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MIGUEL BONNEFOY - GRAND PRIX DU ROMAN DE L’ACADÉMIE FRANCAISE POUR "LE RÊVE DU JAGUAR" cover
MIGUEL BONNEFOY - GRAND PRIX DU ROMAN DE L’ACADÉMIE FRANCAISE POUR "LE RÊVE DU JAGUAR" cover
Conversations chez Lapérouse

MIGUEL BONNEFOY - GRAND PRIX DU ROMAN DE L’ACADÉMIE FRANCAISE POUR "LE RÊVE DU JAGUAR"

MIGUEL BONNEFOY - GRAND PRIX DU ROMAN DE L’ACADÉMIE FRANCAISE POUR "LE RÊVE DU JAGUAR"

53min |01/11/2024
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Conversations chez Lapérouse

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53min |01/11/2024
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Description

Phénomène assez rare, Miguel Bonnefoy est aussi brillant à l'oral qu'à l'écrit. Le récent lauréat du Grand Prix du Roman de l'Académie française n'a bu aucun alcool ni consommé de drogue durant l'enregistrement de cette conversation. Il est naturellement comme ça. Nous précisons que cet entretien a été enregistré peu avant sa consécration académique.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Avec La vie des spectres, Patrice Jean s'inscrit dans le sillage des grands romanciers du XIXe siècle. Jean Dulac est journaliste. Un jour, un de ses articles fait polémique, sa femme et son fils se dressent contre lui. Il quitte alors le domicile familial pour s'installer dans un pavillon abandonné. À travers la chute de cet homme, Patrice Jean dresse le portrait incroyablement juste de notre époque qui place la vertu avant la vérité dans un roman audacieux. La vie des spectres, de Patrice Jean, aux éditions du Cherche-Midi.

  • Speaker #1

    Et c'est aujourd'hui un grand jour puisque j'ai l'honneur de recevoir Miguel Bonnefoy, lauréat du Grand Prix du Roman de l'Académie française 2024 pour Le Rêve du Jaguar aux éditions Rivages. Conversations Lapérouse a le bonheur de recevoir Miguel Bonnefoy ce soir pour son... Combientième roman ?

  • Speaker #2

    Alors il semblerait que c'est le cinquième mais c'est sans doute faux.

  • Speaker #1

    Il y a d'autres manuscrits peut-être cachés ou qui ont été publiés dans des maisons d'édition qui ont fait faillite.

  • Speaker #2

    Exactement, et puis on a tous des romans avortés. Mais je me souviens avoir publié un premier livre dans une toute petite maison d'édition avec Brice Rocton et le livre s'était si mal vendu que quand je lui avais posé la question pourquoi le livre se vend si mal il m'avait répondu ton livre est sacré personne n'y touche c'est beau c'est beau c'est une manière très courtoise manière de dire ce n'est pas encore on refera pas un autre ensemble en tout cas en moins de dix ans miguel et

  • Speaker #1

    donc cinq romans vous vous êtes imposé comme un romancier important central dans cette rentrée littéraire vous êtes sur toutes les listes de prix et Et c'est un... Voilà, comment avez-vous fait en dix ans ?

  • Speaker #2

    Ce n'est pas un succès, c'est un grand malentendu.

  • Speaker #1

    Pas du tout. "Le voyage d'Octavio" en 2015, "Héritage" en 2020, "L'Inventeur" en 2022, et maintenant "Le rêve du Jaguar" en 2024. Voilà, vous avez imposé un style qui est baroque, qui est riche, qui est très dense. Et c'est vrai qu'on en avait peut-être... On avait oublié. que la langue française était capable de produire ce genre de vertige.

  • Speaker #2

    Eh bien, merci beaucoup. Et pourtant, il y a eu beaucoup d'écrivains étrangers qui ont choisi le français comme langue d'écriture. Je pense à Beckett, je pense à Nabokov, je pense à Romain Garry, je pense à Poitier-Senglou, je pense à Koundé,

  • Speaker #1

    Hector Bianciotti, pour aller chercher dans l'Amérique latine.

  • Speaker #2

    Bianciotti, bien sûr, Bianciotti. Et également, je pense qu'on retrouve... aussi dans le mouvement de ce qu'on appelait la négritude, avec Léopold Sédar Sangor, avec Damas, avec Diop, avec Koukouma, avec Aimé Césaire, bien entendu. C'est une espèce de goût aussi d'exhumer de l'oubli certains mots qui sont tombés en désuétude, d'aller chercher également à dépoussiérer un peu la langue française et voir s'il est possible de la mélanger avec une langue...

  • Speaker #1

    Je vous interromps, pardon, il y a la police qui arrive pour vous demander vos papiers. J'ai entendu là des sirènes, je m'inquiète pour vous. Mais effectivement, bien sûr, vous perpétuez magnifiquement cette tradition. Mais en réalité, vous n'êtes pas vraiment un écrivain vénézuélien, vous êtes un écrivain français puisque vous avez grandi en France.

  • Speaker #2

    Tout à fait. Alors je suis né à Paris d'un père chilien exilé politique et d'une mère vénézuélienne qui était diplomate. Et ensuite... Comme tous les fils de diplomates, j'ai changé tous les trois ans de frontière en frontière.

  • Speaker #1

    Comme Amélie Nothomb. On a reçu Amélie Nothomb il y a quelques semaines. Tout à fait. Vous avez la même enfance.

  • Speaker #2

    Exactement. C'est une enfance qui est habituellement très désordonnée, dans laquelle on ne fait que voyager, que voyager. Et lorsque Victor Hugo disait lire, c'est voyager. Mais pour des gens du voyage, lire, c'est aussi rester. Parce que les livres, eux, ne changent pas. Donc,

  • Speaker #1

    c'était votre repère alors que vous perdiez tous vos repères. Exactement. La littérature, c'était votre point fixe.

  • Speaker #2

    Des points fixes, des colonnes, des mâts en fait, où j'étais attaché comme Ulysse pour ne pas justement me laisser tenter par les sirènes de l'ailleurs. et les certaines pages qui m'avaient bouleversées, certains sonnets qui m'avaient bouleversés, les premières pages du livre de ma mère d'Albert Cohen ou les dernières pages du Terre des Hommes de Saint-Exupéry avec son célèbre Mozart assassiné, elles ne bougeaient pas. Si j'étais à Buenos Aires, si j'étais à Caracas, si j'étais à Tokyo ou si j'étais à Moscou. Donc il y a quelque chose d'assez beau aussi de se dire qu'il y a quelque chose d'immuable et d'immobile dans la littérature et lire c'est aussi... rester.

  • Speaker #1

    Oui mais pas seulement lire parce que regardez, Nothomb et vous avec cette enfance là, ça vous a rendu écrivain. Oui. Parce qu'à un moment vous perdiez vos amis tous les deux ans j'imagine, vous n'alliez pas, vos copains vous deviez les abandonner. Oui. Donc on se concentre plutôt peut-être sur une feuille de papier.

  • Speaker #2

    C'est exactement ça, il y a les amis bien entendu qu'on perd et avec cruauté, déracinés d'un lieu et replantés dans un autre mais ce qu'on perd surtout ce sont des repères en fait de l'enfance. C'est des langues, c'est des cultures, c'est l'épaisseur de l'air à laquelle on s'était déjà habitués. C'est le parfum de la goyave qui était le tien ici, ou celui du reblochon en France. Ce n'est pas tout à fait pareil. Après ça dépend, ça dépend des goûts.

  • Speaker #1

    Ça dépend des goûts. C'est étonnant parce que votre livre commence par cette exergue. Au nord, il y a la raison qui étudie la pluie, qui déchiffre les éclairs. Au sud, il y a la danse qui engendre la pluie, qui invente les éclairs. C'est une phrase d'un auteur que je ne connais pas, William Ospina.

  • Speaker #2

    Immense William Ospina, écrivain colombien qui a écrit un très beau livre qui je pense vous plairait énormément qui s'appelle El País de la Canela, Le Pays de la Canelle, dans lequel il raconte l'histoire de Pizarro qui cherche une forêt où il n'y aurait que de la canel pour pouvoir la ramener dans la couronne espagnole. Et donc il fait toutes les exactions qu'on imagine.

  • Speaker #1

    Pour pouvoir ensuite saupoudrer de la canelle sur son petit yaourt,

  • Speaker #2

    sur son petit café, enfin sur son petit flocon d'avoine, enfin tu vois.

  • Speaker #1

    Mais sérieusement, cette citation en exergue, elle dit quelque chose sur votre vie d'homme coupé en deux entre la raison très française et la danse qui est très latino-américaine.

  • Speaker #2

    La danse, la magie, le genre naturel, ce je-ne-sais-quoi d'extravagant et de tropical qu'on trouve beaucoup en Amérique latine. pas dans toute l'Amérique latine, surtout dans les Caraïbes, parce que dès qu'on commence à descendre un peu, tantôt au Chili, tantôt en Argentine, tantôt en Uruguay, on perd déjà cette espèce de magie, un peu comme ça, mystérieuse.

  • Speaker #1

    Irrationnelle.

  • Speaker #2

    Voilà, exact. Baroque et rococo. Mais c'est une magie qu'on trouve également dans des pays slaves. Moi, j'étais il n'y a pas longtemps à Bucarest, on en parlait, et il y a quelque chose de complètement fou qui gît. On le voit dans les films de Kusturica, par exemple. Les ruches ont aussi cette folie-là.

  • Speaker #1

    En Roumanie, ça s'appelle des vampires, pas des magiciens. Ça s'appelle des vampires.

  • Speaker #2

    Il y a les chamanes et il y a les vampires.

  • Speaker #1

    Il faut faire attention quand même. La première phrase est fantastique de votre livre. Et c'est aussi la dernière phrase. Et donc, je vais vous demander, comme je le fais maintenant régulièrement, de lire la dernière phrase du livre ici, à partir de Christobal. Merci beaucoup.

  • Speaker #2

    Comme c'est la première, c'est facile, non ? Ça permet de faire un système cyclique. Oui,

  • Speaker #1

    mais ce n'est pas fréquent, en fait, que quelqu'un commence et finisse par la même phrase. Ça veut dire que vous y tenez à cette phrase.

  • Speaker #2

    Oui, voilà, j'ai la faiblesse de tenir à cette phrase. Tout ceci, bien sûr, a été froidement calculé entre nous. Beaucoup de boulot.

  • Speaker #1

    Il y a beaucoup de travail préalable.

  • Speaker #2

    Absolument. "Cristóbal prit un stylo et se mit à écrire. Il fallait remonter jusqu'à cette matinée où, au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero fut abandonné sur les marches d'une église dans une rue qui aujourd'hui porte son nom".

  • Speaker #1

    Voilà. Alors, je vais la relire moi. Je vais lire la première phrase. En moins bien. "Au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero... fut abandonné sur les marches d'une église dans une rue qui porte aujourd'hui son nom. Qui aujourd'hui porte son nom". Pardonnez-moi. Non, non,

  • Speaker #2

    non, il y a de tout dans la vie du Seigneur, enfin, mais il y a les vrais écrivains, il y a ceux qui... Oui,

  • Speaker #1

    oui, il y a les amateurs. Qui aujourd'hui portent son nom. Donc, c'est un incipit assez... Enfin, très, très romanesque. Et l'idée qu'il y a un garçon qui a été abandonné sur les marches d'une église dans une rue qui porte aujourd'hui son nom, on a... Comment dire ? Vous avez du souffle. Oui. Et ça, c'est quelque chose qui s'était raréfié, le souffle. Ça fait penser au début du Conte de Montecristo de Dumas. Je vous dis la phrase. "Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le Trois-Mas, le Pharaon, venant de Smyrne, Trieste et Naples". C'est un souffle qui... C'est une ambition, en fait, de dire, voilà, pour moi, un roman, c'est un conte. On doit y aller. Et là, il y a un bébé... sur les marches d'une église. On va essayer de comprendre comment on part d'orphelin abandonné à trois jours vers... le type qui va donner son nom à la rue. Et tout le livre est contenu dans cette première et cette dernière phrase.

  • Speaker #2

    Oui, dans le ventre phonétique de la première phrase, il y a déjà tout le livre qui est en gestation.

  • Speaker #1

    C'est une densité. C'est ça. D'où vient cette envie de classicisme et de redonner au roman ces lettres de noblesse et de croire en une histoire comme ça ?

  • Speaker #2

    En effet, je m'étais mis comme contrainte oulipienne, en quelque sorte, de... écrire une histoire par phrase dans ce livre. Que tu puisses ouvrir le livre en dégustation à l'aveugle, comme on dit dans le monde du vœu. Ah,

  • Speaker #1

    alors pas chégalé.

  • Speaker #2

    On va voir si t'as marre. Typiquement, on tombera sur la mauvaise phrase.

  • Speaker #1

    Un 27 septembre, ils obtinrent leur diplôme de médecine avec mention summa cum laude lors d'une soirée magnifique au Paraninfo de l'Université centrale du Venezuela. Oui, c'est vrai, c'est un roman. Chaque phrase est un roman.

  • Speaker #2

    En quelque sorte.

  • Speaker #1

    C'est dingue.

  • Speaker #2

    Et moi, je portais cette histoire dans la barrique de mon cœur depuis l'enfance, puisque c'est l'histoire de mes grands-parents, de mon grand-père, de ma grand-mère. Et ça macérait, ça distillait petit à petit. Je ne savais pas précisément comment l'écrire, bien qu'encore une fois, j'étais vraiment le porté dans le ventre. Et cette première phrase m'est venue une nuit. Et alors, ça semble un peu romantique comme idée. J'ai horreur des romantismes littéraires. Toutefois, je dois reconnaître qu'à la façon presque borgésienne... que lui parle des dons de la nuit, comment la nuit peut apporter des cadeaux. J'écoutais il y a deux jours une très belle conférence de Carlos Fuentes, l'écrivain mexicain des Cinq Soleils du Mexique, qui disait, dans les dix recommandations qu'il donne à de jeunes écrivains pour écrire, la première n'est pas la discipline, n'est pas la méthode, n'est pas l'inspiration, n'est pas le travail, il commence en disant d'abord le rêve. Vous imaginez la veille... Le travail que vous allez effectuer le lendemain, vous organisez avec une architecture narrative, avec un squelette romanesque, avec une grille de lecture, etc. Et puis le lendemain, vous écrivez autre chose. Pourquoi ? Parce qu'entre les deux, vous avez dormi et vous avez rêvé. Et les dons de la nuit, ces cadeaux des rêves, vous apportent des choses. Et cette première phrase, figure-toi, elle est apparue une nuit, comme une sorte de don des rêves. Et j'irai même plus loin, pour ne pas prendre que des références latino-américaines, et également des références françaises.

  • Speaker #1

    Je me dis que c'est Alexandre Dumas.

  • Speaker #2

    Voilà, Dumas en effet. Et même Paul Valéry, qui dans ses mauvaises pensées, a cette très belle phrase dans laquelle il dit Les dieux vous donnent gracieusement un premier verre, mais c'est à vous de façonner le deuxième qui doit consonner avec l'autre et ne pas être indigne de son aîné surnaturel.

  • Speaker #1

    Oui, mais c'est juste parce que justement, cette première phrase place le roman à un certain niveau. Et ce qui est formidable dans votre pari, moi je vous... continue de te vouvoyer pour... On n'est pas l'air d'être amis. Non, naturellement. Tu places, vous placez le livre à un niveau et gardez cette note tout le temps jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'on relise la même phrase à la fin. Parlons maintenant de cet Antonio. Antonio, c'est votre grand-père. Il a vraiment été abandonné à l'âge de 3 jours sur les marges d'une église.

  • Speaker #2

    Dans la réalité ? Dans la réalité, sa mère est morte en couche. Et son père, Elias Borja Romero, qui a réellement existé, était un marin qui faisait avec son petit bateau les arrêts autour du lac de Maracaibo, l'a placé au soin de cette muette Thérèse, de cette muda Teresa, qui était, il semblerait, la tante d'une cousine, d'une sœur, d'une belle-sœur, de je ne sais pas quoi, et qui était une femme qui vivait dans la misère complète. Donc il n'a pas vraiment été déposé sur la marche de l'Église. mais il a été confié dans la première semaine à cette dame-là. Et puis lui a disparu, le père, Elie Haouar Haramel, a disparu pendant 12 ans. Et il n'est revenu qu'au Majestic, dans ce bordel, dans cette maison closée. Moi, ce que j'ai fait, c'est transformer en symbole, transformer en signe, transformer en allégorie, pour créer une prolepse, pour annoncer quelque chose à venir et en quelque sorte saisir le lecteur.

  • Speaker #1

    Et on est saisi, et ça marche très bien. Bon, alors, c'est l'histoire d'amour entre votre grand-père et votre grand-mère, Antonio, donc, et Anna Maria. Et tous les deux vont devenir médecins, mais de très grands médecins, au point d'ouvrir une faculté de médecine. Oui. Où ça ?

  • Speaker #2

    Alors, ils ont... Fonder la première université de l'État de Souliens, qui est un des États les plus importants du Venezuela, à Maracaibo, qui est la deuxième ville après Caracas au Venezuela. Et dans cette université, il y avait autour de 22 facultés, tantôt de médecine, tantôt d'ingénierie, tantôt d'architecture. Enfin, c'était une vraie université. Cette université porte le nom de mon grand-père aujourd'hui, l'université Antonio Borja Romero. Il y a un buste de lui à l'entrée. Et toute la rue et tout le quartier portent le nom également. Donc, ça a donné comme ça une sorte d'aura. Et ce qui est assez...

  • Speaker #1

    Je regrette d'ailleurs d'avoir été familier avec vous, parce que maintenant, j'ai un peu plus de respect. Je sais qu'il y a un buste. Je vous demande pardon d'avoir été taquin. Oui,

  • Speaker #2

    il y a même un bus qui mène à l'université. Et donc, le bus finit dans le quartier Antonio Borja Romero. Et donc, souvent, il y a sur le bus écrit le nom de mon grand-père. C'est un peu la blague que m'envoie ma cousine régulièrement par WhatsApp.

  • Speaker #1

    Oui, c'est embêtant parce que vous vous appelez Bonnefoy. Alors, du coup, vous ne pouvez pas crâner. Vous êtes à Maracaibo en disant, regarde... Absolument.

  • Speaker #2

    Toutefois, je peux crâner en marchant à Paris, car il y a eu un Yves Bonnefoy.

  • Speaker #1

    Eh oui,

  • Speaker #2

    finalement, je gagne des deux côtés.

  • Speaker #1

    Il n'est pas de votre famille ?

  • Speaker #2

    Non, figurez-vous. On n'a rien à voir avec Saint-Pierre-des-Cors ni avec Tours.

  • Speaker #1

    Mais, donc, du coup, je suis perdu. C'est cette espèce de souffle romanesque, je voulais dire, qui est maintenue dans le livre. Alors vous rappelez que Venezuela veut dire petite Venise, Veneziola, et c'est un peu comme la Nouvelle-Angleterre,

  • Speaker #2

    ou la Nouvelle-Orléans,

  • Speaker #1

    New Amsterdam, mais vous ajoutez tout de suite, on imaginait plus une nation, avant les nations, des hommes déguisés en aigles, des enfants qui parlaient avec les morts, et des femmes qui se transformaient en salamandres. C'est constamment un va-et-vient. entre la colonisation, l'arrivée des Espagnols et puis l'industrie pétrolière, parce que le lac de Maracaibo est un regorge de pétrole et donc est devenu un gisement. Et en même temps, il y a toujours cette espèce de magie, comme vous dites, que vous saupoudrez partout dans chaque phrase. Comment on fait ça ? Vous avez un secret ?

  • Speaker #2

    Alors non. Il y a beaucoup d'instincts, il y a bien sûr beaucoup d'intuition, il y a énormément de travail, beaucoup de discipline, beaucoup de lecture, beaucoup de livres qui m'ont accompagné et qui m'ont aidé en effet à donner de la chair, à donner du relief, à donner de l'épaisseur aux phrases. Je suis convaincu que la littérature est, comme on dit en botanique, épiphyte. Il me semble que les épiphytes sont les plantes qui poussent sur d'autres plantes, sont les fleurs qui poussent sur d'autres fleurs. Eh bien, les livres poussent sur d'autres livres. Les livres prennent racine sur une matière préexistante. Et il y a en effet, tantôt on parlait de William Urpina par exemple, qui m'a beaucoup inspiré pour ce livre, il y a bien sûr, je pensais à Michel Tournier, je pense à Ivo Andrick, l'écrivain serbo-croate, prix Nobel de littérature, qui avait écrit Le pont sur la Drina. Et ce sont ces livres qui ont été des livres diapasons. Et

  • Speaker #1

    Garcia Marquez ? Alors bien sûr,

  • Speaker #2

    il y a bien sûr du Garcia Marquez, bien entendu.

  • Speaker #1

    Votre Macondo, le sortant de solitude, c'est...

  • Speaker #2

    Le Malacay, ou en quelque sorte du Venezuela. Mais il ne faut pas oublier que... Garcia Marquez, à son tour, était un grand lecteur de Faulkner. Lui était un grand lecteur de Kafka.

  • Speaker #1

    Non,

  • Speaker #2

    mais bien sûr. C'est toujours la même histoire.

  • Speaker #1

    Il n'y a pas de littérature ex nihilo.

  • Speaker #2

    Exactement. On est tous la conséquence de quelqu'un.

  • Speaker #1

    Et je me disais, puisque vous êtes également un romancier français, que vous écrivez dans cette langue, si vous deviez choisir un roman de Flaubert, ce serait probablement plus Salambo que Madame Bovary.

  • Speaker #2

    Alors figurez-vous que si je devais vraiment choisir un Flaubert, ce ne serait pas un roman. Je pense à mes yeux, humblement, que là où Flaubert a été le plus grand est dans le conte de Saint Julien de l'Hospitalier.

  • Speaker #1

    Ah oui, d'accord.

  • Speaker #2

    Qui me semble un sommet de la réalité particulière. Dans les trois contes.

  • Speaker #1

    Je pensais que vous alliez répondre à la correspondance.

  • Speaker #2

    La correspondance ?

  • Speaker #1

    Parce que les lettres sont...

  • Speaker #2

    Les lettres sont délicieuses, bien sûr. Bien sûr qu'elles sont délicieuses. Et il se trouve qu'il n'y a pas longtemps, justement, j'étais en train de les relire, parce que j'étais en train de relire deux types de correspondances. Celle de Flaubert de son côté avec énormément d'amis. celle de Anna de Noailles avec Proust. D'ailleurs, il nomme la Pérouse. Oui, bien sûr. C'est étonnant de voir comment il y a des styles assez différents. Parce que Proust, dans sa correspondance, est toujours aussi précieux, fait toujours aussi attention à la phrase, prend le temps, en effet, de ne jamais aller dans un petit pas de côté, ne pas être dans des aspérités, dans des facilités. Alors que Flaubert peut écrire parfois un peu plus vite ses lettres. Et il y a des lettres qui ont parfois peu de poésie, qui sont assez factuelles. Et une autre chose que j'aimerais commenter par rapport à Flaubert, et je pourrais faire le lien avec le livre si on a un peu de temps, c'est toujours délicieux de parler de littérature en général.

  • Speaker #1

    On est la seule émission qui a du temps.

  • Speaker #2

    Eh bien, il se trouve que si on revient aux trois contes, dans un cœur simple, lorsque Flaubert parle de félicité qui est cette gouvernante, il a passé 15 ans à écrire un cœur simple. Il a fait une description de félicité de 20 pages qui était son premier manuscrit. Puis, au bout d'un an, il l'a réduit à 17. Puis, un an plus tard, il l'a réduit à 15. Puis après, à 13. Puis après, à 10. En fait, c'est des années et des années à réduire, réduire, réduire, avec cette belle idée pascalienne de... Excusez-moi si ma lettre a été un peu longue, si j'avais eu plus de temps, ma lettre aurait été plus courte. Cette idée de réduire, réduire, réduire. Et aujourd'hui, lorsque l'on lit un cœur simple et on lit la description de Félicité, ça tient en une phrase, mais une phrase qui condense, qui rassemble dans une sorte de molécule fondamentale tout ce qu'il a voulu mettre. Et cette phrase, c'est Elle avait eu, elle aussi, son histoire d'amour Et tout est là en fait dans ce personnage qui a eu un passé autrefois, qui est maintenant court bléchine face à de vieux chagrins, à un cœur qui est plein de blessures secrètes, mais qui est toujours dans la servabilité, ce demi-siècle de servitude qu'on retrouve beaucoup.

  • Speaker #1

    Alors vous n'êtes pas encore arrivé à cette assaise, parce que c'est justement, vous c'est plutôt luxuriant, c'est la profusion. Par exemple, dans le livre, il y a des langoustes qui mangent le maïs, parce qu'il y a une inondation. dans un champ de maïs près de Maracaibo. Oui, sur le lac. Et pendant les inondations, les langoustes arrivent, bouffent tous les épis de maïs. Absolument. Ensuite, la mer s'en va. Oui. Mais c'est vrai, ça ? Oui,

  • Speaker #2

    absolument. Oui, c'est dans toutes les chroniques de Maracaibo. Parce que les cultures de maïs ne sont pas loin de la rive, tout simplement. Donc, lorsque les crues augmentent avec les pluies torrentielles, et comme c'est un lac qui a une ouverture sur la mer, les langoustes... Elles arrivent et elles mangent les pop-corn. Elles mangent les pop-corn, tout simplement. Donc, on maudit les langoustes à Maracaibo comme on maudissait les sauterelles en Égypte.

  • Speaker #1

    Je vais vous faire lire encore un extrait pour donner la saveur de votre style. Alors, c'est une description justement de Maracaibo. Oui, ce n'est pas trop long, ne vous inquiétez pas.

  • Speaker #2

    Je lirai donc 47 pages, si vous le voulez bien. Tout Maracaïo s'étourdit au spectacle des camions chargés de gaillards venus des régions les plus reculées de Tucupita, des vallées du Delta et Lorinoco et des profondeurs éthérées de la Grande Saoana qui se garaient en longues files muettes à l'entrée des banlieues. Sur le port, tous les jours, des dizaines de vraquiers que personne n'avait jamais vu allaient et venaient avec des pavillons étaguniens, anglais, coréens. lourds d'hommes d'affaires et de valises de dollars. Puis surgirent des étrangers, des gitans fatigués qui savaient prédire les caprices du ciel en mesurant l'épaisseur de la sève, des Hollandais et des Italiens qui avaient pris des navires de fortune où ils s'étaient fait tatouer sur le torse le nom d'une prostituée, des Arabes et des garimpeiros en costumes militaires sortis des jungles, des vignerons chiliens qui avaient remonté la cordillère à pied Dans l'espoir d'atteindre une nouvelle terre, tous ces hommes arrivaient désormais sur ces berges couvertes d'huile et de camélias en quête d'or noir.

  • Speaker #1

    Vous voyez la densité, c'est pour donner cette densité romanesque qu'il y a chez vous et qui aujourd'hui est quelque chose de presque inactuel. Mais c'est merveilleux à lire, c'est hyper évocateur. En gros, votre livre dit que la malédiction... du Venezuela, c'est le pétrole.

  • Speaker #2

    Oui, absolument. Ça a été à la fois notre perte et à la fois notre grandeur. Lorsqu'on a découvert le pétrole dans les années 1920, comme l'a fait la Norvège, mais là où la Norvège a été intelligente, c'est qu'elle est parvenue à faire ce que Ouslar Pietri appelait semer le pétrole C'est-à-dire que le pétrole soit une graine qui fasse pousser des institutions publiques, qui donne des racines profondes à des universités qui travaillent au niveau de... d'un vrai système, d'un tissu agricole dans le pays et qui fasse en effet tout simplement fructifier, qu'il soit l'engrais d'un terreau national et institutionnel.

  • Speaker #1

    Mais là, les Norvégiens exploitaient leur pétrole. Là, ce qui vous est arrivé, c'est ce que vous décrivez là. Tous ces gens qui sont arrivés, attirés par l'or noir.

  • Speaker #2

    Attirés par l'or noir, le Venezuela s'est rendu compte qu'il était si pauvre, si pauvre qu'il n'avait que de l'argent et qu'il pouvait alors vendre le pétrole, avoir des pétrodollars et avec les pétrodollars, acheter les vivres. À l'étranger, à quoi bon, demandait-on à un paysan et un agriculteur vénézuélien, à quoi bon aller se tuer, se courber les chines dans des plantations de yuca, de tapioca ou de riz, si on peut l'acheter aux voisins, puisqu'on a de l'argent ? À quoi bon aller travailler ton système bovin si tu peux en effet acheter ta viande en Argentine ? Et aujourd'hui, le plat national vénézuélien qui s'appelle el pabellón criollo... Tous les ingrédients du plat national sont des produits importés. C'est quand même extraordinaire, non ?

  • Speaker #1

    Alors, est-ce qu'on peut dire que la fin des énergies fossiles va sauver le Venezuela ? Parce que finalement, maintenant on ne va plus s'occuper de pétrole.

  • Speaker #2

    Naturellement, je vois l'idée. Je pense qu'on est, hélas, à des années-lumières de l'énergie solaire, à des années-lumières de faire ce qu'a fait le Danemark, par exemple, avec ses éoliennes. Et très loin aussi de l'hydrogène, enfin de toute cette ramification des énergies propres, des énergies vertes, pour pouvoir sauver un pays qui est absolument dépendant du pétrole. Allez savoir ce qui va se passer. Moi je ne suis pas politologue naturellement, ni économiste, mais j'observe comment on fonce droit vers le mur.

  • Speaker #1

    Vous allez souvent là-bas ?

  • Speaker #2

    La dernière fois que j'y suis allé, c'était en 2017.

  • Speaker #1

    Ah oui, ça fait longtemps.

  • Speaker #2

    Ça fait longtemps. Mon père y habite encore, une partie de ma famille y habite encore. J'ai donc des relations très proches avec le Venezuela. Toutefois, pour mille raisons de vie, je ne suis pas allé depuis un moment, depuis la mort de Chavez.

  • Speaker #1

    Parce que là-bas, la situation est très compliquée.

  • Speaker #2

    La situation est très délicate.

  • Speaker #1

    Le pouvoir refuse de reconnaître la victoire d'un opposant qui a dû s'exiler. Oui. C'est bien ça, oui. Et je vois que vous ne voulez pas trop rentrer dans les détails parce que si vous allez au Venezuela, vous voulez pouvoir voir votre famille sans être mis en prison.

  • Speaker #2

    Exactement, cher ami, exactement.

  • Speaker #1

    Oui, mais c'est très compliqué. Vous allez un jour parler de la répression de Pinochet au Chili. Vous avez abordé le sujet dans Héritage, où il y avait un personnage, Hilario Da, pro-Aliendé, qui était détenu à la Villa Grimaldi, un endroit sinistre. qui est devenu un musée, mais où ce personnage était torturé. Et ça a été l'histoire de votre père.

  • Speaker #2

    Tout à fait. Mon père est né à Santiago, au Chili. Il avait 17 ans quand il est rentré dans le MIR, qui sont les Movimientos de Izquierda Revolucionnaire, le mouvement d'extrême-gauche révolutionnaire. Donc, ce sont des mouvements armés contre la dictature de Pinochet qui cherchaient à faire des attentats aux dictateurs. Il a été arrêté. Envoyé, comme vous le dites si bien, à Villagrimaldi, qui était un centre de torture. Il a passé à peu près trois semaines dans ce centre de torture. Et ensuite, il a été envoyé dans une prison commune pendant quelques mois, entouré de ce qu'on a appelé les prigés, qui étaient des prisonniers politiques. Et donc, c'était des boulangers, des coiffeurs, des architectes. Enfin, c'était des serveurs, des cuisiniers. Mais qui avaient une carte de parti et qui croyaient à un monde meilleur, à un monde nouveau. Et à partir de là, en sortant de la prison, on lui a rendu son passeport grâce à l'ambassade de France. Il faut reconnaître que c'est la France qui a sauvé mon père au Chili. Et il est allé en exil politique et est arrivé à Paris. Et c'est aussi où il a rencontré ma mère et c'est pour ça que moi aujourd'hui je vous parle en français.

  • Speaker #1

    Il a tenu des carnets où il racontait ses horreurs qu'il a vécues.

  • Speaker #2

    Il a écrit un livre qui s'appelle Relato en el frente chileno, qui a été publié sous un pseudonyme dans une maison d'édition catalane à Barcelone. Le pseudonyme était Hilario Da.

  • Speaker #1

    Voilà, donc c'est le personnage de votre livre.

  • Speaker #2

    Qui est le personnage du livre, voilà, exactement.

