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JEAN-CHRISTOPHE GRANGÉ : "JE SUIS NÉ DANS LA PEUR." cover
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Conversations chez Lapérouse

JEAN-CHRISTOPHE GRANGÉ : "JE SUIS NÉ DANS LA PEUR."

JEAN-CHRISTOPHE GRANGÉ : "JE SUIS NÉ DANS LA PEUR."

52min |21/11/2025
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Description

Dans son dernier livre, Jean-Christophe Grangé parle de "Conversations chez Lapérouse" ! Il affirme que je lui ai donné l'idée, lors de notre dernier entretien il y a deux ans, de raconter son enfance terrifiante sous la menace de son père psychopathe. "Je suis né du Diable" serait donc de ma faute ?! Mais alors pourquoi cet ingrat ne me reverse-t-il aucun droit d'auteur ?? Je le remercie néanmoins pour ce nouveau dialogue captivant et courageux.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir les amis de la littérature et du luxe, bienvenue chez La Pérouse pour une nouvelle conversation avec cette semaine Jean-Christophe Granger, mais tout de suite un courrier, un courrier avec en tête Estée Dupont. Alors il s'agit du président de Estée Dupont qui m'écrit, « Cher Frédéric, on dit que les plus belles histoires commencent par une étincelle et parfois par un beau stylo. » À travers votre nouvelle émission Conversation chez la Pérouse, vous recréez avec brio cet esprit de salon à la française, où la littérature s'invite à table. Et voici le cadeau de la semaine pour moi-même. Tu le veux ou pas ? C'est un stylo magnifique d'un raffinement exceptionnel. Eternity XL. Voilà. La quai Noir. Vous voyez, je n'arrive même pas à le... C'est le cas de Strop. Bref, ce stylo magnifique. n'hésitez pas continuez à envoyer des cadeaux pour nous aider et merci à Estée Dupont bonsoir Jean-Christophe bonsoir donc ce livre Je suis né du diable aux éditions Albain Michel c'est votre 20ème livre et le plus émouvant vous êtes un auteur de romans policiers gothiques noirs ultra violents les rivières pourpres en 98 vous avez été adapté 7 fois au cinéma et il y a 2 ans je vous ai reçu pour Rouge Karma C'était en 2023 et vous m'avez raconté votre enfance. Et ce jour-là, je vous ai suggéré d'écrire un livre sur ce sujet.

  • Speaker #1

    Absolument.

  • Speaker #0

    Et vous m'avez obéi.

  • Speaker #1

    Absolument, parce que vos désirs sont des ordres. J'ai tout de suite pris ma plume et je m'y suis mis aussitôt.

  • Speaker #0

    Donc, « Je suis né du diable » , c'est votre premier texte autobiographique. Et c'est vrai que... Bon. Bon, alors, ce n'est pas très original par rapport aux 400 autres livres de la rentrée autobiographique, mais pour vous, c'est une nouveauté. Est-ce que c'est plus difficile que construire un thriller à suspense ?

  • Speaker #1

    Alors, ça, je me permets d'insister sur ce fait, c'est beaucoup plus facile. Parce qu'on ne peut vraiment pas comparer un récit où j'ai écrit finalement, dans sa chronologie, des événements terribles qui se sont déroulés, et où j'ai pris... tout de même la peine de m'identifier à ma mère et à ma grand-mère qui ont vécu ces événements, qui ont lutté contre mon père qui était maléfique. Mais on ne peut pas comparer ce travail-là avec le travail de structure, d'invention de personnages, d'invention d'histoire, d'univers qui préside un roman. C'est quand même... Moi, je l'ai écrit d'abord beaucoup plus rapidement et beaucoup plus facilement. À chaque fois que je commence un nouveau roman, que je dois mettre en place un univers et même un langage, pour chaque histoire, il y a un langage particulier. C'est quand même un autre boulot.

  • Speaker #0

    Vous dites, page 19, il est temps d'admettre l'essentiel. Mon père n'était ni un mauvais père, ni un mari violent, il était purement et simplement le diable.

  • Speaker #1

    Oui, il faut insister sur ce fait que là, je ne vais pas raconter une histoire de divorce qui se passe mal, de violence domestique ou d'un couple qui a des difficultés. On a affaire à un vrai personnage psychotique qui a torturé, disons, deux, trois ans. ma mère, psychologiquement et physiquement. Et tout ça se passait au moment de ma naissance. Donc ce qui m'intéressait, c'était de raconter cette naissance et sans doute les traumatismes que j'ai ressentis, sans m'en souvenir aujourd'hui, inconsciemment, et qui sont déversés dans tous mes livres, parce que finalement mes livres, c'est exactement cette histoire à chaque fois.

  • Speaker #0

    Quand on se demandait pourquoi Jean-Christophe Granger écrit toutes ces horreurs, maintenant on a l'explication.

  • Speaker #1

    Le livre est, comment dirais-je... écrit pour ça, c'est-à-dire on m'a tellement souvent posé cette question, mais d'où vient des idées pareilles, que j'ai dû me tourner vers mon enfance, et puis il y avait cette zone d'ombre que j'ai creusée, et là j'ai découvert qu'il y avait en effet quelque chose de terrible. Alors, je lis.

  • Speaker #0

    C'est là-dessus exactement.

  • Speaker #1

    Dans mon premier roman, Le vol des cigognes, l'assassin est le géniteur du héros, cherchant à lui arracher le cœur pour le greffer dans le corps de son autre fils.

  • Speaker #0

    Ça commence bien !

  • Speaker #1

    Dans le suivant, Les rivières... pourpre, le village où se déroule l'intrigue est en réalité un élevage, où des hommes, en vue de créer une race supérieure, échangent des bébés à la maternité et contrôlent plus tard leur mariage. Des pères encore, mais de substitution. En 30 ans, je n'ai jamais changé de ligne, toujours des problèmes d'origine, des géniteurs maléfiques. C'est ma cam, comme on dit. Et même c'est ma peau. Au fond, tous ces bouquins sont des autobiographies détournées. Aujourd'hui, j'essaie d'écrire la bonne, la vraie, l'histoire qui s'est déroulée sous mes yeux effaré de gamins meurtris. Ce livre est mon solde de tout compte.

  • Speaker #0

    Voilà, merci beaucoup. Donc oui, c'est quand même... Alors là, c'est assez incroyable parce que je ne vois pas de précédent. C'est-à-dire que je ne vois pas dans le monde du polar ou du thriller quelqu'un qui, tout d'un coup, nous donne le mode d'emploi, le rosebud de son œuvre.

  • Speaker #1

    Absolument, c'est le rosebud, c'est le roman initial, c'est le roman que j'avais en moi et qui n'est pas un roman, qui est un récit, qui est une histoire vraie, et que j'ai pris la peine tout d'un coup... d'écrire et avant de l'écrire de faire cette enquête parce que il faut quand même le dire, ma mère ça a été tellement terrible pour elle qu'elle n'a jamais voulu me dire un mot là-dessus. Donc j'ai grandi dans cette espèce de point d'interrogation permanent alors il y avait des bribes qui s'échappaient ma grand-mère elle en avait tellement sur l'estomac bon elle me racontait un épisode les épisodes étaient à chaque fois effarants et j'ai toujours grandi dans cette idée, bon ben mon père est dangereux mon père est le diable ... Je ne le connais pas, je ne l'ai jamais vu. Finalement, il est mort pendant mon adolescence. Vous ne l'avez jamais rencontré ? Jamais rencontré. Et c'est la première fois que ma mère m'a parlé de mon père. C'était pour me dire qu'il était mort. Donc finalement, l'Odyssée a été aussitôt ouverte et refermée. Et bon, je le raconte dans mon livre, mais quand j'ai fait une dépression vers l'âge de 45 ans, ma psychiatre m'a tout de suite dit, mais là, vous avez un vrai problème dans votre enfance, dans vos origines. C'est ça qu'il faut percer comme abcès. Vous devez en parler à votre mère. Une nouvelle fois, elle a refusé de me raconter et elle m'a dit tout ce que je peux faire, c'est te donner le dossier du divorce. dans lequel il y a plein de témoignages et tu comprendras mieux l'histoire. J'ai pris ce dossier, les mains un peu tremblantes, j'ai ouvert et la première pièce que j'ai vue, c'est cet article de presse qui raconte l'épisode que je raconte au début du livre, qui est un épisode absolument terrifiant, qui est une scène qu'on dirait issue d'un de mes romans. C'est-à-dire qu'on est dans le monde de la fiction exacerbée. C'est une jeune femme qui attend son bus, porte de Vincennes. En 1963. En 1963, donc on imagine la scène, elle a des petits cheveux courts, elle a sa petite robe toute droite, et une camionnette s'arrête avec trois hommes cagoulés, qu'ils l'enlèvent, elle hurle, ils la mettent dans la fourgonnette et ils partent à fond au cimetière de Saint-Mandé, ils la traînent par terre pour l'enterrer vivante, donc dans une tombe qu'ils ont décelée. Elle arrive à s'en sortir, et comme je dis dans mon livre, avec ce sens des formules qui me caractérisent, la jeune femme qu'on vient d'enlever, c'est ma mère, et le chef des cagoulés, c'est mon père. Donc on n'est pas du tout dans une dispute classique.

  • Speaker #0

    Non, c'est une tentative de meurtre, et vous avez à l'époque deux ans, et elle, 25.

  • Speaker #1

    Exactement, à peu près, oui. Et donc, ce sont des choses qui se sont passées, et c'est ça qui m'intéresse dans ce livre, qu'on ne m'a évidemment pas raconté. mais que j'ai pressenti et que j'ai capté d'une certaine façon, avec un espèce de sixième sens, les enfants, inconsciemment. Et ce qui est intéressant, c'est que dans mes livres, je n'ai pas raconté exactement ces épisodes-là, mais c'est ce genre d'histoire.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Et là, ce qu'il y a d'intéressant, c'est que vous êtes quand même un... Comment dire ? Vous avez un art du storytelling. Vous placez au début du livre cette scène très, très choquante pour... quand même nous a pâtés. Et c'est là qu'on voit que ce n'est pas seulement Granger nous raconte sa confession intime, c'est que ça reste du Granger.

  • Speaker #1

    Alors voilà, c'est ce que je voulais faire. Quand on me demande pourquoi aujourd'hui écrire cette histoire, c'est parce que grâce à vous, j'ai compris qu'en vous racontant quelques épisodes, j'avais matière à un vrai livre.

  • Speaker #0

    Vous avez vu mes yeux écarquillés.

  • Speaker #1

    Ah non, non, mais vous me l'avez dit même. Là, il y a matière à un vrai livre, à un livre, disons, entre guillemets, d'autofiction, mais où il se passera des trucs pour une fois.

  • Speaker #0

    C'est vrai, oui, contrairement au prix Goncourt.

  • Speaker #1

    Et donc, dans ce cas-là, moi je me suis dit, je vais raconter cette histoire, mais entre guillemets, j'ai amené ma trousse à outils, c'est-à-dire les outils de granger. Et par exemple, j'ai pris la peine de m'identifier à ma mère, à ma grand-mère, pour parler en leur nom et en m'identifiant comme je m'identifie dans mes thrillers à mes personnages, pour qu'on vive cette histoire terrible. de l'intérieur, pas avec cette distance du type qui raconte une histoire lointaine, etc.

  • Speaker #0

    Oui, donc scène d'ouverture hallucinante, et puis juste après, vous parlez à la première personne, et vous êtes votre mère, donc vous êtes comme Anthony Perkins dans Ficose, qui met les vêtements de sa mère morte, sauf que votre mère est vivante.

  • Speaker #1

    Exactement. Non, mais alors, ça aussi, c'est une chose qu'on m'a demandé, j'ai pas eu beaucoup de problèmes à me... à m'identifier à ma mère, à m'identifier à ma grand-mère, parce que j'ai l'habitude à travers mes romans. Mais finalement, dans ce cadre-là, c'était des personnages et je devais me mettre dans leur peau. Et donc, quand on les cueille au début du livre, c'est au moment où ma mère décide, avec l'aide de sa mère, donc ma grand-mère, de se marier, parce qu'elle est déjà enceinte et qu'à l'époque, il n'y avait pas le choix quand on était enceinte. Et elles vont prendre cette décision, la peur au ventre.

  • Speaker #0

    Elle sent qu'il y a quelque chose qui ne va pas chez ce type.

  • Speaker #1

    Au départ, ce type est le prince charmant façon Sixties. Il a sa décapotable, il a son petit costume noir. Il est fils d'une grande famille. Il est étudiant en médecine. Il a tout pour lui. Et puis, elle a déjà vu, ma mère, qu'il y avait des choses qui ne collaient pas, des fêlures. Et elle prie pour que ces choses-là ne s'en veniment pas. Et ce qui va être évidemment absolument le contraire.

  • Speaker #0

    Et en fait, c'est un pervers narcissique, ultra jaloux, très possessif et en même temps infidèle, alcoolique. Il a l'alcool agressif, en fait. Il a l'alcool très violent. Il a l'alcool méchant.

  • Speaker #1

    Et il a ce truc de... Oui, j'en parle. Je parle du film Gaslight qui raconte cette même histoire.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    De processus de destruction d'un homme qui, par tous les moyens, qu'il soit violent ou parfois, c'est ce que je raconte, il fait semblant d'être bienveillant et puis il fait semblant de penser qu'elle est malade, des nerfs. Donc il l'abrutit de médicaments. Et ma mère, pendant sa grossesse, va évoluer dans un semi-monde de médicaments abrutissants et un semi-monde nocturne, parce qu'il la traîne dans les pires bars de la capitale pendant qu'elle est enceinte, il l'oblige à boire, et elle va partager son temps comme ça entre deux températures qui font qu'au moment de la mort, de ma naissance, elle ne comprend plus du tout ce qui se passe.

  • Speaker #0

    Et ce film de Georges Cucor en 1944 avec Ingrid Bergman et Charles Boyer est aujourd'hui devenu une expression commune de gaslighting, ce qui consistait dans le film à baisser les lumières au gaz pour que sa femme ne comprenne plus vraiment si elle est dans la réalité.

  • Speaker #1

    C'est la métaphore de la conscience de la femme qui baisse, qui faiblit. Et c'est exactement ce qui est arrivé à ma mère. ... Et c'est une sorte de, comment dire, oui, de presque un archétype qui arrive parfois dans les couples et qui est arrivé à ma mère dans des conditions exacerbées, vraiment exacerbées.

  • Speaker #0

    Alors, sachant que vous avez dans votre ADN les gènes d'un psychopathe, finalement, vous vous en sortez plutôt bien. Vous n'êtes pas addict à des stupéfiants, je ne crois pas. Vous n'êtes pas alcoolique. Vous êtes plutôt gentil dans la vie parce que je vous ai déjà côtoyé.

  • Speaker #1

    Alors justement, c'est ça l'histoire un petit peu en filigrane que j'ai voulu raconter, parce qu'il faut dire qu'il y a une deuxième partie où je raconte un peu le début de ma carrière et comment je suis devenu écrivain et comment ça a réussi. Il y a ce processus que j'explique dans le livre qui s'appelle la sublimation, qui consiste, bon c'est Freud qui a parlé de tout ça, mais qui consiste à déplacer un objet soit de désir interdit, soit de terreur, en un objet positif. Et donc moi très tôt dans mon enfance, oppressé quand même malgré moi par cette menace et puis par par cette question que mon père était était un diable j'ai détourné cette oppression j'en ai je les transformer en une activité artistique je dessinais beaucoup quand j'étais petit et alors je dessinais beaucoup de personnages inquiétants de vampires de 2,2 comment dirais-je de contes méchants danser dans leur château et en fait je transformais mais qui est pas un fan de films d'horreur voilà je transformais mon père, personnage réel et menaçant, en une fiction, et j'ai pu arrêter après, au moment de mes premiers livres, finalement, sans m'en rendre compte, j'ai continué ce processus de transformer, finalement, et c'est ça qui est intéressant, une mécanique de transformer un objet vraiment négatif, qui aurait pu me traumatiser ou me rendre moi-même méchant.

  • Speaker #0

    Vous avez actué tout ça par la littérature.

  • Speaker #1

    Et la littérature, entre guillemets, m'a sauvé.

  • Speaker #0

    Et ça, si vous savez tout ça aujourd'hui, c'est parce que vous avez suivi une thérapie, une psychanalyse pendant des années. Voilà,

  • Speaker #1

    au moment de ma dépression, ma psychiatre m'a donné des médicaments qui m'ont vraiment remis sur pied. Moi, j'adore les médicaments. Attention,

  • Speaker #0

    votre père en donnait à votre mère.

  • Speaker #1

    Oui, alors oui, pas trop quand même. Mais en même temps, elle m'a suggéré de faire une analyse où là, j'ai lavé mon linge sale, mais ce n'était pas encore tout à fait le complet parce que je... connaissais pas encore tous les épisodes, j'avais pas encore lu ce dossier de divorce qui me semblait trop douloureux. Mais quand même, j'ai fait beaucoup le ménage à l'époque, et je réponds à cette question que vous m'avez pas encore posée, qui est que j'ai fait le ménage et j'ai pas perdu au passage d'inspiration. Moi j'ai eu peur, j'ai eu peur de dire, attends, si j'ai plus de problèmes, j'aurais plus rien à dire.

  • Speaker #0

    Vous êtes très... Vous adorez David Lynch, et David Lynch, je l'avais rencontré J'avais travaillé avec lui sur une publicité quand j'étais dans la pub. Et il ne voulait pas faire de psychanalyse pour cette raison-là. Il avait très peur qu'en faisant une thérapie, il n'ait plus d'inspiration après et qu'il arrête de faire des histoires de nains qui parlent à l'envers derrière un rideau rouge. Vous voyez, genre de Twin Peaks. Non, non,

  • Speaker #1

    alors on couvre un peu ces névroses. On les garde au chaud parce que c'est quand même un petit peu le cœur du réacteur. Mais finalement, ce n'est pas ça qui s'est passé. Les traumatismes, ils restent. Ils sont là, tranquilles. Mais en revanche, ma tête était plus claire et j'étais plus apaisé. Parce que moi, j'aime beaucoup un livre de Gérard Garouste qui s'appelle L'Intranquille, où il raconte que bien sûr, tout le monde rêve de Van Gogh, le peintre maudit, malade, qui se coupe l'oreille. Mais vaut mieux être Picasso, vaut mieux être quelqu'un d'équilibré. Pour le travail, c'est beaucoup mieux. Parce que les maladies psychiques, elles vous donnent peut-être une forme d'inspiration, mais elles vous empêchent de bosser.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, Pablo Picasso est venu souvent chez la Pérouse, ici même, puisqu'il était voisin. il habitait 7 rue des grands Augustins, son atelier où il a peint Guernica,

  • Speaker #1

    je précise pour remettre ce restaurant à sa place. Dans le Cénacle.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Mais oui, on savait depuis, enfin comment dire, moi qui vous lis souvent, depuis quelque temps, on sentait que vous vouliez vous renouveler. Il y a eu ce livre Rouge Karma qui se passait chez les hippies, avec des hippies méchants. Ensuite, il y a eu Disco Inferno, alors là carrément un suspense au bain-douche. en pleine épidémie de sida. Donc, c'est vrai qu'on sentait que vous vouliez aller dans d'autres directions. Et là, c'est vraiment l'exemple. C'est même suprême. Et même maintenant, je me demande où vous allez aller. C'est ça qui...

  • Speaker #1

    Sans être inquiet. Si vous me posez la question, on va aller à Tokyo la prochaine fois. Parce qu'avec les années qui sont passées... Cet amour que j'ai pour le Japon, j'ai décidé de vivre disons la moitié du temps à Tokyo et j'ai maintenant une bonne connaissance de la ville et je me suis dit que ça valait le coup d'écrire un polar. Alors là je reviens au thriller, mon style habituel, mais à Tokyo et ce qui me permettra de raconter beaucoup de choses qu'on ne sait pas quand même sur le Japon. On dit beaucoup de choses sur le Japon mais un peu toujours les mêmes choses. Oui,

  • Speaker #0

    toujours les mêmes. Tradition, modernité. Voilà,

  • Speaker #1

    tradition, modernité. J'ai essayé de raconter quelque chose d'autre.

  • Speaker #0

    Quelque chose d'autre, très bien. Donc, parlons un peu de votre père, Jean-Claude Granger, que vous n'avez pas connu. Mon but, ce n'est pas de vous faire pleurer, mais ça ressemble beaucoup à Jean-Claude Romand. C'est-à-dire que c'est un faux médecin, comme lui. Il fait croire qu'il est médecin, qu'il a passé ses diplômes, mais il ne l'a pas fait. C'est le même prénom, Jean-Claude. Et au fond, vous avez peut-être échappé à la mort de peu, parce que Jean-Claude Romand, il a fini par tuer toute sa famille, femme et enfant.

  • Speaker #1

    Alors, mon père était différent dans le sens où il vivait dans un mensonge, c'est vrai, mais il était beaucoup, beaucoup plus agressif, c'est-à-dire qu'il n'essayait pas de jouer un rôle. Par ailleurs, il était vraiment très, très, très méchant avec ma mère, il la torturait physiquement, moralement, et il torturait tout le monde d'ailleurs, parce que... Pour avoir des informations sur cette famille que je n'ai jamais connue, la famille de mon père, j'ai été retrouver au fin fond de la Virginie-Occidentale, aux Etats-Unis, sa petite sœur, qui elle-même a fui à 17 ans, parce que c'était invivable de vivre avec lui, parce qu'après le divorce de ma mère, il est revenu chez ses parents, donc où il y avait cette jeune fille, et elle m'a raconté qu'il l'étranglait dans la nuit, ou qu'il la menaçait avec une arme quand elle faisait ses devoirs.

  • Speaker #0

    Lui-même avait été menacé avec un couteau ? par son propre père. Donc, lui-même était aussi... C'est une famille ultra toxique et dysfonctionnelle, comme on dit aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Moi, c'est ma théorie, si vous voulez, que, comme je dis toujours, tous les enfants malheureux ne font pas des serial killers, mais tous les serial killers ont été des enfants malheureux. Ça, c'est évident. Donc, on peut s'en sortir, mais la fracture de l'enfance, ça peut donner vraiment des monstres. Alors, lui, c'est un peu ça qui s'est passé. Ça reste quand même assez mystérieux, parce qu'il était à ce point maléfique Donc... On voudrait qu'il ait eu un traumatisme terrible, il n'a pas vraiment eu ça. Mais ce qui est important à dire, parce que c'est ce que je développe dans le livre et ce qui est très proche de mes propres livres, c'était une sorte de diamant noir. C'est-à-dire que rien n'était positif chez lui. C'est-à-dire qu'il y a un détail qui m'a beaucoup choqué, c'est un truc d'ordre social, mais après ma mère, il a trouvé le moyen de coucher avec sa belle-sœur. Donc il piétinait aussi l'ordre social, les règles. c'était un Mr Hyde c'est à dire tout ce qui pouvait apparaître à sa portée de main, il le détruisait, d'une façon ou d'une autre.

  • Speaker #0

    Il y a cette scène complètement atroce où il organise une fête dans l'appartement familial et il enferme votre mère et vous dans la salle de bain pendant trois jours pour se bourrer la gueule avec des nanas, des maîtresses.

  • Speaker #1

    On dirait qu'il prenait un espèce de malin plaisir à moitié, parce que lui-même était malheureux, c'était pas quelqu'un qui jouissait de tout ça quand même. Il avait besoin de drogue, d'alcool pour s'oublier lui-même. Mais il faisait tout tout tout de même pour détruire briser l'idée du bien donc en cela il est intéressant et moi j'ai tendance à le considérer maintenant avec la distance comme un malade c'était à mon avis un type comme ça vivraient aujourd'hui il serait soigné interné et c'est ça aussi l'erreur qu'a fait son père c'est à dire mon grand-père paternel il n'a jamais voulu entendre parler de psychiatrie En fait, il aimait beaucoup son fils. Il essuyait les plâtres, il payait les factures. Mon père n'a jamais travaillé, donc il a toujours été entretenu par son père. Mais en même temps, il n'a jamais voulu le soigner comme on le soignerait aujourd'hui, c'est-à-dire avec la psychiatrie, des médicaments, etc.

  • Speaker #0

    Hôpital Saint-Anne direct ? Direct,

  • Speaker #1

    direct. Et ça aurait, à mon avis, empêché beaucoup de méfaits. Il a été aussi pas mal en prison, parce que c'était le mal absolu. Moi, j'ai revu encore un vieux film de Jean Renoir, qui est une adaptation du Dr. Jekyll and Mr. Hyde. Bon, le personnage, il s'appelle Opal dans le film. Dès qu'il sort dans la rue, il fait le mal.

  • Speaker #0

    Alors, je dirais aussi, il y a beaucoup de livres qui parlent de féminicide dans cette rentrée, notamment le livre de Natacha Apana, La nuit au cœur, qui a eu le prix Fémina. Votre livre est un livre féministe. C'est vrai, c'est un livre féministe. C'est peut-être la différence avec Apana, c'est que ce n'est jamais ennuyeux, parce que vous arrivez à vraiment captiver l'attention comme un polar. Mais je veux dire, c'est aussi un livre féministe. D'ailleurs, il est dédié à votre mère et votre grand-mère, André et Michel, car vous avez été élevés par ces deux femmes. Vous savez que c'est le point commun que vous avez avec Albert Camus, qui a été éduqué par sa mère et sa grand-mère. Et aussi Charles Péguy. C'est bien. Oui, parce que, bon, c'était pour des raisons différentes, mais c'est vrai que... Vous avez ce point commun ?

  • Speaker #1

    C'est un livre féministe, mais je dirais que c'est surtout un livre héroïque. Moi, ce que j'aime, c'est l'héroïsme. Dans mes bouquins, il y a toujours un héros qui se bat contre un très méchant tueur et qui arrive à vaincre. Et là, tout à fait dans un autre contexte, à une autre échelle, c'est la même chose. C'est-à-dire que ma mère et ma grand-mère ont été obligées de lutter contre le diable, contre mon père, avec en toile de fond une dichotomie sociale. C'est-à-dire que mon père était riche, il venait de Saint-Mandé. qui est un peu le neuilly de l'Est. Et ma mère et ma grand-mère venaient d'un milieu modeste et étaient beaucoup plus faibles. Donc même au moment du divorce, ma mère et ma grand-mère avaient... Une copine avocate. Oui, la tante qui n'était même pas avocate. Elle travaillait chez un avoué à l'époque, on disait ça. Alors que mon père avait les meilleurs avocats, si vous voulez. Il y a eu toujours ce côté David contre Goliath. Et ma mère et ma grand-mère, c'est ce que j'ai essayé de raconter dans mon livre. ont été des héroïnes, vraiment. Il y a des scènes très chocs, très fortes dans le livre. Mais oui, c'est dingue ! Où elles se battent vraiment, comme dans un thriller romancé. La scène,

  • Speaker #0

    vous êtes, vous, petit garçon, dans un square, et votre père arrive, il a une tenue de médecin, parce que comme il est mytho, il fait croire qu'il est médecin, il a une blouse blanche, mais c'est vraiment, c'est Hannibal Lecter, quoi ! Il a une blouse blanche et un stéthoscope autour du cou. Et il essaye de vous kidnapper. Vous aussi, vous avez été victime de tentatives.

  • Speaker #1

    Cet héroïsme est d'autant plus, je dirais, glorieux et vaillant que par nature, ma mère et ma grand-mère sont très peureuses. Moi, j'ai toujours connu ma grand-mère. Il y avait une souris dans la maison de campagne. On devait déménager en urgence.

  • Speaker #0

    Et donc,

  • Speaker #1

    elles se sont battues parce qu'il n'y avait pas le choix. Et c'était une sorte de serment aussi. Ça, je le raconte aussi quand elle vient me voir à l'hôpital. En plus, je suis né très, très malade. donc il fallait me voir dans une... couveuse, suspendue par des bretelles. J'imagine cette scène déjà très inquiétante. Et je l'imagine se faire un serment à elle-même. C'est-à-dire que si cet enfant survit, ça sera l'objet de notre combat maintenant. On va le protéger et on va faire en sorte qu'il devienne un garçon normal, etc.

  • Speaker #0

    Vous avez eu deux fois plus d'amour, du coup.

  • Speaker #1

    Voilà.

  • Speaker #0

    Exactement. Parce qu'il y avait cette épée de Damoclès permanente.

  • Speaker #1

    Dans ma famille, Bisous. je peux dire que j'ai toujours été un peu le petit prince parce que j'étais l'enfant qui avait échappé à tout ça, l'enfant qui avait été caché un peu chez les oncles et les tantes. J'étais un rescapé et, comme je dis à un moment donné, j'étais un peu condamné à un succès quelconque parce qu'on avait fait tellement d'efforts pour me protéger et me faire réussir à survivre qu'il fallait que je fasse quelque chose de ma vie.

  • Speaker #0

    Vous avez quand même eu une enfance terrorisée, par exemple, vous faisiez des cauchemars toutes les nuits.

  • Speaker #1

    Alors, c'est toujours cette histoire de... Comme je raconte le moment du mariage où ma mère se marie avec l'angoisse, l'inquiétude, j'imagine que cette peur, comme on dit la peur au ventre, elle m'a nourri d'une certaine façon. J'étais déjà dans le ventre et je me dis que quand même j'ai été nourri à la peur, je suis né dans la peur. Et cette peur, oui, elle m'a contaminé. Comme je dis, à un moment donné, je suis un enfant rétro-éclairé. Il y avait une espèce de lumière noire en moi qui a fait que c'était ambigu parce que j'avais beaucoup plus peur. peur je pense qu'un enfant normal et en même temps encore une fois j'ai transformé cette peur en un objet esthétique un objet enviable j'étais attiré par les films d'horreur etc et donc c'est devenu un peu une force oui mais bon moi je disais tout à l'heure que je ne connaissais pas d'équivalent dans l'histoire du roman policier il

  • Speaker #0

    ya quand même un livre de james elroy sur sur l'assassinât de sa mère qui s'appelle Ma part d'ombre et qui est sorti en 1996. Sauf que... Et ça change tout. L'assassin de sa mère n'était pas son père. Vous voyez, là, c'est presque pire, parce que là, vous, la menace, elle est au sein même de votre biologie.

  • Speaker #1

    Mais là, vous citez Hicham Selroy, alors il en a beaucoup parlé de la mort de sa mère, et puis évidemment, ça rentre en cohérence avec toute son œuvre. Mais il faut quand même dire qu'il y a quelque chose de vrai et d'ambigu, de très ambigu, mais ces drames, ces traumatismes nous font une sorte de cadeau empoisonné, c'est-à-dire que... C'est grâce à cette graine de folie que finalement on se met à écrire et qu'on écrit des choses qui vont peut-être plus loin que d'autres auteurs. Et moi je me pose cette question toujours avec mes enfants parce que moi j'ai tout fait pour qu'ils n'aient absolument aucun traumatisme. Mais alors peut-être qu'ils ne vont avoir rien à dire. C'est ça le problème. C'est mieux peut-être. C'est mieux mais ces traumatismes-là finalement nous ont donné une énergie.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'ils lisent, vos enfants, est-ce qu'ils lisent vos livres ?

