- Speaker #0
Amis intellectuels de gauche comme de droite pour soi Cette semaine, nous sommes heureux d'annoncer la victoire d'Adélaïde de Clermont-Tonnerre pour le prix Renaudot avec ce livre « Je voulais vivre » publié aux éditions Grasset. J'ai reçu Adélaïde il y a quelques semaines. C'est donc un livre très virevoltant, plein de cavalcades, un hommage à Alexandre Dumas, où Adélaïde se met dans la peau de Milady de Winter, cette femme fatale, cette méchante. d'âme qui en réalité a beaucoup souffert et évidemment cela explique pourquoi elle s'est si mal comportée dans le roman d'Alexandre Dumas. Moi je trouve que c'est pas mal l'idée qu'on puisse juger 200 ans après les personnages de romans et essayer de les réanimer aujourd'hui et voici ce que disait Adélaïde de Clermont-Tonnerre dans cette émission il y a quelques jours.
- Speaker #1
Elle reste puissante, elle reste dangereuse. mais elle devient, à mon sens, une femme. C'est-à-dire que là, chez Dumas, on a une esquisse. On a l'archétype de la méchante. Moi, j'avais envie qu'elle ait une peau, un parfum, des failles, une enfance, qu'on sache ce qu'il y a derrière. J'ai juste voulu la déployer, en fait.
- Speaker #0
Et c'est toujours avec un immense plaisir que je reçois Emmanuel Carrère. Bonsoir, Emmanuel.
- Speaker #2
Bonsoir, Frédéric.
- Speaker #0
Nous fêtons le Prix Médicis 2025 qui vient de vous. Vous les collectionnez, les prix, vous avez eu le Femina, vous avez eu le Renaudot, maintenant le Médicis, il vous en manque très peu dans votre carrière. C'est agréable ou c'est quoi cette espèce d'infantilisation de l'écrivain au moment du mois de septembre ?
- Speaker #2
Ben là, il y a toujours cette histoire du prix Goncourt qui est supposé être le gros gros truc, et... Je me suis retrouvé dans les listes du prix Goncourt pour l'arriver à avoir zéro voix. Et zéro voix, je trouve que c'est pas mal. Je trouve, voilà, je sais pas, deux voix, c'est un peu triste. Zéro voix, ça a quand même du panache.
- Speaker #0
Alors, vous n'avez pas pu venir en septembre quand le livre Colcos est sorti chez P.O.L. Et du coup, là, vous venez un peu plus tard. Et c'est pas mal parce que du coup, c'est presque comme le dernier entretien sur ce livre. Peut-être que je suis votre voiture balai et je m'en félicite parce que du coup j'ai pu voir toutes les autres et essayer de vous parler autrement du livre. Alors déjà pour commencer, tout le monde vous a expliqué, la presse, la critique, tout le monde, que Colcos était un livre sur votre mère, Hélène Carrère d'Encos. Je ne suis pas de cet avis, je pense que c'est un livre sur votre père. Alors qu'en pensez-vous ?
- Speaker #2
Enfin, je pense presque la même chose que vous, c'est-à-dire que ma mère, Hélène Carrère-Doncaux, c'était donc une figure qui avait recherché toute sa vie la lumière, qui accrochait la lumière, et mon père... qui était un cadre supérieur dans l'assurance, a vécu dans son nombre essentiellement. Et je ne dirais pas seulement pour le public, mais même pour ses enfants. C'est comme s'il y avait cette mère puissante, éclatante, occupant toute la place. Une grande historienne. Et ce père, pour lequel il était tendre, mais un peu... en retrait, un peu évasif, un peu... Et j'ai écrit ce livre au fond dans la traîne de la mort de mes deux parents, qui sont tous les deux morts à des âges très respectables, à quelques mois d'écart. Et j'ai commencé ce livre en me figurant en effet que c'était un livre sur ma mère et qu'elle allait y occuper toute la place. Alors elle y occupe énormément de place, même si d'ailleurs le livre, petit à petit, a remonté les générations et qui commence dans les années 20 du siècle dernier. Mais ce qui m'a... Au fond, je ne savais pas très bien quelle place aurait mon père là-dedans. Et ça a été pour moi la surprise heureuse du livre d'une certaine façon. Que mon père y surgisse d'une certaine façon, qu'il prenne cette place qu'il a peu eue dans la vie. Et que vous voyez, c'est un livre qui commence par exemple sur une espèce de grande scène qui est celle de l'hommage national rendu à ma mère au lendemain de sa mort, dans les invalides, les discours de Macron, roulement de tambour, garde républicaine. J'y étais. Vous y étiez ? Et ça se termine sur mon père, un homme tout seul qui se promène, qui marche dans des fougères, dans une forêt du Béarn. Oui, un Béarnais comme moi. Et qui surgit dans la lumière et qu'on laisse là. Et au fond, il y a beaucoup de monde au début et juste cet homme à l'arrivée. Et j'aime que ce livre se termine sur lui. Et quand on me dit ce que vous venez de me dire... Ça me rend très heureux, j'ai l'impression qu'on a lu le livre que j'avais écrit et que j'ai été surpris d'écrire. Ça c'était bien, ça c'était vraiment...
- Speaker #0
Et vous savez pourquoi ? Parce que tous vos livres parlent d'un homme effacé depuis la moustache. Le type rase sa moustache, il rentre chez lui et personne ne le remarque. Personne ne le remarque alors qu'il a changé de visage. Et puis, c'est la même chose dans l'adversaire, d'une certaine façon. Un type qui est dans l'ombre, qui se fait passer pour quelqu'un d'autre. Au fond,
- Speaker #2
peut-être qu'il avait beaucoup parlé de son père. Il ne se faisait pas passer pour quelqu'un d'autre, mais personne ne s'intéressait beaucoup à ce qu'il était. À ce qu'il était vraiment. Voilà. alors par ailleurs mon père il a tenu dans l'écriture de ce livre, un rôle inattendu aussi. C'est votre co-auteur ? Oui, quasiment. Mon père avait la passion de la généalogie. De la généalogie, surtout de la famille de sa femme, parce qu'il était snob, et que la famille de sa femme était titrée, importante, mélangée à l'histoire, tout ça. Et il était, disons, il passait plus vite sur ses origines béarnaises que... qui vous passionne, évidemment. Mais au fond, il faisait ses travaux généalogiques. Je savais très bien qu'il faisait ça, mais honnêtement, je m'en foutais un peu. Ça m'aspirait une espèce de sympathie distraite en me disant, voilà, c'est une espèce de hobby comme ça. Mais après sa mort, j'ai trouvé tous ces dossiers qu'il avait organisés, de façon extrêmement minutieuse, avec des... Des portraits, des photos légendaires. C'était un très, très beau travail. Et j'ai pris conscience, au fond, qu'il me léguait ça. Et c'est ce qui fait que ce livre qui était parti pour être juste un livre sur mes parents et d'abord sur ma mère, au fond, a remonté les générations parce que je m'apercevais que j'avais ces informations. Au fond, si j'avais voulu rassembler toutes ces informations, ça m'aurait pris des années. Même avec Internet qui permet d'aller beaucoup plus vite là-dessus. mais euh Et qu'au fond, il me léguait ça. Et c'est ce qui fait que c'est remonté aux grands-parents, arrière-grands-parents. Et il a fallu que je me calme pour m'arrêter là. Déjà, je sais que les arrière-grands-parents, c'est un truc dans le... Disons, il y a des gens qui sont un petit peu largués au début du livre parce qu'il y a trop de personnes. En même temps, moi, je trouve que c'est...
- Speaker #0
C'est romanesque.
- Speaker #2
C'est romanesque. Au fond, c'est un petit peu, vous voyez, comme quand on fait une randonnée. il y a un départ, il y a une côte un peu raide. Et puis ensuite, on est content d'avoir gravi la côte un peu raide. Moi, je table là-dessus.
- Speaker #0
C'est votre méthode, souvent. Par exemple, dans le royaume, vous aviez repris des notes anciennes sur les évangiles. Vous aimez repartir d'archives, au fond. Et votre talent à vous, après, c'est de rendre tout ça intéressant et qu'on ait envie de tourner les pages. Vous interpellez le lecteur, souvent. Attendez, là, vous allez être largué, mais vous verrez au chapitre suivant, je vais revenir là, etc. Vous arrivez à connecter différentes époques, toute une histoire de la Russie, de l'Ukraine aussi, de la Géorgie et de la France. Tout ça, vous arrivez à le faire, mais avec une fluidité parce que ça, c'est votre talent de journaliste presque.
