- Speaker #0
Bonsoir, cette semaine c'est un moment exceptionnel, historique, car conversation chez La Pérouse n'est pas chez La Pérouse. C'est une conversation dans la creuse au domicile de Pierre Michon qui publie une pièce de théâtre, Agéladas d'Argos chez Flammarion. Chaque semaine je demande à mes invités qui est le plus grand écrivain français vivant. votre nom revient souvent. Et donc c'est un grand...
- Speaker #1
Il n'en vient pas toujours !
- Speaker #0
Non, pas toujours ! Pierre Michon, bonsoir. Merci de nous recevoir chez vous, dans la Creuse, à votre domicile, pour la deuxième fois. On s'était vu cette année. Mais vous êtes très prolifique et du coup... On revient ? On ne vous dérange pas trop ? Non.
- Speaker #1
Pas du tout, pas du tout. C'est qu'on allait voir Valarmé tous les six mois, en tous les six ans.
- Speaker #0
Oui, c'est vrai.
- Speaker #1
Maintenant, c'est comme si j'étais Victor Hugo. On vient me voir tous les trois jours.
- Speaker #0
Mais alors, je me suis dit, la barbe, là, c'est pas pour ressembler à Victor Hugo, justement ?
- Speaker #1
Pour faire joli, je dirais bien que oui, mais vous savez, il a eu la barbe tardivement.
- Speaker #0
Ah oui, mais vous aussi ?
- Speaker #1
Ah oui, à mon âge, il vous fait l'épicendie par la ratille, depuis un temps qu'à votre temps. Il est mort en 85, il avait 80. Et non, à mon âge, il était vivant !
- Speaker #0
Ah ben alors, vous voyez !
- Speaker #1
Non, non, c'est parce que c'est moins fatigant. Il n'a qu'à laisser pousser.
- Speaker #0
Mais ce n'est pas par hasard pour ressembler à ce type-là, un guerrier grec ?
- Speaker #1
Oui, d'ailleurs le grec qui a fait la photo, enfin la statue. Il m'a téléphoné, maintenant je fais comme Stolzéos, je dis tout le temps il m'a téléphoné. Il m'a téléphoné hier, il m'a dit ça t'a pas gêné que je te fasse des dents plus longues que les tiennes ? Je dis pas du tout, au contraire.
- Speaker #0
Bon alors c'est une pièce de théâtre, Agélados d'Argas, qui est publiée chez Flammarion. Dans une collection, en fait, cette collection, il y a une contrainte, c'est de choisir une œuvre d'art et d'écrire à partir de cette œuvre d'art. Par exemple, il y a eu Marie-Hélène Laffont qui a écrit sur Cézanne ou Philippe Forest qui a écrit sur Shakespeare.
- Speaker #1
Il y a un beau livre de Yannick Haenel sur le Caravage.
- Speaker #0
Voilà. Et donc là, Michon choisit... Agéladas Dargos, sculpteur, réel ou inventé ?
- Speaker #1
Réel, mais très peu attesté. Il est attesté seulement classiquement, par son nom, sur un... un débris de bronze à l'endroit où les sculpteurs d'habitude mettent leur nom. Mais il est connu aussi par des... Des recherches sur Agélalas Ier, qui était son grand-père, et dont les chercheurs disent sans cesse, c'est le grand-père du célèbre Agélalas. d'Argos, les chercheurs grecs, enfin les amateurs, mais il a existé, aucun doute. Tout le monde dit par exemple qu'il a été réellement le maître. le maître ouvrier de la grande génération Phidias, Miron
- Speaker #0
Polythèque, enfin les grands grands mais quand même pour une année 2025 vous avez fait en début d'année un dialogue avec Homer j'écris l'Iliade et là en fin d'année vous discutez avec Echille à propos de ce sculpteur ... Euh... qui vous gêne dans les 2500 dernières années, qui ne vous intéresse pas, et qui fait que vous allez toujours chercher 2500 ans en arrière.
- Speaker #1
2500 ans en arrière, pour cela, si j'avais fait des textes comme Abbé, ou comme Léonce, ça aurait été moins, 11,
- Speaker #0
11 pareil 11 c'était passé en 1794 oui mais c'était l'installation de la république en France
- Speaker #1
Cette période n'est pas n'importe laquelle. C'est le moment où la Grèce invente tout, en fait, le logos, mais notamment invente la notion de démocratie en politique. Donc, c'est chez nous. Et il pillaille sans cesse sur le sens de la République. alors qu'il l'ont. la tyrannie, enfin, la royauté, ils appellent ça la tyrannie, ou la république, c'est les deux seules formes de gouvernement, dit Aristote, avec, enfin, des gouvernements d'hommes libres, parce que la grande majorité sont des esclaves, et les esclaves, Aristote se demande si c'est vraiment des hommes.
