- Speaker #0
Amis de la littérature et des endroits de luxe, bonsoir. Bonsoir, Michka Rassia. Bonsoir, Frédéric. Bienvenue chez La Pérouse. Vous êtes normalien, écrivain, vous êtes mon modèle radiophonique parce que vous savez transmettre avec pédagogie la culture. Et c'est vrai que Very Good Trip sur France Inter est un exemple de ce qui se fait, à mon avis, de plus ambitieux en termes de... Oui, de... Comment dire ? Vous êtes un passeur. Un passeur de rock.
- Speaker #1
Oui, en fait, je parle aux auditeurs comme si c'était vous en face de moi. Et puis, je suis resté, je crois, le lycéen qui prend la tête de ses copains avec son disque qu'il a acheté.
- Speaker #0
Oui, mais c'est très travaillé, c'est très écrit.
- Speaker #1
Oui, c'est écrit.
- Speaker #0
Vous voyez, je suis un élève. Oui, ben, ouf toi ! Il y a du boulot en amont. le... Pour moi, le dictionnaire de référence sur l'Europe, c'est votre livre. Mais vous êtes surtout un véritable écrivain, comme le prouve ce livre-là, qui vient de sortir, Une mer en fuite, chez Grasset. Mais aussi, quand vous avez démarré dans les années 90 avec Les années vides, il y avait aussi Dans sa peau, en 2014, Exhibition en 2002, qui avait obtenu le prix des De Mago.
- Speaker #1
Voilà, c'était en face du Flore.
- Speaker #0
Voilà. Et puis alors après, donc 2002, c'est quand même il y a 20 ans, il y a eu une éclipse littéraire. Oui,
- Speaker #1
on a publié un livre que personne n'a acheté. Il y a un autre livre que j'ai fait qui s'appelle Solo qui n'a pas été... Enfin comment dire, il y a des gens qui l'aiment mais bon. J'ai fait un livre aussi, un petit récit qui s'appelle Un autre monde, où je racontais comment je m'étais mis à faire de la musique avec mon fils. Oui, c'était très bien. c'est peut-être tout simplement parce que la radio d'une heure quotidienne j'écris l'équivalent d'une heure d'émission j'écris comme si je passais une épreuve du concours de normal tous les matins j'écris sans m'arrêter et puis il faut rendre le truc donc vous vous sacrifiez pour le rock'n'roll mais vous revenez avec ce portrait
- Speaker #0
de votre mère. Alors, comment expliquez-vous cette épidémie de 2025, de livres sur la mère ? Il y en a vraiment beaucoup. Il y en a énormément. J'ai reçu d'ailleurs ici Justine Lévy, Raphaël Antoven, Régis Geoffray, Amélie Nothomb, tous parlant de ce sujet. Est-ce que c'est parce qu'on vit dans un matriarcat ? Qu'est-ce qui se passe ?
- Speaker #1
Dans mon cas, pas du tout. Mais, non, déjà, je vais répondre à une chose très simple, c'est que j'ai commencé ce livre il y a 7 ans, et que je suis... Il n'est pas gros, mais j'ai beaucoup condensé et puis j'ai été bloqué. Bon, en fait, c'est plutôt à la recherche de ma mère perdue. Donc, je ne sais pas si c'est le cas de tous les auteurs. Certains ont peut-être encore leur mère, d'autres, ils ne l'ont plus. Je ne sais pas. Mais, à vrai dire, je pense que c'est aussi lié à mon âge. C'est-à-dire qu'il y a un moment où... Vous savez, moi, j'avais publié en 2011 un livre qui s'appelait « Faute d'identité » où on me demandait de prouver comment j'étais français. Je ne voulais pas me renouveler mon passeport, étant donné que mes deux parents était né à l'étranger. Et donc, à ce moment-là, on m'a dit, mais prouvez ce que vous faites en France. Et donc, est-ce que vos parents n'auraient pas triché avec l'administration, avec l'État civil ? Et donc, d'accord, ils me demandent d'où je viens, je vais leur répondre d'où je viens. Et je pense que ça a déclenché quelque chose. Il y a une cinquantaine d'années, c'est un moment où on se dit, bon, on glisse un peu vers la fin. Donc, c'est peut-être le moment de comprendre aussi pourquoi je suis là.
- Speaker #0
Oui, mais il y a de ce coup-là. Il y a peut-être aussi quelque chose de plus historique, c'est-à-dire cette mère, elle a profité de la libération de la femme. En quelque sorte, c'est une femme libérée.
- Speaker #1
Oui, alors c'est drôle, mais ce n'est pas du tout quelque chose qu'elle aurait dit parce qu'elle n'était pas du tout de son temps. C'est une femme qui était née à Budapest en 1919, qui a débarqué, enfin débarqué, qui a dû fuir la Hongrie après la Seconde Guerre mondiale. Enfin, je raconte ça brièvement, mais en gros, la Hongrie, vous savez, était du mauvais côté de l'histoire, puisqu'elle était du côté de l'axe, et elle s'est fait donc envahir par l'Union soviétique, et les aristocrates, parce que ma mère l'était, ont passé un sale moment, et elle a dû s'enfuir, comme on disait dans les familles, même pas avec une petite cuillère. Donc elle est arrivée sans le sou à Paris, à 25 ans, elle était très belle, elle savait dessiner, elle a été mannequin. ce qu'on appelait mannequin de cabine et elle a très vite vendu des modèles de robes à des couturiers oui
- Speaker #0
Elle a travaillé pour Hermès.
- Speaker #1
Alors elle a créé le prêt-à-porter pour la maison Hermès en 1967. Elle l'a dirigé pendant 8 ans.
- Speaker #0
C'est fou ! Mais je reviens quand même à cette épidémie de livres pour la mère. Est-ce que aussi, c'est pas intéressant de voir comment chacun va traiter le sujet ? Alors par exemple, Régis Geoffray fait du Geoffray, des micro-fictions sur sa mère. Antoven souligne la fragilité de sa mère Catherine David. Justine Lévy raconte une folle autodestructrice. Nothomb dit « je lui dois tout » . Emmanuel Carrère dit « je lui dois rien » . Et vous, je résume. Oui,
- Speaker #1
oui, oui.
- Speaker #0
Peut-être que je me trompe. Vous, c'est « ma mère m'échappe, elle me tourne le dos » . Oui. C'est une inconnue.
- Speaker #1
C'est exactement ça, c'est une énigme irrésolue. En fait, j'essaye de dessiner l'absence de ma mère dans ma vie, parce que, peut-être qu'il faut donner du contexte, c'est qu'en fait, moi j'ai grandi dans la vallée de Chevreuse avec mon père et mon frère aîné, et on arrivait... une nounou hongroise qui était arrivée de Hongrie avec ma mère, qui était mariée une première fois à un aristocrate hongrois, dont elle a divorcé avant de rencontrer mon père. Et cette vieille paysanne hongroise a fait le choix de rester avec mon père. Et ma mère, elle, vivait à Paris, où elle avait sa vie dont je ne savais rien. Et j'étais déconcerté parce que... En fait, je ne savais même pas que mes parents étaient divorcés. Parce que quand je demandais à ma mère pourquoi elle n'était pas chez nous, elle me disait parce que je travaille à Paris. Bon, d'accord. Mais moi,
- Speaker #0
on m'a fait le même coup. Ah oui ? Oui, mon père était absent parce qu'il travaillait.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Et en fait, ils étaient séparés. Oui,
- Speaker #1
mais ça ne se disait pas.
- Speaker #0
Non.
- Speaker #1
On est d'accord. Et ma mère, en effet, a été une femme très libre. Ça, c'est vrai. Parce qu'elle a été... était très indépendante et elle n'était pas du tout une mère de famille, quoi. Absolument pas. En fait, elle est restée une adolescente jusqu'à la fin de sa vie. Quand elle venait chez nous, en fait, elle reconstituait une espèce de fantasme de vie aristocratique. C'est-à-dire que... complètement réduite à quelque chose de quand même très étroit et très modeste.
- Speaker #0
Comme des manières de tenir son... Exactement,
- Speaker #1
les manières à table, la façon de se dire, moi je me tenais très mal, je me tenais comme un paysan. Et donc, en fait, elle se faisait servir. Elle arrivait et c'était la reine.
- Speaker #0
Ce qui est fou, c'est que vos parents étaient divorcés et ils faisaient semblant d'être ensemble devant les enfants.