  • Speaker #1

    Alors, ils lisent mes livres, mais encore une fois, enfin, les grands lisent mes livres, mais pas les petits. Mais encore une fois, j'ai tout fait pour leur éviter des traumatismes qui vont faire que peut-être, mon grand, il est plutôt dans le domaine artistique, mais ils ne vont pas avoir ce truc de... Oui, c'est difficile à admettre, mais toute cette histoire... Ils sont les petits. Les petits fils du diable, et c'est déjà pas mal, mais toute cette histoire qui m'est tombée dessus a fait que je suis ce que je suis aujourd'hui. Donc c'est quand même un, comment dire, un mal pour un bien.

  • Speaker #0

    Et puisque dans votre ADN il y a le diable, ça ne vous arrive pas d'avoir des pulsions ? Par exemple là vous n'avez pas envie de découper des gens en rondelles chez la Pérouse ?

  • Speaker #1

    Alors vous savez, ça m'intéresse beaucoup, de plus en plus on parle d'épigénétique.

  • Speaker #0

    Et oui.

  • Speaker #1

    ce qui est le développement de la... de votre patrimoine génétique, mais au contact de l'environnement et au contact du monde autour de vous. Même génétique ne va pas donner la même chose dans des contextes différents. Alors ce qui est intéressant chez moi, c'est que peut-être j'avais cet héritage génétique, en effet, mais que grâce à l'amour de ma grand-mère et de ma mère, et grâce à cette éducation que j'ai eue, protégée et vraiment parfaite, ça a donné quelque chose de positif.

  • Speaker #0

    Ah ben ça me rassure !

  • Speaker #1

    Oui, oui, oui. Non, non, non, mais encore une fois, je crois beaucoup à la dose d'amour qu'on doit donner. pendant l'enfance.

  • Speaker #0

    Bon, de toute façon, je n'ai pas l'intention de vous faire dire que vous étiez un tueur en série. Vous ne l'auriez pas dit dans l'émission. Mais est-ce que, au fond, quand on lit tous vos livres, est-ce que le message, s'il y en a, de Jean-Christophe Granger, c'est de dire que le mal est en nous et que c'est à nous de choisir. Mais qu'il y a en nous, nous avons le mal. Enfin, c'est ce que dit d'ailleurs la religion chrétienne. Il y a en nous le bien et le mal et nous devons faire un choix. Est-ce que ce n'est pas ça que vous avez toujours écrit ?

  • Speaker #1

    Alors absolument, là on est monté à l'étage supérieur. C'est parce que vous êtes chez moi. On est dans la métaphysique, là ça y est, on grimpe.

  • Speaker #0

    On monte d'un cran.

  • Speaker #1

    Tout à fait ce que je pense, c'est-à-dire que je pense, moi je suis catholique, donc je penche plutôt pour toute cette version-là. de la théologie, mais qu'on a une marge de manœuvre. On a le choix. Et au fond, c'est ce que disait saint Augustin, mais le mal, ce n'est pas vraiment le mal, c'est un dérapage du bien. Normalement, on devrait être bon. Mais comme on a cette marge de manœuvre, cette possibilité de choix, on peut déraper, on peut faire le mal par ignorance, par paresse. Et moi, c'est une question, c'est la question qui est dans tous mes livres. C'est une question qui me passionne parce qu'enfant, encore une fois, J'ai découvert la cruauté humaine, non pas à travers mon père, mais à travers des choses que j'ai pu voir, par exemple Nuit et brouillard, le film d'Alain Resnais qui m'a terrifié quand j'ai vu la vision des camps et tout ça. J'ai dit mais comment c'est possible ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Et donc il faut admettre qu'on a ça en nous, et alors moi je suis assez freudien comme vision du monde, je pense vraiment que ce dérapage vers le mal est lié à une frustration, à un manque d'amour. C'est-à-dire qu'encore une fois, si vous avez la bonne dose d'amour enfant, il n'y a pas de raison que vous glissiez dans la mauvaise direction. En revanche, si vous avez une filure, une fracture et qu'on vous a fait du mal enfant, ça, ça vous empoisonne.

  • Speaker #0

    Non mais c'est parce que le titre du livre est très religieux. Oui. Je suis né du diable.

  • Speaker #1

    Oui, parce que je pense que mon père était si maléfique qu'il atteignait une sorte de pureté. dans le mal, qui nous fait penser au diable, qui fait penser à une créature qui serait vraiment totalement à rebours des valeurs d'amour chrétienne, etc. Il était vraiment à rebours.

  • Speaker #0

    C'est ça qui fait que justement, peut-être, vos livres, depuis le début, ne sont pas seulement des enquêtes policières ou des thrillers terrifiants, ce sont des ouvrages de morale. Vous êtes un auteur moral.

  • Speaker #1

    Je vous remercie beaucoup de me dire ça, parce que justement, c'est ce que je pense, modestement, de mes livres. Parce que si on regarde mes livres, d'une part, on voit que le bien gagne toujours, et que d'autre part, même chez le méchant, même chez l'assassin, toujours dans mes enquêtes, il y a en effet, il faut l'identifier, mais il faut aussi comprendre pourquoi il est méchant. Et quand on comprend pourquoi il est méchant, ce n'est pas une excuse, mais il y a toujours une raison. On explique pourquoi il y a eu un dérapage. Et ce ne sont pas des histoires qui donnent un méchant comme ça, qui sort du chapeau. Ce sont des histoires qui expliquent que le mal a eu sa propre histoire et qu'on aurait pu l'éviter.

  • Speaker #0

    C'est ce que dit Aristote, nul n'est méchant volontairement.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    Il y a en nous... Enfin, il y a des explications. Il y a des mystères aussi. Et c'est vrai que peut-être que tous vos livres sont des livres catholiques, au fond. Il y a le bien et le mal, il y a le diable et il y a le... le Christ, je ne sais pas, souvent il apparaît, enfin souvent il est question de religion. Oui,

  • Speaker #1

    j'ai traité beaucoup de thèmes religieux, mais alors il est certain que jamais j'écrirai un livre où c'est le méchant qui gagne, où c'est le méchant qui s'enfuit et qui n'est pas puni, ça ce n'est pas du tout dans ma logique. J'ai une logique tout de même de, on a une marge de manœuvre, on peut faire le mal, mais juste... Justement, ceux qui ne le font pas et qui font le bien, ils ont le devoir d'essayer toujours de redresser la barre. C'est cette image de toujours redresser le bateau.

  • Speaker #0

    Imaginons que je sois Jean-Claude Granger. Je suis votre père, vous le retrouvez, je ne suis pas mort en 1976. Qu'est-ce que vous lui diriez ? Qu'est-ce que vous diriez à votre père s'il était là ?

  • Speaker #1

    Je ne sais pas ce que je lui dirais, mais je pense que je le considérerais comme quelqu'un de malade. Je veux dire, je n'aurais aucune ni haine, ni amertume, ni esprit de revanche. Je serais plutôt compatissant. C'est-à-dire, à mon avis, c'était quelqu'un de malade, qui était malheureux. Tu as besoin d'aide. Tu as besoin d'aide. Il y a maintenant des moyens pour t'aider. Et d'ailleurs, je le raconte dans le livre, on ne va pas tout déflorer, mais même sa mort est totalement apocalyptique. Enfin, c'est des conditions qu'on ne pourrait même pas imaginer. Donc à la fin de sa vie, quand il était totalement... usé par l'alcool, par la drogue, par ses propres angoisses, c'était devenu un être qui avait peur. Il avait peur de lui-même, il avait peur d'espèces de démons qui l'entouraient. Et donc, oui, je lui parlerais avec compassion. Je ne veux pas me donner un rôle plastique. Tout de même.

  • Speaker #0

    Vous ne lui diriez pas dégage, salaud. Ah non,

  • Speaker #1

    jamais de la vie. En plus, c'est une idée que j'adore dans la religion catholique, c'est que plus vous avez de raisons de vouloir d'en vouloir à quelqu'un, plus vous avez des raisons de vouloir le découper en morceaux parce qu'il a été très méchant, plus vous priez pour lui, plus vous êtes gentil. Ça je trouve ça extraordinaire. Et il y a le pardon. Mais est-ce que vous, par exemple,

  • Speaker #0

    vous considérez qu'avec ce livre, vous le pardonnez ?

  • Speaker #1

    C'est surtout une ode à ma mère et à ma grand-mère. Et je dirais que pour ce qui est du pardon, je leur laisse la parole, c'est à elles de décider. Parce que c'est elles qui en ont vraiment bavé et qui ont vraiment affronté l'adversaire avec un grand A.

  • Speaker #0

    c'est marrant l'adversaire qui est le titre du livre de Carrère sur un autre Jean-Claude on ne va pas faire le jeu devine tes citations parce qu'on l'a fait la dernière fois que vous êtes venu mais j'ai un nouveau questionnaire un nouveau jeu c'est le questionnaire de Beg alors pourquoi un jeune devrait-il lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok question importante je vais vous faire une réponse très technique c'est que euh...

  • Speaker #1

    S'il ouvre mon livre, il aura le plaisir, j'espère, de découvrir un rythme rapide, haletant, qu'il ne dépisera pas beaucoup. C'est-à-dire que le problème de la littérature actuellement, c'est qu'on vit dans un monde qui va très vite, les gens regardent des vidéos d'Instagram qui durent deux secondes, et quand ils ouvrent un livre, ils ont une phrase, une page. Alors là, il y a un trop fort décalage, un décalage qui ne va pas. C'est vrai que vos chapitres sont plus longs. Je pense que les jeunes peuvent ouvrir mon livre. Et ils seront, j'espère, aspirés par justement ce rythme qui ne les dépisera pas.

  • Speaker #0

    Et en plus, le fait que tout est vrai. En plus, ça, c'est vrai que c'était... Alors, que savez-vous faire que ne sait pas faire Chad G.P.T. ou Jimmy Nye ou Claude Lesia ? Alors,

  • Speaker #1

    ce que je sais faire, et ça, ça me fait plaisir que vous me posiez la question. Qu'est-ce que vous êtes mieux qu'un robot ? Que ça faire des gens comme moi, comme vous, et qui sont des artistes créateurs. c'est-à-dire qu'on a D'une part un passé, donc des traumatismes et des sensibilités qui a travaillé, que n'a pas Google, et d'autre part un cerveau humain, c'est-à-dire une sensibilité humaine qui, alors là on ne va pas faire encore de la métaphysique, mais une étincelle quasi divine qui nous donne une inspiration. Il ne faut jamais oublier que Chachipiti, l'IA, tout ça, c'est de la synthèse. Donc c'est toujours de la synthèse des choses qui ont déjà été faites. Et si vous regardez l'histoire de l'art, c'est justement l'histoire d'une transgression permanente. Tous les musiciens ont fait exactement le contraire de leurs prédécesseurs. Et c'est ça l'histoire de l'art. Donc je ne vois pas comment l'IA pourrait faire de l'art en rabâchant ce qu'on a déjà fait.

  • Speaker #0

    Oui, très bonne réponse. Vous n'avez jamais eu peur en écrivant ce livre qui ne sert à rien ?

  • Speaker #1

    Qui ne sert à rien ?

  • Speaker #0

    Qui ne sert à rien.

  • Speaker #1

    Non. parce que je me disais, et ça c'était pas du tout un point de vue personnel, c'est-à-dire, comment dirais-je, un solde tout compte de ma vie, de l'histoire de ma famille, etc. Je me disais, et c'est encore une fois vous qui m'avez donné cette idée, que finalement, il se trouve que, presque par hasard, dans ma vie personnelle, il y avait les éléments suffisants pour faire un très bon thriller. Donc, il ne servira jamais à rien, parce qu'on souffrait complètement de la vie de Jean-Christophe Granger, on se moque des... des pères méchants, tout ça, c'est pas grave. En tout cas, il y a un bouquin qui se dévore. Et donc ça, ça sert à quelque chose.

  • Speaker #0

    Pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil ?

  • Speaker #1

    Alors, un écrivain, je ne sais pas, un homme, oui.

  • Speaker #0

    Un homme, oui. Alors est-ce que, comme on a évoqué tout à l'heure ce sujet, est-ce que moi j'avais une sorte de patrimoine noir que j'ai totalement exorcisé dans mes livres ? Peut-être, mais le résultat c'est que dans la vie je suis gentil et j'ai toujours trouvé, alors ça aussi c'est une idée un peu chrétienne, mais d'une certaine façon les méchants sont des faibles. Les gens qui tuent pour jouir, les gens qui disent des méchancetés pour être contents d'eux-mêmes, c'est de la faiblesse, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas à la hauteur. auteur en réalité. J'ai toujours eu cette vision-là. Ça m'a permis de t'encaisser certaines méchancetés, la tête haute.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'être écrivain ? Est-ce que c'est la solitude, la folie, la pauvreté ? Bon, la pauvreté, non, dans votre cas, vous avez beaucoup de succès.

  • Speaker #0

    Alors, il y a deux choses qui me plaisent. La première chose, et ça c'était quasiment un état d'urgence, c'est ne pas travailler dans un bureau.

  • Speaker #1

    Je les raconte dans mon livre.

  • Speaker #0

    Je travaillais un an. Dans la pub ? Oui, ce n'était pas mon truc. Franchement, alors là... Mais quand je dis que ce n'est pas mon truc, on dirait, oh boy, il n'avait pas la vocation. Non, c'était quelque chose de quasiment organique. Je ne pouvais pas aller au bureau, dire bonjour à tout le monde. Se lever,

  • Speaker #1

    aller mettre au boulot dodo.

  • Speaker #0

    Et puis dire bonjour à tout le monde, toujours avoir le sourire, assister à des réunions. Alors, je ne veux pas faire le mec fragile, mais c'était au-dessus de mes forces. C'est un monde qui est au-dessus de mes forces. Alors ça, c'est une chose que... Une des raisons. Et l'autre raison, alors là, je dois le dire, même en me levant le matin, je me mets à travail, je dois dire que je suis quand même amoureux du mythe de l'écrivain. Ah oui. Seul devant sa machine à écrire. C'est quand même ça qui... Le dégurge. Dieu, c'est vous qui devenez Dieu. C'est ça qui fait rêver tout le monde. Tout de même, on ne compte plus le nombre de films où le héros est un écrivain, on ne compte plus le nombre de gens qui veulent être écrivains. À Paris, vous savez bien que tout le monde écrit. Il y a beaucoup moins de gens qui n'écrivent pas que de gens qui écrivent. Et c'est donc un mythe. Et j'ai l'impression, à chaque fois que je me mets au boulot le matin, de rejoindre une sorte de mythe, d'être dans une place quand même privilégiée, super privilégiée. Oui,

  • Speaker #1

    mais quand même, ça demande une discipline. C'est presque comme d'aller dans un bureau. Vous avez sûrement un bureau où vous travaillez.

  • Speaker #0

    Alors, j'ai exactement, c'est tout le paradoxe de ma personne. Vous dites,

  • Speaker #1

    je ne veux pas aller au bureau, mais vous allez dans la pièce d'à côté, et là, vous êtes enfermé à bosser.

  • Speaker #0

    J'ai toujours été un type qui ne supportait pas la discipline qu'on m'imposait. mais qui était avec lui-même très, très, très discipliné. Et j'ai résolu ce problème de l'inspiration et puis de « est-ce que je suis en forme, pas en forme pour écrire ? » en me disant « tous les jours, tu écriras à la même heure le même nombre d'heures. Puis il y aura des bons jours, il y aura des mauvais jours. » Mais ça a cassé, si vous voulez, ce truc d'attendre. « Bon, je vais m'y mettre quand je serai génial. » Ça, alors,

  • Speaker #1

    c'est le meilleur moyen pour ne pas écrire rien. Est-ce que vous avez déjà écrit en état d'ivresse ?

  • Speaker #0

    Non. Alors là, moi, j'aime cette idée. Désolé. Vous savez, des auteurs qui étaient à moitié alcooliques, qui écrivaient complètement bourrés. Parce que moi, ce n'est pas fréquent, mais si j'ai un coup dans le nez, je me vois mal écrire quelque chose. Je n'ai pas du tout les idées claires.

  • Speaker #1

    Bon, on n'est pas d'accord. Ça donne une fluidité.

  • Speaker #0

    Alors peut-être que ça donnerait une fluidité, mais je trouve que ça retire beaucoup d'objectivité. Donc j'ai peur, si vous voulez, d'écrire... des pages en étant en état d'ivresse et le lendemain en les lisant en étant consternés.

  • Speaker #1

    Oui, ça c'est vrai. Que pensez-vous de la critique littéraire ? Est-ce que c'est un mal nécessaire ? Ils ont été parfois durs avec vous.

  • Speaker #0

    Alors, la critique littéraire, j'ai une double vision parce que moi j'ai fait la fac de lettres, donc j'ai connu une critique littéraire très intellectuelle, qui était déjà des oeuvres. J'ai connu des gens comme Maurice Blanchot, où leur œuvre de critique est déjà une œuvre. Après, la critique littéraire dans les journées, alors ça, il y a une chose qui m'amuse énormément, parce que c'est valable pour la critique de cinéma, c'est-à-dire que ça semblerait être un métier, et on est critique de cinéma, on est critique de livres, et maintenant, grâce aux réseaux sociaux, tout le monde est devenu critique. Moi, je lis beaucoup un site qui s'appelle Sens Critique. Bon, on voit bien que n'importe quel gugusse... peut faire de la critique de livres ou de la critique de cinéma. C'est affreux ! Vive le bénévolat !

  • Speaker #1

    Est-ce que vous fantasmez sur J.D. Salinger, qui n'a jamais donné un interview de sa vie ? Vous aimez bien ça ou vous n'aimez pas ça ?

  • Speaker #0

    Je déteste ça.

  • Speaker #1

    Là, par exemple, c'est pénible.

  • Speaker #0

    Non, pas du tout. C'est très sympa. Il y a un phénomène que tous les artistes qui font de la promo connaissent, c'est un phénomène de répétition. C'est-à-dire que quand vous êtes en promo, vous répétez absolument à chaque fois la même chose.

  • Speaker #1

    Mais là, non ?

  • Speaker #0

    Là, non, mais parce que vous partez sur des terrains un petit peu différents. Mais quand on fait un interview, disons, de base, sur le même livre, vous savez pertinemment que... Et c'est normal. On devient interroqué. Un jour, Costa Gavras, il m'avait raconté ça. Il m'avait dit qu'il n'en pouvait tellement plus de répéter toujours les mêmes choses qu'il avait essayé de dire des autres. d'autres choses, de répondre des choses différentes. Mais il m'a dit c'est impossible parce que vous avez une œuvre, vous avez les réponses toutes faites que vous avez parce que c'est la vérité, vous ne pouvez pas répondre à autre chose.

  • Speaker #1

    Pensez-vous qu'un roman doit réparer le monde ? C'est une chose qu'on entend souvent.

  • Speaker #0

    Pas du tout. Je pense honnêtement, et ça j'en parle aussi dans mon livre, que les œuvres d'art sont grandes parce qu'elles nous émeuvent et parce qu'elles nous font sentir vraiment... la possibilité d'un monde supérieur, mais je ne crois pas beaucoup à l'influence de l'écrit sur les cerveaux humains. Et malheureusement, il ne me vient qu'un seul exemple d'influence forte d'une œuvre sur les cerveaux humains, c'est le marxisme. Et on ne peut pas dire que ce soit un exemple brillant.

  • Speaker #1

    Vraiment. Disons qu'il y a eu beaucoup d'hommages collatéraux à cette belle idée.

  • Speaker #0

    Vraiment.

  • Speaker #1

    Quel est votre chef-d'œuvre ? Le livre de vous que vous vous estimez être le meilleur ?

  • Speaker #0

    Ah, alors ça, c'est des goûts personnels, enfin, je veux dire, des choses intimes. Moi, j'aime, le livre que je préfère de moi, c'est La ligne noire. C'est l'histoire d'un journaliste de faits divers qui, pour tirer les verres du nez d'un serial killer qui est en prison en Malaisie, se fait passer pour une femme. Alors, comment il fait ? Il y a une sorte d'histoire d'amour, de correspondance amoureuse entre eux. Et grâce à ça, le tueur en série le guide à travers l'Asie du Sud-Est sur les traces de ses propres meurtres. Et j'aime cette histoire parce que j'aime les histoires qui partent sur un... C'est pour ça que j'adore Fédot. Parce que j'aime les histoires qui partent sur un malentendu, ou un quiproquo, et qui engendrent des situations. Et dans mon livre, alors c'est pas du tout un livre comique, c'est même un de mes livres les plus noirs, mais il y a cet enchaînement qu'on retrouve chez Fédot, qu'on retrouve chez Francis Weber, où il y a un quiproquo à l'origine qui fait une réaction en chaîne... Ou chez Marivaux, il y a ça, les déguisements des personnages. Oui, voilà, de situations... très très forte grâce à un malentendu.

  • Speaker #1

    Êtes-vous un ouin-ouin ?

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que c'est un ouin-ouin ?

  • Speaker #1

    C'est comme ça que les néo-féministes appellent les hommes qui se plaignent, qui pleurnichent sur la difficulté d'être un homme aujourd'hui.

  • Speaker #0

    Pas du tout. Alors là, j'en profite pour glisser une réflexion sur le féminisme en général et l'état actuel des choses. C'est que moi, je ne suis pas du tout ouin-ouin. Je serais même plutôt de la vieille école, macho et... Macho. Mais je tiens à dire que je regarde le féminisme et tout ce qui se dit dans les médias, etc., avec des yeux écarquillés, parce que ça ne correspond pas du tout à ce que j'ai vécu à aucun moment de ma vie. C'est-à-dire, les femmes dont on parle et qui existent, qui sont victimes, qui sont battues, etc., ne sont pas du tout les femmes que j'ai rencontrées. Moi, j'ai rencontré des personnalités très, très fortes, voire dangereuses. Moi, j'en suis resté, vous savez, dans les films des années 40-50 d'Hollywood, Les Femmes Fatales. Les Femmes Fatales. Les Femmes Fatales, on les oublie en ce moment. Une femme peut être très, très dangereuse. La femme est un être très déterminé, qui n'est pas du tout une serpillière à qui on fait les pires choses.

  • Speaker #1

    Pourtant, dans votre histoire personnelle, vous avez une mère qui a été victime d'une tentative de féminicide. Alors, absolument. Plusieurs mères. Absolument.

  • Speaker #0

    Je trouve que mon histoire, enfin, leur histoire, plutôt à ma mère et ma grand-mère, Ça démontre un peu ce que je veux dire, c'est qu'il y a eu un moment presque de féminicide et d'emprise, c'est-à-dire que je le raconte à un moment donné, même ma mère ne veut pas partir, ne veut pas quitter son mari, elle espère toujours que ça va s'arranger. Il y a ça dans la femme, un espoir toujours que les choses vont s'arranger et un sentiment amoureux qui devient une sorte d'esclavage. Mais il y a aussi après, quand on les voit se battre, une volonté, une force, une détermination. alors là c'est un cliché mais moi je l'aime ce cliché C'est quand ma mère devient mère, justement. Là, il y a quelqu'un à protéger. Et là, vous savez, j'adore chez les animaux, les femelles, il ne faut pas s'approcher des petits. Là, elles montent les dents.

  • Speaker #1

    J'adore ça. C'est ça qui est bien dans le livre, d'ailleurs. Oui, c'est vrai. Qui est le meilleur écrivain français vivant ?

  • Speaker #0

    Alors, franchement, moi.

  • Speaker #1

    Ah, ça fait plaisir ! Ça fait plaisir parce que les autres n'osent pas dire moi. S'ils réjigent le frais un peu, sinon ils osent. Mais franchement,

  • Speaker #0

    c'est presque un état psychologique. Quand vous passez votre journée à écrire, à transpirer tout seul, à écrire vos trucs, vous êtes forcé, quasiment forcé de penser que vous êtes le meilleur et que ce que vous faites est un chef-d'oeuvre. D'ailleurs, j'en profite pour dire que, comment dirais-je ? Je n'ai jamais vraiment cru aux amitiés artistiques. Parce qu'au fond, vous pensez que c'est vous qui avez raison. Vous pensez que c'est vous le meilleur. Et c'est très difficile de penser que le voisin qui fait exactement le contraire est aussi bon. Ah,

  • Speaker #1

    reçu. Non, mais quand même. On peut échanger. Vous voyez, on échange.

  • Speaker #0

    On peut échanger. Mais par exemple...

  • Speaker #1

    Vous avez envie de me briser ma carrière et réciproquement. Mais on arrive quand même à échanger.

  • Speaker #0

    Non, mais par exemple, j'excuse énormément cette méchanceté qui règne dans les milieux artistiques. Alors que ce soit la littérature ou le cinéma. Tout le monde se déteste. Parce que c'est tellement dur comme boulot, toute proportion gardée, mais on a tellement peur quand on sort une oeuvre, c'est tellement difficile, c'est tellement affligeant d'échouer par exemple, que c'est normal qu'on souhaite du mal aux autres. C'est un sentiment humain, c'est-à-dire que c'est tellement dur. C'est marrant.

  • Speaker #1

    Et puis aussi, le fait de dire, bah oui, c'est moi le meilleur, c'est plutôt sain. Je veux dire... Aujourd'hui, tous les écrivains font de la fausse modestie.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Or, c'est un métier prétentieux.

  • Speaker #0

    Écoutez, c'est la seule idée. Il faut l'assumer. C'est un métier orgueilleux. Un métier d'orgueil. Et c'est la seule idée sur laquelle je serais d'accord avec Céline. Mais Céline le disait. Il disait, moi, je n'aime aucun autre écrivain. Le seul bon écrivain, c'est moi. Ce qu'il faut faire sur sa page, c'est ce que je fais moi. Et c'est très difficile de dire, celui d'à côté est aussi bon que moi. Ou même meilleur. Là, c'est catastrophique.

  • Speaker #1

    La phrase de vous dont vous êtes le plus fier ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est une phrase qui est peut-être, comment dirais-je, qui est passée un peu inaperçue. J'ai écrit un livre qui s'appelait « L'Ontano » , dont le héros était une sorte de Charles Pasqua, c'est-à-dire un type qui avait trompé dans toutes les magouilles politiques, un vieux flic qui connaissait tout sur tout, et qui détestait justement les partis politiques. Et il dit à un moment donné « Je déteste tous ces gens qui ont besoin d'être à plusieurs pour être quelqu'un » . Et j'aime cette phrase parce que moi-même, je suis totalement apolitique et je ne comprends pas cette aspiration des hommes à être ensemble, pour devenir quelqu'un, pour être soi, il faut être plein. Et ça, je ne comprends pas parce que moi, je suis très très indépendant.

  • Speaker #1

    La question Fahrenheit 451. Imaginons un monde où le livre est interdit et même brûlé. Quel livre seriez-vous prêt à retenir par cœur pour le transmettre aux générations futures ?

  • Speaker #0

    Je pensais que vous alliez me demander quel livre faut brûler. Alors là, j'avais plein d'idées.

  • Speaker #1

    J'avais une longue liste.

  • Speaker #0

    Écoutez, alors là...

  • Speaker #1

    Un de vos livres de chevet.

  • Speaker #0

    Oui, des livres de chevet, je dirais... Alors, un livre que personne ne connaît, mais qui pour moi est un chef-d'oeuvre absolu, ça s'appelle L'ABCDR de Goffredo Parisi. Alors, Goffredo Parisi, c'est un auteur italien de l'époque de Moravia, à peu près à la deuxième moitié du XXe siècle. Il écrit un chef-d'oeuvre, ça s'appelle l'ABCDR, c'est une sorte de dictionnaire où à chaque lettre, il écrit un petit texte à partir d'un mot qui donne le sujet. C'est une littérature hallucinatoire, c'est-à-dire c'est une littérature qui combine toutes les forces romanesques du XIXe siècle, c'est-à-dire on a envie encore d'écrire une histoire, de décrire quelque chose, et puis la force du style du XXe, c'est-à-dire avec des métaphores extraordinaires, etc. C'est un très très très bon livre et j'en parle parce que justement il n'est pas très connu.

  • Speaker #1

    Y a-t-il un livre qui vous a sauvé la vie ?

  • Speaker #0

    Un livre qui m'a sauvé la vie ? Pas un livre qui m'a sauvé la vie mais un livre qui m'a montré ma vie. Je dirais que c'est le livre de Sébastien Japrizo qui s'appelle Piège pour Cendrillon qui à l'époque est passé pour un petit polar des années 60 qui est la perfection, la perfection du point de vue du polar. Et quand j'ai lu ça j'ai dit bon... soit j'arrive à faire ça ou à m'en approcher ou à prendre cette route soit bon c'est plus la peine de me développer donc je pense qu'on a tous des livres qui nous ont tellement touché c'est quand même ça les gens se trompent, il me semble des fois ils pensent que l'inspiration de l'artiste c'est justement parler au plus grand nombre d'évoquer des grands thèmes etc c'est avant tout de reproduire chez les autres ce qu'on a éprouvé nous en lisant un livre c'est surtout ça la motivation profonde c'est de dire ... Ça m'a fait tellement de bien ce livre, ça m'a tellement touché, je veux faire la même chose et l'offrir aux autres, il me semble.

  • Speaker #1

    Quel est votre âge mental ?

  • Speaker #0

    14-15 ans à peu près, ce qui commence à poser un problème parce que... Alors,

  • Speaker #1

    14-15 ans c'est l'âge que vous aviez quand votre père est mort ? Oui, exactement. Vous êtes resté bloqué là.

  • Speaker #0

    J'en veux pour preuve que par exemple, je m'entends beaucoup beaucoup mieux avec les amis de mes enfants. qu'avec mes amis à moi. C'est-à-dire qu'ils ont des préoccupations et un engouement et une exaltation, et naïves souvent, qui me ressemblent beaucoup plus que les adultes avec leurs conversations politiques. Oh là là ! Voilà, moi je ne peux pas.

  • Speaker #1

    Non, non, non. Et enfin, dernière question. Y a-t-il un de vos livres que vous regrettez d'avoir écrit ?

  • Speaker #0

    Alors, il y a un livre qui comporte quelque chose que je regrette. C'est le Concile de Pierre. Le Concile de Pierre, c'est un polar... qui s'ouvre vers la fin sur le fantastique. Et ça, je le regrette beaucoup parce que j'ai oublié, pendant que j'écrivais ce livre, la logique du roman policier qui est absolument contraire. C'est de donner des éléments un peu fantastiques au début qui vont avoir une résolution rationnelle. C'est ça le plaisir du polar. Ça semble impossible, c'est le Michel Tart de la Chambre Jaune. Comment on a pu tuer quelqu'un dans une... pièces fermées de l'extérieur. Eh bien, c'est ça le plaisir du polar. Il y a beaucoup de rationalité dans le polar.

  • Speaker #1

    Donc vous ne pourriez pas devenir un écrivain fantastique à la Stephen King ? Pas du tout ! On vous compare souvent à lui.

  • Speaker #0

    Exactement, ça me fait plaisir parce que c'est une grande référence. Mais ce n'est absolument pas mon genre de littérature. Pas du tout. Je trouve qu'au cinéma, le fantastique passe mieux parce que l'image donne un crédit immédiat à ce que vous voyez. Vous y croyez tout de suite. Je ne suis pas alien ou des films comme ça. vous croyez... à la créature dans le vaisseau spatial alors que dans un livre, moi, je n'accroche pas.

  • Speaker #1

    Et vous pensez que dans le Concile de Pierre, c'était une facilité d'aller vers le fantastique ? Oui, absolument.

