- Speaker #0
le figaro magazine présente conversation chez la pérouse une émission de moi même avec cette semaine suspense Serge Rezvani, qui vient de remporter le prix Renaudot Poche 2024 pour les années-lumière, un livre publié en 1967 et couronné 57 ans plus tard. Et on commence par la coupure pub. Bonjour, c'est Frédéric Beigbeder. Cette semaine, l'émission est soutenue par les éditions Sonatine pour Écrit sur le cinéma de Pauline Kell, la très grande critique de cinéma américaine du New York Times. de 1967 à 1991. Alors elle détestait Visconti, Fellini et Antonioni. Elle a notamment écrit dans ce livre que la dolce vita est une sorte de baignure en à peine plus intelligent. Bon c'est pas très gentil. Mais heureusement, elle est sauvée puisqu'elle adorait Godard et Truffaut. Elle a déclaré que Jules et Jim étaient un des plus grands et des plus beaux films jamais tournés. C'est pourquoi ce soir, on parle d'elle dans Conversations chez la Pérouse, qui reçoit justement Serge Rezvani, qui joue dans ce film et qui a composé la musique du film. Donc, je vous conseille Écrits sur le cinéma de Paul Hinckel aux éditions Sonatine, un recueil extraordinaire de perfidies. de mauvaise foi et de liberté de ton. Pourquoi ? Parce qu'un bon critique doit être injuste, mais étayé par son érudition. Conversation chez La Pérouse est très, très honorée de re-recevoir Serge Rezvani pour la deuxième fois. C'était en juin dernier. Vous étiez le dernier invité de la deuxième saison et vous êtes un des premiers invités de la nouvelle saison.
- Speaker #1
Je suis très heureux.
- Speaker #0
là et merci infiniment nous célébrons aujourd'hui votre prix renaud Ausha les années-lumières aux éditions philippe ray et c'est bouleversant parce que ce livre les années-lumières c'était votre premier roman Oui. Publié en 67 ?
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Cela fait donc, si on est bon en maths, 57 ans.
- Speaker #1
Voilà, peut-être bien.
- Speaker #0
Et vous étiez déjà sur la dernière liste du prix Renaudot en 67 ? Vous ne l'aviez pas eu ? Oui,
- Speaker #1
j'étais sélectionné au Renaudot.
- Speaker #0
Mais à l'époque, je n'étais pas dans le jury, donc c'était des cons.
- Speaker #1
Non, ce serait bien. Je n'étais pas très pour les prix. Oui. Il y a trop de perdants. Mais bref, celui qui les a eus, qui a eu le Renaudot...
- Speaker #0
Cette année-là, oui.
- Speaker #1
C'est un très grand écrivain que j'aime énormément. Après, on ne s'est jamais rencontrés, mais on est devenus très amis. On a eu une correspondance sur des années et des années, jusqu'à ce qu'il se suicide. Mais un très grand écrivain, c'est Salvat et Ausha.
- Speaker #0
Salvat et Ausha, qui avait publié Le Monde tel qu'il est au Mercure de France et qui avait obtenu le Pérenodo.
- Speaker #1
Mais qui n'est pas venu le faire chier.
- Speaker #0
Il n'était pas venu le chercher. Et vous ne lui en avez pas voulu ?
- Speaker #1
Au contraire. J'étais très heureux. On était sélectionnés dans tous les prix. Et on avait nos livres côte à côte dans tous les présentoirs. Et finalement, on a eu envie de se connaître. Et on ne s'est jamais rencontrés. Mais on a beaucoup échangé de lettres.
- Speaker #0
Et c'est avec ce livre, Les années-lumières, que vous êtes devenu écrivain. Vous étiez un peintre à succès. Et tout d'un coup, vous vous lancez en littérature. Le chien.
- Speaker #1
peintre qui s'est mis à écrire. C'est un livre iconoclaste, libre. Je m'en foutais de la littérature. Non, non, j'étais un grand lecteur. Mais de passer de l'autre côté, ça a été quelque chose d'extraordinaire pour moi. Mais c'est vrai que c'était, encore une fois, je l'ai déjà dit en dehors du micro, c'était pour séduire ma femme. Il s'appelait
- Speaker #0
Lula. Et dans le livre, d'ailleurs, vous lui lisez les chapitres, les uns après les autres. Quelquefois, elle râle,
- Speaker #1
elle critique. Absolument.
- Speaker #0
Ou elle aime, elle aime beaucoup.
- Speaker #1
Elle aime beaucoup. Et puis, surtout, je lisais un livre que je n'arrivais pas à faire. Oui, oui.
- Speaker #0
C'est très moderne pour l'époque, parce qu'en 67, je ne sais pas s'il y avait beaucoup de livres qui analysaient et faisaient leurs propres commentaires. Aujourd'hui, il n'y a que ça. Aujourd'hui, tout le monde a copié sur vous. Oui, les gens écrivent un livre et ils disent, je suis en train d'écrire un livre. Mais ce n'était pas tellement le cas à l'époque. C'était très nouveau.
- Speaker #1
C'était un moyen d'avancer.
- Speaker #0
Oui, oui.
- Speaker #1
Je ne sais pas, idéologique du tout, du tout, si je n'ai pas prémédité.
- Speaker #0
Mais le sujet du livre n'est pas ça. Le sujet du livre n'est pas un écrivain qui écrit son livre.
- Speaker #1
Non, je ne le trouve pas.
- Speaker #0
C'est votre enfance. C'est l'enfance pendant et après la guerre d'un fils de magicien et de cancéreuse. Juive, russe, malade. Votre mère était très malade. Ça a été épouvantable pour vous. Et elle vous confie à votre... Elle vous abandonne, en fait, dans un orphelinat et votre père vous récupère. Et lui, c'était un fou, un fou absolu. Et c'était tout le sujet de ce livre. C'est cette enfance sans parents.
- Speaker #1
Oui, et puis un enfant... Je parle de l'enfance au moment où l'enfant est un objet. On le soulève, on le pose, on le met là, on le met là. Et ça a été très difficile. Ça m'a beaucoup intéressé d'écrire ça comme ça. Du point de vue de l'objet enfant.
- Speaker #0
Oui, sans cesse, il est arraché.
- Speaker #1
Exactement.
- Speaker #0
Il pleure tout le temps, vous pleuriez énormément. Oui,
- Speaker #1
d'ailleurs je ne pleure plus jamais, j'ai vidé mon racle de l'arme.
- Speaker #0
C'est un livre très dur, c'est vrai. Je ne sais pas si... Enfin, je ne sais pas comment il a été reçu en 67, mais je peux vous dire, moi qui l'ai lu en 2024, que ce livre ferait scandale. C'est un livre sur la maltraitance. On ne disait pas ce mot-là à l'époque.
- Speaker #1
Ce qui est drôle, ce qui a fait scandale, c'est à ne pas y croire, il paraît que les ouvriers du livre qui ont composé le livre... était contre les passages érotiques. Oui. Ça choquait encore.
- Speaker #0
Alors, en 67 ou en 2024 ? Ah, en 67. En 67, d'accord, oui.
- Speaker #1
Par contre, ça a été très reçu.
- Speaker #0
Alors, parce qu'il y a des passages érotiques, il faut le dire, où le narrateur, qui est un peu vous, il entend sans arrêt, c'est son père qui n'arrête pas de baiser.
- Speaker #1
Oui, autour de lui, oui. Il y a une époque où on parlait du sexe d'une manière plutôt comique.
- Speaker #0
Oui,
- Speaker #1
c'est vrai. Mais très libre, mais très drôle.
- Speaker #0
Enfin, c'est quand même beaucoup de... C'est un livre sur le chagrin d'un enfant balotté, mis en pension, repris, rejeté, confié à des copains...
- Speaker #1
Jules Renard disait que tous les enfants n'ont pas la chance d'être orphelins. Et j'ai eu cette chance.
- Speaker #0
Vous croyez vraiment que c'est une chance ? En tout cas, ça a fait de vous l'écrivain que vous êtes.
