- Speaker #0
Et on commence par la publicité, cette semaine, Conversation Pas Chez la Pérouse est sponsorisée par les éditions Grasset pour le livre d'Andréi Makin de l'Académie Française, Prisonnier du rêve écarlate. Alors c'est un livre sur le goulag, un livre ultra violent qui décrit comment des révolutionnaires sont allés en URSS. dans les années 30, et puis en espérant participer. Mais dès qu'ils étaient étrangers, ils étaient considérés comme des espions, ils étaient envoyés au goulag. Et donc c'est un livre épouvantable, mais très intéressant et assez fort sur ces étrangers qu'on renvoyait ensuite chez eux quand ils sortaient de prison et puis qu'ils ne savaient plus où habiter et qui étaient en deuil de ce rêve écarlate dont parle McKin depuis toujours. Voilà, c'est donc Prisonnier du rêve écarlate d'André McKin chez Grasset. Fin de la publicité. Bonsoir la France. Ce soir, c'est une date exceptionnelle, historique, car pour la première fois, j'enregistre une conversation pas chez la Pérouse. C'est une conversation dans la Creuse, au domicile de Pierre Michon. Pierre Michon, bonsoir.
- Speaker #1
Bonsoir, Frédéric.
- Speaker #0
Pierre, vous publiez... J'écris l'Iliade chez Gallimard, qui est un livre révolutionnaire dans votre œuvre, un tournant à presque 80 ans, c'est assez étonnant. C'est un livre qui déborde de vie, qui est très sexuel, qui voyage dans le temps, un choc, un véritable choc. Est-ce que vous vous y attendez ? Est-ce que vous avez eu envie de faire scandale avec ce livre ? Non,
- Speaker #1
je n'ai pas du tout envie de faire scandale. J'ai envie de faire ce que je veux. C'est la première fois que je me libère des inhibitions, sauf la censure, l'autocensure actuelle pour des mouvements extrémistes. Mais sinon, il n'y a aucune inhibition. D'autre part, c'est un livre révolutionnaire pour moi, je vais vous dire pourquoi. Parce que c'est vraiment... Je suis dans la deuxième partie de ma vie qui a commencé il y a quatre ans. Et cette deuxième partie de ma vie est due aussi bien à un amour que j'ai rencontré... que je n'attendais plus. On attend toute sa vie une femme. Elle ne vient pas, mais là, elle est venue. Et d'autre part, j'ai failli mourir en même temps. Je suis resté hospitalisé six mois. Les médecins me tenaient pour mort. J'en suis sorti. Ces deux choses, principalement, et la reprise de l'écriture tout de suite, parce que pendant dix ans, j'ai été pratiquement sec, ont fait que c'est... C'est un autre homme, plus jeune que le vieil homme, qui a écrit ce livre.
- Speaker #0
Mais oui, c'est un livre incroyable.
- Speaker #1
Le livre est plus jeune, infiniment, que le plan Richard, qui a écrit Les Vies Minuscules.
- Speaker #0
Non, n'exagérons rien. Mais c'est vrai que c'est vraiment très choquant. Pas choquant, mais c'est un choc. C'est un choc, et d'ailleurs... C'est votre retour chez Gallimard, vous étiez publié principalement chez Verdier depuis de longues années, et là vous revenez chez Gallimard dans la NRF avec un livre très très étonnant, qui est un mélange de fragments autobiographiques, où vous racontez votre jeunesse de clochard céleste de la Beat Generation à Paris, et puis alterné avec des scènes, est-ce que je peux dire pornographiques ou pas ?
- Speaker #1
Pourquoi pas ?
- Speaker #0
Oui, qui se passe dans l'Antiquité. Alors, par exemple, il y a Homère qui est chevauché par Hélène de Troyes. Et c'est une scène d'anthologie. Mais c'est extraordinaire, c'est très, très, très érotique. Et on sent que vous vous êtes dit,
- Speaker #1
bon,
- Speaker #0
j'ai une image un petit peu fausse de poète rural. On vous surnomme le Flaubert du terroir ou le Faulkner de la Creuse depuis 40 ans. Et qu'on sent que vous en aviez marre de cette image et que vous vouliez dire, c'est pas moi.
- Speaker #1
J'en ai marre, ouais. J'en ai marre. Enfin, reclus dans la Creuse, ça, il a fallu vraiment qu'ils cherchent, qu'ils creusent profond, parce que quand j'ai écrit « Les vies minuscules » , comme c'était des choses qui me touchaient de près et que j'ai été élevé à la campagne, ça se passait nécessairement à la campagne. Mais jamais j'ai fait l'apologie de la campagne, ni la publicité pour la Creuse. Elle n'est jamais nommée dans les vies minuscules.
- Speaker #0
Non, mais dans les autres, dans la grande Böhn, la petite Böhn, oui.
- Speaker #1
Ah ouais, mais là, c'est la Dordogne.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Pour moi, c'est... C'est exotique. C'est loin. Ah non, non. Puis c'était une métaphore, pour les Böhn, une métaphore de la préhistoire. Parce que... Non, non, non, non. Non, où est-ce qu'on a été ? Ouais, le terroir, non, à Cantafourneur. Alors écoutez, je vais vous dire, c'est bizarre comment se font les réputations. Faulkner, je venais d'écrire « Les vies minuscules » , Maurice Nadeau fait une enquête pour la quinzaine littéraire, il demande à chaque auteur, qu'il avait choisi, quel est l'auteur ? qu'il l'aime mieux ou qu'il l'a le plus influencé, etc. Je me dis, ça aurait pu être n'importe qui. Enfin, dans les bons auteurs du passé. Et puis, je venais de lire Absalom, qui est un chaleur à tomber par terre. Je dis, allez, je vais faire un truc sur Faulkner.
- Speaker #0
Et du coup, vous acculez l'étiquette. Ça date de là.
- Speaker #1
Ça date de ça.
- Speaker #0
Ce n'est pas complètement faux, puisqu'il y a beaucoup de... Deux points communs, ce goût pour la nature, la réflexion sur la perte, une nostalgie.
- Speaker #1
Pour les vies minuscules, oui, c'est vrai. Mais comment dire ? D'abord, je ne bois pas trois litres d'oignon par jour. Ensuite, je suis pas un cavalier. Oh non, mais je vais au début. Dans des quantités pareilles.
- Speaker #0
Comme Faulkner, peut-être pas. Mais vous avez bien bu, vous le dites dans le livre. J'ai bu,
- Speaker #1
oui.
- Speaker #0
J'écris l'Iliade. D'ailleurs, vous aviez l'alcool agressif. Vous dites que quand vous buviez, vous vous battiez avec des gens, vous cassiez les portes.
- Speaker #1
Non, ça fait tout jeune.
- Speaker #0
Oui, quand vous aviez 20 ans.
- Speaker #1
Quand j'avais 20 ans.
- Speaker #0
Vous aviez l'alcool méchant.
