- Jenny
Bonjour à tous et à toutes et bienvenue dans le podcast Bulles de Vie, le podcast qui parle du handicap et bien plus. Aujourd'hui, je reçois Sushina Lagouje pour la sortie de son livre "Une grossesse ordinaire". Sushina est atteinte comme moi d'une amyotrophie spinale de type 2 et elle nous évoque son parcours semé d'embûches pour avoir son enfant tant désiré. Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans Bulles de vie, le podcast où nous éclatons les bulles de préjugés pour laisser place à un regard neuf sur le monde du handicap. Je m'appelle Jenny Madani, je suis atteinte d'amyotrophie spinale et donc lourdement handicapée. Mariée depuis 2009, maman d'une pré-ado de 11 ans et entrepreneur à plein temps, j'ai décidé de mettre mes années d'expérience personnelle et professionnelle à profit en devenant assistante personnelle et experte en situation de handicap moteur. À travers ce podcast, je souhaite éveiller les consciences de ceux qui ne côtoient pas forcément le handicap au quotidien. Alors abonnez-vous pour recevoir chaque nouvelle bulle de vie dès sa sortie pour apprendre, évoluer et grandir ensemble.
Bonjour, Sushina Lagouje, je suis ravie de te recevoir aujourd'hui pour la sortie de ton livre "Une grossesse ordinaire" dont on va pouvoir parler aujourd'hui. Déjà, peux-tu te présenter un peu ? Et bon, nos auditeurs comprendront que c'est ton nom de plume et tu nous expliques pourquoi ce nom de plume justement ? Et parle-nous un petit peu de ton livre également. Déjà ton nom de plume et ensuite on parlera de la sortie de ton livre.
- Sushina
Salut Jenny, merci de m'avoir invitée. Alors oui, moi je suis Sushina Lagouje, je suis professeure, autrice et maman. Mon pseudo, ça vient de mes années de lycée, où en fait je disais pas mal de grossièretés, de gros mots pour m'affirmer. Et donc, mes amis m'avaient dit que je parlais crûment et ont commencé à m'appeler Sushi. Voilà, parce qu'un Sushi, c'est cru. Donc, blaguounette. Donc, Sushina, auquel j'ai ajouté Lagouje plus tard quand je cherchais un nom de famille pour ajouter à mon pseudo. Et comme ça fait donc depuis l'âge de 18-20 ans que j'écris... et que je suis publiée, d'abord dans des magazines, et après dans des journaux et des livres, j'ai gardé ce pseudo de mon adolescence. Et donc j'ai écrit "Une grossesse ordinaire" qui parle de mes grossesses, parce qu'il y en a eu plusieurs, en tant que femme handicapée. J'ai vécu cette grossesse de femme handicapée et aussi j'ai vécu des grossesses arrêtées, des fausses couches. Donc c'est très particulier tout ça. Et j'ai écrit ce livre suite à l'invitation de Giulia Foïs qui m'a invitée dans son émission sur France Inter et qui m'a demandé qu'est-ce que vous avez écrit sur le sujet et je me suis rendue compte que j'avais écrit que des tweets, et que pourtant j'avais tout en tête, qui ne demandait qu'à sortir. Donc j'ai écrit ce livre en espérant qu'il soit utile à d'autres femmes, surtout à des femmes handicapées bien sûr, mais pas seulement, à d'autres personnes aussi.
- Jenny
Alors pour l'avoir lu, je peux t'assurer qu'il sera très utile à des personnes notamment qui ont la même maladie que nous, c'est-à-dire l'amyotrophie spinale. Parce que je me suis énormément reconnue. La plupart des difficultés que tu as eues, je les ai subies aussi. Toutes tes peurs, je les ai eues. Bon, j'étais un petit peu plus confiante que toi. Mais j'ai eu pas mal de peurs aussi. Et ces peurs venaient de l'extérieur, quand les médecins me disaient... "Oui, mais vous pourrez plus respirer, vous avez une petite capacité respiratoire". Donc voilà. Donc oui, je pense que ton livre sera très utile à toutes les futures mamans atteintes d'amyotrophie spinale de type 2 comme nous. Parce que franchement, je me suis beaucoup, beaucoup, beaucoup reconnue dans ton livre. Pour moi, c'était comme si je lisais un peu mon histoire.
- Sushina
Ça doit être un peu perturbant aussi, quoi.
- Jenny
Alors moi, ça fait 11 ans que j'ai eu ma fille, donc j'avoue que ça m'a rappelé beaucoup de choses. Tu as eu la chance de te réveiller en pleine forme de ton anesthésie générale, moi ça n'a pas été mon cas malheureusement. Donc de ce côté-là, j'ai un peu plus souffert parce que moi j'ai vraiment eu le droit à la trachéo. J'ai surtout eu du mal à m'en débarrasser. Mais par contre, je n'ai pas subi la rachis-anesthésie comme toi. Je ne vais pas spoiler tout ton livre, mais quand tu décris ce qui s'est passé quand on te faisait les péridurales, j'ai eu mal pour toi, franchement. J'ai eu mal pour toi.
- Sushina
Et en même temps, je voulais tellement cette rachis, ou cette péridurale, pour assister à la naissance de ma petite. Moi, comme je le dis aussi dans le livre, je suis très heureuse que les médecins aient respecté mon choix, qu'ils aient essayé de faire naître mon enfant avec une anesthésie locale. Et même si ça a échoué, même si ça a duré longtemps et que ce n'était pas agréable, pour moi, l'important, c'est qu'ils aient essayé, qu'ils aient respecté mon choix et que ça puisse se faire pour d'autres personnes. Parce que je sais que des personnes avec notre pathologie, la rachis-anesthésie a fonctionné et elles ont pu assister à la naissance de leur enfant donc je me dis il faut continuer à essayer, il faut qu'on ait toute une petite chance si on souhaite de voir naître notre enfant quoi.