  • Speaker #1

    Et qui est également mentionné dans Le rêve du Jaguar.

  • Speaker #2

    Absolument, puisqu'il y a des traboules, il y a des passerelles, il y a des galeries souterraines entre mes livres et des personnages qui vont, qui reviennent, car j'essaie d'avoir une vraie cohérence dans l'ensemble des livres que j'écris. Et je vous assure, Frédéric... que si vous me donnez 10 ou 20 ans de plus, si j'arrive à sortir les livres que j'ai dans le ventre et dans un plan détaillé très précis que j'ai en tête et que je travaille depuis Octavio, depuis 10 ans, dans 20 ans.

  • Speaker #0

    vous pourrez regarder les livres et quand vous aurez compris le système, vous aurez dit Ah, mais c'est hyper malin !

  • Speaker #1

    Oui. Vous êtes donc le Modiano du Venezuela. C'est ce qu'il fait ? C'est un peu ce qu'il fait ?

  • Speaker #0

    Absolument. Mais mon cas n'est pas extraordinaire. C'est le cas aussi dans la littérature du 19ème avec Balzac et avec Zola, dans lesquels ils savaient très précisément quels étaient les livres qu'ils voulaient développer en fonction des thèmes, en fonction des personnages, en fonction des spin-offs, comme on dirait aujourd'hui dans le monde du cinéma.

  • Speaker #1

    Les Rougon-Macquart,

  • Speaker #0

    La comédie humaine,

  • Speaker #1

    etc. Vous avez cité deux personnes qui venaient chez la Pérouse régulièrement. Alors, je reviens à ce bordel très intérieur. C'est vraiment poli. Parlons de choses curieuses un peu. Donc, votre grand-père a vraiment été barman dans un bordel à Maracaibo. Parce que nous sommes ici chez la Pérouse. Ce n'est pas un ancien bordel, mais c'est un endroit où il y avait beaucoup de demi-mondaines, de femmes qui fréquentaient des... des messieurs et je ne veux même pas savoir ce qui s'est passé dans ce salon. Personne ne veut le savoir. Mais donc oui, alors c'est pas un peu un métier de rêve que votre grand-père faisait. Donc il a été embauché au Majestique.

  • Speaker #0

    Exactement. Alors il semblerait, selon les deux biographies qui ont été écrites sur lui, qu'une grande partie... de sa préadolescence et de son adolescence, s'est faite dans ce Majestic, qui était une maison close à Santa Rita, c'est-à-dire un peu dans les banlieues de Maracaibo, et où on faisait venir des filles étrangères. Donc ça donnait ce je-ne-sais-quoi en plus, puisque les filles n'avaient pas seulement la démesure caribéenne que vous pouvez imaginer, mais également une sorte de sensualité, de suavité, de rigueur et d'élégance dans l'amour. qu'on pouvait prêter aux femmes françaises, aux femmes anglaises ou hollandaises. Et donc, on trouvait en effet des...

  • Speaker #1

    C'est un roman, bien sûr. Oui,

  • Speaker #0

    naturellement.

  • Speaker #1

    Déformé par le talent.

  • Speaker #0

    Mais par la fiction. Oui, tout à fait. Et Antonio aurait en effet travaillé là pendant plusieurs années, jusqu'à devenir barman, jusqu'à monter un peu, petit à petit, dans la hiérarchie intérieure du Majestic, et jusqu'à retrouver son père, et ça, c'est ce que je raconte dans le livre, qui était client. à ce moment-là.

  • Speaker #1

    La scène est extraordinaire, où ils s'aperçoivent parce qu'il y a un objet.

  • Speaker #0

    C'est la machine à rouler des cigarettes. Oui, en effet. Un objet, un microfilm.

  • Speaker #1

    Que son père avait donné au bébé, enfin, laissé dans le lendemain. Et donc, ils se rendent compte que, tiens, c'est mon père. C'est ça. C'est très beau, très elliptique et élégant.

  • Speaker #0

    Très élégant, voilà. Et son père lui dit, en quelque sorte, écoute, cher ami, tu as quoi, 12, 13, 14 ans ? Je te vois ici, derrière le bar. Moi, je t'ai abandonné il y a 14 ans sur les marches d'une église. Je vais quand même faire un geste pour toi. Et donc, il écrit une lettre à Don Victor Emilio Montero, qui a réellement existé et qui a été le deuxième père de mon grand-père, en quelque sorte, qui était une sorte de cousin éloigné et qui était un homme qui avait une vraie famille, etc. Et qui lui envoie la lettre, donne cette lettre à Don Victor Emilio Montero, qui lui, va te sortir d'ici, qui va te mettre à l'école et qui va donner une vraie éducation. À partir de là, commence pour mon grand-père. La vie en fait étonnante d'un homme qui deviendra cardiologue, chirurgien, qui deviendra un des plus grands médecins du Venezuela, qui deviendra député du Congrès national, qui sera également président du Collège de médecine, et qui finit par être le recteur éternel d'une université qu'il fonde. Donc il y a quelque chose de très très beau dans cette espèce de montée hallucinante, prodigieuse en fait.

  • Speaker #1

    Un lectoire folle.

  • Speaker #0

    Et tout ceci est vrai, c'est ça qui est étonnant. Et donc ma mère m'a toujours énormément parlé de ce grand-père et de cette grand-mère, puisque le lien est plus ou moins le même, en me disant, en gros nous avons ça dans le sang. de cette persévérance, de cette ténacité, de cette abnégation pour être né chat et devenir Jaguar. C'est un peu l'idée du titre.

  • Speaker #1

    Comment travaillez-vous ? Vous avez un plan détaillé avant d'écrire ou vous laissez porter par ce que vous aviez dit tout à l'heure, les rêves ?

  • Speaker #0

    Pour être tout à fait honnête, je suis un moine copiste.

  • Speaker #1

    Vous savez où vous allez.

  • Speaker #0

    Absolument. J'ai vraiment une froideur chirurgicale avec mes personnages. Il ne m'est pas encore arrivé, parce que je n'ai pas encore assez de talent, et il me manque encore énormément de pages et d'encre pour pouvoir parvenir à écrire un livre qui me satisfasse entièrement. Et je le dis très honnêtement, sans aucune fausse modestie. Mais pour l'instant, il ne m'est pas encore arrivé cet instant où le personnage du livre a suffisamment de chair et de personnalité pour se dresser sur la page et me dire Non, mon ami, je n'irai pas. Je n'emprunterai pas ce sentier que tu as envie que je prenne. Au contraire, je vais aller dans l'autre sens et c'est moi qui écris le livre.

  • Speaker #1

    Mais ça vient du fait que c'est votre famille. Donc comme c'est votre famille, vous ne pouvez pas trop tricher.

  • Speaker #0

    Alors ça, naturellement. Non,

  • Speaker #1

    vous faites gronder.

  • Speaker #0

    C'est vrai.

  • Speaker #1

    Votre père va arriver ou votre mère va vous dire qu'est-ce que c'est que ça ?

  • Speaker #0

    Mes parents sont des gens très légers dans le bon sens du terme, très frivoles. Ils sont les premiers à tenir une sorte de transparence par rapport à mon écriture. Ils sont les premiers à me dire que la fiction peut être plus réelle que le réel. Fais-toi plaisir. Oui,

  • Speaker #1

    c'est vrai. Votre femme dit de vous que vous êtes une éponge. Je voulais savoir, est-ce que ça veut dire que vous êtes alcoolique ou que vous êtes un homme très curieux ? C'est juste... qui s'intéresse aux autres.

  • Speaker #0

    Eh bien, elle dit ça, car en quelque sorte, mais comme pour vous, et mon cas n'est pas extraordinaire, comme tous les écrivains et tous les artistes qu'on connaît, on est sans cesse pénétrés par le grand chaos du monde et on le transforme en quelque chose d'autre. Il y a ces vers de Émile Verharen qui me plaisent un peu et que j'aimerais partager avec vous, si vous le permettez.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Miguel.

  • Speaker #0

    Et qui... sont tirés d'un poème qui s'appelle Le Forgeron, dans lequel il essaye de faire une sorte d'analogie entre le forgeron et le poète, de comment saisir la matière du monde pour en faire une nouvelle arme et créer quelque chose de nouveau. Et il dit, dans son brasier d'or exalté, maître de soi, le forgeron a jeté passion, révolte, colère pour leur donner la trempe et la clarté du fer et de l'éclair. Donc en quelque sorte,

  • Speaker #1

    c'est pour ça que vous avez un chaudron, et vous touillez votre histoire familiale.

  • Speaker #0

    L'histoire familiale, des trucs que tu fais, des conversations chez la Pérouse, une anecdote que va me raconter un ami, une chanson que tu as écoutée, un verre qui te sonne bien. Enfin, ce je ne sais quoi du monde, en fait, une histoire, une blague racontée au détour d'un café avec un ami, etc. Et tout ceci, en fait, tu finis par le mettre, toutes ces violences, toutes ces passions, ces colères, ces beautés. Ces étonnements, ces outrances, ces reculs, tu les fais fondre dans un même creuset. Et tout ceci, dans ce brasier d'or exalté, finit par donner une autre trempe, une autre clarté, un autre fer. Et c'est cette éponge, je pense, qu'elle a en tête.

  • Speaker #1

    Oui, c'est marrant. On a reçu ici Rachel Cusk, la grande romancière anglaise. Elle parlait de regarder le monde à travers des... tessons de verre brisé.

  • Speaker #0

    C'est la même idée. Le kaléidoscope, on a tous en quelque sorte une métaphore en tête, mais c'est toujours la même.

  • Speaker #1

    Vous avez, Miguel, quand même écrit un roman plus français que français. C'était le précédent. L'inventeur sur Augustin Mouchot, l'inventeur de l'énergie solaire. Et ça, c'était complètement à part, non ? Ça n'a plus grand-chose à voir avec cet atavisme familial. Qu'est-ce qui s'était passé ? Vous avez dit bon maintenant il faut vraiment que je me fasse accepter Je ne sais pas. Augustin Mouchot quand même.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas avoir mon visa en fait. Il se trouve que j'avais écrit Octavio qui était sur le Venezuela. Le sucre noir était un peu dans les Antilles, sur le monde de la canne à sucre et du rhum. Héritage était également en Amérique latine, c'est de Chili. Et j'avais observé comment j'étais beaucoup... dans la flamboyance, dans l'exubérance. Et je sais que j'étais beaucoup étiqueté.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas une injure.

  • Speaker #0

    Non, qui n'est pas mauvaise, absolument. Je le vois au contraire. Je le prends vraiment comme un compliment.

  • Speaker #1

    Moi, je vous l'ai ressorti à des grandes louches.

  • Speaker #0

    J'adore. Mais non, absolument pas. Je suis bien conscient de ce que j'écris. C'est ce que j'aime lire aussi. Par rapport aussi au jungle de mon cœur, il y a ça. Toutefois, je me suis permis un pas de côté en voyant s'il était possible d'écrire un livre plus vieux. plus noir et blanc, plus Napoléon III. Oui, oui, c'est vrai. Oui,

  • Speaker #1

    mais il était très réussi.

  • Speaker #0

    Et ça m'a plu, en effet, de le travailler, de me rendre compte que je pouvais également être cultivé, labouré, la mère de cette part française de moi qui est énorme en Russie. Et moi, je me sens français, et c'est ma langue, et c'est ma culture, et je comprends aussi cet imaginaire. Je comprends tous ces codes et je comprends toutes ces références. Donc j'avais envie également de les mettre sur papier, voir comment ça se passait. Et j'ai pris un plaisir énorme à ça. Mais je dois reconnaître qu'en finissant de publier le livre, je me souviens en avoir parlé avec des amis et leur avoir dit il me manque un peu l'odeur de la mangue

  • Speaker #1

    Ah bah là, elle est revenue. Là,

  • Speaker #0

    elle est revenue. Elle est vraie l'odeur de la mangue.

  • Speaker #1

    Alors, je donne un exemple de scène. délirante qu'il y a dans le rêve du jaguar en 1955 un pêcheur qui trouve un pingouin sur une plage du venezuela oui c'est une histoire vraie et au venezuela il fait 40 degrés à l'ombre à ce moment là il ya un pingouin que fout ce pingouin sur cette plage c'est quand même dingue non on ne sait pas et c'est vrai donc il est devenu ce pingouin est devenu une star au venezuela Mila j'espère en effet que dans le montage qu'on fera vous pourrez mettre

  • Speaker #0

    La photo qui se trouve sur Internet, tu tapes Un pingouino en Maracaibo et tu tombes immédiatement sur la photo qui est célébrissime parce que ça a été dans les journaux. Et le pingouin est aujourd'hui empaillé à l'Institut des sciences naturelles de Maracaibo. C'est quelque chose de très réel. Et il y a, en effet, c'était un 14 juillet en plus, le jour de la Saint-Valentin. Allez savoir, non ? Quelle histoire d'amour était en train de se jouer à ce moment-là. Un pingouin est arrivé sur les côtes de Maracaibo, plus précisément sur la plage de Sinamaika. Et ça a créé... tout un touhu-bouhu qui pendant trois mois... On a parlé que de cette mascotte de la ville. On lui a donné un nom, c'était vraiment Policarpio. Et aujourd'hui, il y a des glaces que tu trouves encore à Maracaibo, qui s'appellent les glaces Polo, où il y a un petit pingouin comme ça qui apparaît. Donc en effet, c'est en référence à ça. Il y a une rue qui s'appelle El Pingüino, qu'on appelle El Pingüino, en effet, Al Salavillo.

  • Speaker #1

    Et ça ne s'est plus jamais produit depuis. C'était ce pingouin de 1955. Il s'est égaré de quelques milliers de kilomètres.

  • Speaker #0

    Alors, oui, c'est... Mais... L'hypothèse qu'on retient le plus, c'est qu'il a dû s'échapper sans doute d'un bateau qui était en train de faire des trafics d'espèces rares ou illégales. Parce que ce n'est pas possible qu'il ait nagé pendant 9000 kilomètres avec tous les dangers possibles. Je ne sais pas combien vit un pingouin, il ne serait pas non plus libre, 120 ans. Le temps d'arriver,

  • Speaker #1

    c'est jusqu'à Maracaibo.

  • Speaker #0

    Il y a des savoirs, mais ça a vraiment existé. Et le pingouin de Maracaibo.

  • Speaker #1

    Tout à l'heure, avant l'émission, on se promenait dans le restaurant La Perouse. Vous avez tombé sur la photographie de Corot, ce grand peintre qui venait ici. Et il est devenu un mot commun, un nom commun au Venezuela ?

  • Speaker #0

    Absolument. À Maracaibo, on utilise le mot coroto pour dire des trucs. Ça peut être n'importe quoi, mais ça peut aller de la petite fourchette jusqu'à la caméra. C'est un coroto, voilà, un mi-coroto. Où sont mes lunettes ? D'où sont mes corotos ? Où est mon truc ? Et ça viendrait en effet qu'il y avait un aristocrate français qui était installé au 18e et début 19e à Maracaibo, qui avait des coraux chez lui, et qu'en 1811, lorsqu'il y a eu l'indépendance latino-américaine avec Simon Bolivar, et que beaucoup d'aristocrates ont dû fuir dans les bateaux qu'on leur a permis pour aller vers l'Europe, eh bien cet aristocrate, en courant, prenait toutes ses affaires et hurlait aux indigènes, Attention avec mes coraux ! Attention avec mes corotos ! Et les indigènes répondaient entre eux Attention avec le coroto ! Et petit à petit, par métonymie, le mot coroto est devenu simplement les trucs en sport.

  • Speaker #1

    Passe-moi mon coroto ! Donne-moi mes corotos ! Pluriel, pluriel, c'est conjugué en vénézuélien.

  • Speaker #0

    Un siècle et demi plus tard, encore aujourd'hui, on utilise coroto et je pense en effet que corot n'avait aucune idée où se trouvait Maracaibo sur la carte et les indigènes n'avaient sans doute jamais vu un corot.

  • Speaker #1

    Nous allons maintenant jouer à un jeu qui s'appelle devine tes citations. Je vais vous dire des phrases de vous tirées de tous vos livres et vous devez me dire dans lequel vous avez écrit cette phrase.

  • Speaker #0

    Ah superbe ! C'est une édition d'imposteur.

  • Speaker #1

    Voilà pour vérifier si vous écrivez vos livres vous-même.

  • Speaker #0

    Ou si c'est Emilie Colombani.

  • Speaker #1

    Oui, votre éditrice du rivage Emilie Colombani qui rédige à votre place. Ou bien si c'est peut-être un, je ne sais pas, un employé vénézuélien exploité.

  • Speaker #0

    Oui, un corotto.

  • Speaker #1

    Voilà c'est ça. Bon alors. Jamais une femme ne mit autant de courage à s'occuper d'un enfant qu'elle n'aimait pas.

  • Speaker #0

    Cette phrase est dans le rêve du Jaguar.

  • Speaker #1

    Dans le rêve du Jaguar, le dernier, 2024. Je commence toujours par une question facile.

  • Speaker #0

    Oui, je vois ça.

  • Speaker #1

    Parce que les invités viennent ici. Oui,

  • Speaker #0

    la question est quelle est la capitale du Kenya, en fait. Comme ça, tu vois.

  • Speaker #1

    Donc, on voit encore d'ailleurs dans cette phrase votre style très classique. Voilà. Une autre phrase. Plus riche. Ses mains sentaient la poudre de riz, le phare à base de cannelle, le vernis, les fossiles, les brillants couleurs grenades, la cire d'épilation et la corruption locale.

  • Speaker #0

    Et un piège. Et ça, c'est dans le Marquis de Sade.

  • Speaker #1

    C'est aussi le rêve du Jaguar, bien sûr. Et c'est vrai qu'on voit la générosité de votre prose dans cette phrase. Bon, alors maintenant, le plus difficile. Quand il parvint... Pardon, est-ce que c'est parvient ou parvint ? Je n'arrive pas à me relire.

  • Speaker #0

    C'est possible que ce soit du passé simple, si vous voulez mon avis. Oui, alors oui. Je me trompe peut-être.

  • Speaker #1

    C'est ça. Alors, quand il parvint à lire une phrase entière sans hésiter et qu'il ressentit l'émotion brutale de la comprendre, il fut envahi par le désir violent de renommer le monde depuis ses débuts.

  • Speaker #0

    Je dirais que c'est le voyage d'Octavio, l'histoire d'un analphabète.

  • Speaker #1

    En 2015, c'était votre premier roman. Oui. Et je trouve que dans cette phrase... Vous donnez votre définition du rôle de la littérature. Renommez le monde depuis ses débuts.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas de moi, en quelque sorte. Je pense que si on lit, par exemple, l'histoire d'un déicide de Vargas Llosa, il a vraiment cette idée que la littérature est un déicide. C'est-à-dire qu'il faut tuer un dieu pour en faire un nouveau. En quelque sorte, il faut tuer les repères de la réalité. et en faire un nouveau avec les nouveaux codes de la fiction. Mais qu'il y ait toujours cette idée de rompre quelque chose pour faire quelque chose de nouveau. Et Balzac le dit aussi, la littérature n'est pas là pour copier la réalité, elle est là pour l'exprimer. Encore une fois, c'est une forme d'homicide de la réalité pour en faire une nouvelle chose.

  • Speaker #1

    C'est un puzzle et vous, vous reconstituez votre puzzle à vous.

  • Speaker #0

    L'idée du puzzle me plaît beaucoup. Et je crois beaucoup que l'écriture est une affaire de puzzle. C'est très juste.

  • Speaker #1

    Quand même, vous aimez le roman picaresque. Vous n'êtes pas un écrivain expérimental influencé par Alain Robbe-Grillet. Vous voyez, vous êtes quand même un descendant de Cervantes. Bien sûr. De Don Quichotte. D'où vos livres sont un peu des remakes de Don Quichotte.

  • Speaker #0

    En quelque sorte, oui, peut-être en effet. Mais il y a aussi, on pourrait aussi imaginer qu'il y a du Rabelais ou il y a du Chrétien de Troyes, en fait. Mais comme c'est plus ou moins la même époque, que ce soit en France ou en Espagne, il y avait des porosités entre les deux. Et j'ai beaucoup travaillé sur Claude Simon. par exemple, puisque vous parliez du nouveau roman avec Rob Grier. J'ai beaucoup travaillé sur Clotimon ou sur Nathalie Sarraute. Je me suis intéressé au nouveau roman que je trouve extraordinaire dans sa forme fracturée. J'ai passé un an à étudier aussi le surréalisme et le dadaïsme. Et alors, bien sûr, qu'il y a presque 50 ans d'écart entre les deux. Et toutefois, c'est le même mouvement iconoclaste sur la littérature.

  • Speaker #1

    Vous n'apprenez pas à cette fois. Peut-être plus tard. Peut-être un jour. Peut-être un jour, vous serez complètement hermétique.

  • Speaker #0

    Mais pour l'instant,

  • Speaker #1

    il y a quand même des personnages, des histoires, une narration. Tout à fait. Ce que je voulais dire,

  • Speaker #0

    c'est que j'ai beaucoup d'admiration pour, par exemple, Le jardin des plantes de Claude Simon, qui est vraiment un chef-d'oeuvre absolu. Mais qu'aujourd'hui, je n'ai pas du tout le talent pour pouvoir écrire quelque chose comme ça, pour pouvoir faire un texte qui soit autant fragmenté et qui toutefois ait une trame.

  • Speaker #1

    Très malin, parce que comme ça, vous ne vous fâchez pas avec la goutte. C'est important quand on est sur les listes des prix. Donc, clair un petit peu aussi à des gens qui sont un peu plus avant-garde. Continuons le jeu. Donc, devinez cette citation. Où avez-vous écrit ceci ? Je cache parce que je vois bien que vous êtes un richeur. Lorsque les indigènes mâchaient l'Ibadou, ils parvenaient à monter dans les airs jusqu'à atteindre 4 mètres du sol.

  • Speaker #0

    Mais là, moi, je dirais comme ça, dans mon illustre ignorance, que c'est tiré de jungle.

  • Speaker #1

    Héritage. Ah bah oui,

  • Speaker #0

    bien sûr, bien sûr, le grand classique.

  • Speaker #1

    Alors qu'est-ce que c'est que l'hibadou ? Est-ce que vous avez déjà essayé l'hibadou ? Parce qu'apparemment, ça fait voler à 4 mètres du sol, ça m'intéresse.

  • Speaker #0

    C'est une sorte d'ayahuasca, en quelque sorte. Non mais,

  • Speaker #1

    on ne peut pas avoir un invité franco-vénézuélien sans lui poser la question.

  • Speaker #0

    De l'hibadou.

  • Speaker #1

    Vous avez tenté ce genre d'expérience ?

  • Speaker #0

    Alors, ma mère regarde cette émission.

  • Speaker #1

    Mais non, ah oui, il y a eu... c'est presque normal là-bas d'essayer les plantes psychélégiques.

  • Speaker #0

    Je me souviens en effet qu'on m'avait parlé de l'Ibadou, et c'est là où c'est beau, parce que ça revient à ce que vous disiez tout à l'heure, que dans mes livres, il y a une même langue, et qu'ensuite c'est segmenté en bouquins, mais c'est une même langue. C'est un peu comme une sorte de même texte qui est segmenté comme ça. Et l'Ibadou, on m'en avait parlé lorsque j'avais fait une très belle expédition pour descendre en rappel la plus haute cascade du monde, que j'ai racontée dans le livre Jungle, qui est un récit de voyage. où j'ai passé trois semaines avec des indigènes Pemones dans la grande savane, dans les Auyantepuy, qui sont des formations tabulaires au cœur de l'Amazonie. Et là-bas, c'est un des indigènes qui m'avait parlé de ce Ibadu, qui semblerait que c'est une sorte de tubercule que tu râpes et qui peut en effet te provoquer des trucs psychédéliques, tout simplement. Donc, tu ne voles pas. Des voyages intérieurs. Exactement, ce sont des errances intérieures.

  • Speaker #1

    Et là, dans la jungle, ils ne vous ont pas initié.

  • Speaker #0

    Bien entendu, j'aurais l'élégance de ne pas en parler ce soir.

  • Speaker #1

    On reste dans le domaine du... ça veut dire le romanesque.

  • Speaker #0

    Parlons de l'équité, parlons de... Oui, bien sûr, bien sûr.

  • Speaker #1

    Autre phrase. Le jour se leva sur un navire naufragé planté sur la cime des arbres au milieu d'une forêt.

  • Speaker #0

    Sucre Noir. Bien sûr,

  • Speaker #1

    c'est la première phrase qui est démente de Sucre Noir 2017, avec cette image du bateau en haut des arbres, en milieu de la jungle. C'est l'Arche de Noé.

  • Speaker #0

    C'est absolument l'Arche de Noé. Qui est une image que j'ai empruntée pour vous montrer que je n'ai rien inventé et que je ne fais que composer avec les choses qui sont autour de moi. Je ne suis qu'une éponge de mer, encore une fois. C'est une image qui est empruntée au Fitzcarraldo de Werner Herzog. Vous me soutenez en effet. Ce fou Fitzcarraldo fait passer à un moment, demande à 150 indigènes de tirer à la main son bateau pour le faire traverser une montagne parce que c'est trop long de faire le tour. Et le bateau reste à un moment, et tu as cette espèce d'image fabuleuse. ce gigantesque bateau sur les arbres et je m'étais dit mais comment c'est un livre avec une image comme ça mais

  • Speaker #1

    Bravo pour tout ça j'avais écrit ici que vous Vous entraînez un retour au roman et j'avais marqué Fuck l'avant-garde Mais juste avant, vous avez défendu l'avant-garde de manière très à droite. Donc je ne vais pas vous entraîner sur ce terrain.

  • Speaker #0

    Non, on se doit couper au montage.

  • Speaker #1

    Et enfin, une dernière phrase, alors il faut me l'expliquer. Dites-moi où vous avez dit ça, puis après vous m'expliquerez. Les romans sont une île entourée de terre.

  • Speaker #0

    Eh bien, ça, c'est écrit dans Le rêve du Jaguar, également.

  • Speaker #1

    Oui, le dernier, oui. Absolument. Alors, expliquez-moi, c'est un peu comme une interro au bac français à l'oral. Les romans sont une île entourée de terre. Vous avez une minute.

  • Speaker #0

    Je pense que ce que je voulais développer dans cette idée était ce qu'on parlait tout à l'heure, de que lire peut aussi être rester. Et que j'ai ressenti énormément d'apaisement. dans la compagnie des livres, avec des frères invisibles, des sœurs invisibles, à un moment où moi je voyageais énormément. Et j'avais peut-être l'impression d'être moi-même égaré dans une sorte de mer de différents noms de capitales et de cultures, d'idiosyncrasies différentes. Et j'étais comme dans une sorte d'île seule. Mais heureusement que les romans étaient là pour ne pas entourer cette île d'eau, mais l'entourer de terre où je puisse marcher pour aller à la rencontre. Tu vois, mais menée à la glaise des hommes et des femmes.

  • Speaker #1

    Quelle est la liste des pays où vous avez vécu ? Donc, il y a France, Portugal,

  • Speaker #0

    Italie... Oui, très longtemps à Lisbonne, oui, bien sûr, à Rome, oui.

  • Speaker #1

    Argentine ?

  • Speaker #0

    A Buenos Aires, et également dans une ville qui s'appelle Dresistencia, dans le nord de l'Argentine, dans la province de Chateau.

  • Speaker #1

    Venezuela, donc ?

  • Speaker #0

    Venezuela, naturellement. Qu'est-ce que j'oublie ? Caracas. Non, bon, mon père est chilien, donc, fatalement, j'ai un lien avec Santiago, qui est quand même très puissant, très fort. Et j'ai vécu un an à Berlin, là en effet, avec ma famille, avec la petite, avec les deux filles, enfin madame était enceinte. Oui,

  • Speaker #1

    alors ça c'est une question, pardon, moi aussi j'ai des petits-enfants. Comment on fait pour écrire autant, pour être un conteur comme vous, tout en ayant une famille, non pas à nourrir, mais à éduquer ? Vous êtes un bon père de famille, il faut s'organiser d'une façon... très disciplinés.

  • Speaker #0

    C'est pour ça que je vous disais tout à l'heure, moi je suis un moine, je suis très militaire dans la façon...

  • Speaker #1

    Vous les mettez à l'école et après ça doit pondre là, il faut sortir 4 pages.

  • Speaker #0

    Exactement. J'arrive en effet sur ma table de travail de la salle à manger et je n'ai pas de bureau, je pousse les tétines et les bédots. C'est vraiment ça, c'est avec le bras, comme ça. Et je sors l'ordi et je me mets à travailler. Mais là,

  • Speaker #1

    il faut que ça sorte,

  • Speaker #0

    là. Ben oui, je n'ai pas le choix. Parce qu'à 16h30,

  • Speaker #1

    il faut aller les chercher à l'école. C'est moi qui vais les chercher. Et là, c'est terminé. Garcia Marquez, adios.

  • Speaker #0

    Garcia Marquez, lui aussi, avait des enfants petits quand il a écrit Cent ans de solitude Et lui, il expliquait que la veille, il travaillait. Il travaillait. Le matin, il écrivait. Et dans l'après-midi, il préparait. La matinée suivante, donc il faisait les lectures nécessaires, il récoltait le champ lexical nécessaire pour une scène par exemple de la bataille des thermopiles. Bon, il y a un champ lexical, il y a une terminologie, il y a un lexique qui est particulier, en effet, donc il le récoltait. Il essayait de voir dans son enchaînement narratif quelles étaient les scènes, quels étaient les personnages qu'il devait décrire et toutes ces choses. Et il s'occupait des enfants. Et le lendemain, lorsqu'ils étaient à l'école, il reprenait tout ce qu'il avait travaillé. Et pendant la matinée, il écrivait. et dans l'après-midi il retravaillait ce qu'il allait bosser le lendemain et moi j'ai bossé que ça fait dix ans que je travaille comme ça une façon très méthodique d'un côté bien sûr que je peux avoir l'air d'un être comme ça exubérant dans le débordement plein d'amitié et j'aime beaucoup ça et c'est très sincère mais

  • Speaker #1

    vous n'imaginez pas qu'elle faisait combien en fait vous êtes dans le vivet vous êtes un homme est très chiant non mais interminable on appelle le sable

  • Speaker #0

    à la maison.

  • Speaker #1

    Dernière question, et vraiment merci beaucoup pour votre générosité, pour vos livres et pour votre présence ici. Quand écrirez-vous un livre sur la France ? Il y a eu Augustin Mouchot, mais sur la France en espagnol.

  • Speaker #0

    Ah oui, c'est beau ça.

  • Speaker #1

    Un livre en espagnol.

  • Speaker #0

    Un livre que j'appellerais L'homme qui était la France Donc ce sera un livre consacré à Frédéric Becquerel. Sur moi. Absolument. L'homme qui était la France Tout de suite, beaucoup mieux. Oui, c'est bon, c'est très bien. et allez savoir en effet quand est-ce que ça va se faire je sais que tôt ou tard j'écrirai en espagnol car c'est ma langue maternelle et ce sera sans doute amusant de voir la traduction en français de me relire en français et de me rendre compte que sans doute je n'aurais jamais écrit le livre en français de cette façon est-ce que vous relisez les traductions espagnoles de vos livres ? oui absolument c'est pas vous qui traduisez vous-même j'ai beaucoup trop de respect envers les traducteurs pour être en train de prendre leur travail en quelque sorte. Et lorsque je reçois les traductions en espagnol de mes livres, je me surprends à découvrir des mots que je ne connaissais pas, des tournures de phrases que je n'aurais jamais utilisées et des dialogues que je n'aurais pas du tout fait de cette façon. Et je redécouvre mon propre livre si bien que je continue à le lire jusqu'à la fin pour savoir qu'est-ce qui se passe à la fin parce que je suis tellement étonné par le... Et c'est un nouvel homme. Donc, je serais curieux de voir comment j'écrirais directement en espagnol, qui sera sans doute très différent de mes livres traduits depuis le français.

  • Speaker #1

    Mais écoutez, en tout cas, continuez comme ça. Et surtout, je vous dis, je ne sais pas quoi vous souhaitez. Vous êtes sur toutes les listes des prix. La semaine prochaine, les prix seront décernés. Dites-moi un mot en espagnol. Comment on dit merde en espagnol ?

  • Speaker #0

    Inch'Allah.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup.