- Speaker #0
C'est un hasard, mais déjà la semaine dernière, je recevais Michel Onfray pour parler d'une histoire philosophique de l'Occident. Il ne parlait que de l'Antiquité. Et là, vous aussi, Pierre Michon, ça vous passionne. Et là, il y a beaucoup d'humour. Parce que vous passez beaucoup de temps à dialoguer. Il y a un personnage qui s'appelle Michon, qui discute avec Échille, avec Apollon. oui
- Speaker #1
Apollon d'ailleurs, qui n'est qu'un dieu, a du mal à dire son nom. Il l'appelle Mison. Ou bien il fait l'intéressant. C'est Apollon, vous savez. Il est malade.
- Speaker #0
Mais je me demandais, comme vous avez eu ces problèmes de santé il y a quelques années, vous avez failli mourir, est-ce que dans cette période-là, Vous les avez rencontrés, tous ces Grecs-là ? Oui. Oui, c'est ça. Et donc, en fait, maintenant que vous êtes revenus à la vie, vous nous rapportez les discussions que vous avez eues avec eux.
- Speaker #1
Notamment, quand j'étais au plus bas, en train de faire un petit hôpital près d'ici, je ne pouvais plus rien lire que quelques polars et un tas. Et j'ai pu relire la grande trilogie de Sophocle sur les fils d'Échille, sur ce dont il est question, dans l'Échille, pas dans les Perses, dans les sept contre-thèmes.
- Speaker #0
D'accord, et là c'est le sujet. Je voudrais raconter comment on s'est connu. Parce que nous, on s'est rencontrés à la remise du Grand Prix de la Bibliothèque Nationale de France. C'était en 2022. Moi, j'étais membre du jury et vous étiez le lauréat. Et puis, vous aviez cette machine à respirer, le respirateur artificiel. Et donc je vous ai dit que vous me faisiez penser à Dark Vador. Alors ça vous a fait rigoler, on a sympathisé. Et là je trouve dans le dernier, dans cette pièce de théâtre qui se passe dans l'Antiquité, Dark Vador est cité souvent. Oui. Pourquoi ? Parce que Star Wars, c'est la même chose que Homer. Oui,
- Speaker #1
je crois que le personnage inventé par je ne sais qui dans l'équipe de... Pixar, c'est ça ?
- Speaker #0
Maintenant, ça leur appartient. Ça appartient à Disney, maintenant. Mais à l'époque, c'était George Lucas.
- Speaker #1
Ce personnage est une invention fabuleuse qui rejoint dans sa puissance la mythologie des dieux antiques. Il a quelque chose d'une divité noire antique.
- Speaker #0
Et avec sa respiration, qui impressionne beaucoup. Donc ce surnom ne vous dérange pas si je vous dis que vous êtes le Dark Vador, voilà, le Dark Vador des lettres françaises ?
- Speaker #1
Pas du tout.
- Speaker #0
Ça ne vous dérange pas ? Très bien. Mais c'est vrai que ça vous donne un style quand même. C'est assez remarquable.
- Speaker #1
Qu'est-ce que vous voulez filmer comme ça après ?
- Speaker #0
Ça ne nous dérange pas, nous. Ça ne nous dérange pas. Est-ce qu'il est bien mis, là ?
- Speaker #1
Je crois.
- Speaker #0
L'appareil est bien mis ? Ok.
- Speaker #1
Ça me donne un petit côté pharaonique.
- Speaker #0
Mais c'est impressionnant. Oui, oui, c'est impressionnant.
- Speaker #1
Je suis leur pardon. Oh !
- Speaker #0
Je suis ton père ! Vous n'êtes pas mon père.
- Speaker #1
On ne sait jamais, j'ai les grecs.
- Speaker #0
Vous, votre père, vous ne l'avez pas connu.
- Speaker #1
Non.
- Speaker #0
Il a quitté votre mère quand vous aviez deux ans.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Et vous ne l'avez jamais vu de votre vie.
- Speaker #1
Si.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Il est venu voir ma mère. Quand j'étais à l'école primaire, un jour d'école, je suis sorti, ma grand-mère est venue me chercher à l'école, et ma mère m'a dit, j'ai dit bonjour monsieur, un homme en larmes avec ma mère, et ma mère a dit, dit bonjour papa, j'ai dit bonjour papa. Je ne m'en suis pas laissé de trace extrêmement fort.
