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Dans l’ombre

#3 - Amaury de Hautecloque - Au cœur des unités d’élite de la police

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51min |21/03/2025
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Dans l’ombre

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51min |21/03/2025
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Description

Dans ce nouvel épisode de Dans l’ombre, plongez dans les coulisses des unités d’élite de la police avec Amaury de Hautecloque.


Passé par la brigade criminelle, la brigade des stupéfiants et à la tête de la section antiterroriste, il a ensuite dirigé le RAID de 2007 à 2012. Un parcours hors norme au cœur des opérations les plus sensibles.


Entre filatures de grande envergure, gestion des indics et interventions sous haute tension, il partage les réalités d’un métier où la pression est permanente et où chaque décision peut être décisive. Il évoque aussi l’impact de ces missions sur la vie personnelle et l’exigence d’un engagement total.


Un témoignage captivant sur le commandement, l’adrénaline et les sacrifices du métier. À écouter absolument !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Dans l'ombre,

  • Speaker #1

    un podcast produit par We Are et Time to Sign Off. Bienvenue dans Dans l'ombre, le podcast produit par We Are et Time to Sign Off, où on reçoit ceux qui, par vocation, ne parlent jamais. Visiteurs du soir, hommes et femmes de l'ombre, agents secrets ou agents de stars, ce sont eux que nous recevons dans Dans l'ombre pour qu'ils nous expliquent leur rôle et leur méthode et qu'ils nous racontent leur histoire. Je suis Romain Dossal, fondateur de la newsletter d'information Time to Sign Off des TSO. Et ce soir, je reçois un grand flic, un homme passé par la brigade criminelle, la brigade des stups, qui a dirigé la section antiterroriste et qui fut enfin patron du RAID de 2007 à 2012. Bonsoir Amaury de Haute-Cloque.

  • Speaker #0

    Bonsoir Romain.

  • Speaker #1

    Alors, nous allons revenir sur cette carrière à la fois brillante et variée, mais je voudrais commencer par le commencement, par les origines en quelque sorte. Quand on s'appelle Haute-Cloque et qu'on est non seulement l'héritier d'une tradition aristocratique et militaire, mais qu'on est le petit neveu du maréchal Leclerc, qu'est-ce qu'on va faire dans la police ?

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qu'on va faire dans la police ? On s'y retrouve. en réalité par hasard, et le hasard fait plutôt bien les choses, puisque c'est toujours une histoire de rencontre au final, et j'étais plutôt destiné, comme vous le soulignez, pour une carrière militaire à laquelle je me destinais à l'origine, en rêvant de grands espaces autour de l'école de Saint-Cyr, que est de Kidan, et puis au final, le hasard des rencontres a fait que j'ai rencontré des policiers, des commissaires de police, et qui m'ont raconté la vie vue de l'intérieur. Alors, ce n'est pas un jeu de mots, c'est en réalité, c'est la vie de nos quartiers, de nos villes, de nos cités, mais vue du côté de la police. Et les qualités de narration de ceux que j'avais rencontrés m'avaient fait penser que l'action, l'influence sur les choses pouvait se jouer au sein de la police nationale. Et c'est le hasard de ces rencontres qui m'a fait me... me destiner ensuite sur cette carrière que je ne regrette absolument pas, bien sûr.

  • Speaker #1

    Vous avez troqué un Saint-Cyr pour un autre Saint-Cyr.

  • Speaker #0

    Absolument.

  • Speaker #1

    Vous passez une enfance parisienne, vous faites des études de droit, si je ne me trompe pas, à la faculté d'Assas. Et ensuite, vous faites votre service militaire ?

  • Speaker #0

    Alors, je fais mon service militaire dans la marine, à Lorient, dans les commandos de la marine, en 1990. Et puis, à l'issue de cette période, j'avais déjà le concours de commissaire de police en poche. Et donc j'intègre l'école de Saint-Cyr à Lyon pour deux ans, afin de sortir ensuite, en fonction de son classement, on peut choisir les filières auxquelles on peut être destiné. Moi je caressais l'espoir, mais c'était une question de classement, de sortir autour d'une filière plutôt dominante, polyjudiciaire.

  • Speaker #1

    Sors dans la botte pour avoir...

  • Speaker #0

    Alors à l'époque, il fallait sortir dans la botte, il y avait peu de postes et j'ai eu la chance de sortir troisième. Et donc j'ai pu choisir un poste en polyjudiciaire. Ce qui n'est aujourd'hui plus possible, puisqu'aujourd'hui il n'y a plus de poste d'entrée de filière directement en police judiciaire, il faut faire un passage en sécurité publique. C'est là où on apprend finalement les ficelles du métier et les contraintes surtout, la sécurité publique étant la police du quotidien. Mais à l'époque, j'avais encore cette Ausha, donc j'ai pu intégrer la police judiciaire à Paris.

  • Speaker #1

    Alors parlez-moi un peu de Saint-Cyr-aux-Mondeurs, parce que moi, je le dis très humblement, la seule connaissance que j'ai de Saint-Cyr-aux-Mondeurs, c'est un roman de San Antonio. qui s'appelle le Standage où Berurier fait un cours de maintien et de bonne manière aux élèves commissaires.

  • Speaker #0

    C'est une excellente lecture.

  • Speaker #1

    C'est très drôle, mais je ne suis pas sûr que ce soit complètement fidèle. On voit à peu près l'école de Saint-Cyr, quoi de quidant, ce qu'on fait faire aux élèves officiers. Qu'est-ce qu'on fait faire aux élèves commissaires ?

  • Speaker #0

    Les élèves commissaires, on leur apprend un métier, le métier du commandement, le métier de la responsabilité, le métier de l'engagement. Et donc, c'est deux années pleines et entières où on revoit. Ce qu'on a appris sur les bancs de la faculté, c'est-à-dire la procédure pénale, puisque ça va être finalement notre travail quotidien, mais en réalité d'une manière complètement différente, puisque c'est du droit pénal appliqué, et ce qu'on appelle la procédure policière, qui diffère assez fortement de la procédure pénale classique, puisque c'est la manière dont la police a accolté, rassemblé les preuves pour les soumettre à la justice avec les individus qui sont concernés. Donc c'est deux ans... L'année entière, une première année plutôt théorique, où on revoit l'ensemble des bases, parce que c'est un recrutement qui est sous trois modèles différents, un peu comme dans l'armée d'ailleurs. Il y a un concours dit externe, ou voire royal, c'est ceux qui arrivent directement de la faculté, ce qui était mon cas. Il y a un recrutement interne, et puis il y a un recrutement Ausha. À mon époque, c'était plutôt des toutes petites promotions, puisqu'on était une petite cinquantaine. Et cette cinquantaine se divisait grosso modo en trois parties entre le concours externe, le concours interne et le choix. Et à l'issue de la première année, il y a une année de stage qui est faite au sein des services. Et déjà avec une vision opérationnelle, et vous traversez tous les métiers que propose la police nationale, et ils sont nombreux, puisqu'il n'y a pas loin sans faux que de l'opérationnel. On peut aussi faire de l'enseignement, notamment dans les écoles de police, mais vous visitez toute la filière du renseignement, la filière de la sécurité publique, la filière de la police judiciaire, et ensuite vous exercez un choix en fonction de votre classement.

  • Speaker #1

    Et alors, vous arrivez, vous avez 23, 24 ans, vous êtes commissaire.

  • Speaker #0

    Là, c'est un peu plus vieux parce que j'avais pris mon temps.

  • Speaker #1

    D'accord, vous avez 25 ans, disons. Un peu plus vieux encore ?

  • Speaker #0

    Un peu plus vieux encore.

  • Speaker #1

    Bon, écoutez, on place ça toujours dans la vingtaine.

  • Speaker #0

    En fait, j'avais un troisième cycle de trois pénales, donc déjà cinq ans d'études. Et puis, j'ai eu une vie lycéenne un petit peu chaotique, ce qui m'a valu de finir chez Jésuite en pension. Ce qui, d'une certaine manière, a été salvateur pour moi.

  • Speaker #1

    On est plusieurs dans ce cas-là et on se retrouve autour du micro. C'est que finalement, la vie n'a pas été si vache avec vous. Absolument. Donc, vous êtes commissaire dans votre vingtaine, avec un nom qui ne passe pas inaperçu. Vous arrivez dans le 12e arrondissement. Comment ça se passe, votre embarquement dans la vie active policière à un niveau d'encadrement ?

  • Speaker #0

    Oui, moi, ce que je voulais, c'était exercer ma mission de responsabilité. Et donc, j'ai eu la chance de pouvoir prendre un commissariat de... police judiciaire qui se trouvait dans le 12e arrondissement, rue du Rendez-vous pour être exact.

  • Speaker #1

    Attendez, excusez-moi, un commissariat de police judiciaire, qu'est-ce que c'est par rapport à un commissariat de droit commun ?

  • Speaker #0

    Alors, ce qui existait auparavant, ce qui n'existe plus aujourd'hui, c'est-à-dire que Paris, la préfecture de police, avait une cartographie de découpage par quartier des commissariats de police judiciaire. Ce qui fait que vous aviez en moyenne entre deux et trois commissariats de police judiciaire par arrondissement, qui aujourd'hui n'existent plus puisque ce sont les... commissariat de sécurité publique qui enregistre les plaintes et qui font ce qu'on appelle le petit judiciaire. Mais à l'époque, il y avait, dès l'origine, des commissariats de poids judiciaire qui référaient directement à des divisions de poids judiciaire. Pardon pour ce schéma un petit peu complexe, mais il est finalement simple une fois qu'on l'a expliqué. Et ces divisions de poids judiciaire, elles traitaient tout le gros judiciaire de plusieurs arrondissements. Il y avait six divisions de poids judiciaire à Paris. Grosso modo, il y en avait trois pour la rive gauche et trois pour la rive droite. Et au-delà de ces divisions de peu judiciaire, on arrivait au quai des Orfèvres, où là, on était en brigade centrale. Et donc, la filière classique, quand vous étiez commissaire sorti d'école, c'était de commencer à faire vos preuves dans un petit commissariat de peu judiciaire. J'avais 10 enquêteurs à ma disposition. J'avais un poste radio, pas deux. Et puis, j'avais un véhicule de 150 000 kilomètres avec un pneu crevé qui m'a fallu plus de trois mois à changer, à mes frais d'ailleurs, parce que finalement... à force de demander le changement de ce pneu qui n'arrivait jamais, on l'a fait nous-mêmes. Et donc c'est une bonne école parce que d'une certaine manière ça vous apprend la vie d'un quartier, ça vous apprend à vous débrouiller avec très très peu de moyens, puisque les commissariats de police judiciaire n'étaient évidemment pas les mieux dotés, mais pour autant c'est là où vous commencez d'ores et déjà à comprendre quelles sont les contraintes de votre métier, l'engagement dans l'ensemble des collaborateurs que vous avez. Les enquêteurs qui sont un peu judiciaires dans les commissariats de quartier, vous en avez de tous âges, il y en a qui ont choisi cette voie et qui ne veulent surtout pas progresser. Et puis vous en avez des jeunes qu'il faut former et qui vont aspirer à d'autres fonctions comme vous au sein de cette filière-là.

  • Speaker #1

    D'accord, et j'ai lu dans une de vos interviews que vous disiez que dans le 12e arrondissement et dans votre fonction de commissaire, vous aviez appris à ce que c'était que la misère. Vous parlez de la misère des commissariats ou de la misère que vous fréquentez, dont vous avez... la partie délinquante qui arrive comme une écume au commissariat ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est d'une certaine manière la misère sous toutes ses formes, la misère de la fonction publique, puisque c'est là où vous mesurez le peu de moyens qui vous sont alloués, mais finalement, ça vous apprend la débrouille. Et puis aussi, la misère d'une cité. Moi, j'étais parisien d'origine, vous l'avez souligné. Ça m'a permis de voir ma ville sous une autre forme. Et en fait, tout ce qui se passe sous vos yeux, Sans que jamais, lorsque vous êtes dans une fonction ou un métier qui s'adresse à la gestion de la délinquance, vous êtes amené à voir et pourtant ça se déroule devant vous. Et en fait, le fait de passer derrière le rideau, d'une certaine manière, ça m'a permis de découvrir toute cette vie, toute cette population, cette délinquance de quartier et d'une certaine manière la misère aussi, le fait de vivre seul dans les grandes villes. Le nombre d'enquêtes pour des décès « suspects » , puisque vous avez des découvertes de corps dans des appartements, et ce sont bien souvent des personnes seules que leurs familles ne viennent plus visiter depuis des années et des années, qui parfois sont retrouvées quelques semaines, quelques mois même, après leur décès, simplement par un indice bête que nous pratiquions, qui était que les boîtes aux lettres étaient pleines et que plus personne ne venait les vider.

  • Speaker #1

    Ça vous a changé ?

  • Speaker #0

    Alors, ça marque évidemment, et puis d'une certaine manière, ça donne envie de pouvoir continuer pour essayer de tenter d'améliorer les choses. C'est ça que j'ai trouvé extrêmement séduisant dans ce métier, c'est que vous avez une réelle influence sur le quotidien, en fonction de la qualité des investissements que vous mettez. Vous savez que dans les commissariats, et chacun d'entre nous pourra le mesurer, on y va pour déposer plein de, souvent parce qu'on en a besoin pour son assurance. Mais en réalité, on se demande toujours qu'est-ce qui se passe derrière, qu'est-ce que fait vraiment la police, est-ce que les plaintes sont traditionnellement classées comme on tend à le penser, ou est-ce qu'il y a un vrai travail qui est fait ? Eh bien moi, mais comme de nombreux de mes collègues, dès qu'il y avait le moindre indice, la moindre ficelle à tirer, nous essayions de le faire avec le peu de moyens que nous avions, mais on avait des résultats qui étaient quand même assez séduisants, puisqu'on pratiquait déjà plus d'une... d'une centaine de garde à vue par an sur des faits de délinquance dits quotidiennes, c'est-à-dire les cambriolages, les petites agressions, les vols à l'arraché et tout ce qui peut se dérouler dans un quartier au quotidien.

  • Speaker #1

    Alors justement, en parlant de ces résultats ou en tout cas de leurs effets, vous êtes nommé ensuite au 36 Quai des Orfèvres, vous arrivez à la brigade criminelle si je ne m'abuse.

  • Speaker #0

    À la brigade des stupéfiants.

  • Speaker #1

    À la brigade des stupéfiants d'abord. Alors quand on est nommé au 36, j'imagine que c'est une promotion. Comment est-ce que se fait la promotion ? Comment est-ce que se fait la carrière d'un commissaire de police ? Quels sont les critères ? Comment est-ce qu'il avance et qu'est-ce qu'il peut espérer ? J'imagine qu'il n'y a pas un cas standard, mais comment est-ce que progresse un commissaire de police ?

  • Speaker #0

    Alors moi, quand j'ai embrassé ce métier, c'était d'abord par des narrations, des histoires avec des amis qui étaient déjà commissaires de police. Et évidemment, vous vous construisez mentalement un schéma de carrière professionnelle. Et dans ma tête, moi... Toutes les histoires autour du mythique 36 qu'est les Orfèvres, évidemment, m'attiraient. Ce qui m'attirait encore plus, c'était l'ambiance, l'esprit d'équipe. Ce qui est d'ailleurs à la fois une force et un piège, puisque la force, c'est que la fonction publique policière peut compter sur l'engagement de ses collaborateurs parce qu'en réalité, vous vivez une vie tellement palpitante que vous ne comptez pas vos heures. Le piège, c'est que vous avez aussi une vie privée et qu'il ne faut pas pour autant la sacrifier. et je me plais à dire que lorsque j'étais à la brigade des stupéfiants évidemment on vit au rythme des horaires de sa clientèle et donc c'est plutôt le soir, plutôt la nuit plutôt loin de ses bases de plus en plus quand on faisait des remontées de cargaison de stupéfiants qu'on appelle aujourd'hui Go Fast mais qu'à l'époque nous n'avions pas encore nommé on débutait des filatures à partir du Maroc parfois pour pouvoir remonter jusqu'en région parisienne Alors évidemment c'est palpitant, c'est une vie qui est riche en émotions, en sentiments forts et qui vous crée un esprit, une fraternité d'armes avec vos camarades. Mais pour autant, il ne faut jamais oublier que vous êtes mariés, que vous avez des enfants, que vous avez une vie personnelle et qui a été pour moi d'une certaine manière mon équilibre, qui m'a aidé à toujours me rappeler que l'essentiel, même si c'est un engagement de chaque instant, Il n'était pas là, il était aussi dans ma vie personnelle pour mes enfants.

  • Speaker #1

    Oui, alors justement, c'est une question que j'avais pour vous. Comment est-ce qu'on garde la distance nécessaire, y compris vis-à-vis de sa clientèle ? On a tous en tête l'histoire du commissaire Néret. Je sais que vous étiez un proche de Frédéric Péchenard, qui a été DGPN, directeur général de la police nationale, qui lui-même a écrit un livre qui s'appelle « Piège pour un flic » , que j'ai lu il y a quelques années, qui raconte une intox montée par des voyous pour faire tomber un commissaire en l'espèce. Comment est-ce qu'on garde la tête froide ? Et comment est-ce qu'on maintient le bon équilibre ? entre des voyous qui vont faire tout pour vous entraîner dans leur cercle et vous qui devez y pénétrer d'une certaine manière pour y faire votre boulot.

  • Speaker #0

    Oui, c'est justement, me semble-t-il, l'essence même du travail de chef, de commandant opérationnel, et notamment dans les missions de paix judiciaire comme la lutte contre les stupéfiants. C'est une lutte qui est compliquée, le trafic de stupéfiants, puisque c'est une infraction qui est par nature dissimulée. C'est-à-dire qu'en réalité, la police ne ferait rien, il n'y aurait absolument aucune influence sur une infraction qui ne se révèle que par l'efficacité de l'action policière. On entend parler tous les jours de saisie, mais en réalité on dit, écoutez, cette année on a fait X tonnes de drogue, donc ça veut dire que nous sommes bien meilleurs. Oui, encore que ça peut être aussi le trafic qui augmente et les importations. Donc en fait, c'est une infraction qu'on appelle révélée. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il faut qu'on ait des informateurs. Ces informateurs, c'est là où le danger est réel, c'est que ce sont évidemment des criminels. Et plus vous vous attaquez à des réseaux qui sont importants, plus vos informateurs... sont en général dangereux parce qu'ils ont accès à des informations sur des importations et des trafics d'envergure. Et c'est là où le rôle du commissaire, à mon sens, prenait toute sa valeur. C'est que vous devez garder en permanence, par sécurité, pour vos collaborateurs en réalité. Parce qu'eux, ils gèrent les informateurs, mais vous les gérez aussi. Et il y a des moments où le commandement, c'est aussi savoir dire non, c'est savoir renoncer. Parce que lorsque vous êtes sur un trafic de stupéfiants, que vous êtes sur un démantèlement, sur des filles... Sur des villatures, sur des surveillances, il faut savoir à un moment donné dire non, ça on ne le fera pas. D'abord parce que c'est illégal et ensuite parce qu'on prend trop de risques. Et l'importance du boulot de commissaire de police, c'est de savoir aussi protéger ses hommes. En leur disant qu'on n'a pas tout pouvoir, même si on a des relations avec le parquet qui sont en général extrêmement resserrées. Pour autant, on doit rester dans un cadre qui est légal.

  • Speaker #1

    Vous pouvez me donner un exemple de choses que vous avez refusé de faire, que vous n'avez pas autorisé ?

  • Speaker #0

    Par exemple, sur des grosses saisies. puisque évidemment les trafiquants, les informateurs ne sont pas amoureux de nous et donc on les tient que par des moyens de pression. Ces moyens de pression, c'était bien souvent la délivrance de papiers de titre de séjour, alors en général de courte durée pour pouvoir les maintenir sous pression. Mais pour autant, quand vous avez de très grosses cargaisons qui sont saisies, parfois il y avait une tendance à pouvoir séparer une partie de la cargaison et en donner un petit pourcentage. à votre informateur. Et bien ça, je me suis toujours refusé à le faire parce que c'est là où vous prenez un risque. Un risque inconsidéré pour vos collaborateurs et pour vous-même.

  • Speaker #1

    Merci de cette franchise. Des stups, vous passez à l'antiterrorisme en 2001, si je ne m'abuse. Alors déjà, comment est-ce qu'on passe des stups à l'antiterrorisme ? Et j'ai lu encore une fois dans une de vos interviews que vous disiez les stups, c'était effectivement H24 et l'antiterrorisme, ça me plaisait pas mal sur le papier parce que ça avait l'air assez paisible. Et puis j'ai vu ensuite que vous preniez vos fonctions en octobre 2001. Si je ne m'abuse, un mois après septembre 2001, j'imagine que ça n'a pas été aussi paisible que ça paraissait sur le papier. Mais dites-moi, comment est-ce qu'on passe des stups à l'antiterrorisme ?

  • Speaker #0

    C'est une anecdote assez savoureuse. Et là encore, ça rejoint d'une certaine manière la passion que m'a prise la filière policière à l'époque où j'hésitais entre le métier des armes et la fonction de commissaire de police. C'est des rencontres, et notamment Frédéric Péchenard, puisque vous l'avez cité, qui était un de mes voisins de quartier, puisqu'on habite tous les deux le 17e arrondissement, et il était patron de la brigade criminelle, et à ce titre-là, il commandait aussi la section antiterroriste de la brigade criminelle, qui a une compétence pour tout Paris et région parisienne. Il faut savoir qu'à l'époque, le terrorisme, c'était une affaire citadine, et notamment une affaire citadine, c'était une affaire parisienne. Quoi ? Parce que l'action terroriste est une action de terreur exercée contre la puissance publique, pour forcer le pouvoir politique à faire des choses qu'il ne souhaite pas faire, libérer des prisonniers politiques, etc. Et donc, évidemment, la cible c'est plutôt la capitale, pour que ça ait une résonance médiatique beaucoup plus forte. A l'époque, moi je sortais de 6 ans de la moyenne des stupéfiants, où comme je vous l'ai dit, je travaillais plutôt aux horaires de ma clientèle. Et en août 2001, le patron de la brigade criminelle, Frédéric Péchenard, vient me voir en me disant « Écoute, la session antiterroriste se libère, j'aimerais te prendre avec moi. Est-ce que tu es OK ? » D'autant qu'il ne se passe pas grand-chose, puisque c'est assez calme sur le front de l'antiterrorisme, et tu pourras reprendre une vie privée beaucoup plus stable que celle que tu as au stup. Évidemment, moi, ça m'avait largement séduit, d'abord de travailler avec Frédéric Péchenard, bien sûr, mais aussi parce que la matière m'intéressait et que le rythme était moins soutenu. Ou alors... Au final, pour moi, une expérience encore plus riche encore, la prise de poste se fait tout début octobre 2001. Et là, je m'en rappellerai toujours, si vous me permettez une petite anecdote, c'est que je descends de l'avion, je reviens de Bogota, où j'étais en mission pour un démantèlement d'une saisie de 2 tonnes de cocaïne qu'on avait fait par un avion de la famille royale d'Arabie Saoudite, quelques mois avant, qui m'avait amené jusqu'à Bogota, pour aller interpeller les... les patrons du réseau d'importation de stupéfiants. Je débarque de l'avion à Roissy le dimanche soir. Là, j'allume mon téléphone portable. Je vois que j'ai un message du patron de la brigade criminelle, Frédéric Péchenard, qui me dit que je prends le lendemain matin, donc tout début octobre, à la section antiterroriste et que je dois me trouver à Sartreville à 4h du matin pour une opération de démantèlement d'un réseau qui projetait une attaque au Stade de France. pour le matin même. Bon, l'avantage, c'est que comme j'étais en décalage horaire, c'est que ça ne m'a pas gêné, puisque du coup, je suis repassé me doucher à la maison et je suis reparti immédiatement.

  • Speaker #1

    Je suis heureux que vous ayez fait cette opération propre.

  • Speaker #0

    Alors, je me retrouvais à Sartrouville, avec des équipes que je connaissais un petit peu, parce qu'ils étaient au Quai des Orfèvres, dont on se croisait souvent. La Béry, qui était là pour nous aider pour faire les ouvertures de domicile. Et j'étais dans une affaire que je ne connaissais pas, pour un motif que j'ignorais, et dans le cadre d'une commission regatoire avec les juges antiterroristes. Et puis... On commence à ouvrir les portes d'un étage d'une barre d'immeubles à Sartreville. Et à un moment donné, le patron de la baie, il vient me voir, il me dit qu'il s'est gouré d'immeubles. Donc, ce n'est pas grave, on fait l'autre immeuble, on recasse toutes les portes et au final, on a les suspects que nous recherchons. Je rajoute immédiatement qu'on a eu zéro plainte pour les ouvertures de portes intempestives qu'on avait faites dans l'autre immeuble. C'est dire si en général, les gens ont la conscience tranquille. Voilà, mais bon, c'est une anecdote pour dire que du jour au lendemain, je me suis retrouvé plongé d'une certaine manière dans l'activité antiterroriste qui était encore plus fournie qu'à la brigade des stups depuis le 11 septembre 2001, parce que la France, qui a une communauté étrangère d'origine maghrébine la plus importante de tout l'Occident, avait évidemment tout un tas de réseaux à pouvoir démanteler en urgence du fait de la remontée de la menace qu'avait créée... l'attaque du 11 septembre.

  • Speaker #1

    Alors justement, décrivez-moi un petit peu ce qu'on fait dans une section antiterroriste. Quel est le travail et quel est l'aboutissement de ce travail ?

  • Speaker #0

    Alors c'est, contrairement à la brigade des stupéfiants, où d'une certaine manière, de l'informateur jusqu'aux surveillants, jusqu'aux interpellations, vous avez l'habitude de tout faire vous-même. Et en général, de vous débrouiller avec vos propres moyens, qui sont importants pour la brigade des stupéfiants de Paris. En revanche... La vraie culture à attraper assez rapidement lorsque vous arrivez à l'antiterrorisme, c'est de comprendre que là vous faites un sport d'équipe. Vous n'êtes pas seul, et notamment au niveau de la section antiterrorisme et la brigade criminelle, c'est que vous avez l'aspect judiciaire de toute la lutte. Mais pour autant, en amont, il y a une phase de renseignement qui est extrêmement importante. Ce renseignement, vous ne le faites pas vous-même. Vous le faites en partie par les perquisitions que vous êtes amenés à faire dans les réseaux que vous démantelez, parce que... À votre tour, vous générez du renseignement par les documents que vous saisissez, mais pour l'essentiel, c'est plutôt à l'époque la DST, donc la Direction de l'assurance du territoire, qui est devenue ensuite des CRI, puis aujourd'hui des GSI, mais qui est toujours le renseignement intérieur. Et puis il y avait aussi à la préfecture de police les renseignements généraux de l'époque qui, à leur tour aussi, travaillaient sur le renseignement et les informations qu'on pouvait déceler sur les différents réseaux. des réseaux de régions parisiennes, et il y en avait énormément. Et à chaque fois, c'est un travail d'équipe entre les renseignements généraux, la DST de l'époque, et moi-même. Je rajoute à cela, pour complexifier un peu le schéma, qu'il y avait aussi à la direction centrale de la police judiciaire. Mais il faut bien comprendre que la police nationale se divise en deux mondes. En France, vous avez la police nationale et la préfecture de police. C'est une tradition historique, la préfecture de police étant le siège des pouvoirs publics et du gouvernement. Les pouvoirs de police sont confiés à un préfet qui répond lui-même directement au ministre de l'Intérieur, au même titre que le directeur général de la police nationale répond au ministre de l'Intérieur pour tout le reste de la France. Et donc il y a deux polices, on va dire, qui ne sont pas complètement indépendantes, mais pour autant elles ont une réelle autonomie. Et vous avez, pour la préfecture de police, et je le rappelle à l'époque, c'était 95% du phénomène de lutte antiterroriste, était un phénomène. de Paris et de régions parisiennes, et puis vous aviez pour le reste de la France la sixième division centrale de l'appui judiciaire qui s'occupait de terrorisme. Et notamment sur l'affaire Kelkal, je ne sais pas si vous vous souvenez, en 1995, au moment où Rallet-Kelkal va être neutralisé par les gendarmes sur le col de Malval dans le Lyonnais, c'est puisque c'était à cet endroit-là que c'est arrivé et pas à Paris, C'est la sixième division de la direction centrale de la police judiciaire qui a mené cette enquête-là, et non pas la préfecture de police. La préfecture de police, elle, elle était chargée des attaques qui se sont déroulées dans le métro parisien et notamment son point d'orgue en juillet 1995 à la station Saint-Michel.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si vous avez perdu tous les auditeurs sur la description de ce schéma, mais j'aimerais y revenir quand même, parce que ma seule référence là-dessus, c'est le film de David Fincher qui s'appelle Zodiac, qui est un film absolument extraordinaire et qui montre... qui montre, comme souvent les films extraordinaires sur la police, qui montre le travail de police et la complexité, la complexité qui va empêcher de trouver ce serial killer, la complexité des différentes juridictions et des différents terrains pour les polices, les multiples polices locales américaines. Est-ce que vous, la complexité administrative, le millefeuille administratif qu'on voit en France dans des tas de divisions, est-ce que ça vous a empêché, est-ce que vous avez trouvé que c'était quelque chose de difficile ? Et d'incapacitant pour la police ?