  • Speaker #0

    Je regrette d'avoir cédé à cette facilité.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Jean-Christophe Granger, d'être venu discuter une fois de plus chez La Pérouse. C'est un plaisir à chaque fois. Je vous ordonne de lire « Je suis né du diable » de Jean-Christophe Granger. C'est aux éditions Albain Michel. Abonnez-vous, critiquez-moi, dites des gros mots. ou des gentillesses, et n'oubliez pas la nouvelle devise de cette émission, la lecture est à l'esprit, ce que le sport est au corps. Bonsoir, merci encore. C'est excellent !

Description

Dans son dernier livre, Jean-Christophe Grangé parle de "Conversations chez Lapérouse" ! Il affirme que je lui ai donné l'idée, lors de notre dernier entretien il y a deux ans, de raconter son enfance terrifiante sous la menace de son père psychopathe. "Je suis né du Diable" serait donc de ma faute ?! Mais alors pourquoi cet ingrat ne me reverse-t-il aucun droit d'auteur ?? Je le remercie néanmoins pour ce nouveau dialogue captivant et courageux.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir les amis de la littérature et du luxe, bienvenue chez La Pérouse pour une nouvelle conversation avec cette semaine Jean-Christophe Granger, mais tout de suite un courrier, un courrier avec en tête Estée Dupont. Alors il s'agit du président de Estée Dupont qui m'écrit, « Cher Frédéric, on dit que les plus belles histoires commencent par une étincelle et parfois par un beau stylo. » À travers votre nouvelle émission Conversation chez la Pérouse, vous recréez avec brio cet esprit de salon à la française, où la littérature s'invite à table. Et voici le cadeau de la semaine pour moi-même. Tu le veux ou pas ? C'est un stylo magnifique d'un raffinement exceptionnel. Eternity XL. Voilà. La quai Noir. Vous voyez, je n'arrive même pas à le... C'est le cas de Strop. Bref, ce stylo magnifique. n'hésitez pas continuez à envoyer des cadeaux pour nous aider et merci à Estée Dupont bonsoir Jean-Christophe bonsoir donc ce livre Je suis né du diable aux éditions Albain Michel c'est votre 20ème livre et le plus émouvant vous êtes un auteur de romans policiers gothiques noirs ultra violents les rivières pourpres en 98 vous avez été adapté 7 fois au cinéma et il y a 2 ans je vous ai reçu pour Rouge Karma C'était en 2023 et vous m'avez raconté votre enfance. Et ce jour-là, je vous ai suggéré d'écrire un livre sur ce sujet.

  • Speaker #1

    Absolument.

  • Speaker #0

    Et vous m'avez obéi.

  • Speaker #1

    Absolument, parce que vos désirs sont des ordres. J'ai tout de suite pris ma plume et je m'y suis mis aussitôt.

  • Speaker #0

    Donc, « Je suis né du diable » , c'est votre premier texte autobiographique. Et c'est vrai que... Bon. Bon, alors, ce n'est pas très original par rapport aux 400 autres livres de la rentrée autobiographique, mais pour vous, c'est une nouveauté. Est-ce que c'est plus difficile que construire un thriller à suspense ?

  • Speaker #1

    Alors, ça, je me permets d'insister sur ce fait, c'est beaucoup plus facile. Parce qu'on ne peut vraiment pas comparer un récit où j'ai écrit finalement, dans sa chronologie, des événements terribles qui se sont déroulés, et où j'ai pris... tout de même la peine de m'identifier à ma mère et à ma grand-mère qui ont vécu ces événements, qui ont lutté contre mon père qui était maléfique. Mais on ne peut pas comparer ce travail-là avec le travail de structure, d'invention de personnages, d'invention d'histoire, d'univers qui préside un roman. C'est quand même... Moi, je l'ai écrit d'abord beaucoup plus rapidement et beaucoup plus facilement. À chaque fois que je commence un nouveau roman, que je dois mettre en place un univers et même un langage, pour chaque histoire, il y a un langage particulier. C'est quand même un autre boulot.

  • Speaker #0

    Vous dites, page 19, il est temps d'admettre l'essentiel. Mon père n'était ni un mauvais père, ni un mari violent, il était purement et simplement le diable.

  • Speaker #1

    Oui, il faut insister sur ce fait que là, je ne vais pas raconter une histoire de divorce qui se passe mal, de violence domestique ou d'un couple qui a des difficultés. On a affaire à un vrai personnage psychotique qui a torturé, disons, deux, trois ans. ma mère, psychologiquement et physiquement. Et tout ça se passait au moment de ma naissance. Donc ce qui m'intéressait, c'était de raconter cette naissance et sans doute les traumatismes que j'ai ressentis, sans m'en souvenir aujourd'hui, inconsciemment, et qui sont déversés dans tous mes livres, parce que finalement mes livres, c'est exactement cette histoire à chaque fois.

  • Speaker #0

    Quand on se demandait pourquoi Jean-Christophe Granger écrit toutes ces horreurs, maintenant on a l'explication.

  • Speaker #1

    Le livre est, comment dirais-je... écrit pour ça, c'est-à-dire on m'a tellement souvent posé cette question, mais d'où vient des idées pareilles, que j'ai dû me tourner vers mon enfance, et puis il y avait cette zone d'ombre que j'ai creusée, et là j'ai découvert qu'il y avait en effet quelque chose de terrible. Alors, je lis.

  • Speaker #0

    C'est là-dessus exactement.

  • Speaker #1

    Dans mon premier roman, Le vol des cigognes, l'assassin est le géniteur du héros, cherchant à lui arracher le cœur pour le greffer dans le corps de son autre fils.

  • Speaker #0

    Ça commence bien !

  • Speaker #1

    Dans le suivant, Les rivières... pourpre, le village où se déroule l'intrigue est en réalité un élevage, où des hommes, en vue de créer une race supérieure, échangent des bébés à la maternité et contrôlent plus tard leur mariage. Des pères encore, mais de substitution. En 30 ans, je n'ai jamais changé de ligne, toujours des problèmes d'origine, des géniteurs maléfiques. C'est ma cam, comme on dit. Et même c'est ma peau. Au fond, tous ces bouquins sont des autobiographies détournées. Aujourd'hui, j'essaie d'écrire la bonne, la vraie, l'histoire qui s'est déroulée sous mes yeux effaré de gamins meurtris. Ce livre est mon solde de tout compte.

  • Speaker #0

    Voilà, merci beaucoup. Donc oui, c'est quand même... Alors là, c'est assez incroyable parce que je ne vois pas de précédent. C'est-à-dire que je ne vois pas dans le monde du polar ou du thriller quelqu'un qui, tout d'un coup, nous donne le mode d'emploi, le rosebud de son œuvre.

  • Speaker #1

    Absolument, c'est le rosebud, c'est le roman initial, c'est le roman que j'avais en moi et qui n'est pas un roman, qui est un récit, qui est une histoire vraie, et que j'ai pris la peine tout d'un coup... d'écrire et avant de l'écrire de faire cette enquête parce que il faut quand même le dire, ma mère ça a été tellement terrible pour elle qu'elle n'a jamais voulu me dire un mot là-dessus. Donc j'ai grandi dans cette espèce de point d'interrogation permanent alors il y avait des bribes qui s'échappaient ma grand-mère elle en avait tellement sur l'estomac bon elle me racontait un épisode les épisodes étaient à chaque fois effarants et j'ai toujours grandi dans cette idée, bon ben mon père est dangereux mon père est le diable ... Je ne le connais pas, je ne l'ai jamais vu. Finalement, il est mort pendant mon adolescence. Vous ne l'avez jamais rencontré ? Jamais rencontré. Et c'est la première fois que ma mère m'a parlé de mon père. C'était pour me dire qu'il était mort. Donc finalement, l'Odyssée a été aussitôt ouverte et refermée. Et bon, je le raconte dans mon livre, mais quand j'ai fait une dépression vers l'âge de 45 ans, ma psychiatre m'a tout de suite dit, mais là, vous avez un vrai problème dans votre enfance, dans vos origines. C'est ça qu'il faut percer comme abcès. Vous devez en parler à votre mère. Une nouvelle fois, elle a refusé de me raconter et elle m'a dit tout ce que je peux faire, c'est te donner le dossier du divorce. dans lequel il y a plein de témoignages et tu comprendras mieux l'histoire. J'ai pris ce dossier, les mains un peu tremblantes, j'ai ouvert et la première pièce que j'ai vue, c'est cet article de presse qui raconte l'épisode que je raconte au début du livre, qui est un épisode absolument terrifiant, qui est une scène qu'on dirait issue d'un de mes romans. C'est-à-dire qu'on est dans le monde de la fiction exacerbée. C'est une jeune femme qui attend son bus, porte de Vincennes. En 1963. En 1963, donc on imagine la scène, elle a des petits cheveux courts, elle a sa petite robe toute droite, et une camionnette s'arrête avec trois hommes cagoulés, qu'ils l'enlèvent, elle hurle, ils la mettent dans la fourgonnette et ils partent à fond au cimetière de Saint-Mandé, ils la traînent par terre pour l'enterrer vivante, donc dans une tombe qu'ils ont décelée. Elle arrive à s'en sortir, et comme je dis dans mon livre, avec ce sens des formules qui me caractérisent, la jeune femme qu'on vient d'enlever, c'est ma mère, et le chef des cagoulés, c'est mon père. Donc on n'est pas du tout dans une dispute classique.

  • Speaker #0

    Non, c'est une tentative de meurtre, et vous avez à l'époque deux ans, et elle, 25.

  • Speaker #1

    Exactement, à peu près, oui. Et donc, ce sont des choses qui se sont passées, et c'est ça qui m'intéresse dans ce livre, qu'on ne m'a évidemment pas raconté. mais que j'ai pressenti et que j'ai capté d'une certaine façon, avec un espèce de sixième sens, les enfants, inconsciemment. Et ce qui est intéressant, c'est que dans mes livres, je n'ai pas raconté exactement ces épisodes-là, mais c'est ce genre d'histoire.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Et là, ce qu'il y a d'intéressant, c'est que vous êtes quand même un... Comment dire ? Vous avez un art du storytelling. Vous placez au début du livre cette scène très, très choquante pour... quand même nous a pâtés. Et c'est là qu'on voit que ce n'est pas seulement Granger nous raconte sa confession intime, c'est que ça reste du Granger.

  • Speaker #1

    Alors voilà, c'est ce que je voulais faire. Quand on me demande pourquoi aujourd'hui écrire cette histoire, c'est parce que grâce à vous, j'ai compris qu'en vous racontant quelques épisodes, j'avais matière à un vrai livre.

  • Speaker #0

    Vous avez vu mes yeux écarquillés.

  • Speaker #1

    Ah non, non, mais vous me l'avez dit même. Là, il y a matière à un vrai livre, à un livre, disons, entre guillemets, d'autofiction, mais où il se passera des trucs pour une fois.

  • Speaker #0

    C'est vrai, oui, contrairement au prix Goncourt.

  • Speaker #1

    Et donc, dans ce cas-là, moi je me suis dit, je vais raconter cette histoire, mais entre guillemets, j'ai amené ma trousse à outils, c'est-à-dire les outils de granger. Et par exemple, j'ai pris la peine de m'identifier à ma mère, à ma grand-mère, pour parler en leur nom et en m'identifiant comme je m'identifie dans mes thrillers à mes personnages, pour qu'on vive cette histoire terrible. de l'intérieur, pas avec cette distance du type qui raconte une histoire lointaine, etc.

  • Speaker #0

    Oui, donc scène d'ouverture hallucinante, et puis juste après, vous parlez à la première personne, et vous êtes votre mère, donc vous êtes comme Anthony Perkins dans Ficose, qui met les vêtements de sa mère morte, sauf que votre mère est vivante.

  • Speaker #1

    Exactement. Non, mais alors, ça aussi, c'est une chose qu'on m'a demandé, j'ai pas eu beaucoup de problèmes à me... à m'identifier à ma mère, à m'identifier à ma grand-mère, parce que j'ai l'habitude à travers mes romans. Mais finalement, dans ce cadre-là, c'était des personnages et je devais me mettre dans leur peau. Et donc, quand on les cueille au début du livre, c'est au moment où ma mère décide, avec l'aide de sa mère, donc ma grand-mère, de se marier, parce qu'elle est déjà enceinte et qu'à l'époque, il n'y avait pas le choix quand on était enceinte. Et elles vont prendre cette décision, la peur au ventre.

  • Speaker #0

    Elle sent qu'il y a quelque chose qui ne va pas chez ce type.

  • Speaker #1

    Au départ, ce type est le prince charmant façon Sixties. Il a sa décapotable, il a son petit costume noir. Il est fils d'une grande famille. Il est étudiant en médecine. Il a tout pour lui. Et puis, elle a déjà vu, ma mère, qu'il y avait des choses qui ne collaient pas, des fêlures. Et elle prie pour que ces choses-là ne s'en veniment pas. Et ce qui va être évidemment absolument le contraire.

  • Speaker #0

    Et en fait, c'est un pervers narcissique, ultra jaloux, très possessif et en même temps infidèle, alcoolique. Il a l'alcool agressif, en fait. Il a l'alcool très violent. Il a l'alcool méchant.

  • Speaker #1

    Et il a ce truc de... Oui, j'en parle. Je parle du film Gaslight qui raconte cette même histoire.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    De processus de destruction d'un homme qui, par tous les moyens, qu'il soit violent ou parfois, c'est ce que je raconte, il fait semblant d'être bienveillant et puis il fait semblant de penser qu'elle est malade, des nerfs. Donc il l'abrutit de médicaments. Et ma mère, pendant sa grossesse, va évoluer dans un semi-monde de médicaments abrutissants et un semi-monde nocturne, parce qu'il la traîne dans les pires bars de la capitale pendant qu'elle est enceinte, il l'oblige à boire, et elle va partager son temps comme ça entre deux températures qui font qu'au moment de la mort, de ma naissance, elle ne comprend plus du tout ce qui se passe.

  • Speaker #0

    Et ce film de Georges Cucor en 1944 avec Ingrid Bergman et Charles Boyer est aujourd'hui devenu une expression commune de gaslighting, ce qui consistait dans le film à baisser les lumières au gaz pour que sa femme ne comprenne plus vraiment si elle est dans la réalité.

  • Speaker #1

    C'est la métaphore de la conscience de la femme qui baisse, qui faiblit. Et c'est exactement ce qui est arrivé à ma mère. ... Et c'est une sorte de, comment dire, oui, de presque un archétype qui arrive parfois dans les couples et qui est arrivé à ma mère dans des conditions exacerbées, vraiment exacerbées.

  • Speaker #0

    Alors, sachant que vous avez dans votre ADN les gènes d'un psychopathe, finalement, vous vous en sortez plutôt bien. Vous n'êtes pas addict à des stupéfiants, je ne crois pas. Vous n'êtes pas alcoolique. Vous êtes plutôt gentil dans la vie parce que je vous ai déjà côtoyé.

  • Speaker #1

    Alors justement, c'est ça l'histoire un petit peu en filigrane que j'ai voulu raconter, parce qu'il faut dire qu'il y a une deuxième partie où je raconte un peu le début de ma carrière et comment je suis devenu écrivain et comment ça a réussi. Il y a ce processus que j'explique dans le livre qui s'appelle la sublimation, qui consiste, bon c'est Freud qui a parlé de tout ça, mais qui consiste à déplacer un objet soit de désir interdit, soit de terreur, en un objet positif. Et donc moi très tôt dans mon enfance, oppressé quand même malgré moi par cette menace et puis par par cette question que mon père était était un diable j'ai détourné cette oppression j'en ai je les transformer en une activité artistique je dessinais beaucoup quand j'étais petit et alors je dessinais beaucoup de personnages inquiétants de vampires de 2,2 comment dirais-je de contes méchants danser dans leur château et en fait je transformais mais qui est pas un fan de films d'horreur voilà je transformais mon père, personnage réel et menaçant, en une fiction, et j'ai pu arrêter après, au moment de mes premiers livres, finalement, sans m'en rendre compte, j'ai continué ce processus de transformer, finalement, et c'est ça qui est intéressant, une mécanique de transformer un objet vraiment négatif, qui aurait pu me traumatiser ou me rendre moi-même méchant.

  • Speaker #0

    Vous avez actué tout ça par la littérature.

  • Speaker #1

    Et la littérature, entre guillemets, m'a sauvé.

  • Speaker #0

    Et ça, si vous savez tout ça aujourd'hui, c'est parce que vous avez suivi une thérapie, une psychanalyse pendant des années. Voilà,

  • Speaker #1

    au moment de ma dépression, ma psychiatre m'a donné des médicaments qui m'ont vraiment remis sur pied. Moi, j'adore les médicaments. Attention,

  • Speaker #0

    votre père en donnait à votre mère.

  • Speaker #1

    Oui, alors oui, pas trop quand même. Mais en même temps, elle m'a suggéré de faire une analyse où là, j'ai lavé mon linge sale, mais ce n'était pas encore tout à fait le complet parce que je... connaissais pas encore tous les épisodes, j'avais pas encore lu ce dossier de divorce qui me semblait trop douloureux. Mais quand même, j'ai fait beaucoup le ménage à l'époque, et je réponds à cette question que vous m'avez pas encore posée, qui est que j'ai fait le ménage et j'ai pas perdu au passage d'inspiration. Moi j'ai eu peur, j'ai eu peur de dire, attends, si j'ai plus de problèmes, j'aurais plus rien à dire.

  • Speaker #0

    Vous êtes très... Vous adorez David Lynch, et David Lynch, je l'avais rencontré J'avais travaillé avec lui sur une publicité quand j'étais dans la pub. Et il ne voulait pas faire de psychanalyse pour cette raison-là. Il avait très peur qu'en faisant une thérapie, il n'ait plus d'inspiration après et qu'il arrête de faire des histoires de nains qui parlent à l'envers derrière un rideau rouge. Vous voyez, genre de Twin Peaks. Non, non,

  • Speaker #1

    alors on couvre un peu ces névroses. On les garde au chaud parce que c'est quand même un petit peu le cœur du réacteur. Mais finalement, ce n'est pas ça qui s'est passé. Les traumatismes, ils restent. Ils sont là, tranquilles. Mais en revanche, ma tête était plus claire et j'étais plus apaisé. Parce que moi, j'aime beaucoup un livre de Gérard Garouste qui s'appelle L'Intranquille, où il raconte que bien sûr, tout le monde rêve de Van Gogh, le peintre maudit, malade, qui se coupe l'oreille. Mais vaut mieux être Picasso, vaut mieux être quelqu'un d'équilibré. Pour le travail, c'est beaucoup mieux. Parce que les maladies psychiques, elles vous donnent peut-être une forme d'inspiration, mais elles vous empêchent de bosser.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, Pablo Picasso est venu souvent chez la Pérouse, ici même, puisqu'il était voisin. il habitait 7 rue des grands Augustins, son atelier où il a peint Guernica,

  • Speaker #1

    je précise pour remettre ce restaurant à sa place. Dans le Cénacle.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Mais oui, on savait depuis, enfin comment dire, moi qui vous lis souvent, depuis quelque temps, on sentait que vous vouliez vous renouveler. Il y a eu ce livre Rouge Karma qui se passait chez les hippies, avec des hippies méchants. Ensuite, il y a eu Disco Inferno, alors là carrément un suspense au bain-douche. en pleine épidémie de sida. Donc, c'est vrai qu'on sentait que vous vouliez aller dans d'autres directions. Et là, c'est vraiment l'exemple. C'est même suprême. Et même maintenant, je me demande où vous allez aller. C'est ça qui...

  • Speaker #1

    Sans être inquiet. Si vous me posez la question, on va aller à Tokyo la prochaine fois. Parce qu'avec les années qui sont passées... Cet amour que j'ai pour le Japon, j'ai décidé de vivre disons la moitié du temps à Tokyo et j'ai maintenant une bonne connaissance de la ville et je me suis dit que ça valait le coup d'écrire un polar. Alors là je reviens au thriller, mon style habituel, mais à Tokyo et ce qui me permettra de raconter beaucoup de choses qu'on ne sait pas quand même sur le Japon. On dit beaucoup de choses sur le Japon mais un peu toujours les mêmes choses. Oui,

  • Speaker #0

    toujours les mêmes. Tradition, modernité. Voilà,

  • Speaker #1

    tradition, modernité. J'ai essayé de raconter quelque chose d'autre.

  • Speaker #0

    Quelque chose d'autre, très bien. Donc, parlons un peu de votre père, Jean-Claude Granger, que vous n'avez pas connu. Mon but, ce n'est pas de vous faire pleurer, mais ça ressemble beaucoup à Jean-Claude Romand. C'est-à-dire que c'est un faux médecin, comme lui. Il fait croire qu'il est médecin, qu'il a passé ses diplômes, mais il ne l'a pas fait. C'est le même prénom, Jean-Claude. Et au fond, vous avez peut-être échappé à la mort de peu, parce que Jean-Claude Romand, il a fini par tuer toute sa famille, femme et enfant.

  • Speaker #1

    Alors, mon père était différent dans le sens où il vivait dans un mensonge, c'est vrai, mais il était beaucoup, beaucoup plus agressif, c'est-à-dire qu'il n'essayait pas de jouer un rôle. Par ailleurs, il était vraiment très, très, très méchant avec ma mère, il la torturait physiquement, moralement, et il torturait tout le monde d'ailleurs, parce que... Pour avoir des informations sur cette famille que je n'ai jamais connue, la famille de mon père, j'ai été retrouver au fin fond de la Virginie-Occidentale, aux Etats-Unis, sa petite sœur, qui elle-même a fui à 17 ans, parce que c'était invivable de vivre avec lui, parce qu'après le divorce de ma mère, il est revenu chez ses parents, donc où il y avait cette jeune fille, et elle m'a raconté qu'il l'étranglait dans la nuit, ou qu'il la menaçait avec une arme quand elle faisait ses devoirs.

  • Speaker #0

    Lui-même avait été menacé avec un couteau ? par son propre père. Donc, lui-même était aussi... C'est une famille ultra toxique et dysfonctionnelle, comme on dit aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Moi, c'est ma théorie, si vous voulez, que, comme je dis toujours, tous les enfants malheureux ne font pas des serial killers, mais tous les serial killers ont été des enfants malheureux. Ça, c'est évident. Donc, on peut s'en sortir, mais la fracture de l'enfance, ça peut donner vraiment des monstres. Alors, lui, c'est un peu ça qui s'est passé. Ça reste quand même assez mystérieux, parce qu'il était à ce point maléfique Donc... On voudrait qu'il ait eu un traumatisme terrible, il n'a pas vraiment eu ça. Mais ce qui est important à dire, parce que c'est ce que je développe dans le livre et ce qui est très proche de mes propres livres, c'était une sorte de diamant noir. C'est-à-dire que rien n'était positif chez lui. C'est-à-dire qu'il y a un détail qui m'a beaucoup choqué, c'est un truc d'ordre social, mais après ma mère, il a trouvé le moyen de coucher avec sa belle-sœur. Donc il piétinait aussi l'ordre social, les règles. c'était un Mr Hyde c'est à dire tout ce qui pouvait apparaître à sa portée de main, il le détruisait, d'une façon ou d'une autre.

  • Speaker #0

    Il y a cette scène complètement atroce où il organise une fête dans l'appartement familial et il enferme votre mère et vous dans la salle de bain pendant trois jours pour se bourrer la gueule avec des nanas, des maîtresses.

  • Speaker #1

    On dirait qu'il prenait un espèce de malin plaisir à moitié, parce que lui-même était malheureux, c'était pas quelqu'un qui jouissait de tout ça quand même. Il avait besoin de drogue, d'alcool pour s'oublier lui-même. Mais il faisait tout tout tout de même pour détruire briser l'idée du bien donc en cela il est intéressant et moi j'ai tendance à le considérer maintenant avec la distance comme un malade c'était à mon avis un type comme ça vivraient aujourd'hui il serait soigné interné et c'est ça aussi l'erreur qu'a fait son père c'est à dire mon grand-père paternel il n'a jamais voulu entendre parler de psychiatrie En fait, il aimait beaucoup son fils. Il essuyait les plâtres, il payait les factures. Mon père n'a jamais travaillé, donc il a toujours été entretenu par son père. Mais en même temps, il n'a jamais voulu le soigner comme on le soignerait aujourd'hui, c'est-à-dire avec la psychiatrie, des médicaments, etc.

  • Speaker #0

    Hôpital Saint-Anne direct ? Direct,

  • Speaker #1

    direct. Et ça aurait, à mon avis, empêché beaucoup de méfaits. Il a été aussi pas mal en prison, parce que c'était le mal absolu. Moi, j'ai revu encore un vieux film de Jean Renoir, qui est une adaptation du Dr. Jekyll and Mr. Hyde. Bon, le personnage, il s'appelle Opal dans le film. Dès qu'il sort dans la rue, il fait le mal.

  • Speaker #0

    Alors, je dirais aussi, il y a beaucoup de livres qui parlent de féminicide dans cette rentrée, notamment le livre de Natacha Apana, La nuit au cœur, qui a eu le prix Fémina. Votre livre est un livre féministe. C'est vrai, c'est un livre féministe. C'est peut-être la différence avec Apana, c'est que ce n'est jamais ennuyeux, parce que vous arrivez à vraiment captiver l'attention comme un polar. Mais je veux dire, c'est aussi un livre féministe. D'ailleurs, il est dédié à votre mère et votre grand-mère, André et Michel, car vous avez été élevés par ces deux femmes. Vous savez que c'est le point commun que vous avez avec Albert Camus, qui a été éduqué par sa mère et sa grand-mère. Et aussi Charles Péguy. C'est bien. Oui, parce que, bon, c'était pour des raisons différentes, mais c'est vrai que... Vous avez ce point commun ?

  • Speaker #1

    C'est un livre féministe, mais je dirais que c'est surtout un livre héroïque. Moi, ce que j'aime, c'est l'héroïsme. Dans mes bouquins, il y a toujours un héros qui se bat contre un très méchant tueur et qui arrive à vaincre. Et là, tout à fait dans un autre contexte, à une autre échelle, c'est la même chose. C'est-à-dire que ma mère et ma grand-mère ont été obligées de lutter contre le diable, contre mon père, avec en toile de fond une dichotomie sociale. C'est-à-dire que mon père était riche, il venait de Saint-Mandé. qui est un peu le neuilly de l'Est. Et ma mère et ma grand-mère venaient d'un milieu modeste et étaient beaucoup plus faibles. Donc même au moment du divorce, ma mère et ma grand-mère avaient... Une copine avocate. Oui, la tante qui n'était même pas avocate. Elle travaillait chez un avoué à l'époque, on disait ça. Alors que mon père avait les meilleurs avocats, si vous voulez. Il y a eu toujours ce côté David contre Goliath. Et ma mère et ma grand-mère, c'est ce que j'ai essayé de raconter dans mon livre. ont été des héroïnes, vraiment. Il y a des scènes très chocs, très fortes dans le livre. Mais oui, c'est dingue ! Où elles se battent vraiment, comme dans un thriller romancé. La scène,

  • Speaker #0

    vous êtes, vous, petit garçon, dans un square, et votre père arrive, il a une tenue de médecin, parce que comme il est mytho, il fait croire qu'il est médecin, il a une blouse blanche, mais c'est vraiment, c'est Hannibal Lecter, quoi ! Il a une blouse blanche et un stéthoscope autour du cou. Et il essaye de vous kidnapper. Vous aussi, vous avez été victime de tentatives.

  • Speaker #1

    Cet héroïsme est d'autant plus, je dirais, glorieux et vaillant que par nature, ma mère et ma grand-mère sont très peureuses. Moi, j'ai toujours connu ma grand-mère. Il y avait une souris dans la maison de campagne. On devait déménager en urgence.

  • Speaker #0

    Et donc,

  • Speaker #1

    elles se sont battues parce qu'il n'y avait pas le choix. Et c'était une sorte de serment aussi. Ça, je le raconte aussi quand elle vient me voir à l'hôpital. En plus, je suis né très, très malade. donc il fallait me voir dans une... couveuse, suspendue par des bretelles. J'imagine cette scène déjà très inquiétante. Et je l'imagine se faire un serment à elle-même. C'est-à-dire que si cet enfant survit, ça sera l'objet de notre combat maintenant. On va le protéger et on va faire en sorte qu'il devienne un garçon normal, etc.

  • Speaker #0

    Vous avez eu deux fois plus d'amour, du coup.

  • Speaker #1

    Voilà.

  • Speaker #0

    Exactement. Parce qu'il y avait cette épée de Damoclès permanente.

  • Speaker #1

    Dans ma famille, Bisous. je peux dire que j'ai toujours été un peu le petit prince parce que j'étais l'enfant qui avait échappé à tout ça, l'enfant qui avait été caché un peu chez les oncles et les tantes. J'étais un rescapé et, comme je dis à un moment donné, j'étais un peu condamné à un succès quelconque parce qu'on avait fait tellement d'efforts pour me protéger et me faire réussir à survivre qu'il fallait que je fasse quelque chose de ma vie.

  • Speaker #0

    Vous avez quand même eu une enfance terrorisée, par exemple, vous faisiez des cauchemars toutes les nuits.

  • Speaker #1

    Alors, c'est toujours cette histoire de... Comme je raconte le moment du mariage où ma mère se marie avec l'angoisse, l'inquiétude, j'imagine que cette peur, comme on dit la peur au ventre, elle m'a nourri d'une certaine façon. J'étais déjà dans le ventre et je me dis que quand même j'ai été nourri à la peur, je suis né dans la peur. Et cette peur, oui, elle m'a contaminé. Comme je dis, à un moment donné, je suis un enfant rétro-éclairé. Il y avait une espèce de lumière noire en moi qui a fait que c'était ambigu parce que j'avais beaucoup plus peur. peur je pense qu'un enfant normal et en même temps encore une fois j'ai transformé cette peur en un objet esthétique un objet enviable j'étais attiré par les films d'horreur etc et donc c'est devenu un peu une force oui mais bon moi je disais tout à l'heure que je ne connaissais pas d'équivalent dans l'histoire du roman policier il

  • Speaker #0

    ya quand même un livre de james elroy sur sur l'assassinât de sa mère qui s'appelle Ma part d'ombre et qui est sorti en 1996. Sauf que... Et ça change tout. L'assassin de sa mère n'était pas son père. Vous voyez, là, c'est presque pire, parce que là, vous, la menace, elle est au sein même de votre biologie.

  • Speaker #1

    Mais là, vous citez Hicham Selroy, alors il en a beaucoup parlé de la mort de sa mère, et puis évidemment, ça rentre en cohérence avec toute son œuvre. Mais il faut quand même dire qu'il y a quelque chose de vrai et d'ambigu, de très ambigu, mais ces drames, ces traumatismes nous font une sorte de cadeau empoisonné, c'est-à-dire que... C'est grâce à cette graine de folie que finalement on se met à écrire et qu'on écrit des choses qui vont peut-être plus loin que d'autres auteurs. Et moi je me pose cette question toujours avec mes enfants parce que moi j'ai tout fait pour qu'ils n'aient absolument aucun traumatisme. Mais alors peut-être qu'ils ne vont avoir rien à dire. C'est ça le problème. C'est mieux peut-être. C'est mieux mais ces traumatismes-là finalement nous ont donné une énergie.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'ils lisent, vos enfants, est-ce qu'ils lisent vos livres ?

  • Speaker #1

    Alors, ils lisent mes livres, mais encore une fois, enfin, les grands lisent mes livres, mais pas les petits. Mais encore une fois, j'ai tout fait pour leur éviter des traumatismes qui vont faire que peut-être, mon grand, il est plutôt dans le domaine artistique, mais ils ne vont pas avoir ce truc de... Oui, c'est difficile à admettre, mais toute cette histoire... Ils sont les petits. Les petits fils du diable, et c'est déjà pas mal, mais toute cette histoire qui m'est tombée dessus a fait que je suis ce que je suis aujourd'hui. Donc c'est quand même un, comment dire, un mal pour un bien.