- Speaker #0
C'était la seule fois ?
- Speaker #1
C'était, oui.
- Speaker #0
Votre jeunesse est quand même assez dissipée, puisque vous faites un peu des études de lettres, et puis vous voulez être écrivain, et vous n'allez être publié qu'à 40 ans. Donc il y a eu quand même 20 ans. En gros, vous avez attendu de pouvoir écrire les vies minuscules ? Donc vous n'avez un peu rien foutu pendant 20 ans, c'est ça ?
- Speaker #1
J'écrivais. Le désir d'écrire était en moi. Je ne m'en ai jamais quitté depuis que j'avais 12 ans. Mais je pensais que ça m'était impossible, que ça ne m'était pas dû, que j'étais trop nu. Et j'ai vécu, vous savez, quand on est un jeune homme qui n'est pas laid de sa personne, qui en plus veut être écrivain, dont le discours est brillant, les dames n'y sont pas insensibles, et les dames, qui en général, gagnent de quoi vivre pour une personne. Gagner c'est vivre pour deux, si elles aiment.
- Speaker #0
Donc vous avez été un peu soutenu par les femmes.
- Speaker #1
Exact.
- Speaker #0
Et vous étiez d'ailleurs dans le théâtre à cette époque-là, vous faisiez du théâtre.
- Speaker #1
Pendant deux ans. Mais ça a capoté par ma faute, parce que vraiment c'était... toutes les fois qu'on se revoit, on en parle, c'était une petite troupe qui s'est installée à Clermont-Ferrand avec pour tout salaire, par comédien, un carnet de tickets de restauration.
- Speaker #0
Ah oui !
- Speaker #1
Et une petite baraque qui nous prêtait.
- Speaker #0
Mais il a fallu attendre jusqu'à 80 ans pour écrire du théâtre pour la première fois.
- Speaker #1
Oui, oui, oui.
- Speaker #0
C'est quand même... Alors qu'à l'époque déjà, vous jouiez quelle pièce ?
- Speaker #1
quelles pièces ? c'était souvent des pièces engagées parce qu'à l'époque j'étais gauchiste ah d'accord donc j'ai joué du Brecht non ? on a joué du Brecht on a joué le plus célèbre Beckett en tiroir oui mais oui on a joué aussi Dupont engagé Beckett Goldoni euh comment il s'appelle
- Speaker #0
Gorky donc vous êtes quand vous avez décidé d'écrire cette pièce de théâtre est-ce que vous avez repris Pensez à ces années de jeunesse où vous rêviez d'être acteur de théâtre.
- Speaker #1
Je n'ai pas rêvé d'être acteur comme j'ai rêvé d'être écrivain. Mais je me disais, si ça marche. Or, ça n'a pas marché par ma faute, parce que pendant... On s'était installé à Annecy et pendant cette période, je me suis fâché avec Françon, qui était Françon. Ah, Françon, oui, bien sûr.
- Speaker #0
Qui s'est occupé de l'Odéon.
- Speaker #1
Et toutes les fois que je le revois, on se dit « qu'est-ce qu'on a été, les cons ! »
- Speaker #0
Mais en fait, en gros, vous étiez un... Est-ce qu'on peut dire un autodidacte qui veut devenir écrivain, n'y arrive pas, et du coup, vous buviez, vous étiez assez violent.
- Speaker #1
Oui, j'ai eu une période de camp violent. D'ailleurs, toute ma jeunesse, je peux dire, de 18 à 30 ans, jusqu'à ce que je rencontre une femme qui, elle, de façon... Le tueur-lord en Thaïlande aussi m'a dit « Tu vas écrire. Maintenant. » Et bien, j'ai été une grande tueur-lorde. Je cassais tout. Chez les gens, j'avais ce défaut que tout à coup, je ne m'en prenais jamais aux personnes. Puis elles s'en prenaient à moi. Et ça allait bien, je les baisais. Je m'en prenais en sa pluie. Je prenais ce pot de fleurs, je l'étais par terre.
- Speaker #0
Mais c'est raconté dans les vies minuscules, votre premier livre. Parce qu'il y a une scène de bagarre où vous vous faites casser la gueule par un type et vous vous retrouvez à l'hôpital. Et là, à l'hôpital, vous avez un camarade dans votre chambre. Un type très malade qui a un cancer, qui est incurable, et qui refuse d'être soigné, et qui dit « je suis un illettré » . Et vous avez eu l'idée à ce moment-là d'écrire sur ces personnes dont l'histoire n'était jamais racontée.
- Speaker #1
C'est l'histoire d'un écrivain, ou ça ?
