- Speaker #0
Conversations responsables le podcast des écosystèmes inclusifs. Bienvenue dans ce nouvel épisode des Conversations responsables et dans cette série spéciale consacrée à la Fondation L'Échiquier pour la vie, fondation qui utilise le jeu d'échecs pour favoriser l'inclusion. Sous l'égide de la Fondation FACE et en partenariat avec la Fédération française des échecs, l'échiquier pour la vie prévient et lutte contre l'exclusion sous toutes ses formes en France et à l'international. Dans cette série de portraits, les conversations responsables partent à la rencontre du comité exécutif et des partenaires clés de la Fondation. Nous nous trouvons toujours aujourd'hui au cercle de l'union interalliée à l'hôtel Perrinet de Jars à Paris, qui, rappelons-le, était l'hôtel particulier d'Henri de Rothschild lui-même. Nous sommes ici à l'occasion de la soirée inaugurale de la Fondation L'échiquier pour la vie. Et j'ai le plaisir d'accueillir Joël Lautier, grand maître international d'échecs et membre du collège de la Fondation L'Échiquier pour la Vie. Bonjour Joël et bienvenue.
- Speaker #1
Bonjour, enchanté.
- Speaker #0
Alors Joël, vous étiez déjà champion du monde d'échecs des moins de 14 ans en 1986. Puis vous êtes devenu champion du monde junior en 1988 avant de devenir grand maître international d'échecs en 1990. Donc c'est une passion qui est née très tôt. Oui. Comment est-elle née et où en êtes-vous aujourd'hui avec les échecs
- Speaker #1
Les jalons de ma carrière que vous avez mentionnés ne nous rajeunissent pas, seulement déjà quelques années. Mais en fait, j'ai appris à jouer au sein de ma famille. Mon père était un bon joueur amateur. Il a toujours eu la passion du jeu et donc il me l'a transmise. Et à partir de l'âge de 3 ans, j'ai commencé à jouer vraiment et puis ensuite à participer dans les tournois à partir de l'âge de 7 ou 8 ans à peu près. Et en fait, j'en ai très vite fait mon occupation principale, avant l'école même. Et donc, on peut dire que j'étais, dans mon esprit en tout cas, quasiment un joueur professionnel à partir de l'âge de 12-13 ans, où pour moi, l'essentiel de mon temps, je le passais à me préparer pour les parties d'échecs, à m'instruire, à lire des livres d'échecs, à m'entraîner, et aussi, de plus en plus, à voyager. Et donc, c'est vraiment une passion qui est venue très tôt.
- Speaker #0
Vous aviez quel âge sans être indiscrète en 1988 et 90 ? J'avais 15 ans en 88 lorsque je suis devenu champion du monde junior.
- Speaker #1
Le record tient toujours d'ailleurs. Le titre de champion du monde junior va jusqu'à l'âge de 20 ans. Il n'y a pas eu d'autre joueur qui a remporté ce titre aussi jeune. En 1990, je suis devenu grand maître. Chronologiquement, j'étais le deuxième à le devenir. Je ne compte pas un joueur comme Boris Spassky qui était techniquement français parce que naturalisé, mais évidemment c'était un champion soviétique. Donc, de joueur qui ait vraiment grandi en France et qui soit devenu grand-maître, j'étais le deuxième. Et ensuite, assez rapidement, j'ai réussi à faire partie de l'élite mondiale. C'était chose inconcevable pour un joueur français à l'époque. Donc, j'ai fait partie effectivement des 20, même à un certain moment, des 10 meilleurs du monde. J'ai un score positif tout au long de ma carrière contre Garry Kasparov, par exemple, que j'ai battu deux fois. Lui ne m'a battu qu'une fois sur 10 parties, avec donc 7 matchs nuls. Je peux dire que j'ai été un peu celui qui a ouvert la voie pour les échecs français. Et ensuite, après moi, sont arrivés d'autres joueurs qui ont aussi atteint un très haut niveau.
- Speaker #0
Alors évidemment, au sein de la Fondation, vous incarnez le jeu d'échecs. Vous êtes un peu le membre du Comex d'honneur, on va dire. Mais je voudrais revenir sur ma question. Quelles sont les trois qualités, si on devait en choisir trois, que vous ont apporté le jeu d'échecs dans votre vie ?