- Jenny
C’est vrai parce que moi j'ai pas eu la chance de la voir naître et avec tout ce qui s'est passé en fait je l'ai vu que pendant une demi-heure, le lendemain donc ça fait vraiment court. Et c'est assez perturbant, effectivement. Alors, ce qui m'a beaucoup marquée aussi, tu as eu le désir d'allaiter ton enfant. Toi, tu as été jusqu'au bout. Bon, tu n'as pas réussi, mais tu as quand même tenu un mois et demi, ce qui n'est pas mal. Moi, je n'ai pas eu cette chance, parce qu'on m'avait tellement bourrée de médicaments suite à une infection pulmonaire, que je n'ai pas pu. Et on m'avait dit, "oui, mais tu sais, tu as des médicaments dans le corps, le lait, on va devoir le jeter. Et puis, il va falloir attendre un peu". Et puis, en fait, j'étais en réa, donc les infirmières ne voulaient pas me tirer le lait. Comme tu l'expliques, c'était galère pour toi déjà. Moi, je n'avais personne, je n'avais pas la famille en réa, je n'avais personne. Donc, je me suis retrouvée sans pouvoir le faire. Et tu dis quelque chose, c'est vrai. On a l'impression que quand on ne peut pas lutter, on nous coupe de notre enfant. Parce qu'on ne peut pas déjà faire grand-chose. Et moi, c'est ce que j'ai ressenti. Tu vas me dire si toi, tu as ressenti la même chose. J'avais l'impression qu'on me coupait de mon rôle de mère, parce que je ne pouvais pas faire grand-chose déjà. Et en plus, ça, je le voulais vraiment, parce que pour moi, c'était un moment très intime avec mon enfant. Et on m'enlevait une partie de cette intimité.
- Sushina
Oui, effectivement, moi j'avais ce désir aussi très très fort d'allaiter ma fille. Et ça s'est mal passé, c'est-à-dire que j'avais très très peu de lait. J'ai vraiment galéré pendant ce mois et demi à essayer de tirer mon lait. C'était une souffrance et une torture. et en même temps je crois que si c'était à refaire j'essayerais encore. C'est un peu maso, j’ai trop mal, je vais devoir recommencer et comme tu dis il y a cette espèce de fierté, on ne peut pas laver notre enfant, on ne peut pas la porter, on ne peut pas la changer mais peut-être qu'on peut faire ça Et peut-être que la symbolique est forte et importante pour nous. Enfin, en tout cas, je pense que pareil, il faut nous laisser ce choix. Et que si on a vraiment très envie de le faire... Il faut nous aider, il faut nous trouver des solutions techniques, parce que quand même, j'ai trouvé des solutions techniques, comme des brassières d'allaitement, pour que ce soit plus facile de tirer mon lait. Et il faut que là aussi, ça soit travaillé en amont, pour les personnes handicapées qui n'ont pas trop de force dans les bras. Comment est-ce que vous pouvez faire pour allaiter ? Quel matériel il faut ? Etc. Pour que si elles le souhaitent, ça soit le moins compliqué possible.
- Jenny
Tu vois, nous, on a un handicap, on est toutes les deux tétraplégiques, tu l'es peut-être un peu moins que moi, t'as peut-être plus de force dans les bras, mais je pense aussi aux personnes qui n'ont qu'un bras ou qui ont des difficultés. Ça peut être utile pour n'importe qui, en fait.
- Sushina
Ouais.
- Jenny
Et il faut réfléchir, tout le monde n'a pas la possibilité d'utiliser ses deux bras. Je ne sais pas si tu avais vu, parce que bon, tu as dû te renseigner sur la grossesse quand on est handicapé et tout, comment, enfin... plutôt comment s'occuper de son bébé. Et à un moment donné, j'avais beaucoup rigolé parce qu'ils avaient inventé un porte-biberon. Mais en fait, il ne servait pas pour les personnes handicapées. Il servait pour les mamans qui voulaient tenir leur téléphone pendant qu'elle donnait le biberon.
- Sushina
Ah, d’accord
- Jenny
Alors, j'avais trouvé ça complètement fou. Mais en même temps, c'était hyper pratique pour nous. Parce que la mère, elle voulait utiliser son téléphone. Elle ne voulait pas tenir le biberon pendant une heure.
- Sushina
Oui, mais c'est pareil, cette espèce de brassière. C'était une brassière main libre pour que les mamans valides puissent bosser, etc. Parce qu'en effet, je crois qu'il n'y a pas beaucoup de recherches spécifiques aux personnes handicapées. C'est trop restreint pour les industriels. Et donc, oui, ils vont développer des trucs pour que tu puisses regarder ton téléphone, effectivement, quand tu es valide. Mais pas vraiment pour nous. Mais après, c'est aussi le jeu de la débrouille. Je pense qu'on est vachement à se parler, à s'entraider, à échanger des solutions. Et d'ailleurs, je ne sais pas si tu te souviens, avant de tomber enceinte, je t'avais appelé, on m'avait donné ton contact pour que tu me donnes des conseils en tant que mère handicapée. Et c'est ça qui est génial, tu vois, cette entraide, cette... on se sait, on se connaît, on est là pour s'aider et se donner toutes les astuces. Et ça, c'est assez incroyable et génial qu'il y ait ça.
- Jenny
Ben oui, et heureusement qu'il y a ça. Moi, je sais qu'Handiparentalité, j'en ai pas eu connaissance quand je suis tombée enceinte. Moi, je connaissais juste Marie-Antoinette qui a été un peu mon exemple et j'ai suivi un an après, je crois un an ou deux ans après elle, pour la naissance de ma fille. Mais quand j'ai vu Marie-Antoinette qui avait réussi à avoir son enfant, je me suis dit, moi, je peux aussi. Je suis partie, mais totalement confiante. Et je n'ai pas eu d'appréhension. J'ai dit au docteur, "OK, faites tout ce que vous voulez pour vous rassurer. Moi, je m'en fiche, je sais que j'arriverai au bout". Et toute la grossesse s'est très bien passée. J'ai eu des problèmes suite à une infection pulmonaire. Mais c'était une fois accouchée. Mais voilà, toute ma grossesse s'est magnifiquement bien passée. Tu l'as dit aussi, tu n'as pas eu de problème de respiration. Moi aussi, mes poumons étaient encore mieux que quand je n'étais pas enceinte. Tous les cachets que je prenais avant ma grossesse, je n'en ai pas eu besoin pendant. J'ai été obligée de les reprendre après, ce qui me désole. Mais voilà, j'étais en pleine forme. Par contre, comme toi, je pense que je n'aurais pas tenu au-delà de la 34e semaine. parce que ça commençait à être dur.