- Speaker #1
Oui, alors ils avaient de bons rapports, ils s'entendaient plutôt, d'après ce que je pouvais juger, ils s'entendaient plutôt bien, c'était fluide. Mais ce qui me frappait, c'est que mon père, qui était plutôt cool, qui recevait des maîtresses, des amis bizarres, des gens qui parlaient toutes les langues, il y avait des Mexicains folles qui habitaient à côté de chez nous, c'était un peu le truc des univers à la Modiano, avec des gens avec des noms bizarres. Interlopes. Interlopes, exactement. et ma mère était là et Et tout à coup, c'est elle qui décidait de tout. C'est-à-dire que, oui, vous allez vous asseoir ici, etc. Alors, oui, donc, elle lançait les sujets de conversation. On avait l'impression que c'était elle qui avait invité les invités de mon père. Et mon père, lui, vraiment, regardait dans son assiette. Il ne disait pas grand-chose. Il attendait un peu que ça passe, quoi.
- Speaker #0
C'est assez amusant parce que c'est une aristocrate de l'Est, donc d'Europe centrale. Oui. Et elle fait un peu penser aussi à la mère d'Emmanuel Carrère.
- Speaker #1
Mais quand j'ai... Enfin, Emmanuel et moi, on se connaît depuis très longtemps. Et il m'a écrit un texto pour me dire, en fait, nos mères sont très proches. Ce que ma mère trouvait épatant, la tienne disait, c'est excellent. C'était son mot, excellent. Et elles ont mis leur... leur mari dans l'ombre. C'est-à-dire que mon père avait une personnalité assez fascinante, pour moi en tout cas, et pour beaucoup de ses amis, mais il s'éteignait quand ma mère était là. Parce que ma mère, c'était comme une impératrice. C'était comme la tsarine. D'ailleurs, chez Hermès, on l'appelait la tsarine.
- Speaker #0
C'était le surnom d'Hélène Carrère d'Ancourt. Ah ben, vous voyez, un autre point commun. Oui, c'est fou. Moi, le personnage... Votre mère s'appelait Catherine de Caroli.
- Speaker #1
Oui, c'était le nom de son premier mari, de la famille Caroli. est une très grande famille hongroise. Le président de la République hongroise était Michel Carice, c'était le grand-oncle de mon frère Georges.
- Speaker #0
Voilà, et donc ça me fait penser, je ne sais pas pourquoi, à la comtesse Bathory. Oui,
- Speaker #1
ce n'est pas le même genre de beauté.
- Speaker #0
C'est une vampire qui prenait des bains de sang de jeune pierre. Mais bien sûr,
- Speaker #1
c'était la Gilles de Ré, hongroise. Vous savez qu'il y a même un groupe de métal industriel qui s'appelle Bathory. Oui, ça fascine, évidemment.
- Speaker #0
Elle avait certains côtés un peu comme ça, je veux dire, de grande dame impressionnante. Il y a même un petit peu d'érotisme dans la manière dont... Mais je... Étant donné que vous...
- Speaker #1
Je te réécrirais si elle vous entendait parler. Mais enfin, Frédéric !
- Speaker #0
Comme vous êtes un enfant que vous ne voyez jamais, elle incarne la féminité avec cette espèce de...
- Speaker #1
Vous savez, c'est comme dans Baiser volé de Truffaut, Fabienne Tabard, ce n'est pas une femme, c'est une apparition. Oui. C'était ma mère. C'est-à-dire qu'en effet, j'avais l'impression qu'elle jouait dans un autre film et qu'elle débarquait là. Et en effet, elle avait un côté à la fois froid et distant et tendre. C'était très déconcertant pour moi parce qu'elle passait d'un état à un autre, mais en un quart de seconde en fait.
- Speaker #0
Je vais vous faire lire des extraits pour vous faire chialer.
- Speaker #1
Mais d'abord,
- Speaker #0
je vais lire moi. C'est le moment où vous allez lui rendre visite sur son lieu de travail.
- Speaker #1
Ah oui, chez Hermès.
- Speaker #0
Il m'arrive de rejoindre ma mère chez Hermès où elle partage un grand bureau. Je dois passer par ce qu'elle appelle l'entrée des artistes située rue Boissy d'Angla. une Une porte cochère qui mène à un long passage voûté, décoré de harnais et de sel de cheval, évoquant les chasses d'autrefois. Là, on pense Ausha du comte Zaroff. Exactement. Pour m'occuper, ma mère et son assistante me font trier des échantillons de tissu d'ormeuil. La nuit venue, je regarde par la fenêtre la pluie tomber. devant l'enseigne au néon de la maison Lanvin. C'est ultra chic, c'est ultra glamour. Et en même temps, c'est sinistre. Oui, c'est sinistre. En fait, on dirait du Modiano, vraiment. Oui, oui, oui. C'est un univers. Oui, oui. Lui, sa mère lui échappait tout le temps aussi. Oui,
- Speaker #1
oui.
- Speaker #0
Et maintenant, c'est à votre tour de...
- Speaker #1
Bon.
- Speaker #0
Désolé.
- Speaker #1
Oui, oui, ça peut arriver. Lorsqu'elle apprend que je suis tombé malade, ma mère a court. Elle apporte un nouveau jeu de société, un album des aventures de Tintin que je n'ai pas encore, et s'assoit au bord du lit pour jouer avec moi au gin-rummy. Dès que ma mère est là... Elle diffuse une ambiance de joie électrique qui rapporte un peu de la magie de Noël. Je guéris à contre-cœur, sachant que mon retour à la bonne santé va susciter son éloignement. Oui,
- Speaker #0
c'est vrai. Ce qui est déchirant dans le livre, évidemment, là, on en parle un peu en rigolant, c'est quand même l'histoire d'un petit garçon abandonné par sa mère.
- Speaker #1
Oui, c'est un sentiment d'abandon, ça, certainement. et... presque, je dirais pour moi, d'illégitimité. C'est-à-dire qu'en fait, j'ai l'impression que je suis minable et que je ne mérite pas totalement ma mère et qu'elle condescend à me faire parfois des câlins, qu'elle condescend à s'occuper de moi, mais qu'en fait, elle appartient à une sphère d'existence supérieure à la mienne, à laquelle je n'ai accès que de manière intermittente. C'est-à-dire qu'en effet, j'entrevois Hermès, et puis il y a Malraux. Oui, alors ça, vous pouvez raconter.
- Speaker #0
Donc, vous avez retrouvé ces carnets, vous avez espionné les carnets de votre mère.
- Speaker #1
Alors, ce n'est pas que je les ai espionnés, c'est mon frère Georges, quelques années après sa mort en 2006, m'a dit, écoute, il faut que je te transmette ces cahiers, ces carnets. Je pense que tu devrais en prendre connaissance. C'était très pudique.
- Speaker #0
Ne vous sentez pas coupable ? Non, mais il y a quelque chose,
- Speaker #1
vous savez, ma mère, c'est comme si elle était encore là, et qu'elle allait me faire les gros yeux. Et donc,
- Speaker #0
vous découvrez qu'elle était très amoureuse d'André Malraux.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Et qu'il y a eu une liaison entre eux ? Oui.
- Speaker #1
Alors, il y a eu une liaison platonique. Je pense que ma mère était... très dingue de lui. Je pense que lui a été flatté parce que c'était une très belle femme et qu'il avait plaisir à converser avec elle. Il l'a emmenée en voyage en Iran. Il lui a fait rencontrer le chat d'Iran. Il lui a fait rencontrer Marc Chagall et il avait avec elle des conversations sur l'art qui la fascinaient. Donc elle notait tout ce qu'il disait, elle nous répétait ses bons mots. Il y avait vraiment toute une attirail d'anecdotes autour de Malraux qui, moi, m'exaspéraient. Je supportais pas l'idée même d'ouvrir une page de Malraux. Aujourd'hui encore ? Aujourd'hui, je peux pas.
- Speaker #0
Mais c'était quand même le grand écrivain national. Oui, oui.