- Speaker #1
Ça fait surtout quelqu'un qui ne croit en rien d'autre que ce qu'il a analysé par soi-même, même enfant. Il faut reconstruire le monde à sa façon et ne pas accepter le monde tel qu'il est et qu'on vous le livre.
- Speaker #0
Et puis vous avez été, sans le vouloir, indépendant très tôt.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
À quel âge ? À 9 ans ?
- Speaker #1
Non, en sortant du ventre de ma mère, oui, vraiment.
- Speaker #0
Déjà ?
- Speaker #1
Ben oui. Et tous les malheurs que j'ai eus, je ne les sortais pas comme des malheurs. parce que je n'avais aucune référence, aucun point de comparaison. Donc j'ai vécu avec beaucoup d'enthousiasme, même mes malheurs.
- Speaker #0
Alors Philippe Rey, vous rééditez non seulement les années-lumières cette année, année, mais vous avez aussi réédité Le Testament amoureux, qui est l'autre grande autobiographie de Serge Rezvani, où il parle également de son enfance pendant la guerre et après la guerre, et de toute sa vie et de son amour avec Lula. Comme Serge est déjà venu, et il en a déjà parlé, on va parler d'autres choses aujourd'hui, mais je voulais simplement savoir comment vous vous étiez rencontrés tous les deux.
- Speaker #2
Alors, j'ai rencontré Serge il y a 31 ans. Serge, 31 ans, j'étais aux éditions Stock et nous avions publié ce qui est à mon avis peut-être le plus grand livre de Serge qui s'appelle La traversée des monts noirs, qui est un roman absolument extraordinaire, assez grave. où la Shoah, toutes les problématiques de la Shoah sont reflétées dans le travail des ornithologues et des vols des oiseaux. C'était un livre extrêmement virtuose et fabuleux. Et donc, on s'était rencontrés, j'avais beaucoup de plaisir. sympathisé avec ça j'ai connu daniel donc lula lula j'ai connu lula vous avez cette chance j'ai cette chance d'avoir connu lula que j'ai trouvé extraordinaire et j'ai toujours j'ai pu admirer la beauté de ce couple aussi de leurs relations de 52 ans 52 ans où les jours ensemble jamais
- Speaker #1
séparé je n'ai ni d'une nuit ni d'un repas si une nuit parce qu'on m'a ouvert en deux On a fait un pontage.
- Speaker #0
Un pontage. Et là, donc, elle n'était pas à côté de vous.
- Speaker #1
On avait un petit lusque-en-camp. Oui, oui,
- Speaker #0
quand même.
- Speaker #1
Non, non, c'est vrai, on ne s'est jamais... Mais ce n'était pas volontaire. Ce qu'on ne voulait pas, c'est... On n'avait pas envie d'être séparés. On se trouvait très bien ensemble. Elle avait beaucoup d'humour. de fantaisie et d'intelligence. On ne s'est jamais ennuyé, même pas une minute.
- Speaker #0
Tout le monde est très jaloux quand il dit ça. À chaque fois, les gens se regardent. C'est merveilleux.
- Speaker #1
Depuis qu'elle est morte, je suis jaloux de moi.
- Speaker #0
Mais dites-moi, la traversée des monts noirs, vous ne l'avez pas réédité ?
- Speaker #2
Non, c'est en projet.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #2
Alors, on est allé par étapes. Donc, on a commencé par les livres autobiographiques. Donc, le testament amoureux. Et puis là, les années-lumière et les années-lula. Donc, ce sont les livres où Serge revient sur... sur son enfant, sur sa vie. Et la beauté de sa relation avec lui-là, ce sont de très beaux romans d'amour. Et puis, j'étais moi très touché par cette enfance, qui est racontée à la fois dans le Testament amoureux, mais surtout dans les années-lumières, où Serge découvre son père et est balotté de pension en pension. C'est un livre... Mais c'est raconté avec une espèce de grâce. On comprend le chagrin, mais il y a de la grâce. Et donc, voilà. La traversée des Monts Noirs sera pour l'année prochaine. Mais aussi, nous avons... J'ai publié un livre très intéressant de Serge, parce que vous savez que pendant le confinement, Serge dessinait tous les jours plusieurs dessins. Oui, oui. Eh bien, on les a rassemblés dans un livre qui s'appelle Amour, Humour, où il y a 700 dessins. Et c'est un livre absolument stupéfiant. Donc, ça, c'était...
- Speaker #1
Il était publié par... Notre ami libraire, Marie-Rose Guarnieri, chez Gallimard, c'est un livre blanc. Il y avait un titre, et chacun pouvait, c'était distribué gratuitement à tout le monde, chacun pouvait écrire par rapport au titre du livre, ce qu'il voulait. Finalement, j'étais, je crois, le seul à le faire, mais je l'ai fait deux fois. 350 jours, plus 350 jours. Donc ça fait un gros livre. Oui, oui. Vraiment, je trouve que Philippe a eu le courage, l'héroïsme, de le publier.
- Speaker #0
Je signale aussi, et ça c'est un monument, c'est un livre. livre, une poésie de Paul Éluard. Vous avez connu Paul Éluard quand vous aviez 17 ans. C'était juste après la guerre, en 1947, par là.
- Speaker #1
Encore l'époque du rationnement, c'était la guerre quand même. Juste l'après-guerre, c'était très difficile.
- Speaker #0
Et comment en êtes-vous arrivé à illustrer ce livre ? Elle se fit élever un palais.
- Speaker #1
Je me suis trouvé dans le midi, sans un sou, c'était l'après-guerre, il n'y avait rien à manger, même pas de papier pour dessiner. Et donc j'étais à Nice, ne pouvant pas acheter de couleurs ni rien, les gens mettaient leurs poubelles dans des petites caisses à savon. Moi je prenais ces caisses à savon, je prenais les planchettes et j'ai gravé dans le bois des profils de femmes. Et ces profils de femmes, finalement, je les ai ramenés à Paris.
- Speaker #0
Voilà, je montre un peu les...
- Speaker #1
Voilà.
- Speaker #0
Et vous les avez ramenés. Comment en êtes-vous arrivé à ce que Paul-Éluard veuille en faire un poème ?
- Speaker #1
Non, non. Alors, disons que je connaissais un poète surréaliste. qui a été mon beau-père par la suite, qui était de la famille Lanzmann. Et donc, quand il a vu ces bois gravés, il les a montrés, d'ailleurs, à Cocteau, à Ragon et à Éluard. Tous les trois voulaient faire un livre avec moi. J'ai été emballé par ces gravures. Et finalement, c'est Éluard qui m'a donné un poème sublime, que je trouve très beau, qui d'ailleurs était prémonitoire, qui disait vraiment ce que notre vie serait avec Éluard Parlagin.
- Speaker #0
Ça, c'est particulièrement étonnant. Est-ce que je peux vous demander de lire Un extrait, donc, de Elle se fit élever un palais dans la forêt de Paul Éluard, où il a décrit votre vie future avec Lula.
- Speaker #1
Alors, je l'ai pris au milieu, comme ça, tel quel. D'accord. Des eaux livides et désertes, à travers des rouilles mentales et des murailles d'insomnie, tremblantes, petite fille au temple d'amoureuse, où les doigts des baisers s'appuient contre le cœur d'en haut. contre une souche de tendresse, contre la barque des oiseaux. La fidélité infinie, c'est autour de sa tête que tournent les heures sur du lendemain. Sur son front, les caresses tirent au clair tous les mystères. C'est de sa chevelure, de la robe bouclée de son sommeil, que les souvenirs vont s'envoler vers l'avenir, cette fenêtre nue. C'est bon ?
- Speaker #0
Ah oui, c'est merveilleux. Et donc ce livre, alors attendez...
- Speaker #1
C'est un bon poème, c'est je crois un des plus longs poèmes d'Éluard.
- Speaker #0
Oui, et puis Paul Éluard symbolise la résistance.
- Speaker #1
Mais je peux raconter ? Oui,
- Speaker #0
dites-moi, on est là pour ça.