Chapters

  • Introduction à "La vie des spectres" de Patrice Jean

    00:00

  • Rencontre avec Miguel Bonnefoy et son parcours littéraire

    01:03

  • Les influences et le style de Bonnefoy

    02:42

  • L'importance de la littérature comme point de repère

    04:20

  • L'histoire de la famille de Bonnefoy et son grand-père

    05:48

  • Analyse de "Le Rêve du Jaguar" et de ses thèmes

    08:00

  • La création littéraire et le processus d'écriture

    09:48

  • Références littéraires et inspirations de Bonnefoy

    10:59

  • L'impact du pétrole sur le Venezuela

    16:44

  • Réflexions sur l'avenir du Venezuela

    23:08

  • L'héritage familial et les récits de résistance

    25:12

  • Jeu des citations et réflexions sur l'écriture

    40:54

  • Conclusion et remerciements

    53:15

Description

Phénomène assez rare, Miguel Bonnefoy est aussi brillant à l'oral qu'à l'écrit. Le récent lauréat du Grand Prix du Roman de l'Académie française n'a bu aucun alcool ni consommé de drogue durant l'enregistrement de cette conversation. Il est naturellement comme ça. Nous précisons que cet entretien a été enregistré peu avant sa consécration académique.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Avec La vie des spectres, Patrice Jean s'inscrit dans le sillage des grands romanciers du XIXe siècle. Jean Dulac est journaliste. Un jour, un de ses articles fait polémique, sa femme et son fils se dressent contre lui. Il quitte alors le domicile familial pour s'installer dans un pavillon abandonné. À travers la chute de cet homme, Patrice Jean dresse le portrait incroyablement juste de notre époque qui place la vertu avant la vérité dans un roman audacieux. La vie des spectres, de Patrice Jean, aux éditions du Cherche-Midi.

  • Speaker #1

    Et c'est aujourd'hui un grand jour puisque j'ai l'honneur de recevoir Miguel Bonnefoy, lauréat du Grand Prix du Roman de l'Académie française 2024 pour Le Rêve du Jaguar aux éditions Rivages. Conversations Lapérouse a le bonheur de recevoir Miguel Bonnefoy ce soir pour son... Combientième roman ?

  • Speaker #2

    Alors il semblerait que c'est le cinquième mais c'est sans doute faux.

  • Speaker #1

    Il y a d'autres manuscrits peut-être cachés ou qui ont été publiés dans des maisons d'édition qui ont fait faillite.

  • Speaker #2

    Exactement, et puis on a tous des romans avortés. Mais je me souviens avoir publié un premier livre dans une toute petite maison d'édition avec Brice Rocton et le livre s'était si mal vendu que quand je lui avais posé la question pourquoi le livre se vend si mal il m'avait répondu ton livre est sacré personne n'y touche c'est beau c'est beau c'est une manière très courtoise manière de dire ce n'est pas encore on refera pas un autre ensemble en tout cas en moins de dix ans miguel et

  • Speaker #1

    donc cinq romans vous vous êtes imposé comme un romancier important central dans cette rentrée littéraire vous êtes sur toutes les listes de prix et Et c'est un... Voilà, comment avez-vous fait en dix ans ?

  • Speaker #2

    Ce n'est pas un succès, c'est un grand malentendu.

  • Speaker #1

    Pas du tout. "Le voyage d'Octavio" en 2015, "Héritage" en 2020, "L'Inventeur" en 2022, et maintenant "Le rêve du Jaguar" en 2024. Voilà, vous avez imposé un style qui est baroque, qui est riche, qui est très dense. Et c'est vrai qu'on en avait peut-être... On avait oublié. que la langue française était capable de produire ce genre de vertige.

  • Speaker #2

    Eh bien, merci beaucoup. Et pourtant, il y a eu beaucoup d'écrivains étrangers qui ont choisi le français comme langue d'écriture. Je pense à Beckett, je pense à Nabokov, je pense à Romain Garry, je pense à Poitier-Senglou, je pense à Koundé,

  • Speaker #1

    Hector Bianciotti, pour aller chercher dans l'Amérique latine.

  • Speaker #2

    Bianciotti, bien sûr, Bianciotti. Et également, je pense qu'on retrouve... aussi dans le mouvement de ce qu'on appelait la négritude, avec Léopold Sédar Sangor, avec Damas, avec Diop, avec Koukouma, avec Aimé Césaire, bien entendu. C'est une espèce de goût aussi d'exhumer de l'oubli certains mots qui sont tombés en désuétude, d'aller chercher également à dépoussiérer un peu la langue française et voir s'il est possible de la mélanger avec une langue...

  • Speaker #1

    Je vous interromps, pardon, il y a la police qui arrive pour vous demander vos papiers. J'ai entendu là des sirènes, je m'inquiète pour vous. Mais effectivement, bien sûr, vous perpétuez magnifiquement cette tradition. Mais en réalité, vous n'êtes pas vraiment un écrivain vénézuélien, vous êtes un écrivain français puisque vous avez grandi en France.

  • Speaker #2

    Tout à fait. Alors je suis né à Paris d'un père chilien exilé politique et d'une mère vénézuélienne qui était diplomate. Et ensuite... Comme tous les fils de diplomates, j'ai changé tous les trois ans de frontière en frontière.

  • Speaker #1

    Comme Amélie Nothomb. On a reçu Amélie Nothomb il y a quelques semaines. Tout à fait. Vous avez la même enfance.

  • Speaker #2

    Exactement. C'est une enfance qui est habituellement très désordonnée, dans laquelle on ne fait que voyager, que voyager. Et lorsque Victor Hugo disait lire, c'est voyager. Mais pour des gens du voyage, lire, c'est aussi rester. Parce que les livres, eux, ne changent pas. Donc,

  • Speaker #1

    c'était votre repère alors que vous perdiez tous vos repères. Exactement. La littérature, c'était votre point fixe.

  • Speaker #2

    Des points fixes, des colonnes, des mâts en fait, où j'étais attaché comme Ulysse pour ne pas justement me laisser tenter par les sirènes de l'ailleurs. et les certaines pages qui m'avaient bouleversées, certains sonnets qui m'avaient bouleversés, les premières pages du livre de ma mère d'Albert Cohen ou les dernières pages du Terre des Hommes de Saint-Exupéry avec son célèbre Mozart assassiné, elles ne bougeaient pas. Si j'étais à Buenos Aires, si j'étais à Caracas, si j'étais à Tokyo ou si j'étais à Moscou. Donc il y a quelque chose d'assez beau aussi de se dire qu'il y a quelque chose d'immuable et d'immobile dans la littérature et lire c'est aussi... rester.

  • Speaker #1

    Oui mais pas seulement lire parce que regardez, Nothomb et vous avec cette enfance là, ça vous a rendu écrivain. Oui. Parce qu'à un moment vous perdiez vos amis tous les deux ans j'imagine, vous n'alliez pas, vos copains vous deviez les abandonner. Oui. Donc on se concentre plutôt peut-être sur une feuille de papier.

  • Speaker #2

    C'est exactement ça, il y a les amis bien entendu qu'on perd et avec cruauté, déracinés d'un lieu et replantés dans un autre mais ce qu'on perd surtout ce sont des repères en fait de l'enfance. C'est des langues, c'est des cultures, c'est l'épaisseur de l'air à laquelle on s'était déjà habitués. C'est le parfum de la goyave qui était le tien ici, ou celui du reblochon en France. Ce n'est pas tout à fait pareil. Après ça dépend, ça dépend des goûts.

  • Speaker #1

    Ça dépend des goûts. C'est étonnant parce que votre livre commence par cette exergue. Au nord, il y a la raison qui étudie la pluie, qui déchiffre les éclairs. Au sud, il y a la danse qui engendre la pluie, qui invente les éclairs. C'est une phrase d'un auteur que je ne connais pas, William Ospina.

  • Speaker #2

    Immense William Ospina, écrivain colombien qui a écrit un très beau livre qui je pense vous plairait énormément qui s'appelle El País de la Canela, Le Pays de la Canelle, dans lequel il raconte l'histoire de Pizarro qui cherche une forêt où il n'y aurait que de la canel pour pouvoir la ramener dans la couronne espagnole. Et donc il fait toutes les exactions qu'on imagine.

  • Speaker #1

    Pour pouvoir ensuite saupoudrer de la canelle sur son petit yaourt,

  • Speaker #2

    sur son petit café, enfin sur son petit flocon d'avoine, enfin tu vois.

  • Speaker #1

    Mais sérieusement, cette citation en exergue, elle dit quelque chose sur votre vie d'homme coupé en deux entre la raison très française et la danse qui est très latino-américaine.

  • Speaker #2

    La danse, la magie, le genre naturel, ce je-ne-sais-quoi d'extravagant et de tropical qu'on trouve beaucoup en Amérique latine. pas dans toute l'Amérique latine, surtout dans les Caraïbes, parce que dès qu'on commence à descendre un peu, tantôt au Chili, tantôt en Argentine, tantôt en Uruguay, on perd déjà cette espèce de magie, un peu comme ça, mystérieuse.

  • Speaker #1

    Irrationnelle.

  • Speaker #2

    Voilà, exact. Baroque et rococo. Mais c'est une magie qu'on trouve également dans des pays slaves. Moi, j'étais il n'y a pas longtemps à Bucarest, on en parlait, et il y a quelque chose de complètement fou qui gît. On le voit dans les films de Kusturica, par exemple. Les ruches ont aussi cette folie-là.

  • Speaker #1

    En Roumanie, ça s'appelle des vampires, pas des magiciens. Ça s'appelle des vampires.

  • Speaker #2

    Il y a les chamanes et il y a les vampires.

  • Speaker #1

    Il faut faire attention quand même. La première phrase est fantastique de votre livre. Et c'est aussi la dernière phrase. Et donc, je vais vous demander, comme je le fais maintenant régulièrement, de lire la dernière phrase du livre ici, à partir de Christobal. Merci beaucoup.

  • Speaker #2

    Comme c'est la première, c'est facile, non ? Ça permet de faire un système cyclique. Oui,

  • Speaker #1

    mais ce n'est pas fréquent, en fait, que quelqu'un commence et finisse par la même phrase. Ça veut dire que vous y tenez à cette phrase.

  • Speaker #2

    Oui, voilà, j'ai la faiblesse de tenir à cette phrase. Tout ceci, bien sûr, a été froidement calculé entre nous. Beaucoup de boulot.

  • Speaker #1

    Il y a beaucoup de travail préalable.

  • Speaker #2

    Absolument. "Cristóbal prit un stylo et se mit à écrire. Il fallait remonter jusqu'à cette matinée où, au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero fut abandonné sur les marches d'une église dans une rue qui aujourd'hui porte son nom".

  • Speaker #1

    Voilà. Alors, je vais la relire moi. Je vais lire la première phrase. En moins bien. "Au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero... fut abandonné sur les marches d'une église dans une rue qui porte aujourd'hui son nom. Qui aujourd'hui porte son nom". Pardonnez-moi. Non, non,

  • Speaker #2

    non, il y a de tout dans la vie du Seigneur, enfin, mais il y a les vrais écrivains, il y a ceux qui... Oui,

  • Speaker #1

    oui, il y a les amateurs. Qui aujourd'hui portent son nom. Donc, c'est un incipit assez... Enfin, très, très romanesque. Et l'idée qu'il y a un garçon qui a été abandonné sur les marches d'une église dans une rue qui porte aujourd'hui son nom, on a... Comment dire ? Vous avez du souffle. Oui. Et ça, c'est quelque chose qui s'était raréfié, le souffle. Ça fait penser au début du Conte de Montecristo de Dumas. Je vous dis la phrase. "Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le Trois-Mas, le Pharaon, venant de Smyrne, Trieste et Naples". C'est un souffle qui... C'est une ambition, en fait, de dire, voilà, pour moi, un roman, c'est un conte. On doit y aller. Et là, il y a un bébé... sur les marches d'une église. On va essayer de comprendre comment on part d'orphelin abandonné à trois jours vers... le type qui va donner son nom à la rue. Et tout le livre est contenu dans cette première et cette dernière phrase.

  • Speaker #2

    Oui, dans le ventre phonétique de la première phrase, il y a déjà tout le livre qui est en gestation.

  • Speaker #1

    C'est une densité. C'est ça. D'où vient cette envie de classicisme et de redonner au roman ces lettres de noblesse et de croire en une histoire comme ça ?

  • Speaker #2

    En effet, je m'étais mis comme contrainte oulipienne, en quelque sorte, de... écrire une histoire par phrase dans ce livre. Que tu puisses ouvrir le livre en dégustation à l'aveugle, comme on dit dans le monde du vœu. Ah,

  • Speaker #1

    alors pas chégalé.

  • Speaker #2

    On va voir si t'as marre. Typiquement, on tombera sur la mauvaise phrase.

  • Speaker #1

    Un 27 septembre, ils obtinrent leur diplôme de médecine avec mention summa cum laude lors d'une soirée magnifique au Paraninfo de l'Université centrale du Venezuela. Oui, c'est vrai, c'est un roman. Chaque phrase est un roman.

  • Speaker #2

    En quelque sorte.

  • Speaker #1

    C'est dingue.

  • Speaker #2

    Et moi, je portais cette histoire dans la barrique de mon cœur depuis l'enfance, puisque c'est l'histoire de mes grands-parents, de mon grand-père, de ma grand-mère. Et ça macérait, ça distillait petit à petit. Je ne savais pas précisément comment l'écrire, bien qu'encore une fois, j'étais vraiment le porté dans le ventre. Et cette première phrase m'est venue une nuit. Et alors, ça semble un peu romantique comme idée. J'ai horreur des romantismes littéraires. Toutefois, je dois reconnaître qu'à la façon presque borgésienne... que lui parle des dons de la nuit, comment la nuit peut apporter des cadeaux. J'écoutais il y a deux jours une très belle conférence de Carlos Fuentes, l'écrivain mexicain des Cinq Soleils du Mexique, qui disait, dans les dix recommandations qu'il donne à de jeunes écrivains pour écrire, la première n'est pas la discipline, n'est pas la méthode, n'est pas l'inspiration, n'est pas le travail, il commence en disant d'abord le rêve. Vous imaginez la veille... Le travail que vous allez effectuer le lendemain, vous organisez avec une architecture narrative, avec un squelette romanesque, avec une grille de lecture, etc. Et puis le lendemain, vous écrivez autre chose. Pourquoi ? Parce qu'entre les deux, vous avez dormi et vous avez rêvé. Et les dons de la nuit, ces cadeaux des rêves, vous apportent des choses. Et cette première phrase, figure-toi, elle est apparue une nuit, comme une sorte de don des rêves. Et j'irai même plus loin, pour ne pas prendre que des références latino-américaines, et également des références françaises.

  • Speaker #1

    Je me dis que c'est Alexandre Dumas.

  • Speaker #2

    Voilà, Dumas en effet. Et même Paul Valéry, qui dans ses mauvaises pensées, a cette très belle phrase dans laquelle il dit Les dieux vous donnent gracieusement un premier verre, mais c'est à vous de façonner le deuxième qui doit consonner avec l'autre et ne pas être indigne de son aîné surnaturel.

  • Speaker #1

    Oui, mais c'est juste parce que justement, cette première phrase place le roman à un certain niveau. Et ce qui est formidable dans votre pari, moi je vous... continue de te vouvoyer pour... On n'est pas l'air d'être amis. Non, naturellement. Tu places, vous placez le livre à un niveau et gardez cette note tout le temps jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'on relise la même phrase à la fin. Parlons maintenant de cet Antonio. Antonio, c'est votre grand-père. Il a vraiment été abandonné à l'âge de 3 jours sur les marges d'une église.

  • Speaker #2

    Dans la réalité ? Dans la réalité, sa mère est morte en couche. Et son père, Elias Borja Romero, qui a réellement existé, était un marin qui faisait avec son petit bateau les arrêts autour du lac de Maracaibo, l'a placé au soin de cette muette Thérèse, de cette muda Teresa, qui était, il semblerait, la tante d'une cousine, d'une sœur, d'une belle-sœur, de je ne sais pas quoi, et qui était une femme qui vivait dans la misère complète. Donc il n'a pas vraiment été déposé sur la marche de l'Église. mais il a été confié dans la première semaine à cette dame-là. Et puis lui a disparu, le père, Elie Haouar Haramel, a disparu pendant 12 ans. Et il n'est revenu qu'au Majestic, dans ce bordel, dans cette maison closée. Moi, ce que j'ai fait, c'est transformer en symbole, transformer en signe, transformer en allégorie, pour créer une prolepse, pour annoncer quelque chose à venir et en quelque sorte saisir le lecteur.

  • Speaker #1

    Et on est saisi, et ça marche très bien. Bon, alors, c'est l'histoire d'amour entre votre grand-père et votre grand-mère, Antonio, donc, et Anna Maria. Et tous les deux vont devenir médecins, mais de très grands médecins, au point d'ouvrir une faculté de médecine. Oui. Où ça ?

  • Speaker #2

    Alors, ils ont... Fonder la première université de l'État de Souliens, qui est un des États les plus importants du Venezuela, à Maracaibo, qui est la deuxième ville après Caracas au Venezuela. Et dans cette université, il y avait autour de 22 facultés, tantôt de médecine, tantôt d'ingénierie, tantôt d'architecture. Enfin, c'était une vraie université. Cette université porte le nom de mon grand-père aujourd'hui, l'université Antonio Borja Romero. Il y a un buste de lui à l'entrée. Et toute la rue et tout le quartier portent le nom également. Donc, ça a donné comme ça une sorte d'aura. Et ce qui est assez...

  • Speaker #1

    Je regrette d'ailleurs d'avoir été familier avec vous, parce que maintenant, j'ai un peu plus de respect. Je sais qu'il y a un buste. Je vous demande pardon d'avoir été taquin. Oui,

  • Speaker #2

    il y a même un bus qui mène à l'université. Et donc, le bus finit dans le quartier Antonio Borja Romero. Et donc, souvent, il y a sur le bus écrit le nom de mon grand-père. C'est un peu la blague que m'envoie ma cousine régulièrement par WhatsApp.

  • Speaker #1

    Oui, c'est embêtant parce que vous vous appelez Bonnefoy. Alors, du coup, vous ne pouvez pas crâner. Vous êtes à Maracaibo en disant, regarde... Absolument.

  • Speaker #2

    Toutefois, je peux crâner en marchant à Paris, car il y a eu un Yves Bonnefoy.

  • Speaker #1

    Eh oui,

  • Speaker #2

    finalement, je gagne des deux côtés.

  • Speaker #1

    Il n'est pas de votre famille ?

  • Speaker #2

    Non, figurez-vous. On n'a rien à voir avec Saint-Pierre-des-Cors ni avec Tours.

  • Speaker #1

    Mais, donc, du coup, je suis perdu. C'est cette espèce de souffle romanesque, je voulais dire, qui est maintenue dans le livre. Alors vous rappelez que Venezuela veut dire petite Venise, Veneziola, et c'est un peu comme la Nouvelle-Angleterre,

  • Speaker #2

    ou la Nouvelle-Orléans,

  • Speaker #1

    New Amsterdam, mais vous ajoutez tout de suite, on imaginait plus une nation, avant les nations, des hommes déguisés en aigles, des enfants qui parlaient avec les morts, et des femmes qui se transformaient en salamandres. C'est constamment un va-et-vient. entre la colonisation, l'arrivée des Espagnols et puis l'industrie pétrolière, parce que le lac de Maracaibo est un regorge de pétrole et donc est devenu un gisement. Et en même temps, il y a toujours cette espèce de magie, comme vous dites, que vous saupoudrez partout dans chaque phrase. Comment on fait ça ? Vous avez un secret ?

  • Speaker #2

    Alors non. Il y a beaucoup d'instincts, il y a bien sûr beaucoup d'intuition, il y a énormément de travail, beaucoup de discipline, beaucoup de lecture, beaucoup de livres qui m'ont accompagné et qui m'ont aidé en effet à donner de la chair, à donner du relief, à donner de l'épaisseur aux phrases. Je suis convaincu que la littérature est, comme on dit en botanique, épiphyte. Il me semble que les épiphytes sont les plantes qui poussent sur d'autres plantes, sont les fleurs qui poussent sur d'autres fleurs. Eh bien, les livres poussent sur d'autres livres. Les livres prennent racine sur une matière préexistante. Et il y a en effet, tantôt on parlait de William Urpina par exemple, qui m'a beaucoup inspiré pour ce livre, il y a bien sûr, je pensais à Michel Tournier, je pense à Ivo Andrick, l'écrivain serbo-croate, prix Nobel de littérature, qui avait écrit Le pont sur la Drina. Et ce sont ces livres qui ont été des livres diapasons. Et

  • Speaker #1

    Garcia Marquez ? Alors bien sûr,

  • Speaker #2

    il y a bien sûr du Garcia Marquez, bien entendu.

  • Speaker #1

    Votre Macondo, le sortant de solitude, c'est...

  • Speaker #2

    Le Malacay, ou en quelque sorte du Venezuela. Mais il ne faut pas oublier que... Garcia Marquez, à son tour, était un grand lecteur de Faulkner. Lui était un grand lecteur de Kafka.

  • Speaker #1

    Non,

  • Speaker #2

    mais bien sûr. C'est toujours la même histoire.

  • Speaker #1

    Il n'y a pas de littérature ex nihilo.

  • Speaker #2

    Exactement. On est tous la conséquence de quelqu'un.

  • Speaker #1

    Et je me disais, puisque vous êtes également un romancier français, que vous écrivez dans cette langue, si vous deviez choisir un roman de Flaubert, ce serait probablement plus Salambo que Madame Bovary.

  • Speaker #2

    Alors figurez-vous que si je devais vraiment choisir un Flaubert, ce ne serait pas un roman. Je pense à mes yeux, humblement, que là où Flaubert a été le plus grand est dans le conte de Saint Julien de l'Hospitalier.

  • Speaker #1

    Ah oui, d'accord.

  • Speaker #2

    Qui me semble un sommet de la réalité particulière. Dans les trois contes.

  • Speaker #1

    Je pensais que vous alliez répondre à la correspondance.

  • Speaker #2

    La correspondance ?

  • Speaker #1

    Parce que les lettres sont...

  • Speaker #2

    Les lettres sont délicieuses, bien sûr. Bien sûr qu'elles sont délicieuses. Et il se trouve qu'il n'y a pas longtemps, justement, j'étais en train de les relire, parce que j'étais en train de relire deux types de correspondances. Celle de Flaubert de son côté avec énormément d'amis. celle de Anna de Noailles avec Proust. D'ailleurs, il nomme la Pérouse. Oui, bien sûr. C'est étonnant de voir comment il y a des styles assez différents. Parce que Proust, dans sa correspondance, est toujours aussi précieux, fait toujours aussi attention à la phrase, prend le temps, en effet, de ne jamais aller dans un petit pas de côté, ne pas être dans des aspérités, dans des facilités. Alors que Flaubert peut écrire parfois un peu plus vite ses lettres. Et il y a des lettres qui ont parfois peu de poésie, qui sont assez factuelles. Et une autre chose que j'aimerais commenter par rapport à Flaubert, et je pourrais faire le lien avec le livre si on a un peu de temps, c'est toujours délicieux de parler de littérature en général.

  • Speaker #1

    On est la seule émission qui a du temps.

  • Speaker #2

    Eh bien, il se trouve que si on revient aux trois contes, dans un cœur simple, lorsque Flaubert parle de félicité qui est cette gouvernante, il a passé 15 ans à écrire un cœur simple. Il a fait une description de félicité de 20 pages qui était son premier manuscrit. Puis, au bout d'un an, il l'a réduit à 17. Puis, un an plus tard, il l'a réduit à 15. Puis après, à 13. Puis après, à 10. En fait, c'est des années et des années à réduire, réduire, réduire, avec cette belle idée pascalienne de... Excusez-moi si ma lettre a été un peu longue, si j'avais eu plus de temps, ma lettre aurait été plus courte. Cette idée de réduire, réduire, réduire. Et aujourd'hui, lorsque l'on lit un cœur simple et on lit la description de Félicité, ça tient en une phrase, mais une phrase qui condense, qui rassemble dans une sorte de molécule fondamentale tout ce qu'il a voulu mettre. Et cette phrase, c'est Elle avait eu, elle aussi, son histoire d'amour Et tout est là en fait dans ce personnage qui a eu un passé autrefois, qui est maintenant court bléchine face à de vieux chagrins, à un cœur qui est plein de blessures secrètes, mais qui est toujours dans la servabilité, ce demi-siècle de servitude qu'on retrouve beaucoup.

  • Speaker #1

    Alors vous n'êtes pas encore arrivé à cette assaise, parce que c'est justement, vous c'est plutôt luxuriant, c'est la profusion. Par exemple, dans le livre, il y a des langoustes qui mangent le maïs, parce qu'il y a une inondation. dans un champ de maïs près de Maracaibo. Oui, sur le lac. Et pendant les inondations, les langoustes arrivent, bouffent tous les épis de maïs. Absolument. Ensuite, la mer s'en va. Oui. Mais c'est vrai, ça ? Oui,

  • Speaker #2

    absolument. Oui, c'est dans toutes les chroniques de Maracaibo. Parce que les cultures de maïs ne sont pas loin de la rive, tout simplement. Donc, lorsque les crues augmentent avec les pluies torrentielles, et comme c'est un lac qui a une ouverture sur la mer, les langoustes... Elles arrivent et elles mangent les pop-corn. Elles mangent les pop-corn, tout simplement. Donc, on maudit les langoustes à Maracaibo comme on maudissait les sauterelles en Égypte.

  • Speaker #1

    Je vais vous faire lire encore un extrait pour donner la saveur de votre style. Alors, c'est une description justement de Maracaibo. Oui, ce n'est pas trop long, ne vous inquiétez pas.

  • Speaker #2

    Je lirai donc 47 pages, si vous le voulez bien. Tout Maracaïo s'étourdit au spectacle des camions chargés de gaillards venus des régions les plus reculées de Tucupita, des vallées du Delta et Lorinoco et des profondeurs éthérées de la Grande Saoana qui se garaient en longues files muettes à l'entrée des banlieues. Sur le port, tous les jours, des dizaines de vraquiers que personne n'avait jamais vu allaient et venaient avec des pavillons étaguniens, anglais, coréens. lourds d'hommes d'affaires et de valises de dollars. Puis surgirent des étrangers, des gitans fatigués qui savaient prédire les caprices du ciel en mesurant l'épaisseur de la sève, des Hollandais et des Italiens qui avaient pris des navires de fortune où ils s'étaient fait tatouer sur le torse le nom d'une prostituée, des Arabes et des garimpeiros en costumes militaires sortis des jungles, des vignerons chiliens qui avaient remonté la cordillère à pied Dans l'espoir d'atteindre une nouvelle terre, tous ces hommes arrivaient désormais sur ces berges couvertes d'huile et de camélias en quête d'or noir.

  • Speaker #1

    Vous voyez la densité, c'est pour donner cette densité romanesque qu'il y a chez vous et qui aujourd'hui est quelque chose de presque inactuel. Mais c'est merveilleux à lire, c'est hyper évocateur. En gros, votre livre dit que la malédiction... du Venezuela, c'est le pétrole.

  • Speaker #2

    Oui, absolument. Ça a été à la fois notre perte et à la fois notre grandeur. Lorsqu'on a découvert le pétrole dans les années 1920, comme l'a fait la Norvège, mais là où la Norvège a été intelligente, c'est qu'elle est parvenue à faire ce que Ouslar Pietri appelait semer le pétrole C'est-à-dire que le pétrole soit une graine qui fasse pousser des institutions publiques, qui donne des racines profondes à des universités qui travaillent au niveau de... d'un vrai système, d'un tissu agricole dans le pays et qui fasse en effet tout simplement fructifier, qu'il soit l'engrais d'un terreau national et institutionnel.

  • Speaker #1

    Mais là, les Norvégiens exploitaient leur pétrole. Là, ce qui vous est arrivé, c'est ce que vous décrivez là. Tous ces gens qui sont arrivés, attirés par l'or noir.

  • Speaker #2

    Attirés par l'or noir, le Venezuela s'est rendu compte qu'il était si pauvre, si pauvre qu'il n'avait que de l'argent et qu'il pouvait alors vendre le pétrole, avoir des pétrodollars et avec les pétrodollars, acheter les vivres. À l'étranger, à quoi bon, demandait-on à un paysan et un agriculteur vénézuélien, à quoi bon aller se tuer, se courber les chines dans des plantations de yuca, de tapioca ou de riz, si on peut l'acheter aux voisins, puisqu'on a de l'argent ? À quoi bon aller travailler ton système bovin si tu peux en effet acheter ta viande en Argentine ? Et aujourd'hui, le plat national vénézuélien qui s'appelle el pabellón criollo... Tous les ingrédients du plat national sont des produits importés. C'est quand même extraordinaire, non ?

  • Speaker #1

    Alors, est-ce qu'on peut dire que la fin des énergies fossiles va sauver le Venezuela ? Parce que finalement, maintenant on ne va plus s'occuper de pétrole.

  • Speaker #2

    Naturellement, je vois l'idée. Je pense qu'on est, hélas, à des années-lumières de l'énergie solaire, à des années-lumières de faire ce qu'a fait le Danemark, par exemple, avec ses éoliennes. Et très loin aussi de l'hydrogène, enfin de toute cette ramification des énergies propres, des énergies vertes, pour pouvoir sauver un pays qui est absolument dépendant du pétrole. Allez savoir ce qui va se passer. Moi je ne suis pas politologue naturellement, ni économiste, mais j'observe comment on fonce droit vers le mur.

  • Speaker #1

    Vous allez souvent là-bas ?

  • Speaker #2

    La dernière fois que j'y suis allé, c'était en 2017.

  • Speaker #1

    Ah oui, ça fait longtemps.

  • Speaker #2

    Ça fait longtemps. Mon père y habite encore, une partie de ma famille y habite encore. J'ai donc des relations très proches avec le Venezuela. Toutefois, pour mille raisons de vie, je ne suis pas allé depuis un moment, depuis la mort de Chavez.

  • Speaker #1

    Parce que là-bas, la situation est très compliquée.

  • Speaker #2

    La situation est très délicate.

  • Speaker #1

    Le pouvoir refuse de reconnaître la victoire d'un opposant qui a dû s'exiler. Oui. C'est bien ça, oui. Et je vois que vous ne voulez pas trop rentrer dans les détails parce que si vous allez au Venezuela, vous voulez pouvoir voir votre famille sans être mis en prison.

  • Speaker #2

    Exactement, cher ami, exactement.

  • Speaker #1

    Oui, mais c'est très compliqué. Vous allez un jour parler de la répression de Pinochet au Chili. Vous avez abordé le sujet dans Héritage, où il y avait un personnage, Hilario Da, pro-Aliendé, qui était détenu à la Villa Grimaldi, un endroit sinistre. qui est devenu un musée, mais où ce personnage était torturé. Et ça a été l'histoire de votre père.

  • Speaker #2

    Tout à fait. Mon père est né à Santiago, au Chili. Il avait 17 ans quand il est rentré dans le MIR, qui sont les Movimientos de Izquierda Revolucionnaire, le mouvement d'extrême-gauche révolutionnaire. Donc, ce sont des mouvements armés contre la dictature de Pinochet qui cherchaient à faire des attentats aux dictateurs. Il a été arrêté. Envoyé, comme vous le dites si bien, à Villagrimaldi, qui était un centre de torture. Il a passé à peu près trois semaines dans ce centre de torture. Et ensuite, il a été envoyé dans une prison commune pendant quelques mois, entouré de ce qu'on a appelé les prigés, qui étaient des prisonniers politiques. Et donc, c'était des boulangers, des coiffeurs, des architectes. Enfin, c'était des serveurs, des cuisiniers. Mais qui avaient une carte de parti et qui croyaient à un monde meilleur, à un monde nouveau. Et à partir de là, en sortant de la prison, on lui a rendu son passeport grâce à l'ambassade de France. Il faut reconnaître que c'est la France qui a sauvé mon père au Chili. Et il est allé en exil politique et est arrivé à Paris. Et c'est aussi où il a rencontré ma mère et c'est pour ça que moi aujourd'hui je vous parle en français.

  • Speaker #1

    Il a tenu des carnets où il racontait ses horreurs qu'il a vécues.

  • Speaker #2

    Il a écrit un livre qui s'appelle Relato en el frente chileno, qui a été publié sous un pseudonyme dans une maison d'édition catalane à Barcelone. Le pseudonyme était Hilario Da.

  • Speaker #1

    Voilà, donc c'est le personnage de votre livre.

  • Speaker #2

    Qui est le personnage du livre, voilà, exactement.

  • Speaker #1

    Et qui est également mentionné dans Le rêve du Jaguar.