  • Speaker #0

    Et puisque dans votre ADN il y a le diable, ça ne vous arrive pas d'avoir des pulsions ? Par exemple là vous n'avez pas envie de découper des gens en rondelles chez la Pérouse ?

  • Speaker #1

    Alors vous savez, ça m'intéresse beaucoup, de plus en plus on parle d'épigénétique.

  • Speaker #0

    Et oui.

  • Speaker #1

    ce qui est le développement de la... de votre patrimoine génétique, mais au contact de l'environnement et au contact du monde autour de vous. Même génétique ne va pas donner la même chose dans des contextes différents. Alors ce qui est intéressant chez moi, c'est que peut-être j'avais cet héritage génétique, en effet, mais que grâce à l'amour de ma grand-mère et de ma mère, et grâce à cette éducation que j'ai eue, protégée et vraiment parfaite, ça a donné quelque chose de positif.

  • Speaker #0

    Ah ben ça me rassure !

  • Speaker #1

    Oui, oui, oui. Non, non, non, mais encore une fois, je crois beaucoup à la dose d'amour qu'on doit donner. pendant l'enfance.

  • Speaker #0

    Bon, de toute façon, je n'ai pas l'intention de vous faire dire que vous étiez un tueur en série. Vous ne l'auriez pas dit dans l'émission. Mais est-ce que, au fond, quand on lit tous vos livres, est-ce que le message, s'il y en a, de Jean-Christophe Granger, c'est de dire que le mal est en nous et que c'est à nous de choisir. Mais qu'il y a en nous, nous avons le mal. Enfin, c'est ce que dit d'ailleurs la religion chrétienne. Il y a en nous le bien et le mal et nous devons faire un choix. Est-ce que ce n'est pas ça que vous avez toujours écrit ?

  • Speaker #1

    Alors absolument, là on est monté à l'étage supérieur. C'est parce que vous êtes chez moi. On est dans la métaphysique, là ça y est, on grimpe.

  • Speaker #0

    On monte d'un cran.

  • Speaker #1

    Tout à fait ce que je pense, c'est-à-dire que je pense, moi je suis catholique, donc je penche plutôt pour toute cette version-là. de la théologie, mais qu'on a une marge de manœuvre. On a le choix. Et au fond, c'est ce que disait saint Augustin, mais le mal, ce n'est pas vraiment le mal, c'est un dérapage du bien. Normalement, on devrait être bon. Mais comme on a cette marge de manœuvre, cette possibilité de choix, on peut déraper, on peut faire le mal par ignorance, par paresse. Et moi, c'est une question, c'est la question qui est dans tous mes livres. C'est une question qui me passionne parce qu'enfant, encore une fois, J'ai découvert la cruauté humaine, non pas à travers mon père, mais à travers des choses que j'ai pu voir, par exemple Nuit et brouillard, le film d'Alain Resnais qui m'a terrifié quand j'ai vu la vision des camps et tout ça. J'ai dit mais comment c'est possible ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Et donc il faut admettre qu'on a ça en nous, et alors moi je suis assez freudien comme vision du monde, je pense vraiment que ce dérapage vers le mal est lié à une frustration, à un manque d'amour. C'est-à-dire qu'encore une fois, si vous avez la bonne dose d'amour enfant, il n'y a pas de raison que vous glissiez dans la mauvaise direction. En revanche, si vous avez une filure, une fracture et qu'on vous a fait du mal enfant, ça, ça vous empoisonne.

  • Speaker #0

    Non mais c'est parce que le titre du livre est très religieux. Oui. Je suis né du diable.

  • Speaker #1

    Oui, parce que je pense que mon père était si maléfique qu'il atteignait une sorte de pureté. dans le mal, qui nous fait penser au diable, qui fait penser à une créature qui serait vraiment totalement à rebours des valeurs d'amour chrétienne, etc. Il était vraiment à rebours.

  • Speaker #0

    C'est ça qui fait que justement, peut-être, vos livres, depuis le début, ne sont pas seulement des enquêtes policières ou des thrillers terrifiants, ce sont des ouvrages de morale. Vous êtes un auteur moral.

  • Speaker #1

    Je vous remercie beaucoup de me dire ça, parce que justement, c'est ce que je pense, modestement, de mes livres. Parce que si on regarde mes livres, d'une part, on voit que le bien gagne toujours, et que d'autre part, même chez le méchant, même chez l'assassin, toujours dans mes enquêtes, il y a en effet, il faut l'identifier, mais il faut aussi comprendre pourquoi il est méchant. Et quand on comprend pourquoi il est méchant, ce n'est pas une excuse, mais il y a toujours une raison. On explique pourquoi il y a eu un dérapage. Et ce ne sont pas des histoires qui donnent un méchant comme ça, qui sort du chapeau. Ce sont des histoires qui expliquent que le mal a eu sa propre histoire et qu'on aurait pu l'éviter.

  • Speaker #0

    C'est ce que dit Aristote, nul n'est méchant volontairement.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    Il y a en nous... Enfin, il y a des explications. Il y a des mystères aussi. Et c'est vrai que peut-être que tous vos livres sont des livres catholiques, au fond. Il y a le bien et le mal, il y a le diable et il y a le... le Christ, je ne sais pas, souvent il apparaît, enfin souvent il est question de religion. Oui,

  • Speaker #1

    j'ai traité beaucoup de thèmes religieux, mais alors il est certain que jamais j'écrirai un livre où c'est le méchant qui gagne, où c'est le méchant qui s'enfuit et qui n'est pas puni, ça ce n'est pas du tout dans ma logique. J'ai une logique tout de même de, on a une marge de manœuvre, on peut faire le mal, mais juste... Justement, ceux qui ne le font pas et qui font le bien, ils ont le devoir d'essayer toujours de redresser la barre. C'est cette image de toujours redresser le bateau.

  • Speaker #0

    Imaginons que je sois Jean-Claude Granger. Je suis votre père, vous le retrouvez, je ne suis pas mort en 1976. Qu'est-ce que vous lui diriez ? Qu'est-ce que vous diriez à votre père s'il était là ?

  • Speaker #1

    Je ne sais pas ce que je lui dirais, mais je pense que je le considérerais comme quelqu'un de malade. Je veux dire, je n'aurais aucune ni haine, ni amertume, ni esprit de revanche. Je serais plutôt compatissant. C'est-à-dire, à mon avis, c'était quelqu'un de malade, qui était malheureux. Tu as besoin d'aide. Tu as besoin d'aide. Il y a maintenant des moyens pour t'aider. Et d'ailleurs, je le raconte dans le livre, on ne va pas tout déflorer, mais même sa mort est totalement apocalyptique. Enfin, c'est des conditions qu'on ne pourrait même pas imaginer. Donc à la fin de sa vie, quand il était totalement... usé par l'alcool, par la drogue, par ses propres angoisses, c'était devenu un être qui avait peur. Il avait peur de lui-même, il avait peur d'espèces de démons qui l'entouraient. Et donc, oui, je lui parlerais avec compassion. Je ne veux pas me donner un rôle plastique. Tout de même.

  • Speaker #0

    Vous ne lui diriez pas dégage, salaud. Ah non,

  • Speaker #1

    jamais de la vie. En plus, c'est une idée que j'adore dans la religion catholique, c'est que plus vous avez de raisons de vouloir d'en vouloir à quelqu'un, plus vous avez des raisons de vouloir le découper en morceaux parce qu'il a été très méchant, plus vous priez pour lui, plus vous êtes gentil. Ça je trouve ça extraordinaire. Et il y a le pardon. Mais est-ce que vous, par exemple,

  • Speaker #0

    vous considérez qu'avec ce livre, vous le pardonnez ?

  • Speaker #1

    C'est surtout une ode à ma mère et à ma grand-mère. Et je dirais que pour ce qui est du pardon, je leur laisse la parole, c'est à elles de décider. Parce que c'est elles qui en ont vraiment bavé et qui ont vraiment affronté l'adversaire avec un grand A.

  • Speaker #0

    c'est marrant l'adversaire qui est le titre du livre de Carrère sur un autre Jean-Claude on ne va pas faire le jeu devine tes citations parce qu'on l'a fait la dernière fois que vous êtes venu mais j'ai un nouveau questionnaire un nouveau jeu c'est le questionnaire de Beg alors pourquoi un jeune devrait-il lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok question importante je vais vous faire une réponse très technique c'est que euh...

  • Speaker #1

    S'il ouvre mon livre, il aura le plaisir, j'espère, de découvrir un rythme rapide, haletant, qu'il ne dépisera pas beaucoup. C'est-à-dire que le problème de la littérature actuellement, c'est qu'on vit dans un monde qui va très vite, les gens regardent des vidéos d'Instagram qui durent deux secondes, et quand ils ouvrent un livre, ils ont une phrase, une page. Alors là, il y a un trop fort décalage, un décalage qui ne va pas. C'est vrai que vos chapitres sont plus longs. Je pense que les jeunes peuvent ouvrir mon livre. Et ils seront, j'espère, aspirés par justement ce rythme qui ne les dépisera pas.

  • Speaker #0

    Et en plus, le fait que tout est vrai. En plus, ça, c'est vrai que c'était... Alors, que savez-vous faire que ne sait pas faire Chad G.P.T. ou Jimmy Nye ou Claude Lesia ? Alors,

  • Speaker #1

    ce que je sais faire, et ça, ça me fait plaisir que vous me posiez la question. Qu'est-ce que vous êtes mieux qu'un robot ? Que ça faire des gens comme moi, comme vous, et qui sont des artistes créateurs. c'est-à-dire qu'on a D'une part un passé, donc des traumatismes et des sensibilités qui a travaillé, que n'a pas Google, et d'autre part un cerveau humain, c'est-à-dire une sensibilité humaine qui, alors là on ne va pas faire encore de la métaphysique, mais une étincelle quasi divine qui nous donne une inspiration. Il ne faut jamais oublier que Chachipiti, l'IA, tout ça, c'est de la synthèse. Donc c'est toujours de la synthèse des choses qui ont déjà été faites. Et si vous regardez l'histoire de l'art, c'est justement l'histoire d'une transgression permanente. Tous les musiciens ont fait exactement le contraire de leurs prédécesseurs. Et c'est ça l'histoire de l'art. Donc je ne vois pas comment l'IA pourrait faire de l'art en rabâchant ce qu'on a déjà fait.

  • Speaker #0

    Oui, très bonne réponse. Vous n'avez jamais eu peur en écrivant ce livre qui ne sert à rien ?

  • Speaker #1

    Qui ne sert à rien ?

  • Speaker #0

    Qui ne sert à rien.

  • Speaker #1

    Non. parce que je me disais, et ça c'était pas du tout un point de vue personnel, c'est-à-dire, comment dirais-je, un solde tout compte de ma vie, de l'histoire de ma famille, etc. Je me disais, et c'est encore une fois vous qui m'avez donné cette idée, que finalement, il se trouve que, presque par hasard, dans ma vie personnelle, il y avait les éléments suffisants pour faire un très bon thriller. Donc, il ne servira jamais à rien, parce qu'on souffrait complètement de la vie de Jean-Christophe Granger, on se moque des... des pères méchants, tout ça, c'est pas grave. En tout cas, il y a un bouquin qui se dévore. Et donc ça, ça sert à quelque chose.

  • Speaker #0

    Pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil ?

  • Speaker #1

    Alors, un écrivain, je ne sais pas, un homme, oui.

  • Speaker #0

    Un homme, oui. Alors est-ce que, comme on a évoqué tout à l'heure ce sujet, est-ce que moi j'avais une sorte de patrimoine noir que j'ai totalement exorcisé dans mes livres ? Peut-être, mais le résultat c'est que dans la vie je suis gentil et j'ai toujours trouvé, alors ça aussi c'est une idée un peu chrétienne, mais d'une certaine façon les méchants sont des faibles. Les gens qui tuent pour jouir, les gens qui disent des méchancetés pour être contents d'eux-mêmes, c'est de la faiblesse, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas à la hauteur. auteur en réalité. J'ai toujours eu cette vision-là. Ça m'a permis de t'encaisser certaines méchancetés, la tête haute.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'être écrivain ? Est-ce que c'est la solitude, la folie, la pauvreté ? Bon, la pauvreté, non, dans votre cas, vous avez beaucoup de succès.

  • Speaker #0

    Alors, il y a deux choses qui me plaisent. La première chose, et ça c'était quasiment un état d'urgence, c'est ne pas travailler dans un bureau.

  • Speaker #1

    Je les raconte dans mon livre.

  • Speaker #0

    Je travaillais un an. Dans la pub ? Oui, ce n'était pas mon truc. Franchement, alors là... Mais quand je dis que ce n'est pas mon truc, on dirait, oh boy, il n'avait pas la vocation. Non, c'était quelque chose de quasiment organique. Je ne pouvais pas aller au bureau, dire bonjour à tout le monde. Se lever,

  • Speaker #1

    aller mettre au boulot dodo.

  • Speaker #0

    Et puis dire bonjour à tout le monde, toujours avoir le sourire, assister à des réunions. Alors, je ne veux pas faire le mec fragile, mais c'était au-dessus de mes forces. C'est un monde qui est au-dessus de mes forces. Alors ça, c'est une chose que... Une des raisons. Et l'autre raison, alors là, je dois le dire, même en me levant le matin, je me mets à travail, je dois dire que je suis quand même amoureux du mythe de l'écrivain. Ah oui. Seul devant sa machine à écrire. C'est quand même ça qui... Le dégurge. Dieu, c'est vous qui devenez Dieu. C'est ça qui fait rêver tout le monde. Tout de même, on ne compte plus le nombre de films où le héros est un écrivain, on ne compte plus le nombre de gens qui veulent être écrivains. À Paris, vous savez bien que tout le monde écrit. Il y a beaucoup moins de gens qui n'écrivent pas que de gens qui écrivent. Et c'est donc un mythe. Et j'ai l'impression, à chaque fois que je me mets au boulot le matin, de rejoindre une sorte de mythe, d'être dans une place quand même privilégiée, super privilégiée. Oui,

  • Speaker #1

    mais quand même, ça demande une discipline. C'est presque comme d'aller dans un bureau. Vous avez sûrement un bureau où vous travaillez.

  • Speaker #0

    Alors, j'ai exactement, c'est tout le paradoxe de ma personne. Vous dites,

  • Speaker #1

    je ne veux pas aller au bureau, mais vous allez dans la pièce d'à côté, et là, vous êtes enfermé à bosser.

  • Speaker #0

    J'ai toujours été un type qui ne supportait pas la discipline qu'on m'imposait. mais qui était avec lui-même très, très, très discipliné. Et j'ai résolu ce problème de l'inspiration et puis de « est-ce que je suis en forme, pas en forme pour écrire ? » en me disant « tous les jours, tu écriras à la même heure le même nombre d'heures. Puis il y aura des bons jours, il y aura des mauvais jours. » Mais ça a cassé, si vous voulez, ce truc d'attendre. « Bon, je vais m'y mettre quand je serai génial. » Ça, alors,

  • Speaker #1

    c'est le meilleur moyen pour ne pas écrire rien. Est-ce que vous avez déjà écrit en état d'ivresse ?

  • Speaker #0

    Non. Alors là, moi, j'aime cette idée. Désolé. Vous savez, des auteurs qui étaient à moitié alcooliques, qui écrivaient complètement bourrés. Parce que moi, ce n'est pas fréquent, mais si j'ai un coup dans le nez, je me vois mal écrire quelque chose. Je n'ai pas du tout les idées claires.

  • Speaker #1

    Bon, on n'est pas d'accord. Ça donne une fluidité.

  • Speaker #0

    Alors peut-être que ça donnerait une fluidité, mais je trouve que ça retire beaucoup d'objectivité. Donc j'ai peur, si vous voulez, d'écrire... des pages en étant en état d'ivresse et le lendemain en les lisant en étant consternés.

  • Speaker #1

    Oui, ça c'est vrai. Que pensez-vous de la critique littéraire ? Est-ce que c'est un mal nécessaire ? Ils ont été parfois durs avec vous.

  • Speaker #0

    Alors, la critique littéraire, j'ai une double vision parce que moi j'ai fait la fac de lettres, donc j'ai connu une critique littéraire très intellectuelle, qui était déjà des oeuvres. J'ai connu des gens comme Maurice Blanchot, où leur œuvre de critique est déjà une œuvre. Après, la critique littéraire dans les journées, alors ça, il y a une chose qui m'amuse énormément, parce que c'est valable pour la critique de cinéma, c'est-à-dire que ça semblerait être un métier, et on est critique de cinéma, on est critique de livres, et maintenant, grâce aux réseaux sociaux, tout le monde est devenu critique. Moi, je lis beaucoup un site qui s'appelle Sens Critique. Bon, on voit bien que n'importe quel gugusse... peut faire de la critique de livres ou de la critique de cinéma. C'est affreux ! Vive le bénévolat !

  • Speaker #1

    Est-ce que vous fantasmez sur J.D. Salinger, qui n'a jamais donné un interview de sa vie ? Vous aimez bien ça ou vous n'aimez pas ça ?

  • Speaker #0

    Je déteste ça.

  • Speaker #1

    Là, par exemple, c'est pénible.

  • Speaker #0

    Non, pas du tout. C'est très sympa. Il y a un phénomène que tous les artistes qui font de la promo connaissent, c'est un phénomène de répétition. C'est-à-dire que quand vous êtes en promo, vous répétez absolument à chaque fois la même chose.

  • Speaker #1

    Mais là, non ?

  • Speaker #0

    Là, non, mais parce que vous partez sur des terrains un petit peu différents. Mais quand on fait un interview, disons, de base, sur le même livre, vous savez pertinemment que... Et c'est normal. On devient interroqué. Un jour, Costa Gavras, il m'avait raconté ça. Il m'avait dit qu'il n'en pouvait tellement plus de répéter toujours les mêmes choses qu'il avait essayé de dire des autres. d'autres choses, de répondre des choses différentes. Mais il m'a dit c'est impossible parce que vous avez une œuvre, vous avez les réponses toutes faites que vous avez parce que c'est la vérité, vous ne pouvez pas répondre à autre chose.

  • Speaker #1

    Pensez-vous qu'un roman doit réparer le monde ? C'est une chose qu'on entend souvent.

  • Speaker #0

    Pas du tout. Je pense honnêtement, et ça j'en parle aussi dans mon livre, que les œuvres d'art sont grandes parce qu'elles nous émeuvent et parce qu'elles nous font sentir vraiment... la possibilité d'un monde supérieur, mais je ne crois pas beaucoup à l'influence de l'écrit sur les cerveaux humains. Et malheureusement, il ne me vient qu'un seul exemple d'influence forte d'une œuvre sur les cerveaux humains, c'est le marxisme. Et on ne peut pas dire que ce soit un exemple brillant.

  • Speaker #1

    Vraiment. Disons qu'il y a eu beaucoup d'hommages collatéraux à cette belle idée.

  • Speaker #0

    Vraiment.

  • Speaker #1

    Quel est votre chef-d'œuvre ? Le livre de vous que vous vous estimez être le meilleur ?

  • Speaker #0

    Ah, alors ça, c'est des goûts personnels, enfin, je veux dire, des choses intimes. Moi, j'aime, le livre que je préfère de moi, c'est La ligne noire. C'est l'histoire d'un journaliste de faits divers qui, pour tirer les verres du nez d'un serial killer qui est en prison en Malaisie, se fait passer pour une femme. Alors, comment il fait ? Il y a une sorte d'histoire d'amour, de correspondance amoureuse entre eux. Et grâce à ça, le tueur en série le guide à travers l'Asie du Sud-Est sur les traces de ses propres meurtres. Et j'aime cette histoire parce que j'aime les histoires qui partent sur un... C'est pour ça que j'adore Fédot. Parce que j'aime les histoires qui partent sur un malentendu, ou un quiproquo, et qui engendrent des situations. Et dans mon livre, alors c'est pas du tout un livre comique, c'est même un de mes livres les plus noirs, mais il y a cet enchaînement qu'on retrouve chez Fédot, qu'on retrouve chez Francis Weber, où il y a un quiproquo à l'origine qui fait une réaction en chaîne... Ou chez Marivaux, il y a ça, les déguisements des personnages. Oui, voilà, de situations... très très forte grâce à un malentendu.

  • Speaker #1

    Êtes-vous un ouin-ouin ?

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que c'est un ouin-ouin ?

  • Speaker #1

    C'est comme ça que les néo-féministes appellent les hommes qui se plaignent, qui pleurnichent sur la difficulté d'être un homme aujourd'hui.

  • Speaker #0

    Pas du tout. Alors là, j'en profite pour glisser une réflexion sur le féminisme en général et l'état actuel des choses. C'est que moi, je ne suis pas du tout ouin-ouin. Je serais même plutôt de la vieille école, macho et... Macho. Mais je tiens à dire que je regarde le féminisme et tout ce qui se dit dans les médias, etc., avec des yeux écarquillés, parce que ça ne correspond pas du tout à ce que j'ai vécu à aucun moment de ma vie. C'est-à-dire, les femmes dont on parle et qui existent, qui sont victimes, qui sont battues, etc., ne sont pas du tout les femmes que j'ai rencontrées. Moi, j'ai rencontré des personnalités très, très fortes, voire dangereuses. Moi, j'en suis resté, vous savez, dans les films des années 40-50 d'Hollywood, Les Femmes Fatales. Les Femmes Fatales. Les Femmes Fatales, on les oublie en ce moment. Une femme peut être très, très dangereuse. La femme est un être très déterminé, qui n'est pas du tout une serpillière à qui on fait les pires choses.

  • Speaker #1

    Pourtant, dans votre histoire personnelle, vous avez une mère qui a été victime d'une tentative de féminicide. Alors, absolument. Plusieurs mères. Absolument.

  • Speaker #0

    Je trouve que mon histoire, enfin, leur histoire, plutôt à ma mère et ma grand-mère, Ça démontre un peu ce que je veux dire, c'est qu'il y a eu un moment presque de féminicide et d'emprise, c'est-à-dire que je le raconte à un moment donné, même ma mère ne veut pas partir, ne veut pas quitter son mari, elle espère toujours que ça va s'arranger. Il y a ça dans la femme, un espoir toujours que les choses vont s'arranger et un sentiment amoureux qui devient une sorte d'esclavage. Mais il y a aussi après, quand on les voit se battre, une volonté, une force, une détermination. alors là c'est un cliché mais moi je l'aime ce cliché C'est quand ma mère devient mère, justement. Là, il y a quelqu'un à protéger. Et là, vous savez, j'adore chez les animaux, les femelles, il ne faut pas s'approcher des petits. Là, elles montent les dents.

  • Speaker #1

    J'adore ça. C'est ça qui est bien dans le livre, d'ailleurs. Oui, c'est vrai. Qui est le meilleur écrivain français vivant ?

  • Speaker #0

    Alors, franchement, moi.

  • Speaker #1

    Ah, ça fait plaisir ! Ça fait plaisir parce que les autres n'osent pas dire moi. S'ils réjigent le frais un peu, sinon ils osent. Mais franchement,

  • Speaker #0

    c'est presque un état psychologique. Quand vous passez votre journée à écrire, à transpirer tout seul, à écrire vos trucs, vous êtes forcé, quasiment forcé de penser que vous êtes le meilleur et que ce que vous faites est un chef-d'oeuvre. D'ailleurs, j'en profite pour dire que, comment dirais-je ? Je n'ai jamais vraiment cru aux amitiés artistiques. Parce qu'au fond, vous pensez que c'est vous qui avez raison. Vous pensez que c'est vous le meilleur. Et c'est très difficile de penser que le voisin qui fait exactement le contraire est aussi bon. Ah,

  • Speaker #1

    reçu. Non, mais quand même. On peut échanger. Vous voyez, on échange.

  • Speaker #0

    On peut échanger. Mais par exemple...

  • Speaker #1

    Vous avez envie de me briser ma carrière et réciproquement. Mais on arrive quand même à échanger.

  • Speaker #0

    Non, mais par exemple, j'excuse énormément cette méchanceté qui règne dans les milieux artistiques. Alors que ce soit la littérature ou le cinéma. Tout le monde se déteste. Parce que c'est tellement dur comme boulot, toute proportion gardée, mais on a tellement peur quand on sort une oeuvre, c'est tellement difficile, c'est tellement affligeant d'échouer par exemple, que c'est normal qu'on souhaite du mal aux autres. C'est un sentiment humain, c'est-à-dire que c'est tellement dur. C'est marrant.

  • Speaker #1

    Et puis aussi, le fait de dire, bah oui, c'est moi le meilleur, c'est plutôt sain. Je veux dire... Aujourd'hui, tous les écrivains font de la fausse modestie.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Or, c'est un métier prétentieux.

  • Speaker #0

    Écoutez, c'est la seule idée. Il faut l'assumer. C'est un métier orgueilleux. Un métier d'orgueil. Et c'est la seule idée sur laquelle je serais d'accord avec Céline. Mais Céline le disait. Il disait, moi, je n'aime aucun autre écrivain. Le seul bon écrivain, c'est moi. Ce qu'il faut faire sur sa page, c'est ce que je fais moi. Et c'est très difficile de dire, celui d'à côté est aussi bon que moi. Ou même meilleur. Là, c'est catastrophique.

  • Speaker #1

    La phrase de vous dont vous êtes le plus fier ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est une phrase qui est peut-être, comment dirais-je, qui est passée un peu inaperçue. J'ai écrit un livre qui s'appelait « L'Ontano » , dont le héros était une sorte de Charles Pasqua, c'est-à-dire un type qui avait trompé dans toutes les magouilles politiques, un vieux flic qui connaissait tout sur tout, et qui détestait justement les partis politiques. Et il dit à un moment donné « Je déteste tous ces gens qui ont besoin d'être à plusieurs pour être quelqu'un » . Et j'aime cette phrase parce que moi-même, je suis totalement apolitique et je ne comprends pas cette aspiration des hommes à être ensemble, pour devenir quelqu'un, pour être soi, il faut être plein. Et ça, je ne comprends pas parce que moi, je suis très très indépendant.

  • Speaker #1

    La question Fahrenheit 451. Imaginons un monde où le livre est interdit et même brûlé. Quel livre seriez-vous prêt à retenir par cœur pour le transmettre aux générations futures ?

  • Speaker #0

    Je pensais que vous alliez me demander quel livre faut brûler. Alors là, j'avais plein d'idées.

  • Speaker #1

    J'avais une longue liste.

  • Speaker #0

    Écoutez, alors là...

  • Speaker #1

    Un de vos livres de chevet.

  • Speaker #0

    Oui, des livres de chevet, je dirais... Alors, un livre que personne ne connaît, mais qui pour moi est un chef-d'oeuvre absolu, ça s'appelle L'ABCDR de Goffredo Parisi. Alors, Goffredo Parisi, c'est un auteur italien de l'époque de Moravia, à peu près à la deuxième moitié du XXe siècle. Il écrit un chef-d'oeuvre, ça s'appelle l'ABCDR, c'est une sorte de dictionnaire où à chaque lettre, il écrit un petit texte à partir d'un mot qui donne le sujet. C'est une littérature hallucinatoire, c'est-à-dire c'est une littérature qui combine toutes les forces romanesques du XIXe siècle, c'est-à-dire on a envie encore d'écrire une histoire, de décrire quelque chose, et puis la force du style du XXe, c'est-à-dire avec des métaphores extraordinaires, etc. C'est un très très très bon livre et j'en parle parce que justement il n'est pas très connu.

  • Speaker #1

    Y a-t-il un livre qui vous a sauvé la vie ?

  • Speaker #0

    Un livre qui m'a sauvé la vie ? Pas un livre qui m'a sauvé la vie mais un livre qui m'a montré ma vie. Je dirais que c'est le livre de Sébastien Japrizo qui s'appelle Piège pour Cendrillon qui à l'époque est passé pour un petit polar des années 60 qui est la perfection, la perfection du point de vue du polar. Et quand j'ai lu ça j'ai dit bon... soit j'arrive à faire ça ou à m'en approcher ou à prendre cette route soit bon c'est plus la peine de me développer donc je pense qu'on a tous des livres qui nous ont tellement touché c'est quand même ça les gens se trompent, il me semble des fois ils pensent que l'inspiration de l'artiste c'est justement parler au plus grand nombre d'évoquer des grands thèmes etc c'est avant tout de reproduire chez les autres ce qu'on a éprouvé nous en lisant un livre c'est surtout ça la motivation profonde c'est de dire ... Ça m'a fait tellement de bien ce livre, ça m'a tellement touché, je veux faire la même chose et l'offrir aux autres, il me semble.

  • Speaker #1

    Quel est votre âge mental ?

  • Speaker #0

    14-15 ans à peu près, ce qui commence à poser un problème parce que... Alors,

  • Speaker #1

    14-15 ans c'est l'âge que vous aviez quand votre père est mort ? Oui, exactement. Vous êtes resté bloqué là.

  • Speaker #0

    J'en veux pour preuve que par exemple, je m'entends beaucoup beaucoup mieux avec les amis de mes enfants. qu'avec mes amis à moi. C'est-à-dire qu'ils ont des préoccupations et un engouement et une exaltation, et naïves souvent, qui me ressemblent beaucoup plus que les adultes avec leurs conversations politiques. Oh là là ! Voilà, moi je ne peux pas.

  • Speaker #1

    Non, non, non. Et enfin, dernière question. Y a-t-il un de vos livres que vous regrettez d'avoir écrit ?

  • Speaker #0

    Alors, il y a un livre qui comporte quelque chose que je regrette. C'est le Concile de Pierre. Le Concile de Pierre, c'est un polar... qui s'ouvre vers la fin sur le fantastique. Et ça, je le regrette beaucoup parce que j'ai oublié, pendant que j'écrivais ce livre, la logique du roman policier qui est absolument contraire. C'est de donner des éléments un peu fantastiques au début qui vont avoir une résolution rationnelle. C'est ça le plaisir du polar. Ça semble impossible, c'est le Michel Tart de la Chambre Jaune. Comment on a pu tuer quelqu'un dans une... pièces fermées de l'extérieur. Eh bien, c'est ça le plaisir du polar. Il y a beaucoup de rationalité dans le polar.

  • Speaker #1

    Donc vous ne pourriez pas devenir un écrivain fantastique à la Stephen King ? Pas du tout ! On vous compare souvent à lui.

  • Speaker #0

    Exactement, ça me fait plaisir parce que c'est une grande référence. Mais ce n'est absolument pas mon genre de littérature. Pas du tout. Je trouve qu'au cinéma, le fantastique passe mieux parce que l'image donne un crédit immédiat à ce que vous voyez. Vous y croyez tout de suite. Je ne suis pas alien ou des films comme ça. vous croyez... à la créature dans le vaisseau spatial alors que dans un livre, moi, je n'accroche pas.

  • Speaker #1

    Et vous pensez que dans le Concile de Pierre, c'était une facilité d'aller vers le fantastique ? Oui, absolument.

  • Speaker #0

    Je regrette d'avoir cédé à cette facilité.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Jean-Christophe Granger, d'être venu discuter une fois de plus chez La Pérouse. C'est un plaisir à chaque fois. Je vous ordonne de lire « Je suis né du diable » de Jean-Christophe Granger. C'est aux éditions Albain Michel. Abonnez-vous, critiquez-moi, dites des gros mots. ou des gentillesses, et n'oubliez pas la nouvelle devise de cette émission, la lecture est à l'esprit, ce que le sport est au corps. Bonsoir, merci encore. C'est excellent !