- Speaker #1
Un jour, alors j'avais très faim, il n'y avait rien à manger. Chaque fois que je faisais ces gravures, je les apportais quelques-unes à Éluard pour que... Il m'attendait toujours avec sur le coin de la table du pain, du fromage. Et une fois il y avait une orange, à l'époque il n'y avait pas d'orange. Et puis à mesure, il m'a même épluché, il était très gentil. Et je mangeais, j'avais faim, et il épluchait une orange, il m'a dit J'ai écrit un poème, un vers que tout le monde connaît et que personne ne peut s'expliquer. C'est quand j'étais parti en vacances, disait-il, j'avais laissé les oranges dans un compotier, et quand je suis rentré, elles étaient bleues.
- Speaker #0
Ah oui.
- Speaker #1
Pourri. La terre est bleue comme une orange. Oui,
- Speaker #0
c'est ça. C'est comme ça.
- Speaker #1
Et quand il est mort, je connaissais sa femme, qui était une journaliste, sa dernière femme. La rencontre au flot, je lui dis, vous savez, est-ce que vous connaissez l'histoire de la terre bleue comme une orange ? Surtout, ne racontez jamais ça. Parce qu'il fallait que ça vienne un vert.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Et c'est sublime. Oui,
- Speaker #0
c'est trop...
- Speaker #1
Une orange bleue.
- Speaker #0
Oui, oui. Donc, la question que je n'ai pas osé vous poser la dernière fois, je la pose aujourd'hui.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Comment avez-vous survécu à l'extermination ? Vous êtes le fils d'une juive russe. Vous avez vécu toute l'occupation à Paris ou à côté de Paris.
- Speaker #1
Ah oui, il y a côtoyé des Allemands tout le temps, des soldats.
- Speaker #0
C'est un miracle. Comment avez-vous fait ? Qu'est-ce qui s'est passé pour que vous passiez au travers pendant cinq années ?
- Speaker #1
Par chance, mon père, qui n'avait pas beaucoup d'argent, a entendu parler d'un pensionnat de Russes blancs, tenus. D'ailleurs, le directeur était le général de la garde du Tsar, et les pions étaient des colonels, c'est des gens épouvantables, qui avaient tiré...
- Speaker #0
Des russes orthodoxes.
- Speaker #1
Des russes blancs. Oui. Qui avaient même tiré comme des pigeons, alors que le bateau s'éloignait de Sébastopol, ils tiraient les rouges comme ça, comme des pigeons. Et donc c'était des gens très durs, mais j'étais au cœur même de l'antisémitisme russe. Ils étaient complètement pro-allemand en souhaitant que les allemands leur restituent la Russie du Tsar. Donc vraiment j'étais dans l'œil du cyclone.
- Speaker #0
C'est-à-dire que c'était le meilleur moyen de se cacher, c'était d'être les pires collabos ?
- Speaker #1
Absolument, il faut reconnaître que je n'avais pas du tout la conscience de ma judéité. Si je l'ai maintenant, c'est pour d'autres raisons, c'est pour pouvoir dire ce que je pense ouvertement. Parce que la plupart des juifs ont très peur de dire quoi que ce soit. sauf sur la Shoah, mais je pense qu'il faut dépasser ça et être aussi lucide pour ce qui se passe aujourd'hui, à tout point de vue. Et sur l'Iran, et sur Netanyahou, c'est une histoire qu'il faut affronter. Il ne faut pas se taire devant tout ça, par peur de mal parler. Mais aujourd'hui, on ne peut plus parler librement.
- Speaker #0
Beaucoup d'Israéliens critiquent Netanyahou quand même. Comment ? Bien sûr.
- Speaker #1
Comment ? Il est détesté en Israël.
- Speaker #0
Donc en fait, vous ne vous cachiez même pas. C'est ça qui est incroyable. Vous alliez à Paris, vous preniez le train, vous reveniez. En fait, les gens pensaient que vous étiez un Iranien.
- Speaker #1
Mon nom iranien m'a préservé tout au moins dans ce pensionnat. J'avais comme ami un autre, mon frère, c'était Robert Hossein, dont la mère était juive et dont le père était iranien aussi. On avait 12 ans. Jusqu'à 16, 17 ans.
- Speaker #0
Oui, la guerre se termine en 1945, vous êtes né en 1928, donc vous aviez 15 ans. Oui,
- Speaker #1
oui. Et on a...
- Speaker #0
17.
- Speaker #1
On est passé au travers de tout ça, lui aussi, pour les mêmes raisons. Oui,
- Speaker #0
oui, c'est extraordinaire. C'est incroyable. Mais alors, je disais, quand on lit les années-lumières, en 2024, c'est d'une dureté épouvantable. Vous êtes partagé entre cette mère mutilée par les opérations de son cancer et...
- Speaker #1
Oui, on est vif.
- Speaker #0
À l'époque, il n'y avait pas la chimio.
- Speaker #1
Pas du tout.
- Speaker #0
Oui, c'est ça. Donc, qu'est-ce qu'on faisait ? On opérait tout le temps ?
- Speaker #1
On coupait les morceaux.
- Speaker #0
Et elle vous montrait ses cicatrices ?
- Speaker #1
Oui, elle était assez incestueuse avec moi.
- Speaker #0
Et votre père aussi, d'ailleurs, parce qu'il y a cette scène où vous êtes quasiment en train de faire des câlins, appuyé à votre belle-mère, la compagne de votre père.
- Speaker #1
Ça, ça a été mon premier amour qui a été assez loin. elle était très très belle et pas un grand écart d'âge et je crois qu'elle a été très sensible à votre charme cet amour de, oui oui mais j'étais aveuglément amoureux d'elle comme ne peut l'être qu'un enfant un pré-adolescent Philippe Rêve,
- Speaker #0
vous avez conscience que tout ça est un peu impubliable en 2024, vous n'avez pas honte de publier un roman aussi scandaleux ?
- Speaker #2
Non, parce que Serge est un magicien. Il transforme la réalité, il la rend belle, il la rend poétique. Et ce n'est pas raconté de la même manière.
- Speaker #0
Et comme éditeur, vous avez... Alors, je précise, vous êtes né à l'île Maurice. Oui. Donc c'est pour ça que vous avez cette attirance pour des auteurs internationaux et même créoles. Vous êtes l'éditeur de Joyce Carol Oates. C'est vous qui avez eu le prix Goncourt pour... Le livre de Mohamed M. Bougarsar, qui s'intitulait Aidez-moi ! La plus secrète mémoire des hommes La plus secrète mémoire des hommes et ça a dû complètement transformer la maison d'édition que vous dirigez.
- Speaker #2
Oui, bien sûr. Oui, oui. Ça nous a donné une notoriété, ça a un peu conforté notre réputation dans la profession et c'était un grand bonheur d'y arriver parce que le Goncourt n'est pas... pas en général accessible à des petites maisons comme la nôtre. Donc, c'était une divine surprise que je n'avais pas du tout prévu un jour dans la trajectoire de la maison.
- Speaker #0
En tout cas, c'est très bien parce qu'avec l'argent du concours, qu'est-ce que vous faites ? Vous rééditez Resvani. Ça, c'est une très, très, très bonne initiative. Je voulais vous faire lire, Serge, également, après le poème d'Éluard, un petit peu de votre prose. Est-ce que vous avez besoin de lunettes ? Non. Mais vous êtes une anomalie de la médecine, vous avez ça.
- Speaker #1
Si on est un peu anormal, on devient beaucoup. Avec l'âge.
- Speaker #0
Je ne sais pas si vous arriverez, parce qu'il n'y a pas beaucoup de lumière ici, mais j'ai choisi un passage dans les années-lumières, où j'ai entouré, parce que c'est pour montrer, vous avez tout à fait raison Philippe de dire qu'il transforme tout par magie, comment Serge Rezvani, en 1967, c'est-à-dire à peine 20 ans après la guerre, raconte l'Exode.