- Sushina
Oui, et c'est ça, je pense qu'à un moment, on connaît notre corps, on a confiance en notre corps, et quand on sent cette confiance, je pense qu'on doit être écouté par le corps médical et donc aider dans notre désir d'avoir des enfants, ce qui est de nos jours pas le cas partout, malheureusement. Et on voit encore soit des médecins qui refusent de suivre des grossesses de personnes handicapées, soit qui mettent beaucoup trop de freins et de précautions qui font que les mamans ne peuvent pas forcément profiter de leur grossesse et de leur rencontre avec leur bébé. Et ça, c'est quand même très dur. Et il faudrait justement que... le corps médical arrive à se rassurer, à entendre toutes nos histoires de femmes handicapées qui ont réussi à avoir des bébés et où tout s'est bien passé.
- Jenny
Alors justement, tu dis que le corps médical ne nous écoute pas assez. Et donc j'ai lu à travers ton livre tout ce qui t'était arrivé. C'est vrai, on a beaucoup de mal à nous écouter. Tu parlais du problème des prises de sang. J'ai le même que toi. C'est horrible. Quand tu sais qu'il existe des échographes, maintenant tu peux prendre en échographie tes veines. Et ça évite beaucoup de problèmes. Et la dernière fois, je leur ai dit à l'hôpital, je leur ai dit, "mais pourquoi vous avez des personnes qui sont comme nous ? Pourquoi vous ne vous dotez pas d'un échographe pour faire les prises de sang ?" Mais ils disent qu'ils n'ont pas les moyens. Alors, ils ont les moyens d'acheter du matériel hyper, hyper sophistiqué, mais un petit échographe à 200 euros, non, ils n'ont pas les moyens. J'ai failli, moi, en acheter un pour moi tellement j'en ai marre qu'on m'éclate ma veine. J'en ai qu'une qui donne. Et on me la éclaté la dernière fois.
- Sushina
Oui, c'est vrai que c'est souvent à nous de trouver des solutions dans ce genre de situation. C'est un budget qui pèse tellement... Ce n'est pas normal non plus.
- Jenny
Et encore, toi et moi, on travaille. On imagine ceux qui n'ont que l'AAH.
- Sushina
C'est ça.
- Jenny
C'est encore pire. Et pourtant, on est constamment obligé de faire des suppléments, de trouver des astuces pour nous, parce que personne n'y pense. Pourtant, un échographe, c'est le minimum, quoi. Et d'ailleurs, ça me fait penser à ma gynéco qui m'a dit, "avez-vous fait votre mammographie pour les 40 ans ?" Je la regarde, je lui dis, "comment vous voulez que je fasse une mammographie dans mon fauteuil ?" Elle m'a trouvé une excuse toute simple, elle m'a dit, "allez faire une échographie". Et c'est vrai, on n'y pense même pas, mais c'est vrai.
- Sushina
Et ça, c'est vraiment, je te remercie parce que tu vois, j'ai 39 ans. Donc l'année prochaine, échographie pour vérifier, ouais.
- Jenny
Elle m'a donné une ordonnance pour faire une échographie mammaire.
- Sushina
Ben ouais, rien n'est évidemment prévu. Et ouais, c'est ce que j'explique aussi dans le bouquin, c'est que moi, je n'avais jamais vu de gynéco avant d'avoir ce désir d'enfant.
- Jenny
Moi, j'en ai vu mais c'était compliqué aussi.
- Sushina
Ouais. Parce que rien n'est pensé pour qu'on ait accès au cabinet ou même à l'hôpital, il n'y a pas ce qu'il faut pour...
- Jenny
Alors, je vais parler crûment, mais ça m'est arrivé il n'y a pas longtemps. Donc, je l'ai dit clairement à ma gynéco. Moi, j'ai été suivie à l'hôpital pour toute ma grossesse, la gynéco très bien et tout. Mais à chaque fois que j'y allais... Comme il n'y a pas de lève-malades, comme je n'ai personne pour me porter, parce que tu as beau demander un brancardier, tu n'as personne. Même pour un simple scanner, tu prévois, tu dis, mettez-moi un brancardier. Non, je me suis ouvert le crâne pour un scanner. Parce que justement, c'est la radiologue et mon assistante de vie qui m'ont porté. Et pourtant, j'avais précisé, vous me mettrez un brancardier. Non, ils n'en avaient pas. Donc, à chaque fois que je vais en rendez-vous chez la gynéco, je prévois une jupe longue. Pas de culotte, je m'allonge dans mon fauteuil, je remonte la jupe, elle peut me faire l'examen. Et la dernière fois, j'y vais que pour lui poser des questions. Puisqu'entre-temps, j'avais trouvé une sage-femme. Bon, elle s'était mise en arrêt maladie, mais j'en avais trouvé une, donc je faisais les examens chez moi. Donc très bien, comme elle m'a dit, la sage-femme, c'est génial. Vous avez tout à domicile, c'est parfait. Donc je vais chez la gynéco, je lui explique que je n'ai plus de sage-femme, que j'en cherche une autre. Elle me dit, "écoutez, vous devez faire un frottis tous les ans. Est-ce que je vous fais maintenant ?" Je lui dis, "vous avez vu, je suis en pantalon, j'ai la culotte, j'ai tout." Je lui dis, "mais c'est mort." Elle me dit, "mais pourquoi ?" Je lui dis, "d'habitude, je ne mets pas de culotte, j'ai une jupe." Et voilà, je lui dis, "non, là, ce n'est vraiment pas possible". Et c'est quand même dans un hôpital.
- Sushina
Oui, puis elle n'avait jamais remarqué auparavant que tu prenais ces dispositions-là pour aider.
- Jenny
Non, elle n'avait pas fait attention et du coup, elle a marqué dans le dossier. Mais effectivement, c'est quand même dans un hôpital et on n'a pas de lève-malade. Il y a une table d'examen, mais on ne peut pas faire l'examen.
- Sushina
Et ça aussi, tu vois, ça participe à l'énorme charge mentale qu'on a de devoir anticiper les problèmes. On ne peut pas se pointer à un rendez-vous tranquille et prévoir. Je serai habillée comme ça. J'aurais telle personne pour m'aider ou je demande un brancardier. C'est vrai que c'est hyper lourd pour nous, surtout que quand on demande, on n'est pas sûr d'obtenir comme c'était ton cas.