- Speaker #1
J'étais révolté. Oui. Parce que, vous comprenez, j'étais vraiment... J'ai lu dans un de vos bouquins, là, récemment, vous parlez de l'autodidacte, c'est lui qui a le plus lu, parce que c'est le mec qui prépare un examen qui passera jamais. Moi, je suis comme ça. C'est-à-dire, j'étais à 20 ans, quoiqu'inscrit à la fac de lettres à Clermont, où j'allais pas en cours, j'étais un plouc complet. Qui se voulait écrivain ? qui connaissait personne, ni dans le Méditerranée, ni nulle part. Je vais à Paris et je me dis, j'aurais qu'à apparaître, disons, le grand écrivain.
- Speaker #0
Ça a mis un petit peu plus de temps.
- Speaker #1
Oui, oui. J'étais en colère, j'étais follement révolté, et je tapais dans les bagnoles et tout ça.
- Speaker #0
Vous cassiez des rétroviseurs.
- Speaker #1
Je me faisais casser la gueule des fois, je ne savais pas d'où ça venait.
- Speaker #0
Et vous racontez que vous ramassiez les mégots devant la Sorbonne, parce qu'à la Sorbonne, les étudiants sont riches, donc ils laissent des longues cigarettes par terre.
- Speaker #1
Tout le tour, il n'y a pas que la Sorbonne, les lycées plus hauts, les lycées Louis-le-Grand,
- Speaker #0
les lycées Montaigne, les lycées Henri IV.
- Speaker #1
Et puis vous allez après au Collège de France, à l'autre côté, ils sont encore plus riches.
- Speaker #0
Il y a peut-être toujours beaucoup de cigarettes par terre, vraiment longues. D'accord. Alors donc, dans ces étiquettes qui vous collent, il y en a plusieurs. Il y a Marie-Hélène Laffont qui a dit que vous étiez le saint patron des lettres françaises. Le Nouvel Obs, la semaine dernière, le Faulkner de la Creuse. Claudio Magris, le narrateur de l'ombre. Quelle est votre étiquette préférée dans ces trois-là ?
- Speaker #1
Alors,
- Speaker #0
il y a le saint patron des lettres françaises, le Faulkner de la Creuse ou le narrateur de l'ombre.
- Speaker #1
Je ne sais pas, je ne sais pas de l'ombre.
- Speaker #0
Je ne sais pas, je ne sais pas très bien ce qu'il a voulu dire Claudio Magri.
- Speaker #1
Non, mais c'est dans la mesure où... Ça pèse, ça. Ou je suis provincial. Et donc, peu mêlé au milieu parisien. Sauf par des amitiés ponctuelles pour un tel, un tel, un tel. Mais je suis peu dans les... Dans les...
- Speaker #0
Dans les mondanités.
- Speaker #1
Dans les manifestations ou mondanités d'auteurs.
- Speaker #0
Quand même, on s'est croisés, nous, Pierre Michon, pour la première fois. à une réception. C'était le Grand Prix de la Bibliothèque nationale de France en 2022. Vous avez fait un discours que j'ai trouvé très humoristique. Vous disiez que vous étiez un autodidacte détraqué. Et que votre œuvre était une architecture rutilante et boueuse. Je trouve que peut-être la bonne étiquette, c'est vous qui vous l'êtes mise.
- Speaker #1
C'est celle-là. Rutilant et boueux ? Oui. Il y a un autre truc. Une alliance d'objectifs comme ça, à la fin de mon livre, qui est comme Rutiland et Boue, c'est comme Baudelaire, vous savez, tu m'as donné l'amour et j'en ai fait de l'or. Rutiland et Boue, à la fin, j'écris l'idéal, je dis que la littérature est somptueuse et catastrophique.
- Speaker #0
Oui, alors ce projet est complètement dément. L'Iliade est le premier roman jamais écrit dans la littérature européenne, il y a 2800 ans. Et vous, vous vous dites, eh bien tiens, je vais réécrire L'Iliade, c'est-à-dire une histoire de guerre où il y a une super belle fille qui s'appelle Hélène de Troyes, qui est kidnappée par un Troyen qui s'appelle Paris, et son mari. Menelas de Sparte déclenche une guerre pour la récupérer.
- Speaker #1
Si on réfléchit bien à l'Iliade, à ce qui s'y passe, qu'est-ce qui s'y passe ? Dans le premier texte écrit, enfin, pas le premier, mais un texte qui a fondé la littérature universelle, dont tous les livres sont des enfants. Il se passe les deux actes principaux de l'action des hommes, malheureusement pour eux, qui sont l'amour, ah l'amour, d'accord, on est beau, et la guerre.
- Speaker #0
C'est ça. Mais le livre, d'ailleurs, j'écris l'Iliade, aurait pu s'intituler « Guerre et amour » , qui était un titre de film de Woody Allen, que j'aime beaucoup.
- Speaker #1
Oui, oui, oui. Mais oui, mais oui. C'est la guerre et l'amour, c'est l'espèce humaine. C'est-à-dire que nous-mêmes, ici, nous savons bien, nous sommes dans un monde en guerre, tout le temps, tout le temps, tout le temps, depuis le début, et en en faisant le déni, c'est-à-dire en disant « Ah, la paix, vite la paix ! » Mais où ? Quand ? Dans l'histoire de l'humanité ? Jamais. C'est l'homme est véritablement l'être pour la mort de Heidegger, de Sartre, tout ça, véritablement. C'est-à-dire que cet énorme cerveau qui lui est poussé ne lui sert qu'à faire la guerre et à se rayer de la planète et peut-être virer l'espèce humaine de la planète.
- Speaker #0
Certes. Mais en même temps, votre livre, il va peut-être plus loin ou il va dans d'autres directions. Par exemple, vous décrivez des scènes de guerre qui sont presque sexy. Il y a de la violence et du désir. Et vous entrecroisez les deux sans cesse dans le livre. Au fond, quand on vous dit que vous êtes le Flaubert du terroir, ce n'est pas le Flaubert de Madame Bovary, c'est plutôt celui de Salambo, qui est cité dans le livre, d'ailleurs. On sent que ce qui vous plaît, c'est ce côté... C'est des batailles qui sont presque comme des orgies.
- Speaker #1
Oui, mais vous savez, pour certains hommes dont je ne suis pas, étant un peu plus autre de nature, quand on lit l'Iliade, on voit ça, cette jouissance quasiment sexuelle du combat. Et on se dit, des hommes tels qu'eux ont toujours existé. Des guerriers comme ça. Il y en a encore. Ils s'engagent comme dans la Légion. Ils sont nombreux, les hommes. Les braves. Mais évidemment, pour rien. Sinon, pour jouir eux-mêmes du combat. Il y a certainement dans le combat, le combat rapproché, bien sûr. Quoique, non, rapproché. Après, ça se perd. Par l'amour abstrait.