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Ça m'a nié. Il ne veut pas guérir parce qu'il ne sait pas écrire.
- Speaker #0
Oui, c'est ça. Et peut-être que toutes ces vies minuscules, vous vous êtes dit « Tiens, c'est ça le livre que j'attends depuis 40 ans. » Il vous manquait un sujet ? Vous aviez le style, mais vous n'aviez pas le sujet.
- Speaker #1
Je n'avais pas. Je ne savais pas. Un soir, j'étais reçu chez une amie, Annie Desfosse, à qui je dois beaucoup de soins. Enfin bon. Et un soir, vers 7 heures, je me dis, tiens, à quelle occasion ? Je ne sais pas. Une occasion me fait penser au colonialisme à l'ancienne. Du coup, je me dis, tiens, qu'est-ce qui ressortait des anciens colons français quand ils maltraitaient la population ? Est-ce que c'était comme Aristote avec les esclaves ? Ou est-ce qu'ils leur prêtaient une âme ? Et là je me suis dit, il y en a un que tu as bien connu, non, dont ta grand-mère t'a beaucoup parlé.
- Speaker #0
C'est l'orphelin.
- Speaker #1
André Dufourneau.
- Speaker #0
André Dufourneau, qui est le premier des Vies minuscules.
- Speaker #1
J'ai écrit cette Vie minuscule en une heure, sans une rature. J'ai retrouvé le... Le manuscrit.
- Speaker #0
Oui, mais pardon de vous interrompre, maître, mais ce n'est pas une heure, c'est 40 ans. C'est en 40 ans de macération, de douleur, de frustration, de ne pas y arriver, et tout d'un coup, en une heure, le truc sort. Non, vous ne croyez pas ?
- Speaker #1
Comme le café, vous savez, de la caféine, l'antichorol, ça...
- Speaker #0
Oui, oui, bien sûr, oui, le... Je ne sais pas comment on peut dire la substantifique moelle de l'acme du café. Oui,
- Speaker #1
oui. Les vies minuscules qui ont suivi, ont suivi, il m'a fallu trois ans pour écrire les vies minuscules. J'ai six mois, des fois je les ai passés un an, et il y en a qui m'ont pris une heure, et d'autres un mois, ou deux mois.
- Speaker #0
Non mais pour les gens qui nous regardent et qui rêvent d'écrire, ce qui est fou, c'est que vous n'ayez jamais laissé tomber, parce que vous auriez pu renoncer. Vous n'avez jamais renoncé ?
- Speaker #1
C'était mourir. Or, je ne suis pas suicidaire du tout.
- Speaker #0
C'était comme d'ailleurs le personnage qui part en Afrique, qui dit « je vais devenir riche ou mourir » . Et c'était un peu votre cas aussi.
- Speaker #1
C'était exactement moi.
- Speaker #0
Oui, oui.
- Speaker #1
J'étais un colon de l'entre-deux-guerres.
- Speaker #0
Qu'est-ce qui vous attire tant chez ce bel et faible musclé, barbu ? Qu'est-ce qui vous plaît ? En gros, c'est un type, c'est un guerrier, il tue tout le monde. Qu'est-ce qui vous plaît dans le fait de parler de ce Tidé, ce guerrier qui tue tout le monde ?
- Speaker #1
Quelques mots d'abord sur Tidé dans l'Antiquité. Il est surtout connu par... par Homer parce que c'est le père d'un des plus vaillants guerriers du côté grec, qui est Diomède. Et Diomède, on peut dire qu'en force, c'est le deuxième. après Achille bien entendu et souvent Homer l'appelle le Tidéide le fils de Tidé c'est tout ce qu'on sait de lui pour l'antiquité à part le texte d'Échille qui s'appelle les cinq contre Thèbes et Sophoque après dans dans sa trilogie.
- Speaker #0
Mais vous vous êtes dit, là aussi il y a une vie qui n'est pas racontée. Et donc c'est pour moi, puisque vous êtes le spécialiste, des vies qui ne sont pas racontées.
- Speaker #1
Oui. Oui, ce type m'a violemment attiré aussi parce que ses photos, enfin ses photos...
- Speaker #0
La statue.
- Speaker #1
Les photos de la statue. Par hasard, il y a 30 ans, peut-être davantage, je suis tombé chez Giber en occasion d'un superbe livre de photographie de ces deux statues. Et j'ai été tout de suite stupéfait. Même sans la moindre homosexualité, vous avez une sorte de fascination qui tient d'Eros, qui tient de...
- Speaker #0
La beauté grecque ! C'est la...
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Ah ben, il est fort, il est beau, il est mince, il est grand.