  • Speaker #0

    Alors incapacitant, non. Précautionneux, oui. Parce que la tendance qu'on a lorsqu'on arrive d'autres univers de lutte contre la délinquance de droits communs, et notamment le trafic de stupéfiants, comme je vous le disais, c'est qu'on a l'habitude de se débrouiller nous-mêmes. Or là... La lutte antiterroriste, elle est conduite pour une noble cause, évidemment, c'est la protection de nos concitoyens et de la population. Pour autant, la volonté de bien faire peut être pavée de très mauvais réflexes, et notamment le premier des mauvais réflexes, c'est de dire « j'ai identifié quelqu'un, je vais le chercher » . Surtout pas. Si vous avez identifié quelqu'un, il faut absolument partager cette information, parce que vous allez peut-être tomber sur d'autres services que vous, notamment des services de renseignement, qui ont déjà été... des semaines et des semaines ou des mois d'investigation sur cet individu qui est lui-même connecté à un réseau. Et donc en fait, votre bonne volonté qui est votre réflexe de départ de dire « j'identifie une menace, j'essaie de la neutraliser au plus vite » , pas forcément. Pas forcément d'autant plus que, et c'est là où la coordination antiterroriste prend tout son relief, il y a une unité dans laquelle d'ailleurs j'ai travaillé qui porte ce nom, c'est une unité de coordination de lutte antiterroriste, parce que dans ce domaine-là plus qu'ailleurs, il faut partager le renseignement. Pourquoi ? Parce qu'il y a tellement de services qui travaillent sur ce sujet qu'il faut essayer de le mettre en relief, d'essayer de comprendre quels sont les sous-jacents. Vous avez les douanes qui génèrent du renseignement, vous avez la gendarmerie qui travaille sur le sujet, vous avez la DGSE qui vous remonte des informations de l'extérieur. Et à chaque fois, il faut corréler tout ça pour bien comprendre où est-ce que vous mettez les pieds et quelles sont les priorités que vous avez observées. Donc si vous prenez ce réflexe, vous devenez déjà, d'ores et déjà, un bon policier de lutte antiterroriste. Mais il faut l'avoir.

  • Speaker #1

    Mais est-ce qu'il y a un arbitrage qui se fait ? Par exemple, on sait que les affaires de drogue sont des affaires qui sont potentiellement connectées au terrorisme, et la réciproque est vraie, le financement des uns faisant l'efficacité des autres. Est-ce qu'il y a un arbitrage qui se fait ? On fait tomber un réseau pour les stupéfiants, ou on fait tomber un réseau, ou on essaie de remonter ce réseau vers la tête terroriste ou l'exécution terroriste qu'il a ? Comment se font ces arbitrages ?

  • Speaker #0

    Là, vous parlez d'un phénomène qui est apparu il y a une petite dizaine d'années, qui n'existait pas à mon époque, c'est-à-dire que ceux qui luttaient contre les stupéfiants généraient des produits financiers pour leur usage personnel. Les connexions entre l'action terroriste et la délinquance de droit commun n'étaient pas encore complètement établies. On commençait à le voir au travers du trafic de contrefaçon. La contrefaçon... commençait à générer des produits financiers pour la lutte pour les réseaux terroristes. Pour autant, le trafic de stupéfiants, ce n'était pas le cas. Ça l'est aujourd'hui, vous avez raison. Alors, comment ça s'arbitre ? En réalité, c'est d'abord par rapport à un état de la menace qui est fait, et en fonction de l'état de la menace, mais là aussi, c'est toujours fluctuant, c'est par rapport aux informations que vous avez pu glaner, et de l'état de préparation du réseau sur lequel vous travaillez. Nous avons une chance. inouï en France, c'est que depuis 1986, la législation a été adaptée et on a créé l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Qu'est-ce que c'est que ce machin ? Ça permet de démanteler un réseau de terroristes avant qu'ils passent à l'action. Parce qu'on comprend bien que dans ce sujet-là de délinquance, où en général le droit pénal vous remet votre responsabilité personnelle par rapport à une action que vous avez réalisée, On comprend bien que dans le terrorisme, c'est plus intelligent de ne pas attendre le résultat de l'action. Mais la difficulté du dispositif, c'est que plus vous intervenez en amont, et plus vous, policier, vous avez la charge de la preuve, de démontrer que la finalité de l'action que vous avez démantelée du réseau était bien de commettre un attentat. Et c'est là où réside toute la difficulté et l'art de ce métier. C'est d'attendre suffisamment de temps pour être sûr que lorsque vous avez démantelé le réseau, vous allez retrouver des éléments constitutifs de la préparation d'une action, notamment des produits explosifs, des retardateurs, des systèmes électriques, de la documentation, des ordres qui peuvent être donnés à certains membres du réseau, une cible identifiée. Mais si vous n'avez pas ça, ensuite vous n'avez qu'une association de malfaiteurs. Et donc, le risque, c'est de devoir remettre dehors des individus contre lesquels vous n'avez pas réussi à incriminer une charge pénale contre eux. Et donc le jeu, il est extrêmement sensible parce que vous jouez avec l'état de la menace, mais vous jouez aussi avec la volonté de pouvoir démanteler des réseaux, et si possible. de les neutraliser pour longtemps. Donc c'est là que la complexité du dispositif vient en jeu, d'où l'intérêt de partager l'information et de la mettre en relief autour d'une communauté qui travaille sur ce sujet.

  • Speaker #1

    Est-ce que, alors je dois vous poser la question, est-ce qu'il y a eu des moments où vous avez eu l'impression, où vous avez eu le sentiment d'avoir attendu trop ?

  • Speaker #0

    Non, ça jamais. En revanche, et là aussi c'est une anecdote, lors d'un remaniement ministériel en 2002-03, trois, il y a un nouveau ministre de l'Intérieur qui arrive. Et donc, comme tous les ministres intérieurs, il a une note quotidienne qui est faite par les services de renseignement et l'unité de coordination antiterroriste sur ce qu'on appelle l'état de la menace. Et à l'époque, nous avions de façon quotidienne des menaces d'attaque sur la tour Eiffel et des menaces d'attaque dans le métro parisien. Mais ça, lorsque vous travaillez sur le sujet, vous en avez un peu l'habitude et puis vous prenez une certaine distance par rapport à... cet état de la menace. Mais le nouveau ministre, il venait d'arriver. Et donc lui, il a considéré que la menace d'attaque sur le métro parisien était à prendre en compte immédiatement. Et nous avons stoppé le trafic des transports en commun parisiens pendant toute une soirée. Alors, malgré le fait qu'on avait dit que certes, il y avait des menaces quotidiennes, mais pour autant, l'état de nos informations ne permettait pas de corréler et d'affirmer le fait. que cette menace était réelle. L'effet attendu a été produit, c'est-à-dire que ça a foutu un bazar monstre dans la circulation parisienne, puisque lorsque vous arrêtez le métro, on sait aujourd'hui que ça a fait remonter à la surface immédiatement plus d'un million de personnes de façon instantanée. Et en plus de ça, vous saturez tous les réseaux de téléphone, puisque tout le monde appelle son conjoint, sa petite amie, pour lui dire qu'il va être en retard. Donc ça crée... des effets collatéraux monumentaux. Et cette erreur-là, on va dire que c'était une erreur de débutant, elle ne sera plus refaite ensuite, puisqu'en fait, ce qu'on demande à l'ensemble des responsables politiques qui sont au ministère de l'Intérieur, mais qui sont au gouvernement, c'est d'écouter les professionnels qui ont à gérer ce type de menaces.

  • Speaker #1

    Alors, je passe, parce que le temps tourne, je passe à votre nomination au RAID. La nomination au RAID, c'est en 2007 ?

  • Speaker #0

    2007. D'accord.

  • Speaker #1

    Et là encore, comment est-ce qu'on passe de l'antiterrorisme au RAID ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est question de volonté et question de chance, comme toujours. Volonté, parce que l'ensemble de votre parcours essaye de témoigner d'une envie de pouvoir prendre la tête de ce type d'unité.

  • Speaker #1

    Vous l'aviez en point de mire, pardon,

  • Speaker #0

    de vous intéresser. Je l'avais en point de mire, mais comme énormément de mes collègues, parce qu'évidemment, c'est une unité qui est assez emblématique. Et c'est là où la chance intervient, c'est qu'il faut avoir le grade, il faut avoir l'expérience, il faut avoir la reconnaissance de ses chefs pour pouvoir... être nommé, mais il faut aussi arriver à un moment donné où le poste se libère. Parce que si vous avez le grade d'ancienneté mais que le poste est pris, vous passez votre tour. Et donc je dois reconnaître que j'ai eu cette chance à ce moment donné, c'est que le poste se libérait et que j'avais l'ancienneté et la pertinence du parcours qui me permettait d'occuper ces fonctions.

  • Speaker #1

    Je fais juste une aparté. Le grade, vous pouvez nous expliquer ce que c'est que les grades de commissaire ? On commence où et on s'arrête où ?

  • Speaker #0

    Alors à l'époque, puisque là aussi ça a changé, vous aviez, en sortie d'école, vous étiez nommé commissaire de police. Puis ensuite, au bout de quelques années et en fonction des compétences que vous avez démontrées, vous étiez nommé commissaire principal. Ceux qui ont lu San Antonio se rappelleront assez facilement de ce grade-là, puisque c'était son grade dans les premiers bouquins, avant qu'il finisse commissaire divisionnaire, ce qui était mon cas. Et puis après, vous avez le grade de contrôleur général, ce que j'ai été, et puis d'inspecteur général. Donc voilà, ce sont les grades qui sont dans ce corps de commissaire.

  • Speaker #1

    Revenons au RAID. Il y a une question que j'aimerais vous poser, et c'est peut-être pour ça que vous l'aviez en point de mire d'ailleurs. Le RAID me semble être l'unité de police qui est la plus proche de l'armée. Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que je me trompe ? Est-ce que je ne me trompe pas ? Et partant de cette question, je voudrais savoir quelle est la différence de l'approche de l'ordre et de l'approche de l'usage légitime de la violence ? Entre l'armée et la police.

  • Speaker #0

    Alors vous avez parfaitement raison, c'est une unité qui tient plus des forces spéciales que de la police nationale en réalité. Pour autant, il ne faut jamais oublier ses racines, et notamment l'ADN du RAID, c'est la brigade de recherche et d'intervention de Paris. C'est en fait son ossature, sa filiation d'origine, c'est une filiation de poli judiciaire, avec la création par rangement signé en 1985. avec quelques volontaires qui venaient de la BRI, la constitution de ce qui allait être l'ossature du raid à Bièvre dans l'Essonne. C'est aujourd'hui une unité qui tient plus d'efforts spécials parce que, d'une certaine manière, les méthodes d'intervention, les matériels qui permettent de pratiquer des effractions, sont beaucoup partagés autour des autres unités, que sont les unités d'efforts spéciales, comme en eau marine par exemple, qui interviennent dans le domaine maritime, mais aussi le GIGN, qui est l'unité sœur d'une certaine manière de la gendarmerie, mais qui fait exactement le même boulot que le RAID.

  • Speaker #1

    Là encore, je dois vous interrompre. GIGN, RED, le sentiment général est que c'est une concurrence. Comment est-ce que s'organisent les territoires, pas réciproques, mais les territoires de chacun ?

  • Speaker #0

    Je ne sais pas s'il y a concurrence. Je dirais qu'il y a une saine compétition et c'est normal et c'est sain d'ailleurs, parce que ça tire les deux unités vers le haut, parce qu'elles doivent délivrer le meilleur d'elles-mêmes. Alors comment on a réparti les rôles entre ces deux unités ? C'est extrêmement simple, on a essayé de retourner à la cartographie de la compétence territoriale. La police nationale, elle est compétente pour toutes les zones de plus de 20 000 habitants. Donc ça veut dire que la police nationale a une compétence à peu près sur 20 à 25% du territoire français, mais sur lequel vous allez retrouver 80 ou 85% de la population. La gendarmerie, elle est compétente dans toutes les zones de moins de 20 000 habitants. C'est-à-dire qu'elle est compétente sur 80% du territoire, mais dans lequel vous allez avoir 20 à 25% de la population. Ensuite, il y a des particularités. Par exemple, les avions. L'avion, quand il n'est pas rattaché à un couloir fixe d'aéroport, il est de la compétence de la gendarmerie, d'où Marignane en 1994. Mais lorsqu'il est rattaché à un couloir de débarquement, il fait partie de l'aéroport, c'est la compétence de la police nationale, c'est le RAID.

  • Speaker #1

    Ça, opérationnellement, c'est des décisions qui sont prises en une seconde ou est-ce que ça génère du flottement ?

  • Speaker #0

    Alors non, ça va plus loin que ça parce qu'à chaque fois, ce sont des compétences spécifiques qui sont mises en œuvre. Pénétrer dans un avion, ça ne se fait pas comme ça, vous en avez bien conscience. Donc ça veut dire que les unités travaillent, s'exercent sur tous les dispositifs dans lesquels elles ont une compétence propre d'intervention. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, par exemple, pour les navires qui sont en mer, Si ce n'est pas les commandos marines, c'est le GIGN qui intervient. Si le bateau est au port, c'est le RAID. Ça veut dire que vous mettez en œuvre des compétences et des matériels qui sont spécifiques. Pour autant, l'ensemble de cette compétence territoriale, et donc cette compétence matérielle d'intervention, elle a été remise en cause en 2015. En 2015, c'est le Bataclan. Le Bataclan, vous avez un contrat d'intervention. qui était celui que je connaissais moi à l'époque où j'étais au RAID jusqu'en 2013, qui est « vous devez être en opération d'intervention une heure après l'alerte » . Pourquoi ? Parce que c'était comme ça et que l'ensemble du contrat d'intervention était défini comme ça. On a bien vu par la polémique qui est née autour du délai d'intervention dans le Bataclan que ce dispositif n'était plus tenable. Et c'est la raison pour laquelle la puissance publique a revu complètement. Son schéma d'intervention, en gardant la compétence territoriale que je vous ai décrite, mais en y rajoutant quelque chose d'essentiel, c'est de dire, et en cas d'urgence, et c'était le cas en 2015, puisque vous avez des terroristes qui ne vous laissent même pas le temps, d'une certaine manière, d'intervenir, un peu comme ce qu'on connaissait et ce sur quoi on s'entraînait sur les mass-murder aux États-Unis, qu'on voit dans les universités, c'est-à-dire un individu qui rentre et qui commence à tirer. Exactement le cas du Bataclan. C'est-à-dire que là, votre délai d'intervention, il n'est plus tenable dans la mesure où ça se déroule alors que vous, vous êtes en train de vous préparer. Donc on a rajouté, et en cas d'urgence, c'est n'importe quelle unité qui est en capacité d'intervenir au plus vite. Ce qui est le cas depuis 2015.

  • Speaker #1

    Revenons sur le RAID. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire ? Et d'abord, qui sont les troupes du RAID ? Qui est-ce qui constitue le RAID et comment sont-ils recrutés ?

  • Speaker #0

    Alors, ce sont des policiers uniquement. Il faut avoir... Minimum 5 ans d'ancienneté, pourquoi ? Parce que le RAID est une unité de haute intensité, et évidemment elle a énormément de moyens. Mais je ne souhaite pas, nous ne souhaitons pas, que les policiers qui rejoignent cette unité n'aient connu que cet Eldorado d'une certaine manière. Même si l'engagement qu'on leur demande, qui peut aller jusqu'au sacrifice de sa propre vie, traduit le fait que c'est normal que nous ayons énormément de moyens. Pour autant, le métier de policier... C'est surtout pas le RAID. Et ça, c'est ce que je tenais en permanence à rappeler à l'ensemble de mes collaborateurs. Il ne faut jamais oublier que nous sommes des policiers et que notre premier des boulots que nous devons au RAID, c'est l'assistance et le soutien aux autres unités de la police nationale. Donc, 5 ans d'ancienneté minimum. Ensuite, vous avez des tests de sélection. qui ne vont pas tellement différer de ceux que vous connaissez dans toutes les forces spéciales. L'idée, c'est d'essayer de fatiguer au maximum l'ensemble des candidats, de façon à faire tomber leur défense naturelle, et à partir de ce moment-là, de vraiment étudier quelle est la personnalité de l'individu qui candidate pour vous rejoindre. Est-ce que c'est quelqu'un qui va garder l'essentiel à l'esprit, ou est-ce qu'il va perdre ses moyens du fait d'avoir toutes ses défenses physiques, et notamment ses capacités physiques, qu'il ne le... qui ne le protégeront plus. C'est ce qu'on regarde en priorité. Après, vous avez un contrat opérationnel qui est de 5 ans, renouvelable 2 fois. Ça veut dire que vous pouvez faire carrière maximum au raid pendant 15 ans. C'est beaucoup. C'est beaucoup, surtout quand vous vous retrouvez derrière une porte, avec un bouclier, et dont votre boulot principal, c'est de recevoir le feu. C'est d'attirer le feu. Pour ceux qui veulent aller sur YouTube, ils verront aisément... cette doctrine mise en œuvre lors de l'attaque de l'hyper-kechère, l'assaut qui est donné, où on voit le premier opérateur du raid, une fois que le rideau métallique se lève, rentrer avec le bouclier et se déplacer sur la droite de manière à ce que Koulibaly lui tire dessus. C'est son boulot. Le boulot du premier de colonne, c'est qu'on lui tire dessus. Ça peut sembler un peu étrange, surprenant, mais c'est son métier. Et pourquoi on fait ça ? Parce que les études ont montré que chaque individu fait face à la menace immédiate à laquelle il est confronté. Et bien souvent, les preneurs d'otages, même s'ils ont une monnaie d'échange, à chaque fois que vous leur opposez une menace immédiate, ils oublient l'otage qu'ils ont et ils pensent à répondre à la menace. C'est exactement ce qu'on met en œuvre. C'est-à-dire que Koulibaly va tirer sur l'opérateur qui est rentré et ça permet, un, que l'otage... se libère et 2. que les opérateurs qui sont sur une autre colonne puissent neutraliser Colibaly.

  • Speaker #1

    Alors justement, racontez-moi, qu'est-ce que c'est les interventions du RAID ? Alors j'imagine qu'il n'y a pas une intervention typique, mais pourquoi est-ce qu'on appelle le RAID ?

  • Speaker #0

    Alors RAID, c'est la traduction, l'acronyme de l'ensemble des missions qu'il doit délivrer. C'est recherche, assistance, intervention, dissuasion. Chacun de ces acronymes correspond à un périmètre missionnel. Recherche parce que la capacité du RAID, c'est de pouvoir faire des filatures dans des milieux où il n'y a plus d'assistance naturelle. Je pense notamment à l'opération qui a été menée pour lutter contre l'assassinat du préfet Erignac, où il a fallu faire des filatures et des surveillances dans le Maquis-Corse, là où il n'y a aucune assistance possible, aucun relais téléphonique, aucune recharge de batterie. et vous mettez en place des surveillances vidéo avec des matériels que vous devez aller récupérer, remettre en charge. Ces dispositifs ou des cages dans des forêts, il n'y a que le RAID pour la police nationale qui est capable de le faire. Ensuite, l'assistance, c'est 90% des boulots du RAID. C'est à chaque fois qu'un individu est potentiellement armé, c'est le cas pour des trafics de stupéfiants, c'est le cas pour la criminalité organisée, on fait appel au RAID pour aller les neutraliser. Ce n'est pas le RAID qui fait l'enquête, mais c'est le RAID qui va les neutraliser, d'où la notion d'assistance, parce qu'ils interviennent au profit d'autres unités qui, eux, sont des unités d'investigation.

  • Speaker #1

    Quand vous dites neutraliser, ça veut dire quoi ? Ça veut dire arrêter ? Ça veut dire tuer ? Ça veut dire quoi ?

  • Speaker #0

    Arrêter. Arrêter. C'est ce qu'on appelle traditionnellement, nous, les opérations 6h du matin. On intervient en domicile des personnes qui sont potentiellement armées pour pouvoir s'assurer de leur intégrité sans avoir à commettre de dommages. sur eux-mêmes ou éventuellement sur les policiers qui interviennent. Le I, c'est pour intervention. L'intervention, ce sont les prises d'otages ou les gestions de forcenés. Il y en a en moyenne entre 9 et 10 par an. Ce n'est pas beaucoup, mais c'est là évidemment, c'est les opérations où vous prenez le plus de risques. Et notamment les gestions de forcenés. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas d'otages, parce qu'il n'y a pas d'urgence. L'opération de Mohamed Merah... D'une certaine manière, comme il n'avait pas d'otages, c'est une gestion de forcenés retranchés. Qu'on a tenté de prendre vivant, mais avec le résultat que vous connaissez, puisque quand un individu a décidé de mourir, même les Israéliens vous le disent, c'est quand même assez compliqué de l'avoir vivant. Mais pour autant, c'est une gestion de forcenés retranchés. Ce qui n'est pas le cas de l'hyper-cachère ou de Damartin-Angoël. Là, il y a des otages, et donc... En fait, ce sont les preneurs d'otages qui commandent le top de l'intervention. S'ils deviennent agressifs, sur l'ensemble des otages qu'ils ont en leur possession, vous devez intervenir. D'où la notion d'assaut d'urgence dans les prises d'otages, ou d'assaut élaboré ou planifié dans les gestions de forcenés. Mais le RAID a eu à déplorer des victimes dans son histoire depuis 1985. Pour moitié, elles ont été dues à une gestion de forcenés. Et donc c'est là où il faut faire très attention, c'est qu'un individu qui est retranché, chez lui, qui ne peut pas être menaçant pour autrui, autre que les policiers, les intervenants qui vont venir tenter de s'assurer de sa personne. Vous avez, dans votre responsabilité de chef et de commandant opérationnel, la responsabilité de prendre le maximum de précautions de façon à ce que tous vos collaborateurs, vous-même y compris, puissiez rentrer chez vous le soir, ce qui est quand même la priorité. Ce qui n'est pas le cas dans le cas de prise d'otage. Cas de prise d'otage. On est dans un assaut d'urgence, c'est-à-dire que même si on nous tire dessus, on progresse, on continue. Oui,

  • Speaker #1

    et ce sera mon avant-dernière question. J'aimerais bien que vous nous racontiez une intervention qui vous a marqué particulièrement au RAID. Pas nécessairement l'affaire Mohamed Merah dont tout le monde a beaucoup parlé, mais une autre intervention qui vous a marqué.

  • Speaker #0

    Une autre intervention qui reste un peu gravée dans ma mémoire, c'est la recherche et l'arrestation de Jean-Pierre Trébert, qui est ce charmant individu. qui avait tué la fille de Roland Giraud, qui avait été retrouvée dans un puits avec une autre jeune femme d'ailleurs, et qui s'était enfuie de son centre de détention. Il avait noué une relation amoureuse avec une personne, et il se donnait rendez-vous dans un bois en banlieue parisienne. Et c'est des surveillances et des filatures que nous avions faites, et notamment des... des caches que nous avions opérées dans les bois, on avait tenté de l'interpeller une première fois, et par une chance extraordinaire, qui ne sourit qu'au pendu, il y a eu un orage pas possible, ce qui fait que nos intensicateurs de lumière n'avaient pu être utilisés, et il avait réussi à s'échapper, et on ne l'avait interpellé que quelques semaines plus tard, en banlieue parisienne. Ça avait un peu défrayé la chronique, à notre dépend d'ailleurs, puisque le raid avait été mis en échec, mais comme d'habitude, force était restée à la loi, Et on avait réussi à la voir une ou deux semaines après. Il a été rappelé à son créateur puisqu'il a décidé de mettre fin à ses jours en prison quelques jours après son arrestation.

  • Speaker #1

    Je voudrais terminer par une question. Le milieu policier est un milieu qui est extraordinairement décrit dans la littérature et dans les films. D'ailleurs, on dit souvent que les cinéastes n'ont filmé qu'une profession au travail, c'est la profession de policier. On ne filme pas les architectes au travail, on filme assez peu les médecins au travail. ne filme pas les enseignants, etc. Ceux qui sont de loin le plus filmés, c'est les policiers. Et avec les images qui sont véhiculées par la fiction, on a souvent, on a quasiment systématiquement associé la police à une certaine forme de malheur personnel, à une certaine forme de dépression, je dirais même. Donc, ma dernière question pour vous, c'est, est-ce qu'on peut avoir une vie de flic heureux ?

  • Speaker #0

    Alors, j'espère en témoigner, mais... Là, vous faites plutôt allusion à toutes ces sériétéivisés type serpico, d'individus complètement désocialisés, qui vivent dans des taudis et qui en fait s'identifient aux malheurs quotidiens qu'ils sont amenés à fréquenter, puisque évidemment, la police vous montre la noirceur des choses, la noirceur de la nature humaine et la noirceur de la société. Mais en réalité, d'où l'intérêt, me semble-t-il, du travail d'équipe, de l'appui judiciaire, et c'est sans doute. Si vous me permettez cette remarque, la grande différence avec le système américain, où le système américain veut que vous avez un enquêteur pour une affaire. C'est typiquement ce qu'on voit du lieutenant Colombo qui mène ses investigations seul. La notion de la police judiciaire ou de la police en France est complètement différente. C'est un travail d'équipe. L'emploi judiciaire, le... Le plus petit dénominateur commun, quand j'étais abriade criminel, quand j'étais abriade estupéfiant, c'est le groupe. Et le groupe, c'est huit personnes, minimum. Ça veut dire que vous n'êtes jamais seul à prendre les décisions, vous n'êtes jamais seul à être confronté à la noirceur de la nature humaine, mais vous la partagez au quotidien. Et en fait, un peu finalement comme les médecins que vous voyez dans les salles de garde et qui décompressent. parce qu'ils ont une charge mentale assez forte qu'ils accumulent du fait de la gestion de la maladie. Le policier gère la maladie. social, il gère la maladie urbaine, il gère la misère. De la même manière, vous avez des ambiances de groupe, vous avez des ambiances d'équipe, vous avez des ambiances de brigade qui sont en fait des véritables fraternités d'armes. Un peu comme les militaires, lorsqu'ils sont en intervention, il y a des phases de décompensation qui sont très fortes et qui vous permettent d'évacuer tout ce stress. C'est important de le faire. La police, c'est des moments forts et des moments faibles. Dans ces moments faibles, vous devez resserrer les liens, éventuellement de parler, beaucoup écouter, parce qu'il y a des ressentis qui ne sont évidemment pas les mêmes. À l'occasion de la Fermera, l'ensemble des opérateurs du RAID ont été confrontés éventuellement au risque de la mort. Et bien tout le monde ne le ressent pas pareil. Il y a des debriefings qui sont prévus, ils ont été inventés pour ça. pour qu'on puisse ventiler, qu'on puisse décharger un peu la charge émotionnelle qu'on a emmagasinée. Parce que demain, une autre mission viendra, et il faudra encore compter sur la capacité de discernement de chacun. Et c'est important d'avoir ces phases de restructuration de l'ensemble des équipes pour pouvoir repartir de là.