- Speaker #0
Disons qu'être liquidé par un drone, c'est moins sexy que se battre comme un gladiateur. Mais dans votre livre, j'ai écrit Liliard, il y a vraiment des scènes érotiques, très érotiques, avec de la violence. Et au fond, ça retrouve une phrase que vous aviez écrite dans Les deux bonnes. Il y avait Pierre qui était fou de désir pour Yvonne. Et il y avait cette phrase, elle ne souhaitait pas faire l'amour, elle voulait le commettre. Au bon, ça rejoint cette idée-là.
- Speaker #1
Ah, c'est vrai. Comme commettre un meurtre.
- Speaker #0
L'amour physique, oui. L'amour physique, le désir, le désir masculin notamment, mais féminin aussi d'ailleurs. C'est brutal, c'est une guerre.
- Speaker #1
Beaucoup de philosophes ont dû parler de ça, mais je ne me souviens plus.
- Speaker #0
Peut-être le marquis de Sade.
- Speaker #1
Non, Sade, il les fait jouir quand il fait découper les filles en morceaux ou les garçons, mais pas de se battre entre eux. Non, c'est vrai, c'est vrai.
- Speaker #0
Il est plus dominateur que guerrier, oui. Alors, donc, vous êtes un écrivain sensuel. J'ai pensé, moi, en lisant, j'écris l'Iliade, à un mélange de Pierre-Louis et du satyricon de Fellini.
- Speaker #1
Oui, bien sûr, bien sûr. Et de... Comment il s'appelle cet autre film ? Roma.
- Speaker #0
Ah oui, Roma.
- Speaker #1
De Fellini aussi. Ah, Fellini, ça a été pour moi une passion. Vraiment une passion. Bien davantage qu'Antonioni. Mais le patient en cinéma italien, ça a été Fellini et Pasolini. Enfin bref. Visconti aussi, mais... Visconti, c'est pour Bec Bédé, c'est pour les gens de bonne éducation, c'est pour les gens des hautes classes. C'est pas pour les clous comme Michon. Mais
- Speaker #0
Michon, alors ce qui est amusant, c'est que vous alternez ces scènes orgiaques Flaubertienne, de peplum porno et puis des souvenirs de jeunesse qui alors là pour le coup font voir Pierre Michon sous un autre angle donc je disais...
- Speaker #1
Oui mais je vous dis quand même tout de suite un truc, c'est que c'est de l'autofiction mais ça vire la plupart du temps à l'auto... c'est de l'auto narato fiction c'est à dire...
- Speaker #0
Vous êtes un menteur vous voulez dire ?
- Speaker #1
C'est pas vrai
- Speaker #0
Le point de départ,
- Speaker #1
l'ancrage, est toujours vrai. Mais ce qui se passe après... Par exemple, la fille à... Dans le train ? À Ferdinand, à Thessalonique. Oui.
- Speaker #0
C'est pas vrai.
- Speaker #1
Elle a eu une petite aventure avec cette femme, mais jamais elle rêvait de se faire violer par tout un régiment.
- Speaker #0
Bon, c'est vous qui avez déliré. Mais la jolie brune italienne... En 1971, dans un train pour Lyon, où vous devez aller faire vos trois jours, là, vous rencontrez cette femme extraordinaire, et vous faites l'amour sans vous parler, sans même savoir son nom.
- Speaker #1
Si elle dit « Mamma mia ! » Eh bien écoutez, ce « Mamma mia » , je l'ai entendu, moi, de la bouche d'une dame à qui je donnais quelques faveurs. Bon, donc, vous n'êtes pas en ce moment. Mais cette femme dans le train, c'est la seule chose inventée toute... Ah, tu es déçu ! Je suis tellement déçu ! C'est le fantasme de la femme du train.
- Speaker #0
Le compartiment avec une inconnue. Mais alors, en plus, vous êtes excité, et là, on voit que vous êtes quand même un petit peu détraqué, pardon, avec tout le respect que je vous dois. Vous êtes excité par la recharge de la locomotive à vapeur qu'on remplit d'eau avec un grand tuyau, on la remplit d'eau et vous ça vous excite. Alors là, excusez-moi monsieur Michon, mais qu'est-ce qui vous prend ?
- Speaker #1
C'est vrai. Non, je veux dire que cette histoire est vraie, sauf le fait que j'ai eu un contact sexuel après. Cette histoire est vraie. J'ai pris ce train pour aller faire mes trois jours à Lyon, j'avais 26 ans peut-être. C'était avant la dérive parisienne et tout ça. J'étais complètement défoncé. Parce que je voulais que les militaires me réforment aussi sec. Donc je m'étais complètement défoncé à tout ce que j'avais trouvé.
- Speaker #0
Donc c'était surtout maxiton et anxiolytique, je crois.
- Speaker #1
Maxiton, anxiolytique, parbiturique.
- Speaker #0
Donc amphitamine, des excitants et des calmants mélangés.
- Speaker #1
Tout mélangé.
- Speaker #0
Ne faites pas ça chez vous,
- Speaker #1
c'est dangereux.
- Speaker #0
J'ai dit aux auditeurs, ne faites pas ça chez vous, c'est très dangereux.
- Speaker #1
J'avais la santé. Je prends tout ça et la nuit, en pleine nuit, dans une gare perdue en province, ils font de l'eau. Il fallait qu'ils mettent de la flotte dans ces locomotives, parce que ça embouffait.
- Speaker #0
En fait, il y avait encore des locomotives à vapeur dans les années 70 ?
- Speaker #1
Ah oui, il y avait les dernières. C'était beau. Et bon, ils font de l'eau et j'entends ce souffle qui était un bruit de sorte de coït, mais qui était aussi comme le rythme même de l'univers. Comme si j'entendais E égale MC2.
- Speaker #0
Oui, vous êtes... C'était probablement un effet des drogues que vous consommiez. Non,
- Speaker #1
non, non, non, non. Ça vous arrive, ça nous arrive à tous. Tout à coup, on se dit, mais ça, c'est le rythme de l'univers, c'est ce qu'a fait le Big Bang. Souvent, quand on écrit et qu'on tient la phrase juste, on se raconte ça. Vous n'avez pas remarqué ?
- Speaker #0
Non, mais bien sûr. D'ailleurs, ce livre est somptueux. Stylistiquement, c'est vraiment un d'aux plus beaux livres. J'écris l'Iliade et vous avez déclaré un jour, je ne sais plus où, chaque phrase doit être belle parce que vous pensez que l'écrire, c'est un dispositif de désir. Et là, vraiment, pour le coup, c'est le sommet, puisque vous passez votre temps à chercher des traces de désir, à chercher une envie, une jubilation d'écrire.
- Speaker #1
C'est-à-dire que je n'ai jamais conçu l'acte d'écrire autrement que comme une jouissance. Et mes longues phases d'inhibition qui ont fait que j'ai été rare sont très comparables comme mécanisme à l'impuissance sexuelle. C'est quelque chose de semblable pour moi. Je dirais bien que c'est la même chose.
- Speaker #0
Ça vient du ventre, quoi. Ça vient d'une sorte de pulsion de vie.
