Speaker #0Coucou tout le monde, c’est Xulia ! Vos écoutez Carpediem. Avant de poursuivre avec l’introduction, je voulais vous dire que si cet épisode – ou un autre – vous plaît, n’hésitez pas à lui laisser un cœur, une étoile, ou tout autre signe de soutien selon votre plateforme d’écoute. Ça m’aide énormément pour le référencement du podcast ! Merci beaucoup. Maintenant, continuons… L’épisode de ce début de mois est un peu particulier, car il s’agit d’une courte nouvelle que je m’étais amusée à rédiger il y a tout juste an. Je vous la partage donc, comme s’il s’agissait de son anniversaire ! Mais avant de passer au récit, un peu de contexte s’impose. Ce récit est le fruit d’une période où je n’avais pas trop le moral à cause d’une blessure aux chevilles qui était devenue un frein dans mes activités au quotidien. Sporadique, elle avait fini par devenir chronique. L’an dernier, à la suite de mes examens universitaires du mois de janvier, je suis donc partie en vacances avec ma mère et ma sœur. Quoi de mieux qu’un périple en Italie pour se requinquer et oublier l’attente des résultats d’examen ! Bien que ces vacances me rappellent aujourd’hui plein de bons souvenirs, elles me rappellent aussi la journée que je me suis vu obligée de passer seule à l’hôtel parce que je ne pouvais plus marcher, le renoncement à mes promenades au caprice de l’intestin à travers les ruelles italiennes, le sentiment d’impuissance face à un désagrément contre lequel je ne pouvais pas faire grand-chose. À mon retour de vacances, le moral dans les chaussettes, je me suis évadée dans l’écriture comme j’aime si bien le faire. J’ai laissé place à mon imagination pour me sortir de là ! Cette histoire s’inspire donc d’une blessure qui était devenue omniprésente dans ma vie, envahissant mes pensées et mes activités, comme un rappel constant de tout ce dont j’étais désormais privée. Bien sûr, ce récit s’en inspire, mais il ne s’agit ici que d’une fiction qui m’a aidé à m’échapper, et non de ma vie réelle ! Bonne écoute !
Marcher. Quelque chose que l’on fait sans penser. Chaque jour nos pieds nous portent, nous soutiennent et nous guident. Chaque jour nos pieds s’alignent pour parcourir les mêmes chemins que nous empruntons au quotidien. Même si parfois, sur un coup de tête, ils décident d’arpenter de nouveaux sentiers. De nouveaux sentiers qui égayeront notre journée, car ils nous feront découvrir de nouveaux arbustes, de nouveaux pavés et peut-être même rencontrer d’anciens habitués qui l’utilisent pour aller bosser. Jusqu’à l’automne dernier, je ne m’étais jamais vraiment rendue compte de ce que la marche représentait pour l’humain. Nombreux sont ceux qui rechignent à faire de la randonnée, vagabonder ou même tout simplement aller se balader. Ils se plaignent. Ils ont mal aux pieds. Nombreux sont ceux qui préfèrent la rapidité de ce monstre tubulaire des sous terrain qui nous mène à travers un dédale de sombres tunnels jusqu’à notre destination éventuelle. Moi pas. Êtes-vous déjà entré dans l’un de ces engins ? Certainement. Peut-être que pour vous ce n’est rien. Peut-être que pour vous, il s’agit d’un moyen de transport insignifiant. Quelque chose qui se fond dans votre routine. Pas pour moi. Prendre le métro, pour moi c’est… Courants d’air chaud malodorants. Certainement de la transpiration. Pleurs. Cris. Pleurs qui se transforment en cris. Papa ne retrouve plus la lolette. Débats. Conversations. Mots. Beaucoup de mots. Des étudiants qui se pressent de partager les réponses de leur examen. Mais t’es sûr ? Pourtant j’avais vu dans le cours que… Des mots. Encore des mots. Des bouches qui vomissent phrase sur phrase sans but particulier. Parler pour parler. Bruit. Lumière. L’un ne va pas sans l’autre. Néons. Lumière, encore. Pas n’importe laquelle. Blanchâtre. Agressive. Acérée. Tranchante. Violente. Celle