- Speaker #1
Il a créé les maisons de la culture. Oui. Bon, oui, etc. Et en fait, je... Donc, à chaque fois, ma mère nous disait « Oui, André Malraux, à 25 ans, a écrit que... » Et puis moi, je me disais, ben oui, moi, 25 ans, je n'ai rien fait d'intéressant. Je suis nul, en fait. Et donc, je ne ferai jamais... Et en plus, le truc qui me rendait dingue, c'est que dans son appartement à Paris, elle habitait Villa Spontini dans le 16e arrondissement. Je ne sais pas si vous voyez, c'est près de la Porte Dauphine. Elle avait donc un grand atelier d'artiste qu'elle occupait. Donc tout ce qu'il y avait de grand, c'était au fond, c'était la hauteur sous plafond. C'était pas si grand que ça. et puis elle avait une... une chambre minuscule et c'était tout. Et il y avait une photo de Malraux enfant qu'elle avait fait mettre sur carton et qui me regardait, on aurait dit, le regard de Bonaparte enfant. Quand j'entrais là-dedans, il me fusillait du regard. Genre, mais qu'est-ce qu'il fait, ce nul, dans la maison de mon aimé, enfin, de cette femme exceptionnelle ? Je pense qu'elle se réclerait si je disais ça, parce qu'elle m'a donné beaucoup d'affection, elle partait en vacances avec nous, comme je disais, elle venait me voir quand j'étais malade, donc c'était... moi j'ai rien contre ma mère !
- Speaker #0
Non, non, bien sûr, vous inquiétez pas, je suis pas en train de vous accuser, mais c'est en fait... Dans la littérature du XXe siècle, c'est un thème récurrent depuis Proust, le narrateur qui retient sa mère parce qu'elle met une robe du soir pour aller dans une soirée sans lui. Et Modiano avec sa mère. Oui,
- Speaker #1
mais je pense qu'à certains égards, je crois que c'est quelqu'un qui m'a dit ça, c'est qu'on n'a pas besoin d'être abandonné au sens propre par sa mère pour avoir un sentiment d'abandon. Donc un sentiment, comme je dis, de ne pas être tout à fait à sa place, d'illégitimité. C'était peut-être aussi lié au fait qu'elle était une réfugiée d'un autre pays, qu'elle ne se sentait pas non plus elle tout à fait légitime. Elle avait beaucoup d'insécurité. Moi, je me souviens qu'elle était obsédée par l'idée de faire des fautes de français. Alors que vous savez, les Hongrois, ils disent le ou la différemment. Donc bon, alors parfois, on rigolait avec mon frère, etc. Et je me souviens qu'elle écrivait des têtes, par exemple, au gérant de son immeuble parce qu'il y avait des infiltrations d'eau. Et elle me faisait corriger les courriers qu'elle écrivait pour ne pas être ridicule et ne pas faire de fautes. Je ne sais pas, elle me disait des trucs, par exemple, oui, j'ai contacté. Ah, on ne dit pas contacter, on dit prendre contact. Bon, d'accord, je ne dirai plus, alors.
- Speaker #0
Oui, et il y a ce côté chez elle assez snob, comme d'ailleurs aussi chez Hélène Carrère-Dancos. Oui, oui, oui.
- Speaker #1
Non, mais on a beaucoup de points communs de ce truc-là avec Hélène Carrère, oui.
- Speaker #0
Ça, c'est un passage que j'aime beaucoup, qui m'intéresse. Parce que c'est là où le livre que vous avez écrit n'est plus uniquement familial, il devient sociétal. Et avec une théorie intéressante, je trouve.
- Speaker #1
Ah oui. Si j'oublie un moment ma mère... J'observe partout les manifestations du snobisme. Il agite tous les milieux et les classes sociales, du bas au haut de l'échelle. Quelles marques et modèles de chaussures il faut choisir ? À quel moment il convient de s'en débarrasser sous peine de ridicule ? Quelles paroles prononcer et lesquelles prononcer ? proscrire, à quel moment et avec qui, de quoi rire et de quoi s'interdire de rire, de qui se moquer et qui respecter, la liste est sans fin de cette interminable course d'obstacles à laquelle on se livre avec soi-même et les autres et qu'inmanquablement on finit par perdre le snob d'une période devenant inévitablement le ringard de la suivante. Le snobisme est en réalité une perception globale de soi-même, des autres, des lieux, des situations, des actes, des paroles, des gestes, des décors et des objets qui s'apparentent à une vision totalitaire et même écrasante du monde à laquelle pour celui ou celle qui en souffre, parce que c'est une souffrance, tout est assujetti. Je m'étonne d'ailleurs qu'aucun philosophe idéaliste de la trempe d'un Kant ou d'un Hegel n'ait jamais songé à fonder sur le snobisme tout un système visant au perfectionnement de l'âme humaine parce que celui-ci constitue à sa façon une quête jamais satisfaite de l'absolu.
- Speaker #0
Oui, et ça c'est vrai que tout d'un coup le livre, je trouve, prend une profondeur, et même oui, c'est vous le philosophe dont vous parlez. Parce que, quelque part, quand vous faites une heure quotidienne sur quel groupe il faut écouter, quoi il faut aimer tel petit groupe anglais ou australien, avant les copains, avant les autres, vous êtes comme votre mère.
- Speaker #1
Oui, complètement. Complètement, mais oui, ça c'est versé à jour, c'est horrible. Mais non, mais je suis un... Non,
- Speaker #0
mais est-ce que vous dites du bien du snobisme ? C'est que le snobisme c'est avancer la culture.
- Speaker #1
Mais parce que la vision, je dirais, commune et à mon sens erronée du snobisme, c'est que c'est un complexe de supériorité. Or, je pense que c'est l'inverse. C'est un complexe d'infériorité, dans le sens où on sent que quoi qu'on fasse, on ne sera jamais assez digne d'entrer dans un club. Vous savez, c'est Proust qui voulait entrer au jockey club. Il faisait valoir ses états de service. Enfin, je ne sais pas. C'est Fébriau. Et on lui a répondu, ça n'a strictement pour nous aucune importance. Parce que l'important, c'est l'arbitraire. Donc, il y a quelque chose qui est de l'ordre de, je ne sais pas, de l'arbitraire.
- Speaker #0
Vous dites que c'est d'une quête d'absolu quand même. Oui,
- Speaker #1
ma mère était perfectionniste. Voilà, elle était perfectionniste. L'électionniste, quand elle dessinait, elle était très attentive à tous les détails. Elle a créé pour Hermès la boucle H, par exemple, parce qu'elle... Regardez tout en détail, donc quand vous entriez dans une pièce, elle vous regardait de pied à la tête, et elle voyait toujours le détail qui clochait, et elle le disait.
- Speaker #0
Pour moi,
- Speaker #1
en dessous de tout, j'étais nul, donc j'en allais jamais, donc j'étais même pas dans la compétition. Mais ce que je veux dire par là, c'est qu'elle était toujours en quête d'amélioration d'elle-même. Donc c'est une forme d'idéalisme, c'est ça que je veux dire. Il y a une forme d'idéalisme dans le stonisme.
- Speaker #0
Et je pense que c'est important dans la musique, pour vous, mais c'est important aussi en littérature.
- Speaker #1
Mais je pense que les gens qui écoutent mon émission, ils pensent qu'il y a quelque chose à améliorer dans leur connaissance. Mais je pense qu'il y a une majorité de gens aussi, peut-être, qui s'en foutent complètement. Pour qui la musique, c'est juste pour faire passer un moment. Ils ne comprennent pas pourquoi on se prend la tête sur des trucs aussi ténus. Mais de la même façon que dans la mode, on peut juger, mais pourquoi se mettre vraiment dans ces états-là ? pour chercher des plis, le tomber d'une robe, etc. Tout ça est totalement futile. Mais ma mère sacralisait la futilité. Je pense qu'une certaine façon, c'est ça qu'elle m'a transmis. C'est que je trouvais... un monde, le macrocosme dans l'infiniment petit.
- Speaker #0
Mais moi c'est ce que j'aime dans ce livre et ce que j'aime en général dans l'art, c'est-à-dire que c'est de sacraliser la futilité, vous avez très bien résumé. C'est le détail, écrire c'est du détail. Sinon nous ne sommes plus que des mammifères et pas des êtres humains.
- Speaker #1
Exactement.
- Speaker #0
Et voilà, il faut avoir une exigence terrible sur ce sujet. Point de détail !
- Speaker #1
Oui, oui, ben oui, moi c'est mon destin, c'est ma fatalité pour la musique, c'est comme ça. Et quand j'écris aussi, je suis... C'est pour ça, vous voyez, ce livre, il est microscopique, il n'est pas grand, mais je veux dire, il n'est pas très volumineux, je veux dire. Mais parce que j'enlève tout ! Je me dis, est-ce que cette phrase va tenir, etc. Et moi je suis très admiratif d'Annie Ernaux, pour des raisons qui ne sont pas forcément celles qu'on met en avant habituellement, sur le côté social, etc. Qui moi ne me passionne pas, mais c'est plutôt pour son art de suggérer un monde de sensations, avec juste des détails visuels, des impressions fugitives. Et la brièveté. La brièveté, qui à mon sens, c'est le génie de la langue française.