- Speaker #1
Comme dit... Oui, ça vient, comme dit... C'est Henri Miller qui disait ça. Ça vient du bas de la moelle épinière.
- Speaker #0
Oui. Mais j'ai beaucoup pensé à Henri Miller. Effectivement.
- Speaker #1
Oh, j'ai aimé Miller.
- Speaker #0
Ah oui. Vous avez...
- Speaker #1
Il y a beaucoup que je n'ai pas relu.
- Speaker #0
Ah, ça fait penser à Tropique du cancer. Parce qu'il y a la même errance un peu clochardisée.
- Speaker #1
Oui, c'est vrai. Au Paris,
- Speaker #0
au début, quand vous aviez l'alcool méchant, vous avez même dit que vous auriez pu, à ce moment-là, devenir meurtrier. Vous auriez pu basculer. Vous avez bien fait de choisir l'écriture. Il y a plus d'avenir que dans l'assassinat.
- Speaker #1
Ça a été une des grandes peurs de toute ma jeunesse. Toutes les fois que je prenais une cuite et que j'avais des coups sur la gueule, et même des fois... Quand j'avais pas de coup sur la gueule mais que je me disais « Oh putain, ça a mal tourné avec un tel ou un tel » , je me disais « Pourvu que j'ai tué personne » . C'était vraiment une terreur absolue parce que j'étais, dans une certaine mesure, j'étais très violent. Mais heureusement, je l'étais surtout en parole.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
J'étais en parole.
- Speaker #0
Là, je précise, le bruit qu'on entend, c'est que vous croquez des petites pastilles de nicotine parce que vous avez arrêté de fumer. Vous étiez bien obligé.
- Speaker #1
J'étais bien obligé, puisque maintenant je suis insuffisant respiratoire. Mais ça fait partie de ma renaissance. L'insuffisance respiratoire est une marque de nouvelle naissance. Oui, ça vous... J'ai certains sujets.
- Speaker #0
Avec ce livre, en tout cas, vous vous êtes ressuscité dans les grandes largeurs. Il y a un autre auteur, on parlait d'Henri Miller, vous me faites un peu penser aux Céline des inédits qui viennent de sortir, Guerre et Londres. Est-ce que vous les avez lus ?
- Speaker #1
Je les ai lus.
- Speaker #0
Parce qu'il y a cette espèce de manière d'entrecroiser la guerre et le sexe.
- Speaker #1
Oui, c'est vrai, c'est vrai. Céline n'a jamais fait autre chose. Ah oui, oui, surtout dans le voyage. Surtout dans le voyage au bout de la nuit avec les massacres. Il y a une phrase qui dit l'horreur de la guerre dans Voyage au bout de la nuit mieux que toutes les phrases là-dessus. C'est au moment où... Un moment, il est sur le front et son colonel avec son cheval, qui va faire l'intéressant, il est dans l'éclaircié. Il va en première ligne et il dit « Détouche, venez avec moi ! » C'est pas « Détouche » ,
- Speaker #0
c'est
- Speaker #1
« Bardamu » . Il y va et un obus tombe sur le cheval et l'homme. Lui, il regarde et il dit, toutes ces viandes saignaient énormément ensemble.
- Speaker #0
Ah oui, mais c'est ce regard-là qu'il y a aussi.
- Speaker #1
Pour les deux derniers, on sent quand même que c'était brouillon.
- Speaker #0
Oui, oui, on le sent, bien sûr. Je suis d'accord. Ils sont pas... Mais il y a quand même cette façon que vous avez aussi de mêler la guerre avec le désir, quoi.
- Speaker #1
Vous savez, Céline n'a pas assez parlé, à mon avis, de son goût des femmes. Il en parle encore beaucoup dans le voyage avec l'américaine, tout ça. Céline était un amateur de femmes extrêmes. Et il parle peu de l'acte dans ses... Oh si, oh si, des fois... Non, non, je déconne.
- Speaker #0
Oui, mais vous aussi, vous aussi. Alors là, donc, on voit bien que vous êtes amoureux d'Hélène Détroit. Alors, ça ne le niait pas. D'ailleurs, il y avait déjà une aubergiste qui s'appelait Hélène dans Les Deux Beunes. Et puis, une fois, j'avais lu un texte de vous, mais je ne sais plus lequel, où vous compariez Hélène de Troyes à Brigitte Bardot. Je ne sais plus où c'était.
- Speaker #1
C'est la plus belle.
- Speaker #0
Oui,
- Speaker #1
mais vous délirez beaucoup sur Hélène. Pour moi, maintenant, dans mon esprit, vous parlez d'Yvonne ou d'Hélène ?
- Speaker #0
Hélène, Hélène.
- Speaker #1
C'est la blonde absolue, c'est Marilyn Monroe. C'est la blonde avec cette peau de petit cochon. Oui, oui, si vous voulez. C'est vrai.
- Speaker #0
Je vous laisse responsable de vos dires.
- Speaker #1
Alors qu'Yves Roll, dans Les Deux Bonnes, c'était la brune absolue. C'était Ava Gartner.
- Speaker #0
Avec les bras blancs. Oui, oui. Mais la... Je reviens à Hélène de Troyes. Donc, dans votre livre, je n'arrive pas à savoir, ce qui vous excite, c'est qu'elle trompe, c'est qu'elle est une adultère, c'est une femme adultère, et qu'ensuite on la ramène et elle est très sévèrement châtiée. Il y a de ça qui...
- Speaker #1
Ah oui, elle recevra une fessée dans le chemin creux. Comme dans l'histoire... Allez, allez.
- Speaker #0
Non, mais je... Qu'est-ce qui vous séduit dans ce personnage, puisque vous avez réécrit l'Iliade ?
- Speaker #1
Vous savez, Hélène, c'est un personnage très complexe, parce qu'elle est la proie de la déesse Aphrodite. Elle est comme une incarnation sur Terre d'Aphrodite. Or, cette femme est extrêmement bonne, Hélène. Elle est généreuse, elle est charitable. C'est une reine de Sparte parfaite, avec son époux Ménélas. Or, débarque, qu'elle aime, elle n'en est jamais lasse. Or, débarque un beau barbare, venu faire des conventions militaires avec son mari, sépariste de Troie. Elle en tombe folle dingue.
- Speaker #0
Donc c'est quoi ?
- Speaker #1
Lui aussi. Et elle parle non sans... Elle parle à la fois. Elle veut, elle demande. Et elle veut rester.
- Speaker #0
Elle est enlevée quand même. Non, elle n'est pas enlevée.
- Speaker #1
Elle n'est pas enlevée. Elle part avec lui.
- Speaker #0
C'est les Grecs sur le front qui disent « Ce salaud qui nous a enlevés ! » Etc. La petite... Pas Ménélas. C'est le discours d'Agamemnon. Oui,
- Speaker #1
c'est le frère.
- Speaker #0
Agamemnon, c'est la grosse...
- Speaker #1
C'est le frère de Ménélas.
- Speaker #0
Pas la pensée de Pina.