qui vous oblige à fermer les yeux très forts en priant pour que vous soyez bientôt rentré. Cris. De nouveau. Grésillements. Métro qui bringuebale sur les rails faisant un boucan infernal. Le métro est vieux. Très vieux. Ils devraient passer à l’électrique. Voix robotique. Grésillements. Bruit. Acérée. Lumière. Arrêt. Puis. Air frais. Jour. Oxygène. Les portes s’ouvrent. Je me jette vers l’affreuse gueule du métro. Je dois m’échapper de cet enfer. Je dois revoir le ciel, c’est essentiel. Je recouvre mes esprits. Mon cœur ralenti. Tout vacille, tout tourne, tout m’échappe. Après quelques instants, la réalité me frappe. Je suis dehors. Les bruits n’ont pas disparu, mais ils se sont atténués. L’Anxiété rebrousse chemin, elle est aspirée par l’antre du métro, l’une de ses nombreuses maisons. C’est vrai qu’elle aime bien me titiller. J’ai fini par m’y habituer. C’est une colocataire pas facile, elle se faufile partout, car elle est extrêmement agile. Très souvent, je voudrai pouvoir la chasser à grands coups de balai. Mais elle est tenace. Je crois qu’elle tient beaucoup à moi. Ce n’est pas réciproque, je rêverai qu’elle me laisse de l’espace. Son amour m’étouffe. Il est trop coriace. Bref. Voici l’une des raisons pour lesquelles j’aime marcher. Non seulement c’est bon pour la santé, mais surtout, ça m’évite de devoir affronter le métro. De trop penser. De trop ressentir. De trop étouffer. Seulement, parfois nous n’avons pas le choix. Parfois, cela s’impose à nous. Cela s’impose à nous non pas comme une évidence mais comme quelque chose d’inéluctable. Ça m’accable. Autrefois, lorsque je rentrais du travail, la question ne se posait pas. J’arpentais les trottoirs d’un pas vif et décidé. Mon objectif : me vautrer dans le fauteuil esquinté de la bibliothèque avec une tasse de thé. Trente minutes de grandes enjambées et j’étais rentrée. Cette petite marche me délestait de tous les soucis de la journée. Qu’importe le problème, une fois sur le seuil de l’entrée, il s’était envolé ! Du moins le temps d’un battement de paupières. Ce n’était pas pour me déplaire. Lestée d’un poids, je me sentais d’attaque à recommencer la journée d’après. Cycle perpétuel du monde professionnel. Enfin. Ça, c’était autrefois. C’était du temps où mes collègues se demandaient, surpris, pourquoi je rentrais à pied alors que je vivais à quelques mètres de la station de métro. D’après eux, le prendre me ferait gagner vingt minutes. Et dans un monde où le temps et l’argent vont de pair, vingt minutes c’est une mine d’or à ne pas gaspiller. Pourtant, d’après moi, c’est une piètre idée. C’est une piètre idée, car lorsque je rentre à pied, j’apprécie d’écouter ce que le monde a à me raconter. Il se plaît à me narrer de mille et une manières toutes les aventures rocambolesques qui lui sont arrivées. Lorsque je rentre à pied, je me sens revivre, car mon métier ne me plaît pas. Les bureaux où je travaille, je les abhorre, ils sentent la mort. Ils sentent ce genre de métier de subsistance, qui tel une roue de hamster, vous fait marcher jusqu’à ce que ce soit trop tard. Grâce à ça, vous mangez. À cause de ça, le temps s’écoule et vos rêves passent à la trappe. La faim ne vous tiraille pas l’estomac, mais vos yeux ont arrêté de briller. Peut-être que vous vous demandez ce qu’il se passe dans ma tête à la fin de mes journées. Eh bien, après avoir joué le rôle qui est le mien, c’est-à-dire celui d’une employée de bureau quelconque pianotant inlassablement sur son clavier pour remplir des formulaires la laissant indifférente, je ressens de la... Fatigue. Beaucoup. Energie aussi basse que mon téléphone déchargé au fond de mon sac. Une seule envie. Le fauteuil. Un thé. Un carré de chocolat ? Pourquoi pas. Mais pour l’instant, je suis enfermée. Au bureau. Un tas de paperasse penchant dangereusement