- Speaker #1
L'exode devient général. Sur la route, c'est une colonne sans fin de famille en vacances. Une caravane ininterrompue. Cuisine, ambulance.
- Speaker #0
Petit matériel, ah c'est bien, merci. Petit matériel, mixeur à lamelles, matelas, couverture, peau de fleurs, canaries. C'est le joli départ printanier, la ruée vers l'oxygène. On ne pense pas encore au bain de mer, mais c'est un peu dans l'air, 25 ans à l'avance. Les blindés allemands foncent, ils rêvent de la Grèce, de la Riviera, de la Côte d'Azur. Répétition générale, au bord des calanques, torse nu, bronzé, on astique les canons comme aujourd'hui. On entretient son fusil sous-marin. Maintenant, les Mercedes ont remplacé les tanks. Ça abîme moins les routes.
- Speaker #1
Maintenant, les Mercedes ont remplacé les tanks. Ça abîme moins les routes. C'est-à-dire que vous parlez de l'exode, vous parlez d'une chose absolument atroce, des millions de gens sur les routes, et vous, vous faites comme si...
- Speaker #0
Je serais prêt, oui. Oui,
- Speaker #1
vous l'avez vu. Et avec les Stuka qui bombardent... Oui,
- Speaker #0
les Messieurs Smith. Oui, bien sûr.
- Speaker #1
Vous décrivez ça avec ironie, comme si c'était des gens qui partent en vacances.
- Speaker #0
Pourquoi ? Parce que juste après la guerre, je suis parti dans le midi vivre de ma pêche sous-marine dans un endroit très sauvage, où il y avait encore des péniches de débarquement en sablé. La côte était toute minée, toute la presqu'île de Saint-Tropez était minée. Et puis j'ai vu arriver... De temps en temps, un couple d'Allemands, avec leur femme, ils venaient visiter les anciennes casemates, ce qu'il en restait. Et donc j'ai vu les premiers touristes allemands, juste après les touristes...
- Speaker #1
Juste après l'envahisseur.
- Speaker #0
Oui, les envahisseurs, blindés en char. Et là j'ai vu les premiers touristes allemands revenir nostalgiques pour montrer à leur femme comment ils avaient... connu la côte d'Azur du temps où il y avait la botte allemande.
- Speaker #1
Mais tout ce livre, c'est ça l'intérêt du livre, c'est que c'est la guerre par un enfant, vue par un enfant. Il y avait un livre de Pascal Jardin qui s'appelait La guerre à neuf ans, c'est un peu ce même climat.
- Speaker #0
C'est une histoire très personnelle, très particulière. On voyait, derrière le buisson, près de Palaisaux, on voyait des...
- Speaker #1
Des bombardements ?
- Speaker #0
Non, on voyait les grandes... Comment ça s'appelle ? Oui, les bombardiers. C'était pas des B-52 encore. Mais en flamme, qui rasaient les maisons. Et les aviateurs en flamme eux-mêmes se jetaient hors des avions en flamme. Et le lendemain, à l'école, il y avait tout un trafic de stylos, de montres. et debout de parachutes. Non, non. La guerre était là partout,
- Speaker #1
tout le temps. Vous racontez dans le livre les bombardements à Paris de la DCA. Vous alliez dans les caves.
- Speaker #0
Oui, évidemment.
- Speaker #1
Tout le temps. Bien sûr. Et vous avez vécu... C'était le bon temps, je ne sais pas. Vous avez vécu la libération de Paris aussi. Mais on en a parlé la dernière fois. On ne va pas y revenir encore. Mais c'est un livre, je pense, vraiment à conseiller pour cette raison-là. C'est un peu ce qu'a fait Gaël Fay, d'ailleurs. qu'il y a eu le Renaudot, lui aussi, en même temps que vous. Gaël Fay décrit le génocide des Tutsis avec un regard d'adolescent, un regard d'enfant. Et au fond, devant l'horreur, mieux vaut rester éberlué, un peu naïf.
- Speaker #0
Et puis on n'a pas, encore une fois... La liberté de... On n'a pas de culture du malheur. En fait, on découvre le malheur sans se rendre compte à quel point il est grave. Parce qu'il y a une telle force de puissance, de désir de vivre, qu'on est heureux si on trouve... un petit bout de pain quand on a faim. Et ça devient merveilleux. Donc finalement, c'est avec le temps, même pour le génocide, même ce qui s'est passé avec la Shoah, c'est avec le temps que ça devient intolérable. Mais après la guerre, moi j'étais au Lutetia, j'étais à la Grande Chaumière, il y avait beaucoup de peintres qui revenaient des camps, des juifs qui s'en étaient sortis. Ils montraient des petits dessins, on ne les écoutait pas. Et ils ont édité... à leurs frais, leur histoire, ce qu'ils avaient subi dans les camps. Mais personne ne s'y intéressait, on s'en foutait, parce que les Français avaient vécu quand même... Ils ont eu faim aussi, ils ont vu des cadavres, ils ont été bombardés. Donc l'histoire des juges ne les intéressait pas beaucoup. Ce n'est que maintenant...
- Speaker #1
Il n'a pas dû attendre les années 70, peut-être avec Nuit et Brouillard.
- Speaker #0
C'est Nuit et Brouillard, ça a commencé avec Nuit et Brouillard. Puis après, il y a eu Chara, etc. La conscience est venue après, de plus en plus tard, bizarrement.
- Speaker #1
Bon, vous découvrez l'amour aussi, c'est pas un livre uniquement sur la guerre.
- Speaker #0
Oui, mais l'amour c'était pas rien non plus, parce qu'à l'époque les femmes avaient très peur. C'était très difficile pour un adolescent d'avoir un contact avec une femme autre que bonjour, je vais prendre un café, salut, au revoir. C'est très compliqué. Les filles avaient une trouille horrible et j'ai connu des filles qui sont mortes avec des aiguilles affricotées.
- Speaker #1
À cause des abattements clandestins ?
- Speaker #0
Non, non, les femmes avaient toutes les raisons d'avoir peur. Et je pense que justement, la contraception, j'ai écrit un article qui m'a été refusé au Monde, où je dis qu'on ne va jamais en amont. C'est quand même les hommes qui sont incontinents. Pourquoi c'est les femmes qui payent ? Oui,
- Speaker #1
oui, c'est vrai,
- Speaker #0
oui,
- Speaker #1
c'est vrai. Vous avez rencontré Nicolas de Stal aussi. Bien sûr. Cocteau. Picasso ?
- Speaker #0
Oui, bien sûr. Mon père était très ami de Picasso.
- Speaker #1
Il venait chez votre père pour se faire lire la pire ?
- Speaker #0
Non, ils passaient les vacances ensemble. Ah oui. À Montgolfo-Jean. Et là, il y a une anecdote très jolie, parce que j'avais exposé à la Galerie Marc des toiles abstraites. Quand mon père a vu ça, il était fou de rage. Il aurait crevé mes tableaux. Parce que j'étais un peintre de la Renaissance. Elle douait quand j'étais jeune et pensait que je serais un nouveau. Il m'appelait Michel-Ange Molitor pour s'offrir dans ma gueule. Et puis plus tard, il est devenu très ami de Picasso et Picasso l'adorait. Ils en étaient les deux derniers magiciens. Et un jour, il lui a dit à Godefujiant, tu viens dans mon atelier, je ne le fais jamais, je vais t'offrir un tableau. Mon père a dit, écoute, tu es gentil, tu fais les mêmes conneries que mon fils. Et Picasso a dit, voilà enfin un homme sincère. C'est beau, non ?
- Speaker #1
Mais c'est dommage, vous auriez hérité d'un tableau...
- Speaker #0
Oui, mais je trouvais bien de ne pas en avoir hérité. Oui, non.
- Speaker #1
Mais c'est vrai que c'est une vie incroyable. Donc je passe sur l'après-guerre. Vous partez par amour. Pour Lula, vivre pendant 50 ans dans un palais dans la forêt des morts, à la garde freinée, mais là vous n'arrivez pas à rester tranquille parce que Jeanne Moreau achète la maison d'à côté.