- Speaker #0
c'est que quand on corrige, est-ce que vous corrigez tellement ?
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Parce que vous êtes snob avec vous-même.
- Speaker #1
Ben voilà.
- Speaker #0
On ne me l'avait jamais dit, mais ça y est. Ça, tu es indigne de moi. Non, mais c'est... Je coupe, je coupe. Non, attendez. Non,
- Speaker #1
mais... Oui, c'est pas... Non, mais c'est pas une chose indigne de moi, mais est-ce que c'est vraiment nécessaire ? Oui, là, ce qui est vrai, est-ce que ça ne fait pas une banalité ? Est-ce que ce n'est pas commun ? Enfin, quel écrivain digne de ce ton ne fait pas ça ?
- Speaker #0
Bien sûr. Je suis tout à fait d'accord. il faut être exigeant Un autre extrait du livre qui est plus sur la nostalgie.
- Speaker #1
Tout ce qui a trait à ma mère semble aujourd'hui comme évaporé. Et curieusement, plus se sont estompés les souvenirs matériels et concrets de sa présence, moins j'ai voulu la lâcher. Voilà près de dix ans que je traîne dans ma tête l'équivalent des classeurs défraîchis constituant son journal intime. Et j'ai l'impression que ce que faute de mieux j'appelle mon cerveau, mais ne serait-ce pas plutôt mes viscères, est paré lui aussi à un vieux sac de jute sentant le moisi, un vieux sac que je trimballe partout avec moi, et que je n'arrive ni à ouvrir ni à jeter et dont en secret je veux rester chargé jusqu'à la fin de mes jours.
- Speaker #0
C'est dur de lire ça. Désolé.
- Speaker #1
Pardon.
- Speaker #0
Je vous avais prévenu que je voulais vous faire chier. Oui, c'est un peu... Il est magnifique ce passage. C'est extraordinaire. Et je pense que, vous voyez, on peut écrire des livres courts qui sont magiques.
- Speaker #1
Vous savez que la majorité des livres que les gens achètent, ils ne les lisent pas.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Parce que c'est qui lit 700 pages ? C'est rare.
- Speaker #0
Oui, non, non, là, là... Moi je me dis au moins les gens qui achètent le livre. Le vide, on le fait en ligne. Oui, oui. Bon, je disais c'est le portrait d'une femme libérée. Je dis ça parce que c'est vrai que c'est une créature nouvelle, sans précédent dans l'histoire, cette femme. qui arrive de Hongrie, qui tout d'un coup travaille dans la mode à Paris, qui fréquente le ministre de la Culture. Oui, oui, oui,
- Speaker #1
mais vous savez...
- Speaker #0
Vous faites le portrait d'une nouvelle, d'une sorte d'extraterrestre, quoi.
- Speaker #1
Alors oui, mais vous savez, je pense que chez mes deux parents, parce que je parle moins de mon père, j'ai déjà abordé mon rapport avec lui. Mais ce que je veux dire, c'est... Ma mère avait une nièce hongroise qui disait « Ta mère, elle n'était pas française, elle était parisienne » .
- Speaker #0
Oui, c'est
- Speaker #1
Parisienne. Et l'idée de Paris, mon père avait grandi à Milan. J'avais un grand-père que je n'ai jamais connu qui était un petit banquier. Et alors, mon père idéalisait Paris, la France, le fait d'être là où ça se passait. Lui, c'était le cinéma, parce que le cinéma se faisait à Paris. Et quant à ma mère, enfin, qui est grande. Andy, fille d'un peintre, affichiste à Budapest, rêvait du faubourg Saint-Honoré, de l'élégance, de la grâce française, comme mon père rêvait de l'élégance de la littérature, de l'esprit français, l'art de dire des cochonneries en restant très élégant, etc. Cette délicatesse française qui fait qu'on est léger alors que d'autres sont lourds. enfin... En fait, il y a... En fait, mes deux parents avaient le snobisme du français, de la France. C'est beau ça. Ben oui.
- Speaker #0
Et c'est drôle parce que votre frère Olivier Assayas est allé vers le cinéma comme son père.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Et vous, vous êtes allé plutôt vers littérature et musique. Oui, alors... Bon, c'est pas le contraire. Mon père était très littéraire.
- Speaker #1
Oui, disons que... Oui, enfin, mon père avait... Comment dire ? C'est sûr que c'était très littéraire. Et c'était la peinture. Je dirais qu'Olivier, c'est plus le cinéma et la peinture. Il est très peintre, selon moi. Et quant à moi, effectivement, c'est plus la littérature. Et puis la musique, c'est ma mère qui m'a transmise. Au fond, je communiquais avec ma mère en écoutant parfois des chansons à la radio. Et je me souviens, une fois, elle aimait les Beatles. Et alors, je l'ai raconté, mais je le raconte. Et j'étais en voiture avec elle. C'était un peu la fin de sa vie. Elle était très dépressive et je sentais que ça n'allait pas du tout. et je venais... d'acheter un album de Paul McCartney qui était Chaos and Creation in the backyard, 2005. Et elle est morte en 2006. Et donc, on prend la voiture, je vais la chercher chez elle pour l'emmener à la campagne. Et puis, on écoute. Et puis, c'était une chanson magnifique qui dit il faut sourire quand on est malheureux. Il faut... Enfin, je ne sais pas. Bref, c'est comme la chanson de Chaplin, Smile. Et ma mère, je sens qu'elle a des larmes aux yeux, etc. Et elle me dit, tu sais, je pense que tout le monde veut imiter les Beatles. Mais je dis, mais maman, c'est Paul McCartney. Donc, ah bon, c'est lui ? D'accord, donc il avait le droit. C'est drôle parce que... Pardon. Non, non, c'est tout. Et il y a eu ce moment de communication incroyable entre nous deux. Parce qu'on ne se disait rien, ma mère était extrêmement pudique, comme tous les gens snobs, et je sentais qu'elle retenait ses larmes, et moi aussi. Il y a eu un silence qui est peut-être le moment le plus intense que j'ai vécu de toute ma vie avec elle.
- Speaker #0
C'est merveilleux.
- Speaker #1
Un silence en écoutant la voix de Paul McCartney.
- Speaker #0
Il y a une scène similaire à la fin du livre d'Amélie Nothomb sur sa vie, où elle est en voiture avec elle. Souvent les trajets en voiture.
- Speaker #1
C'est là que les gens se révèlent.
- Speaker #0
Oui, mais c'est la même chose. C'est-à-dire qu'Amélie est avec sa mère, elle sait que sa mère va mourir dans pas longtemps. Elle se dit, il faut que je lui dise quelque chose. Il faut que je lui dise quelque chose. Et pendant tout le trajet, elle est incapable de parler. Et les deux ne se parlent pas. Mais c'est le moment le plus, peut-être, je ne sais pas, le plus intense du livre. Oui, c'est fou. Oui, c'est fou. Les trajets en bagnole, c'est... Ah,
- Speaker #1
mais...
- Speaker #0
Parce que c'est long et on n'arrive pas à parler. On regarde le paysage. Mais la musique vous a rapproché. Oui, la musique, oui. La musique vous a aidé à... Oui. Alors, on apprend d'autres choses passionnantes dans ce livre, notamment que vous avez été dépucelé à 15 ans par votre prof de français. Oui. Comme Macron.
- Speaker #1
Ah oui. Oui, mais alors...
- Speaker #0
Bon, alors, Macron, c'était pas avant sa majorité, officiellement, en tout cas.
- Speaker #1
Moi, j'avais entre 14 et 15 ans, parce qu'en fait, ça c'est... On va dire plus large, oui, c'est ponctuel, mais ce que je veux dire, c'était compliqué, parce que moi j'avais une prof, moi j'étais dans un collège dans la région parisienne, à Orsay, et j'avais une prof de français qui était d'extrême gauche, comme il y en avait, maoliste, elle disait. Donc...
- Speaker #0
Quand je suis... Enfin, je vais simplifier. À la fin, elle nous a fait faire du théâtre. Donc on a joué une pièce de théâtre. Comme Macron ? Ah oui, c'est vrai. Vous avez raison. Oui, je m'enfonce là. Bon bref, et après cette expérience, elle m'a pris à part en me disant, vraiment, vous voyez, je crois que vous êtes intéressant, vous promettez beaucoup, mais attention, vous risquez de sombrer dans la médiocrité. Parce qu'il y a quelque chose...
