatre ans ce que James Cook, le Britannique, a fait en trois voyages. Elle est de ce fait emblématique de cette Marine des Lumières. C'est une Marine de marins qui sont également des scientifiques, des astronomes, des médecins, des géographes, des isographes, et qui partent à la découverte du monde pour différentes raisons.
- Marion Watras
C'est donc le 1er août 1785 que les deux frégates, l'Astrolabe et la Boussole, larguent les amarres depuis la rade de Brest pour un périple de 150 000 km. Jean-François Galaup de Lapérouse et son second Paul Fleuriot de Langle, deux marins aguerris et reconnus, commandent les 200 hommes d'équipage. Le début du voyage se passe sans encombre. Les deux navires passent le Cap Horn, rejoignent l'île de Pâques, puis Hawaï, avant de mettre le cap sur l'Alaska. C'est là que survient un premier drame. Deux chaloupes, parties cartographiée une baie, chavirent, entraînant la mort d'une vingtaine d'hommes. L'expédition repart malgré tout et entreprend une traversée du Pacifique d'est en ouest vers les côtes asiatiques. En septembre 1787, les deux navires arrivent en Russie.
- Jean-Yves Besselièvre
La Pérouse a eu la bonne idée, lorsqu'il a fait escale dans le Kamtchatka, c’est le Grand Est russe, de débarquer son interprète de russe, puisqu'après cette escale, il n'aurait plus besoin de ses services. Et il lui confie les archives de l'expédition, et Lesseps, ce traducteur va mettre un an à traverser la Russie pour revenir à Versailles, en utilisant tous les moyens de transport imaginables, en chameau, en traîneau. En soi, c'est une aventure absolument incroyable. Et c'est grâce à Lesseps que l'on connaît finalement le travail de l'expédition de Lapérouse.
- Marion Watras
De la Russie, l'expédition Lapérouse traverse de nouveau le Pacifique, cette fois-ci du nord au sud. Un deuxième drame frappe l'équipage en décembre 1787 dans les îles Samoa, lors d'une escale de ravitaillement en eau.
- Jean-Yves Besselièvre
Une partie de l'équipage de Lapérouse est pris à partie. Et au final, onze Français, dont Fleuriot de Langle, sont tués par la population locale. La population locale pensait qu'ils détenaient dans leurs chaloupes des petites perles de verroterie, telles que celles que l'on voit dans les vitrines ici, qui étaient en fait une monnaie d'échange qu'utilisaient les Européens, du métal, du verre que ne possédaient pas ces populations. En 1889, grâce notamment à l'action d'un missionnaire français, catholique, on va identifier les restes de Fleuriot de Langle et la Marine française va les rapatrier. Et depuis 1889, ils sont présentés dans l'église Saint-Louis, l'ancienne église Saint-Louis avant-guerre et la nouvelle depuis 1973.
- Marion Watras
Lors de cet épisode malheureux, Lapérouse perd donc son ami et second Fleuriot de Langle. Très affecté, il se refuse pourtant à faire usage des canons en représailles.
- Jean-Yves Besselièvre
Les instructions qui lui sont données sont vraiment des instructions où on lui demande de respecter les populations locales. On n'est pas du tout dans une volonté de colonisation et de prise de possession des territoires. En fait, Lapérouse ne va prendre possession d'aucun territoire. Et ça c'est caractéristique parce que ça n'est pas forcément le cas avant. Et ensuite, au 19e siècle, dans le cadre de la colonisation française notamment, on ne sera plus du tout dans ces logiques-là.
- Marion Watras
Malgré ce massacre, l'expédition repart direction l'Australie. Début 1788, les deux navires font une longue escale à Botany Bay, dans la région de l'actuelle Sydney, ils repartent le 10 mars et ne donneront dès lors plus jamais de nouvelles.