  • Speaker #1

    Merci Amaury de Haute-Cloque.

  • Speaker #0

    Merci Romain.

Description

Dans ce nouvel épisode de Dans l’ombre, plongez dans les coulisses des unités d’élite de la police avec Amaury de Hautecloque.


Passé par la brigade criminelle, la brigade des stupéfiants et à la tête de la section antiterroriste, il a ensuite dirigé le RAID de 2007 à 2012. Un parcours hors norme au cœur des opérations les plus sensibles.


Entre filatures de grande envergure, gestion des indics et interventions sous haute tension, il partage les réalités d’un métier où la pression est permanente et où chaque décision peut être décisive. Il évoque aussi l’impact de ces missions sur la vie personnelle et l’exigence d’un engagement total.


Un témoignage captivant sur le commandement, l’adrénaline et les sacrifices du métier. À écouter absolument !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Dans l'ombre,

  • Speaker #1

    un podcast produit par We Are et Time to Sign Off. Bienvenue dans Dans l'ombre, le podcast produit par We Are et Time to Sign Off, où on reçoit ceux qui, par vocation, ne parlent jamais. Visiteurs du soir, hommes et femmes de l'ombre, agents secrets ou agents de stars, ce sont eux que nous recevons dans Dans l'ombre pour qu'ils nous expliquent leur rôle et leur méthode et qu'ils nous racontent leur histoire. Je suis Romain Dossal, fondateur de la newsletter d'information Time to Sign Off des TSO. Et ce soir, je reçois un grand flic, un homme passé par la brigade criminelle, la brigade des stups, qui a dirigé la section antiterroriste et qui fut enfin patron du RAID de 2007 à 2012. Bonsoir Amaury de Haute-Cloque.

  • Speaker #0

    Bonsoir Romain.

  • Speaker #1

    Alors, nous allons revenir sur cette carrière à la fois brillante et variée, mais je voudrais commencer par le commencement, par les origines en quelque sorte. Quand on s'appelle Haute-Cloque et qu'on est non seulement l'héritier d'une tradition aristocratique et militaire, mais qu'on est le petit neveu du maréchal Leclerc, qu'est-ce qu'on va faire dans la police ?

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qu'on va faire dans la police ? On s'y retrouve. en réalité par hasard, et le hasard fait plutôt bien les choses, puisque c'est toujours une histoire de rencontre au final, et j'étais plutôt destiné, comme vous le soulignez, pour une carrière militaire à laquelle je me destinais à l'origine, en rêvant de grands espaces autour de l'école de Saint-Cyr, que est de Kidan, et puis au final, le hasard des rencontres a fait que j'ai rencontré des policiers, des commissaires de police, et qui m'ont raconté la vie vue de l'intérieur. Alors, ce n'est pas un jeu de mots, c'est en réalité, c'est la vie de nos quartiers, de nos villes, de nos cités, mais vue du côté de la police. Et les qualités de narration de ceux que j'avais rencontrés m'avaient fait penser que l'action, l'influence sur les choses pouvait se jouer au sein de la police nationale. Et c'est le hasard de ces rencontres qui m'a fait me... me destiner ensuite sur cette carrière que je ne regrette absolument pas, bien sûr.

  • Speaker #1

    Vous avez troqué un Saint-Cyr pour un autre Saint-Cyr.

  • Speaker #0

    Absolument.

  • Speaker #1

    Vous passez une enfance parisienne, vous faites des études de droit, si je ne me trompe pas, à la faculté d'Assas. Et ensuite, vous faites votre service militaire ?

  • Speaker #0

    Alors, je fais mon service militaire dans la marine, à Lorient, dans les commandos de la marine, en 1990. Et puis, à l'issue de cette période, j'avais déjà le concours de commissaire de police en poche. Et donc j'intègre l'école de Saint-Cyr à Lyon pour deux ans, afin de sortir ensuite, en fonction de son classement, on peut choisir les filières auxquelles on peut être destiné. Moi je caressais l'espoir, mais c'était une question de classement, de sortir autour d'une filière plutôt dominante, polyjudiciaire.

  • Speaker #1

    Sors dans la botte pour avoir...

  • Speaker #0

    Alors à l'époque, il fallait sortir dans la botte, il y avait peu de postes et j'ai eu la chance de sortir troisième. Et donc j'ai pu choisir un poste en polyjudiciaire. Ce qui n'est aujourd'hui plus possible, puisqu'aujourd'hui il n'y a plus de poste d'entrée de filière directement en police judiciaire, il faut faire un passage en sécurité publique. C'est là où on apprend finalement les ficelles du métier et les contraintes surtout, la sécurité publique étant la police du quotidien. Mais à l'époque, j'avais encore cette Ausha, donc j'ai pu intégrer la police judiciaire à Paris.

  • Speaker #1

    Alors parlez-moi un peu de Saint-Cyr-aux-Mondeurs, parce que moi, je le dis très humblement, la seule connaissance que j'ai de Saint-Cyr-aux-Mondeurs, c'est un roman de San Antonio. qui s'appelle le Standage où Berurier fait un cours de maintien et de bonne manière aux élèves commissaires.

  • Speaker #0

    C'est une excellente lecture.

  • Speaker #1

    C'est très drôle, mais je ne suis pas sûr que ce soit complètement fidèle. On voit à peu près l'école de Saint-Cyr, quoi de quidant, ce qu'on fait faire aux élèves officiers. Qu'est-ce qu'on fait faire aux élèves commissaires ?

  • Speaker #0

    Les élèves commissaires, on leur apprend un métier, le métier du commandement, le métier de la responsabilité, le métier de l'engagement. Et donc, c'est deux années pleines et entières où on revoit. Ce qu'on a appris sur les bancs de la faculté, c'est-à-dire la procédure pénale, puisque ça va être finalement notre travail quotidien, mais en réalité d'une manière complètement différente, puisque c'est du droit pénal appliqué, et ce qu'on appelle la procédure policière, qui diffère assez fortement de la procédure pénale classique, puisque c'est la manière dont la police a accolté, rassemblé les preuves pour les soumettre à la justice avec les individus qui sont concernés. Donc c'est deux ans... L'année entière, une première année plutôt théorique, où on revoit l'ensemble des bases, parce que c'est un recrutement qui est sous trois modèles différents, un peu comme dans l'armée d'ailleurs. Il y a un concours dit externe, ou voire royal, c'est ceux qui arrivent directement de la faculté, ce qui était mon cas. Il y a un recrutement interne, et puis il y a un recrutement Ausha. À mon époque, c'était plutôt des toutes petites promotions, puisqu'on était une petite cinquantaine. Et cette cinquantaine se divisait grosso modo en trois parties entre le concours externe, le concours interne et le choix. Et à l'issue de la première année, il y a une année de stage qui est faite au sein des services. Et déjà avec une vision opérationnelle, et vous traversez tous les métiers que propose la police nationale, et ils sont nombreux, puisqu'il n'y a pas loin sans faux que de l'opérationnel. On peut aussi faire de l'enseignement, notamment dans les écoles de police, mais vous visitez toute la filière du renseignement, la filière de la sécurité publique, la filière de la police judiciaire, et ensuite vous exercez un choix en fonction de votre classement.

  • Speaker #1

    Et alors, vous arrivez, vous avez 23, 24 ans, vous êtes commissaire.

  • Speaker #0

    Là, c'est un peu plus vieux parce que j'avais pris mon temps.

  • Speaker #1

    D'accord, vous avez 25 ans, disons. Un peu plus vieux encore ?

  • Speaker #0

    Un peu plus vieux encore.

  • Speaker #1

    Bon, écoutez, on place ça toujours dans la vingtaine.

  • Speaker #0

    En fait, j'avais un troisième cycle de trois pénales, donc déjà cinq ans d'études. Et puis, j'ai eu une vie lycéenne un petit peu chaotique, ce qui m'a valu de finir chez Jésuite en pension. Ce qui, d'une certaine manière, a été salvateur pour moi.

  • Speaker #1

    On est plusieurs dans ce cas-là et on se retrouve autour du micro. C'est que finalement, la vie n'a pas été si vache avec vous. Absolument. Donc, vous êtes commissaire dans votre vingtaine, avec un nom qui ne passe pas inaperçu. Vous arrivez dans le 12e arrondissement. Comment ça se passe, votre embarquement dans la vie active policière à un niveau d'encadrement ?

  • Speaker #0

    Oui, moi, ce que je voulais, c'était exercer ma mission de responsabilité. Et donc, j'ai eu la chance de pouvoir prendre un commissariat de... police judiciaire qui se trouvait dans le 12e arrondissement, rue du Rendez-vous pour être exact.

  • Speaker #1

    Attendez, excusez-moi, un commissariat de police judiciaire, qu'est-ce que c'est par rapport à un commissariat de droit commun ?

  • Speaker #0

    Alors, ce qui existait auparavant, ce qui n'existe plus aujourd'hui, c'est-à-dire que Paris, la préfecture de police, avait une cartographie de découpage par quartier des commissariats de police judiciaire. Ce qui fait que vous aviez en moyenne entre deux et trois commissariats de police judiciaire par arrondissement, qui aujourd'hui n'existent plus puisque ce sont les... commissariat de sécurité publique qui enregistre les plaintes et qui font ce qu'on appelle le petit judiciaire. Mais à l'époque, il y avait, dès l'origine, des commissariats de poids judiciaire qui référaient directement à des divisions de poids judiciaire. Pardon pour ce schéma un petit peu complexe, mais il est finalement simple une fois qu'on l'a expliqué. Et ces divisions de poids judiciaire, elles traitaient tout le gros judiciaire de plusieurs arrondissements. Il y avait six divisions de poids judiciaire à Paris. Grosso modo, il y en avait trois pour la rive gauche et trois pour la rive droite. Et au-delà de ces divisions de peu judiciaire, on arrivait au quai des Orfèvres, où là, on était en brigade centrale. Et donc, la filière classique, quand vous étiez commissaire sorti d'école, c'était de commencer à faire vos preuves dans un petit commissariat de peu judiciaire. J'avais 10 enquêteurs à ma disposition. J'avais un poste radio, pas deux. Et puis, j'avais un véhicule de 150 000 kilomètres avec un pneu crevé qui m'a fallu plus de trois mois à changer, à mes frais d'ailleurs, parce que finalement... à force de demander le changement de ce pneu qui n'arrivait jamais, on l'a fait nous-mêmes. Et donc c'est une bonne école parce que d'une certaine manière ça vous apprend la vie d'un quartier, ça vous apprend à vous débrouiller avec très très peu de moyens, puisque les commissariats de police judiciaire n'étaient évidemment pas les mieux dotés, mais pour autant c'est là où vous commencez d'ores et déjà à comprendre quelles sont les contraintes de votre métier, l'engagement dans l'ensemble des collaborateurs que vous avez. Les enquêteurs qui sont un peu judiciaires dans les commissariats de quartier, vous en avez de tous âges, il y en a qui ont choisi cette voie et qui ne veulent surtout pas progresser. Et puis vous en avez des jeunes qu'il faut former et qui vont aspirer à d'autres fonctions comme vous au sein de cette filière-là.

  • Speaker #1

    D'accord, et j'ai lu dans une de vos interviews que vous disiez que dans le 12e arrondissement et dans votre fonction de commissaire, vous aviez appris à ce que c'était que la misère. Vous parlez de la misère des commissariats ou de la misère que vous fréquentez, dont vous avez... la partie délinquante qui arrive comme une écume au commissariat ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est d'une certaine manière la misère sous toutes ses formes, la misère de la fonction publique, puisque c'est là où vous mesurez le peu de moyens qui vous sont alloués, mais finalement, ça vous apprend la débrouille. Et puis aussi, la misère d'une cité. Moi, j'étais parisien d'origine, vous l'avez souligné. Ça m'a permis de voir ma ville sous une autre forme. Et en fait, tout ce qui se passe sous vos yeux, Sans que jamais, lorsque vous êtes dans une fonction ou un métier qui s'adresse à la gestion de la délinquance, vous êtes amené à voir et pourtant ça se déroule devant vous. Et en fait, le fait de passer derrière le rideau, d'une certaine manière, ça m'a permis de découvrir toute cette vie, toute cette population, cette délinquance de quartier et d'une certaine manière la misère aussi, le fait de vivre seul dans les grandes villes. Le nombre d'enquêtes pour des décès « suspects » , puisque vous avez des découvertes de corps dans des appartements, et ce sont bien souvent des personnes seules que leurs familles ne viennent plus visiter depuis des années et des années, qui parfois sont retrouvées quelques semaines, quelques mois même, après leur décès, simplement par un indice bête que nous pratiquions, qui était que les boîtes aux lettres étaient pleines et que plus personne ne venait les vider.

  • Speaker #1

    Ça vous a changé ?

  • Speaker #0

    Alors, ça marque évidemment, et puis d'une certaine manière, ça donne envie de pouvoir continuer pour essayer de tenter d'améliorer les choses. C'est ça que j'ai trouvé extrêmement séduisant dans ce métier, c'est que vous avez une réelle influence sur le quotidien, en fonction de la qualité des investissements que vous mettez. Vous savez que dans les commissariats, et chacun d'entre nous pourra le mesurer, on y va pour déposer plein de, souvent parce qu'on en a besoin pour son assurance. Mais en réalité, on se demande toujours qu'est-ce qui se passe derrière, qu'est-ce que fait vraiment la police, est-ce que les plaintes sont traditionnellement classées comme on tend à le penser, ou est-ce qu'il y a un vrai travail qui est fait ? Eh bien moi, mais comme de nombreux de mes collègues, dès qu'il y avait le moindre indice, la moindre ficelle à tirer, nous essayions de le faire avec le peu de moyens que nous avions, mais on avait des résultats qui étaient quand même assez séduisants, puisqu'on pratiquait déjà plus d'une... d'une centaine de garde à vue par an sur des faits de délinquance dits quotidiennes, c'est-à-dire les cambriolages, les petites agressions, les vols à l'arraché et tout ce qui peut se dérouler dans un quartier au quotidien.

  • Speaker #1

    Alors justement, en parlant de ces résultats ou en tout cas de leurs effets, vous êtes nommé ensuite au 36 Quai des Orfèvres, vous arrivez à la brigade criminelle si je ne m'abuse.

  • Speaker #0

    À la brigade des stupéfiants.

  • Speaker #1

    À la brigade des stupéfiants d'abord. Alors quand on est nommé au 36, j'imagine que c'est une promotion. Comment est-ce que se fait la promotion ? Comment est-ce que se fait la carrière d'un commissaire de police ? Quels sont les critères ? Comment est-ce qu'il avance et qu'est-ce qu'il peut espérer ? J'imagine qu'il n'y a pas un cas standard, mais comment est-ce que progresse un commissaire de police ?

  • Speaker #0

    Alors moi, quand j'ai embrassé ce métier, c'était d'abord par des narrations, des histoires avec des amis qui étaient déjà commissaires de police. Et évidemment, vous vous construisez mentalement un schéma de carrière professionnelle. Et dans ma tête, moi... Toutes les histoires autour du mythique 36 qu'est les Orfèvres, évidemment, m'attiraient. Ce qui m'attirait encore plus, c'était l'ambiance, l'esprit d'équipe. Ce qui est d'ailleurs à la fois une force et un piège, puisque la force, c'est que la fonction publique policière peut compter sur l'engagement de ses collaborateurs parce qu'en réalité, vous vivez une vie tellement palpitante que vous ne comptez pas vos heures. Le piège, c'est que vous avez aussi une vie privée et qu'il ne faut pas pour autant la sacrifier. et je me plais à dire que lorsque j'étais à la brigade des stupéfiants évidemment on vit au rythme des horaires de sa clientèle et donc c'est plutôt le soir, plutôt la nuit plutôt loin de ses bases de plus en plus quand on faisait des remontées de cargaison de stupéfiants qu'on appelle aujourd'hui Go Fast mais qu'à l'époque nous n'avions pas encore nommé on débutait des filatures à partir du Maroc parfois pour pouvoir remonter jusqu'en région parisienne Alors évidemment c'est palpitant, c'est une vie qui est riche en émotions, en sentiments forts et qui vous crée un esprit, une fraternité d'armes avec vos camarades. Mais pour autant, il ne faut jamais oublier que vous êtes mariés, que vous avez des enfants, que vous avez une vie personnelle et qui a été pour moi d'une certaine manière mon équilibre, qui m'a aidé à toujours me rappeler que l'essentiel, même si c'est un engagement de chaque instant, Il n'était pas là, il était aussi dans ma vie personnelle pour mes enfants.

  • Speaker #1

    Oui, alors justement, c'est une question que j'avais pour vous. Comment est-ce qu'on garde la distance nécessaire, y compris vis-à-vis de sa clientèle ? On a tous en tête l'histoire du commissaire Néret. Je sais que vous étiez un proche de Frédéric Péchenard, qui a été DGPN, directeur général de la police nationale, qui lui-même a écrit un livre qui s'appelle « Piège pour un flic » , que j'ai lu il y a quelques années, qui raconte une intox montée par des voyous pour faire tomber un commissaire en l'espèce. Comment est-ce qu'on garde la tête froide ? Et comment est-ce qu'on maintient le bon équilibre ? entre des voyous qui vont faire tout pour vous entraîner dans leur cercle et vous qui devez y pénétrer d'une certaine manière pour y faire votre boulot.

  • Speaker #0

    Oui, c'est justement, me semble-t-il, l'essence même du travail de chef, de commandant opérationnel, et notamment dans les missions de paix judiciaire comme la lutte contre les stupéfiants. C'est une lutte qui est compliquée, le trafic de stupéfiants, puisque c'est une infraction qui est par nature dissimulée. C'est-à-dire qu'en réalité, la police ne ferait rien, il n'y aurait absolument aucune influence sur une infraction qui ne se révèle que par l'efficacité de l'action policière. On entend parler tous les jours de saisie, mais en réalité on dit, écoutez, cette année on a fait X tonnes de drogue, donc ça veut dire que nous sommes bien meilleurs. Oui, encore que ça peut être aussi le trafic qui augmente et les importations. Donc en fait, c'est une infraction qu'on appelle révélée. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il faut qu'on ait des informateurs. Ces informateurs, c'est là où le danger est réel, c'est que ce sont évidemment des criminels. Et plus vous vous attaquez à des réseaux qui sont importants, plus vos informateurs... sont en général dangereux parce qu'ils ont accès à des informations sur des importations et des trafics d'envergure. Et c'est là où le rôle du commissaire, à mon sens, prenait toute sa valeur. C'est que vous devez garder en permanence, par sécurité, pour vos collaborateurs en réalité. Parce qu'eux, ils gèrent les informateurs, mais vous les gérez aussi. Et il y a des moments où le commandement, c'est aussi savoir dire non, c'est savoir renoncer. Parce que lorsque vous êtes sur un trafic de stupéfiants, que vous êtes sur un démantèlement, sur des filles... Sur des villatures, sur des surveillances, il faut savoir à un moment donné dire non, ça on ne le fera pas. D'abord parce que c'est illégal et ensuite parce qu'on prend trop de risques. Et l'importance du boulot de commissaire de police, c'est de savoir aussi protéger ses hommes. En leur disant qu'on n'a pas tout pouvoir, même si on a des relations avec le parquet qui sont en général extrêmement resserrées. Pour autant, on doit rester dans un cadre qui est légal.

  • Speaker #1

    Vous pouvez me donner un exemple de choses que vous avez refusé de faire, que vous n'avez pas autorisé ?

  • Speaker #0

    Par exemple, sur des grosses saisies. puisque évidemment les trafiquants, les informateurs ne sont pas amoureux de nous et donc on les tient que par des moyens de pression. Ces moyens de pression, c'était bien souvent la délivrance de papiers de titre de séjour, alors en général de courte durée pour pouvoir les maintenir sous pression. Mais pour autant, quand vous avez de très grosses cargaisons qui sont saisies, parfois il y avait une tendance à pouvoir séparer une partie de la cargaison et en donner un petit pourcentage. à votre informateur. Et bien ça, je me suis toujours refusé à le faire parce que c'est là où vous prenez un risque. Un risque inconsidéré pour vos collaborateurs et pour vous-même.

  • Speaker #1

    Merci de cette franchise. Des stups, vous passez à l'antiterrorisme en 2001, si je ne m'abuse. Alors déjà, comment est-ce qu'on passe des stups à l'antiterrorisme ? Et j'ai lu encore une fois dans une de vos interviews que vous disiez les stups, c'était effectivement H24 et l'antiterrorisme, ça me plaisait pas mal sur le papier parce que ça avait l'air assez paisible. Et puis j'ai vu ensuite que vous preniez vos fonctions en octobre 2001. Si je ne m'abuse, un mois après septembre 2001, j'imagine que ça n'a pas été aussi paisible que ça paraissait sur le papier. Mais dites-moi, comment est-ce qu'on passe des stups à l'antiterrorisme ?

  • Speaker #0

    C'est une anecdote assez savoureuse. Et là encore, ça rejoint d'une certaine manière la passion que m'a prise la filière policière à l'époque où j'hésitais entre le métier des armes et la fonction de commissaire de police. C'est des rencontres, et notamment Frédéric Péchenard, puisque vous l'avez cité, qui était un de mes voisins de quartier, puisqu'on habite tous les deux le 17e arrondissement, et il était patron de la brigade criminelle, et à ce titre-là, il commandait aussi la section antiterroriste de la brigade criminelle, qui a une compétence pour tout Paris et région parisienne. Il faut savoir qu'à l'époque, le terrorisme, c'était une affaire citadine, et notamment une affaire citadine, c'était une affaire parisienne. Quoi ? Parce que l'action terroriste est une action de terreur exercée contre la puissance publique, pour forcer le pouvoir politique à faire des choses qu'il ne souhaite pas faire, libérer des prisonniers politiques, etc. Et donc, évidemment, la cible c'est plutôt la capitale, pour que ça ait une résonance médiatique beaucoup plus forte. A l'époque, moi je sortais de 6 ans de la moyenne des stupéfiants, où comme je vous l'ai dit, je travaillais plutôt aux horaires de ma clientèle. Et en août 2001, le patron de la brigade criminelle, Frédéric Péchenard, vient me voir en me disant « Écoute, la session antiterroriste se libère, j'aimerais te prendre avec moi. Est-ce que tu es OK ? » D'autant qu'il ne se passe pas grand-chose, puisque c'est assez calme sur le front de l'antiterrorisme, et tu pourras reprendre une vie privée beaucoup plus stable que celle que tu as au stup. Évidemment, moi, ça m'avait largement séduit, d'abord de travailler avec Frédéric Péchenard, bien sûr, mais aussi parce que la matière m'intéressait et que le rythme était moins soutenu. Ou alors... Au final, pour moi, une expérience encore plus riche encore, la prise de poste se fait tout début octobre 2001. Et là, je m'en rappellerai toujours, si vous me permettez une petite anecdote, c'est que je descends de l'avion, je reviens de Bogota, où j'étais en mission pour un démantèlement d'une saisie de 2 tonnes de cocaïne qu'on avait fait par un avion de la famille royale d'Arabie Saoudite, quelques mois avant, qui m'avait amené jusqu'à Bogota, pour aller interpeller les... les patrons du réseau d'importation de stupéfiants. Je débarque de l'avion à Roissy le dimanche soir. Là, j'allume mon téléphone portable. Je vois que j'ai un message du patron de la brigade criminelle, Frédéric Péchenard, qui me dit que je prends le lendemain matin, donc tout début octobre, à la section antiterroriste et que je dois me trouver à Sartreville à 4h du matin pour une opération de démantèlement d'un réseau qui projetait une attaque au Stade de France. pour le matin même. Bon, l'avantage, c'est que comme j'étais en décalage horaire, c'est que ça ne m'a pas gêné, puisque du coup, je suis repassé me doucher à la maison et je suis reparti immédiatement.

  • Speaker #1

    Je suis heureux que vous ayez fait cette opération propre.

  • Speaker #0

    Alors, je me retrouvais à Sartrouville, avec des équipes que je connaissais un petit peu, parce qu'ils étaient au Quai des Orfèvres, dont on se croisait souvent. La Béry, qui était là pour nous aider pour faire les ouvertures de domicile. Et j'étais dans une affaire que je ne connaissais pas, pour un motif que j'ignorais, et dans le cadre d'une commission regatoire avec les juges antiterroristes. Et puis... On commence à ouvrir les portes d'un étage d'une barre d'immeubles à Sartreville. Et à un moment donné, le patron de la baie, il vient me voir, il me dit qu'il s'est gouré d'immeubles. Donc, ce n'est pas grave, on fait l'autre immeuble, on recasse toutes les portes et au final, on a les suspects que nous recherchons. Je rajoute immédiatement qu'on a eu zéro plainte pour les ouvertures de portes intempestives qu'on avait faites dans l'autre immeuble. C'est dire si en général, les gens ont la conscience tranquille. Voilà, mais bon, c'est une anecdote pour dire que du jour au lendemain, je me suis retrouvé plongé d'une certaine manière dans l'activité antiterroriste qui était encore plus fournie qu'à la brigade des stups depuis le 11 septembre 2001, parce que la France, qui a une communauté étrangère d'origine maghrébine la plus importante de tout l'Occident, avait évidemment tout un tas de réseaux à pouvoir démanteler en urgence du fait de la remontée de la menace qu'avait créée... l'attaque du 11 septembre.

  • Speaker #1

    Alors justement, décrivez-moi un petit peu ce qu'on fait dans une section antiterroriste. Quel est le travail et quel est l'aboutissement de ce travail ?

  • Speaker #0

    Alors c'est, contrairement à la brigade des stupéfiants, où d'une certaine manière, de l'informateur jusqu'aux surveillants, jusqu'aux interpellations, vous avez l'habitude de tout faire vous-même. Et en général, de vous débrouiller avec vos propres moyens, qui sont importants pour la brigade des stupéfiants de Paris. En revanche... La vraie culture à attraper assez rapidement lorsque vous arrivez à l'antiterrorisme, c'est de comprendre que là vous faites un sport d'équipe. Vous n'êtes pas seul, et notamment au niveau de la section antiterrorisme et la brigade criminelle, c'est que vous avez l'aspect judiciaire de toute la lutte. Mais pour autant, en amont, il y a une phase de renseignement qui est extrêmement importante. Ce renseignement, vous ne le faites pas vous-même. Vous le faites en partie par les perquisitions que vous êtes amenés à faire dans les réseaux que vous démantelez, parce que... À votre tour, vous générez du renseignement par les documents que vous saisissez, mais pour l'essentiel, c'est plutôt à l'époque la DST, donc la Direction de l'assurance du territoire, qui est devenue ensuite des CRI, puis aujourd'hui des GSI, mais qui est toujours le renseignement intérieur. Et puis il y avait aussi à la préfecture de police les renseignements généraux de l'époque qui, à leur tour aussi, travaillaient sur le renseignement et les informations qu'on pouvait déceler sur les différents réseaux. des réseaux de régions parisiennes, et il y en avait énormément. Et à chaque fois, c'est un travail d'équipe entre les renseignements généraux, la DST de l'époque, et moi-même. Je rajoute à cela, pour complexifier un peu le schéma, qu'il y avait aussi à la direction centrale de la police judiciaire. Mais il faut bien comprendre que la police nationale se divise en deux mondes. En France, vous avez la police nationale et la préfecture de police. C'est une tradition historique, la préfecture de police étant le siège des pouvoirs publics et du gouvernement. Les pouvoirs de police sont confiés à un préfet qui répond lui-même directement au ministre de l'Intérieur, au même titre que le directeur général de la police nationale répond au ministre de l'Intérieur pour tout le reste de la France. Et donc il y a deux polices, on va dire, qui ne sont pas complètement indépendantes, mais pour autant elles ont une réelle autonomie. Et vous avez, pour la préfecture de police, et je le rappelle à l'époque, c'était 95% du phénomène de lutte antiterroriste, était un phénomène. de Paris et de régions parisiennes, et puis vous aviez pour le reste de la France la sixième division centrale de l'appui judiciaire qui s'occupait de terrorisme. Et notamment sur l'affaire Kelkal, je ne sais pas si vous vous souvenez, en 1995, au moment où Rallet-Kelkal va être neutralisé par les gendarmes sur le col de Malval dans le Lyonnais, c'est puisque c'était à cet endroit-là que c'est arrivé et pas à Paris, C'est la sixième division de la direction centrale de la police judiciaire qui a mené cette enquête-là, et non pas la préfecture de police. La préfecture de police, elle, elle était chargée des attaques qui se sont déroulées dans le métro parisien et notamment son point d'orgue en juillet 1995 à la station Saint-Michel.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si vous avez perdu tous les auditeurs sur la description de ce schéma, mais j'aimerais y revenir quand même, parce que ma seule référence là-dessus, c'est le film de David Fincher qui s'appelle Zodiac, qui est un film absolument extraordinaire et qui montre... qui montre, comme souvent les films extraordinaires sur la police, qui montre le travail de police et la complexité, la complexité qui va empêcher de trouver ce serial killer, la complexité des différentes juridictions et des différents terrains pour les polices, les multiples polices locales américaines. Est-ce que vous, la complexité administrative, le millefeuille administratif qu'on voit en France dans des tas de divisions, est-ce que ça vous a empêché, est-ce que vous avez trouvé que c'était quelque chose de difficile ? Et d'incapacitant pour la police ?