- Speaker #1
Donc elle vous a plu parce qu'elle vous parlait comme votre mère.
- Speaker #0
Oui. Eh oui. Bien vu.
- Speaker #1
Je suis psychanalyste.
- Speaker #0
Mais c'est très fort, Frédéric. Et en fait, elle dit, oui, vous avez des tendances qui vous tirent vers le bas. C'est intéressant pour la pop-musique, la bande dessinée. Mais franchement, vous avez mieux à faire, etc. Et donc, je vais un peu vous expliquer comment vous améliorer. Et donc, elle me faisait venir chez elle. Et une fois, elle m'a fait tenir tout un discours en disant « bon voilà, là quand même c'est grave, il faut vraiment qu'on prenne une décision, parce que je pense que vraiment il faut que je m'occupe de vous sérieusement, et donc soit on fait ceci, soit on fait cela, soit on fait l'amour » . Donc moi j'étais, vous imaginez, j'avais même pas 15 ans, j'étais pas formé, en fait j'étais pas pubère, j'avais jamais joui de ma vie pour être clair. Et donc... J'étais au premier étage de cette résidence sordide qui était près d'Orsay. Il faisait nuit. Donc, elle m'a dit, je suis marié. Je savais qu'elle était mariée. Je ne peux pas faire ça à Jacques, son mari. Donc, elle allait sortir un sac de couchage d'un placard pour le foutre par terre dans le salon. Il ne fallait pas souiller les lits conjugales. Donc, elle a foutu le... Et moi, je sais que quand elle est partie, j'ai dit, mais qu'est-ce que je parle ? Qu'est-ce que je fais ? J'ai failli sauter du balcon pour me tirer quoi. Et donc, il y a un moment, je me suis dit, allez, je plonge. Je plonge, après tout c'est une expérience, je vais entrer. Parce qu'en plus c'était l'époque, il faut expérimenter, il faut être libre. il faut être libéré vous vous rendez compte quand même que ce que vous dites là c'est une histoire d'abus par une personne en situation d'autorité clairement j'ai lu le livre de Vanessa Springora elle décrit des scènes avec Matt Sneff c'est exactement le même schéma parce qu'en plus le modèle de cette femme c'était Simone de Beauvoir et Simone de Beauvoir on sait ce qu'elle faisait elle allait chercher des lycéennes avec qui qu'elle entraînait enfin donc... Je ne sais pas si ça ne tombe pas à ce coup de la diffamation, ce que je vais dire. Non, non, mais elle l'a raconté. Elle l'a raconté, on est d'accord. Bon, et ça paraissait formidable. D'ailleurs, des gens comme Metzner se justifiaient en disant que c'était comme les Grecs, etc. que la pédophilie était un mot noble à l'époque. Oui.
- Speaker #1
Vous l'avez revue ? Enfin oui, c'était votre prof ? Non,
- Speaker #0
je ne l'ai jamais vue. Je n'ai jamais eu de nouvelles d'elle. Je sais qu'elle est morte il n'y a pas longtemps.
- Speaker #1
Et ça a duré longtemps, la liaison ?
- Speaker #0
Ça a duré quelques mois. Alors la grande différence avec Macron, c'est que je crois que Macron était amoureux de sa prof. Moi, pas du tout.
- Speaker #1
Moi,
- Speaker #0
rien. Enfin je veux dire... Bon, il y avait un côté... J'étais troublé, parce qu'évidemment, vous voyez une femme de 32 ans, vous en avez 14. puis 15, enfin, parce que ça s'est étalé sur plusieurs... Bon, vous êtes flatté, vous dites, je suis élu, et puis, vous bombez le torse intérieurement par rapport à vos potes qui ont des histoires de merde, etc. Donc moi, je suis avec une grande et tout, donc c'est... Ouais.
- Speaker #1
Mais est-ce que finalement, c'était pas...
- Speaker #0
Non, mais pardon, je rajoutais juste un truc, c'est que elle, elle était complètement folle dingue de moi, elle me pourchassait, etc. Et elle a voulu se suicider pour moi. Oui, oui. Elle m'a raconté qu'elle avait failli mourir, etc. Donc j'ai été confronté à un truc, mais qui était d'une gravité incroyable. Et puis elle me disait « Si jamais à Orsay, on nous aperçoit, je vais aller en taule » , comme Gabriel Russier qui était... Oui, bien sûr. Sauf qu'il n'y avait pas d'amour. Oui, oui.
- Speaker #1
Non, non, mais on sent dans le livre cette ambiance un peu trouble, ce qui plane sur tout le livre. il faut que vous décrivez ouais
- Speaker #0
votre mère qui elle était plutôt complètement elle trouvait la sexualité ridicule c'était inconvenant ah oui quand mon frère a acheté l'album de John Lennon et Yoko Ono ils sont à poil elle a vu ça sur la table basse elle l'a jeté dans la cheminée où il y avait le feu il fallait faire disparaître toute trace d'un cornet elle était calviniste Donc ça rigolait pas du tout. Mais alors, chez les calvinistes, c'est un peu ce qu'on voit dans le rock'n'roll, chez les Little Richard, tout ça, c'est qu'il y a l'aspect double. C'est-à-dire qu'en fait, le sexe, c'est le diable, c'est sulfureux, c'est très excitant parce qu'on se l'interdit. Et elle me racontait que quand elle était jeune, son père, donc qui était très très calviniste, avait jeté des chaussures pointues, parce qu'il trouvait que c'était indécent. Donc moi, d'où mon... Fétichisme, etc. Mais fascination pour les trucs un peu SM, etc. Les Arnets chez Hermès, tous ces trucs-là.
- Speaker #1
D'ailleurs, le livre, c'est drôle parce que votre style mélange un peu d'influence proustienne. Avec Pauline Réage par moment Il y a un côté Conte de fée pour adultes Avec la précision des parfums Des couleurs Vous décrivez beaucoup les pièces Les décors C'est très important les décors dans ce livre C'est pictural,
- Speaker #0
c'est visuel C'est sûr En plus j'essaye de raconter tout sans jugement C'est à dire qu'en me mettant dans la tête de l'enfant que j'étais Et ce qu'il ressent Et ce qu'on ressent ... C'est là que j'ai du mal avec, aujourd'hui, toute cette époque qui juge tout le monde, tout le temps. Tout le monde juge tout le temps. Et là, en fait, ce que j'essaie de décrire, c'est le trouble.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Et aujourd'hui, le trouble, c'est pas la mode.
- Speaker #1
C'est parce qu'on veut tout organiser. Oui,
- Speaker #0
oui.
- Speaker #1
Alors, le jeu devine tes citations. Mishka, je vous lis des phrases de vous, tirées de tous vos livres, et vous devez me dire dans quel livre vous avez écrit ceci. Attention.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Ça, c'est facile.
- Speaker #0
Alors ?
- Speaker #1
En novembre 2009, j'ai perdu mon passeport.
- Speaker #0
Faux d'identité.
- Speaker #1
Oui, 2011. Donc soudain, vous étiez un apatride qui devait prouver qu'il était français. Mais c'est dingue. Alors que vous avez toujours vécu ici.
- Speaker #0
J'ai toujours eu des papiers, surtout. Je suis né à Paris. Mais vous savez, c'est parce qu'il y avait eu ces fameux circulaires pascois dans les années 90 qui exigeaient des preuves pour les citoyens français dont les parents étaient nés à l'étranger. et donc si on avait les papiers ça allait mais si les parents avaient été négligents qu'ils n'avaient pas réuni toutes les pièces et qu'ils estimaient qu'une fois que c'était fait ça roulait,
- Speaker #1
pas du tout et donc finalement vous vous rassurez moi vous êtes français j'ai le droit de J'ai le droit de vous parler ?
- Speaker #0
J'essaie de m'insérer comme je peux, trouver ma place.
- Speaker #1
On est heureux de recevoir des migrants de temps en temps. Oui, c'est très bien. Alors, une autre phrase, c'est de vous. Tout ce qu'on a inventé dans les sociétés développées pour supporter ce qui nous entoure, c'est l'ironie.
- Speaker #0
Ah oui, c'était dans Exhibition, je crois. Oui, 2002.