- Speaker #2
Oui, ça c'est aussi... Enfin, un peu ma fierté professionnelle ou artisanale de me dire... C'est des livres... Enfin, ce n'est pas le cas de tous les livres que j'ai écrits, mais celui-ci ou Le Royaume sur les premiers chrétiens ou Limonov sur la fin de l'Union soviétique et les décombres du communisme ou même un livre comme D'autres vies que la mienne qui est un livre quand même si paradoxal que ce soit, est un livre en partie sur le droit de la consommation. D'arriver à rendre ça intéressant. ça c'est une fierté que j'ai d'essayer de rendre en effet intéressant, fluide souple, vivant des choses qui sont, d'abord qui brassent beaucoup d'informations, il faut quand même faire passer donc en fait, vous savez la La pédagogie, ça ne passe pas pour une... Enfin, ça passe pour une vertu littéraire un peu subalterne. Moi, j'aime ça. Bien sûr. J'aime ça. Je trouve ça intéressant. Moi, j'aime bien, en écrivant un livre, apprendre des choses. Et j'aime bien ensuite les faire passer. J'aime bien qu'on sorte un peu moins ignorant d'un livre qu'on y est entré.
- Speaker #0
C'est vraiment votre talent, ça. C'est vraiment votre talent. Alors, il y a une scène dans un film qui a été tiré de Limonov, le film de Kirill Serebrennikov, où vous jouez Votre propre rôle, vous apparaissez, vous croisez Edouard Limonov, et là il vous dit, et c'est vous qui avez écrit le scénario, c'est pas moi qui invente, il vous dit la Russie va vous enculer bien profond. Alors, est-ce que c'est pas aussi ça le sujet, là, de Colcose, c'est-à-dire comment cette immense culture, cette immense littérature que vous adorez, ce pays qui est le vôtre, qui est celui de votre famille, Comment il en est venu à devenir si agressif, si violent, si dangereux, si menaçant ?
- Speaker #2
Alors la phrase de la Russie va vous enculer bien profond. Elle est attribuée à Edouard Limonov et elle sort absolument de sa bouche. Mais elle pourrait être prononcée tout aussi bien par Vladimir Poutine. Dieu sait que Limonov a été un opposant. courageux, et Vladimir Poutine qui a quand même payé de quelques années de colonies pénitentiaires, ce qui n'est pas rien, mais au fond, ils pensaient la même chose, il y avait une espèce de terrible ressentiment à l'égard de l'Occident, et l'impression aussi qu'à partir de la Chine, au fond, la Russie ne souhaite pas, n'aime pas spécialement être aimée, elle aime faire peur. Et l'Union soviétique faisait peur, et Limonov, tant Limonov que Poutine, se sont dit, mais à la fin de l'Union soviétique, avec cette espèce de couille molle de Gorbatchev, de gens comme ça, on a cessé de faire peur. On s'est mis à nous trouver au mieux, un peu sympa, puis finalement, tout ça s'est amoli. Donc, le désir de faire peur est revenu. Et là, Poutine est... On ne peut pas savoir exactement comment les... ni même pas exactement quelles sont les idées des Russes, ce qu'ils pensent, parce que les... Vous le disiez tout à l'heure, les sondages sont absurdes en Russie, puisqu'on appelle les gens au téléphone, on les appelle par leur nom, on leur dit « Monsieur Popov, qu'est-ce que vous pensez de l'opération militaire spéciale ? » Étant donné que c'est pénalement puni de penser du mal de l'opération militaire, vous ne risquez pas d'avoir des sondages extrêmement fiables. Mais en tout cas, ce sentiment que la fierté de la Russie tient à la peur qu'elle inspire, je pense que c'est très constant et que c'est pour ça que... Poutine doit être globalement très suivi. Poutine, il a fait des espèces de déclarations très très fermes, dès 2008, en disant, vraiment l'équivalent de ça, on va vous enculer bien profond.
- Speaker #0
Ce qui est assez hallucinant, c'est que vous publiez Limonov en 2011, vous avez reçu le prix Renaudot, tout le monde se demande pourquoi s'intéresse-t-il à cette hurluberlue nationale bolchevique qui veut faire... qui bombe le torse comme ça, patriote, violent, et on se demandait pourquoi vous parliez de lui. En fait, maintenant, c'est le discours majoritaire et au pouvoir central en Russie. Donc, comment avez-vous eu cette prémonition ? C'est ça que je... parce que s'intéresser à Limelow, c'était...
- Speaker #2
Oui, je suis content que vous me le disiez. C'était Zarbide, votre part. Oui, c'était Zarbide. Alors, personnellement, il y a une chose... Vous savez, je pense qu'il y a des écrivains et des très bons. qui n'ont pas spécialement besoin de sujets qui sont capables d'écrire ce qui leur passe par la tête, un journal, un truc comme ça. C'est bien le problème d'ailleurs. Moi, je sais que j'ai besoin d'un sujet et qu'un sujet, ce n'est pas quelque chose qui se trouve sous le pas d'un cheval. C'est-à-dire que d'abord, on peut dire qu'il y a plein de sujets sur Terre, mais il faut trouver le sujet qui est pour vous.
- Speaker #0
Oui, oui.
- Speaker #2
Ça suppose d'ailleurs une espèce d'énorme prétention qui est de se dire non seulement qu'on est le seul à pouvoir le traiter, mais qu'il est vital de le traiter. et identifier un sujet qui vous convient ça peut prendre beaucoup de temps de temps. Je suis assez fier d'avoir identifié Limonov en tant que sujet. C'est-à-dire, effectivement, plusieurs personnes... Bon, quand j'en parlais à des gens, la plupart ne savaient pas qui était Édouard Limonov. Il y avait quelques gens plus instruits comme vous qui savaient qui était Édouard Limonov. Et parmi eux, beaucoup me disaient « Mais pourquoi tu veux faire un truc sur cette espèce de petite crapule fasciste ? » Et je pensais qu'il y avait quelque chose qui permettait la combinaison... heureuse d'un roman picaresque avec un personnage quand même formidable qui traverse tout New York, qui traverse le monde entier, tout ça, et d'un récit qui permette de raconter la fin de l'Union soviétique et ce qui a suivi. Et d'ailleurs, ce qui a précédé, quoi, disons, vraiment 50 ans d'histoire russe et soviétique. Ça, c'était...
- Speaker #0
Vous ne pouviez pas deviner que Vladimir Poutine... emboîterait le pas d'Edouard Limonov et se mettrait à dire exactement la même chose, à savoir, finalement, on va rétablir l'Empire soviétique.
- Speaker #2
Je ne sais pas que je ne pouvais pas le deviner, c'est que, pardon, mais je l'ai deviné. C'est raconté là-dedans. D'ailleurs, on m'avait pas mal reproché, en trouvant que c'était quand même un peu choquant, d'avoir mis en exergue de Limonov une phrase de Vladimir Poutine, qui est la phrase qui est celui... qui veut restaurer le communisme n'a pas de tête, celui qui ne le regrette pas n'a pas de cœur. C'est une phrase qui est très... Je ne sais pas, il est bien possible qu'elle soit réellement de Poutine, en tout cas c'est une phrase forte. Elle dit vraiment quelque chose. Et le livre finit par une espèce de parallèle entre Poutine et Limonov. La différence, c'est que Limonov est un aventurier... Et un loser, et un grand loser. Oui, il comprenait pour un mythomane en fait. Alors que Poutine est le contraire d'un aventurier et un winner glacial. Mais en même temps, c'est la même pensée.
- Speaker #0
Ce qui est intéressant chez vous, c'est qu'en plus, il y a ce livre, un roman russe en 2007, donc encore plus tôt, 2007, Limonov 2011, comme si vous étiez déjà en... Enquête d'explication de la violence russe. Alors là, même au sein de votre famille, l'exil, la collaboration de votre grand-père, sujet tabou dans votre famille. Vous avez... C'est bizarre. En quelque sorte, en cherchant vos origines familiales, vous arrivez toujours à la grande histoire et la violence et la guerre mondiale.