- Speaker #1
Et donc, il déclare la guerre de Troie à cause d'une des plus belles femmes que la littérature ait jamais inventée.
- Speaker #0
Mais oui. Et quand elle est à Troie... Tous les Troisiens l'adorent. Ils savent qu'ils vont mourir. Mais jamais ils lui disent « Fous le camp d'ici ! » Jamais. Jamais. Et quand elle voit son mari Menelas combattre, quand elle entend sa voix, ça c'est Homer qui le dit, elle pleure. Mais Paris la fait appeler dans sa pirole.
- Speaker #1
Et alors, je suis suspendu.
- Speaker #0
Eh bien, vous voyez bien, dans la pièce de Paris, c'est simple. Mais elle aime les deux, tout au long de l'Iliade. Elle aime les deux.
- Speaker #1
Et vous allez encore plus loin, puisque dans votre livre à vous, dans votre version qui sort ces jours-ci, Hélène se tape Homer.
- Speaker #0
Oui, je suis content de cette invention parce qu'il y a un texte célèbre dont je parle qui est l'éloge d'Hélène. Parce que les Grecs longtemps ont condamné. Puis à partir de l'époque, de la grande époque, Platon, Sophocle, ils n'ont été plus partagés et on a fait un éloge d'Hélène. Et dans cet éloge... On disait qu'Hélène, avant la guerre de Troie, quand Homer avait 18 ans, pas avant la guerre de Troie, avant l'écriture de l'Iliade, Hélène était venue voir en rêve Homer et lui avait dit « Tu vas écrire un livre que tu appelleras l'Iliade et où tu diras combien c'est mieux d'être mort pour moi. » devant trois que de ne pas m'avoir connu. Moi, je dis que d'autres auteurs prétendent qu'il y a eu un autre rêve. Je prétends être parmi ces auteurs, mais il n'y en a pas, il n'y a que moi qui l'ai fait.
- Speaker #1
C'est ça. Mais comme d'habitude, de toute façon, vous êtes un farceur. Vous l'avez souvent dit.
- Speaker #0
Il y a plein de... Il y a des citations qui sont tronquées, par exemple. Je vais dire à Baudelaire... Ou je ne sais pas qui. Ah oui, je vais dire à Châteaubriand, un truc que j'ai trouvé dans un bouquin de vulgarisation du 19e siècle.
- Speaker #1
Oui, mais vous êtes un escroc. Mais c'est assumé. Vous citez parfois cette phrase de Balzac qui dit que tous les écrivains sont des farceurs. Non, ils sont perdus.
- Speaker #0
Oui, le petit farceur. Oui, oui. Mais comme disait, je ne sais plus qui. Les bons écrivains plagient, les bons écrivains volent. Moi je fais souvent des morceaux entiers de textes sans guillemets. Il y a deux vers entiers de Chénier, pourtant Chénier ce n'est pas la langue d'aujourd'hui, c'est le 18e, que personne n'a vu.
- Speaker #1
Mais oui.
- Speaker #0
Il y a un type qui m'est extrêmement précieux, dont je n'irai pas le nom, qui est mon pied, Chez Gallimard, à qui j'ai fait lire tous les textes l'un après l'autre. C'est le type le plus cultivé que je connaisse. Je lui ai dit mille fois, as-tu trouvé le verre de Chénier ? Non.
- Speaker #1
Ce qui vous caractérise aussi, c'est que vous êtes né en 1945, et donc la guerre était terminée, mais encore très très très récente. Peut-être aussi, c'est ce qu'on appelle les boomers, peut-être aussi que vous parlez de la guerre à nouveau, parce que c'est comme si vous reveniez dans ces souvenirs, pour dire que les écrivains ne sont pas des gens gentils.
- Speaker #0
Oui, oui. Vous voulez dire que ça serait mes souvenirs de la guerre telles que je la voyais dans l'enfance ?
- Speaker #1
Peut-être, parce que vous parlez beaucoup de votre jeunesse, et s'entrecroise de...
- Speaker #0
Vous savez, les enfants, même maintenant, comme toujours, dans la guerre, quand ils ne sont pas dans un pays en guerre, ils voient ça comme un jeu de massacre. Ils prennent conscience de l'horreur du fait que tard... Enfin, en ce qui me concerne, non, ce n'est pas des souvenirs d'enfance, c'est la prise de conscience, peu à peu, que la guerre est l'état naturel de l'humanité. Et ça, c'est ce qui fait sa perte. C'est ça. Sa beauté, si on peut dire. Parce que la guerre, c'est somptueux, c'est magnifique. C'est un feu d'artifice extraordinaire.
- Speaker #1
Oui. Est-ce que ce livre, j'écris le livre... Liliade. Bon, Joyce a repris l'Odyssée. Est-ce que vous vous êtes dit tiens, moi, je vais reprendre Liliade. Et après tout, le point commun entre les deux, c'est le sexe. Il y a beaucoup de sexe dans Ulysse.
- Speaker #0
Liliade et l'Odyssée.
- Speaker #1
Oui, mais entre vos reprises. de Homer. Joyce, à l'époque, c'est un livre qui a fait scandale aussi, qui était un livre très, très porno, qui d'ailleurs n'a pas pu être publié dans son pays. Il a dû venir à Paris. Homer ? Non, je parle de Joyce. Ah ! Écoutez, il faut suivre. Non, mais vous avez fait... C'est le même projet que Joyce. Joyce, reprenez l'Odyssée, vous reprenez l'Iliade.
- Speaker #0
Non, c'est un projet beaucoup plus foutraque que celui de Joyce, qui était vraiment minuté à la seconde près, tout ça, c'était un travail très scrupuleux, celui de Joyce. Moi, j'ai fait ce bouquin en un an. Joyce, il a mis dix ans pour faire ce truc qui est un monument, qui est un monument.
- Speaker #1
Vous en êtes un autre, mon cher.
- Speaker #0
Oui, mais c'est la petite baraque, vous savez, de la maison de l'Alliance à New York, la maison de l'Alliance française, à l'ombre des twins que sont Joyce.
- Speaker #1
J'ai cru que vous alliez dire un monument en péril. Non, il y avait les châteaux en péril quand on était petits.
- Speaker #0
Non, il n'est pas en péril, Joyce.
- Speaker #1
C'est bon. Alors, je vous ai apporté une bouteille de Gibi, parce qu'il y a beaucoup de Gibi dans votre livre. Mais vous avez arrêté de boire.
- Speaker #0
J'ai arrêté de boire bizarrement parce que j'ai dû arrêter de fumer.
- Speaker #1
Et les deux à l'heure.
- Speaker #0
Sans tabac, je ne vois plus l'intérêt de boire. Comme je ne buvais que pour atteindre la livresse, et pas du tout par goût gastronomique. J'ai arrêté. Et je dirais bien que depuis que j'ai arrêté de boire, je ne dessoule pas.
- Speaker #1
Ce livre, est-ce que c'est pour créer votre propre mythologie que vous l'avez écrit ? Vous dites à un moment, je décidais d'inventer un dieu. Est-ce que vous l'avez créé, ce dieu ?