  • Speaker #0

    Alors incapacitant, non. Précautionneux, oui. Parce que la tendance qu'on a lorsqu'on arrive d'autres univers de lutte contre la délinquance de droits communs, et notamment le trafic de stupéfiants, comme je vous le disais, c'est qu'on a l'habitude de se débrouiller nous-mêmes. Or là... La lutte antiterroriste, elle est conduite pour une noble cause, évidemment, c'est la protection de nos concitoyens et de la population. Pour autant, la volonté de bien faire peut être pavée de très mauvais réflexes, et notamment le premier des mauvais réflexes, c'est de dire « j'ai identifié quelqu'un, je vais le chercher » . Surtout pas. Si vous avez identifié quelqu'un, il faut absolument partager cette information, parce que vous allez peut-être tomber sur d'autres services que vous, notamment des services de renseignement, qui ont déjà été... des semaines et des semaines ou des mois d'investigation sur cet individu qui est lui-même connecté à un réseau. Et donc en fait, votre bonne volonté qui est votre réflexe de départ de dire « j'identifie une menace, j'essaie de la neutraliser au plus vite » , pas forcément. Pas forcément d'autant plus que, et c'est là où la coordination antiterroriste prend tout son relief, il y a une unité dans laquelle d'ailleurs j'ai travaillé qui porte ce nom, c'est une unité de coordination de lutte antiterroriste, parce que dans ce domaine-là plus qu'ailleurs, il faut partager le renseignement. Pourquoi ? Parce qu'il y a tellement de services qui travaillent sur ce sujet qu'il faut essayer de le mettre en relief, d'essayer de comprendre quels sont les sous-jacents. Vous avez les douanes qui génèrent du renseignement, vous avez la gendarmerie qui travaille sur le sujet, vous avez la DGSE qui vous remonte des informations de l'extérieur. Et à chaque fois, il faut corréler tout ça pour bien comprendre où est-ce que vous mettez les pieds et quelles sont les priorités que vous avez observées. Donc si vous prenez ce réflexe, vous devenez déjà, d'ores et déjà, un bon policier de lutte antiterroriste. Mais il faut l'avoir.

  • Speaker #1

    Mais est-ce qu'il y a un arbitrage qui se fait ? Par exemple, on sait que les affaires de drogue sont des affaires qui sont potentiellement connectées au terrorisme, et la réciproque est vraie, le financement des uns faisant l'efficacité des autres. Est-ce qu'il y a un arbitrage qui se fait ? On fait tomber un réseau pour les stupéfiants, ou on fait tomber un réseau, ou on essaie de remonter ce réseau vers la tête terroriste ou l'exécution terroriste qu'il a ? Comment se font ces arbitrages ?

  • Speaker #0

    Là, vous parlez d'un phénomène qui est apparu il y a une petite dizaine d'années, qui n'existait pas à mon époque, c'est-à-dire que ceux qui luttaient contre les stupéfiants généraient des produits financiers pour leur usage personnel. Les connexions entre l'action terroriste et la délinquance de droit commun n'étaient pas encore complètement établies. On commençait à le voir au travers du trafic de contrefaçon. La contrefaçon... commençait à générer des produits financiers pour la lutte pour les réseaux terroristes. Pour autant, le trafic de stupéfiants, ce n'était pas le cas. Ça l'est aujourd'hui, vous avez raison. Alors, comment ça s'arbitre ? En réalité, c'est d'abord par rapport à un état de la menace qui est fait, et en fonction de l'état de la menace, mais là aussi, c'est toujours fluctuant, c'est par rapport aux informations que vous avez pu glaner, et de l'état de préparation du réseau sur lequel vous travaillez. Nous avons une chance. inouï en France, c'est que depuis 1986, la législation a été adaptée et on a créé l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Qu'est-ce que c'est que ce machin ? Ça permet de démanteler un réseau de terroristes avant qu'ils passent à l'action. Parce qu'on comprend bien que dans ce sujet-là de délinquance, où en général le droit pénal vous remet votre responsabilité personnelle par rapport à une action que vous avez réalisée, On comprend bien que dans le terrorisme, c'est plus intelligent de ne pas attendre le résultat de l'action. Mais la difficulté du dispositif, c'est que plus vous intervenez en amont, et plus vous, policier, vous avez la charge de la preuve, de démontrer que la finalité de l'action que vous avez démantelée du réseau était bien de commettre un attentat. Et c'est là où réside toute la difficulté et l'art de ce métier. C'est d'attendre suffisamment de temps pour être sûr que lorsque vous avez démantelé le réseau, vous allez retrouver des éléments constitutifs de la préparation d'une action, notamment des produits explosifs, des retardateurs, des systèmes électriques, de la documentation, des ordres qui peuvent être donnés à certains membres du réseau, une cible identifiée. Mais si vous n'avez pas ça, ensuite vous n'avez qu'une association de malfaiteurs. Et donc, le risque, c'est de devoir remettre dehors des individus contre lesquels vous n'avez pas réussi à incriminer une charge pénale contre eux. Et donc le jeu, il est extrêmement sensible parce que vous jouez avec l'état de la menace, mais vous jouez aussi avec la volonté de pouvoir démanteler des réseaux, et si possible. de les neutraliser pour longtemps. Donc c'est là que la complexité du dispositif vient en jeu, d'où l'intérêt de partager l'information et de la mettre en relief autour d'une communauté qui travaille sur ce sujet.

  • Speaker #1

    Est-ce que, alors je dois vous poser la question, est-ce qu'il y a eu des moments où vous avez eu l'impression, où vous avez eu le sentiment d'avoir attendu trop ?

  • Speaker #0

    Non, ça jamais. En revanche, et là aussi c'est une anecdote, lors d'un remaniement ministériel en 2002-03, trois, il y a un nouveau ministre de l'Intérieur qui arrive. Et donc, comme tous les ministres intérieurs, il a une note quotidienne qui est faite par les services de renseignement et l'unité de coordination antiterroriste sur ce qu'on appelle l'état de la menace. Et à l'époque, nous avions de façon quotidienne des menaces d'attaque sur la tour Eiffel et des menaces d'attaque dans le métro parisien. Mais ça, lorsque vous travaillez sur le sujet, vous en avez un peu l'habitude et puis vous prenez une certaine distance par rapport à... cet état de la menace. Mais le nouveau ministre, il venait d'arriver. Et donc lui, il a considéré que la menace d'attaque sur le métro parisien était à prendre en compte immédiatement. Et nous avons stoppé le trafic des transports en commun parisiens pendant toute une soirée. Alors, malgré le fait qu'on avait dit que certes, il y avait des menaces quotidiennes, mais pour autant, l'état de nos informations ne permettait pas de corréler et d'affirmer le fait. que cette menace était réelle. L'effet attendu a été produit, c'est-à-dire que ça a foutu un bazar monstre dans la circulation parisienne, puisque lorsque vous arrêtez le métro, on sait aujourd'hui que ça a fait remonter à la surface immédiatement plus d'un million de personnes de façon instantanée. Et en plus de ça, vous saturez tous les réseaux de téléphone, puisque tout le monde appelle son conjoint, sa petite amie, pour lui dire qu'il va être en retard. Donc ça crée... des effets collatéraux monumentaux. Et cette erreur-là, on va dire que c'était une erreur de débutant, elle ne sera plus refaite ensuite, puisqu'en fait, ce qu'on demande à l'ensemble des responsables politiques qui sont au ministère de l'Intérieur, mais qui sont au gouvernement, c'est d'écouter les professionnels qui ont à gérer ce type de menaces.

  • Speaker #1

    Alors, je passe, parce que le temps tourne, je passe à votre nomination au RAID. La nomination au RAID, c'est en 2007 ?

  • Speaker #0

    2007. D'accord.

  • Speaker #1

    Et là encore, comment est-ce qu'on passe de l'antiterrorisme au RAID ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est question de volonté et question de chance, comme toujours. Volonté, parce que l'ensemble de votre parcours essaye de témoigner d'une envie de pouvoir prendre la tête de ce type d'unité.

  • Speaker #1

    Vous l'aviez en point de mire, pardon,

  • Speaker #0

    de vous intéresser. Je l'avais en point de mire, mais comme énormément de mes collègues, parce qu'évidemment, c'est une unité qui est assez emblématique. Et c'est là où la chance intervient, c'est qu'il faut avoir le grade, il faut avoir l'expérience, il faut avoir la reconnaissance de ses chefs pour pouvoir... être nommé, mais il faut aussi arriver à un moment donné où le poste se libère. Parce que si vous avez le grade d'ancienneté mais que le poste est pris, vous passez votre tour. Et donc je dois reconnaître que j'ai eu cette chance à ce moment donné, c'est que le poste se libérait et que j'avais l'ancienneté et la pertinence du parcours qui me permettait d'occuper ces fonctions.

  • Speaker #1

    Je fais juste une aparté. Le grade, vous pouvez nous expliquer ce que c'est que les grades de commissaire ? On commence où et on s'arrête où ?

  • Speaker #0

    Alors à l'époque, puisque là aussi ça a changé, vous aviez, en sortie d'école, vous étiez nommé commissaire de police. Puis ensuite, au bout de quelques années et en fonction des compétences que vous avez démontrées, vous étiez nommé commissaire principal. Ceux qui ont lu San Antonio se rappelleront assez facilement de ce grade-là, puisque c'était son grade dans les premiers bouquins, avant qu'il finisse commissaire divisionnaire, ce qui était mon cas. Et puis après, vous avez le grade de contrôleur général, ce que j'ai été, et puis d'inspecteur général. Donc voilà, ce sont les grades qui sont dans ce corps de commissaire.

  • Speaker #1

    Revenons au RAID. Il y a une question que j'aimerais vous poser, et c'est peut-être pour ça que vous l'aviez en point de mire d'ailleurs. Le RAID me semble être l'unité de police qui est la plus proche de l'armée. Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que je me trompe ? Est-ce que je ne me trompe pas ? Et partant de cette question, je voudrais savoir quelle est la différence de l'approche de l'ordre et de l'approche de l'usage légitime de la violence ? Entre l'armée et la police.

  • Speaker #0

    Alors vous avez parfaitement raison, c'est une unité qui tient plus des forces spéciales que de la police nationale en réalité. Pour autant, il ne faut jamais oublier ses racines, et notamment l'ADN du RAID, c'est la brigade de recherche et d'intervention de Paris. C'est en fait son ossature, sa filiation d'origine, c'est une filiation de poli judiciaire, avec la création par rangement signé en 1985. avec quelques volontaires qui venaient de la BRI, la constitution de ce qui allait être l'ossature du raid à Bièvre dans l'Essonne. C'est aujourd'hui une unité qui tient plus d'efforts spécials parce que, d'une certaine manière, les méthodes d'intervention, les matériels qui permettent de pratiquer des effractions, sont beaucoup partagés autour des autres unités, que sont les unités d'efforts spéciales, comme en eau marine par exemple, qui interviennent dans le domaine maritime, mais aussi le GIGN, qui est l'unité sœur d'une certaine manière de la gendarmerie, mais qui fait exactement le même boulot que le RAID.

  • Speaker #1

    Là encore, je dois vous interrompre. GIGN, RED, le sentiment général est que c'est une concurrence. Comment est-ce que s'organisent les territoires, pas réciproques, mais les territoires de chacun ?

  • Speaker #0

    Je ne sais pas s'il y a concurrence. Je dirais qu'il y a une saine compétition et c'est normal et c'est sain d'ailleurs, parce que ça tire les deux unités vers le haut, parce qu'elles doivent délivrer le meilleur d'elles-mêmes. Alors comment on a réparti les rôles entre ces deux unités ? C'est extrêmement simple, on a essayé de retourner à la cartographie de la compétence territoriale. La police nationale, elle est compétente pour toutes les zones de plus de 20 000 habitants. Donc ça veut dire que la police nationale a une compétence à peu près sur 20 à 25% du territoire français, mais sur lequel vous allez retrouver 80 ou 85% de la population. La gendarmerie, elle est compétente dans toutes les zones de moins de 20 000 habitants. C'est-à-dire qu'elle est compétente sur 80% du territoire, mais dans lequel vous allez avoir 20 à 25% de la population. Ensuite, il y a des particularités. Par exemple, les avions. L'avion, quand il n'est pas rattaché à un couloir fixe d'aéroport, il est de la compétence de la gendarmerie, d'où Marignane en 1994. Mais lorsqu'il est rattaché à un couloir de débarquement, il fait partie de l'aéroport, c'est la compétence de la police nationale, c'est le RAID.

  • Speaker #1

    Ça, opérationnellement, c'est des décisions qui sont prises en une seconde ou est-ce que ça génère du flottement ?

  • Speaker #0

    Alors non, ça va plus loin que ça parce qu'à chaque fois, ce sont des compétences spécifiques qui sont mises en œuvre. Pénétrer dans un avion, ça ne se fait pas comme ça, vous en avez bien conscience. Donc ça veut dire que les unités travaillent, s'exercent sur tous les dispositifs dans lesquels elles ont une compétence propre d'intervention. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, par exemple, pour les navires qui sont en mer, Si ce n'est pas les commandos marines, c'est le GIGN qui intervient. Si le bateau est au port, c'est le RAID. Ça veut dire que vous mettez en œuvre des compétences et des matériels qui sont spécifiques. Pour autant, l'ensemble de cette compétence territoriale, et donc cette compétence matérielle d'intervention, elle a été remise en cause en 2015. En 2015, c'est le Bataclan. Le Bataclan, vous avez un contrat d'intervention. qui était celui que je connaissais moi à l'époque où j'étais au RAID jusqu'en 2013, qui est « vous devez être en opération d'intervention une heure après l'alerte » . Pourquoi ? Parce que c'était comme ça et que l'ensemble du contrat d'intervention était défini comme ça. On a bien vu par la polémique qui est née autour du délai d'intervention dans le Bataclan que ce dispositif n'était plus tenable. Et c'est la raison pour laquelle la puissance publique a revu complètement. Son schéma d'intervention, en gardant la compétence territoriale que je vous ai décrite, mais en y rajoutant quelque chose d'essentiel, c'est de dire, et en cas d'urgence, et c'était le cas en 2015, puisque vous avez des terroristes qui ne vous laissent même pas le temps, d'une certaine manière, d'intervenir, un peu comme ce qu'on connaissait et ce sur quoi on s'entraînait sur les mass-murder aux États-Unis, qu'on voit dans les universités, c'est-à-dire un individu qui rentre et qui commence à tirer. Exactement le cas du Bataclan. C'est-à-dire que là, votre délai d'intervention, il n'est plus tenable dans la mesure où ça se déroule alors que vous, vous êtes en train de vous préparer. Donc on a rajouté, et en cas d'urgence, c'est n'importe quelle unité qui est en capacité d'intervenir au plus vite. Ce qui est le cas depuis 2015.

  • Speaker #1

    Revenons sur le RAID. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire ? Et d'abord, qui sont les troupes du RAID ? Qui est-ce qui constitue le RAID et comment sont-ils recrutés ?

  • Speaker #0

    Alors, ce sont des policiers uniquement. Il faut avoir... Minimum 5 ans d'ancienneté, pourquoi ? Parce que le RAID est une unité de haute intensité, et évidemment elle a énormément de moyens. Mais je ne souhaite pas, nous ne souhaitons pas, que les policiers qui rejoignent cette unité n'aient connu que cet Eldorado d'une certaine manière. Même si l'engagement qu'on leur demande, qui peut aller jusqu'au sacrifice de sa propre vie, traduit le fait que c'est normal que nous ayons énormément de moyens. Pour autant, le métier de policier... C'est surtout pas le RAID. Et ça, c'est ce que je tenais en permanence à rappeler à l'ensemble de mes collaborateurs. Il ne faut jamais oublier que nous sommes des policiers et que notre premier des boulots que nous devons au RAID, c'est l'assistance et le soutien aux autres unités de la police nationale. Donc, 5 ans d'ancienneté minimum. Ensuite, vous avez des tests de sélection. qui ne vont pas tellement différer de ceux que vous connaissez dans toutes les forces spéciales. L'idée, c'est d'essayer de fatiguer au maximum l'ensemble des candidats, de façon à faire tomber leur défense naturelle, et à partir de ce moment-là, de vraiment étudier quelle est la personnalité de l'individu qui candidate pour vous rejoindre. Est-ce que c'est quelqu'un qui va garder l'essentiel à l'esprit, ou est-ce qu'il va perdre ses moyens du fait d'avoir toutes ses défenses physiques, et notamment ses capacités physiques, qu'il ne le... qui ne le protégeront plus. C'est ce qu'on regarde en priorité. Après, vous avez un contrat opérationnel qui est de 5 ans, renouvelable 2 fois. Ça veut dire que vous pouvez faire carrière maximum au raid pendant 15 ans. C'est beaucoup. C'est beaucoup, surtout quand vous vous retrouvez derrière une porte, avec un bouclier, et dont votre boulot principal, c'est de recevoir le feu. C'est d'attirer le feu. Pour ceux qui veulent aller sur YouTube, ils verront aisément... cette doctrine mise en œuvre lors de l'attaque de l'hyper-kechère, l'assaut qui est donné, où on voit le premier opérateur du raid, une fois que le rideau métallique se lève, rentrer avec le bouclier et se déplacer sur la droite de manière à ce que Koulibaly lui tire dessus. C'est son boulot. Le boulot du premier de colonne, c'est qu'on lui tire dessus. Ça peut sembler un peu étrange, surprenant, mais c'est son métier. Et pourquoi on fait ça ? Parce que les études ont montré que chaque individu fait face à la menace immédiate à laquelle il est confronté. Et bien souvent, les preneurs d'otages, même s'ils ont une monnaie d'échange, à chaque fois que vous leur opposez une menace immédiate, ils oublient l'otage qu'ils ont et ils pensent à répondre à la menace. C'est exactement ce qu'on met en œuvre. C'est-à-dire que Koulibaly va tirer sur l'opérateur qui est rentré et ça permet, un, que l'otage... se libère et 2. que les opérateurs qui sont sur une autre colonne puissent neutraliser Colibaly.

  • Speaker #1

    Alors justement, racontez-moi, qu'est-ce que c'est les interventions du RAID ? Alors j'imagine qu'il n'y a pas une intervention typique, mais pourquoi est-ce qu'on appelle le RAID ?

  • Speaker #0

    Alors RAID, c'est la traduction, l'acronyme de l'ensemble des missions qu'il doit délivrer. C'est recherche, assistance, intervention, dissuasion. Chacun de ces acronymes correspond à un périmètre missionnel. Recherche parce que la capacité du RAID, c'est de pouvoir faire des filatures dans des milieux où il n'y a plus d'assistance naturelle. Je pense notamment à l'opération qui a été menée pour lutter contre l'assassinat du préfet Erignac, où il a fallu faire des filatures et des surveillances dans le Maquis-Corse, là où il n'y a aucune assistance possible, aucun relais téléphonique, aucune recharge de batterie. et vous mettez en place des surveillances vidéo avec des matériels que vous devez aller récupérer, remettre en charge. Ces dispositifs ou des cages dans des forêts, il n'y a que le RAID pour la police nationale qui est capable de le faire. Ensuite, l'assistance, c'est 90% des boulots du RAID. C'est à chaque fois qu'un individu est potentiellement armé, c'est le cas pour des trafics de stupéfiants, c'est le cas pour la criminalité organisée, on fait appel au RAID pour aller les neutraliser. Ce n'est pas le RAID qui fait l'enquête, mais c'est le RAID qui va les neutraliser, d'où la notion d'assistance, parce qu'ils interviennent au profit d'autres unités qui, eux, sont des unités d'investigation.

  • Speaker #1

    Quand vous dites neutraliser, ça veut dire quoi ? Ça veut dire arrêter ? Ça veut dire tuer ? Ça veut dire quoi ?

  • Speaker #0

    Arrêter. Arrêter. C'est ce qu'on appelle traditionnellement, nous, les opérations 6h du matin. On intervient en domicile des personnes qui sont potentiellement armées pour pouvoir s'assurer de leur intégrité sans avoir à commettre de dommages. sur eux-mêmes ou éventuellement sur les policiers qui interviennent. Le I, c'est pour intervention. L'intervention, ce sont les prises d'otages ou les gestions de forcenés. Il y en a en moyenne entre 9 et 10 par an. Ce n'est pas beaucoup, mais c'est là évidemment, c'est les opérations où vous prenez le plus de risques. Et notamment les gestions de forcenés. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas d'otages, parce qu'il n'y a pas d'urgence. L'opération de Mohamed Merah... D'une certaine manière, comme il n'avait pas d'otages, c'est une gestion de forcenés retranchés. Qu'on a tenté de prendre vivant, mais avec le résultat que vous connaissez, puisque quand un individu a décidé de mourir, même les Israéliens vous le disent, c'est quand même assez compliqué de l'avoir vivant. Mais pour autant, c'est une gestion de forcenés retranchés. Ce qui n'est pas le cas de l'hyper-cachère ou de Damartin-Angoël. Là, il y a des otages, et donc... En fait, ce sont les preneurs d'otages qui commandent le top de l'intervention. S'ils deviennent agressifs, sur l'ensemble des otages qu'ils ont en leur possession, vous devez intervenir. D'où la notion d'assaut d'urgence dans les prises d'otages, ou d'assaut élaboré ou planifié dans les gestions de forcenés. Mais le RAID a eu à déplorer des victimes dans son histoire depuis 1985. Pour moitié, elles ont été dues à une gestion de forcenés. Et donc c'est là où il faut faire très attention, c'est qu'un individu qui est retranché, chez lui, qui ne peut pas être menaçant pour autrui, autre que les policiers, les intervenants qui vont venir tenter de s'assurer de sa personne. Vous avez, dans votre responsabilité de chef et de commandant opérationnel, la responsabilité de prendre le maximum de précautions de façon à ce que tous vos collaborateurs, vous-même y compris, puissiez rentrer chez vous le soir, ce qui est quand même la priorité. Ce qui n'est pas le cas dans le cas de prise d'otage. Cas de prise d'otage. On est dans un assaut d'urgence, c'est-à-dire que même si on nous tire dessus, on progresse, on continue. Oui,

  • Speaker #1

    et ce sera mon avant-dernière question. J'aimerais bien que vous nous racontiez une intervention qui vous a marqué particulièrement au RAID. Pas nécessairement l'affaire Mohamed Merah dont tout le monde a beaucoup parlé, mais une autre intervention qui vous a marqué.

  • Speaker #0

    Une autre intervention qui reste un peu gravée dans ma mémoire, c'est la recherche et l'arrestation de Jean-Pierre Trébert, qui est ce charmant individu. qui avait tué la fille de Roland Giraud, qui avait été retrouvée dans un puits avec une autre jeune femme d'ailleurs, et qui s'était enfuie de son centre de détention. Il avait noué une relation amoureuse avec une personne, et il se donnait rendez-vous dans un bois en banlieue parisienne. Et c'est des surveillances et des filatures que nous avions faites, et notamment des... des caches que nous avions opérées dans les bois, on avait tenté de l'interpeller une première fois, et par une chance extraordinaire, qui ne sourit qu'au pendu, il y a eu un orage pas possible, ce qui fait que nos intensicateurs de lumière n'avaient pu être utilisés, et il avait réussi à s'échapper, et on ne l'avait interpellé que quelques semaines plus tard, en banlieue parisienne. Ça avait un peu défrayé la chronique, à notre dépend d'ailleurs, puisque le raid avait été mis en échec, mais comme d'habitude, force était restée à la loi, Et on avait réussi à la voir une ou deux semaines après. Il a été rappelé à son créateur puisqu'il a décidé de mettre fin à ses jours en prison quelques jours après son arrestation.

  • Speaker #1

    Je voudrais terminer par une question. Le milieu policier est un milieu qui est extraordinairement décrit dans la littérature et dans les films. D'ailleurs, on dit souvent que les cinéastes n'ont filmé qu'une profession au travail, c'est la profession de policier. On ne filme pas les architectes au travail, on filme assez peu les médecins au travail. ne filme pas les enseignants, etc. Ceux qui sont de loin le plus filmés, c'est les policiers. Et avec les images qui sont véhiculées par la fiction, on a souvent, on a quasiment systématiquement associé la police à une certaine forme de malheur personnel, à une certaine forme de dépression, je dirais même. Donc, ma dernière question pour vous, c'est, est-ce qu'on peut avoir une vie de flic heureux ?

  • Speaker #0

    Alors, j'espère en témoigner, mais... Là, vous faites plutôt allusion à toutes ces sériétéivisés type serpico, d'individus complètement désocialisés, qui vivent dans des taudis et qui en fait s'identifient aux malheurs quotidiens qu'ils sont amenés à fréquenter, puisque évidemment, la police vous montre la noirceur des choses, la noirceur de la nature humaine et la noirceur de la société. Mais en réalité, d'où l'intérêt, me semble-t-il, du travail d'équipe, de l'appui judiciaire, et c'est sans doute. Si vous me permettez cette remarque, la grande différence avec le système américain, où le système américain veut que vous avez un enquêteur pour une affaire. C'est typiquement ce qu'on voit du lieutenant Colombo qui mène ses investigations seul. La notion de la police judiciaire ou de la police en France est complètement différente. C'est un travail d'équipe. L'emploi judiciaire, le... Le plus petit dénominateur commun, quand j'étais abriade criminel, quand j'étais abriade estupéfiant, c'est le groupe. Et le groupe, c'est huit personnes, minimum. Ça veut dire que vous n'êtes jamais seul à prendre les décisions, vous n'êtes jamais seul à être confronté à la noirceur de la nature humaine, mais vous la partagez au quotidien. Et en fait, un peu finalement comme les médecins que vous voyez dans les salles de garde et qui décompressent. parce qu'ils ont une charge mentale assez forte qu'ils accumulent du fait de la gestion de la maladie. Le policier gère la maladie. social, il gère la maladie urbaine, il gère la misère. De la même manière, vous avez des ambiances de groupe, vous avez des ambiances d'équipe, vous avez des ambiances de brigade qui sont en fait des véritables fraternités d'armes. Un peu comme les militaires, lorsqu'ils sont en intervention, il y a des phases de décompensation qui sont très fortes et qui vous permettent d'évacuer tout ce stress. C'est important de le faire. La police, c'est des moments forts et des moments faibles. Dans ces moments faibles, vous devez resserrer les liens, éventuellement de parler, beaucoup écouter, parce qu'il y a des ressentis qui ne sont évidemment pas les mêmes. À l'occasion de la Fermera, l'ensemble des opérateurs du RAID ont été confrontés éventuellement au risque de la mort. Et bien tout le monde ne le ressent pas pareil. Il y a des debriefings qui sont prévus, ils ont été inventés pour ça. pour qu'on puisse ventiler, qu'on puisse décharger un peu la charge émotionnelle qu'on a emmagasinée. Parce que demain, une autre mission viendra, et il faudra encore compter sur la capacité de discernement de chacun. Et c'est important d'avoir ces phases de restructuration de l'ensemble des équipes pour pouvoir repartir de là.