- Speaker #2
Alors l'histoire... particulière de la Russie et de l'Union soviétique, c'est quand même une histoire terrible et grandiose. C'est une histoire, l'espèce d'expérience sur l'humanité qui a été conduite par le communisme. C'est quelque chose de... Il y a peu de choses qui me passionnent autant, sur quoi j'ai lu plus de témoignages, de choses comme ça. Mais il y a aussi... Ma mère avait écrit un livre qui s'appelait « Le malheur russe » , qui était un essai sur l'assassinat politique en Russie. Mais ce mot de malheur russe, c'est toute l'histoire de la Russie. Ça fait partie de sa grandeur, mais c'est un pays qui a été constamment et pratiquement sans exception malheureux. Et même en termes politiques, la Russie a connu dans toute son histoire dix ans de démocratie. Et vu la façon dont ça s'est passé, le mot de démocratie n'a... que des connotations négatives. On associe ça uniquement à une paupérisation massive, à la criminalité, à la gangsterisation, tout ça. Et donc, ils ont... C'est quand même pas si fréquent d'un pays qui n'a jamais connu cela. Et c'est pas dans leur... Et d'ailleurs, quand on leur souhaite la démocratie, les Russes, la plupart du temps, ils ne comprennent pas. Qu'est-ce que ça a de si désirable, notre espèce de truc dont, au fond d'ailleurs, dans le monde d'aujourd'hui, plus personne ne veut ? Nos grandes et belles valeurs humanistes, les droits de l'homme, la démocratie, on est un petit peu les seuls dans notre village astérite. On est minoritaire. Ça, ça vient encore maintenant. Avant, on était persuadés que... D'ailleurs, Limonov disait un truc qui était très dur, mais vrai. il disait tout votre discours sur les droits de l'homme la démocratie, vous avez l'impression que c'est une espèce de truc d'aboutissement définitif et indépassable, et que tout le reste était errance et bêtise et archaïsme avant. Il dit que c'est exactement... Le colonialisme catholique disait exactement la même chose, il était absolument persuadé d'apporter au peuple-là, de passibiliser le vrai, le beau, le bon. Maintenant, on regarde ça avec le plus grand embarras. Si ça se trouve, votre droit de l'homisme, on va le regarder exactement pareil dans 50 ans. C'est une pensée pas agréable, mais qui n'est pas...
- Speaker #0
Qui est la leur.
- Speaker #2
En fait, qui est d'ailleurs, si ça se trouve, en train de se produire.
- Speaker #0
Dans le genre prophète, vous avez aussi, très tôt, vous êtes intéressé à l'auteur Philippe Cadic, qui était un auteur de science-fiction remarquable, mais pas forcément connu du grand public. Vous avez publié sa biographie il y a fort longtemps.
- Speaker #2
93.
- Speaker #0
93. Or, là encore, le monde est devenu celui de Philippe Cadic. Et ça, on le comprend. Quand on lit ce deuxième tome de Quarto chez Gallimard, qui s'intitule Vers le réel, et où il y a cette biographie, Je suis vivant et vous êtes mort, de Philippe Cadic, également Limonov et Le Royaume, ça c'est fascinant. Vous avez un don de divination, vous êtes une sorte de Madame Irma ou de Madame Soleil, parce que le monde actuel, c'est celui. C'est celui de Dick, oui. Tu as vu Dick, c'est-à-dire celui d'Internet, de la surveillance généralisée.
- Speaker #2
De la surveillance généralisée, de ce que Trump, avec beaucoup de discernement, si on peut dire, a appelé les vérités alternatives, les faits alternatifs. C'est-à-dire que rien, rien n'est vrai. Rien ne peut être considéré comme vrai. Alors ça, cela dit, avant Dick, Orwell le disait très bien. Mais Dick, il ajoute cette espèce de vertige des mondes emboîtés. alors d'ailleurs il y a un pers... on a... Trump est un personnage totalement d'Ikien. Il y a un autre personnage totalement d'Ikien, c'est Elon Musk, dont je ne sais pas si je le cite quelque part. Il y a cette phrase extraordinaire de Musk où il dit « Les chances que nous vivions aujourd'hui dans la réalité de base sont de 1 sur plusieurs milliards. » C'est une idée totalement d'Ikien. Et si ça se trouve, il a raison, Musk.
- Speaker #0
Est-ce que vous pensez que nous, là, nous sommes des avatars en ce moment et que c'est une IA qui écrit notre conversation ?
- Speaker #2
Si vous me demandez si je le crois sérieusement, non. Mais je pense qu'on est en train d'entrer dans un monde où cette question est possible.
- Speaker #0
Oui, ou bien où il y aura tellement d'autres vidéos fausses de nous deux en train de parler que peut-être on ne saura plus laquelle est la vraie. Exactement. Donc,
- Speaker #2
si vous voulez, nous, nous pouvons être convaincus que nous sommes dans la réalité de base, en effet. Vous avez raison.
- Speaker #0
Oui, et peut-être qu'un algorithme est en train de vous faire dire autre chose. Alors, mon éditeur ukrainien m'a demandé de couper, dans un livre que j'ai publié en Ukraine, un chapitre sur Dostoevsky. C'est un livre qui s'appelle Bibliothèque de survie, je vous raconte ma vie. Mon éditeur a enlevé le chapitre sur Dostoevsky. C'est vrai ? Oui. Est-ce que vous comprenez cette censure de la culture russe en Ukraine ? Parce que vous-même, vous parlez à un moment de Dostoevsky dans Colcose. et Vous dites, moi j'adorais Dostoyevski comme tout le monde et tout, mais en fait, j'arrive à finir par comprendre pourquoi les Ukrainiens voient quelque chose de violent, y compris dans la littérature du 19ème russe.
- Speaker #2
Alors, je...
- Speaker #0
C'est très très... ça c'est très inquiétant. Alors il y a une chose,
- Speaker #2
il y a une chose. D'un côté, moi dans... Dieu sait qu'on peut être intéressé comme moi par les zones grises, le fait que chacun a ses raisons, tout ça. Dans cette affaire de la guerre en Ukraine, j'ai l'impression que la situation est relativement... relativement clair enfin qu'il y a un bon et un méchant oui ça veut pas dire que le bon est formidable tout le temps mais en l'occurrence cette situation il est un attaquant et un attaquant je n'ai jamais été tellement engagé malgré tout dans cette histoire d'Ukraine je vais souvent en Ukraine j'ai beaucoup d'amis ukrainiens et disons les trucs un peu absurdes que pensent les amis ukrainiens tout de suite je les comprends très bien et je me dis bon bah ok écoutez les amis quand les choses se seront un peu calmées oui On essayera de parler plus raisonnablement. Donc le fait qu'ils vomissent de Stoyevski et tous les grands écrivains russes, je ne le partage pas, mais je le comprends. Je comprends malgré tout, c'est quand même aussi une question de rapport de colonisateur à coloniser. Je comprends que les Ukrainiens ou les Géorgiens ou les divers pays qui ont été dans l'orbite de la Russie plus loin de la Soviétique... Je comprends très bien qu'ils ne trouvent pas normal d'avoir à tous les coins de rue des statues de Pouchkine. Je veux dire, ok, c'est bien Pouchkine, mais est-ce que nous, on trouverait normal qu'il n'y ait que des statues de Goethe chez nous ? Non, ce n'est pas qu'on n'aime pas Goethe. Donc, non, il y a quelque chose que... Et par ailleurs, il est vrai, Dieu sait que mon admiration pour Dostoevsky est ou a été immense, mais il y a quelque chose si Dostoevsky qui est le On pourrait dire qu'il y a quelque chose d'assez affreux dans la Russie, dont, pour paraphraser le très bon titre d'Alain Badiou à propos de Sarkozy, il disait « ce dont Sarkozy est le nom » . Et là, il y a quelque chose dans la Russie dont Dostoevsky est le nom, et ce quelque chose n'est pas ragoûtant du tout.
- Speaker #0
C'est une attirance pour le mal ?
- Speaker #2
C'est une attirance extrêmement complaisante pour le mal. C'est une espèce de truc très adolescent. Par rapport à la largeur de vue. On peut dire que Tolstoy, c'est plutôt la largeur et l'étendue. Et que Dostoevsky, il creuse plus profond. Le sous-sol. C'est vraiment le sous-sol. En fait, je n'ai pas envie de dire des conneries sur Dostoevsky. Mais tout de suite, il y a quelque chose. Vous voyez, Kundera, quand il était encore à Prague, il n'était pas connu du tout, qui tirait le diable par la queue, on lui avait proposé d'écrire pour le théâtre de Prague une adaptation de Crimes et Châtiments. Et Kundera relit Crimes et Châtiments et dit non, je refuse de faire ça, je pense que c'est contagieux, c'est trop, c'est infect. Là, c'est Kundera qui parle. Il y a quelque chose... Alors évidemment ! Kundera, homme en réalité du grand esprit français, d'Hydro, Voltaire, l'esprit clair, tout ça, il trouve qu'il y a quelque chose de... et je peux le comprendre ça, je peux le comprendre. C'est, disons, de tous les écrivains russes mis à mal par les Ukrainiens, en état de légitime défense, si je peux dire. De tous ces grands écrivains russes, c'est certainement le cas de Dostoevsky qui est le plus problématique. Parce que par ailleurs, ça ne qualifie pas uniquement un écrivain, mais par ailleurs, Dostoevsky était un effroyable bigot antisémite. Voilà, tout ça n'est pas...