- Jean-Yves Besselièvre
Dans le détail, on ne sait pas ce qui est passé, mais c'est vrai qu'aujourd'hui, grâce aux fruits archéologiques, on sait qu'ils ont sans doute été victimes d'un phénomène météorologique exceptionnel. On sait que le premier navire est venu se fracasser sur la barrière de récif, donc sans doute sans la voir. Et le deuxième navire a essayé de rentrer finalement par une passe dans l'atol pour se mettre à l'abri, mais cette passe était une fausse passe, et on l’appelle d’ailleurs aujourd’hui la fausse passe. Et il a fait un naufrage à ce moment-là.
- Marion Watras
Le lieu du naufrage ne sera découvert que 40 ans plus tard par un Irlandais, Peter Dillon, à Vanikoro, une île de l'archipel des Salomon. Dans les années 1960 puis 2000, des fouilles archéologiques, terrestres et sous-marines, permettront de prélever sur les épaves différents objets qui sont pour partie exposés au musée de la Marine à Brest. Dans les vitrines, l'un d'entre eux attire tout particulièrement notre attention.
- Jean-Yves Besselièvre
C'est ce qu'on appelle une pierre d'autel. Il y avait à bord des navires de la Marine des aumôniers qui célébraient les offices. Et en fait, elle est intéressante parce que c'est à côté de cet objet que l'on a retrouvés les restes, notamment un squelette quasiment complet, d'un membre de l'expédition Lapérouse. C'est le seul membre dont les restes ont été retrouvés sur le lieu de naufrage.
- Marion Watras
Malgré un minutieux travail d'identification, l'individu dont les ossements ont été retrouvés n'a pas pu être identifié. On le surnomme depuis l'inconnu de Vanikoro. Technicien des bâtiments de France, Maël Kerguillec connaît bien cette histoire. Il nous a rejoint et nous en dit plus.
- Maël Kerguillec
On est en présence d’un homme jeune, à la dentition parfaite, ce qui exclut probablement des marins. Il avait une constitution normale, pas une musculature développée, j'allais dire à la manœuvre. Donc c'était probablement un officier, l'aumônier du bord, un scientifique, voire un domestique. Il reste quatre suspects, entre guillemets, mais pour l'instant, il reste inconnu, ce qui permet aussi de représenter l'intégralité des défunts, à la fois de l'expédition, mais aussi des autres campagnes qu'a pu mener la Marine autour du monde.
- Marion Watras
Pour rendre hommage à tous ces marins partis explorer le monde au péril de leur vie, l'inconnu de Vanikoro a été inhumé dans la cour du musée de la Marine à Brest.
- Maël Kerguillec
L'inhumation a été réalisée au sein de la citadelle de Brest en 2011, de la volonté de l'amirauté qui a établi un groupe de travail entre à la fois la Marine nationale, M. Bedri, la ville de Brest, le musée de la Marine, M. Guilloud, administrateur de l'époque, Alain Boulaire, historien et le service départemental de l'architecture et du patrimoine.
- Marion Watras
Les visiteurs du musée peuvent donc se recueillir dans cet espace dédié, entouré d'un jardin composé d'essence de Vanikoro. Le monument, lui aussi, a fait l'objet d'un soin tout particulier.
- Maël Kerguillec
C'est une tombe au centre d'une rose des vents, faite en roche locale, en roche de la rade de Brest. Vous avez le jaune, c'est du logon, la carrière du rose, la Logonna-Daoulas, et le kersanton qui vient de Loperhet, c'est le nom d'un village de Loperhet, mais on en trouve à l'Hôpital-Camfrout également. Ce sont les éléments constitutifs, beaucoup de l'architecture religieuse, des calvaires, mais aussi de l'architecture civile qu'on trouve dans le pays de Brest. Le monument a été réalisé par Joël Kerhervé, artisan tailleur de pierres, meilleur ouvrier de France, également sculpteur. C'est quasiment un artiste qui nous a réalisé le monument. Ici repose l'Inconnu, membre de l'expédition du capitaine de vaisseau de Galaup de Lapérouse, découvert à Vanikoro le 22 novembre 2003, en hommage à tous les marins et savants des expéditions scientifiques françaises péris en mer.
- Marion Watras
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