- Speaker #0
Du coup, c'était quoi ? Je ne sais pas, 80 ans. hectares de forêt. Non, non, non. Elle est venue contre nous, après d'autres gens sont venus.
- Speaker #1
Le réalisateur anglais, Tony Richardson,
- Speaker #0
qui a fait un film avec mes chansons.
- Speaker #1
Vous avez lancé la mode de...
- Speaker #0
Olivier Guichard, on a eu... Tout d'un coup, on s'est trouvé tout doucement encerclé par des people,
- Speaker #1
ce qu'on appellerait aujourd'hui.
- Speaker #0
J'ai fait une lettre à tout le monde en disant que je voulais bien les voir à Paris, mais pas là.
- Speaker #1
Mais quand même, ils sont un peu venus vous déranger, puisque Jeanne Moreau, à force d'être voisine, vous la connaissiez de Paris, mais bon, elle aimait beaucoup chanter vos chansons.
- Speaker #0
Oui, oui, on était... Je l'ai connue gamine, quasiment.
- Speaker #1
Et un jour, elle amène François Truffaut qui vous demande des chansons
- Speaker #0
François était il aimait vraiment beaucoup, beaucoup mes chansons et il a très bien senti que en tant que peintre, vu ce qui se passait je vendais très bien mes tableaux j'avais une cote et tout, j'exposais dans les grandes galeries, mais je n'aimais pas de moins en moins, je détestais vendre mes tableaux c'était pas pour moi et Truffaut a très bien senti ça et je pense qu'il souhaitait que ça soit un tube comme on dit
- Speaker #1
Mais bien sûr, il voulait que vous... Il vous a pris le tourbillon de la vie d'Anjou Légime en 61 pour, disait-il, faire votre fortune. Et c'est ce qui s'est passé.
- Speaker #0
Fortune, non, parce que j'ai été... Je ne vais pas rentrer dans les détails. Ah,
- Speaker #1
mais je vais vous le dire, moi je le dirai à votre place.
- Speaker #0
Mais la Stathème n'a pas voulu que moi...
- Speaker #1
La Stathème vous a arnaqué, parce que vous ne connaissiez pas le solfège.
- Speaker #0
Et on m'a fait passer un examen... pour être mélodiste, quand le tourbillon passait 10 fois, 20 fois par jour sur les ondes, et j'aurais dû être reçu pleinement comme compositeur sur la notoriété publique.
- Speaker #1
Oui, auteur et compositeur, oui.
- Speaker #0
Donc j'ai dû signer mes chansons, et je ne savais pas, avec tous les gens, tous les garçons, tant mieux pour eux, qui accompagnaient Jeanne Moreau, qui la faisait travailler, et j'ai signé avec du type que je ne connaissais pas, qui était musicien.
- Speaker #1
Et qui touchait les droits à votre place.
- Speaker #0
La moitié. Et donc la moitié de ma musique, pendant 20 ans. a été partagé avec des gens que je ne connaissais pas. Et un jour, un éditeur de musique a dit Mais c'est vous qui avez composé ? J'ai dit Oui, bien sûr ! Mais vous deviez entrer sur la notoriété publique ! Je lui ai dit Je ne savais pas ! Il m'a dit Réclamez-vous ! J'ai écrit à tous et ils m'ont rendu mes chansons.
- Speaker #1
Mais le tourmillon de la vie, combien de temps avez-vous mis à le composer ? Si on ne connaît pas le solfège, on peut composer de la musique quand même ?
- Speaker #0
C'est parce que je ne connais pas le solfège que je composais.
- Speaker #1
C'est-à-dire vous fredonnez comme ça ?
- Speaker #0
Ah non, pas du tout. Non, non, un jour j'ai pris... On n'avait pas de musique. On avait une propriété sublime, une propriété italienne merveilleuse dans la forêt, mais c'était trop loin pour l'électricité. Donc on ne vivait pas avec des chandelles. C'était somptueux.
- Speaker #1
Alors donc, pas d'électricité, pas d'eau ? Pas de radio, pas de télé, évidemment.
- Speaker #0
On avait des courses vives et on avait de l'eau qui coulait. D'accord. Mais pas de radio, à l'époque, il n'y avait pas de transistor, je ne sais pas. Bon, bref. Et donc, un jour, Francesca Solville, qui est une chanteuse merveilleuse, qui était une amie, m'a apporté une guitare. Et j'ai essayé de trouver des accords. J'ai trouvé deux accords. Et c'est sur ces deux accords et trois ou plus que j'ai composé toutes mes chansons. Et donc, d'ailleurs, les musiciens trouvent que ma musique est extrêmement compliquée. Et en fait, elle est venue de la simplicité.
- Speaker #1
Vous m'avez toujours pas dit combien de temps vous aviez mis à écrire le tourbillon.
- Speaker #0
Peut-être un quart d'heure, peut-être une demi-heure. Parce que c'était pour l'anniversaire de Jean-Louis Richard et Jeanne Moreau.
- Speaker #1
Voilà, qui était le mari de Jeanne Moreau.
- Speaker #0
Voilà, le mari. Et comme ils se séparaient tout le temps... Donc j'ai fait une chanson pour me moquer d'eux.
- Speaker #1
On l'écoute quand même.
- Speaker #2
Des bagues à chaque doigt, des tas de bracelets autour des poignets Et puis elle chantait avec une voix qui s'est au mangeolat Elle avait des yeux, des yeux nobles, qui me fascinaient, qui me fascinaient. Il y avait l'ovale de son visage bas, de femme fatale qui me fut fatale, de femme fatale qui me fut fatale. On s'est connus, on s'est reconnus, on s'est perdus de vue, on s'est perdus de vue. On s'est retrouvés, on s'est réchauffés, puis on s'est séparés.
- Speaker #1
Écrit en un quart d'heure, c'est énervant. Il y a d'ailleurs dans les années-lumières des paroles de chansons, il y a des poèmes à un moment qui apparaissent, qui sont devenus des chansons après,
- Speaker #0
ou pas ? Non, c'était des chansons déjà. Oui,
- Speaker #1
d'accord. bien c'est une chanson qui est bien avant julie jim je n'ai pas écrit ni pour jean moreau ni pour le film et il ya d'autres chansons dans dans votre carrière truffaut donc est venu vous demander de lui donner le tourbillon mais jean-luc godard aussi est venu vous voir pareil chez vous dans votre maison où vous vouliez être tranquille tout le monde venait vous emmerder en fait oui non oui godard non après il est revenu oui
- Speaker #0
Là, ça a été terrible parce que maintenant qu'elle est morte, Anna, Karina, ils étaient au moment de séparation. On a eu des dîners à quatre terrifiants.
- Speaker #1
Elle était malheureuse ? Oui,
- Speaker #0
ça n'allait pas du tout. Il est venu tourner dans ma châtaignerie aussi. Il y a des séquences de Pierre-Olefou qui était tourné chez moi.
- Speaker #1
Et donc là, vous lui avez donné Jamais je ne t'ai dit J'avais deux chansons sur mon magnétophone.
- Speaker #0
J'ai fait entendre. Il m'a dit C'est ce qu'il me faut Pierre-Olefou. Je lui ai dit, vous êtes vraiment paresseux. Il m'a dit, non, non, c'est exactement ce qu'il me faut.
- Speaker #1
Alors, écoutez bien les paroles, ceux qui nous regardent, écoutez bien les paroles de Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerais toute la vie parce que c'est la définition de Rezvani pour l'amour durable.
- Speaker #0
Pour moi, c'est une philosophie de l'amour. Oui. Absolument.
- Speaker #2
Jamais nous n'aurions cru être jamais pris par l'amour, nous qui étions si inconstants. Pourtant, pourtant tout doucement, sans qu'entre nous rien ne soit dit, petit à petit, les sentiments se sont glissés entre nos corps, qui se plaisaient à se mêler. Et puis des mots d'amour sont venus sur nos lèvres nues. Petit à petit, des tas de mots d'amour se sont mêlés tout doucement à nos baisers. Combien de mots d'amour ?