- Speaker #0
Il y a un écrivain qui s'appelle Mikhail Shishkin, qui est émigré en Suisse, un écrivain russe. Il dit « À quoi servent les écrivains s'ils n'ont pu empêcher ni le goulag ? » Ni Butcha. Et il y a un moment, cette question-là, elle est récurrente. Et lui, c'est un Russe qui parle. Oui, oui, oui.
- Speaker #2
Je crois que c'est lui qui a cette phrase. Chichkin qui a cette phrase. Il dit, la Russie a voulu être la troisième Rome. C'est un concept très russe, la troisième Rome. C'est-à-dire, il y a eu la première Rome, ensuite Byzance. Et la troisième Rome, c'est celle qui doit être le dernier empire avant la fin des temps. C'est le mysticisme russe. typique de Dostoyevsky. Dostoyevsky, il croyait dur comme fer à la Troisième Rome. Phrase de Chichkine, la Russie a voulu être la Troisième Rome, elle est devenue le Quatrième Reich.
- Speaker #0
Et ça, c'est ce que n'a pas peut-être vu venir Hélène Carrère d'Encauste. Parce que revenons à Colcose. Oui, Parlez de l'immense culture de votre mère, que vous admirez énormément. Si vous êtes écrivain, c'est grâce à elle, évidemment. Mais elle n'a pas pensé que la Russie était capable d'attaquer, de déclencher cette guerre. Alors voilà, c'est aussi peut-être ça qui est au centre, c'est le sujet caché de ce livre.
- Speaker #2
Il n'est pas caché, je veux dire. Il n'est pas caché du tout, Frédéric. Non, mais non, c'est vrai, ma mère, quelques... je crois... En début février 2022, fait, je crois, sur LCI, une heure d'interview avec cette espèce d'analyse resplendissante de clarté, de netteté, on comprend tout, c'est un perspective historique, tout ça, et en disant à un moment, incidemment, « Il n'est pas fou Poutine, il ne va pas envahir l'Ukraine » . Alors !
- Speaker #0
Ma mère, elle a très mal pris. C'est pas seulement qu'elle a mal pris que Poutine envahisse l'Ukraine, c'est qu'elle a mal pris d'avoir tort. Oui, oui, oui. Et qu'on le lui fasse remarquer. C'est énervant. Oui, oui, elle n'a pas du tout, du tout... Elle a pris un gros risque. Elle n'était pas habituée à avoir tort. Alors, sur le... Bon, d'abord, pour être honnête, elle n'a pas été la seule à se gourer là-dessus. Il y a très peu de gens... Personne ne l'a vu arriver, à part les services de renseignement.
- Speaker #1
Et pour défendre Hélène Carrère-Dancos, elle est une de celles qui ont annoncé la chute de l'empire soviétique. avec l'Empire éclaté, qui était quand même un livre où elle a vu venir la destruction de l'URSS. Alors ça, on doit le mettre à son crédit.
- Speaker #0
Oui, mais d'abord, oui, mais aussi, au fond, toute sa vie, elle s'est considérée comme une espèce de passeur entre la Russie et la France. Je veux dire, étant, elle, de double éducation, parlant aussi parfaitement le français que le russe, rêvant en russe. et au fond C'était une femme très optimiste, très déterminée. Elle se voyait comme quelqu'un qui était une espèce d'artisan. Et d'aider ces peuples à se comprendre entre eux. C'est ce qui fait qu'elle a pu avoir un peu l'oreille des successifs présidents et ministères des Affaires étrangères français. Et aussi avoir un certain accès au président russe. C'était le cas d'Helsing qu'elle aimait beaucoup. Ma mère a détesté Gorbatchev. est en PE aussi parce que tout le monde l'aimait en Occident et qu'elle trouvait que c'était bidon. Tout le monde méprisait Helsine, elle adorait Helsine. Et elle avait en partie raison. Au début des années 90, on ne peut pas nier que Helsine a été un immense champion de la liberté. C'est lui qui a liquidé le parti communiste, l'empire soviétique, tout ça. Bref, tout ça pour dire que... Ma mère, elle faisait toujours crédit à la Russie. Elle faisait toujours crédit à la Russie. Elle voulait ne voir que le meilleur de la Russie, ne voir que ce qui pouvait être, disons, élément de rapprochement avec l'Europe, tout ça. Et disons que là, elle s'est un peu gourée sur... Au fond, elle voyait aussi Poutine comme un autocrate, sans aucun doute, et comme un type brutal. mais qui jouait selon les mêmes règles, avec qui on pouvait jouer. Et elle n'avait pas du tout vu qu'à un moment, ce joueur d'échecs allait bazarber les chiquiers, faire tomber les pièces et sortir un pistolet qui nous braquerait sur le front. Ça, ça l'a un peu médusé.
- Speaker #1
Ce qui est aussi très beau dans Colcône, c'est le mélange entre tout ce dont on parle là, qui est la géopolitique de l'Europe, mais aussi... La scène où vous nagez, enfant, petit garçon, vers votre mère aimante, qui est celle de la fin du roman russe et qu'on retrouve ici, c'est aussi un peu le snobisme d'Hélène qui a rajouté Dancos. En fait, c'est votre père.
- Speaker #0
C'est mon père d'abord qui a rajouté ce Dancos, qui est une pure particule usurpée. Et ma mère l'a illustré ensuite.
- Speaker #1
Donc en fait, c'est quoi Dancos ? C'est un village...
- Speaker #0
un tout petit village dans les Pyrénées, un peu en dessous de Saint-Gaudens, pour qui sait, vous, évidemment, vous savez où est tout ça.
- Speaker #1
Vers Hortèze.
- Speaker #0
Oui, plus à l'est. Mais, c'est un tout petit truc. Disons, ma grand-mère paternelle venait de ce village dont elle portait le nom, comme souvent vous savez, il y a des paysans qui portent le nom du Seigneur, quoi. Et simplement, mon père, père, il a repris ce Dancos de sa mère et il a ajouté une apostrophe de manière à faire une particule.
- Speaker #1
Ce qui est bizarre, si vous voulez, c'est que de leurs vivants, eux s'appelaient Carrère Dancos et vous, vous signez vos livres Emmanuel Carrère.
- Speaker #0
Il n'y a pas eu de problème. Emmanuel Carrère, premièrement, c'est mon nom sur mes papiers. Je ne me suis jamais appelé Carrère. Je n'ai pas retiré Dancos, c'est juste que je ne l'ai pas ajouté. Par ailleurs, il faut dire un truc, c'est que je n'ai jamais songé à m'appeler Donkos, mais je l'aurais encore moins fait dans la mesure où j'ai commencé à écrire et à publier au moment où ma mère a publié l'Empire éclaté et où elle est passée du statut d'universitaire estimé par ses pères au statut de best-seller. Vous ne vouliez pas avoir le même nom ? Oui, ça n'aurait pas été une bonne idée de toute façon.
- Speaker #1
Donc on a parlé des archives familiales.
- Speaker #0
Non, on parlait, pardon, vous parliez de cette espèce d'image du petit enfant que j'étais apprenant à nager et nageant vers sa mère à la piscine. Au fond, je trouve que ce qui me touche, j'ai l'impression que c'est que ce livre a été écrit à la fois dans la lumière de la mort de ma mère, qui a eu une mort vraiment admirable, qui est... de ces morts qui couronnent une vie, qui donnent l'impression, et qui aussi m'a donné envie de raconter sa vie. aussi à partir de là, comme si. Et puis, c'est aussi dans la lumière de l'enfance. Vous voyez, c'est drôle parce que je me suis souvent vu comme quelqu'un de pas très heureux, alors que j'étais très peu éprouvé par la vie, objectivement. Mais vous voyez, il y a des gens qui ont une disposition naturelle au bonheur et d'autres qui l'ont moins. C'est mon cas. Mais en écrivant sur mon enfance là, ne me sont remontés que... que des souvenirs. Au fond, j'ai pris conscience que j'avais eu une enfance très heureuse. Et j'ai eu beaucoup de joie à la peindre sous forme de petites scénettes, en fait. C'est pas un long récit d'enfance, mais il y a des petites scènes que j'aime beaucoup et qui racontent cette enfance heureuse et aimée.
- Speaker #1
Et puis vous commencez par la scène d'enfance avec votre mère. terminer par la promenade avec votre père. Et ça, c'est très beau d'aller de l'un à l'autre dans une sorte de réconciliation. Parce que eux, eux deux, c'était pas simple.