- Speaker #1
Je pense que ce que le jeu d'échecs inculque très tôt, surtout chez un jeune joueur, c'est... Le sens de maîtriser un peu sa destinée, c'est-à -dire qu'on ne peut pas vraiment se défausser sur une équipe quand on perd, en disant que c'est les autres qui n'ont pas bien joué, ce n'est pas de ma faute, ou dire que c'est la faute du hasard parce qu'on n'a pas eu de chance ce jour-là . C'est un jeu où il n'y a pas d'élément de hasard, à l'inverse des jeux de cartes ou des jeux de dés, etc. Donc de ce point de vue-là , ça apprend vraiment à se sentir responsable des défaites comme des victoires. Ça c'est une première chose. Et puis la deuxième chose, c'est que je pense que ça développe un sens très aigu, très poussé de la logique. Donc le fait de concevoir les choses clairement et c'est quelque chose qui est très précieux. Apprendre rapidement, classer ces informations et puis ensuite savoir les utiliser au bon moment. Et aussi je dirais que ça apprend à être capable d'être performant sous tension pendant longtemps. Parce que les parties à haut niveau durent 4, 5, parfois 6 heures. Et c'est pas comme au tennis où si vous perdez un point vous pouvez vous rattraper sur le suivant. Aux échecs si vous faites une erreur c'est peut-être la dernière et la partie se termine. Il faut être extrêmement alerte pendant des heures contre un adversaire qui veut vous battre. Ça implique une certaine capacité à être très concentré très longtemps.
- Speaker #0
Je résume le sens de la responsabilité, la logique et puis la concentration. Si l'on résume les trois qualités, est-ce que ces qualités, justement, sont celles que vous cherchez à propager aussi au travers de la Fondation L'Échiquier pour la Vie ? On n'en a pas parlé : comment avez-vous... décidé de vous engager auprès de la Fondation et puis quel message souhaitez-vous porter?
- Speaker #1
D'abord, je dirais que les échecs, je l'ai vu tout au cours de ma carrière, c'est vraiment un langage universel. Donc c'est quelque chose qui permet à des gens d'horizons très différents, avec des expériences de vie très différentes, de communiquer et d'arriver à se comprendre. J'ai combien de fois vu des joueurs de pays complètement différents n'ayant aucune langue commune entre eux, et pour autant, parce qu'ils avaient joué une partie ou parce qu'ils suivaient une partie ensemble, être capables de communiquer, d'échanger, de s'amuser. Donc ça, c'est quand même formidable. Et c'est un langage qui transcende non seulement les pays, mais les générations, les classes sociales. Donc je trouve que c'est un instrument magnifique pour que les gens apprennent à mieux se connaître. J'en ai fait l'expérience moi-même, c'est quelque chose qui permet de découvrir le monde aussi. Et je pense que quand on a des difficultés, comme peuvent en avoir ceux qui sont dans des situations plus défavorisées, c'est formidable d'avoir, grâce à un jeu comme le jeu d'échecs, la possibilité de rencontrer des gens d'autres pays, d'autres horizons, et soi-même de voyager et d'aller à la rencontre de ces différentes cultures. Donc je trouve que c'est un formidable outil d'ouverture sur le monde. Et en même temps, c'est quelque chose... qui permet de grandir soi-même. Je dirais que c'est quelque chose qui est permanent, puisque chaque fois qu'on joue une partie et qu'on n'est pas content du résultat, on a envie de s'améliorer, on a envie de comprendre quelles sont nos faiblesses, sur quoi est-ce qu'on doit travailler. Donc voilà , c'est quelque chose qui, à mon avis, est très formateur.
- Speaker #0
C'est ce message-là que vous allez porter au sein de la Fondation, qui s'engage sur six grands chantiers, que sont l'autisme, le handicap, le cancer, la santé mentale, les aidants, les seniors également. Aujourd'hui, pour déployer tous ces dispositifs à l'intention de ces publics, il va falloir des personnes présentes pour transmettre ce jeu d'échecs. Alors, on estime à 600 millions le nombre de joueurs d'échecs dans le monde. C'est un très, très gros chiffre. De combien de joueurs pensez-vous avoir besoin au sein de l'Echiquier pour la Vie pour communiquer auprès des publics, pour engager le maximum de gens dans la fondation ?