- Speaker #1
Mince ?
- Speaker #0
Ah ben, il est musclé quand même, oui, c'est vrai.
- Speaker #1
Attendez, les fessiers, la puissance de Coudrin.
- Speaker #0
de ces garçons de Vestre Pierre, pas de familier j'ai complètement oublié que je dois vous offrir un livre d'images parce que vous avez parlé d'album de photos ce livre Paris by Paris c'est mon cadeau parce que je suis le père Noël c'est aux éditions Assouline et j'ai fait la préface et il y a des photos de Paris comme vous n'allez plus à Paris c'est un moyen de retourner quand même dans cette capitale vous avez vécu longtemps
- Speaker #1
Comment ?
- Speaker #0
Vous avez habité à Paris longtemps ?
- Speaker #1
Pas longtemps, deux, trois ans.
- Speaker #0
Ah bon, je t'en ai dit plus, parce que vous racontiez ça, vos pérégrinations autour du Luxembourg.
- Speaker #1
Je connais bien Paris, parce que j'étais sans arrêt. J'avais des tas de chambres, soit de ma famille, soit d'amis, à ma disposition quand j'arrivais. J'avais des clés.
- Speaker #0
Est-ce que écrire sur l'Antiquité, deux fois cette année, Ce n'est pas aussi le plaisir d'écrire à la racine, à la Jean Racine. Je veux dire, bien sûr, vous connaissez ce qui est le plus beau vers de la langue française, La fille de Minos et de Pasiphae, mais vous en faites aussi, par exemple, page 36, Chez toi, foibos, soleil de la nuit. Des cas syllabes. C'est-à-dire qu'on sent que vous avez envie...
- Speaker #1
Je crois que... Le soleil de la nuit est un hémistiche de racines.
- Speaker #0
Ah ben vous l'avez piqué ! Oui. Ah ben voilà.
- Speaker #1
Je pique.
- Speaker #0
Mais est-ce que vous avez vu le film de Sorrentino, le dernier, qui s'appelle Parthénope ?
- Speaker #1
Non, tout le monde me dit.
- Speaker #0
Il faut que vous voyez ça.
- Speaker #1
Oui, oui.
- Speaker #0
Parce que c'est sur la modernité de l'Antiquité. Et la fille qui joue Parthénope, qui s'appelle Célesta... Dalla Porta, je peux vous dire que c'est autre chose que Sidney Sweeney, c'est vraiment... Ça mérite d'être vu, le dernier Sorrentino. Il y a du sexe dans Agéladas d'Arcos, il y a plusieurs...
- Speaker #1
Il y a un peu, oui. Il y a une scène de... Seuls ceux qui n'ont jamais entendu ne savent pas que je suis SM. Il y a une petite scène de flagellation.
- Speaker #0
Il y a une fille nue qui est fouettée. Il y a deux sœurs qui sont attelées comme des chevaux. Ah oui. Qui tirent un char. Qui tirent un char, nue également.
- Speaker #1
Il y en a une qui aime ça.
- Speaker #0
Écoutez, il y a écrit, je vais le dire, page 64. Page 64. Il nous a mis le harnais sur la nuque. C'est lourd, mais dans mon rêve, je tire vanité de cet accoutrement et offre ma bouche toute docile aux rênes. Ma sœur, au contraire, trépigne sous le joug intolérable et Aristée empoigne à pleine main son delta. Non, c'est pour dire que je ne suis pas sûr. Cette pièce de théâtre, vous voulez qu'elle soit jouée vraiment ?
- Speaker #1
Je voudrais qu'elle soit jouée.
- Speaker #0
Oui ?
- Speaker #1
Je l'ai fait passer à François, à Potalides, à Brunsweg, à l'évêque. Oui. et tous me disent c'est vachement bien littérairement mais c'est difficile à jouer etc ce sont des monologues je leur dis mais avec les moyens de maintenant avec des hologrammes et tout ça il n'y a rien de plus facile à faire et l'évêque Parle de le faire.
- Speaker #0
Ce serait bien. Il y a tout. Comme dans « J'écris l'Iliade » , il y a l'amour et la guerre. Le mélange des deux. C'est les deux grands sujets de la littérature depuis toujours.
- Speaker #1
Mais la guerre que fait-il ? Oui. Et la guerre que faisaient les guerriers antiques ? Relève, je l'ai dit tout à l'heure, relève de l'érotique. Dans ce combat, en... comment ils appelaient ça ? En nul... le nul... Le nu héroïque. Ça s'appelait la tenue, le nu héroïque, c'est-à-dire nu. Il y a de l'affrontement sexuel. Ça se vit.