  • Speaker #1

    Merci Amaury de Haute-Cloque.

  • Speaker #0

    Merci Romain.

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Description

Dans ce nouvel épisode de Dans l’ombre, plongez dans les coulisses des unités d’élite de la police avec Amaury de Hautecloque.


Passé par la brigade criminelle, la brigade des stupéfiants et à la tête de la section antiterroriste, il a ensuite dirigé le RAID de 2007 à 2012. Un parcours hors norme au cœur des opérations les plus sensibles.


Entre filatures de grande envergure, gestion des indics et interventions sous haute tension, il partage les réalités d’un métier où la pression est permanente et où chaque décision peut être décisive. Il évoque aussi l’impact de ces missions sur la vie personnelle et l’exigence d’un engagement total.


Un témoignage captivant sur le commandement, l’adrénaline et les sacrifices du métier. À écouter absolument !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Dans l'ombre,

  • Speaker #1

    un podcast produit par We Are et Time to Sign Off. Bienvenue dans Dans l'ombre, le podcast produit par We Are et Time to Sign Off, où on reçoit ceux qui, par vocation, ne parlent jamais. Visiteurs du soir, hommes et femmes de l'ombre, agents secrets ou agents de stars, ce sont eux que nous recevons dans Dans l'ombre pour qu'ils nous expliquent leur rôle et leur méthode et qu'ils nous racontent leur histoire. Je suis Romain Dossal, fondateur de la newsletter d'information Time to Sign Off des TSO. Et ce soir, je reçois un grand flic, un homme passé par la brigade criminelle, la brigade des stups, qui a dirigé la section antiterroriste et qui fut enfin patron du RAID de 2007 à 2012. Bonsoir Amaury de Haute-Cloque.

  • Speaker #0

    Bonsoir Romain.

  • Speaker #1

    Alors, nous allons revenir sur cette carrière à la fois brillante et variée, mais je voudrais commencer par le commencement, par les origines en quelque sorte. Quand on s'appelle Haute-Cloque et qu'on est non seulement l'héritier d'une tradition aristocratique et militaire, mais qu'on est le petit neveu du maréchal Leclerc, qu'est-ce qu'on va faire dans la police ?

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qu'on va faire dans la police ? On s'y retrouve. en réalité par hasard, et le hasard fait plutôt bien les choses, puisque c'est toujours une histoire de rencontre au final, et j'étais plutôt destiné, comme vous le soulignez, pour une carrière militaire à laquelle je me destinais à l'origine, en rêvant de grands espaces autour de l'école de Saint-Cyr, que est de Kidan, et puis au final, le hasard des rencontres a fait que j'ai rencontré des policiers, des commissaires de police, et qui m'ont raconté la vie vue de l'intérieur. Alors, ce n'est pas un jeu de mots, c'est en réalité, c'est la vie de nos quartiers, de nos villes, de nos cités, mais vue du côté de la police. Et les qualités de narration de ceux que j'avais rencontrés m'avaient fait penser que l'action, l'influence sur les choses pouvait se jouer au sein de la police nationale. Et c'est le hasard de ces rencontres qui m'a fait me... me destiner ensuite sur cette carrière que je ne regrette absolument pas, bien sûr.

  • Speaker #1

    Vous avez troqué un Saint-Cyr pour un autre Saint-Cyr.

  • Speaker #0

    Absolument.

  • Speaker #1

    Vous passez une enfance parisienne, vous faites des études de droit, si je ne me trompe pas, à la faculté d'Assas. Et ensuite, vous faites votre service militaire ?

  • Speaker #0

    Alors, je fais mon service militaire dans la marine, à Lorient, dans les commandos de la marine, en 1990. Et puis, à l'issue de cette période, j'avais déjà le concours de commissaire de police en poche. Et donc j'intègre l'école de Saint-Cyr à Lyon pour deux ans, afin de sortir ensuite, en fonction de son classement, on peut choisir les filières auxquelles on peut être destiné. Moi je caressais l'espoir, mais c'était une question de classement, de sortir autour d'une filière plutôt dominante, polyjudiciaire.

  • Speaker #1

    Sors dans la botte pour avoir...

  • Speaker #0

    Alors à l'époque, il fallait sortir dans la botte, il y avait peu de postes et j'ai eu la chance de sortir troisième. Et donc j'ai pu choisir un poste en polyjudiciaire. Ce qui n'est aujourd'hui plus possible, puisqu'aujourd'hui il n'y a plus de poste d'entrée de filière directement en police judiciaire, il faut faire un passage en sécurité publique. C'est là où on apprend finalement les ficelles du métier et les contraintes surtout, la sécurité publique étant la police du quotidien. Mais à l'époque, j'avais encore cette Ausha, donc j'ai pu intégrer la police judiciaire à Paris.

  • Speaker #1

    Alors parlez-moi un peu de Saint-Cyr-aux-Mondeurs, parce que moi, je le dis très humblement, la seule connaissance que j'ai de Saint-Cyr-aux-Mondeurs, c'est un roman de San Antonio. qui s'appelle le Standage où Berurier fait un cours de maintien et de bonne manière aux élèves commissaires.

  • Speaker #0

    C'est une excellente lecture.

  • Speaker #1

    C'est très drôle, mais je ne suis pas sûr que ce soit complètement fidèle. On voit à peu près l'école de Saint-Cyr, quoi de quidant, ce qu'on fait faire aux élèves officiers. Qu'est-ce qu'on fait faire aux élèves commissaires ?

  • Speaker #0

    Les élèves commissaires, on leur apprend un métier, le métier du commandement, le métier de la responsabilité, le métier de l'engagement. Et donc, c'est deux années pleines et entières où on revoit. Ce qu'on a appris sur les bancs de la faculté, c'est-à-dire la procédure pénale, puisque ça va être finalement notre travail quotidien, mais en réalité d'une manière complètement différente, puisque c'est du droit pénal appliqué, et ce qu'on appelle la procédure policière, qui diffère assez fortement de la procédure pénale classique, puisque c'est la manière dont la police a accolté, rassemblé les preuves pour les soumettre à la justice avec les individus qui sont concernés. Donc c'est deux ans... L'année entière, une première année plutôt théorique, où on revoit l'ensemble des bases, parce que c'est un recrutement qui est sous trois modèles différents, un peu comme dans l'armée d'ailleurs. Il y a un concours dit externe, ou voire royal, c'est ceux qui arrivent directement de la faculté, ce qui était mon cas. Il y a un recrutement interne, et puis il y a un recrutement Ausha. À mon époque, c'était plutôt des toutes petites promotions, puisqu'on était une petite cinquantaine. Et cette cinquantaine se divisait grosso modo en trois parties entre le concours externe, le concours interne et le choix. Et à l'issue de la première année, il y a une année de stage qui est faite au sein des services. Et déjà avec une vision opérationnelle, et vous traversez tous les métiers que propose la police nationale, et ils sont nombreux, puisqu'il n'y a pas loin sans faux que de l'opérationnel. On peut aussi faire de l'enseignement, notamment dans les écoles de police, mais vous visitez toute la filière du renseignement, la filière de la sécurité publique, la filière de la police judiciaire, et ensuite vous exercez un choix en fonction de votre classement.

  • Speaker #1

    Et alors, vous arrivez, vous avez 23, 24 ans, vous êtes commissaire.

  • Speaker #0

    Là, c'est un peu plus vieux parce que j'avais pris mon temps.

  • Speaker #1

    D'accord, vous avez 25 ans, disons. Un peu plus vieux encore ?

  • Speaker #0

    Un peu plus vieux encore.

  • Speaker #1

    Bon, écoutez, on place ça toujours dans la vingtaine.

  • Speaker #0

    En fait, j'avais un troisième cycle de trois pénales, donc déjà cinq ans d'études. Et puis, j'ai eu une vie lycéenne un petit peu chaotique, ce qui m'a valu de finir chez Jésuite en pension. Ce qui, d'une certaine manière, a été salvateur pour moi.

  • Speaker #1

    On est plusieurs dans ce cas-là et on se retrouve autour du micro. C'est que finalement, la vie n'a pas été si vache avec vous. Absolument. Donc, vous êtes commissaire dans votre vingtaine, avec un nom qui ne passe pas inaperçu. Vous arrivez dans le 12e arrondissement. Comment ça se passe, votre embarquement dans la vie active policière à un niveau d'encadrement ?

  • Speaker #0

    Oui, moi, ce que je voulais, c'était exercer ma mission de responsabilité. Et donc, j'ai eu la chance de pouvoir prendre un commissariat de... police judiciaire qui se trouvait dans le 12e arrondissement, rue du Rendez-vous pour être exact.

  • Speaker #1

    Attendez, excusez-moi, un commissariat de police judiciaire, qu'est-ce que c'est par rapport à un commissariat de droit commun ?

  • Speaker #0

    Alors, ce qui existait auparavant, ce qui n'existe plus aujourd'hui, c'est-à-dire que Paris, la préfecture de police, avait une cartographie de découpage par quartier des commissariats de police judiciaire. Ce qui fait que vous aviez en moyenne entre deux et trois commissariats de police judiciaire par arrondissement, qui aujourd'hui n'existent plus puisque ce sont les... commissariat de sécurité publique qui enregistre les plaintes et qui font ce qu'on appelle le petit judiciaire. Mais à l'époque, il y avait, dès l'origine, des commissariats de poids judiciaire qui référaient directement à des divisions de poids judiciaire. Pardon pour ce schéma un petit peu complexe, mais il est finalement simple une fois qu'on l'a expliqué. Et ces divisions de poids judiciaire, elles traitaient tout le gros judiciaire de plusieurs arrondissements. Il y avait six divisions de poids judiciaire à Paris. Grosso modo, il y en avait trois pour la rive gauche et trois pour la rive droite. Et au-delà de ces divisions de peu judiciaire, on arrivait au quai des Orfèvres, où là, on était en brigade centrale. Et donc, la filière classique, quand vous étiez commissaire sorti d'école, c'était de commencer à faire vos preuves dans un petit commissariat de peu judiciaire. J'avais 10 enquêteurs à ma disposition. J'avais un poste radio, pas deux. Et puis, j'avais un véhicule de 150 000 kilomètres avec un pneu crevé qui m'a fallu plus de trois mois à changer, à mes frais d'ailleurs, parce que finalement... à force de demander le changement de ce pneu qui n'arrivait jamais, on l'a fait nous-mêmes. Et donc c'est une bonne école parce que d'une certaine manière ça vous apprend la vie d'un quartier, ça vous apprend à vous débrouiller avec très très peu de moyens, puisque les commissariats de police judiciaire n'étaient évidemment pas les mieux dotés, mais pour autant c'est là où vous commencez d'ores et déjà à comprendre quelles sont les contraintes de votre métier, l'engagement dans l'ensemble des collaborateurs que vous avez. Les enquêteurs qui sont un peu judiciaires dans les commissariats de quartier, vous en avez de tous âges, il y en a qui ont choisi cette voie et qui ne veulent surtout pas progresser. Et puis vous en avez des jeunes qu'il faut former et qui vont aspirer à d'autres fonctions comme vous au sein de cette filière-là.

  • Speaker #1

    D'accord, et j'ai lu dans une de vos interviews que vous disiez que dans le 12e arrondissement et dans votre fonction de commissaire, vous aviez appris à ce que c'était que la misère. Vous parlez de la misère des commissariats ou de la misère que vous fréquentez, dont vous avez... la partie délinquante qui arrive comme une écume au commissariat ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est d'une certaine manière la misère sous toutes ses formes, la misère de la fonction publique, puisque c'est là où vous mesurez le peu de moyens qui vous sont alloués, mais finalement, ça vous apprend la débrouille. Et puis aussi, la misère d'une cité. Moi, j'étais parisien d'origine, vous l'avez souligné. Ça m'a permis de voir ma ville sous une autre forme. Et en fait, tout ce qui se passe sous vos yeux, Sans que jamais, lorsque vous êtes dans une fonction ou un métier qui s'adresse à la gestion de la délinquance, vous êtes amené à voir et pourtant ça se déroule devant vous. Et en fait, le fait de passer derrière le rideau, d'une certaine manière, ça m'a permis de découvrir toute cette vie, toute cette population, cette délinquance de quartier et d'une certaine manière la misère aussi, le fait de vivre seul dans les grandes villes. Le nombre d'enquêtes pour des décès « suspects » , puisque vous avez des découvertes de corps dans des appartements, et ce sont bien souvent des personnes seules que leurs familles ne viennent plus visiter depuis des années et des années, qui parfois sont retrouvées quelques semaines, quelques mois même, après leur décès, simplement par un indice bête que nous pratiquions, qui était que les boîtes aux lettres étaient pleines et que plus personne ne venait les vider.

  • Speaker #1

    Ça vous a changé ?

  • Speaker #0

    Alors, ça marque évidemment, et puis d'une certaine manière, ça donne envie de pouvoir continuer pour essayer de tenter d'améliorer les choses. C'est ça que j'ai trouvé extrêmement séduisant dans ce métier, c'est que vous avez une réelle influence sur le quotidien, en fonction de la qualité des investissements que vous mettez. Vous savez que dans les commissariats, et chacun d'entre nous pourra le mesurer, on y va pour déposer plein de, souvent parce qu'on en a besoin pour son assurance. Mais en réalité, on se demande toujours qu'est-ce qui se passe derrière, qu'est-ce que fait vraiment la police, est-ce que les plaintes sont traditionnellement classées comme on tend à le penser, ou est-ce qu'il y a un vrai travail qui est fait ? Eh bien moi, mais comme de nombreux de mes collègues, dès qu'il y avait le moindre indice, la moindre ficelle à tirer, nous essayions de le faire avec le peu de moyens que nous avions, mais on avait des résultats qui étaient quand même assez séduisants, puisqu'on pratiquait déjà plus d'une... d'une centaine de garde à vue par an sur des faits de délinquance dits quotidiennes, c'est-à-dire les cambriolages, les petites agressions, les vols à l'arraché et tout ce qui peut se dérouler dans un quartier au quotidien.

  • Speaker #1

    Alors justement, en parlant de ces résultats ou en tout cas de leurs effets, vous êtes nommé ensuite au 36 Quai des Orfèvres, vous arrivez à la brigade criminelle si je ne m'abuse.

  • Speaker #0

    À la brigade des stupéfiants.

  • Speaker #1

    À la brigade des stupéfiants d'abord. Alors quand on est nommé au 36, j'imagine que c'est une promotion. Comment est-ce que se fait la promotion ? Comment est-ce que se fait la carrière d'un commissaire de police ? Quels sont les critères ? Comment est-ce qu'il avance et qu'est-ce qu'il peut espérer ? J'imagine qu'il n'y a pas un cas standard, mais comment est-ce que progresse un commissaire de police ?

  • Speaker #0

    Alors moi, quand j'ai embrassé ce métier, c'était d'abord par des narrations, des histoires avec des amis qui étaient déjà commissaires de police. Et évidemment, vous vous construisez mentalement un schéma de carrière professionnelle. Et dans ma tête, moi... Toutes les histoires autour du mythique 36 qu'est les Orfèvres, évidemment, m'attiraient. Ce qui m'attirait encore plus, c'était l'ambiance, l'esprit d'équipe. Ce qui est d'ailleurs à la fois une force et un piège, puisque la force, c'est que la fonction publique policière peut compter sur l'engagement de ses collaborateurs parce qu'en réalité, vous vivez une vie tellement palpitante que vous ne comptez pas vos heures. Le piège, c'est que vous avez aussi une vie privée et qu'il ne faut pas pour autant la sacrifier. et je me plais à dire que lorsque j'étais à la brigade des stupéfiants évidemment on vit au rythme des horaires de sa clientèle et donc c'est plutôt le soir, plutôt la nuit plutôt loin de ses bases de plus en plus quand on faisait des remontées de cargaison de stupéfiants qu'on appelle aujourd'hui Go Fast mais qu'à l'époque nous n'avions pas encore nommé on débutait des filatures à partir du Maroc parfois pour pouvoir remonter jusqu'en région parisienne Alors évidemment c'est palpitant, c'est une vie qui est riche en émotions, en sentiments forts et qui vous crée un esprit, une fraternité d'armes avec vos camarades. Mais pour autant, il ne faut jamais oublier que vous êtes mariés, que vous avez des enfants, que vous avez une vie personnelle et qui a été pour moi d'une certaine manière mon équilibre, qui m'a aidé à toujours me rappeler que l'essentiel, même si c'est un engagement de chaque instant, Il n'était pas là, il était aussi dans ma vie personnelle pour mes enfants.

  • Speaker #1

    Oui, alors justement, c'est une question que j'avais pour vous. Comment est-ce qu'on garde la distance nécessaire, y compris vis-à-vis de sa clientèle ? On a tous en tête l'histoire du commissaire Néret. Je sais que vous étiez un proche de Frédéric Péchenard, qui a été DGPN, directeur général de la police nationale, qui lui-même a écrit un livre qui s'appelle « Piège pour un flic » , que j'ai lu il y a quelques années, qui raconte une intox montée par des voyous pour faire tomber un commissaire en l'espèce. Comment est-ce qu'on garde la tête froide ? Et comment est-ce qu'on maintient le bon équilibre ? entre des voyous qui vont faire tout pour vous entraîner dans leur cercle et vous qui devez y pénétrer d'une certaine manière pour y faire votre boulot.

  • Speaker #0

    Oui, c'est justement, me semble-t-il, l'essence même du travail de chef, de commandant opérationnel, et notamment dans les missions de paix judiciaire comme la lutte contre les stupéfiants. C'est une lutte qui est compliquée, le trafic de stupéfiants, puisque c'est une infraction qui est par nature dissimulée. C'est-à-dire qu'en réalité, la police ne ferait rien, il n'y aurait absolument aucune influence sur une infraction qui ne se révèle que par l'efficacité de l'action policière. On entend parler tous les jours de saisie, mais en réalité on dit, écoutez, cette année on a fait X tonnes de drogue, donc ça veut dire que nous sommes bien meilleurs. Oui, encore que ça peut être aussi le trafic qui augmente et les importations. Donc en fait, c'est une infraction qu'on appelle révélée. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il faut qu'on ait des informateurs. Ces informateurs, c'est là où le danger est réel, c'est que ce sont évidemment des criminels. Et plus vous vous attaquez à des réseaux qui sont importants, plus vos informateurs... sont en général dangereux parce qu'ils ont accès à des informations sur des importations et des trafics d'envergure. Et c'est là où le rôle du commissaire, à mon sens, prenait toute sa valeur. C'est que vous devez garder en permanence, par sécurité, pour vos collaborateurs en réalité. Parce qu'eux, ils gèrent les informateurs, mais vous les gérez aussi. Et il y a des moments où le commandement, c'est aussi savoir dire non, c'est savoir renoncer. Parce que lorsque vous êtes sur un trafic de stupéfiants, que vous êtes sur un démantèlement, sur des filles... Sur des villatures, sur des surveillances, il faut savoir à un moment donné dire non, ça on ne le fera pas. D'abord parce que c'est illégal et ensuite parce qu'on prend trop de risques. Et l'importance du boulot de commissaire de police, c'est de savoir aussi protéger ses hommes. En leur disant qu'on n'a pas tout pouvoir, même si on a des relations avec le parquet qui sont en général extrêmement resserrées. Pour autant, on doit rester dans un cadre qui est légal.

  • Speaker #1

    Vous pouvez me donner un exemple de choses que vous avez refusé de faire, que vous n'avez pas autorisé ?

  • Speaker #0

    Par exemple, sur des grosses saisies. puisque évidemment les trafiquants, les informateurs ne sont pas amoureux de nous et donc on les tient que par des moyens de pression. Ces moyens de pression, c'était bien souvent la délivrance de papiers de titre de séjour, alors en général de courte durée pour pouvoir les maintenir sous pression. Mais pour autant, quand vous avez de très grosses cargaisons qui sont saisies, parfois il y avait une tendance à pouvoir séparer une partie de la cargaison et en donner un petit pourcentage. à votre informateur. Et bien ça, je me suis toujours refusé à le faire parce que c'est là où vous prenez un risque. Un risque inconsidéré pour vos collaborateurs et pour vous-même.

  • Speaker #1

    Merci de cette franchise. Des stups, vous passez à l'antiterrorisme en 2001, si je ne m'abuse. Alors déjà, comment est-ce qu'on passe des stups à l'antiterrorisme ? Et j'ai lu encore une fois dans une de vos interviews que vous disiez les stups, c'était effectivement H24 et l'antiterrorisme, ça me plaisait pas mal sur le papier parce que ça avait l'air assez paisible. Et puis j'ai vu ensuite que vous preniez vos fonctions en octobre 2001. Si je ne m'abuse, un mois après septembre 2001, j'imagine que ça n'a pas été aussi paisible que ça paraissait sur le papier. Mais dites-moi, comment est-ce qu'on passe des stups à l'antiterrorisme ?

  • Speaker #0

    C'est une anecdote assez savoureuse. Et là encore, ça rejoint d'une certaine manière la passion que m'a prise la filière policière à l'époque où j'hésitais entre le métier des armes et la fonction de commissaire de police. C'est des rencontres, et notamment Frédéric Péchenard, puisque vous l'avez cité, qui était un de mes voisins de quartier, puisqu'on habite tous les deux le 17e arrondissement, et il était patron de la brigade criminelle, et à ce titre-là, il commandait aussi la section antiterroriste de la brigade criminelle, qui a une compétence pour tout Paris et région parisienne. Il faut savoir qu'à l'époque, le terrorisme, c'était une affaire citadine, et notamment une affaire citadine, c'était une affaire parisienne. Quoi ? Parce que l'action terroriste est une action de terreur exercée contre la puissance publique, pour forcer le pouvoir politique à faire des choses qu'il ne souhaite pas faire, libérer des prisonniers politiques, etc. Et donc, évidemment, la cible c'est plutôt la capitale, pour que ça ait une résonance médiatique beaucoup plus forte. A l'époque, moi je sortais de 6 ans de la moyenne des stupéfiants, où comme je vous l'ai dit, je travaillais plutôt aux horaires de ma clientèle. Et en août 2001, le patron de la brigade criminelle, Frédéric Péchenard, vient me voir en me disant « Écoute, la session antiterroriste se libère, j'aimerais te prendre avec moi. Est-ce que tu es OK ? » D'autant qu'il ne se passe pas grand-chose, puisque c'est assez calme sur le front de l'antiterrorisme, et tu pourras reprendre une vie privée beaucoup plus stable que celle que tu as au stup. Évidemment, moi, ça m'avait largement séduit, d'abord de travailler avec Frédéric Péchenard, bien sûr, mais aussi parce que la matière m'intéressait et que le rythme était moins soutenu. Ou alors... Au final, pour moi, une expérience encore plus riche encore, la prise de poste se fait tout début octobre 2001. Et là, je m'en rappellerai toujours, si vous me permettez une petite anecdote, c'est que je descends de l'avion, je reviens de Bogota, où j'étais en mission pour un démantèlement d'une saisie de 2 tonnes de cocaïne qu'on avait fait par un avion de la famille royale d'Arabie Saoudite, quelques mois avant, qui m'avait amené jusqu'à Bogota, pour aller interpeller les... les patrons du réseau d'importation de stupéfiants. Je débarque de l'avion à Roissy le dimanche soir. Là, j'allume mon téléphone portable. Je vois que j'ai un message du patron de la brigade criminelle, Frédéric Péchenard, qui me dit que je prends le lendemain matin, donc tout début octobre, à la section antiterroriste et que je dois me trouver à Sartreville à 4h du matin pour une opération de démantèlement d'un réseau qui projetait une attaque au Stade de France. pour le matin même. Bon, l'avantage, c'est que comme j'étais en décalage horaire, c'est que ça ne m'a pas gêné, puisque du coup, je suis repassé me doucher à la maison et je suis reparti immédiatement.

  • Speaker #1

    Je suis heureux que vous ayez fait cette opération propre.

  • Speaker #0

    Alors, je me retrouvais à Sartrouville, avec des équipes que je connaissais un petit peu, parce qu'ils étaient au Quai des Orfèvres, dont on se croisait souvent. La Béry, qui était là pour nous aider pour faire les ouvertures de domicile. Et j'étais dans une affaire que je ne connaissais pas, pour un motif que j'ignorais, et dans le cadre d'une commission regatoire avec les juges antiterroristes. Et puis... On commence à ouvrir les portes d'un étage d'une barre d'immeubles à Sartreville. Et à un moment donné, le patron de la baie, il vient me voir, il me dit qu'il s'est gouré d'immeubles. Donc, ce n'est pas grave, on fait l'autre immeuble, on recasse toutes les portes et au final, on a les suspects que nous recherchons. Je rajoute immédiatement qu'on a eu zéro plainte pour les ouvertures de portes intempestives qu'on avait faites dans l'autre immeuble. C'est dire si en général, les gens ont la conscience tranquille. Voilà, mais bon, c'est une anecdote pour dire que du jour au lendemain, je me suis retrouvé plongé d'une certaine manière dans l'activité antiterroriste qui était encore plus fournie qu'à la brigade des stups depuis le 11 septembre 2001, parce que la France, qui a une communauté étrangère d'origine maghrébine la plus importante de tout l'Occident, avait évidemment tout un tas de réseaux à pouvoir démanteler en urgence du fait de la remontée de la menace qu'avait créée... l'attaque du 11 septembre.

  • Speaker #1

    Alors justement, décrivez-moi un petit peu ce qu'on fait dans une section antiterroriste. Quel est le travail et quel est l'aboutissement de ce travail ?

  • Speaker #0

    Alors c'est, contrairement à la brigade des stupéfiants, où d'une certaine manière, de l'informateur jusqu'aux surveillants, jusqu'aux interpellations, vous avez l'habitude de tout faire vous-même. Et en général, de vous débrouiller avec vos propres moyens, qui sont importants pour la brigade des stupéfiants de Paris. En revanche... La vraie culture à attraper assez rapidement lorsque vous arrivez à l'antiterrorisme, c'est de comprendre que là vous faites un sport d'équipe. Vous n'êtes pas seul, et notamment au niveau de la section antiterrorisme et la brigade criminelle, c'est que vous avez l'aspect judiciaire de toute la lutte. Mais pour autant, en amont, il y a une phase de renseignement qui est extrêmement importante. Ce renseignement, vous ne le faites pas vous-même. Vous le faites en partie par les perquisitions que vous êtes amenés à faire dans les réseaux que vous démantelez, parce que... À votre tour, vous générez du renseignement par les documents que vous saisissez, mais pour l'essentiel, c'est plutôt à l'époque la DST, donc la Direction de l'assurance du territoire, qui est devenue ensuite des CRI, puis aujourd'hui des GSI, mais qui est toujours le renseignement intérieur. Et puis il y avait aussi à la préfecture de police les renseignements généraux de l'époque qui, à leur tour aussi, travaillaient sur le renseignement et les informations qu'on pouvait déceler sur les différents réseaux. des réseaux de régions parisiennes, et il y en avait énormément. Et à chaque fois, c'est un travail d'équipe entre les renseignements généraux, la DST de l'époque, et moi-même. Je rajoute à cela, pour complexifier un peu le schéma, qu'il y avait aussi à la direction centrale de la police judiciaire. Mais il faut bien comprendre que la police nationale se divise en deux mondes. En France, vous avez la police nationale et la préfecture de police. C'est une tradition historique, la préfecture de police étant le siège des pouvoirs publics et du gouvernement. Les pouvoirs de police sont confiés à un préfet qui répond lui-même directement au ministre de l'Intérieur, au même titre que le directeur général de la police nationale répond au ministre de l'Intérieur pour tout le reste de la France. Et donc il y a deux polices, on va dire, qui ne sont pas complètement indépendantes, mais pour autant elles ont une réelle autonomie. Et vous avez, pour la préfecture de police, et je le rappelle à l'époque, c'était 95% du phénomène de lutte antiterroriste, était un phénomène. de Paris et de régions parisiennes, et puis vous aviez pour le reste de la France la sixième division centrale de l'appui judiciaire qui s'occupait de terrorisme. Et notamment sur l'affaire Kelkal, je ne sais pas si vous vous souvenez, en 1995, au moment où Rallet-Kelkal va être neutralisé par les gendarmes sur le col de Malval dans le Lyonnais, c'est puisque c'était à cet endroit-là que c'est arrivé et pas à Paris, C'est la sixième division de la direction centrale de la police judiciaire qui a mené cette enquête-là, et non pas la préfecture de police. La préfecture de police, elle, elle était chargée des attaques qui se sont déroulées dans le métro parisien et notamment son point d'orgue en juillet 1995 à la station Saint-Michel.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si vous avez perdu tous les auditeurs sur la description de ce schéma, mais j'aimerais y revenir quand même, parce que ma seule référence là-dessus, c'est le film de David Fincher qui s'appelle Zodiac, qui est un film absolument extraordinaire et qui montre... qui montre, comme souvent les films extraordinaires sur la police, qui montre le travail de police et la complexité, la complexité qui va empêcher de trouver ce serial killer, la complexité des différentes juridictions et des différents terrains pour les polices, les multiples polices locales américaines. Est-ce que vous, la complexité administrative, le millefeuille administratif qu'on voit en France dans des tas de divisions, est-ce que ça vous a empêché, est-ce que vous avez trouvé que c'était quelque chose de difficile ? Et d'incapacitant pour la police ?