sur le côté me fait face. Ici depuis huit heures pimpantes. Seul rappel du monde extérieur : un rectangle de nature que la fenêtre de mon bureau encadre telle une peinture. La seule chose à laquelle je songe, c’est de sentir et palper le monde. Le vrai. Celui qui est libre de murs, de post-it et de moquettes. Un frisson. Ces trois mots suffisent à me donner la nausée. Murs, post-it, moquettes. Un deuxième frisson. Des mots aux effluves de poussière, de papeterie, de voyouterie. Des effluves qui annoncent un historique relationnel bien mouvementé. Relations de bureau. Commérages. Tromperies. Flirts. Amitiés insidieuses. Amitiés pernicieuses qui vous rongent de l’intérieur. Mal-être. Constant. Anxiété. Le retour. Elle ne m’avait pas manquée. Mais elle m’aime. Ô qu’est-ce qu’elle aime. Nous finirons par nous marier, j’en suis persuadée. La bague au doigt ne saurait tarder. Ce n’est qu’une question de temps. Tic-tac, tic-tac. Le temps file. Bientôt ma journée de travail s’achèvera. Et puis. Dong. Il est 18 heures. Il est temps de rentrer. Alors je m’empresse de tout remballer. L’écran de l’ordinateur redevient noir, exempt de toutes sollicitations. Plus de mail. Plus de notifications. L’écran noir de l’ordinateur est un symbole de paix intérieure. Dès qu’il est là, je me sens mieux. Plus de tourments. Le nœud qui me torpille l’estomac depuis que je suis arrivée dans les locaux disparaît comme par magie. Je me lève. Enfile ma veste. Vite. D’un bref coup d’œil, je constate que mes collègues, eux-aussi, recommencent à vaquer à leurs affaires personnelles. Mathilde passe un coup de téléphone à Oscar, son mari, pour qu’il passe acheter du pain. Elle n’aura pas le temps de le faire. David, quant à lui, appelle Théo, son fils de douze ans, pour savoir comment se passe son camp de ski. Oui, c’est comme si tout le monde se réveillait d’un long coma pendant lequel chacun se serait mécaniquement employé à faire valdinguer ses doigts sur des touches d’ordinateur. Formulaire. Téléphone. Téléphone. Formulaire. Deux mots qui à eux seuls résument bien ce que nous faisons chaque jour pour gagner notre vie. Lorsque 18 heures sonnent, j’entends presque le bruit des rouages de mes collègues ayant besoin d’être huilés. Nous sommes des humains, et pourtant, lorsqu’on travaille dans ces bureaux, l’essence humaine s’estompe pour laisser place aux robots. Autrefois, quelle que soit la saison, je rentrais donc à pied à la maison. Les grosses gouttes d’eau et les énormes flocons ne me faisaient pas peur. Au contraire, ils m’aidaient à sortir de ma torpeur. Car lorsqu’il est 18 heures passées, la Ville que vous traversez a eu, tout comme vous, une journée plutôt animée. Ainsi, sur le chemin du retour, elle vous raconte tout ce qu’elle a entendu, tout ce qu’elle a vu. Elle vous raconte les objets retrouvés, les objets perdus puis retrouvés, les objets juste perdus. Elle vous raconte les chutes, les pleurs, les grimaces, les rires et les sourires. Elle vous raconte l’installation des étals du marché. Les odeurs de pain au levain, de fromage frais, de fruits et légumes et de crêpes sucrées. Cette odeur-là, la Ville me la raconte à chaque fois, car elle sait que c’est celle que je préfère. C’est l’odeur des dimanches après-midi dans la cuisine fleurie de Papi, lorsqu’il faisait exécuter aux crêpes des acrobaties dignes du Cirque du Soleil. C’est l’odeur que je préfère, car non seulement elle me rappelle Papi, mais aussi les éclats de rire qui rebondissaient contre les murs de la petite cuisine et qui perduraient de longues minutes durant. C’est l’odeur que je préfère, car elle sent le : « est-ce que je pourrai en avoir encore une ? », « seulement si tu promets que ta Maman n’en saura rien, sinon elle va me gronder, tu la connais », « oui Papi, c’est promis ! ». La Ville sait ces choses-là. Alors