  • Speaker #2

    Absolument, puisqu'il y a des traboules, il y a des passerelles, il y a des galeries souterraines entre mes livres et des personnages qui vont, qui reviennent, car j'essaie d'avoir une vraie cohérence dans l'ensemble des livres que j'écris. Et je vous assure, Frédéric... que si vous me donnez 10 ou 20 ans de plus, si j'arrive à sortir les livres que j'ai dans le ventre et dans un plan détaillé très précis que j'ai en tête et que je travaille depuis Octavio, depuis 10 ans, dans 20 ans.

  • Speaker #0

    vous pourrez regarder les livres et quand vous aurez compris le système, vous aurez dit Ah, mais c'est hyper malin !

  • Speaker #1

    Oui. Vous êtes donc le Modiano du Venezuela. C'est ce qu'il fait ? C'est un peu ce qu'il fait ?

  • Speaker #0

    Absolument. Mais mon cas n'est pas extraordinaire. C'est le cas aussi dans la littérature du 19ème avec Balzac et avec Zola, dans lesquels ils savaient très précisément quels étaient les livres qu'ils voulaient développer en fonction des thèmes, en fonction des personnages, en fonction des spin-offs, comme on dirait aujourd'hui dans le monde du cinéma.

  • Speaker #1

    Les Rougon-Macquart,

  • Speaker #0

    La comédie humaine,

  • Speaker #1

    etc. Vous avez cité deux personnes qui venaient chez la Pérouse régulièrement. Alors, je reviens à ce bordel très intérieur. C'est vraiment poli. Parlons de choses curieuses un peu. Donc, votre grand-père a vraiment été barman dans un bordel à Maracaibo. Parce que nous sommes ici chez la Pérouse. Ce n'est pas un ancien bordel, mais c'est un endroit où il y avait beaucoup de demi-mondaines, de femmes qui fréquentaient des... des messieurs et je ne veux même pas savoir ce qui s'est passé dans ce salon. Personne ne veut le savoir. Mais donc oui, alors c'est pas un peu un métier de rêve que votre grand-père faisait. Donc il a été embauché au Majestique.

  • Speaker #0

    Exactement. Alors il semblerait, selon les deux biographies qui ont été écrites sur lui, qu'une grande partie... de sa préadolescence et de son adolescence, s'est faite dans ce Majestic, qui était une maison close à Santa Rita, c'est-à-dire un peu dans les banlieues de Maracaibo, et où on faisait venir des filles étrangères. Donc ça donnait ce je-ne-sais-quoi en plus, puisque les filles n'avaient pas seulement la démesure caribéenne que vous pouvez imaginer, mais également une sorte de sensualité, de suavité, de rigueur et d'élégance dans l'amour. qu'on pouvait prêter aux femmes françaises, aux femmes anglaises ou hollandaises. Et donc, on trouvait en effet des...

  • Speaker #1

    C'est un roman, bien sûr. Oui,

  • Speaker #0

    naturellement.

  • Speaker #1

    Déformé par le talent.

  • Speaker #0

    Mais par la fiction. Oui, tout à fait. Et Antonio aurait en effet travaillé là pendant plusieurs années, jusqu'à devenir barman, jusqu'à monter un peu, petit à petit, dans la hiérarchie intérieure du Majestic, et jusqu'à retrouver son père, et ça, c'est ce que je raconte dans le livre, qui était client. à ce moment-là.

  • Speaker #1

    La scène est extraordinaire, où ils s'aperçoivent parce qu'il y a un objet.

  • Speaker #0

    C'est la machine à rouler des cigarettes. Oui, en effet. Un objet, un microfilm.

  • Speaker #1

    Que son père avait donné au bébé, enfin, laissé dans le lendemain. Et donc, ils se rendent compte que, tiens, c'est mon père. C'est ça. C'est très beau, très elliptique et élégant.

  • Speaker #0

    Très élégant, voilà. Et son père lui dit, en quelque sorte, écoute, cher ami, tu as quoi, 12, 13, 14 ans ? Je te vois ici, derrière le bar. Moi, je t'ai abandonné il y a 14 ans sur les marches d'une église. Je vais quand même faire un geste pour toi. Et donc, il écrit une lettre à Don Victor Emilio Montero, qui a réellement existé et qui a été le deuxième père de mon grand-père, en quelque sorte, qui était une sorte de cousin éloigné et qui était un homme qui avait une vraie famille, etc. Et qui lui envoie la lettre, donne cette lettre à Don Victor Emilio Montero, qui lui, va te sortir d'ici, qui va te mettre à l'école et qui va donner une vraie éducation. À partir de là, commence pour mon grand-père. La vie en fait étonnante d'un homme qui deviendra cardiologue, chirurgien, qui deviendra un des plus grands médecins du Venezuela, qui deviendra député du Congrès national, qui sera également président du Collège de médecine, et qui finit par être le recteur éternel d'une université qu'il fonde. Donc il y a quelque chose de très très beau dans cette espèce de montée hallucinante, prodigieuse en fait.

  • Speaker #1

    Un lectoire folle.

  • Speaker #0

    Et tout ceci est vrai, c'est ça qui est étonnant. Et donc ma mère m'a toujours énormément parlé de ce grand-père et de cette grand-mère, puisque le lien est plus ou moins le même, en me disant, en gros nous avons ça dans le sang. de cette persévérance, de cette ténacité, de cette abnégation pour être né chat et devenir Jaguar. C'est un peu l'idée du titre.

  • Speaker #1

    Comment travaillez-vous ? Vous avez un plan détaillé avant d'écrire ou vous laissez porter par ce que vous aviez dit tout à l'heure, les rêves ?

  • Speaker #0

    Pour être tout à fait honnête, je suis un moine copiste.

  • Speaker #1

    Vous savez où vous allez.

  • Speaker #0

    Absolument. J'ai vraiment une froideur chirurgicale avec mes personnages. Il ne m'est pas encore arrivé, parce que je n'ai pas encore assez de talent, et il me manque encore énormément de pages et d'encre pour pouvoir parvenir à écrire un livre qui me satisfasse entièrement. Et je le dis très honnêtement, sans aucune fausse modestie. Mais pour l'instant, il ne m'est pas encore arrivé cet instant où le personnage du livre a suffisamment de chair et de personnalité pour se dresser sur la page et me dire Non, mon ami, je n'irai pas. Je n'emprunterai pas ce sentier que tu as envie que je prenne. Au contraire, je vais aller dans l'autre sens et c'est moi qui écris le livre.

  • Speaker #1

    Mais ça vient du fait que c'est votre famille. Donc comme c'est votre famille, vous ne pouvez pas trop tricher.

  • Speaker #0

    Alors ça, naturellement. Non,

  • Speaker #1

    vous faites gronder.

  • Speaker #0

    C'est vrai.

  • Speaker #1

    Votre père va arriver ou votre mère va vous dire qu'est-ce que c'est que ça ?

  • Speaker #0

    Mes parents sont des gens très légers dans le bon sens du terme, très frivoles. Ils sont les premiers à tenir une sorte de transparence par rapport à mon écriture. Ils sont les premiers à me dire que la fiction peut être plus réelle que le réel. Fais-toi plaisir. Oui,

  • Speaker #1

    c'est vrai. Votre femme dit de vous que vous êtes une éponge. Je voulais savoir, est-ce que ça veut dire que vous êtes alcoolique ou que vous êtes un homme très curieux ? C'est juste... qui s'intéresse aux autres.

  • Speaker #0

    Eh bien, elle dit ça, car en quelque sorte, mais comme pour vous, et mon cas n'est pas extraordinaire, comme tous les écrivains et tous les artistes qu'on connaît, on est sans cesse pénétrés par le grand chaos du monde et on le transforme en quelque chose d'autre. Il y a ces vers de Émile Verharen qui me plaisent un peu et que j'aimerais partager avec vous, si vous le permettez.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Miguel.

  • Speaker #0

    Et qui... sont tirés d'un poème qui s'appelle Le Forgeron, dans lequel il essaye de faire une sorte d'analogie entre le forgeron et le poète, de comment saisir la matière du monde pour en faire une nouvelle arme et créer quelque chose de nouveau. Et il dit, dans son brasier d'or exalté, maître de soi, le forgeron a jeté passion, révolte, colère pour leur donner la trempe et la clarté du fer et de l'éclair. Donc en quelque sorte,

  • Speaker #1

    c'est pour ça que vous avez un chaudron, et vous touillez votre histoire familiale.

  • Speaker #0

    L'histoire familiale, des trucs que tu fais, des conversations chez la Pérouse, une anecdote que va me raconter un ami, une chanson que tu as écoutée, un verre qui te sonne bien. Enfin, ce je ne sais quoi du monde, en fait, une histoire, une blague racontée au détour d'un café avec un ami, etc. Et tout ceci, en fait, tu finis par le mettre, toutes ces violences, toutes ces passions, ces colères, ces beautés. Ces étonnements, ces outrances, ces reculs, tu les fais fondre dans un même creuset. Et tout ceci, dans ce brasier d'or exalté, finit par donner une autre trempe, une autre clarté, un autre fer. Et c'est cette éponge, je pense, qu'elle a en tête.

  • Speaker #1

    Oui, c'est marrant. On a reçu ici Rachel Cusk, la grande romancière anglaise. Elle parlait de regarder le monde à travers des... tessons de verre brisé.

  • Speaker #0

    C'est la même idée. Le kaléidoscope, on a tous en quelque sorte une métaphore en tête, mais c'est toujours la même.

  • Speaker #1

    Vous avez, Miguel, quand même écrit un roman plus français que français. C'était le précédent. L'inventeur sur Augustin Mouchot, l'inventeur de l'énergie solaire. Et ça, c'était complètement à part, non ? Ça n'a plus grand-chose à voir avec cet atavisme familial. Qu'est-ce qui s'était passé ? Vous avez dit bon maintenant il faut vraiment que je me fasse accepter Je ne sais pas. Augustin Mouchot quand même.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas avoir mon visa en fait. Il se trouve que j'avais écrit Octavio qui était sur le Venezuela. Le sucre noir était un peu dans les Antilles, sur le monde de la canne à sucre et du rhum. Héritage était également en Amérique latine, c'est de Chili. Et j'avais observé comment j'étais beaucoup... dans la flamboyance, dans l'exubérance. Et je sais que j'étais beaucoup étiqueté.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas une injure.

  • Speaker #0

    Non, qui n'est pas mauvaise, absolument. Je le vois au contraire. Je le prends vraiment comme un compliment.

  • Speaker #1

    Moi, je vous l'ai ressorti à des grandes louches.

  • Speaker #0

    J'adore. Mais non, absolument pas. Je suis bien conscient de ce que j'écris. C'est ce que j'aime lire aussi. Par rapport aussi au jungle de mon cœur, il y a ça. Toutefois, je me suis permis un pas de côté en voyant s'il était possible d'écrire un livre plus vieux. plus noir et blanc, plus Napoléon III. Oui, oui, c'est vrai. Oui,

  • Speaker #1

    mais il était très réussi.

  • Speaker #0

    Et ça m'a plu, en effet, de le travailler, de me rendre compte que je pouvais également être cultivé, labouré, la mère de cette part française de moi qui est énorme en Russie. Et moi, je me sens français, et c'est ma langue, et c'est ma culture, et je comprends aussi cet imaginaire. Je comprends tous ces codes et je comprends toutes ces références. Donc j'avais envie également de les mettre sur papier, voir comment ça se passait. Et j'ai pris un plaisir énorme à ça. Mais je dois reconnaître qu'en finissant de publier le livre, je me souviens en avoir parlé avec des amis et leur avoir dit il me manque un peu l'odeur de la mangue

  • Speaker #1

    Ah bah là, elle est revenue. Là,

  • Speaker #0

    elle est revenue. Elle est vraie l'odeur de la mangue.

  • Speaker #1

    Alors, je donne un exemple de scène. délirante qu'il y a dans le rêve du jaguar en 1955 un pêcheur qui trouve un pingouin sur une plage du venezuela oui c'est une histoire vraie et au venezuela il fait 40 degrés à l'ombre à ce moment là il ya un pingouin que fout ce pingouin sur cette plage c'est quand même dingue non on ne sait pas et c'est vrai donc il est devenu ce pingouin est devenu une star au venezuela Mila j'espère en effet que dans le montage qu'on fera vous pourrez mettre

  • Speaker #0

    La photo qui se trouve sur Internet, tu tapes Un pingouino en Maracaibo et tu tombes immédiatement sur la photo qui est célébrissime parce que ça a été dans les journaux. Et le pingouin est aujourd'hui empaillé à l'Institut des sciences naturelles de Maracaibo. C'est quelque chose de très réel. Et il y a, en effet, c'était un 14 juillet en plus, le jour de la Saint-Valentin. Allez savoir, non ? Quelle histoire d'amour était en train de se jouer à ce moment-là. Un pingouin est arrivé sur les côtes de Maracaibo, plus précisément sur la plage de Sinamaika. Et ça a créé... tout un touhu-bouhu qui pendant trois mois... On a parlé que de cette mascotte de la ville. On lui a donné un nom, c'était vraiment Policarpio. Et aujourd'hui, il y a des glaces que tu trouves encore à Maracaibo, qui s'appellent les glaces Polo, où il y a un petit pingouin comme ça qui apparaît. Donc en effet, c'est en référence à ça. Il y a une rue qui s'appelle El Pingüino, qu'on appelle El Pingüino, en effet, Al Salavillo.

  • Speaker #1

    Et ça ne s'est plus jamais produit depuis. C'était ce pingouin de 1955. Il s'est égaré de quelques milliers de kilomètres.

  • Speaker #0

    Alors, oui, c'est... Mais... L'hypothèse qu'on retient le plus, c'est qu'il a dû s'échapper sans doute d'un bateau qui était en train de faire des trafics d'espèces rares ou illégales. Parce que ce n'est pas possible qu'il ait nagé pendant 9000 kilomètres avec tous les dangers possibles. Je ne sais pas combien vit un pingouin, il ne serait pas non plus libre, 120 ans. Le temps d'arriver,

  • Speaker #1

    c'est jusqu'à Maracaibo.

  • Speaker #0

    Il y a des savoirs, mais ça a vraiment existé. Et le pingouin de Maracaibo.

  • Speaker #1

    Tout à l'heure, avant l'émission, on se promenait dans le restaurant La Perouse. Vous avez tombé sur la photographie de Corot, ce grand peintre qui venait ici. Et il est devenu un mot commun, un nom commun au Venezuela ?

  • Speaker #0

    Absolument. À Maracaibo, on utilise le mot coroto pour dire des trucs. Ça peut être n'importe quoi, mais ça peut aller de la petite fourchette jusqu'à la caméra. C'est un coroto, voilà, un mi-coroto. Où sont mes lunettes ? D'où sont mes corotos ? Où est mon truc ? Et ça viendrait en effet qu'il y avait un aristocrate français qui était installé au 18e et début 19e à Maracaibo, qui avait des coraux chez lui, et qu'en 1811, lorsqu'il y a eu l'indépendance latino-américaine avec Simon Bolivar, et que beaucoup d'aristocrates ont dû fuir dans les bateaux qu'on leur a permis pour aller vers l'Europe, eh bien cet aristocrate, en courant, prenait toutes ses affaires et hurlait aux indigènes, Attention avec mes coraux ! Attention avec mes corotos ! Et les indigènes répondaient entre eux Attention avec le coroto ! Et petit à petit, par métonymie, le mot coroto est devenu simplement les trucs en sport.

  • Speaker #1

    Passe-moi mon coroto ! Donne-moi mes corotos ! Pluriel, pluriel, c'est conjugué en vénézuélien.

  • Speaker #0

    Un siècle et demi plus tard, encore aujourd'hui, on utilise coroto et je pense en effet que corot n'avait aucune idée où se trouvait Maracaibo sur la carte et les indigènes n'avaient sans doute jamais vu un corot.

  • Speaker #1

    Nous allons maintenant jouer à un jeu qui s'appelle devine tes citations. Je vais vous dire des phrases de vous tirées de tous vos livres et vous devez me dire dans lequel vous avez écrit cette phrase.

  • Speaker #0

    Ah superbe ! C'est une édition d'imposteur.

  • Speaker #1

    Voilà pour vérifier si vous écrivez vos livres vous-même.

  • Speaker #0

    Ou si c'est Emilie Colombani.

  • Speaker #1

    Oui, votre éditrice du rivage Emilie Colombani qui rédige à votre place. Ou bien si c'est peut-être un, je ne sais pas, un employé vénézuélien exploité.

  • Speaker #0

    Oui, un corotto.

  • Speaker #1

    Voilà c'est ça. Bon alors. Jamais une femme ne mit autant de courage à s'occuper d'un enfant qu'elle n'aimait pas.

  • Speaker #0

    Cette phrase est dans le rêve du Jaguar.

  • Speaker #1

    Dans le rêve du Jaguar, le dernier, 2024. Je commence toujours par une question facile.

  • Speaker #0

    Oui, je vois ça.

  • Speaker #1

    Parce que les invités viennent ici. Oui,

  • Speaker #0

    la question est quelle est la capitale du Kenya, en fait. Comme ça, tu vois.

  • Speaker #1

    Donc, on voit encore d'ailleurs dans cette phrase votre style très classique. Voilà. Une autre phrase. Plus riche. Ses mains sentaient la poudre de riz, le phare à base de cannelle, le vernis, les fossiles, les brillants couleurs grenades, la cire d'épilation et la corruption locale.

  • Speaker #0

    Et un piège. Et ça, c'est dans le Marquis de Sade.

  • Speaker #1

    C'est aussi le rêve du Jaguar, bien sûr. Et c'est vrai qu'on voit la générosité de votre prose dans cette phrase. Bon, alors maintenant, le plus difficile. Quand il parvint... Pardon, est-ce que c'est parvient ou parvint ? Je n'arrive pas à me relire.

  • Speaker #0

    C'est possible que ce soit du passé simple, si vous voulez mon avis. Oui, alors oui. Je me trompe peut-être.

  • Speaker #1

    C'est ça. Alors, quand il parvint à lire une phrase entière sans hésiter et qu'il ressentit l'émotion brutale de la comprendre, il fut envahi par le désir violent de renommer le monde depuis ses débuts.

  • Speaker #0

    Je dirais que c'est le voyage d'Octavio, l'histoire d'un analphabète.

  • Speaker #1

    En 2015, c'était votre premier roman. Oui. Et je trouve que dans cette phrase... Vous donnez votre définition du rôle de la littérature. Renommez le monde depuis ses débuts.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas de moi, en quelque sorte. Je pense que si on lit, par exemple, l'histoire d'un déicide de Vargas Llosa, il a vraiment cette idée que la littérature est un déicide. C'est-à-dire qu'il faut tuer un dieu pour en faire un nouveau. En quelque sorte, il faut tuer les repères de la réalité. et en faire un nouveau avec les nouveaux codes de la fiction. Mais qu'il y ait toujours cette idée de rompre quelque chose pour faire quelque chose de nouveau. Et Balzac le dit aussi, la littérature n'est pas là pour copier la réalité, elle est là pour l'exprimer. Encore une fois, c'est une forme d'homicide de la réalité pour en faire une nouvelle chose.

  • Speaker #1

    C'est un puzzle et vous, vous reconstituez votre puzzle à vous.

  • Speaker #0

    L'idée du puzzle me plaît beaucoup. Et je crois beaucoup que l'écriture est une affaire de puzzle. C'est très juste.

  • Speaker #1

    Quand même, vous aimez le roman picaresque. Vous n'êtes pas un écrivain expérimental influencé par Alain Robbe-Grillet. Vous voyez, vous êtes quand même un descendant de Cervantes. Bien sûr. De Don Quichotte. D'où vos livres sont un peu des remakes de Don Quichotte.

  • Speaker #0

    En quelque sorte, oui, peut-être en effet. Mais il y a aussi, on pourrait aussi imaginer qu'il y a du Rabelais ou il y a du Chrétien de Troyes, en fait. Mais comme c'est plus ou moins la même époque, que ce soit en France ou en Espagne, il y avait des porosités entre les deux. Et j'ai beaucoup travaillé sur Claude Simon. par exemple, puisque vous parliez du nouveau roman avec Rob Grier. J'ai beaucoup travaillé sur Clotimon ou sur Nathalie Sarraute. Je me suis intéressé au nouveau roman que je trouve extraordinaire dans sa forme fracturée. J'ai passé un an à étudier aussi le surréalisme et le dadaïsme. Et alors, bien sûr, qu'il y a presque 50 ans d'écart entre les deux. Et toutefois, c'est le même mouvement iconoclaste sur la littérature.

  • Speaker #1

    Vous n'apprenez pas à cette fois. Peut-être plus tard. Peut-être un jour. Peut-être un jour, vous serez complètement hermétique.

  • Speaker #0

    Mais pour l'instant,

  • Speaker #1

    il y a quand même des personnages, des histoires, une narration. Tout à fait. Ce que je voulais dire,

  • Speaker #0

    c'est que j'ai beaucoup d'admiration pour, par exemple, Le jardin des plantes de Claude Simon, qui est vraiment un chef-d'oeuvre absolu. Mais qu'aujourd'hui, je n'ai pas du tout le talent pour pouvoir écrire quelque chose comme ça, pour pouvoir faire un texte qui soit autant fragmenté et qui toutefois ait une trame.

  • Speaker #1

    Très malin, parce que comme ça, vous ne vous fâchez pas avec la goutte. C'est important quand on est sur les listes des prix. Donc, clair un petit peu aussi à des gens qui sont un peu plus avant-garde. Continuons le jeu. Donc, devinez cette citation. Où avez-vous écrit ceci ? Je cache parce que je vois bien que vous êtes un richeur. Lorsque les indigènes mâchaient l'Ibadou, ils parvenaient à monter dans les airs jusqu'à atteindre 4 mètres du sol.

  • Speaker #0

    Mais là, moi, je dirais comme ça, dans mon illustre ignorance, que c'est tiré de jungle.

  • Speaker #1

    Héritage. Ah bah oui,

  • Speaker #0

    bien sûr, bien sûr, le grand classique.

  • Speaker #1

    Alors qu'est-ce que c'est que l'hibadou ? Est-ce que vous avez déjà essayé l'hibadou ? Parce qu'apparemment, ça fait voler à 4 mètres du sol, ça m'intéresse.

  • Speaker #0

    C'est une sorte d'ayahuasca, en quelque sorte. Non mais,

  • Speaker #1

    on ne peut pas avoir un invité franco-vénézuélien sans lui poser la question.

  • Speaker #0

    De l'hibadou.

  • Speaker #1

    Vous avez tenté ce genre d'expérience ?

  • Speaker #0

    Alors, ma mère regarde cette émission.

  • Speaker #1

    Mais non, ah oui, il y a eu... c'est presque normal là-bas d'essayer les plantes psychélégiques.

  • Speaker #0

    Je me souviens en effet qu'on m'avait parlé de l'Ibadou, et c'est là où c'est beau, parce que ça revient à ce que vous disiez tout à l'heure, que dans mes livres, il y a une même langue, et qu'ensuite c'est segmenté en bouquins, mais c'est une même langue. C'est un peu comme une sorte de même texte qui est segmenté comme ça. Et l'Ibadou, on m'en avait parlé lorsque j'avais fait une très belle expédition pour descendre en rappel la plus haute cascade du monde, que j'ai racontée dans le livre Jungle, qui est un récit de voyage. où j'ai passé trois semaines avec des indigènes Pemones dans la grande savane, dans les Auyantepuy, qui sont des formations tabulaires au cœur de l'Amazonie. Et là-bas, c'est un des indigènes qui m'avait parlé de ce Ibadu, qui semblerait que c'est une sorte de tubercule que tu râpes et qui peut en effet te provoquer des trucs psychédéliques, tout simplement. Donc, tu ne voles pas. Des voyages intérieurs. Exactement, ce sont des errances intérieures.

  • Speaker #1

    Et là, dans la jungle, ils ne vous ont pas initié.

  • Speaker #0

    Bien entendu, j'aurais l'élégance de ne pas en parler ce soir.

  • Speaker #1

    On reste dans le domaine du... ça veut dire le romanesque.

  • Speaker #0

    Parlons de l'équité, parlons de... Oui, bien sûr, bien sûr.

  • Speaker #1

    Autre phrase. Le jour se leva sur un navire naufragé planté sur la cime des arbres au milieu d'une forêt.

  • Speaker #0

    Sucre Noir. Bien sûr,

  • Speaker #1

    c'est la première phrase qui est démente de Sucre Noir 2017, avec cette image du bateau en haut des arbres, en milieu de la jungle. C'est l'Arche de Noé.

  • Speaker #0

    C'est absolument l'Arche de Noé. Qui est une image que j'ai empruntée pour vous montrer que je n'ai rien inventé et que je ne fais que composer avec les choses qui sont autour de moi. Je ne suis qu'une éponge de mer, encore une fois. C'est une image qui est empruntée au Fitzcarraldo de Werner Herzog. Vous me soutenez en effet. Ce fou Fitzcarraldo fait passer à un moment, demande à 150 indigènes de tirer à la main son bateau pour le faire traverser une montagne parce que c'est trop long de faire le tour. Et le bateau reste à un moment, et tu as cette espèce d'image fabuleuse. ce gigantesque bateau sur les arbres et je m'étais dit mais comment c'est un livre avec une image comme ça mais

  • Speaker #1

    Bravo pour tout ça j'avais écrit ici que vous Vous entraînez un retour au roman et j'avais marqué Fuck l'avant-garde Mais juste avant, vous avez défendu l'avant-garde de manière très à droite. Donc je ne vais pas vous entraîner sur ce terrain.

  • Speaker #0

    Non, on se doit couper au montage.

  • Speaker #1

    Et enfin, une dernière phrase, alors il faut me l'expliquer. Dites-moi où vous avez dit ça, puis après vous m'expliquerez. Les romans sont une île entourée de terre.

  • Speaker #0

    Eh bien, ça, c'est écrit dans Le rêve du Jaguar, également.

  • Speaker #1

    Oui, le dernier, oui. Absolument. Alors, expliquez-moi, c'est un peu comme une interro au bac français à l'oral. Les romans sont une île entourée de terre. Vous avez une minute.

  • Speaker #0

    Je pense que ce que je voulais développer dans cette idée était ce qu'on parlait tout à l'heure, de que lire peut aussi être rester. Et que j'ai ressenti énormément d'apaisement. dans la compagnie des livres, avec des frères invisibles, des sœurs invisibles, à un moment où moi je voyageais énormément. Et j'avais peut-être l'impression d'être moi-même égaré dans une sorte de mer de différents noms de capitales et de cultures, d'idiosyncrasies différentes. Et j'étais comme dans une sorte d'île seule. Mais heureusement que les romans étaient là pour ne pas entourer cette île d'eau, mais l'entourer de terre où je puisse marcher pour aller à la rencontre. Tu vois, mais menée à la glaise des hommes et des femmes.

  • Speaker #1

    Quelle est la liste des pays où vous avez vécu ? Donc, il y a France, Portugal,

  • Speaker #0

    Italie... Oui, très longtemps à Lisbonne, oui, bien sûr, à Rome, oui.

  • Speaker #1

    Argentine ?

  • Speaker #0

    A Buenos Aires, et également dans une ville qui s'appelle Dresistencia, dans le nord de l'Argentine, dans la province de Chateau.

  • Speaker #1

    Venezuela, donc ?

  • Speaker #0

    Venezuela, naturellement. Qu'est-ce que j'oublie ? Caracas. Non, bon, mon père est chilien, donc, fatalement, j'ai un lien avec Santiago, qui est quand même très puissant, très fort. Et j'ai vécu un an à Berlin, là en effet, avec ma famille, avec la petite, avec les deux filles, enfin madame était enceinte. Oui,

  • Speaker #1

    alors ça c'est une question, pardon, moi aussi j'ai des petits-enfants. Comment on fait pour écrire autant, pour être un conteur comme vous, tout en ayant une famille, non pas à nourrir, mais à éduquer ? Vous êtes un bon père de famille, il faut s'organiser d'une façon... très disciplinés.

  • Speaker #0

    C'est pour ça que je vous disais tout à l'heure, moi je suis un moine, je suis très militaire dans la façon...

  • Speaker #1

    Vous les mettez à l'école et après ça doit pondre là, il faut sortir 4 pages.

  • Speaker #0

    Exactement. J'arrive en effet sur ma table de travail de la salle à manger et je n'ai pas de bureau, je pousse les tétines et les bédots. C'est vraiment ça, c'est avec le bras, comme ça. Et je sors l'ordi et je me mets à travailler. Mais là,

  • Speaker #1

    il faut que ça sorte,

  • Speaker #0

    là. Ben oui, je n'ai pas le choix. Parce qu'à 16h30,

  • Speaker #1

    il faut aller les chercher à l'école. C'est moi qui vais les chercher. Et là, c'est terminé. Garcia Marquez, adios.

  • Speaker #0

    Garcia Marquez, lui aussi, avait des enfants petits quand il a écrit Cent ans de solitude Et lui, il expliquait que la veille, il travaillait. Il travaillait. Le matin, il écrivait. Et dans l'après-midi, il préparait. La matinée suivante, donc il faisait les lectures nécessaires, il récoltait le champ lexical nécessaire pour une scène par exemple de la bataille des thermopiles. Bon, il y a un champ lexical, il y a une terminologie, il y a un lexique qui est particulier, en effet, donc il le récoltait. Il essayait de voir dans son enchaînement narratif quelles étaient les scènes, quels étaient les personnages qu'il devait décrire et toutes ces choses. Et il s'occupait des enfants. Et le lendemain, lorsqu'ils étaient à l'école, il reprenait tout ce qu'il avait travaillé. Et pendant la matinée, il écrivait. et dans l'après-midi il retravaillait ce qu'il allait bosser le lendemain et moi j'ai bossé que ça fait dix ans que je travaille comme ça une façon très méthodique d'un côté bien sûr que je peux avoir l'air d'un être comme ça exubérant dans le débordement plein d'amitié et j'aime beaucoup ça et c'est très sincère mais

  • Speaker #1

    vous n'imaginez pas qu'elle faisait combien en fait vous êtes dans le vivet vous êtes un homme est très chiant non mais interminable on appelle le sable

  • Speaker #0

    à la maison.

  • Speaker #1

    Dernière question, et vraiment merci beaucoup pour votre générosité, pour vos livres et pour votre présence ici. Quand écrirez-vous un livre sur la France ? Il y a eu Augustin Mouchot, mais sur la France en espagnol.

  • Speaker #0

    Ah oui, c'est beau ça.

  • Speaker #1

    Un livre en espagnol.

  • Speaker #0

    Un livre que j'appellerais L'homme qui était la France Donc ce sera un livre consacré à Frédéric Becquerel. Sur moi. Absolument. L'homme qui était la France Tout de suite, beaucoup mieux. Oui, c'est bon, c'est très bien. et allez savoir en effet quand est-ce que ça va se faire je sais que tôt ou tard j'écrirai en espagnol car c'est ma langue maternelle et ce sera sans doute amusant de voir la traduction en français de me relire en français et de me rendre compte que sans doute je n'aurais jamais écrit le livre en français de cette façon est-ce que vous relisez les traductions espagnoles de vos livres ? oui absolument c'est pas vous qui traduisez vous-même j'ai beaucoup trop de respect envers les traducteurs pour être en train de prendre leur travail en quelque sorte. Et lorsque je reçois les traductions en espagnol de mes livres, je me surprends à découvrir des mots que je ne connaissais pas, des tournures de phrases que je n'aurais jamais utilisées et des dialogues que je n'aurais pas du tout fait de cette façon. Et je redécouvre mon propre livre si bien que je continue à le lire jusqu'à la fin pour savoir qu'est-ce qui se passe à la fin parce que je suis tellement étonné par le... Et c'est un nouvel homme. Donc, je serais curieux de voir comment j'écrirais directement en espagnol, qui sera sans doute très différent de mes livres traduits depuis le français.

  • Speaker #1

    Mais écoutez, en tout cas, continuez comme ça. Et surtout, je vous dis, je ne sais pas quoi vous souhaitez. Vous êtes sur toutes les listes des prix. La semaine prochaine, les prix seront décernés. Dites-moi un mot en espagnol. Comment on dit merde en espagnol ?

  • Speaker #0

    Inch'Allah.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup.