- Speaker #1
Ça, vous êtes un des premiers Oui,
- Speaker #0
vous m'aviez rendu hommage Oui, mais oui,
- Speaker #1
parce que dans mon livre Je ne sais pas d'ailleurs comment il s'appelle Il s'appelle Smiley C'est l'homme qui pleure de rire C'est le Smiley qui penchait, qui a des larmes Et c'est vrai que vous étiez un des premiers A critiquer ce rire omniprésent Vous voyez, c'est ce que j'appelle La guignolisation du monde C'est vous qui avez dit ça d'ailleurs La guignolisation du monde, peut-être,
- Speaker #0
C'est-à-dire que c'était quelque chose que je voyais pointer, effectivement. C'est-à-dire que c'est une manière de... En fait, je ne sais pas comment... Il y a quelque chose de... Comme pour cacher le malaise. Vous savez, c'est les gens qui font des blagues tout le temps pour masquer qu'ils ne vont pas bien. Et donc j'ai capté ça comme le symptôme d'un malaise collectif. C'est-à-dire qu'on n'est plus tout à fait tranquille là où on est. Donc il faut tout le temps manifester le malaise, c'est ces rires forcés qu'on entend continuellement dans les émissions de talk show que je ne citerai pas.
- Speaker #1
Il y en a beaucoup sur votre radio, mais nous n'aborderons pas la question.
- Speaker #0
Non, mais c'est l'idée que si on ne rit pas toutes les 20 secondes, les gens vont s'ennuyer ou ils vont trouver ça « chiant » . En fait,
- Speaker #1
c'est une peur de l'ennui et c'est une peur de la sincérité.
- Speaker #0
Alors là c'est pour ça que je suis blin Pour le coup je ne suis pas snob effectivement Même à l'époque où justement dans les années 80-90 Il fallait ricaner de tout Moi j'étais là à dire Non je suis malheureux, une fille m'a quitté J'ai écrit un récit là-dessus J'ai essayé d'être con dans le sens naïf Et c'est ce que j'aime dans la musique aussi
- Speaker #1
Sortir de la dérision C'est ça le problème La dérision Qui est une démarche saine Mais à petite dose.
- Speaker #0
C'est un anesthésiant.
- Speaker #1
Oui, c'est ça.
- Speaker #0
Pour ne rien sentir, ne plus sentir.
- Speaker #1
Autre phrase de vous. J'appartiens à cette catégorie de l'humanité pour qui chanter et jouer d'un instrument tout en restant en rythme a longtemps paru un exploit impossible. Un peu comme piloter un avion supersonique. Oui,
- Speaker #0
c'est tout à fait exact. C'est la phrase du début du livre Un autre monde. Oui. En 2016. En 2016, oui, où je raconte une drôle d'expérience que peut-être certains parents ont vécue. C'est-à-dire que j'avais un adolescent absolument insupportable qui prenait ma carte bleue pour faire des achats en ligne de trucs absurdes et qui vraiment ne séchait les cours. Enfin, je ne savais plus quoi faire. Et en fait, c'est là que je vais être très snob. c'est que à ce moment-là, je faisais un livre d'entretien avec Bono, le chanteur de U2, et je... Avant de parler comme on le fait sérieusement, alors qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qui t'est arrivé ces derniers temps ? Je lui dis écoute, moi, mon fils, j'en peux plus, j'essaie de lui parler, j'essaie de lui expliquer que cette façon de se comporter, c'est pas possible, il faut changer. Et il y a eu un blanc, il m'a dit mais pourquoi tu veux lui parler ? Ça n'a aucun intérêt, fais quelque chose avec lui. et là je me suis dit Eureka, il est batteur moi au fond j'ai toujours fantasmé le fait de faire de la musique sans me donner l'autorisation pourquoi est-ce que j'essaierais pas de le rejoindre là-dessus donc on va faire un groupe ensemble le
- Speaker #1
groupe a existé il s'appelait comment ?
- Speaker #0
Grateful Dad c'était pas mal on a donné des concerts moi j'étais nul, mais j'étais nul à chier mais moi j'avais, en fait ma démarche c'était punk, parce que moi j'ai J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour ces musiciens.
- Speaker #1
Il y en a plein qui ne savaient pas jouer de la guitare. Qui ne savaient rien faire.
- Speaker #0
Alors après, quand on connaît un peu l'histoire, les groupes... Il y en avait toujours un ou deux, c'est vrai, qui ne savaient rien faire, mais il y en avait quand même un qui savait faire. Par exemple,
- Speaker #1
les Ramones, il n'y a qu'une note.
- Speaker #0
Oui, il y a... Non, non, non. Essayez de jouer aussi vite qu'ils le font. Oui, oui, d'accord. C'est beaucoup plus compliqué que ça. Alors,
- Speaker #1
vous auriez cité qui comme groupe qui ne savent pas jouer ? Les Sex Pistols ?
- Speaker #0
Les Sex Pistols, il y avait Steve Jobs. Non, ils étaient toujours, je ne sais pas, par exemple, des groupes qu'on a oubliés, comme les Meekins, enfin, je ne sais pas, peu importe. C'est des groupes un peu obscurs. mais en fait je pense Je pense que quand il y a eu les premières répétitions avec Sid Vicious, quand Sid Vicious a remplacé Glenn Matlock chez les Sex Pistols, il ne savait pas jouer une note de basse. Viv'Albertine des Slits, je ne sais pas si vous avez lu ces livres, ces livres sont extraordinaires. Elle raconte qu'elle ne savait pas jouer une note de guitare et qu'elle s'est mise à prendre ça comme si c'était vraiment un instrument de Mongolie extérieure. Et elle a trouvé des sons que personne ne trouvait. Donc c'était une approche complètement spontanée. et enfantine, presque dadaïste.
- Speaker #1
Mais est-ce que le fait de jouer de la musique avec votre fils vous a rapproché vraiment ?
- Speaker #0
Vraiment, oui. Au moment, avant et après, c'était l'enfer, mais pendant, c'était génial. Mais d'ailleurs, quand on interview des groupes de rock pour leur demander comment ils vivent les choses, c'est ce qu'ils disent. C'est qu'avant, on s'engueule, après, on se déteste, mais quand ils jouent ensemble, c'est cool.
- Speaker #1
Non, c'est beau. Ça fait penser à ce livre de Nick Hornby sur le foot qui s'appelle Carton Jaune, où un père et son fils arrivent à communiquer parce qu'ils aiment la même équipe de foot et qu'ils vont voir les matchs.
- Speaker #0
C'est aussi con que ça. Et en fait, l'astuce qui était bonne, c'est que mon fils était meilleur que moi. Donc, le fils est devenu... Le Twitter du père. C'est bien. Pendant une heure. Attention.
- Speaker #1
Nous, notre génération, Michka et moi, c'est la même chose. On se définissait par nos goûts musicaux au lycée.
- Speaker #0
C'est fini, ça.
- Speaker #1
C'est vrai, c'est fini ? Vous croyez que la Gen Z, là, ne se définit pas par tel artiste ou autre ?
- Speaker #0
Non, parce que je pense que maintenant, c'est plus les communautés sur les réseaux sociaux. C'est souvent des communautés d'ailleurs éphémères. Enfin, je ne sais pas, je n'y connais pas grand-chose. En tout cas, je n'ai jamais...
- Speaker #1
Il n'y a pas des jeunes qui disent « Moi, j'adore Taylor Swift. Et toi ? Moi aussi. Alors, on est copains ? » Non.
- Speaker #0
Je ne sais pas. Vous en connaissez ?
- Speaker #1
On est trop vieux.
- Speaker #0
Oui, peut-être, c'est ça. Mais je n'ai pas l'impression. Surtout que maintenant, la musique, c'est transgénérationnel. Avant, on aimait telle musique parce qu'on était, je ne sais pas, avec une certaine bande à un certain âge dans une certaine ville, je n'en sais rien. Mais là, aujourd'hui...
- Speaker #1
Et dans votre courrier, puisque vous êtes franchement le plus éminent critique de rock aujourd'hui, c'est vrai, dans le pays, vous recevez j'imagine des lettres, est-ce que c'est surtout des vieux ou il y a aussi des jeunes ? Non, il y a des jeunes,
- Speaker #0
il y a une minorité. Mais il y a des jeunes, oui, il y a une minorité de jeunes qui sont captivés par... Tout ça c'est des légendes, c'est un culte maintenant le rock. C'est-à-dire que c'est vraiment une sorte de culte qui perdure, alors que bon, je dirais que les pères fondateurs sont près de la tombe maintenant.
- Speaker #1
Ah bah Paul McCartney est toujours vivant.