  • Speaker #0

    Alors incapacitant, non. Précautionneux, oui. Parce que la tendance qu'on a lorsqu'on arrive d'autres univers de lutte contre la délinquance de droits communs, et notamment le trafic de stupéfiants, comme je vous le disais, c'est qu'on a l'habitude de se débrouiller nous-mêmes. Or là... La lutte antiterroriste, elle est conduite pour une noble cause, évidemment, c'est la protection de nos concitoyens et de la population. Pour autant, la volonté de bien faire peut être pavée de très mauvais réflexes, et notamment le premier des mauvais réflexes, c'est de dire « j'ai identifié quelqu'un, je vais le chercher » . Surtout pas. Si vous avez identifié quelqu'un, il faut absolument partager cette information, parce que vous allez peut-être tomber sur d'autres services que vous, notamment des services de renseignement, qui ont déjà été... des semaines et des semaines ou des mois d'investigation sur cet individu qui est lui-même connecté à un réseau. Et donc en fait, votre bonne volonté qui est votre réflexe de départ de dire « j'identifie une menace, j'essaie de la neutraliser au plus vite » , pas forcément. Pas forcément d'autant plus que, et c'est là où la coordination antiterroriste prend tout son relief, il y a une unité dans laquelle d'ailleurs j'ai travaillé qui porte ce nom, c'est une unité de coordination de lutte antiterroriste, parce que dans ce domaine-là plus qu'ailleurs, il faut partager le renseignement. Pourquoi ? Parce qu'il y a tellement de services qui travaillent sur ce sujet qu'il faut essayer de le mettre en relief, d'essayer de comprendre quels sont les sous-jacents. Vous avez les douanes qui génèrent du renseignement, vous avez la gendarmerie qui travaille sur le sujet, vous avez la DGSE qui vous remonte des informations de l'extérieur. Et à chaque fois, il faut corréler tout ça pour bien comprendre où est-ce que vous mettez les pieds et quelles sont les priorités que vous avez observées. Donc si vous prenez ce réflexe, vous devenez déjà, d'ores et déjà, un bon policier de lutte antiterroriste. Mais il faut l'avoir.

  • Speaker #1

    Mais est-ce qu'il y a un arbitrage qui se fait ? Par exemple, on sait que les affaires de drogue sont des affaires qui sont potentiellement connectées au terrorisme, et la réciproque est vraie, le financement des uns faisant l'efficacité des autres. Est-ce qu'il y a un arbitrage qui se fait ? On fait tomber un réseau pour les stupéfiants, ou on fait tomber un réseau, ou on essaie de remonter ce réseau vers la tête terroriste ou l'exécution terroriste qu'il a ? Comment se font ces arbitrages ?

  • Speaker #0

    Là, vous parlez d'un phénomène qui est apparu il y a une petite dizaine d'années, qui n'existait pas à mon époque, c'est-à-dire que ceux qui luttaient contre les stupéfiants généraient des produits financiers pour leur usage personnel. Les connexions entre l'action terroriste et la délinquance de droit commun n'étaient pas encore complètement établies. On commençait à le voir au travers du trafic de contrefaçon. La contrefaçon... commençait à générer des produits financiers pour la lutte pour les réseaux terroristes. Pour autant, le trafic de stupéfiants, ce n'était pas le cas. Ça l'est aujourd'hui, vous avez raison. Alors, comment ça s'arbitre ? En réalité, c'est d'abord par rapport à un état de la menace qui est fait, et en fonction de l'état de la menace, mais là aussi, c'est toujours fluctuant, c'est par rapport aux informations que vous avez pu glaner, et de l'état de préparation du réseau sur lequel vous travaillez. Nous avons une chance. inouï en France, c'est que depuis 1986, la législation a été adaptée et on a créé l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Qu'est-ce que c'est que ce machin ? Ça permet de démanteler un réseau de terroristes avant qu'ils passent à l'action. Parce qu'on comprend bien que dans ce sujet-là de délinquance, où en général le droit pénal vous remet votre responsabilité personnelle par rapport à une action que vous avez réalisée, On comprend bien que dans le terrorisme, c'est plus intelligent de ne pas attendre le résultat de l'action. Mais la difficulté du dispositif, c'est que plus vous intervenez en amont, et plus vous, policier, vous avez la charge de la preuve, de démontrer que la finalité de l'action que vous avez démantelée du réseau était bien de commettre un attentat. Et c'est là où réside toute la difficulté et l'art de ce métier. C'est d'attendre suffisamment de temps pour être sûr que lorsque vous avez démantelé le réseau, vous allez retrouver des éléments constitutifs de la préparation d'une action, notamment des produits explosifs, des retardateurs, des systèmes électriques, de la documentation, des ordres qui peuvent être donnés à certains membres du réseau, une cible identifiée. Mais si vous n'avez pas ça, ensuite vous n'avez qu'une association de malfaiteurs. Et donc, le risque, c'est de devoir remettre dehors des individus contre lesquels vous n'avez pas réussi à incriminer une charge pénale contre eux. Et donc le jeu, il est extrêmement sensible parce que vous jouez avec l'état de la menace, mais vous jouez aussi avec la volonté de pouvoir démanteler des réseaux, et si possible. de les neutraliser pour longtemps. Donc c'est là que la complexité du dispositif vient en jeu, d'où l'intérêt de partager l'information et de la mettre en relief autour d'une communauté qui travaille sur ce sujet.

  • Speaker #1

    Est-ce que, alors je dois vous poser la question, est-ce qu'il y a eu des moments où vous avez eu l'impression, où vous avez eu le sentiment d'avoir attendu trop ?

  • Speaker #0

    Non, ça jamais. En revanche, et là aussi c'est une anecdote, lors d'un remaniement ministériel en 2002-03, trois, il y a un nouveau ministre de l'Intérieur qui arrive. Et donc, comme tous les ministres intérieurs, il a une note quotidienne qui est faite par les services de renseignement et l'unité de coordination antiterroriste sur ce qu'on appelle l'état de la menace. Et à l'époque, nous avions de façon quotidienne des menaces d'attaque sur la tour Eiffel et des menaces d'attaque dans le métro parisien. Mais ça, lorsque vous travaillez sur le sujet, vous en avez un peu l'habitude et puis vous prenez une certaine distance par rapport à... cet état de la menace. Mais le nouveau ministre, il venait d'arriver. Et donc lui, il a considéré que la menace d'attaque sur le métro parisien était à prendre en compte immédiatement. Et nous avons stoppé le trafic des transports en commun parisiens pendant toute une soirée. Alors, malgré le fait qu'on avait dit que certes, il y avait des menaces quotidiennes, mais pour autant, l'état de nos informations ne permettait pas de corréler et d'affirmer le fait. que cette menace était réelle. L'effet attendu a été produit, c'est-à-dire que ça a foutu un bazar monstre dans la circulation parisienne, puisque lorsque vous arrêtez le métro, on sait aujourd'hui que ça a fait remonter à la surface immédiatement plus d'un million de personnes de façon instantanée. Et en plus de ça, vous saturez tous les réseaux de téléphone, puisque tout le monde appelle son conjoint, sa petite amie, pour lui dire qu'il va être en retard. Donc ça crée... des effets collatéraux monumentaux. Et cette erreur-là, on va dire que c'était une erreur de débutant, elle ne sera plus refaite ensuite, puisqu'en fait, ce qu'on demande à l'ensemble des responsables politiques qui sont au ministère de l'Intérieur, mais qui sont au gouvernement, c'est d'écouter les professionnels qui ont à gérer ce type de menaces.

  • Speaker #1

    Alors, je passe, parce que le temps tourne, je passe à votre nomination au RAID. La nomination au RAID, c'est en 2007 ?

  • Speaker #0

    2007. D'accord.

  • Speaker #1

    Et là encore, comment est-ce qu'on passe de l'antiterrorisme au RAID ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est question de volonté et question de chance, comme toujours. Volonté, parce que l'ensemble de votre parcours essaye de témoigner d'une envie de pouvoir prendre la tête de ce type d'unité.

  • Speaker #1

    Vous l'aviez en point de mire, pardon,

  • Speaker #0

    de vous intéresser. Je l'avais en point de mire, mais comme énormément de mes collègues, parce qu'évidemment, c'est une unité qui est assez emblématique. Et c'est là où la chance intervient, c'est qu'il faut avoir le grade, il faut avoir l'expérience, il faut avoir la reconnaissance de ses chefs pour pouvoir... être nommé, mais il faut aussi arriver à un moment donné où le poste se libère. Parce que si vous avez le grade d'ancienneté mais que le poste est pris, vous passez votre tour. Et donc je dois reconnaître que j'ai eu cette chance à ce moment donné, c'est que le poste se libérait et que j'avais l'ancienneté et la pertinence du parcours qui me permettait d'occuper ces fonctions.

  • Speaker #1

    Je fais juste une aparté. Le grade, vous pouvez nous expliquer ce que c'est que les grades de commissaire ? On commence où et on s'arrête où ?

  • Speaker #0

    Alors à l'époque, puisque là aussi ça a changé, vous aviez, en sortie d'école, vous étiez nommé commissaire de police. Puis ensuite, au bout de quelques années et en fonction des compétences que vous avez démontrées, vous étiez nommé commissaire principal. Ceux qui ont lu San Antonio se rappelleront assez facilement de ce grade-là, puisque c'était son grade dans les premiers bouquins, avant qu'il finisse commissaire divisionnaire, ce qui était mon cas. Et puis après, vous avez le grade de contrôleur général, ce que j'ai été, et puis d'inspecteur général. Donc voilà, ce sont les grades qui sont dans ce corps de commissaire.

  • Speaker #1

    Revenons au RAID. Il y a une question que j'aimerais vous poser, et c'est peut-être pour ça que vous l'aviez en point de mire d'ailleurs. Le RAID me semble être l'unité de police qui est la plus proche de l'armée. Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que je me trompe ? Est-ce que je ne me trompe pas ? Et partant de cette question, je voudrais savoir quelle est la différence de l'approche de l'ordre et de l'approche de l'usage légitime de la violence ? Entre l'armée et la police.

  • Speaker #0

    Alors vous avez parfaitement raison, c'est une unité qui tient plus des forces spéciales que de la police nationale en réalité. Pour autant, il ne faut jamais oublier ses racines, et notamment l'ADN du RAID, c'est la brigade de recherche et d'intervention de Paris. C'est en fait son ossature, sa filiation d'origine, c'est une filiation de poli judiciaire, avec la création par rangement signé en 1985. avec quelques volontaires qui venaient de la BRI, la constitution de ce qui allait être l'ossature du raid à Bièvre dans l'Essonne. C'est aujourd'hui une unité qui tient plus d'efforts spécials parce que, d'une certaine manière, les méthodes d'intervention, les matériels qui permettent de pratiquer des effractions, sont beaucoup partagés autour des autres unités, que sont les unités d'efforts spéciales, comme en eau marine par exemple, qui interviennent dans le domaine maritime, mais aussi le GIGN, qui est l'unité sœur d'une certaine manière de la gendarmerie, mais qui fait exactement le même boulot que le RAID.

  • Speaker #1

    Là encore, je dois vous interrompre. GIGN, RED, le sentiment général est que c'est une concurrence. Comment est-ce que s'organisent les territoires, pas réciproques, mais les territoires de chacun ?

  • Speaker #0

    Je ne sais pas s'il y a concurrence. Je dirais qu'il y a une saine compétition et c'est normal et c'est sain d'ailleurs, parce que ça tire les deux unités vers le haut, parce qu'elles doivent délivrer le meilleur d'elles-mêmes. Alors comment on a réparti les rôles entre ces deux unités ? C'est extrêmement simple, on a essayé de retourner à la cartographie de la compétence territoriale. La police nationale, elle est compétente pour toutes les zones de plus de 20 000 habitants. Donc ça veut dire que la police nationale a une compétence à peu près sur 20 à 25% du territoire français, mais sur lequel vous allez retrouver 80 ou 85% de la population. La gendarmerie, elle est compétente dans toutes les zones de moins de 20 000 habitants. C'est-à-dire qu'elle est compétente sur 80% du territoire, mais dans lequel vous allez avoir 20 à 25% de la population. Ensuite, il y a des particularités. Par exemple, les avions. L'avion, quand il n'est pas rattaché à un couloir fixe d'aéroport, il est de la compétence de la gendarmerie, d'où Marignane en 1994. Mais lorsqu'il est rattaché à un couloir de débarquement, il fait partie de l'aéroport, c'est la compétence de la police nationale, c'est le RAID.

  • Speaker #1

    Ça, opérationnellement, c'est des décisions qui sont prises en une seconde ou est-ce que ça génère du flottement ?

  • Speaker #0

    Alors non, ça va plus loin que ça parce qu'à chaque fois, ce sont des compétences spécifiques qui sont mises en œuvre. Pénétrer dans un avion, ça ne se fait pas comme ça, vous en avez bien conscience. Donc ça veut dire que les unités travaillent, s'exercent sur tous les dispositifs dans lesquels elles ont une compétence propre d'intervention. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, par exemple, pour les navires qui sont en mer, Si ce n'est pas les commandos marines, c'est le GIGN qui intervient. Si le bateau est au port, c'est le RAID. Ça veut dire que vous mettez en œuvre des compétences et des matériels qui sont spécifiques. Pour autant, l'ensemble de cette compétence territoriale, et donc cette compétence matérielle d'intervention, elle a été remise en cause en 2015. En 2015, c'est le Bataclan. Le Bataclan, vous avez un contrat d'intervention. qui était celui que je connaissais moi à l'époque où j'étais au RAID jusqu'en 2013, qui est « vous devez être en opération d'intervention une heure après l'alerte » . Pourquoi ? Parce que c'était comme ça et que l'ensemble du contrat d'intervention était défini comme ça. On a bien vu par la polémique qui est née autour du délai d'intervention dans le Bataclan que ce dispositif n'était plus tenable. Et c'est la raison pour laquelle la puissance publique a revu complètement. Son schéma d'intervention, en gardant la compétence territoriale que je vous ai décrite, mais en y rajoutant quelque chose d'essentiel, c'est de dire, et en cas d'urgence, et c'était le cas en 2015, puisque vous avez des terroristes qui ne vous laissent même pas le temps, d'une certaine manière, d'intervenir, un peu comme ce qu'on connaissait et ce sur quoi on s'entraînait sur les mass-murder aux États-Unis, qu'on voit dans les universités, c'est-à-dire un individu qui rentre et qui commence à tirer. Exactement le cas du Bataclan. C'est-à-dire que là, votre délai d'intervention, il n'est plus tenable dans la mesure où ça se déroule alors que vous, vous êtes en train de vous préparer. Donc on a rajouté, et en cas d'urgence, c'est n'importe quelle unité qui est en capacité d'intervenir au plus vite. Ce qui est le cas depuis 2015.

  • Speaker #1

    Revenons sur le RAID. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire ? Et d'abord, qui sont les troupes du RAID ? Qui est-ce qui constitue le RAID et comment sont-ils recrutés ?

  • Speaker #0

    Alors, ce sont des policiers uniquement. Il faut avoir... Minimum 5 ans d'ancienneté, pourquoi ? Parce que le RAID est une unité de haute intensité, et évidemment elle a énormément de moyens. Mais je ne souhaite pas, nous ne souhaitons pas, que les policiers qui rejoignent cette unité n'aient connu que cet Eldorado d'une certaine manière. Même si l'engagement qu'on leur demande, qui peut aller jusqu'au sacrifice de sa propre vie, traduit le fait que c'est normal que nous ayons énormément de moyens. Pour autant, le métier de policier... C'est surtout pas le RAID. Et ça, c'est ce que je tenais en permanence à rappeler à l'ensemble de mes collaborateurs. Il ne faut jamais oublier que nous sommes des policiers et que notre premier des boulots que nous devons au RAID, c'est l'assistance et le soutien aux autres unités de la police nationale. Donc, 5 ans d'ancienneté minimum. Ensuite, vous avez des tests de sélection. qui ne vont pas tellement différer de ceux que vous connaissez dans toutes les forces spéciales. L'idée, c'est d'essayer de fatiguer au maximum l'ensemble des candidats, de façon à faire tomber leur défense naturelle, et à partir de ce moment-là, de vraiment étudier quelle est la personnalité de l'individu qui candidate pour vous rejoindre. Est-ce que c'est quelqu'un qui va garder l'essentiel à l'esprit, ou est-ce qu'il va perdre ses moyens du fait d'avoir toutes ses défenses physiques, et notamment ses capacités physiques, qu'il ne le... qui ne le protégeront plus. C'est ce qu'on regarde en priorité. Après, vous avez un contrat opérationnel qui est de 5 ans, renouvelable 2 fois. Ça veut dire que vous pouvez faire carrière maximum au raid pendant 15 ans. C'est beaucoup. C'est beaucoup, surtout quand vous vous retrouvez derrière une porte, avec un bouclier, et dont votre boulot principal, c'est de recevoir le feu. C'est d'attirer le feu. Pour ceux qui veulent aller sur YouTube, ils verront aisément... cette doctrine mise en œuvre lors de l'attaque de l'hyper-kechère, l'assaut qui est donné, où on voit le premier opérateur du raid, une fois que le rideau métallique se lève, rentrer avec le bouclier et se déplacer sur la droite de manière à ce que Koulibaly lui tire dessus. C'est son boulot. Le boulot du premier de colonne, c'est qu'on lui tire dessus. Ça peut sembler un peu étrange, surprenant, mais c'est son métier. Et pourquoi on fait ça ? Parce que les études ont montré que chaque individu fait face à la menace immédiate à laquelle il est confronté. Et bien souvent, les preneurs d'otages, même s'ils ont une monnaie d'échange, à chaque fois que vous leur opposez une menace immédiate, ils oublient l'otage qu'ils ont et ils pensent à répondre à la menace. C'est exactement ce qu'on met en œuvre. C'est-à-dire que Koulibaly va tirer sur l'opérateur qui est rentré et ça permet, un, que l'otage... se libère et 2. que les opérateurs qui sont sur une autre colonne puissent neutraliser Colibaly.

  • Speaker #1

    Alors justement, racontez-moi, qu'est-ce que c'est les interventions du RAID ? Alors j'imagine qu'il n'y a pas une intervention typique, mais pourquoi est-ce qu'on appelle le RAID ?

  • Speaker #0

    Alors RAID, c'est la traduction, l'acronyme de l'ensemble des missions qu'il doit délivrer. C'est recherche, assistance, intervention, dissuasion. Chacun de ces acronymes correspond à un périmètre missionnel. Recherche parce que la capacité du RAID, c'est de pouvoir faire des filatures dans des milieux où il n'y a plus d'assistance naturelle. Je pense notamment à l'opération qui a été menée pour lutter contre l'assassinat du préfet Erignac, où il a fallu faire des filatures et des surveillances dans le Maquis-Corse, là où il n'y a aucune assistance possible, aucun relais téléphonique, aucune recharge de batterie. et vous mettez en place des surveillances vidéo avec des matériels que vous devez aller récupérer, remettre en charge. Ces dispositifs ou des cages dans des forêts, il n'y a que le RAID pour la police nationale qui est capable de le faire. Ensuite, l'assistance, c'est 90% des boulots du RAID. C'est à chaque fois qu'un individu est potentiellement armé, c'est le cas pour des trafics de stupéfiants, c'est le cas pour la criminalité organisée, on fait appel au RAID pour aller les neutraliser. Ce n'est pas le RAID qui fait l'enquête, mais c'est le RAID qui va les neutraliser, d'où la notion d'assistance, parce qu'ils interviennent au profit d'autres unités qui, eux, sont des unités d'investigation.

  • Speaker #1

    Quand vous dites neutraliser, ça veut dire quoi ? Ça veut dire arrêter ? Ça veut dire tuer ? Ça veut dire quoi ?

  • Speaker #0

    Arrêter. Arrêter. C'est ce qu'on appelle traditionnellement, nous, les opérations 6h du matin. On intervient en domicile des personnes qui sont potentiellement armées pour pouvoir s'assurer de leur intégrité sans avoir à commettre de dommages. sur eux-mêmes ou éventuellement sur les policiers qui interviennent. Le I, c'est pour intervention. L'intervention, ce sont les prises d'otages ou les gestions de forcenés. Il y en a en moyenne entre 9 et 10 par an. Ce n'est pas beaucoup, mais c'est là évidemment, c'est les opérations où vous prenez le plus de risques. Et notamment les gestions de forcenés. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas d'otages, parce qu'il n'y a pas d'urgence. L'opération de Mohamed Merah... D'une certaine manière, comme il n'avait pas d'otages, c'est une gestion de forcenés retranchés. Qu'on a tenté de prendre vivant, mais avec le résultat que vous connaissez, puisque quand un individu a décidé de mourir, même les Israéliens vous le disent, c'est quand même assez compliqué de l'avoir vivant. Mais pour autant, c'est une gestion de forcenés retranchés. Ce qui n'est pas le cas de l'hyper-cachère ou de Damartin-Angoël. Là, il y a des otages, et donc... En fait, ce sont les preneurs d'otages qui commandent le top de l'intervention. S'ils deviennent agressifs, sur l'ensemble des otages qu'ils ont en leur possession, vous devez intervenir. D'où la notion d'assaut d'urgence dans les prises d'otages, ou d'assaut élaboré ou planifié dans les gestions de forcenés. Mais le RAID a eu à déplorer des victimes dans son histoire depuis 1985. Pour moitié, elles ont été dues à une gestion de forcenés. Et donc c'est là où il faut faire très attention, c'est qu'un individu qui est retranché, chez lui, qui ne peut pas être menaçant pour autrui, autre que les policiers, les intervenants qui vont venir tenter de s'assurer de sa personne. Vous avez, dans votre responsabilité de chef et de commandant opérationnel, la responsabilité de prendre le maximum de précautions de façon à ce que tous vos collaborateurs, vous-même y compris, puissiez rentrer chez vous le soir, ce qui est quand même la priorité. Ce qui n'est pas le cas dans le cas de prise d'otage. Cas de prise d'otage. On est dans un assaut d'urgence, c'est-à-dire que même si on nous tire dessus, on progresse, on continue. Oui,

  • Speaker #1

    et ce sera mon avant-dernière question. J'aimerais bien que vous nous racontiez une intervention qui vous a marqué particulièrement au RAID. Pas nécessairement l'affaire Mohamed Merah dont tout le monde a beaucoup parlé, mais une autre intervention qui vous a marqué.

  • Speaker #0

    Une autre intervention qui reste un peu gravée dans ma mémoire, c'est la recherche et l'arrestation de Jean-Pierre Trébert, qui est ce charmant individu. qui avait tué la fille de Roland Giraud, qui avait été retrouvée dans un puits avec une autre jeune femme d'ailleurs, et qui s'était enfuie de son centre de détention. Il avait noué une relation amoureuse avec une personne, et il se donnait rendez-vous dans un bois en banlieue parisienne. Et c'est des surveillances et des filatures que nous avions faites, et notamment des... des caches que nous avions opérées dans les bois, on avait tenté de l'interpeller une première fois, et par une chance extraordinaire, qui ne sourit qu'au pendu, il y a eu un orage pas possible, ce qui fait que nos intensicateurs de lumière n'avaient pu être utilisés, et il avait réussi à s'échapper, et on ne l'avait interpellé que quelques semaines plus tard, en banlieue parisienne. Ça avait un peu défrayé la chronique, à notre dépend d'ailleurs, puisque le raid avait été mis en échec, mais comme d'habitude, force était restée à la loi, Et on avait réussi à la voir une ou deux semaines après. Il a été rappelé à son créateur puisqu'il a décidé de mettre fin à ses jours en prison quelques jours après son arrestation.

  • Speaker #1

    Je voudrais terminer par une question. Le milieu policier est un milieu qui est extraordinairement décrit dans la littérature et dans les films. D'ailleurs, on dit souvent que les cinéastes n'ont filmé qu'une profession au travail, c'est la profession de policier. On ne filme pas les architectes au travail, on filme assez peu les médecins au travail. ne filme pas les enseignants, etc. Ceux qui sont de loin le plus filmés, c'est les policiers. Et avec les images qui sont véhiculées par la fiction, on a souvent, on a quasiment systématiquement associé la police à une certaine forme de malheur personnel, à une certaine forme de dépression, je dirais même. Donc, ma dernière question pour vous, c'est, est-ce qu'on peut avoir une vie de flic heureux ?

  • Speaker #0

    Alors, j'espère en témoigner, mais... Là, vous faites plutôt allusion à toutes ces sériétéivisés type serpico, d'individus complètement désocialisés, qui vivent dans des taudis et qui en fait s'identifient aux malheurs quotidiens qu'ils sont amenés à fréquenter, puisque évidemment, la police vous montre la noirceur des choses, la noirceur de la nature humaine et la noirceur de la société. Mais en réalité, d'où l'intérêt, me semble-t-il, du travail d'équipe, de l'appui judiciaire, et c'est sans doute. Si vous me permettez cette remarque, la grande différence avec le système américain, où le système américain veut que vous avez un enquêteur pour une affaire. C'est typiquement ce qu'on voit du lieutenant Colombo qui mène ses investigations seul. La notion de la police judiciaire ou de la police en France est complètement différente. C'est un travail d'équipe. L'emploi judiciaire, le... Le plus petit dénominateur commun, quand j'étais abriade criminel, quand j'étais abriade estupéfiant, c'est le groupe. Et le groupe, c'est huit personnes, minimum. Ça veut dire que vous n'êtes jamais seul à prendre les décisions, vous n'êtes jamais seul à être confronté à la noirceur de la nature humaine, mais vous la partagez au quotidien. Et en fait, un peu finalement comme les médecins que vous voyez dans les salles de garde et qui décompressent. parce qu'ils ont une charge mentale assez forte qu'ils accumulent du fait de la gestion de la maladie. Le policier gère la maladie. social, il gère la maladie urbaine, il gère la misère. De la même manière, vous avez des ambiances de groupe, vous avez des ambiances d'équipe, vous avez des ambiances de brigade qui sont en fait des véritables fraternités d'armes. Un peu comme les militaires, lorsqu'ils sont en intervention, il y a des phases de décompensation qui sont très fortes et qui vous permettent d'évacuer tout ce stress. C'est important de le faire. La police, c'est des moments forts et des moments faibles. Dans ces moments faibles, vous devez resserrer les liens, éventuellement de parler, beaucoup écouter, parce qu'il y a des ressentis qui ne sont évidemment pas les mêmes. À l'occasion de la Fermera, l'ensemble des opérateurs du RAID ont été confrontés éventuellement au risque de la mort. Et bien tout le monde ne le ressent pas pareil. Il y a des debriefings qui sont prévus, ils ont été inventés pour ça. pour qu'on puisse ventiler, qu'on puisse décharger un peu la charge émotionnelle qu'on a emmagasinée. Parce que demain, une autre mission viendra, et il faudra encore compter sur la capacité de discernement de chacun. Et c'est important d'avoir ces phases de restructuration de l'ensemble des équipes pour pouvoir repartir de là.

  • Speaker #1

    Merci Amaury de Haute-Cloque.