Chapters

  • Introduction à "La vie des spectres" de Patrice Jean

    00:00

  • Rencontre avec Miguel Bonnefoy et son parcours littéraire

    01:03

  • Les influences et le style de Bonnefoy

    02:42

  • L'importance de la littérature comme point de repère

    04:20

  • L'histoire de la famille de Bonnefoy et son grand-père

    05:48

  • Analyse de "Le Rêve du Jaguar" et de ses thèmes

    08:00

  • La création littéraire et le processus d'écriture

    09:48

  • Références littéraires et inspirations de Bonnefoy

    10:59

  • L'impact du pétrole sur le Venezuela

    16:44

  • Réflexions sur l'avenir du Venezuela

    23:08

  • L'héritage familial et les récits de résistance

    25:12

  • Jeu des citations et réflexions sur l'écriture

    40:54

  • Conclusion et remerciements

    53:15

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Description

Phénomène assez rare, Miguel Bonnefoy est aussi brillant à l'oral qu'à l'écrit. Le récent lauréat du Grand Prix du Roman de l'Académie française n'a bu aucun alcool ni consommé de drogue durant l'enregistrement de cette conversation. Il est naturellement comme ça. Nous précisons que cet entretien a été enregistré peu avant sa consécration académique.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Avec La vie des spectres, Patrice Jean s'inscrit dans le sillage des grands romanciers du XIXe siècle. Jean Dulac est journaliste. Un jour, un de ses articles fait polémique, sa femme et son fils se dressent contre lui. Il quitte alors le domicile familial pour s'installer dans un pavillon abandonné. À travers la chute de cet homme, Patrice Jean dresse le portrait incroyablement juste de notre époque qui place la vertu avant la vérité dans un roman audacieux. La vie des spectres, de Patrice Jean, aux éditions du Cherche-Midi.

  • Speaker #1

    Et c'est aujourd'hui un grand jour puisque j'ai l'honneur de recevoir Miguel Bonnefoy, lauréat du Grand Prix du Roman de l'Académie française 2024 pour Le Rêve du Jaguar aux éditions Rivages. Conversations Lapérouse a le bonheur de recevoir Miguel Bonnefoy ce soir pour son... Combientième roman ?

  • Speaker #2

    Alors il semblerait que c'est le cinquième mais c'est sans doute faux.

  • Speaker #1

    Il y a d'autres manuscrits peut-être cachés ou qui ont été publiés dans des maisons d'édition qui ont fait faillite.

  • Speaker #2

    Exactement, et puis on a tous des romans avortés. Mais je me souviens avoir publié un premier livre dans une toute petite maison d'édition avec Brice Rocton et le livre s'était si mal vendu que quand je lui avais posé la question pourquoi le livre se vend si mal il m'avait répondu ton livre est sacré personne n'y touche c'est beau c'est beau c'est une manière très courtoise manière de dire ce n'est pas encore on refera pas un autre ensemble en tout cas en moins de dix ans miguel et

  • Speaker #1

    donc cinq romans vous vous êtes imposé comme un romancier important central dans cette rentrée littéraire vous êtes sur toutes les listes de prix et Et c'est un... Voilà, comment avez-vous fait en dix ans ?

  • Speaker #2

    Ce n'est pas un succès, c'est un grand malentendu.

  • Speaker #1

    Pas du tout. "Le voyage d'Octavio" en 2015, "Héritage" en 2020, "L'Inventeur" en 2022, et maintenant "Le rêve du Jaguar" en 2024. Voilà, vous avez imposé un style qui est baroque, qui est riche, qui est très dense. Et c'est vrai qu'on en avait peut-être... On avait oublié. que la langue française était capable de produire ce genre de vertige.

  • Speaker #2

    Eh bien, merci beaucoup. Et pourtant, il y a eu beaucoup d'écrivains étrangers qui ont choisi le français comme langue d'écriture. Je pense à Beckett, je pense à Nabokov, je pense à Romain Garry, je pense à Poitier-Senglou, je pense à Koundé,

  • Speaker #1

    Hector Bianciotti, pour aller chercher dans l'Amérique latine.

  • Speaker #2

    Bianciotti, bien sûr, Bianciotti. Et également, je pense qu'on retrouve... aussi dans le mouvement de ce qu'on appelait la négritude, avec Léopold Sédar Sangor, avec Damas, avec Diop, avec Koukouma, avec Aimé Césaire, bien entendu. C'est une espèce de goût aussi d'exhumer de l'oubli certains mots qui sont tombés en désuétude, d'aller chercher également à dépoussiérer un peu la langue française et voir s'il est possible de la mélanger avec une langue...

  • Speaker #1

    Je vous interromps, pardon, il y a la police qui arrive pour vous demander vos papiers. J'ai entendu là des sirènes, je m'inquiète pour vous. Mais effectivement, bien sûr, vous perpétuez magnifiquement cette tradition. Mais en réalité, vous n'êtes pas vraiment un écrivain vénézuélien, vous êtes un écrivain français puisque vous avez grandi en France.

  • Speaker #2

    Tout à fait. Alors je suis né à Paris d'un père chilien exilé politique et d'une mère vénézuélienne qui était diplomate. Et ensuite... Comme tous les fils de diplomates, j'ai changé tous les trois ans de frontière en frontière.

  • Speaker #1

    Comme Amélie Nothomb. On a reçu Amélie Nothomb il y a quelques semaines. Tout à fait. Vous avez la même enfance.

  • Speaker #2

    Exactement. C'est une enfance qui est habituellement très désordonnée, dans laquelle on ne fait que voyager, que voyager. Et lorsque Victor Hugo disait lire, c'est voyager. Mais pour des gens du voyage, lire, c'est aussi rester. Parce que les livres, eux, ne changent pas. Donc,

  • Speaker #1

    c'était votre repère alors que vous perdiez tous vos repères. Exactement. La littérature, c'était votre point fixe.

  • Speaker #2

    Des points fixes, des colonnes, des mâts en fait, où j'étais attaché comme Ulysse pour ne pas justement me laisser tenter par les sirènes de l'ailleurs. et les certaines pages qui m'avaient bouleversées, certains sonnets qui m'avaient bouleversés, les premières pages du livre de ma mère d'Albert Cohen ou les dernières pages du Terre des Hommes de Saint-Exupéry avec son célèbre Mozart assassiné, elles ne bougeaient pas. Si j'étais à Buenos Aires, si j'étais à Caracas, si j'étais à Tokyo ou si j'étais à Moscou. Donc il y a quelque chose d'assez beau aussi de se dire qu'il y a quelque chose d'immuable et d'immobile dans la littérature et lire c'est aussi... rester.

  • Speaker #1

    Oui mais pas seulement lire parce que regardez, Nothomb et vous avec cette enfance là, ça vous a rendu écrivain. Oui. Parce qu'à un moment vous perdiez vos amis tous les deux ans j'imagine, vous n'alliez pas, vos copains vous deviez les abandonner. Oui. Donc on se concentre plutôt peut-être sur une feuille de papier.

  • Speaker #2

    C'est exactement ça, il y a les amis bien entendu qu'on perd et avec cruauté, déracinés d'un lieu et replantés dans un autre mais ce qu'on perd surtout ce sont des repères en fait de l'enfance. C'est des langues, c'est des cultures, c'est l'épaisseur de l'air à laquelle on s'était déjà habitués. C'est le parfum de la goyave qui était le tien ici, ou celui du reblochon en France. Ce n'est pas tout à fait pareil. Après ça dépend, ça dépend des goûts.

  • Speaker #1

    Ça dépend des goûts. C'est étonnant parce que votre livre commence par cette exergue. Au nord, il y a la raison qui étudie la pluie, qui déchiffre les éclairs. Au sud, il y a la danse qui engendre la pluie, qui invente les éclairs. C'est une phrase d'un auteur que je ne connais pas, William Ospina.

  • Speaker #2

    Immense William Ospina, écrivain colombien qui a écrit un très beau livre qui je pense vous plairait énormément qui s'appelle El País de la Canela, Le Pays de la Canelle, dans lequel il raconte l'histoire de Pizarro qui cherche une forêt où il n'y aurait que de la canel pour pouvoir la ramener dans la couronne espagnole. Et donc il fait toutes les exactions qu'on imagine.

  • Speaker #1

    Pour pouvoir ensuite saupoudrer de la canelle sur son petit yaourt,

  • Speaker #2

    sur son petit café, enfin sur son petit flocon d'avoine, enfin tu vois.

  • Speaker #1

    Mais sérieusement, cette citation en exergue, elle dit quelque chose sur votre vie d'homme coupé en deux entre la raison très française et la danse qui est très latino-américaine.

  • Speaker #2

    La danse, la magie, le genre naturel, ce je-ne-sais-quoi d'extravagant et de tropical qu'on trouve beaucoup en Amérique latine. pas dans toute l'Amérique latine, surtout dans les Caraïbes, parce que dès qu'on commence à descendre un peu, tantôt au Chili, tantôt en Argentine, tantôt en Uruguay, on perd déjà cette espèce de magie, un peu comme ça, mystérieuse.

  • Speaker #1

    Irrationnelle.

  • Speaker #2

    Voilà, exact. Baroque et rococo. Mais c'est une magie qu'on trouve également dans des pays slaves. Moi, j'étais il n'y a pas longtemps à Bucarest, on en parlait, et il y a quelque chose de complètement fou qui gît. On le voit dans les films de Kusturica, par exemple. Les ruches ont aussi cette folie-là.

  • Speaker #1

    En Roumanie, ça s'appelle des vampires, pas des magiciens. Ça s'appelle des vampires.

  • Speaker #2

    Il y a les chamanes et il y a les vampires.

  • Speaker #1

    Il faut faire attention quand même. La première phrase est fantastique de votre livre. Et c'est aussi la dernière phrase. Et donc, je vais vous demander, comme je le fais maintenant régulièrement, de lire la dernière phrase du livre ici, à partir de Christobal. Merci beaucoup.

  • Speaker #2

    Comme c'est la première, c'est facile, non ? Ça permet de faire un système cyclique. Oui,

  • Speaker #1

    mais ce n'est pas fréquent, en fait, que quelqu'un commence et finisse par la même phrase. Ça veut dire que vous y tenez à cette phrase.

  • Speaker #2

    Oui, voilà, j'ai la faiblesse de tenir à cette phrase. Tout ceci, bien sûr, a été froidement calculé entre nous. Beaucoup de boulot.

  • Speaker #1

    Il y a beaucoup de travail préalable.

  • Speaker #2

    Absolument. "Cristóbal prit un stylo et se mit à écrire. Il fallait remonter jusqu'à cette matinée où, au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero fut abandonné sur les marches d'une église dans une rue qui aujourd'hui porte son nom".

  • Speaker #1

    Voilà. Alors, je vais la relire moi. Je vais lire la première phrase. En moins bien. "Au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero... fut abandonné sur les marches d'une église dans une rue qui porte aujourd'hui son nom. Qui aujourd'hui porte son nom". Pardonnez-moi. Non, non,

  • Speaker #2

    non, il y a de tout dans la vie du Seigneur, enfin, mais il y a les vrais écrivains, il y a ceux qui... Oui,

  • Speaker #1

    oui, il y a les amateurs. Qui aujourd'hui portent son nom. Donc, c'est un incipit assez... Enfin, très, très romanesque. Et l'idée qu'il y a un garçon qui a été abandonné sur les marches d'une église dans une rue qui porte aujourd'hui son nom, on a... Comment dire ? Vous avez du souffle. Oui. Et ça, c'est quelque chose qui s'était raréfié, le souffle. Ça fait penser au début du Conte de Montecristo de Dumas. Je vous dis la phrase. "Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le Trois-Mas, le Pharaon, venant de Smyrne, Trieste et Naples". C'est un souffle qui... C'est une ambition, en fait, de dire, voilà, pour moi, un roman, c'est un conte. On doit y aller. Et là, il y a un bébé... sur les marches d'une église. On va essayer de comprendre comment on part d'orphelin abandonné à trois jours vers... le type qui va donner son nom à la rue. Et tout le livre est contenu dans cette première et cette dernière phrase.

  • Speaker #2

    Oui, dans le ventre phonétique de la première phrase, il y a déjà tout le livre qui est en gestation.

  • Speaker #1

    C'est une densité. C'est ça. D'où vient cette envie de classicisme et de redonner au roman ces lettres de noblesse et de croire en une histoire comme ça ?

  • Speaker #2

    En effet, je m'étais mis comme contrainte oulipienne, en quelque sorte, de... écrire une histoire par phrase dans ce livre. Que tu puisses ouvrir le livre en dégustation à l'aveugle, comme on dit dans le monde du vœu. Ah,

  • Speaker #1

    alors pas chégalé.

  • Speaker #2

    On va voir si t'as marre. Typiquement, on tombera sur la mauvaise phrase.

  • Speaker #1

    Un 27 septembre, ils obtinrent leur diplôme de médecine avec mention summa cum laude lors d'une soirée magnifique au Paraninfo de l'Université centrale du Venezuela. Oui, c'est vrai, c'est un roman. Chaque phrase est un roman.

  • Speaker #2

    En quelque sorte.

  • Speaker #1

    C'est dingue.

  • Speaker #2

    Et moi, je portais cette histoire dans la barrique de mon cœur depuis l'enfance, puisque c'est l'histoire de mes grands-parents, de mon grand-père, de ma grand-mère. Et ça macérait, ça distillait petit à petit. Je ne savais pas précisément comment l'écrire, bien qu'encore une fois, j'étais vraiment le porté dans le ventre. Et cette première phrase m'est venue une nuit. Et alors, ça semble un peu romantique comme idée. J'ai horreur des romantismes littéraires. Toutefois, je dois reconnaître qu'à la façon presque borgésienne... que lui parle des dons de la nuit, comment la nuit peut apporter des cadeaux. J'écoutais il y a deux jours une très belle conférence de Carlos Fuentes, l'écrivain mexicain des Cinq Soleils du Mexique, qui disait, dans les dix recommandations qu'il donne à de jeunes écrivains pour écrire, la première n'est pas la discipline, n'est pas la méthode, n'est pas l'inspiration, n'est pas le travail, il commence en disant d'abord le rêve. Vous imaginez la veille... Le travail que vous allez effectuer le lendemain, vous organisez avec une architecture narrative, avec un squelette romanesque, avec une grille de lecture, etc. Et puis le lendemain, vous écrivez autre chose. Pourquoi ? Parce qu'entre les deux, vous avez dormi et vous avez rêvé. Et les dons de la nuit, ces cadeaux des rêves, vous apportent des choses. Et cette première phrase, figure-toi, elle est apparue une nuit, comme une sorte de don des rêves. Et j'irai même plus loin, pour ne pas prendre que des références latino-américaines, et également des références françaises.

  • Speaker #1

    Je me dis que c'est Alexandre Dumas.

  • Speaker #2

    Voilà, Dumas en effet. Et même Paul Valéry, qui dans ses mauvaises pensées, a cette très belle phrase dans laquelle il dit Les dieux vous donnent gracieusement un premier verre, mais c'est à vous de façonner le deuxième qui doit consonner avec l'autre et ne pas être indigne de son aîné surnaturel.

  • Speaker #1

    Oui, mais c'est juste parce que justement, cette première phrase place le roman à un certain niveau. Et ce qui est formidable dans votre pari, moi je vous... continue de te vouvoyer pour... On n'est pas l'air d'être amis. Non, naturellement. Tu places, vous placez le livre à un niveau et gardez cette note tout le temps jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'on relise la même phrase à la fin. Parlons maintenant de cet Antonio. Antonio, c'est votre grand-père. Il a vraiment été abandonné à l'âge de 3 jours sur les marges d'une église.

  • Speaker #2

    Dans la réalité ? Dans la réalité, sa mère est morte en couche. Et son père, Elias Borja Romero, qui a réellement existé, était un marin qui faisait avec son petit bateau les arrêts autour du lac de Maracaibo, l'a placé au soin de cette muette Thérèse, de cette muda Teresa, qui était, il semblerait, la tante d'une cousine, d'une sœur, d'une belle-sœur, de je ne sais pas quoi, et qui était une femme qui vivait dans la misère complète. Donc il n'a pas vraiment été déposé sur la marche de l'Église. mais il a été confié dans la première semaine à cette dame-là. Et puis lui a disparu, le père, Elie Haouar Haramel, a disparu pendant 12 ans. Et il n'est revenu qu'au Majestic, dans ce bordel, dans cette maison closée. Moi, ce que j'ai fait, c'est transformer en symbole, transformer en signe, transformer en allégorie, pour créer une prolepse, pour annoncer quelque chose à venir et en quelque sorte saisir le lecteur.

  • Speaker #1

    Et on est saisi, et ça marche très bien. Bon, alors, c'est l'histoire d'amour entre votre grand-père et votre grand-mère, Antonio, donc, et Anna Maria. Et tous les deux vont devenir médecins, mais de très grands médecins, au point d'ouvrir une faculté de médecine. Oui. Où ça ?

  • Speaker #2

    Alors, ils ont... Fonder la première université de l'État de Souliens, qui est un des États les plus importants du Venezuela, à Maracaibo, qui est la deuxième ville après Caracas au Venezuela. Et dans cette université, il y avait autour de 22 facultés, tantôt de médecine, tantôt d'ingénierie, tantôt d'architecture. Enfin, c'était une vraie université. Cette université porte le nom de mon grand-père aujourd'hui, l'université Antonio Borja Romero. Il y a un buste de lui à l'entrée. Et toute la rue et tout le quartier portent le nom également. Donc, ça a donné comme ça une sorte d'aura. Et ce qui est assez...

  • Speaker #1

    Je regrette d'ailleurs d'avoir été familier avec vous, parce que maintenant, j'ai un peu plus de respect. Je sais qu'il y a un buste. Je vous demande pardon d'avoir été taquin. Oui,

  • Speaker #2

    il y a même un bus qui mène à l'université. Et donc, le bus finit dans le quartier Antonio Borja Romero. Et donc, souvent, il y a sur le bus écrit le nom de mon grand-père. C'est un peu la blague que m'envoie ma cousine régulièrement par WhatsApp.

  • Speaker #1

    Oui, c'est embêtant parce que vous vous appelez Bonnefoy. Alors, du coup, vous ne pouvez pas crâner. Vous êtes à Maracaibo en disant, regarde... Absolument.

  • Speaker #2

    Toutefois, je peux crâner en marchant à Paris, car il y a eu un Yves Bonnefoy.

  • Speaker #1

    Eh oui,

  • Speaker #2

    finalement, je gagne des deux côtés.

  • Speaker #1

    Il n'est pas de votre famille ?

  • Speaker #2

    Non, figurez-vous. On n'a rien à voir avec Saint-Pierre-des-Cors ni avec Tours.

  • Speaker #1

    Mais, donc, du coup, je suis perdu. C'est cette espèce de souffle romanesque, je voulais dire, qui est maintenue dans le livre. Alors vous rappelez que Venezuela veut dire petite Venise, Veneziola, et c'est un peu comme la Nouvelle-Angleterre,

  • Speaker #2

    ou la Nouvelle-Orléans,

  • Speaker #1

    New Amsterdam, mais vous ajoutez tout de suite, on imaginait plus une nation, avant les nations, des hommes déguisés en aigles, des enfants qui parlaient avec les morts, et des femmes qui se transformaient en salamandres. C'est constamment un va-et-vient. entre la colonisation, l'arrivée des Espagnols et puis l'industrie pétrolière, parce que le lac de Maracaibo est un regorge de pétrole et donc est devenu un gisement. Et en même temps, il y a toujours cette espèce de magie, comme vous dites, que vous saupoudrez partout dans chaque phrase. Comment on fait ça ? Vous avez un secret ?

  • Speaker #2

    Alors non. Il y a beaucoup d'instincts, il y a bien sûr beaucoup d'intuition, il y a énormément de travail, beaucoup de discipline, beaucoup de lecture, beaucoup de livres qui m'ont accompagné et qui m'ont aidé en effet à donner de la chair, à donner du relief, à donner de l'épaisseur aux phrases. Je suis convaincu que la littérature est, comme on dit en botanique, épiphyte. Il me semble que les épiphytes sont les plantes qui poussent sur d'autres plantes, sont les fleurs qui poussent sur d'autres fleurs. Eh bien, les livres poussent sur d'autres livres. Les livres prennent racine sur une matière préexistante. Et il y a en effet, tantôt on parlait de William Urpina par exemple, qui m'a beaucoup inspiré pour ce livre, il y a bien sûr, je pensais à Michel Tournier, je pense à Ivo Andrick, l'écrivain serbo-croate, prix Nobel de littérature, qui avait écrit Le pont sur la Drina. Et ce sont ces livres qui ont été des livres diapasons. Et

  • Speaker #1

    Garcia Marquez ? Alors bien sûr,

  • Speaker #2

    il y a bien sûr du Garcia Marquez, bien entendu.

  • Speaker #1

    Votre Macondo, le sortant de solitude, c'est...

  • Speaker #2

    Le Malacay, ou en quelque sorte du Venezuela. Mais il ne faut pas oublier que... Garcia Marquez, à son tour, était un grand lecteur de Faulkner. Lui était un grand lecteur de Kafka.

  • Speaker #1

    Non,

  • Speaker #2

    mais bien sûr. C'est toujours la même histoire.

  • Speaker #1

    Il n'y a pas de littérature ex nihilo.

  • Speaker #2

    Exactement. On est tous la conséquence de quelqu'un.

  • Speaker #1

    Et je me disais, puisque vous êtes également un romancier français, que vous écrivez dans cette langue, si vous deviez choisir un roman de Flaubert, ce serait probablement plus Salambo que Madame Bovary.

  • Speaker #2

    Alors figurez-vous que si je devais vraiment choisir un Flaubert, ce ne serait pas un roman. Je pense à mes yeux, humblement, que là où Flaubert a été le plus grand est dans le conte de Saint Julien de l'Hospitalier.

  • Speaker #1

    Ah oui, d'accord.

  • Speaker #2

    Qui me semble un sommet de la réalité particulière. Dans les trois contes.

  • Speaker #1

    Je pensais que vous alliez répondre à la correspondance.

  • Speaker #2

    La correspondance ?

  • Speaker #1

    Parce que les lettres sont...

  • Speaker #2

    Les lettres sont délicieuses, bien sûr. Bien sûr qu'elles sont délicieuses. Et il se trouve qu'il n'y a pas longtemps, justement, j'étais en train de les relire, parce que j'étais en train de relire deux types de correspondances. Celle de Flaubert de son côté avec énormément d'amis. celle de Anna de Noailles avec Proust. D'ailleurs, il nomme la Pérouse. Oui, bien sûr. C'est étonnant de voir comment il y a des styles assez différents. Parce que Proust, dans sa correspondance, est toujours aussi précieux, fait toujours aussi attention à la phrase, prend le temps, en effet, de ne jamais aller dans un petit pas de côté, ne pas être dans des aspérités, dans des facilités. Alors que Flaubert peut écrire parfois un peu plus vite ses lettres. Et il y a des lettres qui ont parfois peu de poésie, qui sont assez factuelles. Et une autre chose que j'aimerais commenter par rapport à Flaubert, et je pourrais faire le lien avec le livre si on a un peu de temps, c'est toujours délicieux de parler de littérature en général.

  • Speaker #1

    On est la seule émission qui a du temps.

  • Speaker #2

    Eh bien, il se trouve que si on revient aux trois contes, dans un cœur simple, lorsque Flaubert parle de félicité qui est cette gouvernante, il a passé 15 ans à écrire un cœur simple. Il a fait une description de félicité de 20 pages qui était son premier manuscrit. Puis, au bout d'un an, il l'a réduit à 17. Puis, un an plus tard, il l'a réduit à 15. Puis après, à 13. Puis après, à 10. En fait, c'est des années et des années à réduire, réduire, réduire, avec cette belle idée pascalienne de... Excusez-moi si ma lettre a été un peu longue, si j'avais eu plus de temps, ma lettre aurait été plus courte. Cette idée de réduire, réduire, réduire. Et aujourd'hui, lorsque l'on lit un cœur simple et on lit la description de Félicité, ça tient en une phrase, mais une phrase qui condense, qui rassemble dans une sorte de molécule fondamentale tout ce qu'il a voulu mettre. Et cette phrase, c'est Elle avait eu, elle aussi, son histoire d'amour Et tout est là en fait dans ce personnage qui a eu un passé autrefois, qui est maintenant court bléchine face à de vieux chagrins, à un cœur qui est plein de blessures secrètes, mais qui est toujours dans la servabilité, ce demi-siècle de servitude qu'on retrouve beaucoup.

  • Speaker #1

    Alors vous n'êtes pas encore arrivé à cette assaise, parce que c'est justement, vous c'est plutôt luxuriant, c'est la profusion. Par exemple, dans le livre, il y a des langoustes qui mangent le maïs, parce qu'il y a une inondation. dans un champ de maïs près de Maracaibo. Oui, sur le lac. Et pendant les inondations, les langoustes arrivent, bouffent tous les épis de maïs. Absolument. Ensuite, la mer s'en va. Oui. Mais c'est vrai, ça ? Oui,

  • Speaker #2

    absolument. Oui, c'est dans toutes les chroniques de Maracaibo. Parce que les cultures de maïs ne sont pas loin de la rive, tout simplement. Donc, lorsque les crues augmentent avec les pluies torrentielles, et comme c'est un lac qui a une ouverture sur la mer, les langoustes... Elles arrivent et elles mangent les pop-corn. Elles mangent les pop-corn, tout simplement. Donc, on maudit les langoustes à Maracaibo comme on maudissait les sauterelles en Égypte.

  • Speaker #1

    Je vais vous faire lire encore un extrait pour donner la saveur de votre style. Alors, c'est une description justement de Maracaibo. Oui, ce n'est pas trop long, ne vous inquiétez pas.

  • Speaker #2

    Je lirai donc 47 pages, si vous le voulez bien. Tout Maracaïo s'étourdit au spectacle des camions chargés de gaillards venus des régions les plus reculées de Tucupita, des vallées du Delta et Lorinoco et des profondeurs éthérées de la Grande Saoana qui se garaient en longues files muettes à l'entrée des banlieues. Sur le port, tous les jours, des dizaines de vraquiers que personne n'avait jamais vu allaient et venaient avec des pavillons étaguniens, anglais, coréens. lourds d'hommes d'affaires et de valises de dollars. Puis surgirent des étrangers, des gitans fatigués qui savaient prédire les caprices du ciel en mesurant l'épaisseur de la sève, des Hollandais et des Italiens qui avaient pris des navires de fortune où ils s'étaient fait tatouer sur le torse le nom d'une prostituée, des Arabes et des garimpeiros en costumes militaires sortis des jungles, des vignerons chiliens qui avaient remonté la cordillère à pied Dans l'espoir d'atteindre une nouvelle terre, tous ces hommes arrivaient désormais sur ces berges couvertes d'huile et de camélias en quête d'or noir.

  • Speaker #1

    Vous voyez la densité, c'est pour donner cette densité romanesque qu'il y a chez vous et qui aujourd'hui est quelque chose de presque inactuel. Mais c'est merveilleux à lire, c'est hyper évocateur. En gros, votre livre dit que la malédiction... du Venezuela, c'est le pétrole.

  • Speaker #2

    Oui, absolument. Ça a été à la fois notre perte et à la fois notre grandeur. Lorsqu'on a découvert le pétrole dans les années 1920, comme l'a fait la Norvège, mais là où la Norvège a été intelligente, c'est qu'elle est parvenue à faire ce que Ouslar Pietri appelait semer le pétrole C'est-à-dire que le pétrole soit une graine qui fasse pousser des institutions publiques, qui donne des racines profondes à des universités qui travaillent au niveau de... d'un vrai système, d'un tissu agricole dans le pays et qui fasse en effet tout simplement fructifier, qu'il soit l'engrais d'un terreau national et institutionnel.

  • Speaker #1

    Mais là, les Norvégiens exploitaient leur pétrole. Là, ce qui vous est arrivé, c'est ce que vous décrivez là. Tous ces gens qui sont arrivés, attirés par l'or noir.

  • Speaker #2

    Attirés par l'or noir, le Venezuela s'est rendu compte qu'il était si pauvre, si pauvre qu'il n'avait que de l'argent et qu'il pouvait alors vendre le pétrole, avoir des pétrodollars et avec les pétrodollars, acheter les vivres. À l'étranger, à quoi bon, demandait-on à un paysan et un agriculteur vénézuélien, à quoi bon aller se tuer, se courber les chines dans des plantations de yuca, de tapioca ou de riz, si on peut l'acheter aux voisins, puisqu'on a de l'argent ? À quoi bon aller travailler ton système bovin si tu peux en effet acheter ta viande en Argentine ? Et aujourd'hui, le plat national vénézuélien qui s'appelle el pabellón criollo... Tous les ingrédients du plat national sont des produits importés. C'est quand même extraordinaire, non ?

  • Speaker #1

    Alors, est-ce qu'on peut dire que la fin des énergies fossiles va sauver le Venezuela ? Parce que finalement, maintenant on ne va plus s'occuper de pétrole.

  • Speaker #2

    Naturellement, je vois l'idée. Je pense qu'on est, hélas, à des années-lumières de l'énergie solaire, à des années-lumières de faire ce qu'a fait le Danemark, par exemple, avec ses éoliennes. Et très loin aussi de l'hydrogène, enfin de toute cette ramification des énergies propres, des énergies vertes, pour pouvoir sauver un pays qui est absolument dépendant du pétrole. Allez savoir ce qui va se passer. Moi je ne suis pas politologue naturellement, ni économiste, mais j'observe comment on fonce droit vers le mur.

  • Speaker #1

    Vous allez souvent là-bas ?

  • Speaker #2

    La dernière fois que j'y suis allé, c'était en 2017.

  • Speaker #1

    Ah oui, ça fait longtemps.

  • Speaker #2

    Ça fait longtemps. Mon père y habite encore, une partie de ma famille y habite encore. J'ai donc des relations très proches avec le Venezuela. Toutefois, pour mille raisons de vie, je ne suis pas allé depuis un moment, depuis la mort de Chavez.

  • Speaker #1

    Parce que là-bas, la situation est très compliquée.

  • Speaker #2

    La situation est très délicate.

  • Speaker #1

    Le pouvoir refuse de reconnaître la victoire d'un opposant qui a dû s'exiler. Oui. C'est bien ça, oui. Et je vois que vous ne voulez pas trop rentrer dans les détails parce que si vous allez au Venezuela, vous voulez pouvoir voir votre famille sans être mis en prison.

  • Speaker #2

    Exactement, cher ami, exactement.

  • Speaker #1

    Oui, mais c'est très compliqué. Vous allez un jour parler de la répression de Pinochet au Chili. Vous avez abordé le sujet dans Héritage, où il y avait un personnage, Hilario Da, pro-Aliendé, qui était détenu à la Villa Grimaldi, un endroit sinistre. qui est devenu un musée, mais où ce personnage était torturé. Et ça a été l'histoire de votre père.

  • Speaker #2

    Tout à fait. Mon père est né à Santiago, au Chili. Il avait 17 ans quand il est rentré dans le MIR, qui sont les Movimientos de Izquierda Revolucionnaire, le mouvement d'extrême-gauche révolutionnaire. Donc, ce sont des mouvements armés contre la dictature de Pinochet qui cherchaient à faire des attentats aux dictateurs. Il a été arrêté. Envoyé, comme vous le dites si bien, à Villagrimaldi, qui était un centre de torture. Il a passé à peu près trois semaines dans ce centre de torture. Et ensuite, il a été envoyé dans une prison commune pendant quelques mois, entouré de ce qu'on a appelé les prigés, qui étaient des prisonniers politiques. Et donc, c'était des boulangers, des coiffeurs, des architectes. Enfin, c'était des serveurs, des cuisiniers. Mais qui avaient une carte de parti et qui croyaient à un monde meilleur, à un monde nouveau. Et à partir de là, en sortant de la prison, on lui a rendu son passeport grâce à l'ambassade de France. Il faut reconnaître que c'est la France qui a sauvé mon père au Chili. Et il est allé en exil politique et est arrivé à Paris. Et c'est aussi où il a rencontré ma mère et c'est pour ça que moi aujourd'hui je vous parle en français.

  • Speaker #1

    Il a tenu des carnets où il racontait ses horreurs qu'il a vécues.

  • Speaker #2

    Il a écrit un livre qui s'appelle Relato en el frente chileno, qui a été publié sous un pseudonyme dans une maison d'édition catalane à Barcelone. Le pseudonyme était Hilario Da.

  • Speaker #1

    Voilà, donc c'est le personnage de votre livre.

  • Speaker #2

    Qui est le personnage du livre, voilà, exactement.

  • Speaker #1

    Et qui est également mentionné dans Le rêve du Jaguar.

  • Speaker #2

    Absolument, puisqu'il y a des traboules, il y a des passerelles, il y a des galeries souterraines entre mes livres et des personnages qui vont, qui reviennent, car j'essaie d'avoir une vraie cohérence dans l'ensemble des livres que j'écris. Et je vous assure, Frédéric... que si vous me donnez 10 ou 20 ans de plus, si j'arrive à sortir les livres que j'ai dans le ventre et dans un plan détaillé très précis que j'ai en tête et que je travaille depuis Octavio, depuis 10 ans, dans 20 ans.