- Jenny
C'est ça. et c'est ça qui est pas logique et le pire c'est que c'est pas dans un cabinet privé c'est à l'hôpital et c'est là où je me dis il y a un truc qui va pas quoi il y a quand même quelque chose qui va pas qu'on pense pas à ça je sais pas on doit pas être les seuls on a pas un handicap si lourd au point de se dire qu'on est les seuls à utiliser des lève malade ça faciliterait la vie des infirmières ça faciliterait la vie de tout le monde oui Parce qu'ils ne peuvent pas être constamment à trois ou quatre pour porter une personne, quoi. Et d'ailleurs, je ne sais pas si tu es comme moi, c'est constamment... "Ah, mais vous arrivez à utiliser le lève malade toute seule !". Voilà ce qu'ils disent à mon auxiliaire de vie à chaque fois. Oui, oui. Ce n'est pas compliqué d'utiliser un lève malade seul, quoi. C'est fait pour.
- Sushina
Oui ils sont juste étonnés, quoi.
- Jenny
Oui, ils n'ont pas l'habitude, en fait. Ils ont l'habitude de travailler à plusieurs. alors que ça réduit énormément la charge de travail. Alors tu m'as fait beaucoup sourire aussi en disant que ta fille se posait sur le cale-pied, alors on est deux, la mienne faisait exactement la même chose jusqu'à ce que les pieds touchent un petit peu trop le sol mais c'était pareil c'était aussi tu parles aussi du fait que t'as pas peur qu'elle glisse ou quoi que ce soit parce qu'elle bouge pas c'est vrai qu'il y a une totale confiance qui s'instaure entre nous
- Sushina
Ouais, et tu vois, c'est un truc assez dingue parce que ma fille, elle est énergique, quoi, tu vois. Elle bouge beaucoup, elle est un peu speed et tout. Mais quand on sort toutes les deux, elle adapte son comportement. Elle sait qu'elle ne peut pas faire n'importe quoi parce que moi, je n'ai pas la possibilité de l'attraper par le bras, de l'empêcher de faire une bêtise, tu vois. Et c'est vrai que j'ai une totale confiance. Je sais qu'elle se pose sur mon repose-pied, mon cale-pied, et qu'elle ne va pas bouger. Et que si elle veut descendre, elle me le dit. Elle ne saute pas en marche. Donc, c'est assez incroyable comment les enfants s'adaptent et comment pour eux, le handicap n'est pas un problème, tout simplement.
- Jenny
Non, ç'en est pas du tout. Et tu verras qu'après le cale-pied, ça sera elle montra derrière ton fauteuil et puis elle te tiendra par-dessus le cou. Moi, elle a 11 ans, elle le fait encore. Donc des fois, je lui dis attention à la tête parce qu'elle est tellement grande qu'on ne passe pas partout.
- Sushina
Et c'est quoi ? C'est sur les fourches des roues arrière, c'est ça ?
- Jenny
Oui, c'est ça, tout à fait.
- Sushina
C'est bien, je prends les astuces.
- Jenny
Ils trouvent toujours des solutions. T'inquiète, elle va trouver toute seule la solution. Et des fois, c'est moi qui suis obligée de lui dire, "attends, tu peux marcher". Parce que tu vois aussi quand ils en ont marre de marcher, ils s'installent sur le fauteuil derrière. Moi, elle me le fait souvent. "Moi, j'en ai marre de marcher". Elle sait que je ne peux pas la prendre sur mes genoux parce qu'elle est très grande. Donc, elle s'accroche derrière le fauteuil. Elle n'a pas besoin de patins à roulettes.
- Sushina
Avec son père, elle marche, il n'y a aucun problème. Tu vois, elle est très sportive et tout. Mais si je suis là, "oh non, ça fait mal aux jambes de marcher. Et en même temps, tu vois, ça me fait plaisir aussi. C'est un moment de complicité qui est chouette. Donc allez, grimpe sur le repose-pied, tant que tu peux.
- Jenny
En parlant de complicité aussi, tu disais que tu avais peur, étant donné que tu ne pouvais pas t'occuper d'elle, d'avoir la distance qui se crée entre toi et ton enfant. Alors j'ai eu exactement la même chose. Et d'ailleurs, je suis heureuse aujourd'hui parce que, comme tu dis, on est toute une communauté et on se repasse quelques tips entre nous. Parce que justement, moi, j'ai eu cette peur aussi. En plus, j'étais trachéo. Donc, j'avais très peur de la prendre dans mes bras et qu'elle m'arrache la trachéo. Et en fait, j'ai presque, au bout de trois mois, j'ai presque voulu un deuxième enfant. Tellement, je trouvais que j'avais perdu tout le début de son enfance. Et finalement, quand elle a été autonome, et ça tu le dis aussi dans ton livre, elle est venue toute seule. Et moi, ça a été exactement la même chose. Et j'avais vraiment peur qu'elle aille vers son père plus que moi. Et finalement, plus elle grandit et plus c'est vers moi qu'elle va. Instinctivement. Dès qu'elle a été autonome, elle est venue vers moi. Et c'est vrai que ça m'a rappelé des souvenirs, ce que tu as marqué, parce que j'ai vraiment eu cette peur de me dire, Waouh, j'ai été que la porteuse. J'avais vraiment peur d'être que la porteuse, en fait. Finalement, au fur et à mesure, elle est venue vers moi naturellement.
- Sushina
Nous, on se fait aider par des auxiliaires dans notre quotidien. Et quand mon mari a repris le travail, moi, j'avais toujours une auxiliaire avec moi pour m'occuper de ma fille. Et j'avais peur que la figure maternelle, ce soit l'une des auxiliaires. Et en fait, pas du tout. C'est-à-dire que même bébé, ils savent très bien qui est leur mère. il y a d'autres moyens que le contact physique pour t'occuper d'un enfant. Il y a plein d'autres moyens, comme chanter, être à côté, parler. Et tout ça, ils le ressentent parfaitement. Il n'y a aucun problème d'identification. Ils savent très bien qui est leur maman.
- Jenny
Ça, c'est clair. C'est vrai que... Je l'ai vraiment ressenti au fur et à mesure qu'elle a grandi. Et aujourd'hui, on est très complices toutes les deux. Même si, alors tu l'as dit aussi dans ton livre, la tienne est un petit peu capricieuse, espiègle. Mais c'est normal, ce sont des enfants. Et la mienne, des fois, elle sait que je ne peux pas faire certaines choses, elle en profite. Mais c'est normal, c'est une enfant. En plus, moi, c'est une ado maintenant. Donc, tu verras aussi quand tu arriveras à l'adolescence, tu verras ce que ça donne. Mais voilà, et malgré tout, ça reste des enfants, ils ont une vie tout à fait normale. Un peu plus de maturité, c'est vrai, puisqu'ils sont... Enfin, moi, je sais qu'on m'a souvent dit autour de moi que ma fille était autonome par rapport à d'autres. C'est-à-dire capable de boire toute seule, capable de servir un verre d'eau toute seule très, très tôt. Mais en dehors de ça... Il n'y a pas de différence avec un enfant normal. À part qu'ils sont peut-être plus tolérants vis-à-vis de la différence, justement.