- Speaker #0
Je ne vais pas raconter la fin de la pièce.
- Speaker #1
dans la mer,
- Speaker #0
dans la solide dans tout l'essentiel mais est-ce qu'aussi c'est pas pour dire qu'il y a une actualité dans ce retour de la guerre c'est vrai, aujourd'hui on le voit partout en Israël, en Ukraine il y a un retour de cette folie ce que Heidegger appelait l'être pour la mort si vous écrivez là-dessus c'est peut-être aussi parce que l'atmosphère s'y prête
- Speaker #1
Oui, oui, elle s'y prête et je n'y suis pas favorable, je ne suis pas belliciste. Mais ce que je voudrais dire c'est que la guerre telle que la font maintenant, les allumer, enfin allumer comme était Tidé ou Achille, c'est-à-dire les...
- Speaker #0
Les soldats ?
- Speaker #1
Les soldats, dans l'âme, le guerrier. Il existe quelque part un prototype patholicien du guerrier, comme il y a celui du poète en l'homme. Et bien, ils n'y prennent plus ce plaisir à cause de la technique, parce qu'ils tuent de loin.
- Speaker #0
Ah, ils tuent sur des écrans, avec des drones et oui.
- Speaker #1
Et même quand ils tuent, c'est quand même, depuis l'arme à feu, c'est quand même très différent du maniement de la lance. Puis l'arc, c'est différent.
- Speaker #0
Mais aussi, vous êtes presque mort il y a cinq ans. Est-ce que là, vous n'aviez pas eu envie d'écrire sur cet affrontement entre la vie et la mort aussi ?
- Speaker #1
Oui, oui. Dans, comment dire, c'est un affrontement entre le oui et le non. Dans le oui. Le Winnitien sort toujours vainqueur. Même dans cette pièce où on bouffe des cervelles, qu'est-ce qu'il en reste finalement ? Qu'est-ce qu'il reste à ce prégnant ? Sinon la charité d'une vieille esclave. Et comment elle s'appelle ? Je ne sais plus, enfin la vieille esclave de trèfle. C'est le sujet de la pièce.
- Speaker #0
Mais le sujet de la pièce, c'est aussi la beauté. C'est-à-dire, vous dites plusieurs fois, vous citez d'ailleurs un vers de Baudelaire, « Oh, beauté, monstre énorme, effrayant, ingénue ! » Et il y a quelque chose... un lien entre la beauté et la férocité, chez vous ?
- Speaker #1
Oui, oui. D'ailleurs, quand j'écris, je suis féroce. Je suis féroce.
- Speaker #0
Vous n'avez pas l'air comme ça.
- Speaker #1
Je me sens féroce quand j'écris. Il y a un lien, mais ça n'est pas l'envie de tuer.
- Speaker #0
Non, mais écoutez, je vous cite. Vous dites, la beauté, cette idée, ce personnage de guerrier, cette idée pataugeant dans ses tripes en mangeant une cervelle d'homme. Ça, c'est votre définition de la beauté.
- Speaker #1
C'est la définition qu'en donne Corentin, le peintre des onze. Oui,
- Speaker #0
oui, oui. Bon, c'est pas vous. D'accord. Mais Léonce, donc j'explique Léonce...
- Speaker #1
Pour Anta, c'est un type qui voulait qu'on coupe des têtes. Oui,
- Speaker #0
Léonce c'était le comité de salut public pendant la terreur de la Révolution française, vous avez écrit un livre...
- Speaker #1
C'est une situation semblable, c'est une situation grecque. Quasiment grec. D'ailleurs, eux-mêmes disaient, comment dire, il n'y a jamais eu, c'est injuste, on n'a jamais vécu, il n'y a jamais eu de république qu'à Sparte.
- Speaker #0
Cette question-là, on dirait qu'elle vous plaît parce que vous voulez compliquer votre postérité. Je m'explique. Vous aviez pendant longtemps une image d'écrivain provincial qui parlait de la campagne, que ce soit avec les vies minuscules et puis certains des livres qui ont suivi, notamment les Beun, la petite Beun.
- Speaker #1
C'est pas rural. C'est une histoire de cul.
- Speaker #0
Histoire d'amour. Mais ça passe à la campagne. passe en Dordogne. Bon, et donc du coup, là, cette année, j'écris l'Iliade, puis la pièce de théâtre, vous corrigez un peu cette image avec de la férocité, de la guerre. Est-ce que je me trompe ?
- Speaker #1
C'était une légende, vous savez. Après les vies minuscules, il y a eu une pléiade de limousins de toutes sortes qui m'ont pompé.