- Speaker #0
Oui. Vous voulez dire, dans le récit qui s'appelle comme ça ? Oui. Oui, j'ai fait un dieu, mais il n'a pas bien marché. Vous vous rappelez, c'était un dieu qui était un peu foireux. C'est une petite sauterelle qui a pris sa place. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais sûrement, parce que vous-même, je vois dans vos trucs, que vous vous intéressez très près aux animaux. Mais quand j'habitais... au quart, enfin, ma maison de la Creuse. Et quand j'y étais seul, c'est-à-dire depuis 6-7 ans, j'ai beaucoup, enfin même avant, mais j'ai beaucoup, je dirais, dialogué avec les animaux. Il y a quelque chose qui s'est passé au niveau de l'animal. C'est-à-dire que je n'étais plus seulement... C'est des conneries écolo. Je n'étais plus seulement un représentant de l'espèce humaine, j'étais un représentant de la vie animale sur cette Terre et donc de la vie végétale et minérale. Vous savez... J'ai beaucoup réfléchi à ça. Spinoza dit « toute chose veut persévérer dans son être, donc continue à vivre » . Et c'est vrai. Si vous arrachez un poireau, il résiste, il dit « ouille ouille ouille » . Si vous tapez une pierre à coup de marteau, elle résiste, elle dit « ouille ouille ouille » . Toute chose veut persévérer dans son être et sait qu'elle est emportée par ce tourbillon tueur du Big Bang. Tout ça est merveilleux.
- Speaker #1
Mais d'ailleurs, ça rejoint l'idée de sauvagerie de votre livre. Parce que ces humains qui se tapent dessus, qui s'entretuent en permanence, c'est la nature aussi. Les animaux sont des barbares entre eux.
- Speaker #0
Non. Non, non, ils ne sont pas des barbares entre eux, puisqu'ils se tuent pour se nourrir. Ils ne se tuent pas par plaisir, à part quelques... Il y a des espèces vicieuses, les belettes par exemple. Si elles rentrent dans un poulailler, elles n'égorgent pas seulement les belettes qu'elles emportent. Les poules ? Les poules qu'elles emportent, elles égorgent tout.
- Speaker #1
Ah oui, les renards aussi.
- Speaker #0
Les renards aussi. Il y a des espèces vicieuses. Mais les animaux tuent comme tuer. L'homme pouvait très bien exister. Par exemple le chasseur-cueilleur. Le chasseur-cueilleur se faisait peut-être montrer les dents de temps en temps. Et se faisait vaguement la guerre pour un territoire. Mais vous vous rendez compte ? En France, à l'époque de la grotte Chauvet, il y avait quinze cents humains. Il y avait de la place.
- Speaker #1
Oui, et effectivement, l'idée de génocide n'est pas quelque chose de strictement humain.
- Speaker #0
Le crime de guerre est humain. Mais le crime nutritionnel est universel. Ce qui pose des questions sur Dieu, sur l'athéodicée, etc. On n'a pas parlé de Dieu.
- Speaker #1
J'ai dit que vous aviez inventé le vôtre dans le livre.
- Speaker #0
C'est vrai que j'ai eu l'idée, à ce moment-là, d'inventer un dieu pour l'écrire. Mais le coup de la sauterelle verte est vrai aussi. C'est vrai ça.
- Speaker #1
Racontez.
- Speaker #0
Je l'ai écrit tout de suite.
- Speaker #1
Parce que vous avez une sauterelle dans votre main.
- Speaker #0
Elle a sauté dans ma main, j'ai fermé ma main. C'est comme la locomotive. Et j'ai senti le rythme de l'univers. Vous savez, quand c'est dans la main, les insectes, si vous prenez pareil un coléoptère, ça fait un bordel.
- Speaker #1
Ils n'aiment pas, ils veulent sortir.
- Speaker #0
Ils veulent sortir. Mais la sauterelle, c'est ses pieds. Quand ça s'envole, c'est un tel éclat.
- Speaker #1
Alors, à la fin du livre, est-ce que j'ai le droit de la raconter ? Il y a un autodafé final où vous êtes avec des copains et vous cramez tous les livres chez vous.
- Speaker #0
Pas un copain.
- Speaker #1
Un ? Un, pardon, un. Oui, un seul.
- Speaker #0
Les deux autres, c'est des spectres.
- Speaker #1
D'accord. N'empêche que vous dites notamment que la pléiade, ça brûle plus vite. Évidemment, le papier Bible. Vous dites que la pléiade brûle très, très vite. C'est pratique.
- Speaker #0
C'est pas vrai.
- Speaker #1
C'est pas vrai ?
- Speaker #0
Écoutez, relisez. ou revoyez Fahrenheit de Truffaut, et qui, je ne sais plus qui c'était qui l'avait écrit.
- Speaker #1
Ray Bradbury.
- Speaker #0
Bradbury. Rien n'est plus difficile à brûler qu'un livre, parce que c'est massif, etc. Alors j'ai rusé avec ça tout le long du truc, mais il y aura bien quelqu'un de bon esprit qui dira « Oh ! » Là, Michon déconne, quand on parle pas brûler, les bouquins se disent vite.
- Speaker #1
Et alors, puisqu'on parle de la pléiade, vous allez y entrer bientôt ? J'ai entendu dire qu'un contrat...
- Speaker #0
C'est des bruits, c'est des bruits.
- Speaker #1
C'est des bruits qui sont un petit peu confirmés quand même.
- Speaker #0
Faut pas... No comment. Bon,
- Speaker #1
alors on n'en parle pas. Il y a un jeu dans cette émission qui s'appelle « Devine tes citations, Michon » . Je vais vous lire des phrases de vous que vous avez écrites dans tous vos livres et vous devez me dire dans lequel vous avez écrit ça. Ah, c'est un test de mémoire. Alors attention. Elle lâcha le flipper. Elle tourna les talons et vivement amena dans le brouillard ses façons de glamour, ses aplombs de grue, son fourreau de nuit sous quoi régnait absconce la faute considérable.
- Speaker #0
La Grande Bonne.
- Speaker #1
Bravo, 1996. C'est là où moi je trouve que stylistiquement, c'est ce qui fait de vous peut-être un des plus grands prosateurs actuels dans la langue française, c'est que vous mélangez des choses qui ne vont pas du tout ensemble. Ces façons de glamour. Vous voyez, c'est ce qui montre que le... Et puis le flipper, c'est ce qui montre qu'on n'est pas au XVIIe siècle, vous voyez. Et puis, juste après, son fourreau de nuit, sous quoi régnait absconce la... Ah, j'ai dit la faute.
- Speaker #0
La faute.
- Speaker #1
La fente considérable. Bien sûr, c'est un abscousse très révélateur.
- Speaker #0
La fente. Oui, oh ben... Eh oui. Eh ben, c'est...
- Speaker #1
Oui, la culpabilité catholique.