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Description

Dans son dernier livre, Jean-Christophe Grangé parle de "Conversations chez Lapérouse" ! Il affirme que je lui ai donné l'idée, lors de notre dernier entretien il y a deux ans, de raconter son enfance terrifiante sous la menace de son père psychopathe. "Je suis né du Diable" serait donc de ma faute ?! Mais alors pourquoi cet ingrat ne me reverse-t-il aucun droit d'auteur ?? Je le remercie néanmoins pour ce nouveau dialogue captivant et courageux.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir les amis de la littérature et du luxe, bienvenue chez La Pérouse pour une nouvelle conversation avec cette semaine Jean-Christophe Granger, mais tout de suite un courrier, un courrier avec en tête Estée Dupont. Alors il s'agit du président de Estée Dupont qui m'écrit, « Cher Frédéric, on dit que les plus belles histoires commencent par une étincelle et parfois par un beau stylo. » À travers votre nouvelle émission Conversation chez la Pérouse, vous recréez avec brio cet esprit de salon à la française, où la littérature s'invite à table. Et voici le cadeau de la semaine pour moi-même. Tu le veux ou pas ? C'est un stylo magnifique d'un raffinement exceptionnel. Eternity XL. Voilà. La quai Noir. Vous voyez, je n'arrive même pas à le... C'est le cas de Strop. Bref, ce stylo magnifique. n'hésitez pas continuez à envoyer des cadeaux pour nous aider et merci à Estée Dupont bonsoir Jean-Christophe bonsoir donc ce livre Je suis né du diable aux éditions Albain Michel c'est votre 20ème livre et le plus émouvant vous êtes un auteur de romans policiers gothiques noirs ultra violents les rivières pourpres en 98 vous avez été adapté 7 fois au cinéma et il y a 2 ans je vous ai reçu pour Rouge Karma C'était en 2023 et vous m'avez raconté votre enfance. Et ce jour-là, je vous ai suggéré d'écrire un livre sur ce sujet.

  • Speaker #1

    Absolument.

  • Speaker #0

    Et vous m'avez obéi.

  • Speaker #1

    Absolument, parce que vos désirs sont des ordres. J'ai tout de suite pris ma plume et je m'y suis mis aussitôt.

  • Speaker #0

    Donc, « Je suis né du diable » , c'est votre premier texte autobiographique. Et c'est vrai que... Bon. Bon, alors, ce n'est pas très original par rapport aux 400 autres livres de la rentrée autobiographique, mais pour vous, c'est une nouveauté. Est-ce que c'est plus difficile que construire un thriller à suspense ?

  • Speaker #1

    Alors, ça, je me permets d'insister sur ce fait, c'est beaucoup plus facile. Parce qu'on ne peut vraiment pas comparer un récit où j'ai écrit finalement, dans sa chronologie, des événements terribles qui se sont déroulés, et où j'ai pris... tout de même la peine de m'identifier à ma mère et à ma grand-mère qui ont vécu ces événements, qui ont lutté contre mon père qui était maléfique. Mais on ne peut pas comparer ce travail-là avec le travail de structure, d'invention de personnages, d'invention d'histoire, d'univers qui préside un roman. C'est quand même... Moi, je l'ai écrit d'abord beaucoup plus rapidement et beaucoup plus facilement. À chaque fois que je commence un nouveau roman, que je dois mettre en place un univers et même un langage, pour chaque histoire, il y a un langage particulier. C'est quand même un autre boulot.

  • Speaker #0

    Vous dites, page 19, il est temps d'admettre l'essentiel. Mon père n'était ni un mauvais père, ni un mari violent, il était purement et simplement le diable.

  • Speaker #1

    Oui, il faut insister sur ce fait que là, je ne vais pas raconter une histoire de divorce qui se passe mal, de violence domestique ou d'un couple qui a des difficultés. On a affaire à un vrai personnage psychotique qui a torturé, disons, deux, trois ans. ma mère, psychologiquement et physiquement. Et tout ça se passait au moment de ma naissance. Donc ce qui m'intéressait, c'était de raconter cette naissance et sans doute les traumatismes que j'ai ressentis, sans m'en souvenir aujourd'hui, inconsciemment, et qui sont déversés dans tous mes livres, parce que finalement mes livres, c'est exactement cette histoire à chaque fois.

  • Speaker #0

    Quand on se demandait pourquoi Jean-Christophe Granger écrit toutes ces horreurs, maintenant on a l'explication.

  • Speaker #1

    Le livre est, comment dirais-je... écrit pour ça, c'est-à-dire on m'a tellement souvent posé cette question, mais d'où vient des idées pareilles, que j'ai dû me tourner vers mon enfance, et puis il y avait cette zone d'ombre que j'ai creusée, et là j'ai découvert qu'il y avait en effet quelque chose de terrible. Alors, je lis.

  • Speaker #0

    C'est là-dessus exactement.

  • Speaker #1

    Dans mon premier roman, Le vol des cigognes, l'assassin est le géniteur du héros, cherchant à lui arracher le cœur pour le greffer dans le corps de son autre fils.

  • Speaker #0

    Ça commence bien !

  • Speaker #1

    Dans le suivant, Les rivières... pourpre, le village où se déroule l'intrigue est en réalité un élevage, où des hommes, en vue de créer une race supérieure, échangent des bébés à la maternité et contrôlent plus tard leur mariage. Des pères encore, mais de substitution. En 30 ans, je n'ai jamais changé de ligne, toujours des problèmes d'origine, des géniteurs maléfiques. C'est ma cam, comme on dit. Et même c'est ma peau. Au fond, tous ces bouquins sont des autobiographies détournées. Aujourd'hui, j'essaie d'écrire la bonne, la vraie, l'histoire qui s'est déroulée sous mes yeux effaré de gamins meurtris. Ce livre est mon solde de tout compte.

  • Speaker #0

    Voilà, merci beaucoup. Donc oui, c'est quand même... Alors là, c'est assez incroyable parce que je ne vois pas de précédent. C'est-à-dire que je ne vois pas dans le monde du polar ou du thriller quelqu'un qui, tout d'un coup, nous donne le mode d'emploi, le rosebud de son œuvre.

  • Speaker #1

    Absolument, c'est le rosebud, c'est le roman initial, c'est le roman que j'avais en moi et qui n'est pas un roman, qui est un récit, qui est une histoire vraie, et que j'ai pris la peine tout d'un coup... d'écrire et avant de l'écrire de faire cette enquête parce que il faut quand même le dire, ma mère ça a été tellement terrible pour elle qu'elle n'a jamais voulu me dire un mot là-dessus. Donc j'ai grandi dans cette espèce de point d'interrogation permanent alors il y avait des bribes qui s'échappaient ma grand-mère elle en avait tellement sur l'estomac bon elle me racontait un épisode les épisodes étaient à chaque fois effarants et j'ai toujours grandi dans cette idée, bon ben mon père est dangereux mon père est le diable ... Je ne le connais pas, je ne l'ai jamais vu. Finalement, il est mort pendant mon adolescence. Vous ne l'avez jamais rencontré ? Jamais rencontré. Et c'est la première fois que ma mère m'a parlé de mon père. C'était pour me dire qu'il était mort. Donc finalement, l'Odyssée a été aussitôt ouverte et refermée. Et bon, je le raconte dans mon livre, mais quand j'ai fait une dépression vers l'âge de 45 ans, ma psychiatre m'a tout de suite dit, mais là, vous avez un vrai problème dans votre enfance, dans vos origines. C'est ça qu'il faut percer comme abcès. Vous devez en parler à votre mère. Une nouvelle fois, elle a refusé de me raconter et elle m'a dit tout ce que je peux faire, c'est te donner le dossier du divorce. dans lequel il y a plein de témoignages et tu comprendras mieux l'histoire. J'ai pris ce dossier, les mains un peu tremblantes, j'ai ouvert et la première pièce que j'ai vue, c'est cet article de presse qui raconte l'épisode que je raconte au début du livre, qui est un épisode absolument terrifiant, qui est une scène qu'on dirait issue d'un de mes romans. C'est-à-dire qu'on est dans le monde de la fiction exacerbée. C'est une jeune femme qui attend son bus, porte de Vincennes. En 1963. En 1963, donc on imagine la scène, elle a des petits cheveux courts, elle a sa petite robe toute droite, et une camionnette s'arrête avec trois hommes cagoulés, qu'ils l'enlèvent, elle hurle, ils la mettent dans la fourgonnette et ils partent à fond au cimetière de Saint-Mandé, ils la traînent par terre pour l'enterrer vivante, donc dans une tombe qu'ils ont décelée. Elle arrive à s'en sortir, et comme je dis dans mon livre, avec ce sens des formules qui me caractérisent, la jeune femme qu'on vient d'enlever, c'est ma mère, et le chef des cagoulés, c'est mon père. Donc on n'est pas du tout dans une dispute classique.

  • Speaker #0

    Non, c'est une tentative de meurtre, et vous avez à l'époque deux ans, et elle, 25.

  • Speaker #1

    Exactement, à peu près, oui. Et donc, ce sont des choses qui se sont passées, et c'est ça qui m'intéresse dans ce livre, qu'on ne m'a évidemment pas raconté. mais que j'ai pressenti et que j'ai capté d'une certaine façon, avec un espèce de sixième sens, les enfants, inconsciemment. Et ce qui est intéressant, c'est que dans mes livres, je n'ai pas raconté exactement ces épisodes-là, mais c'est ce genre d'histoire.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Et là, ce qu'il y a d'intéressant, c'est que vous êtes quand même un... Comment dire ? Vous avez un art du storytelling. Vous placez au début du livre cette scène très, très choquante pour... quand même nous a pâtés. Et c'est là qu'on voit que ce n'est pas seulement Granger nous raconte sa confession intime, c'est que ça reste du Granger.

  • Speaker #1

    Alors voilà, c'est ce que je voulais faire. Quand on me demande pourquoi aujourd'hui écrire cette histoire, c'est parce que grâce à vous, j'ai compris qu'en vous racontant quelques épisodes, j'avais matière à un vrai livre.

  • Speaker #0

    Vous avez vu mes yeux écarquillés.

  • Speaker #1

    Ah non, non, mais vous me l'avez dit même. Là, il y a matière à un vrai livre, à un livre, disons, entre guillemets, d'autofiction, mais où il se passera des trucs pour une fois.

  • Speaker #0

    C'est vrai, oui, contrairement au prix Goncourt.

  • Speaker #1

    Et donc, dans ce cas-là, moi je me suis dit, je vais raconter cette histoire, mais entre guillemets, j'ai amené ma trousse à outils, c'est-à-dire les outils de granger. Et par exemple, j'ai pris la peine de m'identifier à ma mère, à ma grand-mère, pour parler en leur nom et en m'identifiant comme je m'identifie dans mes thrillers à mes personnages, pour qu'on vive cette histoire terrible. de l'intérieur, pas avec cette distance du type qui raconte une histoire lointaine, etc.

  • Speaker #0

    Oui, donc scène d'ouverture hallucinante, et puis juste après, vous parlez à la première personne, et vous êtes votre mère, donc vous êtes comme Anthony Perkins dans Ficose, qui met les vêtements de sa mère morte, sauf que votre mère est vivante.

  • Speaker #1

    Exactement. Non, mais alors, ça aussi, c'est une chose qu'on m'a demandé, j'ai pas eu beaucoup de problèmes à me... à m'identifier à ma mère, à m'identifier à ma grand-mère, parce que j'ai l'habitude à travers mes romans. Mais finalement, dans ce cadre-là, c'était des personnages et je devais me mettre dans leur peau. Et donc, quand on les cueille au début du livre, c'est au moment où ma mère décide, avec l'aide de sa mère, donc ma grand-mère, de se marier, parce qu'elle est déjà enceinte et qu'à l'époque, il n'y avait pas le choix quand on était enceinte. Et elles vont prendre cette décision, la peur au ventre.

  • Speaker #0

    Elle sent qu'il y a quelque chose qui ne va pas chez ce type.

  • Speaker #1

    Au départ, ce type est le prince charmant façon Sixties. Il a sa décapotable, il a son petit costume noir. Il est fils d'une grande famille. Il est étudiant en médecine. Il a tout pour lui. Et puis, elle a déjà vu, ma mère, qu'il y avait des choses qui ne collaient pas, des fêlures. Et elle prie pour que ces choses-là ne s'en veniment pas. Et ce qui va être évidemment absolument le contraire.

  • Speaker #0

    Et en fait, c'est un pervers narcissique, ultra jaloux, très possessif et en même temps infidèle, alcoolique. Il a l'alcool agressif, en fait. Il a l'alcool très violent. Il a l'alcool méchant.

  • Speaker #1

    Et il a ce truc de... Oui, j'en parle. Je parle du film Gaslight qui raconte cette même histoire.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    De processus de destruction d'un homme qui, par tous les moyens, qu'il soit violent ou parfois, c'est ce que je raconte, il fait semblant d'être bienveillant et puis il fait semblant de penser qu'elle est malade, des nerfs. Donc il l'abrutit de médicaments. Et ma mère, pendant sa grossesse, va évoluer dans un semi-monde de médicaments abrutissants et un semi-monde nocturne, parce qu'il la traîne dans les pires bars de la capitale pendant qu'elle est enceinte, il l'oblige à boire, et elle va partager son temps comme ça entre deux températures qui font qu'au moment de la mort, de ma naissance, elle ne comprend plus du tout ce qui se passe.

  • Speaker #0

    Et ce film de Georges Cucor en 1944 avec Ingrid Bergman et Charles Boyer est aujourd'hui devenu une expression commune de gaslighting, ce qui consistait dans le film à baisser les lumières au gaz pour que sa femme ne comprenne plus vraiment si elle est dans la réalité.

  • Speaker #1

    C'est la métaphore de la conscience de la femme qui baisse, qui faiblit. Et c'est exactement ce qui est arrivé à ma mère. ... Et c'est une sorte de, comment dire, oui, de presque un archétype qui arrive parfois dans les couples et qui est arrivé à ma mère dans des conditions exacerbées, vraiment exacerbées.

  • Speaker #0

    Alors, sachant que vous avez dans votre ADN les gènes d'un psychopathe, finalement, vous vous en sortez plutôt bien. Vous n'êtes pas addict à des stupéfiants, je ne crois pas. Vous n'êtes pas alcoolique. Vous êtes plutôt gentil dans la vie parce que je vous ai déjà côtoyé.

  • Speaker #1

    Alors justement, c'est ça l'histoire un petit peu en filigrane que j'ai voulu raconter, parce qu'il faut dire qu'il y a une deuxième partie où je raconte un peu le début de ma carrière et comment je suis devenu écrivain et comment ça a réussi. Il y a ce processus que j'explique dans le livre qui s'appelle la sublimation, qui consiste, bon c'est Freud qui a parlé de tout ça, mais qui consiste à déplacer un objet soit de désir interdit, soit de terreur, en un objet positif. Et donc moi très tôt dans mon enfance, oppressé quand même malgré moi par cette menace et puis par par cette question que mon père était était un diable j'ai détourné cette oppression j'en ai je les transformer en une activité artistique je dessinais beaucoup quand j'étais petit et alors je dessinais beaucoup de personnages inquiétants de vampires de 2,2 comment dirais-je de contes méchants danser dans leur château et en fait je transformais mais qui est pas un fan de films d'horreur voilà je transformais mon père, personnage réel et menaçant, en une fiction, et j'ai pu arrêter après, au moment de mes premiers livres, finalement, sans m'en rendre compte, j'ai continué ce processus de transformer, finalement, et c'est ça qui est intéressant, une mécanique de transformer un objet vraiment négatif, qui aurait pu me traumatiser ou me rendre moi-même méchant.

  • Speaker #0

    Vous avez actué tout ça par la littérature.

  • Speaker #1

    Et la littérature, entre guillemets, m'a sauvé.

  • Speaker #0

    Et ça, si vous savez tout ça aujourd'hui, c'est parce que vous avez suivi une thérapie, une psychanalyse pendant des années. Voilà,

  • Speaker #1

    au moment de ma dépression, ma psychiatre m'a donné des médicaments qui m'ont vraiment remis sur pied. Moi, j'adore les médicaments. Attention,

  • Speaker #0

    votre père en donnait à votre mère.

  • Speaker #1

    Oui, alors oui, pas trop quand même. Mais en même temps, elle m'a suggéré de faire une analyse où là, j'ai lavé mon linge sale, mais ce n'était pas encore tout à fait le complet parce que je... connaissais pas encore tous les épisodes, j'avais pas encore lu ce dossier de divorce qui me semblait trop douloureux. Mais quand même, j'ai fait beaucoup le ménage à l'époque, et je réponds à cette question que vous m'avez pas encore posée, qui est que j'ai fait le ménage et j'ai pas perdu au passage d'inspiration. Moi j'ai eu peur, j'ai eu peur de dire, attends, si j'ai plus de problèmes, j'aurais plus rien à dire.

  • Speaker #0

    Vous êtes très... Vous adorez David Lynch, et David Lynch, je l'avais rencontré J'avais travaillé avec lui sur une publicité quand j'étais dans la pub. Et il ne voulait pas faire de psychanalyse pour cette raison-là. Il avait très peur qu'en faisant une thérapie, il n'ait plus d'inspiration après et qu'il arrête de faire des histoires de nains qui parlent à l'envers derrière un rideau rouge. Vous voyez, genre de Twin Peaks. Non, non,

  • Speaker #1

    alors on couvre un peu ces névroses. On les garde au chaud parce que c'est quand même un petit peu le cœur du réacteur. Mais finalement, ce n'est pas ça qui s'est passé. Les traumatismes, ils restent. Ils sont là, tranquilles. Mais en revanche, ma tête était plus claire et j'étais plus apaisé. Parce que moi, j'aime beaucoup un livre de Gérard Garouste qui s'appelle L'Intranquille, où il raconte que bien sûr, tout le monde rêve de Van Gogh, le peintre maudit, malade, qui se coupe l'oreille. Mais vaut mieux être Picasso, vaut mieux être quelqu'un d'équilibré. Pour le travail, c'est beaucoup mieux. Parce que les maladies psychiques, elles vous donnent peut-être une forme d'inspiration, mais elles vous empêchent de bosser.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, Pablo Picasso est venu souvent chez la Pérouse, ici même, puisqu'il était voisin. il habitait 7 rue des grands Augustins, son atelier où il a peint Guernica,

  • Speaker #1

    je précise pour remettre ce restaurant à sa place. Dans le Cénacle.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Mais oui, on savait depuis, enfin comment dire, moi qui vous lis souvent, depuis quelque temps, on sentait que vous vouliez vous renouveler. Il y a eu ce livre Rouge Karma qui se passait chez les hippies, avec des hippies méchants. Ensuite, il y a eu Disco Inferno, alors là carrément un suspense au bain-douche. en pleine épidémie de sida. Donc, c'est vrai qu'on sentait que vous vouliez aller dans d'autres directions. Et là, c'est vraiment l'exemple. C'est même suprême. Et même maintenant, je me demande où vous allez aller. C'est ça qui...

  • Speaker #1

    Sans être inquiet. Si vous me posez la question, on va aller à Tokyo la prochaine fois. Parce qu'avec les années qui sont passées... Cet amour que j'ai pour le Japon, j'ai décidé de vivre disons la moitié du temps à Tokyo et j'ai maintenant une bonne connaissance de la ville et je me suis dit que ça valait le coup d'écrire un polar. Alors là je reviens au thriller, mon style habituel, mais à Tokyo et ce qui me permettra de raconter beaucoup de choses qu'on ne sait pas quand même sur le Japon. On dit beaucoup de choses sur le Japon mais un peu toujours les mêmes choses. Oui,

  • Speaker #0

    toujours les mêmes. Tradition, modernité. Voilà,

  • Speaker #1

    tradition, modernité. J'ai essayé de raconter quelque chose d'autre.

  • Speaker #0

    Quelque chose d'autre, très bien. Donc, parlons un peu de votre père, Jean-Claude Granger, que vous n'avez pas connu. Mon but, ce n'est pas de vous faire pleurer, mais ça ressemble beaucoup à Jean-Claude Romand. C'est-à-dire que c'est un faux médecin, comme lui. Il fait croire qu'il est médecin, qu'il a passé ses diplômes, mais il ne l'a pas fait. C'est le même prénom, Jean-Claude. Et au fond, vous avez peut-être échappé à la mort de peu, parce que Jean-Claude Romand, il a fini par tuer toute sa famille, femme et enfant.

  • Speaker #1

    Alors, mon père était différent dans le sens où il vivait dans un mensonge, c'est vrai, mais il était beaucoup, beaucoup plus agressif, c'est-à-dire qu'il n'essayait pas de jouer un rôle. Par ailleurs, il était vraiment très, très, très méchant avec ma mère, il la torturait physiquement, moralement, et il torturait tout le monde d'ailleurs, parce que... Pour avoir des informations sur cette famille que je n'ai jamais connue, la famille de mon père, j'ai été retrouver au fin fond de la Virginie-Occidentale, aux Etats-Unis, sa petite sœur, qui elle-même a fui à 17 ans, parce que c'était invivable de vivre avec lui, parce qu'après le divorce de ma mère, il est revenu chez ses parents, donc où il y avait cette jeune fille, et elle m'a raconté qu'il l'étranglait dans la nuit, ou qu'il la menaçait avec une arme quand elle faisait ses devoirs.

  • Speaker #0

    Lui-même avait été menacé avec un couteau ? par son propre père. Donc, lui-même était aussi... C'est une famille ultra toxique et dysfonctionnelle, comme on dit aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Moi, c'est ma théorie, si vous voulez, que, comme je dis toujours, tous les enfants malheureux ne font pas des serial killers, mais tous les serial killers ont été des enfants malheureux. Ça, c'est évident. Donc, on peut s'en sortir, mais la fracture de l'enfance, ça peut donner vraiment des monstres. Alors, lui, c'est un peu ça qui s'est passé. Ça reste quand même assez mystérieux, parce qu'il était à ce point maléfique Donc... On voudrait qu'il ait eu un traumatisme terrible, il n'a pas vraiment eu ça. Mais ce qui est important à dire, parce que c'est ce que je développe dans le livre et ce qui est très proche de mes propres livres, c'était une sorte de diamant noir. C'est-à-dire que rien n'était positif chez lui. C'est-à-dire qu'il y a un détail qui m'a beaucoup choqué, c'est un truc d'ordre social, mais après ma mère, il a trouvé le moyen de coucher avec sa belle-sœur. Donc il piétinait aussi l'ordre social, les règles. c'était un Mr Hyde c'est à dire tout ce qui pouvait apparaître à sa portée de main, il le détruisait, d'une façon ou d'une autre.

  • Speaker #0

    Il y a cette scène complètement atroce où il organise une fête dans l'appartement familial et il enferme votre mère et vous dans la salle de bain pendant trois jours pour se bourrer la gueule avec des nanas, des maîtresses.

  • Speaker #1

    On dirait qu'il prenait un espèce de malin plaisir à moitié, parce que lui-même était malheureux, c'était pas quelqu'un qui jouissait de tout ça quand même. Il avait besoin de drogue, d'alcool pour s'oublier lui-même. Mais il faisait tout tout tout de même pour détruire briser l'idée du bien donc en cela il est intéressant et moi j'ai tendance à le considérer maintenant avec la distance comme un malade c'était à mon avis un type comme ça vivraient aujourd'hui il serait soigné interné et c'est ça aussi l'erreur qu'a fait son père c'est à dire mon grand-père paternel il n'a jamais voulu entendre parler de psychiatrie En fait, il aimait beaucoup son fils. Il essuyait les plâtres, il payait les factures. Mon père n'a jamais travaillé, donc il a toujours été entretenu par son père. Mais en même temps, il n'a jamais voulu le soigner comme on le soignerait aujourd'hui, c'est-à-dire avec la psychiatrie, des médicaments, etc.

  • Speaker #0

    Hôpital Saint-Anne direct ? Direct,

  • Speaker #1

    direct. Et ça aurait, à mon avis, empêché beaucoup de méfaits. Il a été aussi pas mal en prison, parce que c'était le mal absolu. Moi, j'ai revu encore un vieux film de Jean Renoir, qui est une adaptation du Dr. Jekyll and Mr. Hyde. Bon, le personnage, il s'appelle Opal dans le film. Dès qu'il sort dans la rue, il fait le mal.

  • Speaker #0

    Alors, je dirais aussi, il y a beaucoup de livres qui parlent de féminicide dans cette rentrée, notamment le livre de Natacha Apana, La nuit au cœur, qui a eu le prix Fémina. Votre livre est un livre féministe. C'est vrai, c'est un livre féministe. C'est peut-être la différence avec Apana, c'est que ce n'est jamais ennuyeux, parce que vous arrivez à vraiment captiver l'attention comme un polar. Mais je veux dire, c'est aussi un livre féministe. D'ailleurs, il est dédié à votre mère et votre grand-mère, André et Michel, car vous avez été élevés par ces deux femmes. Vous savez que c'est le point commun que vous avez avec Albert Camus, qui a été éduqué par sa mère et sa grand-mère. Et aussi Charles Péguy. C'est bien. Oui, parce que, bon, c'était pour des raisons différentes, mais c'est vrai que... Vous avez ce point commun ?

  • Speaker #1

    C'est un livre féministe, mais je dirais que c'est surtout un livre héroïque. Moi, ce que j'aime, c'est l'héroïsme. Dans mes bouquins, il y a toujours un héros qui se bat contre un très méchant tueur et qui arrive à vaincre. Et là, tout à fait dans un autre contexte, à une autre échelle, c'est la même chose. C'est-à-dire que ma mère et ma grand-mère ont été obligées de lutter contre le diable, contre mon père, avec en toile de fond une dichotomie sociale. C'est-à-dire que mon père était riche, il venait de Saint-Mandé. qui est un peu le neuilly de l'Est. Et ma mère et ma grand-mère venaient d'un milieu modeste et étaient beaucoup plus faibles. Donc même au moment du divorce, ma mère et ma grand-mère avaient... Une copine avocate. Oui, la tante qui n'était même pas avocate. Elle travaillait chez un avoué à l'époque, on disait ça. Alors que mon père avait les meilleurs avocats, si vous voulez. Il y a eu toujours ce côté David contre Goliath. Et ma mère et ma grand-mère, c'est ce que j'ai essayé de raconter dans mon livre. ont été des héroïnes, vraiment. Il y a des scènes très chocs, très fortes dans le livre. Mais oui, c'est dingue ! Où elles se battent vraiment, comme dans un thriller romancé. La scène,

  • Speaker #0

    vous êtes, vous, petit garçon, dans un square, et votre père arrive, il a une tenue de médecin, parce que comme il est mytho, il fait croire qu'il est médecin, il a une blouse blanche, mais c'est vraiment, c'est Hannibal Lecter, quoi ! Il a une blouse blanche et un stéthoscope autour du cou. Et il essaye de vous kidnapper. Vous aussi, vous avez été victime de tentatives.

  • Speaker #1

    Cet héroïsme est d'autant plus, je dirais, glorieux et vaillant que par nature, ma mère et ma grand-mère sont très peureuses. Moi, j'ai toujours connu ma grand-mère. Il y avait une souris dans la maison de campagne. On devait déménager en urgence.

  • Speaker #0

    Et donc,

  • Speaker #1

    elles se sont battues parce qu'il n'y avait pas le choix. Et c'était une sorte de serment aussi. Ça, je le raconte aussi quand elle vient me voir à l'hôpital. En plus, je suis né très, très malade. donc il fallait me voir dans une... couveuse, suspendue par des bretelles. J'imagine cette scène déjà très inquiétante. Et je l'imagine se faire un serment à elle-même. C'est-à-dire que si cet enfant survit, ça sera l'objet de notre combat maintenant. On va le protéger et on va faire en sorte qu'il devienne un garçon normal, etc.

  • Speaker #0

    Vous avez eu deux fois plus d'amour, du coup.

  • Speaker #1

    Voilà.

  • Speaker #0

    Exactement. Parce qu'il y avait cette épée de Damoclès permanente.

  • Speaker #1

    Dans ma famille, Bisous. je peux dire que j'ai toujours été un peu le petit prince parce que j'étais l'enfant qui avait échappé à tout ça, l'enfant qui avait été caché un peu chez les oncles et les tantes. J'étais un rescapé et, comme je dis à un moment donné, j'étais un peu condamné à un succès quelconque parce qu'on avait fait tellement d'efforts pour me protéger et me faire réussir à survivre qu'il fallait que je fasse quelque chose de ma vie.

  • Speaker #0

    Vous avez quand même eu une enfance terrorisée, par exemple, vous faisiez des cauchemars toutes les nuits.

  • Speaker #1

    Alors, c'est toujours cette histoire de... Comme je raconte le moment du mariage où ma mère se marie avec l'angoisse, l'inquiétude, j'imagine que cette peur, comme on dit la peur au ventre, elle m'a nourri d'une certaine façon. J'étais déjà dans le ventre et je me dis que quand même j'ai été nourri à la peur, je suis né dans la peur. Et cette peur, oui, elle m'a contaminé. Comme je dis, à un moment donné, je suis un enfant rétro-éclairé. Il y avait une espèce de lumière noire en moi qui a fait que c'était ambigu parce que j'avais beaucoup plus peur. peur je pense qu'un enfant normal et en même temps encore une fois j'ai transformé cette peur en un objet esthétique un objet enviable j'étais attiré par les films d'horreur etc et donc c'est devenu un peu une force oui mais bon moi je disais tout à l'heure que je ne connaissais pas d'équivalent dans l'histoire du roman policier il

  • Speaker #0

    ya quand même un livre de james elroy sur sur l'assassinât de sa mère qui s'appelle Ma part d'ombre et qui est sorti en 1996. Sauf que... Et ça change tout. L'assassin de sa mère n'était pas son père. Vous voyez, là, c'est presque pire, parce que là, vous, la menace, elle est au sein même de votre biologie.

  • Speaker #1

    Mais là, vous citez Hicham Selroy, alors il en a beaucoup parlé de la mort de sa mère, et puis évidemment, ça rentre en cohérence avec toute son œuvre. Mais il faut quand même dire qu'il y a quelque chose de vrai et d'ambigu, de très ambigu, mais ces drames, ces traumatismes nous font une sorte de cadeau empoisonné, c'est-à-dire que... C'est grâce à cette graine de folie que finalement on se met à écrire et qu'on écrit des choses qui vont peut-être plus loin que d'autres auteurs. Et moi je me pose cette question toujours avec mes enfants parce que moi j'ai tout fait pour qu'ils n'aient absolument aucun traumatisme. Mais alors peut-être qu'ils ne vont avoir rien à dire. C'est ça le problème. C'est mieux peut-être. C'est mieux mais ces traumatismes-là finalement nous ont donné une énergie.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'ils lisent, vos enfants, est-ce qu'ils lisent vos livres ?

  • Speaker #1

    Alors, ils lisent mes livres, mais encore une fois, enfin, les grands lisent mes livres, mais pas les petits. Mais encore une fois, j'ai tout fait pour leur éviter des traumatismes qui vont faire que peut-être, mon grand, il est plutôt dans le domaine artistique, mais ils ne vont pas avoir ce truc de... Oui, c'est difficile à admettre, mais toute cette histoire... Ils sont les petits. Les petits fils du diable, et c'est déjà pas mal, mais toute cette histoire qui m'est tombée dessus a fait que je suis ce que je suis aujourd'hui. Donc c'est quand même un, comment dire, un mal pour un bien.