- Speaker #0
Oui, oui. Bob Dylan aussi. Mais enfin bon, ils ont 82, 83. Mick Jagger. Bon, tout ça, c'est crépusculaire. Mais il y a une... Oui, dans une minorité, une minorité de très jeunes, une fascination peut-être aussi pour la liberté et surtout cette capacité d'invention qui était celle de cette génération qui a eu quand même toutes les chances de s'élancer sur un territoire absolument vierge. Parce que vous comprenez, quand il y avait des groupes de rock, je sais pas, qui arrivaient dans les années, mettons au milieu des années 2000, on disait « Ah, ça sonne comme les Kings de 67, ah on dirait les Pretty Things » . Mais quand les Kings, les Pretty Things et les Stones sont arrivés, personne ne disait que ça ressemble à un groupe de 1927. C'était complètement nouveau. C'était complètement nouveau. Alors oui, ils se référaient à des musiciens de blues. Oui, c'est ça. Mais enfin bon, c'était des gens que personne ne connaissait, qui déifiaient, qui essayaient de faire venir, qui étaient pour eux comme des espèces d'icônes.
- Speaker #1
Oui, c'est fou. Autre phrase de vous.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Il pleut et je suis heureux. Je repense à ces batailles de gouttes de pluie que j'organisais dans le train qui me ramenait vers Saint-Lambert. Certaines coulaient tout doucement, sans espoir, puis grossissaient, immobiles, comme un chagrin retenu.
- Speaker #0
Ah oui, ça c'est dans les années vides, je me rappelle ce passage.
- Speaker #1
J'adore ça, un chagrin retenu. On dirait un titre de Sagan.
- Speaker #0
C'est drôle, un chagrin retenu, c'est vrai.
- Speaker #1
Et c'est un résumé de toute votre œuvre. Votre œuvre, c'est du chagrin retenu.
- Speaker #0
Là, j'ai du mal à le retenir. Ce n'est pas du chagrin, mais c'est très touchant.
- Speaker #1
Moi, j'étais ému en le lisant. Là,
- Speaker #0
je suis ma mère. Ma mère, elle était comme ça. Elle se retenait de tout. Et puis, à un moment, on lui disait un truc.
- Speaker #1
C'est très con. Non, mais là, c'est drôle parce que c'est dans votre premier texte publié. Oui, mais c'est vrai. Vous dites ça. Et en fait, vous regardez les gouttes d'eau sur une vitre.
- Speaker #0
Oui, oui.
- Speaker #1
Et vous vous identifiez. Oui, oui, oui. Ces gouttes qui ne bougent pas.
- Speaker #0
Qui ne bougent pas, oui. Et puis, il va se passer un truc et puis, il ne se passe rien.
- Speaker #1
Autre dernière phrase.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
L'idéal de ma mère est la contrainte du corps. Oui,
- Speaker #0
ça, c'est vrai. Elle avait imaginé... C'est dans celui-là. Oui, je sais. Imaginer qu'elle avait affiché dans son petit cabinet de toilette qui était vraiment attenant à sa petite chambre du premier étage dans son atelier à Paris. une gravure de l'époque victorienne. de toutes sortes de culottes de golf, de promenade, les différentes formes de bermuda. Mais ils étaient tous des trucs avec des boutons partout, des trucs...
- Speaker #1
Des cordes, des lacets.
- Speaker #0
Des lacets, des lacets. C'était des choses... Ça me fascinait. C'était une espèce de culotte de Tintin, mais mélangée à des instruments de torture.
- Speaker #1
Mais est-ce que c'est pas ça, l'idéal et la contrainte du corps ? Oui. c'est pas...
- Speaker #0
Elle disait par exemple que les fesses étaient un élément du corps dont l'humanité aurait bien fait de se dispenser.
- Speaker #1
Mais est-ce que c'est pas une définition du dandisme ? Est-ce que finalement votre mère correspond à... C'est un dandy en fait votre mère.
- Speaker #0
C'est un dandy, tout à fait. Non mais ça c'est vrai.
- Speaker #1
C'est peut-être ça le drame, c'est que les femmes sont devenues des dandies dans les années 60.
- Speaker #0
Peut-être qu'elle était en avance sur son temps en effet. Mais c'est pas un drame d'ailleurs. Mais vous savez que ma mère a été la première a inventé, ce n'est pas lié forcément au dandisme, mais la première à imaginer qu'on pouvait vendre des jupes indépendamment des vestes de tailleurs, au début des années 60.
- Speaker #1
Ça ne se faisait pas avant.
- Speaker #0
Ça ne se faisait pas avant. Elle était vraiment en avance sur son temps. Et donc, en effet, alors après, ce qu'elle avait de rétro, c'était qu'elle avait quand même une notion de l'élégance qui était un peu autrichienne, dans le sens que c'était le Laudan. Je ne sais pas, il y avait quelque chose de le côté tiré à quatre épingles. Et puis, sa définition de l'élégance, c'était les habits de sport qu'il fallait porter, je ne sais pas, dans certaines circonstances, mais pas dans toutes. Il y avait une sorte d'élégance sportive liée à la mode. L'équitation, Hermès. Oui,
- Speaker #1
exactement, ça vient de là. D'habitude, je fais mon questionnaire. Est-ce que vous préférez que je fasse mon questionnaire habituel ou... Sur vos goûts littéraires.
- Speaker #0
Je ne sais pas, moi, pourquoi vous... Oui, mais on ne sait rien,
- Speaker #1
moi. Oui, c'est vrai, après tout. Oui, comme ça vous vient. Pourquoi un jeune devrait-il lire votre livre au lieu de scroller sur TikTok ?
- Speaker #0
Alors là, je n'ai pas d'argument. Je me dis que s'il lui est arrivé de lire des trucs qui l'ont fait marrer ou qui l'ont touché, je ne sais pas, vous imaginez ce que c'est... que les gamins d'il y a 50 ans, peut-être, ils pensaient les mêmes choses que lui. Après tout, ils seraient surpris. Oui.
- Speaker #1
Parce qu'en fait, on ne change pas tellement. Que savez-vous faire que ne sait pas faire l'intelligence artificielle ?
- Speaker #0
Choisir des chansons dans le bon ordre.
- Speaker #1
Quand je fais mes programmes. C'est vrai ?
- Speaker #0
Oui, parce que l'intelligence artificielle, elle me fout dans des algorithmes. C'est une forme d'intelligence artificielle, finalement, les algorithmes. Oui, oui. Donc, parfois, c'est n'importe quoi. Donc, heureusement que je suis là.
- Speaker #1
Vous n'avez jamais eu peur, en l'écrivant, que votre livre ne serve à rien ?
- Speaker #0
Mais, ça ne sert à rien. À quoi ça sert ? On se demande déjà à quoi ça sert pour celui qui l'écrit, parce qu'il s'imagine qu'il va régler un truc à tout jamais et en fait les trucs reviennent. Non, alors là c'est marrant parce que moi j'ai pas du tout une notion de la lecture comme « Ah c'est très grave, les jeunes ne lisent plus » . Je veux dire, il y a un moment... Si on ne prend pas plaisir à lire, ce n'est pas la peine de lire.
- Speaker #1
Oui, il ne faut pas se forcer.
- Speaker #0
Il ne faut pas se forcer. Moi, je ne sais pas, je passe à bon moment. Il y a des gens qui se fadent, je ne sais pas, 9 heures de séries. Moi, le problème avec les séries, c'est qu'au bout d'une heure et demie, ou même d'une demi-heure, j'ai l'impression que j'ai déjà vu 20 fois. Voilà un bon argument.
- Speaker #1
Parce que vous avez mis 10 ans à écrire ce livre-là, qui est très court. Donc, vous n'avez pas été désespéré. Vous n'êtes pas dit que ça ne sert à rien. Vous aviez besoin. Non, non, non. Il y avait une nécessité quand même.
- Speaker #0
Oui, ben qu'il faut faire quelque chose de beau. comme ma mère faisait de belles choses elle dessinait des carrés des sacs elle s'intéressait aux détails du pli en effet d'un vêtement moi c'est pareil je fais ça avec les mots c'est une satisfaction d'artisan moi je suis un artisan c'est tout ce que je fais après effectivement pourquoi faire des chaises tarabiscotées alors qu'on pourrait s'acheter sur des trucs en plastique après tout où est le problème donc c'est la même chose c'est très bien dit pensez-vous qu'un écrivain doit être gentil Alors je trouve qu'on a beaucoup mythifié le côté que les écrivains doivent être ténébreux, salauds, ils doivent se saouler la gueule, être désagréables, être grossiers parce qu'ils sont plus authentiques. Pour moi c'est des banalités de bourgeois. Honnêtement, j'y crois pas du tout. Je pense que les gens sont très sympas. Je sais pas, vous et moi, Michel Houellebecq, il est absolument charmant. Donc moi j'y crois pas du tout.