- Speaker #0
Il est pudique. Non, mais je vais vous dire. J'ai beaucoup, je vais me vanter, j'ai beaucoup d'éventails de niveau de langue à mon service. Parce que, ayant lu énormément, ayant fait ça toute ma vie, avec plaisir, j'ai accumulé le stock de la langue classique française. Ses façons, ses syntaxes, etc. sont lexiques. Mais étant de naissance plus de la campagne, non, c'est vrai. Mais mes grands-parents, qui m'ont élevé davantage qu'un verre, étaient des paysans qui parlaient patois entre eux et qui parfois me parlaient en patois. Le patois, que je parle des fois avec des gens d'ici qui le parlent encore, est malin aux fondatrices en même temps que le français. et le patois avec tout ce qui charriait de termes techniques appliqués aux travaux les plus manuels. Donc j'ai un grand choix. J'ai aussi le vocabulaire de 68, le vocabulaire des révoltés à la Mide-Pin comme vos parents et moi.
- Speaker #1
Vous étiez maoïste en 68.
- Speaker #0
Oui, j'étais maoïste.
- Speaker #1
Vous étiez dans la rue, vous avez dépavé le boulevard Saint-Michel ?
- Speaker #0
Oh là non, je suis bien trop pleutre. J'étais à Clermont-Ferrand étudiant. Je faisais les gardes de nuit à la fac de lettres. On ne risquait pas grand chose. On faisait comme si on était... Avec Che Guevara en Bolivie. Oui, d'accord.
- Speaker #1
Alors, une autre phrase de vous. Le monde est une femme. Dans quel livre avez-vous écrit ceci ?
- Speaker #0
Le monde est une femme. Peut-être dans J'écris d'Iliad.
- Speaker #1
Eh bien, c'est La Petite Beune.
- Speaker #0
Ah, c'est La Petite Beune.
- Speaker #1
C'est 27 ans après La Grande. C'était en 2023.
- Speaker #0
Oui, je lui ai donné 27 ans pour enfin coucher avec elle.
- Speaker #1
Oui, ben oui, mais en même temps, ça valait la peine d'attendre.
- Speaker #0
Il n'a pas vie.
- Speaker #1
Une autre phrase. Dans sa jeunesse, ne pas avoir toutes les femmes lui avait paru un intolérable scandale.
- Speaker #0
Ça, c'est une des plus... Comment dire ? Une des phrases les plus justes que j'ai... Jamais écrite en ce qui me concerne, parce que j'aurais dû dire je l'ai. Dans ma jeunesse, ne pas avoir toutes les femmes m'avait paru un abominable scandale.
- Speaker #1
Intolérable scandale.
- Speaker #0
Intolérable scandale.
- Speaker #1
C'est dans Maître et Terminale.
- Speaker #0
Du texte sur Watteau.
- Speaker #1
Donc vous pensiez ça. En fait, vous aviez toujours cette obsession pour la beauté féminine et ce désir.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
aiguisé qui vous inspire encore aujourd'hui.
- Speaker #0
Je crois aussi, enfin, parce que je sais que vous êtes comme moi, ce que nous cherchons, c'est idiot à dire, mais ce que peut-être cherche tout homme et toute femme, c'est la femme que nous aimerons enfin. Ou la femme, ou si c'est un homosexuel, soyons de notre époque. Je veux dire, l'objet d'amour qui nous le rendra et qui enfin nous réconciliera avec l'autre.
- Speaker #1
Mais vous l'avez trouvé.
- Speaker #0
Je crois l'avoir trouvé, oui.
- Speaker #1
Moi aussi, on se serre la main, bienvenue au club. Autre phrase de vous, il faut continuer à apprendre à l'école des choses qu'on ne comprend pas.
- Speaker #0
Oh ben non, dans mes interviews.
- Speaker #1
Oui, exact, bravo, mais vous êtes très fort. Le roi vient quand il veut, 2007, c'est le recueil de vos interviews. Mais alors, qu'est-ce que vous voulez dire exactement par ça ? L'importance du mystère, c'est ça, il faut continuer à apprendre ? à l'école des choses qu'on ne comprend pas. Par exemple, moi je me souviens d'avoir étudié Rimbaud. Je ne comprenais rien du tout au lycée. Aux illuminations. Vous non plus ?
- Speaker #0
Non.
- Speaker #1
Pourtant vous êtes un des plus grands spécialistes français.
- Speaker #0
Oui, mais après on réfléchit plus tard. On se dit... Mais est-ce que ça ne ressemble pas à ce que j'avais lu ? Je me rappelle... très précisément le jour au lycée. On traduisait, j'étais en première au classe-terme, on traduisait l'énéide. Et jusque-là, c'est-à-dire depuis la sixième, la poésie latine m'avait semblé un emmerdement, comme tout le latin, et il fallait traduire la poésie. Et tout à coup, dans Virgile, il m'est apparu que c'était comme dans Victor Hugo, que ça pouvait être beau. C'était, je me rappelle très bien du verre, c'est quand... Orphée se retourne vers Eurydice, elle disparaît, et il dit qu'il tend vers lui ses mains, hélas impuissantes. Le verset « Invalidasque tibi tendens eu non tua palmas » « Invalide vers toi tendant » Hélas, impuissante mes mains, Invalidasque tibi tendens, Et où n'en toi palmas ? Ça sonne fièrement ce machin.
- Speaker #1
Oui mais c'est plus simple à comprendre que Rimbaud. Rimbaud, parfois c'est un peu hermétique.
- Speaker #0
Mais ça dépend de ce qu'ils refont. Lire de Rimbaud, il ne faut pas leur faire lire des illuminations, il faut leur faire lire des poèmes rimés. Il y a des tas de choses très lisibles.
- Speaker #1
On n'est pas sérieux quand on a 17 ans, des choses comme ça.
- Speaker #0
Ou même le bateau-hivre. Mais pas les illuminations. J'ai mis un temps pour voir réellement ce qu'il en était. J'avais 30 ans quand j'ai vu les illuminations.
- Speaker #1
Autre phrase de vous. J'eus à 26 ans une aventure ferroviaire à la faveur de laquelle je devins un autre.
- Speaker #0
Facile. J'écris Liliane.
- Speaker #1
Fastoche, c'est la première phrase. 2025. Bon, donc vous m'avez beaucoup déçu. Vous m'avez dit que la rencontre de cette femme dans le compartiment, c'était de la fiction. Mais il y a un endroit où vous dites... Mec, si tu veux devenir Pierre Michon, c'est ainsi que tu devras écrire. Maisie, Villon et Rimbaud dans les silences entre deux râles.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Ça, j'ai beaucoup aimé.
- Speaker #0
Ah oui, c'est le même texte.
- Speaker #1
Oui. Alors, je continue. C'était juste pour le plaisir de citer. On se caresse, on est entre nous. Je continue. Je matais de toutes mes forces. culotte rose, culotte noire, cuisse,
- Speaker #0
cuisse,
- Speaker #1
cuisse. Écoutez, c'est debout, hein ? Attention, il s'étrangle. Il s'étrangle en entendant sa phrase.