- Speaker #0
La vie conjugale de mes parents a été très difficile. Alors, en même temps, quand des gens restent 71 ans de mariage, si on ne compte même pas les quelques années qui ont précédé. 71 ans de mariage, ça veut dire qu'ils y trouvent leur compte, d'une façon ou d'une autre. Mais c'était une drôle de façon de trouver leur compte. Disons, c'était... Ma mère malmenait beaucoup mon père, qui encaissait avec... Je me souviens, et je cite que mon père, à la toute fin de sa vie, quand même, de temps en temps, on lui disait, mes soeurs et moi, quand même, elle est dure avec toi, et tout. Et mon père haussait les épaules et soupirait. Qu'est-ce que tu veux ? J'ai fait le plus gros.
- Speaker #1
Oui, après 71 ans.
- Speaker #0
Oui, voilà, on pouvait...
- Speaker #1
Il y a une question que vous posez dans le livre. J'aimerais bien que vous la lisiez.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Et que vous y répondiez, peut-être.
- Speaker #0
Où est-ce qu'elle est ?
- Speaker #1
C'est à partir de là jusqu'à... Là où il y a... D'accord, ok.
- Speaker #0
Ok, ok. Je vois ce que vous dites, je ne sais pas si je vais pouvoir répondre.
- Speaker #1
Vous voulez mes lunettes ou ça va ?
- Speaker #0
Non, non. En même temps, je fais partie des gens de plus en plus nombreux... convaincu que nous approchons d'une catastrophe historique sans précédent, l'effondrement de notre civilisation si on est optimiste, et si on était spécimiste, l'extinction de notre espèce. Si c'est vrai, si c'est vraiment cela qui est en train de se passer, quel sens y a-t-il à écrire sur autre chose ? Face au fait que nous sommes 8 milliards sur Terre, au désastre écologique irréversible, à la crise migratoire, face à l'intelligence artificielle qui va nous avaler sans même nous laisser le temps de nous en rendre compte, face accessoirement à la fin de la démocratie et de toutes nos valeurs à nous occidentaux, est-ce que face à tout cela, ce n'est pas être complètement à côté de la plaque d'écrire sur sa petite vie finissante, sur sa petite famille, sur la jeunesse de ses parents ? C'est vous qui posez cette question. Oui, c'est vous qui posez la question.
- Speaker #1
J'adore cette question parce que ça c'est un autre de vos dons, c'est de raccorder une histoire intime. avec l'état du monde actuel. Et là, vous résumez tout. Vous résumez tout. C'est quand même l'apocalypse dans tous les domaines. On ne sait même pas si l'espèce humaine va continuer d'exister.
- Speaker #0
Oui, je pense vraiment que le doute est permis. Ça, c'est... Alors, s'il vous plaît, il y a toujours des gens qui vous disent que ça a toujours été comme ça. Il y a toujours des gens qui ont répété depuis l'Antiquité que les temps étaient plus terribles qu'ils n'avaient jamais été. que la fin du monde approchait. Il y a un grand historien de l'histoire romaine qui avait écrit une espèce de petite compilation de tout ce type de prophéties et de discours apocalyptiques qui est extrêmement savoureux. C'est Lucien Gerfagnon. Mais malgré tout, je pense qu'on y est. Et qu'il y a des raisons. Ne serait-ce que ce truc tout simple, c'est qu'on est 8 milliards. C'est pas possible. Ça inquiétait beaucoup Claude Lévi-Strauss. C'est objectivement pas possible. On peut dire, comme Elon Musk, qu'il faut aller s'installer sur Mars, exactement comme le font les personnages des romans de Dick, où ils installent des colonies sur Mars dans lesquelles les gens vivent dans des clapiers absolument monstrueux, entourés de chacals télépathes, et en vivant dans des trucs où ils vivent dans une drogue. qui les fait vivre dans une hallucination. C'est comme s'ils vivaient dans un monde agréable. C'est peut-être ça. C'est la caverne de Platon.
- Speaker #1
Scroller sur TikTok, c'est peut-être ça. On sera tous devant TikTok pendant que tout s'effondrera et dans des cages climatisées sur Mars.
- Speaker #0
Je vois que nous voyons les choses du même œil.
- Speaker #1
Je change complètement de sujet. Ça me fascine parce que vous avez rencontré Jean-Claude Romand au Parloir. Après lui avoir envoyé l'adversaire, ça vous le racontez dans le, je crois que c'est dans le quarto. Oui, ça doit être là-dedans, oui. Donc l'adversaire n'était pas encore sorti.
- Speaker #0
Il était à la veille, c'était à la veille de sa sortie.
- Speaker #1
Par courtoisie, vous lui faites lire le livre.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Vous allez le voir au parloir, raconter ce qui se passe.
- Speaker #0
Alors effectivement, il se trouve que Jean-Claude Romand, cet homme qui avait tué toute sa famille après avoir menti pendant 18 ans aux en croire qu'il était médecin, il avait été jugé, il a été mis en prison pour 22 ans, peine de perpétuité 22 ans. J'avais rencontré à plusieurs reprises et ayant terminé le livre... J'ai voulu lui faire lire. Il se trouve que les relations que j'avais eues avec lui, que ce soit par correspondance ou à quelques reprises en tête-à-tête au parloir, se caractérisaient par le fait qu'il était extrêmement, je dirais, compassé, sans aucune espèce d'affect, comme aussi quelqu'un qui visiblement souhaite se concilier votre faveur. c'est-à-dire dire ce que vous... qu'il pense que vous souhaitez qu'il dise. Bon, tout ça avec intelligence. Et je me disais, là tout de même, je vais lui apporter ce livre. Il va le lire. Enfin, il l'avait lu. Maintenant, je vais aller le voir après cette lecture. Il va forcément se passer quelque chose. Avoir lu un truc comme ça sur son histoire, c'est quand même d'une violence extrême. Et je me disais précisément, on va avoir une scène dostoevskienne. Soit il va me prendre dans ses bras, soit il va me casser la gueule. Enfin, un truc. Je suis arrivé, on a parlé du livre, enfin plutôt il m'a parlé du livre pendant 4 minutes environ, en disant des trucs très polis, du genre, oui, il y a des détails avec lesquels je ne suis pas d'accord, mais enfin, je salue votre honnêteté, ça ne m'étonne pas, tout ça. Et ce sujet étant épuisé, on a passé les deux heures de parloir qui restaient à parler des films qu'il avait vus sur Canal+, de l'atelier japonais qu'il faisait en prison, enfin c'était très très très étrange.
- Speaker #1
Ah, la question qui tue !
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Finalement, après des romans de science-fiction, des récits sur des tueurs, ou sur des tsunamis, ou des attentats horribles, le plus incroyable sujet, c'est la famille. C'est quand même un truc intéressant, ça, de se dire là. Oui. Après tout ce que vous avez écrit, vous en revenez à ce que le truc le plus dingue, c'est un homme et une femme se rencontrent et font des enfants.
- Speaker #0
Oui, c'est vrai, c'est vrai. Et par ailleurs, de façon assez surprenante, c'est pas un livre, je pense, ni un livre cruel, ni un livre plombé. C'est un livre plutôt doux, plutôt tendre, plutôt... J'espère qu'il n'est pas mièvre, je peux dire des trucs un peu durs, notamment sur ma mère, qui était coriace, disons. mais c'est quand même plus plutôt un livre dont la tonalité est plutôt aimante, il me semble.
- Speaker #1
Est-ce que ce n'est pas aussi parce que vous pouvez tout raconter ? J'ai l'impression, comme vous êtes un grand reporter, vous arrivez à rendre intéressante même une réunion de chefs d'État sans intérêt du G20 où ils n'ont rien à se dire, vous arrivez à... Vous voyez, on vous envoie à Tbilisi.
- Speaker #0
Vous trouvez qu'une réunion de chef d'État autour de Trump, c'est un peu le parangon du truc pas intéressant, vraiment, que dans la presse quotidienne régionale, on va aller faire en disant, en traînant les pieds, en disant putain, ça ne va pas être intéressant. Un point pour vous. Non,
- Speaker #1
mais je veux dire, quoi que vous racontiez, vous arrivez à le rendre haletant. C'est gentil de dire ça. J'essaye,
- Speaker #0
j'essaye.
- Speaker #1
Même une baignade ou une nuit en famille où on dort dans le même lit. C'est même un peu effrayant parce que vous pourriez... Vous avez écrit un livre, V13, sur le procès des attentats du Bataclan. En fait, maintenant, la question...