  • Speaker #0

    vous pourrez regarder les livres et quand vous aurez compris le système, vous aurez dit Ah, mais c'est hyper malin !

  • Speaker #1

    Oui. Vous êtes donc le Modiano du Venezuela. C'est ce qu'il fait ? C'est un peu ce qu'il fait ?

  • Speaker #0

    Absolument. Mais mon cas n'est pas extraordinaire. C'est le cas aussi dans la littérature du 19ème avec Balzac et avec Zola, dans lesquels ils savaient très précisément quels étaient les livres qu'ils voulaient développer en fonction des thèmes, en fonction des personnages, en fonction des spin-offs, comme on dirait aujourd'hui dans le monde du cinéma.

  • Speaker #1

    Les Rougon-Macquart,

  • Speaker #0

    La comédie humaine,

  • Speaker #1

    etc. Vous avez cité deux personnes qui venaient chez la Pérouse régulièrement. Alors, je reviens à ce bordel très intérieur. C'est vraiment poli. Parlons de choses curieuses un peu. Donc, votre grand-père a vraiment été barman dans un bordel à Maracaibo. Parce que nous sommes ici chez la Pérouse. Ce n'est pas un ancien bordel, mais c'est un endroit où il y avait beaucoup de demi-mondaines, de femmes qui fréquentaient des... des messieurs et je ne veux même pas savoir ce qui s'est passé dans ce salon. Personne ne veut le savoir. Mais donc oui, alors c'est pas un peu un métier de rêve que votre grand-père faisait. Donc il a été embauché au Majestique.

  • Speaker #0

    Exactement. Alors il semblerait, selon les deux biographies qui ont été écrites sur lui, qu'une grande partie... de sa préadolescence et de son adolescence, s'est faite dans ce Majestic, qui était une maison close à Santa Rita, c'est-à-dire un peu dans les banlieues de Maracaibo, et où on faisait venir des filles étrangères. Donc ça donnait ce je-ne-sais-quoi en plus, puisque les filles n'avaient pas seulement la démesure caribéenne que vous pouvez imaginer, mais également une sorte de sensualité, de suavité, de rigueur et d'élégance dans l'amour. qu'on pouvait prêter aux femmes françaises, aux femmes anglaises ou hollandaises. Et donc, on trouvait en effet des...

  • Speaker #1

    C'est un roman, bien sûr. Oui,

  • Speaker #0

    naturellement.

  • Speaker #1

    Déformé par le talent.

  • Speaker #0

    Mais par la fiction. Oui, tout à fait. Et Antonio aurait en effet travaillé là pendant plusieurs années, jusqu'à devenir barman, jusqu'à monter un peu, petit à petit, dans la hiérarchie intérieure du Majestic, et jusqu'à retrouver son père, et ça, c'est ce que je raconte dans le livre, qui était client. à ce moment-là.

  • Speaker #1

    La scène est extraordinaire, où ils s'aperçoivent parce qu'il y a un objet.

  • Speaker #0

    C'est la machine à rouler des cigarettes. Oui, en effet. Un objet, un microfilm.

  • Speaker #1

    Que son père avait donné au bébé, enfin, laissé dans le lendemain. Et donc, ils se rendent compte que, tiens, c'est mon père. C'est ça. C'est très beau, très elliptique et élégant.

  • Speaker #0

    Très élégant, voilà. Et son père lui dit, en quelque sorte, écoute, cher ami, tu as quoi, 12, 13, 14 ans ? Je te vois ici, derrière le bar. Moi, je t'ai abandonné il y a 14 ans sur les marches d'une église. Je vais quand même faire un geste pour toi. Et donc, il écrit une lettre à Don Victor Emilio Montero, qui a réellement existé et qui a été le deuxième père de mon grand-père, en quelque sorte, qui était une sorte de cousin éloigné et qui était un homme qui avait une vraie famille, etc. Et qui lui envoie la lettre, donne cette lettre à Don Victor Emilio Montero, qui lui, va te sortir d'ici, qui va te mettre à l'école et qui va donner une vraie éducation. À partir de là, commence pour mon grand-père. La vie en fait étonnante d'un homme qui deviendra cardiologue, chirurgien, qui deviendra un des plus grands médecins du Venezuela, qui deviendra député du Congrès national, qui sera également président du Collège de médecine, et qui finit par être le recteur éternel d'une université qu'il fonde. Donc il y a quelque chose de très très beau dans cette espèce de montée hallucinante, prodigieuse en fait.

  • Speaker #1

    Un lectoire folle.

  • Speaker #0

    Et tout ceci est vrai, c'est ça qui est étonnant. Et donc ma mère m'a toujours énormément parlé de ce grand-père et de cette grand-mère, puisque le lien est plus ou moins le même, en me disant, en gros nous avons ça dans le sang. de cette persévérance, de cette ténacité, de cette abnégation pour être né chat et devenir Jaguar. C'est un peu l'idée du titre.

  • Speaker #1

    Comment travaillez-vous ? Vous avez un plan détaillé avant d'écrire ou vous laissez porter par ce que vous aviez dit tout à l'heure, les rêves ?

  • Speaker #0

    Pour être tout à fait honnête, je suis un moine copiste.

  • Speaker #1

    Vous savez où vous allez.

  • Speaker #0

    Absolument. J'ai vraiment une froideur chirurgicale avec mes personnages. Il ne m'est pas encore arrivé, parce que je n'ai pas encore assez de talent, et il me manque encore énormément de pages et d'encre pour pouvoir parvenir à écrire un livre qui me satisfasse entièrement. Et je le dis très honnêtement, sans aucune fausse modestie. Mais pour l'instant, il ne m'est pas encore arrivé cet instant où le personnage du livre a suffisamment de chair et de personnalité pour se dresser sur la page et me dire Non, mon ami, je n'irai pas. Je n'emprunterai pas ce sentier que tu as envie que je prenne. Au contraire, je vais aller dans l'autre sens et c'est moi qui écris le livre.

  • Speaker #1

    Mais ça vient du fait que c'est votre famille. Donc comme c'est votre famille, vous ne pouvez pas trop tricher.

  • Speaker #0

    Alors ça, naturellement. Non,

  • Speaker #1

    vous faites gronder.

  • Speaker #0

    C'est vrai.

  • Speaker #1

    Votre père va arriver ou votre mère va vous dire qu'est-ce que c'est que ça ?

  • Speaker #0

    Mes parents sont des gens très légers dans le bon sens du terme, très frivoles. Ils sont les premiers à tenir une sorte de transparence par rapport à mon écriture. Ils sont les premiers à me dire que la fiction peut être plus réelle que le réel. Fais-toi plaisir. Oui,

  • Speaker #1

    c'est vrai. Votre femme dit de vous que vous êtes une éponge. Je voulais savoir, est-ce que ça veut dire que vous êtes alcoolique ou que vous êtes un homme très curieux ? C'est juste... qui s'intéresse aux autres.

  • Speaker #0

    Eh bien, elle dit ça, car en quelque sorte, mais comme pour vous, et mon cas n'est pas extraordinaire, comme tous les écrivains et tous les artistes qu'on connaît, on est sans cesse pénétrés par le grand chaos du monde et on le transforme en quelque chose d'autre. Il y a ces vers de Émile Verharen qui me plaisent un peu et que j'aimerais partager avec vous, si vous le permettez.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Miguel.

  • Speaker #0

    Et qui... sont tirés d'un poème qui s'appelle Le Forgeron, dans lequel il essaye de faire une sorte d'analogie entre le forgeron et le poète, de comment saisir la matière du monde pour en faire une nouvelle arme et créer quelque chose de nouveau. Et il dit, dans son brasier d'or exalté, maître de soi, le forgeron a jeté passion, révolte, colère pour leur donner la trempe et la clarté du fer et de l'éclair. Donc en quelque sorte,

  • Speaker #1

    c'est pour ça que vous avez un chaudron, et vous touillez votre histoire familiale.

  • Speaker #0

    L'histoire familiale, des trucs que tu fais, des conversations chez la Pérouse, une anecdote que va me raconter un ami, une chanson que tu as écoutée, un verre qui te sonne bien. Enfin, ce je ne sais quoi du monde, en fait, une histoire, une blague racontée au détour d'un café avec un ami, etc. Et tout ceci, en fait, tu finis par le mettre, toutes ces violences, toutes ces passions, ces colères, ces beautés. Ces étonnements, ces outrances, ces reculs, tu les fais fondre dans un même creuset. Et tout ceci, dans ce brasier d'or exalté, finit par donner une autre trempe, une autre clarté, un autre fer. Et c'est cette éponge, je pense, qu'elle a en tête.

  • Speaker #1

    Oui, c'est marrant. On a reçu ici Rachel Cusk, la grande romancière anglaise. Elle parlait de regarder le monde à travers des... tessons de verre brisé.

  • Speaker #0

    C'est la même idée. Le kaléidoscope, on a tous en quelque sorte une métaphore en tête, mais c'est toujours la même.

  • Speaker #1

    Vous avez, Miguel, quand même écrit un roman plus français que français. C'était le précédent. L'inventeur sur Augustin Mouchot, l'inventeur de l'énergie solaire. Et ça, c'était complètement à part, non ? Ça n'a plus grand-chose à voir avec cet atavisme familial. Qu'est-ce qui s'était passé ? Vous avez dit bon maintenant il faut vraiment que je me fasse accepter Je ne sais pas. Augustin Mouchot quand même.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas avoir mon visa en fait. Il se trouve que j'avais écrit Octavio qui était sur le Venezuela. Le sucre noir était un peu dans les Antilles, sur le monde de la canne à sucre et du rhum. Héritage était également en Amérique latine, c'est de Chili. Et j'avais observé comment j'étais beaucoup... dans la flamboyance, dans l'exubérance. Et je sais que j'étais beaucoup étiqueté.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas une injure.

  • Speaker #0

    Non, qui n'est pas mauvaise, absolument. Je le vois au contraire. Je le prends vraiment comme un compliment.

  • Speaker #1

    Moi, je vous l'ai ressorti à des grandes louches.

  • Speaker #0

    J'adore. Mais non, absolument pas. Je suis bien conscient de ce que j'écris. C'est ce que j'aime lire aussi. Par rapport aussi au jungle de mon cœur, il y a ça. Toutefois, je me suis permis un pas de côté en voyant s'il était possible d'écrire un livre plus vieux. plus noir et blanc, plus Napoléon III. Oui, oui, c'est vrai. Oui,

  • Speaker #1

    mais il était très réussi.

  • Speaker #0

    Et ça m'a plu, en effet, de le travailler, de me rendre compte que je pouvais également être cultivé, labouré, la mère de cette part française de moi qui est énorme en Russie. Et moi, je me sens français, et c'est ma langue, et c'est ma culture, et je comprends aussi cet imaginaire. Je comprends tous ces codes et je comprends toutes ces références. Donc j'avais envie également de les mettre sur papier, voir comment ça se passait. Et j'ai pris un plaisir énorme à ça. Mais je dois reconnaître qu'en finissant de publier le livre, je me souviens en avoir parlé avec des amis et leur avoir dit il me manque un peu l'odeur de la mangue

  • Speaker #1

    Ah bah là, elle est revenue. Là,

  • Speaker #0

    elle est revenue. Elle est vraie l'odeur de la mangue.

  • Speaker #1

    Alors, je donne un exemple de scène. délirante qu'il y a dans le rêve du jaguar en 1955 un pêcheur qui trouve un pingouin sur une plage du venezuela oui c'est une histoire vraie et au venezuela il fait 40 degrés à l'ombre à ce moment là il ya un pingouin que fout ce pingouin sur cette plage c'est quand même dingue non on ne sait pas et c'est vrai donc il est devenu ce pingouin est devenu une star au venezuela Mila j'espère en effet que dans le montage qu'on fera vous pourrez mettre

  • Speaker #0

    La photo qui se trouve sur Internet, tu tapes Un pingouino en Maracaibo et tu tombes immédiatement sur la photo qui est célébrissime parce que ça a été dans les journaux. Et le pingouin est aujourd'hui empaillé à l'Institut des sciences naturelles de Maracaibo. C'est quelque chose de très réel. Et il y a, en effet, c'était un 14 juillet en plus, le jour de la Saint-Valentin. Allez savoir, non ? Quelle histoire d'amour était en train de se jouer à ce moment-là. Un pingouin est arrivé sur les côtes de Maracaibo, plus précisément sur la plage de Sinamaika. Et ça a créé... tout un touhu-bouhu qui pendant trois mois... On a parlé que de cette mascotte de la ville. On lui a donné un nom, c'était vraiment Policarpio. Et aujourd'hui, il y a des glaces que tu trouves encore à Maracaibo, qui s'appellent les glaces Polo, où il y a un petit pingouin comme ça qui apparaît. Donc en effet, c'est en référence à ça. Il y a une rue qui s'appelle El Pingüino, qu'on appelle El Pingüino, en effet, Al Salavillo.

  • Speaker #1

    Et ça ne s'est plus jamais produit depuis. C'était ce pingouin de 1955. Il s'est égaré de quelques milliers de kilomètres.

  • Speaker #0

    Alors, oui, c'est... Mais... L'hypothèse qu'on retient le plus, c'est qu'il a dû s'échapper sans doute d'un bateau qui était en train de faire des trafics d'espèces rares ou illégales. Parce que ce n'est pas possible qu'il ait nagé pendant 9000 kilomètres avec tous les dangers possibles. Je ne sais pas combien vit un pingouin, il ne serait pas non plus libre, 120 ans. Le temps d'arriver,

  • Speaker #1

    c'est jusqu'à Maracaibo.

  • Speaker #0

    Il y a des savoirs, mais ça a vraiment existé. Et le pingouin de Maracaibo.

  • Speaker #1

    Tout à l'heure, avant l'émission, on se promenait dans le restaurant La Perouse. Vous avez tombé sur la photographie de Corot, ce grand peintre qui venait ici. Et il est devenu un mot commun, un nom commun au Venezuela ?

  • Speaker #0

    Absolument. À Maracaibo, on utilise le mot coroto pour dire des trucs. Ça peut être n'importe quoi, mais ça peut aller de la petite fourchette jusqu'à la caméra. C'est un coroto, voilà, un mi-coroto. Où sont mes lunettes ? D'où sont mes corotos ? Où est mon truc ? Et ça viendrait en effet qu'il y avait un aristocrate français qui était installé au 18e et début 19e à Maracaibo, qui avait des coraux chez lui, et qu'en 1811, lorsqu'il y a eu l'indépendance latino-américaine avec Simon Bolivar, et que beaucoup d'aristocrates ont dû fuir dans les bateaux qu'on leur a permis pour aller vers l'Europe, eh bien cet aristocrate, en courant, prenait toutes ses affaires et hurlait aux indigènes, Attention avec mes coraux ! Attention avec mes corotos ! Et les indigènes répondaient entre eux Attention avec le coroto ! Et petit à petit, par métonymie, le mot coroto est devenu simplement les trucs en sport.

  • Speaker #1

    Passe-moi mon coroto ! Donne-moi mes corotos ! Pluriel, pluriel, c'est conjugué en vénézuélien.

  • Speaker #0

    Un siècle et demi plus tard, encore aujourd'hui, on utilise coroto et je pense en effet que corot n'avait aucune idée où se trouvait Maracaibo sur la carte et les indigènes n'avaient sans doute jamais vu un corot.

  • Speaker #1

    Nous allons maintenant jouer à un jeu qui s'appelle devine tes citations. Je vais vous dire des phrases de vous tirées de tous vos livres et vous devez me dire dans lequel vous avez écrit cette phrase.

  • Speaker #0

    Ah superbe ! C'est une édition d'imposteur.

  • Speaker #1

    Voilà pour vérifier si vous écrivez vos livres vous-même.

  • Speaker #0

    Ou si c'est Emilie Colombani.

  • Speaker #1

    Oui, votre éditrice du rivage Emilie Colombani qui rédige à votre place. Ou bien si c'est peut-être un, je ne sais pas, un employé vénézuélien exploité.

  • Speaker #0

    Oui, un corotto.

  • Speaker #1

    Voilà c'est ça. Bon alors. Jamais une femme ne mit autant de courage à s'occuper d'un enfant qu'elle n'aimait pas.

  • Speaker #0

    Cette phrase est dans le rêve du Jaguar.

  • Speaker #1

    Dans le rêve du Jaguar, le dernier, 2024. Je commence toujours par une question facile.

  • Speaker #0

    Oui, je vois ça.

  • Speaker #1

    Parce que les invités viennent ici. Oui,

  • Speaker #0

    la question est quelle est la capitale du Kenya, en fait. Comme ça, tu vois.

  • Speaker #1

    Donc, on voit encore d'ailleurs dans cette phrase votre style très classique. Voilà. Une autre phrase. Plus riche. Ses mains sentaient la poudre de riz, le phare à base de cannelle, le vernis, les fossiles, les brillants couleurs grenades, la cire d'épilation et la corruption locale.

  • Speaker #0

    Et un piège. Et ça, c'est dans le Marquis de Sade.

  • Speaker #1

    C'est aussi le rêve du Jaguar, bien sûr. Et c'est vrai qu'on voit la générosité de votre prose dans cette phrase. Bon, alors maintenant, le plus difficile. Quand il parvint... Pardon, est-ce que c'est parvient ou parvint ? Je n'arrive pas à me relire.

  • Speaker #0

    C'est possible que ce soit du passé simple, si vous voulez mon avis. Oui, alors oui. Je me trompe peut-être.

  • Speaker #1

    C'est ça. Alors, quand il parvint à lire une phrase entière sans hésiter et qu'il ressentit l'émotion brutale de la comprendre, il fut envahi par le désir violent de renommer le monde depuis ses débuts.

  • Speaker #0

    Je dirais que c'est le voyage d'Octavio, l'histoire d'un analphabète.

  • Speaker #1

    En 2015, c'était votre premier roman. Oui. Et je trouve que dans cette phrase... Vous donnez votre définition du rôle de la littérature. Renommez le monde depuis ses débuts.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas de moi, en quelque sorte. Je pense que si on lit, par exemple, l'histoire d'un déicide de Vargas Llosa, il a vraiment cette idée que la littérature est un déicide. C'est-à-dire qu'il faut tuer un dieu pour en faire un nouveau. En quelque sorte, il faut tuer les repères de la réalité. et en faire un nouveau avec les nouveaux codes de la fiction. Mais qu'il y ait toujours cette idée de rompre quelque chose pour faire quelque chose de nouveau. Et Balzac le dit aussi, la littérature n'est pas là pour copier la réalité, elle est là pour l'exprimer. Encore une fois, c'est une forme d'homicide de la réalité pour en faire une nouvelle chose.

  • Speaker #1

    C'est un puzzle et vous, vous reconstituez votre puzzle à vous.

  • Speaker #0

    L'idée du puzzle me plaît beaucoup. Et je crois beaucoup que l'écriture est une affaire de puzzle. C'est très juste.

  • Speaker #1

    Quand même, vous aimez le roman picaresque. Vous n'êtes pas un écrivain expérimental influencé par Alain Robbe-Grillet. Vous voyez, vous êtes quand même un descendant de Cervantes. Bien sûr. De Don Quichotte. D'où vos livres sont un peu des remakes de Don Quichotte.

  • Speaker #0

    En quelque sorte, oui, peut-être en effet. Mais il y a aussi, on pourrait aussi imaginer qu'il y a du Rabelais ou il y a du Chrétien de Troyes, en fait. Mais comme c'est plus ou moins la même époque, que ce soit en France ou en Espagne, il y avait des porosités entre les deux. Et j'ai beaucoup travaillé sur Claude Simon. par exemple, puisque vous parliez du nouveau roman avec Rob Grier. J'ai beaucoup travaillé sur Clotimon ou sur Nathalie Sarraute. Je me suis intéressé au nouveau roman que je trouve extraordinaire dans sa forme fracturée. J'ai passé un an à étudier aussi le surréalisme et le dadaïsme. Et alors, bien sûr, qu'il y a presque 50 ans d'écart entre les deux. Et toutefois, c'est le même mouvement iconoclaste sur la littérature.

  • Speaker #1

    Vous n'apprenez pas à cette fois. Peut-être plus tard. Peut-être un jour. Peut-être un jour, vous serez complètement hermétique.

  • Speaker #0

    Mais pour l'instant,

  • Speaker #1

    il y a quand même des personnages, des histoires, une narration. Tout à fait. Ce que je voulais dire,

  • Speaker #0

    c'est que j'ai beaucoup d'admiration pour, par exemple, Le jardin des plantes de Claude Simon, qui est vraiment un chef-d'oeuvre absolu. Mais qu'aujourd'hui, je n'ai pas du tout le talent pour pouvoir écrire quelque chose comme ça, pour pouvoir faire un texte qui soit autant fragmenté et qui toutefois ait une trame.

  • Speaker #1

    Très malin, parce que comme ça, vous ne vous fâchez pas avec la goutte. C'est important quand on est sur les listes des prix. Donc, clair un petit peu aussi à des gens qui sont un peu plus avant-garde. Continuons le jeu. Donc, devinez cette citation. Où avez-vous écrit ceci ? Je cache parce que je vois bien que vous êtes un richeur. Lorsque les indigènes mâchaient l'Ibadou, ils parvenaient à monter dans les airs jusqu'à atteindre 4 mètres du sol.

  • Speaker #0

    Mais là, moi, je dirais comme ça, dans mon illustre ignorance, que c'est tiré de jungle.

  • Speaker #1

    Héritage. Ah bah oui,

  • Speaker #0

    bien sûr, bien sûr, le grand classique.

  • Speaker #1

    Alors qu'est-ce que c'est que l'hibadou ? Est-ce que vous avez déjà essayé l'hibadou ? Parce qu'apparemment, ça fait voler à 4 mètres du sol, ça m'intéresse.

  • Speaker #0

    C'est une sorte d'ayahuasca, en quelque sorte. Non mais,

  • Speaker #1

    on ne peut pas avoir un invité franco-vénézuélien sans lui poser la question.

  • Speaker #0

    De l'hibadou.

  • Speaker #1

    Vous avez tenté ce genre d'expérience ?

  • Speaker #0

    Alors, ma mère regarde cette émission.

  • Speaker #1

    Mais non, ah oui, il y a eu... c'est presque normal là-bas d'essayer les plantes psychélégiques.

  • Speaker #0

    Je me souviens en effet qu'on m'avait parlé de l'Ibadou, et c'est là où c'est beau, parce que ça revient à ce que vous disiez tout à l'heure, que dans mes livres, il y a une même langue, et qu'ensuite c'est segmenté en bouquins, mais c'est une même langue. C'est un peu comme une sorte de même texte qui est segmenté comme ça. Et l'Ibadou, on m'en avait parlé lorsque j'avais fait une très belle expédition pour descendre en rappel la plus haute cascade du monde, que j'ai racontée dans le livre Jungle, qui est un récit de voyage. où j'ai passé trois semaines avec des indigènes Pemones dans la grande savane, dans les Auyantepuy, qui sont des formations tabulaires au cœur de l'Amazonie. Et là-bas, c'est un des indigènes qui m'avait parlé de ce Ibadu, qui semblerait que c'est une sorte de tubercule que tu râpes et qui peut en effet te provoquer des trucs psychédéliques, tout simplement. Donc, tu ne voles pas. Des voyages intérieurs. Exactement, ce sont des errances intérieures.

  • Speaker #1

    Et là, dans la jungle, ils ne vous ont pas initié.

  • Speaker #0

    Bien entendu, j'aurais l'élégance de ne pas en parler ce soir.

  • Speaker #1

    On reste dans le domaine du... ça veut dire le romanesque.

  • Speaker #0

    Parlons de l'équité, parlons de... Oui, bien sûr, bien sûr.

  • Speaker #1

    Autre phrase. Le jour se leva sur un navire naufragé planté sur la cime des arbres au milieu d'une forêt.

  • Speaker #0

    Sucre Noir. Bien sûr,

  • Speaker #1

    c'est la première phrase qui est démente de Sucre Noir 2017, avec cette image du bateau en haut des arbres, en milieu de la jungle. C'est l'Arche de Noé.

  • Speaker #0

    C'est absolument l'Arche de Noé. Qui est une image que j'ai empruntée pour vous montrer que je n'ai rien inventé et que je ne fais que composer avec les choses qui sont autour de moi. Je ne suis qu'une éponge de mer, encore une fois. C'est une image qui est empruntée au Fitzcarraldo de Werner Herzog. Vous me soutenez en effet. Ce fou Fitzcarraldo fait passer à un moment, demande à 150 indigènes de tirer à la main son bateau pour le faire traverser une montagne parce que c'est trop long de faire le tour. Et le bateau reste à un moment, et tu as cette espèce d'image fabuleuse. ce gigantesque bateau sur les arbres et je m'étais dit mais comment c'est un livre avec une image comme ça mais

  • Speaker #1

    Bravo pour tout ça j'avais écrit ici que vous Vous entraînez un retour au roman et j'avais marqué Fuck l'avant-garde Mais juste avant, vous avez défendu l'avant-garde de manière très à droite. Donc je ne vais pas vous entraîner sur ce terrain.

  • Speaker #0

    Non, on se doit couper au montage.

  • Speaker #1

    Et enfin, une dernière phrase, alors il faut me l'expliquer. Dites-moi où vous avez dit ça, puis après vous m'expliquerez. Les romans sont une île entourée de terre.

  • Speaker #0

    Eh bien, ça, c'est écrit dans Le rêve du Jaguar, également.

  • Speaker #1

    Oui, le dernier, oui. Absolument. Alors, expliquez-moi, c'est un peu comme une interro au bac français à l'oral. Les romans sont une île entourée de terre. Vous avez une minute.

  • Speaker #0

    Je pense que ce que je voulais développer dans cette idée était ce qu'on parlait tout à l'heure, de que lire peut aussi être rester. Et que j'ai ressenti énormément d'apaisement. dans la compagnie des livres, avec des frères invisibles, des sœurs invisibles, à un moment où moi je voyageais énormément. Et j'avais peut-être l'impression d'être moi-même égaré dans une sorte de mer de différents noms de capitales et de cultures, d'idiosyncrasies différentes. Et j'étais comme dans une sorte d'île seule. Mais heureusement que les romans étaient là pour ne pas entourer cette île d'eau, mais l'entourer de terre où je puisse marcher pour aller à la rencontre. Tu vois, mais menée à la glaise des hommes et des femmes.

  • Speaker #1

    Quelle est la liste des pays où vous avez vécu ? Donc, il y a France, Portugal,

  • Speaker #0

    Italie... Oui, très longtemps à Lisbonne, oui, bien sûr, à Rome, oui.

  • Speaker #1

    Argentine ?

  • Speaker #0

    A Buenos Aires, et également dans une ville qui s'appelle Dresistencia, dans le nord de l'Argentine, dans la province de Chateau.

  • Speaker #1

    Venezuela, donc ?

  • Speaker #0

    Venezuela, naturellement. Qu'est-ce que j'oublie ? Caracas. Non, bon, mon père est chilien, donc, fatalement, j'ai un lien avec Santiago, qui est quand même très puissant, très fort. Et j'ai vécu un an à Berlin, là en effet, avec ma famille, avec la petite, avec les deux filles, enfin madame était enceinte. Oui,

  • Speaker #1

    alors ça c'est une question, pardon, moi aussi j'ai des petits-enfants. Comment on fait pour écrire autant, pour être un conteur comme vous, tout en ayant une famille, non pas à nourrir, mais à éduquer ? Vous êtes un bon père de famille, il faut s'organiser d'une façon... très disciplinés.

  • Speaker #0

    C'est pour ça que je vous disais tout à l'heure, moi je suis un moine, je suis très militaire dans la façon...

  • Speaker #1

    Vous les mettez à l'école et après ça doit pondre là, il faut sortir 4 pages.

  • Speaker #0

    Exactement. J'arrive en effet sur ma table de travail de la salle à manger et je n'ai pas de bureau, je pousse les tétines et les bédots. C'est vraiment ça, c'est avec le bras, comme ça. Et je sors l'ordi et je me mets à travailler. Mais là,

  • Speaker #1

    il faut que ça sorte,

  • Speaker #0

    là. Ben oui, je n'ai pas le choix. Parce qu'à 16h30,

  • Speaker #1

    il faut aller les chercher à l'école. C'est moi qui vais les chercher. Et là, c'est terminé. Garcia Marquez, adios.

  • Speaker #0

    Garcia Marquez, lui aussi, avait des enfants petits quand il a écrit Cent ans de solitude Et lui, il expliquait que la veille, il travaillait. Il travaillait. Le matin, il écrivait. Et dans l'après-midi, il préparait. La matinée suivante, donc il faisait les lectures nécessaires, il récoltait le champ lexical nécessaire pour une scène par exemple de la bataille des thermopiles. Bon, il y a un champ lexical, il y a une terminologie, il y a un lexique qui est particulier, en effet, donc il le récoltait. Il essayait de voir dans son enchaînement narratif quelles étaient les scènes, quels étaient les personnages qu'il devait décrire et toutes ces choses. Et il s'occupait des enfants. Et le lendemain, lorsqu'ils étaient à l'école, il reprenait tout ce qu'il avait travaillé. Et pendant la matinée, il écrivait. et dans l'après-midi il retravaillait ce qu'il allait bosser le lendemain et moi j'ai bossé que ça fait dix ans que je travaille comme ça une façon très méthodique d'un côté bien sûr que je peux avoir l'air d'un être comme ça exubérant dans le débordement plein d'amitié et j'aime beaucoup ça et c'est très sincère mais

  • Speaker #1

    vous n'imaginez pas qu'elle faisait combien en fait vous êtes dans le vivet vous êtes un homme est très chiant non mais interminable on appelle le sable

  • Speaker #0

    à la maison.

  • Speaker #1

    Dernière question, et vraiment merci beaucoup pour votre générosité, pour vos livres et pour votre présence ici. Quand écrirez-vous un livre sur la France ? Il y a eu Augustin Mouchot, mais sur la France en espagnol.

  • Speaker #0

    Ah oui, c'est beau ça.

  • Speaker #1

    Un livre en espagnol.

  • Speaker #0

    Un livre que j'appellerais L'homme qui était la France Donc ce sera un livre consacré à Frédéric Becquerel. Sur moi. Absolument. L'homme qui était la France Tout de suite, beaucoup mieux. Oui, c'est bon, c'est très bien. et allez savoir en effet quand est-ce que ça va se faire je sais que tôt ou tard j'écrirai en espagnol car c'est ma langue maternelle et ce sera sans doute amusant de voir la traduction en français de me relire en français et de me rendre compte que sans doute je n'aurais jamais écrit le livre en français de cette façon est-ce que vous relisez les traductions espagnoles de vos livres ? oui absolument c'est pas vous qui traduisez vous-même j'ai beaucoup trop de respect envers les traducteurs pour être en train de prendre leur travail en quelque sorte. Et lorsque je reçois les traductions en espagnol de mes livres, je me surprends à découvrir des mots que je ne connaissais pas, des tournures de phrases que je n'aurais jamais utilisées et des dialogues que je n'aurais pas du tout fait de cette façon. Et je redécouvre mon propre livre si bien que je continue à le lire jusqu'à la fin pour savoir qu'est-ce qui se passe à la fin parce que je suis tellement étonné par le... Et c'est un nouvel homme. Donc, je serais curieux de voir comment j'écrirais directement en espagnol, qui sera sans doute très différent de mes livres traduits depuis le français.

  • Speaker #1

    Mais écoutez, en tout cas, continuez comme ça. Et surtout, je vous dis, je ne sais pas quoi vous souhaitez. Vous êtes sur toutes les listes des prix. La semaine prochaine, les prix seront décernés. Dites-moi un mot en espagnol. Comment on dit merde en espagnol ?

  • Speaker #0

    Inch'Allah.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup.