- Speaker #1
Et de toutes vos 130 chansons, c'est celle-là que vous préférez ?
- Speaker #0
Je pense que oui. J'en ai écrit une autre qui est sur gloire à Dieu, sur la Genèse et sur ce que je pense de Dieu, ce Joker. Et puis, il faut signaler une chose aussi, que notre ami a publié toutes mes chansons aussi dans un livre.
- Speaker #1
Bien sûr.
- Speaker #0
Chansons silencieuses.
- Speaker #1
et là c'est un coffret de 3 CD paru chez Jacques Canetti l'illustre éditeur de Jacques Brel et de Françoise Canetti et il y a là toutes vos chansons et aussi des nouvelles versions par des artistes contemporains Philippe Catherine Bon, Alain Chanfort, Vincent Dedienne, Kali, Elena Nogueira, Raphaël. Mais si je puis me permettre une critique, je trouve que les nouvelles versions n'arrivent pas à la cheville de celles de Jeanne Moreau et Anna Karina. Alors pourquoi ? Parce que peut-être il y avait peu d'instruments ? Je ne sais pas pourquoi.
- Speaker #0
En effet, pourquoi pas. Il n'y avait pas d'ambition. En fait, il n'y avait pas l'ambition que ça devienne des tubes. Ça a été fait dans une sorte de nécessité créatrice, puisque c'est pour des films, des Ausha. Julie Jim, ça a été fait avec des bouts de ficelle. Ça a été fait comme ça. Moi, je l'accompagnais avec trois notes de guitare. C'était un peu pauvre, tout ça.
- Speaker #1
Mais c'est aussi peut-être parce que vos chansons ne sont pas faites pour être chantée par des professionnels. Là, ce sont des vrais chanteurs qui ont des vraies voix. Et là, Jeanne Moreau, comme Anna Karina, n'était pas chanteuse professionnelle.
- Speaker #0
Vous voyez ? Mais là, il y a aussi Vanessa Redgrave qui chante des chansons en anglais, mises en musique par Dieu Amel. C'est magnifique. Alors là, c'est du Hollywood.
- Speaker #1
Oui, c'est vrai. Mais bon, peut-être vos chansons...
- Speaker #0
Je pense que c'est un peu l'extrême simplicité.
- Speaker #1
Oui, c'est ça.
- Speaker #0
J'y tiens beaucoup et je les ai enregistrés comme ça
- Speaker #1
J'engage les gens à se faire leur propre avis parce que évidemment ce n'est que mon avis peut-être que je suis un peu old school j'aime bien la pureté des chansons telles qu'elles sont interprétées Ce que vous ne dites pas c'est que sur ce disque il y a toutes ces chansons chantées par Serge Par Serge aussi Parce que ça c'est quelque chose d'assez magique c'est quelque chose d'assez hum pure, je trouve que la voix est parfaitement adaptée en fait,
- Speaker #0
la philosophie de la pelouse est 6 CD où j'avais fait l'entière j'avais chanté toutes mes chansons pour les archiver comme je les voulais simple,
- Speaker #1
sans furiture dans Jules et Jim 1961, vous jouez un des trois Un des quatre personnages principaux, vous êtes Albert, le troisième homme, et vous auriez très bien pu envisager une carrière de comédien.
- Speaker #0
Submergé de demandes.
- Speaker #1
Ah, submergé de demandes, bien sûr !
- Speaker #0
Beau,
- Speaker #1
beau, jeune,
- Speaker #0
étudiant. Tous les metteurs de la Nouvelle Vague voulaient que je joue dans leurs films, oui.
- Speaker #1
Et alors pour le coup, là, non ?
- Speaker #0
Je ne pouvais pas, je vivais tranquillement, loin de tout. J'ai eu une émissaire d'une grande maison hollywoodienne. Qui est venu me proposer d'aller à Hollywood sur la musée de films. Oui. Ça ne m'intéressait absolument pas.
- Speaker #1
Du coup, c'est Michel Legrand qui est allé à votre place.
- Speaker #0
Oui, non, c'est sûr. Oui, oui. Non, pas Michel Legrand.
- Speaker #1
Non, mais il a fait beaucoup de choses là-bas.
- Speaker #0
Mais évidemment.
- Speaker #1
C'est marrant. Vous aviez une ambition, mais une ambition... personnel, en fait qui passait après la vie privée.
- Speaker #0
Mais ma vie c'était mon art. Même tout ce que j'ai créé c'était des béquilles, des accessoires.
- Speaker #1
Et puis c'était des chansons qui étaient dédiées à une personne.
- Speaker #0
Ah oui, tout ce que j'ai créé c'était pour séduire Lula. On ne vit pas 50 ans dans un oeuf clos, sans beaucoup de fantaisie, sans beaucoup d'humour, sans beaucoup d'inattendu. Et donc la création permettait ça. Et Lula a vécu suspendu à tout ce que je créais parce que chaque jour je lui apportais de nouveaux éléments d'étonnement. Et de partage surtout, et d'humour, et de rire.
- Speaker #1
Alors il y a eu 50 livres, 130 chansons, combien de tableaux ?
- Speaker #0
Quelques centaines.
- Speaker #1
Et vous avez d'autres projets, encore ?
- Speaker #0
Ah oui, bien sûr. Je viens de terminer un roman et je suis en train de travailler un disque de duo avec Nathalie Hakoun, qui est une jeune comédienne, plus jeune que moi.
- Speaker #1
Une chanteuse.
- Speaker #0
Oui, une comédienne chanteuse, et elle écrit aussi ses pièces. Et j'aime beaucoup, elle chante d'une façon tellement peu habituelle Elle a une voix qui est de cristal, qui risque de se briser à tout moment, j'adore ça. Et donc on fait un disque de duo d'amour.
- Speaker #1
Je me permets de vous signaler qu'en France, une loi a été votée pour la retraite à 64 ans. Et vous en avez 97. Pourquoi vous continuez de travailler ? Qu'est-ce que c'est que cette folie ? Vous pourriez demander votre retraite depuis... c'est trop difficile de calculer.
- Speaker #0
Je vais vous avouer une chose très drôle, c'est que pendant 15 ans j'ai pas touché ma retraite. Parce que je savais pas qu'il fallait la demander.
- Speaker #1
Mais c'est pareil que les droits de l'assassin. A chaque fois vous oubliez, il y a de l'argent qui vous attend en plein coffre,
- Speaker #0
par coup. Mais c'est pas rétroactif. 15 ans de retraite que je ne toucherai jamais.
- Speaker #1
C'est grâce à vous que beaucoup de gens, peut-être, vivent paisiblement avec la retraite de Rezvani.
- Speaker #0
Vous savez, pendant que les jeunes étudiants faisaient les grèves au lieutenant de Villepin, j'ai vu une petite gamine de 15 ans qui a dit Mais moi, je pense à ma retraite !
- Speaker #1
Ah non, mais ça, c'est terrifiant. Alors,
- Speaker #0
très bien. Il vaut mieux ne pas y penser.
- Speaker #1
Mais peut-être que c'est le secret de votre longévité, justement. Oui, absolument. De ne jamais considérer...
- Speaker #0
Ça n'existait là, ça. Oui.
- Speaker #1
Alors on va refaire le jeu que vous avez déjà fait la dernière fois, devine tes citations, je vous lis des phrases de vous que vous avez écrites quelque part, vous devez me dire où. C'est une manière de tester si vous avez la mémoire qui flanche.
- Speaker #0
Elle flanche là-dessus.
- Speaker #1
Ah, vous croyez ? Ce qui est arrivé ne doit rien au hasard, c'était déjà écrit, annoncé quelque part. Moi qui ne croyais plus ni en rien, ni en moi, voilà qu'une vie nouvelle s'ouvrait grâce à toi.
- Speaker #0
Alors ça, vous citez ma dernière, dernière chanson que je chante justement avec Nathalie Acou.