- Speaker #0
Qui est aussi un sujet relativement intéressant. Bien sûr, mais comment allez-vous le faire ? Je n'ai pas eu beaucoup de mal à... Oui, c'est vrai d'être là. Oui, mais putain, qu'est-ce que je vais trouver à raconter ?
- Speaker #1
Oui, mais vous, vous le rendez humain. en fait, en prenant des intéressants... J'espère, j'espère. Non, mais ça ne fait pas peur de se dire, de quoi je vais parler ?
- Speaker #0
Ah ben si, là, tout de suite, je me pose la question. Je ne sais pas du tout de quoi je vais parler. J'ai des vagues idées, mais effectivement, il va falloir trouver cette chose fuyante jusqu'au moment où elle apparaît avec évidence qui est un sujet. Et là, tout de suite, je n'en ai pas.
- Speaker #1
Alors là, il y a dans ce quarto un inédit assez intéressant qui s'appelle... qui s'appelle Proximité, où vous êtes dans votre quartier, c'est près de la rue du Faubourg Saint-Denis, et vous avez décidé d'aller dans le même café tous les jours et de noter un peu, de vous promener un peu, de noter ce que vous disaient les gens autour de vous. Vous avez fait 800 pages que vous n'avez pas publiées.
- Speaker #0
L'idée c'est que c'était plutôt autour de là où j'habite, au fond je sais très peu de choses sur ce qui m'entoure. Si je prends un rayon, mais très petit, je ne sais pas, 300 mètres de tout, j'essaye de tout savoir sur ce qui se passe dans ces 300 mètres. C'est un projet à la Pérec. C'est totalement un projet à la Pérec. Il y a un projet comme ça, comparable, que j'adore, c'est le grand photographe américain Eugene Smith. Eugene Smith, à un moment, il a eu une espèce de commande de la ville de Pittsburgh pour faire une espèce de petit cahier photo. photos sur divers aspects de la ville, pour le centenaire ou le bicentenaire, et c'était supposé être une mission de trois semaines. Et il est resté trois ans. Il a essayé trois ans de tout photographier. Est-ce que c'était intéressant ? Il y a 18 000 photos. Oui, c'est pareil si j'ose me comparer à James Smith. C'est-à-dire que quand vous dites, je dis il y a 800 pages de... 800 pages ça veut dire 800 000 signes exactement, c'est un très très très gros fichier c'est l'équivalent d'un livre comme Colco c'est l'équivalent d'un livre de 600 pages mais c'est en fait l'équivalent des 18 000 clichés de James Smith ensuite finalement il n'en est pas resté grand chose, il y a un volume de ces photos et moi je me suis rendu compte que que ça ne marchait pas que c'était raté ... Maintenant, quand on a déjeuné tout à l'heure, vous m'avez dit, et ça m'a encouragé, vous m'avez dit, mais si ça se trouve, vous mettrez le nez là-dedans dans trois ans, dans quatre ans, et ce qui, tout de suite, ne vous paraît pas intéressant du tout, vous apercevez qu'il y a quelque chose d'intéressant, qu'il y a quelque chose à en tirer. Et c'est bien possible. Disons, j'en accepte l'augure.
- Speaker #1
Juste à propos de Pittsburgh, vous connaissez la phrase de Mark Twain ? Il disait « I would like to die in Pittsburgh because I wouldn't see the difference » . J'aimerais bien mourir à Pittsburgh parce que je ne verrais pas la différence.
- Speaker #0
Il y a l'équivalent, c'est pour tel ou tel concours, le premier prix c'est...
- Speaker #1
Ah oui, une semaine à Pittsburgh.
- Speaker #0
Et le deuxième prix, deux semaines.
- Speaker #1
Oui,
- Speaker #0
non. Attends, j'arrive plus à me rappeler comment c'est drôle. Parce que le premier prix, c'est une semaine à Pittsburgh. Le deuxième prix, c'est deux semaines à Pittsburgh. Est-ce que c'est drôle ? Oui, ça doit être ça.
- Speaker #1
Le troisième prix, un mois à Pittsburgh. Alors...
- Speaker #0
Ça me paraissait une blague très, très, très drôle jusqu'au moment où on la recherche. Elle ne marche pas si bien que ça.
- Speaker #1
De petits détails, vous avez été baptisé Rue Guénégo, juste à côté de chez la Pérouse.
- Speaker #0
Oui, absolument.
- Speaker #1
Dans la rue, tout d'un coup...
- Speaker #0
L'histoire drôle, c'est que mes parents connaissaient un vieux... couple d'encadreurs russes qui avaient une espèce de boutique qui ressemblait à une espèce de boutique de chiffonniers ruguenégaux, alors que c'était des encadreurs très recherchés. Et à l'annonce de ma naissance, ils en ont été si réjouis qu'ils ont sorti du fond de leur boutique une espèce de table qui était une porte retournée et deux traiteaux. Ils l'ont mis au milieu de la rue Guénégo. Ils ont sorti d'une espèce de cubiténaire de gros rouges. Et ils ont invité tous les passants qui conquêtaient à boire à la santé du tout petit garçon que j'étais à ce moment-là. Ça, ça faisait partie de la légende familiale et j'y suis très attaché.
- Speaker #1
On va jouer au « Je devine tes citations » . Je vous dis des phrases de vous tirées de tous vos livres. Et vous devez deviner dans lequel vous avez écrit cette phrase. Première question, c'est toujours facile la première. Quelques jours avant sa mort, à 94 ans, ma mère m'a dit qu'il lui arrivait encore souvent de rêver du retour de son père.
- Speaker #0
Ben là, oui, c'est dans le dernier, c'est dans Colcose, ça peut difficilement être ailleurs. Comme vous dites, ça commence facile.
- Speaker #1
Mais qui croyez-vous ? Hélène ou son frère Nicolas, qui, lui, pense que votre grand-père n'était pas un petit traducteur pour la Wehrmacht, mais un grand et important ? collaborateur aujourd'hui ?
- Speaker #0
ça je sais pas du tout c'est impossible de savoir ce qu'on sait c'est qu'il travaillait comme interprète pour la commande en tour à Bordeaux a priori c'est quand même pas un poste où on est amené, par ailleurs tout ce que je sais de cet homme qui était d'un caractère compliqué tout ça, ne laisse pas imaginer que c'était quelqu'un qui mettait la tête des gens dans la baignoire ça j'y crois pas du tout Mais quel était le niveau de responsabilité auquel ils pouvaient ? Par ailleurs, il y a eu dans le dossier que ses frères ont essayé de constituer pour le réhabiliter, il y a eu plusieurs témoignages de personnes... Pour la plupart juives qui disaient qu'il les avait avertis à temps pour leur sauver la vie. Ça veut dire aussi que s'il était en mesure de faire ça, ça suppose un certain degré d'information, oui. C'est-à-dire que c'est à la fois bien et pas bien,
- Speaker #1
quoi. C'était aussi dans le sud-ouest. Non mais vraiment, vous êtes un gars du sud-ouest. Vous voulez vous faire passer pour un... Un russe ou un géorgien. Alors qu'en fait, vous êtes un gars du sud-ouest. Un Bernais. Oui, vous avez les qualités des Bernais. Convivant, séducteur, fidèle, avec du panache.
- Speaker #0
C'est gentil tout ça. Oui, mais oui. Vous en êtes un autre.
- Speaker #1
Je pense que vous devez déménager dans le sud-ouest. Alors, autre phrase de vous. Vous avez à choisir entre le bonheur stupide des cailloux et le lit gluant où nous vous attendons.
- Speaker #0
Alors ça c'est une phrase qui est dans ce dernier livre aussi, mais qui n'est pas de moi, c'est une phrase d'Albert Camus qui fait partie du malentendu pièce que ma mère a jouée comme jeune comédienne, ce qu'elle aspirait à être juste après la libération.
- Speaker #1
Et alors cette phrase, il faut choisir entre le bonheur stupide des cailloux et le lit gluant. Qu'est-ce que vous choisiriez, vous ? Entre le bonheur idiot ou le malheur intelligent ? Vous avez... Je crois que la réponse, on la connaît.
- Speaker #0
Ah, oui, le...
- Speaker #1
Être un imbécile heureux, ça vous aurait pas plu ?
- Speaker #0
Si, peut-être, après tout. Non, je crois que malgré tout, c'est quand même la clairvoyance, c'est une chose importante. Non, je pense qu'il faut tout de même... Ça serait un paradoxe amusant de dire je préférerais être un imbécile malheureux... Plutôt qu'un imbécile malheureux ! C'est...
- Speaker #1
Euh... Ah ! Emmanuel ne vote pas parce qu'il a peur de voter à droite. Qui a dit ça ?