- Speaker #0
Vous pensez à qui ?
- Speaker #1
A personne.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Donc, ceux qui m'ont pompé et qui m'ont établi parmi les écrivains. La principale source de vente d'un écrivain littéraire comme moi, c'est les écrivains littéraires, très doués parfois, mais mauvais en littérature la plupart du temps, et invendus, qui voudraient trouver comment vendre. Ils ont décalqué leur image sur la mienne.
- Speaker #0
Vous croyez ? Il faut être un misanthrope provincial mystérieux. Ce que vous n'êtes pas, puisqu'on débarque chez vous.
- Speaker #1
Mais j'avais cette réputation. Je l'apprends depuis cinq ans. La réputation d'un gars, on ne pourrait pas aller voir... T'es tais-eux, tais-eux. T'es tais-eux.
- Speaker #0
Bon, Pierre Michon, écrivain très sérieux, vous avez cité, page 94, dans cette pièce de théâtre qui se passe il y a 2500 ans, The Gutter Twins, qui chante Idle Hands. Alors, voilà la musique d'écoute Pierre Michon.
- Speaker #1
C'est la première fois que je l'entends.
- Speaker #0
C'est bien.
- Speaker #1
Vous ne m'avez pas connu. Combien de fois que j'entends.
- Speaker #0
Ah bon ?
- Speaker #1
Tres de fois. Ah oui.
- Speaker #0
C'est pas mal.
- Speaker #1
Toujours. Ouais.
- Speaker #0
C'est... C'est une musique un peu guerrière, de toute façon ça va bien. Non mais ça va bien.
- Speaker #1
C'est ce qu'il chantait avant la bataille de Marathon.
- Speaker #0
C'est ce qu'il chantait sûrement avant la bataille. D'ailleurs, la bataille de Marathon à laquelle Échille lui-même a pris part.
- Speaker #1
Il avait 17 ans.
- Speaker #0
Oui. Vous dites qu'il ressemblait à Humphrey Bogart.
- Speaker #1
Ça m'a pris un peu.
- Speaker #0
Mais, bon, j'explique un petit peu.
- Speaker #1
On le sait de lui, avec certitude, parce que vraiment tous le répètent avec tous ses contemporains, qu'une chose vraiment forte, c'est qu'il était chauve. Donc, s'ils le disent, c'est qu'il a été chauve de très bonne heure.
- Speaker #0
Oui. En exergue d'un de vos livres, Pierre Michon, vous citez Balzac, « Tu pourras être un grand écrivain, mais tu ne seras jamais qu'un petit farceur » . Vous aimez bien les farces. Les Onze, le livre qui a eu le grand prix du roman de l'Académie française, votre livre, c'est un livre qui a eu le grand prix du roman de l'Académie française. votre livre sur la révolution, ça parlait d'un tableau qui n'existe pas.
- Speaker #1
Oui, mais c'était une farce qui me faisait pleurer quand j'écrivais.
- Speaker #0
Mais je vous crois, bien sûr. Vous faites sérieusement des farces. Là, quand vous parlez d'Échille et que vous citez des groupes punk et le comparez à Humphrey Bogart, c'est du même ordre d'idée, disons. J'avoue que je ne sais même pas si Tidé, ce n'est pas quelque chose que vous auriez totalement inventé.
- Speaker #1
C'est encore plus fantaisiste dans ce livre-là.
- Speaker #0
Parce qu'il n'y a pas une grande différence entre mythologie et mythomanie. C'est votre réponse ?
- Speaker #1
Mais non, mais en quoi suis-je mythomane ?
- Speaker #0
Je ne sais pas, on sent que vous vous amusez, que vous aimez bien un peu faire des facéties.
- Speaker #1
Oui, mais je ne suis pas mythomane, je ne raconte pas, je ne me vante pas.
- Speaker #0
Non, non, non.
- Speaker #1
C'est au moins... Je n'ai pas dit ça,
- Speaker #0
je n'ai pas dit ça. Mais le message du livre... D'abord, est-ce que les livres doivent avoir un message ? Je ne suis pas sûr. Qu'en pensez-vous ?
- Speaker #1
Oui. Toute parole échangée est un message adressé à l'autre, donc un livre aussi.
- Speaker #0
Mais là, le message, est-ce que ce n'est pas qu'il n'y a pas d'antiquité, que le bronze de la statue, il est encore vert aujourd'hui ?