Chapters

  • Introduction à "La vie des spectres" de Patrice Jean

    00:00

  • Rencontre avec Miguel Bonnefoy et son parcours littéraire

    01:03

  • Les influences et le style de Bonnefoy

    02:42

  • L'importance de la littérature comme point de repère

    04:20

  • L'histoire de la famille de Bonnefoy et son grand-père

    05:48

  • Analyse de "Le Rêve du Jaguar" et de ses thèmes

    08:00

  • La création littéraire et le processus d'écriture

    09:48

  • Références littéraires et inspirations de Bonnefoy

    10:59

  • L'impact du pétrole sur le Venezuela

    16:44

  • Réflexions sur l'avenir du Venezuela

    23:08

  • L'héritage familial et les récits de résistance

    25:12

  • Jeu des citations et réflexions sur l'écriture

    40:54

  • Conclusion et remerciements

    53:15

Description

Phénomène assez rare, Miguel Bonnefoy est aussi brillant à l'oral qu'à l'écrit. Le récent lauréat du Grand Prix du Roman de l'Académie française n'a bu aucun alcool ni consommé de drogue durant l'enregistrement de cette conversation. Il est naturellement comme ça. Nous précisons que cet entretien a été enregistré peu avant sa consécration académique.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Avec La vie des spectres, Patrice Jean s'inscrit dans le sillage des grands romanciers du XIXe siècle. Jean Dulac est journaliste. Un jour, un de ses articles fait polémique, sa femme et son fils se dressent contre lui. Il quitte alors le domicile familial pour s'installer dans un pavillon abandonné. À travers la chute de cet homme, Patrice Jean dresse le portrait incroyablement juste de notre époque qui place la vertu avant la vérité dans un roman audacieux. La vie des spectres, de Patrice Jean, aux éditions du Cherche-Midi.

  • Speaker #1

    Et c'est aujourd'hui un grand jour puisque j'ai l'honneur de recevoir Miguel Bonnefoy, lauréat du Grand Prix du Roman de l'Académie française 2024 pour Le Rêve du Jaguar aux éditions Rivages. Conversations Lapérouse a le bonheur de recevoir Miguel Bonnefoy ce soir pour son... Combientième roman ?

  • Speaker #2

    Alors il semblerait que c'est le cinquième mais c'est sans doute faux.

  • Speaker #1

    Il y a d'autres manuscrits peut-être cachés ou qui ont été publiés dans des maisons d'édition qui ont fait faillite.

  • Speaker #2

    Exactement, et puis on a tous des romans avortés. Mais je me souviens avoir publié un premier livre dans une toute petite maison d'édition avec Brice Rocton et le livre s'était si mal vendu que quand je lui avais posé la question pourquoi le livre se vend si mal il m'avait répondu ton livre est sacré personne n'y touche c'est beau c'est beau c'est une manière très courtoise manière de dire ce n'est pas encore on refera pas un autre ensemble en tout cas en moins de dix ans miguel et

  • Speaker #1

    donc cinq romans vous vous êtes imposé comme un romancier important central dans cette rentrée littéraire vous êtes sur toutes les listes de prix et Et c'est un... Voilà, comment avez-vous fait en dix ans ?

  • Speaker #2

    Ce n'est pas un succès, c'est un grand malentendu.

  • Speaker #1

    Pas du tout. "Le voyage d'Octavio" en 2015, "Héritage" en 2020, "L'Inventeur" en 2022, et maintenant "Le rêve du Jaguar" en 2024. Voilà, vous avez imposé un style qui est baroque, qui est riche, qui est très dense. Et c'est vrai qu'on en avait peut-être... On avait oublié. que la langue française était capable de produire ce genre de vertige.

  • Speaker #2

    Eh bien, merci beaucoup. Et pourtant, il y a eu beaucoup d'écrivains étrangers qui ont choisi le français comme langue d'écriture. Je pense à Beckett, je pense à Nabokov, je pense à Romain Garry, je pense à Poitier-Senglou, je pense à Koundé,

  • Speaker #1

    Hector Bianciotti, pour aller chercher dans l'Amérique latine.

  • Speaker #2

    Bianciotti, bien sûr, Bianciotti. Et également, je pense qu'on retrouve... aussi dans le mouvement de ce qu'on appelait la négritude, avec Léopold Sédar Sangor, avec Damas, avec Diop, avec Koukouma, avec Aimé Césaire, bien entendu. C'est une espèce de goût aussi d'exhumer de l'oubli certains mots qui sont tombés en désuétude, d'aller chercher également à dépoussiérer un peu la langue française et voir s'il est possible de la mélanger avec une langue...

  • Speaker #1

    Je vous interromps, pardon, il y a la police qui arrive pour vous demander vos papiers. J'ai entendu là des sirènes, je m'inquiète pour vous. Mais effectivement, bien sûr, vous perpétuez magnifiquement cette tradition. Mais en réalité, vous n'êtes pas vraiment un écrivain vénézuélien, vous êtes un écrivain français puisque vous avez grandi en France.

  • Speaker #2

    Tout à fait. Alors je suis né à Paris d'un père chilien exilé politique et d'une mère vénézuélienne qui était diplomate. Et ensuite... Comme tous les fils de diplomates, j'ai changé tous les trois ans de frontière en frontière.

  • Speaker #1

    Comme Amélie Nothomb. On a reçu Amélie Nothomb il y a quelques semaines. Tout à fait. Vous avez la même enfance.

  • Speaker #2

    Exactement. C'est une enfance qui est habituellement très désordonnée, dans laquelle on ne fait que voyager, que voyager. Et lorsque Victor Hugo disait lire, c'est voyager. Mais pour des gens du voyage, lire, c'est aussi rester. Parce que les livres, eux, ne changent pas. Donc,

  • Speaker #1

    c'était votre repère alors que vous perdiez tous vos repères. Exactement. La littérature, c'était votre point fixe.

  • Speaker #2

    Des points fixes, des colonnes, des mâts en fait, où j'étais attaché comme Ulysse pour ne pas justement me laisser tenter par les sirènes de l'ailleurs. et les certaines pages qui m'avaient bouleversées, certains sonnets qui m'avaient bouleversés, les premières pages du livre de ma mère d'Albert Cohen ou les dernières pages du Terre des Hommes de Saint-Exupéry avec son célèbre Mozart assassiné, elles ne bougeaient pas. Si j'étais à Buenos Aires, si j'étais à Caracas, si j'étais à Tokyo ou si j'étais à Moscou. Donc il y a quelque chose d'assez beau aussi de se dire qu'il y a quelque chose d'immuable et d'immobile dans la littérature et lire c'est aussi... rester.

  • Speaker #1

    Oui mais pas seulement lire parce que regardez, Nothomb et vous avec cette enfance là, ça vous a rendu écrivain. Oui. Parce qu'à un moment vous perdiez vos amis tous les deux ans j'imagine, vous n'alliez pas, vos copains vous deviez les abandonner. Oui. Donc on se concentre plutôt peut-être sur une feuille de papier.

  • Speaker #2

    C'est exactement ça, il y a les amis bien entendu qu'on perd et avec cruauté, déracinés d'un lieu et replantés dans un autre mais ce qu'on perd surtout ce sont des repères en fait de l'enfance. C'est des langues, c'est des cultures, c'est l'épaisseur de l'air à laquelle on s'était déjà habitués. C'est le parfum de la goyave qui était le tien ici, ou celui du reblochon en France. Ce n'est pas tout à fait pareil. Après ça dépend, ça dépend des goûts.

  • Speaker #1

    Ça dépend des goûts. C'est étonnant parce que votre livre commence par cette exergue. Au nord, il y a la raison qui étudie la pluie, qui déchiffre les éclairs. Au sud, il y a la danse qui engendre la pluie, qui invente les éclairs. C'est une phrase d'un auteur que je ne connais pas, William Ospina.

  • Speaker #2

    Immense William Ospina, écrivain colombien qui a écrit un très beau livre qui je pense vous plairait énormément qui s'appelle El País de la Canela, Le Pays de la Canelle, dans lequel il raconte l'histoire de Pizarro qui cherche une forêt où il n'y aurait que de la canel pour pouvoir la ramener dans la couronne espagnole. Et donc il fait toutes les exactions qu'on imagine.

  • Speaker #1

    Pour pouvoir ensuite saupoudrer de la canelle sur son petit yaourt,

  • Speaker #2

    sur son petit café, enfin sur son petit flocon d'avoine, enfin tu vois.

  • Speaker #1

    Mais sérieusement, cette citation en exergue, elle dit quelque chose sur votre vie d'homme coupé en deux entre la raison très française et la danse qui est très latino-américaine.

  • Speaker #2

    La danse, la magie, le genre naturel, ce je-ne-sais-quoi d'extravagant et de tropical qu'on trouve beaucoup en Amérique latine. pas dans toute l'Amérique latine, surtout dans les Caraïbes, parce que dès qu'on commence à descendre un peu, tantôt au Chili, tantôt en Argentine, tantôt en Uruguay, on perd déjà cette espèce de magie, un peu comme ça, mystérieuse.

  • Speaker #1

    Irrationnelle.

  • Speaker #2

    Voilà, exact. Baroque et rococo. Mais c'est une magie qu'on trouve également dans des pays slaves. Moi, j'étais il n'y a pas longtemps à Bucarest, on en parlait, et il y a quelque chose de complètement fou qui gît. On le voit dans les films de Kusturica, par exemple. Les ruches ont aussi cette folie-là.

  • Speaker #1

    En Roumanie, ça s'appelle des vampires, pas des magiciens. Ça s'appelle des vampires.

  • Speaker #2

    Il y a les chamanes et il y a les vampires.

  • Speaker #1

    Il faut faire attention quand même. La première phrase est fantastique de votre livre. Et c'est aussi la dernière phrase. Et donc, je vais vous demander, comme je le fais maintenant régulièrement, de lire la dernière phrase du livre ici, à partir de Christobal. Merci beaucoup.

  • Speaker #2

    Comme c'est la première, c'est facile, non ? Ça permet de faire un système cyclique. Oui,

  • Speaker #1

    mais ce n'est pas fréquent, en fait, que quelqu'un commence et finisse par la même phrase. Ça veut dire que vous y tenez à cette phrase.

  • Speaker #2

    Oui, voilà, j'ai la faiblesse de tenir à cette phrase. Tout ceci, bien sûr, a été froidement calculé entre nous. Beaucoup de boulot.

  • Speaker #1

    Il y a beaucoup de travail préalable.

  • Speaker #2

    Absolument. "Cristóbal prit un stylo et se mit à écrire. Il fallait remonter jusqu'à cette matinée où, au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero fut abandonné sur les marches d'une église dans une rue qui aujourd'hui porte son nom".

  • Speaker #1

    Voilà. Alors, je vais la relire moi. Je vais lire la première phrase. En moins bien. "Au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero... fut abandonné sur les marches d'une église dans une rue qui porte aujourd'hui son nom. Qui aujourd'hui porte son nom". Pardonnez-moi. Non, non,

  • Speaker #2

    non, il y a de tout dans la vie du Seigneur, enfin, mais il y a les vrais écrivains, il y a ceux qui... Oui,

  • Speaker #1

    oui, il y a les amateurs. Qui aujourd'hui portent son nom. Donc, c'est un incipit assez... Enfin, très, très romanesque. Et l'idée qu'il y a un garçon qui a été abandonné sur les marches d'une église dans une rue qui porte aujourd'hui son nom, on a... Comment dire ? Vous avez du souffle. Oui. Et ça, c'est quelque chose qui s'était raréfié, le souffle. Ça fait penser au début du Conte de Montecristo de Dumas. Je vous dis la phrase. "Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame de la Garde signala le Trois-Mas, le Pharaon, venant de Smyrne, Trieste et Naples". C'est un souffle qui... C'est une ambition, en fait, de dire, voilà, pour moi, un roman, c'est un conte. On doit y aller. Et là, il y a un bébé... sur les marches d'une église. On va essayer de comprendre comment on part d'orphelin abandonné à trois jours vers... le type qui va donner son nom à la rue. Et tout le livre est contenu dans cette première et cette dernière phrase.

  • Speaker #2

    Oui, dans le ventre phonétique de la première phrase, il y a déjà tout le livre qui est en gestation.

  • Speaker #1

    C'est une densité. C'est ça. D'où vient cette envie de classicisme et de redonner au roman ces lettres de noblesse et de croire en une histoire comme ça ?

  • Speaker #2

    En effet, je m'étais mis comme contrainte oulipienne, en quelque sorte, de... écrire une histoire par phrase dans ce livre. Que tu puisses ouvrir le livre en dégustation à l'aveugle, comme on dit dans le monde du vœu. Ah,

  • Speaker #1

    alors pas chégalé.

  • Speaker #2

    On va voir si t'as marre. Typiquement, on tombera sur la mauvaise phrase.

  • Speaker #1

    Un 27 septembre, ils obtinrent leur diplôme de médecine avec mention summa cum laude lors d'une soirée magnifique au Paraninfo de l'Université centrale du Venezuela. Oui, c'est vrai, c'est un roman. Chaque phrase est un roman.

  • Speaker #2

    En quelque sorte.

  • Speaker #1

    C'est dingue.

  • Speaker #2

    Et moi, je portais cette histoire dans la barrique de mon cœur depuis l'enfance, puisque c'est l'histoire de mes grands-parents, de mon grand-père, de ma grand-mère. Et ça macérait, ça distillait petit à petit. Je ne savais pas précisément comment l'écrire, bien qu'encore une fois, j'étais vraiment le porté dans le ventre. Et cette première phrase m'est venue une nuit. Et alors, ça semble un peu romantique comme idée. J'ai horreur des romantismes littéraires. Toutefois, je dois reconnaître qu'à la façon presque borgésienne... que lui parle des dons de la nuit, comment la nuit peut apporter des cadeaux. J'écoutais il y a deux jours une très belle conférence de Carlos Fuentes, l'écrivain mexicain des Cinq Soleils du Mexique, qui disait, dans les dix recommandations qu'il donne à de jeunes écrivains pour écrire, la première n'est pas la discipline, n'est pas la méthode, n'est pas l'inspiration, n'est pas le travail, il commence en disant d'abord le rêve. Vous imaginez la veille... Le travail que vous allez effectuer le lendemain, vous organisez avec une architecture narrative, avec un squelette romanesque, avec une grille de lecture, etc. Et puis le lendemain, vous écrivez autre chose. Pourquoi ? Parce qu'entre les deux, vous avez dormi et vous avez rêvé. Et les dons de la nuit, ces cadeaux des rêves, vous apportent des choses. Et cette première phrase, figure-toi, elle est apparue une nuit, comme une sorte de don des rêves. Et j'irai même plus loin, pour ne pas prendre que des références latino-américaines, et également des références françaises.

  • Speaker #1

    Je me dis que c'est Alexandre Dumas.

  • Speaker #2

    Voilà, Dumas en effet. Et même Paul Valéry, qui dans ses mauvaises pensées, a cette très belle phrase dans laquelle il dit Les dieux vous donnent gracieusement un premier verre, mais c'est à vous de façonner le deuxième qui doit consonner avec l'autre et ne pas être indigne de son aîné surnaturel.

  • Speaker #1

    Oui, mais c'est juste parce que justement, cette première phrase place le roman à un certain niveau. Et ce qui est formidable dans votre pari, moi je vous... continue de te vouvoyer pour... On n'est pas l'air d'être amis. Non, naturellement. Tu places, vous placez le livre à un niveau et gardez cette note tout le temps jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'on relise la même phrase à la fin. Parlons maintenant de cet Antonio. Antonio, c'est votre grand-père. Il a vraiment été abandonné à l'âge de 3 jours sur les marges d'une église.

  • Speaker #2

    Dans la réalité ? Dans la réalité, sa mère est morte en couche. Et son père, Elias Borja Romero, qui a réellement existé, était un marin qui faisait avec son petit bateau les arrêts autour du lac de Maracaibo, l'a placé au soin de cette muette Thérèse, de cette muda Teresa, qui était, il semblerait, la tante d'une cousine, d'une sœur, d'une belle-sœur, de je ne sais pas quoi, et qui était une femme qui vivait dans la misère complète. Donc il n'a pas vraiment été déposé sur la marche de l'Église. mais il a été confié dans la première semaine à cette dame-là. Et puis lui a disparu, le père, Elie Haouar Haramel, a disparu pendant 12 ans. Et il n'est revenu qu'au Majestic, dans ce bordel, dans cette maison closée. Moi, ce que j'ai fait, c'est transformer en symbole, transformer en signe, transformer en allégorie, pour créer une prolepse, pour annoncer quelque chose à venir et en quelque sorte saisir le lecteur.

  • Speaker #1

    Et on est saisi, et ça marche très bien. Bon, alors, c'est l'histoire d'amour entre votre grand-père et votre grand-mère, Antonio, donc, et Anna Maria. Et tous les deux vont devenir médecins, mais de très grands médecins, au point d'ouvrir une faculté de médecine. Oui. Où ça ?

  • Speaker #2

    Alors, ils ont... Fonder la première université de l'État de Souliens, qui est un des États les plus importants du Venezuela, à Maracaibo, qui est la deuxième ville après Caracas au Venezuela. Et dans cette université, il y avait autour de 22 facultés, tantôt de médecine, tantôt d'ingénierie, tantôt d'architecture. Enfin, c'était une vraie université. Cette université porte le nom de mon grand-père aujourd'hui, l'université Antonio Borja Romero. Il y a un buste de lui à l'entrée. Et toute la rue et tout le quartier portent le nom également. Donc, ça a donné comme ça une sorte d'aura. Et ce qui est assez...

  • Speaker #1

    Je regrette d'ailleurs d'avoir été familier avec vous, parce que maintenant, j'ai un peu plus de respect. Je sais qu'il y a un buste. Je vous demande pardon d'avoir été taquin. Oui,

  • Speaker #2

    il y a même un bus qui mène à l'université. Et donc, le bus finit dans le quartier Antonio Borja Romero. Et donc, souvent, il y a sur le bus écrit le nom de mon grand-père. C'est un peu la blague que m'envoie ma cousine régulièrement par WhatsApp.

  • Speaker #1

    Oui, c'est embêtant parce que vous vous appelez Bonnefoy. Alors, du coup, vous ne pouvez pas crâner. Vous êtes à Maracaibo en disant, regarde... Absolument.

  • Speaker #2

    Toutefois, je peux crâner en marchant à Paris, car il y a eu un Yves Bonnefoy.

  • Speaker #1

    Eh oui,

  • Speaker #2

    finalement, je gagne des deux côtés.

  • Speaker #1

    Il n'est pas de votre famille ?

  • Speaker #2

    Non, figurez-vous. On n'a rien à voir avec Saint-Pierre-des-Cors ni avec Tours.

  • Speaker #1

    Mais, donc, du coup, je suis perdu. C'est cette espèce de souffle romanesque, je voulais dire, qui est maintenue dans le livre. Alors vous rappelez que Venezuela veut dire petite Venise, Veneziola, et c'est un peu comme la Nouvelle-Angleterre,

  • Speaker #2

    ou la Nouvelle-Orléans,

  • Speaker #1

    New Amsterdam, mais vous ajoutez tout de suite, on imaginait plus une nation, avant les nations, des hommes déguisés en aigles, des enfants qui parlaient avec les morts, et des femmes qui se transformaient en salamandres. C'est constamment un va-et-vient. entre la colonisation, l'arrivée des Espagnols et puis l'industrie pétrolière, parce que le lac de Maracaibo est un regorge de pétrole et donc est devenu un gisement. Et en même temps, il y a toujours cette espèce de magie, comme vous dites, que vous saupoudrez partout dans chaque phrase. Comment on fait ça ? Vous avez un secret ?

  • Speaker #2

    Alors non. Il y a beaucoup d'instincts, il y a bien sûr beaucoup d'intuition, il y a énormément de travail, beaucoup de discipline, beaucoup de lecture, beaucoup de livres qui m'ont accompagné et qui m'ont aidé en effet à donner de la chair, à donner du relief, à donner de l'épaisseur aux phrases. Je suis convaincu que la littérature est, comme on dit en botanique, épiphyte. Il me semble que les épiphytes sont les plantes qui poussent sur d'autres plantes, sont les fleurs qui poussent sur d'autres fleurs. Eh bien, les livres poussent sur d'autres livres. Les livres prennent racine sur une matière préexistante. Et il y a en effet, tantôt on parlait de William Urpina par exemple, qui m'a beaucoup inspiré pour ce livre, il y a bien sûr, je pensais à Michel Tournier, je pense à Ivo Andrick, l'écrivain serbo-croate, prix Nobel de littérature, qui avait écrit Le pont sur la Drina. Et ce sont ces livres qui ont été des livres diapasons. Et

  • Speaker #1

    Garcia Marquez ? Alors bien sûr,

  • Speaker #2

    il y a bien sûr du Garcia Marquez, bien entendu.

  • Speaker #1

    Votre Macondo, le sortant de solitude, c'est...

  • Speaker #2

    Le Malacay, ou en quelque sorte du Venezuela. Mais il ne faut pas oublier que... Garcia Marquez, à son tour, était un grand lecteur de Faulkner. Lui était un grand lecteur de Kafka.

  • Speaker #1

    Non,

  • Speaker #2

    mais bien sûr. C'est toujours la même histoire.

  • Speaker #1

    Il n'y a pas de littérature ex nihilo.

  • Speaker #2

    Exactement. On est tous la conséquence de quelqu'un.

  • Speaker #1

    Et je me disais, puisque vous êtes également un romancier français, que vous écrivez dans cette langue, si vous deviez choisir un roman de Flaubert, ce serait probablement plus Salambo que Madame Bovary.

  • Speaker #2

    Alors figurez-vous que si je devais vraiment choisir un Flaubert, ce ne serait pas un roman. Je pense à mes yeux, humblement, que là où Flaubert a été le plus grand est dans le conte de Saint Julien de l'Hospitalier.

  • Speaker #1

    Ah oui, d'accord.

  • Speaker #2

    Qui me semble un sommet de la réalité particulière. Dans les trois contes.

  • Speaker #1

    Je pensais que vous alliez répondre à la correspondance.

  • Speaker #2

    La correspondance ?

  • Speaker #1

    Parce que les lettres sont...

  • Speaker #2

    Les lettres sont délicieuses, bien sûr. Bien sûr qu'elles sont délicieuses. Et il se trouve qu'il n'y a pas longtemps, justement, j'étais en train de les relire, parce que j'étais en train de relire deux types de correspondances. Celle de Flaubert de son côté avec énormément d'amis. celle de Anna de Noailles avec Proust. D'ailleurs, il nomme la Pérouse. Oui, bien sûr. C'est étonnant de voir comment il y a des styles assez différents. Parce que Proust, dans sa correspondance, est toujours aussi précieux, fait toujours aussi attention à la phrase, prend le temps, en effet, de ne jamais aller dans un petit pas de côté, ne pas être dans des aspérités, dans des facilités. Alors que Flaubert peut écrire parfois un peu plus vite ses lettres. Et il y a des lettres qui ont parfois peu de poésie, qui sont assez factuelles. Et une autre chose que j'aimerais commenter par rapport à Flaubert, et je pourrais faire le lien avec le livre si on a un peu de temps, c'est toujours délicieux de parler de littérature en général.

  • Speaker #1

    On est la seule émission qui a du temps.

  • Speaker #2

    Eh bien, il se trouve que si on revient aux trois contes, dans un cœur simple, lorsque Flaubert parle de félicité qui est cette gouvernante, il a passé 15 ans à écrire un cœur simple. Il a fait une description de félicité de 20 pages qui était son premier manuscrit. Puis, au bout d'un an, il l'a réduit à 17. Puis, un an plus tard, il l'a réduit à 15. Puis après, à 13. Puis après, à 10. En fait, c'est des années et des années à réduire, réduire, réduire, avec cette belle idée pascalienne de... Excusez-moi si ma lettre a été un peu longue, si j'avais eu plus de temps, ma lettre aurait été plus courte. Cette idée de réduire, réduire, réduire. Et aujourd'hui, lorsque l'on lit un cœur simple et on lit la description de Félicité, ça tient en une phrase, mais une phrase qui condense, qui rassemble dans une sorte de molécule fondamentale tout ce qu'il a voulu mettre. Et cette phrase, c'est Elle avait eu, elle aussi, son histoire d'amour Et tout est là en fait dans ce personnage qui a eu un passé autrefois, qui est maintenant court bléchine face à de vieux chagrins, à un cœur qui est plein de blessures secrètes, mais qui est toujours dans la servabilité, ce demi-siècle de servitude qu'on retrouve beaucoup.

  • Speaker #1

    Alors vous n'êtes pas encore arrivé à cette assaise, parce que c'est justement, vous c'est plutôt luxuriant, c'est la profusion. Par exemple, dans le livre, il y a des langoustes qui mangent le maïs, parce qu'il y a une inondation. dans un champ de maïs près de Maracaibo. Oui, sur le lac. Et pendant les inondations, les langoustes arrivent, bouffent tous les épis de maïs. Absolument. Ensuite, la mer s'en va. Oui. Mais c'est vrai, ça ? Oui,

  • Speaker #2

    absolument. Oui, c'est dans toutes les chroniques de Maracaibo. Parce que les cultures de maïs ne sont pas loin de la rive, tout simplement. Donc, lorsque les crues augmentent avec les pluies torrentielles, et comme c'est un lac qui a une ouverture sur la mer, les langoustes... Elles arrivent et elles mangent les pop-corn. Elles mangent les pop-corn, tout simplement. Donc, on maudit les langoustes à Maracaibo comme on maudissait les sauterelles en Égypte.

  • Speaker #1

    Je vais vous faire lire encore un extrait pour donner la saveur de votre style. Alors, c'est une description justement de Maracaibo. Oui, ce n'est pas trop long, ne vous inquiétez pas.

  • Speaker #2

    Je lirai donc 47 pages, si vous le voulez bien. Tout Maracaïo s'étourdit au spectacle des camions chargés de gaillards venus des régions les plus reculées de Tucupita, des vallées du Delta et Lorinoco et des profondeurs éthérées de la Grande Saoana qui se garaient en longues files muettes à l'entrée des banlieues. Sur le port, tous les jours, des dizaines de vraquiers que personne n'avait jamais vu allaient et venaient avec des pavillons étaguniens, anglais, coréens. lourds d'hommes d'affaires et de valises de dollars. Puis surgirent des étrangers, des gitans fatigués qui savaient prédire les caprices du ciel en mesurant l'épaisseur de la sève, des Hollandais et des Italiens qui avaient pris des navires de fortune où ils s'étaient fait tatouer sur le torse le nom d'une prostituée, des Arabes et des garimpeiros en costumes militaires sortis des jungles, des vignerons chiliens qui avaient remonté la cordillère à pied Dans l'espoir d'atteindre une nouvelle terre, tous ces hommes arrivaient désormais sur ces berges couvertes d'huile et de camélias en quête d'or noir.

  • Speaker #1

    Vous voyez la densité, c'est pour donner cette densité romanesque qu'il y a chez vous et qui aujourd'hui est quelque chose de presque inactuel. Mais c'est merveilleux à lire, c'est hyper évocateur. En gros, votre livre dit que la malédiction... du Venezuela, c'est le pétrole.

  • Speaker #2

    Oui, absolument. Ça a été à la fois notre perte et à la fois notre grandeur. Lorsqu'on a découvert le pétrole dans les années 1920, comme l'a fait la Norvège, mais là où la Norvège a été intelligente, c'est qu'elle est parvenue à faire ce que Ouslar Pietri appelait semer le pétrole C'est-à-dire que le pétrole soit une graine qui fasse pousser des institutions publiques, qui donne des racines profondes à des universités qui travaillent au niveau de... d'un vrai système, d'un tissu agricole dans le pays et qui fasse en effet tout simplement fructifier, qu'il soit l'engrais d'un terreau national et institutionnel.

  • Speaker #1

    Mais là, les Norvégiens exploitaient leur pétrole. Là, ce qui vous est arrivé, c'est ce que vous décrivez là. Tous ces gens qui sont arrivés, attirés par l'or noir.

  • Speaker #2

    Attirés par l'or noir, le Venezuela s'est rendu compte qu'il était si pauvre, si pauvre qu'il n'avait que de l'argent et qu'il pouvait alors vendre le pétrole, avoir des pétrodollars et avec les pétrodollars, acheter les vivres. À l'étranger, à quoi bon, demandait-on à un paysan et un agriculteur vénézuélien, à quoi bon aller se tuer, se courber les chines dans des plantations de yuca, de tapioca ou de riz, si on peut l'acheter aux voisins, puisqu'on a de l'argent ? À quoi bon aller travailler ton système bovin si tu peux en effet acheter ta viande en Argentine ? Et aujourd'hui, le plat national vénézuélien qui s'appelle el pabellón criollo... Tous les ingrédients du plat national sont des produits importés. C'est quand même extraordinaire, non ?

  • Speaker #1

    Alors, est-ce qu'on peut dire que la fin des énergies fossiles va sauver le Venezuela ? Parce que finalement, maintenant on ne va plus s'occuper de pétrole.

  • Speaker #2

    Naturellement, je vois l'idée. Je pense qu'on est, hélas, à des années-lumières de l'énergie solaire, à des années-lumières de faire ce qu'a fait le Danemark, par exemple, avec ses éoliennes. Et très loin aussi de l'hydrogène, enfin de toute cette ramification des énergies propres, des énergies vertes, pour pouvoir sauver un pays qui est absolument dépendant du pétrole. Allez savoir ce qui va se passer. Moi je ne suis pas politologue naturellement, ni économiste, mais j'observe comment on fonce droit vers le mur.

  • Speaker #1

    Vous allez souvent là-bas ?

  • Speaker #2

    La dernière fois que j'y suis allé, c'était en 2017.

  • Speaker #1

    Ah oui, ça fait longtemps.

  • Speaker #2

    Ça fait longtemps. Mon père y habite encore, une partie de ma famille y habite encore. J'ai donc des relations très proches avec le Venezuela. Toutefois, pour mille raisons de vie, je ne suis pas allé depuis un moment, depuis la mort de Chavez.

  • Speaker #1

    Parce que là-bas, la situation est très compliquée.

  • Speaker #2

    La situation est très délicate.

  • Speaker #1

    Le pouvoir refuse de reconnaître la victoire d'un opposant qui a dû s'exiler. Oui. C'est bien ça, oui. Et je vois que vous ne voulez pas trop rentrer dans les détails parce que si vous allez au Venezuela, vous voulez pouvoir voir votre famille sans être mis en prison.

  • Speaker #2

    Exactement, cher ami, exactement.

  • Speaker #1

    Oui, mais c'est très compliqué. Vous allez un jour parler de la répression de Pinochet au Chili. Vous avez abordé le sujet dans Héritage, où il y avait un personnage, Hilario Da, pro-Aliendé, qui était détenu à la Villa Grimaldi, un endroit sinistre. qui est devenu un musée, mais où ce personnage était torturé. Et ça a été l'histoire de votre père.

  • Speaker #2

    Tout à fait. Mon père est né à Santiago, au Chili. Il avait 17 ans quand il est rentré dans le MIR, qui sont les Movimientos de Izquierda Revolucionnaire, le mouvement d'extrême-gauche révolutionnaire. Donc, ce sont des mouvements armés contre la dictature de Pinochet qui cherchaient à faire des attentats aux dictateurs. Il a été arrêté. Envoyé, comme vous le dites si bien, à Villagrimaldi, qui était un centre de torture. Il a passé à peu près trois semaines dans ce centre de torture. Et ensuite, il a été envoyé dans une prison commune pendant quelques mois, entouré de ce qu'on a appelé les prigés, qui étaient des prisonniers politiques. Et donc, c'était des boulangers, des coiffeurs, des architectes. Enfin, c'était des serveurs, des cuisiniers. Mais qui avaient une carte de parti et qui croyaient à un monde meilleur, à un monde nouveau. Et à partir de là, en sortant de la prison, on lui a rendu son passeport grâce à l'ambassade de France. Il faut reconnaître que c'est la France qui a sauvé mon père au Chili. Et il est allé en exil politique et est arrivé à Paris. Et c'est aussi où il a rencontré ma mère et c'est pour ça que moi aujourd'hui je vous parle en français.

  • Speaker #1

    Il a tenu des carnets où il racontait ses horreurs qu'il a vécues.

  • Speaker #2

    Il a écrit un livre qui s'appelle Relato en el frente chileno, qui a été publié sous un pseudonyme dans une maison d'édition catalane à Barcelone. Le pseudonyme était Hilario Da.

  • Speaker #1

    Voilà, donc c'est le personnage de votre livre.

  • Speaker #2

    Qui est le personnage du livre, voilà, exactement.

  • Speaker #1

    Et qui est également mentionné dans Le rêve du Jaguar.

  • Speaker #2

    Absolument, puisqu'il y a des traboules, il y a des passerelles, il y a des galeries souterraines entre mes livres et des personnages qui vont, qui reviennent, car j'essaie d'avoir une vraie cohérence dans l'ensemble des livres que j'écris. Et je vous assure, Frédéric... que si vous me donnez 10 ou 20 ans de plus, si j'arrive à sortir les livres que j'ai dans le ventre et dans un plan détaillé très précis que j'ai en tête et que je travaille depuis Octavio, depuis 10 ans, dans 20 ans.