lorsqu’elle me parle de la petite crêperie ambulante qui s’installe chaque jour à midi sur la place du marché, elle prend tout son temps pour m’illustrer le moment dans les moindres détails. Et puis. Elle me parle aussi des passants. Des vieux. Des un peu moins vieux. Des plus jeunes. De ceux qui sèchent les cours, parce que la Ville a tellement plus de choses à leur apprendre. De ceux qui traînent des pieds, car ils ont rendez-vous chez le dentiste pour une dent cariée. De ceux qui se prélassent, profitant de leur retraite, sur un banc caressé par les rayons du soleil. Finalement, la Ville me chante les bonjours et les au revoir qui se sont échangés dans ses rues. Elle me chante les bisous et les câlins qu’elle a surpris sous ses arbres dans ses parcs. Elle me dépeint ses rues colorées : calmes au matin, bruyantes durant la pause de midi. Lorsque je rentre à la maison, j’apprends tout un tas d’histoires qui me font glousser. Il s’en est passé des choses pendant que je suis allée bosser. J’aime écouter la Ville. Ma Ville. Mon Amie. Car chacune de ses ruelles, chacun de ses murs, chacune de ses briques a été témoin de scènes palpitantes. De scènes de vie, d’amour et de haine. De scènes de joie, de chagrin, et de peine. Lorsque je rentre du travail, j’assiste donc à un doux murmure de vie. C’est pour cela que j’aime marcher. Car j’aspire à connaître tous les secrets de ces inconnus qui foulent le même asphalte que moi. Ces étrangers qui ne me ressemblent pas, mais avec qui j’ai néanmoins tant en commun. Ce que j’aime lorsque je rentre du travail, c’est… Onde de ferraille. La devanture d’un magasin qui se baisse. Grelots qui chantonnent dans le vent. La porte d’une boulangerie qui s’ouvre une dernière fois pour accueillir une retardataire. La boulangère lui a gentiment accordé une petite prolongation. La cliente se noie dans une vague de merci. Elle prend son pain aux noix et elle s’en va. Merci encore dit-elle à la boulangère. Mais je vous en prie. Grelots qui tintent à nouveau. Lumière qui s’éteint. Le panneau qui arbore fièrement le mot ouvert fait volte-face sur la porte vitrée de la boutique pour annoncer sa fermeture. Un peu plus loin, des enfants bondissent d’une voiture avec des sacs de sport qui font trois fois leur taille, tandis que leur Maman leur hurle de se bouger. Ils sont en retard. Maman est furibonde. Les deux petites têtes blondes s’éloignent d’un pas vigoureux, tête baissée, en espérant que l’entraîneur ne sera pas aussi fâché que leur Maman. Dans une autre rue transversale, le spectacle est un peu plus calme. Un couple d’octogénaire aux cheveux de neige se promènent peinardement, mains dans la main, en papotant gaiement. Je passe devant eux. Bonsoir ! Bonsoir ! me répondent-ils. Echange de sourires. Mon cœur frétille de joie. Je suis comme un poisson dans l’eau. C’est le moment de la journée qui me plaît le plus. Puis, en traversant le dernier parc qui se trouve en face de la ruelle dans laquelle m’attend ma maison, je croise Monsieur. Un chien accompagne toujours Monsieur. À chaque fois que je les croise, c’est-à-dire tous les jours, je me demande si c’est Monsieur qui sort le Chien ou si c’est le Chien qui sort Monsieur. Une question qui me taraude depuis plusieurs mois maintenant. Mais ce n’est pas le genre de question que l’on pose à ses voisins de parc. À ses voisins, tout court. Monsieur Le Voisin de Parc a de grands yeux noisette qui se marient à merveille avec la couleur des sous-bois. Ne me demandez pas comment je sais ça. Il fait la même taille que moi, alors lorsque nous nous disons bonsoir, nos yeux se rencontrent à l’unisson. Son Chien, toujours dans les parages, s’agite autour de nous en manque d’attention. Il aboie. « Rends-moi mon maître », qu’il me dit. Alors le lien magique qui nous unissait l’espace d’un instant se