  • Speaker #0

    Et puisque dans votre ADN il y a le diable, ça ne vous arrive pas d'avoir des pulsions ? Par exemple là vous n'avez pas envie de découper des gens en rondelles chez la Pérouse ?

  • Speaker #1

    Alors vous savez, ça m'intéresse beaucoup, de plus en plus on parle d'épigénétique.

  • Speaker #0

    Et oui.

  • Speaker #1

    ce qui est le développement de la... de votre patrimoine génétique, mais au contact de l'environnement et au contact du monde autour de vous. Même génétique ne va pas donner la même chose dans des contextes différents. Alors ce qui est intéressant chez moi, c'est que peut-être j'avais cet héritage génétique, en effet, mais que grâce à l'amour de ma grand-mère et de ma mère, et grâce à cette éducation que j'ai eue, protégée et vraiment parfaite, ça a donné quelque chose de positif.

  • Speaker #0

    Ah ben ça me rassure !

  • Speaker #1

    Oui, oui, oui. Non, non, non, mais encore une fois, je crois beaucoup à la dose d'amour qu'on doit donner. pendant l'enfance.

  • Speaker #0

    Bon, de toute façon, je n'ai pas l'intention de vous faire dire que vous étiez un tueur en série. Vous ne l'auriez pas dit dans l'émission. Mais est-ce que, au fond, quand on lit tous vos livres, est-ce que le message, s'il y en a, de Jean-Christophe Granger, c'est de dire que le mal est en nous et que c'est à nous de choisir. Mais qu'il y a en nous, nous avons le mal. Enfin, c'est ce que dit d'ailleurs la religion chrétienne. Il y a en nous le bien et le mal et nous devons faire un choix. Est-ce que ce n'est pas ça que vous avez toujours écrit ?

  • Speaker #1

    Alors absolument, là on est monté à l'étage supérieur. C'est parce que vous êtes chez moi. On est dans la métaphysique, là ça y est, on grimpe.

  • Speaker #0

    On monte d'un cran.

  • Speaker #1

    Tout à fait ce que je pense, c'est-à-dire que je pense, moi je suis catholique, donc je penche plutôt pour toute cette version-là. de la théologie, mais qu'on a une marge de manœuvre. On a le choix. Et au fond, c'est ce que disait saint Augustin, mais le mal, ce n'est pas vraiment le mal, c'est un dérapage du bien. Normalement, on devrait être bon. Mais comme on a cette marge de manœuvre, cette possibilité de choix, on peut déraper, on peut faire le mal par ignorance, par paresse. Et moi, c'est une question, c'est la question qui est dans tous mes livres. C'est une question qui me passionne parce qu'enfant, encore une fois, J'ai découvert la cruauté humaine, non pas à travers mon père, mais à travers des choses que j'ai pu voir, par exemple Nuit et brouillard, le film d'Alain Resnais qui m'a terrifié quand j'ai vu la vision des camps et tout ça. J'ai dit mais comment c'est possible ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Et donc il faut admettre qu'on a ça en nous, et alors moi je suis assez freudien comme vision du monde, je pense vraiment que ce dérapage vers le mal est lié à une frustration, à un manque d'amour. C'est-à-dire qu'encore une fois, si vous avez la bonne dose d'amour enfant, il n'y a pas de raison que vous glissiez dans la mauvaise direction. En revanche, si vous avez une filure, une fracture et qu'on vous a fait du mal enfant, ça, ça vous empoisonne.

  • Speaker #0

    Non mais c'est parce que le titre du livre est très religieux. Oui. Je suis né du diable.

  • Speaker #1

    Oui, parce que je pense que mon père était si maléfique qu'il atteignait une sorte de pureté. dans le mal, qui nous fait penser au diable, qui fait penser à une créature qui serait vraiment totalement à rebours des valeurs d'amour chrétienne, etc. Il était vraiment à rebours.

  • Speaker #0

    C'est ça qui fait que justement, peut-être, vos livres, depuis le début, ne sont pas seulement des enquêtes policières ou des thrillers terrifiants, ce sont des ouvrages de morale. Vous êtes un auteur moral.

  • Speaker #1

    Je vous remercie beaucoup de me dire ça, parce que justement, c'est ce que je pense, modestement, de mes livres. Parce que si on regarde mes livres, d'une part, on voit que le bien gagne toujours, et que d'autre part, même chez le méchant, même chez l'assassin, toujours dans mes enquêtes, il y a en effet, il faut l'identifier, mais il faut aussi comprendre pourquoi il est méchant. Et quand on comprend pourquoi il est méchant, ce n'est pas une excuse, mais il y a toujours une raison. On explique pourquoi il y a eu un dérapage. Et ce ne sont pas des histoires qui donnent un méchant comme ça, qui sort du chapeau. Ce sont des histoires qui expliquent que le mal a eu sa propre histoire et qu'on aurait pu l'éviter.

  • Speaker #0

    C'est ce que dit Aristote, nul n'est méchant volontairement.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    Il y a en nous... Enfin, il y a des explications. Il y a des mystères aussi. Et c'est vrai que peut-être que tous vos livres sont des livres catholiques, au fond. Il y a le bien et le mal, il y a le diable et il y a le... le Christ, je ne sais pas, souvent il apparaît, enfin souvent il est question de religion. Oui,

  • Speaker #1

    j'ai traité beaucoup de thèmes religieux, mais alors il est certain que jamais j'écrirai un livre où c'est le méchant qui gagne, où c'est le méchant qui s'enfuit et qui n'est pas puni, ça ce n'est pas du tout dans ma logique. J'ai une logique tout de même de, on a une marge de manœuvre, on peut faire le mal, mais juste... Justement, ceux qui ne le font pas et qui font le bien, ils ont le devoir d'essayer toujours de redresser la barre. C'est cette image de toujours redresser le bateau.

  • Speaker #0

    Imaginons que je sois Jean-Claude Granger. Je suis votre père, vous le retrouvez, je ne suis pas mort en 1976. Qu'est-ce que vous lui diriez ? Qu'est-ce que vous diriez à votre père s'il était là ?

  • Speaker #1

    Je ne sais pas ce que je lui dirais, mais je pense que je le considérerais comme quelqu'un de malade. Je veux dire, je n'aurais aucune ni haine, ni amertume, ni esprit de revanche. Je serais plutôt compatissant. C'est-à-dire, à mon avis, c'était quelqu'un de malade, qui était malheureux. Tu as besoin d'aide. Tu as besoin d'aide. Il y a maintenant des moyens pour t'aider. Et d'ailleurs, je le raconte dans le livre, on ne va pas tout déflorer, mais même sa mort est totalement apocalyptique. Enfin, c'est des conditions qu'on ne pourrait même pas imaginer. Donc à la fin de sa vie, quand il était totalement... usé par l'alcool, par la drogue, par ses propres angoisses, c'était devenu un être qui avait peur. Il avait peur de lui-même, il avait peur d'espèces de démons qui l'entouraient. Et donc, oui, je lui parlerais avec compassion. Je ne veux pas me donner un rôle plastique. Tout de même.

  • Speaker #0

    Vous ne lui diriez pas dégage, salaud. Ah non,

  • Speaker #1

    jamais de la vie. En plus, c'est une idée que j'adore dans la religion catholique, c'est que plus vous avez de raisons de vouloir d'en vouloir à quelqu'un, plus vous avez des raisons de vouloir le découper en morceaux parce qu'il a été très méchant, plus vous priez pour lui, plus vous êtes gentil. Ça je trouve ça extraordinaire. Et il y a le pardon. Mais est-ce que vous, par exemple,

  • Speaker #0

    vous considérez qu'avec ce livre, vous le pardonnez ?

  • Speaker #1

    C'est surtout une ode à ma mère et à ma grand-mère. Et je dirais que pour ce qui est du pardon, je leur laisse la parole, c'est à elles de décider. Parce que c'est elles qui en ont vraiment bavé et qui ont vraiment affronté l'adversaire avec un grand A.

  • Speaker #0

    c'est marrant l'adversaire qui est le titre du livre de Carrère sur un autre Jean-Claude on ne va pas faire le jeu devine tes citations parce qu'on l'a fait la dernière fois que vous êtes venu mais j'ai un nouveau questionnaire un nouveau jeu c'est le questionnaire de Beg alors pourquoi un jeune devrait-il lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok question importante je vais vous faire une réponse très technique c'est que euh...

  • Speaker #1

    S'il ouvre mon livre, il aura le plaisir, j'espère, de découvrir un rythme rapide, haletant, qu'il ne dépisera pas beaucoup. C'est-à-dire que le problème de la littérature actuellement, c'est qu'on vit dans un monde qui va très vite, les gens regardent des vidéos d'Instagram qui durent deux secondes, et quand ils ouvrent un livre, ils ont une phrase, une page. Alors là, il y a un trop fort décalage, un décalage qui ne va pas. C'est vrai que vos chapitres sont plus longs. Je pense que les jeunes peuvent ouvrir mon livre. Et ils seront, j'espère, aspirés par justement ce rythme qui ne les dépisera pas.

  • Speaker #0

    Et en plus, le fait que tout est vrai. En plus, ça, c'est vrai que c'était... Alors, que savez-vous faire que ne sait pas faire Chad G.P.T. ou Jimmy Nye ou Claude Lesia ? Alors,

  • Speaker #1

    ce que je sais faire, et ça, ça me fait plaisir que vous me posiez la question. Qu'est-ce que vous êtes mieux qu'un robot ? Que ça faire des gens comme moi, comme vous, et qui sont des artistes créateurs. c'est-à-dire qu'on a D'une part un passé, donc des traumatismes et des sensibilités qui a travaillé, que n'a pas Google, et d'autre part un cerveau humain, c'est-à-dire une sensibilité humaine qui, alors là on ne va pas faire encore de la métaphysique, mais une étincelle quasi divine qui nous donne une inspiration. Il ne faut jamais oublier que Chachipiti, l'IA, tout ça, c'est de la synthèse. Donc c'est toujours de la synthèse des choses qui ont déjà été faites. Et si vous regardez l'histoire de l'art, c'est justement l'histoire d'une transgression permanente. Tous les musiciens ont fait exactement le contraire de leurs prédécesseurs. Et c'est ça l'histoire de l'art. Donc je ne vois pas comment l'IA pourrait faire de l'art en rabâchant ce qu'on a déjà fait.

  • Speaker #0

    Oui, très bonne réponse. Vous n'avez jamais eu peur en écrivant ce livre qui ne sert à rien ?

  • Speaker #1

    Qui ne sert à rien ?

  • Speaker #0

    Qui ne sert à rien.

  • Speaker #1

    Non. parce que je me disais, et ça c'était pas du tout un point de vue personnel, c'est-à-dire, comment dirais-je, un solde tout compte de ma vie, de l'histoire de ma famille, etc. Je me disais, et c'est encore une fois vous qui m'avez donné cette idée, que finalement, il se trouve que, presque par hasard, dans ma vie personnelle, il y avait les éléments suffisants pour faire un très bon thriller. Donc, il ne servira jamais à rien, parce qu'on souffrait complètement de la vie de Jean-Christophe Granger, on se moque des... des pères méchants, tout ça, c'est pas grave. En tout cas, il y a un bouquin qui se dévore. Et donc ça, ça sert à quelque chose.

  • Speaker #0

    Pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil ?

  • Speaker #1

    Alors, un écrivain, je ne sais pas, un homme, oui.

  • Speaker #0

    Un homme, oui. Alors est-ce que, comme on a évoqué tout à l'heure ce sujet, est-ce que moi j'avais une sorte de patrimoine noir que j'ai totalement exorcisé dans mes livres ? Peut-être, mais le résultat c'est que dans la vie je suis gentil et j'ai toujours trouvé, alors ça aussi c'est une idée un peu chrétienne, mais d'une certaine façon les méchants sont des faibles. Les gens qui tuent pour jouir, les gens qui disent des méchancetés pour être contents d'eux-mêmes, c'est de la faiblesse, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas à la hauteur. auteur en réalité. J'ai toujours eu cette vision-là. Ça m'a permis de t'encaisser certaines méchancetés, la tête haute.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'être écrivain ? Est-ce que c'est la solitude, la folie, la pauvreté ? Bon, la pauvreté, non, dans votre cas, vous avez beaucoup de succès.

  • Speaker #0

    Alors, il y a deux choses qui me plaisent. La première chose, et ça c'était quasiment un état d'urgence, c'est ne pas travailler dans un bureau.

  • Speaker #1

    Je les raconte dans mon livre.

  • Speaker #0

    Je travaillais un an. Dans la pub ? Oui, ce n'était pas mon truc. Franchement, alors là... Mais quand je dis que ce n'est pas mon truc, on dirait, oh boy, il n'avait pas la vocation. Non, c'était quelque chose de quasiment organique. Je ne pouvais pas aller au bureau, dire bonjour à tout le monde. Se lever,

  • Speaker #1

    aller mettre au boulot dodo.

  • Speaker #0

    Et puis dire bonjour à tout le monde, toujours avoir le sourire, assister à des réunions. Alors, je ne veux pas faire le mec fragile, mais c'était au-dessus de mes forces. C'est un monde qui est au-dessus de mes forces. Alors ça, c'est une chose que... Une des raisons. Et l'autre raison, alors là, je dois le dire, même en me levant le matin, je me mets à travail, je dois dire que je suis quand même amoureux du mythe de l'écrivain. Ah oui. Seul devant sa machine à écrire. C'est quand même ça qui... Le dégurge. Dieu, c'est vous qui devenez Dieu. C'est ça qui fait rêver tout le monde. Tout de même, on ne compte plus le nombre de films où le héros est un écrivain, on ne compte plus le nombre de gens qui veulent être écrivains. À Paris, vous savez bien que tout le monde écrit. Il y a beaucoup moins de gens qui n'écrivent pas que de gens qui écrivent. Et c'est donc un mythe. Et j'ai l'impression, à chaque fois que je me mets au boulot le matin, de rejoindre une sorte de mythe, d'être dans une place quand même privilégiée, super privilégiée. Oui,

  • Speaker #1

    mais quand même, ça demande une discipline. C'est presque comme d'aller dans un bureau. Vous avez sûrement un bureau où vous travaillez.

  • Speaker #0

    Alors, j'ai exactement, c'est tout le paradoxe de ma personne. Vous dites,

  • Speaker #1

    je ne veux pas aller au bureau, mais vous allez dans la pièce d'à côté, et là, vous êtes enfermé à bosser.

  • Speaker #0

    J'ai toujours été un type qui ne supportait pas la discipline qu'on m'imposait. mais qui était avec lui-même très, très, très discipliné. Et j'ai résolu ce problème de l'inspiration et puis de « est-ce que je suis en forme, pas en forme pour écrire ? » en me disant « tous les jours, tu écriras à la même heure le même nombre d'heures. Puis il y aura des bons jours, il y aura des mauvais jours. » Mais ça a cassé, si vous voulez, ce truc d'attendre. « Bon, je vais m'y mettre quand je serai génial. » Ça, alors,

  • Speaker #1

    c'est le meilleur moyen pour ne pas écrire rien. Est-ce que vous avez déjà écrit en état d'ivresse ?

  • Speaker #0

    Non. Alors là, moi, j'aime cette idée. Désolé. Vous savez, des auteurs qui étaient à moitié alcooliques, qui écrivaient complètement bourrés. Parce que moi, ce n'est pas fréquent, mais si j'ai un coup dans le nez, je me vois mal écrire quelque chose. Je n'ai pas du tout les idées claires.

  • Speaker #1

    Bon, on n'est pas d'accord. Ça donne une fluidité.

  • Speaker #0

    Alors peut-être que ça donnerait une fluidité, mais je trouve que ça retire beaucoup d'objectivité. Donc j'ai peur, si vous voulez, d'écrire... des pages en étant en état d'ivresse et le lendemain en les lisant en étant consternés.

  • Speaker #1

    Oui, ça c'est vrai. Que pensez-vous de la critique littéraire ? Est-ce que c'est un mal nécessaire ? Ils ont été parfois durs avec vous.

  • Speaker #0

    Alors, la critique littéraire, j'ai une double vision parce que moi j'ai fait la fac de lettres, donc j'ai connu une critique littéraire très intellectuelle, qui était déjà des oeuvres. J'ai connu des gens comme Maurice Blanchot, où leur œuvre de critique est déjà une œuvre. Après, la critique littéraire dans les journées, alors ça, il y a une chose qui m'amuse énormément, parce que c'est valable pour la critique de cinéma, c'est-à-dire que ça semblerait être un métier, et on est critique de cinéma, on est critique de livres, et maintenant, grâce aux réseaux sociaux, tout le monde est devenu critique. Moi, je lis beaucoup un site qui s'appelle Sens Critique. Bon, on voit bien que n'importe quel gugusse... peut faire de la critique de livres ou de la critique de cinéma. C'est affreux ! Vive le bénévolat !

  • Speaker #1

    Est-ce que vous fantasmez sur J.D. Salinger, qui n'a jamais donné un interview de sa vie ? Vous aimez bien ça ou vous n'aimez pas ça ?

  • Speaker #0

    Je déteste ça.

  • Speaker #1

    Là, par exemple, c'est pénible.

  • Speaker #0

    Non, pas du tout. C'est très sympa. Il y a un phénomène que tous les artistes qui font de la promo connaissent, c'est un phénomène de répétition. C'est-à-dire que quand vous êtes en promo, vous répétez absolument à chaque fois la même chose.

  • Speaker #1

    Mais là, non ?

  • Speaker #0

    Là, non, mais parce que vous partez sur des terrains un petit peu différents. Mais quand on fait un interview, disons, de base, sur le même livre, vous savez pertinemment que... Et c'est normal. On devient interroqué. Un jour, Costa Gavras, il m'avait raconté ça. Il m'avait dit qu'il n'en pouvait tellement plus de répéter toujours les mêmes choses qu'il avait essayé de dire des autres. d'autres choses, de répondre des choses différentes. Mais il m'a dit c'est impossible parce que vous avez une œuvre, vous avez les réponses toutes faites que vous avez parce que c'est la vérité, vous ne pouvez pas répondre à autre chose.

  • Speaker #1

    Pensez-vous qu'un roman doit réparer le monde ? C'est une chose qu'on entend souvent.

  • Speaker #0

    Pas du tout. Je pense honnêtement, et ça j'en parle aussi dans mon livre, que les œuvres d'art sont grandes parce qu'elles nous émeuvent et parce qu'elles nous font sentir vraiment... la possibilité d'un monde supérieur, mais je ne crois pas beaucoup à l'influence de l'écrit sur les cerveaux humains. Et malheureusement, il ne me vient qu'un seul exemple d'influence forte d'une œuvre sur les cerveaux humains, c'est le marxisme. Et on ne peut pas dire que ce soit un exemple brillant.

  • Speaker #1

    Vraiment. Disons qu'il y a eu beaucoup d'hommages collatéraux à cette belle idée.

  • Speaker #0

    Vraiment.

  • Speaker #1

    Quel est votre chef-d'œuvre ? Le livre de vous que vous vous estimez être le meilleur ?

  • Speaker #0

    Ah, alors ça, c'est des goûts personnels, enfin, je veux dire, des choses intimes. Moi, j'aime, le livre que je préfère de moi, c'est La ligne noire. C'est l'histoire d'un journaliste de faits divers qui, pour tirer les verres du nez d'un serial killer qui est en prison en Malaisie, se fait passer pour une femme. Alors, comment il fait ? Il y a une sorte d'histoire d'amour, de correspondance amoureuse entre eux. Et grâce à ça, le tueur en série le guide à travers l'Asie du Sud-Est sur les traces de ses propres meurtres. Et j'aime cette histoire parce que j'aime les histoires qui partent sur un... C'est pour ça que j'adore Fédot. Parce que j'aime les histoires qui partent sur un malentendu, ou un quiproquo, et qui engendrent des situations. Et dans mon livre, alors c'est pas du tout un livre comique, c'est même un de mes livres les plus noirs, mais il y a cet enchaînement qu'on retrouve chez Fédot, qu'on retrouve chez Francis Weber, où il y a un quiproquo à l'origine qui fait une réaction en chaîne... Ou chez Marivaux, il y a ça, les déguisements des personnages. Oui, voilà, de situations... très très forte grâce à un malentendu.

  • Speaker #1

    Êtes-vous un ouin-ouin ?

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que c'est un ouin-ouin ?

  • Speaker #1

    C'est comme ça que les néo-féministes appellent les hommes qui se plaignent, qui pleurnichent sur la difficulté d'être un homme aujourd'hui.

  • Speaker #0

    Pas du tout. Alors là, j'en profite pour glisser une réflexion sur le féminisme en général et l'état actuel des choses. C'est que moi, je ne suis pas du tout ouin-ouin. Je serais même plutôt de la vieille école, macho et... Macho. Mais je tiens à dire que je regarde le féminisme et tout ce qui se dit dans les médias, etc., avec des yeux écarquillés, parce que ça ne correspond pas du tout à ce que j'ai vécu à aucun moment de ma vie. C'est-à-dire, les femmes dont on parle et qui existent, qui sont victimes, qui sont battues, etc., ne sont pas du tout les femmes que j'ai rencontrées. Moi, j'ai rencontré des personnalités très, très fortes, voire dangereuses. Moi, j'en suis resté, vous savez, dans les films des années 40-50 d'Hollywood, Les Femmes Fatales. Les Femmes Fatales. Les Femmes Fatales, on les oublie en ce moment. Une femme peut être très, très dangereuse. La femme est un être très déterminé, qui n'est pas du tout une serpillière à qui on fait les pires choses.

  • Speaker #1

    Pourtant, dans votre histoire personnelle, vous avez une mère qui a été victime d'une tentative de féminicide. Alors, absolument. Plusieurs mères. Absolument.

  • Speaker #0

    Je trouve que mon histoire, enfin, leur histoire, plutôt à ma mère et ma grand-mère, Ça démontre un peu ce que je veux dire, c'est qu'il y a eu un moment presque de féminicide et d'emprise, c'est-à-dire que je le raconte à un moment donné, même ma mère ne veut pas partir, ne veut pas quitter son mari, elle espère toujours que ça va s'arranger. Il y a ça dans la femme, un espoir toujours que les choses vont s'arranger et un sentiment amoureux qui devient une sorte d'esclavage. Mais il y a aussi après, quand on les voit se battre, une volonté, une force, une détermination. alors là c'est un cliché mais moi je l'aime ce cliché C'est quand ma mère devient mère, justement. Là, il y a quelqu'un à protéger. Et là, vous savez, j'adore chez les animaux, les femelles, il ne faut pas s'approcher des petits. Là, elles montent les dents.

  • Speaker #1

    J'adore ça. C'est ça qui est bien dans le livre, d'ailleurs. Oui, c'est vrai. Qui est le meilleur écrivain français vivant ?

  • Speaker #0

    Alors, franchement, moi.

  • Speaker #1

    Ah, ça fait plaisir ! Ça fait plaisir parce que les autres n'osent pas dire moi. S'ils réjigent le frais un peu, sinon ils osent. Mais franchement,

  • Speaker #0

    c'est presque un état psychologique. Quand vous passez votre journée à écrire, à transpirer tout seul, à écrire vos trucs, vous êtes forcé, quasiment forcé de penser que vous êtes le meilleur et que ce que vous faites est un chef-d'oeuvre. D'ailleurs, j'en profite pour dire que, comment dirais-je ? Je n'ai jamais vraiment cru aux amitiés artistiques. Parce qu'au fond, vous pensez que c'est vous qui avez raison. Vous pensez que c'est vous le meilleur. Et c'est très difficile de penser que le voisin qui fait exactement le contraire est aussi bon. Ah,

  • Speaker #1

    reçu. Non, mais quand même. On peut échanger. Vous voyez, on échange.

  • Speaker #0

    On peut échanger. Mais par exemple...

  • Speaker #1

    Vous avez envie de me briser ma carrière et réciproquement. Mais on arrive quand même à échanger.

  • Speaker #0

    Non, mais par exemple, j'excuse énormément cette méchanceté qui règne dans les milieux artistiques. Alors que ce soit la littérature ou le cinéma. Tout le monde se déteste. Parce que c'est tellement dur comme boulot, toute proportion gardée, mais on a tellement peur quand on sort une oeuvre, c'est tellement difficile, c'est tellement affligeant d'échouer par exemple, que c'est normal qu'on souhaite du mal aux autres. C'est un sentiment humain, c'est-à-dire que c'est tellement dur. C'est marrant.

  • Speaker #1

    Et puis aussi, le fait de dire, bah oui, c'est moi le meilleur, c'est plutôt sain. Je veux dire... Aujourd'hui, tous les écrivains font de la fausse modestie.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Or, c'est un métier prétentieux.

  • Speaker #0

    Écoutez, c'est la seule idée. Il faut l'assumer. C'est un métier orgueilleux. Un métier d'orgueil. Et c'est la seule idée sur laquelle je serais d'accord avec Céline. Mais Céline le disait. Il disait, moi, je n'aime aucun autre écrivain. Le seul bon écrivain, c'est moi. Ce qu'il faut faire sur sa page, c'est ce que je fais moi. Et c'est très difficile de dire, celui d'à côté est aussi bon que moi. Ou même meilleur. Là, c'est catastrophique.

  • Speaker #1

    La phrase de vous dont vous êtes le plus fier ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est une phrase qui est peut-être, comment dirais-je, qui est passée un peu inaperçue. J'ai écrit un livre qui s'appelait « L'Ontano » , dont le héros était une sorte de Charles Pasqua, c'est-à-dire un type qui avait trompé dans toutes les magouilles politiques, un vieux flic qui connaissait tout sur tout, et qui détestait justement les partis politiques. Et il dit à un moment donné « Je déteste tous ces gens qui ont besoin d'être à plusieurs pour être quelqu'un » . Et j'aime cette phrase parce que moi-même, je suis totalement apolitique et je ne comprends pas cette aspiration des hommes à être ensemble, pour devenir quelqu'un, pour être soi, il faut être plein. Et ça, je ne comprends pas parce que moi, je suis très très indépendant.

  • Speaker #1

    La question Fahrenheit 451. Imaginons un monde où le livre est interdit et même brûlé. Quel livre seriez-vous prêt à retenir par cœur pour le transmettre aux générations futures ?

  • Speaker #0

    Je pensais que vous alliez me demander quel livre faut brûler. Alors là, j'avais plein d'idées.

  • Speaker #1

    J'avais une longue liste.

  • Speaker #0

    Écoutez, alors là...

  • Speaker #1

    Un de vos livres de chevet.

  • Speaker #0

    Oui, des livres de chevet, je dirais... Alors, un livre que personne ne connaît, mais qui pour moi est un chef-d'oeuvre absolu, ça s'appelle L'ABCDR de Goffredo Parisi. Alors, Goffredo Parisi, c'est un auteur italien de l'époque de Moravia, à peu près à la deuxième moitié du XXe siècle. Il écrit un chef-d'oeuvre, ça s'appelle l'ABCDR, c'est une sorte de dictionnaire où à chaque lettre, il écrit un petit texte à partir d'un mot qui donne le sujet. C'est une littérature hallucinatoire, c'est-à-dire c'est une littérature qui combine toutes les forces romanesques du XIXe siècle, c'est-à-dire on a envie encore d'écrire une histoire, de décrire quelque chose, et puis la force du style du XXe, c'est-à-dire avec des métaphores extraordinaires, etc. C'est un très très très bon livre et j'en parle parce que justement il n'est pas très connu.

  • Speaker #1

    Y a-t-il un livre qui vous a sauvé la vie ?

  • Speaker #0

    Un livre qui m'a sauvé la vie ? Pas un livre qui m'a sauvé la vie mais un livre qui m'a montré ma vie. Je dirais que c'est le livre de Sébastien Japrizo qui s'appelle Piège pour Cendrillon qui à l'époque est passé pour un petit polar des années 60 qui est la perfection, la perfection du point de vue du polar. Et quand j'ai lu ça j'ai dit bon... soit j'arrive à faire ça ou à m'en approcher ou à prendre cette route soit bon c'est plus la peine de me développer donc je pense qu'on a tous des livres qui nous ont tellement touché c'est quand même ça les gens se trompent, il me semble des fois ils pensent que l'inspiration de l'artiste c'est justement parler au plus grand nombre d'évoquer des grands thèmes etc c'est avant tout de reproduire chez les autres ce qu'on a éprouvé nous en lisant un livre c'est surtout ça la motivation profonde c'est de dire ... Ça m'a fait tellement de bien ce livre, ça m'a tellement touché, je veux faire la même chose et l'offrir aux autres, il me semble.

  • Speaker #1

    Quel est votre âge mental ?

  • Speaker #0

    14-15 ans à peu près, ce qui commence à poser un problème parce que... Alors,

  • Speaker #1

    14-15 ans c'est l'âge que vous aviez quand votre père est mort ? Oui, exactement. Vous êtes resté bloqué là.

  • Speaker #0

    J'en veux pour preuve que par exemple, je m'entends beaucoup beaucoup mieux avec les amis de mes enfants. qu'avec mes amis à moi. C'est-à-dire qu'ils ont des préoccupations et un engouement et une exaltation, et naïves souvent, qui me ressemblent beaucoup plus que les adultes avec leurs conversations politiques. Oh là là ! Voilà, moi je ne peux pas.

  • Speaker #1

    Non, non, non. Et enfin, dernière question. Y a-t-il un de vos livres que vous regrettez d'avoir écrit ?

  • Speaker #0

    Alors, il y a un livre qui comporte quelque chose que je regrette. C'est le Concile de Pierre. Le Concile de Pierre, c'est un polar... qui s'ouvre vers la fin sur le fantastique. Et ça, je le regrette beaucoup parce que j'ai oublié, pendant que j'écrivais ce livre, la logique du roman policier qui est absolument contraire. C'est de donner des éléments un peu fantastiques au début qui vont avoir une résolution rationnelle. C'est ça le plaisir du polar. Ça semble impossible, c'est le Michel Tart de la Chambre Jaune. Comment on a pu tuer quelqu'un dans une... pièces fermées de l'extérieur. Eh bien, c'est ça le plaisir du polar. Il y a beaucoup de rationalité dans le polar.

  • Speaker #1

    Donc vous ne pourriez pas devenir un écrivain fantastique à la Stephen King ? Pas du tout ! On vous compare souvent à lui.

  • Speaker #0

    Exactement, ça me fait plaisir parce que c'est une grande référence. Mais ce n'est absolument pas mon genre de littérature. Pas du tout. Je trouve qu'au cinéma, le fantastique passe mieux parce que l'image donne un crédit immédiat à ce que vous voyez. Vous y croyez tout de suite. Je ne suis pas alien ou des films comme ça. vous croyez... à la créature dans le vaisseau spatial alors que dans un livre, moi, je n'accroche pas.

  • Speaker #1

    Et vous pensez que dans le Concile de Pierre, c'était une facilité d'aller vers le fantastique ? Oui, absolument.

  • Speaker #0

    Je regrette d'avoir cédé à cette facilité.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Jean-Christophe Granger, d'être venu discuter une fois de plus chez La Pérouse. C'est un plaisir à chaque fois. Je vous ordonne de lire « Je suis né du diable » de Jean-Christophe Granger. C'est aux éditions Albain Michel. Abonnez-vous, critiquez-moi, dites des gros mots. ou des gentillesses, et n'oubliez pas la nouvelle devise de cette émission, la lecture est à l'esprit, ce que le sport est au corps. Bonsoir, merci encore. C'est excellent !