- Speaker #1
Oui, c'est un des messages. Et puis aussi celui sur lequel vous insistez de la nécessité absolue de la beauté artistique, c'est-à-dire que l'homme puisse produire. des artefacts qui soient comme des objets de nature, comme des arbres ou des rochers. C'est ça une grande œuvre. Si vous regardez, par exemple, moi, les rares fois où j'ai vu le David de Michel-Ange, je suis... C'est venu tout seul, ce n'est pas possible, ce n'est pas un mec qui a fait ça.
- Speaker #0
Oui, et je précise que cette collection s'appelle « D'après » et qu'il y a la contrainte de prendre une œuvre du passé pour... pour en donner sa version. Vous traitez beaucoup des sujets de l'Antiquité parce que vous pensez peut-être que ce sont les premières et les dernières histoires qui ont été racontées, et qu'il n'y a pas besoin d'en inventer de nouvelles.
- Speaker #1
C'est ça qu'ont fait tout l'Occident. Les nouvelles, il faudra les chercher, en ce qui me concerne, en Chine ou au Japon. dans cette pensée-là, sur laquelle je me suis assez documenté aussi, et je crois que je le ferai.
- Speaker #0
Vous parlez à un moment d'un merle, vous dites le merle plagie le rossignol, c'est-à-dire, c'est vrai ça ?
- Speaker #1
C'est vrai.
- Speaker #0
Le merle ?
- Speaker #1
Le merle a un chant qui est un appel à l'amour, le merle mal, mais il chante. comme le moineau, comme le champ de mâle, les femelles, ça ne marche pas.
- Speaker #0
Ça ne marche pas ?
- Speaker #1
Alors, ils imitent des tas d'oiseaux jusqu'à ce que ça marche. S'il a la chance d'entendre un rostignol qui est... méridique, alors là les filles...
- Speaker #0
Et donc vous pensez que le rôle de l'écrivain c'est de faire comme le merde ? C'est d'imiter Homer ou Échille ?
- Speaker #1
La Bible.
- Speaker #0
Ou la Bible, oui.
- Speaker #1
Vous savez la littérature est tout entière occidentale, est tout entière sortie enfin occidento-orientale, est tout entière sortie Merci. d'Homer et de la Bible.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Tout entier. C'est des reprises.
- Speaker #0
C'est peut-être ça, d'ailleurs, l'autre message de ce livre, c'est que l'Antiquité, c'est un truc de jeune.
- Speaker #1
Oui. Oui. Ah oui. C'est une belle définition.
- Speaker #0
C'est-à-dire que Homer, Héchil... Les enfants, allez voir, ça parle de la vie, de l'amour, de la mort, de la guerre, ça vous concerne aussi.
- Speaker #1
Quand j'ai repris l'Iliade, avant de faire, j'ai créé l'Iliade, j'étais cloué. Je n'avais pas en revenu depuis un bout de temps, j'étais sidéré par la... Non pas modernité, mais l'éternité de ce texte. Car je t'aime, ô éternité.
- Speaker #0
Page 96. La statue, elle nous parle, la statue qui est ici, elle nous parle et elle dit « Je persévère dans mon être » . Le bronze, pas plus que l'algue ni la bête, couverte d'écailles ou non, n'aimons disparaître et mourir. Alors Pierre Michon, s'il vous plaît, persévérez dans votre être. La langue française a besoin de vous.
- Speaker #1
C'est une phrase de Spinoza, vous le savez. Toute chose persévère dans son être. Le vœu persévère dans son être. Merci Frédéric.
- Speaker #0
Je voulais vous faire lire, est-ce que vous avez vos lunettes ou pas ? Une dernière chose.
- Speaker #1
Je n'ai pas besoin.
- Speaker #0
Vous n'avez pas besoin ? La chance ! Ce que j'ai encadré. Je trouve que là, dans ce paragraphe-là, il y a quelque chose de Rimbaud.
- Speaker #1
C'est Échille qui parle. Il vient de monter au sanctuaire d'Apollon. Il raconte... à Telf, là où étaient censés être les statues et où il est censé les voir, neuves, c'est-à-dire couleur de miel, comme était le cuivre neuf. Quand je suis redescendu, j'ai vu de nouveau le cœur élargi par les statues, plein soleil sur le cuivre éblouissant. Le soleil a monté, les nuages aussi. Peu après-midi, les premières gouttes lourdes s'écrasent sur les feuilles des platanes. Je gagne au point de course, le long au vent, près de l'entrée du secteur où s'abritent les pèlerins, bon, sans les statues.
- Speaker #0
Merci beaucoup. Et pour terminer, je voulais juste dire, le passé, c'est votre avenir. Bonsoir. Merci Pierre Michon.
- Speaker #1
Merci Pierre.