- Sushina
Oui, en tout cas, j'espère. Comme la mienne, elle a 4 ans, c'est un peu difficile pour l'instant de savoir. Mais oui, j'espère qu'en tout cas, ça va être un apprentissage intéressant de ce point de vue-là.
- Jenny
Alors moi, quand elle était toute petite, je me souviens qu'elle ne supportait pas Quand elle voyait qu'une voiture était garée sur un trottoir.
- Sushina
Ah ouais, mais pareil.
- Jenny
Voilà.
- Sushina
Ah, c'est trop drôle.
- Jenny
Ouais. Et "ouais, ma mère, elle est obligée de rouler sur la route. Elle risque de se faire écraser. C'est pas normal". Mais tu verras, elle a une réaction typique.
- Sushina
Ah ouais, la mienne aussi, elle fait des scandales. "Ohlala, il est mal garé celui-là" Alors toi, t'es là, tu dis "chut chut chut" Parce que des fois, t'as juste pas envie de te faire insulter par la personne mal garée. Donc,
- Jenny
Généralement tu ne te fais pas insulter parce que venant de la bouche des enfants, nous, ça nous est arrivé, les gens regardent la petite, ils ne savent plus où se mettre parce que ça vient de la bouche d'un enfant. Ça viendrait de notre bouche, ça ne passerait pas. Mais venant de la bouche d'un enfant, moi, je me souviens, on l'emmenait à la maternelle, puis il y avait une voiture garée en plein milieu, "ouais, papa, tu as vu comment elle est garée celle-là, elle a pas le droit d’être garée ici" et tout. La dame, elle s'est retournée. Elle a regardé le père, elle a regardé la petite, et puis le papa lui a dit, "ben ouais, mais qu'est-ce que tu veux, il y a des gens qui ne respectent pas". Et elle s'est tue, elle n'a rien dit. Mais venant d'un enfant, sachant que, disons qu'ils n'aiment pas qu'un enfant leur dise la vérité en pleine face.
- Sushina
Oui parce qu'ils ne peuvent peut-être pas rétorqués, donc forcément.
- Jenny
C'est ça. Mais tu vois, on a exactement les mêmes... Et tu verras, ça évoluera au fur et à mesure. L'injustice liée au handicap, liée au fait qu'on ne puisse pas soit les accompagner quelque part. Moi, je sais qu'on habite en pleine campagne, il n'y a pas de trottoir. Et elle rêvait que j'emmène à l'école à pied.
- Sushina
Oui.
- Jenny
Et je lui ai dit, écoute, va demander à Madame la maire qu'elle mette des pistes cyclables. Et pour elle, ça la faisait rager de savoir que c'était trop dangereux de rouler sur la route et tout. Parce qu'il n'y avait pas de trottoir. Et en fait, ils sont conscients de choses que les grandes personnes ne voient pas parce qu'ils nous accompagnent au quotidien.
- Sushina
Oui et dans le même genre, ma fille est capable de repérer les bus qui sont accessibles et les bus qui ne sont pas accessibles.
- Jenny
Oui.
- Sushina
Et donc, elle pointe du doigt, lui, tu peux monter dedans, lui, tu peux pas.
- Jenny
Ils voient tout.
- Sushina
Oui, oui. Ce truc d'accessibilité... Il est ancré très, très tôt chez eux. Et d'un côté, c'est bien, mais d'un autre côté, c'est triste parce que ça montre qu'il y a encore beaucoup de choses à changer dans la société.
- Jenny
Mais tu vois, j'irais même encore plus loin. Je pense que si chaque personne avait une personne handicapée au sein de son foyer, la société évoluerait peut-être beaucoup plus vite. Parce que finalement, c'est vraiment par rapport à l'ignorance. Un enfant qui est capable de voir tout ça parce qu'il a une mère handicapée, ou un père handicapé, Ça veut dire que si un autre enfant, on lui met le handicap sous le nez, il va capter beaucoup plus vite les besoins de la personne handicapée. Et je pense que c'est ça qui manque aujourd'hui. C'est de dire, ben oui, il y a de la différence, et tu vois, cette personne est différente, elle a besoin de ça. Et c'est peut-être comme ça qu'on pourra faire évoluer les mentalités.
- Sushina
Ouais, ouais, c'est ce que j'espère, quoi.
- Jenny
Ben ouais, parce que si on voit que nos enfants sont capables de s'en rendre compte très, très vite. Je pense que c'est juste que les autres enfants ne sont pas confrontés à ça.
- Sushina
Oui, oui. Mais c'est vrai que tu vois, les autres enfants aussi, je vois par rapport à la crèche ou à l'école, c'est que notre fauteuil, je pense pour toi aussi, ce n'est plus un sujet pour eux. Au début, ils sont un peu étonnés, ils viennent voir, machin, ils essaient de toucher. Et rapidement, c'est totalement réacté, totalement naturel. que, ben voilà, la maman de ma fille, elle est en fauteuil, etc. C'est pas un problème, quoi.
- Jenny
Moi, je sais que j'ai eu une seule fois une réflexion où je suis venue chercher Alya, c'était à l'école maternelle, et les petits lui ont dit, "ah, c'est ta grand-mère". Elle a regardé, "quoi, c'est ma grand-mère ? Mais non, c'est ma mère. Ah bon, mais pourquoi elle est dans un fauteuil ? Parce qu'elle peut pas marcher, puis c'est tout". Et ma fille, en fait, à chaque fois que je viens la chercher à l'école, c'est, " maman, maman !" Elle est tellement fière. On lui a appris, en fait, à ce que mon handicap ne soit pas une gêne. Et en fait, tous les enfants l'acceptent. Elle n'a jamais eu de réflexion. Alors, j'avais peur quand même au collège, mais d'après ce que je vois, non, elle n'a aucune gêne à dire que sa mère est handicapée, que sa mère ne peut pas signer, parce que moi, j'ai quelques faiblesses. Donc, des fois, j'ai du mal à signer ou je ne signe pas très bien. Aucune gêne. Pour elle, c'est normal. Ma mère est handicapée, un point, c'est tout. Et elle m'a fait la réflexion la dernière fois, parce qu'elle est dans une classe où il y a beaucoup d'Ulysse. Donc, des enfants qui ont des soucis. Et elle me dit, "ouais, c'est pas juste, mon petit camarade, il a plus le temps parce qu'il ne peut pas écrire, il a du mal à écrire et tout ça. Il est dispensé d'écrire". Je lui dis, ben oui, mais tu vois, il est comme moi, il a un handicap. Elle ne l'assimilait pas, en fait. Elle ne comprenait pas. Pour elle, il n'arrivait pas à écrire. Mais elle ne le voyait pas comme un handicap.