Description

Dans son dernier livre, Jean-Christophe Grangé parle de "Conversations chez Lapérouse" ! Il affirme que je lui ai donné l'idée, lors de notre dernier entretien il y a deux ans, de raconter son enfance terrifiante sous la menace de son père psychopathe. "Je suis né du Diable" serait donc de ma faute ?! Mais alors pourquoi cet ingrat ne me reverse-t-il aucun droit d'auteur ?? Je le remercie néanmoins pour ce nouveau dialogue captivant et courageux.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir les amis de la littérature et du luxe, bienvenue chez La Pérouse pour une nouvelle conversation avec cette semaine Jean-Christophe Granger, mais tout de suite un courrier, un courrier avec en tête Estée Dupont. Alors il s'agit du président de Estée Dupont qui m'écrit, « Cher Frédéric, on dit que les plus belles histoires commencent par une étincelle et parfois par un beau stylo. » À travers votre nouvelle émission Conversation chez la Pérouse, vous recréez avec brio cet esprit de salon à la française, où la littérature s'invite à table. Et voici le cadeau de la semaine pour moi-même. Tu le veux ou pas ? C'est un stylo magnifique d'un raffinement exceptionnel. Eternity XL. Voilà. La quai Noir. Vous voyez, je n'arrive même pas à le... C'est le cas de Strop. Bref, ce stylo magnifique. n'hésitez pas continuez à envoyer des cadeaux pour nous aider et merci à Estée Dupont bonsoir Jean-Christophe bonsoir donc ce livre Je suis né du diable aux éditions Albain Michel c'est votre 20ème livre et le plus émouvant vous êtes un auteur de romans policiers gothiques noirs ultra violents les rivières pourpres en 98 vous avez été adapté 7 fois au cinéma et il y a 2 ans je vous ai reçu pour Rouge Karma C'était en 2023 et vous m'avez raconté votre enfance. Et ce jour-là, je vous ai suggéré d'écrire un livre sur ce sujet.

  • Speaker #1

    Absolument.

  • Speaker #0

    Et vous m'avez obéi.

  • Speaker #1

    Absolument, parce que vos désirs sont des ordres. J'ai tout de suite pris ma plume et je m'y suis mis aussitôt.

  • Speaker #0

    Donc, « Je suis né du diable » , c'est votre premier texte autobiographique. Et c'est vrai que... Bon. Bon, alors, ce n'est pas très original par rapport aux 400 autres livres de la rentrée autobiographique, mais pour vous, c'est une nouveauté. Est-ce que c'est plus difficile que construire un thriller à suspense ?

  • Speaker #1

    Alors, ça, je me permets d'insister sur ce fait, c'est beaucoup plus facile. Parce qu'on ne peut vraiment pas comparer un récit où j'ai écrit finalement, dans sa chronologie, des événements terribles qui se sont déroulés, et où j'ai pris... tout de même la peine de m'identifier à ma mère et à ma grand-mère qui ont vécu ces événements, qui ont lutté contre mon père qui était maléfique. Mais on ne peut pas comparer ce travail-là avec le travail de structure, d'invention de personnages, d'invention d'histoire, d'univers qui préside un roman. C'est quand même... Moi, je l'ai écrit d'abord beaucoup plus rapidement et beaucoup plus facilement. À chaque fois que je commence un nouveau roman, que je dois mettre en place un univers et même un langage, pour chaque histoire, il y a un langage particulier. C'est quand même un autre boulot.

  • Speaker #0

    Vous dites, page 19, il est temps d'admettre l'essentiel. Mon père n'était ni un mauvais père, ni un mari violent, il était purement et simplement le diable.

  • Speaker #1

    Oui, il faut insister sur ce fait que là, je ne vais pas raconter une histoire de divorce qui se passe mal, de violence domestique ou d'un couple qui a des difficultés. On a affaire à un vrai personnage psychotique qui a torturé, disons, deux, trois ans. ma mère, psychologiquement et physiquement. Et tout ça se passait au moment de ma naissance. Donc ce qui m'intéressait, c'était de raconter cette naissance et sans doute les traumatismes que j'ai ressentis, sans m'en souvenir aujourd'hui, inconsciemment, et qui sont déversés dans tous mes livres, parce que finalement mes livres, c'est exactement cette histoire à chaque fois.

  • Speaker #0

    Quand on se demandait pourquoi Jean-Christophe Granger écrit toutes ces horreurs, maintenant on a l'explication.

  • Speaker #1

    Le livre est, comment dirais-je... écrit pour ça, c'est-à-dire on m'a tellement souvent posé cette question, mais d'où vient des idées pareilles, que j'ai dû me tourner vers mon enfance, et puis il y avait cette zone d'ombre que j'ai creusée, et là j'ai découvert qu'il y avait en effet quelque chose de terrible. Alors, je lis.

  • Speaker #0

    C'est là-dessus exactement.

  • Speaker #1

    Dans mon premier roman, Le vol des cigognes, l'assassin est le géniteur du héros, cherchant à lui arracher le cœur pour le greffer dans le corps de son autre fils.

  • Speaker #0

    Ça commence bien !

  • Speaker #1

    Dans le suivant, Les rivières... pourpre, le village où se déroule l'intrigue est en réalité un élevage, où des hommes, en vue de créer une race supérieure, échangent des bébés à la maternité et contrôlent plus tard leur mariage. Des pères encore, mais de substitution. En 30 ans, je n'ai jamais changé de ligne, toujours des problèmes d'origine, des géniteurs maléfiques. C'est ma cam, comme on dit. Et même c'est ma peau. Au fond, tous ces bouquins sont des autobiographies détournées. Aujourd'hui, j'essaie d'écrire la bonne, la vraie, l'histoire qui s'est déroulée sous mes yeux effaré de gamins meurtris. Ce livre est mon solde de tout compte.

  • Speaker #0

    Voilà, merci beaucoup. Donc oui, c'est quand même... Alors là, c'est assez incroyable parce que je ne vois pas de précédent. C'est-à-dire que je ne vois pas dans le monde du polar ou du thriller quelqu'un qui, tout d'un coup, nous donne le mode d'emploi, le rosebud de son œuvre.

  • Speaker #1

    Absolument, c'est le rosebud, c'est le roman initial, c'est le roman que j'avais en moi et qui n'est pas un roman, qui est un récit, qui est une histoire vraie, et que j'ai pris la peine tout d'un coup... d'écrire et avant de l'écrire de faire cette enquête parce que il faut quand même le dire, ma mère ça a été tellement terrible pour elle qu'elle n'a jamais voulu me dire un mot là-dessus. Donc j'ai grandi dans cette espèce de point d'interrogation permanent alors il y avait des bribes qui s'échappaient ma grand-mère elle en avait tellement sur l'estomac bon elle me racontait un épisode les épisodes étaient à chaque fois effarants et j'ai toujours grandi dans cette idée, bon ben mon père est dangereux mon père est le diable ... Je ne le connais pas, je ne l'ai jamais vu. Finalement, il est mort pendant mon adolescence. Vous ne l'avez jamais rencontré ? Jamais rencontré. Et c'est la première fois que ma mère m'a parlé de mon père. C'était pour me dire qu'il était mort. Donc finalement, l'Odyssée a été aussitôt ouverte et refermée. Et bon, je le raconte dans mon livre, mais quand j'ai fait une dépression vers l'âge de 45 ans, ma psychiatre m'a tout de suite dit, mais là, vous avez un vrai problème dans votre enfance, dans vos origines. C'est ça qu'il faut percer comme abcès. Vous devez en parler à votre mère. Une nouvelle fois, elle a refusé de me raconter et elle m'a dit tout ce que je peux faire, c'est te donner le dossier du divorce. dans lequel il y a plein de témoignages et tu comprendras mieux l'histoire. J'ai pris ce dossier, les mains un peu tremblantes, j'ai ouvert et la première pièce que j'ai vue, c'est cet article de presse qui raconte l'épisode que je raconte au début du livre, qui est un épisode absolument terrifiant, qui est une scène qu'on dirait issue d'un de mes romans. C'est-à-dire qu'on est dans le monde de la fiction exacerbée. C'est une jeune femme qui attend son bus, porte de Vincennes. En 1963. En 1963, donc on imagine la scène, elle a des petits cheveux courts, elle a sa petite robe toute droite, et une camionnette s'arrête avec trois hommes cagoulés, qu'ils l'enlèvent, elle hurle, ils la mettent dans la fourgonnette et ils partent à fond au cimetière de Saint-Mandé, ils la traînent par terre pour l'enterrer vivante, donc dans une tombe qu'ils ont décelée. Elle arrive à s'en sortir, et comme je dis dans mon livre, avec ce sens des formules qui me caractérisent, la jeune femme qu'on vient d'enlever, c'est ma mère, et le chef des cagoulés, c'est mon père. Donc on n'est pas du tout dans une dispute classique.

  • Speaker #0

    Non, c'est une tentative de meurtre, et vous avez à l'époque deux ans, et elle, 25.

  • Speaker #1

    Exactement, à peu près, oui. Et donc, ce sont des choses qui se sont passées, et c'est ça qui m'intéresse dans ce livre, qu'on ne m'a évidemment pas raconté. mais que j'ai pressenti et que j'ai capté d'une certaine façon, avec un espèce de sixième sens, les enfants, inconsciemment. Et ce qui est intéressant, c'est que dans mes livres, je n'ai pas raconté exactement ces épisodes-là, mais c'est ce genre d'histoire.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Et là, ce qu'il y a d'intéressant, c'est que vous êtes quand même un... Comment dire ? Vous avez un art du storytelling. Vous placez au début du livre cette scène très, très choquante pour... quand même nous a pâtés. Et c'est là qu'on voit que ce n'est pas seulement Granger nous raconte sa confession intime, c'est que ça reste du Granger.

  • Speaker #1

    Alors voilà, c'est ce que je voulais faire. Quand on me demande pourquoi aujourd'hui écrire cette histoire, c'est parce que grâce à vous, j'ai compris qu'en vous racontant quelques épisodes, j'avais matière à un vrai livre.

  • Speaker #0

    Vous avez vu mes yeux écarquillés.

  • Speaker #1

    Ah non, non, mais vous me l'avez dit même. Là, il y a matière à un vrai livre, à un livre, disons, entre guillemets, d'autofiction, mais où il se passera des trucs pour une fois.

  • Speaker #0

    C'est vrai, oui, contrairement au prix Goncourt.

  • Speaker #1

    Et donc, dans ce cas-là, moi je me suis dit, je vais raconter cette histoire, mais entre guillemets, j'ai amené ma trousse à outils, c'est-à-dire les outils de granger. Et par exemple, j'ai pris la peine de m'identifier à ma mère, à ma grand-mère, pour parler en leur nom et en m'identifiant comme je m'identifie dans mes thrillers à mes personnages, pour qu'on vive cette histoire terrible. de l'intérieur, pas avec cette distance du type qui raconte une histoire lointaine, etc.

  • Speaker #0

    Oui, donc scène d'ouverture hallucinante, et puis juste après, vous parlez à la première personne, et vous êtes votre mère, donc vous êtes comme Anthony Perkins dans Ficose, qui met les vêtements de sa mère morte, sauf que votre mère est vivante.

  • Speaker #1

    Exactement. Non, mais alors, ça aussi, c'est une chose qu'on m'a demandé, j'ai pas eu beaucoup de problèmes à me... à m'identifier à ma mère, à m'identifier à ma grand-mère, parce que j'ai l'habitude à travers mes romans. Mais finalement, dans ce cadre-là, c'était des personnages et je devais me mettre dans leur peau. Et donc, quand on les cueille au début du livre, c'est au moment où ma mère décide, avec l'aide de sa mère, donc ma grand-mère, de se marier, parce qu'elle est déjà enceinte et qu'à l'époque, il n'y avait pas le choix quand on était enceinte. Et elles vont prendre cette décision, la peur au ventre.

  • Speaker #0

    Elle sent qu'il y a quelque chose qui ne va pas chez ce type.

  • Speaker #1

    Au départ, ce type est le prince charmant façon Sixties. Il a sa décapotable, il a son petit costume noir. Il est fils d'une grande famille. Il est étudiant en médecine. Il a tout pour lui. Et puis, elle a déjà vu, ma mère, qu'il y avait des choses qui ne collaient pas, des fêlures. Et elle prie pour que ces choses-là ne s'en veniment pas. Et ce qui va être évidemment absolument le contraire.

  • Speaker #0

    Et en fait, c'est un pervers narcissique, ultra jaloux, très possessif et en même temps infidèle, alcoolique. Il a l'alcool agressif, en fait. Il a l'alcool très violent. Il a l'alcool méchant.

  • Speaker #1

    Et il a ce truc de... Oui, j'en parle. Je parle du film Gaslight qui raconte cette même histoire.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    De processus de destruction d'un homme qui, par tous les moyens, qu'il soit violent ou parfois, c'est ce que je raconte, il fait semblant d'être bienveillant et puis il fait semblant de penser qu'elle est malade, des nerfs. Donc il l'abrutit de médicaments. Et ma mère, pendant sa grossesse, va évoluer dans un semi-monde de médicaments abrutissants et un semi-monde nocturne, parce qu'il la traîne dans les pires bars de la capitale pendant qu'elle est enceinte, il l'oblige à boire, et elle va partager son temps comme ça entre deux températures qui font qu'au moment de la mort, de ma naissance, elle ne comprend plus du tout ce qui se passe.

  • Speaker #0

    Et ce film de Georges Cucor en 1944 avec Ingrid Bergman et Charles Boyer est aujourd'hui devenu une expression commune de gaslighting, ce qui consistait dans le film à baisser les lumières au gaz pour que sa femme ne comprenne plus vraiment si elle est dans la réalité.

  • Speaker #1

    C'est la métaphore de la conscience de la femme qui baisse, qui faiblit. Et c'est exactement ce qui est arrivé à ma mère. ... Et c'est une sorte de, comment dire, oui, de presque un archétype qui arrive parfois dans les couples et qui est arrivé à ma mère dans des conditions exacerbées, vraiment exacerbées.

  • Speaker #0

    Alors, sachant que vous avez dans votre ADN les gènes d'un psychopathe, finalement, vous vous en sortez plutôt bien. Vous n'êtes pas addict à des stupéfiants, je ne crois pas. Vous n'êtes pas alcoolique. Vous êtes plutôt gentil dans la vie parce que je vous ai déjà côtoyé.

  • Speaker #1

    Alors justement, c'est ça l'histoire un petit peu en filigrane que j'ai voulu raconter, parce qu'il faut dire qu'il y a une deuxième partie où je raconte un peu le début de ma carrière et comment je suis devenu écrivain et comment ça a réussi. Il y a ce processus que j'explique dans le livre qui s'appelle la sublimation, qui consiste, bon c'est Freud qui a parlé de tout ça, mais qui consiste à déplacer un objet soit de désir interdit, soit de terreur, en un objet positif. Et donc moi très tôt dans mon enfance, oppressé quand même malgré moi par cette menace et puis par par cette question que mon père était était un diable j'ai détourné cette oppression j'en ai je les transformer en une activité artistique je dessinais beaucoup quand j'étais petit et alors je dessinais beaucoup de personnages inquiétants de vampires de 2,2 comment dirais-je de contes méchants danser dans leur château et en fait je transformais mais qui est pas un fan de films d'horreur voilà je transformais mon père, personnage réel et menaçant, en une fiction, et j'ai pu arrêter après, au moment de mes premiers livres, finalement, sans m'en rendre compte, j'ai continué ce processus de transformer, finalement, et c'est ça qui est intéressant, une mécanique de transformer un objet vraiment négatif, qui aurait pu me traumatiser ou me rendre moi-même méchant.

  • Speaker #0

    Vous avez actué tout ça par la littérature.

  • Speaker #1

    Et la littérature, entre guillemets, m'a sauvé.

  • Speaker #0

    Et ça, si vous savez tout ça aujourd'hui, c'est parce que vous avez suivi une thérapie, une psychanalyse pendant des années. Voilà,

  • Speaker #1

    au moment de ma dépression, ma psychiatre m'a donné des médicaments qui m'ont vraiment remis sur pied. Moi, j'adore les médicaments. Attention,

  • Speaker #0

    votre père en donnait à votre mère.

  • Speaker #1

    Oui, alors oui, pas trop quand même. Mais en même temps, elle m'a suggéré de faire une analyse où là, j'ai lavé mon linge sale, mais ce n'était pas encore tout à fait le complet parce que je... connaissais pas encore tous les épisodes, j'avais pas encore lu ce dossier de divorce qui me semblait trop douloureux. Mais quand même, j'ai fait beaucoup le ménage à l'époque, et je réponds à cette question que vous m'avez pas encore posée, qui est que j'ai fait le ménage et j'ai pas perdu au passage d'inspiration. Moi j'ai eu peur, j'ai eu peur de dire, attends, si j'ai plus de problèmes, j'aurais plus rien à dire.

  • Speaker #0

    Vous êtes très... Vous adorez David Lynch, et David Lynch, je l'avais rencontré J'avais travaillé avec lui sur une publicité quand j'étais dans la pub. Et il ne voulait pas faire de psychanalyse pour cette raison-là. Il avait très peur qu'en faisant une thérapie, il n'ait plus d'inspiration après et qu'il arrête de faire des histoires de nains qui parlent à l'envers derrière un rideau rouge. Vous voyez, genre de Twin Peaks. Non, non,

  • Speaker #1

    alors on couvre un peu ces névroses. On les garde au chaud parce que c'est quand même un petit peu le cœur du réacteur. Mais finalement, ce n'est pas ça qui s'est passé. Les traumatismes, ils restent. Ils sont là, tranquilles. Mais en revanche, ma tête était plus claire et j'étais plus apaisé. Parce que moi, j'aime beaucoup un livre de Gérard Garouste qui s'appelle L'Intranquille, où il raconte que bien sûr, tout le monde rêve de Van Gogh, le peintre maudit, malade, qui se coupe l'oreille. Mais vaut mieux être Picasso, vaut mieux être quelqu'un d'équilibré. Pour le travail, c'est beaucoup mieux. Parce que les maladies psychiques, elles vous donnent peut-être une forme d'inspiration, mais elles vous empêchent de bosser.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, Pablo Picasso est venu souvent chez la Pérouse, ici même, puisqu'il était voisin. il habitait 7 rue des grands Augustins, son atelier où il a peint Guernica,

  • Speaker #1

    je précise pour remettre ce restaurant à sa place. Dans le Cénacle.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Mais oui, on savait depuis, enfin comment dire, moi qui vous lis souvent, depuis quelque temps, on sentait que vous vouliez vous renouveler. Il y a eu ce livre Rouge Karma qui se passait chez les hippies, avec des hippies méchants. Ensuite, il y a eu Disco Inferno, alors là carrément un suspense au bain-douche. en pleine épidémie de sida. Donc, c'est vrai qu'on sentait que vous vouliez aller dans d'autres directions. Et là, c'est vraiment l'exemple. C'est même suprême. Et même maintenant, je me demande où vous allez aller. C'est ça qui...

  • Speaker #1

    Sans être inquiet. Si vous me posez la question, on va aller à Tokyo la prochaine fois. Parce qu'avec les années qui sont passées... Cet amour que j'ai pour le Japon, j'ai décidé de vivre disons la moitié du temps à Tokyo et j'ai maintenant une bonne connaissance de la ville et je me suis dit que ça valait le coup d'écrire un polar. Alors là je reviens au thriller, mon style habituel, mais à Tokyo et ce qui me permettra de raconter beaucoup de choses qu'on ne sait pas quand même sur le Japon. On dit beaucoup de choses sur le Japon mais un peu toujours les mêmes choses. Oui,

  • Speaker #0

    toujours les mêmes. Tradition, modernité. Voilà,

  • Speaker #1

    tradition, modernité. J'ai essayé de raconter quelque chose d'autre.

  • Speaker #0

    Quelque chose d'autre, très bien. Donc, parlons un peu de votre père, Jean-Claude Granger, que vous n'avez pas connu. Mon but, ce n'est pas de vous faire pleurer, mais ça ressemble beaucoup à Jean-Claude Romand. C'est-à-dire que c'est un faux médecin, comme lui. Il fait croire qu'il est médecin, qu'il a passé ses diplômes, mais il ne l'a pas fait. C'est le même prénom, Jean-Claude. Et au fond, vous avez peut-être échappé à la mort de peu, parce que Jean-Claude Romand, il a fini par tuer toute sa famille, femme et enfant.

  • Speaker #1

    Alors, mon père était différent dans le sens où il vivait dans un mensonge, c'est vrai, mais il était beaucoup, beaucoup plus agressif, c'est-à-dire qu'il n'essayait pas de jouer un rôle. Par ailleurs, il était vraiment très, très, très méchant avec ma mère, il la torturait physiquement, moralement, et il torturait tout le monde d'ailleurs, parce que... Pour avoir des informations sur cette famille que je n'ai jamais connue, la famille de mon père, j'ai été retrouver au fin fond de la Virginie-Occidentale, aux Etats-Unis, sa petite sœur, qui elle-même a fui à 17 ans, parce que c'était invivable de vivre avec lui, parce qu'après le divorce de ma mère, il est revenu chez ses parents, donc où il y avait cette jeune fille, et elle m'a raconté qu'il l'étranglait dans la nuit, ou qu'il la menaçait avec une arme quand elle faisait ses devoirs.

  • Speaker #0

    Lui-même avait été menacé avec un couteau ? par son propre père. Donc, lui-même était aussi... C'est une famille ultra toxique et dysfonctionnelle, comme on dit aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Moi, c'est ma théorie, si vous voulez, que, comme je dis toujours, tous les enfants malheureux ne font pas des serial killers, mais tous les serial killers ont été des enfants malheureux. Ça, c'est évident. Donc, on peut s'en sortir, mais la fracture de l'enfance, ça peut donner vraiment des monstres. Alors, lui, c'est un peu ça qui s'est passé. Ça reste quand même assez mystérieux, parce qu'il était à ce point maléfique Donc... On voudrait qu'il ait eu un traumatisme terrible, il n'a pas vraiment eu ça. Mais ce qui est important à dire, parce que c'est ce que je développe dans le livre et ce qui est très proche de mes propres livres, c'était une sorte de diamant noir. C'est-à-dire que rien n'était positif chez lui. C'est-à-dire qu'il y a un détail qui m'a beaucoup choqué, c'est un truc d'ordre social, mais après ma mère, il a trouvé le moyen de coucher avec sa belle-sœur. Donc il piétinait aussi l'ordre social, les règles. c'était un Mr Hyde c'est à dire tout ce qui pouvait apparaître à sa portée de main, il le détruisait, d'une façon ou d'une autre.

  • Speaker #0

    Il y a cette scène complètement atroce où il organise une fête dans l'appartement familial et il enferme votre mère et vous dans la salle de bain pendant trois jours pour se bourrer la gueule avec des nanas, des maîtresses.

  • Speaker #1

    On dirait qu'il prenait un espèce de malin plaisir à moitié, parce que lui-même était malheureux, c'était pas quelqu'un qui jouissait de tout ça quand même. Il avait besoin de drogue, d'alcool pour s'oublier lui-même. Mais il faisait tout tout tout de même pour détruire briser l'idée du bien donc en cela il est intéressant et moi j'ai tendance à le considérer maintenant avec la distance comme un malade c'était à mon avis un type comme ça vivraient aujourd'hui il serait soigné interné et c'est ça aussi l'erreur qu'a fait son père c'est à dire mon grand-père paternel il n'a jamais voulu entendre parler de psychiatrie En fait, il aimait beaucoup son fils. Il essuyait les plâtres, il payait les factures. Mon père n'a jamais travaillé, donc il a toujours été entretenu par son père. Mais en même temps, il n'a jamais voulu le soigner comme on le soignerait aujourd'hui, c'est-à-dire avec la psychiatrie, des médicaments, etc.

  • Speaker #0

    Hôpital Saint-Anne direct ? Direct,

  • Speaker #1

    direct. Et ça aurait, à mon avis, empêché beaucoup de méfaits. Il a été aussi pas mal en prison, parce que c'était le mal absolu. Moi, j'ai revu encore un vieux film de Jean Renoir, qui est une adaptation du Dr. Jekyll and Mr. Hyde. Bon, le personnage, il s'appelle Opal dans le film. Dès qu'il sort dans la rue, il fait le mal.

  • Speaker #0

    Alors, je dirais aussi, il y a beaucoup de livres qui parlent de féminicide dans cette rentrée, notamment le livre de Natacha Apana, La nuit au cœur, qui a eu le prix Fémina. Votre livre est un livre féministe. C'est vrai, c'est un livre féministe. C'est peut-être la différence avec Apana, c'est que ce n'est jamais ennuyeux, parce que vous arrivez à vraiment captiver l'attention comme un polar. Mais je veux dire, c'est aussi un livre féministe. D'ailleurs, il est dédié à votre mère et votre grand-mère, André et Michel, car vous avez été élevés par ces deux femmes. Vous savez que c'est le point commun que vous avez avec Albert Camus, qui a été éduqué par sa mère et sa grand-mère. Et aussi Charles Péguy. C'est bien. Oui, parce que, bon, c'était pour des raisons différentes, mais c'est vrai que... Vous avez ce point commun ?

  • Speaker #1

    C'est un livre féministe, mais je dirais que c'est surtout un livre héroïque. Moi, ce que j'aime, c'est l'héroïsme. Dans mes bouquins, il y a toujours un héros qui se bat contre un très méchant tueur et qui arrive à vaincre. Et là, tout à fait dans un autre contexte, à une autre échelle, c'est la même chose. C'est-à-dire que ma mère et ma grand-mère ont été obligées de lutter contre le diable, contre mon père, avec en toile de fond une dichotomie sociale. C'est-à-dire que mon père était riche, il venait de Saint-Mandé. qui est un peu le neuilly de l'Est. Et ma mère et ma grand-mère venaient d'un milieu modeste et étaient beaucoup plus faibles. Donc même au moment du divorce, ma mère et ma grand-mère avaient... Une copine avocate. Oui, la tante qui n'était même pas avocate. Elle travaillait chez un avoué à l'époque, on disait ça. Alors que mon père avait les meilleurs avocats, si vous voulez. Il y a eu toujours ce côté David contre Goliath. Et ma mère et ma grand-mère, c'est ce que j'ai essayé de raconter dans mon livre. ont été des héroïnes, vraiment. Il y a des scènes très chocs, très fortes dans le livre. Mais oui, c'est dingue ! Où elles se battent vraiment, comme dans un thriller romancé. La scène,

  • Speaker #0

    vous êtes, vous, petit garçon, dans un square, et votre père arrive, il a une tenue de médecin, parce que comme il est mytho, il fait croire qu'il est médecin, il a une blouse blanche, mais c'est vraiment, c'est Hannibal Lecter, quoi ! Il a une blouse blanche et un stéthoscope autour du cou. Et il essaye de vous kidnapper. Vous aussi, vous avez été victime de tentatives.

  • Speaker #1

    Cet héroïsme est d'autant plus, je dirais, glorieux et vaillant que par nature, ma mère et ma grand-mère sont très peureuses. Moi, j'ai toujours connu ma grand-mère. Il y avait une souris dans la maison de campagne. On devait déménager en urgence.

  • Speaker #0

    Et donc,

  • Speaker #1

    elles se sont battues parce qu'il n'y avait pas le choix. Et c'était une sorte de serment aussi. Ça, je le raconte aussi quand elle vient me voir à l'hôpital. En plus, je suis né très, très malade. donc il fallait me voir dans une... couveuse, suspendue par des bretelles. J'imagine cette scène déjà très inquiétante. Et je l'imagine se faire un serment à elle-même. C'est-à-dire que si cet enfant survit, ça sera l'objet de notre combat maintenant. On va le protéger et on va faire en sorte qu'il devienne un garçon normal, etc.

  • Speaker #0

    Vous avez eu deux fois plus d'amour, du coup.

  • Speaker #1

    Voilà.

  • Speaker #0

    Exactement. Parce qu'il y avait cette épée de Damoclès permanente.

  • Speaker #1

    Dans ma famille, Bisous. je peux dire que j'ai toujours été un peu le petit prince parce que j'étais l'enfant qui avait échappé à tout ça, l'enfant qui avait été caché un peu chez les oncles et les tantes. J'étais un rescapé et, comme je dis à un moment donné, j'étais un peu condamné à un succès quelconque parce qu'on avait fait tellement d'efforts pour me protéger et me faire réussir à survivre qu'il fallait que je fasse quelque chose de ma vie.

  • Speaker #0

    Vous avez quand même eu une enfance terrorisée, par exemple, vous faisiez des cauchemars toutes les nuits.

  • Speaker #1

    Alors, c'est toujours cette histoire de... Comme je raconte le moment du mariage où ma mère se marie avec l'angoisse, l'inquiétude, j'imagine que cette peur, comme on dit la peur au ventre, elle m'a nourri d'une certaine façon. J'étais déjà dans le ventre et je me dis que quand même j'ai été nourri à la peur, je suis né dans la peur. Et cette peur, oui, elle m'a contaminé. Comme je dis, à un moment donné, je suis un enfant rétro-éclairé. Il y avait une espèce de lumière noire en moi qui a fait que c'était ambigu parce que j'avais beaucoup plus peur. peur je pense qu'un enfant normal et en même temps encore une fois j'ai transformé cette peur en un objet esthétique un objet enviable j'étais attiré par les films d'horreur etc et donc c'est devenu un peu une force oui mais bon moi je disais tout à l'heure que je ne connaissais pas d'équivalent dans l'histoire du roman policier il

  • Speaker #0

    ya quand même un livre de james elroy sur sur l'assassinât de sa mère qui s'appelle Ma part d'ombre et qui est sorti en 1996. Sauf que... Et ça change tout. L'assassin de sa mère n'était pas son père. Vous voyez, là, c'est presque pire, parce que là, vous, la menace, elle est au sein même de votre biologie.

  • Speaker #1

    Mais là, vous citez Hicham Selroy, alors il en a beaucoup parlé de la mort de sa mère, et puis évidemment, ça rentre en cohérence avec toute son œuvre. Mais il faut quand même dire qu'il y a quelque chose de vrai et d'ambigu, de très ambigu, mais ces drames, ces traumatismes nous font une sorte de cadeau empoisonné, c'est-à-dire que... C'est grâce à cette graine de folie que finalement on se met à écrire et qu'on écrit des choses qui vont peut-être plus loin que d'autres auteurs. Et moi je me pose cette question toujours avec mes enfants parce que moi j'ai tout fait pour qu'ils n'aient absolument aucun traumatisme. Mais alors peut-être qu'ils ne vont avoir rien à dire. C'est ça le problème. C'est mieux peut-être. C'est mieux mais ces traumatismes-là finalement nous ont donné une énergie.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'ils lisent, vos enfants, est-ce qu'ils lisent vos livres ?

  • Speaker #1

    Alors, ils lisent mes livres, mais encore une fois, enfin, les grands lisent mes livres, mais pas les petits. Mais encore une fois, j'ai tout fait pour leur éviter des traumatismes qui vont faire que peut-être, mon grand, il est plutôt dans le domaine artistique, mais ils ne vont pas avoir ce truc de... Oui, c'est difficile à admettre, mais toute cette histoire... Ils sont les petits. Les petits fils du diable, et c'est déjà pas mal, mais toute cette histoire qui m'est tombée dessus a fait que je suis ce que je suis aujourd'hui. Donc c'est quand même un, comment dire, un mal pour un bien.