rompt et nous nous éloignons respectivement dans des directions opposées. N’importe qui aurait su initier la conversation intelligemment. Mais je ne suis pas n’importe qui. En tous cas, pas lorsque je me retrouve face à lui. Ce n’est pas que je bégaie. C’est que je ne parviens même plus à prononcer une phrase. Bonsoir est le seul mot qui habite mon cerveau. Mes neurones ne font plus d’effort. J’ai envie de les houspiller. De leur dire : « mais vous vous croyez où, oh ! ». En attendant, nos rencontres se passent comme ça… - - Bonsoir ! Bonsoir ! (Sourire.) Le sourire est le seul outil qui me reste pour tenter de réparer mon faciès à l’air déprimé. Ce n’est pas que je sois déprimée. C’est juste que mon boulot ne me plaît pas. Mais ça, vous le saviez déjà. Comme vous saviez aussi que c’est pour cette même raison que je marche. Pour redevenir un esprit libre. Un esprit capable de virevolter où il le souhaite. Mais ce que vous ne savez pas. C’est que je me suis trompée dans un temps de conjugaison. Il y a quatre phrases, je vous disais : « c’est pour cette même raison que je marche », alors qu’en réalité, j’aurai dû vous dire : « c’est pour cette même raison que je marchais ». Marcher. Marche. Marchais. Je ne pensais pas qu’un jour, la simple vue du mot marchais inonderait mes yeux de larmes. Celles ci, je les contiens. Pas toujours. Mais j’essaie. Marcher. Marche. Marchais. Trois mots qui rendent compte de mes rêves, de qui j’étais et de ce que je suis devenue. Désormais, je me déplace avec difficulté. Ça me pourrit la vie. Bouh. Ça me hante. Alors vous me demanderez : « comment est-ce arrivé ? » Novembre. Ciel caché par un manteau orange de feuilles séchées. Tiède brise qui enveloppe l’air ambiant d’une douceur ineffable. Gargouillis tonitruants. Mon ventre appelle à la rescousse. Il est 12h30. Je sors du grand bâtiment gris dans lequel se trouve mon minuscule bureau. Mathilde m’accompagne. Je ne l’aime pas, et à mon grand désespoir, elle a pris sa pause en même temps que moi. En plus, comme il n’y a qu’un food-truck dans le coin, nous nous dirigeons forcément dans la même direction. Quelle poisse. Silence embarrassant. Un sentiment de malaise nous enrobe. Nous n’échangeons aucun mot. Les quelques mètres que nous devons parcourir semblent interminables. J’ai l’impression qu’à chaque mètre d’avancé, je recule de deux. Puis. Bonjour ! Comme d’habitude ? Oui ! Confusion. Merde. Le vendeur parlait à Mathilde. Rires gênés. Terrible. Arrive mon tour. Je me retourne pour dire à Mathilde qu’elle n’est pas obligée de m’attendre. Vraiment pas. J’insiste. Il ne faudrait surtout pas qu’elle se sente obligée. Elle me regarde bornée. Elle reste. Fait chier. À cause d’elle, je vais devoir retourner manger mon panini au bureau alors que j’aurai préféré rester sur le banc dehors. Mais après tout, qu’est-ce qui m’en empêcherait ? Je n’ai qu’à le lui dire. Je lui dis. Elle plisse tout ce qu’il est possible de plisser sur un visage : front, yeux, nez et bouche, avant d’esquisser un sourire de publicité pour dentifrice et de tourner les talons. Il était temps. Je récupère le panini et m’en vais m’assoir sur mon banc de prédilection. Pour l’atteindre, il me faut trottiner une dizaine de minutes. Mon repas en main, je m’avance vers lui. Quand soudain, je me fige. Mes pieds ne répondent plus aux signaux que je leur envoie. Une sensation de déchirure envahit la partie interne de mes chevilles au niveau de la malléole sans que je ne comprenne pourquoi. Plus tard, les médecins m’interrogeront sur la cause de l’accident. Ce à quoi, je me retrouverai incapable de répondre, puisque ce jour-là, le sol lisse sur lequel je me trouvais n’avait pas même une brindille déstabilisante. Du jour au lendemain, je devenais une personne à mobilité réduite. Une handicapée. J’étais restreinte aux déplacements