- Sushina
Oui, oui.
- Jenny
Et je lui ai dit, tu vois, il est comme moi, mais lui, c'est différent. Il n'arrive pas à écrire. Et je lui ai dit, si tu t'entends bien avec lui, tu peux peut-être l'aider. Tu peux peut-être lui demander comment tu peux l'aider. Depuis, ils sont devenus super copains. Et elle a toujours eu ce truc. Alors, je ne sais pas, tu verras avec ta fille plus tard. Elle a toujours eu ce truc d'être avec des enfants qui étaient toujours mis de côté. Beaucoup de parents me l'ont dit. Merci, votre fille, à penser à notre fille pour son anniversaire. D'habitude, elle n'est jamais invitée. Beaucoup de parents m'ont dit.
- Sushina
C'est un truc, je ne sais pas, d'empathie ?
- Jenny
Je pense que c'est l'empathie, en fait. Le fait d'être mis de côté, d'être... Moi, depuis le primaire, on a eu pratiquement que ça. Et encore aujourd'hui, ses amis sont des enfants avec des difficultés. Des difficultés d'intégration, des difficultés scolaires, surtout des difficultés d'intégration. Et pour elle, c'est naturel d'aller vers eux, de les comprendre. Et quelque chose aussi que tu as dû remarquer, c'est que tu te dis, punaise, c'est fou, ils ont la force que nous, on n'a pas. Mais une force décuplée, je ne sais pas si tu as remarqué.
- Sushina
Tu veux dire force physique ?
- Jenny
Ouais, force physique. Moi, je suis étonnée. Autant, moi, je suis complètement ramollie et tout. Elle, elle est en pleine santé. Elle pète le feu. Elle est vraiment tout le contraire de moi. Et ça fait plaisir à voir. Savoir qu'on a pu, dans notre état, mettre un enfant au monde en bonne santé, ça fait vraiment plaisir.
- Sushina
Oui, puis je pense aussi que les gens s'attendent à ce que... notre enfant soit déprimé ou malheureux parce que leur maman est handicapée, alors qu'ils s'en foutent royalement. Ma gamine, elle est équilibrée, elle est super joyeuse. Et ça, c'est un truc que beaucoup de personnes valides ont un peu de mal à capter. Souvent, ils vont quand même chercher, chercher les problèmes, tu vois, et ça les étonne quand il n'y en a pas.
- Jenny
Ouais. Après, je n'ai pas eu trop ce sentiment. Alors, je sais qu'il y a beaucoup de personnes qui m'ont dit qu'ils étaient mal vus, qu'ils étaient regardés bizarrement quand ils se baladaient avec leur enfant. Moi, j'en souviens, on allait souvent au parc. et un jour il y a même une grand-mère qui m'a dit franchement ça fait plaisir de vous voir avec votre fille et elle dit elle m'avait dit quelque chose qui m'avait vraiment touchée elle m'avait dit si mes enfants étaient encore près de moi j'aurais pas besoin d'un animal pour me tenir compagnie et ça m'avait vraiment touchée au plus profond elle me dit je vous vois tous les jours avec votre fille et elle me dit ça fait plaisir de vous voir ensemble Et quand je lis que certaines personnes ont été un peu rabrouées ou quoi que ce soit dans la rue, ça me fait mal au cœur parce que moi, je sais qu'on a dit du mal de moi, mais sans me connaître. Tu vois ce que je veux dire ? Par contre, quand on me voyait, j'avais toujours le droit à des grands sourires. Les gens, ils souriaient, rigolaient, mais tout le temps. Et c'est vrai, je ne sais pas toi, comment tu as vécu ? Bon, c'est vrai que souvent, on m'a dit... Ah, mais c'est votre fille, parce que les gens sont assez surpris. Mais la complicité qu'il y a entre nous fait sourire les gens, en fait.
- Sushina
Ouais. Ouais, moi, je suis assez partagée là-dessus. Effectivement, il y a des réactions positives et heureusement, mais il y a aussi souvent du jugement. Les gens s'attendent à ce qu'on foire. à ce qu'on rate avec notre enfant, ils ne peuvent pas se dire qu'on est capable de s'en occuper correctement. Et donc, certains vont chercher la faute, vont chercher la petite bête et essayer de dire que ça ne peut pas bien se passer, comme je te disais tout à l'heure,
- Jenny
Alors, cette sensation, tu vas la perdre au fur et à mesure que les années vont passer. Je l'ai eu beaucoup quand elle était petite, où tu avais l'impression que le moindre faux pas, on allait te retirer ton enfant. Ça, c'est ce que tu as raconté à la maternité, où ton mari a été interrogé. Nous, on a eu la même chose. Clairement, parce que moi, j'étais obligée de rester à l'hôpital. Et ma fille devait sortir, elle était en trop bonne santé. Donc, mon mari a dit, mais attendez, je ne peux pas être partout. Il dit, je ne peux pas être à l'hôpital avec ma femme. Et à l'extérieur, avec ma fille, pouvez-vous la garder une semaine de plus en néonat ? Et c'est là qu'ils ont dit, si vous n'êtes pas capable de vous en occuper, on vous envoie les services sociaux.
- Sushina
Super.
- Jenny
Et on l'a très mal pris. On a appelé mes parents à la rescousse. Et heureusement, ils nous ont filé un coup de main. Mais voilà, c'est vrai qu'on se sent très vite jugés. Et on ne nous explique pas pourquoi on fait ça. Parce qu'après, on a rencontré une assistante familiale qui nous a dit, mais vous savez, ça arrive souvent, il y a des mamans qui sont à l'hôpital, qui sont seules, et on garde leur enfant le temps qu'elle sorte de l'hôpital.
- Sushina
Ah ouais ? Et pour vous, non, c'était pas possible ?