  • Speaker #0

    vous pourrez regarder les livres et quand vous aurez compris le système, vous aurez dit Ah, mais c'est hyper malin !

  • Speaker #1

    Oui. Vous êtes donc le Modiano du Venezuela. C'est ce qu'il fait ? C'est un peu ce qu'il fait ?

  • Speaker #0

    Absolument. Mais mon cas n'est pas extraordinaire. C'est le cas aussi dans la littérature du 19ème avec Balzac et avec Zola, dans lesquels ils savaient très précisément quels étaient les livres qu'ils voulaient développer en fonction des thèmes, en fonction des personnages, en fonction des spin-offs, comme on dirait aujourd'hui dans le monde du cinéma.

  • Speaker #1

    Les Rougon-Macquart,

  • Speaker #0

    La comédie humaine,

  • Speaker #1

    etc. Vous avez cité deux personnes qui venaient chez la Pérouse régulièrement. Alors, je reviens à ce bordel très intérieur. C'est vraiment poli. Parlons de choses curieuses un peu. Donc, votre grand-père a vraiment été barman dans un bordel à Maracaibo. Parce que nous sommes ici chez la Pérouse. Ce n'est pas un ancien bordel, mais c'est un endroit où il y avait beaucoup de demi-mondaines, de femmes qui fréquentaient des... des messieurs et je ne veux même pas savoir ce qui s'est passé dans ce salon. Personne ne veut le savoir. Mais donc oui, alors c'est pas un peu un métier de rêve que votre grand-père faisait. Donc il a été embauché au Majestique.

  • Speaker #0

    Exactement. Alors il semblerait, selon les deux biographies qui ont été écrites sur lui, qu'une grande partie... de sa préadolescence et de son adolescence, s'est faite dans ce Majestic, qui était une maison close à Santa Rita, c'est-à-dire un peu dans les banlieues de Maracaibo, et où on faisait venir des filles étrangères. Donc ça donnait ce je-ne-sais-quoi en plus, puisque les filles n'avaient pas seulement la démesure caribéenne que vous pouvez imaginer, mais également une sorte de sensualité, de suavité, de rigueur et d'élégance dans l'amour. qu'on pouvait prêter aux femmes françaises, aux femmes anglaises ou hollandaises. Et donc, on trouvait en effet des...

  • Speaker #1

    C'est un roman, bien sûr. Oui,

  • Speaker #0

    naturellement.

  • Speaker #1

    Déformé par le talent.

  • Speaker #0

    Mais par la fiction. Oui, tout à fait. Et Antonio aurait en effet travaillé là pendant plusieurs années, jusqu'à devenir barman, jusqu'à monter un peu, petit à petit, dans la hiérarchie intérieure du Majestic, et jusqu'à retrouver son père, et ça, c'est ce que je raconte dans le livre, qui était client. à ce moment-là.

  • Speaker #1

    La scène est extraordinaire, où ils s'aperçoivent parce qu'il y a un objet.

  • Speaker #0

    C'est la machine à rouler des cigarettes. Oui, en effet. Un objet, un microfilm.

  • Speaker #1

    Que son père avait donné au bébé, enfin, laissé dans le lendemain. Et donc, ils se rendent compte que, tiens, c'est mon père. C'est ça. C'est très beau, très elliptique et élégant.

  • Speaker #0

    Très élégant, voilà. Et son père lui dit, en quelque sorte, écoute, cher ami, tu as quoi, 12, 13, 14 ans ? Je te vois ici, derrière le bar. Moi, je t'ai abandonné il y a 14 ans sur les marches d'une église. Je vais quand même faire un geste pour toi. Et donc, il écrit une lettre à Don Victor Emilio Montero, qui a réellement existé et qui a été le deuxième père de mon grand-père, en quelque sorte, qui était une sorte de cousin éloigné et qui était un homme qui avait une vraie famille, etc. Et qui lui envoie la lettre, donne cette lettre à Don Victor Emilio Montero, qui lui, va te sortir d'ici, qui va te mettre à l'école et qui va donner une vraie éducation. À partir de là, commence pour mon grand-père. La vie en fait étonnante d'un homme qui deviendra cardiologue, chirurgien, qui deviendra un des plus grands médecins du Venezuela, qui deviendra député du Congrès national, qui sera également président du Collège de médecine, et qui finit par être le recteur éternel d'une université qu'il fonde. Donc il y a quelque chose de très très beau dans cette espèce de montée hallucinante, prodigieuse en fait.

  • Speaker #1

    Un lectoire folle.

  • Speaker #0

    Et tout ceci est vrai, c'est ça qui est étonnant. Et donc ma mère m'a toujours énormément parlé de ce grand-père et de cette grand-mère, puisque le lien est plus ou moins le même, en me disant, en gros nous avons ça dans le sang. de cette persévérance, de cette ténacité, de cette abnégation pour être né chat et devenir Jaguar. C'est un peu l'idée du titre.

  • Speaker #1

    Comment travaillez-vous ? Vous avez un plan détaillé avant d'écrire ou vous laissez porter par ce que vous aviez dit tout à l'heure, les rêves ?

  • Speaker #0

    Pour être tout à fait honnête, je suis un moine copiste.

  • Speaker #1

    Vous savez où vous allez.

  • Speaker #0

    Absolument. J'ai vraiment une froideur chirurgicale avec mes personnages. Il ne m'est pas encore arrivé, parce que je n'ai pas encore assez de talent, et il me manque encore énormément de pages et d'encre pour pouvoir parvenir à écrire un livre qui me satisfasse entièrement. Et je le dis très honnêtement, sans aucune fausse modestie. Mais pour l'instant, il ne m'est pas encore arrivé cet instant où le personnage du livre a suffisamment de chair et de personnalité pour se dresser sur la page et me dire Non, mon ami, je n'irai pas. Je n'emprunterai pas ce sentier que tu as envie que je prenne. Au contraire, je vais aller dans l'autre sens et c'est moi qui écris le livre.

  • Speaker #1

    Mais ça vient du fait que c'est votre famille. Donc comme c'est votre famille, vous ne pouvez pas trop tricher.

  • Speaker #0

    Alors ça, naturellement. Non,

  • Speaker #1

    vous faites gronder.

  • Speaker #0

    C'est vrai.

  • Speaker #1

    Votre père va arriver ou votre mère va vous dire qu'est-ce que c'est que ça ?

  • Speaker #0

    Mes parents sont des gens très légers dans le bon sens du terme, très frivoles. Ils sont les premiers à tenir une sorte de transparence par rapport à mon écriture. Ils sont les premiers à me dire que la fiction peut être plus réelle que le réel. Fais-toi plaisir. Oui,

  • Speaker #1

    c'est vrai. Votre femme dit de vous que vous êtes une éponge. Je voulais savoir, est-ce que ça veut dire que vous êtes alcoolique ou que vous êtes un homme très curieux ? C'est juste... qui s'intéresse aux autres.

  • Speaker #0

    Eh bien, elle dit ça, car en quelque sorte, mais comme pour vous, et mon cas n'est pas extraordinaire, comme tous les écrivains et tous les artistes qu'on connaît, on est sans cesse pénétrés par le grand chaos du monde et on le transforme en quelque chose d'autre. Il y a ces vers de Émile Verharen qui me plaisent un peu et que j'aimerais partager avec vous, si vous le permettez.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Miguel.

  • Speaker #0

    Et qui... sont tirés d'un poème qui s'appelle Le Forgeron, dans lequel il essaye de faire une sorte d'analogie entre le forgeron et le poète, de comment saisir la matière du monde pour en faire une nouvelle arme et créer quelque chose de nouveau. Et il dit, dans son brasier d'or exalté, maître de soi, le forgeron a jeté passion, révolte, colère pour leur donner la trempe et la clarté du fer et de l'éclair. Donc en quelque sorte,

  • Speaker #1

    c'est pour ça que vous avez un chaudron, et vous touillez votre histoire familiale.

  • Speaker #0

    L'histoire familiale, des trucs que tu fais, des conversations chez la Pérouse, une anecdote que va me raconter un ami, une chanson que tu as écoutée, un verre qui te sonne bien. Enfin, ce je ne sais quoi du monde, en fait, une histoire, une blague racontée au détour d'un café avec un ami, etc. Et tout ceci, en fait, tu finis par le mettre, toutes ces violences, toutes ces passions, ces colères, ces beautés. Ces étonnements, ces outrances, ces reculs, tu les fais fondre dans un même creuset. Et tout ceci, dans ce brasier d'or exalté, finit par donner une autre trempe, une autre clarté, un autre fer. Et c'est cette éponge, je pense, qu'elle a en tête.

  • Speaker #1

    Oui, c'est marrant. On a reçu ici Rachel Cusk, la grande romancière anglaise. Elle parlait de regarder le monde à travers des... tessons de verre brisé.

  • Speaker #0

    C'est la même idée. Le kaléidoscope, on a tous en quelque sorte une métaphore en tête, mais c'est toujours la même.

  • Speaker #1

    Vous avez, Miguel, quand même écrit un roman plus français que français. C'était le précédent. L'inventeur sur Augustin Mouchot, l'inventeur de l'énergie solaire. Et ça, c'était complètement à part, non ? Ça n'a plus grand-chose à voir avec cet atavisme familial. Qu'est-ce qui s'était passé ? Vous avez dit bon maintenant il faut vraiment que je me fasse accepter Je ne sais pas. Augustin Mouchot quand même.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas avoir mon visa en fait. Il se trouve que j'avais écrit Octavio qui était sur le Venezuela. Le sucre noir était un peu dans les Antilles, sur le monde de la canne à sucre et du rhum. Héritage était également en Amérique latine, c'est de Chili. Et j'avais observé comment j'étais beaucoup... dans la flamboyance, dans l'exubérance. Et je sais que j'étais beaucoup étiqueté.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas une injure.

  • Speaker #0

    Non, qui n'est pas mauvaise, absolument. Je le vois au contraire. Je le prends vraiment comme un compliment.

  • Speaker #1

    Moi, je vous l'ai ressorti à des grandes louches.

  • Speaker #0

    J'adore. Mais non, absolument pas. Je suis bien conscient de ce que j'écris. C'est ce que j'aime lire aussi. Par rapport aussi au jungle de mon cœur, il y a ça. Toutefois, je me suis permis un pas de côté en voyant s'il était possible d'écrire un livre plus vieux. plus noir et blanc, plus Napoléon III. Oui, oui, c'est vrai. Oui,

  • Speaker #1

    mais il était très réussi.

  • Speaker #0

    Et ça m'a plu, en effet, de le travailler, de me rendre compte que je pouvais également être cultivé, labouré, la mère de cette part française de moi qui est énorme en Russie. Et moi, je me sens français, et c'est ma langue, et c'est ma culture, et je comprends aussi cet imaginaire. Je comprends tous ces codes et je comprends toutes ces références. Donc j'avais envie également de les mettre sur papier, voir comment ça se passait. Et j'ai pris un plaisir énorme à ça. Mais je dois reconnaître qu'en finissant de publier le livre, je me souviens en avoir parlé avec des amis et leur avoir dit il me manque un peu l'odeur de la mangue

  • Speaker #1

    Ah bah là, elle est revenue. Là,

  • Speaker #0

    elle est revenue. Elle est vraie l'odeur de la mangue.

  • Speaker #1

    Alors, je donne un exemple de scène. délirante qu'il y a dans le rêve du jaguar en 1955 un pêcheur qui trouve un pingouin sur une plage du venezuela oui c'est une histoire vraie et au venezuela il fait 40 degrés à l'ombre à ce moment là il ya un pingouin que fout ce pingouin sur cette plage c'est quand même dingue non on ne sait pas et c'est vrai donc il est devenu ce pingouin est devenu une star au venezuela Mila j'espère en effet que dans le montage qu'on fera vous pourrez mettre

  • Speaker #0

    La photo qui se trouve sur Internet, tu tapes Un pingouino en Maracaibo et tu tombes immédiatement sur la photo qui est célébrissime parce que ça a été dans les journaux. Et le pingouin est aujourd'hui empaillé à l'Institut des sciences naturelles de Maracaibo. C'est quelque chose de très réel. Et il y a, en effet, c'était un 14 juillet en plus, le jour de la Saint-Valentin. Allez savoir, non ? Quelle histoire d'amour était en train de se jouer à ce moment-là. Un pingouin est arrivé sur les côtes de Maracaibo, plus précisément sur la plage de Sinamaika. Et ça a créé... tout un touhu-bouhu qui pendant trois mois... On a parlé que de cette mascotte de la ville. On lui a donné un nom, c'était vraiment Policarpio. Et aujourd'hui, il y a des glaces que tu trouves encore à Maracaibo, qui s'appellent les glaces Polo, où il y a un petit pingouin comme ça qui apparaît. Donc en effet, c'est en référence à ça. Il y a une rue qui s'appelle El Pingüino, qu'on appelle El Pingüino, en effet, Al Salavillo.

  • Speaker #1

    Et ça ne s'est plus jamais produit depuis. C'était ce pingouin de 1955. Il s'est égaré de quelques milliers de kilomètres.

  • Speaker #0

    Alors, oui, c'est... Mais... L'hypothèse qu'on retient le plus, c'est qu'il a dû s'échapper sans doute d'un bateau qui était en train de faire des trafics d'espèces rares ou illégales. Parce que ce n'est pas possible qu'il ait nagé pendant 9000 kilomètres avec tous les dangers possibles. Je ne sais pas combien vit un pingouin, il ne serait pas non plus libre, 120 ans. Le temps d'arriver,

  • Speaker #1

    c'est jusqu'à Maracaibo.

  • Speaker #0

    Il y a des savoirs, mais ça a vraiment existé. Et le pingouin de Maracaibo.

  • Speaker #1

    Tout à l'heure, avant l'émission, on se promenait dans le restaurant La Perouse. Vous avez tombé sur la photographie de Corot, ce grand peintre qui venait ici. Et il est devenu un mot commun, un nom commun au Venezuela ?

  • Speaker #0

    Absolument. À Maracaibo, on utilise le mot coroto pour dire des trucs. Ça peut être n'importe quoi, mais ça peut aller de la petite fourchette jusqu'à la caméra. C'est un coroto, voilà, un mi-coroto. Où sont mes lunettes ? D'où sont mes corotos ? Où est mon truc ? Et ça viendrait en effet qu'il y avait un aristocrate français qui était installé au 18e et début 19e à Maracaibo, qui avait des coraux chez lui, et qu'en 1811, lorsqu'il y a eu l'indépendance latino-américaine avec Simon Bolivar, et que beaucoup d'aristocrates ont dû fuir dans les bateaux qu'on leur a permis pour aller vers l'Europe, eh bien cet aristocrate, en courant, prenait toutes ses affaires et hurlait aux indigènes, Attention avec mes coraux ! Attention avec mes corotos ! Et les indigènes répondaient entre eux Attention avec le coroto ! Et petit à petit, par métonymie, le mot coroto est devenu simplement les trucs en sport.

  • Speaker #1

    Passe-moi mon coroto ! Donne-moi mes corotos ! Pluriel, pluriel, c'est conjugué en vénézuélien.

  • Speaker #0

    Un siècle et demi plus tard, encore aujourd'hui, on utilise coroto et je pense en effet que corot n'avait aucune idée où se trouvait Maracaibo sur la carte et les indigènes n'avaient sans doute jamais vu un corot.

  • Speaker #1

    Nous allons maintenant jouer à un jeu qui s'appelle devine tes citations. Je vais vous dire des phrases de vous tirées de tous vos livres et vous devez me dire dans lequel vous avez écrit cette phrase.

  • Speaker #0

    Ah superbe ! C'est une édition d'imposteur.

  • Speaker #1

    Voilà pour vérifier si vous écrivez vos livres vous-même.

  • Speaker #0

    Ou si c'est Emilie Colombani.

  • Speaker #1

    Oui, votre éditrice du rivage Emilie Colombani qui rédige à votre place. Ou bien si c'est peut-être un, je ne sais pas, un employé vénézuélien exploité.

  • Speaker #0

    Oui, un corotto.

  • Speaker #1

    Voilà c'est ça. Bon alors. Jamais une femme ne mit autant de courage à s'occuper d'un enfant qu'elle n'aimait pas.

  • Speaker #0

    Cette phrase est dans le rêve du Jaguar.

  • Speaker #1

    Dans le rêve du Jaguar, le dernier, 2024. Je commence toujours par une question facile.

  • Speaker #0

    Oui, je vois ça.

  • Speaker #1

    Parce que les invités viennent ici. Oui,

  • Speaker #0

    la question est quelle est la capitale du Kenya, en fait. Comme ça, tu vois.

  • Speaker #1

    Donc, on voit encore d'ailleurs dans cette phrase votre style très classique. Voilà. Une autre phrase. Plus riche. Ses mains sentaient la poudre de riz, le phare à base de cannelle, le vernis, les fossiles, les brillants couleurs grenades, la cire d'épilation et la corruption locale.

  • Speaker #0

    Et un piège. Et ça, c'est dans le Marquis de Sade.

  • Speaker #1

    C'est aussi le rêve du Jaguar, bien sûr. Et c'est vrai qu'on voit la générosité de votre prose dans cette phrase. Bon, alors maintenant, le plus difficile. Quand il parvint... Pardon, est-ce que c'est parvient ou parvint ? Je n'arrive pas à me relire.

  • Speaker #0

    C'est possible que ce soit du passé simple, si vous voulez mon avis. Oui, alors oui. Je me trompe peut-être.

  • Speaker #1

    C'est ça. Alors, quand il parvint à lire une phrase entière sans hésiter et qu'il ressentit l'émotion brutale de la comprendre, il fut envahi par le désir violent de renommer le monde depuis ses débuts.

  • Speaker #0

    Je dirais que c'est le voyage d'Octavio, l'histoire d'un analphabète.

  • Speaker #1

    En 2015, c'était votre premier roman. Oui. Et je trouve que dans cette phrase... Vous donnez votre définition du rôle de la littérature. Renommez le monde depuis ses débuts.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas de moi, en quelque sorte. Je pense que si on lit, par exemple, l'histoire d'un déicide de Vargas Llosa, il a vraiment cette idée que la littérature est un déicide. C'est-à-dire qu'il faut tuer un dieu pour en faire un nouveau. En quelque sorte, il faut tuer les repères de la réalité. et en faire un nouveau avec les nouveaux codes de la fiction. Mais qu'il y ait toujours cette idée de rompre quelque chose pour faire quelque chose de nouveau. Et Balzac le dit aussi, la littérature n'est pas là pour copier la réalité, elle est là pour l'exprimer. Encore une fois, c'est une forme d'homicide de la réalité pour en faire une nouvelle chose.

  • Speaker #1

    C'est un puzzle et vous, vous reconstituez votre puzzle à vous.

  • Speaker #0

    L'idée du puzzle me plaît beaucoup. Et je crois beaucoup que l'écriture est une affaire de puzzle. C'est très juste.

  • Speaker #1

    Quand même, vous aimez le roman picaresque. Vous n'êtes pas un écrivain expérimental influencé par Alain Robbe-Grillet. Vous voyez, vous êtes quand même un descendant de Cervantes. Bien sûr. De Don Quichotte. D'où vos livres sont un peu des remakes de Don Quichotte.

  • Speaker #0

    En quelque sorte, oui, peut-être en effet. Mais il y a aussi, on pourrait aussi imaginer qu'il y a du Rabelais ou il y a du Chrétien de Troyes, en fait. Mais comme c'est plus ou moins la même époque, que ce soit en France ou en Espagne, il y avait des porosités entre les deux. Et j'ai beaucoup travaillé sur Claude Simon. par exemple, puisque vous parliez du nouveau roman avec Rob Grier. J'ai beaucoup travaillé sur Clotimon ou sur Nathalie Sarraute. Je me suis intéressé au nouveau roman que je trouve extraordinaire dans sa forme fracturée. J'ai passé un an à étudier aussi le surréalisme et le dadaïsme. Et alors, bien sûr, qu'il y a presque 50 ans d'écart entre les deux. Et toutefois, c'est le même mouvement iconoclaste sur la littérature.

  • Speaker #1

    Vous n'apprenez pas à cette fois. Peut-être plus tard. Peut-être un jour. Peut-être un jour, vous serez complètement hermétique.

  • Speaker #0

    Mais pour l'instant,

  • Speaker #1

    il y a quand même des personnages, des histoires, une narration. Tout à fait. Ce que je voulais dire,

  • Speaker #0

    c'est que j'ai beaucoup d'admiration pour, par exemple, Le jardin des plantes de Claude Simon, qui est vraiment un chef-d'oeuvre absolu. Mais qu'aujourd'hui, je n'ai pas du tout le talent pour pouvoir écrire quelque chose comme ça, pour pouvoir faire un texte qui soit autant fragmenté et qui toutefois ait une trame.

  • Speaker #1

    Très malin, parce que comme ça, vous ne vous fâchez pas avec la goutte. C'est important quand on est sur les listes des prix. Donc, clair un petit peu aussi à des gens qui sont un peu plus avant-garde. Continuons le jeu. Donc, devinez cette citation. Où avez-vous écrit ceci ? Je cache parce que je vois bien que vous êtes un richeur. Lorsque les indigènes mâchaient l'Ibadou, ils parvenaient à monter dans les airs jusqu'à atteindre 4 mètres du sol.

  • Speaker #0

    Mais là, moi, je dirais comme ça, dans mon illustre ignorance, que c'est tiré de jungle.

  • Speaker #1

    Héritage. Ah bah oui,

  • Speaker #0

    bien sûr, bien sûr, le grand classique.

  • Speaker #1

    Alors qu'est-ce que c'est que l'hibadou ? Est-ce que vous avez déjà essayé l'hibadou ? Parce qu'apparemment, ça fait voler à 4 mètres du sol, ça m'intéresse.

  • Speaker #0

    C'est une sorte d'ayahuasca, en quelque sorte. Non mais,

  • Speaker #1

    on ne peut pas avoir un invité franco-vénézuélien sans lui poser la question.

  • Speaker #0

    De l'hibadou.

  • Speaker #1

    Vous avez tenté ce genre d'expérience ?

  • Speaker #0

    Alors, ma mère regarde cette émission.

  • Speaker #1

    Mais non, ah oui, il y a eu... c'est presque normal là-bas d'essayer les plantes psychélégiques.

  • Speaker #0

    Je me souviens en effet qu'on m'avait parlé de l'Ibadou, et c'est là où c'est beau, parce que ça revient à ce que vous disiez tout à l'heure, que dans mes livres, il y a une même langue, et qu'ensuite c'est segmenté en bouquins, mais c'est une même langue. C'est un peu comme une sorte de même texte qui est segmenté comme ça. Et l'Ibadou, on m'en avait parlé lorsque j'avais fait une très belle expédition pour descendre en rappel la plus haute cascade du monde, que j'ai racontée dans le livre Jungle, qui est un récit de voyage. où j'ai passé trois semaines avec des indigènes Pemones dans la grande savane, dans les Auyantepuy, qui sont des formations tabulaires au cœur de l'Amazonie. Et là-bas, c'est un des indigènes qui m'avait parlé de ce Ibadu, qui semblerait que c'est une sorte de tubercule que tu râpes et qui peut en effet te provoquer des trucs psychédéliques, tout simplement. Donc, tu ne voles pas. Des voyages intérieurs. Exactement, ce sont des errances intérieures.

  • Speaker #1

    Et là, dans la jungle, ils ne vous ont pas initié.

  • Speaker #0

    Bien entendu, j'aurais l'élégance de ne pas en parler ce soir.

  • Speaker #1

    On reste dans le domaine du... ça veut dire le romanesque.

  • Speaker #0

    Parlons de l'équité, parlons de... Oui, bien sûr, bien sûr.

  • Speaker #1

    Autre phrase. Le jour se leva sur un navire naufragé planté sur la cime des arbres au milieu d'une forêt.

  • Speaker #0

    Sucre Noir. Bien sûr,

  • Speaker #1

    c'est la première phrase qui est démente de Sucre Noir 2017, avec cette image du bateau en haut des arbres, en milieu de la jungle. C'est l'Arche de Noé.

  • Speaker #0

    C'est absolument l'Arche de Noé. Qui est une image que j'ai empruntée pour vous montrer que je n'ai rien inventé et que je ne fais que composer avec les choses qui sont autour de moi. Je ne suis qu'une éponge de mer, encore une fois. C'est une image qui est empruntée au Fitzcarraldo de Werner Herzog. Vous me soutenez en effet. Ce fou Fitzcarraldo fait passer à un moment, demande à 150 indigènes de tirer à la main son bateau pour le faire traverser une montagne parce que c'est trop long de faire le tour. Et le bateau reste à un moment, et tu as cette espèce d'image fabuleuse. ce gigantesque bateau sur les arbres et je m'étais dit mais comment c'est un livre avec une image comme ça mais

  • Speaker #1

    Bravo pour tout ça j'avais écrit ici que vous Vous entraînez un retour au roman et j'avais marqué Fuck l'avant-garde Mais juste avant, vous avez défendu l'avant-garde de manière très à droite. Donc je ne vais pas vous entraîner sur ce terrain.

  • Speaker #0

    Non, on se doit couper au montage.

  • Speaker #1

    Et enfin, une dernière phrase, alors il faut me l'expliquer. Dites-moi où vous avez dit ça, puis après vous m'expliquerez. Les romans sont une île entourée de terre.

  • Speaker #0

    Eh bien, ça, c'est écrit dans Le rêve du Jaguar, également.

  • Speaker #1

    Oui, le dernier, oui. Absolument. Alors, expliquez-moi, c'est un peu comme une interro au bac français à l'oral. Les romans sont une île entourée de terre. Vous avez une minute.

  • Speaker #0

    Je pense que ce que je voulais développer dans cette idée était ce qu'on parlait tout à l'heure, de que lire peut aussi être rester. Et que j'ai ressenti énormément d'apaisement. dans la compagnie des livres, avec des frères invisibles, des sœurs invisibles, à un moment où moi je voyageais énormément. Et j'avais peut-être l'impression d'être moi-même égaré dans une sorte de mer de différents noms de capitales et de cultures, d'idiosyncrasies différentes. Et j'étais comme dans une sorte d'île seule. Mais heureusement que les romans étaient là pour ne pas entourer cette île d'eau, mais l'entourer de terre où je puisse marcher pour aller à la rencontre. Tu vois, mais menée à la glaise des hommes et des femmes.

  • Speaker #1

    Quelle est la liste des pays où vous avez vécu ? Donc, il y a France, Portugal,

  • Speaker #0

    Italie... Oui, très longtemps à Lisbonne, oui, bien sûr, à Rome, oui.

  • Speaker #1

    Argentine ?

  • Speaker #0

    A Buenos Aires, et également dans une ville qui s'appelle Dresistencia, dans le nord de l'Argentine, dans la province de Chateau.

  • Speaker #1

    Venezuela, donc ?

  • Speaker #0

    Venezuela, naturellement. Qu'est-ce que j'oublie ? Caracas. Non, bon, mon père est chilien, donc, fatalement, j'ai un lien avec Santiago, qui est quand même très puissant, très fort. Et j'ai vécu un an à Berlin, là en effet, avec ma famille, avec la petite, avec les deux filles, enfin madame était enceinte. Oui,

  • Speaker #1

    alors ça c'est une question, pardon, moi aussi j'ai des petits-enfants. Comment on fait pour écrire autant, pour être un conteur comme vous, tout en ayant une famille, non pas à nourrir, mais à éduquer ? Vous êtes un bon père de famille, il faut s'organiser d'une façon... très disciplinés.

  • Speaker #0

    C'est pour ça que je vous disais tout à l'heure, moi je suis un moine, je suis très militaire dans la façon...

  • Speaker #1

    Vous les mettez à l'école et après ça doit pondre là, il faut sortir 4 pages.

  • Speaker #0

    Exactement. J'arrive en effet sur ma table de travail de la salle à manger et je n'ai pas de bureau, je pousse les tétines et les bédots. C'est vraiment ça, c'est avec le bras, comme ça. Et je sors l'ordi et je me mets à travailler. Mais là,

  • Speaker #1

    il faut que ça sorte,

  • Speaker #0

    là. Ben oui, je n'ai pas le choix. Parce qu'à 16h30,

  • Speaker #1

    il faut aller les chercher à l'école. C'est moi qui vais les chercher. Et là, c'est terminé. Garcia Marquez, adios.

  • Speaker #0

    Garcia Marquez, lui aussi, avait des enfants petits quand il a écrit Cent ans de solitude Et lui, il expliquait que la veille, il travaillait. Il travaillait. Le matin, il écrivait. Et dans l'après-midi, il préparait. La matinée suivante, donc il faisait les lectures nécessaires, il récoltait le champ lexical nécessaire pour une scène par exemple de la bataille des thermopiles. Bon, il y a un champ lexical, il y a une terminologie, il y a un lexique qui est particulier, en effet, donc il le récoltait. Il essayait de voir dans son enchaînement narratif quelles étaient les scènes, quels étaient les personnages qu'il devait décrire et toutes ces choses. Et il s'occupait des enfants. Et le lendemain, lorsqu'ils étaient à l'école, il reprenait tout ce qu'il avait travaillé. Et pendant la matinée, il écrivait. et dans l'après-midi il retravaillait ce qu'il allait bosser le lendemain et moi j'ai bossé que ça fait dix ans que je travaille comme ça une façon très méthodique d'un côté bien sûr que je peux avoir l'air d'un être comme ça exubérant dans le débordement plein d'amitié et j'aime beaucoup ça et c'est très sincère mais

  • Speaker #1

    vous n'imaginez pas qu'elle faisait combien en fait vous êtes dans le vivet vous êtes un homme est très chiant non mais interminable on appelle le sable

  • Speaker #0

    à la maison.

  • Speaker #1

    Dernière question, et vraiment merci beaucoup pour votre générosité, pour vos livres et pour votre présence ici. Quand écrirez-vous un livre sur la France ? Il y a eu Augustin Mouchot, mais sur la France en espagnol.

  • Speaker #0

    Ah oui, c'est beau ça.

  • Speaker #1

    Un livre en espagnol.

  • Speaker #0

    Un livre que j'appellerais L'homme qui était la France Donc ce sera un livre consacré à Frédéric Becquerel. Sur moi. Absolument. L'homme qui était la France Tout de suite, beaucoup mieux. Oui, c'est bon, c'est très bien. et allez savoir en effet quand est-ce que ça va se faire je sais que tôt ou tard j'écrirai en espagnol car c'est ma langue maternelle et ce sera sans doute amusant de voir la traduction en français de me relire en français et de me rendre compte que sans doute je n'aurais jamais écrit le livre en français de cette façon est-ce que vous relisez les traductions espagnoles de vos livres ? oui absolument c'est pas vous qui traduisez vous-même j'ai beaucoup trop de respect envers les traducteurs pour être en train de prendre leur travail en quelque sorte. Et lorsque je reçois les traductions en espagnol de mes livres, je me surprends à découvrir des mots que je ne connaissais pas, des tournures de phrases que je n'aurais jamais utilisées et des dialogues que je n'aurais pas du tout fait de cette façon. Et je redécouvre mon propre livre si bien que je continue à le lire jusqu'à la fin pour savoir qu'est-ce qui se passe à la fin parce que je suis tellement étonné par le... Et c'est un nouvel homme. Donc, je serais curieux de voir comment j'écrirais directement en espagnol, qui sera sans doute très différent de mes livres traduits depuis le français.

  • Speaker #1

    Mais écoutez, en tout cas, continuez comme ça. Et surtout, je vous dis, je ne sais pas quoi vous souhaitez. Vous êtes sur toutes les listes des prix. La semaine prochaine, les prix seront décernés. Dites-moi un mot en espagnol. Comment on dit merde en espagnol ?

  • Speaker #0

    Inch'Allah.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup.

Chapters

  • Introduction à "La vie des spectres" de Patrice Jean

    00:00

  • Rencontre avec Miguel Bonnefoy et son parcours littéraire

    01:03

  • Les influences et le style de Bonnefoy

    02:42

  • L'importance de la littérature comme point de repère

    04:20

  • L'histoire de la famille de Bonnefoy et son grand-père

    05:48

  • Analyse de "Le Rêve du Jaguar" et de ses thèmes

    08:00

  • La création littéraire et le processus d'écriture

    09:48

  • Références littéraires et inspirations de Bonnefoy

    10:59

  • L'impact du pétrole sur le Venezuela

    16:44

  • Réflexions sur l'avenir du Venezuela

    23:08

  • L'héritage familial et les récits de résistance

    25:12

  • Jeu des citations et réflexions sur l'écriture

    40:54

  • Conclusion et remerciements

    53:15

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