vitaux. Au strict nécessaire, c’est ballot. Après ça, j’ai dû revoir tous mes trajets. Affronter mes peurs du métro. Renoncer aux promenades dans le parc ainsi qu’à mes échappées au bord du lac. Bref. La seule chose qui illuminait mes journées m’a été enlevée. La vie était devenue grise. Je ne me sentais pas comprise. Les médecins m’ont fait passer plusieurs tests. Une semaine après, on me donnait rendez-vous à l’hôpital… Blanc. Brillant. Blanc brillant. Partout. Au-dessus, au-dessous. Bruits métalliques. Babillage sourd de salle d’attente. Moquette. Pages de magazine vieux de deux mois qui se tournent. Bruits tamisés. Ambiance feutrée. D’un commun accord, alors qu’aucune pancarte ne l’interdit, les patients se parlent en chuchotant. Murmures. Les gens se dévisagent l’air de vouloir entrer en compétition pour savoir qui est le plus malade de tous. Dans ce tableau médical, je cloche. Même si je ne peux presque plus marcher, j’ai l’air en parfaite santé. Je sens des regards accusateurs se poser sur moi. Je ferme les yeux. Arrête, t’es parano. Personne ne te regarde. Pourtant, une sorte de malaise plane dans l’atmosphère. Je le sens. Ou peut-être que je délire ? Puis. Clac. Une porte s’entrouvre pour laisser place à une femme en blouse blanche d’une quarantaine d’années. D’une voix mielleuse, elle prononce mon nom. C’est mon tour. Assise face au médecin, je m’attends au pire. On s’attend toujours au pire. Surtout lorsqu’on vous fait passer tous plein de test, avant de vous laisser poiroter pendant une semaine parce que, m’a-t on dit : « ils sont débordés ». Je vais mourir. C’est sûr. Assise sur une chaise en plastique inconfortable, je serre les poings et retiens ma respiration. J’attends la phrase fatidique. Mais rien. Le verdict ne vient pas. La doctoresse me regarde d’un drôle d’air. Elle me demande si j’ai besoin d’un verre d’eau. Mon visage est devenu tellement pâle que je pourrais presque me fondre dans ce décor sobre et blanc hôpital tel un caméléon. Non, pas besoin d’eau. Je veux juste qu’elle me dise ce que j’ai. Vite. Elle me dit ce que j’ai. J’écarquille les yeux. J’étais tellement persuadée que les médecins m’avaient diagnostiqué une maladie incurable qui allait me laisser agonisante durant des mois dans une minuscule chambre d’hôpital, que lorsqu’elle m’explique que mes tendons sont endommagés et qu’il me faudra juste faire de la physiothérapie durant plusieurs mois, j’ai envie de l’embrasser et de l’étrangler à la fois. Une vague d’amour et de haine m’envahit. Et dire qu’ils m’ont délibérément laissé dans l’ignorance pendant une semaine. Enfin. Délibérément, c’est moi qui le dis. Je tente un sourire. Je n’y arrive pas. J’essaie de nouveau. On dirait que je vais vomir sur la doctoresse. J’abandonne, lui serre la main et finis par m’en aller avec une drôle de démarche de chameau bourré en évitant le regard des autres patients qui me regardent comme si je les avais laissés au pied du podium de l’individu le plus malade. En sortant du bâtiment, je prends une grande inspiration. Pendant quelques secondes, tout semble aller mieux. Il me semble apercevoir une lumière au bout du tunnel que je croyais sans fin. Finalement, mon tunnel n’est pas interminable, mais tout simplement très long. Dans l’air froid du soir, debout devant les portes de l’hôpital, je m’autorise à ne pas perdre espoir. Je pourrai remarcher comme autrefois. Je m’en fais la promesse. Comme si j’espérais une approbation, un écho lointain vient me fredonner une douce mélodie qui embaume l’air d’espoir, d’optimisme et d’une agréable odeur de dimanche après-midi avec les crêpes de chez Papi. Mon odeur favorite. Mais ça, je vous l’avais déjà dit. Je tends l’oreille. J’ai l’impression d’avoir ouï un éclat de rire espiègle. Je crois que c’est ma Ville. Elle essaie tant bien que mal de