- Speaker #0
C'est dans la fête foraine à Rimini. Voilà,
- Speaker #1
le jour où j'écris l'Iliade.
- Speaker #0
C'est vrai. Je me rappelle avec un plaisir quasi sexuel de ce spectacle que je me donnais en Italie.
- Speaker #1
Parce que dans une fête foraine, j'explique, il y a donc un train fantôme et vous êtes à l'extérieur du train fantôme et vous voyez passer toutes les femmes en jupe. Il y a un souffle, une sorte de soufflerie à la sortie qui soulève les jupes. Et là, vous matez toutes les culottes des femmes et les cuisses, cuisses,
- Speaker #0
cuisses. Ça va être interdit maintenant ces marchés.
- Speaker #1
Vous dites un peu plus tard d'ailleurs quelque chose qui vient vraiment d'aujourd'hui, le male gaze en flagrant délit.
- Speaker #0
Je ne peux pas avoir un female gay, c'est en zone de l'école. Je suis un male. Oui,
- Speaker #1
mais cette admiration de l'homme pour la femme, elle est presque hors-la-loi aujourd'hui, elle est considérée...
- Speaker #0
C'est un scandale. C'est un scandale qu'on ne puisse plus iconiser l'objet de son désir. C'est scandaleux, quoi.
- Speaker #1
Pour vous, s'il n'y a plus de Melgaise, il n'y a plus de littérature ?
- Speaker #0
Il n'y a plus de littérature. Ou pour les femmes, le désir des hommes. Moi, j'ai plein de livres. Ou de l'autre femme. Parce qu'il y a beaucoup de lesbiennes qui écrivent. Elles le font, enfin, je veux dire. Pourquoi nous le reprocher à nous ? Le patriarcat, tout ça, c'est des conneries, vous savez bien. Il y a longtemps, moi, j'ai une fille de 25 ans. qui me donnent des ordres.
- Speaker #1
Non, mais c'est simplement de l'admiration. Je continue. Ma littérature, c'était prise de tête et compagnie, juste pour épater les intellectuels et gagner quelques sous.
- Speaker #0
J'écris l'IA. Oui,
- Speaker #1
c'est la page 93 de J'écris l'IA.
- Speaker #0
Et c'est réellement ce que j'ai toujours dit aux gens d'ici qui me disent « Oh, tu sais, j'ai essayé de lire ton bouquin. » C'est difficile. J'ai du mal aujourd'hui. Laisse tomber ces prises de tête.
- Speaker #1
Mais ça a marché. Vous nous avez bien eu, parce que vous avez réussi à épater les intellectuels depuis 40 ans, et même gagné quelques sous.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Vous avez réussi.
- Speaker #0
Ça m'a sauvé la vie.
- Speaker #1
Je continue. C'est encore une phrase du dernier, mais ça me fait beaucoup rire. Vous aimez bien vous autodénigrer. Je lis. Je lis. Vous faites de l'autodénigrement, un petit peu.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Alors, Michon, avec la mégalomanie, plonge dans l'obscène depuis la deuxième partie de son histoire de Beun, et ça ne vaut pas tripette. C'est vous, hein ? Est-ce que vous êtes, comme disent les Anglais, fishing for compliments ?
- Speaker #0
Yes, I am. Ah,
- Speaker #1
OK.
- Speaker #0
Bien sûr.
- Speaker #1
Alors, un peu plus loin, le porte-jartel est une pure emphase Qu'est-ce qui rend les femmes si nues dans des bas ?
- Speaker #0
La tenue en bas, etc., transforme l'acte sexuel en un cérémonial. C'est comme des chasubles d'officiant. C'est un cérémonial. S'il n'y a pas un peu de cérémonial, c'est moins bien.
- Speaker #1
Et c'est ça qui est le sujet du livre, c'est le sacré. Vous essayez d'écrire sur le sacré.
- Speaker #0
Bien sûr. C'est l'alliance entre... C'est cette alliance secrète du langage entre le sacré et le sexe. Dommage, j'étais dans les Grecs, donc je ne pouvais pas... J'ai essayé de faire un texte. Sur le monothéisme, où apparaîtrait une figure de prophète hébreu, et ça ne marchait pas. Le polythéisme est tellement puissant, le monothéisme est tellement puissant, totalitaire, plus vrai, sonne plus vrai que les dieux, que je ne pouvais pas en parler dans ce texte. Quoiqu'étant moi-même de tendance fortement catholique.
- Speaker #1
J'ai quelques dernières questions et je vous laisse tranquille parce que j'ai vraiment honte de mon intrusion chez vous, dans votre chambre, au pied de votre lit. Ce sont des conseils de lecture.
- Speaker #0
Des conseils de lecture ? Oui,
- Speaker #1
par exemple un livre qui donne envie de pleurer.
- Speaker #0
Qui donne envie de pleurer ? que je lise en ce moment ? Ah ben tiens, un truc que j'ai relu récemment, qui est dans la Bible. Relisez le livre des rois. Un moment, vous savez, Saül et David, il y avait un petit problème entre eux. Saül était le roi. Mais il perdait un peu la tête. Il a formé David. pour lui succéder et David, très pressé, ça il ne faisait plus que des conneries, etc. Il lui fait la guerre. Il voit que c'est foutu. Il dit il faut que je consulte Eli ou Samuel, enfin un prophète. Et pour ça il va voir une... devinerais, c'est une... Une pitoniste, une pitié, qu'on appelle dans la Bible la sorcière d'Andorre. Andorre, ça ne s'écrit pas comme d'autres Andorres. Il va la voir et il dit, convoque Samuel. Elle convoque Samuel. Samuel monte. Je ne sais plus exactement ce qu'ils lui disent, mais c'est quelque chose comme mon pauvre vieux. À la bataille de demain, tu peux dire adieu à la vie, adieu l'amour. Ça a eu une crise de déprime.
- Speaker #1
Oui,
- Speaker #0
de génie. La sorcière le regarde, elle dit au domestique qui était là, va tuer un veau. Et faisant une petite blanquette, je ne sais pas quoi, le domestique revient avec un plat de veau, elle le met devant sa huile, et sa huile le mange tristement. Ça fait pleurer.
- Speaker #1
C'est beau,
- Speaker #0
cette scène où il y a à la fois les plus grandes hauteurs d'enjeux. Et ce veau... cuisiné qui réconcilie un tout petit peu Saül avec la vie. C'est magnifique. Merci beaucoup Pierre Michon d'avoir passé presque cette heure en notre compagnie.
- Speaker #1
Merci infiniment.
- Speaker #0
Merci.
- Speaker #1
Je conclue l'émission en disant d'abord le nom de notre ingénieur du son, Carlos Mota. je rappelle que cette émission vous est présentée en partenariat avec le Figaro Magazine et puis n'oubliez pas lisez des livres sinon vous mourrez idiot vous êtes d'accord ? merci