- Speaker #0
C'est ma compagne Sophie, que vous avez d'ailleurs connue quand nous étions très jeunes, et vous et moi. Mais cela dit, je trouve que cette phrase est formidable. Je la trouve... Emmanuel ne vote pas parce qu'il a peur de voter à droite. En dehors du fait qu'elle n'est pas fausse, je trouve... Vous votez vraiment pas ? Elle est... Si, maintenant je vote, mais je te... Mais... Et puis, ouais... Mais...
- Speaker #1
Oui, oui, elle est très bonne cette phrase. Elle est bien frappée.
- Speaker #0
Elle est très bien. Elle a un truc comme une maxime.
- Speaker #1
Sagan, elle disait un truc, elle disait la gauche dit l'injustice est insupportable et la droite dit l'injustice est inévitable. Ça,
- Speaker #0
je trouve qu'on ne pense pas souvent à François Sagan comme à une philosophe politique genre Anna Arendt. Mais comme définition de ce qui distingue la droite de la gauche, je la répète, la droite dit... Il y a de l'injustice et c'est inévitable. La gauche dit, il y a de l'injustice et c'est insupportable. Je l'ai beau chercher, c'est la meilleure définition que je connaisse. Oui,
- Speaker #1
c'est bien résumé. Une autre phrase, regarde de tous tes yeux, regarde.
- Speaker #0
Ça, c'est pareil. Non, mais j'essaie de vous piéger. Non, mais c'est la phrase, c'est dans Michel Strogoff. Exactement.
- Speaker #1
C'est de Jules Verne.
- Speaker #0
C'est avant qu'on aveugle Michel Strogoff avec un sabre chauffé à blanc, tout ça. Et quelqu'un, je ne sais plus. lui dit, regarde de tous tes yeux, regarde parce que tu ne reverras jamais ce qui est. Et c'est l'exergue de la vie mode d'emploi de Georges Perrec qui avait eu le prix Médicis en 1978. Vous êtes un successeur. En tout cas, c'est un des auteurs que j'aimais le plus dans ma jeunesse et toujours d'ailleurs.
- Speaker #1
Toujours dans le quarto, parce que je me suis bien amusé à lire certains trucs que vous racontez sur vous. Il y avait un portrait dans le New Yorker qui avait été fait sur vous. qui était très bien fait, mais pas très gentil, même assez salaud. En gros, ils disent de vous, avez-vous conscience de votre manque total d'empathie ?
- Speaker #0
Non, c'est encore mieux que ça, Frédéric. Vous savez, le New Yorker est très connu pour la qualité, non seulement de ses reportages, mais des enquêtes. Et donc, le service de fact-checking, comme on dit, est extrêmement pointu, extrêmement pointilleux. Et donc... dans les questions que j'ai reçues de la part du New Yorker voulant vérifier tel ou tel truc, il y avait cette question très étrange dans le cadre du fact-checking qui était, avez-vous conscience de votre manque total d'empathie ? Mais par ailleurs, l'article était extraordinaire, il était bien écrit, intelligent, mais quand même le mec c'était un peu de parti pris parce qu'il disait il m'ouvre la porte avec un sourire hypocrite. C'était très curieux quand même.
- Speaker #1
Vous savez, ça c'est un problème, différence culturelle entre l'Amérique et la France. Les Américains pensent qu'un écrivain, ça doit être vraiment gentil. Alors que... J'ai été très gentil avec le mec du New York. Comme si un écrivain, c'était un homme politique en campagne électorale, vous voyez, qui devait conquérir tout le monde. En fait, c'est pas le cas. C'est pas votre métier. C'est pas le métier... Enfin bon, voilà.
- Speaker #0
Je vous assure que j'avais accueilli cet homme très très poliment et gentiment.
- Speaker #1
Vous citez aussi Rembrandt qui dit, c'est la seule et unique phrase de Rembrandt, je fais des portraits. Et peut-être que c'est ça au fond depuis le début que vous faites, vous faites des portraits de tous les gens. Alors que ce soit les gens du Faubourg Saint-Denis non publiés ou de votre mère.
- Speaker #0
Dans ce volume-là de Quarto, il y a une sorte de préface qui est une espèce d'essai. Je me dis que peut-être qu'à un moment, je le reprendrai de façon plus aboutie. Mais c'est un essai sur l'art du portrait. Parce que c'est vrai que ça, c'est vraiment quelque chose que... Déjà, comme vous voyez, moi, si je vais dans un musée, les premières choses qui m'attirent, c'est les portraits. Je vais vers les portraits. Et au fond, j'ai l'impression que c'est un peu ce que je fais là. Il y a des choses étonnantes, par exemple. Avec les portraits, si vous y pensez, vous savez toujours En regardant un portrait, spontanément, hors de toute information extérieure, si c'est le portrait de quelqu'un qui existe ou si c'est un portrait issu de l'imagination. C'est évident, c'est autodémonstratif.
- Speaker #1
Alors ça, les créatures imaginées par l'IA vont complètement changer les choses à ce niveau-là. Maintenant, il y a des êtres en photographie qui n'existent pas. Le questionnaire de Bec Bédé, rapidement. Mais ça va rejoindre ce qu'on s'est dit déjà. Pourquoi un jeune devrait-il lire Colcose au lieu de scroller sur TikTok ?
- Speaker #0
Ah ! Je pense que c'est difficile de convaincre quelqu'un dont l'activité principale est de scroller sur TikTok, qui ferait mieux de faire autre chose. Et je ne sais pas si le meilleur substitut, c'est de dire... Attends, tu vas voir, et tu abandonneras TikTok. Ce n'est pas le même usage. J'aimerais, mais j'y crois qu'à demi.
- Speaker #1
Je pense qu'on se sent mal quand on scrolle trop longtemps. En tout cas, c'est mon cas. On se sent mal, physiquement mal. Évidemment.
- Speaker #0
Et même nous, des gens comme nous, de notre âge, de notre type d'activité, on le fait de façon relativement modérée. Et déjà, on se sent très mal. Vous avez raison. On se sent mal physiquement.
- Speaker #1
Que savez-vous faire que ne sait pas faire Chad G.P.T. ou Claude ou Gemini ?
- Speaker #0
L'amour.
- Speaker #1
J'espère, je sais. Très bonne réponse. Est-ce que vous n'avez pas peur en écrivant que votre livre ne serve à rien ?
- Speaker #0
Non, ça je m'en fous. Je m'en fous parce que c'est pas, je dirais, c'est pas mon problème. À la fois, j'ai l'impression de beaucoup m'adresser au lecteur, ménager le lecteur, faire tout pour qu'il rentre bien. Mais ensuite, à quoi ça peut servir, je n'en sais rien. Mais c'est pas une question que je me pose.
- Speaker #1
Donc, vous pensez qu'un écrivain doit être gentil ou pas ?
- Speaker #0
Non, je ne pense pas qu'un écrivain doit être gentil. Maintenant, pour mon propre usage, je pense tout de même que... Enfin, surtout quand on écrit sur des personnages réels, je pense qu'il faut faire en sorte de ne pas nuire. Mais ce que je n'ai pas toujours fait. Au moins, notamment dans ce livre, un roman russe, j'ai vraiment malmené et ma mère et cette compagne. Indirectement ? Oui, mais indirectement, non, pas indirectement. Mais ça, je n'aimerais pas le refaire.
- Speaker #1
Avez-vous déjà écrit en état d'ivresse ?
- Speaker #0
Oui, il y a longtemps, mais vraiment sans grande... l'expérience ne s'est pas révélée concluante. Très constructive. Non.
- Speaker #1
Qu'est-ce que vous pensez de la critique littéraire ? Est-ce que c'est un mal nécessaire ? Est-ce que c'est pénible ? Est-ce que c'est indispensable ?
- Speaker #0
Alors, il faut distinguer. Il y a une grande critique littéraire. Enfin, il y a quelque chose qui est une pensée critique, que développent des très grands critiques. Starobinsky. Oui, je veux dire ce genre de choses-là. Je pense... Il y a des trucs, puisqu'on parlait de Russie, au livre de Nabokov sur Gogol, ça c'est vraiment de la très très grande littérature critique. Bon, les critiques au jour le jour, là finalement, mon critère à ce moment-là est un peu est-ce qu'ils disent du bien de moi ou non ? Je trouve très bon ceux qui font mon éloge. et mauvais ce qui...
- Speaker #1
Oui, mais en fait, vous êtes quand même sensible à la réception. Bien sûr. Par exemple, là, c'est pas désagréable d'avoir un prix.