- Speaker #1
Sur le coffret.
- Speaker #0
Sur le coffret, absolument. Je l'ai écrite parce que je l'ai rencontrée à Montparnasse et je décris cette rencontre.
- Speaker #1
Le titre, c'est Ça s'est passé à Montparnasse 2023, vous avez gagné un point. Donc, vous avez rencontré à Montparnasse une nouvelle femme. Mais vous êtes incroyable.
- Speaker #0
Ne disons pas que c'est une nouvelle femme, disons une nouvelle interprète. D'accord. Mais qui sent très bien, qui a très bien compris. À travers elle, je découvre mes chansons parce qu'elle y travaille énormément, avec des musiciens. Et je découvre que mes chansons sont très complexes pour la première fois. Oui, oui, c'est vrai.
- Speaker #1
Autre phrase de vous. Trop de fois, j'ai été arraché aux êtres, aux lieux, aux choses, et je ne m'y suis jamais fait.
- Speaker #0
Ça, c'est la première phrase de l'introversé... Non, de... Le testament amoureux.
- Speaker #1
Bravo ! Deuxième point, testament amoureux 1981.
- Speaker #0
Encore, je n'ai pas assez de mémoire là.
- Speaker #1
Donc vous dites quand même, j'ai été arraché aux êtres, au lieu, aux choses. C'est l'inconvénient d'être vieux. C'est que la vie est une suite d'arrachement. Et vous, vous arrivez à traverser ces chagrins ? Non,
- Speaker #0
mon enfance a été un arrachement perpétuel.
- Speaker #1
Vous avez été antenné très tôt.
- Speaker #0
Très tôt à être seul. ne pas avoir le droit de m'attacher à qui que ce soit. Donc, je me suis fait mon petit chemin, tout seul, très solitaire. Et c'est pour ça que je vis peut-être si vieux.
- Speaker #1
Mais vous dites quand même, la phrase n'est pas optimiste. Vous dites, trop de fois, j'ai été arraché aux êtres. Donc, ce n'est pas joyeux.
- Speaker #0
Oui, je l'écris avec le recul parce que dans mon enfance, je n'avais aucun point de comparaison. Je ne savais pas ce que c'était qu'un enfant. Que sa maman vienne embrasser le soir et qu'elle vienne border en lui disant Dors bien mon chéri Je ne connais pas ça du tout. Moi, quand j'ai eu le peu de temps que je partageais avec ma mère, d'abord elle était incestueuse avec moi. Je dormais dans le même lit, elle vivait nue tout le temps. Et elle hurlait de douleur tout le temps, c'était horrible. Et le matin, quand elle se réveillait, elle me disait Tiens Puis elle ne parlait même pas le français. Oui,
- Speaker #1
vous parliez en russe ensemble.
- Speaker #0
On parlait en sabir. Oui, en russe. C'était la langue de mon enfance que j'ai perdue très rapidement. Elle m'a déposée dans un pensionnat chez les bonnes sœurs. Quand elle est revenue me chercher, je ne parlais plus le russe. Donc, j'ai pu communiquer avec elle en plus. C'était un peu compliqué tout ça.
- Speaker #1
Bien sûr, mais il faut lire les années-lumières et le testament amoureux. En fait, pour moi, vous avez écrit l'équivalent de mort à crédit de Céline. Ce qui est étonnant parce que...
- Speaker #0
C'est son plus beau livre.
- Speaker #1
C'est son plus beau livre sur son enfance. Mais c'est étonnant dans la mesure où vous, vous étiez juif et lui antisémite. Et pourtant vous avez fait deux livres qui se répondent.
- Speaker #0
Moi ça me plaît beaucoup parce que c'est le livre de Céline que je préfère.
- Speaker #1
Troisième phrase de vous. L'image du bonheur est révolutionnaire ne serait-ce que parce que seuls des gens physiquement heureux sont en état de transformer leur société.
- Speaker #0
Est-ce qu'elle est de moi ?
- Speaker #1
Eh ben c'était un piège ! et d'Alain Geoffroy Régis Debray c'est Régis Debray dans la lettre qu'il m'a écrit je raconte l'histoire ce qui est dingue, vous avez une vie tellement il faudrait faire 12 émissions mais Régis Debray de sa cellule en Bolivie où il était détenu pour avoir essayé de faire la révolution avec Che Guevara vous écrit en décembre 68 une lettre parce qu'il a lu les années-lumières, il a lu ce livre dans sa cellule
- Speaker #0
La préface,
- Speaker #1
d'ailleurs. Et c'est la lettre qui est en préface. Oui, exactement. Et il dit ça. Et il dit que pour faire la révolution, il faut être physiquement heureux.
- Speaker #0
C'est beau.
- Speaker #1
Peut-être que c'est pour ça qu'elle n'a jamais lieu, la révolution. Une dernière, on vient de l'entendre. Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerais toujours, mon amour. Jamais tu ne m'as promis de m'adorer toute la vie. Gardons le sentiment que notre amour, au jour le jour, que notre amour est un amour sans lendemain.
- Speaker #0
Très important.
- Speaker #1
Pourquoi c'est si important ? Si on se fait des promesses, c'est dangereux ? Par exemple, se marier ?
- Speaker #0
Écoutez, Lula et moi, on se serait rencontrés, on nous aurait dit qu'on vivrait 50 et quelques années ensemble, on fuyait, chacun de son côté.
- Speaker #1
Ça angoisse trop. C'est l'horreur. La permanence,
- Speaker #0
oui. Oui, c'est l'emprisonnement.
- Speaker #1
Il faut du danger pour l'amour.
- Speaker #0
Il faut de l'innocence.
- Speaker #1
Parce que c'est marrant, ça ressemble à, vous savez, la non-demande en mariage de Brassens, qui est postérieure à votre chanson. Votre chanson date de 65 et Brassens, 66. La non-demande en mariage, vous la connaissez, vous savez, c'est J'ai l'honneur de ne pas te demander ta main, ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin C'est exactement la même idée qu'il a eue à Brésil. On va dire que Brassens a copié sur Rezvani, c'est pas grave. C'est pas grave. Il n'est pas là. On continue avec notre nouvelle rubrique, les conseils de lecture d'un professionnel. Je vous pose quelques questions sur les livres que vous préférez.
- Speaker #0
Donc, je donne la réponse que vous... Oui,
- Speaker #1
vous avez votre antisèche.
- Speaker #0
Est-ce que je l'ai ?
- Speaker #1
Oui, vous avez votre antisèche.
- Speaker #0
Si, si, si. Alors ? Oui, j'ai préféré l'écrire...
- Speaker #1
Bien sûr. Alors ? Un livre qui donne envie de pleurer.
- Speaker #0
Évidemment, Bonjour Tristesse, rien que pour le titre.
- Speaker #1
Un livre pour arrêter de pleurer.
- Speaker #0
Évidemment, il y a de la joie. Il y a un livre qui a été écrit par Charles Trenet et quelqu'un d'autre. Ah oui.
- Speaker #1
Un livre pour s'ennuyer.
- Speaker #0
Tu es le temps de Paul Joubert. Ça vous dit quelque chose ? Non. Moi non plus.
- Speaker #1
Un livre pour crâner dans la rue, à Montparnasse.
- Speaker #0
Attendez. Oui, oui, oui. M'as-tu vu d'Élise Vigier. M'as-tu vu
- Speaker #1
Oui, c'est bien ça. Mais c'est des livres qui existent ou vous les avez inventés ? Ils existent. D'accord.
- Speaker #0
Mais je ne les ai pas lus.
- Speaker #1
Un livre qui rend intelligent ?
- Speaker #0
Evidemment, Le Prince de Machiavel.
- Speaker #1
Ça c'est vrai. Un livre pour séduire ?
- Speaker #0
Pour draguer, c'est tout.
- Speaker #1
Oui, j'avais mis draguer, d'accord.
- Speaker #0
Comment draguer ? On dit le sang par naliaque.
- Speaker #1
Mais vous les avez trouvés en tâchant sur Google ?