Je pense que la mission de la fondation,
- Speaker #1
c'est d'aller à la rencontre des gens qui n'ont pas très souvent l'occasion, peut-être. de rencontrer des personnes qui s'intéressent à elles, avec lesquelles elles sont capables de se sentir peut-être aussi différentes. On parlait justement de toutes ces situations où les gens ont des handicaps. Je vous donne un exemple, le jeu d'échecs est peut-être le seul sport, parce qu'à mon sens, la façon dont c'est pratiqué, c'est un sport. C'est peut-être le seul sport où, par exemple, une personne aveugle est capable d'être en compétition; je dirais en compétition dans les mêmes conditions qu'une personne tout à fait je dirais voyante, et donc, de ce point de vue là , c'est assez extraordinaire je me souviens lorsque j'avais une dizaine d'années j'avais participé dans des tournois notamment je me souviens en Suisse et j'avais été fasciné de voir qu'il y avait des joueurs qui étaient aveugles qui venaient avec leur échiquier où les pièces étaient légèrement différentes pour qu'ils puissent les reconnaître au toucher et qui jouaient comme n'importe quel autre joueur qui défendait très bien leur chance Et donc ça, j'ai trouvé que c'était quand même assez extraordinaire. Et puis je pense aussi à tout ce que ça a comme signification sociale, parce que je l'ai vu d'innombrables fois, lorsque vous avez des clubs d'échecs qui s'ouvrent dans des quartiers défavorisés, où les conditions essentielles sont dures. Je l'ai vu aussi bien en France qu'aux Etats-Unis, qu'en plein d'autres pays. Et vous avez des jeunes qui s'intéressent à quelque chose qu'ils n'auraient jamais imaginé pouvoir être intéressant pour eux, je parle du jeu d'échecs, se passionner pour ça, et ensuite prendre confiance en eux, et découvrir qu'ils ont des capacités intellectuelles qu'ils ne soupçonnaient pas. Non pas parce que le jeu d'échecs est quelque chose qui est réservé aux gens intelligents, ce n'est pas du tout ça le propos, mais simplement c'est quelque chose qui a ce prestige. Et donc pour tous ces jeunes qui viennent de milieux défavorisés, c'est extrêmement valorisant et extrêmement motivant d'avoir, par le jeu d'échecs, la chance de démontrer qu'ils ont des capacités qu'ils n'ont rien à envier à d'autres. Donc je pense que le jeu d'échecs est porteur de messages qui sont extrêmement positifs pour la société. Et puis je voudrais aussi ajouter un mot, c'est que j'ai toujours eu l'envie de participer à un projet comme ça, avec cette signification pour la société, je dirais, qui soit liée aux échecs. Mais je voulais le faire dans un cadre qui soit bien et avec une bonne équipe. Parce que c'est très important. Et lorsque Franck m'en a parlé, j'ai tout de suite sauté sur l'occasion. Parce que je connais Franck depuis très longtemps en fait. Je le connais depuis plus de 35 ans, je ne sais pas si vous imaginez. Et Franck était déjà un organisateur hors pair, même très jeune, puisqu'il m'avait fait venir lorsque j'étais devenu champion du monde junior à Lille, où il était étudiant, à Centrale je crois. Et donc il avait organisé un festival d'échecs à Lille pour les étudiants. Il m'avait fait venir pour faire une partie simultanée. Et donc je suis très content de faire partie de cette fondation.
- Speaker #0
On est très content de vous avoir au micro des conversations responsables. Alors avant de clôturer cette interview, je vais vous poser la petite question que j'ai posée à chaque personne. Si vous étiez une pièce du jeu d'échecs, laquelle choisiriez-vous pour mener à bien votre action avec la fondation ?
- Speaker #1
On pense toujours qu'on est le roi ou peut-être la dame, mais en réalité on est tous des pions dans la vie. Puisqu'on est émus par des forces qui nous dépassent complètement. Donc... On essaie de comprendre ce qui nous entoure, mais la vie est évidemment beaucoup plus complexe que le jeu d'échecs.
- Speaker #0
Merci pour cette réponse et merci d'avoir répondu à cette interview, Joël Lautier. Nous sommes, on le rappelle aujourd'hui, au Cercle de l'Union Inter-Alliée à Paris, à l'occasion de la soirée d'inauguration de la Fondation L'Échiquier pour la Vie, fondation qui utilise le jeu d'échecs pour favoriser l'inclusion sous l'égide de la Fondation FACE et en partenariat avec la Fédération Française des Échecs. Pour toutes les personnes qui souhaiteraient approfondir le sujet de l'inclusion à travers le jeu d'échecs, rendez-vous sur le site www.fondation-échiquier-pour-la-vie.fr. Merci encore Joël Lautier d'avoir répondu à cette interview. À très bientôt.
- Speaker #1
C'était un plaisir. Merci à vous.
- Speaker #0
Conversation responsable, le podcast des écosystèmes inclusifs.