  • Speaker #0

    Et puisque dans votre ADN il y a le diable, ça ne vous arrive pas d'avoir des pulsions ? Par exemple là vous n'avez pas envie de découper des gens en rondelles chez la Pérouse ?

  • Speaker #1

    Alors vous savez, ça m'intéresse beaucoup, de plus en plus on parle d'épigénétique.

  • Speaker #0

    Et oui.

  • Speaker #1

    ce qui est le développement de la... de votre patrimoine génétique, mais au contact de l'environnement et au contact du monde autour de vous. Même génétique ne va pas donner la même chose dans des contextes différents. Alors ce qui est intéressant chez moi, c'est que peut-être j'avais cet héritage génétique, en effet, mais que grâce à l'amour de ma grand-mère et de ma mère, et grâce à cette éducation que j'ai eue, protégée et vraiment parfaite, ça a donné quelque chose de positif.

  • Speaker #0

    Ah ben ça me rassure !

  • Speaker #1

    Oui, oui, oui. Non, non, non, mais encore une fois, je crois beaucoup à la dose d'amour qu'on doit donner. pendant l'enfance.

  • Speaker #0

    Bon, de toute façon, je n'ai pas l'intention de vous faire dire que vous étiez un tueur en série. Vous ne l'auriez pas dit dans l'émission. Mais est-ce que, au fond, quand on lit tous vos livres, est-ce que le message, s'il y en a, de Jean-Christophe Granger, c'est de dire que le mal est en nous et que c'est à nous de choisir. Mais qu'il y a en nous, nous avons le mal. Enfin, c'est ce que dit d'ailleurs la religion chrétienne. Il y a en nous le bien et le mal et nous devons faire un choix. Est-ce que ce n'est pas ça que vous avez toujours écrit ?

  • Speaker #1

    Alors absolument, là on est monté à l'étage supérieur. C'est parce que vous êtes chez moi. On est dans la métaphysique, là ça y est, on grimpe.

  • Speaker #0

    On monte d'un cran.

  • Speaker #1

    Tout à fait ce que je pense, c'est-à-dire que je pense, moi je suis catholique, donc je penche plutôt pour toute cette version-là. de la théologie, mais qu'on a une marge de manœuvre. On a le choix. Et au fond, c'est ce que disait saint Augustin, mais le mal, ce n'est pas vraiment le mal, c'est un dérapage du bien. Normalement, on devrait être bon. Mais comme on a cette marge de manœuvre, cette possibilité de choix, on peut déraper, on peut faire le mal par ignorance, par paresse. Et moi, c'est une question, c'est la question qui est dans tous mes livres. C'est une question qui me passionne parce qu'enfant, encore une fois, J'ai découvert la cruauté humaine, non pas à travers mon père, mais à travers des choses que j'ai pu voir, par exemple Nuit et brouillard, le film d'Alain Resnais qui m'a terrifié quand j'ai vu la vision des camps et tout ça. J'ai dit mais comment c'est possible ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Et donc il faut admettre qu'on a ça en nous, et alors moi je suis assez freudien comme vision du monde, je pense vraiment que ce dérapage vers le mal est lié à une frustration, à un manque d'amour. C'est-à-dire qu'encore une fois, si vous avez la bonne dose d'amour enfant, il n'y a pas de raison que vous glissiez dans la mauvaise direction. En revanche, si vous avez une filure, une fracture et qu'on vous a fait du mal enfant, ça, ça vous empoisonne.

  • Speaker #0

    Non mais c'est parce que le titre du livre est très religieux. Oui. Je suis né du diable.

  • Speaker #1

    Oui, parce que je pense que mon père était si maléfique qu'il atteignait une sorte de pureté. dans le mal, qui nous fait penser au diable, qui fait penser à une créature qui serait vraiment totalement à rebours des valeurs d'amour chrétienne, etc. Il était vraiment à rebours.

  • Speaker #0

    C'est ça qui fait que justement, peut-être, vos livres, depuis le début, ne sont pas seulement des enquêtes policières ou des thrillers terrifiants, ce sont des ouvrages de morale. Vous êtes un auteur moral.

  • Speaker #1

    Je vous remercie beaucoup de me dire ça, parce que justement, c'est ce que je pense, modestement, de mes livres. Parce que si on regarde mes livres, d'une part, on voit que le bien gagne toujours, et que d'autre part, même chez le méchant, même chez l'assassin, toujours dans mes enquêtes, il y a en effet, il faut l'identifier, mais il faut aussi comprendre pourquoi il est méchant. Et quand on comprend pourquoi il est méchant, ce n'est pas une excuse, mais il y a toujours une raison. On explique pourquoi il y a eu un dérapage. Et ce ne sont pas des histoires qui donnent un méchant comme ça, qui sort du chapeau. Ce sont des histoires qui expliquent que le mal a eu sa propre histoire et qu'on aurait pu l'éviter.

  • Speaker #0

    C'est ce que dit Aristote, nul n'est méchant volontairement.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    Il y a en nous... Enfin, il y a des explications. Il y a des mystères aussi. Et c'est vrai que peut-être que tous vos livres sont des livres catholiques, au fond. Il y a le bien et le mal, il y a le diable et il y a le... le Christ, je ne sais pas, souvent il apparaît, enfin souvent il est question de religion. Oui,

  • Speaker #1

    j'ai traité beaucoup de thèmes religieux, mais alors il est certain que jamais j'écrirai un livre où c'est le méchant qui gagne, où c'est le méchant qui s'enfuit et qui n'est pas puni, ça ce n'est pas du tout dans ma logique. J'ai une logique tout de même de, on a une marge de manœuvre, on peut faire le mal, mais juste... Justement, ceux qui ne le font pas et qui font le bien, ils ont le devoir d'essayer toujours de redresser la barre. C'est cette image de toujours redresser le bateau.

  • Speaker #0

    Imaginons que je sois Jean-Claude Granger. Je suis votre père, vous le retrouvez, je ne suis pas mort en 1976. Qu'est-ce que vous lui diriez ? Qu'est-ce que vous diriez à votre père s'il était là ?

  • Speaker #1

    Je ne sais pas ce que je lui dirais, mais je pense que je le considérerais comme quelqu'un de malade. Je veux dire, je n'aurais aucune ni haine, ni amertume, ni esprit de revanche. Je serais plutôt compatissant. C'est-à-dire, à mon avis, c'était quelqu'un de malade, qui était malheureux. Tu as besoin d'aide. Tu as besoin d'aide. Il y a maintenant des moyens pour t'aider. Et d'ailleurs, je le raconte dans le livre, on ne va pas tout déflorer, mais même sa mort est totalement apocalyptique. Enfin, c'est des conditions qu'on ne pourrait même pas imaginer. Donc à la fin de sa vie, quand il était totalement... usé par l'alcool, par la drogue, par ses propres angoisses, c'était devenu un être qui avait peur. Il avait peur de lui-même, il avait peur d'espèces de démons qui l'entouraient. Et donc, oui, je lui parlerais avec compassion. Je ne veux pas me donner un rôle plastique. Tout de même.

  • Speaker #0

    Vous ne lui diriez pas dégage, salaud. Ah non,

  • Speaker #1

    jamais de la vie. En plus, c'est une idée que j'adore dans la religion catholique, c'est que plus vous avez de raisons de vouloir d'en vouloir à quelqu'un, plus vous avez des raisons de vouloir le découper en morceaux parce qu'il a été très méchant, plus vous priez pour lui, plus vous êtes gentil. Ça je trouve ça extraordinaire. Et il y a le pardon. Mais est-ce que vous, par exemple,

  • Speaker #0

    vous considérez qu'avec ce livre, vous le pardonnez ?

  • Speaker #1

    C'est surtout une ode à ma mère et à ma grand-mère. Et je dirais que pour ce qui est du pardon, je leur laisse la parole, c'est à elles de décider. Parce que c'est elles qui en ont vraiment bavé et qui ont vraiment affronté l'adversaire avec un grand A.

  • Speaker #0

    c'est marrant l'adversaire qui est le titre du livre de Carrère sur un autre Jean-Claude on ne va pas faire le jeu devine tes citations parce qu'on l'a fait la dernière fois que vous êtes venu mais j'ai un nouveau questionnaire un nouveau jeu c'est le questionnaire de Beg alors pourquoi un jeune devrait-il lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok question importante je vais vous faire une réponse très technique c'est que euh...

  • Speaker #1

    S'il ouvre mon livre, il aura le plaisir, j'espère, de découvrir un rythme rapide, haletant, qu'il ne dépisera pas beaucoup. C'est-à-dire que le problème de la littérature actuellement, c'est qu'on vit dans un monde qui va très vite, les gens regardent des vidéos d'Instagram qui durent deux secondes, et quand ils ouvrent un livre, ils ont une phrase, une page. Alors là, il y a un trop fort décalage, un décalage qui ne va pas. C'est vrai que vos chapitres sont plus longs. Je pense que les jeunes peuvent ouvrir mon livre. Et ils seront, j'espère, aspirés par justement ce rythme qui ne les dépisera pas.

  • Speaker #0

    Et en plus, le fait que tout est vrai. En plus, ça, c'est vrai que c'était... Alors, que savez-vous faire que ne sait pas faire Chad G.P.T. ou Jimmy Nye ou Claude Lesia ? Alors,

  • Speaker #1

    ce que je sais faire, et ça, ça me fait plaisir que vous me posiez la question. Qu'est-ce que vous êtes mieux qu'un robot ? Que ça faire des gens comme moi, comme vous, et qui sont des artistes créateurs. c'est-à-dire qu'on a D'une part un passé, donc des traumatismes et des sensibilités qui a travaillé, que n'a pas Google, et d'autre part un cerveau humain, c'est-à-dire une sensibilité humaine qui, alors là on ne va pas faire encore de la métaphysique, mais une étincelle quasi divine qui nous donne une inspiration. Il ne faut jamais oublier que Chachipiti, l'IA, tout ça, c'est de la synthèse. Donc c'est toujours de la synthèse des choses qui ont déjà été faites. Et si vous regardez l'histoire de l'art, c'est justement l'histoire d'une transgression permanente. Tous les musiciens ont fait exactement le contraire de leurs prédécesseurs. Et c'est ça l'histoire de l'art. Donc je ne vois pas comment l'IA pourrait faire de l'art en rabâchant ce qu'on a déjà fait.

  • Speaker #0

    Oui, très bonne réponse. Vous n'avez jamais eu peur en écrivant ce livre qui ne sert à rien ?

  • Speaker #1

    Qui ne sert à rien ?

  • Speaker #0

    Qui ne sert à rien.

  • Speaker #1

    Non. parce que je me disais, et ça c'était pas du tout un point de vue personnel, c'est-à-dire, comment dirais-je, un solde tout compte de ma vie, de l'histoire de ma famille, etc. Je me disais, et c'est encore une fois vous qui m'avez donné cette idée, que finalement, il se trouve que, presque par hasard, dans ma vie personnelle, il y avait les éléments suffisants pour faire un très bon thriller. Donc, il ne servira jamais à rien, parce qu'on souffrait complètement de la vie de Jean-Christophe Granger, on se moque des... des pères méchants, tout ça, c'est pas grave. En tout cas, il y a un bouquin qui se dévore. Et donc ça, ça sert à quelque chose.

  • Speaker #0

    Pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil ?

  • Speaker #1

    Alors, un écrivain, je ne sais pas, un homme, oui.

  • Speaker #0

    Un homme, oui. Alors est-ce que, comme on a évoqué tout à l'heure ce sujet, est-ce que moi j'avais une sorte de patrimoine noir que j'ai totalement exorcisé dans mes livres ? Peut-être, mais le résultat c'est que dans la vie je suis gentil et j'ai toujours trouvé, alors ça aussi c'est une idée un peu chrétienne, mais d'une certaine façon les méchants sont des faibles. Les gens qui tuent pour jouir, les gens qui disent des méchancetés pour être contents d'eux-mêmes, c'est de la faiblesse, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas à la hauteur. auteur en réalité. J'ai toujours eu cette vision-là. Ça m'a permis de t'encaisser certaines méchancetés, la tête haute.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'être écrivain ? Est-ce que c'est la solitude, la folie, la pauvreté ? Bon, la pauvreté, non, dans votre cas, vous avez beaucoup de succès.

  • Speaker #0

    Alors, il y a deux choses qui me plaisent. La première chose, et ça c'était quasiment un état d'urgence, c'est ne pas travailler dans un bureau.

  • Speaker #1

    Je les raconte dans mon livre.

  • Speaker #0

    Je travaillais un an. Dans la pub ? Oui, ce n'était pas mon truc. Franchement, alors là... Mais quand je dis que ce n'est pas mon truc, on dirait, oh boy, il n'avait pas la vocation. Non, c'était quelque chose de quasiment organique. Je ne pouvais pas aller au bureau, dire bonjour à tout le monde. Se lever,

  • Speaker #1

    aller mettre au boulot dodo.

  • Speaker #0

    Et puis dire bonjour à tout le monde, toujours avoir le sourire, assister à des réunions. Alors, je ne veux pas faire le mec fragile, mais c'était au-dessus de mes forces. C'est un monde qui est au-dessus de mes forces. Alors ça, c'est une chose que... Une des raisons. Et l'autre raison, alors là, je dois le dire, même en me levant le matin, je me mets à travail, je dois dire que je suis quand même amoureux du mythe de l'écrivain. Ah oui. Seul devant sa machine à écrire. C'est quand même ça qui... Le dégurge. Dieu, c'est vous qui devenez Dieu. C'est ça qui fait rêver tout le monde. Tout de même, on ne compte plus le nombre de films où le héros est un écrivain, on ne compte plus le nombre de gens qui veulent être écrivains. À Paris, vous savez bien que tout le monde écrit. Il y a beaucoup moins de gens qui n'écrivent pas que de gens qui écrivent. Et c'est donc un mythe. Et j'ai l'impression, à chaque fois que je me mets au boulot le matin, de rejoindre une sorte de mythe, d'être dans une place quand même privilégiée, super privilégiée. Oui,

  • Speaker #1

    mais quand même, ça demande une discipline. C'est presque comme d'aller dans un bureau. Vous avez sûrement un bureau où vous travaillez.

  • Speaker #0

    Alors, j'ai exactement, c'est tout le paradoxe de ma personne. Vous dites,

  • Speaker #1

    je ne veux pas aller au bureau, mais vous allez dans la pièce d'à côté, et là, vous êtes enfermé à bosser.

  • Speaker #0

    J'ai toujours été un type qui ne supportait pas la discipline qu'on m'imposait. mais qui était avec lui-même très, très, très discipliné. Et j'ai résolu ce problème de l'inspiration et puis de « est-ce que je suis en forme, pas en forme pour écrire ? » en me disant « tous les jours, tu écriras à la même heure le même nombre d'heures. Puis il y aura des bons jours, il y aura des mauvais jours. » Mais ça a cassé, si vous voulez, ce truc d'attendre. « Bon, je vais m'y mettre quand je serai génial. » Ça, alors,

  • Speaker #1

    c'est le meilleur moyen pour ne pas écrire rien. Est-ce que vous avez déjà écrit en état d'ivresse ?

  • Speaker #0

    Non. Alors là, moi, j'aime cette idée. Désolé. Vous savez, des auteurs qui étaient à moitié alcooliques, qui écrivaient complètement bourrés. Parce que moi, ce n'est pas fréquent, mais si j'ai un coup dans le nez, je me vois mal écrire quelque chose. Je n'ai pas du tout les idées claires.

  • Speaker #1

    Bon, on n'est pas d'accord. Ça donne une fluidité.

  • Speaker #0

    Alors peut-être que ça donnerait une fluidité, mais je trouve que ça retire beaucoup d'objectivité. Donc j'ai peur, si vous voulez, d'écrire... des pages en étant en état d'ivresse et le lendemain en les lisant en étant consternés.

  • Speaker #1

    Oui, ça c'est vrai. Que pensez-vous de la critique littéraire ? Est-ce que c'est un mal nécessaire ? Ils ont été parfois durs avec vous.

  • Speaker #0

    Alors, la critique littéraire, j'ai une double vision parce que moi j'ai fait la fac de lettres, donc j'ai connu une critique littéraire très intellectuelle, qui était déjà des oeuvres. J'ai connu des gens comme Maurice Blanchot, où leur œuvre de critique est déjà une œuvre. Après, la critique littéraire dans les journées, alors ça, il y a une chose qui m'amuse énormément, parce que c'est valable pour la critique de cinéma, c'est-à-dire que ça semblerait être un métier, et on est critique de cinéma, on est critique de livres, et maintenant, grâce aux réseaux sociaux, tout le monde est devenu critique. Moi, je lis beaucoup un site qui s'appelle Sens Critique. Bon, on voit bien que n'importe quel gugusse... peut faire de la critique de livres ou de la critique de cinéma. C'est affreux ! Vive le bénévolat !

  • Speaker #1

    Est-ce que vous fantasmez sur J.D. Salinger, qui n'a jamais donné un interview de sa vie ? Vous aimez bien ça ou vous n'aimez pas ça ?

  • Speaker #0

    Je déteste ça.

  • Speaker #1

    Là, par exemple, c'est pénible.

  • Speaker #0

    Non, pas du tout. C'est très sympa. Il y a un phénomène que tous les artistes qui font de la promo connaissent, c'est un phénomène de répétition. C'est-à-dire que quand vous êtes en promo, vous répétez absolument à chaque fois la même chose.

  • Speaker #1

    Mais là, non ?

  • Speaker #0

    Là, non, mais parce que vous partez sur des terrains un petit peu différents. Mais quand on fait un interview, disons, de base, sur le même livre, vous savez pertinemment que... Et c'est normal. On devient interroqué. Un jour, Costa Gavras, il m'avait raconté ça. Il m'avait dit qu'il n'en pouvait tellement plus de répéter toujours les mêmes choses qu'il avait essayé de dire des autres. d'autres choses, de répondre des choses différentes. Mais il m'a dit c'est impossible parce que vous avez une œuvre, vous avez les réponses toutes faites que vous avez parce que c'est la vérité, vous ne pouvez pas répondre à autre chose.

  • Speaker #1

    Pensez-vous qu'un roman doit réparer le monde ? C'est une chose qu'on entend souvent.

  • Speaker #0

    Pas du tout. Je pense honnêtement, et ça j'en parle aussi dans mon livre, que les œuvres d'art sont grandes parce qu'elles nous émeuvent et parce qu'elles nous font sentir vraiment... la possibilité d'un monde supérieur, mais je ne crois pas beaucoup à l'influence de l'écrit sur les cerveaux humains. Et malheureusement, il ne me vient qu'un seul exemple d'influence forte d'une œuvre sur les cerveaux humains, c'est le marxisme. Et on ne peut pas dire que ce soit un exemple brillant.

  • Speaker #1

    Vraiment. Disons qu'il y a eu beaucoup d'hommages collatéraux à cette belle idée.

  • Speaker #0

    Vraiment.

  • Speaker #1

    Quel est votre chef-d'œuvre ? Le livre de vous que vous vous estimez être le meilleur ?

  • Speaker #0

    Ah, alors ça, c'est des goûts personnels, enfin, je veux dire, des choses intimes. Moi, j'aime, le livre que je préfère de moi, c'est La ligne noire. C'est l'histoire d'un journaliste de faits divers qui, pour tirer les verres du nez d'un serial killer qui est en prison en Malaisie, se fait passer pour une femme. Alors, comment il fait ? Il y a une sorte d'histoire d'amour, de correspondance amoureuse entre eux. Et grâce à ça, le tueur en série le guide à travers l'Asie du Sud-Est sur les traces de ses propres meurtres. Et j'aime cette histoire parce que j'aime les histoires qui partent sur un... C'est pour ça que j'adore Fédot. Parce que j'aime les histoires qui partent sur un malentendu, ou un quiproquo, et qui engendrent des situations. Et dans mon livre, alors c'est pas du tout un livre comique, c'est même un de mes livres les plus noirs, mais il y a cet enchaînement qu'on retrouve chez Fédot, qu'on retrouve chez Francis Weber, où il y a un quiproquo à l'origine qui fait une réaction en chaîne... Ou chez Marivaux, il y a ça, les déguisements des personnages. Oui, voilà, de situations... très très forte grâce à un malentendu.

  • Speaker #1

    Êtes-vous un ouin-ouin ?

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que c'est un ouin-ouin ?

  • Speaker #1

    C'est comme ça que les néo-féministes appellent les hommes qui se plaignent, qui pleurnichent sur la difficulté d'être un homme aujourd'hui.

  • Speaker #0

    Pas du tout. Alors là, j'en profite pour glisser une réflexion sur le féminisme en général et l'état actuel des choses. C'est que moi, je ne suis pas du tout ouin-ouin. Je serais même plutôt de la vieille école, macho et... Macho. Mais je tiens à dire que je regarde le féminisme et tout ce qui se dit dans les médias, etc., avec des yeux écarquillés, parce que ça ne correspond pas du tout à ce que j'ai vécu à aucun moment de ma vie. C'est-à-dire, les femmes dont on parle et qui existent, qui sont victimes, qui sont battues, etc., ne sont pas du tout les femmes que j'ai rencontrées. Moi, j'ai rencontré des personnalités très, très fortes, voire dangereuses. Moi, j'en suis resté, vous savez, dans les films des années 40-50 d'Hollywood, Les Femmes Fatales. Les Femmes Fatales. Les Femmes Fatales, on les oublie en ce moment. Une femme peut être très, très dangereuse. La femme est un être très déterminé, qui n'est pas du tout une serpillière à qui on fait les pires choses.

  • Speaker #1

    Pourtant, dans votre histoire personnelle, vous avez une mère qui a été victime d'une tentative de féminicide. Alors, absolument. Plusieurs mères. Absolument.

  • Speaker #0

    Je trouve que mon histoire, enfin, leur histoire, plutôt à ma mère et ma grand-mère, Ça démontre un peu ce que je veux dire, c'est qu'il y a eu un moment presque de féminicide et d'emprise, c'est-à-dire que je le raconte à un moment donné, même ma mère ne veut pas partir, ne veut pas quitter son mari, elle espère toujours que ça va s'arranger. Il y a ça dans la femme, un espoir toujours que les choses vont s'arranger et un sentiment amoureux qui devient une sorte d'esclavage. Mais il y a aussi après, quand on les voit se battre, une volonté, une force, une détermination. alors là c'est un cliché mais moi je l'aime ce cliché C'est quand ma mère devient mère, justement. Là, il y a quelqu'un à protéger. Et là, vous savez, j'adore chez les animaux, les femelles, il ne faut pas s'approcher des petits. Là, elles montent les dents.

  • Speaker #1

    J'adore ça. C'est ça qui est bien dans le livre, d'ailleurs. Oui, c'est vrai. Qui est le meilleur écrivain français vivant ?

  • Speaker #0

    Alors, franchement, moi.

  • Speaker #1

    Ah, ça fait plaisir ! Ça fait plaisir parce que les autres n'osent pas dire moi. S'ils réjigent le frais un peu, sinon ils osent. Mais franchement,

  • Speaker #0

    c'est presque un état psychologique. Quand vous passez votre journée à écrire, à transpirer tout seul, à écrire vos trucs, vous êtes forcé, quasiment forcé de penser que vous êtes le meilleur et que ce que vous faites est un chef-d'oeuvre. D'ailleurs, j'en profite pour dire que, comment dirais-je ? Je n'ai jamais vraiment cru aux amitiés artistiques. Parce qu'au fond, vous pensez que c'est vous qui avez raison. Vous pensez que c'est vous le meilleur. Et c'est très difficile de penser que le voisin qui fait exactement le contraire est aussi bon. Ah,

  • Speaker #1

    reçu. Non, mais quand même. On peut échanger. Vous voyez, on échange.

  • Speaker #0

    On peut échanger. Mais par exemple...

  • Speaker #1

    Vous avez envie de me briser ma carrière et réciproquement. Mais on arrive quand même à échanger.

  • Speaker #0

    Non, mais par exemple, j'excuse énormément cette méchanceté qui règne dans les milieux artistiques. Alors que ce soit la littérature ou le cinéma. Tout le monde se déteste. Parce que c'est tellement dur comme boulot, toute proportion gardée, mais on a tellement peur quand on sort une oeuvre, c'est tellement difficile, c'est tellement affligeant d'échouer par exemple, que c'est normal qu'on souhaite du mal aux autres. C'est un sentiment humain, c'est-à-dire que c'est tellement dur. C'est marrant.

  • Speaker #1

    Et puis aussi, le fait de dire, bah oui, c'est moi le meilleur, c'est plutôt sain. Je veux dire... Aujourd'hui, tous les écrivains font de la fausse modestie.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    Or, c'est un métier prétentieux.

  • Speaker #0

    Écoutez, c'est la seule idée. Il faut l'assumer. C'est un métier orgueilleux. Un métier d'orgueil. Et c'est la seule idée sur laquelle je serais d'accord avec Céline. Mais Céline le disait. Il disait, moi, je n'aime aucun autre écrivain. Le seul bon écrivain, c'est moi. Ce qu'il faut faire sur sa page, c'est ce que je fais moi. Et c'est très difficile de dire, celui d'à côté est aussi bon que moi. Ou même meilleur. Là, c'est catastrophique.

  • Speaker #1

    La phrase de vous dont vous êtes le plus fier ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est une phrase qui est peut-être, comment dirais-je, qui est passée un peu inaperçue. J'ai écrit un livre qui s'appelait « L'Ontano » , dont le héros était une sorte de Charles Pasqua, c'est-à-dire un type qui avait trompé dans toutes les magouilles politiques, un vieux flic qui connaissait tout sur tout, et qui détestait justement les partis politiques. Et il dit à un moment donné « Je déteste tous ces gens qui ont besoin d'être à plusieurs pour être quelqu'un » . Et j'aime cette phrase parce que moi-même, je suis totalement apolitique et je ne comprends pas cette aspiration des hommes à être ensemble, pour devenir quelqu'un, pour être soi, il faut être plein. Et ça, je ne comprends pas parce que moi, je suis très très indépendant.

  • Speaker #1

    La question Fahrenheit 451. Imaginons un monde où le livre est interdit et même brûlé. Quel livre seriez-vous prêt à retenir par cœur pour le transmettre aux générations futures ?

  • Speaker #0

    Je pensais que vous alliez me demander quel livre faut brûler. Alors là, j'avais plein d'idées.

  • Speaker #1

    J'avais une longue liste.

  • Speaker #0

    Écoutez, alors là...

  • Speaker #1

    Un de vos livres de chevet.

  • Speaker #0

    Oui, des livres de chevet, je dirais... Alors, un livre que personne ne connaît, mais qui pour moi est un chef-d'oeuvre absolu, ça s'appelle L'ABCDR de Goffredo Parisi. Alors, Goffredo Parisi, c'est un auteur italien de l'époque de Moravia, à peu près à la deuxième moitié du XXe siècle. Il écrit un chef-d'oeuvre, ça s'appelle l'ABCDR, c'est une sorte de dictionnaire où à chaque lettre, il écrit un petit texte à partir d'un mot qui donne le sujet. C'est une littérature hallucinatoire, c'est-à-dire c'est une littérature qui combine toutes les forces romanesques du XIXe siècle, c'est-à-dire on a envie encore d'écrire une histoire, de décrire quelque chose, et puis la force du style du XXe, c'est-à-dire avec des métaphores extraordinaires, etc. C'est un très très très bon livre et j'en parle parce que justement il n'est pas très connu.

  • Speaker #1

    Y a-t-il un livre qui vous a sauvé la vie ?

  • Speaker #0

    Un livre qui m'a sauvé la vie ? Pas un livre qui m'a sauvé la vie mais un livre qui m'a montré ma vie. Je dirais que c'est le livre de Sébastien Japrizo qui s'appelle Piège pour Cendrillon qui à l'époque est passé pour un petit polar des années 60 qui est la perfection, la perfection du point de vue du polar. Et quand j'ai lu ça j'ai dit bon... soit j'arrive à faire ça ou à m'en approcher ou à prendre cette route soit bon c'est plus la peine de me développer donc je pense qu'on a tous des livres qui nous ont tellement touché c'est quand même ça les gens se trompent, il me semble des fois ils pensent que l'inspiration de l'artiste c'est justement parler au plus grand nombre d'évoquer des grands thèmes etc c'est avant tout de reproduire chez les autres ce qu'on a éprouvé nous en lisant un livre c'est surtout ça la motivation profonde c'est de dire ... Ça m'a fait tellement de bien ce livre, ça m'a tellement touché, je veux faire la même chose et l'offrir aux autres, il me semble.

  • Speaker #1

    Quel est votre âge mental ?

  • Speaker #0

    14-15 ans à peu près, ce qui commence à poser un problème parce que... Alors,

  • Speaker #1

    14-15 ans c'est l'âge que vous aviez quand votre père est mort ? Oui, exactement. Vous êtes resté bloqué là.

  • Speaker #0

    J'en veux pour preuve que par exemple, je m'entends beaucoup beaucoup mieux avec les amis de mes enfants. qu'avec mes amis à moi. C'est-à-dire qu'ils ont des préoccupations et un engouement et une exaltation, et naïves souvent, qui me ressemblent beaucoup plus que les adultes avec leurs conversations politiques. Oh là là ! Voilà, moi je ne peux pas.

  • Speaker #1

    Non, non, non. Et enfin, dernière question. Y a-t-il un de vos livres que vous regrettez d'avoir écrit ?

  • Speaker #0

    Alors, il y a un livre qui comporte quelque chose que je regrette. C'est le Concile de Pierre. Le Concile de Pierre, c'est un polar... qui s'ouvre vers la fin sur le fantastique. Et ça, je le regrette beaucoup parce que j'ai oublié, pendant que j'écrivais ce livre, la logique du roman policier qui est absolument contraire. C'est de donner des éléments un peu fantastiques au début qui vont avoir une résolution rationnelle. C'est ça le plaisir du polar. Ça semble impossible, c'est le Michel Tart de la Chambre Jaune. Comment on a pu tuer quelqu'un dans une... pièces fermées de l'extérieur. Eh bien, c'est ça le plaisir du polar. Il y a beaucoup de rationalité dans le polar.

  • Speaker #1

    Donc vous ne pourriez pas devenir un écrivain fantastique à la Stephen King ? Pas du tout ! On vous compare souvent à lui.

  • Speaker #0

    Exactement, ça me fait plaisir parce que c'est une grande référence. Mais ce n'est absolument pas mon genre de littérature. Pas du tout. Je trouve qu'au cinéma, le fantastique passe mieux parce que l'image donne un crédit immédiat à ce que vous voyez. Vous y croyez tout de suite. Je ne suis pas alien ou des films comme ça. vous croyez... à la créature dans le vaisseau spatial alors que dans un livre, moi, je n'accroche pas.

  • Speaker #1

    Et vous pensez que dans le Concile de Pierre, c'était une facilité d'aller vers le fantastique ? Oui, absolument.

  • Speaker #0

    Je regrette d'avoir cédé à cette facilité.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Jean-Christophe Granger, d'être venu discuter une fois de plus chez La Pérouse. C'est un plaisir à chaque fois. Je vous ordonne de lire « Je suis né du diable » de Jean-Christophe Granger. C'est aux éditions Albain Michel. Abonnez-vous, critiquez-moi, dites des gros mots. ou des gentillesses, et n'oubliez pas la nouvelle devise de cette émission, la lecture est à l'esprit, ce que le sport est au corps. Bonsoir, merci encore. C'est excellent !

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