- Speaker #0
Ah non, mais bien sûr que je suis sensible. Alors, je suis sensible à la réception aussi pour une... Il y a les questions de vanité, tout ça, auxquelles je n'échappe pas plus qu'un autre. Mais il y a aussi, dans la mesure où on écrit des livres qui recherchent une espèce d'efficacité quasi performative dans le rapport avec le lecteur, C'est aussi une espèce de critérium de la réussite du livre, de susciter... Si vous faites ce genre de livre en mettant tout votre cœur à intéresser, à capter le lecteur et tout, et que personne n'en est captif, c'est pas seulement que ça fait de la peine, c'est que vous vous dites que vous avez raté votre coup.
- Speaker #1
J'ai raté mon coup, oui. Mais ça ne vous est pas tellement arrivé. Non,
- Speaker #0
ça ne m'est pas tellement arrivé, c'est vrai.
- Speaker #1
Quel est, selon vous... votre chef d'oeuvre ? lequel ?
- Speaker #0
il ne faut en choisir qu'un alors là je pense vraiment que c'est D'autres vies que la mienne qui est le livre que tous les gens qui a le plus touché les gens qui le lisent celui qui commence donc par le tsunami au
- Speaker #1
Sri Lanka pour ensuite s'intéresser au droit de la consommation,
- Speaker #0
on est bien d'accord oui oui oui je pense que c'est le livre le plus humain que j'ai écrit et derrière je mettrais celui-là Euh...
- Speaker #1
Êtes-vous un Wawin ?
- Speaker #0
Alors, dans la vie, je ne crois pas du tout. Est-ce que dans les livres, il n'y a pas un côté un peu... Est-ce que je ne suis pas un peu enclin ?
- Speaker #1
Ça dépend des livres. Peut-être dans Yoga, peut-être. Dans Yoga, c'est un petit peu... C'est pas tout à fait exempt de oui-oui-nitude.
- Speaker #0
Enfin, je n'essaye pas, j'essaye quand même de ne pas.
- Speaker #1
Je pose cette question toutes les semaines. Qui est le meilleur écrivain français vivant ? Et vous êtes souvent la réponse. C'est vrai ? Oui, les gens donnent votre nom régulièrement. Maintenant, je vous la pose aussi.
- Speaker #0
J'ai le droit qu'il y ait une réponse ?
- Speaker #1
Oui, et il faut qu'il soit vivant.
- Speaker #0
Il faut qu'il soit vivant. Bon, je pense que c'est tout de même Michel Houellebecq. J'aurais bien un ou deux autres noms, j'aurais bien aimé dire Yasmina Reza, Pierre Michon. Mais je pense que Houellebecq, il a ce côté un peu, comme disait, je ne sais plus qui, je crois, Estes de Gilles ou de Sartre, mais un peu contemporain capital, le type avec qui... Et je pense par ailleurs, vous voyez, on disait ça au début là, sur les... Je pense que tout de même, Houellebecq, c'est quelqu'un qui a une vision historique. qui a une vision du moment. D'ailleurs, je suis curieux de ce que... Je ne sais pas ce qu'il est en train d'écrire, Houellebecq, mais je me dis que peut-être qu'il peut attraper quelque chose de ce qui se passe en ce moment. Moi, j'admire ça. Il y a des tas de côtés qui peuvent... Il y a une espèce de hauteur de vue.
- Speaker #1
Oui, oui, oui. Et il a aussi le côté voyant.
- Speaker #0
Et par ailleurs, je cite, je raconte là-dedans quelque chose d'assez inattendu. C'est non seulement que ma mère adorait Houellebecq, et a essayé de le faire entrer à l'Académie, bon, en vain, mais il s'est dérobé très gentiment. Mais elle considérait Welbeck comme une espèce de boussole morale. C'est pas quelque chose, on ne l'associe pas volontiers à ça, ni ma mère non plus, mais voilà, c'était un peu son héros littéraire, Michel Welbeck.
- Speaker #1
À ce propos, puisque votre mère n'est plus à l'Académie, c'est pas du tout un endroit qui vous tente. Pourquoi ? Vous n'avez pas les vieilles institutions comme la Pérouse, les vieux endroits ?
- Speaker #0
J'aime bien que vous m'invitiez à la Pérouse, bien sûr, ça me fait plaisir, mais c'est de la même manière, je ne sais pas, je ne veux pas faire partie de jury, de trucs comme ça. Ça correspond peut-être à une espèce de...
- Speaker #1
C'est pour vous différencier, peut-être ?
- Speaker #0
Non, mais il y a une espèce un peu de... Si curieux que ce soit... J'ai pas été 68ard pour des raisons, ne serait-ce que d'âge, en réalité, ça a quelques années près, mais j'ai une espèce de truc hérité de 68, au fond, d'une sorte de peu de goût pour les institutions. Je suis content qu'elles existent, mais c'est comme disait... C'était... Ce qui est marrant, c'est que je vois ça dans la tête... dans la bouche de Claude Lévi-Strauss mais si ce n'était pas Claude Lévi-Strauss c'était Julien Gracq à qui on parlait de l'académie française et qui disait moi je suis très content que les Horsgards ça existe mais je ne tiens pas forcément à en faire partie ça ne me connaissait pas j'aime bien la question
- Speaker #1
Fahrenheit 451 vous connaissez bien l'oeuvre de Ray Bradbury de Berry, on est dans un monde où les livres sont interdits et brûlés par les pompiers. Quel livre seriez-vous prêt à apprendre par cœur pour le transmettre à vos enfants dans une forêt ?
- Speaker #0
Alors, je peux... Oh allez, je peux dire Guéret Pays qui est quand même mon roman préféré. En même temps, ça fait long à apprendre par cœur. Si c'est juste pour l'emporter, on est content d'avoir un gros livre sur l'île des Herbes. Non, il faut l'apprendre par cœur. Si c'est pour l'apprendre par cœur, bon, mais à ce moment-là, s'il faut faire plus court, je prendrais La mort d'Ivan Illich de Tolstoy. Mais ce n'est pas gay. C'est le récit d'une agonie.
- Speaker #1
Y a-t-il un livre qui vous a sauvé la vie ? Sérieusement, quand vous alliez mal, est-ce que c'est arrivé ?
- Speaker #0
Je ne sais pas,
- Speaker #1
par exemple, les syllogismes de l'amertume de Cioran, ça peut faire du bien. Non,
- Speaker #0
pas du tout. Alors, je vais vous faire une réponse qui est terriblement... qui a l'air d'une réponse de sacristie ou un truc comme ça, mais somme toute, les évangiles me paraissent une lecture... C'est pas une lecture vraiment religieuse, je pense que ce qui fait la grandeur des évangiles, c'est qu'on peut... Il n'y a absolument pas besoin de croire en Dieu pour ça. D'ailleurs, il n'est jamais... Il n'est pas question de Dieu, ce sont des espèces de lois de la vie que ça exprime. Ça ne dit d'ailleurs pas « ne faites pas ceci, ne faites pas cela » . Il vous dit ceci. Ça veut dire que ça entraîne cela. C'est des lois du karma, beaucoup plus que des lois religieuses.
- Speaker #1
Et puis un type qui va très mal et qu'on crucifie, finalement trois jours après ressuscite. C'est encourageant. Il y a quand même un message d'espoir. C'est encourageant. Et enfin, quel est votre âge mental ? Est-ce que vous êtes le petit garçon qui nage dans la piscine ? Non,
- Speaker #0
ce que je pense, c'est que chacun a un âge qui est son bon âge, l'âge dans lequel il est à son meilleur. Et à vrai dire, je pense que c'est plutôt les eaux dans lesquelles je suis. Moi, j'ai été un jeune homme malheureux, je n'étais pas un bon jeune homme. J'étais un bon petit enfant, mais ensuite pas terrible. Et j'ai l'impression que... Moi, je me suis souvent dit que ce qui me conviendrait, c'est d'être vieux. Et je commence, et voilà, je m'en approche, voire j'y suis, j'ai 67 ans, c'est plutôt pour moi mon bon âge.
- Speaker #1
Mais tant mieux, on finit sur une bonne nouvelle.
- Speaker #0
N'est-ce pas ? Je vous souhaite aussi, il faut que vous preniez un peu de bouteille.
- Speaker #1
Merci beaucoup Emmanuel Carrère, merci infiniment de nous avoir suivis. Je vous engage à lire le deuxième tome de Vers le Réel. En quarto galimar avec Je suis vivant et vous êtes mort, Limonov, Le Royaume et quelques inédits ainsi que bien sûr le prix Médicis 2025 Colcos d'Emmanuel Carrère aux éditions POL et surtout n'oubliez pas, lisez des livres sinon vous mourrez idiot, mais vous le savez.