m’insuffler du courage depuis chaque coin de rue. Et puis. Pendant un temps qui m’a paru infini, j’ai inlassablement répété mes exercices. Ma mission : me remettre sur pieds dès que possible afin de pouvoir parcourir la Ville comme avant. Parfois, je me demande si cet accident inexplicable ne m’est pas arrivé intentionnellement de la part d’une force surnaturelle, jalouse de notre relation entre la Ville et moi. Je ne sais pas. Comme à mon habitude, mon imagination s’amuse à inventer toutes sortes de scénarios improbables. Au cours de ces nombreux mois, mon moral a décidé de monter dans des wagonnets rouges de montagne russe. Il avait envie de s’amuser, j’ai eu envie de l’étrangler. Maintenant, les sensations au plus haut et au plus bas, pas besoin de me les décrire, je les connais comme si je les avais faites. Je suis devenue experte en manèges émotionnels. C’est sympa, cela vous procure des sensations prodigieuses, et en plus, c’est gratuit. Durant ces longues semaines, chaque nuit, je ne rêvais que d’une chose : marcher. J’en suis même venue à me lamenter de ne plus croiser Monsieur Le Voisin de Parc alors que nos conversations se résumaient à de simples formules de courtoisie. Je rêvais de l’odeur de l’herbe fraîchement coupée, du parfum des arbres, de la fragrance du bêton après la pluie. Je rêvais des odeurs de cuisine du monde qui émanaient de toutes les maisons nous rappelant que dernière chaque porte, se cachent d’autres cultures à découvrir. Je rêvais de conversations futiles, de bonjour, de bonsoir et d’au revoir échangés avec des inconnus dont la vie se trouve à portée de main. Tous les jours, nous croisons des tas de gens avec qui, si nous le souhaitions, nous pourrions devenir proches. C’est ici qu’intervient ce que l’on appelle l’alchimie. Le coup de cœur d’amitié, d’amour, de fraternité. Mais nous ne pouvons pas réellement connaître tout le monde. Certains inconnus doivent rester des inconnus. C’est ce qui fait la magie de la Ville. Enfin. Etant donné que je gagnais désormais, comme mes collègues n’avaient cessé de me le répéter, vingt minutes sur mes trajets au quotidien, il a fallu que je me trouve une nouvelle occupation. Attention. Jamais, ô grand jamais, rien ne viendra remplacer le bonheur que me procure mes promenades de fin de soirée après le boulot. Mais rester inoccupée m’apparaissait comme le pire des cauchemars. Alors je me suis mise au tricot. Mes mains s’activaient minutieusement durant des heures à fabriquer toutes sortes de choses. J’étais devenue une grand-mère professionnelle. Le tricot avait l’avantage de m’absorber durant des heures, mettant mes pensées incessantes en veilleuses. Mes mains étaient devenues ma seconde paire de pieds. Mon indispensable. Bref. Trois mois se sont ainsi écoulés. Je vais mieux. Ce n’est pas encore tout à fait ça. Mais je vais mieux. Enfin, je crois. Le contact social me manque énormément. Heureusement, j’arrive désormais à marcher une quinzaine de minutes sans avoir mal aux pieds. Mon travail assidu avec le physio commence à payer. C’est ce qui me permet d’aller au magasin sans douleurs, une fois par semaine, le samedi, pour faire les courses et acheter de quoi tricoter. Ma sortie hebdomadaire. Une mini escapade qui me remet d’aplomb, qui me maintient à flots. Comme chaque samedi, j’ai mon petit rituel. Devant les portes vitrées du magasin se trouve un panneau d’affichage vers lequel je me dirige à chaque fois pour jeter un coup d’œil aux nouveautés. Ce n’est pas que je sois à la recherche de quelque chose de nouveau. Mais bon, qui sait ? Peut-être qu’un jour j’y trouverais une annonce pour un job de rêve qui me permettrait de démissionner de mon travail tant détesté. Mais comme chaque samedi, je ne vois rien. Je me retourne et m’avance donc pour prendre un caddie. Soudain. Je réalise. Je rebrousse