- Jenny
Eh bien, en fait, c'était ce qu'ils auraient fait, mais ils ne nous l'ont pas expliqué.
- Sushina
D'accord, ah oui, d'accord.
- Jenny
Donc, nous, on s'est dit de suite, on ne va jamais récupérer notre fille. Oui, oui, oui. Alors qu'en fait, c'était juste un placement provisoire le temps qu'on sorte de l'hôpital.
- Sushina
Après, toujours se méfier. 33% des parents handicapés se voient retirer leur enfant de manière définitive. 33%
- Jenny
Oui, c'est vrai.
- Sushina
Donc, voilà. Moi, je pense qu'il faut toujours quand même avoir ce chiffre en tête et rester méfiant. Même si, effectivement, plus l'enfant grandit, et moins on trouve à redire. Parce que... L'enfant est autonome et les gens sont moins inquiets. Mais je vois cette suspicion et je sais qu'elle n'est pas dans ma tête. Maintenant, effectivement, je respire mieux quand même. Maintenant que ma fille a 4 ans, elle est autonome, elle est à l'école et ça se voit qu'elle est bien et en bonne santé. Mais ouais, tant que c'était un bébé, moi je surveillais tout, même la moindre tâche sur ses vêtements, le moindre accro, j'étais un peu parano à me dire, ouais... On va faire un signalement parce que ma fille est mal habillée ou quoi, ou pour n'importe quelle raison, il faut faire gaffe.
- Jenny
Ce que tu me dis, c'est marrant parce qu'en fait, toutes notre vie, on fait ça. Si tu regardes bien, tout le temps, on essaye d'être plus que parfait pour faire montrer qu'on n'est pas différent. C'est ça qui est dingue, même en tant que parent, en fait. On essaye d'être plus que parfait pour montrer que c'est pas parce qu'on est handicapé qu'on ne peut pas être, entre guillemets, normal.
- Sushina
Alors que nos enfants ils ont droit parfois d'être casse-pieds de nous mettre la honte comme tout enfant de parents valides et c'est un truc qui va nous stresser je pense moi maintenant ça va, j'ai lâché un peu de leste avec ça mais c'est vrai qu'on sait qu'on va être plus rapidement jugés tout à fait
- Jenny
Pourtant on est humain comme tout le monde on peut se planter Moi, je me souviens, un jour, elle s'est planquée dans le centre commercial. J'ai été prise, mais d'une bouffée de chaleur, juste le temps de m'arrêter à la boulangerie pour prendre... Je l'avais en ligne de vue. Je lui disais, oui, tu restes là, tu bouges pas, je vais payer, j'arrive. Elle était devant moi. Je me retourne plus personne. Elle s'était cachée derrière une œuvre. Elle voulait me faire la surprise. J'ai cru que j'allais péter un plomb. Je me suis dit, mon Dieu, j'ai perdu ma fille. Elle avait 4 ans. Et quand elle a vu qu'on s'éloignait, elle a couru derrière moi. Mais maman, je suis là. Je lui ai dit, punaise tu ne me refais jamais ça ? Jamais, jamais, jamais.
- Sushina
Mais c'est ça, tu vois. Je pense qu'on est hyper attentif, en fait. Et peut-être plus attentif que beaucoup de parents valides. C'est ça. Moi, je sais que ma fille, je m'interdis de la quitter des yeux. Sauf que ce n'est pas toujours possible.
- Jenny
Tu te l'interdis mais on ne peut pas le faire à 100%
et on ne peut pas le faire à 100% bien sûr alors que t'as des parents ouais il est où le gamin il est là il y a deux minutes ils sont pas stressés c'est ça et en fait on veut tellement être irréprochable que c'est un petit peu triste quand même de savoir qu'on doit toujours surfaire même en tant que maman ouais c'est fatigant je suis d'accord Parce qu'on doit surfaire, mais constamment dans notre vie. Pour prouver qu'on est aussi imparfait que les autres.Oui, oui. C'est ça. On fait tout pour être parfait, mais on est aussi imparfait que les autres. Personne n'est parfait. Et c'est juste hallucinant. Alors, je voudrais venir aussi sur un sujet qui m'a beaucoup marquée dans ton livre. L'importance du conjoint. Et j'ai lu dans ton livre que tu étais assez féministe, mais le féminisme s'arrête dès lors qu'on est en fauteuil, parce qu'il y a des choses, même si notre corps nous appartient, même si tout nous appartient, qui font qu'on ne peut pas tout décider seul aussi. À un moment donné, toujours je ne veux pas spoiler, mais à un moment donné, on te fait comprendre que peut-être que ton enfant a la trisomie, peut-être. Et puis toi, tu dis, ah non, mais c'est pas grave, moi j'ai un handicap, je l'assume, je suis capable d'assumer mon enfant, mais avec un handicap. Et là, tu vois ton conjoint changer de tête, et t'as du mal à comprendre au début. C'est ce que tu dis dans ton livre, t'as du mal à comprendre, parce que tu dis, mais moi je suis handicapée, et voilà, ça se passe bien, qu'est-ce qui se passe ? Et en fait, on ne se rend pas compte, on se dit pas si... Tu le dis aussi à la maternité, toutes les femmes étaient autour de ton conjoint en train de dire, oh là là, mais c'est magnifique. J'ai exactement la même chose avec le mien. Tout le monde dit, oh, mais c'est magnifique, il s'occupe bien de sa femme et tout. Mais en même temps, ça va au-delà parce que c'est une charge aussi, pas seulement physique, mais mentale, très, très lourde. Beaucoup plus qu'un conjoint qui est avec une femme valide. Et ça remet beaucoup de choses en question. Et là, ça m'a énormément touchée parce qu'en fait, c'est vrai qu'on fait un sacré boulot en tant que maman. On a donné le meilleur de nous malgré notre handicap pour avoir un enfant et tout. Mais je pense qu'eux aussi se surpassent et qu'on doit leur dire félicitations à un point énorme parce que justement, ils sont là dans les pires moments. Et ça, on n'en parle pas assez.