- Speaker #0
Oui, à coups de chasseur.
- Speaker #1
Un livre que je regrette d'avoir lu.
- Speaker #0
Ça aussi, Les cons de Frédéric Dard. Ah oui,
- Speaker #1
oui. Non, c'est très bien Frédéric Dard. Un livre que je regrette d'avoir lu, c'est fait. Le livre que j'aurais aimé écrire.
- Speaker #0
Que je fais semblant d'avoir fini.
- Speaker #1
Ah oui, c'était la question de Game Fight.
- Speaker #0
C'est joli, je trouve.
- Speaker #1
Quel est le livre que je fais semblant d'avoir fini ?
- Speaker #0
Une liste de Joyce, évidemment. Personne n'a lu le livre, sauf que tout le monde dit la fin. C'est le monologue de Molly. Oui,
- Speaker #1
qui est merveilleux.
- Speaker #0
sans finale, évidemment.
- Speaker #1
Oui, alors donc, le livre que j'aurais aimé écrire ?
- Speaker #0
Ah, ça, Le Joueur de Dostoyevsky. Thomas Bernard, avant de se mettre à un livre, le relisait. C'est le livre le plus joyeux, mais il faut savoir la genèse de ce livre pour comprendre ce qu'il y a dedans. C'est un peu long.
- Speaker #1
Ah si, dites-moi.
- Speaker #0
Ah, c'est sublime. Je lirais presque la genèse plutôt que le livre, qui est sublime.
- Speaker #1
Parce que Dostoyevsky était lui-même un joueur.
- Speaker #0
Ça, c'est une histoire. C'est son histoire. Mais non, c'est pas ça. Il devait à un éditeur, par contrat, qui avait toute son œuvre, dont j'ai connu le petit enfant dans la même pension où j'étais, bizarrement,
- Speaker #1
en Russie. Parce que Dostoevsky, c'est un Russe,
- Speaker #0
comme vous. Il lui devait un livre. Et sans ça, son contrat était foutu. Il avait trois mois devant lui, ou un mois, je sais pas. Tout le monde lui disait... Et tout le monde lui disait... Ils étaient très modernes. Ses copains lui disaient, on va écrire chacun un chapitre. Il leur disait, ah non, pas question. Et puis un jour, quelqu'un a eu l'idée de lui envoyer une dactylo.
- Speaker #1
Une machine à écrire ?
- Speaker #0
Non, une femme.
- Speaker #1
Une dactylogramme ? Une secrétaire ?
- Speaker #0
Oui, une dactylo. C'était au début de ça. Et donc, il lui a dicté le livre. Et à mesure qu'il dictait le livre, il voulait la charmer. Et elle est tombée amoureuse de lui pendant toute la lecture. Et à la fin du livre, le joueur s'est arrêté. Il lui a dit, écoutez, j'ai une question à vous poser. Si un auteur qui n'a écrit que de mauvais livres, qui n'est pas beau, qui est vieux, qui n'est pas heureux, vous disiez qu'il était amoureux de vous, qu'est-ce que vous répondriez ? Et elle dirait, je vous aimerais toute ma vie. Et ça a été sa femme. Et à partir d'elle, c'est là où il a écrit tous ses grands livres. Parce que, crime et châtiment, il n'arrivait pas à le terminer. Il l'a terminé avec elle. Les Karamazov, tout est venu derrière. Et voilà. Et elle a subi aussi des histoires de... qui sont dans Le Joueur, justement, qui est un livre sublime.
- Speaker #1
Ah, c'est une histoire très resvanienne. C'est très resvanien, puisque dans votre livre, Les années-lumières, vous lisez aussi les chapitres à l'amour de votre vie. Donc, finalement, il faut avoir une muse.
- Speaker #0
Chercher la femme pour tout.
- Speaker #1
Mais bien sûr.
- Speaker #0
Einstein, vous savez qu'Einstein n'a pas fait les calculs de sa fameuse équation. C'est sa femme, qui était une des grandes mathématiciennes de son époque. Elle boitait, elle ne la montrait pas.
- Speaker #1
Ah, c'est moche, ça. Ça veut dire qu'il a piqué l'idée. E égal mc2...
- Speaker #0
Non, lui il a eu l'idée, mais elle a fait tous les calculs. Ah oui, oui. Et Nabokov, pareil. Ah bah oui,
- Speaker #1
sans sa femme.
- Speaker #0
Je crois qu'il faut chercher la femme. Toujours.
- Speaker #1
Quel est le pire livre que vous ayez jamais lu ?
- Speaker #0
Ça c'est très difficile à dire. Je ne vais pas dire le fameux livre de Céline.
- Speaker #1
Le bagatelle pour un massacre ?
- Speaker #0
Il s'est trouvé que Truffaut avait prêté son appartement, il y avait une bibliothèque, il y avait les bagatelles. et là je vais dérailler encore un petit peu je l'ai lu et puis Godard est venu dîner et je lui ai posé la question qu'est-ce que vous pensez de Bagatelle pour un massacre et il a eu une réponse très intéressante il m'a dit un écrivain cherche toujours un prétexte pour se mettre en colère donc il a un petit peu gommé le côté antisémite comme si Céline avait pris ça comme comme Comme un moyen de se mettre en état d'écrire.
- Speaker #1
Enfin, c'était aussi un grand succès de librairie. Oui, bien sûr, les pamphlets se sont très bien vendus, il a gagné beaucoup d'argent. C'est ça qui est le pire.
- Speaker #0
Il faut penser à l'état de la France de l'époque. Et à Gobineau.
- Speaker #1
Et enfin, dernière question, le livre que vous lisez en ce moment.
- Speaker #0
Ah, encore une fois le joueur.
- Speaker #1
Le joueur ? Oui,
- Speaker #0
d'accord. Qu'est-ce que je vous ai dit ?
- Speaker #1
Non, c'est ça.
- Speaker #0
Oui, oui. Pour la 115e fois, je vous dis en riant, y compris, surtout le récit de sa jeunesse. Oui,
- Speaker #1
c'est merveilleux. Merci infiniment Serge Rezvani d'être revenu une nouvelle fois. C'est toujours un bonheur de vous recevoir. Merci Philippe Ray de l'avoir accompagné et de continuer fidèlement à le publier avec l'argent de ce Goncourt parfaitement mérité. Ah tiens, au fait, Mohamed M. Bougarsar, est-ce qu'il travaille ? Il prépare un nouveau roman ? Oui, il travaille. Je ne sais pas quand il aura fini, mais en tout cas, il est lancé. C'est la bonne nouvelle. Vous lui dites que dès qu'il a terminé, il est bienvenu chez l'apéro. C'est un vrai plaisir. Merci infiniment Serge Rezvani d'avoir accepté de venir parler. Et on va se quitter en écoutant la chanson de vous que François Truffaut préférait, ni trop tôt, ni trop tard. Merci d'exister.
- Speaker #0
Merci.
- Speaker #2
Peu importe la tyrannie et le règne des soudards, Tant qu'ils nous laissent la vie, tant qu'aimer n'est pas trop tard. Dans tes bras, le tendre ami de nos corps, des châteries, On fait périr mon cafard, le bourdon du désespoir, Apétrit toute ma vie. Le bourdon du désespoir Tes angoisses les plus noires, me m'importent aux sarcastes, Et vos hoquets goguenards, uniformes du marasme, Tant qu'aimer n'est pas trop tard, dans tes bras, Répondre à mille, à repris, à la vigne, en bénissant les hasards. Qui nous fit renaître ensemble, n'est pas d'un siècle d'écart. Qui nous fit renaître ensemble, ni trop tôt ni trop tard.
- Speaker #1
Cette émission vous est présentée en partenariat avec le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Lisez les années-lumières de Serge Reisvani aux éditions Philippe Ray. L'ingénieur du son se nommait Guilhem Pagelache. La réalisation et le montage vidéo. était de Chloé Beigbeder. Et n'oubliez pas, lisez des livres sans quoi vous mourrez abrutis.