- Speaker #1
Très bien.
- Speaker #0
Vous, c'était certainement... Après, ils sont casse-couilles comme tout le monde, mais... Oui, oui, oui.
- Speaker #1
Il n'y a pas un modèle. De toute façon, il n'y a pas de modèle. Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d'être un écrivain ? Est-ce que c'est la solitude, la pauvreté ou la folie ?
- Speaker #0
La liberté. C'est-à-dire, en fait, on la paye très cher. C'est-à-dire que dans le sens où moi, je n'ai pas fait carrière, c'est-à-dire que j'ai fait carrière dans la musique, comme vous dites, critique de rock, etc. Bon, je ne savais pas trop ce que j'allais faire. Mais alors, je l'ai payé au prix fort, parce que dans le sens où je ne suis jamais dans des listes de prix, enfin, je veux dire, les gens savent à peine que j'écris des livres. Les gens qui écoutent mes émissions, ils sont très surpris de savoir que je publie des livres littéraires. Mais la liberté, elle a un coût. terrible, très très fort mais après je pense que il y a de la place pour tout le monde et puis c'est peut-être mon destin les happy few comme disait Stendhal oui c'est très bien aussi encore du snobisme bah ouais,
- Speaker #1
je suis désolé avez-vous déjà écrit en état d'ivresse ?
- Speaker #0
non, je suis nul non non non non bon,
- Speaker #1
fantasmez-vous sur J.D. Salinger qui n'a jamais donné d'interview de sa vie
- Speaker #0
Moi, à l'heure-là, si je pouvais créer une sorte de légende autour de moi en ne parlant jamais à la radio, par exemple, ni avec vous, je serais assez content. Mais je pense qu'à l'heure-là, ce n'est pas pour moi. Je suis un grand bavard.
- Speaker #1
Un roman doit-il réparer le monde ? Je crois que je vais l'enlever. Non, mais c'est drôle.
- Speaker #0
C'est drôle. Bon, déjà, on n'arrive pas à se réparer soi-même. Alors bon, le monde...
- Speaker #1
Quel est votre chef-d'œuvre ?
- Speaker #0
Le chef-d'œuvre que je considère...
- Speaker #1
Parmi vos livres à vous.
- Speaker #0
Si, le Dictionnaire du Rock. Parce que ce n'est pas de moi seulement. Et que j'en suis très fier. Et que c'est un livre collectif. Alors là, pour le coup, il a servi à quelque chose. C'est un livre qui a servi à quelque chose. Parce qu'il y a 25 ans, quand il est sorti, si vous vouliez connaître la date de naissance de Keith Richards, il fallait que vous achetiez un livre. Et donc, c'est un livre qui a donné envie à plein de gens de plonger dans la connaissance de la musique, de faire des groupes. J'ai rencontré des musiciens qui m'ont dit que ça leur a donné envie de faire de la musique. Alors là, qu'est-ce qu'on peut rêver de plus beau ? C'est génial. En fait, c'est un livre qui a encouragé les gens à créer de la joie.
- Speaker #1
Et vous avez enterriné en plus l'existence de beaucoup de groupes.
- Speaker #0
Oui, et ce n'est pas Wikipédia. C'est-à-dire que les articles du Cédailleur de rock sont des articles où il y a des opinions, des points de vue. Et c'est des articles d'amoureux de la musique.
- Speaker #1
Qui est le meilleur écrivain français vivant ? Oh, je connais la réponse. Ça va être la même que Carrère.
- Speaker #0
Il y en a plusieurs que j'admire. Moi, j'aime beaucoup Annie Ernaux. Oui, j'ai beaucoup Michel Houellebecq, bien sûr.
- Speaker #1
C'est assez marrant parce qu'eux, ça n'aime pas entre eux.
- Speaker #0
Ah oui, c'est drôle.
- Speaker #1
Houellebecq et Ernaud. Oui, c'est curieux. Mais c'est deux extrêmes du spectre. Oui, oui. Ils ne font pas la même chose. Mais pour moi, il n'y a absolument aucun... Mais il y a de la place.
- Speaker #0
C'est comme quand on vous demande si vous préférez les Beatles ou les Stones. Moi, j'ai toujours répondu les Kings, de toute façon. Mais oui, c'est dur. Qu'est-ce qu'il a répondu, Emmanuel Carrère ? Houellebecq aussi. Houellebecq aussi. je dirais je ne sais pas si c'est le plus grand styliste Mais c'est l'écrivain qui a fait entrer quelque chose du monde qui n'y était pas encore entré. C'est-à-dire qu'il a forcé la porte de la littérature pour parler de la vie des gens. Et ça, pour ça, c'est de ce qu'on vivait, justement, de cette détestation, de l'ironie qu'il utilisait pourtant, mais avec de l'autodéris... Enfin, il a créé quelque chose, il a fait entrer quelque chose qu'il n'avait pas le droit de citer. Et ça, je trouve que pour ça, c'est un génie. Mais il y en a tellement que j'admire. J'aime beaucoup Brigitte Giraud. Enfin, je ne sais pas, moi, je... Il y a plein, plein.
- Speaker #1
La question faronnait de 451. Nous sommes dans un monde où les livres sont interdits et brûlés. Lequel apprenez-vous par cœur pour le retenir ?
- Speaker #0
Il faudrait qu'il soit court parce que... La poésie. Alcool.
- Speaker #1
Oui, très bien.
- Speaker #0
La chanson du mal-aimé.
- Speaker #1
« Y a-t-il un livre qui vous a sauvé la vie ? » Encore une question à la con. Il faudrait que j'enlève les questions à la con. Alors,
- Speaker #0
curieusement, il y a un livre qui ne m'a pas sauvé la vie, mais qui m'a fait sentir qu'il y avait une force de vie dans le désespoir. Et que même si on avait envie de disparaître, parce qu'on se sentait inexistant et nul, on pouvait continuer. C'est « Extinction » de Thomas Bernard.
- Speaker #1
Ah oui.
- Speaker #0
Je l'ai acheté... Au moment de sa sortie en 1990, je crois, il venait de mourir. Et je lui dis, bon, c'est pas grave, il est mort, bon, ça arrive, mais c'est tellement négatif. Et en même temps, il y a tellement de vitalité dedans. Je lui dis, en fait, on peut creuser la négativité, la détestation de tout ce qu'on est et être joyeux.
- Speaker #1
Mais vous aviez, à ce moment-là, vous étiez... Quand je dis sauver la vie, c'est sauver la vie.
- Speaker #0
Vous savez, un an après, j'ai eu une pneumonie, j'ai failli claquer. Et donc ça veut dire que je suis filé un mauvais coton Oui d'accord Donc j'étais pas fumeur J'avais une vie pas mal saine Et je me souviens que je me suis fait hospitaliser Et le pneumologue m'a dit Vous êtes fumeur ? Non Donc je pense que si j'avais été à l'époque romantique, j'ai Kids et tout ça, chez Lé, je serais mort à 32 ans.
- Speaker #1
Je serais peut-être plus intéressant finalement. C'est comme un personnage de Fritz Zorn. Oui, Mars.
- Speaker #0
Voilà un livre qui m'a profondément... Vous l'avez lu aussi à la même époque que moi, je pense.
- Speaker #1
Et quel est votre âge mental, Mishka Asayas ?
- Speaker #0
Je crois que j'ai 15 ans. C'est ce que me dit ma fiancée.
- Speaker #1
Ah oui ?
- Speaker #0
Ouais, elle dit j'ai 15 ans, elle dit moi j'en ai 10 et toi t'en as 15.
- Speaker #1
Merci infiniment Michka Desvenu. C'est moi, merci Frédéric. Vraiment, lisez Une mer en fuite chez Grasset de Michka Asayas qui est bouleversant, qui est un très grand livre. Je suis... j'ai envie de dire quelque chose sur la littérature puisque vraiment je vous admire. La littérature... C'est comme une boîte magique pour conserver le passé. Et sans ça, nous ne sommes rien. Nous ne sommes rien, nous n'avons jamais existé, rien n'a jamais existé. Vous comprenez ? Merci de votre attention, bonsoir.