- Sushina
Moi, je pense que malgré tout, ça n'enlève... Rien à mes convictions féministes, ce moment où on était en désaccord avec mon mari. De toute façon, si une décision avait dû être prise, on en aurait parlé. Tous les deux, on aurait avisé. Heureusement, on n'a pas eu à avoir cette discussion ensemble. Mais je pense que ce n'est pas un problème d'hommes-femmes, etc. C'est vraiment un problème de couple. Il faut qu'on soit d'accord pour avoir un enfant, pour son éducation, etc. Et forcément, à deux, on a des points de divergence. Et effectivement, moi, j'en ai tellement bavé pour avoir cet enfant. qu'à partir du moment où on me disait votre enfant va vivre, j'étais heureuse et je me foutais de tout le reste. Et là, mon mari, lui, il a vu une charge supplémentaire dans notre quotidien. C'est-à-dire devoir potentiellement accompagner cet enfant à l'hôpital et ne pas pouvoir s'occuper de moi aussi. Il y a tout ça qui lui est tombé dessus d'un coup, mais ça aurait pu être provisoire aussi, je ne sais pas. C'est difficile de savoir comment on va réagir à ce genre d'annonce en tant que couple. Je pense que c'est quelque chose qui existe dans absolument tous les couples. Et quoi qu'il en soit, je pense que quand on est à deux, et qu'on a décidé de faire cet enfant à deux, on ne peut pas décider tout seul.
- Jenny
il y en a certaines qui diraient c'est mon corps, je fais ce que je veux
- Sushina
Dans ce cas là oui bien sûr mais dans ce cas là l'autre s'en va et on n’est plus en couple et après à ce moment là reste à savoir qu'est-ce qu'on veut est-ce qu'on veut conserver notre couple ou est-ce qu'on veut cet enfant et là le choix appartient à chacun à chacune dans un couple, c'est comme ça que ça doit se passer. Et c'est vrai que cet enfant, nous, on avait choisi de le faire ensemble et donc je voulais qu'on le fasse ensemble. Mais, clairement, si moi, j'avais dû faire une IMG, je le dis dans mon bouquin, ça aurait totalement détruit notre couple. Et c'est quelque chose que personnellement, je n'aurais pas supporté.
Vu ce que tu as subi avant, je peux comprendre.
Et donc, c'était très très compliqué ce moment-là de la grossesse pour nous trois. Bébé compris. Parce que moi, j'avais ce bébé à l'intérieur de moi. Et je me disais, ça se trouve, ce bébé ne naîtra pas. et je me sentais horrible vis-à-vis de ce bébé qui était dans mon corps. Je pense que c'était un moment difficile. Je pense que peut-être elle a ressenti que je n'étais pas bien dans mon ventre à ce moment-là aussi.
- Jenny
Oui. Je ne me souviens pas trop ce que tu as dit dans ton livre, mais je sais que, comme tu l'expliques... Si on est tous les deux porteurs du gène, l'enfant peut naître malade, comme nous en fait. Et s'il n'y en a que l'un des deux, l'enfant est porteur du gène mais n'est pas malade. Quand j'ai fait les tests avec mon mari, je disais, si l'enfant risque d'être malade, je ne vais pas au bout de la grossesse. Aujourd'hui, franchement, si demain je devais tomber enceinte, je ne veux pas tomber enceinte. Mais je ne sais pas si ça doit arriver. Je pense que je serai incapable, mais vraiment incapable d'avorter. Parce que, comme tu l'as dit, même si on a un handicap, ça veut dire que nous, on n'aurait pas eu le droit de naître.
- Sushina
C'est ça.
- Jenny
Et je m'en suis rendue compte en étant mère, pas avant.
- Sushina
Oui, et là aussi, c'est très compliqué. Effectivement, nous on est là, on est heureuse de notre vie, et du coup pourquoi est-ce qu'on empêcherait un enfant avec la même maladie que nous de naître ? Et en même temps, il y a le poids de la culpabilité. si je fais naître mon enfant et que je lui donne cette maladie qui n'est quand même pas facile, est-ce qu'on va bien le vivre ? Donc, ce n'est pas un problème éthique super compliqué, je trouve.
- Jenny
Moi, je sais qu'avant d'être maman, je pensais vraiment ça. Je me disais non, je ne peux pas faire à mon enfant ce que j'ai aujourd'hui. Mais en fait, depuis que je suis maman, je n'arrive pas à me dire ça. Déjà parce que comme toi, j'ai eu une fausse couche, j'en ai pas eu plusieurs. Et ça m'a énormément choquée. Alors moi, c'était plus jeune que toi, c'était à trois semaines. Mais ça m'a vraiment choquée, je m'en souviens encore. Et non, je me dis, mais je suis qui pour décider si... Sa vie sera bonne ou mauvaise, quoi.
- Sushina
Ouais, ouais.
- Jenny
Parce que moi, au final, je sais pas si toi, t'as les mêmes expressions, mais je suis un peu l'ovni, quoi. Je suis mariée, je travaille, j'ai un enfant. C'est pas possible en tant que personne handicapée. Et pourtant, j'ai réussi. Donc, je me dis pourquoi d'autres n'auraient pas cette chance. Et c'est tout le bonheur que je souhaite.
- Sushina
Oui, puis que... Oui, tout à fait. On peut être handicapé, voire très très handicapé selon les critères des valides. Et être parfaitement heureux, heureuse. C'est pour beaucoup difficile à comprendre. Je crois qu'on est vraiment nombreux, nombreuses. On est beaucoup sur le groupe à avoir trouvé notre bonheur. à bien vivre le fait d'être handicapé tout simplement.
- Jenny
C'est ça. Écoute, Sushina, je te remercie beaucoup pour cette interview. Je vous invite à lire ce livre Une grossesse ordinaire qui est vraiment très intéressant. Où vous voyez que finalement, avec notre handicap, on n'est pas vraiment différent des valides, à quelques petites choses près. qu'on a aussi des désirs, des besoins, des envies, et que tout ce qu'on réclame, c'est de pouvoir vivre notre vie le plus normalement possible.
- Sushina
C'est ça. Merci à toi.
- Jenny
Merci beaucoup et je te souhaite bonne continuation et plein de joie avec ta fille qui va grandir.
J'espère que ce dernier épisode de Bulle de Vie vous a enchanté. Votre avis est précieux, alors n'hésitez pas à partager vos réflexions et commentaires sur la plateforme où vous suivez ce podcast. De plus, je vous encourage chaleureusement à faire découvrir cette expérience à vos proches, afin qu'eux aussi puissent s'ouvrir au monde du handicap. J'ai hâte de vous retrouver très bientôt pour un nouvel épisode de Bulles de Vie. Restez à l'écoute et continuons ensemble à créer un monde où chacun est traité avec... équité et considération. A bientôt !