chemin. Ne vous faites pas d’illusion, il ne s’agit pas d’un nouveau travail. Ça aurait été trop beau. Mais sur un petit papier rose, une écriture en liée très coquette me tape à l’œil. Je souris de bonheur. C’est une annonce pour un club de tricot. Il y est écrit avec humour que même si la majorité des participants ont un âge moyen de huitante ans, les plus jeunes sont aussi les bienvenus. Je décide de prendre le papier en photo. Lorsque plus tard dans la soirée, j’appelle le numéro de contact qui y est inscrit, une charmante voix toute guillerette m’accueille au bout du fil. Elle s’appelle Thérèse. Elle a l’air ravie de savoir que j’ai moins de trente ans. D’ailleurs, quand je lui dis mon âge, j’ai l’impression de lui avoir annoncé qu’elle vient de gagner au loto. Elle m’explique que les réunions ont lieu les dimanche après-midi dès 16h et que le groupe a tendance à prendre un goûter tout en papotant, avant de tricoter toujours en papotant. Je suis aux anges. C’est exactement ce dont j’avais besoin. Avant de se dire au revoir, elle me dit de passer sans autre le lendemain. Je raccroche, un sourire aux lèvres. Je passe le reste de la soirée comme sur un nuage. Je le sens, c’était le destin. Lorsque j’arrive dans le local où ont lieu les réunions, je me retrouve face à face avec une horde de Mamies pipelettes. Elles s’activent dans tous les sens pour que tout soit prêt à 16h. L’endroit a été aménagé comme un salon douillet. Plusieurs canapés, fauteuils et chaises sont disposés dans un désordre organisé un peu partout. Une table se dresse au fond du local contre la fenêtre avec tout un tas de pâtisseries, de madeleines et de gâteaux. Ça sent le beurre noisette. Ça sent le réconfort. Avant même que je n’ai eu le temps de me présenter, de nombreuses vieilles dames viennent me saluer. Avides d’en savoir plus sur moi, elles me passent au crible fin. Je ris. Au loin, je vois même quelques vieux messieurs qui sont là. Ils sont peu mais ils sont heureux de faire partie de toute cette agitation. Ils arborent fièrement des pulls aux drôles d’allures qu’ils ont eux-mêmes tricotés. Puis, il est 16h. Une fois l’heure du goûter passée, tout le monde s’installe, son tricot en main et se met à travailler. Quelques retardataires arrivent encore. Quand soudain. Surprise. Stupeur. Joie. Incompréhension. Mille émotions me traversent en une seule seconde. Mes yeux s’écarquillent. Percussions. Mon cœur tambourine contre ma poitrine. Mes mains deviennent moites. Ma respiration, friande d’oxygène, en veut plus. Toujours plus. J’essaie de me calmer. Impossible. Qu’est-ce qui me prend ? Il faut que je me calme. Calme-toi. Les gens autour de moi ne semblent pas le voir, mais moi je ne vois que lui. Il est entré dans la pièce, un sac de course emplie de laine à la main. « Bonjour tout le monde ! Désolé pour le retard ! » qu’il dit. Son regard fait le tour de la pièce, puis nos regards se croisent. Monsieur Le Voisin de Parc est là. Son chien l’accompagne. La scène semble lunaire, je n’en crois pas mes yeux. Je lui souris. Tout aussi surpris de me croiser ici, il me sourit, amusé. Est-ce un cadeau de ma Ville ? Un hasard de comédie romantique ? Décidément, en ce moment elle me joue de sacrés tours… Et voilà. C’est comme ça que cette histoire qui était partie du mauvais pied, c’est plutôt bien terminé.
Et voilà ! Nous arrivons à la fin de cet épisode. Je vous remercie d’avoir écouté cette histoire.
Si, vous aussi, traversez une période difficile, quelle qu’elle soit, je vous souhaite beaucoup de courage. N’oubliez pas que certaines choses prennent du temps pour aller mieux.
J’espère que vous avez passé un bon moment. Si c’est le cas, n’hésitez pas à me laisser un retour, je serai ravie de vous lire.
Je vous souhaite une bonne semaine ! C’était Xulia et vous avez écouté Carpediem.
Bye !