  • Speaker #0

    Merci Romain.

Description

Dans ce nouvel épisode de Dans l’ombre, plongez dans les coulisses des unités d’élite de la police avec Amaury de Hautecloque.


Passé par la brigade criminelle, la brigade des stupéfiants et à la tête de la section antiterroriste, il a ensuite dirigé le RAID de 2007 à 2012. Un parcours hors norme au cœur des opérations les plus sensibles.


Entre filatures de grande envergure, gestion des indics et interventions sous haute tension, il partage les réalités d’un métier où la pression est permanente et où chaque décision peut être décisive. Il évoque aussi l’impact de ces missions sur la vie personnelle et l’exigence d’un engagement total.


Un témoignage captivant sur le commandement, l’adrénaline et les sacrifices du métier. À écouter absolument !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Dans l'ombre,

  • Speaker #1

    un podcast produit par We Are et Time to Sign Off. Bienvenue dans Dans l'ombre, le podcast produit par We Are et Time to Sign Off, où on reçoit ceux qui, par vocation, ne parlent jamais. Visiteurs du soir, hommes et femmes de l'ombre, agents secrets ou agents de stars, ce sont eux que nous recevons dans Dans l'ombre pour qu'ils nous expliquent leur rôle et leur méthode et qu'ils nous racontent leur histoire. Je suis Romain Dossal, fondateur de la newsletter d'information Time to Sign Off des TSO. Et ce soir, je reçois un grand flic, un homme passé par la brigade criminelle, la brigade des stups, qui a dirigé la section antiterroriste et qui fut enfin patron du RAID de 2007 à 2012. Bonsoir Amaury de Haute-Cloque.

  • Speaker #0

    Bonsoir Romain.

  • Speaker #1

    Alors, nous allons revenir sur cette carrière à la fois brillante et variée, mais je voudrais commencer par le commencement, par les origines en quelque sorte. Quand on s'appelle Haute-Cloque et qu'on est non seulement l'héritier d'une tradition aristocratique et militaire, mais qu'on est le petit neveu du maréchal Leclerc, qu'est-ce qu'on va faire dans la police ?

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qu'on va faire dans la police ? On s'y retrouve. en réalité par hasard, et le hasard fait plutôt bien les choses, puisque c'est toujours une histoire de rencontre au final, et j'étais plutôt destiné, comme vous le soulignez, pour une carrière militaire à laquelle je me destinais à l'origine, en rêvant de grands espaces autour de l'école de Saint-Cyr, que est de Kidan, et puis au final, le hasard des rencontres a fait que j'ai rencontré des policiers, des commissaires de police, et qui m'ont raconté la vie vue de l'intérieur. Alors, ce n'est pas un jeu de mots, c'est en réalité, c'est la vie de nos quartiers, de nos villes, de nos cités, mais vue du côté de la police. Et les qualités de narration de ceux que j'avais rencontrés m'avaient fait penser que l'action, l'influence sur les choses pouvait se jouer au sein de la police nationale. Et c'est le hasard de ces rencontres qui m'a fait me... me destiner ensuite sur cette carrière que je ne regrette absolument pas, bien sûr.

  • Speaker #1

    Vous avez troqué un Saint-Cyr pour un autre Saint-Cyr.

  • Speaker #0

    Absolument.

  • Speaker #1

    Vous passez une enfance parisienne, vous faites des études de droit, si je ne me trompe pas, à la faculté d'Assas. Et ensuite, vous faites votre service militaire ?

  • Speaker #0

    Alors, je fais mon service militaire dans la marine, à Lorient, dans les commandos de la marine, en 1990. Et puis, à l'issue de cette période, j'avais déjà le concours de commissaire de police en poche. Et donc j'intègre l'école de Saint-Cyr à Lyon pour deux ans, afin de sortir ensuite, en fonction de son classement, on peut choisir les filières auxquelles on peut être destiné. Moi je caressais l'espoir, mais c'était une question de classement, de sortir autour d'une filière plutôt dominante, polyjudiciaire.

  • Speaker #1

    Sors dans la botte pour avoir...

  • Speaker #0

    Alors à l'époque, il fallait sortir dans la botte, il y avait peu de postes et j'ai eu la chance de sortir troisième. Et donc j'ai pu choisir un poste en polyjudiciaire. Ce qui n'est aujourd'hui plus possible, puisqu'aujourd'hui il n'y a plus de poste d'entrée de filière directement en police judiciaire, il faut faire un passage en sécurité publique. C'est là où on apprend finalement les ficelles du métier et les contraintes surtout, la sécurité publique étant la police du quotidien. Mais à l'époque, j'avais encore cette Ausha, donc j'ai pu intégrer la police judiciaire à Paris.

  • Speaker #1

    Alors parlez-moi un peu de Saint-Cyr-aux-Mondeurs, parce que moi, je le dis très humblement, la seule connaissance que j'ai de Saint-Cyr-aux-Mondeurs, c'est un roman de San Antonio. qui s'appelle le Standage où Berurier fait un cours de maintien et de bonne manière aux élèves commissaires.

  • Speaker #0

    C'est une excellente lecture.

  • Speaker #1

    C'est très drôle, mais je ne suis pas sûr que ce soit complètement fidèle. On voit à peu près l'école de Saint-Cyr, quoi de quidant, ce qu'on fait faire aux élèves officiers. Qu'est-ce qu'on fait faire aux élèves commissaires ?

  • Speaker #0

    Les élèves commissaires, on leur apprend un métier, le métier du commandement, le métier de la responsabilité, le métier de l'engagement. Et donc, c'est deux années pleines et entières où on revoit. Ce qu'on a appris sur les bancs de la faculté, c'est-à-dire la procédure pénale, puisque ça va être finalement notre travail quotidien, mais en réalité d'une manière complètement différente, puisque c'est du droit pénal appliqué, et ce qu'on appelle la procédure policière, qui diffère assez fortement de la procédure pénale classique, puisque c'est la manière dont la police a accolté, rassemblé les preuves pour les soumettre à la justice avec les individus qui sont concernés. Donc c'est deux ans... L'année entière, une première année plutôt théorique, où on revoit l'ensemble des bases, parce que c'est un recrutement qui est sous trois modèles différents, un peu comme dans l'armée d'ailleurs. Il y a un concours dit externe, ou voire royal, c'est ceux qui arrivent directement de la faculté, ce qui était mon cas. Il y a un recrutement interne, et puis il y a un recrutement Ausha. À mon époque, c'était plutôt des toutes petites promotions, puisqu'on était une petite cinquantaine. Et cette cinquantaine se divisait grosso modo en trois parties entre le concours externe, le concours interne et le choix. Et à l'issue de la première année, il y a une année de stage qui est faite au sein des services. Et déjà avec une vision opérationnelle, et vous traversez tous les métiers que propose la police nationale, et ils sont nombreux, puisqu'il n'y a pas loin sans faux que de l'opérationnel. On peut aussi faire de l'enseignement, notamment dans les écoles de police, mais vous visitez toute la filière du renseignement, la filière de la sécurité publique, la filière de la police judiciaire, et ensuite vous exercez un choix en fonction de votre classement.

  • Speaker #1

    Et alors, vous arrivez, vous avez 23, 24 ans, vous êtes commissaire.

  • Speaker #0

    Là, c'est un peu plus vieux parce que j'avais pris mon temps.

  • Speaker #1

    D'accord, vous avez 25 ans, disons. Un peu plus vieux encore ?

  • Speaker #0

    Un peu plus vieux encore.

  • Speaker #1

    Bon, écoutez, on place ça toujours dans la vingtaine.

  • Speaker #0

    En fait, j'avais un troisième cycle de trois pénales, donc déjà cinq ans d'études. Et puis, j'ai eu une vie lycéenne un petit peu chaotique, ce qui m'a valu de finir chez Jésuite en pension. Ce qui, d'une certaine manière, a été salvateur pour moi.

  • Speaker #1

    On est plusieurs dans ce cas-là et on se retrouve autour du micro. C'est que finalement, la vie n'a pas été si vache avec vous. Absolument. Donc, vous êtes commissaire dans votre vingtaine, avec un nom qui ne passe pas inaperçu. Vous arrivez dans le 12e arrondissement. Comment ça se passe, votre embarquement dans la vie active policière à un niveau d'encadrement ?

  • Speaker #0

    Oui, moi, ce que je voulais, c'était exercer ma mission de responsabilité. Et donc, j'ai eu la chance de pouvoir prendre un commissariat de... police judiciaire qui se trouvait dans le 12e arrondissement, rue du Rendez-vous pour être exact.

  • Speaker #1

    Attendez, excusez-moi, un commissariat de police judiciaire, qu'est-ce que c'est par rapport à un commissariat de droit commun ?

  • Speaker #0

    Alors, ce qui existait auparavant, ce qui n'existe plus aujourd'hui, c'est-à-dire que Paris, la préfecture de police, avait une cartographie de découpage par quartier des commissariats de police judiciaire. Ce qui fait que vous aviez en moyenne entre deux et trois commissariats de police judiciaire par arrondissement, qui aujourd'hui n'existent plus puisque ce sont les... commissariat de sécurité publique qui enregistre les plaintes et qui font ce qu'on appelle le petit judiciaire. Mais à l'époque, il y avait, dès l'origine, des commissariats de poids judiciaire qui référaient directement à des divisions de poids judiciaire. Pardon pour ce schéma un petit peu complexe, mais il est finalement simple une fois qu'on l'a expliqué. Et ces divisions de poids judiciaire, elles traitaient tout le gros judiciaire de plusieurs arrondissements. Il y avait six divisions de poids judiciaire à Paris. Grosso modo, il y en avait trois pour la rive gauche et trois pour la rive droite. Et au-delà de ces divisions de peu judiciaire, on arrivait au quai des Orfèvres, où là, on était en brigade centrale. Et donc, la filière classique, quand vous étiez commissaire sorti d'école, c'était de commencer à faire vos preuves dans un petit commissariat de peu judiciaire. J'avais 10 enquêteurs à ma disposition. J'avais un poste radio, pas deux. Et puis, j'avais un véhicule de 150 000 kilomètres avec un pneu crevé qui m'a fallu plus de trois mois à changer, à mes frais d'ailleurs, parce que finalement... à force de demander le changement de ce pneu qui n'arrivait jamais, on l'a fait nous-mêmes. Et donc c'est une bonne école parce que d'une certaine manière ça vous apprend la vie d'un quartier, ça vous apprend à vous débrouiller avec très très peu de moyens, puisque les commissariats de police judiciaire n'étaient évidemment pas les mieux dotés, mais pour autant c'est là où vous commencez d'ores et déjà à comprendre quelles sont les contraintes de votre métier, l'engagement dans l'ensemble des collaborateurs que vous avez. Les enquêteurs qui sont un peu judiciaires dans les commissariats de quartier, vous en avez de tous âges, il y en a qui ont choisi cette voie et qui ne veulent surtout pas progresser. Et puis vous en avez des jeunes qu'il faut former et qui vont aspirer à d'autres fonctions comme vous au sein de cette filière-là.

  • Speaker #1

    D'accord, et j'ai lu dans une de vos interviews que vous disiez que dans le 12e arrondissement et dans votre fonction de commissaire, vous aviez appris à ce que c'était que la misère. Vous parlez de la misère des commissariats ou de la misère que vous fréquentez, dont vous avez... la partie délinquante qui arrive comme une écume au commissariat ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est d'une certaine manière la misère sous toutes ses formes, la misère de la fonction publique, puisque c'est là où vous mesurez le peu de moyens qui vous sont alloués, mais finalement, ça vous apprend la débrouille. Et puis aussi, la misère d'une cité. Moi, j'étais parisien d'origine, vous l'avez souligné. Ça m'a permis de voir ma ville sous une autre forme. Et en fait, tout ce qui se passe sous vos yeux, Sans que jamais, lorsque vous êtes dans une fonction ou un métier qui s'adresse à la gestion de la délinquance, vous êtes amené à voir et pourtant ça se déroule devant vous. Et en fait, le fait de passer derrière le rideau, d'une certaine manière, ça m'a permis de découvrir toute cette vie, toute cette population, cette délinquance de quartier et d'une certaine manière la misère aussi, le fait de vivre seul dans les grandes villes. Le nombre d'enquêtes pour des décès « suspects » , puisque vous avez des découvertes de corps dans des appartements, et ce sont bien souvent des personnes seules que leurs familles ne viennent plus visiter depuis des années et des années, qui parfois sont retrouvées quelques semaines, quelques mois même, après leur décès, simplement par un indice bête que nous pratiquions, qui était que les boîtes aux lettres étaient pleines et que plus personne ne venait les vider.

  • Speaker #1

    Ça vous a changé ?

  • Speaker #0

    Alors, ça marque évidemment, et puis d'une certaine manière, ça donne envie de pouvoir continuer pour essayer de tenter d'améliorer les choses. C'est ça que j'ai trouvé extrêmement séduisant dans ce métier, c'est que vous avez une réelle influence sur le quotidien, en fonction de la qualité des investissements que vous mettez. Vous savez que dans les commissariats, et chacun d'entre nous pourra le mesurer, on y va pour déposer plein de, souvent parce qu'on en a besoin pour son assurance. Mais en réalité, on se demande toujours qu'est-ce qui se passe derrière, qu'est-ce que fait vraiment la police, est-ce que les plaintes sont traditionnellement classées comme on tend à le penser, ou est-ce qu'il y a un vrai travail qui est fait ? Eh bien moi, mais comme de nombreux de mes collègues, dès qu'il y avait le moindre indice, la moindre ficelle à tirer, nous essayions de le faire avec le peu de moyens que nous avions, mais on avait des résultats qui étaient quand même assez séduisants, puisqu'on pratiquait déjà plus d'une... d'une centaine de garde à vue par an sur des faits de délinquance dits quotidiennes, c'est-à-dire les cambriolages, les petites agressions, les vols à l'arraché et tout ce qui peut se dérouler dans un quartier au quotidien.

  • Speaker #1

    Alors justement, en parlant de ces résultats ou en tout cas de leurs effets, vous êtes nommé ensuite au 36 Quai des Orfèvres, vous arrivez à la brigade criminelle si je ne m'abuse.

  • Speaker #0

    À la brigade des stupéfiants.

  • Speaker #1

    À la brigade des stupéfiants d'abord. Alors quand on est nommé au 36, j'imagine que c'est une promotion. Comment est-ce que se fait la promotion ? Comment est-ce que se fait la carrière d'un commissaire de police ? Quels sont les critères ? Comment est-ce qu'il avance et qu'est-ce qu'il peut espérer ? J'imagine qu'il n'y a pas un cas standard, mais comment est-ce que progresse un commissaire de police ?

  • Speaker #0

    Alors moi, quand j'ai embrassé ce métier, c'était d'abord par des narrations, des histoires avec des amis qui étaient déjà commissaires de police. Et évidemment, vous vous construisez mentalement un schéma de carrière professionnelle. Et dans ma tête, moi... Toutes les histoires autour du mythique 36 qu'est les Orfèvres, évidemment, m'attiraient. Ce qui m'attirait encore plus, c'était l'ambiance, l'esprit d'équipe. Ce qui est d'ailleurs à la fois une force et un piège, puisque la force, c'est que la fonction publique policière peut compter sur l'engagement de ses collaborateurs parce qu'en réalité, vous vivez une vie tellement palpitante que vous ne comptez pas vos heures. Le piège, c'est que vous avez aussi une vie privée et qu'il ne faut pas pour autant la sacrifier. et je me plais à dire que lorsque j'étais à la brigade des stupéfiants évidemment on vit au rythme des horaires de sa clientèle et donc c'est plutôt le soir, plutôt la nuit plutôt loin de ses bases de plus en plus quand on faisait des remontées de cargaison de stupéfiants qu'on appelle aujourd'hui Go Fast mais qu'à l'époque nous n'avions pas encore nommé on débutait des filatures à partir du Maroc parfois pour pouvoir remonter jusqu'en région parisienne Alors évidemment c'est palpitant, c'est une vie qui est riche en émotions, en sentiments forts et qui vous crée un esprit, une fraternité d'armes avec vos camarades. Mais pour autant, il ne faut jamais oublier que vous êtes mariés, que vous avez des enfants, que vous avez une vie personnelle et qui a été pour moi d'une certaine manière mon équilibre, qui m'a aidé à toujours me rappeler que l'essentiel, même si c'est un engagement de chaque instant, Il n'était pas là, il était aussi dans ma vie personnelle pour mes enfants.

  • Speaker #1

    Oui, alors justement, c'est une question que j'avais pour vous. Comment est-ce qu'on garde la distance nécessaire, y compris vis-à-vis de sa clientèle ? On a tous en tête l'histoire du commissaire Néret. Je sais que vous étiez un proche de Frédéric Péchenard, qui a été DGPN, directeur général de la police nationale, qui lui-même a écrit un livre qui s'appelle « Piège pour un flic » , que j'ai lu il y a quelques années, qui raconte une intox montée par des voyous pour faire tomber un commissaire en l'espèce. Comment est-ce qu'on garde la tête froide ? Et comment est-ce qu'on maintient le bon équilibre ? entre des voyous qui vont faire tout pour vous entraîner dans leur cercle et vous qui devez y pénétrer d'une certaine manière pour y faire votre boulot.

  • Speaker #0

    Oui, c'est justement, me semble-t-il, l'essence même du travail de chef, de commandant opérationnel, et notamment dans les missions de paix judiciaire comme la lutte contre les stupéfiants. C'est une lutte qui est compliquée, le trafic de stupéfiants, puisque c'est une infraction qui est par nature dissimulée. C'est-à-dire qu'en réalité, la police ne ferait rien, il n'y aurait absolument aucune influence sur une infraction qui ne se révèle que par l'efficacité de l'action policière. On entend parler tous les jours de saisie, mais en réalité on dit, écoutez, cette année on a fait X tonnes de drogue, donc ça veut dire que nous sommes bien meilleurs. Oui, encore que ça peut être aussi le trafic qui augmente et les importations. Donc en fait, c'est une infraction qu'on appelle révélée. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il faut qu'on ait des informateurs. Ces informateurs, c'est là où le danger est réel, c'est que ce sont évidemment des criminels. Et plus vous vous attaquez à des réseaux qui sont importants, plus vos informateurs... sont en général dangereux parce qu'ils ont accès à des informations sur des importations et des trafics d'envergure. Et c'est là où le rôle du commissaire, à mon sens, prenait toute sa valeur. C'est que vous devez garder en permanence, par sécurité, pour vos collaborateurs en réalité. Parce qu'eux, ils gèrent les informateurs, mais vous les gérez aussi. Et il y a des moments où le commandement, c'est aussi savoir dire non, c'est savoir renoncer. Parce que lorsque vous êtes sur un trafic de stupéfiants, que vous êtes sur un démantèlement, sur des filles... Sur des villatures, sur des surveillances, il faut savoir à un moment donné dire non, ça on ne le fera pas. D'abord parce que c'est illégal et ensuite parce qu'on prend trop de risques. Et l'importance du boulot de commissaire de police, c'est de savoir aussi protéger ses hommes. En leur disant qu'on n'a pas tout pouvoir, même si on a des relations avec le parquet qui sont en général extrêmement resserrées. Pour autant, on doit rester dans un cadre qui est légal.

  • Speaker #1

    Vous pouvez me donner un exemple de choses que vous avez refusé de faire, que vous n'avez pas autorisé ?

  • Speaker #0

    Par exemple, sur des grosses saisies. puisque évidemment les trafiquants, les informateurs ne sont pas amoureux de nous et donc on les tient que par des moyens de pression. Ces moyens de pression, c'était bien souvent la délivrance de papiers de titre de séjour, alors en général de courte durée pour pouvoir les maintenir sous pression. Mais pour autant, quand vous avez de très grosses cargaisons qui sont saisies, parfois il y avait une tendance à pouvoir séparer une partie de la cargaison et en donner un petit pourcentage. à votre informateur. Et bien ça, je me suis toujours refusé à le faire parce que c'est là où vous prenez un risque. Un risque inconsidéré pour vos collaborateurs et pour vous-même.

  • Speaker #1

    Merci de cette franchise. Des stups, vous passez à l'antiterrorisme en 2001, si je ne m'abuse. Alors déjà, comment est-ce qu'on passe des stups à l'antiterrorisme ? Et j'ai lu encore une fois dans une de vos interviews que vous disiez les stups, c'était effectivement H24 et l'antiterrorisme, ça me plaisait pas mal sur le papier parce que ça avait l'air assez paisible. Et puis j'ai vu ensuite que vous preniez vos fonctions en octobre 2001. Si je ne m'abuse, un mois après septembre 2001, j'imagine que ça n'a pas été aussi paisible que ça paraissait sur le papier. Mais dites-moi, comment est-ce qu'on passe des stups à l'antiterrorisme ?

  • Speaker #0

    C'est une anecdote assez savoureuse. Et là encore, ça rejoint d'une certaine manière la passion que m'a prise la filière policière à l'époque où j'hésitais entre le métier des armes et la fonction de commissaire de police. C'est des rencontres, et notamment Frédéric Péchenard, puisque vous l'avez cité, qui était un de mes voisins de quartier, puisqu'on habite tous les deux le 17e arrondissement, et il était patron de la brigade criminelle, et à ce titre-là, il commandait aussi la section antiterroriste de la brigade criminelle, qui a une compétence pour tout Paris et région parisienne. Il faut savoir qu'à l'époque, le terrorisme, c'était une affaire citadine, et notamment une affaire citadine, c'était une affaire parisienne. Quoi ? Parce que l'action terroriste est une action de terreur exercée contre la puissance publique, pour forcer le pouvoir politique à faire des choses qu'il ne souhaite pas faire, libérer des prisonniers politiques, etc. Et donc, évidemment, la cible c'est plutôt la capitale, pour que ça ait une résonance médiatique beaucoup plus forte. A l'époque, moi je sortais de 6 ans de la moyenne des stupéfiants, où comme je vous l'ai dit, je travaillais plutôt aux horaires de ma clientèle. Et en août 2001, le patron de la brigade criminelle, Frédéric Péchenard, vient me voir en me disant « Écoute, la session antiterroriste se libère, j'aimerais te prendre avec moi. Est-ce que tu es OK ? » D'autant qu'il ne se passe pas grand-chose, puisque c'est assez calme sur le front de l'antiterrorisme, et tu pourras reprendre une vie privée beaucoup plus stable que celle que tu as au stup. Évidemment, moi, ça m'avait largement séduit, d'abord de travailler avec Frédéric Péchenard, bien sûr, mais aussi parce que la matière m'intéressait et que le rythme était moins soutenu. Ou alors... Au final, pour moi, une expérience encore plus riche encore, la prise de poste se fait tout début octobre 2001. Et là, je m'en rappellerai toujours, si vous me permettez une petite anecdote, c'est que je descends de l'avion, je reviens de Bogota, où j'étais en mission pour un démantèlement d'une saisie de 2 tonnes de cocaïne qu'on avait fait par un avion de la famille royale d'Arabie Saoudite, quelques mois avant, qui m'avait amené jusqu'à Bogota, pour aller interpeller les... les patrons du réseau d'importation de stupéfiants. Je débarque de l'avion à Roissy le dimanche soir. Là, j'allume mon téléphone portable. Je vois que j'ai un message du patron de la brigade criminelle, Frédéric Péchenard, qui me dit que je prends le lendemain matin, donc tout début octobre, à la section antiterroriste et que je dois me trouver à Sartreville à 4h du matin pour une opération de démantèlement d'un réseau qui projetait une attaque au Stade de France. pour le matin même. Bon, l'avantage, c'est que comme j'étais en décalage horaire, c'est que ça ne m'a pas gêné, puisque du coup, je suis repassé me doucher à la maison et je suis reparti immédiatement.

  • Speaker #1

    Je suis heureux que vous ayez fait cette opération propre.

  • Speaker #0

    Alors, je me retrouvais à Sartrouville, avec des équipes que je connaissais un petit peu, parce qu'ils étaient au Quai des Orfèvres, dont on se croisait souvent. La Béry, qui était là pour nous aider pour faire les ouvertures de domicile. Et j'étais dans une affaire que je ne connaissais pas, pour un motif que j'ignorais, et dans le cadre d'une commission regatoire avec les juges antiterroristes. Et puis... On commence à ouvrir les portes d'un étage d'une barre d'immeubles à Sartreville. Et à un moment donné, le patron de la baie, il vient me voir, il me dit qu'il s'est gouré d'immeubles. Donc, ce n'est pas grave, on fait l'autre immeuble, on recasse toutes les portes et au final, on a les suspects que nous recherchons. Je rajoute immédiatement qu'on a eu zéro plainte pour les ouvertures de portes intempestives qu'on avait faites dans l'autre immeuble. C'est dire si en général, les gens ont la conscience tranquille. Voilà, mais bon, c'est une anecdote pour dire que du jour au lendemain, je me suis retrouvé plongé d'une certaine manière dans l'activité antiterroriste qui était encore plus fournie qu'à la brigade des stups depuis le 11 septembre 2001, parce que la France, qui a une communauté étrangère d'origine maghrébine la plus importante de tout l'Occident, avait évidemment tout un tas de réseaux à pouvoir démanteler en urgence du fait de la remontée de la menace qu'avait créée... l'attaque du 11 septembre.

  • Speaker #1

    Alors justement, décrivez-moi un petit peu ce qu'on fait dans une section antiterroriste. Quel est le travail et quel est l'aboutissement de ce travail ?

  • Speaker #0

    Alors c'est, contrairement à la brigade des stupéfiants, où d'une certaine manière, de l'informateur jusqu'aux surveillants, jusqu'aux interpellations, vous avez l'habitude de tout faire vous-même. Et en général, de vous débrouiller avec vos propres moyens, qui sont importants pour la brigade des stupéfiants de Paris. En revanche... La vraie culture à attraper assez rapidement lorsque vous arrivez à l'antiterrorisme, c'est de comprendre que là vous faites un sport d'équipe. Vous n'êtes pas seul, et notamment au niveau de la section antiterrorisme et la brigade criminelle, c'est que vous avez l'aspect judiciaire de toute la lutte. Mais pour autant, en amont, il y a une phase de renseignement qui est extrêmement importante. Ce renseignement, vous ne le faites pas vous-même. Vous le faites en partie par les perquisitions que vous êtes amenés à faire dans les réseaux que vous démantelez, parce que... À votre tour, vous générez du renseignement par les documents que vous saisissez, mais pour l'essentiel, c'est plutôt à l'époque la DST, donc la Direction de l'assurance du territoire, qui est devenue ensuite des CRI, puis aujourd'hui des GSI, mais qui est toujours le renseignement intérieur. Et puis il y avait aussi à la préfecture de police les renseignements généraux de l'époque qui, à leur tour aussi, travaillaient sur le renseignement et les informations qu'on pouvait déceler sur les différents réseaux. des réseaux de régions parisiennes, et il y en avait énormément. Et à chaque fois, c'est un travail d'équipe entre les renseignements généraux, la DST de l'époque, et moi-même. Je rajoute à cela, pour complexifier un peu le schéma, qu'il y avait aussi à la direction centrale de la police judiciaire. Mais il faut bien comprendre que la police nationale se divise en deux mondes. En France, vous avez la police nationale et la préfecture de police. C'est une tradition historique, la préfecture de police étant le siège des pouvoirs publics et du gouvernement. Les pouvoirs de police sont confiés à un préfet qui répond lui-même directement au ministre de l'Intérieur, au même titre que le directeur général de la police nationale répond au ministre de l'Intérieur pour tout le reste de la France. Et donc il y a deux polices, on va dire, qui ne sont pas complètement indépendantes, mais pour autant elles ont une réelle autonomie. Et vous avez, pour la préfecture de police, et je le rappelle à l'époque, c'était 95% du phénomène de lutte antiterroriste, était un phénomène. de Paris et de régions parisiennes, et puis vous aviez pour le reste de la France la sixième division centrale de l'appui judiciaire qui s'occupait de terrorisme. Et notamment sur l'affaire Kelkal, je ne sais pas si vous vous souvenez, en 1995, au moment où Rallet-Kelkal va être neutralisé par les gendarmes sur le col de Malval dans le Lyonnais, c'est puisque c'était à cet endroit-là que c'est arrivé et pas à Paris, C'est la sixième division de la direction centrale de la police judiciaire qui a mené cette enquête-là, et non pas la préfecture de police. La préfecture de police, elle, elle était chargée des attaques qui se sont déroulées dans le métro parisien et notamment son point d'orgue en juillet 1995 à la station Saint-Michel.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si vous avez perdu tous les auditeurs sur la description de ce schéma, mais j'aimerais y revenir quand même, parce que ma seule référence là-dessus, c'est le film de David Fincher qui s'appelle Zodiac, qui est un film absolument extraordinaire et qui montre... qui montre, comme souvent les films extraordinaires sur la police, qui montre le travail de police et la complexité, la complexité qui va empêcher de trouver ce serial killer, la complexité des différentes juridictions et des différents terrains pour les polices, les multiples polices locales américaines. Est-ce que vous, la complexité administrative, le millefeuille administratif qu'on voit en France dans des tas de divisions, est-ce que ça vous a empêché, est-ce que vous avez trouvé que c'était quelque chose de difficile ? Et d'incapacitant pour la police ?

  • Speaker #0

    Alors incapacitant, non. Précautionneux, oui. Parce que la tendance qu'on a lorsqu'on arrive d'autres univers de lutte contre la délinquance de droits communs, et notamment le trafic de stupéfiants, comme je vous le disais, c'est qu'on a l'habitude de se débrouiller nous-mêmes. Or là... La lutte antiterroriste, elle est conduite pour une noble cause, évidemment, c'est la protection de nos concitoyens et de la population. Pour autant, la volonté de bien faire peut être pavée de très mauvais réflexes, et notamment le premier des mauvais réflexes, c'est de dire « j'ai identifié quelqu'un, je vais le chercher » . Surtout pas. Si vous avez identifié quelqu'un, il faut absolument partager cette information, parce que vous allez peut-être tomber sur d'autres services que vous, notamment des services de renseignement, qui ont déjà été... des semaines et des semaines ou des mois d'investigation sur cet individu qui est lui-même connecté à un réseau. Et donc en fait, votre bonne volonté qui est votre réflexe de départ de dire « j'identifie une menace, j'essaie de la neutraliser au plus vite » , pas forcément. Pas forcément d'autant plus que, et c'est là où la coordination antiterroriste prend tout son relief, il y a une unité dans laquelle d'ailleurs j'ai travaillé qui porte ce nom, c'est une unité de coordination de lutte antiterroriste, parce que dans ce domaine-là plus qu'ailleurs, il faut partager le renseignement. Pourquoi ? Parce qu'il y a tellement de services qui travaillent sur ce sujet qu'il faut essayer de le mettre en relief, d'essayer de comprendre quels sont les sous-jacents. Vous avez les douanes qui génèrent du renseignement, vous avez la gendarmerie qui travaille sur le sujet, vous avez la DGSE qui vous remonte des informations de l'extérieur. Et à chaque fois, il faut corréler tout ça pour bien comprendre où est-ce que vous mettez les pieds et quelles sont les priorités que vous avez observées. Donc si vous prenez ce réflexe, vous devenez déjà, d'ores et déjà, un bon policier de lutte antiterroriste. Mais il faut l'avoir.

  • Speaker #1

    Mais est-ce qu'il y a un arbitrage qui se fait ? Par exemple, on sait que les affaires de drogue sont des affaires qui sont potentiellement connectées au terrorisme, et la réciproque est vraie, le financement des uns faisant l'efficacité des autres. Est-ce qu'il y a un arbitrage qui se fait ? On fait tomber un réseau pour les stupéfiants, ou on fait tomber un réseau, ou on essaie de remonter ce réseau vers la tête terroriste ou l'exécution terroriste qu'il a ? Comment se font ces arbitrages ?

  • Speaker #0

    Là, vous parlez d'un phénomène qui est apparu il y a une petite dizaine d'années, qui n'existait pas à mon époque, c'est-à-dire que ceux qui luttaient contre les stupéfiants généraient des produits financiers pour leur usage personnel. Les connexions entre l'action terroriste et la délinquance de droit commun n'étaient pas encore complètement établies. On commençait à le voir au travers du trafic de contrefaçon. La contrefaçon... commençait à générer des produits financiers pour la lutte pour les réseaux terroristes. Pour autant, le trafic de stupéfiants, ce n'était pas le cas. Ça l'est aujourd'hui, vous avez raison. Alors, comment ça s'arbitre ? En réalité, c'est d'abord par rapport à un état de la menace qui est fait, et en fonction de l'état de la menace, mais là aussi, c'est toujours fluctuant, c'est par rapport aux informations que vous avez pu glaner, et de l'état de préparation du réseau sur lequel vous travaillez. Nous avons une chance. inouï en France, c'est que depuis 1986, la législation a été adaptée et on a créé l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Qu'est-ce que c'est que ce machin ? Ça permet de démanteler un réseau de terroristes avant qu'ils passent à l'action. Parce qu'on comprend bien que dans ce sujet-là de délinquance, où en général le droit pénal vous remet votre responsabilité personnelle par rapport à une action que vous avez réalisée, On comprend bien que dans le terrorisme, c'est plus intelligent de ne pas attendre le résultat de l'action. Mais la difficulté du dispositif, c'est que plus vous intervenez en amont, et plus vous, policier, vous avez la charge de la preuve, de démontrer que la finalité de l'action que vous avez démantelée du réseau était bien de commettre un attentat. Et c'est là où réside toute la difficulté et l'art de ce métier. C'est d'attendre suffisamment de temps pour être sûr que lorsque vous avez démantelé le réseau, vous allez retrouver des éléments constitutifs de la préparation d'une action, notamment des produits explosifs, des retardateurs, des systèmes électriques, de la documentation, des ordres qui peuvent être donnés à certains membres du réseau, une cible identifiée. Mais si vous n'avez pas ça, ensuite vous n'avez qu'une association de malfaiteurs. Et donc, le risque, c'est de devoir remettre dehors des individus contre lesquels vous n'avez pas réussi à incriminer une charge pénale contre eux. Et donc le jeu, il est extrêmement sensible parce que vous jouez avec l'état de la menace, mais vous jouez aussi avec la volonté de pouvoir démanteler des réseaux, et si possible. de les neutraliser pour longtemps. Donc c'est là que la complexité du dispositif vient en jeu, d'où l'intérêt de partager l'information et de la mettre en relief autour d'une communauté qui travaille sur ce sujet.

  • Speaker #1

    Est-ce que, alors je dois vous poser la question, est-ce qu'il y a eu des moments où vous avez eu l'impression, où vous avez eu le sentiment d'avoir attendu trop ?

  • Speaker #0

    Non, ça jamais. En revanche, et là aussi c'est une anecdote, lors d'un remaniement ministériel en 2002-03, trois, il y a un nouveau ministre de l'Intérieur qui arrive. Et donc, comme tous les ministres intérieurs, il a une note quotidienne qui est faite par les services de renseignement et l'unité de coordination antiterroriste sur ce qu'on appelle l'état de la menace. Et à l'époque, nous avions de façon quotidienne des menaces d'attaque sur la tour Eiffel et des menaces d'attaque dans le métro parisien. Mais ça, lorsque vous travaillez sur le sujet, vous en avez un peu l'habitude et puis vous prenez une certaine distance par rapport à... cet état de la menace. Mais le nouveau ministre, il venait d'arriver. Et donc lui, il a considéré que la menace d'attaque sur le métro parisien était à prendre en compte immédiatement. Et nous avons stoppé le trafic des transports en commun parisiens pendant toute une soirée. Alors, malgré le fait qu'on avait dit que certes, il y avait des menaces quotidiennes, mais pour autant, l'état de nos informations ne permettait pas de corréler et d'affirmer le fait. que cette menace était réelle. L'effet attendu a été produit, c'est-à-dire que ça a foutu un bazar monstre dans la circulation parisienne, puisque lorsque vous arrêtez le métro, on sait aujourd'hui que ça a fait remonter à la surface immédiatement plus d'un million de personnes de façon instantanée. Et en plus de ça, vous saturez tous les réseaux de téléphone, puisque tout le monde appelle son conjoint, sa petite amie, pour lui dire qu'il va être en retard. Donc ça crée... des effets collatéraux monumentaux. Et cette erreur-là, on va dire que c'était une erreur de débutant, elle ne sera plus refaite ensuite, puisqu'en fait, ce qu'on demande à l'ensemble des responsables politiques qui sont au ministère de l'Intérieur, mais qui sont au gouvernement, c'est d'écouter les professionnels qui ont à gérer ce type de menaces.

  • Speaker #1

    Alors, je passe, parce que le temps tourne, je passe à votre nomination au RAID. La nomination au RAID, c'est en 2007 ?

  • Speaker #0

    2007. D'accord.

  • Speaker #1

    Et là encore, comment est-ce qu'on passe de l'antiterrorisme au RAID ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est question de volonté et question de chance, comme toujours. Volonté, parce que l'ensemble de votre parcours essaye de témoigner d'une envie de pouvoir prendre la tête de ce type d'unité.

  • Speaker #1

    Vous l'aviez en point de mire, pardon,

  • Speaker #0

    de vous intéresser. Je l'avais en point de mire, mais comme énormément de mes collègues, parce qu'évidemment, c'est une unité qui est assez emblématique. Et c'est là où la chance intervient, c'est qu'il faut avoir le grade, il faut avoir l'expérience, il faut avoir la reconnaissance de ses chefs pour pouvoir... être nommé, mais il faut aussi arriver à un moment donné où le poste se libère. Parce que si vous avez le grade d'ancienneté mais que le poste est pris, vous passez votre tour. Et donc je dois reconnaître que j'ai eu cette chance à ce moment donné, c'est que le poste se libérait et que j'avais l'ancienneté et la pertinence du parcours qui me permettait d'occuper ces fonctions.

  • Speaker #1

    Je fais juste une aparté. Le grade, vous pouvez nous expliquer ce que c'est que les grades de commissaire ? On commence où et on s'arrête où ?

  • Speaker #0

    Alors à l'époque, puisque là aussi ça a changé, vous aviez, en sortie d'école, vous étiez nommé commissaire de police. Puis ensuite, au bout de quelques années et en fonction des compétences que vous avez démontrées, vous étiez nommé commissaire principal. Ceux qui ont lu San Antonio se rappelleront assez facilement de ce grade-là, puisque c'était son grade dans les premiers bouquins, avant qu'il finisse commissaire divisionnaire, ce qui était mon cas. Et puis après, vous avez le grade de contrôleur général, ce que j'ai été, et puis d'inspecteur général. Donc voilà, ce sont les grades qui sont dans ce corps de commissaire.

  • Speaker #1

    Revenons au RAID. Il y a une question que j'aimerais vous poser, et c'est peut-être pour ça que vous l'aviez en point de mire d'ailleurs. Le RAID me semble être l'unité de police qui est la plus proche de l'armée. Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que je me trompe ? Est-ce que je ne me trompe pas ? Et partant de cette question, je voudrais savoir quelle est la différence de l'approche de l'ordre et de l'approche de l'usage légitime de la violence ? Entre l'armée et la police.

  • Speaker #0

    Alors vous avez parfaitement raison, c'est une unité qui tient plus des forces spéciales que de la police nationale en réalité. Pour autant, il ne faut jamais oublier ses racines, et notamment l'ADN du RAID, c'est la brigade de recherche et d'intervention de Paris. C'est en fait son ossature, sa filiation d'origine, c'est une filiation de poli judiciaire, avec la création par rangement signé en 1985. avec quelques volontaires qui venaient de la BRI, la constitution de ce qui allait être l'ossature du raid à Bièvre dans l'Essonne. C'est aujourd'hui une unité qui tient plus d'efforts spécials parce que, d'une certaine manière, les méthodes d'intervention, les matériels qui permettent de pratiquer des effractions, sont beaucoup partagés autour des autres unités, que sont les unités d'efforts spéciales, comme en eau marine par exemple, qui interviennent dans le domaine maritime, mais aussi le GIGN, qui est l'unité sœur d'une certaine manière de la gendarmerie, mais qui fait exactement le même boulot que le RAID.

  • Speaker #1

    Là encore, je dois vous interrompre. GIGN, RED, le sentiment général est que c'est une concurrence. Comment est-ce que s'organisent les territoires, pas réciproques, mais les territoires de chacun ?

  • Speaker #0

    Je ne sais pas s'il y a concurrence. Je dirais qu'il y a une saine compétition et c'est normal et c'est sain d'ailleurs, parce que ça tire les deux unités vers le haut, parce qu'elles doivent délivrer le meilleur d'elles-mêmes. Alors comment on a réparti les rôles entre ces deux unités ? C'est extrêmement simple, on a essayé de retourner à la cartographie de la compétence territoriale. La police nationale, elle est compétente pour toutes les zones de plus de 20 000 habitants. Donc ça veut dire que la police nationale a une compétence à peu près sur 20 à 25% du territoire français, mais sur lequel vous allez retrouver 80 ou 85% de la population. La gendarmerie, elle est compétente dans toutes les zones de moins de 20 000 habitants. C'est-à-dire qu'elle est compétente sur 80% du territoire, mais dans lequel vous allez avoir 20 à 25% de la population. Ensuite, il y a des particularités. Par exemple, les avions. L'avion, quand il n'est pas rattaché à un couloir fixe d'aéroport, il est de la compétence de la gendarmerie, d'où Marignane en 1994. Mais lorsqu'il est rattaché à un couloir de débarquement, il fait partie de l'aéroport, c'est la compétence de la police nationale, c'est le RAID.

  • Speaker #1

    Ça, opérationnellement, c'est des décisions qui sont prises en une seconde ou est-ce que ça génère du flottement ?

  • Speaker #0

    Alors non, ça va plus loin que ça parce qu'à chaque fois, ce sont des compétences spécifiques qui sont mises en œuvre. Pénétrer dans un avion, ça ne se fait pas comme ça, vous en avez bien conscience. Donc ça veut dire que les unités travaillent, s'exercent sur tous les dispositifs dans lesquels elles ont une compétence propre d'intervention. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, par exemple, pour les navires qui sont en mer, Si ce n'est pas les commandos marines, c'est le GIGN qui intervient. Si le bateau est au port, c'est le RAID. Ça veut dire que vous mettez en œuvre des compétences et des matériels qui sont spécifiques. Pour autant, l'ensemble de cette compétence territoriale, et donc cette compétence matérielle d'intervention, elle a été remise en cause en 2015. En 2015, c'est le Bataclan. Le Bataclan, vous avez un contrat d'intervention. qui était celui que je connaissais moi à l'époque où j'étais au RAID jusqu'en 2013, qui est « vous devez être en opération d'intervention une heure après l'alerte » . Pourquoi ? Parce que c'était comme ça et que l'ensemble du contrat d'intervention était défini comme ça. On a bien vu par la polémique qui est née autour du délai d'intervention dans le Bataclan que ce dispositif n'était plus tenable. Et c'est la raison pour laquelle la puissance publique a revu complètement. Son schéma d'intervention, en gardant la compétence territoriale que je vous ai décrite, mais en y rajoutant quelque chose d'essentiel, c'est de dire, et en cas d'urgence, et c'était le cas en 2015, puisque vous avez des terroristes qui ne vous laissent même pas le temps, d'une certaine manière, d'intervenir, un peu comme ce qu'on connaissait et ce sur quoi on s'entraînait sur les mass-murder aux États-Unis, qu'on voit dans les universités, c'est-à-dire un individu qui rentre et qui commence à tirer. Exactement le cas du Bataclan. C'est-à-dire que là, votre délai d'intervention, il n'est plus tenable dans la mesure où ça se déroule alors que vous, vous êtes en train de vous préparer. Donc on a rajouté, et en cas d'urgence, c'est n'importe quelle unité qui est en capacité d'intervenir au plus vite. Ce qui est le cas depuis 2015.

  • Speaker #1

    Revenons sur le RAID. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire ? Et d'abord, qui sont les troupes du RAID ? Qui est-ce qui constitue le RAID et comment sont-ils recrutés ?

  • Speaker #0

    Alors, ce sont des policiers uniquement. Il faut avoir... Minimum 5 ans d'ancienneté, pourquoi ? Parce que le RAID est une unité de haute intensité, et évidemment elle a énormément de moyens. Mais je ne souhaite pas, nous ne souhaitons pas, que les policiers qui rejoignent cette unité n'aient connu que cet Eldorado d'une certaine manière. Même si l'engagement qu'on leur demande, qui peut aller jusqu'au sacrifice de sa propre vie, traduit le fait que c'est normal que nous ayons énormément de moyens. Pour autant, le métier de policier... C'est surtout pas le RAID. Et ça, c'est ce que je tenais en permanence à rappeler à l'ensemble de mes collaborateurs. Il ne faut jamais oublier que nous sommes des policiers et que notre premier des boulots que nous devons au RAID, c'est l'assistance et le soutien aux autres unités de la police nationale. Donc, 5 ans d'ancienneté minimum. Ensuite, vous avez des tests de sélection. qui ne vont pas tellement différer de ceux que vous connaissez dans toutes les forces spéciales. L'idée, c'est d'essayer de fatiguer au maximum l'ensemble des candidats, de façon à faire tomber leur défense naturelle, et à partir de ce moment-là, de vraiment étudier quelle est la personnalité de l'individu qui candidate pour vous rejoindre. Est-ce que c'est quelqu'un qui va garder l'essentiel à l'esprit, ou est-ce qu'il va perdre ses moyens du fait d'avoir toutes ses défenses physiques, et notamment ses capacités physiques, qu'il ne le... qui ne le protégeront plus. C'est ce qu'on regarde en priorité. Après, vous avez un contrat opérationnel qui est de 5 ans, renouvelable 2 fois. Ça veut dire que vous pouvez faire carrière maximum au raid pendant 15 ans. C'est beaucoup. C'est beaucoup, surtout quand vous vous retrouvez derrière une porte, avec un bouclier, et dont votre boulot principal, c'est de recevoir le feu. C'est d'attirer le feu. Pour ceux qui veulent aller sur YouTube, ils verront aisément... cette doctrine mise en œuvre lors de l'attaque de l'hyper-kechère, l'assaut qui est donné, où on voit le premier opérateur du raid, une fois que le rideau métallique se lève, rentrer avec le bouclier et se déplacer sur la droite de manière à ce que Koulibaly lui tire dessus. C'est son boulot. Le boulot du premier de colonne, c'est qu'on lui tire dessus. Ça peut sembler un peu étrange, surprenant, mais c'est son métier. Et pourquoi on fait ça ? Parce que les études ont montré que chaque individu fait face à la menace immédiate à laquelle il est confronté. Et bien souvent, les preneurs d'otages, même s'ils ont une monnaie d'échange, à chaque fois que vous leur opposez une menace immédiate, ils oublient l'otage qu'ils ont et ils pensent à répondre à la menace. C'est exactement ce qu'on met en œuvre. C'est-à-dire que Koulibaly va tirer sur l'opérateur qui est rentré et ça permet, un, que l'otage... se libère et 2. que les opérateurs qui sont sur une autre colonne puissent neutraliser Colibaly.

  • Speaker #1

    Alors justement, racontez-moi, qu'est-ce que c'est les interventions du RAID ? Alors j'imagine qu'il n'y a pas une intervention typique, mais pourquoi est-ce qu'on appelle le RAID ?

  • Speaker #0

    Alors RAID, c'est la traduction, l'acronyme de l'ensemble des missions qu'il doit délivrer. C'est recherche, assistance, intervention, dissuasion. Chacun de ces acronymes correspond à un périmètre missionnel. Recherche parce que la capacité du RAID, c'est de pouvoir faire des filatures dans des milieux où il n'y a plus d'assistance naturelle. Je pense notamment à l'opération qui a été menée pour lutter contre l'assassinat du préfet Erignac, où il a fallu faire des filatures et des surveillances dans le Maquis-Corse, là où il n'y a aucune assistance possible, aucun relais téléphonique, aucune recharge de batterie. et vous mettez en place des surveillances vidéo avec des matériels que vous devez aller récupérer, remettre en charge. Ces dispositifs ou des cages dans des forêts, il n'y a que le RAID pour la police nationale qui est capable de le faire. Ensuite, l'assistance, c'est 90% des boulots du RAID. C'est à chaque fois qu'un individu est potentiellement armé, c'est le cas pour des trafics de stupéfiants, c'est le cas pour la criminalité organisée, on fait appel au RAID pour aller les neutraliser. Ce n'est pas le RAID qui fait l'enquête, mais c'est le RAID qui va les neutraliser, d'où la notion d'assistance, parce qu'ils interviennent au profit d'autres unités qui, eux, sont des unités d'investigation.

  • Speaker #1

    Quand vous dites neutraliser, ça veut dire quoi ? Ça veut dire arrêter ? Ça veut dire tuer ? Ça veut dire quoi ?

  • Speaker #0

    Arrêter. Arrêter. C'est ce qu'on appelle traditionnellement, nous, les opérations 6h du matin. On intervient en domicile des personnes qui sont potentiellement armées pour pouvoir s'assurer de leur intégrité sans avoir à commettre de dommages. sur eux-mêmes ou éventuellement sur les policiers qui interviennent. Le I, c'est pour intervention. L'intervention, ce sont les prises d'otages ou les gestions de forcenés. Il y en a en moyenne entre 9 et 10 par an. Ce n'est pas beaucoup, mais c'est là évidemment, c'est les opérations où vous prenez le plus de risques. Et notamment les gestions de forcenés. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas d'otages, parce qu'il n'y a pas d'urgence. L'opération de Mohamed Merah... D'une certaine manière, comme il n'avait pas d'otages, c'est une gestion de forcenés retranchés. Qu'on a tenté de prendre vivant, mais avec le résultat que vous connaissez, puisque quand un individu a décidé de mourir, même les Israéliens vous le disent, c'est quand même assez compliqué de l'avoir vivant. Mais pour autant, c'est une gestion de forcenés retranchés. Ce qui n'est pas le cas de l'hyper-cachère ou de Damartin-Angoël. Là, il y a des otages, et donc... En fait, ce sont les preneurs d'otages qui commandent le top de l'intervention. S'ils deviennent agressifs, sur l'ensemble des otages qu'ils ont en leur possession, vous devez intervenir. D'où la notion d'assaut d'urgence dans les prises d'otages, ou d'assaut élaboré ou planifié dans les gestions de forcenés. Mais le RAID a eu à déplorer des victimes dans son histoire depuis 1985. Pour moitié, elles ont été dues à une gestion de forcenés. Et donc c'est là où il faut faire très attention, c'est qu'un individu qui est retranché, chez lui, qui ne peut pas être menaçant pour autrui, autre que les policiers, les intervenants qui vont venir tenter de s'assurer de sa personne. Vous avez, dans votre responsabilité de chef et de commandant opérationnel, la responsabilité de prendre le maximum de précautions de façon à ce que tous vos collaborateurs, vous-même y compris, puissiez rentrer chez vous le soir, ce qui est quand même la priorité. Ce qui n'est pas le cas dans le cas de prise d'otage. Cas de prise d'otage. On est dans un assaut d'urgence, c'est-à-dire que même si on nous tire dessus, on progresse, on continue. Oui,

  • Speaker #1

    et ce sera mon avant-dernière question. J'aimerais bien que vous nous racontiez une intervention qui vous a marqué particulièrement au RAID. Pas nécessairement l'affaire Mohamed Merah dont tout le monde a beaucoup parlé, mais une autre intervention qui vous a marqué.

  • Speaker #0

    Une autre intervention qui reste un peu gravée dans ma mémoire, c'est la recherche et l'arrestation de Jean-Pierre Trébert, qui est ce charmant individu. qui avait tué la fille de Roland Giraud, qui avait été retrouvée dans un puits avec une autre jeune femme d'ailleurs, et qui s'était enfuie de son centre de détention. Il avait noué une relation amoureuse avec une personne, et il se donnait rendez-vous dans un bois en banlieue parisienne. Et c'est des surveillances et des filatures que nous avions faites, et notamment des... des caches que nous avions opérées dans les bois, on avait tenté de l'interpeller une première fois, et par une chance extraordinaire, qui ne sourit qu'au pendu, il y a eu un orage pas possible, ce qui fait que nos intensicateurs de lumière n'avaient pu être utilisés, et il avait réussi à s'échapper, et on ne l'avait interpellé que quelques semaines plus tard, en banlieue parisienne. Ça avait un peu défrayé la chronique, à notre dépend d'ailleurs, puisque le raid avait été mis en échec, mais comme d'habitude, force était restée à la loi, Et on avait réussi à la voir une ou deux semaines après. Il a été rappelé à son créateur puisqu'il a décidé de mettre fin à ses jours en prison quelques jours après son arrestation.

  • Speaker #1

    Je voudrais terminer par une question. Le milieu policier est un milieu qui est extraordinairement décrit dans la littérature et dans les films. D'ailleurs, on dit souvent que les cinéastes n'ont filmé qu'une profession au travail, c'est la profession de policier. On ne filme pas les architectes au travail, on filme assez peu les médecins au travail. ne filme pas les enseignants, etc. Ceux qui sont de loin le plus filmés, c'est les policiers. Et avec les images qui sont véhiculées par la fiction, on a souvent, on a quasiment systématiquement associé la police à une certaine forme de malheur personnel, à une certaine forme de dépression, je dirais même. Donc, ma dernière question pour vous, c'est, est-ce qu'on peut avoir une vie de flic heureux ?

  • Speaker #0

    Alors, j'espère en témoigner, mais... Là, vous faites plutôt allusion à toutes ces sériétéivisés type serpico, d'individus complètement désocialisés, qui vivent dans des taudis et qui en fait s'identifient aux malheurs quotidiens qu'ils sont amenés à fréquenter, puisque évidemment, la police vous montre la noirceur des choses, la noirceur de la nature humaine et la noirceur de la société. Mais en réalité, d'où l'intérêt, me semble-t-il, du travail d'équipe, de l'appui judiciaire, et c'est sans doute. Si vous me permettez cette remarque, la grande différence avec le système américain, où le système américain veut que vous avez un enquêteur pour une affaire. C'est typiquement ce qu'on voit du lieutenant Colombo qui mène ses investigations seul. La notion de la police judiciaire ou de la police en France est complètement différente. C'est un travail d'équipe. L'emploi judiciaire, le... Le plus petit dénominateur commun, quand j'étais abriade criminel, quand j'étais abriade estupéfiant, c'est le groupe. Et le groupe, c'est huit personnes, minimum. Ça veut dire que vous n'êtes jamais seul à prendre les décisions, vous n'êtes jamais seul à être confronté à la noirceur de la nature humaine, mais vous la partagez au quotidien. Et en fait, un peu finalement comme les médecins que vous voyez dans les salles de garde et qui décompressent. parce qu'ils ont une charge mentale assez forte qu'ils accumulent du fait de la gestion de la maladie. Le policier gère la maladie. social, il gère la maladie urbaine, il gère la misère. De la même manière, vous avez des ambiances de groupe, vous avez des ambiances d'équipe, vous avez des ambiances de brigade qui sont en fait des véritables fraternités d'armes. Un peu comme les militaires, lorsqu'ils sont en intervention, il y a des phases de décompensation qui sont très fortes et qui vous permettent d'évacuer tout ce stress. C'est important de le faire. La police, c'est des moments forts et des moments faibles. Dans ces moments faibles, vous devez resserrer les liens, éventuellement de parler, beaucoup écouter, parce qu'il y a des ressentis qui ne sont évidemment pas les mêmes. À l'occasion de la Fermera, l'ensemble des opérateurs du RAID ont été confrontés éventuellement au risque de la mort. Et bien tout le monde ne le ressent pas pareil. Il y a des debriefings qui sont prévus, ils ont été inventés pour ça. pour qu'on puisse ventiler, qu'on puisse décharger un peu la charge émotionnelle qu'on a emmagasinée. Parce que demain, une autre mission viendra, et il faudra encore compter sur la capacité de discernement de chacun. Et c'est important d'avoir ces phases de restructuration de l'ensemble des équipes pour pouvoir repartir de là.

  • Speaker #1

    Merci Amaury de Haute-Cloque.

  • Speaker #0

    Merci Romain.

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